activités classement grammatical

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    Recherches n 42, 2005

    LES ACTIVITS DE CLASSEMENT DANS LE DOMAINEGRAMMATICAL : ET SI LES ERREURS DE CLASSEMENT

    NEN TAIENT PAS TOUJOURS ?

    Georgette DalUMR 8528 SILEX (CNRS & Universit de Lille 3)

    INTRODUCTION

    Dans leur grande majorit, les activits grammaticales que lon propose

    lcole puis, plus tard, au public collgien consistent en des oprations declassement, de catgorisation (on admettra ici que les deux termes sont synonymes).En effet, vouloir faire dire aux lves que tel mot est un nom (un adjectif, uneconjonction,) revient bien leur faire dire quil est un lment de la classe desnoms (des adjectifs, des conjonctions,), dnomination et catgorisation tant deuxphnomnes intimement lis (Kleiber 1990 : 17). Il en va de mme pour lesfonctions : dire dune squence donne quelle assume les fonctions de complmentcirconstanciel ou de complment dobjet direct, par exemple, cest bien la faireentrer dans une catgorie, fonctionnelle cette fois-ci1.

    Or, contrairement aux apparences peut-tre, les activits de classement dans ledomaine grammatical nont rien de trivial, mme pour des cas en apparence aussi__________1. Dire dun texte quil est argumentatif ou narratif, cest, de mme, lui reconnatre des proprits

    permettant de voir en lui une occurrence de la classe des textes argumentatifs ou narratifs. Je mentiendrai dans la suite de ce travail lassignation traditionnelle de nature et de fonction.

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    simples que ceux qui viennent dtre cits. Les catgories en gnral, celles desgrammairiens en particulier, sont en effet des constructions thoriques hypothtiquesqui rsultent de choix, et, ce titre, elles peuvent sans cesse tre remises en question.Il sensuit que leurs contours peuvent tre redessins, au fil du temps, au fil desthories linguistiques, ou tout simplement parce que le principe fondant la catgoriea t rvis, parce quon a estim quil ne permettait pas deffectuer les bonnesgnralisations. Une fois quon a admis que les catgories des grammairiens nont

    pas le caractre immuable quon leur prte parfois, on comprend quil puisse arriverque les lves attribuent une tiquette inattendue telle ou telle occurrenceparticulire : on ne stonnera par exemple pas quils confondent parfois les fonctions decomplment dobjet direct et dattribut du sujet, quil ne serait de fait pas illgitimede rassembler en une seule, si lon adopte une perspective proprement syntaxique(Gardes-Tamine 2004 : 20) : mme cliticisation en le ((Pierre), je le vois ; Malade,

    je le suis lide de), mme relativisation en que (Pierre, que jai vu hier,;Lenfant que jtais alors...), mme interrogation en que(Que vois-tu ?; Qutais-tu, lpoque ?), mme dpendance vis--vis dun verbe (voiret tredans les exemplesprcdents) ; on ne stonnera pas davantage quils confondent parfois un nom et un adjectif,quand on a en mmoire la faon dont sest constitue la catgorie de ladjectif en tant

    que classe de mots autonome (cf. notamment Colombat d. (1992), en particulier lescontributions de S. Auroux, de J. Julien et de S. Delesalle ; je donnerai un aperu dela faon dont sest constitue cette classe dans le 1.2).

    On comprend galement quen certaines occasions, les enseignants de franaissoient, eux aussi, drouts devant telle ou telle occurrence, et quils ne sachent pasde quelle catgorie elle relve (ou quel nom lui donner, ce qui revient au mme).Loin dtre le signe dune faiblesse pdagogique inavouable, cette incertitudetmoigne au contraire dune vritable rflexion sur la langue : en matire decatgorisation grammaticale, ce nest pas lincertitude qui est suspecte mais, aucontraire, la certitude en toute circonstance.

    Cest ce que va sefforcer dtablir cet article. Aprs un rappel des principauxmodles thoriques en concurrence pour expliquer le processus de catgorisation engnral, je montrerai que, par dfinition, les catgories sont labiles. Je restreindraiensuite mon objet aux activits de classement dans le domaine grammatical tellesquelles sont pratiques au collge. Je passerai alors en revue quelques-unes desraisons expliquant, une fois nest pas coutume, quenseignants et lves se rejoignentdans leur difficult catgoriser tel ou tel mot ou telle ou telle squence, avec lidesous-jacente de faire apparatre la relativit de la notion derreur en matire decatgorisation grammaticale.

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    1. GNRALITS SUR LA CATGORISATION

    1.1. Les thories de la catgorisation2

    Deux grands modles ont t proposs pour expliquer le processus de lacatgorisation en gnral : le modle des conditions ncessaires et suffisantes, et lathorie du prototype.

    1.1.1. Le modle des conditions ncessaires et suffisantes

    la question Comment dcide-t-on de lappartenance dun objet, quel quilsoit, une catgorie ? , la rponse la plus spontane consiste rpondre en termesde conditions ncessaires et suffisantes (CNS). Selon cette rponse, qui estgalement la plus classique puisquon la doit Aristote, la catgorisation seffectuesur la base du partage dun ensemble de proprits : pour dcider de lappartenancede tel objet telle catgorie, on examine sil possde (ne possde pas) lensembledes proprits P1, P2, Pi dfinitoires de la catgorie, chaque proprit tantncessaire, lensemble des proprits tant, lui, suffisant (Geeraert 1988).

    linstar de Kleiber (1990 : 22-23), on notera que cette conceptionaristotlicienne de la catgorisation sassortit de plusieurs corrolaires :

    (i) les catgories sont des entits aux frontires clairement dlimites ce sont desentits discrtes , dans la mesure o chaque catgorie est dfinie par un faisceau deconditions ncessaires : deux catgories peuvent partager une (plusieurs)condition(s) ncessaire(s), elles seront nanmoins distinctes si elles possdent aumoins une condition diffrentielle ;(ii) lappartenance une catgorie rpond au systme du vrai et du faux, selon quelobjet catgoriser vrifie, ou ne vrifie pas, lensemble des conditions critrialesde la catgorie ;(iii) les membres dune mme catgorie sont quicatgoriels, puisquils satisfont lemme faisceau de conditions ncessaires.

    1.1.2. La thorie du prototype

    Tel quil vient dtre sommairement dcrit, le modle des CNS est sduisant enceci quil permet deffectuer des partitions disjonctives : par exemple, dans cetteconception, un mot est ncessairement un nom, ou un adjectif, ou un verbe, etc. Il nepermet cependant pas de rendre compte des cas marginaux, dont il nenvisage vraidire mme pas lexistence (cf. (iii) supra). Il ne permet pas non plus dexpliquer que,pour une catgorie donne, certaines occurrences sont ressenties comme plusreprsentatives que dautres. Je prendrai ici lexemple, classique3, de la catgorie des

    __________2. Le prsent paragraphe emprunte trs largement Kleiber (1990), y compris dans certaines de ses

    formulations.3. La thorie du prototype a en effet t initialement labore pour rendre compte des catgories dites

    naturelles (sur la notion de catgorie naturelle et son rle dans la thorie dE. Rosch, cf. Dubois &Resche-Rigon 1995).

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    oiseaux, qui connat de meilleurs et de moins bons reprsentants : au titre despremiers, on citera le moineau ou le pigeon, au titre des seconds, le pingouin ou lekiwi.

    Cest prcisment pour rpondre ces deux objections qua t labore, dansles annes 1970, la thorie du prototype, par E. Rosch et son quipe. Je ne retiendraiici que celles des thses quelle dfend utiles notre propos 4, sans les discuter (lathorie du prototype a t et continue dtre abondamment discute par ailleurs ; on

    en trouvera notamment une discussion serre dans Kleiber 1990 auquel je renvoiepour plus de dtails) :(i) les catgories ont une structure interne prototypique ;(ii) les frontires des catgories sont floues ;(iii) les membres dune catgorie ne possdent pas ncessairement de proprit(s)commune(s), cest une ressemblance de famille avec le prototype qui explique leurregroupement dans une mme catgorie ;(iv) lappartenance une catgorie seffectue sur la base du degr de similarit avecle prototype, selon un principe dappariement (matching principle).

    Dans cette thorie, les catgories sont en mme temps stables (la cohsion in-terne est assure par le prototype, sorte de noyau dur central) sans avoir la rigiditque celle que leur assigne la thorie des CNS. Cette flexibilit est rendue possiblegrce au principe dappariement avec le prototype, qui permet dintgrer des cas

    marginaux (Geeraerts 1988 : 223), sans en faire des exceptions, ou sans quil failleremettre en cause la catgorisation effectue (Kleiber 1990 : 104).

    1.2. Du caractre labile des catgories

    Que ce soit dans la thorie des CNS ou dans celle du prototype conu commecombinaison-de-proprits typiques5, la catgorisation a partie lie avec la notion deproprit. Par consquent, les catgories obtenues dpendent crucialement desproprits quon dcide driger en critres de classement. En effet, quand oncatgorise, on ne retient, des proprits des objets classer, que celles dont onestime quelles permettront de dboucher sur un classement pertinent, tant donnlobjectif quon assigne la catgorisation. Un exemple, simple, suffira illustrer cepoint. On pourrait rpartir les mots dune langue en fonction du nombre de graph-

    mes quils comportent. Pour le franais, on aurait de la sorte la classe des mono-grammes (par exemple, a, , ), la classe des digrammes (eu, as, on, do, r,), la

    __________4. Par exemple un reproche rcurrent formul lencontre de la thorie du prototype est lassimilation,

    juge abusive par certains, du degr de reprsentativit dune catgorie au degr dappartenance :bien quatypique, le pingouin nen est pas moins un oiseau.

    5. La notion de prototype a elle-mme connu diffrents tats : dabord comprise comme meilleurexemplaire communment associ une catgorie (par exemple le moineau pour la catgorie oi-seau), la notion a ensuite t entendue comme combinaison de proprits typiques (par exemple,possde des ailes, apte voler, a un bec, etc. pour la catgorie oiseau), ces proprits tantsusceptibles de sincarner dans plusieurs prototypes-meilleurs-exemplaires (par exemple, le moineauou le pigeon pour les oiseaux), dans un seul, ou dans aucun (on peut en effet imaginer quaucunmeilleur exemplaire ne runisse la combinaison de proprits vues comme typiques de certaines ca-tgories).

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    classe des trigrammes (mal, dur, sol,), etc. Le rsultat serait bien une partition desmots de la langue. Si lobjectif est dtablir un classement utilisable dans les jeux demots (mots croiss, mots flchs, etc.), alors la partition est intressante dans la me-sure o de tels jeux reposent fondamentalement sur le nombre de lettres des mots ;en revanche, si lobjectif est de rendre compte de phnomnes grammaticaux, alorselle nest daucune utilit. En effet, tant admis que les classes que dgage le gram-mairien visent permettre dnoncer des gnralisations sur la langue (Gary-Prieur

    1985, Auroux 1988), aucune gnralisation intressante, dans le domaine grammati-cal, ne repose sur le nombre de lettres des mots. Autrement dit, avoir un certainnombre de lettres est bien une proprit des mots, mais cette proprit sera rige encritre de classement ou, au contraire, mise en veilleuse selon lobjectif que londonne la partition quon veut raliser. Au XVIIIe sicle dj, Beauze faisait uneobservation similaire en constatant quil tait inutile, lintrieur de la classe dunom, de distinguer les noms despces (par exemple, noyer, chne) et les noms degenre (comme arbre) dans la mesure o cette distinction nest daucune utilit engrammaire 6, ou encore de distinguer des sous-catgories lintrieur de la catgo-rie de linterjection, dans la mesure o la distinction de leurs diffrences spcifi-ques est absolument inutile au but de la grammaire (Beauze 1782-1786, art. In-terjection ).

    Ds lors, on comprend que, par essence, les catgories soient labiles, et que

    leurs contours puissent changer sans pour autant que ce soit les proprits des objets classer qui changent. Il suffit, pour cela, soit quon rige au rang de critre ce qui,

    jusqualors, ntait quune simple proprit non classifiante, soit, linverse, quonrtrograde un critre au rang de simple proprit non classifiante.

    Dans le domaine grammatical, on explique l les pripties qua connues laclasse de ladjectif au fil du temps. Dabord indiffrenci lintrieur de la classe dunom dantan parce que le critre de constitution de cette dernire tait fondamenta-lement morphologique (mme marques de cas, de genre et de nombre en grec puis enlatin), ladjectif a peu peu merg comme sous-classe lintrieur de la classe dunom, jusqu sautonomiser comme classe de mots part entire au XVIII e sicleparce quil est apparu de plus en plus clairement aux grammairiens que, dans laclasse du nom, les diffrences smantiques entre ce quon appelait alors noms-substantifs et noms-adjectifs taient incommensurables (la disparition des marquescasuelles en franais moderne a certainement contribu rendre saillantes ces diff-rences). Ds lors, les grammairiens ont estim quil ntait pas satisfaisant en fran-ais de faire ressortir une mme classe les substantifs dune part, les adjectifs delautre, et, de critre, la proprit morphologique qui, jusque l, fondait la catgorietait rtrograde au rang de proprit non-classifiante. Ladjectif naissait donccomme classe de mots part entire. Peu peu cependant, des diffrences se firent

    jour au sein de la classe de ladjectif ainsi constitue. Elles donnrent lieu dans unpremier temps une partition interne la classe de ladjectif fonde sur des critressmantiques entre adjectifs physiques et mtaphysiques (Du Marsais), puis unnouvel clatement de la classe entre adjectifs (principalement) qualificatifs dune

    __________6. Je cite cet exemple viaFlaux & Van de Velde (2000 : 6).

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    part, et ce quon appelait alors adjectifs dterminatifs dautre part. Cet clatementtait fond, lui, sur des proprits syntaxiques diffrentielles (caractre obligatoire vsfacultatif au sein du groupe nominal), devenues, aux yeux des descripteurs, des crit-res de constitution de classe7. On assiste l une seconde rvolution grammaticale,avec la naissance du dterminant comme classe de mots autonome, entrine par lesinstructions officielles de 19758, mme si les habitudes terminologiques sont parfoisrestes la trane : je pense ce quon appelle encore parfois adjectifs possessifs

    qui, comme ne lindique pas leur nom, ne sont officiellement plus des adjectifs de-puis 30 ans maintenant.La promotion dune proprit au rang de critre de classement ou la rtrograda-

    tion dun critre de classement au rang de proprit non-classifiante explique gale-ment la concurrence terminologique quon relve ici ou l dans le domaine gramma-tical, et labsence de concidence stricte entre les catgories dlimites par ces ti-quettes. Je prendrai ici comme exemple la valse hsitation quon relve, aussi biendans les grammaires pour collgiens que dans les instructions officielles, entre lestiquettes complment circonstanciel, complment non essentiel ou complmentde phrase, qui droutent plus dun enseignant de franais (et plus dun lve). Eneffet, tant admis quune tiquette est un condens de dfinition qui met en avant leprincipe organisateur de la catgorie quelle dnomme, on comprend que ces appel-lations adoptent des points de vue diffrents :

    point de vue smantique (smantico-rhtorique) avec celle de complment cir-constanciel (en supposant quon sache ce quon entend par circonstance dans ledomaine grammatical) ; point de vue syntaxique (on le suppose) 9 de type distributionnel avec celle decomplment non essentiel10; point de vue syntaxique encore, de type fonctionnel cette fois, avec celle de com-plment de phrase (de nouveau, en admettant quon sache ce que signifie complterune phrase).

    __________7. Cf. la dfinition de ladjectif dans Arriv & al. (1988) : La classe des adjectifsgroupe des lments

    dont le trait commun est dapparatre de faon facultative dans le syntagme nominal. Ils se distin-guent par l des dterminants, dont la prsence dans le syntagme est, malgr certaines exceptions

    apparentes, obligatoire(ce livre intressant : ceest obligatoire, intressantfacultatif) .8. La classe des dterminants rsulte plus prcisment de lautonomisation des anciens adjectifs

    dterminatifs, conjoints aux anciens articles, considrs jusque-l comme une classe de motsautonome.9. Je fais lhypothse que le caractre non essentiel du constituant ainsi nomm renvoie au fait quilnest pas indispensable la syntaxe de la phrase. En effet, du point de vue smantique, comme lesouligne juste titre Delaveau (1992), les complments dits non essentiels sont capitaux smanti-quement puisquen leur absence, aucun indice ne permet de deviner leur type smantique, aucontraire de certains complments de verbe qui, eux, peuvent ne pas tre exprims, sans grand dom-mage smantique pour le rsultat. Cest le cas par exemple de des blondes dans Pierre fume desblondes : le trou smantique quil laisse dans Pierre fume nest que partiel, tant donn le sens mmedu verbefumer, dont le procs sapplique des objets normalement fumables.

    10. La distribution dune squence (i.e. lenvironnement dans lequel elle peut apparatre) relve de lasyntaxe en ceci quelle exprime une notion relationnelle. On notera en passant le caractre oxymori-que de ltiquette complment non essentiel si, par complment, on entend lment ncessaire lacompltude de llment complt.

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    Or, chaque point de vue, donc chaque tiquette, configure en propre la catgoriefonctionnelle vise. Certes, il existe des zones intersectives entre les fonctions queces tiquettes circonscrivent. Ainsi, hier, dansHier, je suis alle au cinma exprimeune circonstance, est syntaxiquement non essentiel et, ntant li aucun lment dela phrase en particulier, peut tre dit porter sur la phrase dans son ensemble. cetitre, on pourra voir en lui un complment circonstanciel, un complment non essen-tiel et un complment de phrase. Mais dautres possibilits sont envisageables et, de

    fait, attestes. Par exemple : complment exprimant une circonstance par ailleurs essentiel et dpendant dunlment de la phrase (au march dansJe vais au march), pouvant, ce titre, tre ditcirconstanciel, mais ni non essentiel, ni de phrase ; complment suppressible nexprimant pas une circonstance et dpendant dunlment de la phrase (des blondes dans Pierre fume des blondes) pouvant, ce titre,tre dit non essentiel, mais ni circonstanciel, ni de phrase.

    Le fait na rien dtonnant. Au contraire mme, ltonnement viendrait duneco-extensivit stricte entre les catgories fonctionnelles dlimites par chaque ti-quette, dans la mesure o il ny a aucune raison que lexpression dune circonstancedoive ncessairement aller de pair avec un caractre non essentiel, et avec une d-pendance vis--vis de la phrase (pour des synthses trs intressantes sur la notion decomplment circonstanciel, je renvoie Delaveau 1992, et aux travaux de D. Lee-

    man, en particulier Leeman 1998).

    2. CATGORIES ET CATGORISATION DANS LE DOMAINESCOLAIRE : QUELQUES DIFFICULS

    Dans la partie qui prcde, jai essay de faire apparatre que les catgories engnral, celles des grammairiens en particulier, sont des constructions hypothtiquesqui rsultent de choix, susceptibles tout moment dtre rviss. On tient l un pre-mier argument relativisant srieusement la notion derreur en matire de catgorisa-tion grammaticale : lerreur daujourdhui, ou ce qui est considr comme telle, peutcorrespondre la vrit dhier, voire celle de demain.

    Dans cette partie, je me propose de passer en revue quelques-unes des autres

    raisons qui expliquent que, de faon rcurrente, lves et enseignants se rejoignentdans leur difficult en matire de catgorisation grammaticale.

    2.1. Partitions et rpartitions

    Comme le soulignent Habert et Zweigenbaum (2003), classerest une dnomi-nation ambigu, pouvant recouvrir deux activits distinctes. Par classeren effet, onpeut entendre partitionner ou rpartir : dans le cas du classement-partition, lobjectif est de regrouper des units en clas-ses, en usant de critres (ncessaires et suffisants, ou prototypiques) quon a soi-mme tablis en observant les proprits des units classer et, on la vu, selonlobjectif quon assigne la partition ;

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    dans le cas du classement-rpartition, on dispose de catgories pr-tablies (dunrpartitoire, selon les termes de Damourette et Pichon), et on place chaque unitdans la catgorie qui lui revient.

    Cette double possibilit interprtative sobserve dans tous les domaines. Elle estcependant particulirement nette dans le domaine grammatical, dans la mesure oelle tablit une zone de partage entre dun ct les grammairiens et de lautre ce que

    jappellerai les utilisateurs de la grammaire que sont les lves et les enseignants de

    franais. Les premiers, on la vu, tablissent des partitions, avec lobjectif deffectuerde bonnes gnralisations sur la langue, reconfigurant au besoin les catgories silsestiment quun remaniement aura un pouvoir de gnralisation suprieur la confi-guration prcdente. Les seconds sefforcent de rpartir les units de la langue dansles partitions des grammairiens. Or, cette tche seffectue la plupart du temps sansquils possdent de cls de rpartition, et sans que les outils dont ils disposent (ins-tructions officielles et/ou grammaires scolaires) ne les leur donnent. Je prendrai denouveau ici comme exemple la classe de ladjectif.

    Alors que les nombreux travaux de recherche qui lui sont consacrs, actuelle-ment encore11, indiquent que tout na pas t dit sur cette classe de mots, tonnam-ment, les instructions officielles actuellement en vigueur nen donnent pas de dfini-tion, que ce soient dans les programmes ou dans les textes daccompagnement : en 6e, on invite les enseignants favoriser la lecture douvrages documentaires, et,

    ce faisant, travailler la distinction entre nom et adjectif ( Accompagnement desprogrammes de 6e , II.B.2.) ; on explique le terme dterminant( Accompagne-ment des programmes de 6e , Annexe 3 Fiches de terminologie grammaticale ),en prcisant que relvent de la classe de mots que dsigne ce terme les articles ainsiquun certain nombre de sous-classes dadjectifs : adjectifs possessifs, dmonstratifs,indfinis, numraux (sans souligner, dailleurs, le caractre vestigial de ces appella-tions) ; on prconise ltude morphosyntaxique des classes de mots, dont celle deladjectif ( Programmes 6e , rubrique Les outils de la langue ), mais nulle part,sauf erreur, on ne propose de dfinition de ce quon entend par adjectif ; au cycle central (5eet 4e), ladjectif fait figure de grand absent (aucune occurrencedu mot adjectif, aussi bien dans les programmes que dans les textesdaccompagnement) ; en 3e, on prconise ltude des fonctions par rapport ladjectif (groupe adjecti-val) (BO n10 du 15 oct. 1998, hors srie), mais on ne donne pas de dfinition dece dernier, que ce soit dans les programmes ou dans le texte daccompagnement desprogrammes (en particulier, dans le glossaire en annexe II).

    Jen conclus que, du point de vue des IO, la classe de ladjectif ne fait pas pro-blme, et quelle est suppose nen poser ni pour les enseignants de franais, ni pourles lves, mme leur entre en 6e (la remarque vaut dailleurs pour les classes demots en gnral, puisque aucune ne reoit de dfinition dans les IO, sauf les connec-teurs, qui apparaissent partir du cycle central, sous rserve quon voie en eux uneclasse de mots).

    __________11. Par ex., Goes (1999), et les nombreuses rfrences quil cite, ainsi que les travaux de M. Riegel, par

    ex. Riegel (1985) et (1993).

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    Quand on regarde les grammaires pdagogiques, la situation est plus varie12: soit elles se comportent comme les IO et ne dfinissent pas ce quelles entendentpar adjectif : cest le cas de Franais 300 activits, chez Magnard, ou dans Gram-maire et expression 3e, chez Nathan, alors mme quils mentionnent ladjectif dansles paragraphes consacrs lexpansion du groupe nominal (Franais 300 activi-ts) et la caractrisation (Grammaire et expression 3e) ; soit elles proposent une dfinition, en particulier dans leur glossaire. Dans ce cas,

    on observe plusieurs stratgies : dfinition de la classe de ladjectif qualificatif, maispas de celle de ladjectif en gnral (Grammaire et expression 6e, Nathan; Gram-maire pour lire et crire 3e, Delagrave Editions), simple renvoi sous adjectif audterminant, et dfinition spare pour ladjectif qualificatif (Grammaire 5e, Hatier),distinction, au sein de la classe de ladjectif, entre qualificatifs et classifiants (ourelationnels) (Grammaire et expression 4e, Nathan).

    cela sajoutent des variantes, sur lesquelles je passe ici, dans le traitement dece que les IO de 1996 appellent encore adjectifs possessifs (dmonstratifs, etc.),quelque 20 ans aprs que ces derniers ont officiellement quitt la classe de ladjectif.

    Les enseignants ne disposent donc pas de la cl de rpartition entre adjectifs etnon adjectifs, et les outils quils ont disposition leur sont de peu dutilit, soit quilssont muets (IO), soit queux-mmes prouvent une difficult certaine dfinir defaon opratoire ce quest un adjectif. Aussi, quand en 6e, ils travaillent sur la classe

    de ladjectif, comme les y enjoignent les IO, les enseignants nont-ils dautre solutionque de se fonder sur leur propre connaissance de ladjectif, et dessayer de re-dcouvrir le principe organisateur de la catgorie. Or, on la vu, ce principe na au-cun caractre dvidence, ni mme de permanence au fil des sicles (je renvoie aubref historique que jai dress plus haut).

    2.2. Conditions ncessaires et suffisantes ou prototype ?

    Une seconde difficult, en matire de catgorisation grammaticale lcoleet/ou au collge, rside dans le modle de la catgorisation sous-jacent aux pratiquesscolaires. Sans que cela soit toujours dit de faon explicite, le modle en vigueursemble tre celui des conditions ncessaires et suffisantes, avec des diffrences,peut-tre, selon quil sagit de classes de mots ou de catgories fonctionnelles (les

    premires sont peut-tre moins penses sur le modle des CNS que les secondes).Jen voudrai pour preuve lattente dont font montre les enseignants de franais (etcelle dont on a fait montre auprs deux quand eux-mmes taient lves ou tu-diants), quand ils demandent leurs lves de dire quelle classe de mots appartienttelle ou telle occurrence, ou quelle fonction elle assume, comme si la rponse taittoujours possible, et leur propre gne, dans certains cas, ne pas savoir donner unerponse univoque. Je me fonde galement sur la faon dont les IO formulent leurs

    __________12. Je remercie ici les enseignants de collge qui mont prt quelques grammaires pour collgiens lors

    de stages que je propose depuis plusieurs annes dans le cadre du plan acadmique de formation delacadmie de Lille.

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    dfinitions, par exemple celles de complment essentiel et de complment circons-tanciel dans le texte daccompagnement des actuels programmes de 3e :

    Complment essentiel. Complment du verbe, qui fait partie du groupe ver-bal, que lon ne peut ni supprimer ni dplacer. Les complments dobjet sontessentiels, mais galement certains complments de lieu ou de temps que lonne peut dplacer.

    Complment circonstanciel. Complment de phrase, que lon peut supprimerou dplacer.

    Le modle est bien celui des CNS. Selon la premire dfinition, un complment estessentiel sil satisfait la conjonction des trois proprits suivantes : (i) il complte unverbe, (ii) il nest pas suppressible, (iii) il nest pas dplaable. Il soppose, en cela,au complment circonstanciel, dont la dfinition est galement formule en termes deCNS : (i) il complte une phrase, (ii) il est suppressible, (iii) il est dplaable.

    Or, il apparat de plus en plus nettement que lon gagne substituer au modleclassique en termes de CNS un modle plus souple qui aborde les catgories gram-maticales sous langle du prototype13, les dfinitions classiques tant entendrecomme ne valant que des meilleurs membres de la catgorie (Croft 2001 : 73). Pourles cas qui ne posent pas de problme majeur (par exemple, granden (1)), le gain

    nest pas flagrant ; il lest en revanche pour des cas plus problmatiques, par exem-ple caramelet chocolatsous (2), ou encore institsous (3), relevs lun et lautre surla Toile :

    (1)

    Pierre est grand pour son ge.(2)

    Daniel Faret joue avec le cuir : vieilli pour un manteau caramel, mlangavec de la peau dans un ensemble blouson-pantalon, cousu patchwork pour un effet graphique sur un pantalon chocolat ou une veste ou encoresculpt faon espagnole noire.

    (3)

    Au fait, notre secouriste bien-aime se nomme Lydie. Cela ne sonne pas trsinstit dailleurs comme prnom, cest suspect : mfions-nous de tout, detous, et de toutes...

    Ds que lon cesse denvisager les classes de mots comme des catgories dis-crtes aux frontires nettement dfinies et aux membres quicatgoriels, et quon

    considre que ce ne sont que (et rien que) des prototypes-combinaison-de-proprits,une rponse qui consiste valuer le nombre de proprits de ladjectif et du nomprototypiques que possdent caramel et chocolaten (2), institen (3) devient receva-ble, sans quil faille ncessairement statuer sur lappartenance de ces mots la classedes adjectifs ou, dailleurs, celle des noms. Ils sont, si on veut, adjectifs et noms

    __________13. Sagissant des classes de mots, lapproche en termes de prototype que lon observe actuellement dans

    les travaux des linguistes (par exemple pour ladjectif dans Goes 1999 dj cit) doit beaucoup auxtypologues (je renvoie aux travaux de W. Croft, notamment Croft 2001, et Baker 2003), et la n-cessit, pour eux, de disposer de dfinitions de classes de mots opratoires pour dcrire les languessans tradition grammaticale : ils en ont besoin pour rpondre des questions comme : est-il vrai quele mohawk (lune des langues du Canada, parle aussi aux Etats-Unis) na pas dadjectifs ? Est-ilvrai que le quechua (une des langues du Prou) ne connat pas la distinction nom/adjectif ?

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    des degrs divers. Dans cette hypothse, ce que, dans la pratique scolaire, on a cou-tume dappeler adjectifs, noms et verbes, pour men tenir ici ce que les lin-guistes appellent parfois les catgories lexicales majeures, est en fait constitu de paquets de proprits prototypiques situs aux pointes dun triangle selon leschma suivant :

    Figure 1 : noms, adjectifs et verbes

    dans une conception prototypique de la catgorisation

    Avec un tel schma, on peut en mme temps rendre compte de lappartenancestricte, et de lappartenance relative. Ainsi, pour ne prendre que quelques exemplessur laxe Noms/Adjectifs, chien, instance prototypique de la classe des noms, sesituera la pointe infrieure gauche du schma, tandis que maigreur, qui possdedeux proprits de ladjectif prototypique (il exprime une proprit et est gradable :une maigreur extrme), sen cartera. lautre extrmit de cet axe, on situeragrand tel quil apparat en (1), puis caramel et chocolatmoins prototypiquementadjectifs en ceci que, bien quexprimant des proprits chromatiques en (2), ils nesont pas affects par la variation en genre et en nombre. Quant instit, tel quil fi-gure en (3), ses proprits nominales sont plus prsentes encore. Aussi le situera-t-on mi-chemin entre les deux ples de cet axe. La question, que je ne rsoudrai pas iciparce quelle dborde largement le cadre de cet article, est celle des frontires descatgories ainsi reprsentes, en admettant quelle soit pertinente (en considrant que

    les classes de mots que sont le nom, ladjectif et le verbe ne sont que et rien que desprototypes, la question de lappartenance catgorielle tombe en partie).

    Le gain est le mme pour les catgories fonctionnelles. Prenons le cas des com-plments de verbe et des complments dits circonstanciels. Dans un article de1990, A. Borillo constate que, [d]ans la pratique, il arrive souvent que lon soitconfront des situations o la ligne de partage entre la fonction de complment deverbe et de complment circonstanciel reste assez floue (p. 75)14. En abordant lescatgories fonctionnelles sous langle du prototype, on rsout cette difficult, quitombe delle-mme, puisque, par dfinition, la thorie du prototype pose que lesfrontires entre catgories sont floues, et on verra dans les fonctions de complment

    __________14. Mme constat dans Guimier (1993 : 7), par exemple.

    adjectifs

    noms verbes

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    de verbe et de complment circonstanciel les deux ples dun continuum (Guimier1993, Serafin 1993) selon le schma suivant :

    complments de verbe ___________________________complments circonstanciels

    Figure 2 : complments de verbe et complments circonstanciels

    dans une conception prototypique de la catgorisation

    Ds lors, on pourra envisager que certaines squences puissent se situer des en-droits diffrents de ce continuum, sans quil faille dire delles que ce sont des com-plments de verbe ou des complments circonstanciels.

    Un r-clairage des catgories grammaticales la lumire de la thorie du pro-totype ne me parait donc pas une vue trs lmentaire (Gross 1994 : 231), aucontraire mme. L o une dfinition en termes de CNS se heurte indfiniment descas rtifs, une approche prototypique des catgories, sans rsoudre tous les probl-mes, donne cependant une souplesse apprciable en matire de catgorisation, etrelativise elle aussi les hsitations qulves et enseignants peuvent parfois prouverentre les catgories situes aux deux ples dun mme axe (le constat quelhsitation, quand elle existe, met toujours en cause deux catgories, jamais davan-tage, valide dailleurs la conception ici dfendue de la catgorisation) : noms et ad-

    jectifs on la vu, mais aussi adjectifs et verbes par lentremise des participes passs,verbes et noms par celle, essentiellement, de linfinitif, rput tre la forme nominaledu verbe.

    2.3. Catgorisation dans un nombre limit de classes

    Une dernire difficult, qui peut expliquer les difficults quprouvent conjoin-tement lves et enseignants catgoriser certaines occurrences grammaticales, tientau fait que la classification des units de la langue est suppose se raliser dans unnombre restreint de classes comportant chacune un nombre consquent dlments(pour une remarque similaire, cf. Creissels 1995). On comprend pourquoi : le pou-voir de gnralisation de la classe dgage sera proportionnel au nombre dlmentsquelle comporte, le cas extrme dune classe rduite un singleton tant exclu,parce questim navoir aucun pouvoir de gnralisation15. Pour la tradition gramma-ticale, le juste quilibre entre le nombre de classes idal et le niveau de gnralitatteint grce aux classes distingues semble osciller entre 8 et 12 ou 13, que ce soitpour les classes de mots ou pour les catgories fonctionnelles16.

    __________15. cet gard, on peut stonner du faible cardinal de la (sous-)classe des conjonctions de coordina-

    tion, selon la tradition. Cest dailleurs ce faible cardinal qui explique que ce soit la seule quon dfi-nisse plus souvent en extension en listant ses membres quen intension, en nonant son principe or-ganisateur.

    16. Sagissant les classes de mots, le nombre de 8 a constitu un bon compromis pendant des siclesentre la tendance des philosophes minorer ce nombre, et celle des grammairiens trop vtilleux laugmenter. Sur ce point, cf. Holtz 1994.

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    Or, cette exigence tacite, pour raisonnable quelle puisse paratre au premierabord, est source dun certain nombre de difficults : cration de classes rsiduelles, destines accueillir les squences qui nentrentdans aucune des autres classes distingues : on trouve ici principalement la classe deladverbe pour les classes de mots et celle du complment circonstanciel pour lescatgories fonctionnelles ; de faon lie, difficult donner de ces classes rsiduelles, constitutivement ht-

    rognes, une dfinition opratoire.Sagissant de ladverbe par exemple, Creissels (1995 : 135) montre de faonconvaincante que trs et ici, quon a coutume dtiqueter comme adverbes, nontaucune proprit commune, aussi bien du point de vue de leur type de sens que decelui de leur distribution. Leur seul point commun est leur invariabilit, ce qui estinsuffisant pour les classer comme adverbes, puisque cette proprit vaut pourdautres classes de mots. Cette observation amne dailleurs D. Creissels conclurep. 137 que :

    linventaire traditionnel des adverbes nest rien dautre quun fourre-tout oon se dbarrasse de toutes les units quon est incapable de ranger dans uneclasse grammaticale positivement dfinie, cest--dire dont les membres onten commun au moins certains comportements syntaxiques permettant de lescaractriser17

    et que, si cette classe nexistait pas, il faudrait en rpartir le contenu dans un grandnombre de classes, certaines pouvant mme tre rduites un singleton (cest le casde ne par exemple, dont les proprits ne se retrouvent dans aucun autre mot dufranais).

    Devant la ralit des faits langagiers, le nombre de classes dont disposent lesenseignants de franais et, leur suite, les lves, semble donc trop faible. Commeles uns et les autres ne comprennent pas, juste titre, ce quont en commun, hormisleur invariabilit,ne, trset iciauxquels jajouterai rapidement, souventet en effet, ilen ressort une impression darbitraire : adverbe devient ds lors une sorte de nompropre, non motiv ( cest un adverbe parce que a sappelle comme a ), commelest par exemple pronom quand on sest avis de lhtrognit de la classe demots que circonscrit cette tiquette (sur ce point, cf. notamment Creissels 1995, et

    Kirtchuk 1994).On peut faire un constat analogue, pour les catgories fonctionnelles, du ct du

    complment circonstanciel, dans Gosselin (1990 : 37) par exemple, quand il constateque (cest moi qui souligne) :

    Dans les grammaires, classiques et modernes, le concept de complment cir-constanciel aussi bien dailleurs que celui de circonstant parat clat entredeux dfinitions : lune, positive, associe ce type de complment la catgoriesmantique des circonstances ; lautre, ngative, consiste tenir pour circons-tanciel tout complment dont on ne sait quoi faire.

    __________17. On trouve des constats analogues dans Pottier (1962 : 53), Guimier (1996), pour nen citer que

    quelques-uns.

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    De nouveau donc, la notion derreur en matire de catgorisation grammaticaleressort singulirement affaiblie au terme de ce paragraphe. Lexistence mme, dansla grammaire, de catgories dont la seule raison dtre est de permettre une partitionsans reste, sans quaucun principe organisateur puisse tre dcel par ailleurs, relati-vise en effet la notion derreur. Si erreur il y a, elle est analyser, si on veut, commeerreur dattribution de nom, pas de catgorisation.

    3. QUELLE CONCLUSION ?

    Au terme de ce travail, il ne sagit pas de dire quen matire de catgorisationgrammaticale, les erreurs nexistent pas. Les erreurs existent bel et bien, et prtendrele contraire naurait aucun sens. Je pense cependant avoir montr quavant de sanc-tionner telle ou telle catgorisation comme errone, il faut avoir en tte quen lamatire, la notion derreur est une notion bien relative : elle est relative dans le temps, dans la mesure o les catgories des grammairiensnont pas le caractre prenne quon leur prte parfois : lerreur daujourdhui, ou cequon considre comme telle, peut correspondre la vrit dhier, voire celle dedemain ; elle est relative dans lespace des thories, dans la mesure o rien ne garantit qu

    dnomination constante, les catgories des uns et des autres aient les mmescontours, mme une mme poque. Ainsi, sans le bref historique sur la faon dontsest constitue la classe de ladjectif au fil du temps, on ne comprendrait par exem-ple pas la citation suivante, emprunte une grammaire pour tudiants en premiercycle :

    Les articles et autres dterminants (possessifs, dmonstratifs), qui ne peuventpas tre constituants de phrase, sont des espces particulires dadjectifs (LeGoffic 1993 : 201)

    elle est galement relative dans la mesure o, dans certains cas, il semble impossi-ble de trancher et de donner une rponse univoque, alors que, dans dautres, le prin-cipe mme ayant prsid la mise en place de certaines catgories semble impn-trable.

    Ce rsultat tabli, je proposerai deux conclusions, une conclusion pessimiste etune conclusion optimiste.

    La conclusion pessimiste consiste considrer qutant donn ce qui prcde, ilfaut renoncer proposer aux lves toute activit de catgorisation grammaticale.Certes, la notion derreur sort relativise de lexamen qui prcde, mais si mme lesspcialistes ne sont pas capables de sentendre sur des dfinitions univoques descatgories grammaticales depuis le temps quils sy essaient (cest particulirementvrai des classes de mots, dont la tradition remonte Platon), alors autant renoncerune fois pour toutes, dans la mesure o, quelque rponse que lon donnera, elle seraforcment dpasse, fausse, discutable, etc.

    La conclusion optimiste, elle, consiste affirmer quen matire de catgorisa-tion grammaticale, ce nest pas la rponse qui compte, mais la dmarche qui y

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    conduit. De fait, sauf peut-tre dans une perspective interlingue, il est somme toutepeu intressant de savoir que tel mot est un nom, tel autre un adjectif, que telle s-quence assume la fonction de complment de verbe, telle autre celle de complmentcirconstanciel. En revanche, il est intressant de discuter les raisons ayant motiv cestiquetages, et, plus encore, les hsitations que lon peut avoir classer telle ou telleoccurrence dans telle ou telle catgorie. Ds lors que les catgories des grammairiensne sont plus ressenties comme imposes de lextrieur, comme des vrits intoucha-

    bles, avec tout larbitraire que cela suppose, et quon autorise chacun, avec ses pro-pres moyens, devenir grammairien de sa propre langue, les activits de catgorisa-tion grammaticale acquirent un intrt certain, ce dautant plus quon accepte de lespenser sur le mode du prototype, et que la rponse puisse prendre la forme dun onne sait pas .

    Cest, pour ma part, la conclusion optimiste que je ferai mienne, en me fondantsur mon exprience denseignement luniversit, auprs dtudiants ayant parfoisun souvenir meurtri de la grammaire scolaire.

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