actes tours 2007[1]

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5 DE3-5 DCEMBRE 2007 DE LA BIODIVERSIT LINSTITUT FRANAIS TOURS

es JOURNES

5 DE3-5 DCEMBRE 2007 DE LA BIODIVERSIT LINSTITUT FRANAIS TOURS

es JOURNES

Comit scientifique des 5es JournesBruno DAVID (prsident du Comit et de la Commission scientifique de lIFB) Luc ABBADIE Paul ARNOULD Jrme CASAS Philippe COZIC Philippe CURY Jean-Claude GENOT Sylvie JOUSSAUME Michel KHALANSKI Anne LARIGAUDERIE Raphal LARRERE Sandra LAVOREL Xavier LE ROUX Andr MICOUD Serge MORAND Olivier THEBAUD

Cr en dcembre 2000, lInstitut franais de la biodiversit est un Groupement dintrt scientifique (Gis) compos de 17 membres unissant leurs efforts pour promouvoir les recherches scientifiques franaises en biodiversit : Ministres en charge de la recherche, de lcologie, des Affaires trangres et europennes, de lindustrie, de lagriculture et de la pche Organismes de recherche : Cemagref, Cirad, CNRS, Ifremer, Inra, Inserm, IRD, Musum national dhistoire naturelle Organisations professionnelles : Assinsel, Organibio Organisations non gouvernementales : France Nature Environnement, WWFPar dcret du 3 mars 2008 est officialise la cration de la Fondation franaise pour la recherche sur la biodiversit constitue partir de deux Gis : lInstitut franais de la Biodiversit (IFB) et le Bureau des ressources gntiques (BRG).

Ces 5es Journes de lIFB sont places sous le haut patronage de quatre ministres : Ministre de lEnseignement suprieur et de la Recherche, Ministre de lcologie, de lnergie, du Dveloppement durable et de lAmnagement du Territoire, Ministre des Affaires trangres et europennes, Ministre de lAgriculture et de la Pche. Elles ont bnfici dun soutien spcial du ministre de lcologie, de lnergie, du Dveloppement durable et de lAmnagement du territoire et du ministre des Affaires trangres et europennes.

SOMMAIREOuverture des 5es Journes IFBSauvegarder la biodiversit : une ncessit vitale pour le monde de demainJean-Claude LEFEUVRE

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Thmes en dbatConfrence introductive : Incertitude et biodiversit : violence de la nature, rsilience de la vie 16Jacques BLONDEL

Thme I : Biodiversit et changement globalConfrence introductive Les interactions entre la biodiversit et les changements climatiques 24Paul LEADLEY

Communications orales et posters 30 Synthse de lAtelier 32Serge MORAND

Thme II : Biodiversit et agricultureConfrence introductive : Biodiversit et agriculture ou agriculture et biodiversit ? 34Jacques BAUDRY

Communications orales et posters 40 Synthse de lAtelier 43Xavier LE ROUX

Thme III : Ingnierie cologiqueConfrence introductive : Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversit ? 45Harold LEVREL

Communications orales et posters 54 Synthse de lAtelier 58Philippe COZIC

Projets de recherche ANR-BiodiversitSynthse 62Jrme CASAS

Liste des projets laurats ANR Biodiversit 2005 prsents en sance plnire et des projets laurats ANR Biodiversit 2006 prsents par affiches 64

Bilan IFB et prospectiveLInstitut franais de la biodiversit. Bilan et perspectives 68Jacques WEBER

Stratgie scientifique de lInstitut franais de la biodiversit 74 Projet Biodiversit et modlisation 79Bruno DAVID et Denis COUVET

IMoSEB et lexpertise internationale en biodiversit Bilan et perspectives 85Didier BABIN

Clture officielle des 5es Journes IFBPatrick DUNCAN

91 93

Confrence de cltureJean-Claude LEFEUVRE

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rJean-Claude LEFEUVREPrsident de lInstitut franais de la biodiversit

Sauvegarder la biodiversit : une ncessit vitale pour le monde de demain

C

es journes sont places sous le haut patronage de quatre ministres : celui de la recherche, celui de lcologie, de lamnagement et du dveloppement durables, celui des Affaires trangres et europennes, et celui de lagriculture et de la pche. Cest avec plaisir que je remercie chaleureusement leurs reprsentants et les hautes personnalits qui se trouvent parmi nous. Je tiens galement vous remercier tous dtre fidles ces rencontres qui, pour leur cinquime dition depuis 2002, nous runissent de nouveau Tours.

Un peu dhistoire

Lors de la toute premire manifestation de lIFB en 2002, Claudie Haigner, ministre charge de la recherche et des nouvelles technologies, soulignait dans son discours le fait que ces journes () cltures par le ministre de lcologie et du dveloppement durable, madame Roselyne Bachelot-Narquin, tmoignent et illustrent lattention que le gouvernement accorde ce champ de recherche que constitue la biodiversit et la coordination mise en uvre travers lIFB . Avec la fougue quon lui connat, madame la ministre de lcologie et du dveloppement durable, quant elle, navait pas hsit dclarer : Groupement dintrt scientifique original, lIFB est devenu aujourdhui un lieu incontournable de la coordination de la recherche en cologie . Elle concluait par cette phrase : Je voudrais vous redire combien japprcie le lieu de cohrence, dchanges et de mise en commun quest lIFB . Cinq ans ont pass. La qualit des recherches dveloppes sur les consquences de laugmentation des gaz effet de serre due aux activits humaines depuis plus de deux sicles, tout comme lexcellence des rflexions et diagnostics mens par le Giec (Groupe

dexperts intergouvernemental sur lvolution du climat) font quaucun gouvernement ne peut plus ignorer les menaces qui psent dsormais sur notre plante. La monte en puissance mdiatique sur le thme des bouleversements climatiques annoncs aurait pu relguer au dernier rang des proccupations gouvernementales le sujet qui nous est cher, celui de la biodiversit. Cest dailleurs ce quavait laiss entendre Claudie Haigner lors de son discours de Tours. Aujourdhui, malgr la reconnaissance de laction de lIFB, la biodiversit est un concept que beaucoup tendent rduire au nombre despces existant sur la plante. Dans les mdias, les interventions portent le plus souvent sur les beauts vivantes de la nature. Bien peu, trop peu, sintressent la dpendance des socits humaines vis--vis de cette diversit biologique que lon retrouve travers nombre dactivits telles que lagriculture, llevage, la pche, lexploitation des forts, la cueillette, la pharmacie, les cosmtiques, lalimentation et lindustrie agro-alimentaire, du bois, des fibres, etc. Finalement, cette mise lcart na pas eu lieu et, suite une srie dvnements internationaux survenus ces dernires annes, les gouvernements ont pu prendre la mesure de ce que nous avions perdu, non plus depuis deux cents mais dix mille ans, en nous considrant comme matres et possesseurs de la nature. Parmi ces vnements internationaux figure au premier plan la Confrence internationale de Paris de janvier 2005 intitul Biodiversit, science et gouvernance . Au cours de ce colloque, il a en effet t montr que les volutions climatiques induites par nos activits sont certes grandissantes mais que ce type dvolutions nest quun lment des changements globaux. Le plus important est danticiper lavenir dune plante soumise une rosion massive des espces qui composent et trament lhabitat des hommes :

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5es JOURNES IFB / TOURS 3-5 DCEMBRE 2007

Ouverture des 5es journes

Agricultural intensification Hunting and persecution Wetland drainage and land reclamation Disturbance (incl. recreation and hunting) Indirect effects of pesticides Agricultural abandonment Afforestation Predation Frorest and tree loss and degradation1 Hydrological change2 Agricultural expansion Overgrazing Human impacts outside Europe Pollution3 Climate change outside Europe Building developments Climate change in Europe Direct effects of pesticide toxicity Powerlines collisions and electrocution Eutrophication Intensification of forestry Loss of nest-sites in old buildings Egg-collecting and taking of young Competition Changes to fire regime Acid deposition Aquaculture Oil pollution Others4 0 10 20 30 40 Percentage of declining species affected 50

Fig. 1 : Activits humaines et biodiversit : exemples des menaces principales qui ont contribu au dclin de 278 espces doiseaux (Modifi de Tucker et Health, 1994).

Clear-cutting, unmanaged cutting, burning, grazing, loss of trees from orchards, farmland copses and fields. Damming of rivers, water abstraction, flood control, canalization, etc. Other than acid deposition, oil spills, pesticides and eutrophication. Includes destruction of haystacks, hybridization, plant disease, drowning in fishing nets and overfishing (each affected only one species).

la biosphre. De l dcoule lhypothse selon laquelle la Terre entrerait dans sa sixime crise dextinction massive, crise dont nous portons lentire responsabilit. Ces sujets seront dvelopps au cours de ces Journes IFB par Bruno David et Denis Couvet, au nom du Conseil scientifique de lIFB. Cest de cette inquitude quest ne lide de crer un groupe dexperts internationaux sur lvolution de la biodiversit. Cette structure, fonde linitiative de la France et analogue au Giec, devrait tre mme de suivre lvolution de la diversit biologique lchelle mondiale sur la base dune expertise de haut niveau. LInternational Steering Committee avait pour but de rflchir aux modalits de mise en place de cette structure, plus connue sous le nom dImoseb (International Mechanism of Scientific Expertise for Biodiversity). Le rsultat de deux annes de travail vous sera prsent au cours de ces journes, rsultat obtenu grce au soutien des ministres franais concerns, notamment ceux en charge de la recherche, des Affaires trangres et de lcologie. Quant aux progrs raliss par la suite, ils ont t en grande partie le fruit de laction du Secrtariat excutif dirig par Didier Babin, le charg de mission pour linternational de lIFB. Au passage, je ne vous apprendrai rien en vous disant que le seul membre franais du Steering Committee, en dehors du prsident de Diversitas, Michel Loreau, se nomme Jacques Weber, directeur de lIFB.

En 2005, un autre lment est venu confirmer que la biodiversit changeait de visage et allait devenir lobjet de toutes les attentions de la part des gouvernements. Il sagit du rapport de lvaluation des cosystmes pour le millnaire commandit en 2000 par Kofi Annan, secrtaire gnral de lONU. Il aura mobilis, pendant quatre ans, 1 360 experts biologiques issus de 95 pays dont, hlas, peu de Franais. Ce rapport est organis autour de cinq questions principales. Je les numre tant elles sont importantes : Comment les cosystmes et les services quils procurent ont-ils volus ? Quest-ce qui est lorigine de ces changements ? Comment ces changements ont-ils affect les conditions de vie des hommes ? Comment volueront-ils ? Quelles seront les options possibles pour renforcer la conservation des cosystmes et leur contribution un environnement sain et quilibr pour lhomme ? Ces questions prfigurent la nature des rapports qui pourront tre remis priodiquement sous lgide de lImoseb. Elles permettront ensuite de fdrer tous les organismes, dont la Convention sur la diversit biologique (CDB), et toutes les initiatives internationales qui concentrent les meilleures expertises dans le domaine de la biodiversit. Vous connaissez les conclusions principales de ce rapport. Au cours des cinquante dernires annes,

CHANGEMENT GLOBAL, BIODIVERSIT ET COSYSTMES : VERS QUELS SERVICES COLOGIQUES ?

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Ouverture des 5es journes

Population humaine

Industrie

Agriculture

Commerce

Augmentation du CO2

Cycle biogochimique de lazote

Changements dusage des sols

Propagation despces exotiques

Changements climatiques

Altration de la biodiversit

Dgradation des milieux

Invasions biologiques

Fig. 2 : Principaux changements cologiques induits par les activits humaines (Modifi daprs Vitousek et al., 1997).

lhomme a gnr des modifications sur les cosystmes de manire plus rapide et plus intense que sur aucune autre priode comparable de lhistoire. Lune des consquences les plus dramatiques est la dgradation de nombreux services cologiques rendus par les cosystmes. Environ 60 % de ces services sont en cours de dgradation. Il me faut souligner que cette dtrioration ne sest pas effectue, ou trs peu, sous leffet des changements climatiques qui commencent se faire sentir depuis la fin du 20e sicle et vont sans doute nous confronter une situation dramatique qui risque encore daccentuer la pauvret et aura des consquences sur la gopolitique. Cette dgradation est la rsultante de la multiplicit des activits humaines qui, depuis le dbut de la rvolution nolithique, mais surtout au cours de la seconde moiti du 20e sicle, ont mis mal la plupart des cosystmes du monde, rduisant certains dentre eux comme peau de chagrin. Je pense forcment aux forts tropicales humides, aux zones humides ou la fragmentation des habitats. Mais je pense aussi la transformation radicale (Fig. 2) que subissent nombre dcosystmes par des apports intempestifs dintrants comme les pesticides ou les engrais minraux responsables, pour ces derniers de leutrophisation des eaux douces et marines. Je noublie pas non plus, dans cette mutation profonde qui touche tous les systmes cologiques, le rle de la mondialisation qui acclre les transferts despces entre tous les continents et ocans du monde, certaines de ces espces devenant envahissantes.

Le dveloppement durable ne peut pas tre une politique qui ignore la biodiversit Si jinsiste sur ces faits, cest quils expliquent la fois la rfrence au changement global dans le titre qui vous est propos et la redondance de ce titre : Biodiversit et cosystme . Il sagit galement de souligner les apports du Millennium Ecosystem Assessment en se focalisant sur ces notions dcosystmes et de services cologiques comme lments de communication auprs du public et des gouvernements. Ensuite, il est utile de rappeler que peu dquipes scientifiques, nationales ou internationales sintressent au fonctionnement des cosystmes, aux changes inter systmes, et aux services cologiques un moment o la socit a de plus en plus besoin de comprendre le monde dans lequel elle vit, et dans lequel on la fait vivre. Parmi les vnements internationaux dont je parlais prcdemment, il en est un qui confirme la place prise par la France sur ces questions : la Confrence de Paris des 2 et 3 fvrier 2007, centre sur le principe dune gouvernance cologique mondiale et intitule Citoyens de la Terre . Destine proposer la transformation du programme des Nations unies pour lenvironnement (Pnue) en une organisation mondiale des Nations unies pour lenvironnement (Onue), cette runion sest conclue par lAppel de Paris o lon peut lire, dans une des recommandations : Aujourdhui, nous savons que lhumanit est en train de dtruire une vitesse effrayante les ressources et les quilibres qui ont permis son dveloppement et qui dterminent son avenir.

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5es JOURNES IFB / TOURS 3-5 DCEMBRE 2007

Ouverture des 5es journes

A loccasion de cette rencontre, nous avons pu nous rendre compte combien la biodiversit tait dsormais considre par de nombreuses nations comme lun des thmes majeurs de la crise environnementale qui secoue notre plante. Cette anne 2007 a vu un changement de gouvernement en France mais aucune rupture dans lattention porte la biodiversit. Je vous rappelle que le groupe de travail n2 du Grenelle de lenvironnement lui

tait consacr. Dans son discours de clture, le nouveau prsident de la Rpublique a rappel que le dveloppement durable ne peut pas tre une politique qui ignore la biodiversit. Grer la nature nest pas un luxe de pays riches, cest une exigence pour la survie des hommes. Il est temps dengager un programme national de lutte contre lartificialisation des sols. Je le cite nouveau : Il est temps que les documents durbanisme et de planification respectent le principe de maintien de la biodiversit, y compris en permettant des mesures

Biomes Boreal Forest Temperate Tropical Temperate grassland Mediterranean Dryland Tropical grassland and savannah Desert Inland Water Coastal Marine Island Mountain Polar

Habitat change

Climate change

Invasive species

Overexploitation

Pollution (Nitrogen, Phosphorous)

RESULT OF PAST EVOLUTION Drivers impact on biodiversity over the last century Low Moderate High Very high

WHAT HAPPENS TODAY Drivers actual trends Decreasing impact Stabilizing impact Increasing impact Very rapid increase of the impact

Fig. 3 : Les principaux biomes de la plante et lvolution au cours du XXe sicle de leur biodiversit sous leffet des changements globaux (Rapport de synthse. Millennium Ecosystem Assessment, 2005)

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Ouverture des 5es journes

de compensation. Il est temps que les sciences de la nature retrouvent leur place dans lenseignement et dans les plus hautes assembles scientifiques. Il est galement temps de crer la trame verte que Robert Barbault et moi-mme, vous le verrez au cours de lAtelier Ingnierie cologique , continuons dsigner sous le nom de rseau cologique. Il est temps, en effet, de crer cette trame verte en France et pourquoi pas en Europe. Cette trame qui permettrait aux espces de se dvelopper, de migrer et de survivre aux changements climatiques. Vous serez galement intresss dapprendre que dans le mme discours, il a t dit : Je souhaite que les groupes du CAC 40 sengagent consacrer 1 % de leurs bnfices une fondation sur le climat ou la biodiversit. Nous y reviendrons peut-tre mais sans doute vous demandez-vous ce que fait lIFB pour la recherche dans un contexte aussi favorable. Je vous rpondrai : de nombreuses choses, dont plusieurs mritent dtre soulignes.

Laction de lIFBDepuis sa cration, lIFB na eu de cesse de soutenir le financement dune recherche de qualit. Durant ces trois dernires annes, en nous associant troitement lANR (Agence nationale de la recherche) et sur la base dappels doffres trs larges, nous avons obtenu louverture dune enveloppe budgtaire de plus de trente millions deuros pour des associations de chercheurs et de laboratoires. Vous aurez un aperu de la qualit de ces recherches au cours des deux jours qui vont scouler puisque de jeunes chercheurs viendront vous prsenter leurs rsultats dont certains seront affichs (voir page 64, la liste des projets laurats 2005 et 2006). Par ailleurs, en prlude lintervention de Bruno David, prsident du Conseil scientifique de lIFB, et compte tenu des moyens dont nous disposions, je vous annonce quun appel doffres IFB sera ouvert en 2008 aux petites structures pour compenser la part belle faite aux grosses quipes jusquici. A ce titre, le Conseil scientifique qui supervise ce projet insistera sur un point essentiel : place linnovation ! Bien sr, la qualit des dossiers sera aussi un lment qui permettra de juger de la recevabilit des projets mais pensez bien que cest vers linnovation que nous devons nous tourner. La dure de vie des programmes incitatifs est en gnral de trois ans. Ds lors, la source financire ANR aurait pu se tarir ; mais ctait sans compter sur le travail effectu par Jacques Weber dans le cadre de lEranet Biodiversa dont il assure la responsabilit depuis trois ans. Cela nous a permis de mettre en place un appel doffres europen dot pour linstant de 17 millions

deuros avec le soutien financier de lAgence nationale de la recherche (ANR) et du ministre de lcologie, de lamnagement et du dveloppement durables (Medad). Vous avez ds maintenant la possibilit de lire en ligne ce projet. En outre, jinsiste sur le fait que la France va mettre disposition 7 millions deuros rpartis de la manire suivante : 5 millions provenant de lANR et 2 du Medad. Je vous conjure dtudier attentivement cet appel doffres. Nous sommes vraiment dsireux de voir de bonnes quipes franaises sassocier des quipes europennes afin dutiliser ces crdits. Ce serait dramatique de stre tant battu sans avoir de retours sur la France. Vous apprendrez galement par Yann Maubras, charg de mission IFB pour lEurope, qui assure le rle de point de contact du 7e PCRD pour la partie environnement et plus spcialement la gestion durable des ressources, quune nouvelle vague de propositions va tre labore. Il pourra vous aiguiller vers les principaux appels propositions. Dautres informations sur ce sujet vous seront galement communiques au cours des deux prochains jours. Cette confiance accorde lIFB par une vingtaine dagences europennes de recherche nest quun lment du rle grandissant de notre institut. Aucune runion de la plate-forme europenne pour une stratgie de recherche en biodiversit (EPBRS), qui se runit sous lgide des gouvernements en charge de la prsidence de lEurope, ne sest droule sans la prsence de lIFB. Non seulement le directeur en est devenu un membre permanent mais il aide bien souvent la structuration de ces runions ainsi quau choix des thmes abords. Le thme retenu cette anne, sous la prsidence portugaise, a t la biodiversit marine. En janvier, sous prsidence slovne, il sera ax en priorit sur la recherche sur la protection de la biodiversit des cosystmes deau douce. Je laisserai le soin Jacques Weber de nous annoncer le thme qui pourrait tre voqu sous la prsidence franaise la fin de lanne 2008. A noter que durant cette priode se tiendra galement un colloque important sur Agriculture et biodiversit .

La nouvelle fondation pour la biodiversitJe ne saurais terminer sans parler de la fondation voque par le prsident de la Rpublique. Cette ide remonte presque la cration de lIFB. Certaines personnalits souhaitent en effet quun organe, du type Groupement dintrt public (Gip), remplace les Groupements dintrt scientifique (Gis) Institut franais de la biodiversit et Bureau des ressources gntiques (BRG) et intgre mme le Gip Ecofor (Ecosystmes forestiers). Dbut 2007, les vnements se sont prcipits avec la proposition dune fondation pour la recherche reprenant le projet dintgration de lIFB, du BRG

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5es JOURNES IFB / TOURS 3-5 DCEMBRE 2007

Ouverture des 5es journes

et dEcofor. Larrt crant cette entit a t suspendu quelques jours avant le changement de gouvernement. Depuis, dans une ambiance plus dtendue, la proposition dune structure regroupant au moins lIFB et le BRG, dfendue par tous les organismes de recherche qui sont membres de ces deux GIS, poursuit son chemin. Paralllement, lide de maintenir la politique douverture qui a prsid la mise en place de votre IFB continue dtre discute. Je vous rappelle que linstitut a permis de runir les reprsentants des organismes de recherche et ceux de cinq ministres intresss par la biodiversit que sont la recherche, lcologie et le dveloppement durable, les Affaires trangres, lagriculture et lindustrie. Les reprsentants des espaces protgs, des ONG et des entreprises avec lesquelles nous sommes en contact grce notamment au groupe de rflexion IFB / Association Ore se trouvaient galement ces runions de groupement. Jai eu beaucoup de plaisir prsider ce type de Conseil dadministration. Mme si certaines sances sont parfois houleuses, lide de maintenir un contact troit entre la recherche et la socit civile me parat lune des cls pour transmettre le plus rapidement possible les rsultats de la recherche. Il nous permettra galement dtre informs des besoins les plus flagrants de la socit pour tenter dy rpondre sur un plan scientifique. Llargissement de ce type de structure pose toutefois le problme du maintien dun quilibre entre les promoteurs de la recherche et leurs partenaires. En outre, elle ncessite une rflexion sur une organisation nouvelle comprenant une ou deux assembles de partenaires dsignant leurs membres lors dun conseil dadministration ou dun commun accord par une ventuelle pondration des voix. La majorit resterait ceux qui ont la charge de dvelopper la recherche dans le domaine de la biodiversit. Le Grenelle de lenvironnement a entrin lide de cette fondation, sadaptant aux besoins exprims plus avant. Lpilogue est proche. Il vous concerne tous car de

la structure fonctionnelle propose dpend en partie le maintien dune recherche qui installe les quipes franaises dans une situation favorable leur dveloppement et la qualit de leurs travaux. Il convient de ne pas oublier non plus ce rle de diffuseur des connaissances, dalerte, dexpertise et de promotion de nouvelles voies qui feront que cette recherche sera reconnue par les Franais tous les niveaux de dcision. Voil ce que je souhaitais vous dire en vous incitant contribuer pleinement la rflexion et aux dbats portant sur le thme choisi cette anne, totalement en phase avec lactualit des derniers mois. Trois ateliers vous seront proposs partir de cette problmatique : Biodiversit et changement global ; Biodiversit et agriculture ; Ingnierie cologique. Continuons coordonner les liens entre chercheurs et quipes de recherche, poursuivons leffort pluridisciplinaire qui seul permet de comprendre le fonctionnement des systmes complexes et de trouver des solutions acceptables sur le plan social et conomique, et faisons en sorte de ne pas participer lhistoire dune Terre qui a mal tourn pour reprendre le titre dun quotidien prsentant le triste sort de la plante Vnus. Anticipons sur le futur, en nous appuyant sur des modlisations adaptes aux situations complexes, prenant en compte les changements globaux mais surtout, intgrant la diversit du vivant, ses capacits dadaptation ou de dispersion des espces. La nature nen peut plus. Acceptons de nous pencher sur les modalits de sa restauration, des amnagements ncessaires au maintien de la biodiversit comme celui du fonctionnement des cosystmes. Apprenons grer les territoires des hommes, en faisant cohabiter activits humaines et nature prserve. Je dclare ouvertes ces cinquimes journes de lIFB.

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--->Incertitude et Biodiversit Thme 1 : Biodiversit et changement global Thme 2 : Biodiversit et agriculture Thme 3 : Ingnierie cologique 16 24 34 45

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rJacques BLONDELDirecteur de recherche mrite au CNRS

Incertitude et biodiversit : violence de la nature, rsilience de la vieNous devons dcider la paix entre nous pour sauvegarder le monde et la paix avec le monde afin de nous sauver Michel Serres

C

es Journes sont consacres ce thme majeur quest le Changement global, biodiversit et cosystmes : vers quels services cologiques ? . Je nai pas vraiment lintention de prsenter ce problme des changements globaux et leurs consquences sur les services cologiques des cosystmes, et ce pour deux raisons. Dabord parce que cette question nentre pas directement dans le champ de mes comptences, ensuite parce que dautres en parleront longuement au cours de ces Journes. Les organisateurs de ces rencontres ont insist sur la ncessit de mettre laccent sur la recherche fondamentale, ce qui me convient parfaitement. Je profiterai donc pour dvelopper quelques points qui me paraissent essentiels pour comprendre la dynamique de la biodiversit dans le temps et dans lespace. Mais commenons par regarder derrire nous ce qui sest pass en 2007, anne riche en vnements

Il y eut dabord des vnements encourageants...Lappel de lONU pour une Onue (Organisation des Nations unies pour lenvironnement) loccasion de la Confrence Citoyens de la Terre organise Paris en janvier 2007 linitiative du Prsident Jacques Chirac compte au nombre des vnements encourageants, mme si on peut douter des suites qui lui sera donnes. Le deuxime vnement marquant a t le Grenelle de lenvironnement o une part importante des dbats, des rflexions et des engagements portrent sur la

biodiversit. Bien sr, des contre-feux vont sallumer de toutes parts, notamment du fait de lobbys parlementaires ou industriels qui risquent de freiner et ddulcorer ces engagements. La bataille de la programmation de leurs chances et de leur excution ne fait que commencer. Mais lvnement a eu limmense mrite de lancer un dbat ouvert et constructif car il tait loin dtre vident de parvenir runir autour dune mme table autant de parties prenantes Etat, ONG, collectivits locales, partenaires sociaux, entreprises et personnalits - aux horizons si diffrents qui navaient pas coutume de dialoguer. Il faut reconnatre que bien des conservatismes ont vol en clat et que la mobilisation fut massive et intense. Un troisime vnement encourageant fut que le prix Nobel de la Paix soit dcern Al Gore et au Giec (Groupe dexperts intergouvernemental sur lvolution du climat). Cet vnement na rien danodin car le fait dassocier explicitement la paix lenvironnement constitue un signal fort qui renvoie laction dans laquelle lONU sest engage depuis la Confrence de Stockholm de 1972 sur lenvironnement, en soulignant sans relche que la question du bien-tre des socits humaines est indissociable des problmes denvironnement. Enfin, le dveloppement de lImoseb (International Mechanism of Scientific Expertise on Biodiversity), et en particulier le rle minent jou par lIFB dans sa cration travers la personne de Didier Babin, est une initiative prometteuse. Voil pour le ct encourageant, encore que dans la plupart de ces domaines on ne soit encore quau stade des dclarations dintention.

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5es JOURNES IFB / TOURS 3-5 DCEMBRE 2007

Thmes en dbat / Incertitude et Biodiversit

Mais aussi, des vnements inquitantsParmi les aspects ngatifs de cette anne 2007, le plus inquitant est dabord cette logique implacable dun foss qui ne cesse de se creuser entre lenrichissement des riches et lappauvrissement des pauvres. Ainsi, pour la premire fois de son histoire, lONU a pouss un cri dalarme poignant dans le rapport quelle a remis en novembre 2007, par lintermdiaire du Pnud et du Pnue (Programmes des Nations unies pour le dveloppement et pour lenvironnement), sur les catastrophes gnres par cette situation. Ce rapport souligne quaucun des problmes majeurs soulevs par le rapport Brundtland qui date dj de 1987 na reu de solution satisfaisante. En clair, nous vivons bien au-dessus de nos moyens et lempreinte de lhumanit ne cesse de saccrotre sur une plante qui na plus les possibilits de sa propre rgnration : La destruction systmatique des ressources naturelles a atteint un niveau tel que la viabilit des conomies est en danger . Ces propos, tenus par Achim Steiner, directeur excutif du Pnue, expriment eux seuls lampleur de la question et des dfis quelle soulve. Il y a eu assez davertissements depuis le rapport Brundtland, souligne Steiner, et jespre sincrement que Geo 4 (Global Environment Outlook, rapport 2007 du Pnue) sera le dernier . De fait, la dgradation de lenvironnement ne cesse de se poursuivre et celle de la biodiversit rsulte de laction, indpendante ou synergique, des six principales composantes du changement global telles quelles ont t identifies par Vitousek, Mooney et leurs collgues et qui ont comme caractre commun de rsulter des activits humaines. La premire de ces composantes est la dynamique dmographique puisque notre plante qui compte actuellement quelque six milliards dindividus en comptera neuf milliards au milieu du 21e sicle, poque o la transition dmographique devrait stabiliser, ou commencer stabiliser, la population mondiale. La deuxime composante est la dgradation et la fragmentation des habitats qui ne donne toujours aucun signe damlioration, au moins lchelle globale. La troisime concerne les intrants chimiques, engrais et pesticides, dont la France, soit dit en passant, est lun des tout premiers utilisateurs mondiaux. La quatrime est celle des invasions biologiques laquelle il faut inclure les OGM, avec toutes les nuances quimpose le traitement de ce dossier complexe, sans oublier lmergence ou la rmergence de nouvelles pathologies dont certaines pourraient prendre des proportions dramatiques, peste aviaire, chikungunya, maladie du Nil occidental, Sras etc. La cinquime est celle des drglements climatiques et la sixime la surexploitation des ressources naturelles, dont ltat de dlabrement des stocks de poissons donne une image affligeante. Tous ces sujets tant parfaitement documents, notamment par les donnes du Millennium Ecosystem Assessment (MA), je ne les dvelopperai pas ici sauf pour rappeler quils entranent des taux dextinction

de lordre de 100 1 000 fois suprieurs aux taux dextinction gologiques dont les archives palontologiques nous apprennent quelles sont de lordre dune espce sur mille par millnaire chez les mammifres et la plupart des espces marines.

Risque et incertitude : perturbations et diversit biologiqueJai choisi, en cette priode riche en interrogations sur notre futur tous, de mettre laccent dans cette confrence sur les notions de risque et dincertitude, reconnaissant quil serait plus appropri quun tel thme soit abord par des personnalits comme Rigoberta Menchu, Wangari Maathai, un paysan du Ghana ou de quelque autre pays de lhmisphre Sud que par un nanti du Nord. Je suis convaincu, pour reprendre un thme dvelopp par Jacques Weber, que le lien social est la seule assurance dont disposent les populations pauvres contre le risque, car si les consquences matrielles et psychologiques du risque sont invitables, elles sont attnues par la solidarit entre ceux qui les subissent. Bien que la comparaison soit un peu discutable, surtout, je le rpte, quand elle mane de quelquun qui ne connat pas le risque du lendemain, il faut bien reconnatre que lobservation attentive du fonctionnement des systmes naturels nous apprend quils sont en permanence confronts au risque et que, comme le souligne la mtaphore de la Reine Rouge, le seul moyen quont les organismes de ne pas se faire liminer du jeu de la vie est de sadapter en permanence des environnements qui changent sans cesse. Lhistoire de la biodiversit nest quune rponse permanente lincertitude, la violence, plus particulirement aux perturbations qui sont toujours un danger pour les systmes et organismes qui les subissent. Le message que jaimerais faire passer, et qui est amplement document par la biologie de lvolution, est que les changements et perturbations sont gnrateurs de diversit biologique lchelle de ce que lon appelle, de manire un peu trop manichenne, le temps long ou volutif , et quils sont rgulateurs de cette mme diversit lchelle du temps court, du temps dit cologique , celui du fonctionnement au jour le jour des communauts et des populations.

Les perturbationsPar perturbations, on entend toute une gamme dvnements qui peuvent se manifester toutes les chelles de temps et despace et qui peuvent prsenter une gamme immense de niveaux de magnitude, dune taupinire dans un jardin un grand cataclysme climatique ou gologique. Ainsi un chablis dans une fort

CHANGEMENT GLOBAL, BIODIVERSIT ET COSYSTMES : VERS QUELS SERVICES COLOGIQUES ?

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Thmes en dbat / Incertitude et Biodiversit

ancienne ou le plan deau que retient la digue qua construite une famille de castors dans une rablire canadienne sont des perturbations au mme titre quune avalanche, un incendie ou une tornade. Les espces envahissantes sont trs souvent aussi des agents de perturbation qui peuvent avoir des effets dvastateurs sur la biodiversit. On fait habituellement une distinction entre les perturbations de type biotique comme celles qui sont pratiques par ces ingnieurs cologiques que sont les castors ou les dgts causs aux pinettes du Canada par des chenilles dfoliatrices, et les perturbations de type abiotique temptes, ouragans, canicules, inondations ou priodes de scheresse. Quelques exemples permettront dillustrer la nature et le rle des perturbations et des changements dans la gense de la diversit biologique. LAmrique du Sud, ce continent des oiseaux comme on lappelle parfois parce quil hberge 3000 des 9800 espces doiseaux du monde, est un continent passionnant pour comprendre le rle des grands vnements du pass dans la gense de la biodiversit. Il a commenc se dtacher de lAfrique il y a 80 millions dannes, au Crtac, puis sest soud lAmrique du Nord avant de se sparer delle pour finalement se ressouder ce continent et atteindre sa configuration actuelle il y a 2,5 millions dannes, provoquant ce grand interchange qui a tant fascin les palobiogographes et spcialistes de lhistoire des flores et des faunes. Chacun de ces grands bouleversements a t loccasion de multiples vnements de diversification biologique qui se sont succd tout au long du Tertiaire. Ds le Palocne, il y a 65 millions dannes, et tout au long du Tertiaire, les grandes pjorations climatiques qui annoncent un scnario de dgradation progressive des tempratures ont t lorigine dune diversification trs forte des flores et de leurs faunes associes. Les Xnarthres, qui sont des mammifres un peu tranges dAmrique du Sud, comme les Tatous, Paresseux ou Fourmiliers, sont un bon exemple de lassociation entre perturbations de grande ampleur et apparition de nouveaux groupes et espces. Un beau travail de Frdric Delsuc et de ses collaborateurs, de Montpellier, publi en 2004, a montr comment la radiation adaptative de ces groupes fut associe aux perturbations majeures qui se sont produites de trs vastes chelles de temps et despace puisquil sagit daccidents tectoniques connus sous le nom de crises boliviennes (soubresauts lis la surrection de la chane des Andes) et climatiques (vicissitudes climatiques du Quaternaire). A lautre extrmit de la gamme des perturbations, un autre exemple illustrera le rle de ces vnements lchelle de quelques mtres carrs. Les Ratstaupes sont un groupe de rongeurs fouisseurs rpandus dans la plupart des rgions semi-arides de lhmisphre Nord dans lAncien Monde et le Nouveau. Ces ingnieurs cologiques vivent en colonies et, par leurs activits de fouissement, retournent inlassablement le sol, remettant

en surface du sol nu et des lments nutritifs potentiellement utilisables par des plantes pionnires. Sur les sols serpentine trs pauvres du site de Jasper Ridge, prs de Stanford aux Etats-Unis, les monticules de terre meuble ainsi retourns par le rat-taupe (Thomomys bottae) sont coloniss par un plantain (Plantago erecta) qui prsente la particularit dtre la plante nourricire exclusive dun papillon rare, le damier Ephydra edithae. Or ce plantain est un pitre comptiteur qui se ferait rapidement liminer par dautres plantes sil ne trouvait, grce lactivit des rats-taupes, des habitats propices, mais phmres, son cycle vgtatif. Voil donc un autre exemple qui illustre la ncessit de perturbations pour que ce systme trois partenaires persiste dans le temps. Cet exemple est aussi une belle illustration du fait, trop souvent sous-estim, que la biodiversit est peut-tre moins une affaire despces en elles-mmes que dinteractions entre elles.

Rsistance de la nature, rsilience de la vieAnalyse du rle fonctionnel des perturbations soulve la question des mcanismes volutifs et cologiques par lesquels les systmes biologiques rpondent ces dernires. Les notions de rsistance et de rsilience sont une approche classique et bien connue de cette question. La rsistance peut tre dfinie comme la magnitude du changement que la perturbation impose au systme et la rsilience comme le temps ncessaire ce dernier pour quil retrouve son tat dorigine ou, plutt un fac simile de cet tat. Ces deux facteurs prsentent lavantage dtre mesurables et susceptibles de se prter lapproche exprimentale. Un exemple emprunt aux travaux de Roger Prodon sur les incendies en rgion mditerranenne permet dillustrer ces phnomnes (Fig. 1). Laxe vertical reprsente un gradient de complexit croissante de la vgtation qui schelonne entre les zones o la vgtation commence reprendre aprs un incendie et la fort mre qui sest cicatrise au fil du temps. Les courbes de rsistance et de rsilience peuvent prsenter des pentes diffrentes selon les groupes en fonction de leur rsistance la perturbation. Cest ainsi que dans les travaux mens par Prodon, la rsistance des communauts doiseaux est plus forte que celle des plantes. Quant aux courbes de rsilience des deux groupes, elles convergent et finiraient par se rejoindre quand la fort sest totalement cicatrise longtemps aprs lincendie. Lobservation des diffrentes espces doiseaux qui se succdent au cours du temps le long du gradient de vgtation illustre lordination classique quelles prsentent dans les espaces forestiers sensu lato des rgions mditerranennes : les espces des milieux bas et ouverts tels que les bruants ou alouettes colonisent lespace peu aprs lincendie, puis elles sont remplaces par les espces lies aux milieux buissonnants (matorrals)

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Rsilience Feu

Oise

aux

V

g

i tat

on

Fig. 1. Modle illustrant les courbes de rsistance et de rsilience des systmes biologiques aprs perturbation. Lamplitude de la rsistance est indique par la profondeur du dcrochement de la courbe au moment de la perturbation (les oiseaux sont plus rsistants que la vgtation). La pente de la ligne de rsilience est une indication de la dure ncessaire au retour ltat initial (modle simplifi daprs R. Prodon in Prodon, R., Fons, R. and Athias-Binche, F.,1987. The impact of fire on animal communities in Mediterranean area. The role of fire in Ecological systems. L. Trabaud, Ed. The Hague, SPB Academic Publishing, pages 121-157).

tat du systme

Rsistance

Temps

tels que les fauvettes qui caractrisent les diffrents stades de garrigue, enfin par les espces franchement forestires comme les msanges et les pics dans la fort mre. Le message retenir de cette tude de cas est que la perturbation est ncessaire pour que ces trois groupes despces, hritage de lhistoire parce que fabriques par lvolution sur le temps volutif, persistent travers le temps. Sil ny avait pas dincendies (ou dautres types de perturbations), le paysage ne comporterait que de la fort et que des oiseaux forestier. Si le feu en rgion mditerranenne suscite juste titre terreur et rprobation, il nen demeure pas moins un facteur de perturbation ncessaire qui, dans certaines rgions, est mme le facteur principal de perturbation. Cest le cas de la fort borale o les incendies de fort peuvent couvrir des dizaines de milliers dhectares. Andr Bergeron, chercheur canadien, a montr que les incendies couvrent en moyenne une centaine de km2 dans la fort canadienne, mais quon a enregistr des incendies couvrant prs de 10 000 km2. Chaque anne deux millions dha de fort canadienne sont touchs par le feu qui est une composante essentielle de leur dynamique. Mise part la rsilience que lon peut observer dans les forts gres soumises aux rvolutions forestires conduites par les sylviculteurs, peu dtudes empiriques ont permis de mesurer les mcanismes de rsilience, en particulier par ce quils ncessitent de suivre le mme systme sur de trs longues dures. Un exemple, dvelopp par U. Safriel est celui des variations de la reconstitution de la couverture en buissons de part et dautre de la frontire entre les dserts du Sina et du Nguev en fonction des alas politiques qui ont conduit fermer puis ouvrir plusieurs reprises cette frontire depuis la cration de lEtat dIsral en 1948. Les pressions diffrentielles de pturage des deux cts de la frontire se traduisent par un retour de la vgtation buissonnante du ct Isralien quand la pression de pturage est ajuste la productivit primaire des habitats, de sorte

quon peut mesurer la vitesse de rsilience du systme en fonction du rgime climatique de la rgion. En largissant cette thmatique des rgimes de perturbation lchelle de la vgtation naturelle de vastes rgions telles que lEurope occidentale on saisit limportance de lhtrognit des habitats crs par les perturbations. Les travaux de climatologie, de palobotanique et darchobotanique ont bien mis en vidence le caractre forestier de lEurope avant les grands dfrichements qui dbutrent ds le Nolithique comme la bien montr Gaston Roupnel dans son Histoire de la Campagne Franaise. La fort primitive navait pas lallure dune fort cathdrale comme on se limagine parfois, mais comme une trame maille grossire, de place en place interrompue par les grandes rivires mais qui, en tout tat de cause, prsentait un caractre rticul en raison des clairs crs par les perturbations naturelles, ces clairs tant plus ou moins entretenus par les grands mammifres herbivores. De fait, les quelques forts caractre primaire qui subsistent a et l en Europe se prsentent toujours comme une mosaque dhabitats htrognes, le moteur de cette htrognit tant le rgime rgional de perturbations dont la frquence et lamplitude sont des attributs propres chaque rgion (Fig. 2). Sous conditions homognes de climat et de sol qui dtermineraient ce quon appelait nagure le climax , on dcouvre une gamme complexe dhabitats des degrs variables de dynamiques successionnelles. Cest dans ces systmes quon peut dfinir ce que les cologues appellent les diversits , , et , la diversit tant celle de chaque compartiment lmentaire de la mosaque dhabitats, la diversit reprsentant le changement de diversit (turnover) quand on passe dun habitat lautre et la diversit tant la diversit densemble de la mosaque. Cette dernire nest autre que lhritage de biodiversit lgu par lhistoire et qui sest constitu travers le temps volutif, celui qui gnre la biodiversit comme je lai expliqu plus haut.

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Succession de communauts

Feu

Fig. 2. Cartographie dune fort ancienne en ex-Yougoslavie. La couleur de chaque pice de la mosaque correspond ltat de dveloppement de la vgtation aprs une perturbation. La gamme des couleurs va du blanc (perturbation rcente) au noir (fort mre revenue son tat dorigine) (Mueller-Dombois, D. 1987. Natural dieback in forests. BioScience 37 (8), pages 575-583).

Rejuvenation phase Stand-reestablishment or building phase Optimal phase Terminal phase Breakdown or dieback phase Regeneration phase Mixed-structure phase

0 10

50

100

200 m

Si on rsumait en une vingtaine de minutes sur un petit film ce qui se passe en trois cents ans, priode qui correspond grosso modo un cycle sylvigntique dans les forts dEurope tempre, le paysage se transformerait en un vritable kalidoscope, mosaque tournante (moving mosaics), comme on les appelle. Pour paraphraser les notions bien connues de mtapopulations et de mtacommunauts, ces dernires se dploient sur un mtaclimax, ce dernier tant lensemble des conditions dhabitats ncessaires au maintien de lhritage faonn par lhistoire volutive des flores et de leurs faunes associes. On substitue donc la notion statique, locale et idalise du climax que Clements avait introduite au dbut du 20e sicle, la notion dynamique et spatialise de mtaclimax.

Comment garantir les services cologiques ?Ces exemples de fonctionnement des systmes naturels nous amnent au cur de ce problme crucial dune gestion optimale des espaces, laquelle devant garantir la survie de toutes les espces lgues par lhistoire ainsi que le maintien des services cologiques rendus par les systmes cologiques. De manire formelle, le seul moyen de parvenir ces buts serait de prserver les dynamiques gnres par les rgimes locaux de perturbation, ce qui est plus facile dire qu faire car les gestionnaires naiment pas les perturbations naturelles qui vont lencontre des besoins dordre et de scurit que ncessitent les impratifs de gestion. Pourtant, on ne manque pas doutils plus ou moins ralistes et efficaces pour reconstituer ou simuler ce que fait la nature. Lun dentre eux est rsum par la rgle dor des cinq M , Making Mimics Means Managing

Mixtures propose en 1998 par Dawson et Fry. Cette rgle, applique lorigine aux systmes pturs mais extensible tous les systmes naturels, explique comment faire pour maintenir une diversit maximale qui sert au mieux les cosystmes et optimise les services quils rendent aux socits humaines. La logique repose sur le principe des taux moyens de perturbations qui sont favorable au maintien dune biodiversit maximale et dune dynamique optimale des systmes cologiques. Ce thme prend toute son importance dans les cosystmes mditerranens qui sont soumis toutes sortes de perturbations, notamment les incendies, le surpturage et lrosion, et qui ont donn lieu dans le pass toute une srie de recherches sur les sries dites rgressives ou progressives. Le gradient classique pelouse-garriguefort est un cas dtude des problmes qui se posent au gestionnaire de ces espaces. Quelle valeur, et par consquent quelle attention et quels moyens de gestion doit-on attribuer ces espaces ? Doit-on privilgier la vieille fort de chnes verts quon aurait nagure qualifie de climacique et qui abrite la rare et magnifique pivoine ou la garrigue calycotomes et pistachiers qui se dgrade progressivement en un maquis piquet a et l de bouquets pars de chnes kerms sur un squelette de roches nues, mais qui abrite de prcieux narcisses, orchides et asphodles ? Le dilemme est simple dfaut dtre facile rsoudre. Il faut respecter et maintenir, par des mesures appropries de gestion, les deux types dhabitats, non seulement parce quils abritent tous les deux des espces dites patrimoniales , mais surtout parce quau cours du temps, cest dans cette mosaque tournante dhabitats dont la dynamique est entretenue par les perturbations, que se sont diffrencies les espces en question.

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La ncessit des perturbations ou pourquoi la nature nest-elle pas plus verteLa question peut paratre saugrenue mais on peut se demander, avec William Bond qui la beaucoup travaille en Afrique du Sud, ce qui empche les plantes de sexprimer au mieux des possibilits qui leur sont offertes par la combinaison des conditions locales de climat et de sol. Si le monde ntait rgul que par ces facteurs, on aurait soit des forts soit des savanes, soit des prairies, mais chacun de ces types de milieu serait homogne tant que ces facteurs ne varient pas. Or ce nest pas ce quon observe : si la nature nest pas plus verte, cest tout simplement parce que les plantes sont manges, soit par des herbivores, soit par le feu, soit, maintenant par le bton qui, soit dit en passant consomme 80 000 ha de bonne terre chaque anne en France (J.-Cl. Lefeuvre). Grer le paysage signifie donc grer les consommateurs de plantes et cest effectivement ce quon peut dmontrer le long des successions cologiques qui favorisent les habitats pivoines ou au contraire les habitats asphodles. Ainsi, hors intervention humaine, trois types de mondes sont envisageables : i) le monde rgul par le feu dans le cas de certaines savanes sahliennes, de chaparrals de Californie ou de forts borales, ii) le monde contrl par le potentiel climatique de la rgion, qui sera dautant plus vert que la productivit autorise par les conditions dhumidit du milieu et de fertilit des sols sera plus leve ; cest ce quon observe dans certaines forts tropicales pluviales, et iii) le monde contrl par les grands mammifres herbivores, ceux-l mmes qui participaient jadis, avant que lhomme contribue les exterminer la fin des temps glaciaires, entretenir cette trame verte et rticule qui stendait presqu linfini dans les vastes plaines et montagnes dEurope. Les paysages de la campagne franaise dcrits par Gaston Roupnel ou les mouvants paysages peints au 17e sicle par Bellini impliquaient donc ncessairement lintervention humaine pour se substituer ou sajouter aux agents naturels de contrle de la vgtation que sont les mammifres herbivores ou le feu. A cet gard, lhistoire des relations entre lhomme et la diversit biologique est particulirement intressante tudier en Mditerrane. Bien quon dispose de peu de textes mais dune masse considrable de donnes qui ne demandent qu tre valorises, on peut chiffrer limportance historique des dterminants humains dans limportance et les effets des usages et des pressions exercs par les socits humaines. On peut en particulier dmontrer que ce nest pas dans les systmes naturels de fort mditerranenne dite primitive que la diversit biologique est la plus leve, mais dans ceux qui sont caractriss par une frquence modre de perturbations. Cest notamment le cas dsormais bien connus des systmes traditionnels dutilisation des terres comme la triade romaine sylva-saltus-ager ou les systmes de dehesas et montados de la pninsule ibrique.

Quels indicateurs de biodiversit ?La mise au point puis lutilisation dindicateurs de biodiversit sont videmment au cur de toute stratgie de recherche et daction. Cest un sujet immense quil ne saurait tre question daborder ici de sorte que je renvoie le lecteur lexcellent travail que vient de raliser Harold Levrel sur ce sujet ( Quels indicateurs de gestion pour la biodiversit ? , Collection Cahiers de lIFB). La dfinition et la mise en uvre dindicateurs de biodiversit dpendent videmment des objectifs poursuivis. Quils soient directs, indirects, structurels, synthtiques, les caractristiques quils devraient prsenter est dtre assez simples pour tre utilisables par des acteurs diffrents et tre lobjet de systmes danalyse fort pouvoir prdictif. Cest par exemple le cas dindicateurs indirects et assez sophistiqus, comme celui qui fut mis au point par le British Trust for Ornithology au Royaume Uni. Cet indicateur sapplique la biodiversit des paysages agricoles et calcule les probabilits de statut de conservation doiseaux en fonction de limpact de six composantes de lintensification de lagriculture sur trois traits dhistoire de vie des espces. Cet indicateur, qui donne une indication de ltat probable de conservation des oiseaux dans les paysages agricoles britanniques, est utilis par le gouvernement du Royaume-Uni comme indice de ltat de conservation des systmes cologiques. Parmi les indicateurs indirects figure galement lindice trophique marin, mis au point par Pauly et Watson, qui montre les effets sur les chanes trophiques dun prlvement diffrentiel des espces de poissons. Enfin, lindicateur le plus synthtique que lon puisse imaginer est la notion dempreinte cologique . Discutable et discut, cet indicateur a en tout cas le grand mrite dtre assez parlant pour toucher directement le grand public.

Lincertitude de demainLincertitude inhrente la vie et la violence dont la nature est le sige sont des ralits difficiles admettre et faire admettre car elles vont lencontre de bien des ides prconues et limage dune nature douce, paisible et gnreuse. Le risque et lincertitude sont ce contre quoi nos socits luttent farouchement grce au principe gnralis de lassurance mais les socits dassurs comme les appelle Jacques Weber dans un article sur la manire de penser un monde sans assurance nest possible que dans les pays riches. Or sur les six milliards dtre humains que compte la plante, quatre milliards vivent dans des conditions de risques et dincertitudes fortes. Seuls deux milliards bnficient du systme de confort que nous connaissons. Le monde rel des populations pauvres qui vivent dans les pays dits en dveloppement na comme assurance que le lien social nous rappelle Weber. Ralit mditer en cette poque,

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unique dans lhistoire humaine, o lincertitude de lavenir nous est rappele tous les jours de faon plus ou moins catastrophiste dans la plupart des mdias. Inutile de revenir sur cette monte des prils gnrs par lpuisement des ressources non renouvelables, les pnuries deau et peut-tre dalimentation, sans parler des consquences de drglements climatiques qui se font chaque jour plus prcis au point quon voque explicitement, parfois en les chiffrant, les prvisions de guerres pour les ressources et les millions de rfugis climatiques qui fuiront les zones dinscurit chronique. Bref, lincertitude de demain lance de nouveaux dfis, qui ne npargneront pas les nantis que nous sommes, et qui iront en se multipliant et ncessiteront lexploitation des gisements dintelligence ncessaires linvention de nouveaux possibles. La prise de risque, quand elle est intelligemment assume, est un puissant moteur dmergence de nouvelles thmatiques et, dune manire gnrale, de la progression des connaissances. Cest un principe quil faut accepter condition dadmettre les diagnostics. Cest la raison pour laquelle les chercheurs qui simpliquent dans ltablissement dun tat des lieux, par exemple dans le Millennium Ecosystem Assessment ou dans les travaux en cours de lImoseb, sont particulirement vigilants sur la qualit et le contrle des donnes quils publient, de manire tre parfaitement crdibles et objectifs. Loin de se limiter une solution technique des problmes qui se profilent et qui est ncessaire, certes, mais insuffisante, la premire des urgences est de prparer les esprits vivre dans un monde boulevers qui ne sera accept que moyennant un renversement culturel dans nos manires de regarder le monde et lAutre. De multiples voix parfaitement autorises se font entendre, notamment celles qui relvent des instances des Nations unies, pour stigmatiser cette ncessit dun changement radical des modes de vie et pour en souligner lurgence. Le monde va changer de manire radicale. Le constat est l, les actions tardent venir bien que la multiplication des initiatives soit encourageante mme si la plupart restent encore insuffisantes parce que lourdes mettre en uvre. Parmi les cueils surmonter, il y a lincrdulit, lincapacit dceler les signes des temps, voire le dni de la vrit. Un exemple frappant car manant de personnalits scientifiques reconnues est la campagne qui fut lance juste avant la Confrence de Rio de Janeiro de 1992, connue sous le nom dAppel de Heidelberg , et qui avait pour objectif de fustiger ces malheureux cologistes inconscients qui avaient comme objectif par leurs actions irraisonnes de freiner le progrs scientifique . Depuis cette date et encore aujourdhui, de nombreuses personnalits scientifiques de haut niveau ont jet durablement et jettent encore le trouble dans bien des esprits surtout que leur rputation rend leurs propos crdibles auprs du grand public.

En conclusionLa conclusion quon peut, me semble-t-il, tirer de la situation actuelle, notamment au vu des informations scientifiques qui nous parviennent quotidiennement, par exemple les conclusions du quatrime rapport du Pnue sur lavenir de lenvironnement mondial (Geo4), est que nous sommes entrs dans une priode de grande turbulence qui devrait nous faire rflchir sur les nouveaux rapports au monde quil va falloir inventer et qui appelle six commentaires : 1. Il faut se faire lide que le risque et lincertitude sont inhrents la vie. Les systmes naturels ont dvelopp des mcanismes de rsistance et de rsilience qui leur permettent de se perptuer et de se renouveler. Apprendre les comprendre et les assumer permettrait de sengager sur le chemin dun renversement ou dun renouveau culturel que les dfis qui se profilent vont ncessairement entraner, 2. Les tendances et prvisions sur lvolution des changements globaux (au sens le plus large donn cette expression) ncessitent malheureusement de repenser la hausse toutes les mesures actuellement envisages pour attnuer leurs consquences, 3. Le concept de dveloppement durable sera un oxymore tant que le (s) sens du mot dveloppement ne sera (seront) pas repens (s) et que lincertitude ne sera pas accepte et gre dans un esprit de solidarit, 4. Le concept de durabilit doit ncessairement tre associ ceux de solidarit et de globalit, car la solidarit est la meilleure assurance contre les risques que la crise de lenvironnement va entraner, 5. La modration nest pas antinomique du dveloppement ds lors que le concept de dveloppement ne se limite pas sa dimension quantitative et matrielle, 6. Un renouveau culturel ne sera possible quau prix dun dveloppement considrable de leffort de recherche, ce qui ncessite dexploiter, de valoriser les gisements dintelligence et den explorer de nouveaux pour construire de nouvelles approches scientifiques et dvelopper de nouvelles technologies. Nous avons un urgent besoin de faire faire un bond aux frontires du savoir, responsabilit qui relve de la communaut scientifique car cest elle et elle seule qui est aux avant-postes de la production des connaissances. Un des matres penser de lcologie des annes 60 80 sappelait Robert Hainard. Ctait un peintre animalier suisse un peu philosophe. Il affirmait que les nations les plus dveloppes se reconnatront au fait que leur degr de raffinement technologique sera tellement dvelopp et sophistiqu quelles pourront laisser la plus grande partie de la nature son tat sauvage. Lide est certes un peu discutable mais elle comporte du vrai...

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Questions de la salleDe la salle

Que pensez-vous des nouvelles positions sur les concepts de rsistance et de rsilience dont certains estiment quils sont devenus obsoltes ?Jacques BLONDEL

dEurope orientale par exemple, vous vous apercevez que la richesse de la vie provient de laction de chablis ou douragans. Les forts gres par les sylviculteurs dEurope occidentale sont des milieux beaucoup plus pauvres.De la salle

Si certains pensent quils sont devenus obsoltes, ils ne sont sans doute pas la majorit.De la salle

A titre dexemple, je voudrais citer le cas du Parc de Yellowstone o les gestionnaires se sont aperus quau lieu de lutter frocement contre le feu, ils avaient tout intrt lutiliser bon escient pour conserver leurs squoias. Je pourrais citer galement le retour du loup et du castor dans le fonctionnement de lcosystme qui est, en un sens, exemplaire.Jacques BLONDEL

Oui, notamment des participants au Millennium Ecosystem Assessment.Jacques BLONDEL

Pour moi, ils sont toujours dactualit ; mais jai peuttre tort. Ces concepts correspondent des ralits du milieu naturel. On peut toujours discuter des dfinitions mais les faits sont l.De la salle

Vous avez beaucoup insist sur le rle des perturbations sur la diversit. Vous avez galement parl dincertitudes grer. Pour vous, existe-t-il un lien entre les deux ? Les perturbations doivent-elles devenir un mode de gestion de la biodiversit ?Jacques BLONDEL

Oui, ce sont de bons exemples. Lorsque lon se promne dans le Parc national du Yosemitee, en Californie, on trouve parfois au bord des routes, un ou deux hectares qui viennent de brler et une pancarte qui vous informe que les autorits ont intentionnellement mis le feu pour provoquer le choc thermique ncessaire la germination des graines de squoias. Il existe beaucoup dautres exemples de ce type. Cest une application de la rgle des cinq M .Bernard TATIN, directeur adjoint du Parc national de la Guadeloupe

Il faudrait effectivement dvelopper ces points. Cest un peu plus compliqu. Quand vous vous adressez des gestionnaires de parcs rgionaux, nationaux ou de rserves de biosphre, ils nont quune ide en tte : celle davoir les systmes les plus prvisibles et rguliers possibles. Mais les perturbations au sens de violences imposes par les climats, les pathologies ou les organismes eux-mmes, sont galement gnratrices de diversit biologique. Cest surtout cela que je tenais affirmer. Quand vous tudiez le fonctionnement des forts primaires, comme certaines forts anciennes

Sauf le respect que je dois Monsieur Blondel, je vous demanderai de corriger le terme de gestionnaire de parcs nationaux. Nous sommes soumis des pressions mdiatiques, politiques et socitales qui nous conduisent souhaiter ce dont vous nous accusez.Jacques BLONDEL

Je suis entirement daccord avec vous. Vous avez au-dessus de vous des gens qui exigent lordre et la scurit.Jean-Claude LEFEUVRE, prsident de lIFB

Dautant plus que les crateurs de perturbations sont forcment des perturbateurs.

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rBruno DAVIDPrsident inq vnements paroxismaux dextinction despces, ou crises , ont rythm lhistoire de la Terre depuis 500 millions dannes. Une sixime extinction est en marche comme en tmoignent de nombreuses observations tout autour de la plante (IUCN). Cette nouvelle phase paroxismale est caractrise par une acclration majeure du taux dextinction des espces du fait des activits humaines. Elle a dbut avec la naissance de lagriculture, il y a environ 10 000 ans, mais elle a pris sa vritable ampleur depuis la fin du 19e sicle. Cette 6e extinction a une double originalit par rapport toutes les prcdentes : elle est dorigine biologique, en loccurrence humaine, et elle est extrmement rapide. Lextinction des espces saccompagne de pertes de biodiversit dautres chelles : appauvrissement du patrimoine gntique des espces survivantes, fragilisation des chanes trophiques, pertes de fonctions essentielles la prennisation des cosystmes, pertes de services rendus par les cosystmes Laugmentation de lempreinte cologique et nergtique de lhumanit, qui se traduit par des modifications dusages des cosystmes et par la surexploitation des ressources vivantes, contribue cette extinction massive dont limpact est estim entre 500 et 10 000 fois le taux naturel (Millennium Ecosystem Assessment) avec une nette dgradation des services cosystmiques et du bien-tre des populations humaines. Cette marge dincertitude sert le cas chant dalibi pour ne pas agir. Mme lorsquelle nempche pas laction, comme le prouve la succession dengagement internationaux pour la biodiversit, elle limite lefficacit ou la pertinence des dcisions ou conduit une perception errone de lacuit de la crise. Un tel contexte permettra-t-il lamlioration ou la simple prennisation des conditions de vie des

La stratgie scientifique de lInstitut franais de la biodiversitLa 6e extinction Quantifier la perte de diversit biologique ; comprendre et agir sur les processus cologiques, conomiques et sociaux qui laccompagnent pour la Commission scientifique de lIFB

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populations humaines ? Au del de sa survie ou de son confort, lHomme (en tant quespce) doit aussi faire face ses responsabilits dans la sauvegarde des cosystmes et de la diversit quils abritent. Ds lors, deux attitudes sont envisageables : freiner lrosion de la biodiversit ou adapter nos modes de vie et le fonctionnement de nos socits une biosphre altre. Ces rponses ne sont dailleurs pas exclusives, elles sont toutes deux ncessaires et elles sont pour partie dj engages. Il y a urgence, dautant que pour mettre en uvre des dmarches pertinentes, il faut prendre en compte la vitesse des processus en cours qui ne sont pas compatibles avec la vitesse de reconstitution naturelle des systmes biologiques (les extinctions des espces sont rapides, leurs mergences peuvent prendre des dizaines de milliers dannes). Dune manire gnrale, il faut avoir lambition de sortir du cercle de lauto-rplication de ce que lon sait faire pour vritablement innover. Nous aurons besoin de comprendre ce qui va changer dans des systmes complexes (les cosystmes et leurs interfaces avec le tissu tout aussi complexe des activits humaines). Ceci ne pourra tre fait que si lon parvient dvelopper une approche multidisciplinaire base sur des concepts et des approches qui permettront de dvelopper de nouveaux outils de prdiction. Les prdictions permettront alors en retour, dans une dmarche itrative, de guider le recueil des donnes. Il faut aussi garder lesprit que la question de lvolution de la biosphre sous les contraintes du changement climatique et des autres facteurs dus lanthropisation toujours plus prgnante, mme la toute petite chelle de quelques sicles ou dcennies, est incommensurablement plus complexe que la modlisation du climat. On ne pourra pas srieusement prtendre des rponses robustes et argumentes sans y consacrer des moyens humains et financiers

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Biodiversit : actions ralises et futures / La stratgie scientifique

considrables. Comme dans le cas du climat, il est indispensable de disposer pralablement de systmes dobservation de la biodiversit sur lensemble du territoire national. En complment dune dmarche strictement scientifique, nous aurons galement besoin dun dialogue renforc entre les chercheurs (quelle que soit leur discipline) et la socit (mdias, associations, collectivits, sphre politique, grand public). Lambition de ce document de stratgie est de fournir un cadre prospectif de priorits pour la recherche scientifique, cadre qui dpasse les discours incantatoires ou les affirmations gnrales sur la ralit de la 6e extinction de masse. Il a pour vocation de dfinir une ligne directrice gnrale qui devra se placer au sein de lensemble complexe des recherches conduites au niveau europen puis mondial. Il est volontairement englobant car il ne prtend pas hirarchiser en dtail les questions poses. Il reviendra aux diffrents partenaires de lIFB (organismes, ministres, entreprises, associations) de relayer cette stratgie au travers de leurs actions, leurs programmes, leurs structures. Ce texte stratgique a donc pour vocation daider la dcision et de proposer une cohrence sans se substituer aux initiatives des membres de lIFB. Il sera prolong par les documents de synthse produits par les diffrents groupes de rflexion de la Commission scientifique, groupes qui fonctionnent en articulation avec les axes qui suivent. Nous proposons une synthse, organise en cinq axes. Le premier correspond au cur de la cible (modliser et prdire) ; les deux suivants le fournissent en donnes et connaissance des processus ; les deux derniers, laval, se rapportent aux domaines du transfert et de laction : (1) prdire [mme si au dpart les marges derreur seront importantes] laide de modles comment les changements climatiques et environnementaux vont influencer lvolution de la biodiversit au cours des dcennies ou sicles venir, (2) ce qui ncessite de documenter lampleur et les caractristiques de lrosion de la biodiversit et ses consquences en termes de dgradation des services cosytmiques, (3) et de comprendre les processus cologiques, volutifs et socio-conomiques qui y sont associs, (4) afin de promouvoir une ingnierie cologique et sociale adapte, (5) et de dvelopper les outils incitatifs permettant aux socits humaines dintgrer les objectifs de prservation de la biodiversit dans leur dveloppement.

1. Modliser et scnariser les changements de la biodiversitLes changements climatiques et anthropiques ont une influence sur la dynamique adaptative des espces : les extinctions seront-elles compenses par des

processus de spciation comme ceux observs lors des prcdentes grandes extinctions ou ces perturbations seront-elles si importantes et surtout si rapides que les mergences de nouvelles espces ne pourront compenser les pertes ? En complment lestimation des extinctions et de leur taux, il est tout aussi important dtre capable dapprcier la capacit des organismes sadapter (changements au sein des populations sans aller jusquaux mcanismes de la spciation) et, mme si cela est plus dlicat du fait des chelles de temps concernes, de construire des hypothses pour les taux de spciation. Dans cette dmarche (extinction adaptation spciation), il faudra tenir compte de lhomognisation croissante des co- et agrosystmes au niveau mondial, ainsi que des activits humaines qui favorisent la multiplication des espces invasives. Pour prdire les changements venir dans la biodiversit, nous avons besoin didentifier au pralable des processus, des lois les plus gnrales possibles, qui rgissent les structures des populations, des communauts et des cosystmes et les changements de ces structures. Les donnes ncessaires cette dtermination sont htrognes, contraintes spatialement et temporellement diffrentes chelles y compris celle de la phylognie. La complexit des problmes cologiques actuels, de mme que laccs de nouvelles donnes permis par le dveloppement technologique (e.g., code barre, satellites) apportent des questionnements statistiques nouveaux qui ncessitent des dveloppements appliqus comme thoriques. Ces outils sont cruciaux pour analyser les donnes qui seront rcoltes dans un but bien prcis (point 2), mais aussi pour tudier comment valoriser les bases de donnes htrognes dj constitues telles que les herbiers, les collections et les suivis. Nous avons besoin de connatre les proprits mathmatiques des mthodes danalyse statistique, et des indices de biodiversit utiliss, afin damliorer voire de corriger notre interprtation de la valeur de ces indices. Nous avons besoin de placer des barres dincertitude autour de nos prdictions. Il est ncessaire que la recherche franaise en biodiversit se dote de plate-formes et modles mathmatiques de simulation comparables ceux alimentant lexpertise du Giec (Groupe dexperts intergouvernemental sur lvolution du climat). La modlisation mise en avant dans ce grand programme permettrait dorienter la documentation (point 2). Elle serait alimente par la comprhension des processus en uvre (point 3) et aboutirait des mesures de gestion et daction, points 4 et 5. Lobjectif est de reprsenter les systmes et leur fonctionnement par des modles qui puissent contribuer rvler des paramtres essentiels pour les changements de la biodiversit, bien que non perus comme tels auparavant. Dans cette dmarche, il sera important de bien intgrer la spatialisation (de mailles rduites jusquau global, de lhomogne au trs

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htrogne, de vastes espaces aux corridors), ainsi que la dynamique des changements sociaux et conomiques. Les questions prioritaires sont les suivantes : Quels apports thoriques pour modliser et expliquer la dynamique de la biodiversit lchelle des grands patrons, pour dcrire mathmatiquement la biodiversit (macrocologie, micro- et macrovolution, approches cosystmiques) ? Il faut noter quavec des systmes dobservation performants de la dynamique de la biodiversit, la scnarisation, sous forme de projections des dynamiques observes, peut se rvler assez simple raliser sur le plan conceptuel. Quelles donnes (quels types dorganismes dans quels types dcosystmes) et sous quelles formes (recensements spcifiques, codes barres) pour alimenter des modles ? Quels outils et plates-formes de modlisation permettant de conjuguer des scnarios climatiques, des changements dusages, des dynamiques socioconomiques ou politiques ? Comment intgrer les scnarios dvitement du pire ? Comment enrichir lexpertise et la prise de dcision partir de ces scnarios ? Comment intgrer limpact des mesures de gestion et autres dcisions dans une modlisation prdictive ? Comment, partir des projections qui dcoulent de ces modles, introduire les incertitudes lies aux dynamiques du vivant ? Une importante recherche mthodologique est ncessaire. Elle devra sappuyer sur une plateforme nationale qui rassemblera lensemble des comptences de modlisation et danalyse statistique des donnes en lien troit avec les rseaux dobservation.

2. Documenter et caractriser lrosion de la biodiversit et la dgradation des services cosystmiquesA lheure o la communaut scientifique saccorde considrer quune extinction massive est en train de samorcer, il est paradoxal de constater quen dehors de groupes taxonomiques emblmatiques de par lintrt que lhomme leur porte (biodiversit commune : oiseaux, batraciens, grands mammifres, plantes suprieures, etc.), on nest pas aujourdhui en mesure de quantifier prcisment la rduction de la biodiversit. Une grande partie de la diversit biologique reste encore dcouvrir et caractriser : de nombreuses populations et de nombreuses espces disparaissent avant mme davoir t identifies. Cest le cas en domaine marin o, lexception de la frange littorale et de quelques cosystmes cibls, notre ignorance de la biodiversit est patente. Cest galement vrai pour les organismes de petite taille qui sont trs largement inconnus, comme ceux les sols ou des forts tropicales. Or, ce sont

justement ces organismes qui jouent un rle critique dans le fonctionnement des systmes cologiques et le maintien de lintgrit des services cologiques. Par ailleurs, la dynamique de ce qui est bien connu reste trangement mal renseigne (devenir de la flore commune) ou non interprtable (voir le dclin acclr des moineaux en Europe du nord). On ne pourra pas nourrir les modles (point 1) sans une amlioration sensible de notre apprciation de la biodiversit, de son htrognit spatiale et de sa dynamique. On ne pourra pas documenter la 6e extinction et en comprendre les mcanismes donc esprer en limiter les effets sans en connatre mieux la cible. Il est ncessaire dassurer un effort important dinventaires et de suivis afin de contribuer caractriser la diversit du vivant, sa distribution dans lespace (et dans le temps gologique), et sa dynamique. Toutefois, imaginer que lon puisse raliser un inventaire exhaustif de la biodiversit lchelle plantaire est illusoire. Il faut donc prvoir une planification dchantillonnages rigoureux en termes de biotopes et despces afin de ne pas se retrouver avec des chantillonnages biaiss et donc peu utiles pour la comprhension de la dynamique de la biodiversit. Une premire tape sera dactualiser linventaire international des donnes dj disponibles et de leur pertinence par rapport la problmatique, de faon identifier les donnes nouvelles recueillir. Cette aventure scientifique, qui est perue en tant que telle par le grand public - et laquelle il participe travers les observatoires de biodiversit permettra dalimenter les modles et les scnarios (point 1) et trouvera tout son intrt dans ltude des processus (point 3), de la gestion (point 4) en alimentant les indicateurs de biodiversit. Des questions prioritaires sont : Comment cibler gographiquement les inventaires et suivis, et les maintenir sur des dures compatibles avec la modlisation ? Comment associer inventaires et suivis de la biodiversit, connaissance et intgration des savoirs locaux, et surtout prennit de la diversit des relations homme-nature ? Comment caractriser la biodiversit ? Et plus particulirement, que doit-on inventorier, mesurer ? Comment quantifier ? Les approches de modlisation (point 1) permettront dclairer et de justifier les choix qui seront faits. Comment reprsenter dune manire accessible (au grand public, aux dcideurs, ) ? Quels recours aux bases de donnes, au public, aux statistiques (permettant de remplacer linventaire ou le suivi exhaustif par lchantillonnage), lidentification molculaire (codes barres) ? Les suivis doiseaux, existant dans lensemble des pays de lhmisphre Nord, sont-ils gnraliser vers dautres groupes dorganismes ? Des oprations dinventaire exhaustif comme celui qui vient dtre

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ralis dans larchipel des Vanuatu (opration Santo2006) sont-elles poursuivre ? O, et sous quelle forme ? Des inventaires de cette nature aideront-ils apprcier lordre de grandeur de lerreur que lon fait couramment dans lestimation de la biodiversit ?

3. Comprendre les processus cologiques et socio-conomiques associs la rduction de la biodiversitIl manque des diagnostics prcis des fonctions cologiques, des services cologiques qui en dcoulent, et de leur dgradation lie la perte de biodiversit. La conceptualisation et la connaissance mme de ces services est encore trs imparfaite. Ces apprciations sont par ailleurs trs centres sur les usages actuels que font les socits de la biodiversit, usages susceptibles dvoluer rapidement dans les prochaines dcennies. Il faudra aussi dpasser une vision trop anthropocentre de ces questions, lensemble du monde vivant tant de fait concern. Ces lacunes rendent les services cosystmiques difficilement intgrables dans les politiques publiques touchant lenvironnement, mme si lon sait que le maintien dune importante biodiversit sauvage comme domestique - reprsente un certaine forme dassurance contre les risques environnementaux, sanitaires, etc. Laccent doit tre mis sur lanalyse des processus et lanalyse comparative des situations : ancien vs rcent, cosystmes (marins vs terrestres, tropicaux vs temprs), empirique vs exprimental, groupes taxinomiques et fonctionnels (incluant le monde microbien), diversit biologique (spcifique comme gntique) et diversit socio-culturelle Lexprimentation en milieu naturel, en mso et microcosmes (cotrons) sera une dmarche ncessaire pour comprendre les processus et les consquences de leurs drglements ventuels. Il faudra en tirer des indicateurs pertinents. Parmi les questions prioritaires : Comment la connaissance des crises du pass peut-elle nous renseigner sur les dynamiques dextinction, sur les cicatrisations post-crises, sur les influences des variables physiques et gotectoniques ? En quoi la Terre actuelle avec des continents N-S, une cryosphre et une psychrosphre est-elle plus ou moins rceptive au changement global que ne ltait celle du Crtac suprieur par exemple ? Comment les tudes du pass envisages sur diffrents pas de temps peuvent servir comprendre lActuel ? Le dclin de certains groupes fonctionnels (pollinisateurs, oiseaux, carnivores) affecte-t-il les autres espces en interaction, ainsi que le fonctionnement des cosystmes et la qualit des paysages ? En quoi des variations de diversit dans des groupes peu connus comme les microbes, champignons et

petits mtazoaires peuvent-elles affecter les cosystmes (fonctionnement des sols, des forts, des ocans),, et notamment les humains (cologie de la sant) ? Les caractristiques des microorganismes (formidable diversit, temps de gnration courts, capacit adaptative forte aux chelles de temps humaines) amnent-elles une remise en question des acquis obtenus sur les macro-organismes ? En quoi les invasions biologiques ou lmergence de pathognes peuvent-elles affecter la biodiversit ? Leurs consquences obissent-elles des rgles gnrales ? Quelles sont les consquences de lrosion pour certains services cosystmiques ncessaires lagriculture, aux pcheries, lcologie de la sant (humaine, animale et vgtale), la conservation ? En quoi lrosion de la diversit culturelle, et des savoirs locaux, est-elle lie et participe-t-elle de lrosion de la diversit biologique, sauvage comme domestique ?

4. Soutenir linnovation technologique et socialeLa recherche mene par les sciences de la biodiversit (points 1, 2, 3) doit irriguer linnovation technologique (ingnierie cologique) et linnovation sociale (ingnierie environnementale). Ici, cest le temps de la gestion et de la prservation, dj en uvre dans le cas des directives habitats, des rserves et parc naturels mais o il faut privilgier des expriences dingnierie cologique et sociale novatrices (e.g., observatoires de gestion participatifs). Cest galement le temps de lingnieur et du technicien en agro-cologique, sant, urbanisme, amnagement qui doivent contribuer clarifier les liens entre biodiversit et ressources naturelles du point de vue conceptuel et du point de vue de la gestion. Ces dmarches ne seront rellement efficaces que si elles sont guides par un cadre conceptuel fort (cf. point 3). Dans les situations ou cela ne serait pas le cas, il faudra sassurer que les nouvelles donnes obtenues grce ces innovations technologiques puissent servir alimenter de nouveaux concepts qui pourraient savrer indispensables la connaissance et la gestion de la biodiversit. Quels sont les thories et concepts cologiques et volutifs pertinents pour mettre en uvre dune gestion durable des ressources naturelles et une prservation tout aussi durable des milieux naturels ? Quelles mesures damnagement, de gestion, dingnierie, devront tre exprimentes pour freiner les taux dextinction ? Quelle ingnierie cologique ? Quelles en sont les consquences pour les politiques de conservation et de gestion du patrimoine naturel ?

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5. Agir face lhomognisation des cosystmes et aux extinctionsInciter les socits humaines une utilisation raisonnable de la biosphre, y compris en sadaptant des niveaux de biodiversit plus faibles, ncessite le dveloppement dune recherche implique . Ici, cest le temps de lexpertise, de la concertation et de la prise de dcision afin de freiner les taux dextinction, de prvenir les conflits et dlaborer des projets damnagement du territoire ngocis avec tous les acteurs dans le but de la co-viabilit des systmes cologiques et sociaux. Etendre lapproche analyse de risques au maintien dune biodiversit indispensable lhomme. Soutenir les systmes de gestion durable des ressources naturelles et des cosystmes (techniques, pratiques, institutions, traditions, etc.) et les dispositifs innovants de valorisation de la biodiversit. Informer tous les acteurs des actions entreprises et de leurs effets. Les recherches soutenir doivent intgrer les avances en termes de connaissances scientifiques (points 2 et 3) et de gestion (point 4), mais aussi pouvoir dialoguer efficacement avec les modlisateurs pour une bonne intgration dans les scnarios (point 1). Les recherches sarticulent autour de plusieurs thmes : Quelles sont les principales contraintes la durabilit des systmes de gestion, les principaux freins la prservation de la biodiversit (incompatibilit des usages, dysfonctionnements des rgles daccs ou dusage) ? Comment faire en sorte que les usages humains (agriculture, pcheries, industrie, urbanisation) prennent en compte la biodiversit et son processus dvolution dans leur stratgie de dveloppement ? Quelles sont les innovations ncessaires pour intgrer la biodiversit dans les politiques sectorielles ? Quelles pratiques pour sadapter aux processus de la 6e extinction et pour essayer dy remdier en maintenant/recrant autant que possible des conditions favorables lessor de la biodiversit ? Quels outils incitatifs ? Quand et comment mettre en place des mcanismes de compensation pour accompagner les mesures damnagement et ou de dveloppement conomique ? Comment valuer terme lefficacit cologique et la durabilit socio-conomique des mesures prises (y compris celles du point 4) ? Comment intgrer les mcanismes de surveillance (indicateurs)

aux processus de dcision afin de pouvoir les adapter rgulirement ? Comment harmoniser les processus de dcisions aux agendas internationaux.

Pour conclureLa stratgie dveloppe ci-dessus est un cadrage gnral qui donne les lments pour une thorie de laction et qui place la modlisation en avant avec lobjectif daboutir une aide la dcision pour les acteurs de la socit en gnral, et pas seulement les scientifiques. Il faut maintenant des propositions plus spcifiques ; faut-il prconiser des programmes, des observatoires, quels laboratoires soutenir ou crer, quelles interfaces dvelopper... pour faire merger un savoir-faire en modlisation de la biodiversit qui soit vritablement oprationnel tant sur le plan fondamental que sur ses capacits dexpertise et de conseil. Pour aller vers des propositions concrtes, les cinq axes de cette stratgie sont articuls sur les groupes de rflexion qui entourent la Commission scientifique de lIFB. Les groupes de rflexion sont des structures ad hoc temporaires animes et places sous la responsabilit dun ou plusieurs membres de la Commission. Ils runissent des experts qui largissent les domaines de comptence de la Commission en ayant vocation clairer lIFB sur un sujet prcis. Les groupes de rflexion mis en place ont pour premier rle dalimenter et de prolonger la stratgie et ils se placent en regard des cinq axes pralablement dfinis. Sur le plan de lorganisation, chacun des cinq axes est tay par au moins un groupe de rflexion. A ce jour, huit groupes ont t proposs : Modlisation, Indicateurs de la biodiversit, Systmatique et taxinomie, Biodiversit et agriculture, Ingnirie cologique, Association Ore (place de la biodiversit dans la stratgie des entreprises), Interface recherche-gestion de la biodiversit, Biodiversit et sant. La mission confie ces huit groupes est de donner plus de corps la stratgie en aboutissant des propositions qui soient une aide ltablissement de priorits daction pour les organismes (CNRS, Inra, Ifremer...), les ministres, comme les associations ou les entreprises.

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rDenis COUVETProfesseur au Musum national dhistoire naturelle, Paris

Projet Biodiversit et modlisationIntroduction de Bruno DAVID,Prsident de la Commission scientifique de lIFB

Introduction

Concernant la thmatique Biodiversit et modlisation , un groupe de rflexion sest runi le 7 novembre 2007 afin de mettre en place une rflexion, pouvant dboucher sur la mise en place dune structure, dont le nom nest pas encore dtermin, consacre la modlisation de la biodiversit. Le Musum national dhistoire naturelle, et notamment son prsident Andr Mnez, se trouve linitiative de cette volont. Lanimation a t confie Denis Couvet et Serge Laurent. La structure, trs englobante, devrait impliquer plusieurs organismes et institutions, ainsi que des associations et des entreprises. Andr Mnez et nous-mmes sommes attachs au fait que cette structure naissante ne soit pas la proprit du Musum dhistoire naturelle. Cest donc dans ce contexte quune demande danimation a t formule auprs de lIFB et cest ainsi que jai t amen animer la premire runion du 7