accompagner l’enfant en fin de vie jusqu’à la mort à domicile : expériences de soignants

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Médecine palliative Soins de support Accompagnement Éthique (2013) 12, 72—76 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com EXPÉRIENCES PARTAGÉES Accompagner l’enfant en fin de vie jusqu’à la mort à domicile : expériences de soignants Being-with in child’s end-of-life at home: Nurses’ experiences Nicole Croyère a,,1 , Anne Grellier b,1,2 , l’équipe pédiatrie de l’hôpital à domicile Croix-Saint-Simon a Atelier des projets, centre national de ressources soin palliatif, 35, rue du Plateau, 75019 Paris, France b Pédiatrie, hôpital à domicile Croix-Saint-Simon, 35, rue du Plateau, 75019 Paris, France Rec ¸u le 5 janvier 2012 ; accepté le 23 avril 2012 Disponible sur Internet le 15 juin 2012 MOTS CLÉS Accompagnement ; Fin de vie ; Enfant ; Domicile ; Deuil ; Professionnel Résumé L’objectif de cet article est de partager l’expérience d’une équipe de professionnels qui dispensent des soins palliatifs à des enfants à domicile. Les pratiques auprès de l’enfant en fin de vie génèrent des difficultés auxquelles il faudra faire face au quotidien au domicile de l’enfant. L’enjeu pour l’équipe est de tenter de parvenir à un soin de haute qualité technique et relationnel tout en se préservant. Cet enjeu est parfois mis à mal par des soins techniques inha- bituels, des prescriptions changeantes, sous le regard d’une famille inquiète et en souffrance. La prestation de soins est intrinsèquement liée à une compétence relationnelle et de gestion des émotions qui bousculent les professionnels dans le contexte de la fin de vie de l’enfant. L’équipe pédiatrique de l’hôpital à domicile Croix-Saint-Simon a mis en mots la manière dont les professionnels réalisent un accompagnement de fin de vie, les conditions requises pour maintenir une prise en charge de qualité, en utilisant les ressources dont elle dispose. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Palliative care; Child; Summary The aim of this article is to share the experience of a team of professionals who provide palliative care to children at their home. The practices with the child at the end of life generate difficulties, which are necessary to face in the everyday life at the child’s home. The Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Croyère). 1 Quinze professionnels (puéricultrices, éducatrice de jeunes enfants, assistante sociale) ont contribué à l’écriture de ce texte avec l’animation d’une puéricultrice, cadre de santé. 2 Puéricultrice, cadre de santé. 1636-6522/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2012.04.005

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édecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2013) 12, 72—76

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

XPÉRIENCES PARTAGÉES

ccompagner l’enfant en fin de vie jusqu’à la mort àomicile : expériences de soignants

eing-with in child’s end-of-life at home: Nurses’ experiences

Nicole Croyèrea,∗,1, Anne Grellierb,1,2, l’équipepédiatrie de l’hôpital à domicile Croix-Saint-Simon

a Atelier des projets, centre national de ressources soin palliatif, 35, rue du Plateau,75019 Paris, Franceb Pédiatrie, hôpital à domicile Croix-Saint-Simon, 35, rue du Plateau, 75019 Paris, France

Recu le 5 janvier 2012 ; accepté le 23 avril 2012Disponible sur Internet le 15 juin 2012

MOTS CLÉSAccompagnement ;Fin de vie ;Enfant ;Domicile ;Deuil ;Professionnel

Résumé L’objectif de cet article est de partager l’expérience d’une équipe de professionnelsqui dispensent des soins palliatifs à des enfants à domicile. Les pratiques auprès de l’enfant enfin de vie génèrent des difficultés auxquelles il faudra faire face au quotidien au domicile del’enfant. L’enjeu pour l’équipe est de tenter de parvenir à un soin de haute qualité technique etrelationnel tout en se préservant. Cet enjeu est parfois mis à mal par des soins techniques inha-bituels, des prescriptions changeantes, sous le regard d’une famille inquiète et en souffrance.La prestation de soins est intrinsèquement liée à une compétence relationnelle et de gestiondes émotions qui bousculent les professionnels dans le contexte de la fin de vie de l’enfant.L’équipe pédiatrique de l’hôpital à domicile Croix-Saint-Simon a mis en mots la manière dontles professionnels réalisent un accompagnement de fin de vie, les conditions requises pourmaintenir une prise en charge de qualité, en utilisant les ressources dont elle dispose.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary The aim of this article is to share the experience of a team of professionals who

Palliative care;Child;

provide palliative care to children at their home. The practices with the child at the end of lifegenerate difficulties, which are necessary to face in the everyday life at the child’s home. The

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (N. Croyère).

1 Quinze professionnels (puéricultrices, éducatrice de jeunes enfants, assistante sociale) ont contribué à l’écriture de ce texte avec’animation d’une puéricultrice, cadre de santé.2 Puéricultrice, cadre de santé.

636-6522/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2012.04.005

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Accompagner l’enfant en fin de vie à domicile 73

Home;Mourning;Professional

stakes for the team are to try to reach a relational and technical care of high quality, whileprotecting itself. These stakes are sometimes worsened by unusual technical care, changeableprescriptions, while under the glance of a worried and grieving family. The end-of-life care ofthe child is intrinsically connected to a relational skill and the management of feelings, whichknock down the professionals. The team of Croix-Saint-Simon home care put in words the wayprofessionals accomplish palliative care, the conditions required to remain in the work and theresources it has.

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© 2012 Elsevier Masson SAS.

Introduction

Les soins palliatifs pédiatriques sont parfois considéréscomme difficiles pour les soignants, voire inquiétants pourceux qui n’en font pas. Les propos que nous présentons ontpour but de partager des expériences d’accompagnementd’enfants en fin de vie par des praticiens à des lecteurspeu familiers de ces pratiques. Ce texte alterne récitsd’expérience et propos de l’équipe pédiatrique de l’hôpitalà domicile Croix-Saint-Simon à propos de l’accompagnementde fin de vie des enfants et de leurs familles. Ces écrits fontémerger les questions que ces professionnels se posent etquelques réponses contextuelles et singulières.

Contexte de travail de l’équipe depédiatrie

La prise en charge d’enfants en fin de vie a commencéen 2004 à l’hôpital à domicile. Ce choix s’est fait en lienavec le plan de développement des soins palliatifs 2002—05,qui prévoit la mise en œuvre des soins palliatifs à tous lesâges de la vie et dans tous les lieux où le patient le sou-haite. L’introduction de cette nouveauté dans notre servicea engendré des inquiétudes : « la mort fait peur et cellede l’enfant n’est pas dans l’ordre des choses ». Elle estinjuste, voire scandaleuse. Le travail de la puéricultriceou de l’éducatrice est d’être dans la vie. Le fait d’avoirdes enfants jeunes fait redouter d’assister la mort d’autresenfants.

Sur une année notre équipe prend en charge environune dizaine d’enfants en fin de vie sur un nombre total de250 enfants pris en charge. Mais ces enfants prennent unegrande place — proportionnellement inverse au nombre —dans les discussions et dans la vie d’équipe. Même les col-lègues qui ne vont pas au domicile sont chargées de l’histoirede l’enfant.

Les enfants sont confiés pour une fin de vie ou si leurétat s’aggrave au cours du temps et dans ce cas, il estévident de continuer la prise en charge jusqu’au bout. Ilest d’ailleurs beaucoup plus facile d’assurer des soins pal-liatifs quand l’enfant et la famille sont déjà connus. Pournotre équipe, il est important de ne pas prendre en chargeuniquement des enfants en fin de vie pour trouver un souffleet nous maintenir dans le travail. Pour effectuer ces accom-pagnements de fin de vie, le soutien mutuel, pouvoir passerla main, la formation, les échanges sur les situations avec le

psychologue du service ou les groupes de parole nous sontaidants. Un enfant suivi pendant plusieurs mois exige unengagement, un investissement et son décès est difficile,voire douloureux ; il faut faire son deuil à chaque histoire.

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a mort d’un enfant est tellement dure que la répétition desécès comporte le risque d’être « blasé ». Soigner d’autresnfants atteints de maladie chronique procure un équilibreour chacun et pour notre équipe, permet de se ressourcer,e préserver.

ntre formation, réflexion et pratique

uatre membres de l’équipe de pédiatrie ont participé àne formation à l’accompagnement de l’enfant en fin de vievec la méthode des récits de vie [1]. Cette expérience deravail en commun s’est poursuivie l’année suivante par deschanges entre l’équipe et la formatrice du Centre natio-al de ressources soin palliatif autour des préoccupationsuivantes : est-ce un choix de faire du soin palliatif pédia-rique ? Que signifie accompagner un enfant en fin de vie ?ourquoi faut-il aussi prendre en charge simultanément desnfants qui ne sont pas gravement malades ? Comment êtrenformé ou non du décès d’un enfant ? Quels rites mettren place pour ne pas être envahi(e) par le décès d’unnfant ? Ces rencontres ont été précédées ou poursuiviesar des témoignages personnels écrits présentés en enca-ré. Nous illustrons par des extraits du récit de Laetitia,uéricultrice. Elle raconte la fin de vie d’I. une petite fillee huit ans, blonde aux yeux bleus, qu’elle décrit commeyant du caractère ; une enfant vaillante et combative.’équipe de pédiatrie intervient pour la toilette, les mas-ages, l’évaluation de la douleur, la pose et la surveillancee PCA. Les puéricultrices s’entretiennent avec la familleui souhaite que la fin de vie puisse se faire à la maison. Enrrivant, les soignantes assurent les soins de confort, appri-oisent la petite fille et prennent le temps de parler de ceu’elle aime, de ses amis, de faire de la lecture.

Le dernier jour de la vie d’I. : sa maman téléphone à lapuéricultrice qui devait passer en fin de matinée pourlui dire qu’I. ne va pas bien ; le médecin de famille vientde les quitter. Sans attendre la puéricultrice se rend audomicile : I. est entourée de ses parents dans son lit,elle est cyanosée et respire difficilement. Rapidementla deuxième puéricultrice arrive. La mère souhaitequ’on lui prenne les constantes, puis nous faisons dessoins de confort. Nous prévenons les médecins del’HAD, le médecin hospitalier et le médecin de famillede l’état de I. Chaque intervenant extérieur nous dictedes soins, parfois contradictoires. Nous sommes un peu

en difficulté face à la famille car nous souhaitons lesaccompagner et les préserver de toutes les discussionsextérieures.
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I. ne souffre pas, mais nous sentons qu’elle s’en vaprogressivement. Nous nous éclipsons afin de laisserses parents auprès d’elle dans ses derniers moments.Nous leur disons qu’ils peuvent lui parler et lui direqu’ils sont prêts, qu’elle peut partir (même si on estjamais prêt à laisser partir un être cher). Les parentsse demandent s’ils doivent informer le frère d’I. ouattendre encore un peu. Son état ne leur laisse pas letemps. Nous attendons dans le salon ; nous savons qu’I.nous a quitté quand nous entendons la douleur du père.Nous constatons le décès ; nous les laissons seuls avecleur fille pendant que nous annoncons la triste nouvelleà tous les professionnels référents. Le médecin defamille et l’infirmière libérale passent voir une dernièrefois I. et ses parents. Ensuite nous commencons latoilette. Les parents vont chercher le grand frère aprèsque la maman revienne quelques instants pour réaliserle dernier souhait d’I : retirer le KTC en lui disantque maintenant c’était terminé, qu’elle ne souffriraitplus. Nous l’habillons et l’installons dans son lit avecses doudous qu’elle ne quittait pas. Elle ressemble àun petit ange endormi. Le grand frère arrive mais nesouhaite pas la voir. Il la verra seul plus tard.

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moments de la vie de l’enfant malade quand cela s’avère

Extraits du texte rédigé par Laetitia.

Ce texte souligne le travail d’ajustement permanent dansa réalisation des soins techniques tout en maintenant desiens avec l’enfant, ses parents et la fratrie. Il s’agit de fairereuve de discrétion, laisser la famille dans son chagrin toutn restant présente si besoin. Les liens seront rompus avecrudence : une carte pour se joindre en pensée aux funé-ailles, chercher le matériel resté à domicile. Autour d’unafé, la famille évoque la cérémonie où chacun s’est habillée blanc, les derniers moments partagés avec l’enfant. Lesestes et rituels après décès sont un moyen de contribueru travail de deuil.

De ces narrations, nous extrayons et débattons ensembleotre conception de l’accompagnement de fin de vie.

u’est-ce que l’accompagnement de fine vie pour notre équipe ?

’après Paul Maela, le concept d’accompagnement est uneension entre quatre pôles : une démarche, une relation,ne posture, une fonction [2]. Nous l’appliquons aux carac-éristiques de l’accompagnement de l’enfant en fin de viear l’équipe de pédiatrie. La démarche suppose d’aller versn équilibre entre une réalité quotidienne fluctuante et undéal de soin de fin de vie. La relation a un aspect techniquet médical et la fonction de soignant s’inscrit tant dans leeste technique que dans le soulagement de la souffrance.a posture est liée à l’attitude professionnelle envers uneamille toujours singulière et le cadre de travail. En effet’hôpital à domicile a pour mission d’assurer au domicilees soins médicaux et paramédicaux continus et coordon-

és. Ce mode d’exercice ambulatoire confère une certaineutonomie au soignant quand il est au domicile. Cependant,e professionnel doit faire face à des contraintes multiples

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N. Croyère, A. Grellier

t complexes : présence et participation de l’entourage àa prise en charge, multiplicité des intervenants de profes-ions différentes, médicaux et sociaux, diversité des pointse vue, partage de la conduite de la prise en charge entrelusieurs médecins.

onction soignante

a fonction soignante demande de bien connaître la par-ie technique. Parfois du matériel manque. « Nous sommeslors devant les parents avec l’air hésitant, c’est insuppor-able ». Quelquefois c’est du matériel que nous utilisons uneois par an. Nous avons recu une formation pour les pompes,our l’Hypnovel®, mais comme nous ne nous en servons pasouramment, nous restons malhabiles. Il nous est arrivé deaire 30 kilomètres pour aller chercher du matériel, alorsu’à l’hôpital il suffit d’aller dans le service en dessous.l faut donc anticiper sur de l’imprévisible et de l’inconnu !ous pouvons travailler avec l’enfant pour son confort, mais

l faut pouvoir le soulager, être entendu quand nous disonsu’il a mal ; c’est insupportable de le voir souffrir. On res-ent un sentiment d’impuissance et il est impossible d’êtreuste là, sans savoir quoi dire aux parents, sans pouvoires rassurer. Quelquefois ce sont les parents qui banalisenta douleur de leur enfant ; peut-être est-ce un signe deeur inquiétude, de voir l’aggravation de la situation ou’intolérance de savoir son enfant douloureux ?

osture d’accompagnement

a posture d’accompagnement est la manière dont le pro-essionnel se place vis-à-vis de l’enfant et de sa famille.’attitude est empathique et consiste à soutenir, guider. Elleemande « d’être-avec, marcher-à-côté ». Cependant, unerande vigilance est apportée à ne pas phagocyter la famille.tre présent auprès de la famille et de l’enfant, c’est laisserheminer la famille à son propre rythme vers peut-être une

acceptation » ou plutôt un « faire-avec » l’idée que l’enfanteut décéder. Il s’agit de savoir où elle en est dans le cheminu’elle a à faire et de garder une main tendue dont elle peute saisir ou non. Il s’agit « d’être-là », aidant si possible dansn moment fort, intime, unique dans la vie d’une famille et’un être.

Dans le récit suivant, Thu Phuong, puéricultrice, expliqueomment elle est invitée à participer à la consultation d’uneeune fille de 11 ans suivie habituellement par l’hôpital àomicile. Sa présence relève tant de la connaissance qu’elle

de la langue que de la confiance que lui font l’enfant eta famille. La jeune fille est atteinte d’un neuroblastomeanglionnaire stade 4 ; elle est issue d’un père vietnamient d’une mère chinoise ; ils communiquent en mandarin.e médecin hospitalier référent lui annonce la rechute enrésence de la famille et de la puéricultrice/interprète. Laeune fille est bouleversée par la perspective d’une nouvellehimiothérapie et veut absolument poursuivre sa scolarité etntrer au collège.

Nous voyons la difficulté d’être-avec dans tous les

pportun. La tâche de l’interprète est indispensable et enême temps extrêmement difficile, chargée d’émotions et’inquiétudes.

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Accompagner l’enfant en fin de vie à domicile

« Être-avec » C. en consultation.Le médecin a fini d’examiner C. et lui demande

de sortir dans le couloir car elle veut voir encore sesparents. Face au couple, les mots sonnent juste, le tonest grave. Le médecin annonce que la maladie a reprisle dessus, que les résultats des examens sont mauvais,que le projet de greffe est à discuter, que l’on doitchanger le traitement pour le confort de C. et pourqu’elle continue à aller au collège. La mère retient seslarmes. Le père, l’air abattu, se révolte. Il se tournevers moi et je vois toute sa détresse dans ses yeux.

Le père : Dites lui (au médecin) qu’on s’en fout del’école. Dites lui de donner à C. un traitement plus forts’il le faut, même si cela doit la clouer au lit, on veuttout faire pour que recule le « crabe ».

Le médecin : Malheureusement, le traitementqu’elle va prendre ne peut que ralentir l’évolution de samaladie. Laissez faire ce que C. aime et soyez attentifsà sa douleur.

Je suis placée derrière le couple et face au médecin,j’absorbe mot par mot, phrase par phrase de peur quemoi même je ne saisisse pas tout avec exactitude cequ’il faut traduire à la famille. La douleur est immenseet je n’ai pas le droit de me tromper dans la traductiondes paroles du médecin aussi bien que dans celles dela famille. Ma tâche est lourde ; je choisis chaque motet à plusieurs reprises je demande au père s’il a biencompris.

C. nous rejoint à la fin. Elle a l’air inquiète maisne pose plus aucune question. Le médecin lui faitsavoir qu’elle peut le voir en consultation seule ouaccompagnée par une puéricultrice. Elle décline laproposition. Elle s’éloigne du service de consultation,a du mal à marcher et pose de nouveau la question :« Pourquoi j’ai cette boule ? ».

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Avec l’enfant, nous sommes dans un projet de vie ; certesla vie va cesser, mais on ne va pas se le répéter tous lesjours. Cette volonté que la fin de vie et le décès se passentle mieux possible suppose une implication, du dynamisme :il faut vraiment en avoir envie.

Relation d’accompagnement

La relation d’accompagnement implique l’écoute, la pré-sence et la disponibilité. Si l’enfant pose des questions tellesque « tu as eu de la chimio toi ? », nous pouvons parler aveclui de ce qu’il vit. Quand il demande « quand je vais gué-rir ? », nous pouvons le réorienter vers le médecin ou luidire « qu’est-ce que tu veux savoir ? », « pourquoi tu posescette question ? ». Il arrive que nous parlions du départ, dujour où nous ne serons plus ensemble. Parfois la surprisedu propos à un moment incongru fait que nous sommesen peine de reformulation. Ou encore le silence s’impose ;nous ne savons pas quoi dire, nous avons peur de commet-

tre une maladresse ; nous restons sans voix. Nous savonsle poids des mots employés à ce moment. Il faut doser ceque nous disons à l’enfant et à sa famille ou ne rien endire.

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émarche d’accompagnement

a démarche d’accompagnement fait partie d’un projetvec la famille et en équipe. Nous recherchons la cohérencevec la famille dans un souci de confort. Mais ce qui estonfortable pour l’enfant n’est pas toujours clair entre laamille et les soignants. Pour que l’accompagnement soitaisable, l’équipe doit réfléchir et argumenter les choix deraitement, nous donnons la priorité aux soins de confortour l’enfant. C’est un vrai travail d’équipe dans le sensù il faut échanger, remettre en cause notre manière deaire, interroger nos habitudes. La cohérence entre l’équipee l’hôpital à domicile et la famille est facilitée ou empê-hée selon que les rapports avec l’hôpital de référence de’enfant sont bons ou distants. L’équipe hospitalière qui nousonfie l’enfant doit comprendre que nous ne pouvons paséagir aussi vite qu’en établissement. Ce qui est facilitant,’est d’avoir le même discours et que les parents sachentu’on se connaît.

L’accompagnement se passe d’autant mieux que nousvons du temps pour nous projeter. Il faut du temps pouronnaître l’enfant et sa famille, tisser des liens. La confiancee crée petit à petit, quand ils comprennent pourquoi nousenons chez eux. Nous « fabriquons » de bons moments. Nousonsidérons que nous arrivons à un « bon accompagnement »uand nous avons la confiance de l’enfant et de sa famille,ue celle-ci est partenaire et que nous avons des liens avec’hôpital.

L’équilibre au sein et entre ces quatre pôles de’accompagnement met le soignant dans une perpétuellenstabilité.

estion des émotions des soignants

e texte de Madeleine relate combien les soignants sont tou-hés par le décès de chaque enfant, les questions que celaose et la singularité de chaque réponse pour ne pas êtrenvahi par ces décès. Dans cette situation, l’enfant est suiviu domicile tout au long de sa maladie. Il est toujours en lienvec le service hospitalier qui l’accueillera pour ses derniersours de vie par choix de la famille. L’équipe de pédiatrieait la démarche d’aller dire au revoir à l’enfant décédé.

L’accompagnement des enfants jusqu’à la mort suscitee nombreuses questions : certes il existe des impératifsechniques et relationnels mais la fin de vie engendre desmotions nombreuses et fortes pour ceux qui la côtoient.

Nous avons réfléchi à la manière d’informer l’équipe duécès d’un enfant. Il arrive que le cadre envoie un SMSu style « Triste nouvelle, N. nous a quitté ». Ce mode deommunication par texto est assez froid, voire glacial, maisl laisse du temps à l’émotion. Celui qui annonce n’aura pas

répéter la mauvaise nouvelle. Celui qui le recoit n’est pasbligé de parler. Même si le décès est attendu, son annoncest toujours brutale. Le fait d’être informé dans le mêmeemps que le reste de l’équipe permet une concordance pourivre le décès en même temps. Et ce, même si nous sommese repos. Ainsi « au même instant, tout le monde le sait ».

Au téléphone, l’avantage est de pouvoir poser les ques-ions qui nous passent par la tête : « Comment ca s’est passé ?ui était là ? Qui est au courant dans l’équipe ? Est-ce que

e décès a eu lieu à l’hôpital ou à la maison ? ». Souvent

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Mauvaise nouvelle : Le petit M. est décédé.Samedi, vers midi, Valérie m’appelle. . . Je sais

déjà. . . Je rappelle vite Adela. . . Elle doit aller à l’IGRavec Johana. . . Je souhaite aller au funérarium, maispas seule. . . Finalement Adela viendra avec moi aufunérarium juste pour m’accompagner et moi j’iraiavec elle et Johana voir la famille. Et puis Djamillaaussi nous rejoindra au funérarium.

C’est la deuxième fois que je vais en ces lieux,déjà pour la petite G. . . Je retrouve toujours lesmêmes sensations de gorge serrée, ce moment entredeux mondes, celui des morts et celui des vivants. Lefunérarium de l’IGR ressemble à un réfectoire vide.M. nous est présenté sur une table de métal, je saisparce que ce détail n’était pas caché pour G. que satête est sur un repose-nuque en métal. Aucune chancede ressentir un quelconque apaisement dans ce lieuscandaleusement froid, vide et hideux, je me dis queles parents doivent être glacés d’effroi en découvrantcet endroit où leur enfant a été emporté. M. est là,avec cet air appliqué et indifférent des visages sansvie. Je lui dis au revoir, je lui souhaite d’être bien làoù il est.

Nous repartons voir la famille, la maman a proposéque nous passions au domicile. Nous partageons aveceux le dernier acte de ce terrible drame, leur dire queleur enfant a compté pour nous, que nous lui avonsdit au revoir et qu’il ne nous terrifie pas. Partagerencore la souffrance et l’émotion parce qu’ensuite jesais qu’elle est moins lourde et moins prégnante. Àce moment, nous représentons l’équipe ; je ressens lemême apaisement dès lors que je sais que quelques-unes d’entre nous on été voir une famille que moije ne suis pas allée voir. Je rentre encore émue,pourvu qu’une fois encore je dépasse ce deuil, qu’il nem’envahisse pas, qu’il ne provoque pas des angoisses,qu’il ne m’empêche pas de faire tranquillement ce quej’ai à faire. Pourvu qu’en soins palliatifs il n’en soit pasde même qu’en pratiquant la boxe, pourvu qu’on nerisque pas de faire le combat de trop !

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Madeleine — Créteil le 18 janvier 2010.

n appelle un collègue pour parler de cette mauvaise nou-elle. Nous évoquons un souvenir ou un moment passé avec’enfant. Nous faisons un geste qui nous permet de penser

l’enfant, lui faire un clin d’œil, créer un temps pour êtrencore avec lui. Nous éprouvons une pensée compatissanteour les parents et les frères et sœurs. L’un ou l’autre desoignants va présenter les condoléances aux parents au nome l’équipe. Voir les parents entourés nous rassure un peu.

tre informé du décès permet éventuellement d’aller auxbsèques si on en a le désir et si la famille est d’accord. C’estne manière de faire notre deuil, de le faire en phase aveca famille, l’équipe. Le but est de clore une histoire avec

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N. Croyère, A. Grellier

’enfant et aller jusqu’au bout. Le cadre envoie une carteux parents après le décès, une carte choisie pour l’enfantù il est mis un mot personnalisé ; cette carte sera signéear l’équipe. Nous avons un carnet à la mémoire des enfantsécédés. Retourner dans la famille chercher le matériel peuttre l’occasion de reparler de l’enfant mais aussi de recevoir’agressivité d’une maman en souffrance. Il est essentiel deravailler dans une équipe solidaire et soutenante pour tenirans la durée et ne pas se laisser entraîner dans une usurerofessionnelle.

Ces témoignages essaient de donner un reflet des grandesnterrogations et fluctuations émotionnelles vécues par lesoignants. Mettre des mots sur les évènements, dire etcrire, permet de trouver une distance toujours délicate

ajuster. Au fil des prises en charge, nous découvronst inventons des ressources (formations, échanges. . .) tantndividuelles que collectives qui nous permettent de tenir,t de rester encore et toujours dans l’accueil et le soin.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

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