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L’abus de droit : perspective générale et encadrement procédural Par Daniel Gutmann ................................................................................................................................................................... 54 Comparaison internationale Par Pascal Julien Saint-Amand et Hanadi El Hage Sleiman............................................................. 59 Donation de titres préalablement à leur cession et abus de droit Par Pascal Julien Saint-Amand ......................................................................................................................................... 62 Abus de droit et démembrement de propriété Par Pascal Julien Saint-Amand ......................................................................................................................................... 72 Apport en sursis d’imposition Par Frank Thiery et Pascal Julien Saint-Amand ............................................................................................ 81 Assurance-vie placement et abus de droit Par Sophie Gonsard et Pascal Julien Saint-Amand ...................................................................................... 87 Donation déguisée et abus de droit Par Muriel Carpon et Pascal Julien Saint-Amand ........................................................................................ 95 PEA et abus de droit Par Muriel Carpon et Pascal Julien Saint-Amand ........................................................................................ 100 S ’il est parfaitement justifié que l’administration fiscale dispose de la possibilité de donner leur véritable qualification aux opérations fictives et, même, aux opérations conformes à la réa- lité présentée, mais poursuivant un but exclusivement fiscal contraire à l’esprit de la mesure invoquée, il est essentiel qu’elle n’abuse pas de ce droit. À l’heure où les URSSAF se voient désormais reconnaître également le droit de fonder des redres- sements sur des actes ou des montages juridiques constitutifs d’abus de droit (CSS, art. L. 243-7-2, très largement calqué sur l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales), il est essentiel que le contri- buable bénéficie d’une protection équilibrée. Le rapport relatif à l’amélioration de la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables remis au ministre du Budget par le président Fouquet en juin 2008 va en ce sens. L’arrêt « Krupa » rendu le 21 mars 2011 par le Conseil d’État, en substituant à la faute lourde la faute simple pour la mise en œuvre de la res- ponsabilité de l’administration fiscale, également. Cette décision incitera incontestablement les véri- ficateurs à mieux cadrer leurs notifications et à ABUS DE DROIT FISCAL : L’ABUS EST-IL TOUJOURS DU CÔTÉ DU CONTRIBUABLE ? Dossier Dossier 52 DROIT & PATRIMOINE N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

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L’abus de droit : perspective générale et encadrement procéduralPar Daniel Gutmann ................................................................................................................................................................... 54

Comparaison internationalePar Pascal Julien Saint-Amand et Hanadi El Hage Sleiman............................................................. 59

Donation de titres préalablement à leur cession et abus de droitPar Pascal Julien Saint-Amand......................................................................................................................................... 62

Abus de droit et démembrement de propriétéPar Pascal Julien Saint-Amand......................................................................................................................................... 72

Apport en sursis d’impositionPar Frank Thiery et Pascal Julien Saint-Amand ............................................................................................ 81

Assurance-vie placement et abus de droitPar Sophie Gonsard et Pascal Julien Saint-Amand ...................................................................................... 87

Donation déguisée et abus de droitPar Muriel Carpon et Pascal Julien Saint-Amand ........................................................................................ 95

PEA et abus de droitPar Muriel Carpon et Pascal Julien Saint-Amand ........................................................................................ 100

S’il est parfaitement justifié que l’administrationfiscale dispose de la possibilité de donner leurvéritable qualification aux opérations fictiveset, même, aux opérations conformes à la réa-

lité présentée, mais poursuivant un but exclusivementfiscal contraire à l’esprit de la mesure invoquée, il estessentiel qu’elle n’abuse pas de ce droit.

À l’heure où les URSSAF se voient désormaisreconnaître également le droit de fonder des redres-sements sur des actes ou des montages juridiquesconstitutifs d’abus de droit (CSS, art. L. 243-7-2,très largement calqué sur l’article L. 64 du Livre

des procédures fiscales), il est essentiel que le contri-buable bénéficie d’une protection équilibrée.

Le rapport relatif à l’amélioration de la sécuritéjuridique des relations entre l’administration fiscaleet les contribuables remis au ministre du Budgetpar le président Fouquet en juin 2008 va en cesens. L’arrêt « Krupa » rendu le 21 mars 2011 parle Conseil d’État, en substituant à la faute lourdela faute simple pour la mise en œuvre de la res-ponsabilité de l’administration fiscale, également.Cette décision incitera incontestablement les véri-ficateurs à mieux cadrer leurs notifications et à

ABUS DE DROIT FISCAL :

L’ABUS EST-IL TOUJOURS

DU CÔTÉ DU CONTRIBUABLE ?

DossierDossier

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renoncer aux redressements volontairement dérai-sonnables, excessifs ou expérimentaux.

Que l’on se comprenne bien, dans certaines situa-tions le contribuable a clairement un comportementabusif et il est souhaitable qu’il soit sanctionné.Mais dans d’autres situations, c’est l’administrationfiscale qui a un comportement abusif et il seraitsain qu’elle le soit également.

Le rappel de l’évolution de la procédure de l’abusde droit dans notre législation précédera un tourd’horizon auprès de certains de nos voisins euro-

péens. Nous aborderons ensuite les principauxdomaines d’expression de l’abus de droit fiscal,qu’il s’agisse de la donation avant cession, dudémembrement de propriété, de l’apport-cession,de certains recours au plan d’épargne en actions,des donations déguisées, ou encore de certainesutilisations de l’assurance-vie.

Pascal Julien Saint-Amand, Notaire associé à Paris, Président du Groupe Althémis

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Par Daniel Gutmann,

Professeur à l’École de droit de la Sorbonne

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L’abus de droit, c’est le règne dela casuistique. Le fait même queDroit & Patrimoine consacre undossier spécial à l’application dela théorie fiscale de l’abus dedroit à la gestion du patrimoinedémontre à quel point le sujet esttouffu et incertain, et le conseilavisé, délicat. C’est l’objet de cepropos introductif que de tenterde dépasser, en embrassantl’abus de droit dans uneperspective théorique ethistorique, ce sentiment decasuistique imprévisible, voire de découragement devant unetechnique de contrôle ducomportement dont la légitimitémême est parfois perdue de vue.

Dans la plupart des cas, certes,l’exercice consistant pour uncontribuable à diminuer sacharge fiscale ne souffre pas

la contestation. Il relève de la simplehabileté, voire de la saine gestionpatrimoniale. Nul ne songe à luireprocher sa prévoyance et son souci,typique d’un bon père de famille, demoduler ou de lisser sa pression fiscale.Selon une formule bien connue d’unjuge américain, il n’existe pas dedevoir patriotique d’augmenter sesimpôts.

En pratique, cependant, la frontièreentre la gestion avisée et l’optimisation« agressive » est souvent ténue. Intui-tivement, on perçoit qu’il y a danscertaines circonstances un véritable« montage ». Le mot est évocateur :ce qui est « monté » n’est pas naturel,c’est une construction qui contientun certain degré d’artifice ou, à toutle moins, de recul et d’élaboration.Or l’artifice attise la méfiance. Joueravec les règles, c’est jouer avec le feu.Lorsqu’on repère du jeu dans le sys-tème juridique, celui-ci vacille sur sesbases. On soupçonne alors celui quile sollicite de vouloir s’en affranchir.Où tracer la frontière entre le joueurinnocent et le joueur pervers ? Il existe fondamentalement deuxtechniques législatives pour répondreà cette question : la première consisteà adopter des règles spéciales « anti-abus » qui identifient un comporte-ment répréhensible et en neutralisentles effets fiscaux ; la seconde consiste,sans préjudice de l’adoption de règlesspécifiques par ailleurs, à se fier à unenotion générale d’abus de droit en luiconfiant un rôle de contrôle diffus del’évasion fiscale.Les règles spéciales « anti-abus » ontun grand mérite. Elles donnent auxacteurs économiques des règles dujeu précises : ceux qui s’y soumettentsont assurés de n’être assujettis àaucune sanction ; ceux qui s’en écar-tent connaissent le risque qu’ilsencourent. C’est l’approche casuis-tique de l’évasion fiscale, si prisée desAnglais. Ces règles ont cependant undéfaut : elles ne permettent pas defaire face à toutes les situations d’évi-tement de l’impôt. De fait, l’imagi-nation des praticiens est fertile etconduit souvent à donner aux parti-culiers et aux entreprises un traind’avance, si l’on peut dire, sur la réac-

tion du législateur. Le respect desconditions légales n’est, dans cesconditions, qu’un brevet trompeurde civisme fiscal. Comment réagir efficacement face àune telle situation  ? La premièreréponse qui vient à l’esprit consiste àmodifier la loi en permettant pourl’avenir à l’administration fiscale decombattre les schémas d’évasion nou-vellement découverts. Commencealors une course-poursuite : le légis-lateur suit la pratique en élaborantune réglementation encore plus pré-cise et détaillée  ; les contribuablesvisés, se sachant démasqués, décou-vrent de nouveaux moyens de passerentre les mailles du filet législatif  ;d’où une nouvelle réaction, toujourstardive, du législateur, etc. Ce petitjeu peut se poursuivre à l’infini, lesfinances publiques faisant les frais dudécalage existant entre l’inventivitédes uns et l’opiniâtreté des autres. On comprend la nécessité d’une autreriposte, reconnaissant les limitesintrinsèques de toute entreprised’énumération précise des compor-tements évasifs. Celle-ci s’articuleautour de l’idée que le droit s’arrêteoù l’abus commence, que l’utilisationfrauduleuse des ressources du systèmejuridique constitue une offensivecontre celui-ci, bref, que la sanctionde la fraude à la loi et de l’abus dedroit constitue un principe généralqui justifie suffisamment la sanctionde ceux qui confondent malice etmalignité. À cet égard, le recours àla théorie de l’abus de droit a unmérite immense : il permet de débus-quer les contribuables qui se croientà l’abri de toute sanction au seul motifqu’ils rendent un hommage de façadeà la législation existante. La force dela théorie réside donc dans son flou.Son efficacité vient de ce qu’elle

Dossier

L’abus de droit :

et encadrement

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embrasse sans limite toutes les formesde comportement déviant. Partant,la théorie de l’abus de droit semblese présenter comme l’aboutissementultime de la technique législative ou,mieux, comme l’expression de cettesagesse intemporelle selon laquelletout ne se peut prévoir, de sorte quetout système a besoin, pour sa propresauvegarde, de garde-fous formulésen termes généraux. La théorie del’abus de droit, ce serait ainsi le refou-lement du juridisme et l’affirmationde la confiance faite à notre Admi-nistration et à nos juges, capables dediscerner, sans le support des textes,les limites de l’acceptable et de l’inac-ceptable. L’utilité d’une règle générale « anti-abus » explique sans nul doute pour-quoi de nombreux États se sont résolusà en adopter une (1). Il est toutefoisintéressant de constater que les défi-nitions de l’abus de droit sont aussinombreuses que les pays qui s’y réfè-

rent. De plus, même lorsque lesconcepts sont très proches, leur inter-prétation par les juges nationaux varietrès substantiellement, de même queles modalités de la répression de l’abusde droit (2). On ne peut cependant sedissimuler que la théorie de l’abus dedroit ne constitue pas un moyen satis-faisant d’endiguer l’évasion fiscale. Sansverser dans un cynisme facile ni dansune critique systématique, il faut rap-peler que l’abus de droit constitue unearme dont l’administration fiscale peutêtre tentée d’abuser, la menace de lasanction pouvant conduire le contri-buable à accepter des redressementsauxquels il ne serait pas soumis spon-tanément. La définition large des cri-tères de l’abus de droit peut égalementfaire craindre que, sous couvert de fairerégner le droit dans ce qu’il a de plusnoble, on aboutisse en réalité à faireprévaloir un certain arbitraire sur lanécessité tout aussi noble de respecterun minimum de sécurité juridique. En

bref, si la théorie de l’abus de droitrévèle que la norme fiscale spéciale nepeut toujours se suffire à elle-même,elle enseigne également que tout cequi peut être prévu à l’avance doitl’être par voie législative et que l’onne saurait faire peser en principe surle contribuable le risque d’une malfa-çon législative. La dissolution de larègle juridique dans les principes géné-raux doit donc être évitée autant que

Notes

(1) V. les comparaisons internationales faitesdans le présent numéro de Droit & Patrimoine.Sur ce sujet, v. également F. Zimmer, Formand Substance in Tax Law, General Report,Cahiers de droit fiscal international, 2002 ; V. Thuronyi, Comparative Tax Law, KluwerLaw International, 2003, Chap. 5 ; C. David,L’abus de droit en Europe, Droit & Écono-mie, nov. 2004, n° 92, p. 14 et s. (2) Pour une démonstration à partir d’unecomparaison franco-allemande, v. S. de Mo-nès, P.-H. Durand, J.-F. Mandelbaum,M. Klein et A. Niemann, Abuse of Tax LawAcross Europe, Part I, EC Tax Review,2010-2, p. 85 et s.

ABUS DE DROIT FISCAL...

perspective générale procédural

Dossier L’abus de droit : perspective générale et encadrement procédural

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possible. Dans ce contexte, il est essen-tiel de conserver à la matière fiscale saprécision, fût-elle rebutante, et de don-ner à la notion d’abus de droit toutela substance technique qui permet d’as-surer un certain contrôle sur son uti-lisation (3).Quels que soient les avantages et lesinconvénients des méthodes permet-tant de lutter contre les abus, unconstat s’impose : le législateur mani-feste un fort attachement à la méthodede la règle générale « anti-abus », dontil a réaffirmé et amplifié la préémi-nence en 2008. L’histoire démontreainsi que la théorie de l’abus de droitn’a cessé de gagner en importance (I),ce qui est d’autant plus nécessaire quele contribuable bénéficie de garantiesencourant la mise en œuvre de la pro-cédure (II).

I – LES LEÇONS DE L’HISTOIRE

L’histoire de la répression de l’abusde droit se caractérise par l’extensioncontinue du champ d’application dela théorie suivie de l’apparition d’unenotion concurrente, la fraude à la loi,et la fusion entre les deux notions quia abouti à la loi actuelle.La répression de l’abus de droit enmatière fiscale est ancienne. Dès leXIXe siècle, la jurisprudence de la Courde cassation faisait ainsi prévaloir, enmatière de droits d’enregistrement,la substance des actes sur leur formejuridique « lorsque la substance d’un acteaussi bien que ses conséquences nécessaireset immédiates protestent contre la qualifi-cation que les contractants lui ont donnée,et qu’il ressort de l’économie de ses dis-positions qu’elles ont été combinées en vuede dissimuler une autre nature de contratqu’on voulait soustraire au droit déterminépar la loi fiscale » (4). C’est ainsi, parexemple, que le juge civil n’a jamaishésité à requalifier un contrat de venteen donation lorsqu’il lui apparaissaitque la dénomination juridique ducontrat (vente) n’était pas conformeà la réalité économique (donation).Le juge administratif adopta égale-

ment très tôt la même approche (5).Du point de vue législatif, la procé-dure de répression des abus de droittrouve son origine dans une loi du13 janvier 1941 (6), reprise dans l’ar-ticle 244 du Code général des impôts(CGI). Ce texte devait ensuite migrervers l’article 1649 quinquies du mêmecode, avant d’être transféré à l’articleL. 64 du Livre des procédures fiscales(LPF). Initialement, la procédure étaitlimitée aux impôts sur le revenu (7).Ce n’était cependant là que le débutd’un mouvement d’élargissementcontinu des impôts concernés et duconcept d’abus de droit lui-même.La répression de l’abus de droit n’aen effet cessé d’étendre son empire àde nouveaux impôts. Elle concernedonc aujourd’hui tous les impôts, etnon plus le seul impôt sur le revenu. Elle n’a cessé, par ailleurs, d’étendreson champ sémantique. Dans sa rédac-tion initiale, l’article L. 64 du LPFdisposait que « ne peuvent être opposésà l’administration des impôts les actes quidissimulent la portée véritable d’un contratou d’une convention ». L’article ajoutaitque « l’administration est en droit de res-tituer son véritable caractère à l’opérationlitigieuse ». Comme on peut le consta-ter, le texte de l’article L. 64 étaitd’application relativement limitée. Ilsupposait l’existence d’une dissimu-lation opérée volontairement par lecontribuable. Cela renvoyait en pra-tique à deux situations : – le cas dans lequel un acte revêtaitun caractère fictif, le contribuable seprévalant d’une situation juridiquenon corroborée par une situationréelle ;– le cas dans lequel le contribuabledissimulait derrière un acte apparentune autre convention réellementvoulue par les parties : nous sommesici davantage en présence d’une situa-tion simulée que d’une situation fic-tive au sens strict, même s’il y a entrefictivité et simulation une différencede degré plutôt que de nature. Onpeut rapprocher de cette simulationconcernant la nature du contrat l’hy-pothèse d’une interposition de per-

sonne, laquelle se caractérise commeune tromperie portant sur l’identitédu redevable réel de l’impôt (8).Il résultait de cette définition restrictivede l’abus de droit que la procédure del’abus de droit n’était pas utilisable sil’administration fiscale ne relevaitaucun acte fictif (9). La jurisprudencedevait pourtant étendre le domaine dela théorie de l’abus de droit bien au-delà de cas de fictivité ou de simulation.L’arrêt cardinal en la matière est unarrêt du Conseil d’État rendu le 10juin 1981, d’où il résulte que l’abusde droit s’applique, non seulement auxopérations ayant « un caractère fictif »mais également, à défaut, à des opé-

Notes(3) En ce sens, v. notre article avec L. Jaillais,Pour une jurisprudence cohérente en matièred’abus de droit, BF Lefebvre n° 5/11.(4) Cass. civ., 20 août 1867, DP 1867, I, p. 337.(5) CE, 12 déc. 1930, Rec. CE 1930, p. 1063.(6) Ainsi que le relève Olivier Fouquet dansl’ouvrage qu’il a consacré avec Noël Chahid-Nouraï à l’optimisation fiscale et à l’abus dedroit (O. Fouquet et N. Chahid-Nouraï,Optimisation fiscale et abus de droit, EFE,1989), le texte de 1941, rendant obligatoire laconsultation du Comité consultatif pour larépression des abus de droit en cas d’abus dedroit, avait été conçu comme une prérogativesupplémentaire permettant à l’administrationfiscale, si elle le souhaitait, d’éluder, grâce àl’avis favorable de ce comité, le fardeau de lapreuve (v. dans le même sens, E. Kornprobst,Abus de droit, J.-Cl. Procédures fiscales, Fasc.375, 1994). C’est ce que révèlent les com-mentaires administratifs faits sur cette loi dansla circulaire n° 2179 du 31 octobre 1941. Lesdispositions de la loi de 1941 furent ensuitereprises par l’article 115 du décret de réformefiscale n° 48-1986 du 9 décembre 1948. (7) À noter, toutefois, que le législateur avait,en matière de droits d’enregistrement, insti-tué en 1925 une amende de 200 % en casd’abus de droit, alors qu’aucun texte ne défi-nissait encore cette notion. La loi de 1941 alaissé en dehors du champ de la procédure derépression des abus de droit les droits d’enre-gistrement (jusqu’à ce que la loi de 1963 les yintègre) mais cela n’a pas empêché la Cour decassation de continuer à valider la poursuitedes abus de droit opérée en ce domaine parl’administration fiscale.(8) V. sur cette distinction, M. Cozian, Lanotion d’abus de droit, in Les grands principesde la fiscalité des entreprises, Litec, 4e éd.,1999, p. 25 et s. (9) CE, 23 févr. 1979, n° 6688.

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rations « qui n’ont pu être inspirées paraucun motif autre que celui d’éluder l’impôtou d’atténuer les charges fiscales que l’in-téressé, s’il n’avait pas réalisé ces opérations,aurait normalement supportées eu égard àsa situation et à ses activités réelles » (10). L’évolution était fondamentale : dés-ormais, donc, le contribuable n’ayantrien dissimulé des opérations qu’ilavait réalisées pouvait encourir lasanction au seul motif qu’il poursui-vait un objectif exclusivement fiscal.La Cour de cassation devait suivre leConseil d’État et adopter la mêmeapproche (11), même si certains arrêtspurent un temps laisser croire qu’elleappréciait l’abus de droit de façon plusrestrictive que son homologue (12). Mais cette extension de la théorie del’abus de droit n’était encore que leprélude à la généralisation de la luttecontre toutes les formes d’évasion fis-cale. Elle devait encore être complétéepar le concept, tout aussi flou que celuid’abus de droit, de « fraude à la loi ».C’est ainsi que la décision « Janfin » (13)du 27 septembre 2006 ouvrit la voieà la sanction d’opérations situées horsdu champ de la théorie de l’abus dedroit (notamment l’utilisation de cré-dits d’impôt) et enrichit par ailleurs lecritère retenu de la référence auxobjectifs poursuivis par les auteurs destextes. L’arrêt « Janfin » entraîna parricochet la modification jurispruden-tielle des critères de l’abus de droit lui-même (14), rendant de ce fait sanscontenu conceptuel la distinction entreabus de droit et fraude à la loi.Il restait à attribuer à l’abus de droitet à la fraude à la loi les mêmes effetsprocéduraux et à les soumettre auxmêmes sanctions  : ce pourquoi lelégislateur prit la plume pour aboutirau texte actuel de l’article L. 64 duLPF, issu de l’article 35 de la loi definances rectificative pour 2008 n° 2008-1443 du 30 décembre 2008.L’abus de droit en ressort articuléautour de deux notions : la « fictivité »et le « but exclusivement fiscal » ducontribuable conjugué à l’irrespectdes objectifs des auteurs du texte. Letexte énonce ainsi qu’« afin d’en res-

tituer le véritable caractère, l’administra-tion est en droit d’écarter, comme ne luiétant pas opposables, les actes constitutifsd’un abus de droit, soit que ces actes ontun caractère fictif, soit que, recherchant lebénéfice d’une application littérale de textesou de décisions à l’encontre des objectifspoursuivis par leurs auteurs, ils n’ont puêtre inspirés par aucun autre motif quecelui d’éluder ou d’atténuer les chargesfiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaientpas été passés ou réalisés, aurait norma-lement supportées eu égard à sa situationou à ses activités réelles » (15).Il est impossible, dans le cadre de cetteprésentation générale des enjeux dela matière, de revenir sur la jurispru-dence récente ayant eu pour effet dedissiper ou d’épaissir par endroits lesbrumes entourant l’actuel article L. 64. Les auteurs du dossier qui sui-vent le font de façon claire et détaillée.Il importe en revanche de rappelerque la contrepartie nécessaire de l’ex-tension du champ de l’abus de droitet des sanctions qui lui sont liéesconsiste en l’octroi au contribuablede garanties fondamentales.

II – EFFETS PÉCUNIAIRES ET PROCÉDURE DE L’ABUS DE DROIT

L’abus de droit expose son auteur à delourdes conséquences financières (A).C’est pourquoi la sanction de l’abusde droit est encadrée par une procédurespécifique (B).

A – Les conséquences financières de l’abus de droit

Comme tout manquement aux obli-gations fiscales, l’abus de droit entraînel’exigibilité de l’intérêt de retard auprofit de l’administration fiscale.L’abus de droit est également punid’une majoration qui s’élève à 80 %du montant des droits éludés. Elle estramenée, depuis la réforme opéréepar la loi de finances rectificative pour2008 précitée, à 40 % lorsqu’il n’estpas établi que le contribuable a eu

l’initiative principale du ou des actesconstitutifs de l’abus de droit ou ena été le principal bénéficiaire (16).Notons cependant que cette réduc-tion de la pénalité paraît curieusementimpossible lorsque le contrat abusifest une fiducie consentie dans uneintention libérale. Dans un tel cas, lasanction est particulièrement rigou-reuse : non seulement le contrat estnul (17), mais l’administration fiscalepeut également « restituer son véritablecaractère à l’opération litigieuse » (18) etdoit infliger une pénalité de 80 % pré-vue spécifiquement pour ce type desituation par le CGI (19).

ABUS DE DROIT FISCAL...

Notes(10) CE, plén., 10 juin 1981, n° 19079, Dr.fisc. 1981, n° 48, comm. 2187, concl. P. Lo-bry. Comp. CE, 5 nov. 1955, n° 22322, Rec.CE tables 1955, p. 696, DF/56 n° 1, doctr.,p. 5, concl. J. Boitreaud, Dupont 1956, p.101, AJDA 1956, II, p. 47, note R. Drago.(11) Cass. com., 19 avr. 1988, n° 86-19.079,Bull. civ. IV, n° 134 ; Cass. com., 9 oct.1990, n° 1111 D, RJF 1990, n° 892 ; Cass.com., 21 avr. 1992, n° 88-16.905, Société Sa-phymo Stel, RJF 1992, n° 10990 ; Cass.com., 21 avr. 1992, n° 90-17.409, Durville,RJF 1992, n° 1091.(12) Cass. com., 10 déc. 1996, n° 94-20.070,n° 2084 P, RMC France, RJF 2/97, n° 186.L’arrêt pouvait laisser accroire qu’un acte nerelevait pas de l’abus de droit lorsqu’il produi-sait des effets juridiques autres que fiscaux.Une telle interprétation reviendrait cepen-dant à priver la notion d’abus de droit detoute utilité, car il en va toujours ainsi.(13) CE, sect., 27 sept. 2006, n° 260050, Ministre de l’Économie c/ Société Janfin, Dr. fisc. 2006, n° 47, comm. 744, concl.L. Olléon, et étude 65, Fraude à la loi et abusde droit, par O. Fouquet, RJF 2006, n° 1583,BDCF 12/2006, n° 156, concl. L. Olléon.Adde P. Dibout, Répression des abus de droiten matière fiscale et principe de fraude àla loi. À propos de l’arrêt du Conseil d’Étatdu 27 septembre 2006, Société Janfin,JCP E 2006, 2820.(14) CE, 28 févr. 2007, n° 284565, Ministrede l’Économie c/ Persicot, Dr. fisc. 2007, n° 386, concl. L. Vallée, note O. Fouquet ;CE, 5 mars 2007, n° 284457, Ministre del’Économie c/ Pharmacie des Chalonges, Dr. fisc. 2007, n° 20, comm. 522, noteO. Fouquet.(15) Pour le commentaire administratif de cetexte, v. Instr. 9 sept. 2010, BOI 13 L-9-10.(16) CGI, art. 1729.(17) C. civ., art. 2013.(18) LPF, art. L. 64 C.(19) CGI, art. 1729, c).

Dossier L’abus de droit : perspective générale et encadrement procédural

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Par ailleurs, en cas d’abus de droit oude dissimulation d’une partie du prixstipulé dans un contrat, toutes les par-ties à l’acte ou à la convention sonttenues solidairement, avec le redeva-ble de la cotisation d’impôt ou de larestitution d’une créance indue, aupaiement de l’intérêt de retard et dela majoration de 80 % (20). Cetterègle permet de rendre solidairementresponsable du paiement le bénéfi-ciaire principal de l’abus, mêmelorsqu’il n’est pas partie à l’acte, cequi n’était pas possible sous l’empiredu droit antérieur à la loi de financesrectificative pour 2008 (21).

B – La procédure de sanction de l’abusde droit

La procédure de sanction de l’abusde droit est spécifique (1°) et exclusivede toute autre (2°).

1°/ Une procédure spécifique

Lorsqu’un redressement est fondé surun soupçon d’abus de droit, certainesgaranties sont offertes au contribuable.La proposition de rectification doitêtre visée par un agent ayant au moinsle grade d’inspecteur départemental.En outre, le litige peut être soumis,à la demande du contribuable, à l’avisdu Comité de l’abus de droit fiscal(CADF). L’administration fiscale doitinformer le contribuable de cette pos-sibilité. Elle peut également soumettrele litige à l’avis du CADF si elle lesouhaite. Le CADF joue un rôle fondamentalen pratique. Ses avis font l’objet d’unrapport annuel et sont publiés àéchéance trimestrielle afin d’éclairerde façon régulière la communauté despraticiens sur les risques engendréspar certaines opérations, dont les avisrendus. Sa légitimité est assurée parsa composition, censée donner unereprésentation complète des compé-tences en matière fiscale et compta-ble (22). Surtout, l’avis du Comité a uneconséquence immédiate sur la suitedu contentieux. En cas d’avis favo-

rable à l’administration fiscale, lacharge de la preuve est renversée etle contribuable est alors obligé dedémontrer qu’il n’a pas commisd’abus de droit.

2°/ Une procédure exclusive de toute autre

Lorsque l’administration fiscale seplace sur le terrain de l’abus de droitsans en respecter la procédure, etnotamment lorsqu’elle n’informe pasle contribuable de son droit de saisirle CADF, le redressement doit êtreannulé. Cette interdiction de l’abusde droit « rampant », selon la formulecélèbre de Jérôme Turot, a été consa-crée dans la décision « Bendjador »rendue en 1989 par le Conseild’État (23). Toutefois, la jurisprudence ulté-rieure (24) a singulièrement réduit laportée de cette théorie en considérantqu’on ne peut annuler la procédurediligentée par l’administration fiscalequi, sans recourir à la procédure del’abus de droit (alors qu’elle aurait pule faire), se fonde, soit sur la théoriede l’acte anormal de gestion, soit surl’inexistence d’une contrepartie réelleà une stipulation, soit sur la nullité del’acte passé par le contribuable. Enbref, dès lors que l’administration fis-cale se fonde avec succès sur un autrefondement juridique que celui del’abus de droit, le grief d’abus de droit«  rampant  » doit être écarté, et cemême si l’administration fiscale auraitpu plaider l’abus de droit. On peutdonc considérer que si la théorie del’abus de droit « rampant » n’a pas dis-paru (25), il est relativement rarequ’elle puisse être invoquée avec suc-cès par le contribuable.

Le dossier que l’on va lire n’est passeulement salutaire pour éclairer lalanterne des praticiens sur la notiond’abus de droit déclinée au travers desmultiples aspects de la fiscalité patri-moniale. Il faut aussi souhaiter qu’ilcontribue à introduire un peu de sécu-rité juridique dans une matière carac-térisée par le pouvoir extraordinaireconféré à l’administration fiscale de

soutenir, sous la menace d’une majo-ration présentant la nature d’une sanction pénale (26) qu’elle infligeelle-même, qu’une opération pro-cède de la fraude et doit donc donnerprise à une imposition autre que cellespontanément acquittée. La théoriede l’abus de droit, conçue pour pro-téger l’égalité des contribuables, doiten effet être définie et encadrée aussiprécisément que possible pour que ladémocratie dont elle procède n’ensoit pas in fine offensée.

Notes(20) CGI, art. 1754.(21) CE, 23 août 2006, n° 262914, Ministrede l’Économie c/ M. Treilhou ; CE, plén., 9 nov. 1990, n° 35185, Ministre de l’Écono-mie c/ Société Gauthier et compagnie, Dr. fisc. 1990, n° 50, comm. 2359, concl.N. Chahid-Nouraï.)(22) La composition du CADF est la sui-vante :– un conseiller d’État, président ;– un conseiller, maître à la Cour descomptes ;– un conseiller à la Cour de cassation ;– un avocat ayant une compétence en droitfiscal ;– un notaire ;– un expert-comptable ;– un professeur des universités, agrégé dedroit ou de sciences économiques.(23) CE, plén., 21 juill. 1989, n° 59970, Dr. fisc. 1990, n° 1, comm. 28, concl. MmeM. Liébert-Champagne ; J. Turot, Réalismefiscal, abus de droit et opposabilité à l’admi-nistration des actes juridiques, ou de l’abus de droit rampant, RJF 8-9/89, n° 998, p. 458et s. (24) V. CE, 9e et 10e ss-sect., 23 nov. 2001, n° 205132, SA Cogedac, Dr. fisc. 2002,n° 13, comm. 281 ; CE, 9e et 8e ss-sect.,29 déc. 1999, n° 196532, SA Gagnepain,et n° 196533, M. Gagnepain, Dr. fisc. 2000,n° 24, comm. 498, concl. J. Courtial.(25) V. par exemple un cas d’application de lathéorie pour neutraliser la requalification parl’administration fiscale d’un apport-cession encession d’exploitation en dehors du cadreprocédural de l’article L. 64 du LPF, CE, 27 juill. 2009, n° 306998, Mme Faillette.(26) V. notamment CE, 27 juill. 2009,n° 295358, Caisse interfédérale de CréditMutuel, RJF 2009, n° 1140, et CE, 17 nov.2010, n° 314291, SCI Ram, RJF 2011, n° 206, décisions faisant usage de la règle dited’« application de la loi pénale la plus douce ».

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 59

L’abus fiscal en droit françaiss’organise autour de deux notionsdistinctes, nous l’avons vu� : le«� but exclusivement fiscal� » et la «� fictivité� ».

Au regard du premier critère, laFrance est assez esseulée. L’idéemême de pouvoir abuser d’undroit est un concept auquelnombre de pays n’adhèrent pas.Ceci les conduit à ne pas incluredans leur droit interne dedispositif spécifique destiné àsanctionner avec forces pénalitésl’utilisation trop «� subtile� » d’un texte ou dans un cadre jugéinapproprié par l’administrationfiscale.

En ce qui concerne le secondcritère, celui de la fictivité, la législation de la plupart de nos voisins européens autorisel’administration fiscale àredonner aux actes leur vraiequalification. Le fisc perçoit alorsles impôts dus sur la base decette requalification. Dans detelles situations, l’application depénalités excédant l’applicationd’un intérêt de retard restecependant rare.

Nous nous arrêterons plus spécifique-ment à titre d’illustration sur la situa-tion en Allemagne (I), en Italie (II)et en Suisse (III).

I – L’ABUS DE DROIT FISCAL EN ALLEMAGNE

A – Champ d’application

1°/ Nature

La notion d’abus de droit fiscal existeen droit allemand et fait l’objet d’unedisposition légale spécifique, le para-graphe 42 de la loi fiscale générale,ou « Abgabenordnung ». L’abus de droitfiscal y est visé par l’expression « Miss-brauch von rechtlichen Gestaltungsmö-

glichkeiten », littéralement « abus deconstructions juridiques légales ».

Ce texte définit l’abus de construc-tions juridiques légales comme lechoix par le contribuable d’uneconstruction juridique inadéquatepermettant l’octroi, pour lui ou auprofit d’un tiers, d’un avantage fiscalnon prévu par la loi.

Il n’y a pas d’abus lorsque le contri-buable prouve que le choix de cetteconstruction juridique a été mis enœuvre pour des motifs non fiscaux.Cette notion a été précisée par la juris-prudence comme une constructionne correspondant pas naturellementaux nécessités économiques de l’opé-

Dossier

Comparaison internationale

Par Pascal Julien Saint-Amand, Notaire associé, Président du GroupeAlthémis et du Groupe internationalpatrimoine & entreprise (GIPE), et Hanadi El Hage Sleiman, Diplôméenotaire, membre du GIPE, avec l’assistance de Hughes Lainé,avocat (pour l’Allemagne), Philippe Frésard, notaire et avocat(pour la Suisse), Frederico Tassinari

et Aurélie Cohadon, notaires (pour l’Italie), membres du GIPE

Dossier Comparaison internationale

60 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

ration. Elle est inappropriée pouratteindre l’objectif économique pour-suivi, car son objet est principalementde diminuer le montant de l’impôtsans être justifiée par un intérêt signi-ficatif autre que fiscal.

En revanche, entre deux solutions fis-cales adaptées au but économiquepoursuivi, le contribuable ne peut sevoir reprocher le choix de la solutionfiscale la plus avantageuse.Notons qu’en droit allemand, l’abusde constructions juridiques légalesn’est pas un détournement de la loifiscale. Ce n’est ni assimilé, ni sanc-tionné comme une fraude fiscale.

2°/ Mise en œuvre

L’abus de droit peut être invoqué parl’administration fiscale envers lecontribuable résident fiscal ou non,pour tous les types d’impôts.

Il n’y a pas de procédure spécifiqued’abus de droit. C’est au cours dutraitement d’une déclaration fiscaleou d’un contrôle fiscal que le vérifi-cateur oppose l’abus de droit pourrefuser une déduction ou pour justi-fier une imposition.

À défaut d’accord du contribuable etde l’administration fiscale, le tribunalest saisi et les juges du fond rendentleur décision en faveur ou en défaveurdu contribuable. Il n’existe pascomme en France de Comité d’abusde droit fiscal pouvant être saisi pourse prononcer sur le bien-fondé de laproposition de redressement de l’ad-ministration fiscale.

B – Sanctions si l’abus de droit est reconnu

La contrepartie d’une définition plussouple de l’abus de droit par la légis-lation fiscale allemande (il suffit quel’acte soit réalisé dans un but princi-palement fiscal, sans autre justificationsignificative) est compensée par uneabsence de sanction spécifique pourréprimer l’abus de droit.

Lorsque l’abus est constaté, la fiscalitéapplicable est celle qui se serait appli-quée en présence d’une constructionjuridique correspondant aux opéra-tions économiques réelles, majoréedes intérêts de retard au taux légal(application du droit commun), maissans pénalité spécifique.

C – Quelques illustrations

Envisageons quelques exemples decas ayant été jugés comme un abusde constructions juridiques légales :– un contrat de prêt à long termeentre parents et enfant par lequel l’en-fant prête à ses parents l’argent qu’ila reçu en donation ;– l’octroi d’un usufruit gratuit à longterme à un enfant par les parents, surun immeuble, suivi d’un contrat debail entre les parents et l’enfant parlequel les parents se restituent le droitd’usage, contre rémunération ;– une donation d’immeuble suivied’un contrat de bail par lequel le dona-teur prend le bien en location ;– l’acquisition par un enfant mineurn’ayant pas d’argent d’un bien pro-fessionnel donné en location à sonpère pour son exploitation profes-sionnelle ;– le paiement d’un salaire longtempsen avance peut être abusif, surtout sile montant est restitué à l’employeursous forme de prêt ;– le rachat d’une coquille vide maisporteuse de reports déficitaires peutêtre abusif (l’intention étant de lesimputer sur les bénéfices ultérieursde l’acquéreur) ;– l’interposition d’une société dansun paradis fiscal lorsque cette sociétén’a aucune fonction économique.

II – ABUS DE DROIT FISCAL EN ITALIE

A – Champ d’application

1°/ Nature

La notion d’abus de droit fiscal, ou« abuso di diritto », existe en droit italien.

Elle permet de requalifier une opé-ration fictive, de même qu’elle permetde neutraliser les effets d’une opéra-tion justifiée par des considérationsprincipalement fiscales.

Issue de la pratique et non d’un textede loi, les contours de cette notionont été peu à peu précisés par la juris-prudence. Selon un arrêt de la Coursuprême de cassation italienne (1), enl’absence de texte de loi, cette notionfondamentale doit être précisée à lalumière de la Constitution italienne,selon laquelle tous les contribuablessont tenus de contribuer aux dépensespubliques à raison de leurs capacitéscontributives (2). 

2°/ Procédure

L’administration fiscale peut invoquerl’abus de droit, mais la charge de lapreuve lui incombe.

Lorsque l’administration fiscale nerespecte pas le droit du contribuabled’apporter les justifications permet-tant de faire échec au redressement,son redressement sera annulé par lestribunaux.

Pour se prémunir contre le risque deredressement, le contribuable disposeen droit italien de la procédure del’« interpello » qui permet au contri-buable préalablement à une opérationde demander à l’administration fiscaleson avis sur un point précis.

B – Sanction

Lorsque les actes juridiques passésgénèrent une « économie abusive d’im-pôt », leur portée peut être neutraliséeet l’opération peut être taxée selonles modalités de taxation qui seseraient appliquées si la constructionjuridique n’avait pas eu lieu.

Notes(1) Cour suprême de cassation italienne, sect.plén., 23 déc. 2008.(2) Constitution italienne, art. 53, al. 1er :« Tutti sono tenuti a concorrere alle spese pubblichein ragione della loro capacità contributiva ».

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 61

La tendance de la jurisprudence estde ne pas appliquer de sanction lorsquela mauvaise foi n’est pas justifiée.

C – Quelques illustrations

Les redressements fondés sur l’abusde droit concernent davantage lesentreprises que les particuliers.Nombre de dossiers en matière d’abusde droit concernent des opérationsde location financière, des cessionsde parts ou d’actions masquant descessions de fonds de commerce.

L’utilisation habile de règles fiscalesn’est cependant contestable quelorsque le contribuable ne peut jus-tifier de motivations légitimes autresque fiscales pour y avoir eu recours.

Même si la jurisprudence est à ce jourplutôt favorable au contribuable, leflou qui entoure l’abus de droit enItalie conduit les professionnels àappeler de leurs vœux la mise en placed’une réglementation plus précise. LeParlement italien étudie actuellementl’opportunité de légiférer en matièred’abus de droit en vue :– d’encadrer cette notion et d’en défi-nir sa portée ;

– de renforcer les garanties du contri-buable dans le cadre de cette procé-dure (l’administration fiscale quisouhaiterait procéder à un redresse-ment sur ce fondement devrait adres-ser une demande préalable aucontribuable aux termes de laquellecelui-ci disposerait d’un délai desoixante jours pour fournir ses expli-cations par écrit) ;– d’écarter toute sanction pénale.

III – ABUS DE DROIT FISCAL EN SUISSE

A – Champ d’application

1°/ Nature

La notion d’abus de droit fiscal existeen droit suisse et permet à l’adminis-tration fiscale de requalifier un acte.Issue de la pratique fiscale, cettenotion a été confirmée par la juris-prudence du Tribunal fédéral, qui aparfois trouvé une assise dans la loi,mais pas nécessairement.

2°/ Procédure

L’administration fiscale peut invoquerl’abus de droit. La charge de la preuvelui incombe.

B – Sanctions�

Il n’existe pas de sanction pénale, maisdes conséquences fiscales en cas derequalification de l’opération exoné-rée d’impôt.

Le contribuable est imposé commesi l’opération litigieuse n’était pasintervenue, en faisant produire àl’opération requalifiée ses effets fis-caux.

Les incidences sociales éventuelles ensont également tirées.

Le cas échéant un intérêt moratoireest dû.

C – Quelques illustrations

En droit fiscal suisse, les gains en capitalportant sur la fortune privée d’uncontribuable résident de Suisse sontexonérés d’impôt sur le revenu auniveau fédéral et cantonal. Enrevanche, les revenus de placementsont imposables. Afin d’éviter l’im-position, les contribuables sont doncparfois tentés de transformer du ren-dement en plus-value.

De telles opérations peuvent êtreattaquées sur le fondement de l’abusde droit. Il en a été ainsi par exempleà l’occasion de la vente par un contri-buable de titres d’une société appar-tenant à sa fortune privée à unepersonne physique ou morale avecfinancement du prix de vente parl’acquéreur au moyen de fonds de lasociété vendue ou au moyen desbénéfices futurs de la société ven-due.

Le redressement peut égalementintervenir en cas de transformationd’une société de personnes en sociétéde capitaux sans respect du délai deblocage de cinq ans. Ce non respectpeut résulter du fait que le contribua-ble récupère des liquidités non impo-sables provenant de la société au seinde cette période (prêt, etc…). �

ABUS DE DROIT FISCAL...

62 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

La perspective de la cession de sasociété par le chef d’entrepriseet la réalisation d’une fraction de son patrimoine, jusqu’alorspeu liquide, peuvent conduirel’entrepreneur à anticiper latransmission d’une partie de sesactifs au profit de certains de ses proches.

Deux solutions s’offrent à lui� : la première consiste à vendre,payer l’impôt sur la plus-value et donner une fraction du soldedisponible� ; la seconde, plusattractive fiscalement, consiste à donner une fraction des titresavant leur cession.

La présentation de l’intérêt fiscalde la démarche (I) précéderal’analyse de l’évolution des posi-tions de l’administration fiscale,

du Comité pour la répression desabus de droit (CCRAD) (aujourd’huiComité de l’abus de droit fiscal[CADF]) et de la jurisprudence (II).

I – INTÉRÊT FISCAL DE LA DÉMARCHE

Dans le régime de droit commun, lacession de titres d’une société soumiseà l’impôt sur les sociétés par un rési-

dent fiscal de France entraîne l’im-position de la plus-value au taux for-faitaire de 19  %, majoré desprélèvements sociaux de 12,3 %.

Lorsque le chef d’entreprise souhaiteensuite transmettre tout ou partie duprix de cession, il doit supporter lesfrais et droits de donation.

Une autre approche consiste pour lechef d’entreprise à donner les titresavant leur cession.Cette démarche permet d’atteindrel’objectif de transmission, tout en amé-liorant l’efficacité fiscale du schéma. Eneffet, la donation « purge » la plus-valuefiscale. Le prix de revient pour le dona-taire est la valeur retenue dans l’acte dedonation, majorée le cas échéant desfrais et droits de donation supportéseffectivement par le donataire.

Illustration

La réforme de la fiscalité patrimonialeen cours réduira sans la supprimerl’intérêt de la démarche.

II – ANALYSE DE L’ÉVOLUTIONDES POSITIONS DEL’ADMINISTRATION FISCALE, DU CCRAD ET DE LAJURISPRUDENCE

Malgré la jurisprudence constante duConseil d’État (2) et de la Cour de cas-sation (3) reprise pourtant dans la doc-trine administrative(4) permettant aucontribuable de choisir entre plusieurssolutions la plus avantageuse au planfiscal, l’administration fiscale ne s’estpas privée d’attaquer des opérationsde donation avant cession sur le fon-dement d’une argumentation souventcontestable. Le CCRAD (aujourd’huile CAD) et la juris prudence tempèrent

Dossier

Donation de titres

à leur cession

Par Pascal Julien

Saint-Amand, Notaire associé à Paris,Président duGroupe Althémis

Cession puis donation Donation puis cession

(valeurs en euros) (valeurs en euros)

Valeur des titres 2 000 000 Valeur des titres 2 000 000

Montant PV 2 000 000 Droits de donation 195 160

Impôt sur la PV 626 000 Solde 1 1 804 840

Solde 1 1 374 000 Montant PV (1) 0

Droits de donation 103 730 Impôt sur la PV 0

Net reçu par les enfants 1 270 270 Net reçu par les enfants 1 804 840

Imposition totale 729 730 Imposition totale 195 160

Imposition en pourcentage 36,5 % Imposition en pourcentage 9,8 %

Écart : 534�570

heureusement largement les ardeursde ladite administration.

Le premier angle d’attaque se fondesur la chronologie des opérations (A),le second sur la réalité de l’intentionlibérale (B).

Le contribuable qui souhaite anticiperla transmission d’une fraction de sonpatrimoine au profit de ses prochespeut ainsi préférer donner les titresavant leur cession, plutôt que de lescéder, d’acquitter l’impôt sur la plus-value puis de donner le solde.

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 63

A – La chronologie des opérations

1°/ La probabilité de la vente à la date

de la donation ne permet pas de justifier

l’abus de droit

Dans une première phase, l’adminis-tration fiscale fondait ses redressementssur l’argumentation chronologiqueconsistant à démontrer que, à la datede la donation, la vente avait une forteprobabilité de se réaliser. Que la dona-tion soit réelle ou que la vente ne soitencore qu’éventuelle lui importaitpeu, l’éventualité suffisait pour attirerses foudres.

L’administration fiscale n’a jamais étésuivie sur ce fondement par leCCRAD. Celui-ci a toujours consi-déré que l’intention libérale et l’an-tériorité de la donation par rapport àla vente suffisaient à écarter l’abus dedroit.

Dans une première affaire (aff. 94-17[5])portant sur la donation de la pleinepropriété de titres avant leur cession,le CCRAD avait débouté l’adminis-tration fiscale en soulignant qu’ellen’apportait pas la preuve de l’absenced’intention libérale des donateurs.

Dans une seconde affaire, danslaquelle les donateurs n’avaient donnéque la nue-propriété des titres et queceux-ci étaient couverts par une pro-messe unilatérale de vente, leCCRAD retint la même position. LeComité souligna qu’au moment dela donation, la promesse n’était pasencore levée par le bénéficiaire. Laquasi-certitude qu’elle le soit auregard des éléments du dossier impor-tait peu. L’administration fiscale, bienqu’ainsi contredite par le CCRAD,poursuivit le contentieux et futdéboutée par le tribunal administratif

de Nice par un jugement du 26novembre 2002 (6). Ainsi, mêmelorsque la vente est très probable aumoment de la donation, l’intentionlibérale suffit pour écarter l’abus.

2°/ La vente doit-elle être considérée

comme parfaite dès l’accord sur la chose

et le prix� ?

L’éventualité de la vente ne permet-tant pas à l’administration fiscale deremettre en cause les effets fiscauxbénéfiques de la donation-cession,celle-ci tenta de remettre en causeson efficacité en invoquant l’inversiondes opérations de donation et de ces-sion.

Selon l’administration fiscale, l’accordsur la chose et le prix valant vente, ladonation ne pouvait purger fiscale-ment la plus-value, lorsqu’elle inter-venait après cet accord (Doc. adm.5 B 622, 10 sept. 1996, n° 31).

On soulignera, en premier lieu, quel’attaque en la matière sur le fonde-ment de l’abus de droit nous sembleerronée, car si la vente est parfaiteavant la donation, l’impôt sur la plus-value est dû, tout simplement. Lecontribuable qui ne l’acquitterait passerait dans la situation de tout contri-buable ne déclarant pas un revenu ouune plus-value qu’il a réalisée et seraitredevable de l’impôt dû, majoré dela pénalité et de l’intérêt de retard.La procédure d’abus de droit noussemble inapplicable dans une tellesituation.

Au cours des dix dernières années, leCCRAD a été saisi à de nombreusesoccasions dans des affaires dans les-quelles l’administration fiscale consi-dérait que la cession des titres étaitparfaite avant la donation.

Le CCRAD a ainsi été saisi dès 2002de quatre affaires de donation de titresdont la cession était soumise à la réa-lisation de conditions suspensives,c’est-à-dire qu’elle dépendait « d’unévénement futur et incertain (…)  »(C. civ., art. 1168). Du point de vuecivil, « la condition accomplie a un effetrétroactif au jour auquel l’engagement aété contracté » (C. civ., art. 1179). Dupoint de vue fiscal, en revanche, lacondition ne rétroagit pas. C’est à la

Notes(1) Les frais et droits étant supposés supportéspar les donataires, ceux-ci constateront unemoins-value de 195 610 euros qu’ils pourrontimputer sur des plus-values mobilières. Il enrésultera en cas d’imputation un gain de :31,3 % X 195 610 = 61 085 euros. (2) Dans certains cas, les contribuables ont lapossibilité de choisir entre plusieurs solutionspour réaliser une opération déterminée. Lefait qu’ils optent pour la solution la plus avantageuse au plan fiscal ne permet pas deconclure à l’abus de droit s’il apparaît que lesactes juridiques sur lesquels repose cette solu-tion sont conformes à la réalité (CE, 7e et 9e

ss-sect., 16 juin 1976, n° 95513, RJF 9/76, n° 399).(3) La Cour de cassation a jugé qu’à défaut de fictivité des actes litigieux, l’existence depréoccupations fiscales de la part des parties,licites en elles-mêmes, ne pouvait être rete-nue que si elles constituaient la justificationexclusive de l’opération (Cass. com., 19 avr.1988, n° 86-19079, Donizel, RJF 2/89, n° 250, Bull. cass. n° 134, 1988, p. 95 BOI 13 L-9-88 ; v. dans le même sens, Cass.com., 24 avr. 1990, n° 556 P, Heimburger,RJF 6/90, n° 767). (4) Doc. adm. 13 L 1531, n° 20 : « Dans cer-tains cas, les contribuables ont la possibilité de choi-sir entre plusieurs solutions pour réaliser une opéra-tion déterminée. Le fait qu’ils optent pour la solu-tion la plus avantageuse au plan fiscal ne permetpas de conclure à l’abus de droit s’il apparaît que les actes juridiques sur lesquels repose cette solutionsont conformes à la réalité (CE, 16 juin 1976, n° 95513) ».(5) CCRAD, aff. 94-17, BOI 13 L-3-95, 22 mars 1995, ainsi que aff. 97-18, BOI 13-4-98, 13 mars 1998.(6) TA Nice, 26 nov. 2002, nos 98-4015, 99-4472 et 99-4772, RJF 4/03, n° 473.

ABUS DE DROIT FISCAL...

préalablementet abus de droit

Dossier Donation de titres préalablement à leur cession et abus de droit

64 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

date de réalisation de la dernièrecondition que la cession devient défi-nitive et c’est à cette date que l’on seplace pour déterminer s’il y a uneplus-value imposable (CE, 7e et 8e ss-sect., 11 avr. 1973, n 81154,Dupont 1973, p. 267). La même règles’applique en matière de droits d’en-registrement (CGI, art. 676).

Dans l’une des affaires, la donation avaitété réalisée avant que la dernière condi-tion ne soit réalisée (aff. 2002-17). Ils’agissait de la transformation d’unesociété à responsabilité limitée ensociété anonyme. Le CCRAD a relevéque la donation était intervenue avantque la vente ne devienne parfaite et ena logiquement tiré la conclusion quele redressement de l’administration fis-cale était infondé.

Dans les affaires 2002-15 et 2002-15bis, les avis du CCRAD ont soulignéque la donation était intervenue aprèsque la dernière des conditions suspen-sives a été réalisée. Le CCRAD en aconclu que l’administration fiscale étaitfondée à engager le redressement surle fondement de l’abus de droit. Or ladate d’inscription de la cession sur lestitres de la société était postérieure àcelle de la donation, et depuis la loin° 81-1160 du 30 décembre 1981 etl’ordonnance n° 2004-604 du 24 juin2006, les valeurs mobilières sont déma-térialisées et c’est l’inscription en comptequi matérialise le transfert de propriété.

Dans l’affaire 2002-16, il s’agissait dela même opération que celle visée dansl’affaire 2002-17 ci-dessus, mais pourun autre associé. À l’inverse de l’affaire2002-16, la position de l’administra-tion fiscale fut confortée par le Comité,car la donation avait été réalisée pardon manuel et non par donation nota-riée. Le CCRAD souligna l’absencede date certaine antérieure à la réali-sation de la dernière des conditionssuspensives. Dans ce dossier, l’enre-gistrement du don manuel n’est mêmeintervenu qu’après la cession des titres.Il convient de souligner à cet égard

une pratique à bannir consistant pourcertains contribuables à n’enregistrerfiscalement le don manuel qu’après lacession effective des titres afin de seréserver la possibilité jusqu’au derniermoment de ne pas donner si la ventene se réalise pas. Dans de telles situa-tions, on ne peut que valider ladémarche de l’administration fiscaleet le principe du redressement fiscal,puisque la donation n’intervient effec-tivement qu’après la cession. La dona-tion ne peut alors purger fiscalementla plus-value sur titres.

L’analyse de ces quatre affaires meten évidence que, pour le CCRAD,la donation avant toute signature d’unprotocole de cession ou après la signa-ture d’un tel protocole dont toutesles conditions suspensives ne sont pasréalisées au jour de la donation nepeut donner lieu à la constatation d’unabus de droit.

Dès 2004 (v. aff. 2003-14 et 2004-39),confirmée en 2005 (v. aff. 2004-57)puis au cours des années suivantes, laposition du CCRAD a évolué pourconsidérer qu’en tout état de cause,les contestations fondées sur l’enchaî-nement des opérations relevaient dela procédure de droit commun et nonde la procédure de répression de l’abusde droit. En effet, lorsque la cessiondes titres était parfaite avant la cession,l’objet du litige portait sur « des actesnon fictifs auxquels le contribuable donneune qualification impropre ».

La formulation retenue dans l’affaire2004-57 était très claire à cet égard :« le Comité a considéré que la vente étaitdevenue parfaite antérieurement à la dona-tion et que l’administration, s’agissant del’imposition de la plus-value, était fondéeà faire usage de la procédure contradictoirede droit commun. Mais s’agissant de l’in-terprétation d’actes non fictifs auxquels lecontribuable donne une qualification impro-pre, et conformément à ses précédents avisn° 2003-14 et 39, le recours à la procédurede répression des abus de droit n’apparaîtpas nécessaire.

En conséquence, le Comité a émis l’avisque l’administration n’était pas fondée àmettre en œuvre la procédure prévue parl’article L. 64 du Livre des procédures fiscales ».

À notre connaissance, la jurisprudencen’a pas eu à se prononcer sur le bien-fondé du choix de la procédure d’abusde droit par l’administration fiscale encas de cession devenue définitive avantla donation. En revanche, les juges dufond ont confirmé que la simple éven-tualité de la cession, indépendammentde la probabilité qu’elle se réalise, nepermettait pas à l’administration fiscalede contester l’opération de donationavant cession. Dans un jugementrendu par le tribunal administratifde Nice notamment (TA Nice,26 janv. 2002, nos 98-4015, 99-4771et 99-4772, Chabert, RJF 04/03,n° 473), le tribunal débouta l’admi-nistration fiscale aux motifs suivants :« considérant qu’il résulte de ces stipulationsque seule Madame Chabert apparaît irré-vocablement engagée par sa promesse », ils’agissait d’une promesse unilatéraleet non d’une promesse synallagma-tique de vente, « la cession n’étant pascertaine à la date de la donation ».

Cette position fut également retenuepar le tribunal administratif d’Orléansdans un jugement du 24 septembre2002 (TA Orléans, 24 sept. 2002,n° 99-2109, Miramont, RJF 04/03,n° 472), à propos d’une affaire où lavente de l’immeuble donné était inter-venue deux jours après la donation auprofit d’acquéreurs que les donateursconnaissaient antérieurement.

En conséquence, au regard de la chro-nologie des opérations, lorsque lavente est en cours au jour de la dona-tion, mais qu’elle n’est pas définitive,l’opération n’est pas contestable.Lorsqu’elle est définitive antérieure-ment à la donation, un redressementpeut intervenir, mais sur le fondementde la procédure contradictoire dedroit commun et non sur le fonde-ment de l’abus de droit.

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Le risque d’abus de droit lié à la chro-nologie des opérations s’est estompé,d’où le renforcement des attaques del’administration fiscale sur le défautd’intention libérale.

B – Le défaut d’intention libérale

Plus d’une dizaine d’affaires ont étéexaminées par le CCRAD entre 2004et 2011. Dans ces affaires, l’adminis-tration fiscale avait remis en cause lesopérations de donation avant cessionen estimant qu’au regard des clauseset conditions assortissant la donation,les donateurs avaient en réalité gardéla disposition du produit de la vente.

Même si l’essentiel des affaires ana-lysées par le CCRAD a concerné desdonations de titres (1°/), certains dos-siers ont porté sur des donations d’im-meubles avant leur cession (2°/). Laposition de la jurisprudence est assezproche de celle du CCRAD, disso-ciant la conservation de pouvoir et laréappropriation de l’actif (3°/).

1°/ Donation avant cession de titres

Selon le CCRAD, l’abus de droit n’estcaractérisé que lorsque l’administrationfiscale démontre une réappropriationeffective des fonds par le donateur.L’analyse des avis rendus au cours desdernières années met en évidence ladistinction du «  pouvoir  » et de«  l’avoir  ». En d’autres termes, leCCRAD reprend systématiquementl’administration fiscale lorsque celle-ciconteste l’intention libérale au motifque les donateurs ont grevé ces dona-tions de charges et conditions oulorsqu’à la suite de la donation des rem-plois conjoints sont réalisés en démem-brement de propriété. Les affairessuivantes en sont quelques illustrations.

a) Conservation de pouvoirsétendus par les donateurs, maissans réappropriation

Dans l’affaire 2004-40, le contribua-ble avait donné à ses trois enfants lanue-propriété d’une partie des titres

de la société anonyme lui appartenant.Deux jours plus tard, les enfantsavaient cédé la nue-propriété des titresdonnés concomitamment à la cessionpar le père de l’usufruit. Le prix decession démembré était ensuite virésur trois comptes démembrés. Deuxmois plus tard, trois contrats de capitalisation étaient souscrits endémembrement de propriété. Uneconvention familiale était conclueentre l’usufruitier et les nus-proprié-taires :– permettant à l’usufruitier de choisirseul les supports de gestion financière(le nu-propriétaire retrouvant laliberté de choisir les supports au décèsde l’usufruitier ou de son conjointayant bénéficié de la réversion de cetusufruit) ;– interdisant aux nus-propriétaires deprocéder à un rachat total ou partielsans autorisation de l’usufruitier ;– permettant à l’usufruitier de pro-céder seul à un rachat de l’excédentdu placement par rapport au montantnet investi avec un minimum de 7 %par an de ce montant net investi parannée d’existence du contrat.

Selon le CCRAD, la donation étaitantérieure à la cession et l’intentionlibérale du donateur était indiscutable,l’abus de droit n’était donc pas carac-térisé.

Dans l’affaire 2004-68, le contribua-ble avait procédé à la donation destitres d’une société pour partie ennue-propriété et pour partie en pleinepropriété. Les titres avaient été cédésdeux mois et demi plus tard. L’admi-nistration fiscale a remis en cause ladonation des actions préalablement àleur cession, en invoquant leur butexclusivement fiscal et l’absence d’in-tention libérale en raison : – du remploi du prix de cession dansla souscription au capital de la sociétécivile avec report du démembrementsur les parts de la société ;– de l’absence totale de vie juridiquede la société civile et des conditionset obligations énoncées dans l’acte

constitutif de ladite société qui doi-vent être regardées comme restrictivesdes droits et prérogatives normale-ment dévolus au nu-propriétaire(donataires).

Le Comité a rejeté l’argumentationde l’administration fiscale et considéréque le caractère irrévocable de ladonation ne saurait être remis encause, au cas particulier, par le remploidu produit de la cession des actionsdémembrées dans la souscription ducapital d’une société civile dont lesparts sont elles-mêmes démembréeset dans laquelle les donateurs disposentde tous les pouvoirs. L’administrationfiscale n’établissait pas que ce remploiavait été imposé aux donataires,majeurs, par les donateurs (l’apportet le report du démembrementn’étaient pas prévus dans l’acte dedonation), ni que ces derniers s’étaientréapproprié les fonds précédemmentdonnés. Le Comité a considéré enconséquence que l’abus de droitn’était pas caractérisé.

Dans l’affaire 2005-8 (v. Rapp.CCRAD 2006, BOI 13 L-1-07,3 avr. 2007), le contribuable avaitdonné des titres en toute propriété eten nue-propriété à ses enfants. Cettedonation avait été accompagnée d’unmandat au profit de la donatrice usu-fruitière lui permettant de vendre lestitres démembrés et de remployer leprix de cession sur tout support deson choix. De plus, les donatairesavaient pris l’engagement en cas decession des titres d’apporter le prixde cession à une société civile. Enfinl’acte de donation était accompagnéde clauses classiques : réserve du droitde retour en cas de décès du donataireavant le donateur et clause d’inter-diction d’aliéner sous peine de révo-cation de la libéralité.

Les titres donnés ont été vendus deuxmois plus tard, puis le prix de cessiona été crédité sur un compte jointouvert au nom de chaque nu-pro-priétaire et de l’usufruitière.

ABUS DE DROIT FISCAL...

Dossier Donation de titres préalablement à leur cession et abus de droit

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Après avoir constaté que la donationdes actions était antérieure à la cession,le CCRAD a validé l’intention libé-rale en soulignant que les différentesclauses et conditions assortissant l’actede donation n’avaient pas eu poureffet de rendre celle-ci fictive etn’avaient pas davantage restreint lesdroits des nus-propriétaires au pointd’aboutir à une réappropriation parl’usufruitier des biens précédemmentdonnés.

Les affaires 2005-21 et 2005-22 (Rapp.CRAD 2006, BOI 13 L-1-07, 3 avr.2007) sont assez proches de la précé-dente. Le donateur avait consenti unedonation de titres à ses enfants pourpartie en pleine propriété et pour partieen nue-propriété. Un pacte adjoint audon manuel précisait que la libéralitéétait assortie de plusieurs clauses etconditions limitant les actes de dispo-sition des nus-propriétaires. À la suitede la cession, le produit de la cessionavait été apporté à une société civileréservant des pouvoirs étendus à l’usu-fruitier. L’administration fiscale aconsidéré que les restrictions substan-tielles portées aux droits des nus-pro-priétaires par le pacte adjoint et par lesstatuts de la société civile caractérisaientla fictivité de l’intention libérale dudonateur.

Le Comité, pour sa part, a constatéque la donation des actions avait bienété consentie avant que leur cessionne devienne parfaite. Il a ensuiteconsidéré que les différentes clauseset conditions assortissant l’acte dedonation n’avaient pas eu pour effetde rendre celle-ci fictive et que lecaractère irrévocable de la donationne saurait être remis en cause, au casparticulier, par le remploi du produitde la cession des actions démembréesdans la souscription du capital d’unesociété civile dont les parts sont elles-mêmes démembrées et dans laquellele donateur dispose de pouvoirs res-treignant à son profit les prérogativesattachées aux droits des nus-proprié-taires, l’administration fiscale n’éta-

blissant pas que le donateur se seraitainsi réapproprié les fonds précédem-ment donnés. Le Comité a donc émisl’avis que l’administration fiscalen’était pas fondée à mettre en œuvrela procédure prévue par l’article L. 64du Livre des procédures fiscales (LPF).

Le redressement soumis au CCRADdans l’affaire 2006-11 apporte des élé-ments de réflexion complémentaires.Dans cette affaire, la donation réaliséeen 2000 par les parents à leurs enfantsportait à la fois sur les titres d’unesociété à prépondérance immobilièreet sur des valeurs mobilières.

L’acte comportait une clause de rem-ploi stipulant qu’en cas de cessionsimultanée de l’usufruit et de la nue-propriété des titres : – le droit d’usufruit dont jouissent lesdonateurs serait reporté sur le prix decession ;– les biens acquis en remploi du prixde cession seraient grevés de l’usufruitdes donateurs et appartiendraient ennue-propriété aux donataires ;– les donateurs auraient la liberté deprocéder à tout remploi qu’ils juge-raient opportun.

Peu après la donation, donateurs usu-fruitiers et donataires nus-proprié-taires avaient cédé l’ensemble des titrespossédés tant en nue-propriété qu’enusufruit et avaient conventionnelle-ment réitéré la clause de remploi pré-vue dans l’acte de donation. Ils avaientensuite décidé le réinvestissement dessommes retirées de la cession des titresdémembrés dans des contrats de capi-talisation et fixé les conditions danslesquelles les donateurs usufruitierspouvaient procéder au rachat partiel,voire total, des contrats de capitali-sation, c’est-à-dire au versement anti-cipé de tout ou partie de l’épargneconstituée au titre desdits contrats.

L’administration fiscale avait consi-déré que les différentes clauses deremploi et de rachat permettaient auxdonateurs usufruitiers de disposer

librement des fonds réinvestis et dese réapproprier les produits de cessionsdes biens précédemment donnés.

L’analyse du Comité est intéressanteà un double titre.

En premier lieu, le CCRAD confirmesa position selon laquelle il convientde distinguer le «  pouvoir  » etl’« avoir ». L’extension des pouvoirsn’est pas de nature à remettre en causel’intention libérale. Au cas présent,la convention de remploi permet àl’usufruitier de disposer d’un quasi-usufruit, puisqu’il peut souscrire descontrats de capitalisation et procéderau rachat total ou partiel des ditscontrats et qu’il est parallèlementredevable d’une créance de restitutionde même montant à l’égard des nus-propriétaires donataires. Dans cesconditions, le Comité estime que lesclauses de remploi et de rachat n’ontpas restreint les droits des nus-pro-priétaires au point d’aboutir à uneréappropriation par l’usufruitier desbiens précédemment transmis et quecette donation participe donc d’uneréelle intention libérale.

En second lieu, le Comité observe,s’agissant des titres de la société à pré-pondérance immobilière, que la plus-value de cession relève du régimefiscal des plus-values immobilières.L’impôt sur la plus-value qui auraitété exigible en l’absence de donationaurait été moins élevé que le montantdes droits de donation effectivementacquittés lors de la transmission de lanue-propriété de ces titres. Qu’il s’en-suit qu’en l’absence d’intérêt fiscal àl’opération, la donation de la nue-propriété des titres de cette sociétén’entrait pas dans le champ de la pro-cédure de répression des abus de droit.Cette remarque est tout à fait instruc-tive, bien que pour le moins discu-table. Instructive, car il semblerait,selon le Comité, qu’il suffise que lemontant des droits payés lors de l’actede donation soit supérieur à l’impôtsur la plus-value purgé par la donation

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pour faire échec à la procédure derépression des abus de droit, puisquel’application des textes ne serait pasinspirée par le motif « d’éluder ou atté-nuer la charge fiscale ». Discutable, carla donation peut certes déclencherune fiscalité supérieure à celle liée àla constatation de la plus-value, maiselle a un autre effet, il s’agit de latransmission du patrimoine. En d’au-tres termes, pour apprécier l’intérêtfiscal de l’opération pour le contri-buable, il semblerait plus puriste decomparer le coût de la donation àl’impôt de plus-value majoré du coûtde la transmission ultérieure par dona-tion ou succession.

Toutefois, en faveur de la positiondéfendue par le Comité et dès lorsque l’administration fiscale attaque surle fondement de l’absence d’intentionlibérale et donc de conservation duproduit de la cession par le donateur,comparer les droits de donation auseul impôt de plus-value a du sens. Ladémarche de la donation, si elle laisseun prix de cession net après impôt dedonation moindre qu’après impôt surla plus-value, n’a pas « atténué » lacharge pour le contribuable.

Après avoir souligné que la donationportant sur la nue-propriété des titresde la société à prépondérance immo-bilière et celle portant sur la sociétéd’exploitation n’e sont pas liées entreelles, le Comité relève que, eu égardau montant des droits d’enregistre-ment acquittés, la donation avant ces-sion de la nue-propriété des titres dela société d’exploitation présentait unintérêt fiscal et qu’en conséquence lasincérité de la libéralité portant sur lanue-propriété de ces titres devait êtreexaminée isolément. L’intention libé-rale ne pouvant être remise en causesur le fondement de la conservationde certains pouvoirs par l’usufruitier,le Comité écarte le bien-fondé duredressement sur l’abus de droit.

Dans une affaire soumise au CCRADla même année (aff. 2006-18,

BOI 13 L-6-07, 16 oct. 2007), leComité fait droit aux prétentions ducontribuable alors même que les pou-voirs réservés au profit du donateurusufruitier sont encore plus étendus.Un couple a procédé à la donation dela nue-propriété de titres au profit deses enfants postérieurement à la signa-ture d’une promesse de vente portantsur ces titres assortie de diverses condi-tions suspensives. L’acte de donationfait interdiction aux enfants de vendreles titres à une personne autre que lasociété bénéficiaire de la promesse.Pour les titres donnés avec réserved’usufruit, l’acte comporte, en cas decession des titres, une clause de remploiobligatoire du produit de cession ausein d’une société avec report dudémembrement sur les parts et pou-voirs étendus au profit du père usu-fruitier. Enfin, l’acte de donationprévoit également une convention dequasi-usufruit au profit du père sur leproduit de la vente. Le Comité a sou-ligné que les clauses et conditions dela donation n’ont pas eu pour effet dela rendre fictive. Le caractère irrévo-cable de la donation ne peut être remisen cause par l’obligation de réem-ployer le prix de cession des titres. Demême la clause de quasi-usufruit aubénéfice du père donateur rend sa suc-cession redevable d’une créance derestitution de même montant à l’égarddes enfants nus-propriétaires. Le dona-teur ne s’est donc pas réapproprié leproduit de la donation.

Cette solution paraît particulièrementfavorable, car s’il est clair que l’exis-tence d’une créance de restitution estbien un passif de la succession de l’usu-fruitier, celle-ci étant à l’égard de sesenfants et n’ayant donné lieu à aucunegarantie spécifique, la situation desenfants reste très proche de celle quiaurait été la leur en leur qualité desimples héritiers si la donation suiviede la réserve de quasi-usufruit n’avaitpas eu lieu.

En d’autres termes, et pour faire unparallèle, que penser au regard de

l’abus de droit de la démarche d’uncontribuable qui tous les six ans (bien-tôt dix ans, selon ce que nous annoncele gouvernement) donnerait à sesenfants une créance contre sa succes-sion d’un montant égal aux abatte-ments ? Quelle est, en effet, dans unetelle situation, la réalité de l’intentionlibérale ?

Nous sommes assurément dans cessituations proches des limites, qu’ilconvient à notre sens ne pas appro-cher.

Dans l’affaire 2008-06, la donatricea donné la nue-propriété de titres àses enfants, l’acte de donation conte-nant une obligation d’aliéner à pre-mière demande de la donatrice dansun délai maximal de deux ans et uneobligation de remploi dans des titreseux-mêmes démembrés de manièreà permettre à l’usufruitier d’en per-cevoir les fruits. Peu après la donation,la vente des titres est intervenue parla mère donatrice pour l’usufruit etpar les enfants pour la nue-propriétéau profit d’une société dirigée par lepère. Une convention de quasi-usu-fruit a été conclue au profit de la mèrepostérieurement à la cession.

Le comité relève que les actes s’ins-crivent dans le cadre du règlementpatrimonial du divorce des parents,que la clause de cession obligatoiredes titres donnés et de remploi duprix en l’acquisition de titres eux-mêmes démembrés contenue dans lesactes ne modifie pas l’étendue desdroits des donataires et ne constituepas un procédé de réappropriationdes fonds par la donatrice.

Enfin, il considère que la conclusion,postérieurement à la cession des titres,d’une convention qui anéantit laclause précédente de remploi, en luisubstituant la création d’un quasi-usufruit, a certes modifié la naturedes droits des donataires désormais titulaires d’un droit de créance enrestitution des valeurs frappées du

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Dossier Donation de titres préalablement à leur cession et abus de droit

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quasi-usufruit, et non plus d’un droitréel d’usufruit. Le Comité considèreque le mécanisme ainsi substitué auremploi n’induit pas une réappropria-tion par la donatrice des sommes données, même lorsque, comme enl’espèce, l’usufruitière est expressé-ment dispensée de fournir une cau-tion.

Le Comité a émis en conséquencel’avis que l’administration fiscalen’était pas fondée à mettre en œuvrela procédure dabus de droit.

b) Réappropriation par les donateurs

Lorsqu’à la suite d’une donation detitres en pleine propriété à leursenfants mineurs, les parents donateursprocèdent à leur cession, puis, au lieude verser le prix de cession sur lecompte des enfants donataires, encais-sent le prix de cession sur le comptedes époux donateurs, ils se réappro-prient les biens précédemment don-nés. La position du CCRAD en lamatière est constante ainsi que celaressort de l’analyse des affaires sui-vantes.

Dans l’affaire 2004-44, le contribua-ble a procédé à des dons manuels d’ac-tions en nue-propriété à son épouseet à son fils. Quelques jours après, ila signé un protocole d’accord. À lasuite de la cession le donateur a récu-père sur son compte une fraction duprix de cession. Le Comité a constatéque les donations d’actions ont bienété consenties avant que leur cessionne devienne parfaite. Il a ensuiteconsidéré que seule une partie du pro-duit des titres préalablement donnésavait été appréhendée par le donateurlors de la cession et que cette appré-hension ne pouvait se justifier par uncontrat de prêt non enregistré et quin’avait pas été porté à la connaissancede l’administration fiscale avant ledébut des opérations de contrôle. LeComité a donc émis l’avis que l’ad-ministration était fondée à mettre en

œuvre la procédure d’abus de droit,mais pour ces seules actions dont leprix de cession avait été récupéré parle donateur.

Dans l’affaire 2005-6, le contribuableavait procédé à la donation de la nue-propriété de titres au profit de sesenfants. À la suite de cette donation,les titres ont été cédés, puis le produitde cession des titres donnés aux enfantsa été crédité partiellement sur lecompte du donateur. L’administra-tion fiscale a remis en cause la donationdans son ensemble en invoquantnotamment l’absence d’intentionlibérale en raison de l’appréhensiond’une partie du produit de la ventepar le donateur, et a notifié à ce titreun redressement sur plus-value. LeComité, pour sa part, a constaté queseule une partie du produit des titrespréalablement donnés aux enfantsavait été appréhendée par le donateuret que cette appréhension ne pouvaitse justifier par un contrat de prêt nonenregistré et qui n’avait pas été portéà la connaissance de l’administrationfiscale avant le début des opérationsde contrôle. Le Comité a donc émisl’avis que l’administration était fondéeà mettre en œuvre la procédure prévuepar l’article L. 64 du LPF, mais pourla seule fraction appréhendée par ledonateur.

Dans l’affaire 2005-9, le contribuableavait donné des titres à ses enfants,puis à la suite de la vente avait récupérél’intégralité du prix de vente. LeCCRAD a donc relevé l’absence d’in-tention libérale et validé le redresse-ment fondé sur la procédure derépression des abus de droit.

Dans l’affaire 2006-1, les parentsavaient donné à leurs enfants mineursla pleine propriété de titres, qu’ils ontcédés peu de temps après en mêmetemps que les titres qu’ils avaientconservés. À la suite de la cession, lesparents donateur ont encaissé sur leurcompte l’intégralité du produit de lacession. Le Comité a logiquement

conclu au bien-fondé du redresse-ment fondé sur l’abus de droit.

Dans l’affaire 2007-04, le contribua-ble avait donné à ses enfants mineursdes titres de sa société en pleine pro-priété. Le même jour, les titres donnésavaient été cédés et 95 % du produitde la cession avait été récupéré parles parents donateurs. Le CCRAD aconclu à l’existence d’un abus de droiten raison de l’absence d’intentionlibérale.

Dans l’affaire 2007-27, le contribua-ble avait donné la nue-propriété detitres à ses enfants mineurs en pré-voyant dans l’acte de donation lanécessité pour les nus-propriétairesd’obtenir l’accord de l’usufruitierpour vendre la nue-propriété de leurstitres. Le même jour, une promessesynallagmatique de vente avait étésignée par le donateur usufruitier etpar les nus-propriétaires. Ultérieure-ment, le produit de la cession a étéréinvesti dans des contrats de capita-lisation ouverts en pleine propriétéau nom du père pour l’un et de lamère pour l’autre. Les contribuablesont invoqué l’erreur et ont annulé lasouscription initiale pour souscrire endémembrement de propriété. Cettemodification est intervenue antérieu-rement à la notification de redresse-ment, mais postérieurement àl’entretien au cours duquel le vérifi-cateur a exposé aux contribuables lesraisons pour lesquelles les contratssouscrits initialement n’étaient pasconformes à la donation-partage ainsique les conséquences fiscales de cetteanalyse.

Le CCRAD a constaté qu’il y avaiteu réappropriation par l’usufruitier,et son épouse, des biens précédem-ment transmis et qu’en conséquenceil y avait abus de droit.

2°/ Donation avant cession d’immeubles

Si généralement les opérations dedonation avant cession concernentdes titres de société, elles peuvent

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également porter sur des immeubles.Dans ce cas également, le dessaisisse-ment du donateur doit être irrévo-cable afin que la donation ne soit pasentachée de fictivité. L’intention libé-rale doit être réelle. Le prix de ventene doit pas pouvoir être appréhendédirectement ou indirectement par ledonateur. C’est à l’administration fis-cale qui invoque l’abus de droit d’enrapporter la preuve.

Dans l’affaire 2007-26, une contri-buable détenait la nue-propriété d’unbien immobilier suite à la donationqui lui avait été faite par ses parentsen 1994. L’usufruit du bien étaitconservé par les parents donateurs.En 2003, cette contribuable donnacette nue-propriété à ses enfants.

Le même jour, l’immeuble a été cédé.Aucune plus-value de cession n’a étédégagée pour les nus-propriétaires,le prix de cession de la nue-propriétéétant le prix sur lequel les droits avaientété calculés. Aucune plus-value decession imposable ne fut constatéepour les usufruitiers en raison du délaide détention. Constatant que la mèredes enfants donatrice de la nue-pro-priété avait encaissé personnellementle produit de la cession devant reveniraux nus-propriétaires, l’administra-tion fiscale a mis en œuvre la procé-dure de répression des abus de droit,afin d’écarter comme ayant été passédans un but exclusivement fiscal l’actede donation de 2003 et de rétablirl’imposition sur la plus-value quiaurait été exigible en son absence.

Le CCRAD a constaté que la donatricede la nue-propriété avait encaissé per-sonnellement les sommes devant reve-nir aux nus-propriétaires et les avaitutilisées entre 2003 et 2006. Le Comitéen a conclu à l’absence d’intentionlibérale justifiant le redressement fiscalsur le fondement de l’abus de droit.

3°/ Position de la jurisprudence

La fictivité de l’intention libérale setraduisant par la réappropriation par

le donateur de tout ou partie du prixde cession des actifs donnés a toujoursété sanctionnée avec sévérité par lesjuges du fond. Le jugement rendu parle tribunal administratif de Toulousele 21 mai 2002 (TA Toulouse, 21 mai2002, n°  97/1328, RJF 11/02,n° 1292) en est une parfaite illustra-tion. À la suite de la donation de titreset de leur cession par les donataires,le donateur avait récupéré une partiedu prix de cession sur son comptepersonnel sans que ce mouvement defonds pût être justifié par une conven-tion de prêt antérieure au contrôlefiscal (acte authentique ou sous seingprivé dûment enregistré pour acquérirdate certaine et être opposable à l’ad-ministration fiscale). Fort logique-ment, le tribunal a constaté la fictivitéde l’intention libérale et validé leredressement fondé sur l’abus de droit.

La même rigueur a été retenue enmatière de donation avant cessiond’un bien immobilier. Deux épouxavaient fait donation à leurs quatreenfants d’un immeuble. L’acte dedonation ne comportait pas de claused’interdiction d’aliéner ni de réserved’usufruit. Deux jours après la dona-tion, le bien a été cédé et le prix decession remployé dans le capital d’unesociété civile immobilière constituéeentre les donataires pour acquérir unnouvel immeuble. Les juges du fond(TA Orléans, 24 sept. 2002, n° 99-2109) ont jugé que l’abus de droitn’était pas constitué, l’intention libé-rale étant réelle.

La solution rendue dans l’affaire « Bel-lemare » jugée par le tribunal admi-nistratif de Versailles le 20 novembre2007 (TA Versailles, 20 nov. 2007,n° 06-3231, RJF 11/08, n° 1231 ;M. Iwanesko, Donation de titres ennue-propriété, cession de titres et rem-ploi par souscription de contrats decapitalisation démembrés  : abus dedroit ou optimisation ?, BPAT 2009,4/09 Inf. 143) reste sur la même lignedans une affaire dans laquelle les dona-teurs usufruitiers avaient gardé d’im-

portants pouvoirs. À la suite de ladonation de la nue-propriété de titres,ceux-ci ont été cédés conjointementpar le donateur usufruitier et les dona-taires nus-propriétaires. Le produit dela cession a été remployé avec maintiendu démembrement dans l’acquisition de contrats de capitalisation. Uneconvention conclue entre l’usufruitieret le nu-propriétaire permettait à l’usu-fruitier de se faire attribuer la fractioncapitalisée du produit de capitalisation.Le dessaisissement effectif du donateurn’était donc pas remis en cause et laposition de l’administration fiscaleétait indéfendable. Elle fut doncdéboutée purement et simplement.

L’évolution de la jurisprudence aucours des dernières années était doncà la fois puriste et cohérente jusqu’àl’arrêt rendu par la cour administratived’appel de Douai le 16 juin 2009(CAA Douai, 16 juin 2009). Cettedécision approuvant la procédure derépression des abus de droit diligentéepar l’administration fiscale apparaîtmal fondée et peu rigoureuse etconfond allégrement « avoir » et « pou-voir  ». Il est vrai que, par nature,lorsqu’on est contribuable, il ne faitbon être jugé par la cour administra-tive d’appel de Douai, tant ses posi-tions sont alignées sur celles del’administration fiscale (v. notam-ment, CA Douai, 3 juill. 2007, renduen matière de transmission d’entre-prise et d’abus de droit, arrêt cassé parCE, 10e et 9e ss-sect., 7 juill. 2010,n° 309009, Sobrie).

Un rappel des faits ayant donné lieu àl’arrêt du 16 juin 2009 est nécessaire.La contribuable avait apporté en 1997les actions d’une société à une holdingconstituée à cette occasion en vue deregrouper les participations de lafamille. La plus-value constatée lors del’apport fit l’objet d’un report d’impo-sition. Quelques années plus tard, lacontribuable et son conjoint donnèrentà leurs enfants mineurs ou rattachés aufoyer fiscal 110 actions de la sociétéholding sur les 161 qu’ils détenaient.

ABUS DE DROIT FISCAL...

Dossier Donation de titres préalablement à leur cession et abus de droit

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L’acte de donation prévoyait :– une interdiction d’aliéner et de nan-tir les titres donnés pendant la vie desdonateurs, à peine de nullité de ladonation ;– une obligation d’apport à premièredemande des titres à une société fami-liale constituée conjointement entreles donateurs et les donataires dontla dissolution ne pourrait être deman-dée qu’un an après le décès des dona-teurs ;– en cas de vente autorisée par lesdonateurs, une obligation de laisserles sommes en dépôt dans un établis-sement choisi par les donateurs et cejusqu’aux vingt-cinq ans des dona-taires, étant précisé qu’à compter decet âge et jusqu’au décès des donateursles enfants ne pourraient percevoirque les fruits du placement.

Peu après la donation (cinq semaines),les enfants revendirent les parts don-nées au profit d’une société préexis-tante détenue principalement par lamère et minoritairement par le père.Parallèlement, la mère réalisa la mêmeopération sur les titres de la holdingqu’elle n’avait pas donnés.

Le produit de la cession des titresappartenant aux enfants fut porté surleurs comptes bancaires.

L’administration fiscale contestal’opération sur le terrain de l’abus dedroit en invoquant les clauses res-trictives prévues dans l’acte de dona-tion et la proximité chronologiquedes opérations de donation et de ces-sion.

Le tribunal administratif rejeta la qua-lification d’abus de droit. La courd’appel de Douai, au contraire, l’ac-cueillit favorablement, au motif que :– les clauses insérées dans l’acte dedonation privaient les enfants de toutedisposition des titres et même de laperception des dividendes ;–  la cession des titres donnés étaitséparée de la donation par un tropbref délai.

La position retenue par la cour d’appelde Douai ne peut être suivie, mêmesi l’on conviendra que certainesclauses retenues dans l’acte de dona-tion sont assez maladroites.

La position de la cour ne peut êtreretenue, car il est indiscutable que lesactifs avaient réellement été donnéset que les parents ne s’étaient en rienréapproprié le produit de la cession.Ils avaient certes mis en place desclauses de contrôle des actifs donnéset du remploi du prix de cession, dontcertaines sont classiques et d’autresmoins, mais la transmission de la pro-priété était bien réelle. Quant au courtdélai entre la donation et la cession,il serait grand temps que l’adminis-tration fiscale comme certains jugesdu fond comprennent que ce critèrene peut être utilement invoqué. C’esten effet méconnaître la jurisprudenceconstante du Conseil d’État et de laCour de cassation (v. supra) autorisantle contribuable à choisir entre deuxsolutions légales la moins taxée. Pour-quoi diable faudrait-il, lorsque lecontribuable a une réelle intentionde donner, qu’il ne puisse donner lesactifs qu’il détient à ce moment-là(les titres de la société dont la cessionsera réalisée) et qu’il doive transmettrele produit de la cession desdits titresaprès cession ? Devrait-il exister uneobligation de stupidité imposée aucontribuable  ? À ce jour, celle-cin’étant pas prévue par les textes, neserait-ce pas l’administration fiscalequi abuse en tentant de l’imposer aucontribuable ?

Le bref délai entre une donation etune vente ne peut clairement pas êtreretenu en matière d’abus de droit. Demême, l’insertion des clauses clas-siques en matière de donation, tellesque l’interdiction d’aliéner, l’inter-diction de mise en communauté oula clause de retour, ne peuvent êtreretenues comme dénaturant la réalitéde l’intention libérale. L’interdictionde consommer le capital et mêmetemporairement les revenus ne remet-

tent pas en cause le fait que l’actif abel et bien été donné par les parentsdonateurs.

CONCLUSION

La donation avant cession est un puis-sant outil d’optimisation patrimo-niale, qu’il convient d’utiliser avecprudence et modération.

En premier lieu, les objectifs qui doi-vent présider à la décision de donnersont civils et financiers. Il convientde déterminer la fraction du patri-moine que les donateurs souhaitentgarder en pleine propriété, celle surlaquelle ils sont prêts à ne conserverque le droit aux revenus et enfin lafraction qu’ils sont prêts à attribueren pleine propriété au profit des dona-taires.

En second lieu, les donateurs défini-ront l’étendue des pouvoirs qu’ilsenvisagent de conserver sur la fractiondes actifs qu’ils ont décidé de donner : –  l’obligation d’apporter les actifsdémembrés ou le prix de cession ausein d’une société civile familiale, avecdes pouvoirs plus ou moins étendusau sein de la société. Par prudence,le donateur devra veiller à respecterles droits les plus fondamentaux dunu-propriétaire et de l’usufruitier afinde ne pas dénaturer la donation. Ilpourra à cet égard suivre l’évolutionde la jurisprudence de la Cour de cas-sation en matière de répartition desprérogatives entre usufruitiers et nus-propriétaires de droits sociaux. Mêmes’il est permis de renforcer les droitsde l’usufruitier dans une société, lenu-propriétaire ne saurait être privéde tout droit et notamment dudroit de participer aux assemblées,du droit d’information et de certainesdécisions directement liées à la subs-tance de la société (dissolution, liqui-dation fusion, notamment). L’octroide « garanties » au nu-propriétaire,en vue de lui assurer que le capitaldémembré ne sera pas dissipé pendantla durée de l’usufruit, peut judicieu-

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 71

sement contrebalancer le renforce-ment des prérogatives de l’usufruitieren matière de gestion. Enfin, en casde recours à une société civile, ilest impératif que cette dernière aitune vie juridique normale : réunionde l’assemblée au moins une fois paran, reddition de comptes (C. civ.,art. 1846), etc. À défaut, l’adminis-tration fiscale pourrait arguer de soncaractère fictif ;– la mise en place dans le cadre de ladonation de clauses d’interdiction demise en communauté, d’aliéner,d’obligation d’emploi.

L’analyse des positions du CCRADpermet de tirer certains enseigne-ments :– l’apport en société civile familialedu produit de la cession des titresdémembrés avec report du démem-brement de propriété sur les parts dela société ne peut être assimilé à uneréappropriation par le donateur del’actif donné. Il en est ainsi même sil’apport est une obligation prévue parla donation et même si les pouvoirsde l’usufruitier au sein de la sociétécivile, tels qu’ils sont prévus par lesstatuts, vont au-delà des prérogativeshabituelles de l’usufruitier ;– l’existence d’un mandat de venteau profit du donateur usufruitier oul’obligation de céder imposée au nu-propriétaire dans le cadre de la dona-tion ne sont pas non plus de natureà remettre en cause la réalité de l’in-tention libérale ;– l’obligation de remploi dans l’ac-quisition en démembrement d’autresactifs au choix du donateur usufruitierest également validée ;– la souscription en démembrementde contrat de capitalisation avecréserve au profit de l’usufruitier depouvoirs étendus dans le choix desactifs sous-jacents, ainsi que la possi-

bilité de retrait de la capitalisation,n’est pas contestable non plus ; – plus surprenant, même si elle estindiscutable du strict point de vuejuridique, la conclusion d’uneconvention de quasi-usufruit au profitdu donateur usufruitier est égalementconsidérée par le Comité comme nepermettant pas de fonder l’abus dedroit. En effet, le nu-propriétaire dis-pose d’une créance de restitution qu’ilpourra faire valoir contre l’usufruitierà l’expiration de l’usufruit.Est-ce à dire pour autant qu’il convientd’encourager de tels schémas ? Nousne le pensons pas, car nous nous appro-chons alors dangereusement de lalimite de la réalité de l’intention libé-rale, en particulier lorsque l’obligationde remboursement ou de règlementde la créance de restitution ne donnelieu à aucune garantie réelle sécurisantles droits du donataire.

Dès lors que la réalité de l’intentionlibérale est clairement établie (absencede réappropriation des actifs donnéspar le donateur), le donateur veilleraà procéder à la donation avant la réa-lisation de la vente. La solution la plusprudente consiste à procéder à la dona-tion avant même la signature d’un protocole d’accord ou, en matièreimmobilière, d’un compromis oud’une promesse synallagmatique devente. De cette manière, l’adminis-tration fiscale n’a aucune prise pourtenter de défendre que la vente estparfaite. À défaut d’être dans cettesituation idéale, il conviendra de réa-liser la donation avant que les condi-tions suspensives du compromis ou dela promesse ne soient réalisées. Ilconviendra de s’assurer que ces condi-tions ne sont ni potestatives, ni fictives,bien sûr. Enfin, il existe égalementdiverses techniques permettant de dif-férer le transfert de propriété au paie-

ment complet du prix ou de prévoirune formation différée du contrat devente. La loi n° 81-1160 du 30 décem-bre 1981 et l’ordonnance n° 2004-604du 24 juin 2004 relatives au transfertde propriété en matière de valeursmobilières non cotées ont de manièreclaire et définitive clarifié la pro -blématique chronologique (Ord.n° 2004-604, 24 juin 2004). Le trans-fert de propriété s’opérant par inscrip-tion au compte de l’acheteur, les partiespeuvent prévoir dans le contrat de ces-sion de reporter à cette date le faitgénérateur de l’impôt de plus-value.

Par ailleurs, soulignons qu’à défautde donner avant que la vente ne soitparfaite, le risque n’est pas l’abus dedroit, mais le redressement sur le fon-dement de droit commun.

Compte tenu des enjeux, le donateurdoit faire preuve d’un minimum d’an-ticipation et de réflexion en amontde l’opération. Il importe qu’il affineses objectifs  : importance de sesbesoins de capital, de revenus, besoinsdes enfants. À partir de là, une simu-lation chiffrée établie par ses conseilslui permettra de cerner le poids de lafiscalité et le montant des liquiditésnettes dégagées, et ainsi d’apprécierau regard de ses objectifs et de sa situa-tion particulière l’opportunité desopérations envisagées sur le plan tantjuridique que fiscal. Au stade de laréflexion et bien entendu lors de laréalisation des opérations, l’appui deconseils avisés (notaires, experts-comptables, banquiers, conseillerspatrimoniaux, avocats, etc.) apparaîtdonc absolument indispensable. Laréalité des objectifs poursuivis et leurmise en forme par une rédactionhabile et réfléchie constituent desantidotes des plus efficaces à l’abus dedroit fiscal. �

ABUS DE DROIT FISCAL...

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Le démembrement de propriétéest une composante de plus enplus importante de l’organisationpatrimoniale. Cela résulte, nonpas tant de l’intérêt fiscal quepermet une gestion adaptée dudémembrement, que del’adéquation de cette techniqueaux besoins de notre société. Elle s’adapte parfaitement àl’allongement de l’espérance de vie en permettant d’arbitrerun capital contre la perception de revenus futurs complétantutilement des retraitesinsuffisantes. Elle facilite latransmission anticipée au seindes familles par la ventilation des droits et pouvoirs entreusufruitier et nu-propriétaire.

Aux multiples attraits civils etfinanciers du démembrement depropriété s’ajoutant bien souventl’intérêt fiscal, la tentation descontrôleurs des impôts est fortede voir dans tout schémaintelligent un abus de droitrampant.

Nous aborderons ci-après lesproblématiques fiscales sou-levées par l’apport de la nue-propriété d’un bien

immobilier à une société civile suivide la donation de la pleine propriétédes parts (I), ainsi que le démembre-

ment de propriété portant sur l’ac-quisition d’un bien immobilier ou surl’acquisition des parts d’une sociétécivile semi-transparente (II).

I – APPORT DE LA NUE-PROPRIÉTÉ D’UN BIENIMMOBILIER À UNE SOCIÉTÉCIVILE SUIVI DE LA DONATIONDE LA PLEINE PROPRIÉTÉ DES PARTS

Lorsque des parents propriétaires d’unbien immobilier souhaitent en trans-mettre la nue-propriété à leurs enfants,ils disposent de plusieurs solutions :– la donation directe de la nue-pro-priété du bien, suivie de l’apport ounon par les donataires de la nue-pro-priété à une société civile, que cetapport soit réalisé conjointement ounon à l’apport de l’usufruit par lesparents donateurs (schéma 1) ;– l’apport de la pleine propriété dubien à une société, suivi de la dona-tion de la nue-propriété des parts(schéma 2) ;– l’apport de la nue-propriété du bienà une société civile, suivi de la dona-tion de la pleine propriété du bien(schéma 3).

A – Intérêt fiscal

Le régime fiscal de l’impôt sur la plus-value et des droits de mutation à titregratuit dépendra de la solution retenue.

1°/ Impôt sur la plus-value

Au regard de l’impôt sur la plus-valueimmobilière des particuliers, l’apportde la pleine propriété (schéma 2) oude la nue-propriété (schéma 3) dubien à une société civile est une muta-tion à titre onéreux pouvant, le caséchéant, selon la durée de détentionet la valeur d’apport, entraîner la taxa-tion d’une plus-value.

La donation de la nue-propriété desbiens immobiliers (schéma 1) n’en-traîne pas, en revanche, d’impôt surla plus-value. De même, l’apportconsécutif par les enfants de cette nue-propriété à la société civile n’encourtpas non plus d’impôt sur la plus-value,dès lors qu’il est réalisé à la même valeur(ou à une valeur inférieure) à celle dela donation. En cas d’apport conjointde l’usufruit par les parents, cet apportentraînera, en cas de plus-value impo-sable au titre de l’usufruit, l’impôt surla plus-value à la charge des parents.

2°/ Droits d’enregistrement

Au regard des droits d’enregistrement,la donation de la nue-propriété debiens immobiliers est soumise auxdroits de mutation à titre gratuit. Lavaleur imposable est celle de la nue-propriété déterminée par applicationdu barème de l’article 669 du Codegénéral des impôts (CGI).

Les valeurs de l’usufruit et de la nue-propriété sont fixées forfaitairement

Dossier

Abus de droit et

Par Pascal Julien

Saint-Amand, Notaire associé à Paris,Président duGroupe Althémis

Âge de l’usufruitier Valeur de l’usufruit Valeur de la nue-propriété

Jusqu’à 20 ans 90 % 10 %

De 21 à 30 ans 80 % 20 %

De 31 à 40 ans 70 % 30 %

De 41 à 50 ans 60 % 40 %

De 51 à 60 ans 50 % 50 %

De 61 à 70 ans 40 % 60 %

De 71 à 80 ans 30 % 70 %

De 81 à 90 ans 20 % 80 %

À partir de 91 ans 10 % 90 %

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à une fraction de la valeur de la pro-priété entière, à partir du chiffre desdizaines de l’âge de l’usufruitier,conformément au barème ci-après(CGI, art. 669, I). (voir tableau enpage de gauche)

En revanche, l’apport de la nue-pro-priété d’un bien immobilier à unesociété suivi de la donation de la pleinepropriété des parts entraîne l’assujet-tissement de la donation aux droitsde mutation en fonction de la valeurdes parts, c’est-à-dire en fonction dela valeur économique (et non plusfiscale) de la nue-propriété.

Antérieurement au 1er janvier 2004,le barème applicable pour la valori-sation fiscale de la nue-propriété(CGI, art. 762 ancien) était encorebeaucoup plus défavorable que l’ac-tuel barème de l’article 669 du CGIen ce qu’il survalorisait plus encorela nue-propriété par rapport à sa valeurréelle.

Ainsi, pour un bien immobilier de2 000 000 d’euros générant un ren-dement locatif net de charges (horsfiscalité directe) de 6,5 %, détenu parune femme de 61 ans, la valeur fiscalede la nue-propriété du bien aurait étéla suivante selon la méthode de valo-risation retenue.

On le voit, même sur la base du nou-veau barème fiscal prévu par l’arti-cle 669 du CGI, l’écart de valorisationpeut être très significatif et l’onconstate que l’application du barèmefiscal conduit le plus souvent à la taxa-

Valorisation de la nue-propriété

Selon le barème antérieur de l’article 762 1�600�000

Selon le barème fiscal actuel de l’article 669 1�200�000

Selon la valorisation économique 390�000

tion d’une valeur supérieure à la valeurréelle du droit donné.

L’apport de la nue-propriété du bienimmobilier suivi de la donation de lapropriété des parts permet de corrigercette situation et d’évaluer la nue-propriété à sa vraie valeur. Plus le ren-dement du bien est élevé et la duréede l’usufruit longue, plus l’écart entrela valorisation économique et la valo-risation fiscale sera importante.

L’apport de la nue-propriété ensociété n’offre pas d’intérêt particulierau regard de la réduction de droitsdépendant de l’âge du donateur (1).Que la donation porte directementsur la nue-propriété du bien immo-bilier ou qu’elle porte sur la pleinepropriété des parts de la société civiledétenant la nue-propriété du bien, laréduction applicable aux donationsde la nue-propriété s’applique dansles deux cas.

En effet, le taux réduit prévu pourles donations de nue-propriété s’ap-plique à concurrence de la fractionde la valeur des biens transmis repré-sentative, «  directement ou indirecte-

ment », de la nue-propriété des biens(CGI, art. 790, I). Il en résulte que,en cas de donation de droits sociaux,lorsque les titres donnés en pleinepropriété sont partiellement repré-sentatifs de biens démembrés, seulela fraction de la valeur des parts trans-mises représentative de biens dont lasociété a la pleine propriété bénéficiede la réduction de droits au taux plein(Instr. 7 G-5-03).

Mais, le seul fait d’être taxé sur la vraievaleur du bien transmis, grâce à l’ap-port de la nue-propriété avant dona-tion, plutôt que sur sa valeur fiscalethéorique, offre au contribuable unintérêt majeur et somme toute assezlégitime.

Illustration. – Madame Dupont,veuve, ayant deux enfants, décide deleur donner la nue-propriété d’unbien immobilier d’une valeur enpleine propriété de 2 000 000 d’eurosgénérant un revenu locatif de130 000 euros par an, soit un rende-ment locatif de 6,5 %.

Le montant des droits de donationserait le suivant :

ABUS DE DROIT FISCAL...

démembrement de propriété

Valorisation de la nue-propriété Base imposable Droits de donation

Selon le barème antérieur de l’article 762 1 600 000 175 000

Selon le barème fiscal actuel de l’article 669 1 200 000 112 000

Selon la valorisation économique 390 000 7 000

Notes(1) Réduction de droits de 50 % en cas de do-nation de la pleine propriété d’un bien avantle 70e anniversaire du donateur ou 30 % avantle 80e anniversaire, ou encore réduction de35 % des droits en cas de donation de la nue-propriété d’un bien avant le 70e anniversairedu donateur ou 10 % avant le 80e anniver-saire.

L’apport en société de la nue-propriétédu bien immobilier suivi de la donationde la propriété des parts de la sociétépermet ainsi de ne payer les droits dedonation que sur la « vraie valeur trans-mise » et donc de réduire le montantde droits de donation de 112 000 euros(application du barème de l’article 669du CGI) à 7 000 euros (application dela valorisation économique).

Mais le recours à la société civile aégalement de nombreuses vertus sur

le plan civil en permettant notammentune plus grande souplesse dans la ges-tion du bien, la mise en place d’uneclause d’agrément destinée à sécuriser

Dossier Abus de droit et démembrement de propriété

74 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

le caractère familial de la société, unerépartition du pouvoir entre le dona-teur et les donataires ou encore l’ab-sence d’indivision entre les donataires.

B – Apport de la nue-propriété du biensuivi de la donation des parts et abusde droit

L’intérêt fiscal d’une telle structura-tion de la transmission conduit à s’in-terroger sur les risques qu’elle peutprésenter au regard de l’abus de droit.L’apport de la nue-propriété d’unbien immobilier à une société suiviimmédiatement après de la donationde la pleine propriété des titres reçusen échange relève-t-il de l’abus dedroit ou de l’habileté fiscale ?

Pour que l’opération ne puisse êtreremise en cause sur le fondement del’article L. 64 du Livre des procéduresfiscales (LPF), il faut que l’utilisationd’une société interposée ne soit nifictive, ni réalisée dans un but exclusivement fiscal. Il existe uneopposition très marquée entre l’ad-ministration fiscale et le Comitéconsultatif pour la répression des abusde droit (CCRAD), d’une part (1°),et la doctrine et la jurisprudence, d’au-tre part (2°).

1°/ Position de l’administration fiscale

et du CCRAD (aujourd’hui CAD)

À l’occasion de nombreuses affairescaractérisées par l’apport à une sociétécivile de la nue-propriété d’un biensuivi de la donation de la pleine propriété des parts de celle-ci,l’administration fiscale a lancé plusieursprocédures de répression des abus dedroit. L’administration fiscale contestaitparfois la fictivité de l’opération, parfoisle but exclusivement fiscal de celle-ci.

Le CCRAD, devenu depuis Comitéde l’abus de droit fiscal (CAD) depuisle 1er avril 2009, a systématiquementconsidéré que l’apport de la nue-pro-priété de biens immobiliers a unesociété civile avant la donation desdroits sociaux de celle-ci dissimulait la

donation directe de la nue-propriétédes biens en cause afin d’éviter l’appli-cation du barème fiscal (Rapp.CCRAD 1999, aff. 99-8, Dr. fisc. 2000,n° 14, p. 585 et s., spéc. p. 588 ; Rapp.CCRAD 2000, aff. 99-25, 2000-8 et2000-9 ; Rapp. CCRAD 2002, aff.2000-32 et 2002-2 ; Rapp. CCRAD2003, aff. 2003-20, 2003-23, 2003-31et 2003-32, Dr. fisc. 2004, n°  38,p. 1295 et s., spéc. p. 1299).

La même solution a été retenue à l’oc-casion de l’apport de la nue-propriétédes parts d’une société civile à uneautre société civile (Rapp. CCRAD2003, aff. 2003-31), ou encore lorsde l’apport de la nue-propriété d’obli-gations assimilables du Trésor à unesociété ayant pour objet la gestion devaleurs mobilières (Rapp. CCRAD2001, aff. 2000-1), ou lors l’apportde la nue-propriété d’actions et departs sociales à des sociétés anonymesayant pour objet la gestion de valeursmobilières (Rapp. CCRAD 2002,aff. 2001-20).

L’analyse de ces affaires met en évi-dence une conception particulière-ment extensive de la notion d’abusde droit de la part du CCRAD. Eneffet, dans l’intégralité des affaires quilui ont été soumises, le CCRAD avalidé la position de l’administrationfiscale, que la société ait été ou nonimmatriculée au jour de la donation,que la société ait ou non tenu sesassemblées, que la donation ait étéréalisée au profit d’un seul ou de plu-sieurs donataires, qu’elle ait porté ounon sur l’intégralité des parts, et enfinque les parents soient restés ou nongérants de la société.

En d’autres termes, il semble que lesmembres du CCRAD, dans la droiteligne du courant majoritaire des ins-pecteurs des impôts, n’aient pas perçul’intérêt civil pourtant bien réel queprésente le recours à la société civile.

Soulignons enfin que, pour leCCRAD, une société détenant à titre

exclusif la nue-propriété d’un bienserait nécessairement fictive, car inca-pable de fonctionner (CCRAD,aff. 98-3).

Fort heureusement, la doctrine veille(v. notamment, P. Fernoux, « Trans-mettre la nue-propriété d’un immeu-ble par apport à une SCI suivi d’unedonation des parts, c’est possible ! »,JCP E 2002, n° 49 ; « SCI et démem-brement de propriété, Contribuables,résistez ! », Dr. & patr. 1998, n° 60,p. 76  ; P. Julien Saint-Amand,«  Démembrement de propriété,société civile et abus de droit, leretour ! », Dr. & patr. 1998, n° 61,p. 18,; J. Aulagnier, « Usufruit et nue-propriété dans la gestion de patri-moine », éd. Maxima, « 96e Congrèsdes notaires de France », Le patrimoineau XXIe siècle, Lille, 28-31 mai 2000)et a lancé un appel à la raison à l’ad-ministration fiscale.

Si cet appel a été parfaitement entendupar la jurisprudence en ce quiconcerne l’absence de fondement desattaques fondées sur le but exclusi-vement fiscal, il n’a été que partiel-lement suivi sur le fondement de lafictivité.

2°/ Position de la jurisprudence

a) Apport de la nue-propriété,donation et but exclusivementfiscalTrès tôt les décisions de justice ontdébouté l’administration fiscale de sesprétentions de redressement fondéessur la finalité exclusivement fiscale (CABourges, 13 mai 2002, n° 01-974, RJF2/03, n° 240 ; CA Paris, 7 mars 2002,n° 00-19154, RJF 1/03, n° 116, Dr.fisc. 2002, n° 38, p. 1247 ; TGI Créteil,20 juin 2000, n° 00-446, RJF 5/01,n° 721 ; TGI Nanterre, 16 janv. 2001,n° 99-14941, RJF 5/01, n° 270 ; v.également, TGI Albertville, 3 avr.2001, n° 00-791, Ind. enr. n° 18050 ;CA Reims, sect. 1, n° 02-2805, Anto-nel, Ind. enr. n° 18338 ; CA Cham-béry, 17 févr. 2003, n° 01-1161, RJF

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 75

7/03, n° 928, BPAT 4/03, Inf. 69 ;TGI Bobigny, 28 sept. 2004,n° 03/09463, Storchan).

Cette position fut également confir-mée à plusieurs reprises par la Courde cassation (v. notamment, Cass.com., 3 oct. 2006, n° 04-14.272, DGIc/ Botherel, ou encore Cass. com.,26 mars 2008, n° 06-21.944, n° 431FS-D). Dans cette dernière affaire, lasituation était la suivante : un père etses deux enfants avaient constitué dixsociétés civiles immobilières (SCI) ;le père avait apporté la nue-propriétéd’immeubles lui appartenant, lesenfants avaient effectué un apporten numéraire modeste (environ150 euros). Moins de trois mois aprèsla création des SCI, le père fit unedonation-partage à ses enfants detoutes ses parts, sauf une.

Les droits de donation ont été calculéssur la valeur des parts, c’est-à-dire enfonction de la valeur économique dela nue-propriété apportée à la société,très inférieure à celle résultant dubarème fiscal de l’article 762 du CGIalors applicable.

L’administration fiscale avait mis enœuvre la procédure de répression desabus de droit, estimant que les SCIn’avaient aucun fonctionnement réelet que l’opération qui dissimulait ladonation des immeubles n’avait étéréalisée que pour échapper au barèmefiscal de l’usufruit. Les redressementsont été notifiés et mis en recouvre-ment avec application de la pénalitéde 80 %.

Les redressements ont été annulés,car, selon la Cour de cassation, leschéma d’apport-donation n’avait pasune finalité exclusivement fiscale :– la constitution des SCI permettaitau père d’organiser les statuts de lamanière qu’il estimait la plus appro-priée, conservant le contrôle dessociétés et des immeubles ;– la cohésion du patrimoine familialétait maintenue au décès du père, par

la mutualisation entre les deux enfantsdes aléas locatifs et des différences derendement susceptibles d’apparaîtreentre les immeubles, ainsi que par lamise en place d’une procédure d’agré-ment de nouveaux associés ;– après le décès du père, était évitéle risque que le créancier d’un enfantpuisse provoquer le partage judiciairedes biens familiaux et cela, dans uncadre juridique présentant une stabi-lité beaucoup plus grande que dansune indivision successorale (Cass.com., 26 mars 2008, n° 06-21.944,n° 431 FS-D).

Cette position fut confirmée à nou-veau, peu après, par cette même juri-diction (Cass. com., 23 sept. 2008,n° 07-15.210).

Ces différentes décisions ont validél’opération d’apport suivi d’une dona-tion des parts, dans de multiples scé-narios :– donation à un enfant unique ou àune pluralité d’enfants ;– concomitance ou non des opéra-tions ;– détention par la société des seulsbiens détenus en nue-propriété oudétention également d’autres biens ;– apport de la résidence principale oud’un bien de rapport.

b) Apport de la nue-propriété,donation et fictivitéLa jurisprudence a accueilli bien plusfavorablement les attaques de l’admi-nistration fiscale fondées sur la fictivitéde la société.

Le débat est le suivant. Selon l’admi-nistration fiscale, suivie par certainsavis du CCRAD, une société qui nedétiendrait que la nue-propriété d’unbien serait par nature fictive. En effet,l’article 1832 dispose que « la sociétéest instituée par deux ou plusieurs per-sonnes qui conviennent par un contratd’affecter à une entreprise commune desbiens ou leur industrie en vue de partagerle bénéfice ou l’économie qui pourra enrésulter (…) ». Faute de réaliser des

bénéfices, une société qui ne détientque de la nue-propriété ne pourraitavoir pour objet de les partager entreses associés conformément aux exi-gences de l’article 1832 du Code civil.Cette objection ne devrait cependantpas emporter la conviction, car cettelecture de l’article 1832 semble erro-née.

En premier lieu, même si l’on définitle bénéfice comme un gain pécuniaireou matériel qui ajouterait à la fortunedes associés, exiger qu’il procède derevenus serait réducteur. II peut aussirésulter de plus-values qu’à cet égardla nue-propriété, par la nature mêmede ce droit, dégagera plus sûrementque la pleine propriété.

En second lieu, il n’est pas exact dedéclarer que la société détenant desbiens en nue-propriété n’a pas voca-tion à réaliser des bénéfices. La société,en effet, pourra dès l’extinction del’usufruit (par définition temporaire)dégager des bénéfices liés aux biensdont elle détient la nue-propriété.Cette certitude suffirait à elle seulepour ouvrir une perspective de par-tage de bénéfices et satisfaire aux exi-gences de l’article 1832 du Code civil.

Une société détenant la nue-propriétéd’un bien remplit donc parfaitementles exigences de l’article 1832 du Codecivil.

Certains arrêts ont validé l’absencede fictivité de telles sociétés, mais ànotre sens sur un mauvais fondement.Dans deux arrêts rendus par la courd’appel de Bourges, les juges ont ainsirelevé dans des termes à peu près iden-tiques que « les sociétés civiles immobi-lières ont généralement pour objet laconservation et la gestion de biens immo-biliers et que n’exerçant pas d’activité com-merciale, elles n’ont pas vocation à réaliserdes profits (…), qu’il ne saurait donc êtrefait état d’une absence de recettes ou decharges (…)  » (CA Bourges, 2 oct.2000, n° 99-456 ; CA Bourges, 13mai2002, n° 01-974, précité ; ces arrêts

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76 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

ont été cassés par Cass. com., 16 nov.2004, n° 1637 F-D, mais pour unautre motif).

D’autres arrêts ont conclu à la fictivité.La cour d’Appel d’Aix-en-Provencea ainsi relevé qu’une SCI «  n’étaitpas destinée, en réalité, à fonctionnerpuisqu’elle n’était propriétaire que de lanue-propriété des biens » (CA Aix-en-Provence, 27 mai 2003, n° 00-13954).La Cour de cassation a égalementvalidé l’abus de droit à l’occasion d’uneopération d’apport-donation, à raisonà la fois de la fictivité de la société etde la finalité exclusivement fiscale del’opération d’apport-donation (Cass.com., 15 mai 2007, n° 06-14.262,RJF 8-9/07, n° 994).

Par la suite, la Cour de cassation estrevenue à une appréciation stricte del’abus de droit, dont les deux com-posantes sont exclusives l’une de l’au-tre : la fictivité exclut la démonstrationdu but exclusivement fiscal, tandisque ce but ne peut être établi qu’ence qui concerne des actes faits par despersonnes non fictives (Cass.com., 26 mars 2008, n° 06-21.944,n° 431 FS-D). Conformément à cettenouvelle approche, dans un arrêt du13 janvier 2009, la Chambre com-merciale de la Cour de cassation aestimé qu’une SCI qui ne détient quela nue-propriété d’immeubles n’a pasles moyens de remplir son objet social,faute de réaliser des profits et de dis-poser de fonds propres suffisants ; laCour a estimé établie la fictivité dela société et requalifié la donation desparts de la société en donation directedes immeubles dont la nue-propriétéavait été apportée (Cass. com.,13 janv. 2009, n° 07-20.097).

En conclusion, il ressort de l’analysede la jurisprudence que le risqued’abus de droit fondé sur le but exclu-sivement fiscal ne devrait que rare-ment se rencontrer tant l’utilité durecours à la société civile est évidente :possibilité de mieux dissocier le pou-voir et l’avoir, d’organiser la gérance

dans le temps, de substituer la règlede la majorité à celle de l’unanimitéapplicable en matière d’indivision,d’insérer des clauses d’agrément, etc.Encore faut-il toutefois veiller à adap-ter les statuts de la société civile.

Le risque fondé sur la fictivité de lasociété demeure, en revanche, encoretrès marqué, même si c’est à tort.Nombre de juges ne semblent pasencore avoir intégré qu’une sociétédétenant uniquement de la nue-pro-priété a une double vocation à réaliserdes bénéfices :– la première sous forme de la plus-value lors de la cession du bien acquisen nue-propriété dont la valeur serevalorise par le simple effet du temps(toutes choses égales par ailleurs) ; et – la seconde sous forme des revenusque générera le bien lorsque la pleinepropriété sera reconstituée ou lorsquele prix de cession de la nue-propriétésera réinvesti en pleine propriété.L’immédiateté du revenu n’est à cejour pas une condition posée par l’ar-ticle 1832 du Code civil. Ceci est tellement évident que l’onne peut imaginer que les juges restentdurablement dans une analyse erro-née.

Pour éviter tout risque de redresse-ment sur le fondement de la fictivitéen attendant une analyse plus puristejuridiquement de la part des juridic-tions, il suffit que la société détiennequelques actifs en pleine propriété(liquidités ou un bien immobilier entoute propriété, par exemple) et qu’unsoin particulier soit apporté à la tenuede la vie sociale de la société (secré-tariat juridique, formalisme fiscal etcomptable).

Sous cette réserve, l’apport de la nue-propriété d’un bien à une société suivide la donation de la pleine propriétédes titres en valorisant la nue-pro-priété en fonction de sa valeur réelleet non en fonction du barème fiscalpermet ainsi au donateur de payer lesdroits de mutation sur la valeur réelle

de ce qu’il transmet plutôt que surune valeur plus ou moins fantaisiste.Lorsque le contribuable, par le biaisd’un apport préalable, paie les droitsde donation sur la vraie valeur trans-mise, on peut légitimement se poserla question de savoir où se situe l’abus :chez le contribuable qui acquitte cequ’il doit payer en fonction de cequ’il donne ou chez l’administrationfiscale qui invoque la fictivité pourimposer une base supérieure à la valeurréelle de l’actif transmis ?

Il est assez choquant de voir l’achar-nement de l’administration fiscale àvouloir requalifier une situation quitraduit pourtant bien plus sûrementla réalité que celle qu’elle veut rétablirau nom d’une prétendue fictivité.

II – ACQUISITION ENDÉMEMBREMENT DE PROPRIÉTÉ

La pratique de l’acquisition endémembrement de propriété, appli-quée depuis de longues années déjà(v. notamment, Mémento Patri-moine, Francis Lefebvre, 1996, par P.Julien Saint-Amand), connaît depuisquelques années un développementparticulier. Il n’existe pas encore ànotre connaissance de contentieux surcette question, mais l’analyse d’un cer-tain nombre d’opérations que l’onpeut observer sur le marché incite àquelques conseils de prudence.

L’acquisition en démembrement depropriété, incontestable dans son prin-cipe, peut dans certaines situations serapprocher de ce que l’administrationfiscale pourrait être tentée de qualifierd’abus de droit. Un rappel du schémaet de son intérêt (A) précédera l’analysedes zones de risques (B).

A – Intérêt de l’acquisition en démembrement de propriété

Lors de l’acquisition d’un bien immo-bilier à usage locatif, l’acquéreur peutdécider d’acquérir le bien en direct

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 77

ou par une société civile translucide,ou encore par une société soumise àl’impôt sur les sociétés, ou encore endémembrement de propriété.

L’acquisition en direct ou par unesociété civile translucide détenue parune personne physique présentel’avantage principal de placer la ces-sion à terme du bien sous le régimede taxation des plus-values des parti-culiers. Ainsi, en cas de cession dubien au-delà de quinze années, la plus-value, quel qu’en soit le montant, estintégralement exonérée d’impôt,ainsi qu’à ce jour de prélèvementssociaux.En revanche, les revenus locatifs sonttaxables selon des modalités particu-lièrement défavorables. La base impo-sable est importante car les chargesdéductibles sont limitées. Le taux estélevé, car il s’agit du taux d’impôt surle revenu (taux marginal de 41 %),majoré des prélèvements sociaux(taux actuel de 12,3 %, dont une petitefraction est fiscalement déductible),soit un taux marginal effectif prochede 51 %. Lorsque l’acquéreur financel’acquisition par emprunt, il seretrouve assez rapidement dans unesituation dans laquelle ses revenus netsaprès impôt sont insuffisants pourrembourser le capital de l’emprunt.Il doit alors procéder à des apportscomplémentaires extérieurs à l’opé-ration.

Pour éviter cette situation, l’acqué-reur peut préférer procéder à l’acqui-sition du bien immobilier par unesociété soumise à l’impôt sur les socié-tés. Il bénéficie pendant la phase dedétention d’un double effet fiscalfavorable. D’une part, la base impo-sable est réduite, car les charges déduc-tibles sont plus importantes que dansle cadre des revenus fonciers (le bienpeut notamment être amorti fiscale-ment). D’autre part, le taux d’impo-sition est plus faible. Il est de 15 %dans la limite de 38 120 euros et de33,33 % au-delà. Ce n’est qu’en casde distribution que l’imposition glo-

bale devient pénalisante, puisque lesdividendes sont imposables à l’impôtsur le revenu du bénéficiaire (impôtsur le revenu au taux marginal d’im-position sur 60 % du dividende majorédes prélèvements sociaux à 12,3 %sur 100 % du dividende) ou au pré-lèvement forfaitaire libératoire au tauxde 31,3 %.

En revanche, lors de la cession, lerégime est particulièrement défavo-rable. La plus-value est déterminéepar différence entre le prix de cessionet la valeur nette comptable égale auprix d’acquisition minorée des amor-tissements pratiqués pendant lapériode de détention. Cette plus-value est imposable à l’impôt sur lessociétés dans les conditions de droitcommun, puis le résultat net aprèsimpôt sur les sociétés supporte lorsde la distribution le prélèvement libé-ratoire forfaitaire (PFL) au taux de31,3 % ou l’impôt sur le revenu dansles conditions rappelées ci-avant.

L’acquisition en démembrementapparaît être la martingale pour éviterle caractère pénalisant de la détentionen direct (ou par une société trans-lucide détenue par des personnes phy-siques) et le régime fiscal pénalisantde la cession en cas de détention parune société soumise à l’impôt sur lessociétés. La nue-propriété du bienimmobilier est acquise en direct oupar le biais d’une société civile semi-translucide, pendant que l’usufruit estacquis par une société soumise à l’im-pôt sur les sociétés.

Pendant la durée de l’usufruit, lescharges déductibles des revenus per-çus par la société soumise à l’impôtsur les sociétés sont nombreuses. Surla base de la jurisprudence actuelle,l’usufruit du bien immobilier peutêtre amorti par amortissementconstant sur la durée de l’usufruit.Ainsi, pour un usufruit de quinze ansqui serait valorisé à 60 % approxima-tivement si le rendement net annueldu bien est de 6,3 %, le taux d’amor-

tissement serait de : 60 %/15 = 4 %par an de la valeur en toute propriétédu bien. Ce taux est sensiblementsupérieur au taux applicable en casde détention de la pleine propriété.De plus, toutes les dépenses liées à lalocation du bien sont déductibles. Letaux d’impôt sur les sociétés est de15 % dans la limite de 38 120 euroset de 33,33 % au-delà. Ce taux estgénéralement plus faible que le tauxd’impôt sur le revenu plus prélève-ments sociaux auquel serait soumis lecontribuable.

À la fin de l’usufruit, celui-ci s’éteintet la pleine propriété est reconstituéeentre les mains du nu-propriétaire(personne physique ou société civiletranslucide). Lors de la cession ulté-rieure du bien immobilier, le régimede taxation des plus-values des parti-culiers est applicable. Le montant dela plus-value est minoré de 10 % paran au-delà de la cinquième année dedétention, conduisant (sur la base dela législation actuelle en vigueur) àune exonération totale en cas de ces-sion après quinze ans. Lorsqu’uneplus-value imposable est constatée,celle-ci est taxée au taux d’impositionactuellement de 31,3  % (19  % +12,3 %).

La société cédante étant translucide,la distribution du résultat de la sociéténe génère aucune imposition com-plémentaire.

L’intérêt fiscal d’une telle structura-tion de l’acquisition conduit à s’in-terroger sur les risques qu’elle peutprésenter au regard de l’abus de droit.L’acquisition en démembrementrelève-t-elle de l’abus de droit ou del’habileté fiscale ?

B – Acquisition en démembrementet abus de droit

Le principe en lui-même de l’acqui-sition en démembrement de propriétéest fiscalement incontestable. Lecontribuable est libre de choisir entre

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plusieurs solutions pour réaliser uneopération déterminée « la plus avan-tageuse au plan fiscal » (Doc. adm. 13L 1531, n° 20). L’abus de droit nepeut être invoqué si les actes juridiquessur lesquels repose cette solution sontconformes à la réalité. Celle-ci ne faitaucun doute lors de l’acquisition d’unbien immobilier en démembrementde propriétéet cette structurationdonne des droits distincts à l’usufrui-tier et au nu-propriétaire.

De même, sous l’angle de l’abus debiens sociaux, Mme la garde desSceaux, ministre de la Justice, inter-rogée sur la question de savoir si uneacquisition démembrée (usufruit parla société d’exploitation et nue-pro-priété par le dirigeant) constituait unabus de bien social, a précisé qu’iln’en était rien dès lors qu’elle étaitréalisée dans l’intérêt social, même sielle était réalisée aussi dans l’intérêtdu dirigeant (Rép. min. à QEn° 28171, Strausmann, JOAN Q. 5mai 2009, p. 4357).

S’il ne fait pas de doute que l’acqui-sition en démembrement n’est pas enelle-même répréhensible, certaineszones de risques peuvent résulter desmodalités retenues dans la réalisationde l’opération.

Nous évoquerons ci-après quelques-uns des schémas les plus fréquemmentrencontrés.

1°/ Acquisition ab initio en démembrement

de propriété par deux structures distinctes

Ce schéma est le schéma idéal. Lebien est acquis auprès d’un tiers pardeux structures, l’une translucidedétenue par des personnes physiquesacquiert la nue-propriété et l’autresoumise à l’impôt sur les sociétésacquiert l’usufruit. Ce schéma ne poseà notre sens aucune difficulté, si cen’est la correcte évaluation des droitsdémembrés respectifs. Si l’acquéreurde l’un des droits démembrés paie unprix trop important par rapport à lavaleur réelle du droit qu’il acquiert,

alors que l’acquéreur de l’autre droitpaie un prix trop faible, ce déséqui-libre pourrait être discuté sur le fon-dement de la donation déguisée. Parailleurs, si la société soumise à l’impôtsur les sociétés paie un prix trop élevépour son usufruit, l’opération pourraitêtre contestée sous l’angle de l’acteanormal de gestion.

Une autre interrogation concerne ladétention du capital des deux sociétés.Est-il impératif que la répartition soitdifférente dès l’origine  ? Sans quenous pensions que cela soit impératif,cela nous semble préférable. En effet,l’usufruit étant un droit temporaire,il sera souvent plus cohérent que lesparents aient une participation plusimportante dans cette société, tandisque leurs enfants auront une partici-pation plus importante dans la sociétédétenant la nue-propriété. Cepen-dant, chaque dossier est particulier etde multiples schémas différents peu-vent parfaitement se justifier. Il peutmême être envisagé qu’une partici-pation identique dans chacune dessociétés à l’origine soit suivie d’uneévolution différente du capital dansle temps.

2°/ Vente d’un bien immobilier détenu par

une personne physique à deux personnes

morales dont la personne physique cédante

est quasiment la seul associée

Dans un tel schéma, l’administrationfiscale pourrait être tentée de voir unbut exclusivement fiscal. Il sera doncessentiel que le contribuable puissejustifier d’un intérêt autre que fiscaldans la mise en œuvre de l’opération.Il pourrait s’agir par exemple de lanécessité d’obtenir des liquidités grâceà cette cession afin de permettre aucédant d’assurer une meilleure répar-tition de son patrimoine ou encorepour financer la croissance de sonentreprise ou un nouvel investisse-ment que la banque n’accepterait pasde financer par emprunt. La démarcheconsisterait ainsi à justifier la vente àsoi-même par un argument autre quefiscal (phase 1 du raisonnement), puis

dans le cadre de cette opération dechoisir entre plusieurs solutions la plusavantageuse au plan fiscal (Doc. adm.13 L 1531, n° 20), (phase 2 du rai-sonnement).

Les reventes à soi-même étant de touttemps des opérations à l’égard des-quelles l’administration fiscale faitpreuve d’une certaine suspicion, lecandidat à de telles opérations devraêtre particulièrement vigilant.

3°/ Vente d’un bien immobilier détenu par

une personne physique à deux personnes

morales détenues par différents membres

de sa famille

La démarche de cession s’accompagneici de l’organisation de la transmissiond’une fraction du patrimoine. Leschéma s’en trouve conforté et réduitconsidérablement le risque de redres-sement sur le fondement de l’abus dedroit.

Illustration. – Un chef d’entreprise,détenant le contrôle de sa société, estpropriétaire d’un bien immobilierqu’il donne en location à son entre-prise. Le chef d’entreprise souhaitesécuriser, pendant une certaine durée,l’occupation du bien par son entre-prise tout en initiant la transmissiondu bien immobilier au profit de sesenfants. Il pourrait :– vendre l’usufruit du bien à la sociétéd’exploitation et la nue-propriété àune société civile translucide consti-tuée par ses enfants majeurs ;– vendre l’usufruit du bien à la sociétéd’exploitation et parallèlement don-ner la nue-propriété du bien à sesenfants (mineurs ou majeurs). Cettedonation pourra être précédée ou sui-vie de l’apport à une société civiletranslucide de cette nue-propriété.

4°/ Acquisition d’un bien immobilier par

une société civile translucide suivie de la

cession de la nue-propriété ou de l’usufruit

des parts

La démarche consiste à faire détenirl’usufruit des parts de la société civiletranslucide par une société soumise

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 79

à l’impôt sur les sociétés et la nue-propriété par des personnes physiques.

En application de l’article 238 bis K,I, du CGI : « Lorsque des droits dansune société ou un groupement mentionnésaux articles 8, 8 quinquies, 239 quater,239 quater B, 239 quater C ou 239quater D sont inscrits à l’actif d’une per-sonne morale passible de l’impôt sur lessociétés dans les conditions de droit communou d’une entreprise industrielle, commer-ciale, artisanale ou agricole imposable àl’impôt sur le revenu de plein droit selonun régime de bénéfice réel, la part debénéfice correspondant à ces droits est déter-minée selon les règles applicables au bénéficeréalisé par la personne ou l’entreprise quidétient ces droits (…) ».

Lorsque la filiale est translucide, lafraction de revenus correspondant auxdroits détenus par la société mère àl’impôt sur les sociétés sera définieselon les règles des bénéfices indus-triels et commerciaux.

En application des règles de l’article238 bis K, le résultat de la sociétécivile sera donc déterminé comme sile bien immobilier était détenu parune société soumise à l’impôt sur lessociétés. Les charges déductiblesseront les mêmes, en particulierl’amortissement du bien sera déduc-tible du résultat imposable à l’impôtsur les sociétés.

L’interposition d’une société civiletranslucide offre principalement, surle plan fiscal, deux intérêts complé-mentaires par rapport au démembre-ment de propriété direct.

En premier lieu, en cas de cessionultérieure, la cession des parts de lasociété translucide peut intéresser unacquéreur soumis à l’impôt sur lerevenu (personne physique, notam-ment) puisque l’amortissement dubien réalisé antérieurement par lecédant par application de l’article 238bis K sera sans incidence négativepour l’acquéreur lorsque lui-même

vendra ultérieurement le bien détenupar la société civile translucide.

En second lieu, l’interposition d’unesociété civile permettra de constituerla société translucide avec un petitcapital et un apport en compte courantd’associé (ou, en cas de financementpar emprunt, de constituer un comptecourant d’associé par affectation durésultat en compte courant même sila trésorerie est utilisée au rembour-sement du capital de l’emprunt). Decette manière, lors de la cession desparts de la société civile, l’acquéreurachètera les parts et le compte courant,mais n’aura à acquitter les droits d’en-registrement au taux de 5 % que surla valeur des parts.

Illustration. – Soit un achat initial d’un bien immobilier pour1 000 000 d’euros financé par fondspropres, puis une vente ultérieurepour 1 500 000 euros.

Si le bien est vendu directement, l’ac-quéreur devra acquitter 5,09 % dedroits de mutation à titre onéreuxainsi que les émoluments notariés etle salaire du conservateur des hypo-thèques, soit globalement des frais etdroits de 6,5 % environ. Le coût seraitalors de 97 500 euros environ.

Si les parts de la société civile sontvendues, les droits d’enregistrementseront dus par l’acquéreur au taux de5 % sur la valeur des parts. Si la sociétéa été constituée avec un capital de1 000 000 d’euros (montant de l’ac-quisition initiale), les droits seront duspar l’acquéreur au taux de : 5 % X1  500  000 euros (prix de cession)= 75 000 euros, majoré de quelqueshonoraires de rédaction de cession departs. En revanche, si les parts ont étéconstituées avec un capital quasi nulet un apport en compte courant de1 000 000 d’euros, la cession porterasur les parts pour leur valeur de500 000 euros et le compte courantpour 1 000 000 d’euros. La fiscalitédue au titre des droits de mutation

sera alors de : 5 % X 500 000 euros= 25 000 euros, majoré des mêmeshonoraires liés à la cession. L’écono-mie est ainsi de 50 000 euros.

Lorsque l’acquisition est dans lechamp d’application de la TVA, ledémembrement sur les parts de lasociété plutôt que sur le bien présenteégalement un avantage en cas de loca-tion soumise à TVA, puisqu’elle per-met la récupération de l’intégralitéde la TVA et non de la seule TVAliée à l’usufruit. Soulignons cependantque, depuis la nouvelle instructionfiscale en matière de TVA (BOI 3A-9-10, 30 déc. 2010), le nu-proprié-taire peut sous certaines conditionstransférer à l’usufruitier le droit derécupérer la TVA grevant la nue-pro-priété.

En revanche, au regard des chargesdéductibles, le double amortissementrésultant de l’amortissement de l’usufruit des parts et de l’amortisse-ment du bien par application de l’ar-ticle 238 bis K est souvent moinsimportant que le simple amortisse-ment de l’usufruit du bien. C’est géné-ralement le cas lorsque l’usufruit desparts a une valeur faible en raison d’unendettement important de la sociétépropriétaire de l’immeuble.

Selon les circonstances, la cession del’usufruit des parts pourra être ou nonpréférée à la cession de l’usufruit dubien. Mais alors que l’acquisition endémembrement ab initio (v. supra, II,B, 1°/) ne soulève aucune difficulté,le démembrement des parts post-acquisition du bien soulève, d’unepart, une problématique plus com-plexe d’évaluation des droits démem-brés et, d’autre part, la nécessité d’êtrejustifiée par des motivations autresque fiscales.

En premier lieu, la valorisation estplus complexe. En effet, lorsqu’il s’agitde ventiler le prix d’acquisition d’unbien immobilier entre l’usufruit et lanue-propriété, l’évaluation écono-

ABUS DE DROIT FISCAL...

Dossier Abus de droit et démembrement de propriété

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mique des droits respectifs fait l’objetd’un consensus admis également parl’administration fiscale. La nue-pro-priété est ainsi déterminée commeétant égale à la valeur actualisée de lapleine propriété future.De manière simplifiée, la valeur de lanue-propriété (NP) peut ainsi êtredéterminée à partir de la valeur de lapleine propriété (PP), de la durée del’usufruit (ou des usufruits en casd’usufruits successifs) (n) et du tauxde rendement du bien (i), par la réso-lution de l’équation suivante :

NP = PP(1 + i)n

Selon le même raisonnement, lavaleur de l’usufruit est déterminéecomme étant égale à la valeur actua-lisée du flux de revenus futurs perçuspendant la durée de l’usufruit. Lavaleur de l’usufruit est donc d’autantplus élevée que le rendement du bienest fort et que la durée de l’usufruitest longue. Cette valeur (US) peutainsi être déterminée à partir des fluxde revenus futurs (R), du taux de ren-dement du bien (i) et de la durée del’usufruit (ou des usufruits en casd’usufruits successifs) (n).

En présence d’un usufruit simple :

US = + + … +

Cette méthode de calcul, qui peutbien évidemment être largement affi-née (v. notamment, J. Aulagnier,Usufruit et nue-propriété dans la ges-tion de patrimoine, précité), indiquela répartition qui assure une rentabilitééquivalente pour l’usufruitier et lenu-propriétaire. Cette répartitionconnue des parties constitue la basede leurs négociations.

La somme de l’usufruit et de la nue-propriété du bien est égale à la pleinepropriété du bien acquis.

Rn(1 + i)n

R2(1 + i)2

R1(1 + i)

Lorsque l’acquisition en démembre-ment porte sur les parts de la sociétécivile, la question est un peu pluscomplexe, car la valorisation de l’usu-fruit des parts n’est pas calculée direc-tement en fonction du revenu locatifnet du bien, mais en fonction du résul-tat comptable après amortissement dubien, et plus précisément du résultatdistribué. Or celui-ci ne peut êtreeffectivement distribué que si lasociété dispose de la trésorerie suffi-sante pour le faire. À défaut, ce résultatpeut être inscrit en compte courantet distribué un certain nombre d’an-nées plus tard lorsque la société dis-posera de la trésorerie suffisante. Unrésultat distribué n’est pas valorisé dela même façon selon sa date de dis-tribution effective. Tous ces élémentsdoivent donc être pris en considéra-tion pour évaluer l’usufruit des partsde la société.

Pour procéder à cette évaluation, ilconvient de prendre en compte untaux d’actualisation. Quel taux rete-nir ? Le taux de rendement du biensous-jacent ou bien le taux du loyerde l’argent sur la période d’actualisa-tion concernée, majoré d’une primede risque car l’investissement estmoins sûr qu’une obligation d’État ?

Parmi les autres éléments de com-plexité, nous soulignerons la contra-diction apparente qui peut apparaîtredans certains cas, lorsque la valeur enpleine propriété des parts sembleproche de zéro (acquisition financéeintégralement par emprunt), alors quel’usufruit a une valeur quasi-certaine(résultat comptable prévisionnelsignificatif). Cela sera le cas lorsquele rendement locatif du bien immo-bilier est supérieur aux charges majo-rées du taux d’intérêt de l’emprunt.Une analyse superficielle conduit àconclure que l’usufruit des parts nepeut avoir de valeur puisque la valeur

des parts est proche de zéro. En réalité,la valeur des parts n’est pas proche dezéro, même si le passif est égal au prixd’acquisition du bien. En effet, le dif-férentiel de rendement entre l’em-prunt contracté et le rendement dubien donne déjà à la société une cer-taine valeur, et c’est cela qui expliqueque l’usufruit ait également immé-diatement une certaine valeur.

À ces éléments de complexité pure-ment techniques s’ajoute la justifica-tion de la cession démembrée par desmotivations non exclusivement fis-cales.

Parmi ces justifications figure en pre-mier lieu l’exigence de garanties parla banque. La cession de l’usufruit parl’associé personne physique à lasociété soumise à l’impôt sur les socié-tés peut se justifier par les garantiesque cette société sera capable d’offrirà la banque pour que celle-ci acceptede financer l’acquisition par la sociétécivile translucide.

Une autre motivation peut résulterdu financement de l’acquisition dubien immobilier réalisé indirectementpar la société acquérant l’usufruit desparts, moyennant une avance encompte courant rémunérée consentieau profit de la société translucide.

Une autre justification résulte de lapossibilité pour le cédant d’obtenirun prix de cession en contrepartie del’usufruit de ses parts.

Quelles que soient les justifications,autres que fiscales, des contribuables,ceux-ci seront toujours bien inspirésde les identifier et de les lister préa-lablement à l’opération afin d’être enmesure d’en justifier en cas dedemande de la part de l’administrationfiscale.

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L’apport-cession est au cœur del’actualité. Les arrêts du Conseild’État du 8 octobre 2010confirment malheureusement lescraintes que certains qualifiaientde prudence exagérée, mais sans pour autant apporter de certitude qui pourtantgarantirait la sécurité juridiquede telles opérations.

INTRODUCTION

L’apport en sursis d’imposition est uneopération qui consiste à faire apporterpar une personne physique les droitssociaux d’une société (parts ou actions)à une autre société (existante ou spé-cialement constituée à cet effet) sou-mise à l’impôt sur les sociétés.

Le législateur fiscal considère l’apporten sursis d’imposition comme uneopération dite « intercalaire ». Celasignifie que les plus-values sur les titresapportés constatées lors de l’apport neseront pas taxées au moment de l’ap-port mais au jour de la mutation à titreonéreux des titres de la société béné-ficiaire créée à cette occasion. Et si lestitres en question font ultérieurement

l’objet d’une mutation à titre gratuit(donation ou succession), la plus-valueen sursis ne sera jamais imposable.Si cette opération peut être utilisée dansle cadre de la restructuration d’un groupede sociétés ou d’un rapprochement avecdes partenaires, elle est également uti-lisée comme outil d’optimisation dansle cadre d’une revente puisqu’elle per-met un différé, voire dans certains cas(donation, succession postérieure) uneexonération d’imposition au titre de laplus-value. Le schéma consiste à appor-ter les titres de la société devant êtrecédée à une société soumise à l’impôtsur les sociétés préalablement à leurrevente par cette dernière moyennantle versement d’un prix identique à lavaleur retenue lors de l’apport.

Depuis de longues années, l’adminis-tration fiscale considère ces opérationscomme suspectes et tente de les requa-lifier sur le fondement de l’abus de droit.

L’analyse de l’évolution législative etréglementaire, de la position du Comitéconsultatif pour la répression des abusde droit (CCRAD) – aujourd’hui leComité des abus de droit (CAD) – etde la jurisprudence (A) permettrad’identifier les conditions actuelles del’existence ou non d’un abus de droitdans de telles opérations d’apport avantcession (II).

I – ÉVOLUTION LÉGISLATIVE ET RÉGLEMENTAIRE, POSITION DU CCRAD ET DE LA JURISPRUDENCE

A – Évolutions législatives

Les opérations d’échanges de titres onten fait bénéficié successivement de deuxrégimes de faveur sur le plan fiscal.

1°/ Rappel des deux régimes applicables

en cas d’apport de titres

Report d’imposition. – Jusqu’au31 décembre 1999, les contribuablesbénéficiaient d’un régime de reportd’imposition sur option. Ce dispositif,régi par les anciens articles 92 B, II,et 160 I ter, 4°, du Code général desimpôts (CGI), conduisait à constaterla plus-value imposable au taux envigueur au jour de l’apport, mais à endifférer l’exigibilité au jour de la ces-sion à titre onéreux des titres reçusen contrepartie de l’apport.

Sursis d’imposition. – Ce nouveaurégime est entré en vigueur à compterdu 1er janvier 2000. D’applicationautomatique, il est régi par les dispo-sitions de l’article 150-0 B du CGIselon lesquelles : « Les dispositions del’article 150-0 A (taxation de la plus-value) ne sont pas applicables, au titrede l’année d’échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d’une opé-ration d’offre publique, de fusion, descission, d’absorption d’un fonds communde placement par une société d’investisse-ment à capital variable, de conversion, dedivision, ou de regroupement, réaliséeconformément à la réglementation envigueur ou d’un apport de titres à unesociété soumise à l’impôt sur les sociétés.(…) Les échanges avec soulte demeurentsoumis aux dispositions de l’article 150-0 A lorsque le montant de la soultereçue par le contribuable excède 10 % dela valeur nominale des titres reçus ».

Ce régime conduit à ne pas constaterla plus-value au moment de l’apportmais à calculer la plus-value lors dela cession à titre onéreux des titres dela société bénéficiaire, d’après la valeuroriginelle des titres apportés et au tauxen vigueur au jour de la revente (etnon au jour de l’apport).

Par Frank Thiery,Notaire associé,Groupe Althemis,

et Pascal Julien

Saint-Amand,Notaire associé à Paris, Présidentdu GroupeAlthémis

Dossier ABUS DE DROIT FISCAL...

Apport en sursis d’imposition

Dossier Apport en sursis d’imposition

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2°/ Nouvelle définition de l’abus de droit

La nouvelle rédaction de l’article L. 64du Livre des procédures fiscales (LPF),issue de l’article 35 de la loi de financesrectificative pour 2008 n° 2008-1443du 30 décembre 2008, est entrée envigueur le 1er janvier 2009 et s’ap-plique indifféremment au régime dureport ou du sursis.

Depuis cette date, l’abus de droit estdonc caractérisé :– soit en présence d’un acte à caractèrefictif ;– soit en présence d’un acte qui, enrecherchant le bénéfice d’une applica-tion littérale de textes ou de décisionsà l’encontre des objectifs poursuivis parleurs auteurs, n’a pu être inspiré paraucun autre motif que celui d’éluderou d’atténuer les charges fiscales quel’intéressé, si ces actes n’avaient pas étépassés ou réalisés, aurait normalementsupportées, eu égard à sa situation nor-male ou à ses activités réelles.

En l’absence de fictivité, l’abus dedroit au sens des dispositions du nou-vel article L. 64 du LPF nécessite dés-ormais la réunion des deux conditionscumulatives suivantes :– la première, qui est nouvelle, consisteà rechercher le bénéfice d’une appli-cation littérale de textes à l’encontredes objectifs poursuivis par leursauteurs (qu’il n’est malheureusementpas toujours évident d’identifier) ;– la seconde, qui existait auparavant,est le but exclusivement fiscal de l’actelitigieux.

Par ailleurs, ces nouvelles dispositionssont étendues à l’ensemble des actesqui répondent à cette définition (etnon plus aux seuls contrats ou conven-tions) et à l’ensemble des impôts (etnon plus aux impôts limitativementénumérés par l’article L. 64 du LPFdans sa rédaction antérieure).

B – Position du CCRAD (aujourd’hui CAD )

Si le CCRAD (aujourd’hui CAD) nerend qu’un avis qui ne lie aucunement

l’administration fiscale, il présentetoutefois l’intérêt d’imposer la chargede la preuve à celui dont la positionn’est pas partagée par le Comité.

Les premiers avis en matière d’apportsde titres suivis d’une cession des titresapportés par la société bénéficiaire del’apport ont été rendus en 1998 pourdes opérations d’apport placées sousle régime du report d’imposition.Depuis cette date, le Comité a estiméavec une parfaite constance, dans dix-sept affaires, qu’il y avait abus de droitsi la majeure partie des fonds n’étaitpas réinvestie immédiatement ou dansun bref délai dans une activité pro-fessionnelle (CCRAD, aff. 1998-18,1998-17, 1998-20, 2000-16, 2002-3,2002-4, 2002-20, 2002-21, 2002-22,2002-23, 2002-25, 2002-26, 2002-28,2003-1, 2003-5, 2003-6, 2003-13).

En revanche, le CCRAD a écarté l’abusde droit dans les opérations d’apporten sursis d’imposition. Dans deuxavis (CCRAD, avis, nos 2004-63 et2004-64), l’abus de droit a été écarté,malgré l’absence de remploi dans desactifs professionnels du fait du caractèreautomatique du sursis alors même quedans l’affaire n° 2004-64 l’apport avaiteu lieu deux jours avant la cession etles fonds avaient été appréhendés ougérés dans le cadre d’une approche pure-ment patrimoniale. Selon le Comité,le régime du sursis (à la différence decelui de l’apport) « ne laisse désormaisaucun autre choix au contribuable qui sou-haiterait être immédiatement imposé que deprocéder à une cession directe des titres, l’opé-ration d’échange étant en fait traitée commeune opération intercalaire ne donnant paslieu à liquidation de l’impôt sur le revenu,la plus-value d’échange étant imposée ulté-rieurement, notamment lors de la cession destitres reçus en échange. Il s’ensuit que ce dis-positif légal n’est pas, dans les circonstancesde l’espèce, constitutif d’un abus de droit ».Cette position fut ultérieurementconfirmé par d’autres avis du CCRAD.

En conclusion, pour le CCRAD,l’apport sous le régime du report d’im-

position, régime facultatif, étaitconstitutif d’un abus de droit dès lorsqu’à la suite de l’apport les titres appor-tés étaient cédés et que le produit dela cession n’était pas remployé dansune activité professionnelle.

En revanche, l’apport en sursis d’im-position (régime qui s’est substituéau régime de l’apport à compter du1er janvier 2000) ne peut être consti-tutif d’un abus de droit, car le sursisest automatique.

Pour l’administration fiscale, enrevanche, que l’apport ait été réalisésous le régime du report ou du sursisest sans incidence sur la requalificationsous l’angle de l’abus de droit. Ce quicompte, c’est la vente des titres appor-tés, puis l’emploi du prix cession suiteà cette vente. Si les fonds sont réinvestisdans une activité professionnelle, l’opé-ration n’est pas contestable ; si ce n’estpas le cas, l’abus de droit est encouru.

C – Jurisprudence

La jurisprudence est partie dansdiverses directions avant de se fixer.

Dans un jugement en date du 13décembre 2005, le tribunal adminis-tratif de Versailles a débouté l’admi-nistration fiscale, qui avait considéréqu’une opération d’apport en reportd’imposition était constitutive d’unabus de droit. Les juges du fond ontconsidéré que « seule la réalité des inves-tissements réalisés devait être prise en considération », même si parmi cesinvestissements la majorité était denature patrimoniale, et non pas uni-quement professionnelle.

Par la suite, plusieurs arrêts ont consi-déré que l’apport en report, de mêmeque l’apport en sursis, ne pouvaientêtre sanctionnés sur le fondement del’abus de droit tel que défini par l’an-cienne rédaction de l’article L. 64 duLPF (v. en ce sens, CAA Lyon, 5 févr.2009, n°  06-LY01960, rendu enmatière de report, ainsi que CAA

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Bordeaux, 9 oct. 2008, rendu enmatière de sursis).

En revanche, la jurisprudence a consi-déré que ces opérations d’apport enreport ou en sursis d’imposition pou-vaient être contestées le cas échéantsur le fondement de la fraude à la loi.

Ainsi, l’arrêt «  Janfin  » du Conseild’État (CE, sect., 27 sept. 2006,n° 260050) a ouvert la voie en consi-dérant que les actes non fictifs pou-vaient constituer un abus de droit parfraude à la loi fiscale lorsque l’actepoursuivait un but exclusivement fis-cal et que l’opération était contraireaux objectifs de la loi.

Quelques mois plus tard, la cour d’ap-pel de Nantes (CAA Nantes, 18 déc.2006, n° 0500486, Bazire) a validé leredressement fiscal d’une opérationd’apport en report d’imposition surle fondement de la fraude à la loi :« Considérant que si le requérant soutientque la création de la société civile (…)n’était motivée que pour servir de structureà un investissement professionnel qu’ilenvisageait dans la région parisienne, iln’établit pas cependant que ce projet dépen-dait de la création préalable d’une sociétécivile ayant opté pour l’impôt sur les sociétéset était en revanche indépendant de la ventedes actions de la SA ; que dans ces condi-tions, et compte tenu du court délai entrel’apport et la revente des actions par lasociété civile, et du fait que le contribuablea appréhendé au cours de la même annéevia cette société familiale qu’il contrôle leproduit de la vente des actions, l’adminis-tration doit être regardée comme apportantla preuve de ce que la demande de reportd’imposition de la plus-value reposait surune construction visant exclusivement àéluder ou à atténuer les charges fiscales quel’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes,aurait normalement supportées au titre del’année 1997, eu égard à sa situation età ses activités réelles ; qu’elle revêt, déslors, le caractère d’une fraude à la loi ».

Plus récemment, contrairement àcette jurisprudence de plusieurs cours

et tribunaux, trois arrêts rendus parle Conseil d’État (CE, 8 oct. 2010,nos 313139, 311361 et 301934, Bau-chard, Bazire et Four) ont jugé quele report d’imposition entrait dans lechamp d’application de l’abus dedroit, confirmant ainsi une positionancienne (CE, 3 nov. 1986, n° 49462,RJF 1/87, n° 77).

Possibilité de requalifier les opé-rations d’échange sur le fonde-ment de l’abus de droit. – LeConseil d’État affirme clairement queles opérations d’échanges de titresavec bénéfice du report d’impositionpeuvent, le cas échéant, être suscep-tibles de faire l’objet d’une requali-fication sur le fondement de l’abusde droit  : « Lorsque l’administrationentend remettre en cause les conséquencesfiscales d’une opération qui s’est traduitepar un report d’imposition au motif queles actes passés par le contribuable ne luisont pas opposables, elle est fondée à seprévaloir des dispositions de l’article L. 64du Livre des procédures fiscales ; qu’eneffet, une telle opération, dont l’intérêtfiscal est de différer l’imposition, entredans le champ d’application de cet articledés lors qu’elle a nécessairement pour effetde minorer l’assiette de l’année au titrede laquelle l’impôt est normalement dûà raison de la situation et des activités ducontribuable ».

Le Conseil d’État met ainsi fin à toutecontroverse liée à l’incertitude dudroit positif antérieur quant à l’appli-cation de l’article L. 64 au mécanismedu report d’imposition qui pourtantn’a pas en principe pour effet d’éluderou d’atténuer l’impôt mais simple-ment d’en différer l’exigibilité.

Conditions nécessaires à la requa-lification des opérations d’échangesur le fondement de l’abus dedroit. – Dans les trois affaires « Bau-chard », « Bazire » et « Four » précitées,le Conseil d’État a conclu que deuxn’étaient pas passibles de la répressiondes abus de droit alors que la troisièmel’était.

L’appréciation du Conseil d’État surle caractère abusif ou non du reportd’imposition ressort du considérant deprincipe commun aux trois affaires ci-après littéralement rapporté : « Le pla-cement en report d’imposition d’uneplus-value réalisée par un contribuable lorsde l’apport de titres à une société qu’il contrôleet qui a été suivi de leur cession par cettesociété est constitutif d’un abus de droit s’ils’agit d’un montage ayant pour seule finalitéde permettre au contribuable, en interposantune société, de disposer effectivement desliquidités obtenues lors de la cession de cestitres tout en restant détenteur des titres dela société reçus en échange lors de l’apport ;qu’il n’a en revanche pas ce caractère s’ilressort de l’ensemble de l’opération que cettesociété a, conformément à son objet, effecti-vement réinvesti le produit de ces cessionsdans une activité économique ».

Il ressort de cet attendu que l’opéra-tion d’apport-cession en report d’im-position suppose, selon nous (en cesens également, v. O. Fouquet,Apport-cession et apport d’entrepriseindividuelle en société, BF Lefebvren° 44/10, p. 22, § 5), que le contri-buable respecte les deux conditionscumulatives suivantes :–  le produit de la vente des titresapportés doit être réinvesti dans uneou plusieurs activités économiques ;– le contribuable ne doit pas récupérereffectivement les liquidités que luiaurait procurées la vente.

II – CONDITIONS DEL’EXISTENCE OU NON D’UNABUS DE DROIT EN PRÉSENCED’UN APPORT-CESSION

A – Les enseignements de la jurisprudence récente

1°/ L’apport sans cession n’est pas

susceptible d’être abusif

La constitution d’une société holdingpar apport de titres en sursis d’impo-sition n’est pas en elle-même répré-hensible au regard de la procéduredes abus de droit. En effet, ce qui fra-

ABUS DE DROIT FISCAL...

Dossier Apport en sursis d’imposition

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gilise l’apport, c’est la vente des titresapportés. En d’autres termes, unapport sans vente n’est pas probléma-tique sur le fondement de cette juris-prudence.

Cela signifie donc que la créationd’une société holding dans le cadrede la restructuration d’un groupe desociétés sans objectif de revente àcourt terme, ou bien encore la consti-tution d’une société holding de reprisepar apport de titres, n’est pas consti-tutive d’un abus de droit.

Il en ira de même pour les sociétésholdings dotées d’une certaine antéri-orité qui vendent les participationsqui leur ont été apportées en sursisou report d’imposition, même s’il estgénéralement préférable pour le con-tribuable, sauf cas particulier, de ven-dre les titres de la holding plutôt queceux de la filiale. La jurisprudenceantérieure a d’ailleurs déjà validé cepoint (v. en ce sens, CE, 9e et 10e ss-sect., 28 févr. 2007, n° 284565, Min.c/ Mme Persicot : il avait été constatédans cette affaire que « la société civileavait été constituée quatre ans avant lavente et qu’il entrait dans les activitésréelles de ladite société de détenir et degérer des valeurs mobilières […], qu’enconséquence il n’y avait pas abus dedroit »).

2°/ L’apport en sursis d’imposition entre

dans le champ de l’abus de droit

Si les décisions du Conseil d’État sus-rappelées ont été rendues en matièrede report d’imposition, il nous semblequ’elles fournissent quelques pistesde réflexion utiles pour les opérationsréalisées en sursis d’imposition.

Selon certains, le caractère automa-tique du sursis d’imposition, privantle contribuable de toute option, rendimpossible le grief d’abus de droitcontre ce type d’opération. En effet,comment pourrait-il être reproché àun contribuable d’éluder ou d’at-ténuer un impôt en l’absence d’opéra-tion imposable ?

Cependant, par les trois arrêts « Bau-chart », « Bazire » et « Four » précités,ayant le même attendu, le Conseild’État a sanctionné l’apport en reportd’imposition en jugeant qu’« une telleopération, dont l’intérêt fiscal est de différerl’imposition, entre dans le champ d’ap-plication de l’abus de droit ».

L’apport en sursis produisant le mêmeeffet, c’est-à-dire un différé de l’im-position, il semble donc probable quele Conseil d’État juge que l’apport ensursis d’imposition entre égalementdans le champ de l’abus de droit. Cetteposition est également celle du rap-porteur public Laurent Olléon (« lefait d’être taxé demain plutôt qu’au-jourd’hui constitue par principe un avan-tage »).

C’est également la position majori-taire des juges du fond, qui ont sanc-tionné sur le fondement de l’abus dedroit des opérations d’apport en sursisd’imposition suivies de la vente destitres apportés (TA Marseille, 4 févr.2008, n° 05-915, Harreau, RJF 1/09,n° 59 ; TA Cergy-Pontoise, 4 mai2009, n° 06-2271, RJF 4/10, n° 394 ;CAA Bordeaux, 17 févr. 2009, n° 07-711, RJF 6/10, n° 595).

3°/ L’exigence d’un réinvestissement

du prix de cession dans des activités

économiques

Les trois arrêts du Conseil d’État du8 octobre 2010 subordonnent l’ab-sence d’abus au réinvestissement duproduit de la cession des titres apportésdans des activités économiques.

C’est également la position majori-taire des juges du fond. Le caractèreautomatique du sursis ne change rien,le régime de faveur doit bénéficieraux opérations économiques et nonaux opérations patrimoniales. La plu-part des décisions rendues par les courset tribunaux en matière d’apport ensursis exigent un réinvestissement duproduit de la vente dans une activitééconomique (TA Marseille, 4 févr.2008, n° 05-915, précité ; TA Cergy-

Pontoise, 4 mai 2009, n° 06-2271,précité  ; CAA Bordeaux, 17 févr.2009, n° 07-711, précité).

Sur la base de la jurisprudence actuelle,la prudence incite donc, lors d’unapport de titres en sursis suivi d’unecession des titres apportés, à remployerle produit de la cession (ou au moinsla majeure partie de celui-ci) dans uneou plusieurs activités économiques.

4°/ La nécessaire absence de récupération

des liquidités

Ainsi, en ce sens, M. Olivier Fouquetaffirme : « Un apport-cession qui débouchesur la récupération par l’apporteur de liqui-dités représentatives de tout ou partie deson apport ne peut pas donner lieu à report,même si l’activité économique apportéedemeure dans l’entreprise, ou si, cédée, elleconduit à réinvestissement » (O. Fouquet,Apport-cession et apport d’entrepriseindividuelle en société, précité, § 5).

À défaut, l’apport-cession est répré-hensible, même si le contribuable nerécupère par ailleurs aucune liquidité.

Le Conseil d’État considère que l’objetdu report d’imposition est de permet-tre au contribuable de ne pas êtreimmédiatement redevable de l’impôtsur la plus-value constatée en contre-partie de l’apport. Cela se justifienotamment car l’opération d’apportne dégage aucune liquidité au profitde l’apporteur. Le contribuable ne dis-pose donc pas des liquidités nécessairesau paiement de cette imposition.

Cette récupération des liquidités peutrevêtir diverses formes. Il peut s’agird’une appréhension directe des liqui-dités (amortissement du capital,réduction de capital).

Nous recommandons également unecertaine prudence dans la rémunéra-tion d’un apport de titres par unesoulte, et cela quel que soit le finan-cement de la soulte (emprunt bancaireou inscription en compte courantd’associé, notamment). En effet, de

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telles opérations ont pour effet dedégager à l’apporteur des liquiditésnettes de toute fiscalité dans la limitede 10 % de la valeur nominale destitres reçus. Si ce dispositif s’avèreutile en matière de fusion, notammentpour faciliter les parités d’échange etéviter les rompus (CGI, art. 210 A)ou en matière d’apports conjoints parplusieurs apporteurs à une mêmesociété, il semble aujourd’hui, comptetenu des exigences formulées par lesarrêts du Conseil d’État du 8 octobre2010 précités, qu’une telle pratiqueen matière d’apport, et sauf cas d’es-pèce, puisse être attaquée fiscalement.Il convient de souligner cependantqu’à ce jour, à notre connaissance,aucun contentieux n’a été initié surce fondement. Le recours à la soulteà bon escient permettra de maintenircette situation.

De même, pourrait être assimilée àune récupération de liquidités la rému-nération d’un apport par des obliga-tions convertibles en actions (opérationexpressément visée par l’article 150-0B du CGI) si le bénéficiaire de l’émis-sion renonce à la convertibilité.

Mais la récupération « indirecte » estégalement sanctionnable puisque leConseil d’État contrôle l’utilisationdes liquidités par la société. L’exigencede réinvestissement du prix de cessiondans une activité économique, plutôtque patrimoniale, peut être analyséecomme une assimilation par le Conseild’État à une réappropriation indirectedes liquidités par le contribuable (v. en ce sens, O. Fouquet, Apport-cession et apport d’entreprise indivi-duelle en société, précité, § 5 : « unapport-cession qui est suivi non d’un réin-vestissement économique, mais d’unemploi à objectif purement patrimonial,ne peut donner lieu à report, même si leproduit de la cession de l’actif apportédemeure dans la société et n’est pas appré-hendé par l’apporteur ».En d’autres termes, si la société béné-ficiaire de l’apport exerce une activitééconomique, mais que l’apporteur

récupère les liquidités de la part de lasociété, l’opération d’apport est expo-sée à l’abus de droit.

5°/ La nécessaire réalisation de l’apport

avant la vente

Même si dans les trois affaires précitéesle Conseil d’État n’a pas retenucomme critère du caractère artificieldu montage la brièveté du délai sépa-rant l’apport des titres de leur reventeau grand dam de l’administration fis-cale, il n’en demeure pas moins vraique l’opération d’apport doit toujoursavoir lieu avant la vente.

Il est donc impératif dans les opéra-tions d’apport-cession, et afin d’évitertoute contestation de l’administrationfiscale sur ce fondement, que l’apportdes titres destinés à la vente inter-vienne toujours préalablement à lamatérialisation de l’accord sur la choseet sur le prix entre les parties vende-resse et acheteuse.

Il faudra ainsi bien intégrer dans ledéroulement des opérations le fait quele transfert de propriété des titresapportés ne pourra avoir lieu, en casde constitution de la société bénéfi-ciaire des apports, qu’au jour de sonimmatriculation, ce qui peut, selonles greffes concernés, requérir un délaiplus ou moins long.

B – Les questions en suspens

1°/ Notion d’activité économique

Contrairement au régime de la TVA,la notion d’activité économique n’estpas clairement définie en matière d’im-pôts directs. Toutefois, il s’agit d’unenotion plus large que la simple activitéprofessionnelle qui était requise anté-rieurement par le CCRAD.

Ainsi, le réinvestissement dans des acti-vités professionnelles soit directement(exercice par la société bénéficiaire desapports d’une activité industrielle,commerciale, artisanale, agricole oulibérale), soit indirectement, via desprises de participations majoritaires

dans des sociétés opérationnelles, voireencore dans l’acquisition de locauxaffectés à l’exploitation de l’entreprise,ne semble souffrir aucune contestation(v. en ce sens, l’arrêt « Bazire » précité,où le Conseil d’État a jugé que n’étaitpas constitutive d’un abus de droit laconstitution d’une société civile d’in-vestissement, qui, à l’aide du prix decession des titres apportés, avait acquisdes participations conformément à sonobjet social). La notion d’activité éco-nomique s’entend donc plus largementqu’en matière de TVA, qui ne recon-naît pas aux sociétés holdings une acti-vité économique.

Toutefois, en exigeant le réinvestis-sement dans une activité économiqueet même si certains le déplorent(H. Hovasse, Apports-cessions et abusde droit : retour sur les arrêts Bauchart,Bazire et Four du 8 octobre 2010,RFN 2011, comm. 16), le Conseild’État semble exclure les investisse-ments purement patrimoniaux, telsque notamment les placements financiers (OPCVM, contrats decapitalisation…), voire l’acquisitiond’immeubles de rendement non liésà une activité économique.

La question reste entière en ce quiconcerne les prises de participationsminoritaires. Par ailleurs, le Conseild’État semble exiger en cas d’inves-tissement au sein d’une ou plusieursfiliales que celui-ci soit réalisé en capi-tal plutôt qu’en compte courant. Dansun récent arrêt, le Conseil d’État (CE,3 févr. 2011 n° 329839, Min. c/ M. et Mme Conseil) a ainsi jugé qu’ily avait abus de droit alors même queprès des deux tiers du prix de cessionavaient été investis dans une filiale.Cependant, 4 % seulement avait étéinvesti en capital dans les six mois del’opération et 60 % en compte couranttrois ans plus tard. Le Conseil d’Étata ainsi jugé que cet investissement neconstituait pas un investissement éco-nomique « en l’absence de circonstancesparticulières de nature à lui retirer soncaractère patrimonial ».

ABUS DE DROIT FISCAL...

DossierApport en sursis d’imposition

86 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

2°/ Fraction à réinvestir

Tout d’abord, il nous semble qu’iln’est pas nécessaire de réinvestir latotalité du produit de la vente dansune activité économique dès lors quele Conseil d’État dans deux de ses troisdécisions du 8 octobre 2010 a rejetél’abus de droit alors même que coexis-taient au sein de la société bénéficiairedes apports des investissements à lafois patrimoniaux et professionnels.

Aucun pourcentage précis n’est exigé.

S’agissant d’une pure question de fait,à la lecture des décisions antérieureset dans l’attente d’une prise de positionde l’administration fiscale ou de la juris-prudence sur cette question, il noussemble que le réinvestissement d’unepart prépondérante du prix de cession(c’est-à-dire plus de la moitié) dansune activité économique constitue uneapproche raisonnable. Rappelons quele CCRAD exigeait dans ses avis ren-dus en matière d’apport avec reportd’imposition que « la majeure partie desfonds ait été remployée en investissementsà caractère professionnel ».

3°/ Délai de réinvestissement

Enfin, les trois décisions du Conseild’État précitées du 8 octobre 2010appellent une dernière questionaujourd’hui sans réponse. Qu’est-cequ’un « délai raisonnable de réinves-tissement » ? En effet, il résulte de cesdécisions que le réinvestissement duproduit de la cession dans une activitééconomique peut ne pas être effectuéde façon immédiate.

Cette notion doit en fait s’apprécierau cas par cas, mais un délai pour réin-vestir compris entre zéro et trois anssemble défendable selon l’importancedu réinvestissement et en étant tou-jours capable de se ménager la preuvede recherches effectives dès l’origine.C’est d’ailleurs en ce sens que leConseil d’État, très pragmatique, aadmis dans l’affaire «  Bauchart  »(confirmant ainsi la position de CCADouai, 11 déc. 2007, n° 06-1458),

alors que le réinvestissement dans l’acquisition d’actifs professionnelsn’avait eu lieu que plusieurs annéesaprès l’opération d’apport-cession,qu’un tel délai correspondait au « délainécessaire qu’impliquaient, eu égard à l’im-portance et à la nature de l’investissementréalisé, les prises de contacts et les démarchespréalables d’autant plus requises en l’espèceque M. et Mme Bauchart, jusqu’alors spé-cialisés dans la gestion d’un supermarchéchangeaient de secteur d’activité ».

Il convient enfin de rappeler qu’undélai de deux ou trois ans pour réin-vestir le produit de la vente des titresapportés avait déjà été accepté parla cour administrative d’appel deLyon dans plusieurs décisions (CAALyon, 27 oct. 2009, n° 07-2295 et4 mai 2010, n° 08-144), laquelle sou-lignait notamment l’importance desdémarches préalables réalisées et jus-tifiées par le contribuable eu égard àl’importance et à la nature des inves-tissements recherchés.

CONCLUSION

L’analyse des tentatives de redresse-ment de l’administration fiscale, despositions du CCRAD (aujourd’hui leCAD) et surtout de la jurisprudencepermet de tirer certains enseignements.

L’apport en sursis d’imposition semblebien être dans le champ d’applicationde l’abus de droit.L’abus ne peut être constitué cepen-dant qu’en cas de cession des titresobjet de l’apport.Et en ce cas, pour que l’abus de droitsoit constitué, encore faut-il que l’uneau moins des deux conditions sui-vantes soit remplie :–  l’absence de réinvestissement duproduit de la cession dans une activitééconomique ; et–  la récupération de liquidités parl’apporteur.

On peut toutefois s’interroger sur lebien-fondé de la position du Conseil

d’État, et cela pour les trois raisonssuivantes :– en premier lieu, ni le texte de loi(CGI, art. 150 OB), ni les débats par-lementaires n’ont posé comme condi-tion d’application du régime de faveurun quelconque investissement dansune activité économique ;– en deuxième lieu, les juges font uneimportante confusion en considérantque l’apport-cession suivi du place-ment des liquidités à titre patrimonialdans la société soumise à l’impôt surles sociétés est comparable à uneappropriation des liquidités par lecontribuable. C’est faire fi de la per-sonnalité morale de la société et peut-être plus encore du régime fiscal decelle-ci. Le placement des sommesau sein de la société subira l’impôtsur les sociétés avant de supporterl’impôt de distribution. Nous sommesdonc loin de la détention directe desfonds par le contribuable ;– en troisième lieu, la position duConseil d’État conduit à une aberra-tion. En effet, l’associé d’une sociétépatrimoniale soumise à l’impôt surles sociétés qui déciderait d’apporterses titres à une nouvelle société sou-mise à l’impôt sur les sociétés avantd’en céder les parts, se trouveraitobligé d’investir dans des activitéséconomiques le produit de la cessionalors même que la société cédée étaitpurement patrimoniale.

On regrettera enfin que le Conseild’État n’ait pas défini la notion d’« acti-vité économique » alors même quele respect d’une telle activité est legage de la sécurité fiscale de l’opéra-tion.Une autre approche, plus simple etmoins contestable, ne consisterait-elle pas à valider tous les apports ensursis d’imposition dès lors que l’ap-porteur ne perçoit pas à titre personnelde liquidités ? Ce différé d’impositionse justifierait tout simplement par lefait que l’apporteur ne bénéficie d’au-cune liquidité pour payer l’impôtconstaté lors de l’apport, d’où l’ap-plication du sursis. �

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 87

L’assurance-vie constitue unmoyen légal de déroger auxrègles de droit commun, tant sur le plan civil que fiscal. Or, dès qu’il y a dérogationfavorable, on s’interroge sur sa limite, et, à défaut de limiteexplicite, sur le risque d’abuserde la faculté offerte. La questionde l’abus, de l’excès, est donc consubstantielle àl’assurance-vie (1).

Sur le plan civil, l’abus s’appréciepour déterminer le cas échéantles atteintes aux droits réserva-taires de certains héritiers.

Sur le plan fiscal, qui nous intéresseici, l’abus peut s’envisager :– en valeur (absolue ou en pourcen-tage du patrimoine) : peut-on investirtrop en assurance-vie (I) ?– en « timing » : vient-il un momentoù il est trop tard pour investir enassurance-vie ou modifier les béné-ficiaires désignés (II) ?

Par ailleurs, ce peut être son utilisationdans des configurations spécifiquesqui amène à s’interroger sur l’éven-tualité d’un abus. On pense notam-ment au couple «  assurance-vie etdémembrement de propriété », maisaussi à son utilisation dans le cadred’opérations de cession, requalifiéesde donations déguisées (III).

I – PEUT-ON INVESTIR«� TROP�» EN ASSURANCE-VIE� ?

Alors que la question se pose enmatière civile, cette interrogationparaît, au regard des textes, déplacéeen matière fiscale.

A – Sur le plan civil

Sur le plan civil, l’article L. 132-13du Code des assurances pose :– un principe dérogatoire : le transfertdes capitaux à un bénéficiaire spéci-fique choisi par le souscripteur en casde dénouement du contrat d’assu-rance-vie par décès n’obéit pas auxmêmes règles que celles qui gouver-nent le patrimoine du défunt. Eneffet, « le capital ou la rente payablesau décès du contractant à un béné-ficiaire déterminé ne sont soumis niaux règles du rapport à succession,ni à celles de la réduction pour atteinteà la réserve des héritiers du contrac-tant (…) » ;– une limite : les primes exagérées(visées aussi aux articles L. 132-16 etL. 132-9 du Code des assurances) au-delà desquelles on entre dans le champde l’abus civil : « (…) Ces règles nes’appliquent pas non plus aux sommesversées par le contractant à titre deprimes, à moins que celles-ci n’aientété manifestement exagérées eu égardà ses facultés ».

– une sanction : le retour au droitcommun, mais sans pénalité (hors casspécifique du recel). En effet, les primes jugées exagéréessont sanctionnées par leur réintégrationdans la succession (ou par une récom-pense à la communauté s’agissant del’application de l’article L. 132-16) etse voient appliquer les règles du droitcommun sur le plan civil (par exemplela réduction de la libéralité orchestréepar la clause bénéficiaire si elle s’avèreexcessive).Ce principe de régulation a le mérited’exister mais sa mise en œuvre estcomplexe. Compte tenu de la diffi-culté de détermination des critèresde l’exagération, il s’avère relative-ment peu opérant. Lorsque la réin-tégration s’applique, celle-ci a desconséquences sur le plan fiscal dansla mesure où les primes considéréescomme exagérées sont alors soumisesaux droits de mutation en fonction

Notes(1) Références bibliographiques : J. Aula-gnier, Les souscriptions conjointes avec dé-nouement au deuxième décès ne peuvent pasêtre qualifiées de donation indirecte, News-letter AUREP, n° 89, juin 2010 ; F. Douet,Defrénois, 2009, n° 20, p. 2170, art. 39031,obs. sous CA Paris, 6 févr. 2009 ; C. Gri-maldi, L’acceptation de l’acceptation d’uncontrat d’assurance-vie – Un OJNI objet ju-ridiquement non identifié, Defrénois 2008,n° 15, p. 1645-1655 ; S. Hovasse, Droit fiscal,Patrimoine, Requalification d’une assurance-vie en donation indirecte, JCP E 2008, nos 7-8, n° 1265, note sous Cass. ch. mixte,21 déc. 2007 ; B. Pays, Quelle place pour l’assurance-vie dans un patrimoine ?,JCP N 2005, n° 17, art. 1247 ; Ph. Pierre etR. Gentilhomme, Assurance-vie : la dona-tion entre vifs à l’épreuve de la mort du sous-cripteur. À propos de Cass. ch. mixte,21 déc. 2007, JCP N 2008, n° 24,art. 1222 ; R. Riche, L’assurance-vie requali-fiée en « donation indirecte… in fine ». Si laCour de cassation se pose en moralisatrice,qui va rendre le droit ?, JCP N 2008, n° 15,art. 1174.

Par Sophie Gonsard,Spécialistestratégiepatrimoniale,GroupeAlthemis,

et Pascal Julien

Saint-Amand, Notaire associéà Paris,Président du GroupeAlthémis

Dossier ABUS DE DROIT FISCAL...

Assurance-vie placement et abus de droit

Dossier Assurance-vie placement et abus de droit

88 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

du lien de parenté entre l’assuré et lebénéficiaire. Même si elle l’a envisagé un temps,l’administration fiscale ne peut pasutiliser la notion de prime excessiveau sens civil pour obtenir la taxationfiscale d’un investissement qu’elleestimerait abusif.

B – Sur le plan fiscal

Sur le plan fiscal, la question des limitesa été abordée sous un angle différent,puisqu’il n’en a été fixé aucune, nien valeur absolue, ni en valeur rela-tive. En revanche, le choix a été fait d’unedégressivité des avantages fiscaux :– essentiellement en fonction de l’âgeavec l’article 757 B du Code généraldes impôts (CGI) (v. infra) ;– ou en fonction des volumes avecl’article 990 I du même code (et accessoirement avec l’abattement de30 500 euros dans le cadre de l’article757 B du CGI).Avant la mise en place de l’article 990 Idu CGI (2), les capitaux décès bénéfi-ciaient d’une exonération totale pourles primes versées avant les 70 ans del’assuré et la question de l’excès faisaitpartie des « craintes » systématiques del’époque, tant du côté des souscripteursque de leurs conseils.Lors du débat qui a conduit à la créa-tion de l’article 990 I du CGI, diffé-rentes pistes ont été explorées pourcréer une véritable limite, soit envaleur absolue (plafond par assuréfixé au seuil de l’impôt de solidaritésur la fortune de l’époque, soit4 610 000 francs), soit en pourcentagedu patrimoine (30 % du patrimoinesi ce plafond s’était avéré plus favo-rable que celui de 1 000 000 de francspar bénéficiaire).Au final, c’est la logique d’un abat-tement qui a été retenue (1 000 000de francs, puis 152 500 euros, parbénéficiaire distinct d’un mêmeassuré), mais sans plafond au-delàpuisqu’une taxation de 20 %, venueremplacer l’ancienne exonération,était mise en place pour absoudre le

souscripteur du péché d’un éventuelabus.

Après cette réforme, on s’accordaitgénéralement pour dire que s’il restaitdes limites civiles à respecter (v. supra),il n’en existait plus aucune sur le planfiscal pour les investissements avant70 ans et que l’affectation de 100 %de son patrimoine à l’assurance-viene pouvait plus être constitutive d’unabus de droit fiscal (3).

II – VIENT-IL UN MOMENT OÙ IL EST TROP TARD POURL’ASSURANCE-VIE� ?

Le législateur fiscal a modifié à plu-sieurs occasions le régime applicableà l’assurance-vie en fonction de l’âgedu souscripteur assuré (A). L’admi-nistration fiscale tente parallèlementd’ajouter d’autres limites en requali-fiant des opérations d’assurance-vieréalisées peu avant le décès de l’assuré(B).

A – Des règles fiscales pour lesinvestissements après 70 ans en vued’éviter les abus fiscaux

Pour limiter les abus qui pourraientdécouler de l’utilisation de l’assu-rance-vie « dans le seul but d’échapperau paiement des droits de mutation pardécès »(4), le législateur a choisi defixer une limite d’âge au-delà delaquelle le régime fiscal des contratsd’assurance-vie devient moins favo-rable.Ainsi, les primes versées à compter dusoixante-dixième anniversaire (5) sontsoumises aux droits de mutation pardécès – en application des dispositionsde l’article 757 B du CGI – suivantle degré de parenté existant entrele bénéficiaire et l’assuré, après un abattement unique par assuré de30 500 euros. L’idée sous-jacente estici que plus on avance en âge, plus lafonction « stipulation pour soi-même »de l’assurance-vie (sa dimension pla-cement) se réduit au profit de la dimen-

sion « stipulation pour autrui », et quela diminution des avantages fiscauxattachés à la transmission par décèspermet de « filtrer » naturellement lescomportements : s’il n’y a que peud’intérêt fiscal à transmettre via l’as-surance-vie après 70 ans, c’est doncque la souscription ou le versementobéit à d’autres motivations.

Cette règle du jeu posée, commele confirme Christine Lagarde (6),ministre de l’Économie et desFinances, les versements effectuésaprès 70 ans sont « autorisés quel quesoit l’âge du souscripteur ou l’encours ducontrat. Il n’existe donc ni d’âge limite,ni de plafond de versements. Elles (lespersonnes concernées) ont ainsi la pos-sibilité de continuer leur effort d’épargneou, si elles en décident autrement, d’uti-liser ces sommes pour leurs besoins per-sonnels ».Pour autant, si on peut continuer àinvestir à un âge avancé, encore faut-il que ce ne soit pas « sur son lit demort ».

B – Souscriptions et/ou versementssur «� le lit de mort�»

Le cas envisagé ici est celui d’un décèsintervenant dans un délai relativementproche de la souscription ou des ver-sements, qui pourrait être analysécomme contraire à la volonté du légis-lateur (et donc répréhensible), ce der-

Notes(2) L. fin. 1999 n° 98-1266, 30 déc. 1998, en-trée en vigueur pour les primes versées aprèsle 13 octobre 1998 pour tous les contrats, ycompris ceux souscrits avant le 20 novembre1991.(3) Même si des circonstances de fait propresà chaque affaire peuvent néanmoins contra-rier ce principe (Rép. min. à QE n° 23488, Marsaudon, JO AN, 3 janv. 2000, p. 58) : on pense ici aux souscriptions « sur le lit demort » ; v. infra. (4) Rép. min. à QE n° 41944, Loos, JOANQ. 14 juill. 2009, p. 7049.(5) Pour tous les contrats souscrits après le20 novembre 1991 (peu importe à cet égardque les primes aient été versées avant ou aprèsle 13 octobre 1998).(6) Rép. min. à QE n° 41944, précité.

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 89

nier cherchant à encourager au traversde l’assurance-vie la constitution etla détention d’une épargne longue etnon l’optimisation fiscale de la trans-mission.En la matière, il est d’ailleurs surpre-nant que le législateur n’ait pas direc-tement fixé une règle (comme pourles donations avec réserve d’usufruitintervenant moins de trois mois avantle décès) ou défini des présomptions(à l’instar de celles prévues par exem-ple par les articles 751 et 752 du CGI)qui auraient permis au souscripteurde respecter avec une plus grandesécurité « la règle du jeu ».Au contraire, il est amusant de consta-ter que l’administration fiscale donneelle-même le « mauvais exemple »,puisque l’un des cas exposés dans l’ins-truction 7 K-1-00 du 30 décembre1999 concernait un souscripteur âgéde 67 ans qui avait souscrit en novem-bre 1998 un contrat d’assurance surla vie au bénéfice de son neveu M. Y avec une prime unique de1 500 000 francs et était décédé enmars 1999, soit moins de cinq moisaprès la souscription. Aucune réserve,telle que la bonne santé, au moinsrelative du souscripteur assuré, n’apourtant été émise dans l’instructionsur une telle opération, réalisée à trèsgrande proximité du décès.L’administration fiscale n’est cependantpas démunie face aux souscriptions tar-dives et utilise deux « armes » présentéesnotamment dans une réponse minis-térielle « Charasse » de 2003 (7) :– faire qualifier le bénéfice du contratd’assurance-vie de donation indirecte ;– mettre en œuvre la procédure d’abusde droit dans les cas où le contrat peuts’analyser comme une simulation ouune fraude à la loi.

1°/ L’axe de l’abus de droit

Le critère de l’abus de droit tel qu’ila été dégagé par le Comité consultatifpour la répression des abus de droit(CCRAD) (devenu Comité de l’abusde droit fiscal [CAD]) repose sur ladémonstration du but exclusivementfiscal de la souscription ou du verse-

ment. L’administration fiscale tentede démontrer que l’état de santédégradé et le caractère prévisible dudécès du souscripteur retirent toutcaractère aléatoire à l’opération d’as-surance-vie et impliquent qu’elle acomme seule vocation d’éluder lesdroits de mutation par décès.

A contrario, s’il peut être démontréque le décès n’était pas la conséquenced’une maladie ou que, si maladie il yavait, les perspectives de guérisonétaient non nulles, une souscriptionet/ou des versements peu de tempsavant le décès peuvent conserver leurobjectif de placement et échapper àl’abus de droit.

L’analyse des avis du CCRAD et dela position des juges du fond montreune grande exigence dans la démons-tration de la prévisibilité du décès.

Parmi les autres indices favorisant lareconnaissance de l’abus, il convientde souligner :– l’importance de la fraction du patri-moine placée en assurance-vie ; et– la participation active des bénéfi-ciaires du contrat à l’opération desouscription.Chacun de ces éléments est cependantà lui seul un élément insuffisant pourcaractériser l’abus de droit fiscal.

L’application de l’article L. 64 duLivre des procédures fiscales (LPF)implique le respect de la procédurequi y est attachée et qui s’avère trèscontraignante pour l’administrationfiscale, ce qui la conduit depuisquelques années à préférer parfois atta-quer sur le fondement de la donationindirecte.

Sur le plan fiscal, la constatation del’abus de droit entraîne la taxation descapitaux en cause au barème des droitsde succession en fonction du lien deparenté entre l’assuré et le bénéficiaire.

À cette taxation, il faut ajouter l’ap-plication des pénalités spécifiques

(CGI, art. 1729), sachant que désor-mais deux taux sont susceptibles des’appliquer :– 80 %, si le service établit que lecontribuable est l’instigateur principalou le bénéficiaire principal de l’abusde droit, ce qui est en général le cas,puisque c’est à son bénéfice que lecontrat a été souscrit (sans compterqu’il peut aussi en être l’instigateur,comme le montrent certains desexemples en encadré) ;– 40 %, « lorsqu’il n’est pas établi quele contribuable a eu l’initiative prin-cipale du ou des actes constitutifs del’abus de droit ou en a été le principalbénéficiaire » (Instr. 20 sept. 2010,BOI 13 N-3-10, complétée par l’in-struction 13 L-9-10).

2°/ La donation indirecte

a) Analyse doctrinale Par le passé, une partie de la doctrinea qualifié la transmission réalisée parla souscription d’un contrat d’assu-rance-vie de « donation indirecte »,lui appliquant un certain nombre derègles relatives aux donations : révo-cation de la désignation du conjointbénéficiaire, révocation pour caused’ingratitude ou de survenance d’en-fant, insertion de charges dans lesclauses bénéficiaires, etc.

En réalité, une opération de transmis-sion via un contrat d’assurance-vie nepeut être qualifiée (requalifiée ?) de« donation » – en l’occurrence indirecte– que si elle répond à un certain nombrede caractéristiques, assez proches decelles qui aboutissent à une qualifica-tion d’abus de droit, mais suffisammentdifférentes pour justifier l’intérêt queleur prête l’administration fiscale.

b) Réponse ministérielleComme l’indique la réponse minis-térielle « Charasse » (8) dès 2003, pour

ABUS DE DROIT FISCAL...

Notes

(7) Rép. min. à QE n° 9967, Charasse, JOSénat Q. 6 oct. 2003, p. 7651.(8) V. note 7.

Dossier Assurance-vie placement et abus de droit

90 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

obtenir une requalification, l’admi-nistration fiscale doit, au vu des élé-ments de fait (âge, état de santé,ressources, situation patrimoniale dusouscripteur, caractéristiques ducontrat, liens d’affection entre le souscripteur et le bénéficiaire, etc.),apporter la preuve :– de l’intention libérale du dona-teur ;– et de son dessaisissement irrévocableau profit du bénéficiaire. En revanche, le caractère exagéré desprimes (visé dans la question commeétant la principale cause de la déqua-lification du contrat) n’est qu’un critèreparmi d’autres et insuffisant à lui seul.

c) Jurisprudence du Conseild’État Après avoir souligné que, aux termesde l’article 894 du Code civil, «  ladonation entre vifs est un acte par lequelle donateur se dépouille actuellement etirrévocablement de la chose donnée en faveurdu donataire qui l’accepte », le Conseild’État a précisé qu’un contrat d’assu-rance-vie soumis aux dispositions desarticles L. 132-1 et suivants du Codedes assurances (9) n’a pas en lui-mêmele caractère d’une donation.En revanche, il peut être requalifié endonation indirecte si, compte tenu descirconstances dans lesquelles ce contrata été souscrit, il révèle, pour l’essentiel,une intention libérale de la part dusouscripteur vis-à-vis du bénéficiaire.

Selon le Conseil d’État, l’intentionlibérale est établie lorsque le souscrip-teur du contrat :– eu égard à son espérance de vie ; – et à l’importance des primes verséespar rapport à son patrimoine, doit être regardé, en réalité, commes’étant dépouillé de manière à la foisactuelle et irrévocable au profit dubénéficiaire.

Notes

(9) Ce contrat stipulant qu’un capital ou unerente sera versé au souscripteur en cas de vie à l’échéance prévue par le contrat, et à un ouplusieurs bénéficiaires déterminés en cas dedécès du souscripteur avant cette date.

Exemples de cas estimés abusifs ou non abusifs par le CCRAD oula jurisprudence en matière de souscription ou de versement prochedu décès :

Comité consultatif pour la répres-sion des abus de droit

Avis 97-16

Souscriptions réalisées avec les capitaux du

défunt la veille de son décès par un proche qui

se désigne comme bénéficiaire. Le Comité a

relevé que l’absence d’aléa était manifeste (et

les versements réalisés représentaient la

quasi-totalité du patrimoine du défunt).

Aff. 99-18 (BOI 13 L-1-02)

Le mois précédant le décès de sa mère, un fils

a réalisé 98 % du patrimoine financier de celle-

ci pour souscrire trois contrats d’assurance-

vie.

Le décès étant prévisible, il ôte tout caractère

aléatoire aux contrats.

Aff. 2000-10 (BOI 13 L-1-03)

Après une hospitalisation de quinze jours, le fu-

tur défunt a souscrit un contrat d’assurance-

vie au profit de ses deux sœurs, avant d’être à

nouveau hospitalisé moins de deux mois après

et de décéder le jour de son hospitalisation.

Jurisprudence

CA Douai, 29 sept. 2003, n° 02-2777

Au lendemain de son hospitalisation, souscrip-

tion d’un contrat d’assurance-vie par la future

défunte et versement de 77,5�% de ses actifs.

Survenance très peu de temps après de son

décès dont l’imminence était connue de toute

la famille.

CA Reims, 26 janv. 2006, n° 04-2478

Contrat souscrit précipitamment, alors que la

souscriptrice âgée de 85 ans se trouvait hospi-

talisée depuis plusieurs jours, sans qu’aucun

certificat médical ne puisse être produit indi-

quant qu’elle était sur le point de sortir de l’hô-

pital.

Comité consultatif pour la répres-sion des abus de droit

Aff. 2000-30 (BOI 13 L-1-03)

Souscripteur sous la curatelle de son frère, qui

a souscrit un contrat d’assurance-vie dont les

bénéficiaires désignés sont ses trois frères et

sa sœur (dont le curateur). Plus d’un an plus

tard, le souscripteur assuré effectue sur ce

contrat un versement de 1,2 million de francs.

Cette somme provenait de la vente d’un bien

immobilier non prévisible à la date de souscrip-

tion du contrat (la vente du bien faisait suite au

suicide du fermier qui l’exploitait).

Enfin, absence de caractère prévisible du dé-

cès du souscripteur tant lors de la souscription

du contrat d’assurance-vie qu’au moment du

versement.

Aff. 2001-9 (BOI 13 L-1-02)

Mademoiselle S…, célibataire sans enfant,

souscrit un contrat d’assurance-vie puis dans

le cadre d’une curatelle renforcée désigne des

bénéficiaires en liens familiaux avec elle et son

curateur. Sept ans après, le curateur réalise

l’essentiel du patrimoine et alimente l’assu-

rance-vie, peu de temps avant le décès de l’as-

surée.

Rien ne permettait de prouver que le décès

était prévisible.

Aff. 2006-06 (BOI 13 L-6-07)

Souscription avec une prime unique de 23 324

euros d’un montant inférieur au seuil de 30 500

euros puis décès un mois et demi plus tard. En

dépit de l’état de santé du souscripteur, le dé-

cès n’était pas prévisible lors de la conclusion

du contrat litigieux.

Jurisprudence

CA Paris, 19 sept. 2008, n° 06-13320, Rongier

Souscription par un homme âgé de moins de

60 ans, sans éléments médicaux indiquant la

probabilité d’un décès dans un délai prévisible

lors de son adhésion au contrat. L’objectif

«�placement�» est donc reconnu� : objectif re-

traite et perspective d’effectuer des rachats

ou de modifier la clause bénéficiaire.

Abusif Non abusif

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 91

Le Conseil d’État admet que l’accep-tation, élément fondamental de ladonation, n’intervienne qu’après ledécès du souscripteur.

On pourra noter dans les cas décritsci-après que les souscriptions ne sontpas toutes réalisées sur le « lit de mort ».La question de l’état de santé du sous-cripteur n’est pas directement abordée(et certains décès interviennent rela-tivement tardivement par rapport àla date de la souscription). Le raison-nement est plutôt basé sur un « calculde probabilité » visant à déterminersi le capital du contrat avait une chanceraisonnable d’être utilisé par le sous-cripteur.

CE, 19 nov. 2004, n° 254797  :souscription en 1996, à l’âge de89 ans, et décès en 1999. – La plushaute juridiction a considéré « qu’ense fondant sur l’âge de Mme R. à la datede souscription des contrats d’assurance-vie, rapproché de leur durée, ainsi que surl’importance des primes versées par rapportà l’actif disponible de l’intéressée, la com-mission centrale d’aide sociale, qui a sou-verainement estimé que la durée descontrats rendait très probable que les capi-taux assurés seraient versés aux enfantsde Mme R., a pu légalement en déduireque ces derniers devaient être regardéscomme les bénéficiaires d’une donation ».

CE, 6 févr. 2006, n° 259385 : sous-cription en 1999, à l’âge de 90 ans,et décès dix-huit mois plus tard. –L’intention libérale doit être regardéecomme établie lorsque le souscripteurdu contrat, eu égard à son espérancede vie et à l’importance des primesversées par rapport à son patrimoine,s’y dépouille au profit du bénéficiairede manière à la fois actuelle et irré-vocable en raison de la naissance d’undroit de créance sur l’assureur. Cetterequalification ne peut avoir lieuqu’après que le bénéficiaire a donnéson acceptation au contrat. La cir-constance que cette acceptation inter-vienne au moment du versement dela prestation assurée après le décès du

prescripteur est sans incidence sur cepouvoir de requalification.

CE, 21 oct. 2009, n° 316881 : sous-cription en 1994 (81 ans) et 1995(82 ans) – désignation de sonneveu en 1997, décès en 2003. –Compte tenu de l’âge de Mme B aumoment de la souscription descontrats d’assurance-vie litigieux ainsique de l’importance des primes ver-sées par rapport à son patrimoine, lasouscription de ces contrats doit êtreregardée comme procédant d’uneintention libérale et réalise une dona-

tion indirecte de la tante à l’égard deson neveu. Le droit de récupérationde l’aide sociale est cependant limitéau montant des primes versées.

d) Jurisprudence judiciaire La voie de la requalification descontrats d’assurance-vie en donationindirecte a été suivie en premier lieupar l’administration fiscale afin d’ob-tenir l’assujettissement des sommesversées aux droits de succession plutôtqu’au régime favorable de l’assurance-vie. Très rapidement, cette démarchefut également empruntée par des héri-

ABUS DE DROIT FISCAL...

Assurance-vie requalifiée en donation indirecte (jurisprudence judi-ciaire)

Cass. com., 1er déc. 1998, n° 96-16.010

Le cas est celui d’une différenciation assuré-

souscripteur, avec un décès du souscripteur

moins d’un an après la souscription. Cette der-

nière caractérise une donation indirecte car la

souscriptrice s’est en réalité dépouillée au

profit exclusif des assurés des sommes inves-

ties (750 000 francs) qui ne pouvaient profiter

qu’à eux.

Cass. ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769

Serge G., atteint d’un cancer depuis 1993 et en

ayant connaissance, a souscrit deux contrats

d’assurance-vie en 1994 et 1995 et versé une

somme totale de 16 500 000 francs. Par un ave-

nant du 27 août 1996, il a désigné Mme X comme

seule bénéficiaire, cette dernière étant par ail-

leurs sa légataire universelle.

Il est décédé trois jours plus tard.

Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-70.927

Souscription sur «� le lit de mort�»� : M. X était

atteint d’un cancer depuis 1997 qui l’avait obligé

à cesser ses activités professionnelles fin fé-

vrier 1998.

Il a souscrit en mars 1998 trois contrats d’assu-

rance-vie et est décédé fin décembre 1998 à la

suite de l’aggravation régulière de son état.

Absence d’aléa au moment de la souscription

des contrats qui donnait un caractère illusoire

de la faculté de rachat et consacrait la volonté

actuelle et irrévocable du souscripteur de se

dépouiller...

CA Paris, 8 avr. 2004, n° 02-16239

En avril 1996, Mme P avait écrit à son gérant

pour se plaindre de l’insuffisance des revenus

générés par ses placements. Il lui a suggéré la

souscription d’un contrat d’assurance-vie

dans une optique de placement. Le décès est

intervenu dans un délai de dix-huit jours mais

un éventuel mauvais état de santé de Madame

P n’est pas démontré, et à 62 ans, elle n’avait

pas dépassé son espérance de vie statistique.

Cass. com., 28 juin 2005, n° 03-18.397

Le cas est ici celui d’une co-adhésion effectuée

le 18 septembre 1991 par M. X et Mme Y Z

M. X est décédé le 15 mars 1992 avant le terme

du contrat.

La Cour de cassation a retenu l’argument de la

cour d’appel, indiquant que la faculté de rachat

dont bénéficiait chaque souscripteur pendant

la durée du contrat excluait qu’il se soit dé-

pouillé irrévocablement au sens de l’article

894 du Code civil et que le fait que le survivant

se retrouve seul titulaire du contrat ne suffisait

pas à caractériser la donation indirecte.

Reconnaissance de la donation Absence de donation

indirecte indirecte

Dossier Assurance-vie placement et abus de droit

92 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

tiers se sentant lésés en vue de réin-tégrer dans la masse successorale - surlaquelle portaient leurs droits - lessommes investies en assurance-vie.Cette voie est apparue, dans certainescirconstances, plus efficace que cellesfondées sur la déqualification ducontrat en opération de pure capita-lisation (écartée par la Cour de cas-sation par les arrêts du 23 novembre2004), ou encore sur la reconnaissancedu caractère exagéré des primes (10).

Spécificité de l’arrêt du 21 décem-bre 2007. – Si le décès est intervenurelativement peu de temps après lessouscriptions (entre un et deux ans),si le souscripteur se savait effective-ment malade et si les primes verséesont été très importantes (16 500 000francs, soit plus de 80 % du patrimoinedu souscripteur), il n’en reste pas moinsque c’est la modification de la clausebénéficiaire – quelques jours avantson décès – qui semble avoir fait pen-cher la balance du côté de la donationindirecte. C’est donc aussi la proximitéentre le changement de bénéficiaire(en l’occurrence sa légataire) et le décèsqui fonde l’absence d’aléa dans les dis-positions prises et caractérise le carac-tère illusoire de la faculté de rachat àcette date et donc l’existence chezl’intéressé d’une volonté actuelle etirrévocable de se dépouiller.

3°/ Abus de droit ou donation indirecte� :

deux procédure distinctes

Dans un arrêt du 6 février 2009, lacour d’appel de Paris est venue rappelerqu’il convient pour l’administrationfiscale de choisir entre la requalifica-tion en donation indirecte « ou » l’abusde droit. Dans le cas en cause, l’ad-ministration fiscale avait argumentéen indiquant que l’assurance consti-tuait une donation indirecte du faitnotamment de l’intention libérale, del’âge avancé du souscripteur. Elle ena conclu qu’il s’agissait d’une opérationavec un but exclusivement fiscal. Or la cour a considéré que pour fairereconnaître le caractère exclusive-ment fiscal, il convenait de suivre le

formalisme propre à l’abus de droit,ce que l’administration fiscale n’a pasfait et ce qui a entraîné l’irrégularitéde la procédure de redressement. En revanche, dans un arrêt de2010 (11), les services fiscaux avaientseulement constaté que les contratsd’assurance-vie revêtaient accessoire-ment et indirectement le caractère delibéralité, sans arguer d’une quel-conque simulation, et la Cour de cas-sation a admis que, dans ce cas, ilsn’avaient pas à mettre en œuvre la pro-cédure de répression des abus de droit.

4°/ Conclusion sur les opérations tardives

La Fédération française des sociétésd’assurances (FFSA) recommandedepuis 2001 (12) d’apporter le plusgrand soin au contenu et à la rédactiondes contrats en vue de permettre deprévenir les demandes en rapport ouréduction des héritiers en cas deprimes excessives ainsi que la requa-lification par l’administration fiscaleen donation indirecte, en particulierlorsque, compte tenu du montant desprimes et de l’âge du souscripteur,l’aléa fait défaut.

Elle conseille notamment lors de lasouscription des contrats :– d’accorder une attention particu-lière au montant des primes verséesen prenant en compte les objectifs dusouscripteur et la composition de sonpatrimoine ;– d’écarter les demandes de souscrip-tion émanant de personnes d’un « âgeélevé », en particulier lorsque lesconditions de la souscription permet-tent de penser qu’il existe un risquede contestation ultérieure et de mettreen place une procédure d’examen sys-tématique des demandes de souscrip-tion au-delà d’un certain âge, et entout état de cause à partir de 85 ans.

À la lecture des avis du CCRAD etde la jurisprudence, on peut tirer lesconclusions suivantes.

Dès lors qu’elles interviennent dansun contexte où l’espérance de vie du

souscripteur est faible, du fait de songrand âge mais surtout du fait d’unemaladie, et lorsque l’avantage fiscalde l’opération est élevé pour le béné-ficiaire par rapport à une transmissionvia la succession, il convient d’êtreattentif aux opérations suivantes, quiencourent un risque réel de remiseen cause au titre de l’abus de droitet/ou de requalification en donationindirecte :– souscription ;–  versements sur des contrats déjàouverts ;– modification de la clause bénéfi-ciaire.

En revanche, si la possibilité de gué-rison est statistiquement probable, ilne faut pas exclure l’investissement enassurance-vie, à la double conditionde se ménager la preuve de cet état defait (idéalement par un certificat médi-cal établi avant l’investissement) etd’en matérialiser la vocation de pla-cement (notamment générateur derevenus) au sein de la stratégie patri-moniale globale de la personne malade.

Exemples d’avantage fiscal élevé.–On peut citer les exemples suivants : – contrats exonérés (primes verséesavant 70 ans et avant le 13 octobre1998) lorsque les bénéficiaires seraienttaxables dans la succession ;– lorsque le régime fiscal de l’article990 I (primes versées avant 70 ans,même après le 13 octobre 1998) estplus favorable que la taxation via lasuccession  : concubins, neveux etnièces, frères et sœurs, mais aussi danscertains cas enfants et petits-enfants ; – après 70 ans, c’est essentiellementl’abattement de 30 500 euros qui est

Notes(10) Cass. 2e civ, 23 oct. 2008, n° 07-19.950 ;Cass. 2e civ., 23 oct. 2008, n° 07-19.950 ;Cass. 1re civ., 17 mars 2010, n° 08-15.658.(11) Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-70.927.(12) Cet engagement a été approuvé par l’as-semblée générale de la FFSA, le 17 décembre2001, puis confirmé le 24 juin 2003. Il a étéadopté par la commission exécutive duGroupement des entreprises mutuelles d’as-surances (GEMA), le 13 novembre 2008.

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 93

visé puisque le gain lié à la taxationdes seules primes (et donc à l’exoné-ration des produits générés) ne devientréellement favorable qu’avec le temps,qui vient conforter l’aléa (en l’occur-rence positif) – lié à la durée de lavie...

Information de l’administrationfiscale. – L’existence de contrats d’as-surance-vie est connue de l’adminis-tration fiscale de manière systématiquelorsqu’ils sont soumis à l’article 757 Bdu CGI ou à l’article 990 I. En effet,les assureurs sont tenus d’adresser unedéclaration spécifique à la directiondes services fiscaux du domicile de l’as-suré (formulaire n° 2739), qui men-tionne notamment : – les nom, prénoms et domicile del’assuré, ainsi que la date de son décès ; – les noms, prénoms et domicile du(ou des) bénéficiaire(s) ; – la date de souscription du (ou des)contrat(s) ; – le montant des primes versées aprèsle soixante-dixième anniversaire del’assuré (13).

III – L’ASSURANCE-VIE COMMEÉLÉMENT RENFORÇANT LE CARACTÈRE CONTESTABLE D’UN SCHÉMA GLOBAL

A – Assurance-vie et donationsdéguisées

Dans un grand nombre d’affaires dedonations déguisées en vente, la sous-cription d’un contrat d’assurance-vieau profit du prétendu acheteur est undes éléments confortant l’intentionlibérale du prétendu vendeur, mêmelorsque ledit contrat n’est pas alimentéavec le produit de la vente (14).

Mais cette position n’est pas systéma-tique, ainsi que l’illustre la positiondu CCRAD dans l’affaire 2004-21.Un contribuable avait cédé sa maisond’habitation pour un prix converti enune rente annuelle viagère, puis sous-crit des contrats d’assurance-vie au

bénéfice de l’acheteur. Après avoirconstaté que le paiement de la rentetrimestrielle avait été honoré jusqu’audécès du vendeur, le comité a concluque la vente de la maison d’habitationne dissimulait pas une donation auprofit de l’acquéreur, malgré sa qualitéde bénéficiaire des contrats d’assu-rance-vie souscrits par le vendeur postérieurement à la vente, dans lamesure où l’acquéreur, bénéficiairedes contrats, n’avait pas donné sonacceptation à sa désignation. Cetterédaction laisse à penser que dans lecas inverse, c’est-à-dire en cas d’ac-ceptation intervenue du vivant dusouscripteur, une autre lecture auraitdû être faite.

De même, les affaires 2010-04, 2010-05 et 2010-06, publiées au BOI13 L-13-10 (et présentées supra dansl’article sur les donations déguisées),écartent l’abus de droit dans le cadrede vente moyennant rente viagèrelorsque le prix est effectivement payé,même si tout ou partie de celui-ci estinvesti en contrat d’assurance-vie aubénéfice des acquéreurs (neveux etnièces) lorsque les capitaux versés sonttaxables dans le cadre de l’article 757 Bdu CGI.

Dans ces affaires, l’administration fis-cale s’est rangée à l’avis émis par leComité.

B – Assurance-vie et démembrementde propriété

Le démembrement de propriété peutêtre pratiqué à l’occasion de la sous-cription du contrat ou de son dénoue-ment (démembrement de la clausebénéficiaire).

a) Investissement de capitauxdémembrés sur un contrat d’as-surance-vie Dans l’affaire 2002-19 (15) concer-nant une opération de donation dela nue-propriété de titres avant leurcession, le CRRAD a considéré quele réemploi conjoint par l’usufruitier

et le nu-propriétaire du prix pour lasouscription de contrats d’assurancedémembrés dont les revenus ne pou-vaient être appréhendés que par l’usu-fruitier était constitutif d’un abus dedroit. Selon le Comité, l’investisse-ment des enfants dans la nue-propriétédes contrats s’analysait en un prêt sansintérêt et à terme de la part des enfantsaux parents.Est ainsi caractérisée laréappropriation des sommes par lesparents, rendant fictive la donationinitiale et démontrant le but exclusi-vement fiscal de l’opération aux yeuxdu Comité, encore peu familier avecle schéma qu’il a ensuite appris àconnaître...

Une lecture plus cohérente a été faitepar le tribunal administratif de Ver-sailles en 2007 (16) devant lequel étaitportée la même affaire. Selon le tri-bunal, aucune clause de remploin’obligeait les enfants à cet investis-sement auquel ils avaient librementconsenti, et les pouvoirs importantsdonnés à l’usufruitier ne pouvaientêtre assimilés à une réappropriationet ne remettaient pas en cause le des-saisissement effectué par le donateur.En l’occurrence, les pouvoirs de l’usu-fruitier étaient les suivants et corres-pondaient à une configuration assezclassique pour ce type de convention : – choix des supports de gestion finan-cière ; – possibilité de demander sous leurseule signature le rachat partiel ducontrat dans la limite de l’excédentde la valeur de rachat totale (majoréedu bonus de fidélité non encore attri-

ABUS DE DROIT FISCAL...

Notes(13) Si le contrat est soumis à l’article 757 Bdu CGI.(14) Pour des exemples, v. les affaires sui-vantes :– BOI 13 L-4-01 : aff. 2000-22 ; – BOI 13 L-2-05 : aff. 2004-4 et 2004-8 ;– BOI 13 L-1-02 : aff. 1999-27, 1999-29 et2000-15 ;– BOI 13 L-1-03 : aff. 2000-31, 2001-4,2001-19 et 2002-12 ;– BOI 13 L-6-07 : aff. 2006-17.(15) CCRAD, aff. 2002-19, BOI 13 L-1-03.(16) TA Versailles, 5e ch., 20 nov. 2007, n° 06-3231, Bellemare.

Dossier Assurance-vie placement et abus de droit

94 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

bué, ce qui est plus atypique) par rapport au montant net investi.Enrevanche, les demandes de rachatayant pour effet de dépasser cettelimite devaient être signées conjoin-tement par les co-souscripteurs (usu-fruitiers et nus-propriétaires).

L’affaire 2004-40 (17) consacre lerevirement du CCRAD pour troiscontrats de capitalisation souscritsdans les mêmes conditions et avec lesmêmes clauses que dans l’affaire 2002-19. Le CCRAD a considéré que cetaménagement des conditions géné-rales des contrats de capitalisation neremettait pas en cause le dessaisisse-ment du donateur.Cette position a été amplifiée avec l’af-faire 2006-11 (18). À la suite de ladonation de la nue-propriété de titres,et de leur cession, l’usufruitier et le nu-propriétaire avaient investi conjointe-ment le produit de la cession au seinde contrats de capitalisation. Uneconvention conclue entre l’usufruitieret le nu-propriétaire avait réservé lapossibilité pour le donateur usufruitierde procéder au rachat partiel, voiretotal. Dans cette seconde hypothèse,les donateurs usufruitiers devaient res-ter, aux termes de ladite convention,redevables d’une créance de restitutionde même montant à l’égard des nus-propriétaires donataires.Dans ces conditions, le Comité aestimé que si les clauses de remploiet de rachat avaient restreint les droitsdes nus-propriétaires, ce n’était pasau point d’aboutir à une réappropria-tion par l’usufruitier des biens précé-demment transmis. La donationparticipait donc d’une réelle intentionlibérale, malgré les pouvoirs extrê-mement étendus de l’usufruitier luipermettant de disposer de l’intégralitéde la somme en contrepartie de laconstatation d’une dette de restitutionà l’égard des nus-propriétaires exigiblelors de sa succession.

L’aménagement des conditions géné-rales et particulières d’un contrat decapitalisation en vue de permettre àl’usufruitier d’appréhender les « fruits »du placement conventionnellementdéfini ne peut être considéré commeremettant en cause l’intention libéraledu donateur. Il en irait de même,selon le Comité, en cas de rachatsconventionnellement autorisés par leseul usufruitier et supérieurs aux fruits,à condition qu’un quasi-usufruit soitconstaté. Sur ce point, et pour éviterles discussions sur la réappropriationou le but exclusivement fiscal de ladonation, il nous semble préférablede rester très prudent. En particulier,il nous semble essentiel d’encadrer lespossibilités de rachat au-delà dessommes investies et de mettre en placeune garantie réelle pour assurer leremboursement effectif des nus-pro-priétaires au terme.

b) Démembrement de la clause

bénéficiaire

Cette question du risque d’abus liéau quasi-usufruit se pose aussi à l’oc-casion du démembrement de la clausebénéficiaire d’un contrat d’assurancesoumis à l’article 990 I du CGI. Eneffet, cette situation aboutit à uneexonération totale lors du versementdes capitaux entre les mains du seulusufruitier lorsqu’il s’agit d’une per-sonne exonérée (19) (en général leconjoint ou le partenaire pacsé),sachant que le nu-propriétaire exer-cera son droit à restitution en tantque créancier de la succession de l’usu-fruitier et donc sans taxation. (20)

Peut-il y avoir un abus en la matière ?Il supposerait que le démembrementde la clause ait un objectif exclusive-ment fiscal, sans le bénéfice duquelle souscripteur aurait désigné commeseul bénéficiaire en pleine propriétél’usufruitier (que nous supposeronsici être le conjoint).

Cet argument peine à convaincre dansla mesure où les effets civils d’unetelle désignation sont importants. Eneffet, dans l’hypothèse d’une désigna-tion en pleine propriété, le conjointpourra librement disposer dessommes, que ce soit pour les consom-mer ou en faire donation par exempleà un seul de ses enfants (dans le respectdes droits réservataires des autres). Enrevanche, en cas de démembrementde la clause, c’est le souscripteur d’ori-gine qui aura choisi les bénéficiairesfinaux, en l’occurrence les nus-pro-priétaires, dont le droit à recevoir lasomme correspondant au capital décèsest protégé contre un abus de jouis-sance de l’usufruitier.

Pour autant, il convient d’appliquerles règles de précaution dégagées ci-dessus en cas de modification tardivede la clause, trop proche du décès del’assuré, notamment si l’espérancede vie de l’usufruitier est elle-mêmealtérée.

Notes

(17) CCRAD, aff. 2004-40, BOI 13 L-3-06.(18) BOI 13 L-1-07(19) Les réponses ministérielles « Chatel »(Rép. min. à QE n° 50207, JOAN Q. 9 août2005, p. 7692) et « Perruchot » (Rép. min. à QE n° 60024, JOAN Q. 9 août 2005, p. 7692), identiques, ont été publiées dansl’instruction fiscale du 12 janvier 2006, BOI 7 K-1-06, confirmées par une réponseministérielle du 7 mai 2009 (Rép. min. à QEn° 18740, Dassault, JO Sénat 25 août 2005, p. 2188) postérieurement à la loi « TEPA ».La même solution ne s’applique pas auxcontrats soumis à l’article 757 B du CGI ; v. réponse ministérielle du 29 juin 2010(Rép. min. à QE n° 26231, Bacquet, JOANQ. 29 juin 2010, p. 7283).(20) Peut-être plus longtemps si l’amende-ment présenté par la commission des financesde l’Assemblée nationale dans le cadre duvote du projet de loi finances rectificativepour 2011 est voté, instituant une répartitionde la base imposable au titre de l’article 990 I(à l’instar de ce qui se pratique pour l’article757 B du CGI) est voté.

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 95

L’importance de la fiscalitéapplicable aux libéralités, enparticulier lorsque le lien deparenté est lointain, peut inciterles contribuables à emprunterdes voies détournées pouratteindre l’objectif degratification recherché.L’Administration dispose alors de l’arme de l’abus de droit pourredonner à l’opération sa justequalification. Fondées parfois, les attaques de l’Administrationne le sont pas toujours. L’analysedes caractéristiques de ladonation déguisée permettra de préciser les limites à ne pasfranchir.

La donation déguisée est cellequi est faite sous l’apparenced’une opération, souvent à titreonéreux, donnant ouverture à

des droits moins élevés. Le plus sou-vent, la dissimulation est réalisée sousla forme d’une vente, mais elle peut

également être rencontrée sous laforme d’un remboursement de prêtfictif, du paiement du prix d’uneacquisition faite par un tiers, d’unecession de créance sans paiement duprix, etc.

Nous sommes sur le terrain de l’ar-tifice juridique, aux termes duquel lavéritable portée d’un acte est dissi-mulée sous un acte apparent ou fictifdifférent de l’acte réel. En pratique,la fictivité juridique est constituée parla différence objective existant entrel’apparence juridique créée par l’acteen cause et la réalité, en particulieréconomique, sous-jacente à cet acte.

L’article L. 64 du Livre des procéduresfiscales (LPF) définit l’abus de droitde la manière suivante (1) : « Afin d’enrestituer le véritable caractère, l’adminis-tration est en droit d’écarter, comme nelui étant pas opposables, les actes consti-tutifs d’un abus de droit, soit que ces actesont un caractère fictif, soit que, recherchantle bénéfice d’une application littérale destextes ou de décisions à l’encontre desobjectifs poursuivis par leurs auteurs, ilsn’ont pu être inspirés par aucun autremotif que celui d’éluder ou d’atténuer lescharges fiscales que l’intéressé, si ces actesn’avaient pas été passés ou réalisés, auraitnormalement supportées eu égard à sasituation ou à ses activités réelles ».

La donation déguisée, par le « carac-tère fictif » de l’acte considéré ainsique par l’« artifice créé » dans le butde minorer ou d’éluder une imposi-tion, entre ainsi parfaitement dans ladéfinition de l’abus de droit, et quelleque soit la qualification retenue parles parties, l’administration fiscale estautorisée, dans le cadre de cette pro-cédure, à requalifier l’acte en donationen prouvant la simulation.

I – ÉLÉMENTS CONSTITUTIFSD’UNE DONATION DÉGUISÉE

A – Analyse des textes

Le régime fiscal d’une opérationdépend de sa qualification. Ainsi, lafiscalité de la vente ou celle de la dona-tion est déterminée par référence auxdéfinitions du Code civil qui quali-fient les mutations de mutations à titreonéreux ou à titre gratuit. En présenced’une donation déguisée, pour carac-tériser l’abus de droit au sens du nou-veau texte, sauf fictivité et à supposerle but exclusivement fiscal établi, ilappartient à l’administration fiscalede prouver qu’il y a eu, par construc-tion, non-conformité à l’objectif dulégislateur civil sur la vente et confor-mité sur la donation.

L’article 1106 du Code civil préciseque « le contrat à titre onéreux est celuiqui assujettit chacune des parties à donnerou à faire quelque chose ». L’article 1582du Code civil définit la vente commeune convention par laquelle l’uns’oblige à livrer une chose et l’autreà la payer. La vente est donc la cessiond’un bien ou d’un service en échanged’une somme d’argent (ou toute autrecontrepartie déterminée contractuel-lement) convenue entre le vendeur,celui qui cède le bien ou le service,et l’acheteur, celui qui paie.

L’article 893, alinéa 1er, du Code civildispose que « la libéralité est l’acte parlequel une personne dispose à titre gratuitde tout ou partie de ses biens ou de sesdroits au profit d’une autre personne ». Etl’article 894 dispose : « La donation est

Notes(1) L. fin. rect. n° 2008-1443, 30 déc. 2008,art. 35.

Dossier ABUS DE DROIT FISCAL...

Donation déguisée et abus de droit

Par Muriel Carpon,Notaireassociée, GroupeAlthemis,

et Pascal Julien

Saint-Amand, Notaire associéà Paris,Présidentdu Groupe

Althémis

Dossier Donation déguisée et abus de droit

96 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

un acte par lequel le donateur, se dépouilleactuellement et irrévocablement de la chosedonnée en faveur du donataire qui l’accepte».En d’autres termes, dès lors qu’elle estfaite dans une intention libérale, latransmission d’un bien ou d’un droitque consent une personne au profitd’une autre, constitue une donation.

L’intention libérale est de l’essencemême de la libéralité. Toute libéralitésuppose la réunion d’un élémentmatériel (la transmission générant unappauvrissement du donateur et unenrichissement du donataire) et d’unélément moral (l’intention libérale).

Le droit français distingue ainsi lescontrats faits à titre gratuit et ceux àtitre onéreux. Les premiers se carac-térisent par l’intention libérale et lesseconds par l’équilibre entre la valeurde la prestation que doit exécuter unepartie et la valeur de la prestation quel’autre doit fournir. Ces notions per-mettent d’analyser la nature réelled’un acte.

B – Analyse des caractéristiques de la donation déguisée

Ces dix dernières années, le Comitéconsultatif pour la répression des abusde droit (CCRAD) (aujourd’hui leComité des abus de droit fiscal [CAD])a eu à connaître plus de soixante-dixaffaires de donations de biens immo-biliers déguisées en ventes, même sil’on note une tendance à une baissedu nombre d’affaires d’année en année.

Quelques exemples suffiront pourfaire apparaître les circonstances desaffaires et les clauses contractuellesqui sont retenues par l’administrationfiscale pour invoquer l’abus de droit.

Monsieur et Madame P... ont acquis,le 30 novembre 1995, de MonsieurD... la nue-propriété d’un immeubleà usage d’habitation et des bâtimentsd’exploitation assortis d’environ 10hectares de terres ainsi qu’un domaineagricole comprenant notamment

51 hectares de terres. Le prix total,exprimé à l’acte, soit 878 000 francs,a été intégralement converti en uneobligation de soins viagère.Le Comité a conclu (2) à la requali-fication en donation de la vente de lanue-propriété des biens immobilierset du domaine agricole au motif quel’intention libérale du vendeur étaitmanifeste en raison notamment de sonâge (86 ans), de son état de santé (levendeur est décédé un peu plus decinq mois après l’acte), des liens d’af-fection unissant les parties (l’acquéreurest le neveu par alliance du vendeur),du déséquilibre entre le prix stipuléet l’obligation de soins et d’entretienen laquelle le prix a été intégralementconverti, et enfin de l’absence d’aléaà la prétendue vente dans la mesureoù l’obligation de soins et d’entretienn’a pas été exécutée, le vendeur ayantcontinué à pourvoir à son entretiensur ses deniers personnels.

Dans un autre dossier, par un acte du22 décembre 1999, Mlle W… a cédéà M. et Mme L… une maison d’ha-bitation pour un prix de 114 337 eurospayé comptant le jour même à hauteurde 30 490 euros et converti pour lesurplus en diverses obligations de soinset d’entretien. Mlle W… est décédéele 25 juillet 2001. L’administrationfiscale a considéré que l’acte de 1999constituait en réalité une donation,s’appuyant sur l’âge de la venderesse(79 ans), sur l’absence d’intérêt éco-nomique de la vente en raison dureversement partiel par la venderessede la somme de 30 490 euros qui luiavait été versée et du défaut d’exé-cution des obligations viagères. Il apar ailleurs relevé l’existence de liensd’affection entre la venderesse et lesacquéreurs, bénéficiaires de nom-breuses libéralités (contrats d’assu-rance-vie, achat d’un véhiculeautomobile, notamment) et légatairesuniversels de cette dernière. Au vude ces éléments, le Comité a émisl’avis (3) que l’administration étaitfondée à mettre en œuvre la procédureprévue par l’article L. 64 du LPF.

Par acte notarié du 18 juillet 1997,Mme veuve X... a cédé à Mme Y...la nue-propriété d’une maison. Leprix de 455 958 francs a été immé-diatement converti en une rente via-gère annuelle de 60 008 francs,payable mensuellement (5 003,64 F).Mme veuve X... est décédée le 27septembre 1997 à l’âge de 83 ans.Sur le fond, le Comité a constaté quela vente avait été consentie entre deuxpersonnes liées par des relations per-sonnelles très fortes, au point qu’ellesaboutirent à une adoption simple pos-thume. En outre, il a noté que le décèsde la crédirentière peu de temps aprèsla formalisation de l’acte n’avait auto-risé le versement que d’une seulemensualité de la rente alors que, parailleurs, aucun versement d’un bou-quet, c’est-à-dire du versementimmédiat d’une partie du prix de ces-sion, n’était prévu au contrat.Il a également relevé que les partiesavaient procédé dans les semaines pré-cédant le décès de la venderesse, outrela vente litigieuse, à une série d’opé-rations propres à organiser au meilleurcoût fiscal la transmission du patri-moine de cette dernière au profit del’acquéreuse. Il en va ainsi de la sous-cription par la crédirentière dix joursaprès la conclusion de l’acte litigieuxd’un contrat d’assurance-vie au béné-fice de Mme Y... qui comportait leversement immédiat d’une prime de1 000 000 de francs.En conséquence, le Comité a émisl’avis (4) que la vente du 18 juillet 1997dissimulait en réalité une donation.

Dans le cadre de la procédure derépression des abus de droit, il appar-tient à l’administration fiscale dedémontrer l’abus à l’aide de présomp-tions tirées des faits et des circons-tances relatives au cédant ou aucessionnaire, ou même des clauses del’acte en cause. L’administration fis-cale doit invoquer à l’appui de sa

Notes(2) CCRAD, aff. 2000-2, BOI 13 L-4-01.(3) CCRAD, aff. 2005-7, BOI 13 L-3-06.(4) CCRAD, aff. 2006-17, BOI 13 L-1-07.

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demande un certain nombre de cir-constances dont l’ensemble est sus-ceptible de constituer un faisceaud’indices de présomptions graves, pré-cises et concordantes.

1°/ Circonstances tenant au cédant

Aujourd’hui, à la suite du CCRAD,le CAD, en place depuis le 1er avril2009, a pour mission de relever :– l’âge avancé du cédant, son état desanté, et surtout la proximité de sondécès par rapport à l’acte considéré,mais également la situation de fortunede celui-ci (ainsi, le Comité se penchesur le point de savoir si le cédant setrouvait dans une situation financièretelle qu’il était obligé de vendre) ;– dans l’actif de succession, l’absencede liquidités ou d’actifs représentantle prix de cession ;–  les liens de parenté (la vente auprofit d’un neveu ou d’une nièce,souvent présomptifs héritiers en l’ab-sence de famille plus proche) ou d’af-fection entre le vendeur et l’acquéreur(l’acquéreur est légataire universel,bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, donataire d’une ou plusieurs libé-ralités, titulaire d’un compte jointavec le vendeur ou d’une procurationsur ses comptes, voire se fait adopteret même se marie avec le vendeur).

2°/ Circonstances tenant au cessionnaire

Par ailleurs, parmi les circonstancesrelatives au cessionnaire, le CAD doitobserver :– toutes les circonstances relatives aulien de parenté, d’amitié ou d’affec-tion l’unissant au vendeur (sa qualitéd’héritier présomptif ou de légataireuniversel, notamment) ; – sa situation financière, celle-ci nelui permettant pas d’acheter, c’est-à-dire d’acquitter le prix ou de fournirla contrepartie prévue (par exemple,une obligation de soins inexécutable,car l’acquéreur vit à 100 km du ven-deur, travaille six jours sur sept, etc.).

3°/ Circonstances tenant au contrat

Il ressort des quelques illustrations ci-dessus que les ventes en cause contien-

nent quasiment toujours la conversiondu prix en rente viagère ou en uneobligation de soins et d’entretien, uneréserve d’usufruit, la renonciation auprivilège de vendeur, un prix dérisoireou un prix payé comptant hors lacomptabilité du notaire.

Bien sûr, l’absence d’intérêt écono-mique de l’opération pour la vende-resse n’implique pas à lui seul un abusde droit, pas plus que la conversiondu prix en rente viagère, mais ce sonttous les faits et les circonstances del’affaire qui, additionnés, doiventcaractériser ou non l’intention libéraledu cédant.

L’analyse de la jurisprudence met enévidence que les critères retenus parles tribunaux pour requalifier unevente en donation déguisée sont iden-tiques à ceux invoqués par l’adminis-tration fiscale et retenus par leCCRAD (aujourd’hui le CAD).

II – LA LIMITE À NE PASFRANCHIR

Quelle que soit donc la qualificationque les parties auront donnée à leuracte, la vente sera susceptible d’êtrerequalifiée en donation dès lors quele cédant aura été animé d’une inten-tion libérale. L’opération doit êtreassortie d’une réelle contrepartie, d’unprix correspondant à la valeur de l’actifcédé. Peu importe que le prix soitpayé comptant ou à terme, qu’il soitfixe ou payé moyennant une renteviagère. L’essentiel est qu’il soitpayé… et payé par l’acquéreur.

Dans trois affaires portées devant leCAD en 2010 (5), celui-ci a estiméqu’il n’y avait pas eu abus de droitparce que, justement, en contrepartiede la cession, le prix de vente étaitentré dans le patrimoine du vendeur(quand bien même d’ailleurs celui-ciavait été remployé dans la souscriptionde contrats d’assurance-vie au béné-fice des acquéreurs).

Par acte du 19 mai 1998, M. M. avaitvendu à la société civile immobilière(SCI) X, dont il était associé à hauteurde 30 % des parts et dont les autresparts étaient détenues par ses deuxnièces et son neveu par alliance, lapropriété d’un immeuble de rapportlui appartenant. Le prix de cession,fixé à 30 millions de francs, avait étéfinancé intégralement par un prêt infine d’une durée de quinze ans, lecapital étant intégralement rembour-sable à cette échéance. En garantiede ce prêt, M. M. et les trois autresassociés de la SCI s’étaient portés cau-tions solidaires, le premier à hauteurde l’intégralité du prêt, les secondsdans la limite de 1 million de francschacun. Le prêt était en outre garantipar le nantissement au profit du prê-teur de trois contrats d’assurance-viesouscrits par M. M. au bénéfice dechacun des trois autres associés à hau-teur de 10 millions de francs parcontrat. Le 5 juin 1998, M. M. arédigé un testament olographe parlequel il léguait à chacun des troisautres associés un tiers de ses partsdans la SCI.Après le décès de l’intéressé le 4 décem-bre 1999, chacun des nièces et neveua déposé une déclaration de successioncomprenant les parts reçues au titre dece legs particulier, soit 39 650 francs,ainsi que la somme de 755 456 francslui revenant au titre du contrat d’as-surance-vie précité et une somme de19 417 francs au titre d’un autre contratd’assurance-vie et a acquitté les droitsde mutation correspondants.Le Comité a constaté au préalablequ’aux fins de garantie du paiementdu capital emprunté, le prêteur avaitdemandé le nantissement des contratsd’assurance-vie souscrits par M. M.,nantissement auquel les bénéficiairesacceptants avaient consenti, que le

ABUS DE DROIT FISCAL...

Notes

(5) CAD, aff. 2010-04, 2010-05 et 2010-06,BOI 13 L-13-10, qui sont en fait une mêmeaffaire, l’administration fiscale ayant lancé saprocédure de répression des abus de droitcontre chacune des deux nièces et contre leneveu.

Dossier Donation déguisée et abus de droit

98 D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011

décès de M. M. avait entraîné l’exi-gibilité anticipée du prêt in fine et lamise en œuvre auprès de l’assureurde la sûreté prise sur les contrats d’as-surance-vie. Il a toutefois relevé que,par une convention du 8 juin 2001,les associés de la SCI et le prêteuravaient mis en œuvre un accord anté-rieur permettant la prorogationjusqu’à son terme de ce prêt enéchange de la constitution par les asso-ciés de la SCI d’une nouvelle garantiesous forme de souscription de contratsd’assurance-vie nantis à son profit. LeComité a noté qu’en exécution decette convention, le prêteur avaitlibéré les sommes réclamées à l’assu-reur en vertu du nantissement et lesavait restituées aux associés, bénéfi-ciaires désignés par M. M. de cescontrats. Selon le Comité, cetteconvention avait ainsi eu pour effetde faire entrer les sommes en causedans le champ d’application des droitsde mutation par décès en vertu desdispositions de l’article 757 B du Codegénéral des impôts (CGI) dans leurrédaction applicable en la cause,même si aucune déclaration complé-mentaire des sommes ainsi libéréesn’avait été déposée par les bénéfi-ciaires. Ainsi appréhendé dans sa globalité, le montage juridique etfinancier mis en œuvre ne permettaitde réaliser aucune économie d’im-pôt.Le Comité a relevé, par ailleurs, quela SCI X ne pouvait être qualifiée defictive, dès lors qu’elle avait fonc-tionné normalement, avant commeaprès le décès de M. M., et ne pouvaitêtre regardée comme ayant été consti-tuée dans un but exclusivement fiscalpuisque, outre le fait qu’elle ne pré-sentait pas d’intérêt fiscal, elle répon-dait à l’objectif de ses fondateursd’assurer la pérennité de la détentionet de l’exploitation dans un cadrefamilial d’un immeuble de rapportd’une manière plus efficace que n’au-rait pu le faire une indivision.Le Comité a constaté, en outre, quela cession par M. M. de l’immeublede rapport en cause à la société X

avait eu pour contrepartie l’entréedans le patrimoine du vendeur d’unesomme de 30 millions de francs ; qu’ilimportait peu à cet égard que le prix,financé par un emprunt in fine d’unedurée de quinze ans de la société, aitété remployé par le vendeur dans lasouscription de contrats d’assurance-vie au bénéfice des autres associés dela société acquéreuse dès lors, d’unepart, que cette société avait une per-sonnalité juridique et un patrimoinedistincts de ceux de ses associés et,d’autre part, que chacun des patri-moines de la SCI et de M. M. avaiteffectivement reçu, pour le premier,l’immeuble vendu, et pour le second,le prix de vente. Il en résultait quel’acte de cession ne pouvait être requa-lifié en donation.Par suite, et au vu de cette doubleconsidération, le Comité a émis l’avisque l’administration fiscale n’était pasfondée à mettre en œuvre la procédurede l’abus de droit fiscal prévue à l’ar-ticle L. 64 du LPF. L’administrationfiscale s’est finalement rangée à l’avisfavorable du Comité.

On ne peut que partager l’avis duComité. La vente était bien réellepuisque le prix avait été payé à l’aidedu prêt bancaire. Le réinvestissementdes sommes au sein de contrats d’as-surance-vie ne transformait pas lavente en donation déguisée, mêmesi les contrats avaient été donnés engarantie du prêt bancaire et que lesbénéficiaires des contrats étaient lesassociés de la SCI.

À la suite du décès du vendeur dubien immobilier titulaire des contratsd’assurance-vie, les associés de la SCIétaient convenus avec la banque demaintenir le prêt et avaient constituéune nouvelle sûreté en garantie duprêt. Parallèlement, les associés de laSCI, bénéficiaires des contrats d’as-surance-vie, avaient perçu le capitalversé du fait du décès du souscripteurassuré et avaient payé les droits desuccession dus en application de l’ar-ticle 757 B du CGI.

La vente à de présomptifs héritiers(directement ou à une société détenuepar ceux-ci) avait éveillé l’attentionde l’administration fiscale, mais ellen’était pas nécessairement constitu-tive d’un abus de droit. Elle ne l’estpas lorsque le prix est réellement payéet que la charge de ce paiement aeffectivement été supportée par l’ac-quéreur. Rien n’interdit au vendeur,parallèlement à la vente, de consentirdes libéralités à l’acquéreur, mais ilconvient que ces libéralités ne soientpas le moyen de payer le prix par lebiais d’un régime fiscal plus favorableque la donation directe du bien cédé.

Il convient donc d’être très prudent,en particulier dans le cadre d’opéra-tions entre personnes liées par desliens d’affection (oncle à neveu, parentà enfants, partenaires entre eux).Il conviendra de s’assurer que les élé-ments constitutifs de la vente sont bienrespectés. Si la vente porte sur unimmeuble et que l’acquéreur l’achèteen direct (sans constitution d’unesociété civile), l’opération ne laisseraque très peu de place à la dissimulationsi le prix est payé comptant à l’aidede liquidités dont l’acquéreur dispose.

En cas de financement bancairecontracté par l’acquéreur, l’adminis-tration fiscale s’assurera que le rem-boursement est effectivement réalisépar l’emprunteur. En cas de crédit vendeur, la vigilancede l’administration fiscale sera renfor-cée, notamment lorsque la durée ducrédit vendeur est longue. Le risqueque, dans une telle situation, le prixne soit pas payé étant plus marqué.Le prix devra être acquitté par l’ac-quéreur, à l’aide de son capital ou deses revenus futurs.Il sera souhaitable d’éviter que le prixne soit payé qu’à l’aide des revenusfuturs du bien. En effet, la vente d’unbien d’une valeur de 90 dégageant unrevenu annuel de 3 après fiscalité etpayable sur trente ans sans intérêt àraison de 3 par an, ressemble plus àune libéralité qu’à une véritable ces-

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 99

sion. L’absence de toute garantie auprofit du vendeur (privilège du ven-deur) augmentera encore le risque.Là encore, tout est question de dosage.

Imaginons maintenant que la venteporte sur une société détenue inté-gralement par les cédants et danslaquelle ces derniers exercent unefonction. Ils participent donc au déve-loppement et aux résultats de la sociétécédée. Les associés décident de vendrela société à leurs enfants. Les enfantsconstituent entre eux une société civilequi procède à l’acquisition des titresde leurs parents. Si le prix est payécomptant, à l’aide de liquidités dontdisposent les enfants ou d’un prêt ban-caire souscrit par la société, l’opérationde vente n’encourra pas de risque derequalification en donation. Quid maintenant si le prêt est payé àterme par inscription d’un comptecourant au nom des parents au seinde la société acquéreuse ? À nouveaula prudence s’impose. Si le comptecourant est rémunéré dans les condi-tions de marché, le risque de requa-lification en libéralité est réduit. Dansle cas contraire, en cas de rembour-sement du crédit vendeur ne portantpas intérêt à l’aide des seuls dividendesde la filiale rachetée, le risque derequalification est majoré. Le paie-ment immédiat d’une fraction signi-ficative du prix à l’aide d’un empruntbancaire permettra de mieux sécuriserfiscalement le schéma. Le fait que lescédants acceptent de donner unegarantie quant au remboursement del’emprunt n’est pas en lui-mêmeconstitutif d’un abus de droit (6).D’autres situations pourraient égale-ment être contestées par l’adminis-tration fiscale sur le fondement de ladonation déguisée.

Nous citerons pour exemple la venteentre proches avec un paiement parcrédit vendeur non rémunéré d’unesociété dans laquelle les cédants sontseuls à travailler et ne perçoivent à cetitre aucune rémunération ou unerémunération très inférieure à ce

qu’elle devrait être. La distributiondu résultat est ensuite affectée au paie-ment par les acquéreurs de l’intégralitédu prix de cession.

Nous pouvons évoquer également leprêt d’une somme d’argent sans inté-rêt entre proches pour une duréelongue, placée par l’emprunteur surun actif sans risque générant un revenuaffecté par l’emprunteur au rembour-sement du principal de la dette.

Nous viserons enfin l’acquisition paremprunt d’un bien immobilier pardeux époux mariés sous un régimede séparation de biens, lorsque le rem-boursement de l’emprunt est assurépar les revenus d’un seul d’entre eux.L’intention libérale sera caractériséeégalement en cas de financement del’acquisition par les fonds de l’un desconjoints alors que l’acquisition estréalisée au nom des deux époux. Parun arrêt du 15 mars 2011, la Cour decassation (Cass. com., 15 mars 2011,n° 10-14.886, n° 276 FS-D) s’est pro-noncée pour la première fois enmatière fiscale sur l’existence d’unedonation indirecte entre époux sépa-rés de biens dans une telle situation.La Cour a jugé dans cette affaire quele fait pour un des époux séparés debiens de financer seul des acquisitionsimmobilières faites au nom des deuxépoux sans en faire mention dans l’actede vente témoignait d’une intentionirrévocable de se déposséder de lamoitié des fonds s’il apparaît quel’époux n’ayant pas contribué aufinancement des biens ne dispose pasdes moyens de rembourser. Le fait deprocéder à l’acquisition des fonds parles deux époux alors même que lesfonds ne viennent que d’un des deuxconduit à ce que les biens sont réputésacquis en indivision. L’époux mani-feste ainsi son intention irrévocablede se déposséder de la moitié des fondsversés par lui. L’absence de tout docu-ment relatif à ces financements etremises permettant à l’époux qui afinancé d’agir en restitution renforcela qualification de libéralité. L’arrêt

précise enfin que la qualificationd’« avances de fonds » ne pouvait êtresoutenue dans la mesure où l’épousene disposait pas des moyens de rem-bourser et que celle de « prestationsrémunératoires  » ne pouvait êtreadmise, l’épouse, sans emploi depuisvingt ans, n’ayant pas collaboré à l’ac-tivité professionnelle de son mari etson activité de femme au foyer n’ex-cédant pas la contribution aux chargesdu mariage lui incombant.

Gardons en mémoire la définition del’intention libérale, elle évitera de fran-chir la limite de l’abus de droit. Jamaisil ne pourra y avoir vente si le prixn’est pas payé, ou insuffisamment payé(rentes payées de temps en temps, obli-gation de soins partiellement exécutée,etc.), ou encore si le prix est payé àl’aide du patrimoine ou les revenus ducédant et non avec ceux du cession-naire (prix stipulé à terme payé grâceaux revenus du bien vendu généréspar le cédant). Le récent arrêt de laCour de cassation incite à accorderune attention toute particulière auxacquisitions réalisées par les couplesmariés sous un régime séparatiste ainsique par les partenaires pacsés et dontle prix ne serait payé que par le patri-moine ou les revenus de l’un d’entreeux. La suppression de la fiscalité suc-cessorale et le maintien de la fiscalitéen cas de donation pourraient conduirel’administration fiscale à traquer ceslibéralités entre vifs. Les couples quisouhaitent acquérir en indivision alorsque le financement n’est assuré quepar l’un d’eux seront donc bien avisésde constater expressément le prêtconsenti par l’un à l’autre. Une attri-bution de ce prêt à l’emprunteur encas de décès du prêteur avant que leprêt n’ait été remboursé permettraparallèlement de sécuriser juridique-ment l’emprunteur tout en le gratifiantdans le cadre du régime successoral àce jour non imposable. �

ABUS DE DROIT FISCAL...

Notes

(6) CAD, aff. 2010-04, 2010-05 et 2010-06,précité.

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Outil créé il y a près de vingt ans,le plan d’épargne en actions(PEA) a connu un importantsuccès. L’exonération des plus-values et des dividendes a suscitél’engouement et, de simple outilde placement de valeursmobilières cotées, le PEA estdevenu également le réceptaclede titres des sociétésd’exploitation de son détenteur.Avec le temps, les techniques sesont sophistiquées pourrepousser les limites du PEA,pendant que le législateurlégiférait pour empêcher lesexcès. Mais au-delà des limitestextuelles, l’administrationfiscale s’est arrogée le droit decontester certains schémas surdes fondements parfoiscontestables. Un rappel durégime applicable et de seslimites précèdera l’analyse desangles d’attaque del’Administration. L’objectif est icid’identifier tout à la fois les abusdes contribuables et ceux del’administration fiscale.

Le plan d’épargne en actions(PEA) a été institué par les arti-cles 1er à 9 de la loi n° 92-666du 16 juillet 1992 (actuellement

codifiés aux articles L. 221-30 à L. 221-32 du Code monétaire etfinancier ; Ord. n° 2005-429, 6 mai2005) (1).

Cet outil d’épargne, défiscalisé souscertaines conditions, a été créé dansle but d’inciter les contribuables, per-sonnes physiques, dont le domicilefiscal est situé en France, à accroîtreleurs investissements en actions afinde contribuer au renforcement desfonds propres des entreprises. Il s’agissait d’un instrument d’encou-ragement à une épargne longue etdurable destinée à permettre auxentreprises de financer leur dévelop-pement. Par une réponse ministériellede la fin 2008, relative à l’analyse deseffets et du coût fiscal de certainsrégimes de faveur, l’attachement dugouvernement à cette niche fiscale aété rappelé (Rép. min. à QE n° 22030,JOAN Q. 25 févr. 2008), tout en rap-pelant l’évaluation régulière du rap-port bénéfice/coût. Orienter l’épargne des particuliersvers les entreprises, tel était donc l’e-sprit du législateur lorsqu’il a instauréce dispositif fiscal spécifique. Ce rap-pel de l’« esprit » est essentiel, car lenon-respect de celui-ci constitue l’undes fondements permettant à l’ad-ministration fiscale d’invoquer l’abusde droit.En effet, l’article L. 64 du Livre desprocédures fiscales (LPF) énonce (2) :« Afin d’en restituer le véritable caractère,l’administration est en droit d’écarter,comme ne lui étant pas opposables, lesactes constitutifs d’un abus de droit, soitque ces actes ont un caractère fictif, soitque, recherchant le bénéfice d’une appli-cation littérale des textes ou de décisionsà l’encontre des objectifs poursuivis parleurs auteurs, ils n’ont pu être inspiréspar aucun autre motif que celui d’éluderou d’atténuer les charges fiscales que l’in-téressé, si ces actes n’avaient pas été passésou réalisés, aurait normalement supportéeseu égard à sa situation ou à ses activitésréelles ». On comprend donc l’impor-tance, au regard de l’abus de droit,

de connaître et de respecter la moti-vation du législateur.L’analyse du régime applicable auPEA (I) précédera la présentation desattaques par l’administration fiscale decertains schémas d’optimisation (II).Cela nous permettra de tenter de défi-nir les limites à ne pas franchir.

I – RÉGIME DU PEA

A – Conditions légales d’application

La possibilité d’ouvrir un PEA estréservée aux personnes physiques(chaque contribuable ou chacun desconjoints ou partenaire d’un pactecivil de solidarité) dont le domicilefiscal est situé en France.Les versements sur un PEA doiventobligatoirement être effectués ennuméraire ou par transfert de titres,sans minimum. Les versements sontlimités, par plan, au montant actuelde 132 000 euros (600 000 francs ini-tialement). Les gains réalisés dans lePEA ne constituent pas des verse-ments, ils ne sont donc pas plafonnés.

Les titres admis au PEA sont ceuxémis par des sociétés ayant leur siègedans un État membre de l’Unioneuropéenne et soumises à l’impôt surles sociétés ou à un impôt équivalent,ainsi que les titres de sociétés qui ont

Notes(1) Modalités d’application et obligationsdéclaratives des contribuables et des intermé-diaires ont été fixées par le décret n° 92-797du 17 août 1992, complétées et modifiées parles décrets nos 98-306 du 22 avril 1998,2005-1649 du 26 décembre 2005, 2006-810du 6 juillet 2006 et 2007-567 du 17 avril2007 dont les dispositions sont actuellementreprises aux articles 91 quater E à 91 quater Lde l’annexe II au CGI.(2) L. fin. rect. n° 2008-1443, 30 déc. 2008,art. 35, V.

Dossier

PEA et

Par Muriel Carpon, Notaireassociée, Groupe Althemis,et Pascal Julien Saint-Amand, Notaire associé à Paris, Présidentdu Groupe Althémis

D R O I T & P A T R I M O I N E � N°205 - JUILLET-AOÛT 2011 101

leur siège dans un « État non membrede l’Union européenne partie à l’accordsur l’Espace économique européen (EEE)ayant conclu avec la France une conventionfiscale qui contient une clause d’assistanceadministrative en vue de lutter contre lafraude et l’évasion fiscale ». Il s’agit dela pleine propriété (les titres démem-brés n’étant pas admis) des actionscotées ou non cotées, certificats d’in-vestissement de sociétés, certificatspétroliers ou certificats coopératifsd’investissement, des parts de sociétésà responsabilité limitée et des titresde capital de sociétés régies par la loin° 47-1775 du 10 septembre 1947portant statut de la coopération. Cestitres peuvent être souscrits à l’émis-sion ou acquis par la suite.En revanche, ne sont pas admis auPEA les titres bénéficiant déjà d’unautre régime fiscal de faveur. Enfin et surtout ne sont pas admis ausein d’un PEA les titres de sociétésdont le titulaire du plan, son conjoint,leurs ascendants et descendants déti-ennent ensemble, directement ouindirectement, plus de 25 % des droitsdans les bénéfices sociaux de la société.L’apport de titres placés dans un PEAà une société soumise à l’impôt surles sociétés ou à un impôt équivalentn’entraîne pas la clôture du plan, à ladouble condition que les titres reçusen contrepartie de cet apport soienteux-mêmes éligibles au plan et qu’ilssoient inscrits sur le compte-titres duplan, et que la soulte reçue, le caséchéant, à l’occasion de cet apportsoit portée au crédit du compteespèces du plan. Dans ce cas, la plus-value d’apport est considérée commeintervenant dans le cadre de la gestionnormale du plan et bénéficie, toutesles autres conditions étant par ailleursremplies, de l’exonération d’impôtsur le revenu attachée au PEA dansles conditions de droit commun.

B – Régime fiscal du PEA

Sous réserve de respecter le seuil de25 % des titres et le plafond des verse-ments fixé à 132 000 euros, les titresseront éligibles au régime fiscal defaveur.Pendant la durée du plan, les dividen-des, les plus-values de cession et lesautres produits que procurent lesplacements effectués dans le cadre duPEA ne sont pas imposables à l’impôtsur le revenu. Toutefois, et depuis1997, les produits afférents aux titresdes sociétés non cotées ne sontexonérés que dans la limite de 10 %du montant de ces placements (3). Lesproduits s’entendent des dividendesd’actions et des produits de partssociales ainsi que des sommes verséesdans le PEA à l’occasion du rachat parla société de ses propres titres ou duversement d’un boni de liquidationet, d’une manière générale, de toutesles sommes qui, lorsqu’elles sontsoumises à l’impôt sur le revenu, sontimposées dans la catégorie des revenusde capitaux mobiliers. En revanche,les plus-values provenant des cessionsde titres de sociétés non cotées réaliséesdans le cadre du PEA ne sont pas prisesen compte pour l’appréciation de lalimite de 10 %. Lorsque la limite d’ex-onération définie ci-dessus estdépassée, le montant imposable desproduits afférents aux titres non cotésest égal à la différence entre le montantde ces produits et 10 % de la valeurd’inscription de ces titres, le caséchéant pondérée. Le montant impos-able ainsi déterminé est soumis à l’im-pôt sur le revenu dans la catégorie desrevenus de capitaux mobiliers.Le retrait avant l’expiration de la cin-quième année de fonctionnement duPEA entraîne en principe l’impositiondu gain net réalisé depuis l’ouverturedu plan (quel que soit le montant des

cessions depuis le 1er janvier 2011).Le taux d’imposition, hors prélève-ments sociaux, est de :– 22,5 %, si le retrait ou le rachat alieu avant l’expiration de la deuxièmeannée (CGI, art. 200 A, 5) ;– 19 %, si le retrait intervient entredeux et cinq ans.Le gain net imposable s’entend de ladifférence entre la valeur liquidativedu PEA à la date du retrait et le montantdes versements effectués sur le plandepuis son ouverture, à l’exceptionde ceux afférents aux retraits ou rachatsn’ayant pas entraîné la clôture du plan.Les retraits ou rachats après cinq anssont totalement exonérés d’impôt surle revenu mais ils supportent lesprélèvements sociaux.En cas de retrait ou de rachat entrecinq et huit ans, le plan est clos et sontitulaire perd le bénéfice du régimespécial pour les revenus encaissés etles plus-values réalisées après cettedate. Les retraits ou rachats partielsaprès huit ans n’entraînent pas la clô-ture du plan. Le PEA continue à fonc-tionner en franchise d’impôt sur lerevenu, mais il n’est plus possible d’ef-fectuer de nouveaux versements.Retrait ou rachat total entraînent enrevanche la fermeture définitive duplan.

II – LES ANGLES D’ATTAQUE DE L’ADMINISTRATION FISCALE

Le PEA a connu un succès incon-testable (7 415 000 PEA fin 2006 ausein desquels 113,5 milliards d’eurosde titres étaient gérés et 6,4 milliardsd’euros de liquidités déposées).

Notes(3) L. n° 97-1269, 30 déc. 1997, art. 20, qui acomplété l’article 157, 5° bis, du CGI.

ABUS DE DROIT FISCAL...

abus de droit

Dossier PEA et abus de droit

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Parmi les titulaires de PEA, certainsont parfois recherché à bénéficiergrâce à ce régime de faveur d’un avan-tage indu, donnant à l’administrationfiscale les armes pour fonder unredressement. D’autres utilisations,en revanche, tout en étant « opti-misantes », semblent plus défendables,même si elles ont également fait l’objetde tentatives de redressements.L’administration fiscale a attaqué lesschémas fondés sur le régime de faveurdu PEA sous deux angles princi -palement : le recours excessif à l’ex-onération de dividendes (A) et lasous-évaluation des titres acquis ausein du PEA (B). Mais d’autres sché-mas, tel l’effet de levier au sein duPEA, méritent également quelquescommentaires (C).

A – Le recours excessif à l’exonération

de dividendes

L’affaire 99-13 (BOI 13 L-2-00) estune bonne illustration du recoursextrême à l’exonération de dividendes.Dans cette affaire, quatre membresd’une même famille avaient, grâce àun montage, bénéficié de dividendesd’un montant plus de mille fois supé-rieur à leurs investissements. La situa-tion était la suivante. Un groupe familial possédait des par-ticipations dans plusieurs sociétés. Le28 décembre 1992, les quatre mem-bres de la famille créèrent une sociétéholding au capital de 50 000 francsréparti de façon égalitaire entre lesassociés. Les titres furent placés dansleur PEA respectif, pour 12 500 francspar membre. Le 1er décembre 1993,la société holding acheta pour 98 mil-lions de francs la quasi-totalité desactions détenues par les membres dugroupe familial dans les sociétés opé-rationnelles ; le prix d’acquisition nefut pas réglé immédiatement maisfut porté au passif du bilan de lasociété holding. Concomitamment,la société holding reçut de ses filialesun dividende total de 34,5 millionsde francs assorti d’un avoir fiscal de17,2 millions de francs. Ces divi-

dendes furent exonérés d’impôt surles sociétés en application du régimemère-fille. Le 20 décembre 1993, lasociété holding distribua à ses associésun acompte sur dividendes d’un mon-tant total de 31,4 millions de francsassorti d’un avoir fiscal de 15,7 mil-lions de francs. Ces dividendes furentversés sur les comptes espèces des PEAet l’avoir fiscal restitué sur les mêmescomptes ; ces produits furent utiliséspar les associés pour augmenter lecapital de la société holding qui futporté successivement à 30 millionsde francs puis à 46,9 millions de francsen 1994. Les titres reçus en contre-partie de ces augmentations furentplacés sur les comptes PEA des inté-ressés. En décembre 1994, la sociétéholding encaissa de ses filiales des divi-dendes de 13,6 millions de francs. Elleversa à ses associés un nouveau divi-dende de 12,2 millions de francs assortid’un avoir fiscal de 6,1 millions defrancs. Ces sommes furent égalementportées sur leur PEA respectif. Lecapital de la société holding fut portéà 64,7 millions de francs en juin 1995.Ces augmentations de capital, finan-cées par les dividendes des filiales,permirent à la société holding derégler les titres acquis initialementauprès du groupe familial à hauteurde 51,5 millions de francs à la clôturede l’exercice 1994.L’intégralité des sommes versées surles PEA fut exonérée d’impôts.Le comité a reconnu des intérêts autresque fiscaux à la constitution de la hol-ding (égalisation des participations desmembres de la famille, désengagementfacilité d’un associé, regroupement deservices communs, etc.), mais il aestimé que ces intérêts n’impliquaientpas que les actions de cette société hol-ding soient regroupées dans les PEA.Ce qui était contesté, ce n’était doncpas la constitution de la holding, maisl’inscription des parts de celle-ci ausein du PEA. Selon le Comité, ce mon-tage avait permis aux titulaires du plande distribuer des revenus considérables(64 millions de francs) et sans rapportavec l’investissement initial (50 000

francs) et sans avoir parallèlement per-mis à la société de renforcer ses fondspropres puisque les opérationsn’avaient eu pour effet que de transférerles réserves des filiales à la société hol-ding sous la forme de distributions. Il a donc estimé que le montage misen place n’avait eu pour but que dedétourner la réglementation relativeau PEA à des fins fiscales et était doncbien constitutif d’un abus de droit.L’incroyable efficacité fiscale duschéma permet de comprendre ladémarche de l’administration fiscaleet sa volonté de redresser le contri-buable, mais d’un strict point de vuejuridique et sur la base de la rédactiondes textes applicables au PEA et àl’abus de droit à l’époque, le bien-fondé du redressement n’est pas aussiindiscutable qu’il y paraît. En effet,l’utilité de la constitution de la holdingest avérée et reconnue par le CCRAD(égalisation des participations desmembres de la famille, désengage-ment facilité d’un associé, regroupe-ment de services communs, etc.),seule l’inscription au sein du PEA estcontestée. Or il est de jurisprudenceconstante du Conseil d’État (4)comme de la Cour de cassation (5),position confirmée par l’administra-tion fiscale dans sa documentation debase (Doc. adm. 13 L 1531, n° 20),qu’entre plusieurs solutions (dans lecas présent la détention hors PEA ou

Notes

(4) Dans certains cas, les contribuables ont lapossibilité de choisir entre plusieurs solutionspour réaliser une opération déterminée. Le faitqu’ils optent pour la « solution la plus avantageuseau plan fiscal » ne permet pas de conclure àl’abus de droit s’il apparaît que les actes juri-diques sur lesquels repose cette solution sontconformes à la réalité (CE, 7e et 9e ss-sect., 16 juin 1976, n° 95513, RJF 9/76, n° 399).(5) La Cour de cassation a jugé qu’à défaut de fictivité des actes litigieux, l’existence depréoccupations fiscales de la part des parties,licites en elles-mêmes, ne pouvait être rete-nue que si elles constituaient la justification« exclusive » de l’opération (Cass. com., 19 avr. 1988, n° 86-19.079, Donizel, RJF2/89, n° 250, Bull. civ. IV, n° 134, p. 95,BOI 13 L-9-88 ; dans le même sens, v. Cass.com., 24 avr. 1990, n° 556 P, Heimburger,RJF 6/90, n° 767).

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au sein du PEA), le contribuable estlibre de choisir « la plus avantageuse auplan fiscal ». Or il n’y avait dans cedossier ni fictivité, ni but exclusive-ment fiscal.Afin d’éviter de tels excès, le législateurest intervenu fin 1996 pour encadrerle dispositif, le texte limitant l’ex-onération applicable aux produits desplacements en titres non cotés perçusà compter de 1997 à 10 % de la valeurinscrite en compte desdits titres. Dansle cadre des débats parlementairesayant présidé au vote de ce texte, M.Alain Lambert, rapporteur général dela commission des Finances du Sénat,a notamment indiqué que l’adminis-tration fiscale et le juge pouvaient s’ap-puyer sur les débats du projet de loide finances rectificative pour 1996« pour exciper de la ferme volonté claire etréaffirmée du législateur comme du gou-vernement, de voir les textes relatifs auPEA s’appliquer non seulement dans lalettre mais aussi dans l’esprit » et qu’àcette fin l’administration fiscale « dis-pose d’une procédure utilisable pour ce typede cas : l’abus de droit ». Cette réforme a supprimé les casd’abus fondés sur le recours excessifaux dividendes.

B – La sous-évaluation des titresacquis au sein du PEA

La quasi-totalité des montagespostérieurs à la loi taxant les produitsau-delà de 10 % de leur valeur d’in-scription ont trait à une exonérationde plus-values obtenue au moyend’une inscription de titres non cotésà une valeur minorée (c’est en toutcas ce que l’administration fiscale tentede démontrer) afin de bénéficier d’undouble avantage :– contourner la règle de plafonnementdes versements sur le PEA ; et – bénéficier lors de la cession de cestitres de l’exonération de plus-valuepar rapport à une valeur plus faible quela valeur réelle des titres lors de l’en-trée dans le PEA (ce qui permet d’ex-onérer frauduleusement la plus-valueantérieure à l’entrée dans le PEA).

Illustration. – M. Durand et ses qua-tre associés détiennent chacun 20 %des titres de la société. Celle-ci a unevaleur de marché de 3 000 000 d’eu-ros. Les associés placent leurs titresau sein du PEA pour une valeur de130 000 euros au lieu de : 20 % X3 000 000 = 600 000 euros, ce quivalorise la société à 650 000 euros aulieu de 3 000 000 d’euros.Quelques années plus tard, ils cèdentleurs titres sur la base d’une valeur dela société de 10 000 000 d’euros. Ils bénéficient de l’exonération d’im-pôt sur la plus-value et ne doiventacquitter que les prélèvements sociauxau taux de 12,3 % sur la plus-valueconstatée, soit pour chacun des associés une fiscalité de : 12,3 % X20 % X (10 000 000 – 650 000) =230 010 euros.En sous-évaluant leur participationlors de l’inscription en PEA, ils ontainsi réalisé un double gain. Le pre-mier réside dans le fait qu’ils ont puinscrire toute leur participation (soit20 %) au sein du PEA alors que nor-malement la limite de 132 000 eurosn’aurait dû leur permettre que d’in-scrire 4,4 % de titres (4,4 % X 3 000 000= 132 000 euros).Le second réside dans le fait que laplus-value entre la valeur retenue lorsde l’inscription (130 000 euros) et lavaleur réelle à cette même date(600 000 euros) n’est finalement taxéequ’au taux de 12,3 % (prélèvementssociaux) alors qu’elle aurait dû subiraussi le taux d’impôt sur les plus-values mobilières de 19 %. Lorsque l’administration fiscale n’ap-porte pas la preuve de la prétenduesous-évaluation, notamment car lecontribuable peut justifier la valeurretenue par la situation de marché oudes circonstances propres à la sociétéconcernée ou un rapport d’audit oumême par la combinaison de plusieursméthodes, le Comité émet l’avis quel’administration fiscale n’est pasfondée à mettre en œuvre la procédurede l’abus de droit fiscal prévue à l’ar-ticle L. 64 du LPF. Et à chaque foisque tel a été le cas (CCRAD, aff.

2007-05, BOI 13 L-4-08, et 2010-02et 2010-03, BOI 13 L-12-10), l’ad-ministration fiscale s’est fort heureuse-ment rangée à l’avis émis par leComité.En revanche, dès lors que la preuvede la sous-évaluation est apportée parl’administration fiscale, le Comitéreconnaît que la « poursuite d’un butexclusivement fiscal par application littéraledes textes régissant le PEA à l’encontredes objectifs poursuivis par le législateur »justifiait parfaitement la mise enœuvre de l’abus de droit (CCRAD,aff. 2004-15, BOI L 13-2-05, 2006-16, BOI 13 L-1-07, et 2009-15,BOI 13 L-4-10).Le critère à retenir est bien celui dumontage que le titulaire du PEA a créépour se placer artificiellement dans lasituation prévue par la loi. En enten-dant porter sur son plan des titres pourune valeur sous-évaluée, il se place parartifice dans une situation prévue parla loi, dans le but exclusif d’en retirerun avantage fiscal. Les critères de l’abusde droit sont remplis et les redresse-ments sont incontestables. En d’autres termes, s’il est indiscutableque l’inscription au sein du PEA detitres pour une valeur de convenanceinférieure à leur valeur réelle pourbénéficier d’un avantage indu estrépréhensible sur le fondement del’abus de droit, il est en revanche par-faitement légitime d’inscrire à leurvraie valeur des titres ayant un fortpotentiel de plus-value. Certainsesprits chagrins au sein de l’adminis-tration fiscale semblent ne pas l’ac-cepter, mais les juges du fond finirontpar leur faire entendre raison. Le faitque la société offre une croissanceexceptionnelle ne peut être synonymed’abus de droit. L’esprit du législateurétait d’encourager l’investissementdans l’ensemble des entreprises et nondans les seules sociétés sans avenir !De même, l’ouverture du dispositifaux sociétés non cotées marque bienla volonté du législateur de ne paslimiter la mesure à la détention d’unportefeuille de valeurs mobilières pardes contribuables non investis dans

ABUS DE DROIT FISCAL...

Dossier PEA et abus de droit

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l’entreprise. Les seules limites en lamatière sont expressément prévuespar les textes : la participation ne doitpas excéder 25 % et les dividendesexcédant 10 % des sommes inscritesen compte sont imposables dans lesconditions de droit commun pour lafraction excédant ce seuil.Tout dépend des faits de chaqueespèce : la concomitance des opéra-tions de placement de titres dans unPEA, de filialisation puis de cession,etc., n’implique pas systématiquementune minoration de la valeur inscritedans le PEA et n’est pas en soi géné-ratrice d’un abus de droit dès lorsqu’aucune preuve de ladite minora-tion n’est rapportée et que les opérations poursuivent un butéconomique (CCRAD, aff. 2007-05).La valeur de revente même vingt foissupérieure à celle de l’année précé-dente n’implique pas non plus unevaleur de convenance dès que la valeurd’origine est conforme à deux exper-tises et que la revalorisation peut s’ex-pliquer par la cession d’une branched’activité déficitaire préalablement àla vente de la société et par la sortiede l’opération de leveraged buy out(CCRAD, aff. 2010-02 et 2010-03).

C – Effet de levier et abus de droit

1°/ Inscription au sein du PEA de la

participation détenue dans la holding

de reprise et abus de droit

Imaginons cinq personnes souhaitantracheter la société P, laquelle a unevaleur de 10 000 000 d’euros. Ellesdécident de constituer une holdingpour cette acquisition. La constitutionde la holding est réalisée, moyennantun capital de 10 000 euros divisé en10 000 actions. Celle-ci procède àl’acquisition de la société P au moyend’un emprunt bancaire. Chacun desassociés place ses actions d’une valeurunitaire de 1 euro au sein de son PEA.L’activité étant plutôt florissante, lestitres de la société P se revalorisentde 10 %, soit une revalorisation de laholding de 1 000 000 d’euros. Par

application des règles du PEA, cetterevalorisation échappe à l’impôt surla plus-value au taux de 19 %. L’ac-quisition en direct de la société P parles associés aurait limité l’apport destitres dans leur PEA à 132 000 euroschacun. Après revalorisation des 10 %,l’exonération, pour chaque associé,n’aurait porté que sur une somme de13 200 euros au lieu de 200 000 eurospar associé. Y a-t-il pour autant abus de droit ?Nous ne le pensons pas, et cela pourles deux raisons suivantes : d’une part,le prix d’acquisition de la société Pest le prix de marché ; d’autre part,le choix de la holding se justifie parde multiples raisons autres que fiscales(contrôle de la cible par la holdingselon les règles statutaires fixées ausein de celle-ci, recours au finance-ment favorisé, meilleure maîtrise del’intuitu personae, etc.).Toutefois, lorsque la plus-value réa-lisée au sein du PEA se révèle trèsimportante, l’administration fiscales’en émeut et deux questions minis-térielles récentes ont été posées envue d’obtenir une limitation des effetsbénéfiques du PEA en ce cas (Quest.min. n° 105393, JO AN Q. 19 avr.2011 ; Quest. min. n° 104025, JOAN Q. 5 avr. 2011) : « La Cour descomptes, dans son rapport public annuel2011, indique que “le régime fiscal duplan d’épargne en actions (PEA) a étéinstitué pour inciter les contribuables àinvestir, de manière durable, leur épargnedans des titres de sociétés, en leur permet-tant de bénéficier d’une exonération d’im-pôt sur le revenu sur les dividendes etd’impôt sur les plus-values réalisées.L’élargissement des PEA aux titres desociétés non cotées a conduit à des pratiquesd’optimisation importantes et même à desabus. Le procédé consiste à inclure dansun PEA des titres de sociétés non cotéespour des valeurs unitaires inférieures àleur véritable valeur, afin de porter sur leplan, pour la même somme plafonnée, leplus grand nombre possible de titres, pourbénéficier d’une exonération de plus-values, dont les montants sont sans com-

mune mesure avec ceux qu’il est possiblede constater lorsque ces plus-values sontréalisées dans le cadre d’une épargnedomestique”. En conséquence, il luidemande de préciser quelles sont les mesuresque le gouvernement compte prendre pourlimiter ces abus ».Aucune réponse n’a encore été don-née, mais ces questions mettent enévidence la sensibilité du sujet.

2°/ Inscription de bons de souscription

d’actions au sein du PEA

L’inscription de bons de souscriptiond’actions (BSA) ne nous semble pasen elle-même constitutive d’un abusde droit. Encore faut-il bien sûr qu’ilsne correspondent pas à une rémuné-ration déguisée, d’une part, et qu’ilsne soient pas utilisés comme moyende contourner la limitation du plafondd’investissement, d’autre part. Toutest ici encore question de mesure.

CONCLUSION

Après avoir été l’un des best-sellers desavis du CCRAD pendant des années,les tentatives de redressement sur lefondement d’une utilisation abusivedu PEA ont commencé à se réduire.Ceci s’explique par un double effet.D’une part, le durcissement du régimede faveur (limitation de l’exonérationapplicable aux produits afférents auxtitres inscrits dans le PEA) a limité lerecours au PEA lorsque les sociétésont un fort rendement et une politiquede distribution extrême. D’autre part,le PEA a acquis une plus grande matu-rité et les contribuables évitent dés-ormais quelques utilisations extrêmesfondées sur une évaluation des titresinscrits.Est-ce à dire pour autant que lecontentieux sur le PEA est tari ? Nousne le pensons pas, et ne serions passurpris qu’il reprenne sur le fonde-ment des techniques à effet de levier,sur lesquelles toutefois la position descontribuables paraît à ce jour assezsolide. �