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    Revue Annales du patrimoine N 8 - 2008

    Annales du patrimoine Universit de Mostaganem (Algrie)

    Les sources de lamour courtois

    des troubadours

    Pr Mohammed Abbassa

    Universit de Mostaganem, Algrie

    Si les Europens ont connu la posie depuis lpoque de

    la Grce ancienne, la posie lyrique et rime, quant elle,

    napparut quau dbut du XIIe

    sicle dans le Sud de la France.

    Les potes Troubadours taient les prcurseurs de cette

    nouvelle posie qui fut rapidement propage dans toute

    lEurope.

    La posie troubadouresque dans laquelle le pote idalise

    la dame et la respecte, ne reflte aucunement les traditions de la

    socit europenne lpoque, mais une posie qui est tout

    fait trangre aux Europens. Elle se ressemble profondment la posie andalouse, et surtout les Muwashshahat et les Azdjal.

    Cest pourquoi nous avons consacr cette recherche ltude

    des origines et la formation de la posie occitane au Moyen

    Age.

    Au dbut du XIIe

    sicle, et non loin des contres

    andalouses, surgit en Provence une posie passionnante tendant

    diviniser la dame et la servir. Cette ambition littraire,

    invente par les Troubadours, sduisait durant le Moyen Age,

    Trovadors, Trovatori, Minnessangers et autres chantres

    europens.

    Mais la question qui sest toujours pose est celle de

    lorigine de cette posie troubadouresque appele encore

    occitane. Certains comparatistes lui ont trouv des origines

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    trangres alors que dautres ont contest toute influence. Pour

    mettre en lumire les principales sources de la posie occitane,

    il est ncessaire dexposer, en quelques lignes, la vie culturelleen Provence avant lapparition des lettres dOc.

    Au dbut du Moyen Age, il nexistait pas encore en

    Provence une culture proprement dtermine pour un tel peuple

    au sens o nous lentendons aujourdhui, ou du moins, au sens

    de culture populaire au sein de laquelle exprimeraient les

    murs traditionnelles dune socit anciennement institue. On

    ny rencontre, en fait, que les vangiles et quelques florilges

    reprsentant les odes ecclsiastiques et les lgiaques.

    Nanmoins, une littrature semi-liturgique ou didactique,

    mais toujours religieuse, a pu exister dans le sud de la France.

    Malheureusement elle demeura inhume dans les abbayes et les

    glises, en la seule possession des hommes de foi, qui en

    disposaient selon leurs intrts. Par ailleurs, la socit laqueignorait cette littrature qui reprsentait pour lindividu une

    prdication laquelle, il devait sabandonner.

    Le Moyen Age demeure jusquau VIIIe

    sicle, sans

    institutions, sans langues propres et sans littratures

    nouvelles(1)

    . A la fin de ce sicle, apparut Charlemagne, la forte

    personnalit de lEurope, qui revient le mrite dimpulser la

    culture moderne. Ce grand monarque carolingien ordonna

    douvrir dans chaque lieu de culte, des coles o les lves

    apprendraient le comput ecclsiastique, le chant et la

    grammaire.

    Toutefois, cet enseignement quel que fut son mrite,

    demeura confin entre les murs des chapelles. Et les rares

    documents franais que les IXe

    et Xe

    sicles ont livrs, ne

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    reprsentent, en ralit, quune littrature superficielle o la

    moindre allusion la femme ou lamour est absente.

    A la fin du XI

    e

    sicle, apparut Robert dArbrissel,fondateur de lordre de Fontevrault

    (2), qui confrait aux

    abbesses le commandement sur tous les religieux. Quelques

    savants provenalistes voyaient en ce comportement, alors

    trange, un germe de la formation de lamour courtois et de la

    vnration de la dame(3)

    .

    Les chansons de geste surgiront lpoque de la

    premire croisade dOrient. Ce sont des chansons caractre

    national ou religieux, en cours parmi le peuple, et leur mrite

    revient au Jongleurs qui les ont composes ou adoptes. La

    plus importante fut "la chanson de Roland" : une pope

    populaire narrant les aventures guerrires de Charlemagne.

    Limpact arabe que revt le caractre pistolaire de cette

    chanson est significatif

    (4)

    .Les chansons de toile apparaissent juste aprs "la

    chanson de Roland". Ce sont des chansons anonymes, chantes

    par les femmes, et voquant souvent labsence de lamant et les

    souffrances quelles endurent. Mais les premires chansons,

    apparues dans le pays dOc, sont le Boeci et la chanson de

    Saint Foy. Ces chansons anonymes, dont les auteurs sont de

    formation clricale(5) ont t composes vers la seconde moiti

    du XIe

    sicle.

    La "Cantica lubrica et luxuriosa", qui nest quune ode

    ecclsiastique, ne constitue en aucun cas une chanson damour.

    Le vrai cantique damour apparat au dbut du XIIe

    sicle. Les

    savants nosent pas le faire remonter lAntiquit - la chanson

    damour nexistait pas encore dans lAntiquit - et tentent de

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    lui trouver des sources trangres.

    Le pionnier du lyrisme damour fut le Troubadour

    incontest Guillaume IX, comte de Poitiers (1071-1127)

    (6)

    . Sonactivit potique se situe dans les annes qui suivent son retour

    dOrient. Ce protagoniste partit en Palestine en 1100, la tte

    dune expdition croisade, mais son arme fut taille

    Hracle. Il sjourna pendant quelques mois Antioche avant

    son retour dans le Midi, en 1102.

    Par ailleurs, dautres chercheurs europens, dont les

    provenalistes Gaston Paris et Alfred Jeanroy, renvoient les

    premires posies du comte Guillaume IX la fin du XIe

    sicle,

    cest dire juste avant la premire Croisade. Malheureusement

    aucune de ces posies ne nous est parvenue.

    Guillaume IX nest pas seulement le premier

    Troubadour, mais aussi le premier pote europen avoir crit

    dans une langue vulgaire

    (7)

    , la langue dOc, tout en sinspirantdes potes zadjalesques de lAndalousie. Les Andalous sont les

    premiers potes qui ont introduit en Europe une langue

    potique indclinable.

    La posie lyrique des Troubadours apparut pendant le

    dbut du XIIe

    sicle, sans que personne nait pu mettre en

    lumire ses sources probables. Mais lintervention de la

    civilisation arabo-andalouse parait claire et nengendre aucun

    doute. Barbieri fut le premier, au XVIe

    sicle, qui ait suggr

    linfluence certaine de la littrature andalouse sur sa voisine

    occitane. Cette premire hypothse a t dfendue la fin du

    XVIIIe

    sicle, par le jsuite espagnol exil, Juan Andrs(8)

    .

    Et depuis Barbieri jusqu nos jours, les chercheurs ne se

    sont pas encore mis daccord sur une origine atteste de la

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    posie occitane. Chacun conserve ses propres suppositions o

    prdominent, le plus souvent, des ides sectaires. A partir de

    ces diffrentes tendances, on a formul quelques hypothses.Les latinistes renvoient lorigine de la posie provenale

    des sources purement latines, en se rfrant aux pomes de

    Fortunat(9)

    . Ce pote romain, du VIe

    sicle, partit en Gaule,

    mais ne demeura pas longtemps dans la cour des Mrovingiens

    qui ne savaient, lpoque, ni lire ni crire. Il se dplaa

    ensuite vers les cours du Poitou avant de rebrousser chemin,

    aprs avoir ralis que les Poitevins ne sy entendaient pas en

    latin.

    Par contre, la posie provenale du XIIe

    sicle diffre

    profondment de la posie fragmentaire de Fortunat qui nest,

    en ralit, quune prose ecclsiastique. Quant lamour

    courtois des Troubadours, les latinistes auraient trop exagr en

    lui cherchant des origines ovidiennes. En effet, l"Arsamatoria" dOvidius ne tmoigne daucune relation avec la

    courtoisie. Ce ne sont que conseils de sduction pour les deux

    sexes et rotisme grossier o la moindre dcence est absente(10)

    .

    De leur ct, les provenalistes croient que la posie

    lyrique des Troubadours aurait t ne en terre dOc, o elle

    meurt aussi. Alfred Jeanroy suppose que linfluence latine sur

    la versification romane est indniable ; elle est peine

    perceptible dans luvre des Troubadours, surtout dans celle

    des plus anciens. Par ailleurs, Alfred Jeanroy est convaincu

    quil est superflu de dmontrer que la faon dont les

    Troubadours occitans ont chant et idalis la femme ne doit

    rien aux lgiaques latins(11)

    .

    Les provenalistes de mme que les romanistes, souvent,

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    admettent lventuelle influence de Robert dArbrissel,

    fondateur de lordre de Fontevrault. Ils pensent que lorigine de

    la vnration de la dame au Moyen Age, revient lide de cemoine, qui avait fait soumettre ses confrres au

    commandement des abbesses.

    Lide de ce moine na aucun trait commun avec la pure

    courtoisie provenale. Il est vraiment inconcevable quen

    soumettant les clercs une autorit fminine, ce fanatique ait

    modifi les sentiments passionns des Provenaux ou

    dvelopp les formes potiques des Troubadours occitans. Il

    semble que ce religieux ait voulu humilier ses confrres de

    labbaye et non point exalter la dame(12)

    .

    Outre ces hypothses, nous avons galement un autre

    mythe dinfluence initi par Denis de Rougemont : le

    Catharisme. Denis de Rougemont admet tout fait que les

    conceptions de lamour quillustre la posie provenale, auMoyen Age, ne refltent aucunement les traditions sociales du

    Midi. Cette posie semble en contradiction absolue avec les

    conditions dans lesquelles elle naquit(13)

    . Selon lui, cette

    conception de lamour venait dailleurs. Mais quel pouvait tre

    cet ailleurs ?

    Lhrsie des Cathares se rpandait dans le Midi en

    mme temps que la posie en lhonneur de la dame et dans les

    mmes provinces. Le problme cathare reprsentait selon

    lglise, lpoque, un danger aussi grave que celui de lamour

    courtois des Troubadours. A partir de ces donnes, de

    Rougemont a fait croire que les deux mouvements

    entretiendraient en quelque sorte, une espce de lien. Mais il

    nexclut gure les origines orientales lamour des domnei(14)

    .

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    Etant donn que lorigine attribue lhrsie cathare

    remonte aux sectes no-manichens dAsie mineure,

    dAntioche jusquaux frontires balkaniques, il est sedemander pourquoi cette convention na pas fleuri dans la

    posie gallo-romaine. Les circonstances ntaient-elles

    propices au dveloppement dune telle idologie rotique que

    dans les rgions du Midi ? Il semble que de Rougemont ait

    voulu signifier que les origines de lamour courtois sont

    orientales mais que leur dveloppement est cathare.

    Enfin les partisans de lhypothse de lorigine arabe sont

    convaincus de linfluence de la littrature arabo-andalouse sur

    la posie lyrique occitane(15)

    . Les Andalous ont devanc les

    Troubadours, de plus de quatre sicles, dans le recours aux

    formes strophiques, et la vnration de la dame comptait parmi

    les traditions des Arabes.

    Guillaume IX, daprs sa biographie, avait t dabordun trichador de domnas, avant de devenir soudainement un

    amant courtois. Il est vident que sa nouvelle orientation ne

    refltait aucunement les traditions de la socit mdivale. Ni

    Ovide ni Fortunat nont de rapport apparent avec lidalisation

    de la domna provenale. Lamour des Troubadours est bien

    loin de celui des Romains.

    Ds la fin du XIe sicle, lOccitanie se vit oriente vers

    une nouvelle convention socio-littraire, qui est tout fait

    trangre lEurope chrtienne(16)

    . Cette nouvelle convention

    est lcho dune littrature dite andalouse. Les Jongleurs, les

    sirvens et les plerins ont t les principaux acteurs qui ont

    contribu au passage de cette littrature du Sud au Nord, et

    dont les Troubadours furent les prcurseurs.

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    Les potes provenaux ont pu introduire dans leur

    socit presque tous les thmes de la posie andalouse. Ils

    sabandonnaient lobdience des dames, dcrivaientl"albespi" et voquaient les "cansons dauzelh". Quant aux

    diffrentes formes mtriques de leur posie, rien ne prouve

    quelles aient exist avant les Troubadours. Ces formules sont

    empruntes en ralit de lAndalousie(17)

    .

    Pour dtourner les regards de cette posie aux origines

    levantines, les papes lpoque, entranaient comtes, ducs et

    marquis, rejoindre les rangs des Croisades et combattre les

    Musulmans en terre de Palestine. Toutefois, les Troubadours

    nont pas renonc leur posie, mais ils ont compos des

    satires et des invectives sur Rome, les rois de France et les

    commanditaires des Croisades(18)

    .

    Le Saint-sige neut trouv dautres moyens pour parer

    les consquences de cette rvolte littraire que de proclamer, en1209, la Croisade contre les Albigeois dans le Sud de la

    France. Cette guerre qui a dur jusqu 1229 et impos

    linquisition, marqua linfraction de la posie lyrique des

    Troubadours.

    Aprs le Narbonnais Guiraut Riquier, dernier

    Troubadour occitan, les Provenaux vcurent, la fin du XIIIe

    sicle, la dcadence des lettres dOc. Et depuis cette date, les

    potes italiens du "trecento" portrent lhonneur du gnie

    potique ; tels les Cavalcanti, les Dante, les Guinicelli, les

    Petrarca et bien dautres Toscans du Dolce Stil Nuevo.

    Notes :

    1 Cf. Pierre le Gentil : La littrature franaise du Moyen Age, Paris

    1968, p. 8.

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    2 - R.- R Bezzola : Les origines et la formation de la littrature courtoise

    en Occident, Ed. Champion, Paris 1944, 2e

    P., T. 1, p. 30.3 - Ren Nelli : lErotique des Troubadours, Coll. 10/18, U.G.E., Paris

    1974, T. 1, p. 36.4 - Americo Castro : Ralit de lEspagne, Paris 1963, p. 282.5 - Pierre le Gentil : op. cit., p. 17.6 - Alfred Jeanroy : Les chansons de Guillaume IX, Ed. Champion, 2

    e

    dition, Paris 1972, p. xix (introduction).7 Cf. Ren Nelli : Troubadours et Trouvres, Ed. Hachette, Paris 1979,

    p. 19.8 - Voir, Henri-Irne Marrou : Les Troubadours, Ed. du Seuil, Paris1971, p. 118.9 - Rto Roberto Bezzola : Les origines..., 1

    eP., p. 42 ss.

    10 - Ovide : lArt daimer, Coll. Poche, Paris 1966, p. 15 ss.11 - Alfred Jeanroy : La posie lyrique des Troubadours, Ed. Privat -

    Didier, Toulouse - Paris 1934, T. 1, p. 65.12 - Ren Nelli : op. cit., T. 1, p. 36.13 - Denis de Rougemont : lAmour et lOccident, Coll. 10/18, U.G.E.,

    Paris 1979, p. 80.14 - Ibid., p. 118 ss.15 - Robert Briffault : Les Troubadours et le sentiment romanesque, Ed.

    du Chne, Paris 1943, pp. 20 - 64.16 - Erich Kuhler: Sociologia della finamor, saggi trobadorici, Padova

    1976, p. 2 segg.17 - Ramon Menndez Pidal: Poesia Arabe y poesia europea, 5

    aed.,

    Espasa - Calpe, S.A., 1963, pag. 17.

    18 - Robert Briffault : op. cit., p. 134.http://annales.univ-mosta.dz