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La néphropathie du purpura rhumatoïde E. Alamartine Service de néphrologie, dialyse et transplantation rénale, Hôpital Nord, Saint-Etienne Le purpura rhumatoïde est une vascularite systémique carac- térisée par un purpura cutané, des douleurs et des hémorragies abdominales, des polyarthralgies et une glomérulonéphrite à dépôts mésangiaux d’IgA. Environ 40% des purpuras rhuma- toïdes développent une atteinte rénale. La prédiction de celle-ci reste difficile. Il semblerait que l’âge mais surtout la sévérité de l’atteinte digestive, la persistance du purpura et l’abaissement du facteur XIII de la coagulation soient les facteurs les plus prédictifs de cette atteinte rénale. 1 L’article de F. Schillinger publié dans ce numéro de Néphrologie s’intéresse aux formes sévères des néphropathies rencontrées au cours du purpura rhumatoïde. Celles-ci se caractérisent par une prolifération extracapillaire et donc un risque d’insuffisance rénale terminale. L’article de F. Schillinger reflète bien la fréquence des don- nées extra- rénales rapportées dans la littérature. 2 Les signes généraux s’observent chez 60% des patients, les signes cutanés chez pratiquement 100%, les signes articulaires chez 80% et l’atteinte digestive chez 60%. Il est particulièrement intéressant de rappeler l’existence de certaines atteintes extrarénales qui, bien que rares, présentent un caractère de sévérité lié à leur topographie. Les complications gastro-intestinales graves tou- chent 5% des patients. Il s’agit d’hémorragies digestives parfois massives, d’ischémies coliques, de fistules digestives, de pan- créatites mais aussi d’entéropathies exsudatives. L’atteinte pul- monaire peut être sévère avec hémorragie alvéolaire. Des encé- phalopathies et des hémorragies cérébrales ont été rapportées, de même que des hématomes et nécroses testiculaires. Ces atteintes extrarénales rappellent que le purpura rhumatoïde est une vascularite systémique. L’atteinte vasculaire est de type leu- cocytoclasique, c’est-à-dire une vascularite avec une prédomi- nance de polynucléaires neutrophiles mais sans nécrose parié- tale. Les données biologiques sont concordantes puisque l’on peut trouver des complexes immuns à IgA et des facteurs rhuma- toïdes à IgA. Plus récemment des IgA-ANCA ont été identifiés. 3 Ces ANCA n’ont pas de spécificité P3 et rarement une spécificité MPO, ce qui laisse imaginer une réaction non pas de type anti- gène-anticorps mais de type lectine. 4 La gravité de l’atteinte rénale a été bien décrite dans une importante série de 152 malades. 5 La fréquence du syndrome néphrotique était de 30%. Une prolifération extracapillaire était notée chez 35% des malades, mais elle ne touchait plus de 50% des glomérules que dans 3% des cas. La survie rénale actuarielle à cinq ans était 85% chez les adultes et 95% chez les enfants. En chiffres bruts, 16% des adultes et 7% des enfants avaient atteint l’insuffisance rénale terminale. La gravité accrue de la série rap- portée ici avec 25% d’insuffisance rénale chronique et 20% d’insuffisance rénale terminale ne reflète que la sélection voulue des atteintes rénales les plus graves. Quels sont les facteurs du pronostic rénal ? L’âge semble important car les purpuras rhumatoïdes de l’enfant sont de durée plus courte, avec moins d’atteintes rénales et digestives et une meilleure évolution rénale. La protéinurie est citée dans tous les articles, même si le taux de gravité varie de plus de 1g/24 h à plus de 3g/24 h. Des données plus anciennes suggèrent que la survenue d’hématuries macroscopiques soit prédictive de la pré- sence de croissants. La présence d’une hypertension artérielle et d’une insuffisance rénale au moment du diagnostic est aussi citée comme élément de gravité. Les facteurs de pronostic les plus performants restent histologiques : le risque d’IRC est lié au pourcentage de croissants et à la fibrose interstitielle. 2 Le traitement du purpura rhumatoïde est loin d’être codifié. Les atteintes extra rénales comme les lésions cutanées nécro- tiques et l’entéropathie exsudative sont améliorées par la cortico- thérapie. Celle-ci est usuellement réservée à l’atteinte rénale. Nous ne disposons en fait que de recommandations extraites de séries souvent petites, jamais contrôlées. Lorsque l’atteinte rénale est jugée sévère, la corticothérapie semble efficace et peut être proposée en première intention. Elle doit être administrée initiale- ment sous forme de bolus, 6 les doses faibles ayant montré leur inefficacité. 7 L’adjonction d’un immunosuppresseur est souvent proposée, que se soit le cyclophosphamide 8-10 ou l’azathio- prine. 11,12 De manière plus anecdotique, l’emploi, parfois isolé, des immunoglobulines intraveineuses 13,14 ou des plasmaphérèses 15,16 a été rapporté. Nous ne disposons toutefois d’aucune preuve formelle justifiant le recours aux immunosuppresseurs. Comme dans toutes les proliférations extracapillaires, c’est probablement la rapidité de mise en œuvre du traitement qui compte le plus. Le purpura rhumatoïde est habituellement considéré comme la forme systémique d’une affection dont la glomérulonéphrite primaire à dépôts mésangiaux d’IgA représente la variété mono- organique. Il est intéressant de noter que les anomalies de glyco- sylation des IgA, si importantes au cours de la forme primaire, commencent à être décrites au cours de la néphropathie du pur- pura rhumatoïde. Un déficit en acide sialique des résidus o-gly- cosylés a tout d’abord été rapporté. 17 Plus spectaculairement, il semblerait que le déficit en O-glycosylation ne se rencontre au cours du purpura rhumatoïde qu’en cas d’atteinte rénale. 18 Pour clore les aspects récents de la physiopathologie, citons la possibi- lité d’activation du complément via la voie des lectines. Il a récemment été découvert que le clivage du C3 pouvait être obtenu par la fixation de lectines (Mannose Binding Lectin) à des carbohydrates présents à la surface de micro-organismes. Cette nouvelle et troisième voie d’activation du complément est appe- lée voie des lectines ou MBL. Elle serait mise en jeu à la phase ini- tiale du purpura rhumatoïde et pourrait jouer un rôle important dans la constitution de la néphropathie. 19 Adresse de correspondance : Pr E. Alamartine Service de néphrologie, dialyse et transplantation rénale Hôpital Nord F-42055 Saint-Etienne Cedec 2 éditorial Néphrologie Vol. 21 n° 5 2000, pp. 217-218 217

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La néphropathie du purpura rhumatoïdeE. Alamartine

Service de néphrologie, dialyse et transplantation rénale, Hôpital Nord, Saint-Etienne

Le purpura rhumatoïde est une vascularite systémique carac-térisée par un purpura cutané, des douleurs et des hémorragiesabdominales, des polyarthralgies et une glomérulonéphrite àdépôts mésangiaux d’IgA. Environ 40% des purpuras rhuma-toïdes développent une atteinte rénale. La prédiction de celle-cireste difficile. Il semblerait que l’âge mais surtout la sévérité del’atteinte digestive, la persistance du purpura et l’abaissement dufacteur XIII de la coagulation soient les facteurs les plus prédictifsde cette atteinte rénale.1 L’article de F. Schillinger publié dans cenuméro de Néphrologie s’intéresse aux formes sévères desnéphropathies rencontrées au cours du purpura rhumatoïde.Celles-ci se caractérisent par une prolifération extracapillaire etdonc un risque d’insuffisance rénale terminale.

L’article de F. Schillinger reflète bien la fréquence des don-nées extra- rénales rapportées dans la littérature.2 Les signesgénéraux s’observent chez 60% des patients, les signes cutanéschez pratiquement 100%, les signes articulaires chez 80% etl’atteinte digestive chez 60%. Il est particulièrement intéressantde rappeler l’existence de certaines atteintes extrarénales qui,bien que rares, présentent un caractère de sévérité lié à leurtopographie. Les complications gastro-intestinales graves tou-chent 5% des patients. Il s’agit d’hémorragies digestives parfoismassives, d’ischémies coliques, de fistules digestives, de pan-créatites mais aussi d’entéropathies exsudatives. L’atteinte pul-monaire peut être sévère avec hémorragie alvéolaire. Des encé-phalopathies et des hémorragies cérébrales ont été rapportées,de même que des hématomes et nécroses testiculaires. Cesatteintes extrarénales rappellent que le purpura rhumatoïde estune vascularite systémique. L’atteinte vasculaire est de type leu-cocytoclasique, c’est-à-dire une vascularite avec une prédomi-nance de polynucléaires neutrophiles mais sans nécrose parié-tale. Les données biologiques sont concordantes puisque l’onpeut trouver des complexes immuns à IgA et des facteurs rhuma-toïdes à IgA. Plus récemment des IgA-ANCA ont été identifiés.3

Ces ANCA n’ont pas de spécificité P3 et rarement une spécificitéMPO, ce qui laisse imaginer une réaction non pas de type anti-gène-anticorps mais de type lectine.4

La gravité de l’atteinte rénale a été bien décrite dans uneimportante série de 152 malades.5 La fréquence du syndromenéphrotique était de 30%. Une prolifération extracapillaire étaitnotée chez 35% des malades, mais elle ne touchait plus de 50%des glomérules que dans 3% des cas. La survie rénale actuarielleà cinq ans était 85% chez les adultes et 95% chez les enfants. Enchiffres bruts, 16% des adultes et 7% des enfants avaient atteintl’insuffisance rénale terminale. La gravité accrue de la série rap-portée ici avec 25% d’insuffisance rénale chronique et 20%d’insuffisance rénale terminale ne reflète que la sélection vouluedes atteintes rénales les plus graves.

Quels sont les facteurs du pronostic rénal ? L’âge sembleimportant car les purpuras rhumatoïdes de l’enfant sont dedurée plus courte, avec moins d’atteintes rénales et digestives et

une meilleure évolution rénale. La protéinurie est citée dans tousles articles, même si le taux de gravité varie de plus de 1g/24 h àplus de 3g/24 h. Des données plus anciennes suggèrent que lasurvenue d’hématuries macroscopiques soit prédictive de la pré-sence de croissants. La présence d’une hypertension artérielle etd’une insuffisance rénale au moment du diagnostic est aussicitée comme élément de gravité. Les facteurs de pronostic lesplus performants restent histologiques : le risque d’IRC est lié aupourcentage de croissants et à la fibrose interstitielle.2

Le traitement du purpura rhumatoïde est loin d’être codifié.Les atteintes extra rénales comme les lésions cutanées nécro-tiques et l’entéropathie exsudative sont améliorées par la cortico-thérapie. Celle-ci est usuellement réservée à l’atteinte rénale.Nous ne disposons en fait que de recommandations extraites deséries souvent petites, jamais contrôlées. Lorsque l’atteinte rénaleest jugée sévère, la corticothérapie semble efficace et peut êtreproposée en première intention. Elle doit être administrée initiale-ment sous forme de bolus,6 les doses faibles ayant montré leurinefficacité.7 L’adjonction d’un immunosuppresseur est souventproposée, que se soit le cyclophosphamide 8-10 ou l’azathio-prine.11,12 De manière plus anecdotique, l’emploi, parfois isolé,des immunoglobulines intraveineuses 13,14 ou des plasmaphérèses15,16 a été rapporté. Nous ne disposons toutefois d’aucune preuveformelle justifiant le recours aux immunosuppresseurs. Commedans toutes les proliférations extracapillaires, c’est probablementla rapidité de mise en œuvre du traitement qui compte le plus.

Le purpura rhumatoïde est habituellement considéré commela forme systémique d’une affection dont la glomérulonéphriteprimaire à dépôts mésangiaux d’IgA représente la variété mono-organique. Il est intéressant de noter que les anomalies de glyco-sylation des IgA, si importantes au cours de la forme primaire,commencent à être décrites au cours de la néphropathie du pur-pura rhumatoïde. Un déficit en acide sialique des résidus o-gly-cosylés a tout d’abord été rapporté.17 Plus spectaculairement, ilsemblerait que le déficit en O-glycosylation ne se rencontre aucours du purpura rhumatoïde qu’en cas d’atteinte rénale.18 Pourclore les aspects récents de la physiopathologie, citons la possibi-lité d’activation du complément via la voie des lectines. Il arécemment été découvert que le clivage du C3 pouvait êtreobtenu par la fixation de lectines (Mannose Binding Lectin) à descarbohydrates présents à la surface de micro-organismes. Cettenouvelle et troisième voie d’activation du complément est appe-lée voie des lectines ou MBL. Elle serait mise en jeu à la phase ini-tiale du purpura rhumatoïde et pourrait jouer un rôle importantdans la constitution de la néphropathie.19

Adresse de correspondance:Pr E. AlamartineService de néphrologie, dialyse et transplantation rénaleHôpital NordF-42055 Saint-Etienne Cedec 2

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Néphrologie Vol. 21 n° 5 2000, pp. 217-218 217

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Néphrologie Vol. 21 n° 5 2000218

Références