a. weishaupt, introduction à mon apologie - j. h. faber, le véritable illuminé ou les vrais...

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À ma femme, ma fille, Spartakus Freeman & Willy Fiorucci.

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Initialement publié aux éditions Grammata, ce livre est aujourd'hui épuisé.Pour un exemplaire papier, contacez-moi (25 €).

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  • ma femme, ma fille,Spartakus Freeman &

    Willy Fiorucci.

  • Introduction mon apologie

    Le vritable Illumin oules vrais rituels primitifs des Illumins

  • AdamWEISHAUPT

    Introduction mon apologie

    Le vritable Illumin oules vrais rituels primitifs des Illumins

    par Johann Heinrich FABER

    dition tablie et traduite de lallemandpar Lionel Duvoy

    GRAMMATA2012

  • La station thermale de Wilhelmsbad o se tint, du16 juillet au 29 aot 1782, le convent maonnique

    qui rvla lampleur de lOrdre des Illumins.Peinture de Tischbein (1751 - 1829).

    Titre originaux : Adam Weishaupt, Einleitung zu meiner Apologie , Grattenauer, 1787Johann Heinrich Faber, Der chte Illuminat oder die wahren, unverbesserten Rituale

    der Illuminaten, Edessa [Frankfurt a. Main], 1788.

    Grammata, 2012 pour la prsente rdition numrique.grammata.fr.mu

  • PRFACE

    Si dans l'imaginaire allemand du XVIIIe sicle, lediable se mit subitement apparatre vtu d'un pan-talon de tartan, peut-tre faut-il en chercher l'originedans l'trange parent qui lia, ds leur origine, lessocits secrtes du sicle des Lumires au fantasme delorganisation traditionnelle des clans cossais. Le suc-cs des pomes d'Ossian de Mac Pherson1 tmoigneclairement de l'intrt croissant qui animait les cri-vains europens de cette poque, pour cette mentalitancestrale aux yeux de laquelle l'individu, loin d'avoirtous les droits, devait avant tout obissance la com-munaut et, par suite, au chef qui lincarne.

    Nul n'aurait contest, parmi les penseurs d'alors2,qu'un tat puisse se maintenir sans l'diction de sta-tuts et de lois reprsentatives de la socit prise dans sa

    1 Pote cossais n en 1736 Ruthven, mort en 1796 Belleville House. Ossian, que Mac Pherson voulut fairepasser pour un manuscrit authentique, tait en ralit uneinvention. C'est surtout l'pope de Fingal (1761) qui eutun grand retentissement.2 A lexception notable de Gabriel Bonnot de Mably (1709-1785) qui, plus radical que Rousseau, dnonait ce quilnommait le despotisme lgal (Doutes proposs auxphilosophes conomistes sur lordre naturel des socits poli-tiques, La Haye, 1768).

  • globalit, et capables d'incarner la volont gnrale,sans jamais privilgier quiconque si sa fonction ne lejustifie pas3. De fait, l'hypothse rousseauiste de laformation du corps politique telle quelle fut djformule par Hobbes (1588-1679) postule que lessocits politiques naissent d'un contrat tacite initial,pass entre les membres d'un groupe humain donn,afin de mettre un terme la guerre engendre, defaon naturelle, par lingalit des forces. Mais lafinalit de ce pacte, pour Rousseau, ne se limite pas une garantie de scurit et de jouissance paisible de laproprit ; bien au contraire : la proprit, racine dumal social, est une des expressions de la force, cause dela guerre, et le vritable but de lhomme vivant ensocit nest pas diffrent de celui quAristote, dj,identifiait comme fin suprme de lactivit politique :le bonheur. Le contrat social est donc, par dfinition,insuffisant : tout au plus parvient-il faire cesser l'tatde guerre de tous contre tous4, sans atteindre lidaldune harmonie des volonts individuelles autourdune vise commune. On oublie trop souvent quepour Rousseau, cette imperfection foncire ne peuttre corrige que par la venue providentielle dungrand lgislateur, dont il qualifie les aptitudes desurnaturelles... qui mieux que Bonaparte lincar-nera au sicel suivant ?

    Cest prcisment lui que Weishaupt (1748-1830)imaginait former en fondant son Ordre.

    3 Cf. Rousseau, Du Contrat social (1762), II, ch. VI.4 Cf. Hobbes, De Cive (1642), I, ch. I, XII ; Rousseau, Op.cit., I, ch. VI.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE8

  • L'ordre politique le moins pire la dmocratie serait donc lobjet dun deuxime contrat, ncessitantlaction dun lgislateur prophtique, capable de faireaccepter tous les membres du corps civil le sacrificede leur volont individuelle au profit de la volontgnrale, et ce, pour que chacun rconcilie en lui-mme sa libert naturelle avec la difficile libert civi-le5. Le risque, bien videmment, demeure toujours etencore que ce chef providentiel, comme le redoutaitdj Platon, soit le rsultat de la sottise populaire 6ou le moyen, pour une minorit, de prendre le pou-voir sur la majorit flatte dans ses instincts. Or, le tyran forge les lois son image, lavantage de ses passionsdrgles et de ses courtisans. Et c'est en somme ce quela pense des Lumires, sloignant progressivementde la cour pour frquenter les salons, pointait du doigtdans toute lEurope.

    Dans l'esprit de Rousseau, comme dans celuid'Adam Weishaupt, la monarchie restait dans lordredes choses, car seul un chef lgislateur inacarnant lecorps civil pouvait opposer son unit la somme desvolonts divergentes et assurer la cohrence dun corpssocial non encore clair. Nanmoins, laristocratie desang et dargent incarnait le symptme dune dgn-rescence de ce systme reprsentatif, faisant passerlintrt des gouvernements devant celui des peuples.

    Les appuis de cette tyranie ne sont pas non plusnaturels : la superstition et la censure sont le fruit delimagination nourrie dinterdits religieux irration-nels et de larbitraire des princes. Couple lune

    5 Cf. Rousseau, Op. cit., I, ch. VII.6 Cf. Platon, La Rpublique, livre IX, 575 c - 575 d.

    PRFACE 9

  • lautre, dans une ducation suppose tre la meilleure celle de Jsuites , elles deviennent la principalearme des despotes.

    Aussi, Weishaupt comme en tmoignent lesrituels de son Ordre ne sen prenait absolument pasau Trne et lAutel, mais leur instrumentalisationpar le pouvoir politique. L'esprit d'Ancien Rgime,mis nu par la vulgarisation philosophique et lacritique des pouvoirs, ne fut pas terrass par un com-plot dIllumins encore moins de francs-maons,les historiens ayant suffisamment dmontr linactiondes principales obdiences en la matire , mais parla main d'une population insuffisamment cultive parles nouvelles notions philosophiques de religion natu-relle, de libert et de fraternit. Si la plbe se souleva,au cours de l't 1789, ctait en raison de lternelmoteur des rvolutions : la faim.

    On peut donc dire que l'imagerie colporte par lesromanciers du XIXe sicle, dans laquelle brille l'enviel'influence occulte des carbonari, franc-maons, illu-mins et francs-juges dans les campagnes, reste delordre du fantasme.

    Il nest qu voir Ange Pitou, de Dumas, chass parsa tante pour tre accueilli bras ouverts par Billot, lefermier philosophe ralli aux ides de Benjamin Fran-klin, qui plus est, dpositaire secret dun coffret quelui remit un jour Cagliostro en personne : une fable.Le problme demeure pourtant que cette mythologie,apparemment inoffensive, prend racine dans les thsesde conspiration rvolutionnaire, chaffaudes par lesreligieux les plus conservateurs, et qu trop aurolerde mystres des vnements qui, pour avoir t lgi-times, nen furent pas moins de la plus extrme barba-rie, on finit par faire le jeu de ces thses. Du mme

    INTRODUCTION MON APOLOGIE10

  • coup, on discrdite la spontanit des peuples et onsassure par-l quils attendront bien sagement quequelque organisation secrte fasse le travail leurplace. Les grands totalitarismes du XXe sicle nenaquirent pas autrement.

    Quand Weishaupt fonda le Bund der Perfektibilis-ten le 1er mai 1776, Ingolstadt, sa volont taitprcisment dviter la catastrophe annonce, en for-mant des individus capables de gouverner tout enconservant le souci du peuple et de ses revendications.Son systme visait accomplir secrtement le plan deRousseau : placer la volont gnrale au cur de lapolitique, en instaurant le rgne de la libert et de lavertu, en dfendant le rationalisme contre la superst-ition7. Mais l'inverse de Rousseau, Weishaupt ne

    7 Dans son Pythagoras... (1795), Weishaupt affirme mmenavoir fond le Bund... que dans le but de dtourner sestudiants les plus prometteurs de la fivre rosicrucienne : Cest justement en 1776 quun officier nomm Ecker[(1750-1790), il fonda, en 1781, Der Orden der Ritter undBrder des Lichts qui devint, en 1782, Der Orden der Ritterund Brder St. Johannis des Evangelisten aus Asien inEuropa] cra Burghausen une loge qui versait dans lalchi-mie et qui commenait se rpandre fortement. Un mem-bre de cette loge vint Ingolstadt pour y prcher et dnicherles meilleurs tudiants. Malheureusement, son choix se porta surceux que javais reprs. Lide davoir ainsi perdu des jeunes siprometteurs, de les voir en outre contamins par lpidmiecorruptrice de lalchimie (Goldmacherei) et dautres foliesdu mme genre, fut pour moi atroce et insupportable.Jallai prendre conseil auprs dun jeune homme [le baronFranz Xaver von Zwack (1755-1843)] dans lequel javaismis la plus grande confiance. Celui-ci mincita user demon influence sur les tudiants pour contrer autant quepossible ce flau par un moyen efficace : la cration dunesocit.

    PRFACE 11

  • considrait pas que l'homme du peuple ft incapabled'voluer vers plus de lumire rationnelle et d'auto-nomie. Il croyait fermement en la perfectibilit. Lacration d'une socit prnant la seule religion natu-relle dicte par la saine raison en fut la premire assise.Politiquement, la doctrine devait aboutir la restau-ration dun patriarcat, sans intermdiaire, et, bienvidemment, la disparition, sans violence, de tous lessimulacres politiques et moraux monarchie,glises, etc.. L'usage de la violence tant explicitementproscrit par le cercle, seules l'exemplarit morale etlexpression de la vertu individuelle taient mme defaire passer les hommes de ltat de sujtion ladmocratie parlementaire.

    Ce n'est qu'en 1778, un an aprs que Weishauptait t reu Franc-maon, et sous l'impulsion de sonfidle lve Franz Xaver von Zwack, que le Bund derPerfektibilisten prit le nom d'Illuminatenorden, sans doutedans lespoir de sduire les jeunes gens attirs parlsotrisme mystique de Ecker et de les ramenerinsensiblement la raison.

    On doit cependant la forme dfinitive du systme un minent franc-maon allemand, le baron Adolphvon Knigge (1752-1796)8, qui insuffla l'Ordre sonesprit maonnique. La franc-maonnerie devint ainsi

    8 Knigge quitta lOrdre en 1784. Il se brouilla avecWeishaupt en raison de la radicalisation des idesantireligieuses de lOrdre. De laveu mme de Weishaupt,ce phnomne, devenu incontrlable, ntait pourtant lefait que de certains dignitaires (on pense J. J. C. Bode,souvent dcrit comme un jouisseur libertin), et non de lamajorit.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE12

  • un vivier de choix pour le recrutement des futurspartisans de cette rforme des murs. L'Illuminaten-orden gagna du crdit lors du convent de Wilhelms-bad (1782) au cours duquel fut dcide la suspensionde la pratique du systme maonnique officiel (celuide la Stricte Observance Templire du Baron von Hund(1722-1776)), en faveur des ides du franais Willer-moz (1730-1824). L'Illuminisme reprsentait alorsune frange importante de l'opinion maonnique alle-mande, puisque Knigge, ainsi que Johann JoachimChristoph Bode affili par le premier l'Illumina-tenorden obtinrent, pour les loges maonniques, lalibert de s'administrer elles-mmes, s'assurant ainsitoute latitude pour prparer la migration des frresvers les instituts illuministes, o il occuperaient dehautes fonctions.

    Mais comment vint la dchance de Weishaupt ?Son nom sali, son organisation dvoile, ses amisrduits au silence, sa correspondance tale sur la placepublique, aprs falsification (selon ses dires) ? cettequestion, on aime encore rpondre par la thorie ducomplot, savoir que la trop grande influence desIllumins et leur implication dans la vie politiquedevenaient dangereuses, et quil tait lgitime de mettreun terme leurs activits. Le bannissement du seulWeishaupt donne penser que Knigge avait senti levent tourner : sa grande profession de foi publique9tmoigne dune stratgie de repli par rapport aux ides

    9 Dans les Sechs Predigten gegen Despotismus, Dumheit,Aberglauben, Ungerechtigkeit, Untreue und Miggang (Sixprches contre le despotisme, la btise, la superstition,linjustice, linfidlite et loisivet) (Frankfort am Main,1783), Knigge, se rfrant constamment la Bible, en

    PRFACE 13

  • qui circulaient au sein de lOrdre. Que les Illuminsaient eu de l'influence, qui le nierait ? Mais queWeishaupt, plus crivain inspir de son tat qu'agentdes forces secrtes de la rvolution, plus ogranisateurqu'acteur, ait t tenu pour responsable de la transfor-mation gnrale des ides morales et politiques alle-mandes, voil qui est faire trop de tort ou d'honneur un seul homme, quand le peuple, lui, se mobilisaitpour lutter contre la terreur des arrestations arbitraireset la censure des Jsuites.

    Aux dires de Weishaupt lui-mme, pas un seul deslivres majeurs qu'il publia avant son exil (1785) n'etpu lui valoir condamnation. Ce sont en effet desouvrages plus dignes d'un philosophe de professionque d'un comploteur. Nanmoins, venant d'un pro-fesseur de droit canon exerant Ingolstadt, et occu-pant des fonctions de conseiller au sommet de l'tat,animant, en outre, une socit secrte rassemblantbeaucoup dintellectuels allemands, ils ne pouvaientavoir qu'un fond suspect. Un sort similaire ne fut-ilpas rserv Montesquieu, quand il publia De l'Espritdes Lois ?

    Le symbole de reconnaissance des Illumins lachouette de Minerve suffirait presque dissiper ledoute sur les intentions du mouvement. L'Ordre desIllumins n'tait, au fond, qu'un groupe philosophi-que, organis selon des prceptes pythagorisants. Suiteau remaniement de Knigge, l'enrichissement des trois

    appelle de bout en bout la foi absolue en Dieu. Il estsignificatif quil y ait uniquement soulign cette formuleque naurait pas renie les Jsuites : Que les devoirs enversla socit civile et les rgents doivent tre subordonns aux loisdonnes par la nature et la religion.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE14

  • classes par lintroduction de mystres contribua rendre l'image de l'Ordre un peu plus sulfureuse.Gthe et Herder, pour ne citer qu'eux, y furent reusen 1783, soit un an aprs le convent de Wilhelmsbad.Leur intention, sans doute, n'tait pas de rompre avecle mysticisme maonnique allemand, mais de tisserdes liens avec le courant progressiste europen, pourrappeler la franc-maonnerie sa mission premire. la mme poque venaient de paratre les Gesprche frFreimaurer10 (1780) de G. E. Lessing (1729-1781),dialogues qui eurent une profonde influence sur Her-der11, et qui transmettaient un message radicalementprogressiste. Si donc l'Illuminisme de Weishauptdevint gnant, ce ne fut pas pour les francs-maons nipour les dirigeants jusqu Frdric II quicultivaient les mmes ides de rforme. Cest plutt enraison dun esprit de cour propre une aristocratiecrispe sur ses privilges, que le trs peu populairelecteur de Bavire, Karl Theodor (1724-1799),dcida dinterdire, par dcret du 22 juin 1784, toutesles socits secrtes de Bavire, et de faire la chasse auxIllumins.

    Ds lors, pourquoi le nom de Weishaupt et desIlluminati suscitent-ils encore tant de ractions cons-pirationnistes ? Quelles craintes, quels intrts ani-maient Barruel qui, dix ans aprs la rvolution fran-aise, crivit : [Les paroles de Weishaupt] nous

    10 Cf. Ernst & Falk, causeries pour francs-maons (ma trad.,Paris, Dervy, Petite biliothque de la franc-maonnerie ,2011).11 Cf. Dialogue sur une socit visible-invisible , LesFrancs-maons & autres textes (ma trad., Tours, Grammata,2010).

    PRFACE 15

  • montrent, non la loi provisoire, mais la loi mdite,rflchie et fixe, jusqu' ce qu'il arrive ce temps desoulever et d'enflammer toutes les lgions prpares auterrible exercice ; ce temps si expressment annoncpar Weishaupt et ses Hirophantes, de lier les mains,de subjuguer, de faire feu et de vandaliser l'univers.Quand cette loi enfin sera remplie, le Vieux de laMontagne, le dernier Spartacus [nom dsignant lechef des Illumins] pourra sortir lui-mme de sonsanctuaire tnbreux et se montrer triomphant augrand jour. Il n'existera plus ni Empire ni loi ; l'ana-thme prononc sur les nations et sur leur Dieu, et surla socit et sur ses lois, aura rduit en cendres nosAutels, nos palais et nos villes, nos monumens des artset jusqu' nos chaumires. Le dernier Spartacus con-templant ces ruines et s'entourant de ses Illumins,pourra leur dire : Venez et clbrons la mmoire deWeishaupt notre Pre. Nous avons consomm sesmystres. Des lois qui gouvernoient les hommes, nelaissons plus au monde que les siennes. Si jamais lesnations et leur religion et leur socit et leur propritpouvoient renatre, ce Code de Weishaupt les adtruites ; ce Code seul les dtruiroit encore. Il le dira,le dernier Spartacus ; et les Dmons aussi sortiront desenfers pour contempler cet uvre du Code illumin,et Satan pourra dire : voil les hommes devenus ce queje les voulois. Je les chassai d'Eden ; Weishaupt leschasse de leurs villes, et ne leur laisse plus que lesforts. Je leur appris offenser leur Dieu ; Weishaupt su anantir et l'offense et le Dieu. J'avois laiss laterre leur rendre encore le prix de leur sueur ;Weishaupt frappe la terre de strilit. Ils la dfriche-roient en vain ; le champ qu'ils ont sem ne sera plus eux. Je leur laissois leurs riches et leurs pauvres, leur

    INTRODUCTION MON APOLOGIE16

  • ingalit ; Weishaupt leur te tous le droit de rienavoir ; et pour les rendre tous gaux, il les fait tousbrigands. Je pouvois jalouser leurs restes de vertu, debonheur, de grandeur mme sous les lois protectricesde leurs socits, de leur patrie ; Weishaupt mauditleurs lois et leur patrie, et ne leur laisse plus que lestupide orgueil, l'ignorance et les murs du sauvageerrant, vagabond et abruti. En les rendant coupables,je leur laissois encore le repentir et l'espoir du pardon ;Weishaupt a effac le crime et le remords, il ne leurlaisse plus que leurs forfaits sans crainte et leursdsastres sans espoir. En attendant que l'enfer puissejouir de ce triomphe que lui prpare le Code illumin,quels succs de la Secte en sont dj les funestesprsages ? Quelle part a-t-elle eue la rvolution quidsole dj tant de contres, en menace tant d'autres ?Comment engendra-t-elle ce flau, appel dans nosjours de rvolution, de forfaits et d'horreur, lesJacobins ? Quels ont t enfin jusqu'ici les terribleseffets de ce Code illumin, et que peut-on en redouterencore ? 12

    Le voil notre Diable en tartan, le Satan cossais,l'Hassan al-Sabbah d'Occident fantasm par l'espritdlirant d'un abb qui qualifiait la franc-maonneriede secte des sophistes . Montesquieu s'y retrouvajet aux ordures, ple-mle en compagnie de Voltaire,Rousseau et Weishaupt. Thomas Jefferson, qui n'taitni franc-maon ni Illumin, crivit une longue lettre Monseigneur l'vque James Madison, pour luiconfier son sentiment au sujet des Illuminaten. Nousla traduisons ici intgralement :

    12 Augsutin Barruel, Mmoires pour servir l'histoire duJacobinisme, II, Paris, Pitrat, 1819, p. 310-312.

    PRFACE 17

  • Philadelphie, le 31 janvier 1800.

    Cher Monsieur ***,

    Dernirement, j'ai eu par hasard entre les mainsune prsentation d'un volume (le 3e) de l'AntisocialConspiracy [Mmoires pour servir l'histoire duJacobinisime] de l'Abb Barruel, qui me donne lapremire ide que j'ai jamais eue sur ce que l'on entendpar Illuminisme , courant contre lequel l'illuminMorse [Jedidiah Morse (1761-1826)], comme il sefait appeler aujourd'hui, a tant protest avec sesassocis ecclsiastiques & monarchistes. Les parties dulivre rdiges par Barruel lui-mme sont les parfaitsdlires d'un lunatique. Cependant, il cite largementWishaupt [sic], qu'il considre comme le fondateur dece qu'il nomme l'Ordre. Si vous n'avez pas eu l'oppor-tunit de former votre jugement sur ce cri de chienfou qui a t pouss contre ses doctrines, je vousdonnerai l'ide que je m'en suis forme aprs uneheure seulement de lecture des citations que Barruel afaites de son auteur et qui, soyez-en sr, ne sont pasdes plus favorables. Wishaupt semble tre unphilanthrope enthousiaste. Il compte parmi ceux qui(comme les excellents Price [Richard Price (1723-1791)] et Priestley [Joseph Priestley (1733-1804)],vous le savez) croient en l'infinie perfectibilit del'homme. Il pense que celui-ci peut, avec le temps,tre rendu si parfait quil sera capable de se gouvernerlui-mme en toute circonstance, autant que de nejamais blesser, de faire tout le bien qu'il peut faire, dene laisser aux gouvernements aucune occasiond'exercer leurs pouvoirs sur lui &, naturellement, derendre inutile les gouvernements politiques. C'est l,

    INTRODUCTION MON APOLOGIE18

  • comme vous le savez, la doctrine de Godwin [WilliamGodwin (1756-1836)], et c'est ce que Robinson [sic][John Robison (1739-1805)] et Morse ont appel uneconspiration contre tous les gouvernements. Wis-haupt pense que promouvoir cette perfection ducaractre humain tait le but du Christ. Que sonintention tait seulement de restaurer la religionnaturelle & de nous enseigner, par la diffusion de lalumire de sa moralit, comment nous gouvernernous-mmes. Ses prceptes sont l'amour de Dieu &l'amour du prochain. Et en enseignant l'innocence dela conduite, il esprait placer les hommes dans leurtat naturel de libert & d'galit. Il dit que personne, l'exception de notre grand matre Jsus de Nazareth,n'a su jeter des fondations plus sres pour la libert. Ilpense que les francs-maons, l'origine, possdaientles vrais principes & objets du christianisme, & qu'ilen ont encore conservs certains par tradition,quoique trs dfigurs. Les moyens qu'il propose pourraliser cette amlioration de la nature humaine sont : clairer les hommes, corriger leur morale & lesinspirer avec bienveillance. Srs de notre succs, dit-il,nous nous abstenons de tout dsordre violent. Avoiranticip le bonheur de la postrit & l'avoir prparpar des moyens irrprochables suffit faire notreflicit. La tranquillit de nos consciences n'est pastrouble par le reproche de conspirer la ruine ou aurenversement des tats et des trnes. QuandWishaupt vivait sous la tyrannie d'un despote & desprtres, il savait que la prudence devait tre constantedans la propagation de l'information & des principesde la pure moralit. Il proposa par consquent auxfrancs-maons d'adopter ce but & de prendre pourobjet de leur institution la diffusion de la science & de

    PRFACE 19

  • la vertu. Dans son institution, il proposait d'initier denouveaux membres des degrs proportionns sescraintes de subir les foudres de la tyrannie. Cela colorases vues d'un air de mystre, ce fut la cause de sonbannissement la subversion de l'Ordre maon-nique & cela reste la couleur des dlires dirigscontre lui par Robison, Barruel & Morse, qui sontvraiment effrays de ce que leur bateau soit mis endanger par la propagation de l'information, de laraison & de la moralit naturelle parmi les hommes.Ce sujet tant nouveau pour moi, j'ai imagin que s'ill'tait galement pour vous, vous ressentirez la mmesatisfaction la vue de celle que j'ai eue en analysanttout cela : & je crois que vous penserez, avec moi quesi Wishaupt avait crit ici, o nul secret n'estncessaire dans notre effort pour rendre les hommessages & vertueux, il n'aurait chaffaud aucunemachination secrte ce propos. Tout comme God-win, s'il avait crit en allemand, aurait trs certaine-ment us de la prudence du secret & de mysticisme.Je ne vous dirai rien de la dernire rvolution enFrance, laquelle est tragiquement intressante. Peut-tre que quand nous connatrons davantage lescirconstances qui l'ont mise en branle & la directionqu'elle va prendre, Bonaparte, son organe en chef, seraclair d'une lumire plus favorable qu' prsent.

    Je suis, avec grande estime, Cher Monsieur,votre ami affectionn.

    Thomas Jefferson.13

    13 The Writings of Thomas Jefferson, vol. VII, Putnam &sons, 1896, p. 419-421.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE20

  • C'est dire quel point le regard port surl'Illuminisme et la franc-maonnerie diffrait de partet d'autre de l'Atlantique. L'Amrique ne s'est jamaiscache honteusement de sa volont d'unir les hommesde diffrentes nationalits, races ou religions au sein deloges travaillant tablir une constitution tatique envue du bonheur du plus grand nombre. Il s'agissaitd'un dfi relever, celui du premier contrat socialthoris par les penseurs politiques europens, mais,cette fois, en terre nouvelle. La mme question ne seposa pas en Europe o l'enjeu, comme le montrentbien les Gesprche de Lessing, restait surtout le nivel-lement des ingalits entre classes sociales. Aucuneguerre n'avait encore t dclare par le proltariatorganis en parti, mais la population en gnral,jusqu'au sommet de la hirarchie, montrait des signesde rbellion. Tous les domaines furent ainsi progres-sivement rforms avant que n'clate la rvolutionpolitique et la dsignation d'un chef (NapolonBonaparte). La biologie, la chimie, la doctrine dudroit, la philosophie, la physique et, par-dessus tout,la moralit allaient tre pntres du sain dsir dechercher. La seule faute que les conspirationnistespourraient alors imputer Weishaupt, serait d'avoirpropos une rforme morale des fins politiques autrement dit : davoir tent, pour son sicle, laralisation du rve des sages.

    Lionel Duvoy.

    PRFACE 21

  • Perfer et obdura :Dolor hic tibi proderit olim*1

    * Les notes du traducteur commencent page 215.

  • SI j'avais pu passer les jours de ma vie dans unequitude et une paix que rien ne ft venu troubler, lepublic ne m'aurait jamais connu pour mes qualitsd'crivain. travers les temptes qui ravagent mapatrie et les efforts insidieux que mes ennemis ydploient, on ne m'y connatra pas, pour la premirefois et pour mon malheur, sous mon meilleur jour.

    Ma gloire et mon illustre nom y ont couru un teldanger, que j'prouve le besoin de convaincre monauditoire et mes adversaires que mes intentions taintdes plus pures et des meilleures. Ce fut le but de mescrits publis jusqu'alors. Certains de mes travauxrestent encore partiellement inachevs ; il est vrai quela rvlation au grand jour des textes dcouverts Landshut2, chez le conseiller d'tat Zwack3, a inter-rompu, pour quelques temps, le cours de mes ouvra-ges, mais quelle aura en mme temps contribu lobjectif de mes efforts, en me donnant l'occasion desauver mon honneur compromis, ce qui, comme je lecrois, cartera pour toujours les soupons et les doutesultrieurs.

    Jai par-devers moi ces crits et je les ai lus. Uneconnaissance trs moyenne de l'tre humain suffit dfinir et entrevoir les opinions qu'ils susciterontinmanquablement chez des gens qui diffrent entre

  • eux par lingalit de leur puissance et de leurs int-rts. Il faut aussi que, dans cette masse d'hommes,parmi ces opinions si diverses, il en existe pour tre,par excellence, contraires tous les autres, mais nonmoins autoriss rendre leur jugement, exprimercomment ils ont peru cet incident.

    Pour ma part et peut-tre suis-je le seul parmices nombreux destins rudes et singuliers qui m'ontintress depuis plusieurs annes, aussi bien moi queles autres membres de cet Ordre des Illumins , j'aiconsidr cette publication officielle des crits mis aujour, comme l'une des rvlations les plus bnfiques.Alors je vois enfin le terme de cette bataille si dange-reuse pour l'honneur des deux parties. Et comme lavritable origine de cette affaire si embrouille estconnue dans toutes ses circonstances, la mfiance dupublic, si tendue et encore si peu dissipe, commence se relcher ; toutes les rumeurs et fables fcheusescolportes sur l'origine, les liens, la puissance et laprennit secrte de cette socit, se voient biffer ettuer dans l'uf ; par l, les adversaires peuvent mieuxse rapprocher les uns des autres et s'expliquer sansrserve distante, tout en conservant une attitudenaturelle et vridique. La Providence m'a manifestson infinie Bienveillance en voulant que ces textessoient publis, tandis que je suis encore de ce monde.Je puis maintenant dvelopper compltement lecaractre bnfique et dsintress de mes projets, qui,faute de cela, auraient sans doute sem le doutedurant quelques temps encore ; je puis mettre mamoralit hors de tout soupon et dfendre dura-blement mon honneur bless contre d'autresagressions.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE26

  • Peut-tre qu'un tel drame a renforc ma foi en laVertu ; peut-tre sert-il tous ceux qui, auparavant,condamnaient avant d'tre instruits de toutes lescirconstances, exemple prmonitoire pour tous lesfuturs cas semblables ; cette affaire malheureuse servi-ra peut-tre l'accusation, ou bien la puissance del'innocence et de la vrit s'lvera au-del de toutesles cabales et temptes, afin que leur victoire soitdautant plus magnifique que la lutte fut douteuse. Ilne faut donc pas que le prsent essai se contente defaire mon apologie. Mes lecteurs dcouvriront, enoutre, que sa contribution l'histoire et la connais-sance du cur de l'homme, et surtout au prochedploiement du mouvement et de la nature encore sipeu connus des connexits mystrieuses, nest pasinsignifiante. cette fin, je mexposerai au public avecune rare franchise ; je remonterai aux plus secretsmobiles de mon me, je prouverai de manire ind-niable quel chemin singulier maints fils de la terre ont emprunter dans le cours de leur existence pourdevenir ce qu'ils doivent tre, ce qu'ils sont4. Jespreque la hte avec laquelle je suis contraint d'crire gagneral'indulgence de mes lecteurs pour les nombreuxdfauts et ngligences de mon expression crite quiest de moindre qualit. En crivant pour ma dfenseet celle de l'affaire, je ne puis ni ne prendrai la libertde rpondre sur autre chose que ce qui me concernemoi-mme ou l'affaire. Mais je peux et je doisadmettre, devant Dieu et je le veux faire le plussolennellement que, de toute ma vie, je n'aijamais entendu parler ni vu un seul de ces crits,notamment ceux qui traitent de ces manuvresoccultes et si douteuses, de ces em-poisonnements,etc. ; encore moins ai-je eu connaissance de situations

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  • o lune de mes relations aurait, ne serait-ce queconseill, communiqu ou fait le moindre usage detels procds. Cela suffit contribuer la vrit. Dslors, je me cantonnerai exclusivement ce quiconcerne directement ma propre personne ou l'affaire.

    En remerciant d'un cur sincre l'lecteur duhaut gouvernement de Munich5 d'avoir fait imprimerces crits, je suis loin d'accuser Son Excellence des'tre rendue dlibrment coupable de falsificationen publiant ces documents. Mais comme, d'un autrect, il est impossible d'exiger de moi que je mesouvienne, aprs dix ans et plus, de mots et d'expres-sions que j'aurais employs dans ltendue de toutema correspondance, puisque ces documents ont tsaisis sur le champ, en l'absence de l'intress, detmoins requis par la Justice et sans dossier judiciaireen rgle, puisque ces crits sont depuis lors passsentre tant de mains hostiles, sans avoir t ports ni ma connaissance, ni celle d'un quelconque de leursAuteurs ; puisque l'on s'est dj permis de fabriquerle premier Avertissement, sans honte de l'artifice, etd'inventer, puis de faire imprimer de fausses lettressous mon nom, puisque ceux qui se sont justementservis de cet artifice ont reu, en qualit d'assesseurs,la consigne de mettre la main sur lesdits papiers,puisque je sais pertinemment que l'un des commis-saires du Prince lecteur est all jusqu' pinglersecrtement, dans la chambre des commissions, l'unede ces lettres qui concerne l'un de ses parents etque, de surcrot, on a beaucoup de difficult lire ceque ma main y a crit... pour toutes ces raisons, etpour ma dfense, je ne puis absolument pas enadmettre un seul passage significatif l'heure qu'il est.Il y a mme fort parier que le grand nombre de pages

    INTRODUCTION MON APOLOGIE28

  • venant au secours de ma dtresse, l'attnuant etl'expliquant, aient toutes t, ou bien escamotes, oubien, tout le moins, perdues dans cette circulationsans fin entre mains hostiles, et qu'en raison dunetelle subtilisation, de ces rajouts, ou tout simplementde la mauvaise lecture d'un seul mot lors de la trans-cription de tout un passage, on ait fabriqu un sensdont ressort une animosit sans gal. Cette supposi-tion, norme en soi, conserve encore un haut degr deprobabilit, si l'on considre que toutes ces copiesimprimes n'ont pas t une seule fois vrifies, nicompares auparavant aux originaux, comme l'imposele droit. De mme, les petites notes et exerguesajoutes ici et l, et ce qui a t retir de mes lettres,ainsi que la citation imprime par drision au dos dela couverture7, trahissent visiblement que l'diteur etle rdacteur de ces textes n'taient pas aussi exemptsde passion, de haine, d'ironie et d'un esprit de railleriemaligne et triomphante, qu'il sied pourtant de l'tre un juge impartial agissant avec sang froid.

    Aussi, ces circonstances, que je soumets la lenterflexion de mes lecteurs, font que je pourrais, bondroit, et par manquement la lgalit courante, quiest de rigueur dans cette affaire, dmentir totalementces crits, dans tout ce quils contiennent, et jusqu'ce que d'autres preuves soient produites ; je pourrais,par cette rfutation, employer toute la force probantedont on use contre moi. Mais comme, du reste, je suisconscient du bien fond de ma cause, je trouvesuperficiel de me servir de tels alibis et dtours inu-tiles. Ainsi, je reconnais les lettres et documents quipeuvent avoir t crits de ma main, pour l'essentieldj, le N.B.8, sans pourtant les avoir vus en leurforme authentique. Je ferai encore mieux ; je rdigerai

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  • ma dfense, de telle sorte qu'elle puisse valoir pour lecas o un seul passage authentique mais pourlinstant encore douteux serait galement de mamain. Dans l'hypothse o tous les documents quel'on m'oppose seraient, quant leur contenu, justes etauthentiques, je pose la question suivante : Que prouvent-ils ? Que ne prouvent-ils pas ?

    1. Ils ne prouvent pas que l'association dans sonensemble, ou un seul de ses membres en particulier,ait jamais commis les crimes dont l'accuse l'Avertis-sement, savoir celui de trahison envers la patrie, deprofession d'athisme, de rgicide, de sodomie oud'empoisonnement. On ne trouve nulle part trace dela plupart des mfaits les plus graves. Pour ce qui estdes autres, il n'y a gure que des passages isols,tablissant, par dduction, quelques conjectures etaussitt, les lecteurs ont t suffisamment malintentionns pour poser l'hypothse que les personnesen question sont mauvaises, de vrais criminels, aus-sitt ils ont tenu pour vrai ce qui devait tre prouvultrieurement, aussitt sont entres en lice les pas-sions qui incitent l'homme condamner et absoudre*.

    * Mme si l'on voulait apprcier chaque crit d'aprs cettemme hypothse ou une autre semblable, quel crivain yparviendrait ? Je ne parle pas des crivains profanes, bienque les Saintes critures soient susceptibles designifications et d'interprtations mauvaises, quand on necherche pas s'en tenir uniquement la lettre. cette fin,je vous renvoie, parmi cent autres passages, au fameux Paul1 Cor. ch.9, v. 19-23 : J'tais libre et indpendant, et jeme suis fait l'esclave du tout, par quoi jai pu le gagner.

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  • Des passages isols ne prouvent absolument rien,dans la mesure o dautres existent pour dmontrerclairement le contraire. Toutes ces lettres rassemblessont des documents qui ne reprsentent qu'une petitepartie du tout et non le tout lui-mme ; elles perdronttoute force probante sitt que le lecteur aura prisconnaissance du caractre des personnes qui agissent,de toutes les circonstances, de la totalit de l'affaire,de l'histoire complte de cet enchanement : quand onaura jug d'aprs les faits, et non d'aprs les mots,d'aprs ce qui sest rellement pass, et non d'aprs desimples supputations indfinies et irralistes, quand,ensuite, les grades divulgus eux-mmes serontrattachs leurs causes, afin de dterminer la vracitet la ralit de l'affaire. Celui qui comparera tout celaen profondeur verra pour quelles raisons il a fallu lesmodifier par la suite. Chacun verra ainsi clairementque ce serait perdre tout usage de la raison que dechercher, pour les motifs les plus solides du monde, publier ses propres lves aprs les meilleurs crivains,et employer ces mobiles comme moyens de dtruiretoute morale et comme incitation aux infamies lesplus inadmissibles ; il est clair pour tout le mondequon ignorerait totalement le rapport entre le moyen

    Pour les Juifs, je suis devenu Juif, par quoi je les ai gagns.(...) Je suis devenu faible pour les faibles afin de les gagnereux aussi. Pour tous je suis devenu tout, afin de, partout,en sauver quelques uns. De quelle interprtation vulgairece passage est-il susceptible ? quelle mauvaise lecturepeut-il donner lieu ? Quelles dductions pourraient enavoir tir les glossateurs de mes lettres s'ils l'avaient euxaussi mal interprt ? Il leur serait tellement facile, s'ilsavaient autant d'intrts le faire, d'y trouver vidente laproposition selon laquelle la fin justifie les moyens.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE 31

  • Des passages isols ne prouvent absolument rien,dans la mesure o dautres existent pour dmontrerclairement le contraire. Toutes ces lettres rassemblessont des documents qui ne reprsentent qu'une petitepartie du tout et non le tout lui-mme ; elles perdronttoute force probante sitt que le lecteur aura prisconnaissance du caractre des personnes qui agissent,de toutes les circonstances, de la totalit de l'affaire,de l'histoire complte de cet enchanement : quand onaura jug d'aprs les faits, et non d'aprs les mots,d'aprs ce qui sest rellement pass, et non d'aprs desimples supputations indfinies et irralistes, quand,ensuite, les grades divulgus eux-mmes serontrattachs leurs causes, afin de dterminer la vracitet la ralit de l'affaire. Celui qui comparera tout celaen profondeur verra pour quelles raisons il a fallu lesmodifier par la suite. Chacun verra ainsi clairementque ce serait perdre tout usage de la raison que dechercher, pour les motifs les plus solides du monde, publier ses propres lves aprs les meilleurs crivains,et employer ces mobiles comme moyens de dtruiretoute morale et comme incitation aux infamies lesplus inadmissibles ; il est clair pour tout le mondequon ignorerait totalement le rapport entre le moyenet la fin donne, qu'on s'exposerait chaque instantau plus fameux des menteurs, et que, par suite, onn'atteindrait jamais son but. Il serait alors admis quel'on puisse, grce une force magique, former deshommes, depuis longtemps duqus une certainethique, la plus docile sclratesse, et, sans crainte,leur ordonner toutes les infamies leur insu.

    Assurment, l'thique et, plus souvent encore, lareligion elle-mme, ont t les couvertures et lesmoyens de persuader les hommes de commettre les

    INTRODUCTION MON APOLOGIE32

  • plus graves crimes : mais j'aimerais voir cetteapparence flagrante de moralit, qui serait si mystifi-catrice alinante, que l'on pourrait, grce elle,convaincre avec force les bonnes gens qui ont imaginle N.B., en obissant un choix de mdisances quel'on ne peut associer autre chose qu'au cerveau duplus sclrat des hommes. Comment puis-je utiliser lala morale et les meilleurs crivains pour dtruire toutemoralit ? Si, comme on l'avance, cela avait t notrecas, il aurait nanmoins fallu que les enseignements etinstituts des classes infrieures soient un peu prpars ; lepoison aurait toujours t instill au cours de l'ascen-sion, jusqu' tre expos dans toute son abominationaux membres du dernier et suprme degr. Cela auraitalors lieu dans les Vrais Mystres Suprieurs. Or, iln'existait encore cette poque que deux classes. MonApologie du Mcontentement et du Mal dj parue9constituait en grande partie et particulirement lecinquime dialogue encore paratre lobjet desenseignements de la premire classe, quoique sous uneforme totalement diffrente. Mon systme Dumatrialisme et de l'idalisme10, lui aussi rcemmentimprim avec quelques enrichissements, et que tout lemonde peut consulter, est l'objet de lenseignementde la dernire classe, la plus leve. Celui qui doute dela vrit de mon argumentation n'a qu' se tournervers moi, pour que je lui transmette personnellementdes tmoignages de taille, irrfutables, dont il pourrafaire usage, et qui, je l'espre, rempliront leur meilleurdevoir en sauvant l'honneur d'un homme qui, hormiscela, a tout perdu et doit vivre et gagner son pain grce lui.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE 33

  • Si la chose est confirme, on aura prouv, sansobjection possible, que le systme des Illuminsprendra l'avenir, comme je le crois, une forme et unbut tout diffrents, et que les machinations dont il estquestion dans les documents prcits n'ont jamaisexist ; que l'on tait mille lieues de prparer lesmembres des classes infrieures, par de faux espoirs,au renversement des murs et toutes sortes de viceset d'impits. Ou alors qui peut dire que les deuxsystmes aient jamais propos tout cela ?

    Bien mieux : il apparat, dans mon Systme del'Idalisme10 que je m'y tais vraiment loign dunaturalisme et du matrialisme comme je l'avaisprojet ds 1780* et que j'y tablissais dj unenouvelle preuve en faveur de la Rvlation. Maiscomment ces lettres pourraient-elles prouver que lamoralit, dans mon systme, n'tait qu'un simpleprtexte visant convaincre les hommes de bien des'garer et de tomber dans l'incroyance ? Qui peutdouter plus longtemps qu'il fallait que tout le systmesoit entretemps modifi et que, par consquent, ceslettres ne puissent tre seulement rattaches aux tempsprimitifs et grossiers de cette institution, son enfanceet nullement son ge plus mr ? la lumire de cetteaffirmation, que j'lverai par la suite la certitude laplus totale, qu'on aille lire les degrs rvls dont jesuis l'auteur. Qu'on les juge selon la perspective quej'expose ci-dessous : quon pse les raisons de chaquearrangement et dispositif que je vais mentionner ; etainsi, qu'on juge si le tout ne s'ordonne pas en unensemble parfaitement et clairement moral. Que l'on

    * Le lecteur peut lui-mme trouver la vrification de cetargument dans lesdites lettres, page 379.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE34

  • considre aussi, du reste, comment ce systme, justeaprs 178111, s'est propag dans toute l'Allemagne,que les plus grands hommes, par la naissance,l'rudition ou la rputation dun mode de vie et demurs des plus irrprochables, taient au courant deson origine et de son organisation, et quils se tenaientmme la tte de ses affaires ; quon juge alors s'il estpossible que de telles vises honteuses aient tacceuillies, adoptes et approuves dans le plan del'Ordre. Il apparatra plutt que ce sont des hommesde grande moralit qui sont sortis de cette cole12 :que son organisation tait tablie de telle sorte que sesmembres fussent dfinis par une dlicatesse si haute-ment morale, que la moindre manifestation d'immo-ralit et les exemples de vulgarit donns par lesSuprieurs que l'on sait craient la dysharmonie et,par suite, sy trouvaient en minorit ; que la confianceet l'exemple mme taient les seuls ressorts des motifsdestins lui faire atteindre son objectif ; que tous lesdfauts, vices et garements provenaient de ce quequelques Suprieurs devaient d'abord se maintenir auplus haut degr de moralit ncessaire l'acquisitionde cette confiance ; que les subordonns avaientbesoin de leurs Suprieurs pour s'interdire de pour-suivre des fins gostes et appuyer leurs enseignementssur leur exemplarit ; que leurs regards taientconstamment tourns vers ces Suprieurs et que toutedissonance entre la doctrine et les actes n'tait jamaisremarque ni rprimande, sans que cela exert unegrande influence sur leur zle, leur alacrit future etleur obissance. De cette faon, l'organisation tait sibien rgle que les subordonns, sans le savoir, taientles guides et les instructeurs de leurs Suprieurs,quand ces derniers voulaient atteindre leurs fins autre-

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  • ment, la manire des despotes arbitraires13 les plusdpendants, et, si tel ntait pas le cas, quand ilssouhaitaient plutt s'abandonner leurs inclinationset leurs passions, quand ils taient les hommes lesplus dsuvrs.

    2. Ces lettres ne prouvent pas que je fus, jusqu'en1781 (car pour les annes suivantes, ils ne dmontrentabsolument rien) un homme mchant, un escroc, unmaniaque du pouvoir et quelqu'un d'intress. Ilsattestent plutt qu' cette poque, je n'avais juste-ment aucun privilge, beaucoup d'ennuis, et d'autantmoins de puissance que je vivais non pas pour moi,mais pour les autres, pour lensemble et, je puis le diresans honte, pour le monde et le genre humain.L'homme dont l'me pense dans le sens de l'intrtgnral et en tant que citoyen du monde, n'a nulbesoin d'employer des artifices grossiers qui sont lepropre de gens dont l'esprit tout entier est plein d'uneseule ide qui les hisse toujours plus haut et faitfructifier leur bien. Je peux attendre de l'quit detout lecteur non prvenu, qu'il retire de l le traitessentiel de ma nature et quil juge d'aprs cela, tantle reste de ma valeur, que mes crits et mes discours.Si javais vraiment mal agi, comme je suis prt ladmettre, puisse le lecteur tre assur que ce ne futtrs certainement jamais dessein. Si j'avais puimaginer que ces documents finiraient un jour entreles mains de mes adversaires et qu'ils seraientimprims pour le public, si tous les principes dalorsavaient t dvelopps dans mon esprit pour tre telsqu'ils sont aujourd'hui ; si, dans ma hte faireconnaissance je n'avais, ds la premire rencontre,crit d'un cur embras par la soif du bien, j'aurais

    INTRODUCTION MON APOLOGIE36

  • trs certainement mieux pes, correctement dfini oucompltement vit les nombreuses expressions que jedsapprouve, prsent que la tonalit spirituelle demon me est compltement autre. Ainsi, seul unhomme sachant que la lecture de sa correspondancecomplte en dition publique lui apportera des amis,peut se targuer, bon droit, de ne jamais se hter, den'avoir aucun moment utilis dexpression ambiguet facile manipuler ; un homme qui peut se convain-cre lui-mme et les autres qu'en toute occasion il apens et agi selon les plus pures intentions, que danssa jeunesse ou quelques annes plus tt il pensait djcomme il pense aujourdhui : seul un tel tre peut selever et tmoigner contre moi. Et ce mme hommeme dira ensuite si l'tre humain s'attire le mpris et leblme de ne pas avoir t, par manque d'occasions oud'intrt, ce qu'il est devenu, de devoir encore seformer lui-mme, se dvelopper.

    3. Ces crits ne prouvent pas que les alarmistes etdnonciateurs soient des hommes moraux et que parleurs alarmes et dnonciations ils aient eu desintentions pures, et quils aient agi sur la base de faitset de sources irrfutables. Il n'en reste pas moins vraique c'est partir de simples supputations, sur la foi dedclarations irrflchies de membres isols, et nonencore forms, par une hassable dformation desdegrs qui leurs ont t donns de connatre, qu'ilsont conclu un systme du Mal et lev leursdductions et leurs suites uniformes une ralitdmontre et irrfutable. S'ils n'avaient pas omis deprsenter de meilleures preuves, ils n'auraient euaucun besoin d'inventer, dans des crits anonymes,des lettres signes en mon nom, ni de les faire prc-

    INTRODUCTION MON APOLOGIE 37

  • der de leur Avertissement, et ils ne se seraient pas nonplus servi de tous les procds dont ils accusent lesIllumins. Ils ne leur auraient mis aucun crime charge dont la certitude, pour le coup, n'est nulle-ment confirme. Ils n'auraient pas eu recours auxinstances judiciaires, qui n'ont pas rechign m'iden-tifier comme tant leur fondateur ; il leur aurait timpossible de dnoncer et de dcrier l'Ordre en tantqu'invention et cabale fomente par quelque courvoisine14 ; ils n'auraient pas parl de rgicide, de haute-trahison ou de complot portant atteinte leur proprevie et ils n'auraient pas ratifi tous ces mensonges sousserment. Ils n'auraient pas mis tant de soin con-trarier, par tous les moyens et dtours possibles, lesenqutes et dfenses juridiques plus dtailles. Ils n'enreste pas moins vrai qu'ils ont fait tout cela et plusencore. Ce qu'il y a de pire, c'est qu'ils aient tauparavant lis de toute leur me un Ordre sinuisible, qu'ils en aient mme t les propagateurs etsurtout, qu' la suite de la prtendue offense d'Ingol-stadt, ils aient diligeant, par pure vengeance, toutesles poursuites par des moyens et des voies qui d-montrent qu'ils auraient fort difficilement employleurs forces meilleur escient et avec plus d'inocuit la place des Illumins. Il n'en reste pas moins vrai que,durant plusieurs annes, ils ne furent pas trs zls participer ou se rendre complices de tous ces crimes, moins qu'ils n'avouent n'avoir rien vu ni entendu,pendant tout ce temps, de ce que donnent com-prendre leurs faux, et qu'ils aient par l mme gagnles faveurs du pouvoir. Ainsi y eut-il encore despassions malignes, la haine et la vengeance, pour lesentraner donner une tournure si abjectementcalomnieuse des textes et des discours susceptiblesd'une interprtation trs partiale.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE38

  • 4. Ces crits prouvent tout aussi peu que le gou-vernement ait dj eu en main des preuves valablespour justifier le dur procs intent lencontre del'organisation et de nombre de ses membres indivi-duellement irrprochables ; si ces documents ont tpublis avant les minutes du procs, ctait nen pasdouter afin de prvenir le blme et le veto du public.Il n'en reste pas moins que, de ce point de vue, l'on achaffaud, cru et poursuivi sur le fondement dednonciations arbitraires (je peux les appeler ainsi, carla dlation de 1785, en fin de compte, fut classe sanssuite, aprs que l'on ait dj procd bon nombred'actes illgaux), que pas un seul membre na tsomm de s'exprimer sur les crimes en question, quel'on a employ pour beaucoup d'entre eux un autreprtexte afin de les dmettre de leurs fonctions, qu'onleur a interdit de se dfendre et que cette interdictiona invalid certains jugements de condamnation. Laforme lgale a tout aussi peu t observe concernantles crits dcouverts. Ces derniers ont t confisqusen l'absence de leur propritaire et de tmoinsjuridiques, pour passer ensuite entre toutes les mainsde la partie adverse. C'est aux ennemis eux-mmesqu'il a t ordonn de chercher ces documents. Ilsn'ont t soumis l'examen d'aucun de leurs auteurs,aucun d'eux n'a t appel la barre pour en attesterlauthenticit, nul n'a t interrog sur le sens desmots utiliss, aucun des arguments, ni mme lespersonnes qui les ont avancsn n'ont t entendus surla vrit des raisons contraires et des preuves apportespar les prvenus. Tout a t considr commeindniablement et parfaitement prouv. Mais toutcela le fut si peu, que ma dfense dmontrera combienjaurais pu argumenter pour ma propre justification,

    INTRODUCTION MON APOLOGIE 39

  • si seulement les juges avaient accueilli mes instantesprires et m'avaient convoqu Mnich. Puisquej'avais dj formul depuis longtemps cette demandedans mon Apologie des Illumins, que j'y avais fait lapromesse de faire toute la lumire possible devant untribunal impartial, que l'on ne pouvait s'attendre ceque je sois dup par le gouvernement, que je mtaisdj prsent trs clairement en tant qu'auteur etfondateur de cette organisation ; que tous ces moyensordinaires et lgaux taient offerts : pourquoi a-t-oneu besoin de procder cette si formidable perqui-sition, qui porte tellement atteinte la libert civile ?Ils ont d la mener parce quils navaient pas lamoindre preuve, ils ne pouvaient plus rien faired'autre que trouver un moyen de justifier leurs proc-ds, de couvrir leur nudit dvoile dans mon Apologie[des Illumins], afin de se protger contre lesarguments de l'apologiste par des preuves dcouvertesbien plus tard. Pourquoi a-t-on eu besoin dem'assiger ce point, surtout depuis la parution demon Apologie [des Illumins], moi qui souhaitais melivrer, pour qui l'on pronona mme la relaxe, alorsqu'aucun crime n'avait t retenu contre moi, moique l'on aurait pu conduire devant l'autorit ordinaireavant de me bannir, moi qui vis ici paisiblementdepuis la fin de l'anne 1785, de faon irrprochablesous la protection et auprs de la personnalit dunprince estim15 ? Et pourquoi avoir port de tels coups ma libert, au vu et au su de tout le royaume, aupoint que je ne puis qu'avec peine me maintenir dansl'troit espace compris ferm par ces murs, treint parune inquitude et un souci permanents ? quelle finl'a-t-on souhait ? Dans le but de me punir, de meficher entre quatre murs... Mais o est mon crime ?

    INTRODUCTION MON APOLOGIE40

  • O en ai-je t convaincu ? Quel juge m'a entendu ?Faut-il que cela se soit produit pour ma dfense, pourme garder d'explications ncessaires ? Pour quellesraisons dois-je tre spar de ma femme et de mesenfants innocents16, tre captur comme un criminelet tran en justice ? Ne m'y tais-je pas moi-mmepropos ? Mon Apologie [des Illumins] ne fut-elle pascrite dans le dessein de fournir des explications, dedvoiler l'injustice et de diligenter une enqute lgale ?Rude, trs rude serait mon destin, s'il ne devait servir veiller et renforcer chez les autres la foi en la Vertu ; eto cette dernire pourrait-elle se montrer plus belleque dans le destin d'un homme qui, exempt de crimesgraves et que l'on n'coute pas, doit perdre sonemploi, sa subsistance, sa libert, ainsi que (ce qui letorture l'extrme) son honneur, l'attention inesti-mable de ses bienfaiteurs et amis et, avec cela, touteperspective d'un meilleur destin futur ? Si un telhomme croit encore en la puissance de la providenceet de la vertu, si, compltement abandonn son sort,il peut se distraire et regarder sans crainte l'avenirsombre qui s'ouvre devant moi et, sans effroi, prvoirune destine encore pire mais... persvrer : alors, ilexiste certainement une Providence, une Vertu, dehauts principes, et l'tre humain qui en est capablen'est srement pas un imposteur ; il peut certes avoirde nombreux dfauts et faiblesses, mais il doitforcment connatre ces hauts principes, s'y fier, lesavoir ports jusqu' une perfection unique ou levice serait une vertu, et ce serait le seul lui procurerde la force, le protger contre les temptes de la vieet ce serait le meilleur soutien dans l'adversit...

    INTRODUCTION MON APOLOGIE 41

  • Mais ces crits ne dmontrent pas ce que l'on acherch, de manire insigne, prouver en les rendantpublics. Ils ne sont toutefois pas sans force, car ilsattestent :

    1) Que la premire impression est frappante etqu'elle sert au mieux les intrts des alarmistes, desdnonciateurs et autres adversaires ; j'imagine trsbien aussi que leur joie a grandi mesure quesaccroissait l'embarras, dans lequel eux-mmes setrouvaient peu de temps auparavant ; je prsumequ'ils n'auront de cesse d'crire, de prouver, dedduire et de rfuter, que leur victoire soit totale. Cespages dmontrent que les crits en question dtourne-ront le point de vue de tout lecteur pour le moinsfamiliaris avec la dmarche et l'essence des socitssecrtes, qui connat la nature du cur humain et lesmobiles de nos actions, qui est habitu juger avantmme d'tre renseign sur le tout et l'ensemble descirconstances, qui veut simplement condamner etd'autant moins pardonner, car les passions, la peur etl'intrt le dterminent agir ainsi elles prouventqu'ils grossiront toute l'affaire, que, partout, ils ferontentrevoir un danger et qu'ils smeront la discorde.

    2) Que nulle institution au monde na t cequ'elle est devenue par la suite, une fois les conceptspurifis par l'exprience. Le plus rcent exemple descolonies anglaises d'Amrique sert prouver combienil est difficile d'astreindre des formes nouvelles etinaccoutumes des hommes si attachs au pass et leurs habitudes. Il dmontre que c'est une uvre dutemps, que le premier fondateur peut rarement nedonner que de l'intrt et veiller la pense ; que tout

    INTRODUCTION MON APOLOGIE42

  • s'ordonne de soi-mme et prend consistance traversla course du temps, selon les circonstances et lesaccidents, d'aprs une utilisation intelligente desconditions, mais quasiment jamais en suivant lepremier plan de l'inventeur. Ces crits peuvent bienprouver que, peut-tre, un tel plan tait trop prcocepour ces temps-l et pour la forme prsente de l'mehumaine ; que, sans doute, toute cette institution nedevait servir rien d'autre qu' renouveler une grandepense et la jeter, telle une semence, parmi leshommes, une pense qui doit sans doute d'abordgermer et parvenir maturit aprs plusieurs sicles.

    3) Que mme cet Ordre, par sa naissance, fut pourpartie bauch et organis d'aprs des concepts em-brouills, insuffisamment assimils, peu prouvs,dnus de toute connaissance des choses et de l'hom-me. Mais ils ne prouvent pas que cet Ordre ait tencore aussi lacunaire et imparfait, ou que son tatempira davantage quand clatrent les orages. CetOrdre ne s'est certes pas dbarrass de toutes sesscories au cours de sa dernire priode ; il ne repr-sentait pas non plus l'idal le plus lev d'organisa-tion humaine ; il lui restait encore de trs gros dfautsquand il fut dmantel. Mais, indpendamment de cefait, il s'est dans l'ensemble perfectionn dunemanire extraordinaire en comparaison de son tatbrut initial. Si, dans l'Apologie des Illumins , je prenaisla dfense de l'Ordre, toutes les raisons que j'yallguais portaient sur cet tat final c'est--dire surl'Ordre tel qu'il stait constitu au moment de sadissolution et nullement sur le premier. C'est luique je dfends encore contre toutes les attaques de sesopposants, et la suite montrera que j'en avais pleine-

    INTRODUCTION MON APOLOGIE 43

  • ment le droit. De mme, ces lettres prouvent, selonmoi, que j'ai mal valu les dfauts de l'Ordre primi-tif, et que j'anticipais toujours plus d'aprs l'volutioncroissante de mes expriences ; elles attestent alors dece que j'affirme ici, savoir que mes propres conceptsse sont de loin en loin toujours plus affins. De lvient aussi que dans son ge tardif, aprs 1780,presque tous les premiers et plus anciens membreslavaient compltement abandonn ou cess d'treactifs ; leur place taient entrs en scne de toutnouveaux chefs et acteurs. Mais dirons mesadversaires cette distinction entre le premier et lesecond Ordre, entre le primitif et celui qui est siperfectionn, n'est-il pas un prtexte creux visant annihiler, d'une faon subtile et astucieuse, la forceprobante de ces lettres, dont l'anciennet ne prouverien ? Comment puis-je dmontrer que cette distinctionest vraie et fonde ? En progressant dans monapologie, je le prouverai de manire ce qu'aucundoute ne subsiste. Toutefois, je peux rendre ici monaffirmation vraisemblable par les raisons suivantes :

    a) Aussi loin que portent ces lettres, elles n'ontengendr aucune forme dfinie et rien que quelquesplaintes et chamailleries ; tout n'y est que simplesupputation, encore rejete par les pages suivantes.On ne s'est mme pas mis d'accord au sujet du nomde la socit.

    b) Jusque vers la fin de l'anne 1780, pas un seulgrade, l'exception des statuts gnraux et du degrde Minerval17, n'tait achev ou labor. C'est vers lafin de l'anne 1780, lors de mon retour de Mnich,que j'ai termin d'abord celui d'Illuminatus minor : il

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  • me fallut encore batailler et disputer toute l'annesuivante pour le faire finalement adopter. J'avaisconu mon systme de l'idalisme en premier, aucours de l'anne 1780, lors dune occasion que jerelaterai plus tard.

    c) Aprs 1780, l'Ordre commena se rpandredans les autres rgions d'Allemagne ; de grands etimportants personnages y adhrrent, aux remarquesdesquels je considrai qu'il fallait satisfaire de faonconsquente, si l'on souhaitait conserver chez eux labonne image qu'on leur avait donne au dbut, enparticulier par le grade d'Illuminatus minor. Cecim'imposa de faire de nouvelles connaissances ext-rieures, qu'avec eux, j'aille demander conseil et que jedploie toutes mes forces pour tablir ce qui pouvaiten quelque sorte correspondre leur attente extrme-ment tendue. Le courage, la fermet et l'abngationd'un si grand nombre de membres dans ces oragesviolents et ces brutales agressions, n'en font pas moinsconclure une conscience pure et des principessublimes, desquels ils taient familiers. Ces principesne brillent pas aussi bien dans les lettres, mais on sedoute que, dans lintervalle, on a procd plusieursmodifications importantes.

    d) Et au lieu de toute autre preuve de ce que je fuscontraint de faire circuler la premire bauche et de laperfectionner toujours plus, ce sont ces chicaneries etces dsordres sans fin qui ressortent, par lesquels rienne pouvait advenir et qui, comme ils devenaientperceptibles, affaiblissaient le zle des subordonns.Ces derniers devaient me rendre attentif l'ide et la question suivante : d'o vient que toutes les choses

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  • tablies pour le bien, ici, autant que dans le mondepolitique, rencontrent de telles entraves et ne parvien-nent jamais tre mises en places ? Si ces troubles nes'taient pas produits avant, je n'aurais probablementjamais form l'ide essentielle, ni l'ultime et suprmeraffinement de mon systme. Le grade d'Illuminatusminor lui-mme dmontre que jtais dj en train desuivre cette piste ce moment-l. (Les crises enquestion ont apport quelque bien, et j'aurais regrettqu'elles ne se produisissent jamais.) Au cours demres rflexions sur cette question, il me fallut, com-me tout autre, dcouvrir que leur raison d'tre rsidedans l'intrt si variable et les passions des hommes,que leurs conceptions si diffrentes d'une mmeaffaire entranent leurs clivages et leurs divergences.Cette pense devait amener une autre interrogation,celle de savoir s'il tait possible d'unir ces intrts, etil fut dmontr que cette unification n'tait ralisablequ'en un point de vue lev et gnral. Chacun peutici constater combien, sur cette voie, je dus dj merapprocher de la puret et de la perfection morale. Ici,je remarquai et chacun ne le remarquera pas moins comment toutes les entraves auraient t soudaine-ment leves s'il m'avait t donn d'lever les hommesau-del des intrts vulgaires et de les fondre dans lecreuset d'une finalit commune. Dsormais, celasignifiait : Tu dois consulter et tablir des principespropres obtenir cela ; tu dois, par cette unificationmme, insuffler cet intert suprieur pour le raliser ;tu dois, au travers de cet intrt, faire en sorte dedvelopper et de rendre parlants les effets salutairesqui en dcoulent pour chacun et pour le mondemme.

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  • C'est ainsi que furent tablis les principes et lesenseignements que j'exposai publiquement dansl'Apologie du mal et du mcontentement . prsent, jepose la question suivante : est-ce un crime que deformer les hommes ces principes ? Ces personnespeuvent-ils tre mauvaises et dangereuses ? Que doit-il advenir du fait que des hommes de cette sorte seperfectionnent au sein d'une ligue secrte ? Seront-ceensuite les bonnes institutions, d'utilit gnrale, quise heurteront tant d'obstacles ? Un dirigeant dumonde, qui il est en vrit demand de faire le biende ses sujets, peut-il s'opposer de tels principes ? Oubien serait-ce que leur ralisation est impossible ? Si ce dernier cas est vrai, l'Ordre avait-il quoique cesoit d'une cole de corruption, n'tait-ce pas toutsimplement une Rpublique platonicienne, une chi-mre, une ide bonne et bienveillante ? Et cette bonnevolont, ce dsir exalt de servir peut alors bien trepuni et dcri au point o nous le subissons... Mais jesuis galement convaincu que cette proposition n'estpas une chimre. J'ai mise en partie ces penses excution, je peux donner des exemples tirs de cettecole, lesquels sont vraiment prconiss. Et ce quel'on peut faire advenir pour un seul, on le peut aussipour plusieurs. Il y en avait davantage sur cette voie :et je suis sr qu'au fil des annes, j'aurais, grce denouveaux associs, dcouvert des facilits dans uneaffaire qui n'est difficile que parce qu'il n'y a personnepour y travailler, pour s'encourager et se renforcermutuellement. Et donc je crois que le lecteur doitconsidrer que beaucoup de socits naissent de lapuret des murs et des meilleurs desseins, pourensuite se dgrader ; mais que pour l'Ordre desIllumins, on est parti de vises moins claires pour

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  • clore son histoire sur de meilleurs plans ; que j'af-firme, avec vrit, que ces lettres ne prouvent rien deplus que ce que j'tais, que ce que l'Ordre tait l'poque o elles furent crites ; qu'elles ne d-montrent en rien que je le sois encore ou que l'Ordreft encore par aprs ce qu'il fut dans son enfance ;qu'elles prouvent au plus haut point qu' cettepoque-l, je souhaitais promouvoir une divulgation,que j'avais propos, en guise d'explication, quelquechose qui n'apporta aucune clarification, qu' laplace, je livrai ce que je croyais moi-mme en tre une.Mille autres sont encore rellement dans cette situa-tion. Ma mystification a une fin. Je travaille pourqu'elle ne disparaisse pas moins chez les autres ; cestpour cela que je combats mes ides antrieures, cellescontenues dans mes crits publis. Je serais moins enmesure de lutter contre elles de cette faon, si je ne lesavais dj connues et penses. Je tire mme profit demon propre exemple. Alors, o est mon crime ?

    4) Ces crits prouvent qu'il est impossible auxjeunes gens d'avoir la vue et l'exprience plus veillesque celle d'hommes grisonnants et plus forms qu'eux ce genre d'affaires. Que ceux-ci ont un espritsingulirement plus vif et des impulsions troppuissantes pour temprer leur feu et se dvier desfausses routes sur lesquelles ils ont drap. Ilsprouvent que des affaires de cette sorte ne peuventjamais tre parfaites en un an ou en un jour ; qu'il estsouvent meilleur de sortir de l'imperfection pour sehisser graduellement et se maintenir aussi ensuite lo tous les autres ont chou, eux qui, au dpart,taient plus accomplis. Ils prouvent que les hommes

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  • ne se gurissent pas d'un seul coup de leurs habitudeset de leur incessante prcipitation, encore moins dansune telle institution, o l'on doit mnager ses gens envue du ncessaire secret, lieu o la contrainte ext-rieure demeure compltement absente et o, parconsquent, les suprieurs doivent se distinguer et sesparer des subordonns ; que, par suite, aussi long-temps que font dfaut la formation et l'exemple indis-pensables, l'troite cohsion, la force et la consistanceintrieures en particulier la tonalit dmeuniforme, qui est si essentielle , il doit forcmentsy produire mille manuvres insenses et inoppor-tunes ; aussi longtemps que l'indolence, la prcipita-tion, le zle trop impatient, l'imprudence, la pr-somption, les reprsentations trop faibles, trop aveugles ettrop simplistes de celles qui considrent dun pointde vue trop lger leur objet et cette affaire si vaste et sicomplique, qui rclament les fruits avant qu'ils nesoient mrs et qui recourent aux rsultats lointains,comme dans un rapport inappropri des moyens une fin donne , aussi longtemps que l'ambition,l'esprit autoritaire et l'intrt personnel encore troppeu disciplins des membres, le triste dsir de brilleret d'apparatre partout au sommet comme un lmentimportant, et cent autres dfauts du mme genre,existeront, il y aura des milliers de troubles et il faudrafaire mille dtours, prendre mille prcautions, dicterdes lois, et cela entranera sans cesse des lacunes, desfaiblesses, des vices et des dfauts. J'en veux pourexemple toutes les loges et socits secrtes, tous leshommes qui ont travaill ces questions, et je lesprends pour tmoins de mon assertion. Quelle loge aumonde pourrait se faire fort de livrer tous sesdocuments au public, lui faisant une totale confiance

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  • Pour ne trouver chez elle aucune des faiblesses propresaux gens mauvais et qui pourraient, au dtriment deleur puret, entraner des consquences fcheuses ? Etds lors, dans un systme qui ne doit pas tre unsimple passe-temps, o l'on doit agir sur l'hommeintrieur, travailler retoucher son caractre, quelpoint ces difficults doivent-elles tre accrues ? Cescrits d-montrent ainsi que, comme dans tous lesautres do-maines, et donc ici aussi, ce sont d'abord leschanges et les expriences qui font l'homme. Ilsdmontrent encore que cet Ordre tait moins unevritable socit qu'une tentative, un entranement,une cole dans laquelle devaient surtout se former deshommes, qui, un jour, seraient capable de fonder unlien durable, sublime et conforme aux besoins et auxattentes des tres humains. Je dmontrerai par la suite,de manire irrfutable, que nous tous, sans droger cette toute nouvelle entreprise, savons peu ou prouque toutes les socits secrtes qui ont exist jusqu'maintenant ont, par manque de vrai projet et d'unerelle organi-sation, comme plus tard les errements etdfauts des Illumins, cd l'une aprs l'autre, pourtomber en ruine et s'teindre, ou pour revenir ladernire ide de l'Ordre. Je prouverai que le pur etauthentique Art Royal des socits secrtes est unechose qui, comme tout ce qui est bon, doit tredcouverte aprs mille fourvoiements ; qu'il est lechef-d'uvre de l'intel-ligence humaine et le plushaut raffinement de la socit civile.

    5) Ces crits prouvent que si lon avait voulu sepermettre de mener les mmes investigations contreplusieurs autres socits secrtes, en Bavire ouailleurs, on aurait lu ou vcu des scandales similaires,

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  • voire pires. Ils prouvent que le proslytisme et lavolont de crotre, non dans les premiers instants,mais certainement par la suite, est lune des cons-quences inexorables de toute socit, non seulementsecrte, mais encore publique. La volont de crotreelle-mme nest rien de plus que linstinct de perfec-tionnement, si propre tous les hommes et malcompris de la plupart dentre eux, qui dbarrasse dumal. Ils prouvent donc quen de tels cas, on reprochevolontiers aux autres ce que lon fait soi-mme tous lesjours, que lon dcrie et rend suspect les autres pourloigner ses concurrents et slever sur leurs ruines.

    6) Ces crits prouvent que n'importe queladversaire des Illumins, avec son intelligence de courmoins nave et moins franche, que recouvrent unesournoiserie et un vtement d'autant plus grands,dclarerait et dissimulerait, parmi davantage de motsslectionns et ambigus, ce qu'il y recherche et neconvoite pas moins de toute son me, ce qui, avec uneplus grande sincrit et un moindre danger pourl'tat et les autres hommes, est ici pos et exprim. LeCiel voulut que les Illumins soient les seulsmatrialistes, distes et naturalistes de Bavire. Lesautres ne le sont pas moins, qui sont simplementcamoufls et plus sages. J'ai moi-mme aussi peuimplant le disme en Bavire qu' Rome ou en Italie.Je l'y trouvai dj : et je donnerai par la suite la raisonpour laquelle les hommes de cette espce [les distes]se trouvaient en grand nombre et quantit dans lesrgions prcisment les plus bigottes, et davantageencore parmi les catholiques que les protestants.Beaucoup de nos adversaires ont fait montre de zlepour leur croyance et ne sont pour l'heure pas

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  • meilleurs que nous ne ltions ; ils ont besoin de Dieuet de la foi de leurs pres pour exterminer leursennemis.

    7) Ces papiers dmontrent que tout homme a seslubies et ses moments durant lesquels les sens dis-tordent sa raison et mettent en scne des penses quelui-mme rejettera ensuite, peut-tre dans l'heure quisuit, lors d'une rflexion plus froide.

    8) Ils prouvent que, par dsir d'un plus grandbien, il peut facilement venir l'esprit d'un hommequi, depuis sa jeunesse sous la conduite des Jsuites,ne reut pas tout le temps les plus justes exemples devertu qui, par exemple, entendit louer un SaintCrispin18 d'avoir drob du cuir un autre afin denfaire des chaussures aux pauvres , de garder pour luiun livre emprunt l'un de ses anctres en vue d'uneutilit gnrale ; que de tels exemples et illustrationstendent laisser derrire eux de sombres traces, quirendent douteuse la mise en pratique des rglesmorales et suscitent les commentaires jsuitiques*.

    * Cela me peinerait de voir quelqu'un dinjuste au point dedouter de ma moralit et de ma conviction actuelles, quetout un chacun peut retrouver dans mes textes, et quijugerait d'aprs les concepts purils de ma jeunesse. Si,parmi mes lecteurs, il en existe un qui na jamais commisces dtours et erreurs, et dont l'esprit se soit dvelopp surla base de bons principes, qu'il soit remerci de cette bontpar la Providence ; mais qu'il ne me rprimande point, oualors je douterai qu'il soit aussi parfait qu'il le prtend. Unefois, il m'est arriv de suivre cette voie et, face cela, tousles discours, crits ou dmonstrations sont autant d'efforts

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  • ne servant pas grand'chose, sinon rien du tout. Milleautres se retrouvent dans ma situation ; et je pourraispresque demander qui, dans toute l'humanit, a agi oupens en homme mr durant sa jeunesse... Que le lecteurprenne seulement patience, avant que j'expose, ici mme,dans ce mmoire, le processus volutif de mon esprit, et ildcouvrira que tout ce qu'il a lu de ces concepts, pseencore bien peu par rapport ce qu'il doit encore apprendreplus loin. Je peux dire que j'ai travers la quasi-totalit ducours de toutes les vrits humaines ; j'ai invoqu les esprits,dterr des trsors, questionn la Kabbale, jou au loto, ilfallait que je sois moi-mme initi toutes ces folies pouren prouver l'inanit. Il n'y a gure que le mtal que je n'aipas transmut, la faute revenant l'indigence dans laquellej'ai toujours vcu... Que conclure de tout cela ? Que j'taisfou, que le passage d'une trop grande crdulit et dubigotisme l'incroyance est trs facile ; que jai beaucouppein pour me dpartir de ces erreurs, car je ne me voyaispas divaguer sur leur voie, parce qu' chaque fois, je lesprenais pour la sagesse suprme. De l vient que je devaisparvenir mon tat d'esprit actuel par mille folies etgarements, que je ne me suis pas encore suffisammentrectifi, et que pour cela, justement, je doive vivre tous cesvnments, qui constituent pour moi une relle preuve.Du reste, par la publication de ces documents, je croisvraiment tre devenu, ces derniers temps, meilleur que jene ltais. Ai-je commis une faute en ayant t jadis ce queje ne suis plus ? Cela mrite-t-il du respect ou un chtiment ? , si quelqu'un doit expier des fautes et des vices depuislongtemps carts, alors personne ne s'amliorera, chacunpersvrera opinitrement dans ses vices ; laissez-nous doncdtruire les saints de notre calendrier ! Car il est faux quesemblables hommes, qui sont rellement dans le bien, quirsistent avec la plus grande force aux sductions venir,atteignent leur perfection par les fautes et les erreurs !J'aurais aim que mes ennemis et mes juges puissent direaussi bien d'eux-mmes qu'ils ont simplement commis des

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  • erreurs. Ce que j'affirme ici sur moi-mme, pour monpardon, vaut sans exception, avec un droit encore plusgrand, pour tous ceux qui ont pris part cette association.Eux aussi taient jeunes et se sont gars dans la voie del'erreur ; la plupart se sont dj depuis longtemps acquittsde ce travail ; leurs expriences les ont dtromps, ils nesont plus tels qu'ils taient et je suis certain qu'ils sontincomparablement plus sages et meilleurs que ce qu'ilstaient. Je fus justement meutri quand, dans ces lettres, oncita nommment d'autres personnes au prjudice de leurhonneur, alors que les noms de tant d'autres que l'on a sansdoute voulu mnager, y sont ou bien compltement omis,ou bien seulement dsigns par leurs initiales quand, dansma lettre un ami non pas au monde, ni dans le but deleur nuire j'avais not, dans la plus intime confidence,des informations errones, une rumeur qui, plus tard, servlerait fausse. Je suis par excellence, avec d'autres,parfaitement responsable de la dclaration Monsieur LeConseiller mdical et professeur Will 19, qui en fut au plushaut point bless dans son honneur. La conscience et ledevoir me commandent d'expliquer ici publiquement quela rumeur, rpandue peut-tre par ses ennemis, ne fut passeulement dmentie, mais compltement convaincue defausset parmi les membres de l'Ordre ; qu'aprs la dissipa-tion de cette rumeur, Monsieur le Professeur Will restaencore quelque temps dans l'Ordre, comme le prouventmme de faon visible les lettres de la p. 302, et que c'estseulement plus tard, il y a maintenant dj environ sept anseu prs dj sept ans, qu'il a pris lui-mme ses distancesavec l'Ordre et qu'il n'a pris aucune part, ni euconnaissance de ses affaires ultrieures. Qu'a-t-on eubesoin, lors des investigations, de mnager tellementd'autres noms et, parmi ceux-l, celui de Monsieur leConseiller aulique von Eckarthausen 20, en sa qualit decommissaire ? Pourquoi avoir cherch, p. 332, dissimulersous un nom chiffr et ratur le jugement que je porte surlui, et pourquoi avoir nommment rvl ceux de

    INTRODUCTION MON APOLOGIE54

  • 9) Ils prouvent que les recettes financires del'Ordre taient trs faibles, et qu'elles ne mritentnullement d'tre taxes d'escroqueries.

    10) Il est triste de devoir devenir son proprelouangeur. Je suis dans cette situation. Il me sembleque ces documents prouvent, qu'en dpit de toutes lesfaiblesses dont ils m'accusent, je reste un espritordonn et capable de voir loin ; que l'esprit dedtail21 s'accorde trs rarement aux larges vues ; queles points de vue gnraux et les fins de l'me com-blent trop et rendent souvent plus indiffrent qu'ilsne devraient aux basses proportions ; que de telsesprits passent volontiers au-dessus. Ces documentssont ainsi la preuve qu'un esprit devrait d'abordoublier ce qu'il a pniblement appris 20 ansauparavant, sur lequel toute grande pense agitvivement, qui apprend tout pour l'utiliser et ledmontrer par les actes, qui a tt prouv et rprimun plan immense avant que sa raison et les forcesncessaires son exercice soient duques et dveloppes

    beaucoup d'autres personnes qui n'ont pris que peu ouprou part toute cette affaire ? Il faut croire que j'ai trssouvent chang de jugement, non moins quant aux chosesque quant aux personnes, d'aprs une connaissance plusjuste et une meilleure intruction. Ds lors que ce change-ment a t opr, que nombre de ces hommes me sontmieux connus et que mon jugement leur gard est plusjuste, est-ce ma faute si leur honneur court un danger ? Celame blesse normment. Mais chacun comprendra qu'ilsont moins t atteints par mon jugement, qui n'a pluscours ces temps-ci et en ces circonstances, que par la hainedu rdacteur de ces crits.

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  • au degr appropri, un esprit qui manque moins uneferme volont que du discernement, qui ralise srieu-sement prsent qu'il existe certaines grandes vritsque l'on doit clamer avec fracas dans le monde poursusciter l'attention des hommes et que les perscu-tions y contribuent. Ils semblent me prouver que jesuis un homme qui n'avait ni lu ni entendu lesexpriences utiles une telle entreprise, qui les avaitencore moins collectes grce ses propres preuves,un homme qui devait d'abord se faire lui-mme et sedvelopper la faveur des circonstances, un hommequi, en l'absence de toute occasion, aurait bris sacarrire sur tous les obstacles, qui, dans d'autresconditions et une place plus active, ne serait peut-tre jamais tomb sur de telles penses (probablement son dtriment), qui aurait pu en produire beaucoupd'autres si chaque gouvernement comprenait tout letemps l'art de mettre chacun de ses sujets la placequi correspond ses forces. Ils prouvent que j'aitoujours voulu servir, que je ne connaissais pas encoreles vrais moyens, que j'ai chaque fois pens et agid'aprs une conviction encore insuffisamment affine,mais avec la foi la plus solide que je pensais et agissaisaussi bien que je le pouvais.

    11) Ces papiers prouvent enfin (de la meilleurefaon) que je suis le premier instigateur et fondateurde cette ligue si dcrie.

    Et voil que, tout coup, le secret si ardemmentattendu serait dvoil. Les montagnes sont sur lepoint de natre et... c'est une souris qui vient aumonde22.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE56

  • Oui ! Je suis cet instigateur, ce fondateur ; je m'yreconnais sans honte. Avant dj, dans mon Apologiedes Illumins, addition (A), je m'y tais clairementreconnu comme tel ; j'aurais parl encore plus claire-ment dans ce passage si je n'avais promis de faire toutela lumire devant la Justice, si je ne m'tais crdit dela trop purile et impardonnable vanit de me fairereconnatre sans rougir en tant que crateur d'unsystme auquel je dois, et lui seul, la tonalit et ledveloppement actuels de mon me. Tous ceux qui,jusqu' maintenant, ont eu un destin subi, trs amer,et ceux pour lesquels il est imminent, ne peuvent meconvaincre d'avoir honte de cette situation, dem'adresser des reproches, de la regretter. Les essaisrats, la destine et le chagrin, tels que je les ai vcus,me persuadent en tous les cas de renoncer cette idepour l'avenir, de jurer de renoncer penser unesuite, voire de me dcider publier, pour liminertoute mfiance, convaincre parfaitement le public etpour la honte de nos ennemis, l'intgralit dusystme, avec tous ses grades, tel qu'il futcompltement et dfinitivement rform ds 1783.Mais regretter d'avoir produit de telles penses et deles avoir partiellement mises excution, regrettercela, je ne le puis. Il me faudrait regretter tout le bienqui s'est produit grce cette entreprise, tout leprocessus de fermentation que j'ai mis en route dansbeaucoup de ttes ensommeilles, tout l'intrt dedevenir meilleur, de s'efforcer, que je leur ai donn,tous les exemples magnifiques de grandeur d'me etde force spirituelle ports par tant de membres qui,lors de ces orages si violents, de cet crasement gnralet de ce dcouragement, ont abandonn leur patriecomme on abandonne un hritage. Je devrais me

    INTRODUCTION MON APOLOGIE 57

  • repentir du fait qu' prsent, tant d'affaires encorefortement embrouilles par ma faute parviennent leur dnouement et qu'elles soient dites. Je devraisdtester le seul et meilleur moyen de me perfec-tionner. Je devrais regretter d'avoir, dans mondomaine si born, dvelopp une grande sphred'activit, et procur, grce aux forces qui som-meillent en moi, l'occasion de m'lever jusqu'audegr actuel. Bref, je devrais regretter de ne plus tretel que j'tais. Il est vrai que je ne fus jamais unepersonne mchante ; j'ai toujours aim et honor laVrit et la Vertu ; mais dans ce cadre si subjectif, aveccette conviction et cette alacrit, je n'ai que plus tard,grce l'intrt, reconnu quelles sont les multiplesscnes et domaines qui ont veill en moi cetenchanement de faits. Tous les principes que j'aiexposs dans mon Apologie du mcontentement et ceuxqui le seront encore l'avenir, sont les rsultats detelles expriences. Autrement, je n'aurais jamais faitprouver, ni vcu moi-mme les mobiles et espranceshumaines, l'humeur actuelle des hommes, leursfaiblesses, leurs failles et les causes essentielles qui lesengendreront l'avenir. Je pourrais mme dire que si,dans cet enchanement, rien de plus ne s'tait produitque mon loignement d'Ingolstadt, ce dernier auraitt dj en quelque sorte prcieux et inoubliable. Ilm'tait ncessaire, pour un meilleur perfectionne-ment,d'aller vers les autres hommes et de me com-parer un idal suprieur, de me mesurer lui, etcombien me manque-t-il encore pour fonder la fiertqui nat habituellement chez celui qui s'emploieexclusivement l'instruction des jeunes. Mes con-ceptions taient, dans beaucoup de leurs parties, tropsimplistes ; une correction leur tait ncessaire, qui

    INTRODUCTION MON APOLOGIE58

  • aurait t apporte par le commerce avec le monde etles hommes de toutes les conditions. Je dois cet exilla connaissance personnelle de nombreux grandshommes d'exception. Grce cet exil, j'ai conservtout cela et davantage ; il forme l'poque la plusremarquable de mon existence. C'est par lui que lesprincipes, dont les germes ne s'taient pas encoresuffisamment dvelopps en moi, sont parvenus lamaturit convenable.

    C'est d'aprs cette hypothse que je procde madfense mme. Et je trouve l, de tout ce que l'on peutm'imputer charge, que seuls deux extraits me sontopposables. Je fonderai donc ma dfense sur ces deuxseuls morceaux, car en eux sont contenus tous lesautres reproches. L'on peut me blmer 1) d'avoir crune socit secrte et 2) de l'avoir construite de cettemanire. On peut donc se demander :

    1) si c'est commettre un vritable crime que d'trefondateur et instigateur d'une ligue secrte, ou bien...

    2) si le crime ne rside pas plutt dans l'institutionelle-mme, dans les mesures que l'on y a prises. Mesmoyens taient-ils si abominables qu'ils le semblaient ?

    Prouver tout ceci qui, comme je le crois, joue mon avantage et renforce la conviction du publicdevant la juridiction duquel cette affaire elle-mmeest porte par mes adversaires grce la divulgation deces crits fera l'objet dune apologie future. Que leCiel me dispense paix et sant afin de remplir le plustt possible ma promesse.

    INTRODUCTION MON APOLOGIE 59

  • Le vritable Illumin ouLes vrais rituels primitifs des Illumins

    Par Johann Heinrich FABER

  • L'DITEUR AU PUBLIC

    JE ne suis ni Illumin, ni Franc-maon, ni mem-bre dun quelconque ordre secret. Je suis ce que l'onnomme, dans la langue des lus, un profane. Dieu saitsi je suis pour cela pire ou meilleur. Ce ne sont pas lesoccasions et les tentatives qui m'ont manqu d'entrerdans de telles associations ; seulement, j'y ai toujourstrouv, parmi les prtendus initis et mme leurschefs, des hommes faibles et pcheurs, exprience quim'a rendu mfiant. Ainsi, me dis-je, ces hommespleins de mystres n'ont pourtant pas encore trouvl'arcane infaillible qui rend les hommes bons etheureux, et ils dcouvriront bien difficilement unevoie menant la perfection, plus accessible que celleque jai suivie depuis mon enfance : Aime Dieupar-dessus tout et ton prochain comme toi-mme ; ceque tu veux que les autres te fassent, fais-le leur aussi,et ce qu'ils refusent que les autres leur fassent, ne leleur fait pas. Ainsi pensais-je et restai-je profane. prsent, comment, dans ma profanit, j'ai t amen diter les rituels des Illumins, c'est ce que je vaisexposer ici clairement et succinte-ment. L'une de messurs tait marie un certain bavarois N*, mort il ya deux ans. Terrass par une crise d'apoplexie, il n'eutpas le temps de prendre la moindre disposition.

    * Je ne peux pas en dire plus, sinon son Excellencel'Inquisiteur Kreittmeyer [baron de son tat] sera pris del'envie d'aller inqui-sitionner un mort...

  • Aprs son dcs, sa veuve dcou-vrit, enfermsdans une cassette, diffrents documents maonniqueset illuministes qu'elle m'envoya avec la recomman-dation de les garder jusqu' ce que son fils, s'il ne luiarrivait pas de prendre la robe, soit parvenu l'ge deles utiliser. Car, ajouta-t-elle alors, mon bienheureuxmari fut un meilleur matre de maison, meilleurpoux et meilleur pre quand il se dpartit de cesaffaires. Je nai absolument pas la curiosit pour vice.Je n'ai fait autrefois que survoler ces documents : sicela peut rendre service, mon prjug l'gard de tousles ordres secrets y est aussi pour beaucoup. L-dessus,les belles histoires parlant des Illumins de Bavirevirent le jour ; mais elles ne purent m'inciter utiliserces papiers : pourtant, on a rcemment publi unSystme des Illumins1 amlior, sign par l'ex-professeur Weishaupt, ainsi que quelques critsOriginaux de l'Ordre des Illumins sur ordonnance deSon Altesse le Prince de Coire de Palatinat-Bavire ; ainsiexaminai-je avec attention les papiers qui m'avaient tconfis et estimai-je qu'il valait la peine de les faireimprimer avec la permission de ma sur. Le public nepeut se faire aucune ide vraie de l'affaire partir desfragments drobs sur ordre du Prince de Coire, etencore moins sur la base du systme des Illuminsamlior par Weishaupt. Ici, ce sont les vrais rituels,leurs crmonies, leurs doctrines, leur but et lesmoyens qu'ils employrent pour y parvenir, en unmot : l'Illuminisme dans toute sa puret. Avec ce livre disposition, tout homme libr des prjugs pourraenfin statuer sur la question de savoir si les Illuminssont dangereux pour l'tat et la religion. Je ne suissans doute pas assez connaisseur ; je puis dire cepen-dant que mon sain entendement humain et ma foi de

    INTRODUCTION MON APOLOGIE64

  • LE VRITABLE ILLUMIN 65

    charbonnier n'y ont rien trouv de bien choquant etje pense encore que les Illumins, en tant que socit,sont une bonne chose (ce qui n'est pas le cas de tousses membres pris en particulier), des gens utiles, dansle cur desquels le bien de l'humanit est puissam-ment ancr. Bien mieux : si j'avais diriger un petitou un grand royaume, je ferais en sorte que celui-cisoit quelque peu illumin. Le bon prince, le bonministre et lhonnte homme d'esprit n'auraient rien en redouter.

    Pourtant, je peux tout aussi bien avoir tort. Alors,cher public, lis toi-mme ce livre et sois juge.

    H. v. L.

  • IEXPOS PRLIMINAIREConception gnrale de la

    Socit des Illumins

    Il existe certaines vrits, de saintes vrits, quiprojtent leur lumire sur la condition passe, pr-sente et future de l'homme. Il en existe de certaines qu'on les nomme Rvlation ou comme l'on voudra.Elles rsultent de profondes recherches ou de tradi-tions suprieures dont tout homme intelligent doitprouver le besoin, car des doutes subsistent pour luiau sujet d'un nombre incalculable de choses dans lanature. Peut-il ou non voir ces doutes surmonts ? Lesinterprtations que les diffrents peuples en ont con-serves par l'intermdiaire de leurs prtres, de leursphilosophes et de leurs chercheurs sont-elles vraies oufausses ? Aucun eff