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A UNE MALABARAISE Introduction Baudelaire est un écrivain français né en 1821 et décédé en 1867 malade et miséreux. Parti très trop du foyer, il se consacre alors à sa carrière d'écrivain qu'il commence par des critiques littéraires et d'art. Plus tard, il publie le Spleen de Paris, Les paradis artificiels et les Fleurs du Mal en 1857 , recueil, dont je vais vous présenter un poème intitulé A une malabaraise. Ce poème est extrait de la partie " Pièces diverses " de l'œuvre. Afin de mieux comprendre le sens de ce poème, il faut préciser que Baudelaire a séjourné quelque temps à l'île de la Réunion en 1841. Annonce des axes Nous allons analyser le poème sous trois grands axes. Nous nous attacherons tout d'abord à démontrer que le portrait que fait Baudelaire de la femme est un portrait attendu. Puis nous mettrons en évidence que ce texte présente deux êtres appartenant à deux mondes totalement différents et enfin nous montrerons que chacun a une vision idéalisée du pays de l'autre. Etude I. Un portrait stéréotypé 1. Baudelaire dans son poème suit un modèle de portrait stéréotypé. En effet, il commence tout d'abord par décrire le physique de la femme, puis établit son portrait moral. Dans la première partie de sa description, du vers 1 à 4, il évoque la finesse de ses pieds avec : " tes pieds sont aussi fins que tes mains " (v1), sa silhouette : " ta hanche est large " (v1-2), la douceur de sa peau : " ton corps est doux " (v3) et la forme et la couleur de ses yeux : " tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair " (v4). Du vers 5 à 26, l'ébauche de son apparence physique s'enrichit de la description de son tempérament. Elle se révèle être simple, presque naïve, heureuse de sa vie, attachée à ses habitudes, en harmonie naturelle avec son entourage. 2. Un portrait est censé reproduire son modèle de façon à en saisir les traits caractéristiques. L'usage d'images dans la production d'un portrait fait partie des conventions littéraires. Dans les quatre premiers vers de ce poème, on relève 2 images : " tes pieds sont aussi fins que tes mains " au vers 1 et " tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair " au vers 4. Il s'agit de comparaisons réalisées grâce à des outils grammaticaux qui permettent un rapprochement de deux termes : " aussi que " (vers1) et " plus que " (vers 4). Les pieds et les mains de la femme sont comparés à un idéal de fragilité et de finesse, et la couleur de ses yeux et celle de sa peau au mystère du noir. Le poète évoque également la douceur de son regard au vers 4 avec la métaphore : " tes grands yeux de velours ". 1

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A UNE MALABARAISE

A UNE MALABARAISE

Introduction

Baudelaire est un crivain franais n en 1821 et dcd en 1867 malade et misreux. Parti trs trop du foyer, il se consacre alors sa carrire d'crivain qu'il commence par des critiques littraires et d'art. Plus tard, il publie le Spleen de Paris, Les paradis artificiels et les Fleurs du Mal en 1857 , recueil, dont je vais vous prsenter un pome intitul A une malabaraise. Ce pome est extrait de la partie " Pices diverses " de l'uvre. Afin de mieux comprendre le sens de ce pome, il faut prciser que Baudelaire a sjourn quelque temps l'le de la Runion en 1841.

Annonce des axes

Nous allons analyser le pome sous trois grands axes. Nous nous attacherons tout d'abord dmontrer que le portrait que fait Baudelaire de la femme est un portrait attendu. Puis nous mettrons en vidence que ce texte prsente deux tres appartenant deux mondes totalement diffrents et enfin nous montrerons que chacun a une vision idalise du pays de l'autre.Etude

I. Un portrait strotyp

1. Baudelaire dans son pome suit un modle de portrait strotyp. En effet, il commence tout d'abord par dcrire le physique de la femme, puis tablit son portrait moral. Dans la premire partie de sa description, du vers 1 4, il voque la finesse de ses pieds avec : " tes pieds sont aussi fins que tes mains " (v1), sa silhouette : " ta hanche est large " (v1-2), la douceur de sa peau : " ton corps est doux " (v3) et la forme et la couleur de ses yeux : " tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair " (v4). Du vers 5 26, l'bauche de son apparence physique s'enrichit de la description de son temprament. Elle se rvle tre simple, presque nave, heureuse de sa vie, attache ses habitudes, en harmonie naturelle avec son entourage.

2. Un portrait est cens reproduire son modle de faon en saisir les traits caractristiques. L'usage d'images dans la production d'un portrait fait partie des conventions littraires. Dans les quatre premiers vers de ce pome, on relve 2 images : " tes pieds sont aussi fins que tes mains " au vers 1 et " tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair " au vers 4. Il s'agit de comparaisons ralises grce des outils grammaticaux qui permettent un rapprochement de deux termes : " aussi que " (vers1) et " plus que " (vers 4). Les pieds et les mains de la femme sont compars un idal de fragilit et de finesse, et la couleur de ses yeux et celle de sa peau au mystre du noir. Le pote voque galement la douceur de son regard au vers 4 avec la mtaphore : " tes grands yeux de velours ".

3. Les images qu'emploie Baudelaire sont attendues. Elles ne rendent pas originale la personne dcrite, mais la rapprochent d'une reprsentation strotype correspondant l'ide qu'on se fait d'une femme d'origine malabaraise. Les comparaisons et les mtaphores sont les images les plus rpandues quel que soit le genre du texte. L'usage de ces images est presque banalis et fait partie de notre vie de tous les jours, autrement dit de l'imaginaire collectif. Baudelaire ne cherche donc pas singulariser la malabaraise mais tente d'en faire un portrait strotyp.

4. Baudelaire dcrit la femme en suivant un ordre que l'on peut considrer d'une certaine faon comme conventionnel. Il part de ses extrmits (pieds, mains) en s'arrtant son centre (hanches) pour arriver aux yeux qui se confondent par leur couleur avec l'aspect de sa chair et de son corps. Il s'agit d'une gradation ascendante. Baudelaire commence sa description par la partie du corps qu'il considre comme la moins importante pour terminer avec la description de ses yeux. Dans de nombreux textes, l'ide qu'voque en dernier le locuteur est souvent celle qu'il juge la plus essentielle. D'ailleurs, les yeux font du partie du visage, donc de la partie expressive du corps qui tablit le contact entre deux tres.

5. Le portrait physiologique que fait Baudelaire de la malabaraise est fond sur des clichs. La personne est dcrite selon une apparence immuable ce qui ressort grce l'emploi des indices temporels (tout le jours, vers 11, et toujours, vers 16) et de verbes conjugus au prsent de vrit gnrale : " mnes (v11), fredonnes,(v12) poses (v14) " exprimant l'habitude et la permanence d'un trait de caractre. Il ne s 'agit donc pas de rendre compte de l'volution et des changements d'un personnage, mais d'en faire un type, c'est--dire l'incarnation d'une ide prconue, donc strotype. L'emploi du prsent contribue crer l'intemporalit et la valeur absolue de la description.

II. Deux tres, deux mondes

1. Les indices personnels rvlent explicitement l'opposition qui existe entre ces deux personnages. La femme est dsigne par le pronom personnel : " tu " (vers 11, 14). On relve galement de nombreux adjectifs possessifs comme " tes " (v1), " ton " (v3) et " ta " (v4) se rfrant elle, et des verbes conjugus la seconde personne du singulier : " veux " (v11), " mnes " (v11), " fredonnes " (v12). En opposition la seconde personne du singulier, on note les adjectifs possessifs " notre ", " nos " aux vers 17 et 25 lorsque le pote parle de la France. Il faut toutefois ajouter que la premire personne du pluriel employe dans ce pome n'voque pas le pote et la femme, mais dsigne un ensemble : les mtropolitains. Ce contraste entre les deux personnages est renforc par un dsquilibre dans l'emploi des indices personnels. La premire personne n'est employe que trois fois tandis que la seconde personne l'est beaucoup plus.

2. L'opposition entre les deux mondes auxquels appartiennent chacun des personnages est galement mise en vidence dans le pome par une rupture qui lui confre une structure binaire. Elle se situe au vers 17 et est annonce par une nouvelle structure de phrase : l'interrogation : " Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France ? ". Le pome se partage alors en deux mouvements distincts, un premier traitant du prsent, et un second traitant de l'hypothtique. Chacune des deux parties est mise en relief par l'emploi d'un vocabulaire diffrent. Le pote emploie tout d'abord du vers 1 17 des termes ayant une connotation mliorative : " fins, doux, cher, gracieux " puis utilise un vocabulaire pjoratif : " trop, emprisonnant, pars ". Mais ce sont surtout les temps qui rvlent l'opposition existant entre ces tres. On passe ainsi du mode indicatif au mode conditionnel. Il y a confrontation entre la vie idale et une dure ralit.

3. La Runion et la France peuvent tre assimiles deux mondes compltement diffrents de part le contraste qui existe entre leurs climats. Dans son pome, Baudelaire voque le climat runionnais au vers 5 : " au pays chauds et bleus ", puis celui de la France aux vers 22 : " frissonnante l-bas sous la neige et les grles et 27 : " dans nos sales brouillards ". Certains de ces termes appartiennent deux champs lexicaux contraire comme " chauds " et " frissonnante ". D'autres connotent des antonymes. Ainsi les noms " neige " et " grle " qui sont associs au froid s'opposent l'adjectif : " chauds ", de mme que le nom " brouillard " suggrant l'absence de visibilit et un ciel gris s'opposent l'adjectif : " bleus ". L'opposition entre ces deux mondes spare les deux tres d'une manire irrvocable.

4. L'opposition entre ces deux mondes est encore plus vidente si l'on tudie la diffrence des modes de vie existant entre ces deux personnages. Baudelaire cherche montrer travers un rseau de connotations que la vie que mne la femme dans son pays tropical est paisible. On relve notamment les termes : " fredonnes " (v12), " rves " (v15) et " colibris " (v15) qui connotent tous le bonheur. Puis le pote s'attache dmontrer que la vie en France est une vie de malheurs et de misre. Il fait alors rfrence aux " fantmes " au vers 27 ou encore emploie des termes tels que : " souffrance " (v18), " pleurerais " (v22), " fanges " (vers25).

III. Exotisme et idal

1. Dans ce pome, les points de vue des personnages relvent d'un certain exotisme. Le pote tout comme la femme semblent tre fascins par les contres lointaines. Ainsi chaque personnage idalise une rgion : Baudelaire vante les charmes de La Runion et la femme dsire partir en France.

2. Selon le ct o l'on se place, soit du pote, soit de la femme, diffrents termes et dtails peuvent voquer l'exotisme. Baudelaire semble particulirement sduit par la vie que mne la femme, par le paysage mais aussi le climat de l'le. On relve en effet les termes : " eaux fraches et odeurs " (v7), " bazar ", " ananas " et " bananes " (v10) qui rvlent le caractre traditionnel du mode de vie de la femme. D'autres termes tels que : " le soir au manteau d'carlate " (v13) ou " des cocotiers " (v27) se rfrent au paysage et au climat de l'le. Il s'agit d'un strotype de l'exotisme pour notre culture occidentale.

Ce qui pourrait voquer l'exotisme pour la femme est sous - entendu dans le pome. Tout ce qui semble la fasciner est en fait rfut par le pote. C'est lui en effet qui voque l'hiver et certaines relations sociales dont elle n'a pas fait l'exprience, de mme qu'elle n'a pas l'habitude des habits qu'on porte en la France.

3. La vision qu'a Baudelaire de la Runion et de la vie de la femme est idalise. Il magnifie l'le en l'assimilant un paradis. On a ainsi une image utopique de l'le. Elle nous apparat comme le pays au mille odeurs, le pays de l'abondance et de la libert. On relve les termes " odeurs " (v7), " eaux fraches " (v7), " ananas " (v10), " colibris " (v15) et l'expression " o tu veux " (v11). D'aprs la dfinition du dictionnaire, le colibri est un oiseau qui fait partie de la famille des paradisiers. Ce mot descend directement du nom " paradis ". De plus le colibri n'existe pas la Runion, il n'a donc dans ce pome qu'une valeur symbolique. Il apparat d'ailleurs seulement dans les rves de la malabaraise.

4. Par contre, Baudelaire dprcie la France mtropolitaine. Pour ce faire, il emploie un vocabulaire pjoratif. On relve les termes : " trop " (v18), " brutal " (v24) et " sales " (v27) qui qualifient respectivement la population de la France, leurs vtements et le temps qu'il y fait. Cette description est en contradiction avec les attentes qu'a la malabaraise vis--vis de ce pays qu'elle ne connat pas encore. Ses trois arguments sont rfuts. Pour Baudelaire, la France n'est absolument pas un pays riche en relations sociales, comme le justifie les vers 18 et 25 : " ce pays trop peupl que fauche la souffrance " et " dans nos fanges " employe comme mtaphore. La France n'est pas non plus un pays au climat agrable comme le prtend la femme. On relve notamment l'expression " dans nos sales brouillard " au vers 27. La France ne reprsente pas plus l'idal de l'esthtique naturel de la femme: " le corset brutal emprisonnant tes flancs ". Cette dvalorisation montre bien que chaque personne idalise le pays de l'autre et dvalorise le sien.

5. Baudelaire ne comprend pas le dsir de la femme de connatre la France. Il l'interpelle alors au moyen d'apostrophe : " heureuse enfant " et " toi " et lui formule explicitement son incomprhension du vers 17 20 : " Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France, ce pays trop peupl que fauche la souffrance, et confiant ta vie aux bras forts des marins, faire de grands adieux tes chers tamarins ? ". Pourtant il reste sans rponse. Alors il s'interroge lui-mme et se demande comment " elle " a pu en arriver l. Il tente ensuite de lui dmontrer que la France ne reprsente pas le pays idal.

Conclusion

Nous avons donc montr que le pote ralise un portrait strotyp de la femme, qu'il cherche mettre en vidence l'opposition existant entre elle et lui et que chacun une vision idalise du pays de l'autre. En adoptant, la perspective de la malabaraise, Baudelaire a pu dgager les dfauts de son pays.

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