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Du même auteur tu peux lire : Les autres Contes de ma mère l’Oye, dont tu connais sans doute les titres, mais qui ont été beaucoup transformés depuis la version de Perrault. Une carrière au service du roi Charles Perrault est le quatrième garçon de sa famille. Il suit les traces de son père et après des études de droit, devient avocat en 1651. Mais il commence à fréquenter les salons littéraires, notamment celui de Fouquet, et se fait remarquer à la cour par ses Odes (longs poèmes) dédiées au roi. Cela lui vaut d’être nommé en 1662 secrétaire de la petite Académie, chargé de distribuer aux artistes les bourses de soutien royales. Sous la houlette de Colbert, ministre des Finances de Louis XIV, Perrault favorise les artistes, les savants et les écrivains de son temps. Il participe à l’organisation des académies de peinture, des sciences, des inscriptions et belles-lettres. En 1671, il devient secrétaire de l’Académie française et domine alors le monde littéraire. La querelle des Anciens et des Modernes En 1687, Perrault donne lecture à l’Académie de son poème Le Siècle de Louis le Grand, dans lequel il vante les grands talents de son temps, estimant qu’ils ont surpassé les Grecs et les Romains. « Et l’on peut comparer sans crainte d’être injuste Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste ». Il enflamme ainsi la colère des « Anciens », comme Racine et Boileau, deux autres académi- ciens, pour qui l’Antiquité est un modèle sans égal. Perrault est un « Moderne » : il défend la langue française contre le latin, encore beaucoup utilisé pour les docu- ments officiels. Il souligne aussi la beauté des traditions populaires, très différentes des légendes an- tiques. Ses contes, inspirés de ceux que les nourrices racontent aux enfants dans les campagnes, sont de beaux exemples de cette littérature « moderne ». L’AUTEUR Charles Perrault Contes de ma mère l’Oye L’ŒUVRE Clins d’œil à l’histoire En décrivant les préparatifs du mariage de Riquet à la Houppe, Perrault évoque bien sûr les fêtes fastueuses de Versailles, mais le conte est aussi un clin d’œil au mariage, en 1697, de Marie-Adélaïde de Savoie avec le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV et futur père de Louis XV. On dit en effet que le Dauphin était aussi laid et bossu que la Dauphine était jolie. Pour la première fois dans l’histoire, un roi de France mariait son petit-fils et les festivités furent inouïes. À pleines pages + Contes de ma mère l’Oye né en 1628, mort en 1703 Le siècle de Louis le Grand Ses Contes, écrits à 69 ans, ont fait oublier ses œuvres précédentes, beaucoup plus sérieuses. + Des contes de fées Perrault intitule son recueil Histoires ou contes du temps passé, avec un deuxième titre au dos : Contes de ma mère l’Oye. La mère L’Oye ou commère Loye, c’est la nourrice ou la paysanne qui raconte des histoires aux enfants, le soir à la veillée. Perrault indique ainsi que ses contes sont inspirés des légendes populaires et des traditions de la France des cam- pagnes. Quand il écrit ses contes, les fées sont à la mode. À la cour, on aime écouter des histoires merveilleuses, même si les « Anciens » qualifient de sornettes ces « contes à dormir debout, et de ma commère Loye, et de mon compère le Renard, de peau d’Âne, de cornes de Lièvre et de queue de Singe… » Regard sur le siècle de Louis le Grand Malgré tous les éléments merveilleux, les contes de Perrault sont un reflet assez fidèle de la vie au temps du roi-Soleil. Les fêtes et les banquets ressemblent à ceux qui sont donnés à Versailles, où Louis XIV aime créer des ambiances féériques. L’importance que Perrault donne à l’esprit, c’est-à-dire à l’intelligence et à l’art de la conversation, n’est pas une in- vention : c’est une qualité essentielle pour briller à la cour et être admis auprès du roi. De même, le triste sort de l’âne aux écus d’or dans Peau-d’Âne est une allusion aux malheurs du surintendant des Finances, Nicolas Fouquet, qui fut un ami de Perrault. Chargé des finances royales, Fouquet avait accumulé de telles richesses que Louis XIV s’en irrita. Le roi finit par « avoir la peau » de cet âne couché sur une litière d’or. Dépossédé de ses biens, exilé loin de la cour puis jugé, Fouquet finit ses jours en prison. 5 4 France « Il est des temps et des lieux Où le grave et le sérieux Ne valent pas d’agréables sornettes » Préface à Peau-d’Âne

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Du même auteur tu peux lire : Les autres Contes de ma mère l’Oye, dont

tu connais sans doute les titres, mais qui ont été beaucoup transformés depuis la version de Perrault.

Une carrière au service du roiCharles Perrault est le quatrième garçon de sa famille. Il suit les traces de son père et après des études de droit, devient avocat en 1651. Mais il commence à fréquenter les salons littéraires, notamment celui de Fouquet, et se fait remarquer à la cour par ses Odes (longs poèmes) dédiées au roi. Cela lui vaut d’être nommé en 1662 secrétaire de la petite Académie, chargé de distribuer aux artistes les bourses de soutien royales. Sous la houlette de Colbert, ministre des Finances de Louis XIV, Perrault favorise les artistes, les savants et les écrivains de son temps. Il participe à l’organisation des académies de peinture, des sciences, des inscriptions et belles-lettres. En 1671, il devient secrétaire de l’Académie française et domine alors le monde littéraire.

La querelle des Anciens et des ModernesEn 1687, Perrault donne lecture à l’Académie de son poème Le Siècle de Louis le Grand, dans lequel il vante les grands talents de son temps, estimant qu’ils ont surpassé les Grecs et les Romains.

« Et l’on peut comparer sans crainte d’être injuste

Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste ».

Il enflamme ainsi la colère des « Anciens », comme Racine et Boileau, deux autres académi-ciens, pour qui l’Antiquité est un modèle sans égal. Perrault est un « Moderne » : il défend la langue française contre le latin, encore beaucoup utilisé pour les docu-ments officiels. Il souligne aussi la beauté des traditions populaires, très différentes des légendes an-tiques. Ses contes, inspirés de ceux que les nourrices racontent aux enfants dans les campagnes, sont de beaux exemples de cette littérature « moderne ».

L’AUTEURCharles Perrault Contes de

ma mère l’Oye

L’ŒUVRE

Clins d’œil à l’histoireEn décrivant les préparatifs du mariage de Riquet à la Houppe, Perrault évoque bien sûr les fêtes fastueuses de Versailles, mais le conte est aussi un clin d’œil au mariage, en 1697, de Marie-Adélaïde de Savoie avec le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV et futur père de Louis XV. On dit en effet que le Dauphin était aussi laid et bossu que la Dauphine était jolie. Pour la première fois dans l’histoire, un roi de France mariait son petit-fils et les festivités furent inouïes.

À pleines pages

+

Contes de ma mère l’Oye

né en 1628, mort en 1703

Le siècle de Louis le Grand

Ses Contes, écrits à 69 ans, ont fait oublier ses œuvres précédentes, beaucoup plus sérieuses.

+

Des contes de féesPerrault intitule son recueil Histoires ou contes du temps passé, avec un deuxième titre au dos : Contes de ma mère l’Oye. La mère L’Oye ou commère Loye, c’est la nourrice ou la paysanne qui raconte des histoires aux enfants, le soir à la veillée. Perrault indique ainsi que ses contes sont inspirés des légendes populaires et des traditions de la France des cam-pagnes. Quand il écrit ses contes, les fées sont à la mode. À la cour, on aime écouter des histoires merveilleuses, même si les « Anciens » qualifient de sornettes ces « contes à dormir debout, et de ma commère Loye, et de mon compère le Renard, de peau d’Âne, de cornes de Lièvre et de queue de Singe… »

Regard sur le siècle de Louis le GrandMalgré tous les éléments merveilleux, les contes de Perrault sont un reflet assez fidèle de la vie au temps du roi-Soleil. Les fêtes et les banquets ressemblent à ceux qui sont donnés à Versailles, où Louis XIV aime créer des ambiances féériques. L’importance que Perrault donne à l’esprit, c’est-à-dire à l’intelligence et à l’art de la conversation, n’est pas une in-vention : c’est une qualité essentielle pour briller à la cour et être admis auprès du roi. De même, le triste sort de l’âne aux écus d’or dans Peau-d’Âne est une allusion aux malheurs du surintendant des Finances, Nicolas Fouquet, qui fut un ami de Perrault. Chargé des finances royales, Fouquet avait accumulé de telles richesses que Louis XIV s’en irrita. Le roi finit par « avoir la peau » de cet âne couché sur une litière d’or. Dépossédé de ses biens, exilé loin de la cour puis jugé, Fouquet finit ses jours en prison.

54

France

« Il est des temps et des lieux Où le grave et le sérieuxNe valent pas d’agréables sornettes »

Préface à Peau-d’Âne

7

Riquet à la Houppe

Il était une fois une reine qui avait un fils si laid et

si mal fait, qu’on douta longtemps s’il avait forme

humaine. Une fée, qui se trouva à son baptême,

assura qu’il ne laisserait pas d’être aimable, parce

qu’il aurait beaucoup d’esprit : elle ajouta même qu’il

pourrait, en vertu du don qu’elle venait de lui faire,

donner autant d’esprit qu’il en aurait à la personne

qu’il épouserait.

Tout cela consola un peu la pauvre reine, qui était

bien affligée d’avoir pour enfant un si vilain marmot.

Il est vrai que cet enfant ne commença pas plus tôt

à parler, qu’il dit mille jolies choses, et qu’il avait

Mal fait : difforme. Douter : se demander.Ne pas laisser de : ne pas manquer de. Riquet serait donc aimable. Avoir beaucoup d’esprit : avoir une vive intelligence.

Affligé : peiné, triste.Marmot : petit en-fant (mot familier).

Riquet à la Houppe

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Riquet à la Houppe

dans toutes ses actions je ne sais quoi de si spirituel,

qu’on en était charmé. J’oubliais de dire qu’il avait

une petite houppe de cheveux sur la tête, ce qui fit

qu’on le nomma Riquet à la Houppe, car Riquet était

le nom de la famille.

La reine d’un royaume voisin avait deux filles. La

première était plus belle que le jour. La même fée

qui avait assisté à la naissance du petit Riquet à la

Houppe, voulut modérer la joie de la reine ; elle

lui déclara que cette petite princesse n’aurait point

d’esprit, et qu’elle serait aussi stupide qu’elle était

belle. Cela mortifia beaucoup la reine ; mais elle eut

un bien plus grand chagrin ; car sa seconde fille se

trouva extrêmement laide.

« Ne vous affligez point tant, madame, lui dit la

fée, votre fille sera récompensée d’ailleurs, et elle aura

tant d’esprit, qu’on ne s’apercevra presque pas qu’il

lui manque de la beauté.

– Dieu le veuille, répondit la reine ; mais n’y

aurait-il pas moyen de faire avoir un peu d’esprit à

l’aînée ?

– Je ne puis rien pour elle, madame, du côté de

l’esprit, lui dit la fée ; mais je puis tout, du côté de

la beauté ; et, comme il n’y a rien que je ne veuille

faire pour votre satisfaction, je vais lui donner pour

don de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui

lui plaira. »

Spirituel : intelligent, agréable à écouter.Houppe : petit toupet de cheveux (comme Tintin !).

Modérer : atténuer.

Mortifier : blesser, causer une grande souffrance.

Point : pas.

10

Riquet à la Houppe

À mesure que ces deux princesses devinrent grandes,

leurs perfections crûrent aussi avec elles, et on ne par-

lait partout que de la beauté de l’aînée et de l’esprit de

la cadette. Il est vrai que leurs défauts augmentèrent

beaucoup avec l’âge. La cadette enlaidissait à vue d’œil,

et l’aînée devenait plus stupide de jour en jour. Ou

elle ne répondait rien à ce qu’on lui demandait, ou elle

disait une sottise. Elle était avec cela si maladroite,

qu’elle n’eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord

d’une cheminée, sans en casser une ; ni boire un verre

d’eau, sans en répandre la moitié sur ses habits.

Quoique la beauté soit un grand avantage, cepen-

dant la cadette l’emportait presque toujours sur son

aînée, dans toutes les compagnies. D’abord on allait

du côté de l’aînée, pour la voir et pour l’admirer ; mais

bientôt après on allait à celle qui avait le plus d’esprit,

pour lui entendre dire mille choses agréables ; et on

était étonné qu’en moins d’un quart d’heure l’aînée

n’avait plus personne auprès d’elle, et que tout le

Quoique : bien que.

Crûrent (verbe croître au passé simple) : grandirent.

uelque temps après son couronnement, le jeune Charles VI se rend à Senlis ; là, retenu par les agréments de la forêt voisine, il passe une quinzaine à parcourir les bois en chassant en joyeuse compagnie. Il se livre à ce passe-temps avec l’ardeur de sa jeunesse et de son tempérament royal.

r un jour qu’il chasse avec ses compagnons en forêt d’Halatte, ils débouchent au milieu d’une troupe de cerfs. Le jeune roi en aperçoit un plus beau que les autres, dont le pelage clair est presque blanc, et qui porte au cou un collier de cuivre doré.

harles VI aussitôt ordonne qu’on le prenne sans se servir des chiens, mais seulement avec les filets de chasse. L’animal effaré laisse cependant examiner son collier, qui porte une inscription en caractères très anciens. On la déchiffre à grand-peine et on annonce au roi qu’elle signifie « César me l’a donné ».

Les compagnons du roi lui assurent que l’animal vit dans ce bois depuis le temps de Jules César ou de quelque autre empereur. Le roi, charmé, rend au cerf sa liberté. Longtemps il contemple le hallier où l’animal a disparu, emportant son collier royal d’un bond léger, la tête légèrement ployant sous l’imposante couronne de ses bois.