a-2b crise familiale et démence

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Page 1: A-2B Crise familiale et démence

4S35© MASSON Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 12 pt 2, 4S35-4S37

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ncesATELIER A2 / B2

A-2A Crise familiale et démence

J.M. Dorey, C. Girtanner

CHU Saint-Étienne, Hôpital de la Charité, Service de Neuro-Psycho-Gériatrie, 42055 Saint-Étienne, France.

Les connaissances autour de la maladie d’Alzheimer avan-cent : meilleure compréhension de l’étiopathogénie, diagnos-tic de plus en plus précoce, innovations thérapeutiques… Laprescription des traitements spécifiques est sans doute néces-saire, cependant la difficulté des soins concerne surtout lasouffrance psychologique générée par la maladie. L’annoncedu diagnostic va générer une situation de crise (qui ne serésume pas aux SCPD) dont la résolution dépendra des capa-cités et des ressources du patient et de sa famille.

La crise se présente cliniquement comme un mouvement derupture, révélant parfois des tensions ou conflits familiaux plusanciens ; il paraît donc nécessaire d’analyser la dynamique desliens familiaux. Le suivi devra tenter de rechercher des situa-tions de crises à travers des signes de résistance et les éven-tuels mécanismes de défense déployés. La volonté de maîtrise(qui peut se manifester par un refus ou un discrédit des aides),le déni de la maladie, l’errance médicale, la projection, ladésocialisation de l’aidant principal sont quelques exemplesde signes d’alerte à repérer au cours des consultations de suivi.Il est important de rencontrer l’ensemble de la famille afin demieux évaluer la problématique. La crise n’est pas une situa-tion d’urgence, elle évolue souvent de manière larvée.Désamorcer la crise, nécessite un temps de cheminement et dematuration, pour le patient, sa famille et les soignants.

Le recours à des hospitalisations (hôpital de jour ou hospi-talisation court séjour Alzheimer) peut être utile pour accom-pagner ces situations difficiles. En complément des entretiensfamiliaux, les groupe médiatisés sont un des moyens théra-peutiques complémentaires pour aider le patient à maintenirune continuité psychique.

Seule une collaboration pluridisciplinaire associant des pro-fessionnels hospitaliers et libéraux (travail en réseauville/hôpital) autour d’un projet de soin structuré et indivi-dualisé peut permettre un suivi cohérent dans le cadred’une filière de soins.

A-2B Crise familiale et démence

J.M. Dorey

Unité de Neuro-Psycho-Gériatrie, Hôpital de la Charité, CHU deSaint-Étienne, 42055 Saint-Étienne Cedex, France.

Cadre théorique de la crise Une crise correspond à une rupture d’un état d’équilibre.Pour acquérir une nouvelle stabilité, l’individu doit s’ajus-ter aux changements et aux nouvelles contraintes qui luisont imposées, en mettant en œuvre des processus deréadaptation qui lui sont propres. Le dépassement réussi, ounon, de la crise dépendra de la qualité de ces processus.

Les crises sont normales, et jalonnent le parcours de cha-cun ; on peut distinguer d’une part, les crises maturantes(entrée à l’école, adolescence, vieillissement…) et lescrises conjoncturelles (deuil, divorce, perte d’emploi…).

Les crises sont positives, car nécessaires à notre évolu-tion, mais aussi déstabilisantes par les incertitudes, lestress, et la vulnérabilité qu’elles génèrent. Le temps de lacrise s’accompagnera de symptômes qui pourront, soitsignifier une « résistance » au changement, soit, au contrairerefléter le processus dynamique conduisant vers un nouvelétat d’équilibre.

La résistance correspond à l’incapacité d’un individu àrenoncer à ce qui est perdu, pour faire face à la nouvelleréalité qu’entraîne le changement. Le dépassement nécessiteun travail d’élaboration pour désinvestir ce qui est perdu etréinvestir autre chose. Cette élaboration psychique s’appelleaussi travail de deuil. Des symptômes de la lignée dépres-sive peuvent être transitoirement présents au cours de cetravail, sans être pour autant pathologiques.

Les possibilités individuelles de dépassement des crises sontvariables. Elles dépendent d’une part de facteurs propres auxsujets (tempérament, caractère, capacité à surmonter les crisesantérieures, histoire de vie, culture…) et d’autre part de la qua-lité de l’étayage externe (famille, amis, conditions de vie, tra-vail…). Un accompagnement psychologique peut aider lesujet « résistant » à adopter des stratégies psychiques plus effi-caces afin de dépasser la crise.

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Crise et maladie d’alzheimerAu cours de l’évolution de la maladie d’Alzheimer, lessituations de crise sont souvent assimilées à la survenue dessymptômes psycho-comportementaux. Les épisodes d’agi-tation aiguë nécessitant une hospitalisation dans un serviced’urgence sont des exemples typiques de patients dits « encrise ». Dans ce cas de figure, il y a souvent confusion entrecrise et urgence. L’hospitalisation en urgence, (voire lademande d’orientation rapide en institution qui l’accom-pagne) est le plus souvent l’aboutissement d’une situationde crise non résolue. L’urgence vient alors révéler la crise,mais la crise précédait l’urgence. Pour éviter ces situations,difficiles à gérer pour le praticien, et source de souffrancepour le patient et la famille, il paraît nécessaires de prendreen charge la crise en amont.

On peut distinguer plusieurs niveaux de crise selonqu’elles concernent le patient ou la famille.

Le patient en criseEn tant que rupture d’un état d’équilibre, la crise commen-ce dès les premiers symptômes de la maladie. La plainte, vadécrire un changement de l’état du patient, une perte decontinuité. La consultation mémoire est demandée car unchangement a été repéré. En posant le diagnostic, le méde-cin nomme ce changement. Le sujet passe brusquementd’un statut d’individu supposé en bonne santé à un statutd’individu malade. La crise peut alors s’exprimer de façonaiguë (pleurs, colère, stupeur…). Si toute maladie gravegénère une situation de crise, la maladie d’Alzheimer pré-sente quelques spécificités. Il s’agit d’une affection noncurable, qui altère progressivement les capacités psy-chiques et intellectuelles. Plus que les autres déficits cogni-tifs, l’atteinte mnésique va mettre à mal les capacitésd’adaptation de l’individu car les oublis au fur et à mesure leplacent dans une atemporalité. Or pour dépasser une crise, ilfaut pouvoir se détacher de l’instant présent pour se projeterdans l’avenir. Dés lors, le travail de deuil sera donc difficile àélaborer. Des mécanismes de défense comme le déni de lamaladie (à différencier de l’anosognosie, symptôme neurolo-gique), la projection, ou le délire peuvent se mettre en place,évitant ainsi au sujet de réaliser son travail de deuil. Ces méca-nismes, qui peuvent être efficaces un temps contre la souf-france, ne règlent en aucun cas la crise, qui continue à évoluerde façon larvée. La famille, en apprenant à vivre avec lessymptômes, en acceptant la maladie, en restant contenante,accompagne le parent dans son travail de deuil pour dépasserla crise. Cependant les mécanismes de défense évoqués précé-demment peuvent aussi être partagés, voire encouragés parl’entourage, souvent dans l’idée de protéger le parent, maisaussi pour se protéger eux même.

La famille en criseLa maladie d’Alzheimer a des répercussions sur le conjointet l’ensemble de la famille. L’apathie, l’émoussement

affectif, ou au contraire l’agitation ou l’irritabilité rendentle parent méconnaissable. Il peut être considéré comme un« étranger parmi les siens ». Le travail de deuil concerneaussi la famille. Du côté du conjoint, l’idéal de vie à deuxest remis en cause, les projets pour la retraite n’ont plus desens, le renoncement à la vie d’avant est douloureux.L’installation de la dépendance modifie les rôles et lesfonctions. Cette désillusion peut susciter des sentimentsambivalents (culpabilité/hostilité), souvent difficiles àaccepter. Les enfants sont aussi concernés, car souvent misdans l’obligation d’intervenir dans le couple parental(inversement des rôles). Avec la maladie, l’équilibre fami-lial est profondément modifié et les liens entre les membressont remaniés ; la maladie d’Alzheimer est donc aussi unemaladie du lien. La crise ne concerne alors plus seulementle patient, mais aussi, à des degrés divers, l’entourage,selon un modèle d’emboîtement. A la crise dans la famillequi concerne le malade en difficulté, peut venir se surajou-ter une crise de la famille suite au bouleversement de ladynamique familiale qu’entraîne la maladie.

Prise en charge et suiviLa résolution de la crise dépendra du patient, de sa person-nalité, de son histoire de vie mais pas seulement. Elle seraaussi sous l’influence de la structure familiale, de la quali-té et de la nature des liens entre ses différents membres.Souvent, le travail de deuil avec la dépression qui y estassociée pourra se faire progressivement. Cette accepta-tion permettra d’anticiper l’avenir et éviter les situationsd’urgences.

Chez certains patients, le déclin cognitif peut venirdécompenser une vulnérabilité psychologique ou psy-chiatrique. La maladie d’Alzheimer peut aussi venirrévéler une fragilité familiale plus ancienne qui passaitjusqu’alors inaperçue. Le patient fait alors symptôme dudysfonctionnement familial. La prise en charge devientplus complexe.

Le diagnostic ne constitue que la première étape de laprise en charge de la maladie. Le suivi médical, qui estaussi un accompagnement, doit être global s’intéressantau patient et à sa famille. Au delà de l’évaluation neuro-logique et cognitive, il permettra de mieux évaluer lescapacités d’adaptation du malade et de l’entourage. Ilfaudra rechercher des situations de crise larvée à traversdes signes de « résistance » et repérer les éventuels méca-nismes de défense déployés. Ainsi, le médecin pourra anti-ciper les situations d’urgence et aider l’aidant principal àreconnaître et à anticiper lui-même ses limites. La volontéde maîtrise (qui peut se manifester par un refus ou un dis-crédit des aides), le déni de la maladie, l’errance médicale,la projection, la désocialisation de l’aidant principal sontautant de drapeaux rouges à repérer. Le déni des troubles,la sur-stimulation qui en découle, la dépression de l’aidantpeuvent favoriser l’émergence des symptômes psycho-comportementaux.

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Sous l’effet cumulatif de microtraumatismes (majorationprogressive du déclin cognitif, tensions ou conflits dans lafamille, problème de santé de l’aidant principal, deuils) lesmécanismes de défenses peuvent céder. La crise qui étaitcanalisée s’exprime alors brutalement et bruyamment.C’est dans ce contexte que surviennent les demandes d’uneprise en charge rapide, voire immédiate, via le service desurgences.

Dans ces situations à risques, des hospitalisations pro-grammées, brèves, en service de neuro-psycho-gériatriepourraient être bénéfiques. Elles permettent tout d’abordd’évaluer l’autonomie et les capacités cognitives du patientmais aussi de mettre en valeurs ses capacités d’adaptationet ses compétences relationnelles. Le temps de l’hospitali-sation permet au patient et sa famille « d’expérimenter » laséparation souvent redoutée. Des entretiens familiaux, ontpour objectif d’accompagner le travail de deuil, d’anticiperl’avenir, et élaborer un projet de soins. En complément deces entretiens, les groupes médiatisés (photo-langage, his-toire de vie) sont des moyens supplémentaires pour aiderles patients à maintenir une continuité psychique malgré les

troubles cognitifs. L’objectif de l’hospitalisation est d’ini-tier un changement dans la prise en charge du patient encollaboration avec la famille et le patient.

L’existence d’un réseau ville/hôpital, associant les pro-fessionnels médicaux et paramédicaux autour du projet desoin structuré et personnalisé, est indispensable pour per-mettre un suivi cohérent et étayant après l’hospitalisation.

ConclusionLa maladie d’Alzheimer, par les modifications qu’elleentraîne, va générer une situation de crise, qui a des degrésdivers concernera plus ou moins le patient ou son entoura-ge. Le dépassement de cette crise dépendra en partie de laqualité des liens au sein de la famille. Si les liens sont fra-giles le travail de deuil sera plus difficile à accomplir. Danscette approche, la maladie d’Alzheimer, peut venir révélerune maladie du lien. Les hospitalisations brèves, en servicede neuro-psycho-gériatrie, ont pour objectif de permettreune meilleur élaboration psychique autour de la crise, agis-sant ainsi comme « tuteur de résilience ».

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