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Institut Karl Polanyi Notes sur l’économie solidaire

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Institut Karl Polanyi

Notes sur l’économie

solidaire

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Présentation

Les notes de l'Institut Karl Pola-nyi

Ces notes regroupées dans ce tirage spécial destinée à la journée nationale organisée pour les élus, Vers des chartes locales de l’économie sociale et solidaire, le 13 juin 2001 à Saint-Denis peuvent être commandées sur support papier chez l'éditeur Impatiences démocratiques, 66 rue du 4 sep-tembre, 13200 Arles et sont accessibles in extenso sur le site www.karlpolanyi.org

L'économie sociale et solidaire en Europe Jean-Louis Laville, 1999. Page 5Depuis le début des années 1980, un regain d'intérêt se ma-nifeste pour les organisations qui ne sont ni publiques, ni privées à but lucratif ; l'appellation la plus répandue pour les désigner est celle de « tiers secteur ».Après avoir montré la singularité de l'approche européenne pat rapport au modèle américain, puis présenté la perspec-tive de l'hybridation des économies (marchande, non mar-chande et non monétaire) propre à l'économie solidaire, ce texte propose une analyse historique de l'apparition de ce « tiers secteur » en Europe.Enfin, il présente son développement actuel dans les diffé-rents pays d'Europe, dégageant, à travers les situations ré-gionales ou nationales particulières, ce qui caractérise cet essor et les enjeux auxquels il répond.

L’entreprise sociale,Hélène Clément, Laurent Gardin, 1999 réédition 2000. Page 23Partout en Europe, se pose aujourd'hui la question de la re-connaissance d'entreprises qui ne relèvent ni du secteur pri-vé fondé sur la recherche du profit maximal, ni du secteur public traditionnel. Les " entreprises sociales " pèsent de

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Présentation

plus en plus lourd sans avoir pourtant de définition claire dans les systèmes juridiques nationaux.Après un rappel historique sur le cloisonnement entre activi-tés dites " économiques " et activités dites " sociales ", ce texte montre comment des recherches internationales rendent compte des pratiques qui émergent depuis une vingtaine d'années : en Italie et en Belgique, ces initiatives ont entraîné des modifications législatives des règles du jeu économique. En France, des demandes de ce type se font entendre. Touchant à l’organisation de la vie économique, on voit bien les enjeux considérables qu'elles représentent.

Développer les services aux personnes, Laurent Gardin, 2000. Page 49Les services aux personnes sont de plus en plus en présents avec le vieillissement de la population, la croissance du taux d’activité féminine, l’évolution des rapports de familiaux… Leurs possibilités de développement sont ici analysées en particulier à travers leurs nouvelles formes de solvabilisa-tion s’appuyant sur la mise en place de titres de paiement. Cette note explore notamment le dispositif du titre emploi-service qui fait suite à des réflexions entamées au début des années 80 et à la constitution du chèque emploi-service dont il se démarque par certaines avancées. Mais les limites du titre emploi-service sont aussi abordées notamment à travers les activités comme les utilisateurs potentiels qu'il ne permet pas de toucher. Enfin, les facteurs qui permet-traient de mieux inscrire cet outil dans une perspective de développement des services tant au niveau de la solvabili-sation de la demande que de la structuration de l’offre sont mis en évidence. A partir d’un historique, il s’agit donc de fournir des repères susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la situation présente et d’alimenter ainsi le débat sur les choix possibles pour l’avenir. En somme, la rétrospective est utilisée pour préparer la prospective.

Les finances solidairesDavid Vallat et Isabelle Guérin, 1999 Page 69

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Présentation

En France, la moitié des créations d'emploi se font par la création de nouvelles entreprises, et la moitié de ces créa-tions d'entreprises sont le fait de chômeurs. Mais le finance-ment de ces créations n'est pas aisé.La lutte contre la précarité économique par la création et le financement de micro-activités dans les pays dits "dévelop-pés" pourrait profiter de l'expérience accumulée depuis une vingtaine d'années dans le Tiers Monde. Micro-crédit, épargne solidaire, micro-finance, finance de proximité... Après avoir présenté les différentes facettes des finances solidaires, ce texte explore les conditions qui permettraient le développement de ces expriences impliquant tant le sec-teur bancaire et les pouvoirs publics que les associations.

Le commerce équitable Elisabetta Buccolo, 2001. Page 91 « Le commerce équitable est avant tout un système de soli-darité concrète entre les pays riches du Nord et les petits producteurs du Sud ».Cet ouvrage nous expose les règles de ce marché qui s’ap-puie sur des valeurs partagées et les modes de vie des po-pulations respectives. Il nous aide à comprendre son action, son principe, son fonctionnement sans pour autant passer sous silence la grande difficulté que représente pour lui ce scénario mondialisé dans lequel il opère.

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Jean-Louis Laville

L’économiesociale et so-

lidaireen Europe

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Notes de l'Institut Karl Polanyi, 1999.

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L’économie sociale et solidaire en Europe

Sommaire

1. L’économie sociale......................................................................7

2. La perspective de l’économie solidaire........................................8

La dimension économique.............................................................................8

La dimension socio-politique.........................................................................9

3. Approche historique...................................................................10

L'émergence et l'institutionnalisation..........................................................10

Un développement sectorisé........................................................................11

4. La nouvelle dynamique..............................................................14

5. Conclusion.................................................................................19

Bibliographie.................................................................................20

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L’économie sociale et solidaire en Europe

1. L’économie sociale

Depuis les années 1980, un regain d’intérêt se manifeste pour les organisations qui ne sont ni publiques, ni privées à but lucratif ; l’appellation la plus répandue pour les désigner est celle de tiers secteur. L’approche américaine, celle du Johns Hopkins Project (Salamon, Anheier, 1995) dominante au niveau international en la matière définit ce tiers secteur comme le secteur regroupant l’ensemble des organisations sans but lucratif (“non profit organizations”). La définition européenne est plus large car l'exclusion des coopératives et mutuelles, au motif qu'elles peuvent distri-buer une partie de leurs bénéfices aux membres, opérée par des analyses anglo-saxonnes, ne peut se justifier dans le contexte européen. D'abord, certaines coopératives comme les coopératives de construction en Suède n'ont jamais distribué de profit. En-suite, la distribution des surplus est dans tous les cas limitée parce que les coopératives et mutuelles sont issues du même creuset que les associations, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas formées dans une perspective de rentabilisation du capital investi mais dans un objectif de satisfaction d'un in-térêt général ou d'un intérêt mutuel (Gui, 1992), de contri-bution au bien commun ou de réponse à des demandes so-ciales exprimées par certaines catégories de la population (Laville, Sainsaulieu, 1997). D'où une acception plus éten-due des organisations en Europe : on parle d’économie so-ciale plus que de secteur non lucratif. Les luttes menées au dix-neuvième siècle ont débouché sur des compromis légalisant l’existence d’organisations dans lesquelles une catégorie d’agents, autre que les investis-seurs, se voit attribuer les droits de propriété. Les statuts obtenus (coopératif, mutualiste, associatif) délimitent un en-semble d’organisations d’économie sociale dans lesquelles ce n’est pas la contrainte de non lucrativité qui est détermi-nante mais le fait que l’intérêt matériel des apporteurs de capitaux est soumis à des limites. La frontière ne passe

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donc pas entre organisations avec ou sans but lucratif mais entre sociétés capitalistes et organisations d’économie so-ciale qui privilégient la constitution d’un patrimoine collectif par rapport au retour sur investissement individuel. Autrement dit, en Europe l’accent est mis au niveau organi-sationnel sur tous les statuts qui restreignent l'appropriation privée des résultats. Les organisations concer-néesEn conséquence, la définition adoptée par Johns Hopkins souffre d'un biais américain (Borzaga, 1998) parce qu'elle repose sur le critère de la contrainte de non redistribution structurant la configuration américaine du secteur, avec un rôle marqué des fondations. Ce critère ne rend pas compte des spécificités juridiques des pays européens pour lesquels le critère discriminant est l'existence de limites à la redistri-bution. C'est celui-ci qui confère aux organisations d’écono-mie sociale leurs différences par rapport aux autres organi-sations productives. Aussi disparates soient-elles, les expériences européennes ont néanmoins en commun de représenter une tradition différente de la tradition américaine, c’est-à-dire une tenta-tive d’établir et de légitimer des formes de philanthropie et de bénévolat mais aussi des actions collectives basées sur l’entraide mutuelle et la participation des citoyens concer-nés par les problèmes sociaux.La définition qui prévaudrait serait donc plutôt la suivante : des organisations productrices de biens ou services qui ne sont pas constituées sur le principe de la maximisation du profit

2. La perspective de l’économie solidaire

L’économie sociale, en se définissant par un ensemble d’or-ganisations, laisse ouverte la question plus large de son ins-cription dans l’économie et dans la démocratie contempo-

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raines. Une interrogation sur ces deux plans a donné nais-sance à la perspective de l’économie solidaire qui renoue avec l’origine de l’associationnisme, en rendant compte d’une multitude d’initiatives qui se sont manifestées en Eu-rope depuis deux décennies.La dimension économiqueSur le plan économique, l’approche de l’économie solidaire prend appui sur les travaux montrant que l’économie ne se réduit pas au marché mais inclut les principes de redistribu-tion et réciprocité. Ce cadre analytique sert de référence pour divers auteurs (Eme, 1991 ; Evers, 1990 ; Laville, 1992, 1994 ; Kramer et al., 1993 ; Pestoff, 1992, 1996, 1998) et a été pris comme référence dans des travaux du service de développement territorial du programme Local economic and employment development (LEED) de l'Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE, 1996). A partir de ces trois principes de base (marché, redistribu-tion et réciprocité), les combinaisons sont historiquement variables. L’économie contemporaine pourrait être décom-posée en trois pôles.— L’économie marchande correspond à l’économie dans la-quelle la distribution des biens et services est confiée priori-tairement au marché. Il ne s’agit aucunement de prétendre que l’économie marchande est l’émanation du seul marché. L’économie marchande n’est pas uniquement organisée au-tour du marché et elle admet de nombreuses contributions non marchandes, ne serait-ce que les aides et subventions versées aux entreprises. Ceci dit, la combinaison réalisée en son sein se singularise par la priorité accordée au marché et par la subordination des apports non marchands et non mo-nétaires à celui-ci.— L’économie non marchande correspond à l’économie dans laquelle la distribution des biens et services est confiée prioritairement à la redistribution organisée sous la tutelle de l’État social. La redistribution s’y exerce large-ment par le biais du service public dont les règles sont édic-tées par une autorité publique soumise au contrôle démo-cratique (Strobel, 1995).

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— L’économie non monétaire correspond à l’économie dans laquelle la distribution des biens et services est confiée prio-ritairement à la réciprocité et à l’administration domestique. Certes, un certain nombre de relations réciprocitaires em-pruntent des formes monétarisées (comme les donations) mais c’est bien au sein de l’économie non monétaire que se trouvent mis en œuvre les principaux apports réciprocitaires par l’auto-production et l’économie domestique.L’approche de l’économie solidaire met l’accent sur l’hybri-dation entre ces trois pôles de l'économie. Selon cette pers-pective qui insiste sur le poids du contexte et de l’environ-nement dans les évolutions des organisations, c’est en com-binant les ressources émanant de ces trois pôles en fonction des logiques de projet que les structures d’économie sociale sont en mesure de se prémunir contre les phénomènes de banalisation ou de marginalisation. Encore convient-il d’ex-pliquer quels peuvent être les ressorts d’une démarche qui vise l’hybridation, ce qui implique de relier la dimension économique à la dimension politique constitutive de l’écono-mie solidaire.La dimension socio-poli-tiqueUn autre apport de l’approche de l’économie solidaire tient en effet à la dimension socio-politique. Au dix-neuvième siècle, l’extension du marché a entraîné des réactions de la part de la société, parmi lesquelles la constitution d’associa-tions, puis la construction d’un État social protecteur. C’est ce processus historique que Salamon (1987, 1990) a rappe-lé en soulignant que les associations étaient effectivement “ la première ligne de défense ” (Lewis, 1997 : 166) élabo-rée par la société mais que leurs faiblesses (insuffisance, particularisme, paternalisme, amateurisme) avaient ensuite obligé à une coopération avec l’État. Cette explication fonc-tionnaliste n’épuise pas encore le sujet comme l’ont recon-nu Salamon et Anheier (1996, 1997) eux-mêmes, quand, à la suite de la première recherche Johns Hopkins, ils se sont orientés vers « une approche en termes d’origines so-ciales » destinée à mieux comprendre les situations natio-nales à travers une analyse de leur genèse historique. Ce renouvellement de problématique, comme la référence à la

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société civile, témoignent d’une intuition fondamentale et d’un rapprochement avec la sensibilité européenne.En même temps, le point de vue européen est plus précis, il est celui de l’inscription d’initiatives de la société civile dans l’espace public des sociétés démocratiques modernes. Les relations entre ces initiatives et les pouvoirs publics sont alors déterminantes parce qu’elles touchent aux deux pro-blématiques du politique : la première qui met l’accent sur le potentiel d’action des membres de la communauté poli-tique dans son ensemble et la seconde qui est plus centrée sur l’exercice du pouvoir (Maheu, 1991).L’ensemble des interactions entre pouvoirs publics et initia-tives de la société civile se traduit par des effets mutuels dont l’intensité et les modalités varient considérablement dans le temps. D’un côté, les initiatives entrepreneuriales d’acteurs sociaux diversifiés, par leur existence, participent à l’évolution des formes de la régulation publique. D’un autre côté, les règles édictées par les pouvoirs publics in-fluent sur les trajectoires des initiatives. Isoler des organisa-tions sans saisir leurs rapports avec la sphère publique, c’est donc s’interdire de saisir leur passé comme leur deve-nir.

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3. Approche historique

En somme, l’économie sociale européenne a l’avantage de pouvoir être appréhendée par des structures juridiques (as-sociations, coopératives, mutuelles, fondations) ce qui en fa-cilite le repérage. Pour sa part, la perspective de l’économie solidaire intègre la question des ressorts de l’initiative et du modèle de développement dans lequel s’inscrivent ces structures. En les articulant, trois grandes périodes peuvent être identifiées : avant d’en arriver à la dynamique actuelle, il y a eu d’abord la phase d’émergence, qui s’est caractéri-sée par une institutionnalisation, puis une phase de déve-loppement, qui s’est caractérisée, elle, par une sectorisa-tion.L'émergence et l'institu-tionnalisationL'émergence d'associations modernes a été permise par l'instauration de la démocratie en Europe. Le phénomène associationniste a été conçu à son origine comme lié à la ci-toyenneté et comme fondamentalement socio-politique (Evers, 1997 : 51). C’est cette référence commune à la ci-toyenneté qui fait converger les conceptions nationales, tout en aidant à comprendre leurs divergences parce que les définitions prévalentes de la citoyenneté peuvent être très contrastées comme l’illustrent les cas anglais et fran-çais.Au Royaume-Uni, au dix-neuvième siècle, l’idée d’organisme caritatif a été liée à la discussion sur la citoyenneté, la chari-té étant un principe social, une composante nécessaire à la société démocratique contribuant à sa régulation par le but moral, l’engagement volontaire altruiste. Les gouverne-ments victoriens avaient pour objectif de « fournir un cadre de règles et de directives conçues pour permettre à la so-ciété de s’autogérer dans une large mesure » d’où une forte autonomie pour les associations et leurs activités de bienfai-sance qui n’étaient pas financées par l’État, en même

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temps qu’une coopération avec l’administration chargée de la loi sur les pauvres. D’ailleurs une grande partie des prestations sociales pu-bliques étaient financées et gérées localement, la limitation du gouvernement central générant un ensemble « d’institu-tions intermédiaires » développées entre l’État et le citoyen qui faisaient « partie intégrante du tissu de l’État » (Lewis, 1997 : 169).En France par contre, si une partie de l’ensemble associatif est né d’une volonté philanthropique soucieuse de paix so-ciale, la réalité à été marquée par un égalitarisme républi-cain. Après la Révolution, c’est l’affirmation du principe de solidarité qui, progressivement, permettra de surmonter l’al-ternative entre libéralisme et étatisme. Deux conceptions de la solidarité vont s’affirmer au dix-neuvième siècle : celle de la solidarité comme lien social démocratique (c’est l’ap-proche de 1848) et celle de la solidarité comme dette so-ciale (c’est l’approche des solidaristes). Ainsi, Pierre Leroux, témoin de la première approche, éla-bore-t-il de la façon suivante la notion de solidarité : « La nature n’a pas créé un seul être pour lui-même... elle les a créés les uns pour les autres, et a mis entre eux une solida-rité réciproque » (Leroux, 1851 : 170). Pour échapper à un individualisme concurrentiel comme à un étatisme autori-taire, cet auteur comme ses contemporains, théoriciens et praticiens de l’associationnisme, table sur des réseaux de solidarité passant par l’atelier, pour entretenir l’esprit public indispensable à la démocratie. Il a comme finalité l’instaura-tion d’une économie solidaire ou fraternitaire. A la fin du dix-neuvième siècle, défendue par des hommes politiques, juristes ou sociologues qui se réclament du soli-darisme (Bouglé, Bourgeois, Duguit, Durkheim...), la notion de solidarité prend un sens nouveau. Plus que de commune participation à l’humanité, comme chez Leroux, les solida-ristes parlent de dette sociale à l’égard des générations passées dont les hommes sont redevables vis-à-vis des gé-nérations suivantes ; ce qui implique un quasi-contrat, « forme juridique de la double dette sociale correspondant au devoir de solidarité envers nos semblables et envers nos

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descendants » (Dubois, 1985 : 58). Le solidarisme va donc jeter les bases philosophiques du droit social et permettre de légitimer les premières assurances sociales obligatoires du vingtième siècle.Ces deux cas contrastés évoquent les deux sources princi-pales de l’économie sociale européenne, toutes deux faisant référence à la notion politique de citoyenneté. La première source est l’organisation pour autrui dans laquelle les pro-moteurs créent des organisations d'intérêt général au profit d’une catégorie de bénéficiaires distincte d’eux-mêmes. La seconde source est l’auto-organisation dans laquelle les pro-moteurs créent des organisations d’intérêt mutuel pour se rendre des services à eux-mêmes.Ces actions sont progressivement reconnues par les pou-voirs publics et donnent lieu à l’élaboration de cadres juri-diques de l’économie sociale qui, à la fois, leur confèrent une existence légale et contribuent à séparer ce que la mouvance associationniste originelle voulait réunir. Les dif-férentes dispositions juridiques contiennent toutes en effet des limites qui vont contraindre les organisations dans leur rapport à l’activité économique : en Italie, les associations productrices de services sociaux les plus importantes ont été forcées de se transformer en agences publiques à la fin du dix-neuvième siècle (Santuari, 1997) ; en France la capa-cité d'action économique des associations est liée à leur contrôle par l’État, soucieux de ne pas permettre à l’Église de consolider son pouvoir ; au Royaume-Uni, les critères dé-finissant les “charities” introduisent une discrimination né-gative vis-à-vis des actions d'entraide mutuelle et re-streignent les champs d’action aux domaines philanthro-piques traditionnels ; en Suède les « ideell associations », caractéristiques de l’auto-organisation, sont distinguées des associations économiques.Un développement sectori-séA partir de la fin du dix-neuvième siècle et au cours du ving-tième siècle, l’éclatement et la fragmentation (Vienney, 1994 : 76-83) se sont accentués sous l’effet des cloisonne-ments juridiques et des formes d’intégration dans le sys-

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tème économique, qui amènent à distinguer trois sous-en-sembles.Coopératives et marchéLes coopératives se sont insérées dans l’économie mar-chande, occupant des secteurs d’activité dans lesquels l’in-tensité capitalistique restait faible. Elles ont permis à diffé-rents acteurs de mobiliser eux-mêmes les ressources pour des activités qui leur étaient nécessaires et étaient délais-sées par les investisseurs. Plusieurs types de coopératives se sont consolidés : coopératives de consommation en An-gleterre, coopératives d’habitation en Allemagne, Grande-Bretagne et Suède, coopératives agricoles un peu partout. Dans les pays à industrialisation moins rapide comme la France ou l’Italie, les coopératives ouvrières de production se sont imposées, favorisées en Italie par l’organisation des districts industriels de la troisième Italie.Même si elles ont pu bénéficier de certains aménagements négociés avec l’État, elles ont été principalement soumises à la concurrence. De ce fait, la logique générale de concen-tration des moyens de production les a poussées à se spé-cialiser dans une activité principale liée à l’identité de leurs membres, provoquant un “ isomorphisme marchand ” (Di Maggio, Powell, 1983 ; Enjolras, 1996). Le souci de la pérennité des entreprises a atténué le projet politique plus large et cette transformation s’est poursuivie, à tel point que « ce sont de véritables groupes financiers qui apparaissent progressivement comme institution coopéra-tive typique des économies capitalistes développées » (Vienney, 1982 : 108).Mutuelles, associations socio-sanitaires et ÉtatL'avènement de l’État-providence modifiera, quant à lui, profondément le rôle joué par les mutuelles comme par les associations dans le domaine de la santé et des services so-ciaux.Pour ce qui est des mutuelles, nombre d’initiatives s'étaient organisées au début du dix-neuvième siècle pour traiter les problèmes d’incapacité de travail, de maladie et de vieillesse sur une base solidaire en regroupant les membres

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d’une profession, d’une branche ou d’une localité. Moyens d’émancipation ouvrière pour les socialistes, barrières contre l’agitation sociale pour les libéraux et les conserva-teurs, ces mutuelles sont tolérées et contrôlées par les auto-rités, comme en Belgique et en France, à partir de la moitié du siècle. Puis les niveaux et modalités de contributions et de presta-tions sont homogénéisés au niveau national. La nature des activités économiques engagées a engendré un adosse-ment à l’État pour toutes les prestations qu’elles four-nissent. En effet, le risque inhérent à ces prestations pou-vait être mieux maîtrisé grâce à la participation d’un grand nombre d’adhérents au niveau national, avec l’appoint des techniques statistiques : la sécurisation du système a donc été obtenue avec l’instauration d’assurances obligatoires (maladie, vieillesse, …) et les mutuelles sont devenues des assurances complémentaires des régimes obligatoires , ou même des gestionnaires de la sécurité sociale en Belgique ou en Allemagne. Elles se sont alors soumises à des normes édictées par l’État et inscrites dans l’économie non mar-chande pour venir compléter les transferts sociaux, quitte à amender le principe d’adhésion volontaire pour rentrer dans le champ de la prévoyance collective complémentaire. Ce processus d'institutionnalisation a obéi d'une part à une logique bismarckienne ou corporatiste d’assurance sociale adressée au travail salarié en Allemagne, Belgique et France, d’autre part à une logique beveridgienne de solida-rité nationale qui abandonne toute référence à l’activité pro-fessionnelle (Merrien, 1987 : 82), dans une perspective uni-versaliste de droit au bien-être pour les pays scandinaves ou dans une perspective résiduelle de derniers recours face aux défaillances de la famille et du marché pour le Royaume-Uni (Tittmuss, 1974, Esping-Andersen, 1990).L'analyse comparative des régimes d'Etat-providence cen-trée sur les transferts monétaires, peut, pour cette raison, aider à situer la place des mutuelles. Par contre, elle n’inclut pas d’analyse historique des rapports entre associations et pouvoirs publics (Kuhnle, Selle, 1992).

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Comme le stipule la critique féministe (Orloff, 1993 ; Hernes, 1987 ; Lewis, 1992), en matière de travail de proximité et de soins (Folbre, 1997), il importe de mentionner deux atti-tudes contrastées des pouvoirs publics en référence aux rapports sociaux de sexe : l’une qui vise l’indépendance de la femme et l’égalité des sexes ; l’autre qui hiérarchise les positions, l’homme ayant la responsabilité du revenu de la famille et la femme celle des tâches domestiques (Jenson, 1993 ; Lewis, 1998, Sainsbury, 1994). Ce critère de genre se traduit en particulier par un accent mis sur le développe-ment de services accessibles à tous dans la première atti-tude observée en Suède par exemple et par la priorité ac-cordée aux transferts monétaires au détriment des services dans la seconde comme en Allemagne ou en Italie, les femmes étant alors incitées à accomplir le travail domes-tique. Au total, les mutuelles sont devenues à bien des égards des organisations “ para-étatiques ” (Evers, Bode et al., 1992 : 2) et les rapports entre associations et pouvoirs publics ont eu une intensité particulière dans les associations socio-sa-nitaires, surtout pour ce qui est des pays voulant créer des services collectifs au lieu de s’en remettre à la famille.

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4. La nouvelle dynamique

La sectorisation de l’économie sociale qui vient d’être dé-crite et les écarts de trajectoires des différents éléments qui la constituent, qui en sont la conséquence, ont affecté l’identité même de l’économie sociale. L’ampleur de la sy-nergie entre l’État et le marché dans la période d’expansion qui a suivi la seconde guerre mondiale a renforcé ce phéno-mène. Cependant, depuis l’entrée dans la période de mutations qui succède à ce qu’on a appelé « les Trente Glorieuses », plu-sieurs facteurs concourent à une nouvelle articulation des dimensions socio-politique et économique dans une pers-pective d’économie solidaire.Des formes d’engagement évolutivesC’est d’abord la modification tendancielle des formes d’en-gagement dans l’espace public. Le militantisme généraliste, lié à un projet de société, impliquant une action dans la du-rée et de fortes délégations de pouvoir dans le cadre de structures fédératives s’affaiblit comme le montre le recul de certaines appartenances syndicales et idéologiques. Par contre, cette crise du bénévolat constatée dans des associa-tions parmi les plus institutionnalisées se double d’une ef-fervescence associative à base d’engagements concrets à durée limitée, centrés sur des problèmes particuliers et la mise en place de réponses rapides pour les sujets concernés (Ion, 1997 ; Barthélémy, 1994 : 48). La question ici est celle du volontariat ou de la participation politique et sociale. Ainsi une professionnalisation croissante des services sociaux, dans la période précédant la revitali-sation, à partir des années 1960, va de pair avec un ques-tionnement de l’assimilation du citoyen à un consommateur ou à un assujetti. Des mobilisations se font jour à l’écart des mouvements sociaux traditionnels, mixant coopération so-ciale, entraide et protestation. Le rôle des initiatives de ce point de vue n’est pas simplement la production de services

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et d’emplois, il inclut la recherche de participation autre que professionnelle ou partidaire et est relié à l’enjeu de la co-hésion sociale et de la société active.Le changement de la structure des activités productivesDans les pays développés, la structure de l’emploi se modi-fie profondément. Deux grands ensembles aux trajectoires contrastées peuvent être distingués.— Les industries et les services standardisables recouvrant les services logistiques (transport, grande distribution, trai-tement des déchets…) et les services administratifs (banques, assurances, administrations,…) qui se rap-prochent des activités de production de masse ou de série. Ces services intervenant à titre principal sur des objets, des systèmes techniques ou traitant des informations codées ont été modifiés par le recours aux nouvelles technologies de l’information. Ils ont donc des trajectoires convergentes avec les activités industrielles marquées par deux traits : une restriction de leur capacité de création d’emplois par rapport aux « Trente Glorieuses » et une élévation de la qualification à l’embauche.— Les services relationnels, au contraire, comme l’ont souli-gné Baumol (1987) et Roustang (1987), confèrent une place centrale à la relation de service parce que l’activité est ba-sée sur l’interaction directe entre prestataire et destina-taire. Ils visent, pour les services aux entreprises, à influer sur le fonctionnement de l’organisation et, quand il s’agit de services aux personnes, à améliorer l’état physique, in-tellectuel ou moral des usagers-clients. Les nouvelles tech-nologies n’y sont que des supports à la relation offrant des options additives quant à la variété et à l’évolution qualita-tive de la prestation. L’innovation dans le processus de pro-duction n’aboutit pas forcément à une standardisation. Elle peut déboucher sur une innovation, le travail complexe n’étant alors pas éliminé mais déplacé. Un effet variété et qualité vient donc compenser l’effet de substitution capital-travail ce qui permet à ces services relationnels d’être por-teurs de nouveaux emplois. Malgré les difficultés dues aux modes d’organisation des comptabilités nationales qui n’isolent pas ces services rela-

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tionnels, les chiffres disponibles montrent qu’ils ont été au coeur de la création d’emplois. Au total, dans les pays de l’OCDE, le commerce, les services aux entreprises, l’hôtelle-rie-restauration, les services personnels et domestiques, l’éducation, la santé, l’action sociale et l’administration pu-blique représentent une majorité et une part sans cesse croissante des emplois. Ainsi, de 1962 à 1981, dans six de ces pays, la part de l’emploi a augmenté dans le secteur non marchand, agrégat statistique composite mais qui ras-semble une grande partie des services relationnels. Certains sous-ensembles tels que l'éducation, la santé et l'action so-ciale, les services collectifs sociaux et personnels, les ser-vices domestiques révèlent un essor particulier sous-tendu par des tendances socio-démographiques lourdes (Borzaga, 1998).Un foisonnement d’initiativesDans cette configuration nouvelle, des innovations émanant de réseaux de la société civile se sont manifestées dans toute l’Europe, prenant pour la plupart les formes associa-tive et coopérative. Dans les pays scandinaves, de nouvelles organisations ont montré une façon d’agir différente de celle des associations traditionnelles. Se détournant d’une approche politique et culturelle hégémonique dans les années 1970, elles ont pro-posé dans les années 1980 « de nouvelles formes organisa-tionnelles et des solutions aux problèmes sociaux locaux » (Klausen, Selle, 1996 : 99-122). Parmi celles-ci figurent les organisations dites de « promoteurs de projets » au Dane-mark constituées à partir de l’implication forte d’une ou plu-sieurs personnes, et les coopératives dans la garde d’en-fants en Suède. Dans ce pays, en 1994, 1768 structures non municipales de garde étaient en fonctionnement accueillant 12 % des enfants bénéficiant de structures d’accueil et par-mi celles-ci 1020 étaient des coopératives de parents et 117 des coopératives de travailleurs (Pestoff, 1997, 1998). La forme coopérative et associative participe dans ce contexte autant à un redéploiement des services existants qu’à la création de nouveaux services.

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La “coopératisation” des services sociaux (Lorendahl, 1997 ; Pestoff, 1998) répond avant tout à une visée d’accroisse-ment du rôle des usagers, tels les parents pour l’organisa-tion de l’accueil de leurs enfants, et elle a été admise sous la pression des contraintes financières s’exerçant sur le sec-teur public.A l’autre extrême, dans les pays méditerranéens, c’est para-doxalement la même forme juridique qui a été sollicitée : le statut coopératif a été utilisé pour proposer des services que le secteur public n’arrivait pas à assumer. En Italie, les coopératives sociales se sont imposées sur de nombreux territoires par leur capacité à endosser des fonctions qui n’étaient pas remplies précédemment : recrutement de po-pulations exclues du marché du travail et mise en place de services aux personnes. Elles se sont développées rapide-ment puisque, nées dans les années 1970, elles sont envi-ron 3.000 en 1996, regroupent près de 100.000 associés dont environ 75.000 salariés, mobilisent 9.000 bénévoles et rendent des services à plusieurs centaines de milliers de personnes (Borzaga, 1997). Ainsi, en Italie où l’État jouait un rôle dominant dans des secteurs comme l'éducation et la santé (Gui, 1996), la dynamique récente est notable. Les coopératives de services sociaux sont parallèlement ap-parues en Espagne, surtout dans certaines régions comme la Catalogne, le Pays Basque ou la région de Valence sous la forme de coopératives de travail associé, composées des travailleurs, spécialement dans l’aide à domicile ; certaines d’entre elles ont évolué vers une organisation mixte d’inté-gration producteurs-consommateurs (Sajardo-Moreno, 1996). A un degré moindre, au Royaume-Uni le secteur volontaire a été relayé dans certains champs par des coopératives so-ciales, pour l’insertion ou pour des services comme la garde d'enfants et l’aide à domicile. Le nombre d’initiatives, diffi-cile à recenser, n'est guère supérieur à quelques dizaines mais il existe également des entreprises communautaires (“community enterprises”), nombreuses en Écosse, et re-présentant pour l'ensemble du Royaume-Uni 400 unités de production en 1995 avec 3500 employés. Parallèlement, les organisations volontaires ont contribué à pallier des

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manques, comme en témoigne l’exemple des “playgroups” pour l’accueil des jeunes enfants. En Angleterre et au Pays de Galles, dès 1986, plus de la moitié des enfants qui béné-ficiaient d'un accueil collectif allaient dans un playgroup, service d'accueil à temps partiel pour les enfants de moins de cinq ans résultant d'une initiative parentale en réaction contre la pénurie des formules de garde.L’essor coopératif est lié à la possibilité légale d’une ouver-ture des coopératives, traditionnellement basée sur une ca-tégorie homogène, vers une représentation de différentes parties prenantes dans les organes de décision (volontaires, travailleurs, consommateurs, collectivités locales…) comme la loi de 1991 l’a permis en Italie. Il n’est par ailleurs pas étonnant que les coopératives de type social se déve-loppent dans les pays où les régimes d’État-providence n’avaient que peu sollicité les associations dans les presta-tions de services et où les associations sont limitées du point de vue de leurs activités économiques. La situation est très différente dans les pays où les pouvoirs publics ont pris l’habitude d'un partenariat étroit avec les associations.En Allemagne et en Autriche, les initiatives ont été quali-fiées d’ « entraide » pour traduire la volonté de responsabili-sation des personnes dont elles étaient porteuses. Elles peuvent être divisées en trois sous-secteurs : des groupes semi-informels qui ne rentrent pas dans le tiers système, des groupes d’ « auto-assistance », c’est-à-dire unissant des personnes touchées par le même problème, et des groupes défendant la cause de certaines populations dont ils ne font pas partie. Ils sont constitués sur une base volontaire et le travail professionnel rémunéré n’intervient qu'en complé-ment. Ces initiatives se traduiraient par 70 000 groupes en Alle-magne avec approximativement 2,65 millions de personnes engagées (Evers, Bolde et al, op. cit.). Elles ont foisonné à partir de la décennie 1980 surtout dans les domaines de la santé et de l’action sociale; Pour le seul domaine de la san-té, on estime qu’il existe entre 5.000 et 10.000 groupes. Elles prennent racine dans une critique de la bureaucratisa-tion des services dans le secteur public et dans les grandes organisations de bienfaisance qui regroupent les associa-

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tions plus anciennes avec lesquelles elles cohabitent par ailleurs. Ainsi à Vienne 65.000 enfants sont accueillis, pour moitié dans le service public et pour moitié dans des asso-ciations, à la fois traditionnelles et issues de ces initiatives dite “de base” (Leichsenring, 1997).Comme en France, en Belgique, il s’agit de renouveler les formes d’offre associative en reconnaissant que l’absence de but lucratif ne garantit pas à elle seule le respect des usagers. A ce titre, longtemps principales prestataires de service, certaines associations ont bénéficié de quasi-mono-poles locaux. Comme dans ces différents pays il existait une tradition de coopération entre pouvoirs publics et associa-tions, les innovations ont à leur tour adopté ce statut mais sur des bases renouvelées. Un certain nombre d’associa-tions, qu’elles soient anciennes et remettent en cause leurs comportements habituels ou qu’elles soient récentes et pro-posent des approches originales, tentent d’ajuster leur orga-nisation. Dans le domaine de la petite enfance, l’innovation associa-tive a été la source de modèles d’accueil collectif impliquant les parents, comme les lieux d’accueil à participation paren-tale promus par l’Association des collectifs enfants-parents-professionnels en France. Initiées par les parents, elles ont été relayées par nombre de professionnels qui y trouvaient l’opportunité de créer leur emploi tout en veillant à la quali-té des prestations vérifiée par le biais des liens tissés avec les parents. Ces formules d’accueil collectif ont été celles qui se sont le plus développées dans les années 1980. En France, au 1er janvier 1996 (Ministère de la santé publique et de l’assurance maladie, 1997), on dénombre 710 crèches parentales ayant une capacité d’accueil de 11 294 enfants, 481 de ces structures réalisent une offre de 7 937 places en “multi-accueil” combinant crèches collectives et haltes-gar-deries. Plus globalement les initiatives associatives ont au cours des dix dernières années permis de créer les deux tiers des places d’accueil collectif. Des regroupements mobilisant les familles ne se sont pas opérés aussi facilement pour l’aide à domicile dans la mesure où les problèmes de délégation des tâches s’avèrent plus douloureux à aborder pour les mé-

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nages concernés. Pourtant des expériences suscitées en majorité par des professionnels critiques de modes d’inter-vention dominants qu’ils jugeaient trop dépersonnalisés se sont également diffusées.En dépit des différences nationales, le renouveau coopératif et associatif met en évidence deux dimensions décisives.— Les expériences ont prouvé qu’elles pouvaient initier des mécanismes originaux de création de la confiance dans des activités dont le succès dépend en partie de celle-ci. Cette construction de la confiance repose souvent sur l’engage-ment des différentes parties prenantes de la demande (Ben Ner, Van Hoomissen, 1991), facilité dans des structures limi-tant les possibilités d’enrichissement individuel. Au sein de cette dynamique “multistakeholder” (Borzaga, Mittone, 1997 ; Pestoff, 1996) se forme une confiance interperson-nelle par l’instauration d’un espace de réciprocité où ne pré-dominent pas les dimensions stratégiques, instrumentales ou utilitaires et où s’exerce une réflexion commune. Certes toute production de service peut être définie comme co-production puisque la participation du consommateur est requise. Mais ce qui s’est passé dans les coopératives so-ciales en Italie, les coopératives de garde en Suède, les ex-périences associatives de “community care” au Royaume-Uni ou de services de proximité en Allemagne, en France et en Belgique dépasse de loin cette co-production. Il s’agit d’une construction conjointe de l’offre et de la demande de services qui ne se contente pas de solliciter les usagers comme consommateurs ou assujettis dans le cadre de lo-giques fonctionnelles publiques ou privées, mais les intègre comme « des citoyens dans la sphère politique et en tant que membres d’une communauté et d’une famille dans le milieu informel » (Evers, 1997 : 55). Les espaces d’expériences et de paroles (Eme, Laville, 1999), constitués en dehors de toute nécessité de rentabili-sation du capital ou d’imposition de normes administratives, voire en réaction contre elles, ont été à la base de l’inven-tion de nouveaux services.En instituant un espace tiers médiateur, il devient possible de s’attaquer à la méfiance qui gêne l’essor de nombreux

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services relationnels supposant l’entrée dans l’intimité des usagers. Quels que soient les problèmes posés ensuite par la pérennisation de ces services, il existe donc, à travers la création de services relationnels, une dynamique nouvelle fondée sur une dimension socio-politique repérée par la re-cherche européenne. Pour autant, cet aspect de l’émer-gence des services ne doit pas occulter l’importance des en-trepreneurs qui convertissent le projet en réalisation. Toute-fois il s’agit d’un entrepreneuriat civique, plus collectif qu’in-dividuel même si les personnalités s’avèrent déterminantes.— Au-delà de leur émergence basée sur la mobilisation de ressources volontaires, les expériences sont amenées à re-chercher un équilibre en drainant également des ressources marchandes et non marchandes. L’autonomie de gestion les incite à ne pas rentrer dans une relation tutélaire avec les pouvoirs publics mais les bénéfices collectifs dont elles sont porteuses appellent un financement public. Ce sont des ser-vices mixtes qu’elles veulent promouvoir, dans une conjonc-ture où le financement des services sociaux par la puis-sance publique est fragilisé par la diminution des moyens disponibles de l’État providence. L’hybridation entre res-sources issues des économies marchande, non marchande et non monétaire peut être une combinaison pertinente étant donné les contingences actuelles, mais elle se heurte fortement au cloisonnement entre économies sur lequel est basée l’architecture institutionnelle qui sépare le marchand du non marchand. Les limites propres à différents statuts engendrent en outre la multiplication d’expériences qui s’appuient sur l’articulation de diverses formes juridiques.

5. Conclusion

S’il s’avère possible de réunir les conditions propres à défi-nir un projet d’économie sociale et solidaire, alors il mérite d’être soutenu par les pouvoirs publics pour les raisons qui viennent d'être citées et qui peuvent être synthétisées en quatre points.

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1 — Il peut modifier la structure de consommation des mé-nages dans le sens d’un plus grand recours à des services à haute intensité en travail, et ce en employant une main-d’oeuvre locale, puisque la nouvelle dynamique qui s’ex-prime accentue la nécessité de sa présence dans les ser-vices relationnels comme l’une des conditions de la confiance.2 — Il peut être en mesure de mobiliser et de générer du ca-pital social, c’est-à-dire des formes de confiance mutuelle et d’engagement civique, qui entretiennent le souci des biens communs et des biens publics par l’action collective. Cette contribution à la reproduction de la société démocra-tique n’est pas négligeable pour le modèle de société euro-péen, menacé autant par l’anomie et l’individualisme néga-tif (De Leonardis, 1997 ; Gauchet, 1998) que par le chô-mage et l’exclusion.3 — Il peut participer à une réconciliation de l’économique et du social en couplant esprit d’initiative et finalité sociale. Il combat ainsi la culture de l’assistance et la passivité. En outre, il peut instaurer un jeu à somme positive dans le-quel les ressources publiques sont abondées par des res-sources marchandes et volontaires.4 — Il peut consolider des économies locales par son im-plantation et la constitution au sein de ces organisations d’un patrimoine durablement collectif qui est un des traits majeurs de leur statut. Cette caractéristique préserve les fonds attribués par la puissance publique d’une réappropriation privée, ce qui n’est pas le cas dans les entreprises qui maximisent le re-tour sur investissement individuel.De plus, le regain d’engagement dans des actions collec-tives de dimension réduite et la tertiarisation de l’économie fournissent un arrière-plan favorable à l’essor de l’activité et de l’emploi. L’économie sociale et solidaire est donc une question d’ac-tualité dans la société contemporaine.

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Hélène ClémentLaurent Gardin

L’entre-prise so-

ciale

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Notes de l'Institut Karl Polanyi, Edition revue 2000.

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L’entreprise sociale

Sommaire

1. Introduction.......................................................................................36

2. Finalité sociale et activité économique, approche historique d’un cloisonnement........................................................................................37

3. Une définition en cours de construction à partir de travaux inter-nationaux............................................................................................... 41

Les travaux de l’OCDE........................................................................................42

Les travaux du réseau Emes.................................................................................43

4. Une reconnaissance législative en Europe..........................................46

Les coopératives sociales italiennes.....................................................................46

La société à finalité sociale belge.........................................................................50

Une réflexion juridique européenne......................................................................52

5. L’entreprise sociale en France...........................................................53

Le champ des entreprises sociales en France et ses problèmes de définition........54

L’organisation “multi-stakeholders”....................................................................56

Des avantages spécifiques liés à la finalité sociale : reconnaissance de la mixité des ressources............................................................................................ 59

6. Les propositions de réformes législatives pour une reconnaissance de l’entreprise sociale............................................................................61

Améliorer les structures........................................................................................ 63Le problème de la constitution d’un capital et de la réalisation d’activités commerciales pour les associa-tions...................................................................................................................................................... 63Le fonctionnement multistakeholders et la loi de 1947 sur les coopératives...........................................65L’accès aux aides publiques pour les coopératives.................................................................................67

Création d’un « tiers secteur d’économie sociale et solidaire »............................67

Place des réseaux et des pouvoirs publics dans la définition de l’entreprise sociale.................................................................................................................. 68

7. Conclusion.........................................................................................70

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1. Introduction.1

Alors que le concept d’entreprise sociale est de plus en plus utilisé et que les initiatives qui se reconnaissant dans cette notion se multiplient, il n’en existe pas de définition de l’en-treprise sociale dans le système juridique français. Ces ini-tiatives demandent pourtant que leur spécificité puisse être reconnu. Partant d’une approche internationale, cette note essaie de faire le point sur la question.L’absence de définition, et par conséquent de reconnais-sance juridique de l’entreprise sociale, peut s’expliquer par des raisons historiques remontant au dix-neuvième siècle, liées au mode d’institutionnalisation des organisations éco-nomiques et au cloisonnement entre organisations ayant une activité économique et organisations ayant une finalité sociale. Après ce détour par l’histoire, on verra comment des re-cherches internationales de plus en plus nombreuses rendent compte des pratiques qui émergent depuis une vingtaine d’années. Dans deux pays voisins, l’Italie et la Bel-gique, ces initiatives ont même entraîné des modifications législatives pour mieux répondre à leur spécificité. Des tra-vaux tentent de définir d’un point de vue juridique ce qui caractérise les entreprises sociales en Europe et posent les prémices de ce qui pourrait être une directive européenne en ce domaine.En France, que ce soit en matière d’insertion par l’écono-mique ou de réalisations d’activités ayant une utilité collec-tive, les initiatives pouvant se reconnaître dans le concept d’entreprise sociale sont de plus en plus nombreuses. La mission sur L’opportunité d’un nouveau type de société à vocation sociale, confiée par Martine Aubry, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité, à Alain Lipietz2, a permis de lan-cer la réflexion, d’une part au sein des réseaux de l’écono-1 Ce dossier est une version modifiée et actualisée de la note réalisée avec le concours de la Délégation interministérielle à l’innovation so-ciale et à l’économie sociale : Hélène Clément et Laurent Gardin, L'entreprise sociale, Note de l’Institut Karl Polanyi, Arles : Impa-tiences Démocratiques éditeur, 1999.

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mie sociale et solidaire, et d’une part entre ces réseaux et les pouvoirs publics. Les consultations régionales de l’écono-mie sociale et solidaire sont ainsi venues alimenter la ré-flexion3. S’il apparaît que des demandes de réformes législa-tives ou réglementaires émergent, de nombreux enjeux et débats sont levés et il convient de les préciser. Ces questionnements portent notamment :

— sur les modalités de fonctionnement socio-économique de l’entreprise sociale ; — la question de son fonctionnement démocratique et des rapports entre usagers, salariés, bénévoles et pouvoirs publics ; — et enfin sur la constitution d’un tiers secteur d’écono-mie solidaire et des rapports qu’entretiennent ces expé-riences avec les pouvoirs publics.

2. Finalité sociale et activité éco-nomique, approche historique

d’un cloisonnement.

Sous l’Ancien Régime, l’entreprise industrielle et commer-ciale, était soumise à une forte réglementation : les corpora-tions groupent obligatoirement, dans chaque ville, les entre-prises qui fabriquent ou vendent des produits de même na-ture. La loi Le Chapelier du 17 juin 1791 confirme l’abolition des corporations (abolition instaurée par le décret d’Allarde du 17 mars 1791) et interdit toutes associations de membres d’un même métier, qu’ils soient patrons ou ou-vriers. La fin des corporations pose la question de « l’écono-mie à instituer »4.2 A. Lipietz, L’opportunité d’un nouveau type de société à vocation sociale, Rapport d’étape, 27 janvier 1999, et A. Lipietz, L’opportunité d’un nouveau type de société à vocation sociale, Rapport final, 2 tomes, Octobre 2000.3Consultations régionales de l’économie sociale et solidaire, Docu-ment remis lors de la recontre nationale du 5 juin 2000 à Paris, mai-son de la Chimie, Paris, Délégation interministérielle à l’innovation sociale et à l’économie sociale, Rapport de synthèse, Mai 2000.4 Pour reprendre les termes de J.L. Laville, Economie et démocratie, Contribution à une approche sociologique de l’économie, L’actualité

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Cette interdiction des coalitions frappe plus les ouvriers que les patrons puisqu’un amendement exclut les Chambres de commerce du champ d’application de la loi : « entre la liber-té d’association et la liberté d’entreprendre, la seconde pré-vaut absolument »5. Il faut relever aussi que la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 omet le droit d’association, seuls les clubs et associations poli-tiques sont acceptés avec la liberté de réunion. Ce détour par la Révolution française est important car ces disposi-tions marqueront tout le dix-neuvième siècle et ont encore des incidences aujourd’hui. L’article 291 du Code pénal de 1810 s’oppose à la liberté d’association : « nulle association de plus de vingt personnes (…) ne pourra se former qu’avec l’agrément du Gouvernement et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la société. » Pourtant, les utopies concrètes, plus ou moins tolérées, émergeront durant cette première moitié du dix-neuvième siècle. La révolution de 18486 sera une période de foisonne-ment associationniste. Les expériences développées ne se situent pas spécifique-ment dans l’économique ou dans le social. Une association peut à la fois être entreprise de travaux et société de se-cours, une autre s’occuper à la fois du placement, du se-cours chômage et du maintien du salaire en cas de mala-die…Des unions d’associations se créent. Les tailleurs de pierre du Rhône fondent, en septembre 1848, une association dont l’objet est de constituer : « 1° une caisse de solidarité pour venir en aide à titre de prêt aux autres associations dans le besoin, 2°) une école de dessin linéaire, de modelage, de sculpture. »

d’une question ancienne, Conclusion générale, Paris : Thèse pour le Doctorat de l’Institut d’Etudes Politiques, Tome IV, 20 Février 1992, p. 633-634.5 J.C. Bardout, Les libertés d’association, Paris : Les Editions juris ser-vice, 1991, p. 70.6 Voir à ce sujet Actualité de 1848. Arles, Impatiences Démocratiques éditeur, 2000, 5 tomes, disponible sur le web : www.impatiencesde-mocratiques.com

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A Paris, Jeanne Deroin lance un projet d’union des associa-tions ouvrières. « 104 associations adhèrent à son projet d’union. Le contrat d’union est enregistré conformément aux lois, le 22 novembre 1849. Le 29 mai 1850, Jeanne De-roin est accusée de conspiration et condamnée à la pri-son. »7 Le Coup d’Etat de 1851 confirmera les tendances étatiques et répressives, amorcées dès 1849, visant à vouloir éteindre ou à contrôler ce mouvement. Les sociétés de secours mu-tuels seront certes reconnues dès 1849, puis en 1852, mais l’Empire ne leur octroie certains avantages qu’en échange d’un contrôle limitant leurs activités et allant même jusqu’à désigner leurs dirigeants, choisis localement parmi les no-tables. Si le mouvement associationniste est réprimé ou cantonné à certaines activités, très vite, par contre, « les conditions per-mettant à l’initiative individuelle de s’exprimer sont instau-rées, n’importe qui peut s’installer moyennant le simple paiement d’une patente», c’est le décret d’Allarde qui dès 1791 instaure cet impôt. « La formation de sociétés reste soumise à de nombreuses restrictions. La loi du 20 novembre 1795 autorise la forma-tion de sociétés par actions, sans en préciser les modalités et le code du commerce de 1807 définit trois types de socié-tés. »8 Ces sociétés (« société en nom collectif », « société en commandite », “société anonyme ») sont toutes des re-groupements de personnes. Pour favoriser l’accumulation des capitaux, les libéraux pousseront à la constitution d’une structure juridique associant les capitaux. Ces pressions aboutiront à l’instauration de la loi de 1867 qui reconnaît le principe d’une “personnalité morale” distincte des per-sonnes physiques l’ayant créée, et dispense de l’autorisa-tion gouvernementale toutes les sociétés anonymes. Ainsi, l’économie est instituée sur un modèle capitaliste où les propriétaires s’approprient les surplus et les travailleurs,

7 J. Bouche-Mullet, Le mouvement coopératif et mutualiste sous le se-cond Empire, Les travaux de l’atelier Proudhon n° 13, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1993. pp. 26-27.8 Cf. J.L. Laville, op. cit., p. 634.

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salariés, vendent leur force de travail. L’Etat reconnaîtra, ju-ridiquement, ensuite, les différentes composantes du mou-vement associationniste mais de manière séparée, cassant d’une certaine manière la dynamique qui les unissait. Sans qu’elles soient nommées dans la loi, les coopératives s’inscriront dans les catégories juridiques du droit commer-cial avec l’utilisation du titre III de la loi de 1867, « des so-ciétés à capital et personnel variable », titre qui ne sera uti-lisé que par elles. La mise en place d’une législation coopé-rative s’avérera difficile et se réalisera par l’élaboration de statuts individuels de 1894 à 1920 : Sociétés de crédit agri-cole en 1894, Sociétés d’habitations bon marché en 1906, Crédit immobilier en 1906 et 1908, Sociétés ouvrières de production et de crédit en 1916, Sociétés coopératives de consommation en 1917, Sociétés de cautions mutuelles et banques populaires en 1918… Pour les coopératives non fi-nancières, un statut général ne sera mis en place qu’après la seconde guerre (loi du 10 septembre 1947).La loi du 21 mars 1884 abroge la loi Le Chapelier. Prévoyant la liberté de constitution des syndicats sans l’autorisation du gouvernement, elle limite leur objet à « l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agri-coles », et instaure le principe de libre adhésion. Cet aspect est important car si la loi Le Chapelier est abrogée, la non-obligation d’adhésion au syndicat empêche la restauration des corporations. Concernant les mutuelles, si l’élection des présidents par l’assemblée générale des sociétaires fût accordée en 1870, ce n’est qu’avec la loi de 1898, que la mutualité trouva un cadre juridique rénové avec un élargissement de son champ d’action et la définition d’une Charte de la mutualité. Malgré un courant républicain favorable dès les débuts de la III° Ré-publique, la liberté d’association à but non lucratif, ne sera reconnue par une loi qu’en 1901. A travers l’institution de ces différents statuts, les compo-santes du mouvement associationniste se définissent dans des cadres particuliers et cloisonnés. Depuis les années 1970, l’expression « économie sociale » est réutilisée en France pour désigner, « les coopératives, les mutuelles et

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celles des associations, dont les activités de production les assimilent à ces organismes »9. Les initiatives actuelles au-tour de l’entreprise sociale visent aussi à dépasser ces cloi-sonnements, mais ne disposent pas de cadre juridique ap-proprié.

3. Une définition en cours de construction à partir de travaux

internationaux.

Des travaux européens ont tenté de définir le concept10

d’entreprise sociale et les champs où ces initiatives se déve-loppent11. Deux recherches nous semblent faire référence par l’ampleur géographique des investigations menées. Il existe le travail réalisé par l’OCDE12, qui porte sur l’ensemble du territoire couvert par son organisation internationale. Le réseau Emergence of European Social Enterprises (EMES), qui réunit des chercheurs des 15 pays de la Communauté européenne mène aussi des travaux importants pour tenter de définir les caractéristiques sociales, économiques et poli-tiques de ces organisations. Même si nous ne l’abordons pas ici la problématique de l’en-treprise sociale ne se limite pas, bien sûr, aux pays indus-9 Selon les termes du décret du 15 décembre 1981 qui introduit dans le droit français l’expression « économie sociale » en créant la Délé-gation à l’économie sociale ; Cf. C. Vienney, L’économie sociale, Pa-ris, La Découverte, 1994.10 Développer l’entreprise sociale, Fondation Roi Baudouin, Belgique, 1994. C. Borzaga, A. Santuari, (Edited by), Social enterprises and new employment in Europe, Autonome Region Trentino-Südtirol, Universi-ty of Trento, April 1998. Troisième système et emploi, organisé par la Commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement euro-péen et la DG V de la Commission européenne ; réseau Emes…11 Cf. Les documents de travail des services de la Commission Euro-péenne : Les initiatives locales de développement et d’emploi, En-quête dans l’Union Européenne, Bruxelles, mars 1995 et Le premier rapport sur les initiatives locales de développement et d’emploi, no-vembre 1996.12 Les entreprises sociales dans les pays membres de l’OCDE, OCDE, service du développement territorial, Rapport pour le secrétariat, No-vembre 1998.

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trialisés occidentaux mais concerne aussi l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie…13

Les travaux de l’OCDEDans son rapport, l’OCDE a offert une proposition de défini-tion de l’entreprise sociale : « L’entreprise sociale fait réfé-rence à toute activité privée, d’intérêt général, organisée à partir d’une démarche entrepreneuriale et n’ayant pas comme raison principale la maximisation des profits mais la satisfaction de certains objectifs économiques et sociaux ainsi que la capacité de mettre en place par la production de biens ou de services des solutions innovantes aux pro-blèmes d’exclusion et de chômage. »Cette tentative montre bien la difficulté qu’il existe à réduire ce concept à une simple définition : elle ne fait aucune réfé-rence à un fonctionnement démocratique de l’entreprise so-ciale. Le rapport de l’OCDE complète donc son approche par la présentation d’un certain nombre de “mots clefs :

— formes juridiques variables selon les différent pays ;— activités organisées selon une démarche entrepreneu-riale ;— profit réinvesti pour la réalisation des buts sociaux dans les activités de l’entreprise et non pour la rémunération du capital ;— parties prenantes (stakeholders) plutôt que action-naires (stockholders), — participation et organisation dé-mocratique de l’entreprise ;— objectifs économiques et sociaux, innovation écono-mique et sociale ;— respect des règles du marché ;— viabilité économique ;— financement mixte, degré élevé d’autofinancement ;

13 Comme ont pu le montrer les participations de délégations mul-tiples à la Rencontre internationale de Lima (Pérou) sur l’économie solidaire en juillet 1997 ; Cf. les actes : H. Ortiz et I. Munoz editors, Globalization de la solidaridad, sunpisio internacional, Grupo interna-cional Economia solidaria, CEP juin 1998, Lima, Pérou. Cf. aussi J.L. Laville (Dir.), L’économie solidaire, une perspective internationale, Paris, Desclée de Brouwer, 1994 et réédition 2000.

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— activités principales : insertion de publics en difficulté ; réponses aux besoins collectifs insatisfaits ; activités à haute intensité de main d’œuvre.

Partant de ces caractéristiques, l’OCDE fournit de multiples exemples d’initiatives pouvant s’inscrire dans ce concept et indique également les organismes contribuant à leur déve-loppement et à leur financement.14

Les travaux du réseau EmesLes travaux de ce réseau européen ne sont pas achevés mais des réflexions transversales aux recherches réalisées dans chacun des pays sont d’ores et déjà disponibles15.

On peut relever que pour eux, « le terme générique d’entre-prise sociale ne manifeste (…) pas une rupture par rapport aux organisations d’économie sociale mais un infléchisse-ment et un élargissement de leurs formes possibles. (…). L’entreprise sociale apparaît comme porteuse d’une logique à la croisée des chemins. Se différenciant de la logique d’une entreprise privée traditionnelle dans la mesure où le pouvoir ne se base pas sur la détention du capital, elle dé-veloppe cependant des échanges marchands. Par son auto-nomie, l’entreprise sociale se distingue également d’une en-treprise publique bien que bénéficiant, le plus souvent, de subventions. »

14 Entreprises d’insertion françaises, entreprises insérantes belges ou finlandaises, coopératives sociales italiennes, coopératives de travail associées espagnoles, entreprises de communautés locales alle-mandes (ex-entreprises alternatives), entreprises communautaires ir-landaises ou écossaises (Community Business), entreprises intermé-diaires britanniques (Intermediate Labour Markets Organisation), en-treprises d’insertion portugaises, coopératives de services sociaux suédoises, entreprises communautaires autrichiennes, entreprises commerciales à finalité sociale aux Etats-Unis (Community based Bu-siness, Community Wealth Enterprises), mouvement communautaire québecquois, groupes communautaires néo-zélandais, coopératives mexicaines…15 Cf. J.L. Laville, M. Nyssens, L’entreprise sociale, éléments pour une approche théorique, Working paper écrit à partir des réflexions trans-versales du réseau Emes, disponible au CRIDA, 24 p.

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Ils se penchent ensuite sur l'organisation socio-économique de ces entreprises sociales à partir de trois pôles, en tentant d’affiner ces caractéristiques sur deux aspects : « la proprié-té et l’organisation des facteurs de production au sein de l’entreprise d’une part ; la distribution des biens et services c’est-à-dire les types de relations économiques d’autre part. »

Ils soulignent que les entreprises sociales appartiennent à des parties prenantes autres que les investisseurs. Ces par-ties prenantes ne sont pas seulement les travailleurs, mais peuvent être aussi les consommateurs ou les fournisseurs. En outre, « certaines analyses qui reposent sur le concept de « multiple stakeholders enterprises » ont mis en évi-dence la possibilité d’une hétérogénéité au sein même du groupe propriétaire de l’entreprise16. Par exemple dans les coopératives sociales italiennes sont propriétaires à la fois des usagers, des bénévoles et des travailleurs salariés. »

Ensuite, il apparaît que l’entreprise sociale a une finalité de service à la collectivité, que ce soit à travers les externalités positives qu’elle produit collectives et/ou l’accès équitable au service qu’elle développe. L’utilité collective produite par ces organisations justifie alors la nature de leur propriétaire et le développement des entreprises à parties prenantes multiples (“multistakeholder”).

Toujours par rapport aux facteurs de production et aux ob-jectifs de l’entreprise, le concept de capital social17 défini par Coleman pour le développement des personnes et dévelop-pé par Putman sur le plan du fonctionnement des organisa-tions comme « les caractéristiques des organisations so-ciales tels les réseaux, les normes et la confiance qui faci-16 C. Borzaga, L. Mittone, “The Multistakeholders versus the Nonprofit Organization”, Università degli Studi di Trento, draft paper n° 7, 1997 ; V.A. Pestoff, V.A. Pestoff, Beyond the Market and State, Social Enterprises and Civil Democracy in a Welfare Society, Ashgate, Alder-shot - Bookfield USA - Singapore - Sydney, 1998.17 J. Harris, P. De Renzio, ‘Missing link’ or Analitically Missing ? : The Concept of Social Capital, Journal of International Developement, 9 (7), 1997, 919-937.

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litent la coordination et la coopération en vue du bénéfice mutuel », est mis en avant comme une des caractéristiques originales et importantes de ces entreprises. Reprenant les apports d’Habermas18, le capital social apparaît alors comme un facteur de démocratisation à travers la constitution d’es-paces publics locaux de débats et de confrontations sur la constitution d’activités et les externalités qu’elles pro-duisent.

Par rapport aux relations économiques, les auteurs sou-lignent l’importance d’une « approche substantive de l’éco-nomie qui propose une conception extensive de l’économie où sont qualifiées d’économiques toutes les actions dérivées de la dépendance de l’homme vis-à-vis de la nature et de ses semblables »19. Les pratiques montrent que trois pôles économiques peuvent être mobilisés par l’entreprise so-ciale :

— le marché dans lequel il y a mise en correspondance de l’offre et de la demande de service entre agents écono-miques par le mécanisme de fixation des prix ;— la redistribution dans laquelle une autorité centrale ras-semble des moyens pour ensuite les répartir selon les normes qu’elle fixe elle-même ;— la réciprocité dans laquelle les échanges s’expliquent par la volonté d’entretenir ou de renforcer les liens so-ciaux entre différents groupes ou personnes.

Partant de cette approche plurielle de l’économie, ces tra-vaux rappellent combien les entreprises sociales se conso-lident à partir d’une hybridation des différents registres éco-nomiques. Toutefois, les risques d’isomorphisme institution-nel20 existent et les auteurs soulignent l’importance des mé-18 J. Habermas, “L'espace public, 30 ans après”. Quaderni, n° 18, au-tomne 1992 ; B. Eme, Lecture d’Habermas et éléments provisoires d’une problématique du social solidariste d’intervention, ronéo, CRI-DA-LSCI, IRESCO-CNRS, 1993.19 J.L. Laville, M. Nyssens, op. cit.20 Tendances à un rabattement sur un fonctionnement d’entreprise privée ou de service public. Sur la notion d’isomorphisme institution-nel, B. ENJOLRAS, Associations et isomorphisme institutionnel, Revue des études coopératives mutualistes et associatives, vol. 75, n° 261 ; L. Di Maggio, W.W.Powell, “The Iron Cage Revisited : Institutional Iso-

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canismes de régulations interne et externe qui d’une part permettent de développer un capital social prenant corps notamment par l’implication de bénévoles dans ces entre-prises et d’autre part de construire des espaces de négocia-tions avec les pouvoirs publics. La dimension politique des entreprises sociales est ainsi soulignée.

4. Une reconnaissance législative en Europe.

La définition du concept de “l’entreprise sociale” ne s’ap-puie pas uniquement sur un recensement d’initiatives à tra-vers différents pays ou sur des travaux de chercheurs. Ces pratiques trouvent parfois aussi une reconnaissance en terme législatif. Les coopératives sociales italiennes ont un cadre législatif depuis 1991, et, en 1995, la Belgique a mis en place le statut des sociétés à finalité sociale. Des travaux européens tentent aussi de définir en matière juridique les pré-requis essentiels de l’entreprise sociale.Les coopératives sociales italiennes21

Les coopératives sociales appartiennent au mouvement co-opératif italien.22 L’une des premières coopératives de soli-darité sociale fut lancée en 1966 pour apporter un service à des enfants orphelins. Ce n’est que dix ans plus tard, cepen-dant, que la coopérative en tant qu’entité légale commença à s’élargir et à se renforcer. En fait, jusqu’en 1976, il n’y eut qu’une dizaine de ces coopératives en Italie. Leur nombre commença à augmenter durant les années qui suivirent, morphism and Collective Rationality in Organizational Fields”, Ameri-can Sociological Review, vol. 48, avril 1993.21 Cette partie puise dans les analyses développées dans A. Burruni, L. Gardin, J.L. Laville, avec la collaboration de P. Pezzoti, Les coopéra-tives sociales italiennes, 74 p. Tome VII de Les Initiatives locales en Europe, Bilan économique et social d’initiatives locales de développe-ment et d’emploi en Europe, Paris, CRIDA, étude réalisée pour la Commission des Communautés Européennes, DGV, 1996.22 Cf. Les coopératives de solidarité sociale en Italie, in Développer l’entreprise sociale, Fondation Roi Baudouin, Ouvrage collectif, Bel-gique, 1994, p. 135-139.

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lentement jusqu’en 1980 puis de plus en plus rapidement. En 1996, environ 3.000 coopératives23 sont présentes sur le territoire national. Elles regroupent 75 000 travailleurs, en-viron 120.000 membres, environ 11 000 bénévoles, environ 400 000 usagers, 10 000 personnes défavorisées intégrées professionnellement pour un chiffre d’affaires annuel de 1,2 milliards euros. Leur développement s’est effectué dans une optique écono-mique afin de sortir de la logique de l’économie caritative tout en cherchant à créer de véritables emplois. La construction de l’activité a misé sur des petites structures en capacité de répondre aux besoins des usagers. L’action bénévole, nécessaire mais limitée, a trouvé un nouveau souffle quand elle a fait jonction avec un mouvement coopé-ratif en quête de nouveaux axes de développement en ma-tière de création d’emplois et de réponse aux demandes so-ciales. La coopérative sociale peut être définie comme une coopé-rative qui, constituée librement par un groupe de citoyens sensibilisés par des besoins sociaux particuliers, cherche à fournir les services nécessaires pour répondre à ces be-soins, et cela grâce à l’organisation des ressources hu-maines (travail volontaire et rémunéré) et matérielles (avec des financements privés et publics). L’objectif de la coopérative est de répondre à des besoins au sein de la communauté et, ce faisant, elle devient un ins-trument grâce auquel certaines personnes consolident leur sens des responsabilités. La coopérative de solidarité so-ciale se fixe deux objectifs supplémentaires qui la dis-tinguent des associations et des organismes publics, elle cherche, en même temps, à être une entreprise, et à main-tenir une démocratie interne.

23 Selon C. Borzaga, L’évolution récente de la coopération sociale en Italie - Aspects quantitatifs et qualitatifs, Revue des études coopéra-tives, mutualistes et associatives, n° 266 (76) 4ème trimestre 1997, pp. 55-63 ; pour un bilan complet cf. Consorzio “Gino Mattarelli, Se-condo Rapporto cooperazione sociale, Fondazione Aquelli, Torino, 1997.

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L’ampleur des problèmes d’emploi, le chômage des jeunes obligent le mouvement coopératif à mieux utiliser ses res-sources humaines et financières dans le but d’apporter sa contribution à la définition de nouveaux emplois. Le déve-loppement des services, les nouvelles professionnalités, le décalage accru entre les intérêts des producteurs et des consommateurs conduisent parallèlement la coopération à la recherche de nouvelles organisations plus en phase avec des modèles culturels évolutifs. Avec les coopératives de solidarité sociale s’est réalisé un mixte entre l’approche caritative et la tradition d’aide mu-tuelle engendrant de nouvelles formes d’action sociale. Les sensibilités représentées sont venues s’articuler avec le vé-ritable “troisième secteur” ou “secteur privé social” dont les coopératives constituent un pilier en Italie. De ce fait, les co-opératives de solidarité sociale bénéficient des habitudes de partenariat local déjà en place autour des coopératives exis-tantes. Depuis 1981, les coopératives de solidarité sociale récla-maient une loi nationale réglementant le champ de la soli-darité, le statut coopératif n’étant pas adapté aux particula-rités de ce genre de coopératives. En effet, les coopératives de travail sont en principe destinées à conférer la propriété de l’outil de production à leurs travailleurs. Or les coopéra-tives de solidarité sociale mobilisent une base sociale plus large et hétérogène. L’apport de la loi de 1991, qui a été dé-battue durant presque une décennie avant d’être votée, est de reconnaître la finalité de solidarité propre à ces entre-prises. Ce n’est pas la maximisation des intérêts de ses associés qui est recherchée mais « l’intérêt général de la communau-té pour la promotion humaine et l’intégration sociale des ci-toyens. »24 Les bénéficiaires de l’activité sont avant tout les associés de la communauté locale, ses habitants et plus particulièrement ceux en difficulté25. Cette loi instaure ainsi 24 Cf. Loi du 8 novembre 1991, n. 381, Réglementation des coopéra-tives sociales, Article 1 définition. 25 Cf. C. Borzaga et S. Lepri, Social cooperation : the italian way to nonprofit enterprise, in Well being in Europe strengthening the third sector, Barcelona 27/29 May 1993, p. 9.

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le principe, auparavant réservé aux associations, d’une soli-darité tournée vers son environnement social et institution-nalise ainsi un retour aux fondements du mouvement co-opératif qui s’en était éloigné pour poursuivre des objectifs principalement économiques et financiers.La loi permet dans cet objectif l’inscription statutaire de « membres volontaires qui ont une action bénévole »26. Leur nombre ne doit toutefois pas être supérieur à la moitié du nombre total des associés qui sont donc majoritairement les salariés de la coopérative. L’organisation des entreprises entre salariés et volontaires trouve ainsi un cadre juridique inexistant en France. Le mouvement des coopératives so-ciales et la loi qui vise à les soutenir distinguent deux types de coopératives de solidarité sociale. Leur objectif se réalise « à travers :

a) la gestion des services socio-sanitaires et éducatifs ;b) le déroulement de diverses activités (agricoles, indus-trielles, commerciales ou de services) ayant pour but l’in-sertion dans le monde du travail de personnes défavori-sées. »27

Les coopératives dites de type A gèrent des centres sociaux, des centres d’hébergements, des services d’aide à domicile, d’aide aux personnes âgées… Les coopératives dites de type B, appelées coopératives de solidarité sociale pour l’insertion par le travail, ont une double production qui les rapproche de la définition que l’on donne en France aux entreprises d’insertion par l’écono-mique. Elles réalisent à la fois une production sociale, en fa-vorisant l’intégration de personnes défavorisées sur le mar-ché du travail, et une production économique par leur activi-té agricole, industrielle, artisanale ou de services. La loi prévoit que l’Etat italien peut déroger des normes en terme de marché public en faveur des coopératives so-ciales. Les coopératives de type B sont des instruments éco-nomiques, basés sur une démarche d’entreprise, mais qui s’oblige à intégrer dans ses propres forces de production des personnes désavantagées. C’est ce qui justifie la déro-26 Cf. Loi du 8 novembre 1991, op. cit.27 Cf. Loi du 8 novembre 1991, op. cit.

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gation dans l’accès aux marchés publics. D’un côté, cette dérogation permet une certaine consolidation économique mais d’un autre, elle peut créer une dépendance au secteur public, et en particulier aux collectivités locales.Cette loi a permis de redéfinir et d’organiser ces nouvelles structures s’appuyant sur le public, le marché et les contri-butions volontaires. Elle a surtout contraint l’Etat à réinter-préter son rôle face à ces nouvelles initiatives. Si l’on peut être tenté de parler d’un désengagement de l’Etat, il faut reconnaître qu’en Italie, la construction de l’Etat social n’a été qu’entamée et a ainsi laissé une place importante aux coopératives sociales.La société à finalité so-ciale belgeLe développement d’Associations sans but lucratif (ASBL) ayant des activités commerciales a amené le législateur belge à introduire le statut de Société à finalité sociale (SFS). En effet, « la forme d’ASBL s’accorde bien avec l’ab-sence de recherche de lucre, mais ne permet pas, normale-ment, d’exercer des activités commerciales à titre princi-pal »28 et les sociétés commerciales vouées à l’enrichisse-ment des associés ne permettent pas de répondre aux ob-jectifs de non lucrativité des entreprises sociales. Une réforme apparaissait donc urgente et c’est avec préci-pitation, à la fin d’une législature, que le Parlement a mis en place la SFS. Cette réforme faisait toutefois écho à diffé-rentes propositions provenant de parlementaires et d’entre-prises sociales même si ces projets n’ont pas été entière-ment repris.L’intérêt majeur de la SFS réside dans la possibilité pour une société commerciale de poursuivre un but non lucratif, une finalité sociale. Ce n’est pas une nouvelle forme de société commerciale mais un statut complémentaire accessible à toutes les sociétés commerciales. Toutefois ce statut trans-versal s’adapte particulièrement bien à la forme coopéra-tive. Neuf conditions sont à intégrer dans les statuts de la

28 J. Delespesse, La société à finalité sociale, Solidarité des Alterna-tives Wallones, 1999, p.3

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société commerciale pour qu’elles soient société à finalité sociale, elles peuvent être regroupées en trois pôles29. 1) Le but lucratif est inexistant ou limité. Les associés re-cherchent seulement un bénéfice patrimonial limité, fixé par le Conseil national de la coopération, il est en 1999 de 6 %. Les statuts doivent prévoir qu’après l’apurement de tout le passif et le remboursement de leur mise aux associés, le surplus de liquidation recevra une affectation qui se rap-proche le plus possible du but social de la société. 2) La finalité sociale. Les statuts doivent préciser le ou les buts sociaux poursuivis (en mentionnant que le but principal n’est pas de procurer aux associés un bénéfice) et mention-ner la politique d’affectation des profits éventuels et de constitution des réserves. Un rapport spécial doit justifier chaque année le respect du ou des buts sociaux. 3) L’accès des travailleurs au capital. Chaque membre peut acquérir la qualité d’associé (au plus tard un an après son engagement et s’il jouit de la capacité civile). Au niveau de la démocratie interne, la puissance votale des associés est limitée à 1/10ème des voix attachées aux parts ou actions re-présentées et à 1/20ème quand des travailleurs participent au capital.Ainsi la SFS répond à des enjeux tels que la possibilité d’exercice d’une activité commerciale avec une finalité so-ciale ou la démocratie interne… mais elles présentent des li-mites importantes. Ainsi, lorsque l’on demande à des ex-perts belges si la SFS est la traduction juridique du concept d'entreprise sociale, ils répondent par la négative. Pour eux, « si le législateur a voulu offrir un costume juri-dique aux entreprises qui, tout en ayant une activité com-merciale principale, ont un but non lucratif, ce vêtement n'épouse pas les contours de l'entreprise sociale. Il est trop large par endroit comme lorsque l'absence de définition lé-gale des finalités sociales permet la constitution d'une SFS qui a pour but de promouvoir la pratique du golf. Il est trop étriqué lorsqu'il n'admet pas que le but de la société soit la réduction de la dépense de ses membres (coopératives de consommateurs) ou tout service aux membres (…). De plus, 29 Ibid, p. 23.

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il ne concerne pas les entreprises sociales qui n’ont pas à titre principal des activités commerciales, ces entreprises sont en effet des ASBL.Par ailleurs, (…) il ne permet pas aux entreprises l'ayant adopté de combiner un autofinancement par le marché et des aides publiques venant compenser le service rendu à la collectivité. En effet, aucun avantage venant compenser la finalité sociale de l'entreprise n'est prévu par le texte insti-tuant ce nouveau statut. Par la suite, quelques avantages lui ont été octroyés, mais nombre d'aides publiques tradui-sant un service offert à la collectivité restent réservées aux ASBL. Le statut de sociétés à finalité sociale ne permet dès lors pas d'articuler les pôles marchand et non marchand de l'économie. Le troisième pôle, le non monétaire est lui tota-lement ignoré par la loi alors que la combinaison des trois est une condition nécessaire à la consolidation de l'entre-prise sociale. »30

Une réflexion juridique eu-ropéenneCes réflexions sont issues de l’équipe belge inscrite dans le réseau européen Digestus. Ce réseau31 a mené une re-cherche juridique sur l’entreprise sociale en vue d’une nou-velle législation pour les entreprises sociales en Europe. Ce travail permet de traduire juridiquement les principales ca-ractéristiques de l’entreprise sociale. Quatre points appa-raissent comme une base commune aux pays participants.1) La limitation voire l’interdiction de distribution des profits. Les motivations de cette contrainte sont liées au caractère social de l’entreprise et aux particularités des biens et ser-vices produits par l’entreprise. 2) La démocratie ou la participation. Les entreprises sociales sont des organisations gérées démocratiquement, qui as-surent la participation effective des membres, travailleurs,

30 F. Navez, J.M. Demarche, B. Demonty, Projet Digestus, Rapport Belge, Network for new law on social entreprises in Europe, Juin 1999.31 Cf. F. Caffagi, Pour une nouvelle législation sur les entreprises so-ciales en Europe, Projet Digestus, Fondazione Europa Occupazione, Université de Trento, février 2000.

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volontaires et bénéficiaires à la formation des politiques en-trepreneuriales. Ces participations multiples interrogent le principe “une personne, une voix” quand les parties pre-nantes sont quantitativement déséquilibrées32. En outre les conditions d’exercice de cette démocratie doivent être ap-profondies. 3) Les externalités collectives positives. Les entreprises sont sociales lorsque, à travers leur activité, elles entraînent des avantages à la collectivité à la différence des entreprises capitalistes non orientées vers la production de bénéfice so-cial mais vers celle de profit individuel. 4) La protection des bénéficiaires. Ceux-ci ne doivent pas être approchés uniquement comme de simples consomma-teurs du service mais sont à intégrer dans la direction de l’organisation. Le problème se pose alors de leur absence de participation aux organes dirigeants de l’entreprise et de la nécessité alors que leurs intérêts puissent être défendus soit au sein de l’entreprise soit par la collectivité.

5. L’entreprise sociale en France.

Ces réflexions, législations, pratiques interrogent la réalité française. En France, aucun statut juridique ne reconnaît l’entreprise sociale spécifiquement33. C’est plus un type de fonctionnement qui tend à définir ce concept qu’un statut juridique. Ces initiatives peuvent se reconnaître dans le mouvement de l’économie solidaire qui renouvelle l’écono-mie sociale. Elles peuvent aussi se retrouver dans une ex-tension du champ de la coopération et de l’économie so-ciale. Elles sont aussi parfois entendues comme des entre-

32 Sur ce point, on pourra fort utilement se référer à la contribution de F. Espagne, Les coopératives à but social ou d’intérêt collectif et le multi-sociétariat, Revue des Études Coopératives, Mutualistes et Associatives (RECMA), n° 274, 4ème trimestre (octobre) 1999, qui fait le point sur cette question, en mettant en perspective les ré-flexions françaises avec les exemples de la Belgique, de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal. 33 Les parties 5 et 6 doivent beaucoup à la recherche que nous avons réalisée dans le cadre du projet Digestus, op. cit.

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prises de l’économie classique ayant une mission sociale prononcée.…Les formes juridiques utilisées par ces expé-riences sont principalement associatives, quelquefois mixtes par le couplage entre une association et une filiale ayant le statut de société commerciale, parfois coopératives voire même mutualiste…Dans un premier temps, il faudra aborder les champs d’acti-vités des entreprises sociales et les problèmes de définition qui se posent à un ensemble hétérogène. Puis, nous appro-cherons les causes d’insatisfaction, par rapport à la législa-tion actuelle ; elles sont multiples et parfois transversales aux spécificités des entreprises sociales :

— l’impossibilité d’avoir une organisation ayant un fonc-tionnement de type multistakeholders ;— la difficile réalisation d’une activité économique à partir d’une organisation qui n’a pas pour objet la recherche de lucre (problèmes en terme de fiscalité, d’accusation de concurrence déloyale…) ;— la difficulté d’avoir des capitaux sans poursuivre un ob-jectif lucratif.

Le champ des entreprises sociales en France et ses problèmes de définitionLes initiatives pouvant se reconnaître dans le concept d'en-treprise sociale sont multiples. Ainsi dans son rapport, Alain Lipietz a-t-il pu interroger des représentants de régies de quartier, d'entreprises d'insertion, d'entreprises de travail adapté, d'associations intermédiaires, d'associations d'aide à domicile, de centres d'hébergement et de réadaptation sociale, de systèmes d'échanges locaux, de coopératives, de mutuelles ; et l'on pourrait encore ajouter à cette liste les services de proximité, les crèches parentales, les associa-tions de tourisme…  et la liste ne serait certainement pas close.A l'instar de la différenciation faite en Italie au sein des co-opératives sociales, on peut distinguer en France :

— les entreprises sociales d'insertion par l'économique ;— les entreprises sociales produisant des biens et services ayant une utilité sociale ou collective.

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Les entreprises sociales d'insertion (Entreprises d'insertion, Associations intermédiaires, Régies de quartier…) ont été progressivement reconnues en France depuis le milieu des années 80. Malgré des fonctionnements et des réseaux dif-férents, l'appellation « structure d'insertion par l'activité économique » est apparue et tente d'unifier sous une même appellation des pratiques diverses. La caractérisation d'or-ganisme ayant une activité d'insertion est liée au public em-ployé. Selon l'article L.322.4.16 I. du Code du travail : «  L'in-sertion par l'activité économique a pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés so-ciales et professionnelles particulières, de bénéficier de contrats de travail en vue de faciliter leur insertion sociale et professionnelle ».Les entreprises sociales, finalisées à la production de biens et de services d'intérêt collectif, présentent un ensemble beaucoup plus vaste. Il faut distinguer les services indivi-duels ayant une utilité quasi-collective qui réalisent le plus souvent des activités à fort contenu relationnel (aide à do-micile, garde d'enfants…) des services collectifs (environne-ment, revalorisation des espaces publics urbains…). Pour les services individuels ayant une utilité quasi-collective, des reconnaissances juridiques spécifiques existent (associa-tions des services aux personnes…). Pour les services col-lectifs, en revanche, il n'existe pas de reconnaissance juri-dique spécifique, et le plus souvent leur utilité collective n'est reconnue que par leur activité d'insertion par l'écono-mique. Au niveau des services aux personnes, les structures sont en général associatives. Mais le gré à gré a été fortement encouragé, et les entreprises peuvent maintenant réaliser des tâches ménagères ou familiales, dans les mêmes condi-tions que les associations prestataires sauf en ce qui concerne le régime socio-fiscal.La définition d’« activité d'utilité sociale ou collective » est plus problématique que celle d'« activité d'insertion ». Pour les services aux personnes, des agréments « simple » ou « qualité » sont délivrés par l'administration pour les activi-tés se réalisant au domicile des personnes aidées, avec une liste d'activités suivant le type d'agréments. Pour les ser-

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vices collectifs, une liste d'activités sur lesquelles peuvent exercer les emplois jeunes a été définie par les pouvoirs pu-blics dans le cadre du programme "Nouveaux emplois, nou-veaux services". Certaines activités ne sont pas spécifique-ment reconnues d'utilité sociale, mais le sont par la possibi-lité qu'elles ont d'utiliser des personnes en Contrat emploi solidarité. D'autres activités sociales font l'objet de nom-breux agréments spécifiques (foyer d'hébergement, travail social…).Les régies de quartier font un peu figure d'exception puisque l'on tend à reconnaître et leur activité d'insertion par l'économique, et l'utilité sociale des services collectifs qu'elles rendent. Au niveau des insatisfactions, pour les en-treprises sociales d'insertion, le cantonnement sur certaines activités est critiqué pour certaines formes (associations in-termédiaires). Pour les entreprises sociales de production de bien et services ayant une utilité collective, le problème central tient en la reconnaissance par les pouvoirs publics de cette utilité collective. Le plus souvent ces initiatives sont contraintes d'utiliser des mesures d'aide à l'emploi et de traitement du chômage pour que leur activité puisse être caractérisée comme ayant une utilité collective. Ceci en-traîne une confusion avec les entreprises sociales d'inser-tion. L’organisation “multi-sta-keholders”Aucune forme juridique aujourd'hui ne permet, en France, l'adoption du modèle multistakeholders. Or, cinq types d'acteurs paraissent pouvoir être "parties prenantes" des organes dirigeants des entreprises sociales : les consommateurs ou usagers du service ; les travailleurs ; les bénévoles ; les représentants de la collectivité publique ; les apporteurs de capitaux. En terme d'idéal type, les sta-tuts cloisonnent les possibilités de participation multiple de ces acteurs au pouvoir de ces organisations.

Type d’acteursIdéaux types

Consom-mateurs

Bénévoles Tra-vailleurs

Collectivité publique

Apporteurs de capi-

tauxAssociation oui oui non non non

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Coop de consom-mateurs

oui non non non non

Scop non non oui non nonSociété d’économie mixte

non non non oui oui

Société commerciale non non non non ouiSi la législation actuelle et les pratiques offrent, de plus en plus, des possibilités de participation de différents types d'acteurs (possibilité d'apport de capitaux extérieurs dans les coopératives, participation des collectivités locales au fonctionnement d'association, dispositions pour la participa-tion des travailleurs dans les sociétés commerciales ou as-sociations…), les caractéristiques typiques demeurent et aucune forme juridique ne permet la participation de plu-sieurs parties prenantes. La limite la plus souvent soulignée tient d'une part à l'ab-sence de direction conjointe possible entre usagers, salariés et bénévoles (exemple des coopératives sociales italiennes, non prévu dans la législation française) et d'autre part à l'impossibilité d'associer bénévoles et apporteurs de capi-taux (la présence de ces deux acteurs peut paraître une an-tinomie, l'un caractérisant la gestion désintéressée et l'autre la gestion intéressée). Si des montages juridiques sont toujours possibles (entre une coopérative et une asso-ciation ou entre une association et une société commer-ciale, voire à partir d'union d'économie sociale), la législa-tion actuelle ne reconnaît pas ces pluralités d'engagements à travers un statut ad hoc.Les pratiques des entreprises sociales interrogent ces li-mites et encore une fois le dépassement de ces cloisonne-ments peut prendre des directions multiples (ouverture des associations à une participation plus importante de salariés, possibilité de combiner, dans les coopératives, la présence de travailleurs et bénévoles…). Les statuts des Régies de quartier sont à cet égard particulièrement intéressants. Ils permettent un fonctionnement tripartite intégrant les com-manditaires de travaux (bailleurs sociaux), la collectivité lo-cale et les habitants. Toutefois, dans leur administration, les salariés ne sont pas représentés en tant que tels, mais font partie du groupe des habitants.

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Au niveau du pouvoir des salariés, les pratiques des entre-prises que l'on peut qualifier de sociales ne sont pas toutes tournées vers une dimension "multistakeholders". Ainsi, pour les Associations Intermédiaires, l'agrément ne peut être obtenu si l'association n'est pas administrée par des personnes bénévoles qui, par elles-mêmes ou par personne interposée, n'ont aucun intérêt direct ou indirect dans les activités de l'association ou ses résultats. Plus généralement, les pratiques du monde associatif li-mitent la participation des salariés à leur administration. Dans la pratique, cette limitation est souvent supérieure à celle imposée par des contraintes juridiques ou fiscales. De même si dans les associations, l'usager peut être partie pre-nante de l'administration de l'association, sa place peut être fortement limitée par le poids des bénévoles ou des institu-tions publiques. La question qui se pose aujourd'hui est surtout de pouvoir expérimenter des formes d'organisations tripartites ou bi-partites en associant salariés, usagers et bénévoles. La prise de pouvoir des usagers est une condition minimale du fonctionnement d'organisation ayant une activité sociale et il convient de préciser son implication dans la direction de ces organisations. Pourtant, il ne suffit pas d'édicter des règles pour que celles-ci produisent de véritables fonction-nements démocratiques. L'exemple du mouvement mutua-liste est souvent mentionné comme présentant un type de fonctionnement basé sur la démocratie des usagers qui dans les faits se traduit plus par un positionnement en tant que clients des mutualistes. Les associations quant à elles, même si elles offrent des possibilités de fonctionnement dé-mocratique avec les bénévoles et les usagers, peuvent être soumises à des fonctionnements autocratiques ou notabi-liaires, limitant une démocratie véritable. La participation démocratique de l'usager n'est pas toujours envisagée dans les entreprises sociales. Ainsi dans les en-treprises d'insertion, si, a priori, rien ne prohibe la double qualité de la personne en insertion, salariée et associée de la structure, la durée limitée de son passage dans l'entre-prise interroge la possibilité de fonctionnement de celle-ci sous forme de coopérative de travailleurs.

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Comment définir le pouvoir au sein des entreprises so-ciales ? Quel peut être le pouvoir de chacun des types d'ac-teurs ? Faut-il imaginer des systèmes de collèges ? Le pou-voir de certains acteurs ne risque-t-il pas "d'écraser" celui d'autres ? Ces différents questionnements doivent aujour-d'hui, en France, faire l'objet d'expérimentations. C'est dans cette démarche que s'est engagée la CGSCOP (Confédéra-tion Générale des Sociétés Coopératives de Production). Dans un modèle multistakeholders, on doit veiller à l'équi-libre des pouvoirs entre usagers, salariés, bénévoles. Avant d'édicter des conditions minimales ou maximales de fonc-tionnement démocratique, il importe de pouvoir expérimen-ter ce modèle peu utilisé en France et de lever les blocages qui se posent à ces types de fonctionnement. Des avantages spécifiques liés à la finalité sociale : reconnaissance de la mixi-té des ressourcesSur les ressources mobilisées dans le cadre de la redistribu-tion, on note un fort financement des entreprises sociales à partir des aides à l'emploi ou à l'insertion. Ce mode de fonc-tionnement économique apparaît logique pour les entre-prises sociales poursuivant des objectifs d'insertion. Pour celles qui ont l'objectif de fournir des biens et services ayant une utilité sociale, il est inadapté voire dangereux car il stig-matise les travailleurs, occulte la spécificité des services fournis et empêche leur reconnaissance.Passer d'une logique de subvention de l'emploi à une lo-gique de soutien aux activités est un enjeu capital en France. Cette évolution demande aussi de s'interroger sur les modes de financement de ces activités et les rapports entre entreprises sociales et pouvoirs publics. Une attribu-tion de ressources à partir de convention et non de subven-tion doit permettre la mise en place de négociations entre les entreprises sociales et leurs réseaux d'une part, et les pouvoirs publics d'autre part.La forme coopérative ne permet pas d'accéder à nombre de financements publics et de dérogations fiscales uniquement destinés aux associations. Cette situation contraint des

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groupes de travailleurs à utiliser le statut d'association alors qu'ils se situent plus dans une dynamique de coopérative. Une législation sur les entreprises sociales demande donc de s'intéresser aux rapports qu'elles développent avec ces différents pôles marchands et réciprocitaires. Quels peuvent être les avantages accordés par la collectivité aux entre-prises sociales et suivant quels critères ?  Doit-on avoir un type d'aides lié aux personnes accueillies en insertion, aux activités développées ? Ceci demande aussi de s'interroger sur les modalités d'inscription dans le marché de ces entre-prises et sur les questions de concurrence avec les autres formes d'organisations économiques. Comment avancer sur la question du statut du bénévolat ? et favoriser son déve-loppement ?

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6. Les propositions de réformes législatives pour une reconnais-

sance de l’entreprise sociale.

L’idée “d’un statut d’entreprise à but social” a été levée en France à partir de la mission confiée à Alain Lipietz, par la Ministre de l’emploi et de la solidarité, pour examiner son opportunité. Les pistes de travail de son rapport d’étape présentaient deux stratégies :

« — créer la bonne structure ;— améliorer ce qui existe de façon à créer une continuité de statuts et de singularités fiscales au sein d’un vaste ensemble du “Tiers Secteur”. »34

Avec le rapport final, c’est cette seconde voie qui est confor-tée en formulant les axes « pour une loi-cadre de l’économie sociale et solidaire »35.

Pour une loi-cadre de l’économie sociale et solidaire.Les propositions de Lipietz porte sur une loi-cadre qui viendrait constituer « un label parapluie » du secteur de l’Economie sociale et solidaire qui disposerait de « sin-gularités fiscales et réglementaires ». Les points levés pour cette loi-cadre sont :— définition d’un label d’utilité sociale et solidaire ;— attribution du label, contrôle du label ;— adaptation des statuts de l’économie sociale (coopératives, associations, passage d’une forme à l’autre) ;— mesures fiscales ;— droit du travail (pas de dérogation aux droits du travailleur mais modifica-tions portant sur les exonérations de charges sociales) ;— financement des fonds propres ;— systèmes d’échange locaux— appels d’offre, participation des collectivités locales dans les organisa-tions ;— statuts des bénévoles, élus et mandataires ;— plan d’intégration des emplois-jeunes ;…Cf. A. LIPIETZ, L’opportunité d’un nouveau type de société à vocation sociale, Rapport final, 2 tomes, Octobre 2000, Tome I, pages 101 à 119.

34 A. Lipietz, op. cit, Rapport d’étape, p. 38.35 A. Lipietz, op. cit, Rapport final, pages 101.

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Toutefois tant dans le champ de la coopération que dans ce-lui de l’association des limites apparaissent et demandent sans créer « la bonne structure », d’améliorer l’existant et de légiférer dans ce sens par des textes qui n’attendront peut-être pas une loi-cadre.

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Améliorer les structures Le problème de la constitution d’un capital et de la réalisa - tion d’activités commerciales pour les associations Le difficile accès au capital amène des associations à quitter le champ des statuts de l’économie sociale lorsqu’elles veulent constituer un capital. Elles se transforment alors le plus souvent en Société à responsabilité limitée avec comme actionnaire l’association mère. C’est cette stratégie qu’ont adoptée nombres d’entreprises d’insertion36. Cette utilisation de statut commercial ne traduit pas pleine-ment la volonté de ces structures de marier démarche en-trepreneuriale et objectifs sociaux et peut entraîner l’éloi-gnement voire l’arrêt de cette finalité pour entrer unique-ment dans une démarche économique au service non plus de la collectivité, des usagers ou même des salariés mais des actionnaires. Ce cheminement vers des statuts com-merciaux peut aussi être lié à la nécessité pour ces struc-tures de trouver des capitaux pour investir. Malgré certaines mesures (comme les prises de participation par des titres associatifs), l’insuffisance de capitaux pour le fonctionne-ment des associations est aussi une cause de leur éloigne-ment du concept d’entreprise sociale. Légiférer pour les entreprises sociales ayant une forme as-sociative, la capacité et la nécessité de se constituer un ca-pital social pourrait être un moyen de dépasser ce pro-blème. Selon Lipietz, les associations auraient accès au fi-nancement par le capital communautaire (CIGALE) ou autre système de fonds à collecte locale et à rémunération limitée (un CODEVI communautaire ?). Il faudrait développer le fi-nancement par fondations privées (sans rémunération, mais avantages fiscaux pour l’abondement de ces fonds) ; le rôle de la CDC (Caisse des dépôts et consignations) devrait éga-lement être envisagé. Par ailleurs, si la réalisation de bénéfices réinjectés dans le capital social de l’association n’est pas interdite, les finan-

36 Cf. Projet associatif et statut commercial de l’entreprise d’insertion, Guide méthodologique à l’usage des entreprises d’insertion, CNEI, 1995.

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ceurs ont tendance à bloquer la réalisation de cette poli-tique en limitant leur financement à l’association en cas de bénéfice. Cette tendance limite les capacités d’investisse-ment et aussi l’autonomie de ces organisations. Enfin, la législation fiscale freine les possibilités pour les as-sociations de bénéficier d’avantages fiscaux quand elle réa-lise une activité commerciale même en poursuivant une fi-nalité sociale. Elles se voient d’autre part interdire par cette même instruction fiscale une représentation significative de leurs salariés dans leur Conseil d’administration. Le statut de coopérative offre des moyens de répondre à ces difficultés à travers des possibilités de prise de partici-pation financière par d’autres structures de l’économie so-ciale, mais il ne permet pas à de plusieurs parties prenantes de s’investir dans leur direction.

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Le fonctionnement multistakeholders et la loi de 1947 sur les coopérativesMême si les interprétations ont pu diverger, la reconnais-sance d’organisations ayant un fonctionnement multistake-holders demande, une réforme législative de la loi de 1947 sur les coopératives. La CGSCOP37 a entamé une réflexion sur la conceptualisation d'une forme particulière de société coopérative dite " d'inté-rêt collectif " (SCIC), dont l'objet serait de répondre à des besoins collectifs insatisfaits par la production de biens et services (et/ ou éventuellement insérer des publics en diffi-culté dans le marché du travail). Son capital (variable) ne pourrait être inférieur à 25 000 F. Y pourraient être asso-ciés : les salariés (sous certaines conditions ; par ex. après un an de présence) ; les usagers (éventuellement regroupés dans une association d'usagers) ; des tiers choisis pour leurs contributions à la société et pour leur capacité à intervenir à bon escient dans le cas d'un conflit salariés-usagers. Les as-sociés retrayants n'auraient droit qu'au remboursement du montant nominal de leurs parts ; en cas d'excédents de ges-tion, les intérêts distribués aux parts sociales ne pourraient être supérieurs au taux de rendement des obligations émises au cours du second semestre de l'exercice et une part des bénéfices pourrait être ristournée aux salariés (part travail) ainsi qu'aux usagers (ristourne en fonction des opé-rations réalisées avec celui-ci).  15 % des bénéfices seraient affectés à la réserve légale et le solde à une réserve statu-taire. Les réserves légale et statutaire seraient imparta-geables et ne pourraient être distribuées. Il en découlerait que les statuts pourraient prévoir qu'en cas de dissolution, les actifs nets de la SCIC seraient dévolus à une collectivité locale ou à une autre SCIC. Les règles de fonctionnement interne de la SCIC sont pré-sentées en ces termes : l'assemblée générale se compose-rait de tous les associés. En son sein, soit ceux-ci dispose-raient chacun d'un droit de vote avec une voix quel que soit le nombre d'actions détenues ; soit, pour équilibrer les pou-37 Les sociétés coopératives d’intérêt collectif, document prépara-toire, CGSCOP, 24 avril 1999.

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voirs et faciliter la gestion de l'entreprise, les associés se-raient organisés en sections, avec par exemple, une section des « militants bénévoles » , une section des salariés, une section des usagers, une section des tiers (par ex. un office HLM ; une Société d'économie mixte, une fédération d'asso-ciations...). Chaque section disposerait d'une voix ; les élec-tions des représentants de chaque section se faisant au sein de celles-ci sur la base d'un associé = une voix. Il pourrait être également prévu que des personnes physiques ou mo-rales aient un droit de vote direct. Cette possibilité reste à valider. Il en va de même pour celle ayant trait à l'organisa-tion des associés en sections disposant chacune d'une voix. Il apparaît que la reconnaissance légale de la SCIC ne pour-ra pas se faire uniquement à partir d’interprétation de la loi 1947 et l’introduction (voire la modification) d’articles dans cette loi seront nécessaires. Un projet de loi relatif à la créa-tion d’une société coopérative d’intérêt collectif est en cours d’élaboration et pourrait ne pas attendre une loi-cadre pour être présenté à l’Assemblée nationale.

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L’accès aux aides publiques pour les coopératives Si cet obstacle est levé, il faut aussi relever que le caractère commercial de la SCOP lui empêche d'accéder à certaines mesures pour l'emploi qui visent à couvrir de nouveaux be-soins ou des activités émergeantes (emplois-jeunes), de bé-néficier d'avantages identiques à ceux d'associations (ser-vices aux personnes), de recevoir des aides publiques pour la réalisation d'activités ayant une utilité collective. Création d’un « tiers sec-teur d’économie sociale et solidaire »On ne s'oriente pas vers un modèle exclusif d'organisation de l'entreprise sociale, mais vers une amélioration des sta-tuts juridiques dans lesquels se moulent généralement les initiatives à finalité sociale. Pour chapeauter l'ensemble de ces formes, serait élaboré un label commun d'entreprise à but social accordant des exonérations fiscales en contrepar-tie de conditions quant aux missions assumées par les diffé-rentes structures (ou groupes de structures) intervenant dans le champ de l'économie sociale et solidaire.L'utilisation d'un seul modèle d'organisation demanderait trop de bouleversements et entraînerait immanquablement des tirs de barrage des différentes expériences pouvant se reconnaître dans le concept d'entreprise sociale. La défini-tion d'un label avec des critères d'inclusion et d'exclusion est la voie qui semble retenue aujourd'hui. La définition de ces critères est un axe de travail essentiel. Des pistes ont été ouvertes :

— non lucrativité mais possibilité de partage plafonné des bénéfices entre associés ;— réalisation d'activité d'insertion et/ou d'activité ayant une utilité sociale ;— le fonctionnement démocratique est souvent signalé comme un critère, mais jusqu'où peut aller le législateur dans cette exigence démocratique (la gestion des usa-gers, des salariés, des bénévoles doit-elle être conjointe, séparée ?).

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Pour la reconnaissance de l'utilité collective des services, le rapport Lipietz suggère, après consultation des acteurs in-tervenant dans le champ de l'Economie sociale et soli-daire ", de s'orienter vers l'élaboration d'une loi-cadre. Cette loi-cadre aurait d'abord pour objet d'organiser le secteur en faisant sauter les cloisons et dysfonctionnements, à partir des blocages constatés, tout en conservant la diversité des structures. En effet, le rapport note que les structures di-verses du secteur, relevant de réglementations disparates, rencontrent des limites statutaires quant à l'accès au finan-cement, aux singularités fiscales, aux règles de pouvoir in-ternes, lesquelles varient d'un statut à l'autre de façon par-fois erratique et contre-productive. Mais une telle démarche demande de mieux approcher l'uti-lité sociale produite par les entreprises sociales de ce Tiers secteur. On l'a vu, celle-ci n'est pas aisée. La définition à partir des handicaps des personnes embauchées stigma-tisent ces personnes et d'une certaine manière les activités qu'elles réalisent. Mais elle permet de privilégier l'emploi de ces personnes. La définition par liste d'activités parvient difficilement à être exhaustive et peut bloquer l'innovation. Mais elle permet d'offrir un cadre stable à ces services. L'ab-sence de définition par liste d'activités laisse la place à l'ar-bitraire et aux interprétations différentes suivant les zones géographiques. La construction d'un dialogue local autour de la définition de ces activités d'utilité sociale peut appa-raître idéale, mais elle a des difficultés à se concrétiser et peut entraîner des temps de négociations coûteux et des disparités fortes. Une meilleure reconnaissance des réseaux d'initiatives par les pouvoirs publics est certainement à re-chercher pour la définition de ces activités. Mais ces groupe-ments n'existent pas dans tous les domaines et quand ils existent peuvent sur un secteur peuvent ne pas être à l'écoute des nouvelles expériences.Place des réseaux et des pou-voirs publics dans la définition de l’entreprise socialeLe secteur d'utilité sociale a vocation à bénéficier de déro-gations fiscales ou sociales et de subventions publiques pour compenser les bénéfices qu'il produit pour la collectivi-

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té. Dès lors, se pose la question de savoir quels rapports doivent s'instaurer entre les pouvoirs publics et les entre-prises sociales, voire les réseaux les regroupant. Plusieurs modèles existants en ce domaine s'offrent à notre réflexion. Citons en quatre à titre d'exemples.Celui de l'agrément ou du conventionnement octroyé par l'autorité administrative habilitée au terme d'une procédure ayant pour objet de vérifier que la structure remplit bien les conditions pour l'obtenir. L'agrément peut être suspendu ou retiré lorsque cette structure ne respecte plus les obliga-tions requises. Le refus d'agrément, sa suspension ou son retrait empêchent l'organisme concerné de pouvoir se livrer à une activité précise, de remplir son objet et/ou de bénéfi-cier de certains avantages, selon le cas. Il en est actuelle-ment ainsi, par exemple des associations intermédiaires, des associations prestataires de services, des entreprises d'insertion ou encore des associations mandataires.Celui de l'inscription sur une liste établie par l'autorité pu-blique selon une procédure prévoyant la consultation obliga-toire préalable du réseau rassemblant les entreprises ins-crites sur cette liste. L'instruction du dossier a pour but de vérifier que l'entreprise qui sollicite l'inscription, fonctionne conformément aux dispositions impératives de la loi régis-sant cette catégorie d'organismes. Tel est le cas des coopé-ratives qui souhaitent obtenir le statut de SCOP. En outre, la SCOP encourt la nullité ou la radiation de son inscription si elle ne communique pas chaque année au ministère chargé du Travail certaines informations concernant son activité et, tous les cinq ans (ou tous les ans dans les SCOP SARL sans commissaire aux comptes), le rapport de révision coopéra-tive. La révision coopérative, menée par un réviseur agréé, porte sur le respect des principes coopératifs, le bilan co-opératif, le contrôle de la gestion, et la comparaison analy-tique des résultats économiques et financiers avec d'autres entreprises comparables.Celui de l'association déclarée dont la constitution exige une simple déclaration à la préfecture et une insertion d'un ex-trait de cette déclaration au Journal officiel, sans aucune in-tervention préalable de l'autorité administrative quant à sa validité. Le contrôle des pouvoirs publics portant, durant la

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vie de l'association, sur le caractère désintéressé de la ges-tion de l'organisme et sur l'utilisation des fonds publics conformément au but pour lequel ils lui ont été octroyés.Celui du réseau des Régies de quartier. Ici, c'est le Comité national de liaison des Régies de quartier (CNLRQ) qui auto-rise telle association à utiliser le label « Régie de quar-tier » déposé par lui à l'Institut National de la Propriété In-dustrielle (INPI). L'appellation « Régie de quartier » est déli-vrée par le réseau lui-même par référence à la Charte adop-tée en 1991, et non par rapport à des circulaires administra-tives ou à des textes de loi. Ce dernier modèle étant couplé avec celui qui prévaut pour les associations simplement dé-clarées.Le rapport Lipietz signale qu'il pourrait « être utile que la loi cadre organise à la fois “le secteur” et en son sein un statut d'Entreprise à but social type, un peu comme le “mouve-ment HLM” autorisait la coexistence de divers statuts (SA, Coopératives, SEM…) autour d'un statut type (l'OPHLM), avec, pour l'ensemble, des “singularités de financement” couplées à une mission sociale… ».L'on peut se demander si le contrôle des pouvoirs publics ne devrait pas être renforcé lorsque les capacités de réalisation d'une démocratie interne sont faibles et plus particulière-ment quand les usagers ne peuvent participer au fonction-nement démocratique de l'entreprise sociale.

7. Conclusion

En résumé conclusif, plusieurs points nous paraissent cru-ciaux pour une législation sur les entreprises sociales en France.L'entreprise sociale transcende le découpage français entre la réalisation d'activité économique (conçue comme devant être réalisée par le secteur à but lucratif) et la finalité so-ciale de l'entreprise sociale (qui tranche avec celle lucrative des organismes sensés réaliser une activité économique). Les problèmes qui se posent actuellement à la reconnais-sance d'un secteur d'économie sociale et solidaire sont in-

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contestablement liés à ce cloisonnement et à ses effets par rapport à la fiscalité, à la possibilité d'avoir des capitaux, de recourir à des financements publics, aux questions de concurrence…La question du fonctionnement démocratique de l'entreprise sociale est à notre avis un second enjeu particulièrement important. L'organisation multistakeholders est peu utilisée en France. Au-delà des problèmes juridiques qui se posent38, il est important de laisser les expérimentations se réaliser pour saisir pleinement les réformes législatives à adopter. Ainsi, la place des collectivités locales dans ce type d'orga-nisation est encore à expérimenter, de même on ne connaît pas encore suffisamment les possibilités de partage de pou-voir entre salariés, bénévoles, et usagers au sein de ces or-ganisations. Mais vouloir engager l'expérimentation avant les réformes législatives demande à l'administration fran-çaise une capacité et une volonté qui n'existent peut-être pas aujourd’hui. Enfin, en même temps que s’établissent, avec le rapport Li-pietz, les points centraux d’une reconnaissance législative de l’économie sociale et solidaire, le décloisonnement entre les réseaux est incontournable. Les concepts utilisés suivant les réseaux (de l’économie sociale ou de l’économie soli-daire) dénotent des points de vue qui ne semblent pas en-core avoir faire assez l’objet de confrontations même si des avancées apparaissent. Les Consultations régionales de l’économie sociale et solidaire ont commencé à répondre à cet enjeu. Les Rencontres européennes des acteurs de l’économie sociale et de l’économie solidaire ont été un nou-veau moyen pour rapprocher les initiatives. Enfin, des co-opérations bilatérales et inter-réseaux se sont mises en place en cherchant à avancer dans la réflexion sur la problé-matique de l’économie solidaire et pour développer des ex-périmentations locales39.

38 Cf. Conseil supérieur de la Coopération, Le statut coopératif : sup-port de l’entreprise à but social, 26 mars 1999. Et la note : Point de vue de la Confédération Générale des Scop Comment créer une structure multi-partenariale en France. 39 Cf. Travaux de la CGSCOP, du Collectif Entreprendre ensemble, de l’Inter-réseaux Economie Solidaire…

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Ces rapprochements sont le moyen d’affiner les préconisa-tions pour des évolutions législatives mais aussi de resserrer les liens entre les différents réseaux et acteurs. Ces rappro-chements doivent permettre de construire une définition et un label de l’Economie sociale et solidaire qui ne résulte pas uniquement de l’administration mais avant tout des acteurs de ce champ.

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Laurent Gardin.

Développer les services

aux personnes.

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Notes de l'Institut Karl Polanyi, 2000.

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Développer les services aux personnes

Sommaire

Introduction........................................................................................... 76

1. Une mise en place contrariée.............................................................78

Une réflexion datant du début des années 80........................................................78

Le chèque emploi-service, un “ersatz”.................................................................80

Les avancées du Titre emploi-service...................................................................82

2. Limites du Titre emploi-service.........................................................84

Une utilisation en augmentation mais encore restreinte.......................................84

Etat des lieux dans les entreprises déjà engagées.................................................86

Des domaines d’activités non couverts.................................................................87

La limitation des tiers-payeurs.............................................................................87

La structuration et la connaissance de l’offre de services.....................................89

3. Pour un développement de la demande et de l’offre...........................90

Pour une solvabilisation large et équitable de la demande...................................91Accroître la solvabilisation dans les entreprises.....................................................................................91Elargissement des usagers et tiers payeurs.............................................................................................92L’élargissement des services couverts...................................................................................................93Du titre emploi-service au “ticket-services”..........................................................................................93

Pour une offre de qualité...................................................................................... 94La construction conjointe de l’offre et de la demande............................................................................95La professionnalisation de l’offre..........................................................................................................97

Conclusion.............................................................................................98

Annexe : tableau synthétique des dispositifs et propositions de solv-abilisation de la demande.....................................................................100

Pour aller plus loin…...........................................................................102

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Introduction

Cette note1 a pour objet de proposer des éléments de ré-flexion sur les possibilités de développement des services aux personnes, en particulier à travers leurs formes de sol-vabilisation. Il s’agit, à travers un historique de cette ques-tion, de fournir des repères susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la situation présente et d’ali-menter ainsi le débat sur les choix possibles pour l’avenir. En somme, la rétrospective est utilisée pour préparer la prospective.Une première partie montrera comment le dispositif du titre emploi-service, qui a trouvé un cadre juridique en 1996, fait 1. Cette note s’appuie sur les travaux (recherches, évaluations, études de cas…) réalisés par le CRIDA dans le champ des services de proximité. Les enseignements de l’évaluation de l’expérimentation menée par l’Association Bretagne Chèque Domicile (L. GARDIN, M.-F. GOUNOUF, Du développement du titre emploi-service à la structura-tion des services aux particuliers, recherche réalisée ABCD avec un financement du Ministère de l’emploi et des affaires sociales, Paris : CRIDA-LSCI / CNRS, janvier 1999, 83 pp.) et l’analyse des conditions de solvabilisation des services de proximité réalisée dans le cadre des travaux des Assises Régionales du Nord-Pas de Calais (C. DU TERTRE, J.-L. LAVILLE pour les Assises Régionales du Nord-Pas de Ca-lais, Solvabiliser la demande de services de proximité : le cas des services aux personnes, IRIS-Université Paris-Dauphine, ATEMI, CRI-DA-LSCI / CNRS, décembre 1997, ronéo, 17 pp.) sont notamment mo-bilisés ici. Voir aussi B. EME , avec la collaboration de J.-L. LAVILLE , Création d'emplois et processus d'insertion dans les services de proximité, Paris, CRIDA-LSCI / CNRS, 1987 ; B. EME, J.-L. LAVILLE, Les petits boulots en questions, Paris : Syros-Alternatives, 1988. J.-L. LA-VILLE (sous la direction) avec la collaboration de R. DUHM, B. EME, S. GHERARDI, R. MAC FARLANE, A. THOMAS, Les services de proximité en Europe (Préface de J.-B. De FOUCAULD), Paris : Syros-Alternatives, 1992 ; J.-L. LAVILLE, J.-F. MARCHAT, Services de proximité et dévelop-pement social urbain, Paris, CRIDA-LSCI / CNRS, Plan Construction Ar-chitecture, 1995 ; J.L. LAVILLE, L. GARDIN, Les services de proximité : un choix de société. Paris, CRIDA-LSCI / CNRS, 1996. L. GARDIN, J.-L. LAVILLE (sous la direction de), Les Initiatives locales en Europe, Bilan économique et social d’initiatives locales de développement et d’em-ploi en Europe, Paris : CRIDA-LSCI / CNRS, étude réalisée pour la Commission des Communautés Européennes, DGV, 1996.

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suite à des réflexions entamées au début des années 80 et à la constitution du chèque emploi-service en 1993 dont il se démarque par certaines avancées. Les limites qui se posent au développement du titre emploi-service seront analysées, dans un second temps, en soulignant les activi-tés comme les utilisateurs potentiels que le titre emploi-ser-vice ne permet pas de toucher. Enfin, les facteurs qui per-mettraient de mieux inscrire cette mesure dans une pers-pective de développement des services tant au niveau de la solvabilisation de la demande que de la structuration de l’offre seront mis en évidence.

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1. Une mise en place contrariée.

Une réflexion datant du début des années 80.La réflexion sur un outil de solvabilisation des services de proximité trouve son fondement dans deux archétypes, le titre-restaurant et le chèque-vacances - apparus le premier dans les années 1960, le second en 1982-83. “ L’idée d’un chèque-services qui n’agirait pas seulement pour l’amélio-ration de la qualité de vie, l’harmonie des relations du tra-vail ou la justice sociale, mais aussi et d’abord pour la créa-tion d’emplois par le développement d’activités nouvelles, est apparue vers 1983. ”2 Deux notes datées de la rentrée 1982 et émises par le Ser-vice des affaires sociales portent elles aussi sur l’idée de constitution d’une monnaie secondaire3. La réflexion part du constat que “ toute tentative de relance keynésienne (glo-bale) se heurte désormais non seulement à un regain d’in-flation (qui a toutefois bien d’autres causes que la relance elle-même) mais aussi et surtout à un déséquilibre immé-diat du commerce extérieur ”. Afin que “ des effets beau-coup plus faibles sur la balance commerciale, aient des ef-fets beaucoup plus forts sur l’activité intérieure et l’em-ploi ”, le projet vise à créer une demande additionnelle qui se porterait vers les services. “ Pour développer une poli-tique de relance sélective par les services ”, il s’agirait de construire une “banque des services” qui injecterait dans 2. Cf. M. GASPARD, Chèque-services et création d’emplois : l’efficaci-té, à quelles conditions ? Contribution à la journée de travail sur le chèque-services, CJDES, 27 octobre 1993.3. Cf. Pour dépasser le dilemme chômage/inflation-déficit extérieur : une monnaie secondaire pour les échanges de service ? (Élucubra-tions de vacances), Émetteur : Michel GASPARD, destinataires : H. PREVOT, J. MAURICE, D. STRAUSS-KAHN, M.-T. JOIN-LAMBERT, M. AMOUYEL, Service des affaires sociales, 19 août 1982. Élucubrations sur la monnaie secondaire (suite), Émetteur : M. GASPARD, destina-taire : Y. ULLMO, Copies : H. PREVOT, J. MARTEL, D. STRAUSS-KAHN, P. AMOUYEL, P. SOULARD, M.-T. JOIN-LAMBERT, Service des affaires sociales, 13 septembre 1982.

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l’économie des moyens de paiement “secondaires”. Sans entrer dans le détail de cette monnaie secondaire, les ré-flexions de l’époque tournent autour de la création d’em-plois à partir de considérations macro-économiques. D’après l’auteur de ces notes, “ cette idée a été avancée et débattue formellement en 1983 au Commissariat général du Plan, sans être alors considérée autrement que comme une aimable utopie. Elle a été reprise (avec une très grande discrétion) dans quelques rapports officiels publiés ou non, entre 1984 et 1988, consacrés aux services et à la politique de l’emploi. Sa promotion a connu un temps fort en 1987-88 avec la publication de plusieurs ouvrages mettant l’accent sur le rôle clé des services dans la politique de l’emploi et avec l’organisation d’un colloque au Sénat. ” En 1988, M. Gaspard estime “ qu’une “monnaie-services”, contrairement à [sa] note de 1982, devrait s’appuyer non sur un institut spécial à créer (“une banque des services”) mais plutôt sur les circuits monétaires et financiers exis-tants : banque de France, Trésor et institutions bancaires. ”4

Il semble que c’est à ce moment que l’idée d’une expéri-mentation prenant appui sur l’exemple des tickets et chèques-restaurants est avancée. “ L’expérimentation pour-rait porter sur  :

— l’élargissement du titre de paiement à de nouvelles prestations : cinémas, théâtres, concerts, ainsi que d’autres, marchands ou associatifs (services à domicile di-vers, gardes d’enfants…) ;— la diversification des organismes distributeurs : non plus seulement les entreprises des centres urbains, mais aussi les PME et les artisans des villes moyennes et des zones rurales, les associations, les conseils régionaux et généraux, les municipalités… La population des utilisa-teurs pourrait ainsi s’élargir à de nouvelles catégories - salariés des PME et du service public, non salariés, retrai-tés, chômeurs ;— la transformation du mécanisme de création en direc-tion d’une “monétarisation du nouveau titre de paiement, qui consisterait à en faire - au moins partiellement une

4. M. GASPARD, Une monnaie secondaire pour les services : quelques réflexions, 26 mai 1988, doc. ronéo, 12 pp., p. 1-2.

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monnaie de crédit. ”5

Suite au colloque co-organisé au Sénat, en juillet 1988 par Échange et Projets et l’ICOSI (Institut de coopération sociale internationale) sur le thème “L’innovation financière contre le dualisme social”, la revue Échange et Projets publiera trois contributions dans un dossier intitulé “Pour développer les services un “chèque de voisinage” ?”6. La contribution de M. Gaspard, Pour ou contre le “chèque services ?”, prend de plus en plus appui sur l’exemple des titres restaurants et semble abandonner l’idée de constitution d’une monnaie de crédit. Aux travaux de M. Gaspard, font aussi écho un rap-port du Plan et une contribution de Lasaire (proposition CFDT 1988)7.“ Puis l’intérêt est retombé dans les quelques années (1988-92) où s’installa l’illusion que la “croissance retrou-vée” amènerait d’elle-même un retour progressif au plein-emploi… Dur a été le réveil. L’idée du chèque-services est alors ressortie des tiroirs, au début de 1993. ”Le chèque emploi-service, un “ersatz”.Lancé à titre expérimental par la loi n°93-1313 du 20 dé-cembre 1993 (art 5), le chèque emploi-service vise à favori-ser le développement des emplois familiaux et de proximité. Il a pour objectif de libérer l’employeur de l’essentiel des obligations édictées par le Code du travail en matière d’embauche : négociation du contrat de travail, déclaration auprès des organismes de sécurité sociale, remise du bulle-tin de paie. Il permet aux particuliers d’embaucher une per-sonne pour réaliser, dans leur résidence, un travail sans rapport avec leur profession, de régler la rémunération de 5. M. GASPARD, Ibid., p. 11-12.6. Cf. A. de ROMEFORT, Monnaie de voisinage et épargne de proximi-té : des points d’appui pour une relance macro-économique, sélec-tive et décentralisée, pp. 57-64, M. GASPARD, Pour ou contre le “ chèque services ” ?, pp. 65-71, B. PERRET, Explorer de nouvelles formes d’économie sociale, pp. 73-77, in Échange et Projets, mars 1989, n°56.7. Cf. G. CETTE, P. HERITIER, V. SINGER, Services de proximité et nou-velle croissance, 8 décembre 1995, LASAIRE ECO, p. 8. doc ronéo, 11 pp.

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cette personne et d’acquitter l’ensemble des charges so-ciales afférentes à cette rémunération.Le chèque emploi-service entre dans le champ de la réduc-tion d’impôts, institué par l’article 17 de la loi de finances n°91-1323 (50% de la dépense dans la limite de 90 000 FF ramené, en 1998, à 45 000 FF), et concerne tout particulier employeur pour des activités à caractère domestique et/ou familial ainsi que le jardinage. Fort de son impact sur l’emploi avec la création ou l’officiali-sation d’environ 160 000 emplois à temps partiel la pre-mière année8, le chèque emploi-service se voit pérennisé et étendu. La loi n°96-63 en faveur du développement des em-plois de service confère un caractère permanent au chèque emploi service, référencé à l’article L 129-2 du Code du Tra-vail. La législation de 1996 fait sauter le butoir des huit heures, mais si l’employeur recourt à ce dispositif pour une durée supérieure à huit heures, ou quatre semaines consé-cutives, l’établissement d’un contrat de travail, à durée in-déterminée ou déterminée, devient obligatoire. Un modèle de contrat est annexé au chéquier. Les salariés ont la possibilité de cumuler plusieurs temps partiels, dans la limite des 39 heures par semaine. Toute-fois, la durée de travail des salariés, avec environ 7 heures hebdomadaires9, reste très limitée. Un salarié a en moyenne 1,5 employeurs et, si, l’on compte près de 400 000 utilisa-teurs de chèque, fin 1997, le nombre de personnes sala-riées en équivalents temps plein n’est que de 50 000.Le chèque emploi-service est donc avant tout un outil de simplification administrative des rapports de gré à gré favo-risant l’essor de contrats de courte durée. Il ne prend pas en compte la question de la solvabilisation de la demande et est donc très en deçà des réflexions menées durant la 8. Le chèque-emploi service : un an d’expérimentation, Premières In-formations n°502, Ministère du travail, du dialogue social et de la participation, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques. 9. Les emplois familiaux et les organismes de services aux personnes en 1997, Premières Informations, 98.10, n°43.2, Ministère de l’emploi et de la solidarité, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.

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décennie qui a précédé sa création.Les avancées du Titre em-ploi-service.Face aux limites du projet de chèque emploi-service et aux atteintes à la structuration de l’offre qu’il entraîne, des ré-seaux associatifs, syndicaux et de l’économie sociale en gé-néral se sont mobilisés10 pour promouvoir un titre de paie-ment qui soit aussi un moyen de solvabilisation et qui soit utilisable pour des services fournis par des structures asso-ciatives. Ces réflexions et expérimentations régionales11 ont trouvé un cadre législatif en 1996. Afin de diversifier les modes de solvabilisation de la demande en associant l’initiative des entreprises, la loi du 29 janvier 1996, en son article 2, insti-tue un article L 129-3 dans le Code du travail. Celui-ci sti-pule que les comités d’entreprise, ou en leur absence l’en-treprise, ont la possibilité d’attribuer des aides aux salariés désireux de recourir à des emplois familiaux. Le décret du 2 mai 1996 précise les modalités de versement de cette aide financière aux salariés. Elle est facultative et exonérée de charges sociales et de taxes sur les salaires. Son montant maximum est fixé à 12 000 FF par année civile et par bénéficiaire, sans toutefois excéder le coût des ser-vices. Pour le bénéficiaire salarié, cette somme demeure soumise à l’impôt sur le revenu sans être déductible du montant ouvrant droit à la réduction d’impôt.La mise en place des “titres emploi-service” ouvre une nou-velle étape de la solvabilisation des services de proximité 10. C’est à cette époque que se constitue au niveau national l’Asso-ciation pour le développement du chèque-services (ADCS), où sont représentées toutes les fédérations d’aide à la personne (UNADMR, UNASSAD, FNADAR…), le regroupement des associations intermé-diaires (COORACE), des fédérations et réseaux (UNIOPSS, CJDES, FNMF, ADSP…) et des établissements financiers (Crédit coopératif, Esfin-Ides…) de l’économie sociale. Son but est “ de promouvoir l’uti-lisation du chèque-services pour le développement d’un secteur de services de qualité aux personnes. ”11. C’est au début de l’année 1994, que le projet d’expérimentation de ce qui va devenir le Chèque domicile naîtra en Bretagne pour aboutir à la constitution de l’Association Bretagne Chèque Domicile.

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aux personnes dans la mesure où ce dispositif permet de dépasser certaines lacunes des “chèques emploi-service” :

— le dispositif ne s'adresse plus uniquement aux seules personnes imposables mais aux salariés dans leur en-semble, voire aux personnes démunies12 ; — le dispositif permet d'élargir le volant des financeurs, puisque les comités d’entreprises, ou à défaut les entre-prises, peuvent distribuer des titres aux salariés ;— le dispositif prévoit que ces titres ne peuvent être utili-sés qu'auprès d'associations ou d'entreprises de service, agréées par le préfet de région. Même si ce dispositif d'agrément relève encore d’une procédure très bureau-cratique, il présente malgré tout deux traits positifs : d'une part il interpelle l'offre sur sa démarche de qualité ; d'autre part, il conduit les ménages à engager un contrat avec une structure “prestataire”13 et non avec le salarié. Une obligation légale de financement de la formation pro-fessionnelle est fixée à la charge de l'employeur14.

12. Une possibilité est ouverte par le texte régissant le titre emploi-service d’une utilisation par les collectivités territoriales pour fonc-tionner comme "aide sociale", elle apparaît actuellement peu utili-sée.13. Concernant les avantages des services prestataires sur les rap-ports de gré à gré pour la qualité et la régulation du service, on pour-ra se référer à M.-F. GOUNOUF, Le plus associatif, Le champ de l’aide à domicile, CRIDA / LSCI - CNRS, 200.14. 0,15 % de la masse salariale brute pour un employeur de moins de 10 salariés (ce qui est le cas des employeurs individuels) ; 1,5 % de la masse salariale brute pour un employeur de plus de 10 sala-riés.

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2. Limites du Titre emploi-service.

Une utilisation en aug-mentation mais encore restreinte.Le montant des titres emploi-service émis en 2000 devrait avoisiner les 75 millions de francs15. Il faut noter toutefois un décalage dans le temps entre les titres émis et ceux effecti-vement utilisés. Depuis le début de l’année et jusqu’à la fin septembre 2000, 432 013 TES ont été remboursés pour un montant d’environ 31 millions de francs ; si on extrapole pour les 3 derniers mois de l’année, le montant de TES utili-sés devrait dépasser les 41 millions de francs en 2000. Pour mémoire, le montant des dépenses réglées à partir de ce titre en 1997 a été inférieur à un million de francs et attein-drait 6 à 10 millions de francs, en 199816. Il n’existe pas de données précises sur le nombre de personnes salariées grâce au titre emploi-service. Si l’on considère le coût d’un salarié en équivalent temps plein à 100 000 FF par an, plus de 410 équivalents temps pleins seront entièrement finan-cés grâce à ce dispositif en 200017. Chèque domicile SA voit le montant des chèques qu’elle émet plus que doubler chaque année (4 millions de francs en 1997, 12 en 1998, 25 en 1999 et une projection de 55 millions de francs en 2000). Malgré cette croissance significative, on est loin de la mon-tée en puissance rapide du chèque emploi-service qui, 4 an-nées après son lancement, en 1997, entraînait le salariat de 50 000 équivalents temps plein.Pourtant les enquêtes réalisées auprès de salariés de diffé-rentes entreprises ont souligné l’existence de réels besoins 15 . Sauf mentions contraires, les données chiffrées ici fournies pro-viennent d’un entretien téléphonique avec la direction de Chèque do-micile SA.16. P. BAVEREL, “Grandes manœuvres autour d’un marché promet-teur”, Le Monde Initiatives, 18 novembre 1998, p. II.17. Avec l’effet de levier que présente cette mesure, si l’on considère que les salariés paient la moitié du prix du service, on peut multiplier par deux le nombre d’équivalents temps plein créés.

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d’aide : “ c’est fréquemment entre 50 et 70 % qui ex-priment des besoins ” avance un responsable de Chèque domicile SA. Même si les émetteurs du titre, déjà émetteurs de titres-restaurant sont plutôt optimistes sur sa croissance, il convient de comprendre les raisons de cette faible utilisa-tion.Au niveau des émetteurs, en 1998, Chèque domicile SA qui est une coopérative, détenait “ 75 % des parts de marché, face à Chèque Logis Service, lancé par Sodexho (15 %), à Ticket Emploi Domicile appartenant au groupe Accor (envi-ron 6 %), et à Ticket Social, des Banques Populaires ”18. En septembre 2000, Chèque domicile SA détient 72 % des parts de marché, Accor 15,5 % et Sodexho 12,5 %. Les liens unissant la coopérative aux acteurs de l’économie sociale dont les syndicats (qui sont associés à Chèque domicile) sont soulignés par ses concurrents pour expliquer la place de leadership de Chèque domicile SA. Mais, le rôle de pion-nier joué par cet émetteur avec les acteurs bretons au sein de ABCD, et au niveau national avec l’ADCS, représente aussi un investissement et une expérience qui lui ont per-mis de démarrer rapidement le lancement du titre et ainsi de constituer sa place de leader. Parmi les freins au développement de l’outil, la dénomina-tion “titre emploi-service” créa une confusion auprès des comités d’entreprise et des organismes prestataires : entre le Titre Emploi Service, le Chèque domicile et le Chèque em-ploi-service, “ on ne s’y retrouvait plus ” expliquent les pro-moteurs d’ABCD. En outre, “ les salariés des associations, qui peuvent aussi être adhérents de la CFDT, craignaient que cela ne déstructure encore leur emploi. ” Il fallut que les acteurs d’ABCD réexplicitent le sens et les fondements de chacun de ces dispositifs et entre autres des fondements du Chèque domicile pour qu’il soit mis en place par les co-mités d’entreprise. Ceci compliqua la mise en place de cet outil qui déjà n'est pas simple. En effet, il demande que les directions d'entre-prises soient favorables et que les comités d’entreprise

18. A. LEBAUBE, “Les services à domicile aiguisent l’appétit des entre-prises privées”, Le Monde Initiatives, 18 novembre 1998, p. I.

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soient mobilisés et formés à une telle gestion.Etat des lieux dans les en-treprises déjà engagées19.Il apparaît que le recours aux titres emploi service est sur-tout réalisé pour payer des services ménagers (ménage, re-passage, jardinage, bricolage…) et concerne moins des ser-vices relationnels (garde d’enfants et surtout aide aux per-sonnes âgées). Il apparaît aussi que ce sont plutôt les pro-fessions intermédiaires et supérieures qui utilisent le titre. Ce qui limite l’objectif de démocratisation dans le recours à ces services. La solvabilisation plafonnée légalement à 12 000 FF par an et par salarié (et souvent moins suivant les politiques dé-finies dans les comités d’entreprise) entraîne généralement un recours à des prestations de services limitées dans le temps (quelques heures par semaine). Si des raisons liées aux coûts des services peuvent expliquer cette faible utili-sation par les catégories les plus modestes, elles sont limi-tées par des différences de solvabilisation basées sur le quotient familial instauré dans beaucoup des entreprises (par exemple : la participation du comité d’entreprise peut être doublée pour les personnes non-imposables afin de compenser l’absence du bénéfice de réductions d’impôts). Il faut aussi évoquer une population pour laquelle on sup-pose de réels besoins d’aide et qui témoigne d’une résis-tance à faire appel à des services en raison de représenta-tions culturelles dans lesquelles le service à domicile n’est pas rendu en fonction des besoins mais par rapport à des classes sociales : “ c’est réservé aux femmes de médecins ” jugent certains salariés. Ou en raison aussi d’un principe moral : “ faire faire ” ses propres tâches domestiques, c’est en quelque sorte “ démissionner ”, reconnaître “ qu’on ne peut plus faire par soi-même ”.Par ailleurs, le titre emploi-service n’est pas arrivé sur un terrain vierge de tout dispositif préalable d’aide à domicile. Nombre de salariés se faisaient déjà aidés dans un système de gré à gré, soit dans le cadre du travail au noir, soit dans celui du chèque emploi-service ou du statut d’employeur di-19. Cf. L. GARDIN, M.-F. GOUNOUF, 1999, op.cit, p. 32-35.

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rect. Des domaines d’activités non couverts.Une autre limite tient à l’impossibilité de rémunérer avec le titre emploi-service des travaux réalisés à l’extérieur du do-micile. Une anecdote mérite à ce propos d’être relatée. Au lancement du titre emploi-service par ABCD, un salarié membre d’un comité d’entreprise décida d’utiliser les titres de paiement pour faire repasser son linge dans un atelier de repassage. L’association accepta ce mode de paiement. Après s’être renseigné pour voir comment elle allait se faire rembourser, elle se rendit compte que cela lui était impos-sible. Elle rendit les titres à son client qui réussit à se les faire rembourser par son comité d’entreprise. Mais au final, le salarié qui ne souhaitait pas qu’une personne vienne faire le repassage chez lui a cessé d’avoir recours à une per-sonne externe au ménage pour cette tâche. La possibilité de déplacer des activités du domicile vers l’ex-térieur et de leur donner ainsi un caractère collectif est à souligner. Cette réflexion interroge les limites réglemen-taires imposées au titre emploi-service quant au finance-ment d’activités ne se réalisant pas à domicile mais répon-dant à des besoins semblables. La question de la solvabili-sation de nouveaux services avec le titre emploi-service reste en suspens. Celle-ci pourrait toucher des services mé-nagers mais aussi, et peut-être avant tout, les services rela-tionnels (crèches, halte-garderie, assistantes maternelles…) C’est un des axes de développement à creuser. La limitation des tiers-payeurs.

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La faible utilisation du titre emploi-service par les salariés les plus modestes des entreprises où il a été mis en place a déjà été évoquée, un autre problème se pose pour l’accessi-bilité à ce dispositif pour les salariés de petites entreprises ou en situation précaire. Cette limite a été signalée par les responsables d’associations et surtout pas des salariés d’as-sociations intermédiaires. Elle tourne autour de l’inégalité que crée, ou plutôt renforce, l’instauration du titre emploi-service entre d’une part les salariés des grosses entreprises où le personnel bénéficie déjà d’avantages, et d’autre part tout un volant de salariés exclus de ces services. Des propos assez durs ont même été tenus par les salariés des associations quant à ce dispositif : “ je trouve cela la-mentable, qu’en plus des réductions d’impôts, les comités d’entreprise prennent une partie du coût en charge. […]. Puisqu’ils sont aidés, ils devraient le répercuter sur nous. Ils me prennent 2 heures par semaine et voudraient que je fasse du travail qui demande 6 heures. […]. Enfin, je suis peut-être mal tombée. ”Un autre salarié d’association trouve injuste que le titre soit réservé aux salariés des entreprises et ne concerne pas aussi les intérimaires. “ Ma femme, travaille en CDD et en intérim depuis 6 ans là-bas [entreprise ayant instauré le Chèque domicile], elle ne bénéficie pas des avantages du comité d’entreprise, pas d’arbres de Noël, juste le droit à la navette des cars. […] Nous avons un enfant, ça coûte cher de le faire garder, pourquoi ma femme ne bénéficie pas du Chèque domicile. Les intérimaires n’ont pas ces avantages. […] Moi, quand je fais de l’intérim là-bas, je paie les repas à 40 FF alors qu’un retraité qui vient manger paie 18 FF. ”Les différences d’utilisation entre catégories sociales d’une même entreprise ont déjà été soulignées, mais il faut aussi relever que l’instauration du titre emploi-service ne concerne que quelques entreprises. Cette situation favorise ainsi les salariés de ces entreprises, de fait privilégiés par rapport au reste de la population active. Cette remarque questionne la politique de diffusion des émetteurs principa-lement axée sur les “grosses entreprises”, qui permet stra-tégiquement de pouvoir placer plus de titres et aussi d’avoir

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un effet d’entraînement pour cet outil. Par ailleurs, si les CCAS peuvent effectivement utiliser ce mode de paiement auprès des personnes qu’ils aident, cette possibilité semble, pour l’instant, donner lieu à peu d’expérimentations. Les personnes dans les situations les plus précaires que pour-raient toucher les CCAS se voient, elles aussi, exclues du dispositif.La structuration et la connaissance de l’offre de services.Enfin, pour être efficace, le dispositif doit s'accompagner d'une offre de services suffisamment connue, étendue et de qualité pour que l'usage d'un titre puisse avoir un sens et une utilité réelle auprès du salarié. Or, si les salariés connaissent mal le titre emploi-service (qu’ils confondent souvent avec les chèques emploi-service), ils ont aussi des difficultés à connaître les services fournis par les associa-tions prestataires. On relève un déficit d’informations sur les services qu’elles peuvent offrir, parfois l’information dans les comités d’entreprise se limite à une liste d’associa-tions classées par secteur géographique et par type d’agré-ments délivrés par les préfectures. En outre, il existe une confusion sur les objectifs des asso-ciations. La démarche militante à partir de laquelle a été instauré le titre dans les comités d’entreprise fait que celui-ci a été perçu comme un moyen de fournir de l’emploi à des personnes en difficulté et concourir ainsi à leur insertion professionnelle. Cette perception entraîne parfois des craintes chez les utilisateurs potentiels qui hésitent à faire garder leurs enfants ou à faire pénétrer à leur domicile des personnes en situation fragile. Le turnover des salariés des associations intermédiaires intervenant à domicile sur des tâches régulières entraîne même parfois l’arrêt du recours au service par les usagers. Ces difficultés posent la question de la structuration des services et de sa démarcation avec des objectifs d’insertion. Cette question est d’autant plus importante que les services fournis par les associations in-termédiaires ont des coûts et des prix moins importants que ceux délivrés par les organismes prestataires qu’ils soient

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association ou entreprise.La construction de services de qualité avec des emplois structurés20 fait d’ailleurs partie des objectifs de regroupe-ments comme ABCD qui entend à travers le dispositif en-courager le développement des services prestataires qui fournissent des emplois durables aux personnes intervenant à domicile. Ce fût d’ailleurs un des objectifs initiaux de cette association (comme de l’ADCS au niveau national) qui en regroupant syndicats, représentants d’associations presta-taires et intermédiaires, comités d’entreprise, émetteur de titre cherche à développer l’emploi de manière quantitative mais aussi qualitative en s’attaquant à la destructuration qu’entraîne le développement du chèque emploi-service et du gré à gré. Ainsi, le directeur d’une association intermé-diaire, en expliquant les problèmes que rencontre sa struc-ture à instaurer une convention collective, souhaiterait que l’on revoie la procédure de labellisation mise en place par ABCD. Dans une perspective dynamique, il s’agirait de se fixer des objectifs quant au statut du personnel pour que progressivement celui-ci puisse bénéficier de convention collective.

3. Pour un développement de la demande et de l’offre.

Les limites actuelles du titre emploi-service amènent à for-muler des axes de travail qui permettraient son développe-ment et celui des services. Deux axes sont ainsi à creuser :

— favoriser une solvabilisation plus large et plus équitable de la demande ;— construire une offre de services de qualité en mesure de répondre à cet accroissement potentiel de la de-mande.

20. Cf. L. GARDIN, M.-F. GOUNOUF, 1999, op. cit., Partie III - ABCD, Pôle de développement et de structuration du champ des services aux particuliers, p. 57-80.

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Pour une solvabilisation large et équitable de la demande.Accroître la solvabilisation dans les entreprises. La solvabilisation par les comités d’entreprise est actuelle-ment limitée à 12 000 FF par personne et par an, ce qui semble freiner le recours à des services réguliers. C’est un budget qui n’est pas toujours atteint dans les exemples étu-diés. Le montant affecté à ce dispositif pourrait être accru en augmentant le budget des comités d’entreprise ou en passant aussi par le financement des entreprises elles-mêmes. Actuellement, la diffusion des titres dépend, pour les entreprises qui disposent d’un comité d’entreprise, des choix de politique sociale de ce dernier et de l’importance de son budget. La tendance de la plupart des comités d’en-treprise consiste à reconduire les choix réalisés antérieure-ment dans la mesure où ces choix apparaissent validés par les élections qui interviennent très régulièrement (tous les deux ans). L’ouverture pourrait provenir d’une croissance du budget du comité d’entreprise, mais la décision est alors renvoyée à la direction d’entreprise. Ces deux types d’ac-teurs seraient, alors, amenés à se coordonner ; ce qui repré-sente une condition pas toujours facile à remplir. Certaines propositions visent à ce que la solvabilisation du titre soit prise sur le budget de l’entreprise, comme pour le titre-restaurant, et sur le budget des comités d’entreprise. Cette proposition a été faite dans le rapport de Lasaire comme dans celui de l’IGF et de l’IGAS sur les services d’aide aux personnes : “ pour développer le mécanisme de l’aide financière, la mission propose que sa mise en œuvre devienne un élément de négociation annuelle sur les sa-laires. ”21 Cette idée est aussi reprise, pour d’autres motifs, par des émetteurs de titres qui estiment que l’abondement unique-ment par les comités d’entreprise favorise Chèque domicile

21. V. HESPEL, M. THIERRY, Synthèse des constats et propositions de la mission des services d’aide aux personnes, Inspection générale des finances, Inspection générale des affaires sociales, Rapport n°1998.132, septembre 1998, p. 46.

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SA (dont les syndicats sont actionnaires). Ce leadership “ exaspère les challengers, issus du secteur privé, soutenus dans leurs protestations par le Medef (ex-CNPF), tenté d’y voir une concurrence presque déloyale. ”22. Un directeur de la Sodexho estime par conséquent qu’“ il faudrait aussi au-toriser les grandes entreprises à attribuer elles-mêmes des TES, parallèlement à leur comité d’entreprise ”23. Si cette piste peut être creusée, elle ne résout qu’en partie la question de la solvabilisation de la demande.Elargissement des usagers et tiers payeurs. Actuellement, le dispositif n’est pas généralisable et acces-sible à toute personne qui le souhaite. Seuls les salariés ap-partenant à des entreprises dont la direction et le comité d’entreprise acceptent de gérer le dispositif, ou les habi-tants aidés par des CCAS diffusant des TES, peuvent bénéfi-cier de ces titres. Les habitants qui ne sont ni des salariés de ces entreprises, ni des personnes aidées financièrement pour des raisons sociales, ne peuvent pas y recourir. Cette situation est d’autant plus inégalitaire que les CCAS déve-loppent peu ce système et que les salariés qui en bénéfi-cient ne sont pas les plus modestes. Si le titre emploi-ser-vice est, en principe, plus équitable que le système des dé-ductions d’impôts puisque les personnes qui l’utilisent ne sont pas nécessairement imposables, dans les faits il ren-force cette iniquité puisque ce sont surtout des salariés im-posables qui l’utilisent24.Il conviendrait donc de pouvoir élargir l’utilisation du sys-tème du titre emploi-service pour que les personnes puissent en bénéficier en fonction de leurs besoins. Il y au-rait lieu d’étudier comment la collectivité pourrait rendre plus juste ce dispositif en s’impliquant financièrement dans son fonctionnement. C’est le système des déductions fis-cales qui est à revoir pour que l’effort fait par la collectivité, à travers des déductions d’impôts (donc des dépenses pu-bliques), prenne une forme redistributive tenant compte

22. A. LEBAUBE, op. cit.23. Cité par P. BAVEREL, op. cit.24. Ils bénéficient alors de la réduction d’impôt sur le revenu et de l’abondement par le comité d’entreprise.

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des besoins et des revenus des ménages.L’élargissement des services couverts. Cette démocratisation du financement des services de-mande que ce ne soit plus spécifiquement les services mé-nagers de confort qui soient ciblés à travers ce dispositif. Ce sont plutôt les services relationnels ayant une utilité quasi-collective, grâce aux bénéfices qu’ils produisent pour la col-lectivité, qui devraient être privilégiés. Ainsi, la garde d’enfants permet le développement de l’acti-vité féminine et favorise l’égalité entre hommes et femmes en faisant sortir ces dernières du foyer. De même l’aide à domicile des personnes plus âgées au-delà des économies qu’elle procure à la collectivité en évitant les placements hospitaliers, permet aux personnes dépendantes de mainte-nir des liens avec leur entourage en continuant à vivre à leur domicile. L’accès à la culture, la mobilité des per-sonnes… sont aussi des créneaux où une demande non sol-vable existe et qui ont des effets bénéfiques pour la collecti-vité dans son ensemble.Les services collectifs aux personnes (crèches, haltes-gar-deries…), c’est-à-dire des services réalisés dans des lieux qui ne sont pas leurs domiciles devraient aussi pouvoir ren-trer dans le cadre de ce dispositif.Du titre emploi-service au “ticket-services”. Ces constats montrent comment le titre emploi-service est conçu comme un dispositif d'appoint ne touchant qu’une partie de la demande, qu’une partie des tiers-payeurs et qu’une partie de l’offre de service. Il ne permet pas de pen-ser de manière suffisamment nouvelle le financement des activités de proximité dans la mesure où il ne permet pas encore de mutualiser des financements d'origine différente, prenant en compte le fait que les services dispensés in-tègrent différents types d'utilité : individuelle, collective et territoriale, publique. Cette dimension du dispositif limite son impact sur le développement du secteur et sur l'am-pleur des financements que ces activités devraient être ca-pables de mobiliser. Les propositions émises par des membres du Conseil d’ana-

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lyse économique25 en faveur de l’instauration d’un “ticket-services” mériteraient d’être entendues par le législateur. Elles plaident pour la constitution d’“ un instrument central, le ticket-services, partiellement subventionné par des payeurs publics et/ou privés. Cet instrument revient à distri-buer aux publics visés un pouvoir d’achat conditionnel, une “quasi-monnaie” fonctionnant de façon simple et fiable ”. Le principe de fonctionnement du ticket-services reprend et complète celui du titre emploi-service (voir tableau en an-nexe). Il faut notamment souligner comme points différen-ciant ces deux dispositifs :

— la prise en compte des guichets de vente, il est proposé qu’ils soient “ installés en des lieux faciles d’accès pour les bénéficiaires (…) les bureaux de poste pourraient jouer un rôle systématique, mais qui ne serait pas exclusif d’autres lieux de distribution ” ;— les bénéficiaires achètent à ce guichet des tickets ser-vices pour un montant plafonné à un taux subventionné.

Le rapport recommande la disparition des exonérations fis-cales et “ le redéploiement du surcroît de prélèvement fis-cal ainsi opéré par une solvabilisation de la demande avec un contenu social et redistributif nettement affirmé ”. Deux axes fonderaient la politique de l’Administration pour la sub-vention à la demande : le niveau de ressources des mé-nages aidés et leurs besoins26. Il conviendrait cependant de prévoir une phase transitoire pour ces évolutions. L’argu-mentaire développé dans ce rapport s’appuie aussi sur les créations d’emplois à un coût limité que permettrait cette mesure. Pour une offre de qualité.Une aide à la demande a l’avantage de permettre aux consommateurs de choisir les services et d’avoir une meilleure connaissance de leur coût réel qui permet de les 25. Cf. G. CETTE, P. HERITIER, D. TADDEI et M. THERY, M. DEBON-NEUIL et R. LAHIDJI, Emplois de proximité, La Documentation Fran-çaise, Rapports du Conseil d’analyse économique, Premier ministre, n°12, 4° trimestre 1998, pp. 22-30.26. Par exemple le niveau de dépendance ; la prestation spécifique dépendance, financée par les conseils genéraux, trouverait ainsi un instrument utile pour son développement.

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valoriser. Pourtant, même si ce n’est pas l’objet central de la présente contribution, cette réflexion sur la solvabilisa-tion de la demande ne peut échapper à une réflexion sur la construction de l’offre27. Le développement des services aux personnes n’est pas uniquement lié à des questions de sol-vabilisation de la demande qui permettrait à un marché d’éclore sur ce champ d’activités.La construction conjointe de l’offre et de la demande. L’acte d’achat n’a pas la même signification quand il concerne l’acquisition d’une automobile ou d’un réfrigéra-teur et quand il concerne la prestation de services pour la garde de parents âgés ou d’enfants en bas âge. Beaucoup d’intervenants dans le maintien à domicile des personnes âgées ont pu constater qu’il pouvait exister une demande compulsive de services qui n’est jamais comblée ; plus on obtient des services, plus on en veut de nouveaux parce que derrière cette demande qui paraît rationnelle se cache un appel au secours pour rompre la solitude ou pour sortir de relations familiales devenues invivables. Une réponse appropriée passe alors, non pas par la réponse aux besoins exprimés mais par un travail collectif sur la demande asso-ciant le prestataire de service, l’usager, sa famille et ses proches28.Il est aussi important de prendre en compte les limites du marché dans les services qui impliquent de pénétrer au cœur de l’intimité des usagers. Ainsi des recherches améri-caines ont mis l’accent sur “ les échecs du marché ”29 dans ce domaine. Selon celles-ci l’une des conditions d’efficience 27. On pourra pour de plus larges développements sur cette question se référer à J.-L. LAVILLE, Les services de proximité : un enjeu de so-ciété, La Revue de la CFDT, juin-juillet 1998, n° 11, pp. 3-24.28. B. CROFF, Seules. Genèse des emplois familiaux, Paris, Editions Métailié, 1994.29. Cf. en particulier H.K. ANHEIER, W. SEIBEL (eds), The Third Sector : Comparative Studies of Non Profit Organizations, Berlin-New-York : De Gruyter, 1980 ; B.A. WEISBROD, The Non Profit Economy, Cam-bridge-Harvard : University Press, 1988 ; W.O. POWELL, The Non Pro-fit Sector : a Research Handbook, New-Haven-London : Yale Universi-ty Press, 1987 ; pour une présentation de ces approches en français voir B. ENJOLRAS, Le marché-providence, Paris : Desclée de Brouwer, 1995.

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du marché est l’information parfaite du consommateur, or cette condition est loin d’être assurée dans les services aux personnes. Devant la difficulté d’établir des critères de qua-lité, l’usager peut être tenté de confondre prix élevé et as-surance de qualité : l’on songe par exemple à des familles culpabilisées par le fait d’avoir recours à l’extérieur pour garder des parents âgés dépendants et qui, pour se persua-der qu’elles ne les abandonnent pas et qu’elles font bien le maximum pour leur bien-être, recherchent les services les meilleurs, c’est-à-dire dans leur esprit les plus chers. De plus, l’absence de contrôle sur la prestation de services, due à l’absence pendant celle-ci des usagers qui la payent, peut prêter le flanc à des abus de la part des offreurs de service. A cause de toutes ces dimensions culturelles et af-fectives en jeu, le marché ne peut être considéré comme une panacée dans des services où le surplus d'informations détenu par le prestataire peut l'inciter à réaliser un sur-pro-fit au détriment du consommateur. C’est ce que la théorie économique appelle des “asymétries informationnelles”. L’observation du champ des services aux personnes amène à constater que la plupart des changements concrets ne tiennent pas principalement à l’apparition d’une offre mar-chande qui reste encore très limitée. Ils trouvent leur ori-gine dans une nouvelle impulsion associative qui émane soit d’associations ayant émergé récemment, soit d’associations anciennes ayant redéfini leurs modalités de fonctionne-ment. Ces initiatives qui s'écartent d'une approche mar-chande ont pourtant prouvé leur capacité à engendrer des relations de confiance entre les parties prenantes des ser-vices grâce aux garanties qu'elles fournissent aux salariés comme aux usagers. Les projets arrivent ainsi à réduire les asymétries informationnelles entre offreur et demandeur de service et à établir une relation de confiance avec l’usager. Par l'attention portée à leur expression, ces projets peuvent surmonter les craintes des utilisateurs de voir des interve-nants s'immiscer dans leur intimité, ils contribuent de ce fait à la formalisation de demandes très hétérogènes tout en élaborant l'offre. Ils pratiquent ainsi ce qui peut être défini comme une construction conjointe de l’offre et de la de-mande.

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La professionnalisation de l’offre. Outre cette intégration de l’usager à la construction et à la régulation de l’offre, il convient aussi d’approcher la ques-tion de la professionnalisation dans le domaine des services aux personnes. Certains acteurs locaux, comme ABCD, ne séparent pas ces deux pans de la constitution de ces ser-vices30, leur objectif est de développer les services presta-taires.Dans ce sens, il conviendrait de supprimer le traitement in-équitable que subissent encore ces services prestataires. Certaines mesures vont dans ce sens avec l’extension des exonérations de charges sociales identiques entre services prestataire et mandataire. Toutefois, cette neutralité reste relative car les employeurs en gré-à-gré sont toujours exo-nérés de la taxe sur les salaires et bénéficient du calcul for-faitaire des cotisations salariales. De même les associations intermédiaires ont des coûts moins élevés que les services prestataires.Mais cette suppression de traitement inéquitable entre dif-férents types de services n’est pas suffisante pour un déve-loppement des services et une structuration de l’emploi. Des évolutions en faveur d’une amélioration des conven-tions collectives du champ sont aussi à mettre en place avec la construction de formations adaptée à la filière. Il conviendrait aussi d’aider les associations intermédiaires à constituer des services prestataires31. Si les aides à la demande permettent de structurer le finan-cement quotidien des services aux personnes, ils ne sont pas en mesure de couvrir pleinement les besoins en inves-tissements immatériels (formation, temps nécessaire au montage de projets, analyse de la demande…) dont ont be-soin ces services pour émerger et se consolider. En ce sens, 30 Cf. On pourra se reporter à ce sujet à la contribution d’un syndica-liste qui explique l’engagement de l’Union régionale CFDT dans ABCD : G. BONNAND, “Eléments pour une structuration des services de proximité”, dans le dossier sur Les services de proximité, La Re-vue de la CFDT, juin-juillet 1998, n° 11, p. 27.31. Des exemples relevés en Bretagne mériteraient à ce titre d’être modélisés et valorisés, L. GARDIN, M.-F. GOUNOUF, 1999, op. cit., pp. 68-70

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une aide à l’offre pour l’innovation et l’amélioration de la qualité doit continuer à être envisagée.La constitution de fonds locaux pour la professionnalisation des services financés de façon mixte par une quote-part des transactions instaurées avec le ticket service et par les fi-nanceurs publics traditionnels pourrait être un moyen de ré-pondre à cet enjeu. Sans appui à la constitution d’une offre de qualité, la solva-bilisation de la demande s’avère inopérante32. L’émergence de la demande et la construction de l’offre sont intimement liées dans ce type de services.

Conclusion.

Face à ces enjeux, le titre emploi-service apparaît comme une nouvelle strate de procédures sans chercher à simpli-fier et homogénéiser les dispositifs précédents. Par rapport aux réflexions engagées dans les années 80, il reste “au mi-lieu du gué” et les propositions faites pour la mise en place d’un “ticket-services” pourraient permettre un développe-ment de la demande de service, pour plusieurs raisons : les ayants droit seraient plus nombreux et plus ciblés sur des personnes ayant des besoins et des revenus faibles ; les tiers payeurs pourraient être plus étendus au secteur public comme au privé ; les services ciblés ne seraient plus ceux réalisés à domicile mais les services ayant une utilité quasi-collective qu’ils soient réalisés à domicile ou non. Ces pro-positions devraient permettre de donner un nouvel élan au TES dont l’utilisation est, rappellons-le, très faible. Toutefois, la solvabilisation de la demande ne peut être in-dépendante d’une émergence et d’une structuration de l’offre capable d’y répondre. C’est pourquoi, les propositions du Conseil d’analyse économique devraient être complétées par des mesures allant dans ce sens. Pour la professionnali-sation des services, des fonds locaux de structuration cofi-32. On note d’ailleurs que certains consommateurs arrêtent de recou-rir à ces services du fait des problèmes de qualité dans leur rendu (suivi, formation de l’intervenant…).

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nancés par une quote-part prélevée sur la circulation des titres et par des financements publics ad hoc et gérés loca-lement en associant représentants des services, syndicaux, publics. La question plus délicate de garantie d’une partici-pation conjointe des usagers, des bénévoles, et des sala-riés, pourrait passer comme le préconise en partie le rap-port d’étape de Lipietz33 par des avantages spécifiques ac-cordés aux initiatives d’un tiers secteur d’économie soli-daire, intégrant de multiples parties-prenantes dans leur fonctionnement et présentant une utilité sociale pour la col-lectivité. Quoi qu'il en soit, la mise en place de ces propositions doit être progressive et ne doit pas venir complexifier un univers d’aide à ces services et de multiples réglementations parti-culièrement opaques. Elle doit être aussi une mesure de simplification et de clarification des dispositifs existants. A ce titre, il est important avant toute extension nationale de lancer des expérimentations locales, filière par filière, pour tester ce nouvel outil34. Cette note s’adresse aux différents acteurs investis dans le développement des services (ac-teurs publics, associatifs, syndicats…). Il paraît important pour que des dispositions soient prises en faveur d’un déve-loppement des services aux personnes que ces réflexions fassent l’objet de véritables concertations entre ces diffé-rents acteurs. En ce sens, la mise en place du titre emploi-service ne semble pas avoir offert ces conditions35, c’est aus-si un des enseignements à tirer de ce dispositif.

33. A. LIPIETZ, L’opportunité d’un nouveau type de société à vocation sociale, version 22/12/98.34. Dans la région Nord-Pas de Calais, des projets existent, par exemple, un projet pour la mise en place d’un titre favorisant l’aide à la mobilité de différents publics (chômeurs, personnes âgées, sala-riés…) sur la région de Dunkerque se trouve limité par des blocages administratifs ; un projet de mise en place d’un titre pour l’accès à des services culturels a aussi été élaboré…35. Cf. L. GARDIN, M.-F. GOUNOUF, 1999, op. cit., Partie I.2. La créa-tion du Titre emploi-service et du chèque domicile, pp. 15-25.

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Annexe : tableau synthétique des dispositifs et propositions de sol-

vabilisation de la demande.

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Chèqueemploi-service

Titre emploi-service

Projet de ticket-ser-vices

Bénéficiaires Tous ménages impo-sables

Ayants droit des en-treprises

Tous ménages en fonction de leurs re-venus et besoins

Statut du consommateur

Usager-employeur Usager-client Usager partie pre-nante

Tiers-payeurs Aucun mais aide par réduction d’impôts

Comités d’entreprises et réduction d’impôts

Abondement partiel mixte public (Etat, collectivités locales) et/ou privé (entre-prises, CE, caisses de retraite, institutions sociales Etat-patron)

Activités Services à domicile Services à domicile Services individuels avec une utilité qua-si-collective

Offre de ser-vice

Gré à gré Structure agréée Structure agréée avec progression dans la professionnalisation, la structuration de l’emploi et prise en compte de l’usager

Profession-na-lisation de l’offre

Néant Agrément Fonds territoriaux mixtes pour la profes-sionnalisation

Emetteur Banques 4 émetteurs agréés Les émetteurs du TES et éventuelle-ment d’autres à étu-dier

Guichet Banques Comité d’entreprise La Poste et d’autres à étudier

Références Lois de 1993 et de 1996

Loi de 1996 Propositions du CAE et du CRIDA

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POUR ALLER PLUS LOIN…

Du développement du titre emploi-service à la struc-turation des services aux particuliers

Laurent GARDIN, Marie-France GOUNOUF, Paris, CRIDA-LSCI, 1999, 83 pp.

Cette recherche, réalisée pour l’Association Bretagne Chèque Domicile avec un financement du Ministère de l’emploi et des affaires sociales, a été menée dans une démarche endoformative par rapport aux acteurs d’ABCD en instituant un espace critique au sein du dispositif. Cet espace s’est concrétisé dans la constitution d’un groupe de suivi qui, à chacune des étapes de la recherche, s’est réuni pour évaluer l’avancée des travaux en apportant ses critiques sur les écrits intermédiaires et redéfinir les objectifs des étapes suivantes. Ce rapport se compose de trois parties. La première vise à comprendre la genèse de l’Association Bretagne Chèque Domicile, du Chèque Domicile et du dispositif Titre emploi-service en général. Les deux parties sui-vantes s’appuient sur deux axes d’investigation perti-nents pour approcher les effets de l’intervention de l’as-sociation : ABCD, agent de sensibilisation et de diffusion du Chèque domicile ; ABCD, pôle de développement et de structuration du champ des services aux particuliers.A travers ce dispositif régional, pionnier dans la mise en place du titre emploi-service, on peut relever comment ses acteurs entendent à travers un dispositif de solvabili-sation de la demande contribuer à la structuration du champ des services aux particuliers

Ce rapport et les travaux cités dans la note 1 sont dispo-nibles au CRIDA.

Pour tous renseignements :CRIDA, 33 rue Navier, 75017 Paris, téléphone : (33) 01 53

06 90 70,

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télécopie : (33) 53 06 90 73, courrier électronique : [email protected]

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David Vallatet

Isabelle Guerin

Les finances solidaires

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Notes de l'Institut Karl Polanyi, 1999.

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Les finances solidaires

Sommaire

1. Introduction.....................................................................................108

2. Le micro-crédit un outil pour lutter contre la pauvreté.....................110

L’expérience des pays en développement............................................................110

Implantation des techniques de finance décentralisée dans les pays développés.110

La finance solidaire............................................................................................ 112

Le creux bancaire............................................................................................... 113

3. Les activités des opérateurs de la finance solidaire..........................116

Aperçu général................................................................................................... 116

Les activités de crédit......................................................................................... 117

Prises de participation et dispositifs de capital risque........................................120

Prise de garantie................................................................................................ 121

Accueil/conseil, suivi.......................................................................................... 125

4. Les enjeux de la finance solidaire....................................................126

Les besoins des créateurs-chômeurs...................................................................126

Médiation associative et partenariats.................................................................128

5. Quelques pistes d’améliorations.......................................................130

Les blocages législatifs....................................................................................... 131

En guise de conclusion.......................................................................................134

Bibliographie.......................................................................................135

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1. Introduction

Les situations de précarité économique qui confinent souvent à la pauvreté persistent malgré une croissance économique retrouvée. Nous touchons ici à une situation où la croissance économique ne parvient pas à résorber le chômage. Ensuite, les mesures régulatrices mises en place par l’Etat pour tenter de lutter contre pauvreté et exclusion se trouvent être en question. Ceci, non pas du fait de leur coût qui peut être sup-porté, mais par l’effet d’éviction durable d’une partie de la po-pulation qu’elles autorisent. En France, 3,3 millions de per-sonnes perçoivent l’un des huit minima sociaux1. Dans le même temps un rapport du Commissariat général du Plan in-dique que “ la situation de près de 7 millions de personnes est directement affectée d’une façon ou d’une autre et plus ou moins gravement par l’évolution de l’emploi ”2.La pauvreté ne peut plus être analysée comme un phénomène conjoncturel tributaire d’une hypothétique reprise écono-mique. Si la “ nouvelle ” pauvreté tend finalement à s’ancrer, en France, mais aussi dans certains des autres États de l’Union européenne3, il convient d’imaginer des dispositifs 1 minimum vieillesse, minimum invalidité, allocation aux adultes handi-capés, allocation de parent isolé, allocation d’assurance veuvage, allo-cation d’insertion, allocation de solidarité spécifique, revenu minimum d’insertion. Ce dernier revenu est perçu par plus d’un million de per-sonnes actuellement alors qu’il n’a été mis en place que depuis une di-zaine d’années. Voir CSERC, 1997, p. 5.2 Henri Guaino, dir., 1997, p. 173 sq.3 Selon une analyse de l’Insee sur des données de 1993, 12% des mé-nages de l’Union européenne vivent en dessous du seuil de pauvreté fixé à la moitié du revenu médian de chaque pays membre. La France avec 11% de ménages pauvres occupe une position moyenne voisine de celle de la Belgique (9,3%), des Pays-Bas (9,8%), de l’Allemagne (10,4%) et de l’Espagne (11,5%). Le meilleur résultat est à porter au crédit du Danemark (4,7%). L’Italie (12,9%), le Royaume-Uni (13%), la Grèce (17,7%) et le Portugal (18,9%) se situent dans le peloton de queue.

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autres que les minima sociaux qui n’autorisent, pour l’instant, que la survie des bénéficiaires.

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2. Le micro-crédit un outil pour lutter contre la pauvreté

L’expérience des pays en dé-veloppementLa lutte contre la précarité économique dans les pays dits dé-veloppés peut profiter de l’expérience accumulée depuis plus d’une vingtaine d’années dans le Tiers monde, notamment en matière de création et de financement de micro-activités. Le remarquable succès de la Grameen Bank au Bangladesh est souvent présenté comme un modèle et son fondateur, le pro-fesseur Yunus est devenu une figure emblématique de ce mouvement, notamment à travers sa présence aux deux som-mets mondiaux de la micro-finance et par le biais de la sug-gestion du président Clinton de lui attribuer le... prix Nobel d’économie. Plus que des techniques financières spécifiques, la Grameen Bank a permis de mettre en avant la possibilité de prêter aux pauvres afin qu’ils deviennent acteurs de leur propre développement. Le Sommet mondial du microcrédit a rassemblé à Washington (en février 1997) puis à New-York (1998) et Abidjan (1999) plusieurs centaines d’intervenants de tous pays. Plusieurs milliers de personnes dans le monde sont régulièrement tenues au courant par la lettre d’informa-tion de la campagne du microcrédit, Countdown 2005. Le pré-ambule de la déclaration du Sommet mondial du micro-crédit annonce la volonté d’ici 2005, d’où le titre de la lettre d’infor-mation, de donner accès à 100 millions de personnes dans le monde à la micro-finance.Implantation des techniques de finance décentralisée dans les pays développésLes pays en développement ne sont plus les seules cibles des programmes de microcrédit. Le Bureau International du Travail a lancé un programme d’action en 1998-1999 sur “ la micro-fi-

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nance dans les pays industrialisés : la création d’entreprises par les chômeurs ”. Les pays pauvres apparaissent ainsi comme mettant en oeuvre des pratiques financières de déve-loppement qui font office de modèles. Paradoxalement, du fait d’une forte médiatisation, ces modèles tendent à occulter les expériences très voisines de crédit populaire expérimentées depuis le XIXe et le début du XXe siècle en Europe et en Amé-rique du Nord4.De fortes disparités existent entre les expériences de crédit aux pauvres et notamment entre les pays dits “ développés ” et les autres5. La notion de pauvreté ne correspond pas aux mêmes critères que l’on se situe dans un pays industrialisé ou dans un pays en développement. L’étendue de la pauvreté et de l’exclusion du système bancaire ne prend pas les mêmes formes et ne sont pas de même ampleur au Nord et au Sud. Pourtant des questions communes se posent quant à la viabili-té de ces initiatives de microcrédit, à la pérennité des entre-prises et activités créées par leur biais, et plus généralement à l’impact socio-économique qu’elles peuvent avoir sur les popu-lations défavorisées.Un grand nombre d’organismes engagés dans l’octroi de crédit pour les personnes défavorisées ont été créés en Europe au cours de la dernière décennie6. Ces organismes investissent uniquement dans les projets écologiques, sociaux ou porteurs de valeurs morales. Il s’agit par exemple de la Nouvelle Econo-mie Fraternelle (NEF) en France, de la Triodos Bank aux Pays-Bas, de Merkur au Danemark. D’autres sont directement liés au secteur coopératif : la Société coopérative de développe-ment et d’entraide (SOCODEN) en France, Mag 2 Finance en Italie. Il existe des organismes visant spécifiquement un public 4 Voir David Vallat, 1999.5 Pour une analyse critique des points communs et différences entre pays du Nord et du Sud en matière de techniques financières de déve-loppement voir l’article de Dorothée Pierret, 1999.6 L’International Association of Investors in the Social Economy a réalisé une synthèse des organismes européens développant des outils finan-ciers pour lutter contre le chômage par la création de micro-entreprises (voir Erwan Bothorel, 1997).

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féminin (Goldrauch en Allemagne7, le Fonds de garantie pour les initiatives de femmes en France). En Europe aussi le déve-loppement communautaire devient un objectif : sur le modèle des Community Development Corporations (corporations de développement communautaire) nord-américaines. Aston Reinvestment Trust est le premier organisme de ce type im-planté en Europe (à Birmingham en 1996) afin d’assurer la ré-génération des quartiers urbains défavorisés.La finance solidaireMicrocrédit, épargne solidaire, micro-finance, finance de proxi-mité, tous ces termes renvoient au champ plus général de la finance solidaire8 qui englobe les opérations d’épargne, de cré-dit, mais aussi de capital-risque, d’accompagnement et de sui-vi en direction de personnes marginalisées par le chômage dans une perspective de création d’entreprise. Si des préoccu-pations de rentabilité économique ne peuvent être exclues de ces opérations (ne serait-ce que pour permettre leur pérenni-sation), ce sont le respect des valeurs éthiques, humanistes qui caractérisent le champ de la finance solidaire. Dans cette perspective l’association Finansol9 (association pour le finance-ment solidaire) créée en 1996, a pour objectif de favoriser la promotion d’une pratique solidaire de l’épargne. Pour ce faire, l’association accorde un label (le label finansol) à des produits financiers (pour une durée de deux ans) s’inscrivant dans la lutte contre le chômage et l’exclusion. Ainsi un ensemble d’initiatives variées de finance solidaire se développent en France depuis les années quatre-vingts. Ces expériences consistent, pour partie, à réactiver des solidarités financières de proximité afin de favoriser la création de leur propre emploi par les personnes en voie de marginalisation. On parle tantôt de “  microfinance ” pour signifier que les in-terventions financières sont de faibles montants (entre 20 000 et 100 000 francs). On parle également de “ finance de proxi-

7 Voir Dorothée Pierret, 1999b.8 Voir David Vallat, 1998.9 Voir Jean-Paul Vigier, 1998.

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mité ” dans la mesure où leur efficacité repose sur une inscrip-tion dans l'espace local.Ces interventions répondent à un besoin de financement d’en-treprises créées par des personnes en marge de l’emploi et qui ont certaines difficultés à accéder au crédits bancaires tra-ditionnels.Le creux bancaireQuelques chiffres suffisent à mettre en évidence l’existence d’un creux bancaire (ou insuffisance voire absence de finance-ment bancaire) vis-à-vis de la création de micro-entreprises par des chômeurs.La création de petites entreprises par des chômeurs est dyna-mique en France. Ainsi, si l’on enregistre une diminution du nombre de créations d’entreprises au cours de la dernière dé-cennie (notamment de 13% entre 1989 et 1995), les chômeurs en représentent une part de plus en plus importante. En 1989, 20% des entreprises créées l’étaient par des chômeurs (52 800) ; en 1995, 40% l’étaient (88 400) et 50% en 1996. Cela se traduit aussi par une surreprésentation des entre-prises sans salariés dans la création d’entreprise — ainsi 78% des entreprises créées en 1995 ne comptaient aucun salarié. Remarquons enfin qu’en 1996 la moitié des 541 000 créations d’emplois sont issues de la création de nouvelles entreprises. La création d’entreprises, et a fortiori celle de micro-entreprises par des chômeurs, constitue donc un puis-sant facteur d’intégration économique et sociale. La plupart des petites entreprises sont créées dans le secteur du commerce et des services (80%) et sont donc très peu ca-pitalistiques : 53% des créateurs ont investi moins de 50 000 frs, 23% de 50 000 à 100 000 frs et seulement 5% plus de 500 000 frs. Même si les sommes en jeux sont modestes l’ob-tention d’un crédit bancaire est exceptionnelle : 90% des TPE (très petites entreprises, c’est-à-dire moins de 5 salariés) n’ont pas eu accès au système bancaire10. Le manque d’accès au fi-nancement se poursuit après la création : une enquête réali-10 Voir l’étude réalisée par le Commissariat Général au Plan, 1996.

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sée par SOFARIS montre que pour 51,6% des créateurs, le pro-blème essentiel reste celui du financement11. La micro-entre-prise est aussi fortement délaissée par les organismes de capi-tal risque de proximité dans la mesure où elle apparaît trop risquée. Le creux bancaire pour les micro-entreprises n’est pas com-pensé par l’existence d’aides publiques directes à leur créa-tion, quasi absentes. Une étude réalisée pour le Commissariat Général au Plan12 met en évidence le fait que les dispositifs d’aides bénéficient essentiellement aux entreprises de grande taille et aux entreprises situées dans les zones géographiques les plus “  riches  ”. Le rapport souligne en outre que le soutien immatériel (appui, conseil information, formation) est quasi-in-existant pour les microprojets. Certes, dans les années quatre-vingts a fonctionné la prime ACCRE13. Elle a été supprimée dé-but 1997, ce qui a accentué la difficulté d’accès à un capital de départ pour les demandeurs d’emploi. Un nouveau disposi-tif a été mis en place en 1998 qui prend la forme d’une avance remboursable14,. Il reste que cela ne peut suffire aux besoins des micro-entreprises à la fois dans le processus de leur créa-tion et dans leur fonctionnement normal. Au total, aujourd’hui l’aide publique à la micro-entreprise se traduit essentiellement par des mesures destinées à l’ensemble des créateurs (exoné-rations fiscales, dispositif Entreprendre en France mis en place par les chambres de commerce, régime spécial “ microentre-prise ”) et par quelques mesures d’aides pour les chômeurs créateurs dans le cadre du dispositif ACCRE (notamment des exonérations de charge pendant la première année d'activité ainsi que des chèques conseils).11 “ Quel avenir pour la création d’entreprise ? ”, Défis, juin 1996. 12 Voir l’étude réalisée par le Commissariat Général au Plan, 1996.13 Aide aux Chômeurs Créateurs ou Repreneurs d’Entreprises. 14 Encouragement au Développement d’Entreprise Nouvelle (EDEN). Ce dispositif s’adresse aux jeunes de moins de 25 ans, aux bénéficiaires de minima sociaux, aux salariés repreneurs d’entreprises en difficulté. L’at-tribution de cette aide d’un montant maximum de 40 000 francs est su-bordonnée à l’obtention d’un financement complémentaire. A ce jour le démarrage de cette mesure n’est pas encore effectif.

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Dans un tel contexte, les organismes de finance solidaire jouent un rôle essentiel, et ceci d’autant plus que bon nombre des créateurs bénéficiant d’un financement solidaire sont des personnes dont la seule alternative au chômage est la créa-tion de leur propre activité. En effet les créations d’entreprises et l’emploi dans le secteur privé concernent pour la plus grande part des TPE (très petites entreprises). Ainsi un micro-financement se justifie d’abord par le montant des sommes engagées pour la création. De plus, le fort ancrage régional voire local des créateurs justifie également l’action des organi-sations de finance de proximité qui d’une part se posent comme médiateur avec le secteur bancaire (qui lui s’oriente habituellement, du fait des coûts induits par la concurrence, vers des créations mobilisant plus de capital) et d’autre part font profiter les créateurs de leur connaissance du milieu local (mise en place de réseaux).

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3. Les activités des opérateurs de la finance solidaire

Aperçu généralLes expériences de finance solidaire nous apprennent à bien distinguer les différentes phases constitutives de ce type d’ac-tivité, ainsi que les risques liés à chaque phase : la collecte des ressources destinées à alimenter les prêts, l'étude des projets présentés, les systèmes de garanties, de cautions mis en place, l'opération de prêt ou d’apport en capital, et le suivi et l’assistance technique du projet lui-même.Certaines phases peuvent relever de l'État ou des collectivités locales (directement ou sous forme de couverture du coût d'in-tervention), d'organismes caritatifs ou de type ONG (organisa-tion non gouvernementale), alors que d'autres verront les éta-blissements financiers jouer pleinement leur rôle spécifique. Le succès de ces opérations d’aides à la création d’entreprise par des chômeurs peut précisément s'appuyer sur une com-plémentarité des rôles des uns et des autres. Un suivi tech-nique du projet diminue la probabilité de défaillances et par conséquent les risques pris par l'établissement prêteur.Dans le champ que nous avons défini comme étant celui de la finance solidaire, les activités des opérateurs sont au nombre de cinq. Parmi ces activités seulement trois correspondent au secteur financier traditionnel : l’épargne, le crédit/la prise de participation et la recherche de garanties. Une des spécificités du champ de la finance solidaire est de laisser une large place aux activités d’accueil, de suivi, d’assistance technique du porteur de projet. Le tableau ci-dessous donne un aperçu des organismes de finance solidaire en fonction de leur activité principale.Tableau 1. Quelques opérateurs de la finance solidaire et leur activité principale

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activité de prêt

activité de fonds de garantie

activité de capital

risque soli-daire

activité de conseil à la

création

activité de collecte

d’épargne solidaire

- ADIE- Nouvelle économie fraternelle- France ini-tiative ré-seau- Solidarité emploi

- France ac-tive

- Garrigue- Génération banlieue- Herrikoa- Femu Qui- CIGALE

- boutiques de gestion- Fondation 3CI

- Crédit co-opératif (FCP Epargne soli-daire, CODE-VI solidaire)- Crédit mu-tuel (FCP In-sertion em-ploi)- Caisse des dépôts (In-sertion em-ploi)

source : David Vallat, 1998.

Les activités de créditLe statut associatif et les prêts à caractère “   social   ” Le statut associatif est le plus répandu, il relève de la loi ban-caire de 1984 (article 11) qui permet à des associations de prêter des fonds sans devoir se constituer en banque ou socié-té financière, à condition toutefois que ce prêt se fasse à partir des fonds propres de la structure, et qu'il intègre une dimen-sion sociale. L'ADIE, ainsi que les fonds territoriaux, ont le sta-tut associatif. Si la collecte d'épargne est interdite, en re-vanche une association peut fonctionner avec une banque à travers la mise en place d'un fonds de garantie, ce qui lui per-met d'augmenter son enveloppe de crédit. Dès lors que les risques sont couverts (généralement à hauteur de 65%) par un fonds ponctionné en cas de problème, les banques n'hé-sitent plus à s'impliquer dans des projets a priori plus risqués que la moyenne. Certaines expériences, qui visent explicite-ment à se positionner comme intermédiaire entre les créa-teurs et le système bancaire classique, axent entièrement leur démarche sur ce principe ; c'est le cas par exemple de France Active. Remarquons toutefois que de plus en plus de disposi-tifs de prêts complètent leur activité de cette manière, c'est le

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seul moyen de pallier l'insuffisance de capitaux, publics ou pri-vés. C'est le cas par exemple de l'ADIE. Sociétés financières et banques solidairesSeul le statut de société financière ou de banque autorise l'ac-tivité de prêt sur fonds propres, mais le capital minimum exigé est de 15 millions de francs pour une société financière, de 35 millions de francs pour une banque, ce qui explique le peu d'expériences de ce type en France, ainsi que leur mise en place progressive. Ainsi l'association Nouvelle Economie Fra-ternelle (NEF) est née en 1979, il faudra attendre 1987 pour réunir le capital nécessaire et se constituer en société finan-cière, et 1999 pour acquérir celui de banque. Plus récemment, en 1996, la Caisse Solidaire de Roubaix, première initiative de société financière à vocation entièrement solidaire, ouvrait ses portes avec le soutien notamment du Conseil Régional. Les deux expériences sont affiliées à la Caisse Centrale du Crédit Coopératif.

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Tableau 2. Les principaux acteurs du crédit solidaire en France

organisme montant des inter-ventions

garantie niveau d'ac-tivité

ADIE association loi 1901(1988)

prêts d'un montant maximum de 30 000 frcsdurée 3 à 5 anstaux d'intérêt d'envi-ron 8%durée variable

caution soli-daire de l'en-tourage (50%)fonds de ga-rantie

environ 2000 projets finan-cés en 1997

Fonds France Activeassociation loi 1901(1988)

prêts bancaire via un fonds de garantie

fonds de ga-rantie

environ 250 projets finan-cés en 1997

Plate Forme d'Initiative Lo-caleassociation loi 1901(début des années 80)

prêts d'honneur (sans garantie, sans inté-rêts)entre 20 000 et 50 000 (exceptionnel-lement jusqu'à 250 000 frs)durée variable

pas de garan-tie

environ 1000 projets finan-cés en 1997

NEFbanque (de-puis 1999)société finan-cière (1987)

prêts de 250 000 frs en moyenne

caution soli-daire de l'en-tourage (50%)matérielhypothèques

118 prêts en 1996

Caisse Soli-daire de Rou-baixsociété finan-cière (1996)

prêts entre 30 000 et 150 000 frsdurée variable

caution soli-daire de l'en-tourage (30%)fonds de ga-rantie

76 prêts en 1998 pour un montant total de 6 millions de francs (montant moyen par projet : 75 000)

Source : Isabelle Guérin, 1999.

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Prises de participation et dispositifs de capital risqueUne dimension éthique très présenteLes sociétés de capital risque sont habilitées à faire des inter-ventions sous forme de prise de participation. L'appel à l'épargne peut être public (statut de sociétés anonymes) ou privé (statut de société coopérative). La dimension éthique est très souvent présente : ainsi Garrigues, première coopérative de capital risque (1985), met l’accent sur les secteurs de l’énergie renouvelable de l’agriculture biologique, de l’inser-tion, du commerce équitable. Citons également Autonomie et Solidarité, qui privilégie les entreprises avec embauche de chômeurs de longue durée ou encore Génération Banlieue, qui s'adresse, comme son nom l'indique, aux entrepreneurs de quartiers urbains défavorisés. D'autres structures de capital risque sont rattachées à un territoire précis, et misent d'ailleurs sur un sentiment d'appartenance pour mobiliser les épargnants : ainsi Herrikoa au Pays Basque, Femu Qui en Corse, ou encore Filières en Bretagne. A une échelle encore plus étroite, on peut citer les Clubs d'Investisseurs pour une Gestion Locale et Alternative de l'Epargne (Cigales). Consti-tués sous forme d'indivision volontaire, les Cigales regroupent guère plus d'une vingtaine de personnes physiques qui ali-mentent régulièrement un fond commun. Celui-ci est utilisé ensuite pour des prises de participation dans des projets lo-caux, choisies selon des critères définis par le groupe, le plus souvent "alternatifs" ou sociaux. Une intervention limitéeRemarquons que l’intervention sous forme de prise de partici-pation occupe une part minime de la finance solidaire. On compte une cinquantaine de structures de capital-risque de proximité sur l'ensemble du territoire, mais qui réalisent seule-ment 200 interventions par an15. Plusieurs raisons justifient cette situation. Les résultats fournis par Eficéa, standard télé-phonique visant à orienter les créateurs vers des offreurs de 15 Enquête réalisée par Eficéa pour la DATAR.

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capitaux, montrent que les créateurs sont surtout demandeurs de prêts (61%) ; la part des demandes en capital-risque est seulement de 17%. Non seulement la formule est mal connue, mais elle suscite des réticences, notamment la peur de ne pas être “ seul maître à bord ” Outre une faible demande, le mode d’intervention d’une société de capital-risque est limité pour deux raisons. La première limite provient du mode de collecte des fonds : la capacité à mobiliser de l'épargne de particuliers conditionne les fonds disponibles. La seconde limite concerne le type d’entreprise financée : la société ne peut intervenir que dans des sociétés capitalisables et ne peut donc pas aider des personnes en affaire personnelle, des associations, des projets ruraux, etc.Prise de garantieEn matière de crédit la question centrale est celle du risque de défaillance du débiteur. Comment réduire ce risque d’une ma-nière suffisante afin qu’il ne menace pas la pérennité de l’or-ganisme de prêt ? De manière générale les organismes de prêt prennent des garanties ou sûretés qui peuvent prendre plusieurs formes : sûretés personnelles (caution), sûretés réelles (gage, hypothèque, antichrèse) et sûretés fondées sur une réserve de propriété (crédit-bail). Le champ de la finance solidaire concerne un panel assez large de publics. Certains emprunteurs disposent de garanties mobilières ou immobi-lières. Ainsi la Nouvelle Economie Fraternelle prend pour des prêts d’un montant important jusqu’à 120% du montant du prêt sous forme de garanties hypothécaires. Cette forme de garantie est à mettre en parallèle avec le montant moyen du prêt, 200 000 francs. Il est clair que le public visé par de tels prêts n’est pas celui des allocataires du revenu minimum d’in-sertion. Il apparaît que les créateurs bénéficiaires potentiels de financements solidaires ne se situent pas en majorité dans la tranche de population visée par la Nouvelle Economie Fra-ternelle.

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Il se trouve que 53% des entreprises créées en 1995 ont né-cessité moins de 50 000 francs de capitaux au démarrage16. Si un prêt d’un montant inférieur ou égal à 50 000 francs n’a pu être obtenu au sein du secteur bancaire c’est que, sans doute, le projet présente un risque évalué comme étant élevé par la banque. Une absence de garanties est facteur de risque. Lorsque l’on a affaire à des emprunteurs ne disposant que de peu de garanties mobilières ou immobilières, il convient de mettre en place d’autres formes de garanties s’articulant sur des relations de proximité et de confiance.

16 Commissariat général du Plan, 1996.

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Garantie offerte par la proximitéL’établissement de relations de proximité, personnalisées dues à des contacts fréquents favorise la mise en place de liens de confiance. La proximité relationnelle va faciliter l’établisse-ment de relations de confiance et donc l’obtention d’un crédit. Cette proximité relationnelle s’alimente de la proximité géo-graphique, sociale et mentale. “ La proximité mentale peut être celle des savoir-faire et des connaissances partagées par un même groupe ethnique, professionnel, religieux, ou par ceux ayant une éthique ou une idéologie commune, etc. ”17. Cette confiance s’appuie sur la parfaite connaissance du créa-teur et de son projet. Contrairement à une banque qui souffre des asymétries d’informations liées à sa méconnaissance du client, les organismes de finance solidaire construisent pro-gressivement des relations de confiance avec le créateur18. La proximité relationnelle entre le créateur et le chargé de mis-sion implique une évaluation très fine de la viabilité du projet. Une fois le crédit accordé, le suivi de l’entreprise permet de s’assurer du remboursement du crédit. La garantie du risque favorisée par une proximité relationnelle est un dispositif com-mun à de nombreux organismes de proximité. C’est la forme de garantie essentielle lors de l’octroi de prêts d’honneur (qui par définition sont sans garantie). Se rendre sur les lieux de la création et/ou au domicile du créateur est une étape clef dans la construction de la relation de confiance. C’est un moyen d’évaluer les risques et de mieux cerner l’activité (notamment en évaluant la clientèle potentielle), mais c’est aussi un moyen de mieux rentrer dans l’intimité de la personne ; il est plus facile d’aborder certains points délicats lorsque la personne est dans un environnement qui lui est familier. Au-delà d’une garantie assise sur des relations de proximité, deux autres mesures peuvent être mobilisées : le recours au cautionnement solidaire et au fonds de garantie

17 Jean-Michel Servet, 1997, p. 31.18 Voir Isabelle Guérin, David Vallat, à paraître 2000.

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Garantie par cautionnement solidaire et mutualisationUne mesure répandue consiste à organiser autour du créateur un réseau de personnes se portant caution solidaire. L’Asso-ciation pour le droit à l’initiative économique demande par exemple que le créateur trouve des cautions solidaires garan-tissant 50% du montant prêté. Cette pratique de cautionne-ment solidaire ne constitue pas une garantie du fait des sommes gagées. En effet en cas de défaillance les procédures de recouvrement sont très rares. Du fait des faibles montants des prêts, chercher à se faire rembourser peut occasionner des coûts équivalents à la somme due. Le cautionnement soli-daire apporte une garantie à travers le réseau de personnes mobilisées par le créateur. Les organismes prêteurs consi-dèrent les cautions solidaires comme reflétant le sérieux du projet : on fait forcément plus confiance à un créateur capable de mobiliser son entourage autour du projet. En effet, les per-sonnes s’étant constituées cautions solidaires sont suscep-tibles de s’impliquer dans la bonne marche de l’entreprise pour préserver leurs intérêts.Le risque peut être mutualisé par prélèvement d’une partie du montant du prêt comme contribution au fonds de garantie. Ainsi l’Association pour le droit à l’initiative économique pré-lève 3% du montant de chaque prêt. Le fonds de garantie est parfois alimenté par des cotisations : les souscripteurs des Clubs d’épargne pour les femmes qui entreprennent cotisent 100 francs par mois.Les fonds de garantieLorsqu’un établissement bancaire est impliqué dans l’opéra-tion de crédit, il peut ne pas se satisfaire des dispositifs de ga-rantie par suivi et cautionnement mutuel. C’est dans cette op-tique que des fonds de garantie sont mis en place dans le cadre de plate-forme de développement local. Une plate-forme regroupe sous un statut associatif, des partenaires écono-miques et institutionnels locaux soucieux de favoriser, par des actions concrètes, la création de micro-entreprises. L’objectif de la plate-forme est de faciliter la constitution des fonds

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propres des petites entreprises notamment par l’accès au cré-dit bancaire. Cet accès est facilité lorsque les prêts de la banque sont assis sur un fonds de garantie local. Les fonds de garantie mis en place par les plates-formes de développement local sont alimentés par des dons d’entreprises, des subven-tions de collectivités et des apports de la société France active garantie. Le risque de défaillance est ainsi réduit pour la banque puisque 65% du prêt est garantie par le fonds, la part du risque pour la banque ne s’élevant plus qu’à 35%. Accueil/conseil, suiviTous les organismes de finance solidaire n’ont pas des activi-tés d’accueil et de suivi similaires. Ces activités varient selon le type de population accueillie et le degré de sélectivité des dossiers. Certains organismes exigent du créateur potentiel, un projet formalisé qui nécessite uniquement d’être finalisé. Ceci implique que le créateur soit en mesure d’avoir réalisé une petite étude de marché, d’avoir une formation suffisante pour construire un plan de financement et un budget. Lorsque la population ciblée par l’organisme concerne des chômeurs de longue durée, des personnes handicapées par un faible ni-veau d’étude, des allocataires de minima sociaux, populations qui, à des degrés divers, se trouvent durablement en marge du travail, la nécessité d’un accueil personnalisé se fait sentir plus vivement. Cet accueil doit se muer ensuite en un suivi qui va être garant de la pérennité de l’entreprise créée.

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4. Les enjeux de la finance solidaire

Les besoins des créateurs-chômeursFinancement mais aussi accompagnement et formationSi l’auto-emploi peut apparaître comme une alternative pos-sible à la crise salariale (rappelons qu'en  1996 presque la moitié des nouvelles entreprises sont créées par des per-sonnes issues d’une situation de chômage), pour une large partie de ce type de créateurs l’entrepreneuriat est devenu le seul moyen d’éviter le statut d’assisté. Ce n’est donc pas une logique de développement mais de “ subsistance ” qui pré-vaut. Les risques de ce type de création sont alors bien plus marqués et il est indispensable de bien prendre en compte toute la vulnérabilité de ce type d’entreprise. Cette logique de subsistance ne concerne bien sûr pas tous les chômeurs créa-teurs d’entreprises ; parmi ces derniers certains se situent dans une logique tout à fait “ offensive ” et inversement on re-trouve aussi cette logique de “ subsistance ” parmi les créa-teurs non-chômeurs. Toutefois elle est prédominante chez les créateurs chômeurs, et elle y est d’autant plus risquée que ces derniers disposent, a priori, de capitaux économiques et socio-culturels inférieurs à la moyenne19. Outre l'insuffisance de capitaux, se pose alors avec acuité le problème de l'accompagnement et du suivi des activités créées. Pour les organismes de finance solidaire, l'intermédia-tion financière n’est finalement qu'une activité parmi d'autres : accueil, accompagnement et suivi se révèlent abso-lument indispensables. Selon l’enquête OMEGA20 [les meilleurs taux de survie à 3 ans sont ceux de créateurs ayant bénéficié d’au moins deux appuis lors du démarrage de leur entreprise 19 Voir à ce sujet les travaux réalisés par la DARES et notamment par Anne-Lise Aucouturier  cités en bibliographie.20 Voir à ce sujet APCE (1999a).

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(78% de taux de survie, contre une moyenne de pérennité de l’ensemble des créations nouvelles de 65%). Les enquêtes réa-lisées par l'ADIE auprès de sa propre clientèle confirment lar-gement ce constat : le temps passé à suivre le créateur condi-tionne fortement le taux d’impayés et la pérennité de l'entre-prise. Suivi et accompagnement sont donc à la fois un mode décisif de lutte contre les risques (précisons que dans la plu-part des cas aucune garantie n'est exigée) ainsi qu'un mode de viabilisation de l'activité. En dépit des divergences de sta-tuts, de “ philosophies ” et de modes de fonctionnement évo-quées plus haut, les différentes expériences ont pour point commun de combiner de manière originale solidarité et esprit d’entreprendre, deux dimensions de l’action humaine que l’on a plutôt tendance à concevoir de manière distincte sinon op-posée. Les dimensions économiques et sociales de la création d’activité sont en fait indissociables. Un accompagnement sou-tenu, des relations de confiance et de proximité et enfin des mécanismes de cautionnement originaux sont autant d’élé-ments qui permettent de mutualiser les risques tout en partici-pant à l’insertion du créateur. Le contenu des emplois créésFavoriser la création d’entreprises par les chômeurs ne doit en aucun cas être envisagé comme une fin en soi, sauf à ne considérer comme digne d’intérêt qu’une diminution du chiffre des chômeurs. Il ne faut pas oublier la qualité de ces micro-emplois nouvellement créés. Celle-ci passe par un revenu dé-cent, des conditions de travail convenables, une protection so-ciale de plein droit.En France notamment, la création de micro-entreprises ne peut-elle être perçue comme un moyen de laisser de côté la législation sur le salaire minimum ? Bien sûr les micro-entre-preneurs ne sont pas des salariés, mais peut-on tolérer que, pour certains, leur rémunération soit largement inférieure au salaire minimum interprofessionnel garanti ? N’y-a-t-il pas là un risque de voir se constituer une classe d’entrepreneurs au rabais ? Ne percevant que des revenus peu élevés, ces per-sonnes risquent de se situer à la marge de la protection so-

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ciale. Le risque est que la création d’une micro-entreprise coupe le lien avec la protection sociale, alors que la personne peut encore se situer, du fait de revenus très faibles, dans son champ d’application. Plus généralement, le risque inhérent aux initiatives de finance solidaire est que l’État reporte cer-taines de ses prérogatives de protection sociale sur les orga-nismes de microcrédit : à eux, dès lors, de s’occuper des chô-meurs.La loi d’orientation contre les exclusions du 9 juillet 1998 pré-voit qu’une personne peut cumuler pendant les trois premiers mois d’exercice d’une activité (pendant les mois suivants, le cumul est dégressif) une allocation avec le revenu de l’activité (limitée à un demi-smic). Cette approche favorise l’initiative in-dividuelle sans pour autant couper la personne de son lien avec l’État. En allant plus loin, soulignons qu’un revenu mini-mum inconditionnel21 favoriserait la création d’activité. Celle-ci apparaît comme une source de revenu, non pas substituable à un minimum social, mais complémentaire.Médiation associative et par-tenariatsRelations de confiance et de proximité, territorialisation de l'action sont au cœur des démarches de crédit solidaire. La médiation associative apparaît donc indispensable. Toutefois si les associations investissant le champ de la finance solidaire réussissent là où souvent le marché et l'Etat échouent, on as-siste en fait à une imbrication étroite entre les trois secteurs. Et c'est dans cette imbrication que se joue d'ailleurs l'efficacité et l'avenir de la finance solidaire. La dynamique associative ne se situe pas contre l'Etat ou contre le marché, bien au contraire l'interdépendance est nécessaire même si elle est parfois conflictuelle.  Les réactions très hostiles de la Commis-sion des Opérations de Bourse face à plusieurs appels publics à l'épargne par des associations de finance solidaire sont à cet

21 Voir à ce propos “ Vers un revenu minimum inconditionnel ”, La revue du MAUSS, n°7, 1er semestre 1996, Paris : La découverte/MAUSS.

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égard révélatrices (on peut citer l'exemple d'Herrikoa en Pays Basque et de Génération Banlieue). L'hybridation des ressourcesA l'heure actuelle aucune expérience ne peut se déclarer en-tièrement publique ou privée. On assiste systématiquement à une hybridation entre ressources marchandes, non mar-chandes et non monétaires (bénévolat). C'est l'équilibre entre les trois qui varie, selon les organismes et au cours du temps. Ainsi l'ADIE s'est mise en place essentiellement à partir de subventions privées ; elle bénéficie depuis d'une certaine légi-timité qui lui a permis d'attirer une part croissante de fonds publics ; elle s'oriente également vers les ressources mar-chandes en développant de plus de plus de partenariats ban-caires. France Active est un bon exemple d'hybridation des ressources publiques et privées et de l'effet de levier qui en résulte. Il s'agit d'une initiative para-publique initiée par la Caisse des Dépôts et Consignations dans le cadre de la décen-tralisation et de la territorialisation des financements publics. Une antenne centrale soutient la mise en place de fonds terri-toriaux, mais les fonds publics ne sont débloqués que si l'an-tenne locale parvient à mobiliser l'équivalent en fonds privés. Et l'objectif consiste à se positionner comme médiateur entre créateurs et système bancaire, et donc à développer au maxi-mum les partenariats bancaires. Des subventions publiques indispensablesLe statut associatif, nous l'avons vu plus haut, autorise l'activi-té de prêt à condition que celle-ci se fasse sur les fonds propres de la structure. En d'autres termes il ne peut y avoir transformation d'épargne en crédit, de telles initiatives exigent donc nécessairement des subventions publiques, les dons privés restant insuffisants pour assurer une activité de prêt et de soutien et d'accompagnement à la création. Par ailleurs même pour les organismes qui collectent de l'épargne, l'activité d'intermédiation financière ne peut être rentable du fait des coûts de l'accompagnement. Ici encore seules des subventions peuvent garantir l'équilibre.

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Les partenariats bancairesPour le milieu associatif, un moyen toutefois de limiter la dé-pendance à l'égard des fonds publics consiste à développer des partenariats bancaires via les fonds de garantie. C’est d’ailleurs dans cette voie que se sont engagés les dispositifs de crédit solidaire qui veulent dépasser le stade expérimental. Certains dispositifs, nous l'avons vu, ne fonctionnent qu’en partenariat avec une institution financière (c’est notamment le cas des outils financiers de France Active), leur objectif étant explicitement de se positionner comme médiateur entre la banque et le créateur. Mais même lorsque le partenariat ban-caire n’est pas un objectif de départ, il s’avère indispensable dès que l’activité prétend atteindre une certaine ampleur. Mi-nime au départ, l’implication bancaire tend ainsi à occuper la majeure partie des sources de financement des principaux ré-seaux de crédit solidaire22.Au-delà de la viabilisation des dispositifs, remarquons que ce type de partenariat est le seul moyen de rendre accessible le monde bancaire à des personnes qui ne présentent pas les conditions de garantie classiques

5. Quelques pistes d’améliorations

Diverses mesures ont déjà été prises pour améliorer la créa-tion d’entreprises (loi Madelin du 11 février 1994, qui compor-tait des dispositions en faveur, notamment des entreprises in-dividuelles). Depuis juin 1997, des actions cohérentes d’appui à la création d’entreprises ont été prises (simplifications admi-nistratives, aides au financement de projet, mesures fiscales en faveur notamment, des entreprises innovantes, etc.). Ce-pendant ces actions concernent peu, voire pas du tout, les pe-tites entreprises comme le souligne le rapport Besson 23 qui 22 A titre d’exemple, les fonds bancaires représentent en 1998, 75% des montants de prêts pour l’ADIE, 70% pour les plates-formes d’initiative locale.23 Eric Besson, 1999.

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évoque la nécessité de “ démocratiser ” l’entrepreneuriat et de partager le risque entre la collectivité et le créateur. Deux pistes d’amélioration peuvent être suggérées : l’adaptation de la législation et l’implication des collectivités locales.Les blocages législatifs L’inadaptation de la législation bancaireLa législation bancaire française, nous l'avons évoqué à plu-sieurs reprises, est foncièrement inadaptée à des opérations d'intermédiation financière de type solidaire. Le statut associa-tif interdit toute transformation d'épargne en crédit. Il faut évoquer également les limites imposées par la loi Galland au-près des collectivités locales; celles-ci ne sont pas habilitées directement à faire du prêt tout en étant vivement sollicitées pour participer à la constitution de fonds de prêts. Pour faire face à cette contradiction les collectivités sont amenées à pro-céder à des montages complexes ; la création d’association est un moyen de contourner l’interdiction mais on se heurte alors au risque de gestion de fait . En matière de mobilisation des ressources, mobiliser l'épargne des particuliers pourrait pallier l'insuffisance de fonds publics ou privés. Ici encore on se heurte à plusieurs obstacles. Au-de-là de 300 souscripteurs, l'appel à l'épargne est qualifié d'appel public; il requiert un très grand formalisme ainsi que des contraintes administratives lourdes; et il n'est valide que si une certaine somme est mobilisée sur une période très courte. En deçà de 300 souscripteurs, toute publicité est interdite. En-fin le capital de départ requis pour une institution financière (15 millions de francs), a fortiori pour une banque (35 millions de francs) est également rédhibitoire. Il existe cependant des organismes de placements collectifs en capital variable (OPCVM) dont l’objet est de collecter des fonds (Fonds commun de placement Insertion emploi, Fonds commun de placement Epargne solidaire, etc.) pour les orga-nismes de finance solidaire faisant des prêts. France active bé-néficie des sommes apportés par les fonds communs de place-ment Epargne solidaire et France emploi. La NEF et Autonomie

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et solidarité reçoivent des capitaux en provenance du fonds commun de placement Insertion emploi. La Société d’investis-sement à capital variable Eurco solidarité verse des fonds à France active et à l'ADIE. Toutefois l’épargne éthique ne repré-sente encore qu’une très faible part des fonds utilisés par les organismes de finance solidaire. La frilosité des épargnants y est pour partie ; on se heurte ici à un problème de représenta-tion, il semble difficilement concevable dans l'imaginaire col-lectif de "faire de l'argent" avec les "pauvres". Mais ici encore, la législation est un frein : l'épargne investie sous forme de prise de participation bénéfice d'avantages fiscaux, mais ce n'est pas le cas de l'épargne éthique ou solidaire. Sensibilisa-tion du grand public et lobbying envers la législation fiscale devraient permettre de faire avancer les choses. C'est juste-ment le but de l'association Finansol, créée il y a quelques an-nées pour assurer la promotion de l'épargne éthique et soli-daire. L’implication des collectivités localesLa suppression de l’ACCRE et son remplacement par le disposi-tif EDEN beaucoup plus restreint et en partie délégué au mi-lieu associatif, consacre le désengagement direct de l’Etat. De ce fait, les collectivités locales voient un accroissement de leur rôle en matière de soutien à la création d’entreprise.Un rôle d’impulsion dans la mise en place de fonds de prêtsC’est le cas par exemple des régions du Nord-Pas-de Calais et Rhône-Alpes, qui ont opté pour un soutien systématique à toute initiative crédible de fonds de prêt à dimension territo-riale. Les fonds publics jouent ici un véritable effet de levier, en incitant les institutions privées à s’impliquer. L’accent doit être mis sur le financement de l’accompagne-ment Soutenir la création d’activité par des personnes en difficulté est une voie possible pour lutter contre le chômage, à condi-tion toutefois de donner à ces personnes toutes les chances de réussir. Une simple incitation financière n’est pas suffisante en

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elle-même. Il est indispensable de soutenir également les dis-positifs d’accompagnement à la création d’entreprise24.Le problème central auquel se heurte l'ensemble des disposi-tifs concerne le financement de l'accompagnement des créa-teurs. S'il semble relativement facile d'obtenir des fonds desti-nés au prêt, il est en revanche beaucoup plus problématique de convaincre les bailleurs de fonds de financer la partie ca-chée de l'iceberg. La plupart des organismes sont donc pour l'instant condamnés à survivre en négociant en permanence, les chargés de mission passent généralement plus de la moitié de leur temps de travail à solliciter des partenaires. A l'instar de l'ensemble du mouvement associatif, les associations de fi-nance solidaire revendiquent une relation avec les pouvoirs publics qui soit plus contractuelle. Pour l'instant, elles entre-tiennent plus une image de laboratoire d'innovation que de ferment crédible de propositions globales et politiques. Inciter les banques à s’impliquer localement Pour ce faire il est possible de s’inspirer d’une législation mise en oeuvre aux Etats-Unis : le Community Reinvestment Act , créé en 1977, amendé en 1995. Il vise à lutter contre la discri-mination des banques envers les zones défavorisées en les in-citant à s’impliquer localement. Concrètement, la loi prévoit que des agences fédérales de supervision évaluent les perfor-mances financières des institutions financières par rapport aux services qu’elles apportent à l’ensemble de la communauté, y compris les quartiers et les populations les plus défavorisées. L’évaluation de cette performance est ensuite prise en compte dans l’évaluation des demandes d’agrément, d’ouverture d’agence, d’assurance, de dépôts, de fusion, etc. Ne pourrait-on imaginer une action incitative des collectivités locales en direction des banques pour les amener à prendre en compte les besoins de financement locaux ?

24 Un fort effet pervers de la prime ACCRE était justement l’absence de financement de l’accompagnement. Il convient donc de ne pas renouve-ler cette erreur (Voir Anne-Lise Aucouturier et alii., 1996).

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En guise de conclusionMieux connaître l'impact des dispositifs serait sans aucun doute un moyen de renforcer leur professionnalisme et donc leur crédibilité. L'impact reste à l'heure actuelle très mal connu. Les expériences sont encore jeunes, on dispose de ce fait de peu de recul ; combien même les études d'évaluation s'avèrent nécessaires, les moyens sont limités. Quelle est la qualité des emplois créés ? Quel est le coût collectif des em-plois créés ? Quels sont les facteurs d'échec, de réussite ? Pro-fessionnaliser les méthodes d'accompagnement est reconnu à l'unanimité, mais exige pour cela de mieux connaître les vé-cus. Si la question des coûts se pose, c'est non pas pour re-mettre en question de telles initiatives  comparer le coût an-nuel d'un chômeur (environ 120 000 francs) avec le coût d'une création (évalué par exemple à 50 000 francs pour l'ADIE)  suffit pour s'en convaincre, mais c'est plus pour repérer les fonctionnements les plus efficients.

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Les finances solidaires

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Les finances solidaires

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Elisabetta Bucolo.

Le com-merce

équitable

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Notes de l'Institut Karl Polanyi, 2001.

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Le commerce équitable

Sommaire

1. Intoduction.......................................................................................142

2. Le commerce équitable....................................................................144

La question du juste prix....................................................................................146

La communication directe entre consommateurs et producteurs.........................150

L’auto-développement (trade not aid)................................................................151

3. L’historique.....................................................................................151

4. Les acteurs et leurs réseaux..............................................................157

Les centrales d’achat.......................................................................................... 158

Les Magasins du Monde / World Shop...............................................................159

Les labels : organismes de certification équitable..............................................162

5. Production, distribution et consommation trois façons concrètes d’être solidaires...................................................................................167

Les producteurs.................................................................................................. 167

Les produits : produits artisanaux et agro-alimentaires.....................................172

Les opérateurs des magasins..............................................................................174

Les consommateurs / acquéreurs (consomm-acteur)...........................................175

6. Les questions de fond : les limites et le développement futur...........177

Adresses des réseaux internationaux..................................................................181

Adresses des acteurs français du commerce équitable signataires de la Plate-forme.................................................................................................................. 182

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Le commerce équitable

1. Intoduction

Pour mieux comprendre la valeur du commerce équitable, ain-si que son développement, ses défis et ses limites, il faut avoir à l’esprit le fait qu’il situe son action aux côtés de la logique économique libérale dominante, selon laquelle l’homme agirait rationnellement pour la satisfaction de ses propres intérêts personnels, en situation de rareté de moyens et de biens. Cette propension naturelle appartiendrait à tous les hommes qui, par la conjonction de leurs actions égoïstes, contribue-raient à la croissance et à la richesse des nations1. Cependant, déjà en 1944, Karl Polanyi2 avait montré le rôle se-condaire que le marché avait eu par rapport à la vie écono-mique des civilisations, jusqu’à la révolution industrielle. De-puis l’économie, en tant que sphère autonome, a été identifiée au marché. La monnaie, la nature, l’homme ont été transfor-més en marchandises. A l’heure actuelle la mondialisation ne fait qu’accroître ces logiques qui engendrent des disparités majeures, en perpétuant ainsi l’identification entre économie et marché, comme mécanisme auto-régulé d’offre, de de-mande et de prix.Pourtant, plusieurs expériences dans le monde démontrent que la rationalité économique a plusieurs facettes. Il s’agit du travail des ONG, des organisations d’économie populaire, des services de proximité, des formes variées de coopération so-ciale et non lucrative, des systèmes d’échange local, de la fi-nance éthique. Le commerce équitable est une de ces actions, qui s’appuie sur des valeurs partagées et des modes de vie des populations.

1 A. SMITH « Enquête sur la nature et les causes de la richesse des na-tions » 17762 K. POLANYI, La grande transformation : aux origines politiques et éco-nomiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983 (édition américaine de 1944).

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Les principes économiques sont donc divers et en affirmant cette pluralité nous pourrons comprendre l’action du com-merce équitable tout en ne négligeant pas la grande difficulté que représente pour lui ce scénario mondialisé dans lequel il opère.

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Le commerce équitable

2. Le commerce équitable

Le commerce équitable est avant tout un système de solidari-té concrète entre les pays riches du Nord et les petits produc-teurs du Sud. Ces derniers, pénalisés par les règles du marché dominant, sont soit exclus des circuits de production et de dis-tribution, soit exploités par les grandes multinationales. Grâce à des partenariats féconds, le commerce équitable permet aux petits producteurs/travailleurs du Sud de vendre leurs produits sur les marchés du Nord. Les acteurs du commerce équitable du Nord s’engagent à acheter aux producteurs du Sud leurs produits (produits artisanaux et matières premières) à un prix juste tenant compte des coûts réels de production, en limitant le plus possible les intermédiaires de la commercialisation, en assurant des relations de longue durée, en participant directe-ment (préfinancement et consulting) à la mise en place de projets de production et de développement local. Les produc-teurs du Sud s’engagent à organiser le travail de production de manière démocratique, en respectant des conditions envi-ronnementales et sociales, et à participer activement au déve-loppement local. Depuis trente ans, ces pratiques de commer-cialisation ont pris une grande envergure car elles répondent à deux soucis conjoints : d’une part, le souci des producteurs du Sud d’être acteurs de leur propre développement et, d’autre part, le souci des consommateurs du Nord de pouvoir acheter des produits éthiques. Cette alternative au commerce dominant appuie son fonction-nement sur des règles précises qui régissent la production, la distribution et la commercialisation (labellisation et vente) des produits du Sud. Tous les acteurs, au Nord comme au Sud, s’engagent à respecter les critères établis, pour permettre la durabilité de cette expérience. Les critères en détail :

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1. Achat direct à des producteurs du Sud (en général des petits producteurs organisés sur base collective) ;

2. Etablissement d’un registre des producteurs, respec-tant des critères de production écologiquement et socia-lement acceptables ;

3. Evaluations des projets de développement des produc-teurs ; 

4. Préfinancement des producteurs pour couvrir les coûts de mise en place de la production et des projets de déve-loppement local ;

5. Action de support pour le développement des entre-prises et des actions menées par les producteurs grâce à des micro-financements ou des crédits ;

6. Paiement aux producteurs d’un prix équitable qui est fixé selon le coût des matières premières et de la produc-tion, conformément aux standards de vie locale et donc qui suffit à garantir un niveau de vie raisonnable.

7. Limitation des intermédiaires qui engendrent des spé-culations non justifiées ;

8. Maintien de relations commerciales durables avec les producteurs ;

9. Action d’information auprès des producteurs sur le fonctionnement du marché international des produits qui les concernent par le biais de bulletins périodiques d’in-formation ;

10. Vente aux consommateurs à un prix, en moyenne, plus élevé que dans le marché traditionnel ;

11. Action d’information dans les “ magasins du monde ” auprès des consommateurs, sur toutes les actions du ré-seau du commerce équitable et de développement local ;

12. Organisation de campagnes de sensibilisation à grande échelle.

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Le commerce équitable

13. Aucun de ces critères n’a été établi au hasard et cha-cun donne lieu à des dynamiques solidaires et durables, socialement et écologiquement. Trois éléments clés sont, à notre avis, emblématiques des pratiques du commerce équitable : le prix, la communication directe entre consommateurs et producteurs et l’auto-développement.

La question du juste prix La théorie néo-classique indique que, en situation de concur-rence pure et parfaite, l’équilibre entre offre et demande éta-blit le juste prix des biens sur le marché. Or, cette règle est in-validée par les faits car il y a un nombre important de va-riables qui jouent sur ce prix d’équilibre. Dans le marché capi-taliste, ce sont les multinationales qui le contrôlent, les spécu-lateurs qui en rendent constamment variables les fluctuations, les intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs qui élèvent les coûts. Lorsqu'un petit producteur accède à ce marché, le prix auquel sa production est achetée ne couvre pas toujours ses coûts réels et il touche une moindre partie du prix auquel son produit sera vendu sur les marchés occiden-taux3.De plus, les fluctuations constantes des prix des matières premières, dont les pays du Sud sont les principaux produc-teurs, et l’exploitation de la main d’œuvre engendrent des cercles vicieux. L’appauvrissement limite les pouvoirs de né-gociation des producteurs du Sud et détermine le sous-déve-loppement, par manque d’investissement local. Comme le rap-pelle Francesco Terreri4 “ Les producteurs ne gagnent pas beaucoup, non pas à cause des prix bas du marché, mais au contraire, les produits ont des prix bas car les producteurs sont très mal payés ”Le commerce équitable renverse la logique de l’échange in-égal et introduit une variable éthique pour la définition du prix : le prix minimum est fixé par les producteurs (avec une 3 Nous prenons l’exemple du café : 87% du prix payé pour un paquet de café rester dans les circuits commerciaux du Nord, les 13% restant re-tourne dans le Sud, dont 10% est divisé entre les intermédiaires etseulement 3 ou 4% est effectivement destiné aux producteurs. 4 F. TERRERI, Revue Altreconomia, n° 5, novembre-décembre1998.

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Le commerce équitable

référence au prix du marché) en accord avec les centrales d’achat. Il s’agit d’une sorte de revenu minimum plancher 5. Le risque de fluctuation des prix est ainsi limité pour les produc-teurs, car quelles que soient les variations des prix des ma-tières premières sur le marché, un prix minimum est garanti. De plus, dans la définition du prix juste, on tient compte très scrupuleusement des besoins des petits producteurs et de leurs familles. Il leur est assuré, par le biais de calculs très pré-cis et toujours affichés, ce que l’on appelle le fair trade pre-mium, c’est-à-dire un plus que le commerce équitable paie sur le prix d’origine des produits pour donner aux producteurs et à leurs familles de quoi vivre au-dessus du seuil de pauvreté et de quoi réinvestir pour le bien de la communauté : de meilleures rémunérations aux producteurs, des marges pour des projets solidaires - services sociaux, écoles6 - des marges pour améliorer la production selon des clauses environnemen-tales et sociales. Du côté du consommateur, la question se pose en termes de choix éthique lorsque l’on décide d’acheter un produit du com-merce équitable. En effet, même si à peu près la moitié des produits du commerce équitable est vendue à un prix compa-rable à celui du marché dominant, le reste des produits est plus cher. Le surplus de prix payé correspond, d’une part, à un engagement solidaire du consommateur envers les petits pro-ducteurs : soutenir directement un projet et/ou une commu-nauté de producteurs du Sud du monde7 et, d’autre part, au choix critique de consommation tenant compte des modalités de production des biens achetés. Suite aux campagnes de sensibilisations menées ces dernières années par certains mouvements citoyens, les consommateurs sont de plus en plus attentifs au respect des règles éthiques de production8. Le consommateur trouve donc, dans le com-merce équitable, satisfaction de ses exigences éthiques car 5 Ibid.6 préinvestissement pour démarrer les activités par le biais d’un crédit fait au moment de l’ordre.7 T. PERNA, Fair trade, Torino, Bollati Boringhieri, 1998.

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seule une minorité de grandes marques, dans les réseaux de commerce traditionnel, affichent les conditions dans lesquelles leurs produits sont fabriqués, selon la clause sociale établie par l'Organisation Internationale du Travail - OIT.

8 72% des français accepteraient d’acheter un peu plus cher des mar-chandises d’importation produites dans des conditions sociales satisfai-santes. Centre Régional de la Consommation de Lille 1998, cité dans la brochure de la campagne « Exiger des produits éthiques » à l’initiative de Agir Ici, CCFD, Max Havelaar.

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Le prix transparent moyen

% sur 100 lires italiennes payées

Produits alimen-taires

Artisanat Café

Prix payé au producteur – prix FOB*

25,7 31 41,5

Coûts annexes : assurances, douane, transport, marques de garantie pour le préfinan-cement

22,27 8 20,9

Marge CTM. Couverture des coûts de fonctionnement 21,03 21 15,6

Marge moyennes des distri-buteurs : world shop

31 40 27

Prix final 100 100 100Source : site internet du CTM-Altromercato

Pour le café, les produits alimentaires et l’artisanat. *Le prix FOB ( Free on Board ) : il s’agit de ce qui est payé

au producteur en incluant le transport jusqu’au port d’em-barquement.

Dans les coûts annexes sont compris les coûts de trans-port, les taxes de douane, le stockage et les frais d'assu-rances. Sont également inclus, les préfinancements que le CTM accorde aux producteurs au moment de l’ordre.

Le marge CTM : coûts de structure

Prix payé au producteur par le CTM$ par tonne CTM Prix du marché

Sucre 760 92,1

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Cacao 1900 1045$ par 100 libres - -

Café 126 75,98Source : site internet du CTM- Altromercato

La communication directe entre consommateurs et producteurs“ La recherche d’un prix juste passe forcément par l’ouverture des canaux de communication directe, de connaissance réci-proque entre consommateurs et producteurs, d’analyse de leurs besoins respectifs ”9.. Ce n’est pas un hasard si les intermédiaires, dans le com-merce équitable, sont réduits au minimum. Et si cela répond effectivement à des exigences de limitation des coûts, il est vrai que d’autres raisons, d’origine solidaire, interviennent. La constitution de ponts entre le Nord et le Sud instaure une communication qui a été auparavant coupée entre ces deux parties du monde. La connaissance réciproque favorise l’échange et surtout en détermine les modalités. Notre consommation occidentale est volontairement mise à l'écart de l’information nécessaire pour savoir dans quelles conditions les produits consommés sont mis sur les marchés internatio-naux. En connaissant ces conditions de production les consom-mateurs seraient disposés à acheter certains produits. Le commerce équitable rétablit l’équilibre des connaissances réciproques par le biais de relations directes et le plus person-nalisés possibles entre les consommateurs du Nord et les pro-ducteurs du Sud. En activant ainsi des réseaux de confiance de plus en plus solides entre les différents acteurs, les produc-teurs du Sud peuvent “ planifier le futur ”10, dés lors qu’ils 9 T. PERNA, op. cit. 10 EFTA, 1998

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peuvent compter sur des relations de long terme avec les cen-trales du commerce équitable. Quant à ces dernières, elles savent que l’engagement des producteurs au respect des règles de production éthiques est stable. Sur la base de cette confiance réciproque, peuvent se construire des projets com-muns, qui dépassent les seuls bénéfices des uns et des autres, et qui revitalisent des hdynamiques locales et internationales de retour au marché, en tant qu’échange respectueux des parties. Le consommateur est, de cette manière, amené à par-ticiper à une histoire, selon l’expression de T.Perna, celle du produit et de ceux qui ont participé à sa production. Il prend part à un échange qui est, ainsi, chargé de sens. L’auto-développement (trade not aid)Par le biais de relations économiques solidaires, le commerce équitable est un instrument efficace de coopération avec les populations du Sud. Mais il s’agit bien d’une coopération à l’autodéveloppement, selon les souhaits des représentants des pays du Sud lors de la conférence de la CNUCED à Genève en 1964. Traid not aid, était la devise des populations sou-cieuses de trouver des chemins viables de développement pour leurs pays. Le commerce équitable, depuis ses origines, s’est inspiré de cette demande en se spécialisant, petit à petit, dans le soutien, le conseil, le monitorat, les supports sociaux, les formations et le pré-financement des projets de développe-ment portés par les producteurs/travailleurs et leurs familles au niveau local. Mais, au-delà des projets, le commerce équitable - comme le souligne Brid Bowen11 - est une méthode simple pour améliorer la situation des petits producteurs du Sud. Cette “ simplicité ” met à nu l’aberration de nos sociétés qui, par le biais de sys-tèmes complexes d’échange, réussit seulement à empêcher le partage équitable des richesses produites et des pouvoirs.

3. L’historique11 « Let’s go fair » dans EFTA, Mémento pour l’an 2000, janvier 1998

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En Hollande, depuis 1959 une association catholique, Ker-krade121, se spécialise dans l’importation de produits en prove-nance des pays en développement, vendus par correspon-dance via les églises et les réseaux tiers-mondistes. Quelques années plus tard, comme on l’a vu, des représentants des pays du Sud lancent un cri d’alarme à la conférence de la CNUCED13 de Genève en 1964 à l’égard des politiques d’aide au développement des pays du Nord. Ils sollicitent ces der-niers pour qu'ils arrêtent ces aides financières ponctuelles et de court terme pour activer, à leur place, de réelles politiques commerciales avec les pays pauvres : “ trade not aid ”.Sur ces idées initiales, inspirées de la coopération pour le dé-veloppement comme “ acte quotidien ” de solidarité, se sont ensuite greffées d’autres préoccupations portées par des mou-vements proches : les environnementalistes et les mouve-ments pour les droits de l’homme, les uns mettant en avant l’attention pour l’impact environnemental et les cultures biolo-giques et les autres contribuant à développer des dynamiques internes pour l’organisation du travail, le rôle des femmes, la démocratie14… La première expérience hollandaise de vente directe de pro-duits artisanaux du Sud a un grand succès et dès 1973, après l’ouverture du premier World Shop en 196915 à Brekelen16, le commerce s’élargit au matières premières. Le café “ Indio Soli-daritätskaffe” est importé directement du Guatemala et ses ventes dépassent celles des articles artisanaux. Ces deux ty-pologies de produits caractériseront par la suite le commerce équitable.

12 Association qui se constitue ensuite en Fondation « SOS Wereldhan-del »13 CNUCED - Conférence des Nations Unies pour le commerce et le déve-loppement14 T. PERNA, op. cit.15 120 autres magasins du monde seront ouverts dans les deux ans qui suivent.16 Ville néerlandaise.

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De multiples centrales du commerce équitable (ATOs – Alter-native Trading Organisations) se sont ainsi créées. Ce sont les magasins du monde, points de distribution, qui se chargent de la vente des produits équitables, et ce au milieu des autres magasins traditionnels. Dans 18 pays européens, on trouve aujourd’hui plus de 3.000 World Shop qui sont, outre des points de vente, surtout des lieux privilégiés d’information et de sensibilisation : à la différence des autres produits, les pro-duits du commerce équitable affichent leur origine (modes et lieux de productions), ainsi que le parcours fait jusqu’au consommateur du Nord. Cette lisibilité rapproche les produc-teurs et leurs familles des consommateurs, qui en connaissent ainsi les modes de vie.Mais les magasins du monde ne sont pas les seuls canaux de distribution. Depuis les années 80, certains acteurs du com-merce équitable, prenant en compte l’envergure de leur ac-tion, cherchent de nouveaux débouchés pour les produits équitables, répondant ainsi à la demande de certains produc-teurs du Sud, soucieux d’élargir leur vente au-delà du réseau des magasins du monde. Pendant la même période, les consommateurs se montrent de plus en plus sensibles aux problèmes de l’environnement et aux conditions de production dans les pays en développement. Compte-tenu de ces nouvelles préoccupations citoyennes et de l’envergure prise par le mouvement du commerce équi-table, une réflexion est déclenchée sur la nécessité d’élargir autant que possible la distribution des produits du commerce équitable et de les mettre à la disposition de tous les consom-mateurs - du militant au simple citoyen - par le biais de la grande distribution. C’est ainsi que naît, en 1988, aux Pays-Bas, le premier label des produits du commerce équitable : Max Havelaar (1990 en Belgique, 1992 en Suisse et France), TransFair en 1993, FairTrade depuis 1994 en Angleterre. Cela signifie un changement important de stratégie, qui n’est d'ailleurs pas toujours partagé par les acteurs du commerce équitable de la première heure. En effet, même si les buts sont identiques, les moyens pour les atteindre changent. L’intro-

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duction dans le marché dominant n’est pas acceptée par tous ceux qui imaginent une démarche globale et alternative au marché, ils refusent donc de s’associer à cette forme de com-mercialisation.Cependant, malgré les divergences, tous ces acteurs se recon-naissent partie d’un seul mouvement et savent qu’il faut gar-der une dynamique d’ensemble unitaire pour faire face aux pressions du marché capitaliste. Et pour cette raison, depuis peu de temps seulement, il est possible de trouver des pro-duits labellisés dans les réseaux des magasins du monde. La plate-forme17 du commerce équitable, en France, est un exemple de ce travail conjoint entre les acteurs qui mènent des actions convergentes pour plus de justice dans les rela-tions commerciales entre Nord et Sud, malgré des méthodolo-gies de travail différentes.Grâce à l’effet conjoint des campagnes de sensibilisation, dont les acteurs du commerce équitable sont le plus souvent les promoteurs, l’impact de ce type de commerce n’est pas seule-ment quantitatif (le chiffre d’affaires annuel au détail du mou-vement de commerce équitable en Europe est de plus de 200 millions d’Ecus. Son taux annuel moyen de croissance atteint 5%18) mais surtout qualitatif : les consommateurs font de plus en plus un choix d’achat attentif et critique. Selon le rapport d’EFTA, au Royaume-Uni, 86% des consommateurs connaissent le commerce équitable, 84% en Suède, en Bel-gique 62% et aux Pays Bas 66%. Au niveau européen, les citoyens sont assez sensibilisés à la question. Certes, beaucoup reste à faire, mais un pas impor-

17 En janvier 1997, les acteurs du commerce équitable français com-mencent à se rencontrer pour arriver, en 1998, à donner une définition commune de celui-ci. En mentionnant des critères impératifs et des cri-tères à atteindre. Ils mettent ainsi en place la plate-forme du commerce équitable française. Revue Peuples en marche, n.139, octobre 199818 En Espagne, le chiffre d’affaires au détail a augmenté de 50% entre 1995 et 1996 et a doublé de 1994 à 1996. Le taux de croissance en Ita-lie est de plus de 10% par an. En France il a également doublé entre 1994 à 1996. Source : EFTA «  Mémento pour l’an 2000 », janvier 1998.

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tant a été franchi avec la Résolution A4-198/98, approuvée par le Parlement Européen le 2 juillet 199819. Elle a le mérite de re-connaître au commerce équitable une place importante dans la politique de coopération au développement de l’Union euro-péenne. Elle pourrait avoir un effet levier sur le commerce in-ternational par l’engagement direct de l’Union dans la mise en place d’actions communautaires visant au soutien du com-merce équitable. Il s’agit de porter un nouveau regard sur les échanges internationaux et d'aller encore un peu plus loin que la clause sociale de l'OIT20 (interdiction du travail des enfants et du travail forcé, droit de s’organiser en syndicats, de négo-cier des conventions collectives et non-discrimination en ma-tière d’emplois). A l’heure actuelle, le commerce équitable représente seule-ment une partie très faible des échanges commerciaux dans le monde (en 1994, selon Efta, 0,1% du commerce européen avec le tiers monde, soit 1,5 milliards de francs français) mais il y a des signes qui montrent la nécessité de donner le plus d’envergure possible au débat concernant un commerce plus juste. Au niveau institutionnel, beaucoup de parlements natio-naux121 ont choisi de consommer du café produit équitable-ment, le produit symbole de ce commerce. Le parlement Euro-péen, le congrès des Etats Unis, le parlement japonais et, de-puis le mois de janvier 2000, le parlement canadien ont fait de même.

Extraits de la Plate-forme pour le commerce équitable  : Plate-forme pour le commerce équitable

19 Proposition de résolution faite par Raimondo Fassa ex maire de Va-rese – Italie. En annexe, extrait EFTA.20 Conditions mises au libre accès des marchandises produites dans un pays sur les autres marchés, en particulier ceux des pays industrialisés (source Alternatives Economiques, Hors-série n° 35, « Le bilan de la pla-nète »).21 En Europe beaucoup d’administrations consomment des produits équitables. Surtout le café : en Italie, Belgique, Autriche, Danemark, Al-lemagne, Pays Bas, Suisse et Espagne. Source : Revue Altreconomia, avril 2000.

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(signée par les acteurs français)En janvier 1997, la famille jusqu'alors morcelée des associa-tions du commerce équitable se rencontre. C’est le premier pas d'une dynamique qui, en 1998, aboutit A une définition commune du "commerce équitable". Avec mention de critères impératifs et de critères à atteindre. Par exemple concernant le travail des enfants. Extraits.Constat[Le commerce] est une activité indispensable A toute société. Mais l’organisation actuelle du commerce se fait souvent : — à l’insu du producteur comme du consommateur : le pro-ducteur ne connaît pas la destination de son produit, le consommateur en ignore la provenance réelle,— au détriment du producteur et du consommateur : les inter-médiaires les plus puissants imposent leurs règles, leurs prix, voire même leurs produits aux producteurs, comme aux consommateurs. D'un moyen de relation entre les hommes, le commerce est souvent devenu un enjeu de pouvoir et de profit privé lié à la spéculation à court terme. [ ... ] Placés dans ce contexte, les producteurs fabriquent des biens dans des condi-tions de travail souvent inhumaines, voire d’esclavage. Les conséquences sont alors déplorables tant pour eux que pour l’environnement (social, économique, écologique, culturel).Les engagements impératifs du commerce équitable...L’objectif est de permettre aux producteurs ; et aux consom-mateurs de vivre leur dignité et leur autonomie, en retrouvant la maîtrise et le sens de leurs actes.• Travailler d’abord avec : les producteurs parmi les plus défa-vorisés.• Refuser systématiquement une quelconque forme d’escla-vage ou de travail forcé.• Contractualiser des garanties portant sur le prix du produit (une juste rémunération prenant en compte les besoins des fa-milles en termes de formation, de santé, de protection so-

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ciale...), la qualité des produits, le versement d'un acompte lorsque les organisations de producteurs n'ont pas le fonds de roulement nécessaire pour acheter la matière première ou pour vivre tout simplement entre la commande et le règle-ment final.• Privilégier des relations commerciales durables avec les pro-ducteurs • Assurer la transparence dans le fonctionnement des diffé-rents partenaires • Accepter le contrô1e sur le respect de ces principes.... et des critères de progrès— L’é1imination du travail des enfants. Le travail des enfants ne peut être toléré que dans une période transitoire, en vue d'une scolarisation ou d'une formation.— La valorisation des potentiels locaux [ ... ], une utilisation raisonnée des matières premières [ ... ]— Le circuit le plus court [ ... ] entre producteurs et consom-mateurs.— Un engagement des acteurs envers leur environnement so-cio-économique. Par exemple, les bénéfices réalisés sont réin-vestis dans 1'entreprise et/ou dans des programmes de déve-loppement à caractère collectif, économique, écologique ou social, y compris la formation. — Une information qui permette an consommateur d’effectuer un achat fondé et responsable, à l'acte d'achat de relier le pro-ducteur au consommateur [ ... ]

Source : Peuple en marche – n° 139 – octobre 1998

4. Les acteurs et leurs réseaux

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Comme on a pu le constater, depuis sa naissance, le com-merce équitable est composé de différents acteurs, qui se par-tagent les tâches pour le fonctionnement de l’ensemble du système. Beaucoup de débats animent les divers courants, car, bien que la finalité de solidarité leur soit commune, leurs modalités d’action peuvent être très différentes. Les centrales d’achat Les Alternative Trading Organisations - ATOs (ou Fair Trade Organisations - FTOs) sont les centrales du commerce équi-table qui importent les produits du fair trade. Elles collaborent directement avec les producteurs du Sud, pour le montage des projets, pour la mise en place des productions, pour la création de ponts avec le Nord, en informant les producteurs du Sud sur le fonctionnement des marchés internationaux et les consommateurs du Nord sur les évolutions des projets locaux. Les centrales s’occupent du suivi des contacts de longue du-rée avec les producteurs (préfinancement, études de marché, améliorations des productions, évaluation des projets de déve-loppement, …), vérifient ponctuellement de part et d’autre, le respect des engagements sociaux et environnementaux pour la production des produits.Il a plus de 100 centrales du commerce équitable en Europe, mais aussi au Japon, aux USA, en Australie, en Nouvelle Zé-lande, au Canada.EFTA : European Fair Trade Association créée en 1990 et ba-sée à Maastricht, cette association regroupe 12 des princi-pales centrales du commerce équitable dans 9 pays d’Europe. Elle représente environ 60 % des importations équitables en Europe. L'EFTA permet l’importation de produits provenant de 800 groupes de producteurs du Sud issus de 45 pays diffé-rents dans le Sud, représentant 800 000 familles de produc-teurs, soit à peu près 5 millions de personnes11. L'EFTA publie un “ Mémento du commerce équitable ” où il est possible de trouver des informations sur le commerce équitable, sur les

1 EFTA, Mémento pour l’an 2000, janvier 1998

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matières premières du Sud, sur les campagnes de sensibilisa-tion en cours.

Centrales membres de EFTA

Consorzio CTM-Altromer-cato

Italie

Oxfam Trading, Traidcraft et Equal Exchange

Grande-Bretagne

Oxfam Wereldwinkels et Oxfam magasins du Monde

Belgique

Solidar’monde FranceGepa AllemagneFair trade Organisatie Pays-BasIdeas et Intermoon EspagneEza Dritte Welt AutricheClaro Suisse

Les Magasins du Monde / World Shop.Il y a plus de 3000 magasins du monde en Europe qui sont gé-rés par des bénévoles (30 000 environ ) ou, à un moindre de-gré, par des salariés. Les magasins du monde servent de points de vente pour les produits du fair trade. Cependant, l’acte de vente s’accompagne de la promotion des produits comme expression concrète de solidarité envers les peuples du Sud et comme acte de consommation critique. Pour cette raison, la vente s’accompagne obligatoirement d’une informa-tion très précise sur la provenance et l’origine des produits, sur la destination de l’argent dépensé, sur les canaux de distri-bution, sur les projets de développement. En général, ce sont des associations, des coopératives ou des ONG, qui sont à l’origine d’un magasin du monde. Chaque magasin est englo-bé dans un réseau plus large, et c’est d’ailleurs une des condi-

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tions de sa réussite. Ce réseau est constitué des centrales d’achat pour l’approvisionnement des produits équitables, et des mouvements civiques pour l’information sur les cam-pagnes de sensibilisation d’envergure nationale ou internatio-nale. Les magasins du monde sont les lieux de l’échange au sens traditionnel. Ils s’installent au milieu d’autres magasins, pour affirmer la volonté de construire des alternatives soutenables au capitalisme, tout en faisant du commerce. Mais l’acte éco-nomique s’accompagne de l’acte solidaire. Au sens premier de l’échange de marché. Il ne s’agit pas seulement d’aller acheter un produit (même si, pour certains, cela est déjà suffisant) mais tout en l'achetant, de s’informer et d’être informé. Il s’agit donc de créer autour de l’objet un prétexte de relation lointaine (avec d’autres peuples) ou voisine (avec les opérateurs gestionnaires des magasins, avec un mouvement citoyen). L'un des objectifs est, en tout les cas, de refonder des liens qui n’existent plus dans les rues commerçantes de nos grandes villes. L’information donnée met l’accent sur les contradictions qui traversent notre monde. Aussi bizarre que cela puisse nous paraître, dans notre société riche, tout pont avec l’extérieur est coupé et bien des gens ne connaissent même pas la misère dans laquelle vivent certaines populations. L’information joue un rôle fondamental de responsabilisation. Dans les World Shop, les produits sont là, avec leur étiquette informative, que l’on ne peut pas s’empêcher de lire et qui fi-nit par créer un esprit critique ou au moins une prise de conscience. Il existe un réseau européen des Magasins du monde dont les membres sont des associations nationales promotrices des World Shop. NEWS ! - Network of European Worldshops2, a été

2 Pour l’ensemble des informations sur NEWS ! nous avons reporté les propos de Suzanne Humberset « Les principaux acteurs au Nord du commerce équitable » in R. SLAGRAL, Pour une commerce équitable, Paris, Editions Charles Léopold Mayer, La librairie Fph, 1998.

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créé en juin 1994 et a son siège à Utrecht. Il regroupe 15 fédé-rations nationales dans 13 pays. Ses objectifs sont d’harmoni-ser les critères du commerce équitable, de soutenir la création de coordinations nationales dans les pays qui en sont dépour-vus et d’organiser des actions européennes de sensibilisation des consommateurs et des décideurs politiques et écono-miques.

Magasins membres de NEWS !

Arge Welt Läden et Oxfam Wereldwinkels AutricheMagasins du monde – Oxfam Belgique

Fair-net DanemarkFinnish Association of World Shops Finlande

Fédération Artisans du monde FranceRSK-AG Dritte Welt Läden Allemagne

Association of fair Trade shops in Ireland IrlandeAssociazione Botteghe del mondo Italie

Landelijke Wewniging van Wereldwinkels Pays-BasTiendas de comercio justo Espagne

Usam, association of Swedish World Shops

Suède

Association romande des magasins du monde et Vereinigung Dritte Welt läden

Suisse

British association for fair trade shops Grande-BretagneDepuis 1989, l’International Federation for Alternative Trade - IFAT regroupe des groupes de producteurs et d’artisans du Sud et des organisations du fair trade du Nord. Par l’organisa-tion de conférences biannuelles et de rencontrent, les

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membres s’échangent les informations nécessaires pour l’éla-boration de stratégies communes. Les labels : organismes de certification équitablePendant les années 80, après 20 ans d’existence et de déve-loppement du commerce équitable, naissent les labels de cer-tification de produits commercialisés de manière équitable. L’idée de base est de commercialiser les produits labelisés du commerce équitable aussi bien dans les Magasins du monde que dans la grande distribution, jusqu’au magasin de proximi-té ! Il existe trois labels principaux, selon les pays :Transfair en Autriche, Allemagne et Italie, Usa, Luxembourg, Canada, Japon (1992) ; Max Havelaar en Hollande (1988), Belgique, France et Suisse (1992), Fair Trade Mark en Angleterre et Irlande. L’ensemble de ces organisations est réuni, depuis 1997, sous le nom de FLO - Fair trade Labelling Organisations, qui a son siège à Bonn en Allemagne. La mise en place d’actions com-munes capables de donner une image unitaire aux groupes nationaux, en dépit des quelques divergences, est la raison pour laquelle, depuis 1993 déjà, la collaboration est réglemen-tée formellement entre les trois organisations. Les membres de FLO se sont engagés à établir des accords communs, des critères homogènes vis-à-vis des producteurs et ils ont parta-gé entre eux des zones de compétence et de monitorage. De cette manière, l’expertise de chacun est mise au service des autres. Ils ont ainsi mis en place des registres des producteurs rassemblant l’ensemble des groupes de producteurs réperto-riés. Il s’agit de producteurs avec une très faible possibilité d’accès au marché traditionnel, qui respectent toutes les conditions environnementales, sociales et juridiques, mais sur-tout ceux dont l’organisation de la structure de production se fonde sur des principes démocratiques et équitables. En effet,

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tous les membres doivent participer à la définition des priori-tés pour l’utilisation des bénéfices dérivés de la vente des pro-duits équitables. Cela est indispensable pour la délivrance du contrat de licence qui permet de bénéficier du label. La labelli-sation se limite à certains produits : café, thé, miel, cacao et banane. La Hollande gère le registre du café, la Suisse du cacao et de la banane, l’Allemagne celui du thé, du miel et du sucre. Ces registres internationaux recensent, donc les producteurs du Sud, aussi bien que les importateurs agréés en favorisant ainsi leur mise en relation.Un prix minimum est défini pour assurer au groupe de produc-tion non seulement de couvrir les coûts mais aussi une marge suffisante pour des investissements locaux. Une prime pour la production biologique peut être attribuée pour favoriser le res-pect de l’environnement, volet important pour le développe-ment. Les organisations FLO, comme les centrales d’achat, sup-portent les projets locaux ainsi que des nouvelles productions en octroyant des préfinancements et en garantissant des rela-tions de long terme entre les producteurs et les distributeurs du Nord. Les organisations constituent un cahier des charges et im-posent le paiement d’une redevance aux importateurs qui veulent apposer le label fair trade sur leurs produits. Les pro-duits ainsi labellisés peuvent être vendus dans les grandes surfaces aussi bien que dans les magasins du monde. Les pro-duits du commerce équitable sont ainsi disponibles, grâce aux labels, dans 70 000 points de vente en Europe, parmi lesquels 50 des principales chaînes de la grande distribution et 33000 supermarchés de moyenne dimension3.

3 En Suisse, 90% des détaillants vend des produits du commerce équi-table, aux Pays Bas environ 7000 supermarchés vendent des produits équitables et en Allemagne dans 25 000 points de vente, hors Magasins du monde, l’on peut trouver ces produits.

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Depuis la mise en place des labels, la vente des produits équi-tables, et en particulier le café, a pris un grand essor, avec une progression entre 10 % et 25 % par an en Europe.Depuis 1989, l’International Federation for Alternative Trade - IFAT regroupe des groupes de producteurs et d’artisans du Sud et des organisations du fair trade du Nord. Par l’organisa-tion de conférences bisannuelles et de rencontres, les membres s’échangent les informations nécessaires pour l’éla-boration de stratégies communes.

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Les contrôles effectués par FLO et un label national

Contrôle qualitatif Contrôle quantita-tif

Producteurs (contrôles effec-tués par les re-gistres FLO)

Sur la nature des or-ganisations• Efficacité et stabilité des structures• Ouverture des organi-sations à des nouveau membres• Utilisation de tech-niques de productions écosoutenables• Respect des critères de solidarité• Absence de toute dis-crimination• Indépendance poli-tique

Qualité du produit vendu dans le circuit FLO

Importateurs (contrôles effec-tués par le re-gistre FLO)

Sur le respect des conditions d’achat• Achats chez des pro-ducteurs inscrits sur les registres de FLO• Respect des prix fixés par FLO• Application des condi-tions financières favo-rables aux producteurs (préfinancement, dispo-sition de payement)•Conclusion de contrats de long terme

Comparaison entre quantité vendue par les producteurs et les quantités impor-tées.

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Utilisateurs du label (contrôle effectués par le label national)

Sur l’utilisation du la-bel• affichage correct sur l’étiquette• promotion correcte du label

• Comparaison entre quantités importées et celles achetés par les utilisateurs du la-bel.• Comparaison entre quantité de café vert acheté et du café torréfié.• Comparaison entre le café torréfié et café en paquet.• Comparaison entre café en paquet et le café vendu.

Source : Transfair Italie

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5. Production, distribution et consommation trois façons concrètes d’être solidaires

Le commerce équitable est l’expression d’une autre rationalité économique, dont la raison d’être n’est pas l’appropriation in-conditionnelle de la rareté mais plutôt le partage équitable des richesses et des pouvoirs. D’autres raisons économiques que la maximisation des profits en gèrent le fonctionnement. Les hommes, la terre, la monnaie reprennent leur place d’ori-gine dans le système d’échange. Leur valeur n’est plus définie en fonction des fluctuations des marchés, mais ce sont les échanges qui s’articulent à partir des valeurs humaines, so-ciales et environnementales. Pour le commerce équitable, il s’agit de construire une écono-mie solidaire qui puisse permettre aux femmes et aux hommes du Sud du monde de produire et de commercialiser leurs propres produits, tout en respectant leur dignité et en ayant à disposition des instruments financiers qui puissent les soutenir dans un parcours de développement autonome4. Les trois moments clés du commerce, production, distribution et consommation, sont ainsi structurés et vécus comme des moments d’échange solidaire, non seulement pour les popula-tions du Sud, mais aussi pour les hommes et les femmes du Nord qui peuvent choisir de consommer de manière éthique. Revenons, donc, aux protagonistes de ces trois moments du commerce.Les producteursLes référents locaux du commerce équitable sont, en général, les coopératives de travailleurs, les associations, des groupes familiaux ou communautaires, des ONG.

4 M. BURATTINI, D. TUCCONI, in Revue Altreconomia, n° 2, juin 1998.

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Très souvent, il s’agit de groupes de femmes ou de sujets so-cialement exclus, comme les handicapés. Leur dimension est variable, des groupes avec des milliers de travailleurs et des usines avec une dizaine d’ouvriers jusqu’aux petits groupes de femmes qui travaillent dans leurs maisons5. Leurs projets de production sont sélectionnés en fonction des critères du commerce équitable par les équipes des diffé-rentes ATOs, ou, au niveau européen, par l’EFTA. Le critère principal concerne l’organisation du travail de l’unité de pro-duction, qui se fonde sur le respect des conditions démocra-tiques de participation aux décisions concernant la production, la destination des gains et le montage des projets locaux. Il peut y avoir aussi des structures commerciales classiques, avec une direction et un management, mais le rôle de l’équipe dirigeante doit se limiter à coordonner les travaux de l’usine, toujours à partir d’une base de démocratie et de partage. Les décisions qui concernent les changements des productions doivent être examinées par l’assemblée des travailleurs et en accord avec les principes du commerce équitable. Les tra-vailleurs participent davantage à la gestion de l’entreprise, ils ont des responsabilités directement liées au bon fonctionne-ment de la production et au développement social de leur communauté. Ils ont, par ailleurs, des salaires plus conve-nables, ils ne sont pas exploités, ils sont plus syndicalisés et les droits de la femme sont mieux respectés.

Projets et producteursBombululu Workshop for the Handicapped – Kenya

Les problèmes dont soufrent les handicapés qui travaillent pour Bombolulu sont des défauts physiques légers jusqu’à la cécité et à la surdité : il s’agit de handicaps qui pro-voquent discrimination sociale et qui excluent les handica-pés du monde du travail. Pour les familles ils représentent, à ces conditions, un poids considérable. Beaucoup de han-dicapés, donc, sont obligés à laisser leur famille, ou sont

5 CIES, COOP, Consumiamo equo, Commission Européenne DG dévelop-pement, mars 2000.

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dans les rues à faire la manche. La grande majorité des membres de Bombolulu vient de familles rurales pauvres. La possibilité pour les handicapés, non seulement de ne pas être un poids pour la famille mais aussi de contribuer à son bien être, augment considérablement leur statut so-cial et la considération de la communauté. Les produits : colliers, bijoux, boucles d’oreilles, travaillé avec des matériaux différents (cuivre, or ou argent, pierre saponaire, malachite, pierre d’azur), articles en tissu (gants pour la cuisine, chemises, jupes paréo, sacs), masques en bois sculpté.Confiance aux handicapés : «  Bombululu Workshop for the Handicapped a été fondé en 1969 comme projet pilote pour les handicapés physiques d Kenya, il été géré par l’association kenyan des handicapés avec l’assistance des Peace Corps Volunteers des Etas-Unis et le support finan-cier de l’église méthodiste. Le but du projet étant de for-mer des handicapés pour qu’ils puissent acquérir des nou-velles capacités et les exercer dans le Centre ou chez eux. A côté du laboratoire de bijouterie, qui est une activité classique pour les handicapés de l’Afrique orientale, se sont développées des activités de texture, de coloration des étoffes et des ateliers de couture, ainsi que la fabrica-tion de produits en cuir. Actuellement Bombolulu permet à 270 handicapés de travailler et aux familles (environ 1000 personnes) de vivre dans le Centre. Les handicapés sont aussi bien des hommes que des femmes. Activité culturelle : en 1994 a été fondé le Centre culturel qui offre la reproduction des différents modes de vie des population kenyans, ainsi que des représentations musi-cales par des groupes ethniques. Il y a un salon d’exposi-tion des produits artisanaux, pour impulser les ventes.Bénéfices : Environ 60% des travailleurs est payé à la pièce et travaille 40 heures par semaine. 40% des tra-vailleurs est formé par des handicapés graves ou aveugles, et travaille avec un salaire fixe et de peu supé-

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rieur au minimum établi au Kenya. Tous les travailleurs qui vivent au Centre ont un logement gratuit, tandis que pour les autres est prévue une indemnité pour le logement de 20% du salaire de base. Des congés annuels sont prévus et rétribués et les dépenses médicales sont en partie rem-boursées. Bombolulu finance aussi les équipements médi-caux spécifiques pour les handicapés qui nécessite d’une contribution de 50% pour les dépenses de manutention. Commercialisation : La présence active dans les exposi-tions mondiales de l’artisanat et aux réunions de IFAT ont permis au Centre d’avoir beaucoup de contacts et des nouveaux clients. 50% des produits sont vendus au Kenya, surtout aux touristes, 50% est exporté dans 12 pays, quasi exclusivement à des magasins du monde (EZA en Au-triche, GEPA en Allemagne, CTM en Italie, Traidcraft au Royaume Uni). 95% de l’habillement est vendu au Kenya car plus adapté au goût et au climat local.

Source : CTM – Altromercato, site internet

Jeevan Nirwaha Niketan – IndeFormes à la couture par l’ONG J.NN., des femmes vivant dans les bidonvilles de Bombay se sont regroupées et ont constitué des ateliers coopératifs où elles produisent des articles textiles en coton. Elle gèrent leurs ateliers de fa-çon autonome. J.N.N. leur propose des bases d’éducation, s’occupe de leurs enfants, leur proposant une école infor-melle. Les femmes bénéficient des services d’un dispen-saire. Central Interregional de Artesanos del Peru – PérouC.I.A.P. est une organisation qui travaille dans un esprit de promotion des valeurs culturelles andines. Ses objectifs sont multiples : freiner l’exode rural, améliorer le niveau de vie des artisans, combattre l’exode rural, améliorer le niveau de vie des artisans, combattre l’oppression par une non-violence active, informer des conditions de vie et de

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travail au Pérou. Elle coopère avec plusieurs associations de différentes régions. Les artisans réalisent des lainages alpaga, des bijoux, des articles en céramique et en cale-basse, des tentures, etc… C.I.A.P. procède à une avance lors des achats et propose des formations à la comptabili-té, au management, au contrôle qualité, à la teinture.Source : Brochure de Solidar’Monde «  Produits Artisanaux, les par-tenaires en artisanat »

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Les produits : produits arti-sanaux et agro-alimentairesChaque produit est un produit-projet6, car, par sa production et sa vente, des communautés améliorent leurs conditions de vie. Les produits alimentaires et les produits de l’artisanat lo-cal sont certifiés par les équipes du commerce équitable. Il y a bien évidemment un souci de transparence pour permettre d’en connaître la provenance, le mode de production, l’utilisa-tion des gains liés à la vente du produit et s’assurer du respect des critères établis par les ATOs. Mais la lecture d’étiquettes si bien détaillées, faite à un second degré, sert essentiellement à raconter une histoire vraie. Derrière chaque produit, il y a une culture, des traditions lo-cales, des croyances et des symboles. Ces objets et ces odeurs venus d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine envahissent les ma-gasins du monde et rentrent dans le quotidien de nos apparte-ments occidentaux. Ils permettent d’établir un lien avec les producteurs, leurs communautés et leurs familles. Il y a deux grandes catégories de produits du commerce équi-table  : les produits agro-alimentaires (café, cacao, riz, miel, bananes, épices, thé, sucre,…) et les produits artisanaux (tis-sus, tapis, bijoux, verrerie, instruments musicaux, etc…). Dans la mesure du possible, toutes les phases de production et de transformation des produits doivent être faites sur place, dans le pays de production, et cela pour créer de plus en plus de valeur ajoutée au niveau local. Les produits ne sont jamais indispensables à l’alimentation de base de la communauté productrice ni essentiels pour la consommation locale, afin de garantir un commerce qui n’exploite pas les populations du Sud au bénéfice du consumérisme du Nord7.

Les produits et leur pays de provenance

6 Selon l’expression de E. MARTINELLI, « Il commercio equo e solidale : l’evoluzione europea e l’esperienza italiana » in Commercio equo e soli-dale, 7 Site internet du CTM-Altromercato (www.altromercato.it)

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AFRIQUEPays ProduitsCameroun Objets artistiques traditionnelsKenya Habillement, bijoux, articles en

cuir, produits en bois, paniers, karkadé.

Sud Afrique Bougies, céramiques, bijouxNigeria Objets traditionnels Touareg en

argentTanzanie Café, sculptures en boisZaïre CaféZimbabwe Thé, habillement, tissus, sacs

et sacs à dos, produits en pa-pier

ASIEPays ProduitsBangladesh Produits en juta et en bambouPhilippines Sucre de canne, fruits secs, pa-

niers objets en bambouInde Habillement, tissus de coton ou

soie, couvertures, tapis, objets en cuir travaillé naturellement, savons avec des huiles essen-tiels et extraits végétaux, jouets et objets en bois, bijoux, articles en pierre savon

Indonésie ArtisanatNépal TisanesSri Lanka Thé et épices, articles en bois,

objets laqués, céramiques, ba-tik

Thaïlande Riz, artisanat

AMERIQUE LATINEPays ProduitsBolivie Cacao, céréales, habillement

en laineBrésil Noix du Brésil, hamacs, cajou,

paniers, sacs Chili Produits artisanaux : bijoux, ar-

ticles en cuir, céramiques, ob-jets en bois ; miel

Côte Rica CacaoEquateur Produits artisanaux : objets en

fibre végétale, cuir, coton, bois,

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laineEl Salvador Objets en bois peint, produits

en papier, habilles, paniers et rabane en fibres, articles en cuir

Guatemala Café, articles en verre recyclé, tissus artisanaux

Honduras Noix de cajouMexique Café, miel.Nicaragua Articles en cuir, bois, céra-

mique, fibres végétales, miel, café, sésame

Pérou Produits artisanaux : tissus, ta-pis, paniers, tapisseries, objets en cuir, orfèvrerie, bijoux, ha-billement en laine et coton, cé-ramiques ; noix

République Dominicaine CaféUruguay Objets diversVenezuela Objets en céramique et grés,

en bois, cuir, papier, paniers, étoffes,

Source : CIES et COOP «  Consumiamo equo » Commission Européenne DG développement, mars 2000

Les opérateurs des maga-sinsL’investissement de chacun dans le commerce équitable est professionnel, économique, mais surtout idéal et affectif8. Du bénévole au professionnel, les rôles des uns et des autres sont multiples et ont différentes facettes. Les motivations éthiques se confrontent aux compétences nécessaires pour gérer les magasins : administration, gestion, comptabilité, marketing, publicité, relations publiques, insertion dans le marché local, etc… Les opérateurs du commerce équitable ont souvent des profils qui se ressemblent : une très grande motivation éthique, une formation scolaire de moyen/haut niveau, une capacité d’adaptation à différents rôles et une ouverture à des problé-matiques de grande envergure. Cependant, des tâches mul-8 T. PERNA, op. cit.

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tiples leur sont confiées : elles demandent des compétences pratiques qui dépassent souvent les motivations initiales9. C’est entre autres pour cette raison que le fonctionnement des magasins du monde n’est pas homogène. Certains magasins arrivent mieux à s’intégrer dans le fonctionnement général du commerce équitable et aussi dans leur territoire (quartier ou ville). En revanche, d’autres restent marginaux et n’arrivent pas à élargir leurs activités. L’opérateur des magasins du monde est le dernier intermé-diaire entre le produit et le consommateur et il a donc la res-ponsabilité de faire jouer au produit un rôle d’ambassadeur entre le Sud et le Nord du monde. Dans les magasins, on ne trouve donc que des personnes mo-tivées, car la vente d’un produit du commerce équitable a du sens - et crée de la conscience critique - à la condition que le consommateur comprenne qu’il n’achète pas une marchan-dise quelconque mais, un produit, fruit du travail d’hommes et de femmes réelles, qui vivent ailleurs et ont des problèmes10.Les consommateurs / acqué-reurs (consomm-acteur) 20 % de la population mondiale consomme 80% des res-sources naturelles. Cela veut dire que l’acte d’achat de ces 20 % détermine beaucoup de choses qui nous restent souvent méconnues. Les labels des produits du commerce équitable ramènent l’acheteur à ses responsabilités ou, du moins, in-vitent à se poser des questions et apprendre à savoir qu’ailleurs, c’est différent d’ici.La personne qui vient acheter dans les magasins du monde ne suit pas une logique d’achat pour la seule satisfaction de son intérêt personnel. Son achat est un acte volontaire d’échange, acte économique qui a sa rationalité dans d’autres valeurs que celles de l’appropriation au moindre prix. Des variables 9 Endform Liguria Union Européenne, Ministère du travail Italien, re-cherche « Terzo settore e professionalità », novembre 1998 citée in la Revue Altreconomia, n° 5, novembre-décembre 1998.10 T. PERNA, op .cit.

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éthiques interviennent dans le choix, des variables qui changent en fonction des personnes. Il ne s’agit pas du “ M. consommateur x ” qui achète également partout sur la pla-nète, mais plutôt de différents acheteurs, ayant chacun ses valeurs, ses croyances, son éthique et aussi ses possibilités fi-nancières. Il y a bien évidemment, des personnes qui n’achètent pas dans les magasins du monde, parce que c’est trop cher, parce qu’elles ne sont pas intéressées par le sort d’autres popula-tions, parce que …. Il y en a qui, tout simplement, ne peuvent pas. Souvent, au moment venu, le souci d’épargne prime sur l’inté-rêt social de l’achat même lorsque l’on s’est déclaré disponible à acheter un peu plus cher des marchandises dont la produc-tion respecte des clauses sociales.En effet, dans les divers pays européens, le profil de l’acheteur type est celui d’une femme d’âge compris entre 25 et 45 ans, avec un niveau élevé d’instruction et un revenu moyen/haut11. Dès lors, on comprend mieux le rôle capital qu’ont à jouer les campagnes de sensibilisation pour amener les gens à faire leurs courses en pensant à ce qui se cache derrière chaque achat. Et ce, non seulement au bénéfice des populations du Sud, mais aussi pour une consommation plus critique et trans-parente au Nord, en dépit du prix.

11 Données EFTA, in Ibid.

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6. Les questions de fond : les limites et le développement

futur

Le commerce équitable insère son action économique dans des réalités sociales différentes : d’une part le Sud, traversé par les problèmes majeurs liés à la survie de communautés entières et, d’autre part, le Nord de la surabondance, lieu de contradictions et de polarisations fortes. En même temps, il articule ses interventions autour de deux échelles de grandeur : la mondialisation des échanges et les communautés locales en développement. Or, il n’est pas simple de mettre en place une action qui soit cohérente et sans risques pour toutes les parties. Les limites et les défis pour le futur se situent à la croisée de ces ambiva-lences majeures. Les circuits dans lesquels se place le commerce équitable sont bien évidemment internationaux, et entrent en relation directe avec les grands flux du commerce international. A l’origine de ce choix, il y a une approche du développement s’appuyant sur le constat suivant : par le biais des échanges internatio-naux, se joue la croissance économique des pays du Nord comme du Sud. Des critiques sont formulées à cet égard. Pour certains, ce n’est pas le commerce international qui produit des effets de développement mais plutôt l’activation locale de flux commerciaux autocentrés. Les impacts peuvent ainsi être visibles sur le long terme, du fait d’un processus de détache-ment progressif de la dépendance à l’exportation et donc aux fluctuations et variations de la demande sur les marchés étrangers du Nord. Il faut, de ce fait, penser le commerce équi-table non seulement comme commerce international mais aussi comme modèle de développement local : pour la restruc-turation des territoires, des cultures locales, de la protection de l’environnement.

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Si l’objectif du commerce équitable est d’affirmer qu’une autre rationalité économique est valable et que des règles, diffé-rentes de celles du marché conventionnel, peuvent se fonder sur des valeurs éthiques de manière viable et durable, il fau-dra penser à des actions adressées aussi bien au Sud qu’au Nord. La coopération entamée, à juste titre, avec les produc-teurs du Sud, pourrait s’étendre aux communautés locales du Nord, en mettant en synergie plusieurs dynamiques en faveur du développement : commerce équitable et soutenable, micro-crédit, promotion de micro-entreprises et de banques éthiques, innovation locale, partenariat avec les ONG, les en-treprises sociales et les acteurs de l’économie solidaire, en gé-néral.A l’heure actuelle, les organisations du fair trade ont des exi-gences difficiles à concilier. Elles doivent être attentives aux besoins des producteurs du Sud sans pour autant oublier les règles compétitives du marché12, qui impliquent une adapta-tion forcée à certains paramètres commerciaux classiques. L’attrait et la fidélisation de possibles acheteurs passe par des campagnes de sensibilisation, des actions de marketing et gestion, des accommodations aux goûts des clients, des choix stricts en termes de partenariats et de projets. Des positions plus tranchées en mettent en avant la question des priorités à satisfaire : s’agit-il de permettre aux consom-mateurs d’acheter de manière critique des produits “ sociale-ment propres ”, ou, prioritairement, d’intervenir pour satisfaire les besoins de producteurs en les aidant à vendre leurs pro-duits tout en respectant leur travail ? Comment répondre à la demande, d’une part, des consomma-teurs qui, une fois fidélisés au commerce équitable, de-mandent un choix plus large et varié de produits et, d’autre part, des producteurs qui exigent une meilleure promotion de leurs produits ? Comment respecter les traditions locales du Sud, l’authenticité des produits, la spécificité des modes lo-

12 Document de S. MAGNONI pour la conférence « Building partenership for a sustainable future in the Mediterranean », Malte avril 2000.

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caux de production, sans nuire à la commercialisation à long terme sur les marchés du Nord ? Toutes ces préoccupations sont valables et complémentaires. Cependant, l’ordre de priorité donné à chacune d’entre elles est l’expression de logiques d’action contrastées : plutôt com-merciale, plutôt politique, plutôt militante, plutôt gestionnaire, etc.²Certains acteurs du commerce équitable maintiennent une di-mension associative et militante du mouvement. Ils sont très attentifs aux campagnes de sensibilisation et cherchent moins à se doter de modèles de commercialisation, pour toucher des publics plus larges. En revanche, d’autres acteurs souhaitent un renforcement du marketing, une image de marque com-mune, la professionnalisation des ventes, le contrôle strict de la qualité des produits ou des rapports plus directs avec la grande distribution. C’est de cela que dépend souvent la diffé-rence entre certains magasins du monde, ou le développe-ment plus au moins large du fair trade au niveau national. Pour que le commerce équitable puisse garantir sa survie, et donc celle des projets qu’il contribue à financer par la vente des produits, il doit prendre en compte le paysage général dans lequel son action se situe. Mais comment faire pour ne pas céder aux logiques mercantilistes tout en restant une al-ternative crédible ? Au milieu d’autres magasins, les points de vente équitables doivent trouver les moyens de vendre autant que possible, dans le seul but d’acheter encore plus aux producteurs du Sud. Cependant, la vente des produits s’adresse à des per-sonnes “ sensibles à la cause ” aussi bien qu’à des personnes qui ne connaissent pas les objectifs éthiques à l’origine du commerce équitable. Cela détermine souvent la nécessité d’adapter les produits des producteurs du Sud aux goûts et à la mode du Nord13. Les cultures traditionnelles locales, qui 13 Pour cette problématique et pour d’autres, consulter les Recomman-dations des participants à la rencontre du chantier «  commerce équi-table » animé par Pierre Johnson de Caravane.

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doivent s’exprimer à travers les produits artisanaux, risquent d’être, ainsi, dénaturées. Faut-il s’adapter au marché capita-liste et lui faire dicter les règles du jeu ? A notre avis, deux réponses sont possibles, l’une pour le moyen terme et l’autre pour le long terme. C’est par le biais de projets bien construits, pensés et montés avec les communautés locales du Sud, que la conciliation entre des exigences aussi contradictoires peut être maintenue sur le moyen terme. Pour ce qui est du long terme, l’action conjointe du commerce équitable et des campagnes de sensi-bilisation peut servir à généraliser des valeurs et des question-nements éthiques qui ne touchent pas encore le plus grand nombre de personnes. Et ce, par manque d’information.Les campagnes de sensibilisation, élargies à l’ensemble de la population ont, en réalité, un impact positif sur les citoyens qui ne connaissent pas forcement l’existence du commerce équi-table. Les campagnes de sensibilisation Jubilé 2000 pour l’élimina-tion de la dette, L’éthique sur l’étiquette, Libère tes fringues, Made in Dignity, ainsi que d’autres ont fait pression sur cer-taines institutions nationales et internationales et ont posé, aux consommateurs, des questionnements négligés aupara-vant. Cela démontre la capacité d’influence qu’ont ces cam-pagnes sur le marché capitaliste. Elles obligent les grandes marques à réadapter leurs productions. Non par réel souci d’équité mais pour la satisfaction des exigences éthiques des consommateurs, éveillés par l’impact des campagnes. L’édu-cation au développement, l’effet de sensibilisation sont, donc, aussi importants que les ventes. Il faut effectivement accepter que “ le commerce équitable marche sur un champ miné ”14 car il s’insère dans l’ensemble du commerce mondial qui est régi par d’autres règles, et ces règles ont, malgré les acteurs équitables, un effet sur le fair trade, sur ses acteurs et ses méthodes.

14 T. PERNA, op. cit

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Or, selon nous, il ne faut pas reléguer la réflexion et les ac-tions du fair trade à la seule sphère “ des exclus du marché ”, car ce que le commerce équitable est en train de faire, tout en aidant équitablement des producteurs du Sud, est d’affirmer qu’il est possible de penser l’économie autrement. La dimen-sion politique et citoyenne, ainsi que l’adaptation sociétale, dessinent les règles et définissent les frontières de l’acte éco-nomique. Ce dernier est mis au service de l’éthique, de la jus-tice, de la transparence, des relations interpersonnelles, des liens communautaires, etc…. L’envergure des actions du commerce équitable, et de celles qui s’inscrivent dans l’économie solidaire, est démontrée par leur existence même. Elles sont l’expression de la relativisa-tion des rationalités économiques, qui sont valables dans des champs d’action et selon des valeurs diverses, au sein d’une économie plurielle. Adresses des réseaux inter-nationauxEFTA :Secrétariat : Wittmakersstraat 10, 6211 JB Maastricht, Pays Bas.Email : [email protected] and Campaigns Office : 7a Rue E. Michels, B-1180 Brussels, Belgium. Email : [email protected] ! : Secrétariat : Catharijnesingel 82, 3511 GP Utrecht, the Nether-lands.Email : [email protected] - International Federation for Alternative Trade : C/o 69, Observatory Street, Oxford OX2 6EPEmail : [email protected] Fair Trade Labelling Organisations International : Hinter der Burg 27, 73614 Schorndorf, AllemagneEmail : [email protected]

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Le commerce équitable

Adresses des acteurs fran-çais du commerce équitable signataires de la Plate-formeAndines - Importateur et distributeur de produits venus d'Amérique latine 61, rue Victor-Hugo - 93500 Pantin. Tél. : 01 48 10 08 54. Artisanat SEL - D'obédience protestante, vente par corres-pondance. Une trentaine de groupes locaux BP 21002 - Zac Le Tourneau Pannes - 45701 Villemandeur Ce-dex. Tél.:02 38 89 21 00. Artisans du soleil - Artisanat du Togo et du Bénin, via l’asso-ciation Echoppe.74, rue Baudrière - 49100 Angers. Tél. : 02 41 20 01 54.Artisal - Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL) fondée par l'Aspal.Achète aux petits producteurs d'Amérique latine pour re-vendre en France, essentiellement aux groupes locaux de l’As-pal - 68 bis, rue de la Boême - 16440 Mouthiers-sur-Boiëme. Tél.: 05 45 67 88 47.Aspal - En lien avec des organisations populaires d'Amérique latine, informe sur leurs conditions de vie et promeut l’idée du commerce équitable. Même adresse qu'Artisal.Artisans du Monde - La Fédération des boutiques AdM (70), informe ("De l'éthique sur l'étiquette"…) promeut et vend du commerce équitable. 67, av. de la République - 75011 Paris. Tél. : 01 49 29 95 15.Solidar'Monde - Centrale d'achat fondée par Artisans du Monde. Membre de l’European Fair Trade Association, qui re-groupe 12 centrales d’importation dans 9 pays. Lobbying sur les enjeux du commerce Nord/Sud. 86, rue Berthie Albrecht - 94400 Vitry-sur-Seine. Té1. : 01 45 73 65 43.

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Le commerce équitable

CCFD - Organisation catholique de solidarité internationale, engagée en faveur d'un commerce équitable. Catalogue de vente par correspondance. Associé à Artisans du Monde au sein de Solidar’Monde. 4, rue Jean-Lantier - 75001 Paris. Tél. : 01 44 82 80 00.Max Havelaar - Label garantissant les conditions commer-ciales et sociales de fabrication. Au niveau européen, en lien avec Fairtrade et Transfair. 41, Emile Zola - 93100 Montreuil Cedex.

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