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7 secrets à faire frissonner

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Bannon, Judith, 1974-7 secrets à faire frissonnerISBN 978-2-89585-768-6

I. Titre II. Titre : Sept secrets à faire frissonner.PS8603.A627S463 2016 C843’.6 C2015-942428-3

PS9603.A627S463 2016

© 2016 Les Éditeurs réunis (LÉR).

Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODECet du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.

Édition : LES ÉDITEURS RÉUNIS

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Imprimé au Québec (Canada)

Dépôt légal : 2016Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque nationale du CanadaBibliothèque nationale de France

Distribution au Canada : PROLOGUE

www.prologue.ca

Distribution en Europe : DNM

www.librairieduquebec.fr


JUDITH BANNON

7 secrets à faire frissonner


Une fille, qui a des grands frères, doit vite apprendre à se défendre.Physiquement et verbalement,

contre eux seulement.Car contre tout le reste du monde,

elle possède une armure impénétrable,…ses frères.

E. et S., merci d’être toujours là.


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Mardi 23 décembre — Vous avez quel âge, déjà, vous deux ? demandé-je à

mes frères, étalés dans la neige.

Depuis deux jours, Mère Nature nous gâte allégrement. La chute de plus de quarante centimètres de neige consti-tue un véritable cadeau du ciel pour notre montagne de ski. D’autant plus que l’affluence sur les pistes augmente durant la période des fêtes, car de nombreuses personnes sont en vacances.

— Moi, j’ai presque trente et un ans, mais lui n’a que trois ans d’âge mental ! répond Max.

— Je te rappelle que c’est toi, l’immature, qui as commencé, réplique notre frère aîné Philippe.

— Je ne t’ai donné qu’une petite poussée sur l’épaule et tu m’as chargé comme un joueur de football au Super Bowl ! se plaint Max avant de lui lancer une boule de neige.

Écoutant leur râlage d’une oreille distraite, je me laisse tomber sur le dos, dans le banc de neige, entre ces deux colosses, les obligeant ainsi à s’éloigner l’un de l’autre. Le silence plane pendant quelques secondes. J’en profite pour observer les gros flocons qui virevoltent en tombant lentement.

— C’est quoi, ça ? s’écrie Philippe qui m’examine comme un animal de zoo. Max, regarde ! Je crois apercevoir un sourire sur ces lèvres-là, ajoute-t-il en pointant mon visage.


secrets à faire frissonner7

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— Impossible ! affirme Max avant d’approcher son visage à dix centimètres du mien.

— Décolle un peu ; j’ai besoin d’air ! ordonné-je d’un ton amusé.

Je place mes deux mains, camouflées dans des mitaines en lainage blanc, sur le torse de mon frère pour l’obliger à reculer.

— Wow ! Je l’ai vu ! clame Max en regardant Philippe. Depuis le temps, je croyais qu’il n’existait plus.

— Quand même ! Ce n’est pas comme si je ne souriais jamais ! répliqué-je pour me défendre.

— Depuis que tu es la PDG de Black Snow, je peux compter sur mes doigts les fois où j’ai vu tes dents, allègue Philippe.

— Avec les fois où elle mangeait ? demande Max, l’air faussement sérieux, à Philippe.

— Peut-être en comptant ces fois-là.

— Aïe ! Je ne mange pas la bouche ouverte ! Et j’ai souri plus de dix fois ces sept dernières semaines !

— Ah oui ? On ne devait pas être dans les parages quand c’est arrivé. Pourrais-tu convoquer une réunion d’urgence la prochaine fois que ça se produira ?

— Très drôle ! dis-je en montrant volontairement toutes mes dents à Max.

— Je suis fier de voir que tu n’as pas perdu autant de dents que Camilia ! lance Phil.


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secrets à faire frissonner7Cette fois, mon sourire est sincère. Ma nièce, la fille de

Philippe, est si mignonne sans ses incisives.

— La fée des dents va me ruiner, si ça continue !

— Avec l’argent que vous rapportent vos deux restos, à

Max et toi, durant le mois de décembre, je ne suis pas trop

inquiète pour tes finances.

À la suite du décès de notre père, à l’Halloween, Maxime

et Philippe ont hérité de la moitié des actions de deux restau-

rants très populaires à Saint-Sauveur – le Shake Down et

le Rouge sur Blanc. Pour ma part, j’ai mis la main sur la

majorité des actions de Black Snow, notre montagne d’acti-

vités de plein air. Par conséquent, j’ai obtenu le titre de prési-

dente et directrice générale. En fait, l’héritage de Pierre, celui

qui a joué le rôle de père pour moi toute ma vie jusqu’au

jour de son suicide – où il a laissé entendre que je n’étais pas

sa fille biologique –, était constitué d’une somme d’argent

devant être utilisée strictement pour le rachat des actions

détenues dans Black Snow par Alexandre Monnard. Mon

ex. Depuis cette transaction, soit depuis sept semaines.

— Je ne sais pas pour vous, mais ma pause détente est

terminée ! affirmé-je.

Je me relève et secoue la neige sur mon long manteau de

sport.

Mes frères échangent un bref regard, puis ils se mettent

debout à leur tour.

— Quoi ? lancé-je.



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— Tu as déjà deux beaux mecs à ton service, explique Philippe. (Il braque un doigt sur la poitrine de Max, puis sur la sienne.) Tu n’as pas besoin d’en avoir un de plus pour être heureuse.

— Toi, tu es beau ? s’étonne Max en fixant Phil.

— Évidemment ! déclare-t-il. J’ai remarqué que mes yeux cognac font fondre les femmes, précise-t-il d’une voix langoureuse.

Je me réjouis que mon frère commence enfin à ressen-tir de la confiance depuis sa difficile séparation d’avec son ex-femme si contrôlante. Puis je regarde au loin, entre les arbres. La mélancolie m’envahit.

— J’ai passé sept longues années à me demander où Alex se trouvait. Et maintenant qu’il demeure dans la ville d’à côté, je ne suis même pas avec lui.

Maxime affiche un air compatissant, tandis que Philippe serre les lèvres.

— Et c’est ma faute…, ajouté-je tristement.

— Hé ! murmure Philippe avant de me serrer dans ses bras. Tu es trop dure avec toi-même.

— Avec le temps, il te laissera peut-être une chance, émet Maxime.

— Une autre ? demandé-je sur un ton ironique. Il m’en a déjà donné plusieurs quand nous étions ensemble et que je me méfiais de lui.

J’éloigne légèrement mon visage du corps réconfortant de mon frère.


11

secrets à faire frissonner7 — Vous savez ce qui est le plus difficile ? formulé-je. C’est

de savoir qu’il a eu raison. Sur toute la ligne.

Alex m’avait prévenue que Pierre, mon supposé père, essayerait encore de nous séparer. Mais même si je détestais cet homme qui avait obligé mon amoureux à vivre loin de moi pendant plus de sept ans, ses interrogations m’avaient assez chavirée pour que je remette mon couple en question. J’étais allée jusqu’à douter de la santé mentale d’Alex.

Depuis que j’ai acheté ses parts dans Black Snow, Alex ne m’a pas adressé la parole. En sept semaines, nos échanges se sont limités à cinq textos et trois courriels. Ces commu-nications portaient presque exclusivement sur des informa-tions relatives à mon nouveau poste puisque Alex occupait auparavant mes fonctions actuelles. Les deux fois où j’avais tenté d’aborder notre relation intime, il m’avait rabrouée.

Philippe se détache légèrement de notre étreinte ; il veut sans doute voir mon expression. Maxime s’appuie contre mon dos. Ses bras se referment autour de moi, ce qui incite Philippe à reprendre sa position.

— Un câlin de famille ! proclame Maxime d’une voix enfantine.

Je glousse. Je considère toujours ces deux hommes comme mes frères à part entière, même si nous n’avons pas le même père biologique. Même si j’ignore qui est mon géniteur.

— Tu sais que tu es vraiment quétaine ? commente Philippe en reculant un peu.

— Oui, mais as-tu entendu rire notre sœur ? se réjouit Max, fier de son exploit.



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— Bravo, champion ! le félicité-je en me libérant des quatre bras qui m’encerclent. Je dois aller faire une commis-sion. Est-ce qu’un de vous a besoin de quelque chose ?

— Je prendrais bien une poutine du resto du village, commande Max.

— Et moi, j’aimerais avoir un château de princesse meublé, avec un cheval identique à Bella, s’exclame Philippe.

J’écarquille les yeux.

— Ne me dis pas que tu n’as pas encore acheté les cadeaux de Noël de Camilia ?

— Bien sûr que oui ! m’assure-t-il. Mais la Bella que j’ai trouvée n’est pas telle qu’elle se l’imagine. Pas facile de mettre la main sur un cheval brun à crinière rose ! J’ai fouillé sur Internet, mais ça n’a rien donné, explique-t-il, l’air déçu.

— Et pour moi, ce sera un garage Fisher Price, celui à deux étages avec l’ascenseur qui monte les autos, déclare Maxime.

Philippe et moi le dévisageons.

— Et il serait pour qui, ce garage ? m’enquiers-je.

— Pour moi, évidemment ! répond Max. Pour qui d’autre ?

Je pousse un soupir de soulagement.

— Notre chère sœur et moi avons cru que c’était ta façon de nous annoncer que ta blonde est enceinte, explique Philippe.


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secrets à faire frissonner7Méhanne, une de mes trois meilleures amies, et Max

sortent ensemble depuis quelques mois. Comme mon frère est un tombeur, je craignais que ma copine ait le cœur brisé. Mais j’avais vite constaté que Maxime était amoureux fou d’elle. Toutefois, une grossesse m’aurait semblé précipitée.

— C’est vrai que ça aurait été une bonne façon, concède Maxime avec un sourire espiègle. Mais non, Méhanne n’est pas enceinte. Je veux la garder pour moi encore un petit bout de temps avant de devoir la partager avec nos enfants. Et j’ai bien l’intention que nous demeurions sous le même toit avant que nous fondions une famille.

— Donc, aujourd’hui, je n’ai qu’à rapporter une poutine ? résumé-je.

Je sens le besoin urgent de m’activer pour ne pas penser au fait qu’Alex désirait ardemment, lui aussi, que nous vivions ensemble. Mais ma grande indépendance m’avait toujours portée à refuser la vie commune.

— Apportes-en également une pour moi, me demande Philippe.

— OK ! Mais ça peut être long, les gars.

— Il n’est que onze heures. Penses-tu que nous aurons nos poutines… avant minuit ? plaisante Max.

— Je vous promets que vous les aurez avant la fin de la journée. Et Phil, donne le cheval à Amélie. Elle le peindra !

Je me dirige vers le sentier boisé menant à ma maison.

— Amélie ? répète Philippe sur un ton surpris.



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— Oui, confirmé-je en me tournant à demi. Elle excelle dans toutes les tâches manuelles.

— Je n’en doute pas ! renchérit Maxime.

Il fait référence à la vie sexuelle des plus dynamiques de celle qui m’a succédé au poste de directrice événementielle.

— Je t’ai entendu ! crié-je.

— Pas grave ! Je l’aurais dit devant elle !

En me rendant chez moi, je repense à l’idée que j’ai eue pour me rapprocher d’Alex. Comme Max, j’aimerais croire que le temps aidera mon ex à me donner une autre chance. Mais mon frère connaît Alex aussi bien que moi ; il sait pertinemment que son ami ne reviendra pas facilement sur sa décision. Parviendra-t-il même, un jour, à seulement la reconsidérer ? La froideur avec laquelle il m’avait traitée, dans sa cuisine, la dernière fois que je l’ai vu, ne me laisse pas beaucoup d’espoir. Mais j’ai quand même envie de mettre mon plan à exécution. La période de Noël m’a toujours envoûtée ; sa magie me permet de croire que tout est possible. Je souhaite que cette magie touche d’autres personnes. Plus précisément Alex.

Pas une journée ne défile sans que j’imagine comment serait ma vie si j’avais acheté ses actions, comme il le souhai-tait, au lieu de le faire parce que Pierre me l’avait dicté d’outre-tombe. J’aimerais tellement qu’Alex soit à mes côtés pour me conseiller dans mon nouveau rôle. Ses compétences et son sang-froid m’aideraient à fixer mes repères dans ce monde de gestion qui m’est totalement inconnu et que j’essaie d’amadouer et d’apprécier.


15

secrets à faire frissonner7Heureusement, dès le début, mes frères s’étaient révélés

des alliés incomparables ; ils m’avaient aidée à m’établir dans mes nouvelles fonctions professionnelles. Je sais qu’ils souhai-teraient me soutenir autant dans ma vie personnelle, car ma tristesse les affecte, mais ils sont malheureusement impuissants dans ce domaine. Et la situation s’avère très délicate pour Maxime puisqu’il continue de fréquenter Alex, de qui il était très proche avant sa disparition. Ils jouent ensemble au squash une fois par semaine. Je me retiens toujours de demander des nouvelles d’Alex à mon frère, pour ne pas le placer dans une situation embarrassante – et surtout pour ne pas me mettre à pleurer dans ses bras. Maxime supporterait mal ma détresse, car il ne pourrait pas me consoler. D’ailleurs, je soupçonne mes frères de comprendre la réaction de mon ex. Si l’un d’eux s’était fait accuser d’inceste par sa propre blonde, il se serait montré aussi radical. Alors, par les temps qui courent, je me concentre sur mon travail... du moins, j’essaie.

Heureusement, je ne déteste pas mes tâches actuelles autant que je l’aurais cru. Le fait de m’impliquer dans les différentes sphères de l’entreprise me garantit une diversité qui m’enchante. L’idée de jouer un rôle clé dans la vision et la planification stratégique de Black Snow est assez enivrante.

En fait, même si tout aurait été plus facile si j’avais été « coachée » par Alex, je finirai par m’adapter à mon statut professionnel. C’est à son absence que j’ai de la difficulté à survivre. À son regard qui me déchiffrait toujours. À sa bouche qui savait se poser parfaitement sur toutes les parcelles de ma peau. À son corps, solide et chaud, qui m’entourait dans un cocon sécurisant. À lui, dans son entier. J’ai toujours été indépendante, forte et résiliente. Mais dans ce cas-ci, je reconnais qu’il me manque un élément pour bien fonction-ner. J’aurais dû avoir plus confiance en Alex.



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Parvenue à l’extrémité du sentier qui débouche derrière ma maison dans le magnifique décor de Sainte-Anne-des-Lacs, je me rends immédiatement à la porte d’entrée de l’apparte-ment de mamie, juxtaposé à ma demeure. Je veux recueillir son opinion avant de mettre mon plan à exécution. Quelques secondes s’écoulent avant que la porte massive s’ouvre sur le visage réconfortant de ma grand-mère. Elle sourit en me voyant.

— Bonjour, mignonne. Quelle belle neige ! s’exclame- t-elle en me laissant passer.

— Oui, c’est magnifique. Tantôt, mes deux bébés de frères en profitaient au maximum.

— Ah oui ? C’est comme lorsqu’ils étaient jeunes et que le bonhomme de neige qu’ils avaient pris tant de temps à construire se faisait vite transformer en bataille de boules et en bousculade ?

— Oui, ça ressemblait un peu à ça, mais en plus civilisé.

— Ne me dis pas qu’ils faisaient des anges dans la neige ?

— Non, ils ne sont pas allés jusque-là ! Leur testostérone est toujours très active !

Je pends mon manteau à un crochet dans l’entrée. Puis je m’avance vers la cuisine, enveloppée par la chaleur des décorations de Noël et l’odeur de plats maison.

— Ça sent bon ! m’exclamé-je.

— J’ai préparé une soupe aux pois. Elle sera prête dans une demi-heure. Veux-tu rester pour le dîner ?


17

secrets à faire frissonner7 — Non, merci, mamie. J’ai une course à faire et ensuite je

dois retourner au bureau.

D’après son expression, elle s’attendait à un refus.

— Il y a quelque temps, toi et moi avons partagé un dîner ici même avec ta mère, dit-elle. Nous lui avions fait part de notre inquiétude, car elle travaillait trop à la suite de sa séparation d’avec Pierre. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ce discours pourrait s’appliquer à toi.

Je pince les lèvres. Mamie a raison : je travaille beaucoup depuis que j’ai pris la direction de la montagne. Mais impos-sible de faire autrement. Je compense mon vide affectif en me consacrant corps et âme à mes fonctions. J’en ai besoin pour m’empêcher de culpabiliser envers Alex, pour oublier que mon avenir pourrait se dessiner sans lui, pour m’épui-ser afin de réussir à dormir quelques heures la nuit… seule, évidemment.

— Mamie, je suis justement passée te voir pour avoir ton opinion sur une idée que j’ai eue en lien avec la cause de mon acharnement au travail.

— Alex… chuchote-t-elle.

Je hoche la tête.

— Je lui apporterais un petit cadeau qui a une significa-tion spéciale pour lui et moi.

Je fais une pause. Soudain, je ne suis plus sûre qu’il s’agisse d’une bonne idée.

Mamie penche légèrement la tête de côté pour m’encou-rager à continuer.



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— Le premier soir que nous avons passé ensemble cet été,

nous avons partagé des chocolats de façon très… sensuelle.

Je lui donnerais une boîte semblable pour lui remémorer ce

moment.

Mamie réfléchit.

— Tu irais à son bureau ?

— Je n’ai pas le choix. Si je vais chez lui à cette heure-ci,

il me refusera l’accès.

Depuis ma séparation, je vais chez Alex trois fois par

semaine pour monter Bella, la superbe jument qu’il m’avait

achetée. Mais j’ai un horaire à respecter : je peux aller là-bas

aux deux jours, entre sept heures et dix heures du matin.

Et j’organise le tout avec Pascal, l’employé loyal d’Alex

qui s’occupe des chevaux. Je ne croise jamais mon ex,

même quand je sais qu’il est dans la maison, en raison des

lumières qui y sont allumées. D’ailleurs, j’éprouve toujours

une certaine crainte de voir une autre personne à travers les

fenêtres ou une auto garée devant chez lui si tôt le matin.

Mais cette idée s’évapore rapidement, car je ne peux imagi-

ner qu’il fréquenterait déjà une autre femme. Pas après tout

le mal qu’il s’est donné pour revenir vers moi.

Mais la promesse qu’il m’a faite la dernière fois qu’on s’est

parlé, en lien avec la tâche ardue qu’il avait accomplie pour

nous réunir, me hante souvent. « Je vais travailler aussi fort pour

t’oublier. »

— Il te laisserait entrer au bureau ?


19

secrets à faire frissonner7 — Je ne sais pas, avoué-je. C’est un risque à prendre.

Rupert, son assistant, a sûrement reçu des consignes. Mais je ne perds rien à essayer, n’est-ce pas ? demandé-je sur un ton peu convaincu.

Mamie prend mes mains dans les siennes.

— Si Alex persiste à ne pas vouloir te rencontrer, c’est qu’il est encore incapable de te voir. S’il était indifférent à ton égard, ce serait plus difficile de renouer les liens entre vous deux. Mais son comportement indique clairement qu’il tente de survivre, lui aussi, avec un cœur en morceaux.

— Peut-être…, déclaré-je. (Je m’interroge sur la justesse de cette analyse puisque je n’ai pas de nouvelles d’Alex.) Toutefois, je sais qu’il ne veut pas recoller les morceaux de son cœur.

— Dans le passé, il a travaillé fort pour y parvenir. Prouve-lui que tu es prête à faire le maximum, toi aussi.

— Alors tu crois que je devrais me pointer à son bureau ?

— Oui ! Cela le déstabiliserait.

— OK.

Je prends une grande respiration pour me donner confiance.

— Je suis fière de voir que tu cesseras enfin de respecter la limite qu’il t’a imposée, dit ma grand-mère. Défonce-la ! Et rappelle-lui ce qu’il manque, ajoute-t-elle en pressant mes épaules.

— Merci, mamie.

Je lui donne un bec sur la joue avant d’enfiler mon manteau.

— Courage, mignonne ! me lance-t-elle.

* * *



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En attendant que la commis emballe la boîte de chocolats –

j’ai choisi les mêmes que ceux que nous avions dégustés sur

le patio d’Alex –, je relis le dernier échange de textos entre

mon ex et moi, qui remonte au début du mois de décembre.

Cela faisait suite à une demande de ma part de le rencontrer

pour discuter.

Alex : Par amitié pour moi et par respect pour tout ce que j’ai fait pour nous, même si ce n’était pas à la hauteur de tes attentes, tiens-toi loin de moi, s’il te plaît.

Moi : Je ne peux pas entériner un comportement au nom de quelque chose, ici l’amitié, qui est inexistant.

Alex : J’ai l’intention de faire naître l’amitié entre nous lorsque ce sera possible.

Moi : Je ne te veux pas comme ami – pas seulement comme ami. Je désire que tu joues ce rôle pour moi, mais en complément d’un autre, beaucoup plus profond.

Il n’avait pas répondu.

Lorsque la propriétaire me tend la boîte, je m’efforce de

lui sourire.

— Merci.

— Voulez-vous joindre un message à votre cadeau ?

Je réfléchis rapidement. Alex risque de refuser de me parler.

Donc, même si je déteste ces petits cartons qui accompagnent

toujours les cadeaux, j’en prends un sur lequel j’écris : Ferme tes yeux et essaie de deviner la saveur.


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secrets à faire frissonner7Au moment de signer, j’hésite. Devrais-je écrire mon

prénom ou le surnom affectueux dont il me gratifiait ? Le premier semble trop froid, et le second implique trop de choses. Je décide donc de ne pas signer.

— Merci beaucoup et joyeuses fêtes ! clamé-je.

— Joyeux temps des fêtes à vous aussi ! Avec cette belle neige, la personne à qui vous offrez ces chocolats aura peut-être l’occasion de dépenser les calories ingérées sur les pistes de ski.

Je souris en songeant que la façon dont j’aimerais qu’Alex dépense ces fameuses calories est plutôt en lien avec des activités d’après-ski. Avec moi.

Quelques minutes plus tard, je me gare derrière le chalet d’Alpinor, ce qui interrompt instantanément la chanson Try de Pink. Pendant le trajet, je l’ai fait jouer à tue-tête pour me motiver. En contournant la bâtisse pour pénétrer dans l’édi-fice par l’entrée avant, je constate que les rénovations faites par Alex donnent du panache au chalet principal, dont la façade est couverte d’un mariage parfait de bois foncé et de lambris. En posant la main sur la poignée de porte en bois, je me tourne pour jeter un coup d’œil au pavillon de glace. J’en admire la beauté majestueuse. Il est vitré du sol jusqu’au toit très haut en forme de pignon, et ses portes en fer forgé lui confèrent un style à la fois antique et noble.

— Excusez-moi, dit un homme qui passe près de moi pour franchir le seuil du chalet.

Cela me tire de ma torpeur. J’avance dans le bâtiment ; aussitôt, une grande nervosité m’envahit. À chaque marche de l’escalier que je monte, les papillons se multiplient dans mon ventre. Je sais qu’il y a de fortes possibilités qu’Alex me



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rejette d’emblée, mais je souhaite avoir au moins la chance de le voir. Je veux que ses yeux se posent sur moi, pour qu’il se souvienne de mon existence.

Les lumières décoratives qui brillent un peu partout me rappellent que la magie de Noël pourra peut-être m’aider, ce qui me procure la force de continuer. Un léger sourire aux lèvres, je marche dans le corridor. Je suis consciente que ma visite d’aujourd’hui constitue une étape importante en vue de notre réconciliation, à Alex et moi.

Au bout du couloir, Rupert – qui a sûrement entendu mes talons claquer sur le bois franc – lève la tête vers moi.

— Quelle belle surprise ! s’écrie-t-il avant de se précipiter pour venir m’embrasser.

Je remarque aussitôt que la porte du bureau d’Alex est fermée. Mais l’accueil de son adjoint m’encourage quant à la suite des événements.

— Comment vous portez-vous, madame la présidente ? me taquine-t-il.

— Très bien, merci.

— Ah oui ? rétorque-t-il. Pourtant, tes cernes prouvent le contraire, remarque-t-il avec douceur.

— On ne peut rien te cacher !

— Non ! Surtout pas si c’est en lien avec le look.

Rupert voue un grand culte à la beauté. Et même si certains croient que c’est parce qu’il est gai, ce n’est pas du tout le cas. C’est simplement un homme qui aime les belles choses.

— Alors, c’est si difficile ? formule-t-il.


23

secrets à faire frissonner7 — Le travail ? suggéré-je sur un ton ironique.

Son sourire s’évanouit.

— Les cernes… c’est à cause de lui ?

Il désigne la porte close derrière son bureau.

Je hoche la tête.

— J’imagine que tu as reçu la consigne de me renvoyer, si je venais ici. Mais sache que même si je t’aime bien, je te passerai sur le corps, s’il le faut…

— Non, Laurie.

— Rupert, je veux seulement lui remettre un cadeau.

— Laurie, si je t’ai dit « non », c’était pour répondre à ta supposition. Alex ne m’a jamais demandé de te bloquer le passage.

— Vraiment ?

Un sourire se dessine sur mes lèvres.

— C’est la vérité, confirme-t-il.

Soudain, son air triste m’alerte.

— Qu’est-ce qu’il y a, Rupert ?

— Il n’est pas là.

— C’est la phrase que tu me dois me servir ?

Je suis désappointée.

— Non, Laurie. Alex est absent.



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— Est-ce que je peux l’attendre ?

Rupert serre les lèvres avant de répondre.

— Ça risque d’être long.

Puis, après une pause – durant laquelle, visiblement, il a jonglé avec l’idée de m’informer –, il reprend :

— Il est en Suisse.

— Mais c’est la période la plus occupée, ici ! Pourquoi est-il allé là-bas ?

Je me tourne vers les fenêtres qui offrent une vue splendide sur la piste centrale. Des dizaines de skieurs la dévalent à plus ou moins grande vitesse. Rupert vient se placer à côté de moi.

— Il ne m’a pas donné de date de retour, déclare-t-il. Mais j’imagine qu’il rentrera bientôt, car il est parti depuis cinq jours.

— Je ne comprends pas pourquoi il est retourné en Suisse, alors qu’il y est allé…

Je me tais, car la raison pour laquelle Alex a traversé l’océan vient de me frapper de plein fouet.

— C’est à cause du mariage d’Angela…, soufflé-je.

Cette femme – qu’il a fréquentée durant nos années de séparation, et avec qui il était associé dans une compagnie immobilière en Suisse – devait se marier il y a trois jours, soit le 20 décembre.

— Ouin…, bredouille Rupert.


25

secrets à faire frissonner7Je plisse les yeux devant cette réponse floue.

— Tu n’es pas du genre à dire « ouin », Rupert.

Il se détourne et se met à observer les skieurs.

— Je n’en sais pas vraiment plus que toi.

— Mais… ?

— Le jour J, le mariage a été annulé.

* * *

Je marche d’un pas rapide dans le hall d’entrée de l’Ébène, le chalet situé en haut de Black Snow, qui abrite nos bureaux. Je salue Jeanne, la réceptionniste, puis pénètre en coup de vent dans le premier bureau du corridor administratif.

— Tiens, ta poutine ! annoncé-je en déposant brusque-ment un plat d’aluminium sur la table de Philippe.

Je tourne les talons.

— Merci, crie-t-il.

Je suis déjà dans le couloir. Je me rue dans le bureau de Maxime. Mon frère travaille paisiblement. Je dépose le plat si rapidement qu’il glisse tout près de Maxime. Mon frère plaque sa main sur son dîner pour l’immobiliser.

— Ciboire, c’était quoi, ça ? L’attaque de la poutine ? s’exclame-t-il, l’air perplexe. Tu veux vérifier mes réflexes ou créer un nouveau sport ?

Je m’esclaffe en me rejouant la scène. Je ris tellement que des larmes coulent sur mes joues. Voilà la preuve que



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la fatigue, mêlée à trop d’émotions fortes, peut générer des réactions inattendues. Mais au moins, dans le cas présent, ça libère mon stress.

— As-tu réussi à l’arrêter, toi ? demande Max d’un ton sérieux à une personne derrière moi, qui ne peut être que Philippe.

— Oui, mais je te jure que la sauce s’est fait brasser ! blague mon frère aîné.

J’essuie mes larmes tout en essayant de contenir mon fou rire.

— Excusez-moi, les gars, déclaré-je. Je ne voulais pas être si brusque. Mais j’ai quelque chose d’urgent à aller vérifier et j’ai hâte d’être assise devant mon ordinateur.

— C’est si urgent ? demande Max en soulevant délicate-ment le couvercle de son plat.

— Oui, confirmé-je en reprenant mon sérieux.

— C’est bon de t’entendre rire, déclare-t-il. Je suis prêt à jouer au gardien de but devant une dizaine de poutines si c’est ce qu’il faut pour te voir aussi heureuse.

— Ah oui ? renchérit Philippe. Est-ce que je pourrais te les lancer ?

Avec un air de défi, Max réplique :

— Je te retournerais toutes celles que j’aurais arrêtées. Mais avant, j’enlèverais le couvercle.

— Je vous laisse déterminer les règles du jeu entre vous, mes chers !


27

secrets à faire frissonner7Je quitte aussitôt le bureau de Max.

J’avance de quelques pas puis j’ouvre la porte à droite qui donne sur le plus grand bureau : le mien. Les fenêtres qui me font face offrent une vue splendide sur le départ de trois des pistes du versant White. Des skieurs, qui viennent de descendre de la remontée mécanique, semblent s’interroger sur la piste à emprunter. Quand je vais prendre place sur la chaise en cuir blanc derrière le bureau, le souvenir d’Alex – assis dans sa chaise noire au même endroit – me revient en tête. Je m’étais agenouillée devant lui pour le prendre dans ma bouche. Je tente de chasser cette image en commençant ma recherche sur Internet. J’aurais pu l’effectuer sur mon téléphone dès que j’ai mis les pieds dans l’auto après avoir quitté Rupert, mais je préférais me laisser le temps de digérer l’information et de dédramatiser. Et surtout, je ne voulais pas succomber à l’hypothèse négative qui s’était imposée à mon esprit.

Je me connecte à la page Facebook d’Alex, même s’il y publie rarement des informations. En tant que PDG d’ Alpinor, il se sent obligé d’avoir un compte Facebook, mais comme il tient à protéger sa vie privée, il n’y affiche habituellement que des informations liées au sport. En regar-dant les messages sur son mur, je constate que mon ex n’a rien publié depuis quelques jours déjà. Je consulte la liste de ses nombreux amis, puis clique sur le nom qui m’intéresse : celui d’Angela. La photo de profil montre une jeune femme blonde, aux yeux bruns rieurs, qui affiche un sourire digne d’une publicité de pâte dentifrice.

Les deux premières photos que je vois sur son mur me coupent le souffle. Littéralement. La première montre un homme, en ski, photographié alors qu’il dévale une piste



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dans un décor sublime. Dessous, il est inscrit : La beauté épous-touflante de la nature suisse ne peut même pas espérer compétitionner avec la virilité puissante de cet homme.

L’autre photo m’arrache le cœur. Me tord les tripes. Alex dort sur le dos, dans un lit ; la couverture est rabattue sur ses hanches, laissant voir son torse nu. La légende de la photo se lit comme suit : Virilité qui se confirme autant sur les pistes qu’ailleurs…

La chaleur me monte au visage. Mon cerveau semble envahi par une anormale affluence de sang. Ma respi-ration se fait difficilement. Je me lève, cherchant mon air. Les deux mains posées sur mon bureau, la tête penchée, je m’oblige à me concentrer. « Inspire, expire ! » me répété-je. Après quelques secondes, je reprends le contrôle. Je songe à la photo. J’essaie de rejeter l’évidence qui s’impose. De ne pas conclure précipitamment, comme je l’ai trop souvent fait lorsque je sortais avec Alex. C’est cette attitude qui avait mené à l’échec de notre couple. Alex n’en pouvait plus de mon manque de confiance en lui. Cette fois-ci, je veux lui laisser la chance de s’expliquer... s’il accepte de me parler, évidemment. Après tout, il ne me doit plus rien.

— Qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu me refiles la tâche de peindre un cheval l’avant-veille de Noël ? lance Amélie en entrant dans la pièce. Est-ce que j’ai l’air d’un lutin joyeux ? Laurie ? ajoute-t-elle en s’avançant vers moi alors que je m’efforce de lever la tête pour la regarder. Qu’est-ce qui se passe ?

Incapable d’expliquer la situation, je tourne l’écran géant de mon Mac vers elle. Après avoir vu le tout et lu les phrases, elle s’écrie :


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secrets à faire frissonner7 — La bitch !

— Tu ne la connais même pas.

— Non, mais c’est clairement une bitch. D’après ce que

tu m’as dit de la discrétion d’Alex au sujet de sa vie privée,

je suis sûre qu’il ne doit pas être content qu’elle ait mis ces

photos de lui sur Facebook. S’il le sait…

Je n’y avais même pas pensé. Alex n’est probablement pas

au courant. Je vérifie : les photos ont été publiées il y a quatre

minutes. Et Angela a « tagué » Alex. Donc tous les amis de

ce dernier voient les deux photos. Mais j’y pense… Lorsque

je suis allée sur la page d’Alex, les photos n’y étaient pas.

Cela signifie qu’il les a probablement supprimées. Poussée

par l’urgence de vérifier ce qu’il en est, je m’empare de ma

souris et retourne sur la page de mon ex. Les deux photos qui

me blessent cruellement sont là.

— Merde ! clamé-je.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? s’informe Amélie.

— Qu’est-ce que je pourrais faire ? S’il ne les a pas

enlevées, c’est qu’il veut peut-être les laisser là.

— Ou qu’il ne les a pas encore vues ! On croirait regarder

une campagne de pub quétaine de déodorant pour hommes.

C’est clair qu’Alex n’appréciera pas.

— Il a probablement couché avec une autre femme,

Amélie. Il l’a touchée avec ses mains, avec sa bouche…

Amélie grimace. Elle pourrait difficilement me contredire.



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— J’avoue que cela est contrariant, dans le cas présent. Mais d’abord, le principal, c’est que ces photos disparaissent, non ? Au moins de sa page ?

J’examine la photo d’Alex. Son corps me manque cruel-lement. Je peux encore sentir ses bras autour de moi quand nous étions couchés. Sauf que, là, je le vois entre d’autres draps alors qu’une autre femme vient, très certainement, de baiser avec lui.

Je compose le numéro du cellulaire d’Alex, sur le téléphone du bureau, puis j’active le haut-parleur pour qu’Amélie puisse entendre. Après quatre sonneries, un message s’enclenche : « Alexandre Monnard. Parlez ou rappelez. »

Je raccroche aussitôt.

— Je savais qu’il ne répondrait pas, commenté-je. Mais je voulais quand même essayer.

Je compose un autre numéro, avec lequel je devrais avoir plus de chance.

Après deux sonneries, un déclic se fait entendre.

— Rupert Vézina, bonjour.

— Bonjour, Rupert. C’est Laurie.

— Rebonjour, toi !

— Rupert, es-tu devant ton ordinateur ?

— Oui.

— Ouvre la page Facebook d’Alex.


31

secrets à faire frissonner7Je jette un coup d’œil à Amélie. Elle hoche la tête en signe

d’approbation devant mon aplomb. Quelques secondes passent, durant lesquelles nous gardons le silence toutes les deux.

— Merde ! s’écrie Rupert.

— Je viens d’appeler Alex sur son cellulaire, mais évidem-ment il ne m’a pas répondu. Crois-tu qu’il y ait des possi-bilités qu’il ait vu ces photos et qu’il soit d’accord pour les garder là ?

— J’ignore s’il les a vues. Mais d’après ce que je sais de lui, je suis sûr qu’il est contre l’idée de se montrer ainsi. Je vais essayer de le joindre. Merci pour l’information, Laurie.

— De rien.

Après avoir mis fin à ma conversation avec Rupert, je fixe Amélie.

— Maintenant, tu dois t’occuper des choses sérieuses, car il semblerait que tu aies de la compétition, clame-t-elle.

— Si je suis encore dans la course…

— Pardon ? s’insurge Amélie. Il t’a eue dans la peau pendant des années ; c’est clair que tu y es encore bien incrus-tée. D’ailleurs, c’est certainement pour cette raison qu’il a couché avec la version suisse de Barbie.

Une voix d’homme retentit :

— Ken a finalement couché avec Barbie ? lance Maxime. Il était temps ! Mais avec quel pénis ? Il n’a qu’une vulve. Sans fente !



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— Il n’est pas encore prouvé que quiconque ait utilisé son pénis, rectifié-je.

Amélie tourne l’écran vers mon frère pour qu’il voie les photos.

— Ce n’est pas la fille en Suisse qui devait se marier ? formule-t-il en plissant les yeux.

— Oui, réponds-je. Mais le mariage a été annulé.

— Merde !

— Quoi, Max ?

Son visage défait ne me rassure guère, pas plus que son regard qui me jauge. C’est le même que celui que Rupert m’a lancé ce matin lorsqu’il se questionnait intérieurement pour déterminer les informations qu’il pouvait me transmettre.

— Crache le morceau, Max ! ordonne Amélie.

— La fille qui devait se marier a téléphoné à Alex pour qu’il aille en Suisse, car un des garçons d’honneur s’était désisté. Elle voulait s’assurer qu’il y ait un équilibre entre les filles d’honneur et les…

— C’est bon, on voit le topo ! crache Amélie. Donc elle a échangé le futur mari contre un des garçons d’honneur. Pathétique !

— On ignore toujours s’il a couché avec elle, rappelé-je.

Deux paires d’yeux me dévisagent.

— Il a couché avec Barbie, vous croyez ? m’enquiers-je d’une voix éteinte. Dans le passé, j’ai sauté aux conclusions


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secrets à faire frissonner7trop rapidement avec Alex, formulé-je. Je ne veux pas

commettre encore la même erreur. C’est la raison pour

laquelle je veux attendre de lui parler avant de le condamner.

Maxime semble découragé.

— Ne crois-tu pas encore au père Noël ? lui rappelé-je.

C’est une phrase que nous utilisons souvent, mes frères et

moi. Ayant été très déçus d’apprendre durant l’enfance que

le père Noël n’existait pas, nous avons continué de dire que

nous y croyions ainsi qu’à la magie de Noël.

— Oui, mais pas à saint Nicolas.

Maxime ne croit pas au père Noël en Suisse. D’après lui,

cette photo n’est pas platonique. Alors, si mon propre frère

pense qu’Alex a couché avec Angela, comment pourrais-je

ne pas y croire aussi ?

* * *

L’heure raisonnable à laquelle les gens finissent de travailler

est passée depuis longtemps lorsque je me lève pour m’étirer.

Je me tourne vers une des immenses fenêtres de mon bureau.

Je me réjouis de voir des skieurs s’élancer sur les pistes éclai-

rées du versant White. Ceux et celles qui ont pu se libérer de

la corvée des cadeaux et de la nourriture à préparer en vue

de cette période festive sont récompensés par des conditions

exceptionnelles. Le désir de profiter de ces rares moments

où les pentes sont couvertes de neige fraîche sans être trop

achalandées me pousse à aller arpenter les pistes, moi aussi.



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Je laisse toujours mon équipement complet ici, comme la plupart des employés de Black Snow. Après m’être habillée, je m’arrête au café du chalet pour acheter un panini, en guise de souper.

— Vous allez profiter de ce merveilleux tapis blanc ? me demande la jeune caissière.

— Oui ! C’est le privilège de travailler sur une montagne de ski !

— Effectivement ! Profitez-en bien. J’y suis allée avant de commencer mon quart. C’était magique : presque pas de gens sur les pistes et des conditions de rêve !

Je m’installe à une table d’où je peux voir l’énorme sapin de Noël, de plus de 3,65 mètres, qui trône fièrement dans l’entrée de l’Ébène. Orné uniquement de décorations blanches, il est éblouissant et majestueux. Les autres décora-tions de Noël, constituées de petites lumières blanches et de boules dorées immenses posées à égale distance, sont instal-lées dans le petit café où je me trouve et dans le corridor vitré menant au vestibule de l’hôtel.

Je fixe le sapin artificiel en me remémorant la fierté qu’avait éprouvée Pierre la première fois qu’il l’avait fait installer ici. Posté devant le conifère, il l’avait admiré longuement. Plus grand que la plupart des gens – autant par son physique que par sa prestance –, Pierre Morano semblait minuscule à côté de l’arbre. Mais il était petit intérieurement. Ce misérable personnage avait démoli ma vie amoureuse – et deux fois plutôt qu’une. Je ressens encore toute la douleur des actes cruels de cet homme.

Je vais déposer mon plateau dans le bac prévu à cet effet. J’insère un de mes écouteurs dans mon oreille avant de


35

secrets à faire frissonner7m’emparer de mes skis rangés dans un casier privé près de la porte d’entrée. L’air frais et doux qui m’enveloppe à l’exté-rieur m’incite à prendre une grande respiration. Je me dirige vers la piste Lacérée, qui est une des trois descentes les plus abruptes du mont – les deux autres se situant de l’autre côté, sur le versant Black. Cette piste porte ce nom parce qu’elle possède, en son centre, un fossé étroit mais profond ressem-blant à une déchirure. Je porte en moi le même genre de blessure. Les gens qui ne me connaissent pas bien ne s’en rendent pas compte, mais sa profondeur est insoutenable. Surtout aujourd’hui. Car l’idée d’avoir peut-être perdu Alex définitivement me déchiquette le cœur.

Au sommet, je parcours la piste des yeux avant de m’y élancer au son de I lived. Le rythme de la chanson allège mes soucis. Les paroles me font réaliser que j’ai accompli une des choses que le chanteur de OneRepublic évoque : tomber amoureuse si fort que ça fait mal. Mais cette douleur, quoique très pénible, montre que je suis vivante.

Je descends cette piste quelques fois, car j’ai besoin de relever un défi à la hauteur des émotions qui me submergent. Je la défie rapidement et agressivement. J’ai une pensée pour mon entraîneur en U16, qui trouvait que je « n’entrais » pas assez dans les courbes. S’il me voyait ce soir, il serait ravi. Mon slalom est si serré que je frôle le downhill. J’en suis à ma cinquième et dernière descente, car le mont fermera bientôt, lorsque It happens all the time, qui jouait dans mon écouteur, est interrompu brièvement en raison de l’entrée d’un texto.

Dès que je suis installée dans le télésiège, seule comme toutes les fois précédentes, je retire mon cellulaire de la poche de mon manteau pour consulter le message. Il provient d’Alex. La crainte et l’excitation s’entremêlent en moi.



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Merci pour les chocolats. Et merci d’avoir avisé Rupert au sujet des photos sur ma page Facebook.

J’en déduis que Rupert lui a parlé de la boîte que j’avais

laissée à son intention à son bureau. Car même après avoir

appris qu’Alex était en Suisse, j’avais décidé de lui laisser

les chocolats. À ce moment-là, rien ne m’incitait encore à

agir autrement. Je voulais croire en lui, en nous, malgré mes

pressentiments. Comme la boîte porte un autocollant de la

chocolaterie d’où elle provient, il n’a pas été difficile pour

Rupert de deviner la nature de mon présent.

Mais lorsque j’avais laissé le cadeau là-bas, je n’avais pas

encore vu les photos – un élément qui anéantit mon plan.

En lui apportant cette boîte, après les nombreux rejets dont

il m’avait gratifiée, j’avais marché sur mon orgueil dans le

but de nous reconstruire. Mais maintenant, après les clichés

compromettants d’Alex sur Facebook, j’ai plutôt l’air de la

fille qui rampe à ses pieds.

Je réponds au texto.

Avoir su que tu étais en train de goûter aux chocolats suisses, je ne t’aurais pas laissé d’humbles chocolats québécois.

Puis je rajoute :

Ne gaspille pas ton argent dans des textos outre-mer.

Je vois qu’il tape une réponse, qui s’affiche rapidement.

Je suis à Saint-Sauveur.

Mon cœur manque un battement. Alex est là. Tout près.


37

secrets à faire frissonner7Mon cellulaire sonne. C’est lui. Je suis sur le point de

descendre du télésiège. Je refuse l’appel, mais je texte

rapidement.

Je suis en ski.

Une fois au sol, je glisse jusqu’aux portes du chalet. Pendant

que je détache mes skis, le son de l’arrivée d’un message se

fait entendre.

Pas pour longtemps. Black Snow est sur le point de fermer.

Je remets mes skis dans le casier et vais dans mon

bureau pour me changer. Je viens tout juste de troquer

mes vêtements chauds de ski contre ceux que je portais

aujourd’hui lorsque le téléphone de mon bureau sonne. Je

m’avance pour regarder l’afficheur ; l’appel provient d’Alpi-

nor. J’imagine Alex, assis à son bureau, en train d’écou-

ter la sonnerie. Il sait qu’il m’a laissé le temps nécessaire

pour me changer. Puis la photo de lui, dans le lit d’Angela

– selon toute vraisemblance –, efface l’image précédente.

La sonnerie se tait. Je fixe l’appareil pour voir si le cligno-

tant indiquant l’entrée d’un message s’allumera. La sonne-

rie retentit de nouveau, ce qui me fait sursauter. Je n’ai

d’autre choix que de parler à Alex.

Je saisis le combiné.

— Oui ?

— Tu ne réponds pas : « Laurie Morano, PDG de Black

Snow » ?



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Sa voix grave, que je n’ai pas entendue depuis quelques semaines, me bouleverse plus que je l’aurais cru. Il a proba-blement utilisé la même avec Angie, dans des moments torrides…

— Qu’est-ce que tu veux, Alex ?

Je tente de conserver un ton neutre afin de dissimuler mes émotions.

— Je souhaitais te remercier de vive voix pour les chocolats.

— Ce n’était pas nécessaire.

Je combats vigoureusement mon envie de pleurer.

— C’était un geste très… délicat.

— Je ne parlais pas des remerciements. Ce sont les choco-lats qui n’étaient pas nécessaires. Avoir su, je n’aurais rien fait. C’est tout ?

Malgré mes efforts, ma voix est brisée.

— Avoir su quoi ?

— Que tu étais en Suisse.

Le silence s’étire. Je songe à la raison de notre rupture.

— Dans le passé, Alex, tu m’as accusée de ne pas avoir confiance en toi et de sauter trop vite aux conclusions. Alors cette fois-ci, je ne prendrai aucun risque. Angela a-t-elle annulé son mariage à cause de toi ?

— Non.


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secrets à faire frissonner7Je ressens un léger soulagement. Cela me donne de

l’audace.

— As-tu couché avec elle ?

Quelques secondes plus tard, il réagit.

— Oui, Laurie, j’ai couché avec Angie.

« Non ! » crié-je à l’intérieur de moi.

— Nous ne sommes plus ensemble, Laurie, reprend-il.

— Je croyais que…

Incapable de poursuivre, je raccroche. Puis je me laisse glisser par terre, le dos contre mon bureau. Je fixe les arbres à l’extérieur, encore bien visibles grâce à l’éclairage des pistes. L’heure de la fermeture arrive. Subitement, tout s’éteint. L’obscurité envahit le boisé. Et m’envahit aussi.


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