6. l’écologie urbaine peut-elle sauver la ville ? et réciproquement · 2013-04-12 · 6....

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6. L’écologie urbaine peut-elle sauver la ville ? ... et réciproquement ? Jeudi 21 février 2013 Avec Thierry PAQUOT, Philosophe de l’urbain, professeur des universités (Institut d’urbanisme de Paris, UPEC), Thierry Paquot a été éditeur de la revue Urbanisme (1994- 2012) et producteur sur France-Culture (1996-2012). Il est membre de la Commission du Vieux Paris, du Comité scientifique du learning center consacré à « la ville durable » (Dunkerque) et préside l’association Image de Ville (Aix-en-Provence). Il participe au comité de rédaction des revues : Esprit, Hermès, Diversité (Ville Ecole Intégration), Books, Entropia, Locali- ties (Corée), Urban (Milan), Scape (Pays-Bas) et tient un blog sur le site de Philosophie Magazine. Ses travaux concernent la géohistoire des villes, les mouvements « alternatifs », la philosophie de l’« habiter », l’éthique de l’environnement et l’écologie temporelle. « Je ne crois pas à l’existence de l’écologie urbaine mais à l’écologie humaine ». Les réflexions présentées et l’état des travaux en cours portent plutôt sur les liens entre la ville, l’urbanisation et les questions environnementales. Thierry PAQUOT nous propose de relater la géo-histoire de l’urbanisme et de l’écologie.

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Page 1: 6. L’écologie urbaine peut-elle sauver la ville ? et réciproquement · 2013-04-12 · 6. L’écologie urbaine peut-elle sauver la ville ?... et réciproquement ? Jeudi 21 février

6. L’écologie urbaine peut-elle sauver la ville ?... et réciproquement ?

Jeudi 21 février 2013

Avec Thierry PAQUOT,

Philosophe de l’urbain, professeur des universités (Institut d’urbanisme de Paris, UPEC), Thierry Paquot a été éditeur de la revue Urbanisme (1994-

2012) et producteur sur France-Culture (1996-2012). Il est membre de la Commission du Vieux Paris, du Comité scientifique du learning center

consacré à « la ville durable » (Dunkerque) et préside l’association Image de Ville (Aix-en-Provence). Il participe au comité de rédaction des revues : Esprit, Hermès, Diversité (Ville Ecole Intégration), Books, Entropia, Locali-ties (Corée), Urban (Milan), Scape (Pays-Bas) et tient un blog sur le site de

Philosophie Magazine. Ses travaux concernent la géohistoire des villes, les mouvements « alternatifs », la philosophie de l’« habiter », l’éthique de

l’environnement et l’écologie temporelle.

« Je ne crois pas à l’existence de l’écologie urbaine mais à l’écologie humaine ». Les réflexions présentées et l’état des travaux en cours portent plutôt sur les liens entre la ville, l’urbanisation et les questions environnementales. Thierry PAQUOT nous propose de relater la géo-histoire de l’urbanisme et de l’écologie.

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L’urbanisme est né pour servir la ville industrielle et l’idéo-logie productiviste. Si on veut imaginer un autre urba-nisme, pour une autre ville, non productiviste, peut-être nous faut-il abandonner l’urbanisme ? Le productivisme correspond dans l’histoire à un petit moment de la fabrique de la ville. F. Braudel indique que « la ville est un heureux accident de l’histoire » ce qui sous entend que les villes sont mortelles. La ville productiviste est une ville rationnelle, fonctionnelle, décidée pour la consommation ; la consommation étant alors la dernière finalité de la vie humaine. Pour sortir de la ville productiviste, il faut alors sortir de la société de consommation.

Dans la société productiviste, il y a une opposition entre travail et loisirs. La société de consommation vient se subs-tituer à la société de loisirs, la consommation de masse suppose de produire plus et de façon intensive. Dans ce

contexte, le travail est un revenu qui permet la consom-mation. On ne se réalise plus dans le travail, la « vraie vie » est ailleurs.

Une transformation de fond doit s’opérer, il faut repen-ser autrement l’organisation de la société productiviste, le découpage du travail en 3x8 ne concerne qu’une partie

des citoyens du monde. Une ville productive est une ville dédiée à une population active et en bonne santé Le futur des villes peut s’imaginer autrement que comme une ville à consommer.

A l’échelle mondiale, un problème de consommation peut se traduire par un pro-

blème géopolitique. Exemple avec la Chine qui annonce 200 millions d’automobiles pour 2020 alors qu’elle ne pos-sède pas de réserve pétrolière. Cette forte demande peut générer des fortes tensions sur le marché pétrolier à un moment où la demande est supérieure à l’offre.

La question des préoccupations environnementales est récente. La révolution industrielle a occulté la dimension « catastrophique » de l’industrialisation. Tout le monde a considéré cela comme un progrès, comme une apo-gée. Toutes les sociétés du monde doivent passer par les mêmes étapes de croissance et d’industrialisation. En conséquence, on pointe aujourd’hui les risques et dé-sastres urbains. C’est un vrai enjeu pour les territoires, au cœur des préoccupations environnementales.

Le terme « écologie » est inventé par Ernst Haec-kel, un allemand, médecin et voyageur en 1866. Il ne l’utilisera qu’à deux reprises et ne le met pas en œuvre dans sa propre pensée. Il le définit comme « la science des relations de l’organisme avec l’environnement ». Dans cette définition, le terme le plus important est « rela-tion ».

Le mot est repris en 1901 en France par une société d’amateurs éclairés mais les savants et les universitaires ne l’utilisent qu’à la fin des an-nées 30 et surtout à partir des années 50. C’est une notion récente. Le mot existe mais la pen-sée environnementale avance à son rythme et s’enrichit progressivement. En 1927, on invente les mots biosphère, écosystème, en 1935, et biodiversité en 1985.

Les écologistes français depuis les années 30 ne se préoccupent pas trop de la ville, ils sont générale-

ment « urbaphobes ». On observe surtout un refus de la grande ville. Ces penseurs s’interrogent, à cette époque, sur la croissance démographique. La ques-tion du nombre d’habitants « idéal » pour une ville est posée. Pour Platon, la ville idéale est de 4  050 per-sonnes, 1 620 pour C. Fournier. Pour P. Bairoch, une ville

« habitable » avec un maximum de services, ne doit pas dépasser 600 000 habitants.

Aujourd’hui, ces questions ne sont plus posées, c’est un tabou. Ne sommes-nous pas trop nombreux sur terre ? Les res-sources terrestres ne vont-elles pas s’épui-ser trop vite à cause du nombre d’habi-tants ? La surconsommation des matières

premières, c’est la philosophie du « toujours plus » qui l’emporte sur celle du « toujours mieux ». Aujourd’hui, on peut proposer une conclusion : si la terre continue de progresser dans cette situation, elle court à sa perte.

L’URBANISME ET LA VILLE PRODUCTIVISTE

HISTOIRE DE L’ÉCOLOGIE

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L’HUMAIN ET LA NOTION D’HABITER

PROPOSITIONS ET INITIATIVES D’AUTRES FORMES D’URBANISME

Habiter est le but de l’écologie, en latin ce terme veut dire « avoir régulièrement ». Habiter, c’est être présent au monde et à autrui. Une dimension spatiale et temporelle est asso-ciée à l’être humain. Il est situationnel et rela-tionnel : il construit les territoires de sa géo-existence et c’est un être de liaison. L’humain passe son existence à lier et à délier. L’être humain exprime sa liberté dans le projet ; se projeter c’est se mettre au devant de soi.

Martin Heidegger affirme « un animal naît, un être humain vient au monde ». C’est à nous d’imaginer notre monde et nous construire dans un terri-toire qui existe déjà. Pour Bachelard, « L’être humain est un être rythmique ». Il propose une « topo-analyse » de l’être humain, c’est à dire l’analyse du lien entre l’homme et son

environnement spatio-temporel. Thierry Paquot propose régulièrement à ses étudiants un exercice initiatique en rédigeant une autobiographie environnementale permet-

tant de se remémorer les lieux qui ont contri-bué à nous construire.

Bachelard explique qu’il faut nous situer dans notre espace et dans notre maison. Les « ga-ted-communities » ou espaces résidentiels fermés sont les produits immobiliers les plus commercialisés au monde, pourtant ces es-paces rompent les relations de l’homme avec

son environnement. A cet égard, ce sont des espaces « inhabitables » au même titre que les grands ensembles, les tours, et bon nombre de formes urbaines proposées dans nos villes.

La pensée environnementale ne se préoccupe des villes que depuis récemment. Les recherches actuelles sur le climat ont convaincu tout le monde de la fonte de la calotte glaciaire et d’autres événements climatiques qui pourraient avoir des conséquences sur les villes. On peut penser que ce phénomène n’est pas momentané, et qu'il marque une transition par rapport à notre propre climat. Il faut donc reprendre en considération nos saisons, être en accord avec son lieu. A cause de la globalisation, on considère un seule modèle de saison, pourtant il y a une diversité saisonnière dans le monde, et il en va de même pour les notions de temporalité jour / nuit.

Les questions environnementales concernent tous les as-pects de la vie quotidienne dans la ville et il est important de les considérer dans une globalité. La question énergé-tique, par exemple, est totale et est en lien avec le climat, les modes de vie, la consommation, les transports, l’habi-tat, etc…

L’urbanisme qui triomphe partout dans le monde est celui du productivisme mais très marginalement, il existe d’autres formes qui prennent en compte d'autres aspects :

• La « permaculture », mouvement né en Australie il y a 15 ans, signifie une culture permanente par le respect de la rythmique des sols. Ce mouvement prône « l’amitié entre l’humain et le vivant », il refuse la brusquerie envers la nature et la transformation de la terre au service de l’industrie agro-alimentaire.

Rob Hopkins est théoricien de la « permaculture », il créé en 2006 en Angleterre dans la petite ville de Totnes, le mouve-ment des « villes en transition ». La transition s’opère pour

ces villes autour de la consommation énergétique. Tout le monde s’engage par des éco-gestes, et un engagement plus massif est prévu au niveau régional : politique d’arrêt de l’éclairage public à 22h par exemple, soit moins 20 à 40 %de consommation d’énergie dans ces villes.

• Le phénomène des villes lentes est né en Italie, les « Slow citta » sont environ 70 dans le monde. Leur caractéris-tique est de ne pas dépasser 60 000 habitants. Leur slogan « vivre mieux » et leur logo est un escargot. L’escargot, dans sa coquille respecte les propositions limites à ne pas franchir, imposées par la nature. C’est la philosophie développée par ces villes.

• D’autres initiatives dans le monde : smart course, éco habitat, habitat autogéré et participatif, la mobilité rai-sonnée…

««««« Pour habiter le Pour habiter le Pour habiter le monde, il faut être en re-monde, il faut être en re-monde, il faut être en re-lation permanente avec lation permanente avec lation permanente avec tout ce qui participe à ce tout ce qui participe à ce tout ce qui participe à ce

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Retrouvez le programme des conférences et des autres manifestations et évènements qui sont organisés dans le cadre de l’exposition sur notre blog : www.marseilledelavillealametropole.com

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édit

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Agam

, MPM

Marseille et ses grands projets A Marseille, il y a un lien particulier avec l’environnement, c’est un lien fort qui dépasse les clivages sociaux. Bachelard indique que notre pays natal n’est pas une géographie mais une « matière »… à Marseille, celle ci peut être une lumière, une couleur qui a « une dimension cosmique », que les tours et les infrastructures viennent perturbuer.Le réaménagement du Vieux-Port et du J4 est une chance inouïe, le port, c’est avant tout une porte. Il redevient un espace de partage. La confiscation d’un bout de la ville par les activités mercantile et touristique est un vrai problème.

A propos de l’architectureUn architecte doit s’adapter au contexte et intégrer son bâtiment dans son environnement. A l’inverse, Le Corbusier pensait que le bâtiment qu’il construisait « faisait lieu ». Thierry Paquot dénonce l’urbanisme productiviste globalisé et le fonc-tionnalisme, théorisé par le CIAM (Congrès Internationaux d’Architec-ture moderne) et la charte d’Athènes publiée en 1942. En témoignent encore aujourd’hui les « starchitectes » qui ressortent les mêmes projets partout sans connaitre les lieux. Les paysagistes, architectes, urbanistes ne font pas toujours l’effort de prendre en considération le contexte. En Allemagne, il y a un tronc commun pour les écoles d’architecture, de paysage et d’urbanisme. Pourquoi pas en France ?

Politiques urbaines et écologieQuand on analyse les projets d’urbanisme, il ne faut pas occulter les questions financières, la rentabilité du foncier et les projets politiques. L’architecte et l’urbaniste doivent s’inscrire dans ce système, quelle est leur marge de manœuvre ? Comment modifier la structure, le système ?

Thierry Paquot répond : « c’est ça l’écologie ! », on a le choix. Il faut quitter la structure de la pensée en arbre pour privilégier le rhizome, sans début ni fin. La société de sobriété, de décroissance peut être volontaire. On peut décider d’agir, choisir de décroitre et de ne pas faire toujours plus. Il prend comme exemple l’image des 3 tours pro-grammées sur le front de mer marseillais, qui sont pourtant le sym-bole d’une autre époque. T. Paquot nous invite à chahuter les lois, à agir avec des associations, à développer l’esprit critique, à passer par des recherches lentes, des pétitions… « Malheureusement, il faut avancer petitement ».

Rapport ville/natureT. Paquot insiste sur la différence des termes, le mot nature est plutôt perçu comme un stock que l’on va consommer. Le mot paysage décrit ce que l’œil embrasse d’un seul regard, c’est quelque chose que l’on ob-serve, qui est délimité. L’architecte Lucien Kroll dit que « tout est pay-sage ». En effet, on sort aujourd’hui de ce qui était « picturalement »le paysage avec une autre manière de voir. Le mot nature est trop utilisé par les politiques qui le « dénature ».

Extraits d’échanges avec la salle

❖ Pour relever les défis écologiques actuels, il faut penser autrement notre urbanisme et sortir du système instauré par le productivisme.

❖ Penser « écologique » c’est analyser et prendre en compte les relations entre l’humain et son environnement dans la construction de la ville .

❖ Il existe marginalement d’autre façon de penser l’urba-nisme, une autre ville est possible.

A RETENIR