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    La coutume dans la vie profane chez Pascal

    Hirotsugu YAMAJO

    Les observations de Pascal sur la coutume, qui insistent sur linconstance et la vanit de la crature travers des exemples trs ralistes, constituent sans doute les fragments les plus connus des Penses . Cethme apparemment familier mais en fait mconnu, est la source de nombreuses rflexions, littraires, phi-losophiques, thologiques et mme politiques, et a attir lattention de nombreux chercheurs qui lonttudi directement ou indirectement. Grard Ferreyrolles, entre autres, a consacr cette notion--clef unelarge partie de son ouvrage,Les Reines du monde.Limagination et la coutume chez Pascal1. Il y fait une syn-thse remarquable des aspects trs varis et des natures parfois contradictoires de la coutume pascali-

    enne. En nous rfrant cette tude incontournable, nous considrerons ici de plus prs la gense et la r-alit de la coutume que lapologiste trouve dans la vie profane.

    Daprs Pascal, la coutume, permettant aux preuves de la religion dtre efficaces, cest----dire assezconvaincantes pour tre crues, gnre la foi, mme si cest une foi qui demeure pour un moment hu-maine et inutile pour le salut2 . Cette thse de la foi coutumire provient directement de sa rflexion sur lavie humaine qui ne peut pas ne pas recourir aux penses et institutions reconnues dans la socit indpen-damment de la raison ou aux phnomnes confirms quotidiennement par les expriences sans que leurcause ne soit interroge par lesprit. Lauteur nous propose ainsi daccepter la doctrine religieuse par lacoutume. Or, si un tel discours semble cohrent lintrieur du fragment S 661L 821, la rflexion pascali-enne sur la coutume humaine ne se rduit pas une approbation : les vices ou les erreurs savrent aussi

    tre ses produits.Ainsi, cette prsente tude est un prliminaire lexamen que nous ferons de la foi qui se-rait gnre par lhabitude.Nous commencerons par interroger les acceptions du mot coutume au XVII e sicle afin dessayer

    den dfinir le sens chez Pascal par les usages qui en sont faits dans le fragment S 661 L 821. Ensuite, nousanalyserons les caractres de la coutume, tels que lauteur les considre dans la vie profane, dun ct, danslordre collectif et, de lautre, dans lordre individuel.

    Quest--ce que la coutume selon Pascal

    Furetire dfinit la coutume comme suit :

    1Train de vie, ou dactions ordinaires, qui tant plusieurs fois rptes, donnent une habitude oufacilit de les faire quand on veut. Ce mot est driv conjuetudine, par contraction....

    2Coutume, se dit aussi des choses qui se font ordinairement et naturellement, mme par les ani-maux et par les corps inanims....

    3Coutume, se dit aussi des murs, des crmonies, des faons de vivre des peuples qui sonttournes en habitude, et qui ont pass en usage ou en force de loi....

    4Coutume, presque en ce sens, se dit des choses qui taient dabord volontaires, et qui sont deve-nues ncessaires par lusage....

    Mots--clefs : Pascal, coutume, habitude.Lecteur titulaire, Facult de sociologie, Universit Kwansei--Gakuin.

    Paris, Honor Champion, Lumire classique , 1995.S 142L 110, p. 203

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    La coutume revt deux aspects : ce qui donne une habitude 1et ce qui est tourn en habi-tude 3. Elle est la fois la cause et la consquence dune contraction , dune disposition acquise.Ensuite, la coutume se prsente chez un individu1et dans un groupe dindividus3; dans le secondcas, elle dsigne lensemble de prceptes ou de rgles acceptsou exigsdans une collectivit, en un

    mot, un usage social. La coutume suppose donc lide dun processus de gense se produisant chez un ouplusieurs hommes. F. Ravaisson disait propos de l habitude : Lhabitude est...une disposition, lgard dun changement, engendre dans un tre par la continuit ou la rptition de ce mme change-ment4. La description de Furetire implique par ailleurs deux problmatiques qui nous intressent. Dunepart, la coutume semploie mme pour rfrer la nature ou l instinct , qualits innes des cra-tures2. Dautre part, elle provient de la volont, dans un premier temps du moins, pour devenir involon-taire par la suite4.

    Considrons les coutumes que Pascal reconnat dans le fragment S 661L 821. Celui--ci insiste surlimportance de la croyance religieuse acquise par le moyen de la coutume. Pour exprimer sa sret et safacilit, Pascal prsente plusieurs exemples tirs de la vie quotidienne.

    Car il ne faut pas se mconnatre : nous sommes automate autant quesprit. Et de l vient que lin-strument par lequel la persuasion se fait nest pas la seule dmonstration. Combien y a--t--il peu dechoses dmontres ! Les preuves ne convainquent que lesprit ; la coutume fait nos preuves lesplus fortes et les plus crues : elle incline lautomate, qui entrane lesprit sans quil pense.

    Cette introduction considre la coutume dans ses effets, comme plus persuasive que la dmonstration.Celle--ci fournira peut--tre un motif universel de croire ce quelle prouve, mais, ce motif demeure impuis-sant sans le concours de la coutume qui agit sur l automate , lautre lment constitutif essentiel delhomme que l esprit . Or, sans dmonstration rationnelle, la coutume seule peut convaincre de la vritde ce quelle prsente : Combien y a--t--il peu de choses dmontres ! La coutume est une opration

    qui nous persuade indpendamment de la rflexion, effectue par le moyen de la raison. Cette opration,nous venons de le voir, consiste en la ritration ou en la continuation dun changement.

    1Qui a dmontr quil sera demain jour, et que nous mourrons ? Et quy a--t--il de plus cru ?2Cest donc la coutume qui nous en persuade, cest elle qui fait tant de chrtiens, cest elle qui fait les

    Turcs, les paens, les mtiers, les soldats, etc.3Il y a la foi reue dans le baptme de plus auxchrtiens quaux paens.Enfin il faut avoir recours elle, quand une fois lesprit a vu o est la v-rit, afin de nous abreuver et nous teindre de cette crance, qui nous chappe toute heure. Carden avoir toujours les preuves prsentes, cest trop daffaire.

    Dans ce texte qui suit le passage cit prcdemment, on trouve trois types de contraction didesnu-mrots par nous. Si la coutume comprend une certaine dure, on peut distinguer deux tapescause eteffetdans chaque exemple. Dans le premier exemple, la coutume est dans les phnomnes quotidiens et

    A. Furetire,Dictionnaire universel, 1690, Genve, Slatkine Reprints, 1970, 3 vol. : coutume . Les acceptions sontnumrotes par nous. Dautres acceptions, qui nous intressent peu, se trouvent dans larticle : un droit quonpaye ordinairement comme une espce de page aux passages des villes , un revenu annuel enbl, vin et autrechose payable au seigneur qui avait donn lhritage cette condition , le droit particulier ou municipal tablipar lusage en certaines provinces , etc.

    F. Ravaisson, De lhabitude, Paris, Fayard, Corpus , 1984, p. 10. Cependant, le mot habitude nest pas un sy-nonyme parfait de la coutume dans cet ouvrage dat 1838. Selon Ferreyrolles, dans lusage contemporain, sila coutume reste cantonne dans le collectif, lhabitude en revanche peut dborder lindividuel et empiter sur le

    domaine de la coutume . Tandis quau XVIIe sicle, lhabitude est doublement lie lindividuel, et par sonsens en physique...et par son sens en morale et la coutume,..., embrasse la fois le collectif et lindi-viduel Op. cit.,pp.1718.

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    rptsIl a t jour chaque jour ;A est mort, B est mort, C est mort...qui deviennent cause dune croyanceIl sera demain jour ;Nous mourrons.

    Dans le second exemple, la coutume est le choix ordinaire, effectu dans une certaine rgion, dune re-ligion ou dun mtier, transmis tel quel de gnration en gnration. Il sagit de la coutume au sens dusage

    social. Pascal dplore dans un autre fragment : A force dour louer en lenfance ces mtiers et mprisertous les autres, on choisit. La chose la plus importante toute la vie est le choix du mtier : le hasard endispose5. Si ce nest quune coutume sociale, le choix dune religion se rduit ici un simple hasard,comme celui dune profession.

    Tout de mme, lorsquil est dit qu Il y a la foi reue dans le baptme de plus aux chrtiens quauxpaens 3, il semble que Pascal reconnaisse la justice de la foi se produisant selon un choix arbitraire :le baptme est un acte symbolique juste, qui a pour objet dimposer la religion un enfant. Mais, la cou-tume, qui rend utiles les preuves recourant la machine6 pour gnrer la foiquoique provisoire, nestpas seulement celle qui est accepte comme un usage dans une collectivit. Le fragment Infini rien S680L 418voque aussi une coutume dun autre type :

    Apprenez de ceux qui ont t lis comme vous et qui parient maintenant tout leur bien : ce sontdes gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre et guris dun mal dont vous voulez gu-rir. Suivez la manire par o ils ont commenc : cest en faisant tout comme sils croyaient, en

    prenant de leau bnite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement mme cela vous fera croire etvous abtira.

    La coutume dont il est ici question est une habitude engendre par la pratique physique. La reprisedes actes, essentiellement rituels, des prdcesseurs, conduira la croyance en la doctrine de cette religion.La prire, que les croyants sont obligs de rpter sans cesse, est un exemple privilgi de ce type de coutu-me. Par ailleurs, le fragment S 661L 821, voquant le baptme, le premier sacrement quon reoit dans sa

    vie, ne suggre--t--il pas limportance de lhabitude rituelle et physique dans la vie religieuse ?Ainsi, dans ce passage du fragment S 661L 821, on peut remarquer trois types de coutume. Dabord, laconfirmation ritre dune proposition par un phnomne qui latteste ; ce qui fait croire, sans dmonstra-tion, cette proposition. Ensuite, lusage social trans--gnrationnel. Les membres de toute socit, obligs delaccepter ds la naissance et sans en connatre la raison, le considreront comme juste. Et enfin, les pra-tiques physiques et quotidiennes. Elles font croire en une pense ou un systme des ides qui leur sont as-socis.

    La Logique de Port--Royal reprend lide dAristote qui dfinit les habitudes comme les disposi-tions desprit ou de corps, qui sacquirent par des actes ritrs, comme les sciences, les vertus, les vices ;adresse de peindre, dcrire, de danser7 . Ladresse physique, de peindre, dcrire ou de danser sapprend travers les actes du corps qui correspondent exactement ces pratiques : la peinture, lcriture, la danse.Mais, Pascal semble croire que lusage ritr du corps peut aussi gnrer une disposition desprit. En effet,le vice de dbauche pourra se former par la frquentation dun mauvais endroit ou de mauvais amis. Le divertissement pascalien nest--il pas le rsultat dactions coutumires ? Le jeu et la conversation , laguerre, les grands emplois font oublier aux femmes et aux hommes de penser leur malheureuse condi-tion 8. La foi en est finalement un exemple privilgi : on peut dire quelle est une habitude desprit rsul-tant de la pratique corporelle.

    Cest ce qui apparat la lecture du fragment S 661L 821.

    S 527L 634.

    S 41L 7.Logique, I3, p. 50. Aristote classe les habitudes dans la qualit , la 3e des Dix catgories .Voir S 168L 136, p. 216.

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    Il faut acqurir une crance plus facile, qui est celle de lhabitude, qui sans violence, sans art, sansargument, nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances cette croyance, en sorteque notre me y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction, et quelautomate est inclin croire le contraire, ce nest pas assez. Il faut donc faire croire nos deux

    pices : lesprit, par les raisons, quil suffit davoir vues une fois en sa vie ; et lautomate, par la cou-tume, et en ne lui permettant pas de sincliner au contraire.Inclina cor meum, Deus ....

    Pascal expose ici les avantages de la croyance par lhabitude : elle est facile, naturelle sans violence,sans art et immdiate sans argument . Cette croyance coutumire, soit par les conventions du pays,soit par la pratique physique, nagit que sur l automate . Celui--ci est une certaine disposition physio--psy-chologique humaine qui ressemble au mcanisme des tres inorganiques ou des animaux. Lesprit, ntantconvaincu que par la raison discursiveou les raisons quelle fournit, est indpendant de la coutumequi, par dfinition, sacquiert sans laccord de la raison. Pascal requiert ainsi, pour la foi, deux moments de croyances : celle de lesprit, par les raisons et celle de lautomate, par la coutume . Or, la priorit

    consiste en la dernire : la croyance de lesprit demeure invalide tant que lautomate ne ladmet pas.Ainsi, cest la coutume qui dtermine la croyance.

    Aussi, la foi est--elle la consquence de la coutume, et cela en un sens double. Dune part, elle provientde lacceptation dun usage sociallui--mme nomm coutume et se reproduit la gnration suivante :elle se fortifie avec le temps mesure que la raison, parfois arbitraire, de son tablissement est oublie, toutcomme l usurpation : Elle a t introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable9. Dautrepart, la foi se trouve tre le fruit de ladaptation habituelle des gestes rituels et physiques exigs par lareligion. Ceux--ci, dispensant le sujet de toute recherche intellectuelle quant la justice de son action, fontsurgir chez lui une disposition spirituelle qui deviendra croyance. Aussi la coutume dordre collectif est--elletaxe de vains fondements , quoiquelle soit suivie par la plus grande partie des hommes communs 10.

    Quant la reprise des pratiques des croyants, lapologiste la considre comme un acte d abtissement .La foi coutumire, dont Pascal respecte lefficacit, savre tre ladhsion volontaire lindmontrable, voire lincertain. Comment peut--il y avoir un bon usage de lhabitude ? Dans le fragment S 661L 821, pourexpliquer le profit de la coutume en matire de la foi, lapologiste propose un exemple gnral et quotidien :on croit par la coutume quil fera jour demain et que lon meure.

    Afin dtudier les significations de la coutume pascalienne dans dautres contextes, nous allons main-tenant considrer plusieurs textes o lauteur prsente son ide daccoutumance dans lordre indi-viduel et dans lordre social en puisant les exemples dans la vie profane.

    La coutume dans la vie profane

    La coutume dans lordre social

    La coutume domine la vie de lindividu comme de la socit. Quelles en sont les consquences ? Lacoutume dordre social se trouverait tre chez Pascal les murs du pays, la jurisprudence, les modes de vie,le systme politique ; cest----dire tout pouvoir, spontan ou institutionnel, rgissant les membres de la com-munaut. Tous ces principes sont tourns en habitude , selon lexpression de Furetire, durant plusieursgnrations jusqu tre considrs comme naturels : Quest--ce que nos principes naturels, sinon nos

    S 94L 60, p. 187.S 164L 131, p. 210 : Voil les principales forces de part et dautre. Je laisse les moindres, comme les discours

    quont fait les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume, de lducation, des murs des pays, et les autres

    choses semblables qui, quoiquelles entranent la plus grande partie des hommes communs, qui ne dogmatisentque sur ces vains fondements, sont renverses par le moindre souffle des pyrrhoniens. On na qu voir leurslivres si lon nen est pas assez persuad, on le deviendra bien vite, et peut--tre trop.

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    principes accoutums ?11 Toutefois, bien que les membres de la socit trouvent leur coutume sociale ncessaire, Pascal y voit

    demble larbitraire : Trois degrs dlvation du ple renversent toute la jurisprudence. Un mridien d-cide de la vrit. Dans un autre pays mme voisin, on observe une lgislation tout diffrente. Plaisante

    justice quune rivire borne ! Vrit au--de des Pyrnes, erreur au--del. En traversant une mer, on pour-rait tre lou pour les crimes les plus horribles : Le larcin, linceste, le meurtre des enfants et des pres,tout a eu sa place entre les actions vertueuses. La coutume se modifie galement avec le temps. En peudannes de possession les lois fondamentales changent. 12 Montaigne le dplore : Quelle bont est--ce,que je voyais hier en crdit, et demain ne la sera plus...? 13 Descartes exprime, dans le Discours de lamthode, son tonnement davoir dcouvert, lors de son voyage dans les pays trangers, des murs et despenses si diffrentes de celles de son pays, quelles lui semblaient parfois extravagantes et ridicules14 .Or, tous ceux qui ont des sentiments fort contraires aux ntres, ne sont pas, pour cela, barbares ni sau-vages, mais...plusieurs usent, autant ou plus que nous, de raison15 . Pour le philosophe, comme pour Pas-cal, la coutume se trouve tre temporelle : comment, jusques aux modes de nos habits, la mme chosequi nous a plu ilya dix ans, et qui nous plaira peut--tre encore avant dix ans, nous semble maintenant

    extravagante et ridicule16 ! Ainsi, il ny a pas de rgle pour quune coutume stablisse.A dfaut de la jus-tice constante , les usages ont pris pour modle les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands .Cest la tmrit du hasard qui domine les lois humaines 17. Les coutumes nont que de vains fonde-ments18 , qui ne sont autre chose que la folie : La puissance des rois est fondes sur la raison et sur la fo-lie du peuple, et bien plus sur la folie19.

    Pourtant, cette folie, que Pascal appelle autrement faiblesse , possde une force dexigence admi-rablement sre 20. En effet, le peuple suivant les coutumes ne voit pas leur dfaut dautorit et de justice ;il invente une justice par son imagination : Qui leur obitaux loisparce quelles sont justes, obit lajustice quil imagine, mais non pas lessence de la loi. 21 Sans apercevoir la raison des effets , le peu-ple honore les personnes de grande naissance 22. Ce fondement mystique de la coutume se rduit fi-

    nalement au fait qu elle est reue 23

    . Comme le remarque G. Ferreyrolles, la seule justification de lacoutume est tautologique24 . Linfluence de la coutume est telle, quelle dtermine les membres de la soci-t choisir une profession particulire : A force dour louer en lenfance ces mtiers et mpriser tous lesautres, on choisit25. Elle dispose donc de notre volont : on se soumet la contrainte de la coutumemme quand on croit faire un libre choix. Ainsi, elle se distingue difficilement de la nature. Les principesauxquels on sest accoutum, que les enfants reoivent de leurs pres, sont comme un instinct, comme lachasse dans les animaux26 .

    S 158L 125.Voir S 94L 60, p. 184.Cit par Ph. Sellier d.,Penses,p.184,n.5.

    Discours de la mthode, 1re partie,ALQ.I,p.578.Ibid., 2e partie,ALQ.I,p.583.Ibid.,ALQ.I,p.584.Voir S 94L 64, pp. 184185.S 164L 131, p. 210.S 60L 26.Voir ibid.Voir S 94L 60, pp. 185186.Voir S 124L 90.Voir S 94L 60,p. 186.Ferreyrolles, op. cit., p. 27. Non seulement la coutume fait la preuve de ce qui revient rgulirement, mais elle fait

    la preuve de ce qui est attach arbitrairement ce qui revient : si la force se transmet par contact assidu, il nest

    rien ni personne quon ne puisse ce jeu rendre fort,et du coup respectable. Ibid.,p.29.S 527L 634. Cf. S 69L 35.S 158L 125.

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    De sorte que, selon Descartes, cest bien plus la coutume et lexemple qui nous persuade, quaucuneconnaissance certaine27 . Aux yeux du philosophe, qui suit la mthode de bien conduire sa raison28 , ladcouverte, travers les voyages ltranger, de la relativit des coutumes est un progrs : Il est bon desavoir quelque chose des murs de divers peuples, afin de juger des ntres plus sainement, et que nous ne

    pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison

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    . Japprenais, dit--il, nerien croire trop fermement de ce qui ne mavait t persuad que par lexemple et par la coutume30 . PourPascal aussi, il faut avoir la perspicacit desprit de chercher la raison dans les effets : la coutumergne sur le peuple, parce quelle se fonde non pas sur la justice essentielle, mais sur une justice imagi-naire31. Pourtant, les demi--habiles ou les dvots considrs comme des chrtiens imparfaits, tout enayant aperu le fait que la domination de la classe noble nest que le produit du hasard ce qui est uneraison correcte des effets , se trompent en action : ils mprisent les personnes de grande naissance 32.En revanche, alors que le peuple nest pas capable de dcouvrir l illusion du monde 33, ses opinions sonttout fait saines34 . Comme les chrtiens parfaits et les habiles , le peuple, pourtant dpourvu deslumires de lesprit, honore la noblesse35. Si leurs actions sont identiques, les premiers et les seconds nepensent pas de la mme manire : La vrit est bien dans leurs opinionsdu peuple, mais non pas au

    point o ils se figurent. Il est vrai quil faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissanceest un avantage effectif36 . Ainsi, Il faut avoir une pense de derrire, et juger de tout par l, en parlantcependant comme le peuple37.

    Pourquoi faut--il respecter la noblesse ? A lorigine de la socit, il y eut un combat et le plus fort op-prima le plus faible. Depuis, pour viter de recommencer la guerre, les gouvernants dcidrent de transmet-tre leur force leurs fils : cest l le principe de laristocratie. Ce nest plus la force, mais limagination quiimpose le respect au peuple envers les nobles 38 : ces cordes qui attachent donc le respect tel et tel en particulier, sont des cordes dimaginations 39. Pour Pascal, cest une situation acceptable en dpit dela dtresse quelle pourrait engendrer. Car, le plus grand des maux est les guerres civiles...Le mal crain-dre dun sot qui succde par droit de naissance nest ni si grand, ni si sr. 40 Ainsi la Fronde est une con-

    testation juste contre une force dont le droit est purement imaginaire ; mais cest prcisment la raisonpour laquelle elle est injuste : Summum jus, summa injuria 41.Cest ainsi que la sagesse politique consiste dtourner les yeux du peuple de la contingence des

    coutumes. En revanche, Lart de fronder, bouleverser les Etats consiste branler les coutumes tabliesen sondant jusque dans leur source pour marquer leur dfaut dautorit et de justice 42 . Les opinions du

    Discours de la mthode, 2e partie,ALQ.I,p.584.Ibid.,1re partie,ALQ.I,p.571.Ibid., p. 573.Ibid., p. 578.Cf. S 121L 87.

    Voir S 124L 90.Voir S 126L 92.Cf. S 128L 94,S 129L 95.Voir S 124L 90.S 126L 92S 125L 91. Les grandeurs dtablissement dpendent de la volont des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer

    certains tats et y attacher certains respects. Les dignits et la noblesse sont de ce genre Discours sur la condi-tion des grands, MES. IV, p. 1032.

    Voir S 668L 828.S 128L 94. Cf. S 786L 977, S 796L 962p. 595.Voir S 119L 85 : De l vient linjustice de la Fronde, qui lve sa prtendue justice contre la force. Cf. : La

    chose tait indiffrente avant ltablissement ; aprs ltablissement, elle devient juste, parce quil est injuste de latroubler. Discours sur la condition des grands, MES. IV, p. 1032.

    S 94L 69, p. 186.

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    1Limagination

    Chez Pascal, la coutume simpose dans beaucoup de cas comme une source derreurs. Cet aspecttrompeur de lhabitude sexprime tout dabord par le fait quelle amplifie leffet de limagination. Le specta-cle ordinaire dun grand cortge royal, o le souverain, couronn, habill dun somptueux costume, apparat

    accompagn par de nombreux sujets munis darmes, aussi solennels que puissants, fait que le peuple res-pecte et craigne son roi. Dsormais, mme lorsquil le rencontre tout seul, son sentiment de vnration resteirrvocable : il pense reconnatre la divinit empreinte sur le visage du roi. Cet effet, affirme Pas-cal, provient de la coutume50. Pareil phnomne sexplique par ailleurs par l imagination , inhrente lhomme. Lauteur interroge : Qui dispense la rputation, qui donne le respect et la vnration aux person-nes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette facult imaginante ? Notre rvrence pour les sages etles suprieurs se portent moins sur leur qualit substantielle que sur leurs vaines circonstances51 . Ainsi,les magistrats shabillent de superbes robes rouges, les mdecins se mettent des soutanes et des mules : ces vains instruments...frappent limagination, laquelle ils ont affaire52 . Les rois, quant eux, poursattirer le respect, recourent leurs grandes troupes armes : leur force se dmontre et la raison ordinairene peut deviner quils sont des hommes comme les autres. Limagination dispose de tout. Elle fait la

    beaut, la justice et le bonheur qui est le tout du monde53. De fait, limagination et la coutume, produisantun mme effet dimpression marque54 , empreinte , savrent tre lune et lautre une seconde na-ture 55 de lhomme. Comme le remarque Ferreyrolles, leurs actions se trouvent tre rciproques 56 : ellesexagrent, lune aprs lautre, lillusion humaine. Pascal dit propos de la croyance simpliste en lexistencedu vide dans un coffre o on ne trouve rien : cest une illusion de vos sens, fortifie par la coutume57 .

    Or, limagination nest--elle pas elle--mme une coutume ? Selon Descartes, certains gens ont de la diffi-cult connatre Dieu parce quils sont tellement accoutums ne rien considrer quen limaginant, quiest une faon de penser particulire pour les choses matrielles, que tout ce qui nest pas imaginable leursemble ntre pas intelligible58 . On peroit les objets corporels, par leurs images que lon forme dans lapense et qui tombent sous les sens 59. Mais, cette habitude dimagination ne peut tmoigner de lexis-

    tence des objets spirituels et invisibles, car ceux--ci ne peuvent se connatre qu travers lintellect, fonctionpurement intellectuelle de lme : ni notre imagination ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer dau-cune chose, si notre entendement ny intervient60 . Selon saint Augustin, dit la Logique de Port--Royal, cettehabitude de recourir aux images est engendre chez lhomme depuis le pch 61. Lvque dHippone

    Voir S 59L 25.S 78L 44, p. 175. Lexpression est employe par Montaignevoir la note de Ph. Sellier.Ibid., pp. 176177.Ibid., p. 177.Ibid., p. 173.Voir Ibid. p. 174 et S 159L 126.

    Voir Ferreyrolles, op.cit., p. 124 : laction de la coutume et de limagination est non seulement identique, mais r-ciproque. Leur renforcement mutuel la coutume engendrant lillusion du sacr, le sacr bnissant la coutumequi lui a donn naissance leur ouvre un mme champ dapplication .

    S 78L 44, p. 178.Discours de la mthode, 4e partie,ALQ. I, p. 609. Selon lanalyse de Ferreyrolles, au XVIIe sicle, on peut reconnatre

    deux attitudes contradictoires envers l imagination : les aristotliciens affirmant que lintelligence comprend lesensible en abstrayant lespce intelligible de limage, et les platoniciens distinguant les sens de tout principe deconnaissance intellectuelle. Descartes est un des principaux metteurs en cause du courant aristotlicienVoir Fer-reyrolles, op. cit., pp. 124137.

    Mditations,II,ALQ.II,p.422.Discours de la mthode, 4e partie,ALQ. I, p. 609. Cf.Logique de Port--Royal, p. 40 : Au lieu quon ne peut faire r-

    flexion sur ce qui se passe dans notre esprit, quon ne reconnaisse que nous concevons un trs grand nombre de

    choses sans aucune de ces images, et quon ne saperoive de la diffrence quil y a entre limagination et lapure intellection. Les auteurs invoquent le fameux exemple dun mille angle, quon ne peut imaginer maisquon peut concevoir trs clairement et trs distinctement .

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    reconnat lui--mme davoir t atteint par laccoutumance de l esprit dup par les yeux sattacher auxchoses sensibles62. Il ne pouvait ainsi concevoir les objets que par les sens et les images quils lui prsen-taient63. Limagination est la consquence invitable de la coutume de lhomme, dont lorigine se situe danssa nature corrompue. Afin de briser cette habitude, il en faudrait une nouvelle qui la remplace. Cest ainsi

    que pour Augustin, la conversion nest rien dautre que le changement dhabitude. Il se rappelle lpoqueo ses deux volonts, lune ancienne, lautre nouvelle, celle--l charnelle, celle--ci spirituelle, taient auxprises , jusqu ce quelles dchirassent son me64 ; mais la volont nouvelle qui venait de natre en moi

    ...ntait pas encore mme de surmonter ma volont antrieure, forte de son anciennet65 , savoir,fortifie par une longue habitude dans le mal66.

    2Lducation

    Linstruction que lon reoit dans lenfance peut tre aussi la cause des fautes de jugement. Si limagi-nation est une habitude inhrente ltre humain, lducation, qui engendre des prjugs, est une des cou-tumes acquises. Une fois quon la appris et quon croit une explication quant un phnomne quotidien,on a de la difficult tre persuad par une autre thorie. Les superstitions subsistent parfois malgr les d-

    couvertes scientifiques. Harvey, pour rendre raison pourquoi la veine enfle au--dessous de la ligature67 , af-firmant la circulation du sang, na pas convaincu ses adversaires qui croyaient que le phnomne tait d la chaleur ou la douleur68. Pascal aurait pens aussi la condamnation par Rome de Galile, quisoutenait la thse du mouvement de la terre69. Le P. Nol, affirmant l horreur du vide , ne sait pas douterde ses connaissances fondes sur lducation scolastique : Parce quon vous a dit dans lcole quil ny apoint de vide, on a corrompu votre sens commun70 . La coutume porte ainsi un autre nom : l autorit .Pascal dclare ne pas la respecter dans la physique : sur les sujets de cette nature, nous ne faisons aucunfondement sur les autorits : quand nous citons les auteurs, nous citons leurs dmonstrations, et non pasleurs noms ; nous ny avons nul gard que dans les matires historiques 71 . Ainsi, pour juger de la vrit despropositions, il tente de reconnatre comme indubitables lvidence pour la raisonet pour les sensainsi

    que les consquences directes dduites des axiomes72

    . Or, ces critres ne sont--ils pas demble contaminspar limagination ? Il se demande lui--mme : Qui a donc tromp : les sens ou linstruction ?73 Noussommes au rouet : les prjugs de la premire nature ne peuvent se corriger que par lducation, et la fautede celle--ci ne peut tre dcouverte que par les premires impressions des sens.

    Laporie est remarque par Port--Royal quant lapprentissage de la langue, objet principal de lduca-tion de lenfant. Les auteurs de la Logique considrent que la langue est un systme de mots, sans lequel

    Logique, p. 40.Voir aussi la note 31 par les diteurs.Confessions,III6,BA.13, pp. 379381.Lors de son rveil des erreurs manichennes, qui lui faisaient chercher Dieu en suivant le sens de la chair

    Ibid., p. 383, il distingue les degrs dexistence entre plusieurs tres : Combien donc tu es loin de mes fan-

    tmes,les fantmes de ces corps qui nexistent absolument pas ! Plus rels queux sont les fantmes des corps quiexistent ; et plus rels que ceux--ci, les corps mmes, qui pourtant ne sont pas toi ! Mais tu nes pas non pluslme qui est la vie des corps, et qui donc est meilleure, en tant que vie des corps, et plus relle que les corps ;non,toitu es la vie des mes, la vie des vies, tu vis par toi--mme et tu ne changes pas, vie de mon me.

    Ibid., pp. 381383.Ibid,VIII5,BA .14, p. 31.Ibid.Cf. La traduction dArnauld dAndilly, d. Ph. Sellier, Paris,Gallimard, Folio , p. 269.S 617L 736, p. 426.VoirPenses, d. cit., note 10, p. 426.Voir18 e Provinciale, p. 377. Cf. V. Carraud,Pascal et la philosophie,Paris, PUF, pp. 5456.S 78L 44, p. 178.

    De Pascal au P. Nol, 29 oct. 1647, MES.II,p.523.Voir ibid.,p.519.S 78L 44, p. 178.

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    on ne peut communiquer ni rflchir. Les enfants, par lusage de ces signes extrieurs , se les rendront in-trieurs avec le temps pour finalement sentir quils sont immdiats leur pense. Port--Royal reconnat quece changement est une accoutumance : quand nous pensons seuls, les choses ne se prsentent notre esprit quavec les mots dont nous avons accoutum de les revtir en parlant aux autres 74 . Or, cette

    coutume sociale, adapte par lindividu, peut causer des confusions dides. En effet, nous attachons telle-ment nos ides aux mots, que souvent nous considrerons plus les mots que les choses 75 . Il est possibleque certains entendent une telle ide par un mot, qui signifierait une autre ide pour les autres. Dans toutelangue, les mots sont trop peu nombreux pour que chacun corresponde une notion distincte : La diver-sit est si ample que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, ternuers sont diff-rents76 . Ainsi, le mot voir peut sappliquer la fois la fonction de lil et celle de lme. Certainscroiraient alors, par erreur, que cest lme qui voit et non pas le corps. Nous attribuons mme ce quenous nommons dun mme nom, ce qui ne convient qu des ides de choses incompatibles 77.

    3Les dgradations morales

    Sidentifiant avec limagination, lautorit et lducation, la coutume devient la source des erreurs de

    connaissance. Mais, ce qui est plus grave, selon Pascal, elle peut tre galement lorigine des dgradationsmorales.

    Lhabitude peut diminuer la rpugnance au mal. Les casuistes auraient ainsi introduit dans leur doc-trine une aumne considrable et une pnitence raisonnable afin de plaire au peuple qui prfre lesprceptes indulgents. Aux yeux de Pascal, ils sont avant tout les Gens qui saccoutument mal parler et mal penser 78. De fait, les jsuites oseraient solliciter le viol des lois les plus fondamentales. Quant lopi-nion quon peut tuer pour un soufflet reu , Lessius reconnat quelle nest probable que dans laspculation 79. Mais, comme laffirme Montalte, cette base tant affermie, il nest pas difficile dy lever lereste des maximes jsuites : une fois la proposition tablie dans la spculation, elle peut tre facilementadmise dans la pratique. Escobar lassure dans son uvre : on peut en sret de conscience suivre dans

    la pratique les opinions probables dans la spculation80

    . Lingniosit ds jesuites consiste dans ce pro-cd progressif de largument. En effet, si les opinions paraissaient tout coup dans leur dernier excs,elles causeraient de lhorreur ; mais ce progrs lent et insensible y accoutume les hommes, et en te lescandale81 .

    Lhomme, tant quelle le mine de faon graduelle, ne peut tre conscient de cette accoutumance fi-nalement excessive. Pascal appelle ainsi l aveuglement cet effet de lhabitude : Les Jsuites sont siaveugls en leurs erreurs, quils les prennent pour des vrits, et quils simaginent ne pouvoir souffrir pourune meilleure cause82 . Il va de soi que lon peut considrer en revanche les vrits comme fausses : lesJuifs, accoutums aux grands et clatants miracles , ne se rendirent pas compte de lauthenticit des u-vres de Jsus83. Lapologiste en vient dire : Est--il plus difficile de venir en tre que dy revenir ? La cou-tume nous rend lun facile, le manque de coutume rend lautre impossible . Quelle est lorigine de cette populaire faon de juger84 ?

    La formation de lhabitude, si la volont ny intervient, aboutit aux vices. Car, comme le remarque Fer-

    Logique,p.38.Ibid.,I,9,p.83.S 465L 558VoirLogique,pp.8485.Voir S 611L 729.Voir13 e Provinciale, p. 240.Citation libre par Pascal, ibid., p. 245.Ibid., p. 246.

    VIe Ecrit des curs, dansProvinciales,p.456.S 295L 264.S 444L 882.

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    reyrolles, la concupiscence, sidentifiant la nature de lhomme, sollicite celui--ci de rester dans son tat ac-tuel, qui rsulte de la Chute. Les hommes ne sappliquent pas comprendre les lois de Dieu, mais aussiveulent recevoir davantage : Les hommes, nayant pas accoutum de former le mrite, mais seulement dele rcompenser o ils le trouvent form, jugent de Dieu par eux--mmes85 . Saint Augustin raconte son ex-

    prience davoir voulu aimer exclusivement Dieu, mais de ne pas avoir pu sempcher de retomber, tout enen gmissant, dans lattachement aux cratures et aux valeurs prissables du monde. Selon lui, cest causedu poids qui provient de soi--mme :

    jtais emport vers toi par ta beaut, et bien vite violemment dport loin de toi par mon poids,et je mcroulais dans les choses dici--bas en gmissant ; et ce poids, ctait lhabitude charnelle86.

    L habitude charnelle consuetudo carnalis87 doit se produire par la double constitution delhomme, qui est me et corps. Cest en effet ce dernier qui, corrompu, alourdit la premire pour dtournerla volont vers la demeure terrestre 88. Le corps, cause invitable des passions concupiscibles, pousse lacoutume humaine se porter aux vices. Afin de se dlivrer de cette inclination naturelle, il faudrait une

    autre habitude. Mais comment peut--on lesprer quand dj notre coutume est une seconde nature ?La difficult consiste en ce que les deux natures de lhomme, une fois la deuxime tablie, ne se dis-

    tinguent plus facilement. Le sujet pratique celle deuxime nature sans apercevoir quelle est adopte. Lesfaux ou mauvais jugements se rptent et sexagrent. Comme le dit Montaigne, laccoutumance est uneseconde nature non moins puissante89 que la premire.

    4Lexercice de lesprit

    Toutefois, si la destination naturelle de lhabitude humaine se rduit aux erreurs et aux vices, lobserva-tion pascalienne retrouve ses effets positifs dans le domaine de gomtrie. En effet, lhabitude se trouve tregalement un exercice. Quand elle est conduite par un certain principe, elle peut fonctionner comme une

    mthode.Tout art est un systme des procds invents et labors par les prdcesseurs.Lexercice se pratique travers lesprit ou le corps. L esprit de finesse et l esprit de gomtrie sont deux qualits principales requises pour dcouvrir les vrits. Ce sont en fait des rsultats de lexercicespirituel, et en ce sens, des habitudes. Lesprit de gomtrie trouve les principes loigns de lusage com-mun mais faciles discerner, afin den dduire par un processus dfini naturellement et sans art uneproposition. Tandis que lesprit de finesse, partir des principes qui sont dans lusage commun mais sidlis et en si grand nombre , aboutit un jugement instantan dun seul regard . Ce sont tous deuxdes dispositions engendres par lopration daccoutumance : des gomtresquine sont pas fins...accoutums aux principes nets et grossiers ; les esprits fins...ayant accoutums juger dune seulevue 90.

    Dj habitudes, la gomtrie et la finesse sont les consquences de la dure dune attitude mentale,mais si elles sont pratiques, elles peuvent tre adoptes mme par les esprits dont la disposition est con-traire : Tous les gomtres seraient donc fins, sils avaient la vue bonne, car ils ne raisonnent pas faux surles principes quils connaissent. Et les esprits fins seraient gomtres, sils pouvaient plier leur vue vers lesprincipes inaccoutums de gomtre91 . Seulement, pour quon change dhabitudeou quon en acquire

    S 762L 935.Confessions,VII, 17,BA.13, p. 627.Cf.Augustin emploie cette expression trs souvent dans La Vraie religionXLVI, 88et al.. Il lexprime autrement

    consuetudo corporum XXXIV, 64et al..Confessions,VII, 17,BA.13, p. 627.

    Essais, d. P. Villey et V.--L. Saulnier, Paris, PUF, Quadrige , 1992, 3 vol. ; III10, p. 1010.S 670L 512, pp. 458460.Ibid.

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    une autre, il faut quintervienne la volont du sujet : On na que faire de tourner la tte . Et la difficulten est indique par Pascal : il est rare que les gomtres soient fins, et que les fins soient gomtres . Lescoutumes, la fois rsultats et genses dune disposition contracte, ne peuvent schanger sans peine.Comme Ferreyrolles le remarque, les diffrentes habitudes, en principe rversibles, se trouvent tre en ralit

    peu communicables lune lautre

    92

    .Les deux esprits se rduisent en effet ces deux fonctions incommensurables par dfinition : sentimentet raisonnement93. Pascal dit propos des principes de la finesse qu on les voit peine, on les sent pluttquon ne les voit , alors que les gomtres, voulant commencer par les dfinitions, et ensuite par les prin-cipes , sappuient sur la dmarche progressive du raisonnement . Le sentiment, demeurant une expri-ence tout personnelle, peut tre trs difficilement partag avec les autres : on a des peines infinies les

    les principesfaire sentir ceux qui ne les sentent pas deux--mmes . Lexercice natteint le sentimentque chez les gens pourvus dune certaine disposition pralable. Pascal lassimile presque l instinct : Plt Dieu...que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment !94 La pratique ordi-naire et naturelle, pourtant fonde sur une qualit inne, peut tre nomme coutume.

    Cest ainsi que des deux esprits, on ne considre comme science et mthode que la gomtrie :

    Je veux donc faire entendre ce que cest que dmonstration par lexemple de celles de gomtrie, qui estpresque la seule des sciences humaines qui en produise dinfaillibles, parce quelle seule observe la vrita-ble mthode95 . La science est lensemble des connaissances ou lart de les approfondir96, suivant les rgleset la mthode, qui, elle, nest que la coutume, lhabitude, la manire dagir particulire97 . Pascal se fie cette mthode de conduire le raisonnement en toutes choses, que presque tout le monde ignore98 , et quiconsiste dfinir tous les termes et prouver toutes les propositions99 . Cest en raison de cette simplicitque le futur apologiste aurait cru que la gomtrie mrite dtre prsente, car, elle peut tre accoutume 100.Dans la deuxime partie de lopuscule De lEsprit gomtrique, en distinguant deux lments constituantl art de persuader , l art dagrer et l art de convaincre , Pascal se borne traiter ce dernier, qui serduit des rgles assez peu nombreuseshuitrelatives aux dfinitions, axiomes et dmonstrations101 ; ce

    qui est sans doute la forme dveloppe de la mthode voque dans la premire partie. Si Pascal vite detraiter l art dagrer , cest que celui--ci est bien sans comparaison plus difficile, plus subtile, plus utile etplus admirable102 que l art de convaincre . Il avoue quil nest pas capable de le pratiquer : je my senstellement disproportionn que je crois pour moi la chose absolument impossible103 . En effet, les principesde lagrment, si le gomtre sait quils existent, sont si complexes divers et variables 104quil nepeut les formuler pour que les autres les apprennent et les ritrent. Lart du plaisir appartient ainsi au do-maine du sentiment : seul lesprit fin pourrait le raliser. Les fins comme le chevalier de Mr, qui insiste sur

    Voir op. cit., p. 25.Voir S 661L 821 : La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues, sur tant de principes, lesquels il faut quils

    soient toujours prsents, qu toute heure elle sassoupit ou sgare, manque davoir tous ses principes prsents. Le

    sentiment nagit pas ainsi ; il agit en un instant, et toujours est prt agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sen-timent, autrement elle sera toujours vacillante.

    S 142L 110, p. 203.De lEsprit gomtrique, MES. III, p. 391.Voir Furetire, op. cit., science .Ibid., mthode .De lEsprit gomtrique,MES. III, p. 391.Ibid., p. 393

    Cf. La capacit de lesprit stend et se resserre par laccoutumance, et cest quoi servent principalement lesmathmatiques, et gnralement toutes les choses difficiles, comme celles dont nous parlons. Logique,p.22.

    De lEsprit gomtrique, MES.III,p.419Ibid., p. 416.

    Ibid., p. 417.Ibid.

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    lextrme utilit de lesprit vif et des yeux fins dans le monde et qui se moque de cet art de raison-ner par rgles dont les petits esprits et les demi--savants font tant de cas 105 , refuseraient denseigner le se-cret de leur jugement parce quil nest gure communicable : si vous demandiez selon votre coutume, dit--il dans une lettre adresse son ami gomtre mais jamais envoye106, celui qui sait profiter de ces sortes

    dobservations sur quel principe elles sont fondes, peut--tre vous dirait--il quil nen sait rien, et que ce nesont des preuves que pour lui107 . Le sentiment nest juste que pour celui qui lpreuve et qui sy est ha-bitu mais sans pouvoir expliquer comment.

    Le raisonnement et le sentiment sont donc deux habitus de lesprit que Pascal considre indispensa-bles dans la vie profane : lun pour la science et lautre pour la biensance socialehonntet, conversa-tion...; lun auquel on peut shabituer et lautre quon ne peut apprendre faute de mthode . En 1660,dj apologiste, Pascal relgue la gomtrie parce quelle nest, dit--il, qu un mtier . Cest quelle peut treexerce par tout artisan qui soit habile108. Il valorise ainsi dautant plus le sentiment que cest une qualit laquelle on ne peut saccoutumer. Le sentiment savre tre parfois dans lApologie le critre du got artis-tique, voire un moyen privilgi daccs la foi109.

    Descartes, comme Pascal, suppose la ncessit dun habitus spirituel pour un juste jugement. Il le pr-

    sente dans le Discours de la mthode sous la forme des quatre prceptes : 1 de ne recevoir jamais au-cune chose pour vraie, que je ne la connusse videmment tre telle ; 2 de diviser chacune des diffi-cults que jexaminerais, en autant de parcelles quil se pourrait, et quil serait requis pour les mieux rsou-dre ; 3 de conduire par ordre mes penses, en commenant par les objets les plus simples et les plusaiss connatre, pour monter peu peu, comme par degrs, jusques la connaissance des plus com-poses ; 4 de faire partout des dnombrements si entiers, et des revues si gnrales, que je fusse assurde ne rien omettre 110. Ces rgles ont naturellement pour modle la gomtrie et la mathmatique. Si Des-cartes sen sert, cest parce que, formules de manire trs simple et facile observer, elles peuvent tre unehabitude : bien que je nen esprasse aucune autre utilit, sinon quelles accoutumeraientmon esprit serepatre de vrits, et ne se contenter point de fausses raisons 111 . Et ce qui compte dans la dmonstration

    est non seulement le rsultat dduit, mais aussi le processus de ce raisonnement qui est dfini par lhabi-tude : outre la connaissance de la vrit, dit le philosophe la princesse Elisabeth, lhabitude est aussirequise, pour tre toujours dispos bien juger. Car, dautant que nous ne pouvons tre continuellement at-tentifs mme chose, quelque claires et videntes quaient t les raisons qui nous ont persuad ci--devantquelque vrit, nous pouvons, par aprs, tre dtourns de la croire par de fausses apparences, si ce nestque, par une longue et frquente mditation, nous layons tellement imprime en notre esprit, quelle soittourne en habitude112 . Lacte de raisonnement, considr donc comme une habitude, rend coutumier lersultat mme de cet acte. Et les connaissances dsormais justifies par la dmonstration pratique selonl ordre dtermin, si elles sont prsentes par quelquun dautre, elles ne peuvent tre les fondements deconnaissances plus complexes et plus appliques. Car ce ne sont pas les vrits qui sapprennent, mais

    Lettre de Mr Pascal,MES. III, p. 353.Voir lanalyse de la lettre de Mr Pascal par J. Mesnard,MES. III, p. 349.Lettre de Mr Pascal,MES. III, p. 353. Car pour vous parler franchement de la gomtrie, je la trouve le plus haut exercice de lesprit ; mais en mme

    temps je la connais pour si inutile que je fais peu de diffrence entre un homme qui nest que gomtre et unhabile artisan. Lettre de Pascal Fermat, le 10 aot 1660,MES. IV, p. 923.

    Cf. Jean Laporte,Le Cur et la raison selon Pascal, Paris, Elzvir, 1950, Chapitre II : Le domaine du cur , pp. 5085. On le sait, lorsque lauteur invoque ces deux habitus comme les preuves de la religion, le raisonnement estsoumis au sentiment du cur , qui, lui, est un don de Dieu . Le sentiment demeure--t--il tout de mme un ha-bitus de lesprit ? Ce sera la question que nous considrerons une autre occasion.

    2e partie,ALQ.I,pp.586587.Ibid., p. 588.A Elisabeth, 15 sept. 1645, ALQ. III, p. 607.

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    l habitude consistant lordre du raisonnement113, du plus simples au plus compliqu : je me persuadeque, si on met enseign, ds ma jeunesse, toutes les vrits dont jai cherch depuis les dmonstrations, etque je neusse eu aucune peine les apprendre, je nen aurais peut--tre jamais su aucunes autres, et dumoins que jamais je naurais acquis lhabitude et la facilit, que je pense avoir, den trouver toujours de

    nouvelles, mesure que je mapplique les chercher

    114

    . Ainsi lexercice de lesprit chez Descartes consisteautant en la confirmation des connaissances dmontres quen lapplication de la mthode pour rsoudrede nouvelles questions115. Les rgles cartsiennes se veulent plus universelles que celles proposes par Pas-cal : celui--ci limite les domaines dans lesquels lesprit gomtrique, science explicitement coutumire, esteffectif.

    Lhabitus spirituel de Descartes a un autre aspect : le contrle des dsirs. Dans la troisime partie duDiscours de la mthode, il avoue quil tchait toujours plutt me vaincre que la fortune, et changer lesdsirs que lordre du monde ; et gnralement de maccoutumer croire quil ny a rien qui soit entire-ment en notre pouvoir, que nos penses116 . Etant donn que lon ne peut soumettre son destin sa vo-lont, il est plus raisonnable de matriser ses passions de sorte tre satisfait de sa condition. Cette pratiquea en effet pour objet le contentement117 : ceci seul me semblait tre suffisant, poursuit le philosophe, pour

    mempcher de rien dsirer lavenir que je nacquisse, et ainsi pour me rendre content118 . Cet tat psy-chologique, que Descartes qualifie de vertu linstar des stociens, est le rsultat dune longue habitudementale : Mais javoue quil est besoin dun long exercice, et dune mditation souvent ritre, pour sac-coutumer regarder de ce biais toutes les choses ; et je crois que cest principalement en ceci que consis-tait le secret de ces philosophes, qui ont pu autrefois se soustraire de lempire de la fortune 119 . Lexercicedu contrle des dsirs est lui--mme un habitus ; et la vertu obtenue par cette pratique, savoir la satisfac-tion des bornes dfinies par la nature, se trouve tre aussi une habitude. La coutume spirituelle est chezDescartes la gense et la consquence de la vertu.

    5Lexercice du corps

    Chez Pascal, le contrle des dsirs est moins la pratique de lesprit que du corps. En effet, pour lui, lespassions concupiscibles ont pour origine les sens. Lors de son infirmit, raconte Gilberte Prier, il ne sestjamais dtourn de ses vues, ayant toujours dans lesprit ces deux grandes maximes de renoncer tout

    ilsles philosophesauraient bien moins de plaisir lapprendretout ce que je pense avoir trouvde moique deux--mmes ; outre que lhabitude quils acquerront, en cherchant premirement des choses faciles, et pas-sant peu peu par degrs dautres plus difficiles, leur servira plus que toutes mes instructions ne sauraient faire

    Discours de la mthode, 6e partie,ALQ.I,p.643.Ibid., p. 645.Cette ide est fidlement adopte par Arnauld et Nicole : La capacit de lesprit stend et se resserre par lac-

    coutumance, et cest quoi servent principalement les mathmatiques, et gnralement toutes les choses diffi-

    ciles, comme celles dont nous parlons. Car elles donnent une certaine tendue lesprit, et elles lexercent sap-pliquer davantage, et se tenir plus ferme dans ce quil connat. Logique,pp.2223.

    ALQ.I,pp.595596.Dans la lettre Elisabeth date du 4 aot 1645, Descartes, inspir par luvre de Snque, De vita beata, distingue

    lheur et la batitude, pour affirmer que cest le contentement qui dfinit celle--ci : lheur ne dpend que deschoses qui sont hors de nous, do vient que ceux--l sont estims plus heureux que sages, auxquels il est arrivquelque bien quils ne se sont point procurs, au lieu que la batitude consiste, ce me semble, en un parfait con-tentement desprit et une satisfaction intrieure, que nont pas ordinairement ceux qui sont les plus favoriss de lafortune, et que les sages acquirent sans elle. Ds lors, la vertu cartsienne dsigne la rsolution de vivre en b-atitude, savoir de ne point dsirer que le possible. Dans la mme lettre, le philosophe dveloppe le principecomme suit : quil ait une ferme et constante rsolution dexcuter tout ce que la raison lui conseillera, sansque ses passions ou ses apptits len dtournent ; et cest la fermet de cette rsolution, que je crois devoir tre

    prise pour la vertu ALQ. III, pp. 587589.ALQ.I,p.596.Ibid.

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    dedans quelle nest daucun usage129 . Il faut shabituer aussi au mouvement et la disposition de la ma-chine pour quon arrive oprer correctement : on doit apprendre le mcanisme par la rptition. Ce quiest indiqu par lauteur du manuscrit Usage de la Machine : A lgard de lexplication quon donne ici dela manire doprer sur cette machine,...elle sera fort intelligible pourvu quon opre sur la machine

    mesure quon lira lexplication et cette pratique paratra trs facile et trs prompte quand on laura exercedeux ou trois fois130 . Pascal lui--mme dit au lecteur de lAvis : mme tu peux, si tu en as la curiosit, lavoir et ten servir131 . Alors tu sais combien elle te soulage du travail qui ta fatigu lesprit : tu me saurasgr du soin que jai pris pour faire que toutes les oprations qui par les prcdentes mthodes sontpnibles, composes, longues et peu certaines, deviennent faciles, simples, promptes et assures132 . Entouchant et en regardant la machine, on apprend quelle est facile faire fonctionner et bientt on saitbien le faire. Elle nous donne une habitude physique qui en remplace dautres plus pnibles dpendant dela dure fonction de lesprit les mthodes doprer par le jeton et par la plume : linstrument suppleau dfaut de lignorance ou du peu dhabitude, et par des mouvements ncessaires, il fait lui seul, sansmme lintention de celui qui sen sert, tous les abrgs possibles la nature, et toutes les fois que lesnombres sy trouvent disposs133 .

    Ainsi, lhabitude sidentifie lexercice de lesprit ou du corps. Elle formera dans un sujet, tantt unemthode qui fait accder progressivement la vrit, tantt un art qui permet de bien juger instantan-ment. La vertu de ne point dsirer se produit galement par lentranement spirituel chez Descartes ; maiselle se prsente chez Pascal demble comme pratique dascse. Enfin, la fabrication et la manipulation desinstruments complexes sapprennent par la rptition : il sagit dun habitus qui, requrant le concours delesprit et du corps dans un premier temps, finit par exclure la rflexion.

    * * *Lobservation des coutumes humaines par Pascal nest fonde sur aucune thorie : il semble quil ne

    vise gure la synthse non plus. Il rflchit sur la nature humaine et trouve que celle--ci est tantt la caus,tantt la consquence dune disposition particulire, qui est tablie dans la socit ou dans un individu. Eneffet, la coutume sassocie troitement avec la nature. Ou mme on peut dire quil est de la nature delhomme dtre intgr dans les coutumes prescrites par le temps et lespace o il vit, et de sadapter, de grou de force, diffrentes habitudes personnelles. Sexerant mme de faon durable sans que le sujet nensoit conscient, celles--ci finissent par constituer en la nature elle--mme. Sidentifiant avec les lois, les murs,les circonstances du pays, lducation, limagination, les vertus ou les arts, la coutume domine donc ltreentierme et corps de lhomme.A partir de ce constat, Pascal semble reconnatre quil est de bonsusages de la coutume dans la vie profane, dune part pour le bienfait de la socit et dautre part pour lamorale de lindividu.

    La position de lapologiste est claire sur la coutume dans la collectivit. Tout en sachant que la justicenest que conventionnelle, il condamne les demi--habiles qui, prtendant quelle est arbitraire, tentent dela violer. Pour lui, la coutume sociale doit simposer au peuple avant tout pour lordre et la paix. La forcesoumettant la justice, la fantaisie accordant au souverain un pouvoir surnaturel, doivent tre respectes mal-gr laberration populaire qui les tolre par ignorance. En revanche, lapologiste ne cesse pas daccuser lacoutume qui rside chez lindividu. Sidentifiant limagination qui produit parfois une fausse impressionpersistante, lhabitude induit lhomme aux erreurs de jugement. Lducation coutumire laquelle nous

    Ibid., p. 339Courrier du Centre International Blaise Pascal, n8, 1986, p. 13.Avis ncessaire..., MES.II,p.341.

    G. Ferreyrolles remarque que les critres de la facilit, de la vitesse, ainsi que le plaisir sont les marques de lhabi-tudes chez saint Thomas.Voirop. cit.,p.68.

    Avis ncessaire..., MES.II,p.337.

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    sommes soumis depuis lenfance, en nous transmettant les anciennes opinions dautorit, nous empchedemployer la raison mme dans les matires scientifiques. Laccoutumance est non moins pernicieusedans le domaine de la morale : prisonnier de la concupiscence, ltre humain incline facilement aux vicespar lcoute de doctrines laxistes. Toutefois, lhabitus est requis galement pour bien juger. La gomtrie et

    la finesse, modles privilgis de mthodes pour atteindre la vrit, sont tous deux plus ou moins les rsul-tats dun exercice spirituel. Leffort de se dlivrer des plaisirs charnels est une pratique physique chez cer-tains et un exercice de lesprit chez les autres. Lart manuel ne se perfectionne qu travers la manipulationritre de linstrument.

    Ainsi, les origines de lhabitude humaine sont diverses : lusage de la collectivit, la nature de lhommedomin par ses sens, la pense contracte travers lobservation des phnomnes quotidiens ou une pra-tique physique ritre. On ne peut en dduire une position nette de Pascal quant la coutume humaineen gnral. Conscient de linfluence trop grande quelle exerce sur ltre humain, lauteur des Penses estparfois pessimiste sur la libert quon aurait dy chapper. Mais, de ce fait mme, il ne dsespre pas de lapossibilit de sen former une nouvelle et volontairement. En effet, lhabitude comprend aussi un momentde transition. Si la coutume sidentifie la nature chez lhomme, celui--ci peut aussi en esprer le change-

    ment.Cette rflexion, on le sait, aboutira chez lapologiste son ide de la foi en tant que coutume : la croy-

    ance religieuse mme serait un produit non pas lorigine des pratique automatiques , ici, ducorps plutt que de lesprit. Notre prochaine tude sera consacre ce thme assez dconcertant et trsproblmatique.

    Rfrences :

    Les Penses : d. Ph. Sellier, Paris, Bordas, Classiques Garnier, 1991. Nous signalons le numro de fragment de cette

    dition suivant le sigle S, et celui de ldition LafumaParis, d. de Luxembourg, 1952avec le sigle L. Sil sagit dun

    long fragment, nous ajoutons le numro de page du passage cit selon ldition Sellier.Les Provinciales : d. L. Cognet et G. Ferreyrolles, Paris, Bordas, Classiques Garnier, 1992.

    Les autres uvres de Pascal : CEuvres compltes, tomes IIV, d. J. Mesnard, Paris, Descle de Brouwer, 19641992. Nous sig-

    nalons le numro du volume en chiffre romain suivant labrviation :MES..

    Les uvres de Descartes : CEuvres philosophiques, d. F. Alqui, Paris, Bordas, Classiques Garnier , 19881989, 3 vol.

    Abrviation : ALQ. suivi du numro du volume en chiffre romain.

    Les uvres de saint Augustin : CEuvres, Paris, Bibliothque augustinienne, Paris, Etudes augustiniennes, en cours de publi-

    cation depuis 1936. Abrviation :BA. suivi du numro du volume en chiffre arabe.

    La Logique de Port--Royal : A. Arnauld et P. Nicole,La Logique ou lart de penser, d. P. Clair et F. Girbal, Paris,Vrin, 1981.

    Abrviation :Logique.

    Pour souligner quelques expressions dans les textes cits, nous les mettons en caractres italiques.

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    La coutume dans la vie profane chez Pascal

    RSUM

    Pascal, dans les Penses, rflchit sur les ides et les institutions reconnues sans avoirt examines par la raison, ou sur les phnomnes confirms quotidiennemment par lex-

    prience sans que leur cause ne soit interroge par lesprit, afin de dcrire la nature hu-

    maine sans cesse influence par la coutume . Celle--ci se trouve tre tantt lorigine, tan-

    tt la consquence dune disposition particulire, spirituelle ou physique. Sidentifiant avec

    les lois, les murs, les croyances, lducation, limagination, les vertus, les vices ou les arts,

    cette seconde nature domine toute la vie profane de lhomme. Ainsi, lhabitude peut

    tre un avantage comme un obstacle la police sociale et la morale individuelle. Peut--on

    esprer, en y ayant volontairement recours, faire bon usage de la coutume ? Sur cette ques-

    tion, lapologiste semble ntre ni aussi optimiste que Descartes qui insiste sur lhabitus delesprit, ni aussi pessimiste que saint Augustin qui trouve lorigine du mal dans la consue-

    tude humaine. Pascal ne dtermine pas clairement sa position sur la coutume, notion extr-

    mement vaste chez lui. Cest partir de ce constat que nous considrerons par la suite la

    signification de son ide de foi coutumire.

    Mots-clefs: Pascal, coutume, habitude