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TOME 133 [ N° 7] SEPTEMBRE 2011 L e trouble bipolaire est un trouble de lʼhumeur dʼévolution chronique caractérisé par la présence de récur- rences maniaques et dépressives avec une surreprésentation des épisodes dépressifs. La prise en charge des patients atteints de troubles bipolaires est complexe du fait de lʼimportante hétérogénéité de leur expression clinique, des fréquentes comorbidités (75 % des cas) qui rendent le diagnostic encore plus diffi- cile, de lʼutilisation, qui doit rester prudente, des antidépresseurs et du maniement difficile des thymorégulateurs. Le relais du médecin généraliste au spécialiste est loin dʼêtre bien codifié et le partenariat entre les deux le plus souvent inexistant. Cette pathologie grave qui concerne plus de 2 % de la population générale (chiffre probablement en deçà de la réalité) présente un taux de mortalité deux fois plus élevé que celui de la population générale avec un risque suicidaire quinze fois plus élevé. Diagnostiqué trop tardivement, ce trouble aura des répercussions sociales, fami- liales et professionnelles sévères et se situera parmi les dix maladies les plus handicapantes. Cette pathologie, si elle nʼest pas traitée, évoluera vers la chronicité avec une augmentation du nombre de récurrences et la persistance de symptômes résiduels entre les épisodes. Mais face à ce constat négatif, des mesures de différentes natures sont proposées afin de réduire le retard au diagnostic, dʼoptimiser les modalités de prise en charge et le pronos- tic : création de réseaux de soins (Réseau Santé mentale Yvelines-Sud), recommandations formalisées dʼexperts, développement de centres de diagnostic sous lʼégide de la fonda- tion FondaMental, sans oublier les associations dʼusagers qui contribuent à lutter contre la stigmatisation des patients et à améliorer leur qualité de vie. 415990 Une des dix maladies les plus handicapantes Les troubles bipolaires DOSSIER COORDONNATEUR Dr Christian Gay ([email protected]) Clinique du Château Garches pratiques DOSSIER ..............................................................................................................................519 SITUATIONS PRATIQUES ........................................................................... 542 SÉCURITÉ DU PATIENT ................................................................................ 546 EN DIRECT DES AGENCES ...................................................................... 548 ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE .......................................................... 552 SANTÉ AU TRAVAIL ............................................................................................ 556 CONSULTATIONS MÉDICALES .......................................................... 560 LE CONCOURS MÉDICAL TOUS DROITS RESERVES - LE CONCOURS MEDICAL

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TOME 133 [ N°7 ] SEPTEMBRE 2011

Le trouble bipolaire est un trouble de lʼhumeur dʼévolution chronique caractérisé par la présence de récur-rences maniaques et dépressives avec une surreprésentation des épisodes dépressifs. La prise en chargedes patients atteints de troubles bipolaires est complexe du fait de lʼimportante hétérogénéité de leur

expression clinique, des fréquentes comorbidités (75 % des cas) qui rendent le diagnostic encore plus diffi-cile, de lʼutilisation, qui doit rester prudente, des antidépresseurs et du maniement difficile desthymorégulateurs. Le relais du médecin généraliste au spécialiste est loin dʼêtre bien codifié et le partenariatentre les deux le plus souvent inexistant. Cette pathologie grave qui concerne plus de 2 % de la population générale (chiffre probablement en deçà dela réalité) présente un taux de mortalité deux fois plus élevé que celui de la population générale avec un risquesuicidaire quinze fois plus élevé. Diagnostiqué trop tardivement, ce trouble aura des répercussions sociales, fami-liales et professionnelles sévères et se situera parmi les dix maladies les plus handicapantes. Cette pathologie, si elle nʼest pas traitée, évoluera vers la chronicité avec une augmentationdu nombre de récurrences et la persistance de symptômes résiduels entre les épisodes.Mais face à ce constat négatif, des mesures de différentes natures sont proposées afin deréduire le retard au diagnostic, dʼoptimiser les modalités de prise en charge et le pronos-tic : création de réseaux de soins (Réseau Santé mentale Yvelines-Sud), recommandationsformalisées dʼexperts, développement de centres de diagnostic sous lʼégide de la fonda-tion FondaMental, sans oublier les associations dʼusagers qui contribuent à lutter contre lastigmatisation des patients et à améliorer leur qualité de vie. 415990

Une des dix maladies les plus handicapantes

Les troubles bipolaires

DOSSIER

COORDONNATEUR

Dr Christian Gay([email protected])

Clinique du ChâteauGarches

pratiques■ DOSSIER ..............................................................................................................................519

■ SITUATIONS PRATIQUES ........................................................................... 542

■ SÉCURITÉ DU PATIENT ................................................................................ 546

■ EN DIRECT DES AGENCES ...................................................................... 548

■ ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE .......................................................... 552

■ SANTÉ AU TRAVAIL ............................................................................................ 556

■ CONSULTATIONS MÉDICALES .......................................................... 560

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Les données épidémiologiques et médico-économiquesDr Sarah Sportiche ([email protected])(1,2,4), Dr Isabel Nieto(1,2), Pr Jean- Pierre Lépine(1,2,3)

1. Service de psychiatrie, hôpital Fernand-Widal, AP-HP, Paris2. Fondation FondaMental, France3. Inserm U705, UMR CNRS 8206, Neuropsychopharmacologie des Addictions, université Paris-Diderot, hôpital Fernand-Widal AP-HP, Paris 4. CRICM - UPMC/Inserm UMR_S975/CNRS UMR7225, GH Pitié-Salpêtrière, Paris

40 ans(2). De manière plus précise, l’âge de début moyen est de 18 anspour le trouble bipolaire I, 20 ans pour le trouble bipolaire II et 22 anspour les formes subsyndromiques(2).

Un trouble récurrent, parfois à cycle rapideLe trouble bipolaire est un trouble chronique caractérisé par la pré-

sence de récurrences chez plus de 90 % des patients, dont la premièresurvient le plus souvent au cours des deux premières années suivantl’épisode initial(5). Ces récurrences sont fortement associées à la per-sistance de symptômes résiduels après la guérison de l’épisode(5). Lapolarité, la fréquence, la durée et l’intensité de ces récurrences sonttrès variables chez un même patient et d’un patient à l’autre. Les ré-currences sont majoritairement dépressives (70 % des cas), avec unratio de 2,5 épisodes dépressifs pour un épisode maniaque, hypo-maniaque ou mixte(5). L’intervalle moyen entre deux épisodes est del’ordre de 12 mois, mais dans 5 à 40 % des cas, les récurrences sontplus rapprochées et peuvent constituer un trouble bipolaire à cycle ra-pide défini par la survenue d’au moins quatre épisodes thymiques enun an. Ce trouble bipolaire à cycle rapide est plus fréquent chez lesfemmes, et l’âge de début est souvent plus précoce que pour le trou-ble bipolaire I(6). La durée moyenne d’un épisode varie entre 4 et13 mois, avec des épisodes maniaques généralement plus courts queles épisodes dépressifs(5).

Un trouble associé à une surmortalité, une morbiditéimportante et des comorbidités

Le trouble bipolaire est associé à une surmortalité importante. Lerisque de suicide est 15 fois plus élevé que dans la population géné-rale(7). Vingt-cinq à 60 % des patients bipolaires feront au moins unetentative de suicide dans leur vie et 4 à 19 % des patients en décède-ront(8). Classiquement, ce risque était surtout décrit pour le type I,mais une méta-analyse récente retrouve un risque équivalent en casde trouble bipolaire de type II(8). Le risque de mortalité naturelle pré-maturée est quasiment doublé par rapport à celui de la populationgénérale(9). Les causes principales sont les maladies cardiovasculaireset cérébrovasculaires liées à une augmentation chez les patients bi-polaires de syndrome métabolique, de diabète et de consommationde tabac.

La morbidité de ce trouble est également très importante. Les pa-tients bipolaires passent environ 20 % de leur vie dans des épisodesthymiques. De plus, il existe une comorbidité psychiatrique dans 75 %des cas(2). Les troubles psychiatriques le plus souvent associés sont les

Le trouble bipolaire est une pathologie mentale chroniquedont le retentissement individuel, familial et social estimportant(1). Pour lʼOMS, en 2001, il est au septième rang descauses mondiales de handicap des maladies non mortelles,comparable à celui de la schizophrénie. Au-delà de lʼimpactindividuel, il semble que le retentissement économique de ce trouble, longtemps ignoré, soit également important(1).Dans cet article nous préciserons les principalescaractéristiques épidémiologiques et les données médico-économiques actuellement connues de ce trouble.

Plusieurs types de troubles bipolaires et un fort tauxdʼerreur de diagnostic

La prévalence vie entière du trouble bipolaire en population gé-nérale est relativement plus faible que celle de la dépression.

Pour le trouble bipolaire de type I (présence d’au moins un épisodemaniaque ou mixte), elle se situe autour de 0,6 %(2).

Pour le trouble bipolaire de type II (présence d’au moins un épi-sode hypomaniaque associé à au moins un épisode dépressif majeur),elle est de l’ordre de 0,4 %.

Les formes subsyndromiques, également appelées trouble bipolaireNOS (« not otherwise specified »), correspondant aux patients pré-sentant/ayant présenté des symptômes maniaques et dépressifs sanspour autant appartenir au trouble bipolaire de type I ou II définisdans le DSM-IV, ont une prévalence de 1,4 %.

Ainsi, le spectre global des troubles bipolaires atteint une prévalencede 2,4 % avec des chiffres de prévalence similaires aux États-Unis, enEurope et en Asie(2). Cependant, en pratique médicale, ce trouble esttrès certainement sous-diagnostiqué, le taux d’erreur de diagnosticest estimé entre 30 et 69 % en Europe et aux États-Unis. À côté de cetaux d’erreur, il y a également un important retard au diagnostic, lequel est porté en moyenne huit ans après le premier épisode, aprèsavoir consulté entre trois et cinq médecins(3).

À la différence du trouble unipolaire, défini par la récurrenced’épisodes dépressifs majeurs, nettement plus fréquent chez lesfemmes, le sex ratio du trouble bipolaire est proche de 1, notammentpour le trouble bipolaire I. Pour le trouble bipolaire II, il semble quele sex ratio soit légèrement en défaveur des femmes(4). Le trouble bi-polaire apparaît chez l’adulte jeune avec un âge de début entre 17 et

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DOSSIER Troubles bipolaires

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troubles anxieux ou le trouble lié à l’abus/dépendance de subs-tances(2,10). Leur évolution professionnelle est moins bonne compa-rativement à celle de la population générale : moindre augmentationdes revenus et du statut professionnel, surcroît de chômage, d’ab-sentéisme au travail ainsi qu’une productivité diminuée(11). Ce han-dicap professionnel lié au trouble bipolaire est plus important quecelui lié au trouble unipolaire : dans une étude conduite aux États-Unis, le nombre moyen de jours de travail perdus par an et par tra-vailleur malade est de 65,5 pour le trouble bipolaire alors qu’il est de27,2 pour le trouble unipolaire. Ce nombre de jours perdus inclutl’absentéisme (27,7 jours pour le trouble bipolaire vs 8,7 pour letrouble unipolaire) ainsi que le « présentéisme » (35,3 jours pour letrouble bipolaire vs 18,2 pour le trouble unipolaire), correspondantaux jours de présence au travail mais avec des performances moin-dres, traduit en jours d’absence(12). Enfin, les conséquences socio-affectives ne sont pas négligeables. Les patients bipolaires ont plus ten-dance à être célibataires (32 % vs 15 % pour des sujets témoins demême âge) ou divorcés (45 % vs 10 % des sujets témoins)(2). Plus dela moitié des proches de patients bipolaires impliqués dans leur priseen charge rapportent une détresse sévère sur un des aspects de leurvie(13).

Retentissement économique conséquent surtout en termes de coûts indirects

Le trouble bipolaire est une maladie chronique dont le retentisse-ment économique pour les patients, leurs familles et la société est im-portant. Le coût global comprend, d’une part, le coût direct incluantessentiellement le coût lié aux hospitalisations et aux traitements mé-dicamenteux, d’autre part, le coût indirect incluant le degré de han-dicap, l’impact du trouble sur la productivité professionnelle, le coûtlié à la protection sociale dans certains pays et aux conséquences ju-diciaires éventuelles.

Cependant, seules deux études assez anciennes, basées sur des don-nées statistiques nationales, l’une américaine(14), l’autre anglo-saxonne(15), réalisent une évaluation globale des coûts de ce trouble. Lecoût global dans l’étude américaine est estimé à45,2 milliards de dollars. Le coût direct corres-pond à 7,6 milliards de dollars (17 % du coût glo-bal) avec 2,4 milliards de dollars pour leshospitalisations. Le coût indirect correspond à37,6 milliards de dollars (83 % du coût global).Dans l’étude anglo-saxonne, les chiffres sont dif-férents, mais les proportions similaires. Le coûtglobal est estimé à environ 2 milliards de livres sterling avec un coût direct de 0,285 milliard de livres sterling (14 %) et un coût indirect de1,77 milliard de livres sterling (86 %).

Les coûts indirects, notamment liés à la perte de productivité, re-présentent la part la plus importante du coût global, mais leur éva-luation est souvent délicate. Dans une étude américaine menée surune base de données portant sur environ 375 000 employés, le trou-ble bipolaire constitue la pathologie mentale ayant le coût le plus élevépar employé(16). Le coût lié aux absences place ce trouble au troisièmerang toutes pathologies confondues(16). Les coûts directs liés au trou-ble bipolaire sont constitués à 75 % par les hospitalisations et 25 %par les traitements médicamenteux. Une étude récente publiée en

2010 comparant les coûts liés aux patients bipolaires I hospitalisés enFrance et en Espagne retrouve des résultats similaires entre les deuxpays(17). Les taux d’hospitalisation par an et par 100 000 habitants deplus de 15 ans sont du même ordre : 43,6 pour la France et 43,1 pourl’Espagne, en revanche la durée d’hospitalisation par patient est sen-siblement supérieure en France (20,4 jours vs 18,1 jours). Les coûtsannuels liés aux hospitalisations pour 100 000 habitants sont égale-ment du même ordre : 232 000 euros en Espagne et 226 500 euros enFrance. L’épisode maniaque est le trouble dont la durée d’hospitali-sation est la plus courte mais représente également la part la plus coû-teuse, soit 53,7 % du coût annuel lié aux patients bipolaires Ihospitalisés(17).

Efficience dʼune prise en charge médicamenteuse et psychosociale

La prise en charge thérapeutique de ce trouble a un impact réel entermes d’efficacité et de coût pour la société. La prise en charge op-timale associe un traitement thymorégulateur avec en premier lieu lelithium ainsi que d’autres molécules avec des niveaux de preuve va-

riables et une approche psychosociale(18). L’in-troduction du lithium a permis dès les années1970 une économie de 4 milliards de dollars,avec une réduction de plus de 50 % des coûts di-rects ainsi que de 60 % des pertes de revenus liéesà la maladie(19). En 2005, une étude multicen-trique menée dans plusieurs pays a étudié l’im-pact de cette double prise en charge : en France,

elle permet d’éviter chaque année selon la molécule utilisée (lithiumou acide valproïque) entre 480 et 500 DALYs, (disability-adjusted lifeyears : nombre d’années de handicap vécues)(20). Ainsi, le facteuréconomique essentiel est l’utilisation d’un thymorégulateur quelle quesoit la molécule utilisée (lithium, valproate, carbamazépine), avec unediminution de moitié des coûts directs liés aux hospitalisations et auxtraitements médicamenteux, même en tenant compte du prix d’ac-quisition des traitements(21). Cependant, moins de la moitié des pa-tients bipolaires ont une prise en charge médicale, surtout dans lespays en voie de développement, avec une importante sous-utilisationdes thymorégulateurs, puisque, en moyenne, 1 patient bipolaire sur4 reçoit un traitement adéquat.

pratiques

Une importante sous-utilisation des thymorégulateurs

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En France, face aux trois constats alarmant concernant laprise en charge des troubles bipolaires, retard au diagnostic,faible coordination des divers acteurs du soin et faibleadéquation entre les recommandations et la pratiquecourante, nous avons créé, sous lʼégide de la fondationFondaMental, un réseau national de centres experts troublesbipolaires. Il sʼagit de structures de soins spécialisées, misesau service des professionnels de la santé pour une aide audépistage, au diagnostic, et à la prise en charge des patientsatteints de troubles bipolaires(1).

Les troubles bipolaires (TB) ont été classés parmi les dix patholo-gies les plus invalidantes selon l’organisation mondiale de la santé(2)

et restent associés à un taux important de suicide (11-19 %)(3).

Trois constats alarmants à lʼorigine de la création des centres experts troubles bipolaires

Malheureusement, bien que très fréquents, les TB sont mal diag-nostiqués avec un retard au diagnostic de 8 à 10 ans en moyenne. Ceretard conduit souvent à une évolution chronique de la maladie ainsiqu’au développement de troubles associés (psychiatriques et soma-tiques), qui occasionnent des taux élevés d’invalidité, de chômage et

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

5. Perlis RH, Ostacher MJ, Patel JK, et al. Predictors of recurrence in bipolar disorder: primary outcomesfrom the Systematic Treatment Enhancement Program for Bipolar Disorder (STEP-BD). Am J Psychiatry.2006;163:217-24.

6. Nierenberg AA, Akiskal HS, Angst J, et al. Bipolar disorder with frequent mood episodes in the nationalcomorbidity survey replication (NCS-R). Mol Psychiatry. 2010;15:1075-87.

7. Harris EC, Barraclough B. Suicide as an outcome for mental disorders. A meta-analysis. Br J Psychiatry.1997;170:205-28.

8. Novick DM, Swartz HA, Frank E. Suicide attempts in bipolar I and bipolar II disorder: a review and meta-analysis of the evidence. Bipolar Disord. 2010.

9. Osby U, Brandt L, Correia N, et al. Excess mortality in bipolar and unipolar disorder in Sweden. ArchGen Psychiatry. 2001;58:844-50.

10. Henry C, Van den Bulke D, Bellivier F, et al. Anxiety disorders in 318 bipolar patients: prevalence andimpact on illness severity and response to mood stabilizer. J Clin Psychiatry. 2003;64:331-5.

11. McMorris BJ, Downs KE, Panish JM, et al. Workplace productivity, employment issues, and resourceutilization in patients with bipolar I disorder. J Med Econ.2010:23-32.

12. Kessler RC, Akiskal HS, Ames M, et al. Prevalence and effects of mood disorders on work performancein a nationally representative sample of U.S. workers. Am J Psychiatry. 2006;163:1561-8.

13. Perlick D, Clarkin JF, Sirey J, et al. Burden experienced by care-givers of persons with bipolar affectivedisorder. Br J Psychiatry. 1999;175:56-62.

14. Wyatt RJ, Henter I. An economic evaluation of maniac-depressive illness--1991. Soc Psychiatry PsychiatrEpidemiol. 1995;30:213-9.

15. Das Gupta R, Guest JF. Annual cost of bipolar disorder to UK society. Br J Psychiatry. 2002;180:227-33.

16. Goetzel RZ, Hawkins K, Ozminkowski RJ, et al. The health and productivity cost burden of the "top 10"physical and mental health conditions affecting six large U.S. employers in 1999. J Occup Environ Med.2003;45:5-14.

17. Gonzalez-Pinto AM, Dardennes R, de Zélicourt M, et al. In-patient care costs of patients with bipolar Idisorder: a comparison between two European centers. J Affect Disord. 2010;121:152-5.

18. Colom F, Vieta E, Sánchez-Moreno J, et al. Group psychoeducation for stabilised bipolar disorders: 5-year outcome of a randomised clinical trial. Br J Psychiatry. 2009:260-5.

19. Reifman A, Wyatt RJ. Lithium: a brake in the rising cost of mental illness. Arch Gen Psychiatry.1980;37:385-8.

20. Chisholm D, van Ommeren M, Ayuso-Mateos JL, et al. Cost-effectiveness of clinical interventions forreducing the global burden of bipolar disorder. Br J Psychiatry. 2005;187:559-67.

21. Li J, McCombs JS, Stimmel GL. Cost of treating bipolar disorder in the California Medicaid (Medi-Cal)program. J Affect Disord. 2002;71:131-9.

Conclusion

Le trouble bipolaire est une pathologie chronique débutant chezl’adulte jeune et dont le handicap est très important. Sa prévalence au-tour de 2,5 % est très certainement largement sous-évaluée et le re-tard au diagnostic est important. Malgré le peu d’études économiquesdisponibles, le coût associé au trouble bipolaire est élevé et représenteenviron 75 % de celui de la schizophrénie(14, 15). L’impact écono-mique des traitements régulateurs de l’humeur est majeur. Cepen-dant, seuls 25 % des patients bipolaires ont un traitement adéquat.Au vu de ces résultats, il semble primordial, d’une part, de luttercontre le retard et les erreurs de diagnostic, d’autre part, d’améliorerla prise en charge thérapeutique de ces patients bipolaires. La mise enplace récente des Centres experts bipolaires dans toute la Franceconstitue un début de réponse puisqu’ils ont pour objectif de don-ner un avis diagnostique et thérapeutique aux différents acteurs desoins, notamment dans les cas complexes, ainsi qu’une meilleure in-formation sur ce trouble. 415991 ■

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts avec les données publiées dans cet article.

1. Murray CJ, Lopez AD Lancet. Global mortality, disability, and the contribution of risk factors: GlobalBurden of Disease Study.1997 May 17;349:1436-42. Harvard School of Public Health, Boston, Massachusetts,USA. Comment in:Lancet. 1997;3:144.

2. Merikangas KR, Jin R, Jian-Ping He, et al. Prevalence and Correlates of Bipolar Spectrum Disorder in theWorld Mental Health Survey Initiative. Arch Gen Psychiatry. 2011; 68:241-51.

3. Baca-Garcia E, Perez-Rodriguez MM, Basurte-Villamor I, et al. Diagnostic stability and evolution ofbipolar disorder in clinical practice: a prospective cohort study. Acta Psychiatr Scand. 2007;115:473-80.

4. Diflorio A, Jones I. Is sex important? Gender differences in bipolar disorder. Int Rev Psychiatry.2010;22:437-52.

Les centres experts : un dispositif innovant ouvrant la voie vers une médecinepersonnaliséePr Chantal Henry, Dr Bruno Etain, Pr Marion LeboyerInserm, U955, Créteil, 94000, France ; Université Paris Est, Faculté de médecine, Créteil ; AP-HP, hôpital-Henri-Mondor - Albert-Chenevier, Pôle de psychiatrie universitaire, Créteil ; Fondation FondaMental

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TOME 133 [ N°7 ] SEPTEMBRE 2011 523

LE CONCOURS MÉDICAL

l’efficacité des soins, a choisi, à titre expérimental, de financer lefonctionnement des huit premiers centres experts dédiés aux trou-bles bipolaires.

Il existe aujourd’hui neuf centres experts dédiés aux troubles bi-polaires (encadré 2). Leurs objectifs :– promouvoir une approche de soins par pathologie en proposantune expertise spécialisée ;– favoriser le dépistage et la prévention ;– diminuer le retard diagnostique et améliorer la prise en charge ;– développer la recherche clinique (amélioration de la prise encharge) et la recherche étiologique (compréhension des méca-nismes de la maladie) ;– construire une véritable plateforme de soins et de recherche pourfaire bénéficier plus rapidement les patients des avancées de la re-cherche ;– aider au transfert des connaissances et des compétences vers lespraticiens.

Hébergés au sein de services hospitaliers, les centres experts sontspécialisés dans l’évaluation, le diagnostic et l’aide à la prise encharge d’une pathologie psychiatrique spécifique. Ils réunissentdes équipes pluridisciplinaires qui utilisent les mêmes standardsd’évaluation par pathologie. Ils proposent en pratique :– des consultations spécialisées pour avis diagnostique et théra-peutique à la demande de professionnels de la santé ;– l’accès à un bilan exhaustif et systématisé réalisé en deux jours enhôpital de jour par différents professionnels de la santé mentale(psychologue, psychiatre, neuropsychologue, infirmier, assistantesociale…) pour des patients adressés par un médecin en dehors depériodes de crise (tableau p. 524). Suite à ce bilan, un compte-rendudétaillé est adressé au médecin référent, présentant les résultats dubilan et proposant un projet de soins personnalisé (transfert desconnaissances), avec des consultations de suivi afin d’évaluer l’im-pact de la stratégie de soins proposée ;– des soins innovants, ayant démontré leur efficacité mais peu dif-fusés en pratique courante (psychoéducation, ateliers de gestion dustress, remédiation cognitive, etc.) ;– la mise en place de dossiers médicaux informatisés alimentant unebase de données anonymisée et partagée pour enrichir les travauxde recherche clinique, épidémiologique, médico-économique…

une sur-mortalité(4). De plus, la fragmentation des soins et l’articu-lation fragile entre les somaticiens et les psychiatres, compliquent laprise en charge des pathologies somatiques chez les patients at-teints de TB.

D’autre part, même lorsque le diagnostic est posé, les traitementsprescrits en pratique courante sont en faible adéquation avec les re-commandations internationales ayant pour ambition de constituerdes guides de bonnes pratiques à l’usage des médecins(5). Ces re-commandations issues de la médecine basée sur la preuve ont leurspropres limites, cependant les patients dont la prise en charge est gui-dée par ces recommandations ont un meilleur pronostic que des pa-tients traités hors de ce cadre(6). Un obstacle majeur tient à la difficultéd’appropriation de ces recommandations par les cliniciens. Au-delàde ces recommandations qui proposent des algorithmes généraux,l’essor de la pharmacologie et des thérapies psychosociales enrichitet complexifie la prise en charge des patients atteints de TB. Ainsi, laquestion du transfert des connaissances et des compétences s’imposecomme un enjeu central et plaide en faveur d’une évolution de l’or-ganisation des soins, telle qu’elle fut à l’œuvre dans le cas de patho-logies somatiques comme les cancers. En effet, la mise en place deservices spécialisés de recours (niveau 3) a été déterminante dans letraitement des cancers pour lesquels on observe aujourd’hui 50 % deguérisons. La création d’unités spécialisées, mêlant soins et recherchea permis un bond en avant dans la prise en charge des malades, grâceà une meilleure adéquation avec les recommandations internationalesd’une part et à un transfert rapide des avancées scientifiques au bé-néfice des patients d’autre part.

Concernant les troubles de l’humeur, une étude menée en Angleterresur le rôle des services tertiaires (spécialisés) a démontré leur grande uti-lité(7). Face à des situations complexes, d’échecs des traitements et dedésespoir pour les patients, ces services de pointe offrent une expertiseportant sur la proposition de nouvelles stratégies thérapeutiques, voirela rectification du diagnostic. Bauer et al. ont étudié l’impact d’un sys-tème de soins tertiaires sur le pronostic des troubles bipolaires et ontmontré que les bénéfices pour les patients sont de trois ordres : réduc-tion des troubles, amélioration du fonctionnement social des patientset amélioration de leur qualité de vie physique et mentale.

Les centres experts troubles bipolaires FondaMental :des services de recours associant soins et recherche

Par la mise en place de centres experts dédiés à des pathologies spé-cifiques, la fondation FondaMental (encadré 1) propose un systèmede recours, s’appuyant sur des équipes hospitalières et de recherchespécialisées par pathologies mentales. La fondation FondaMental aporté prioritairement ses efforts sur les trois maladies psychiatriquesconsidérées comme les plus invalidantes ou les plus fréquentes : lestroubles bipolaires, la schizophrénie et l’autisme de haut niveau (ousyndrome d’Asperger).

La labellisation des centres experts FondaMental et leur mise enœuvre n’auraient pas été possibles sans le soutien financier du mi-nistère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et du mi-nistère de la Santé. Grâce à la dotation financière initiale, leministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a permisde développer l’infrastructure nécessaire pour un travail en réseau.Le ministère de la Santé, soucieux d’optimiser l’organisation et

pratiques

La fondation FondaMental(www.fondation-fondamental.org) est unefondation de coopérationscientifique créée sous lʼégidedu ministère de la Recherche(décret au JO, 15 juin 2007)suite à la labellisation par cemême ministère du RéseauThématique de Recherche et de

Soins (RTRS) en Santé Mentale.Cette fondation a pour objectifde rassembler, dans une mêmedémarche innovante, équipes desoins et acteurs de la recherchepour combler le retarddiagnostic, améliorer la prise encharge des patients etdévelopper la recherche enpsychiatrie en France.

1. La fondation FondaMental

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Résumé du bilan proposé au sein des centres expertsbipolaires

Jour 1 Jour 2

Entretien infirmierBilan sanguin, dosage des thymorégulateursÉvaluation systématique des facteurs de risquecardiovasculaire : consommationde tabac, IMC, TA, périmètreabdominalÉlectrocardiogrammeRecherche dʼun syndromemétabolique

Antécédents médicauxpersonnelsAntécédents familiauxpsychiatriques et somatiques

Bilan neurologiqueNotamment la mémoire detravail, les fonctions exécutives et lʼattention

Fonctionnement social

Traitement médicamenteux(évaluation sur la vie entière),réponse, effets secondaires,adhérence

Entretien médical structuré* Diagnostic psychiatrique principal(caractérisation des troublesbipolaires sur la vie entière)Comorbidités anxieuses et addictivesConduites suicidaires

Évaluation dimensionnelle (états)(notamment humeur, sommeil,anxiété, vigilance)

Évaluation dimensionnelle(traits)(notamment impulsivité,instabilité affective, chronotypes)

Traumatismes dans lʼenfance

Synthèse multidisciplinaireCompte rendu de lʼensemble de lʼévaluation et définition du projet de soin personnalisé

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

Enfin, à travers leurs liens privilégiés avec les praticiens, les cen-tres experts sont des acteurs de premier plan de la diffusion des re-commandations de bonnes pratiques et ils développent desstratégies de partage d’expertise (exemple : les comptes-rendus dé-taillés remis au médecin référent). Au-delà de leur mission de sup-port aux soins existants, les centres experts s’avèrent de parfaitsobservatoires de l’évolution des maladies et de l’impact des straté-gies globales de diagnostic, de dépistage et de prise en charge.

Résultats attendusIl paraît légitime d’offrir aussi aux patients présentant des troubles

psychiatriques des services de soins tertiaires spécialisés compte tenude l’apport de ces structures pour des pathologies somatiques com-plexes.

À court et moyen termes, les résultats attendus sont les suivants : – un accès plus rapide aux structures de soins spécialisées ;– un dépistage plus précoce des sujets à risque ; – une réduction de la période entre le premier épisode de la maladie,le diagnostic et la mise en place d’un traitement tel que défini dansles conférences de consensus ;– un dépistage et une prévention des comorbidités somatiques et psy-chiatriques ;– une amélioration des pratiques médicales et une mise en adéqua-tion avec les recommandations qui s’effectuera par le partage d’ex-pertise au travers de cas concrets ; – une définition de stratégies thérapeutiques plus adaptées aux ca-ractéristiques des patients, dans le cadre du développement d’unestratégie de médecine personnalisée ;– une diffusion de nouvelles stratégies thérapeutiques (à titre d’exem-ple, s’appuyant sur le réseau des centres experts, la fondation Fon-daMental, a permis de développer un programme et une formationdestinés à promouvoir la psycho-éducation pour les patients atteintsde troubles bipolaires) ;

À plus long terme, ces structures alliant soins et recherche permettrontune meilleure compréhension des causes de la pathologie et donc le dé-veloppement possible de nouvelles stratégies thérapeutiques. 415992 ■

Le Pr Chantal Henry et le Dr Bruno Etain déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts avec lesdonnées publiées dans cet article.Le Pr Marion Leboyer n’a pas transmis de déclaration de conflit d’intérêts.

1. Henry C, Etain B, Mathieu F, et al. A French network of bipolar expert centres: A model to close the gapbetween evidence-based medicine and routine practice. J Affect Disord 2011;131:358-63.

2. Murray CJL, Lopez AD. Quantifying the burden of disease and injury attributable to ten major riskfactors. Murray CJL, Lopez AD, editors. The global burden of disease: a comprehensive assessment ofmortality and disability from diseases, injuries, and risk factors in 1990 and projected to 2020. Cambridge(MA): Harvard University Press; 1996.

3. Goodwin FK, Jamison KR. Manic-Depressive Illness: Bipolar Disorders and Recurrent Depression, 2ndEdition. Oxford University Press 2007.

4. Leboyer M, Kupfer DJ. Bipolar disorder: new perspectives in health care and prevention. J Clin Psychiatry2010;71:1689-95.

5. Scott J, Paykel E, Morriss R, et al. Cognitive-behavioural therapy for severe and recurrent bipolardisorders. Br J of Psychiatry 2006;188:313-20.

6. Bauer MS, Biswas K, Kilbourne AM. Enhancing Multiyear Guideline Concordance for Bipolar DisorderThrough Collaborative Care. Am J Psychiatry 2009;166:1244-50.

7. Debra J. Shepherd DJ, Insole LJ. Are specialised affective disorder services useful? The Psychiatrist2009;33:41-3.

● Centre hospitalier Charles Perrens, Bordeaux (33)

● Hôpital Lapeyronie, CHU Montpellier (34)

● CHU Sainte Marguerite, Marseille (13)

● Hôpital Fernand Widal, Paris (75)

● Hôpital André Mignot, Le Chesnay (78)

● Hôpital A. Chenevier, Créteil (94)

● CHU de Nancy (54)

● CHU Grenoble, Hôpital Sud (38)

● Centre hospitalier Princesse Grace, Monaco

2. Neuf centres experts

* Structured Clinical Interview for DSM Disorders (SCID).

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TOME 133 [ N°7 ] SEPTEMBRE 2011 525

LE CONCOURS MÉDICAL

À la clinique du Château, clinique de psychiatrie générale, les troubles maniaco-dépressifs ont représenté en 2010 prèsdʼun quart des admissions*. Il sʼagit dʼun milieu ouvert oùlʼhospitalisation, qui implique le consentement du patient, a plusieurs objectifs : comprendre et répondre au mieux à lʼétat du moment, engager avec le patient un projetthérapeutique, réparer les conséquences de la maladie,prévenir les rechutes et récidives, préparer la sortie.

L’hospitalisation d’un patient bipolaire (ou ayant autre trouble del’humeur) doit être précédée par un certain nombre d’interrogations :pourquoi ? quand ? où ? comment ? dans quels buts ?

Pourquoi hospitaliser un patient « bipolaire » ? Parce qu’il souffre trop et qu’il est en danger de suicide ; parce qu’il est

exalté, euphorique, avec des conduites de mise en danger ; parce qu’il fautle couper des stimulations de la vie ordinaire ; parce que son état fait po-ser l’indication de techniques de soins particulières : ECT, perfusionsd’antidépresseurs… Parfois parce qu’il faut soulager l’entourage.

Quand et comment faut-il hospitaliser ? Quand les conditions susdites sont réunies et que le patient est

consentant. Il faut donc savoir attendre l’accord du patient et orga-niser les conditions de cette attente avec l’entourage. Le patient ayantsouvent une très mauvaise conscience de ses troubles, cette contra-diction est souvent à l’origine de difficultés en début d’hospitalisation.Par ailleurs, la famille, inquiète, manifeste souvent une impatiencebien compréhensible que seul l’accès facile aux conseils du médecinpeut tempérer.

Le mieux et le plus souvent, l’hospitalisation se fait à la demandedu patient ou avec son acceptation. Le consentement implique quel’on ait délivré le diagnostic de son état et que le patient ait bien com-pris la manière de lui venir en aide. Il est exceptionnel qu’il soit né-cessaire de recourir à une mesure d’internement pour un patient enphase dépressive, à moins qu’il ne soit seul dans la vie et en danger.Pour les patients en phase maniaque, les désordres sont tels qu’ils peu-vent obliger à une hospitalisation sous contrainte.

Où hospitaliser ? En dehors de l’urgence véritable, il convient d’étudier les avan-

tages et inconvénients du lieu d’hospitalisation. L’hôpital psychia-trique peut avoir un caractère très stigmatisant et manquer de

confort en règle générale. L’hospitalisation privée assure plus de dis-crétion, a souvent une image moins négative. Il peut y avoir descontraintes financières comme à la clinique du Château (cliniqueagréée) qu’il faut résoudre au préalable afin que le patient ne se re-trouve pas dans une situation trop difficile et que l’on puisse tablersur une durée d’hospitalisation suffisante (trois semaines environ).Étudier la faisabilité d’une hospitalisation en clinique privée, no-tamment voir ce que l’assurance complémentaire propose commecouverture, est un préalable nécessaire, que le patient et la famillenégligent volontiers dans un contexte d’urgence mais qui devientd’une actualité brûlante dès les premiers jours d’hospitalisation. Ce-pendant, beaucoup de troubles de l’humeur sont traités en cli-nique privée.

Comprendre et répondre au mieux à lʼétat du momentComprendre l’état du patient au moment de son admission n’est

pas toujours simple, car les comorbidités sont très fréquentes. Le diag-nostic de l’état dépend aussi du stade évolutif de la maladie, il est fa-cilité par les informations que peut apporter l’entourage.

L’hospitalisation ainsi que la mise en œuvre de médications en-traînent souvent un soulagement immédiat. Au début, les médica-tions ont une visée symptomatique, puis plus syndromique. Apaiser,soulager, tranquilliser sont les objectifs immédiats de l’hospitalisation,cela peut prendre plusieurs jours, alors que la résolution de l’épisodeactuel demande plusieurs semaines.

À tous les stades de la prise en charge, la circulation de l’informa-tion et la cohésion de tout le personnel soignant sont indispensables,et ces préoccupations doivent être bien intégrées par chacun desparticipants. L’observation infirmière relève le comportement dupatient, les effets escomptés du traitement comme les effets indési-rables. Tout est consigné d’une part dans le dossier médical infor-

pratiques

Un exemple dʼhospitalisation en milieu ouvertDr Henry Cuche ([email protected]), psychiatre, directeur médical ; Marie-Laure Robin, directrice des soins, Clinique du Château, Garches

*153 patients soit 23,3 % de l’ensemble des admissions (source : PMSI, F 31 du CIM 10).

DR

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

systémiques entraînent des modifications de la personnalité et des re-lations avec autrui.

L’idée que le patient trouve souvent bénéfice à sa maladie, les fameux« bénéfices secondaires », est le plus souvent injuste. La maladie, la ré-pétition des accès, l’imprévisibilité des virages de l’humeur ont un im-pact sous-estimé. Dans un tel contexte, la maladie et tout ce qui s’yattache infiltrent la relation entre le patient et autrui. Beaucoup y voientde la manipulation, alors qu’il s’agit d’une perte d’affirmation natu-relle au fil de l’évolution de la maladie, pouvant constituer un handi-cap psychique et rendre plus péjoratif le pronostic.

À force de durer, la maladie induit une hypersensibilité, un égo-centrisme obligés mais mal ressentis par les autres. La personnalitévient colorer l’expression des troubles : on fait sa maladie avec ce quel’on est. Ainsi immaturité, intolérance aux frustrations ou psychori-gidité, méfiance colorent le tableau clinique. Ces traits de personna-lité sont une difficulté supplémentaire dans la conduite du projetthérapeutique, ils s’accentuent sous l’effet de la répétition ou de lachronicité des troubles liés à nos limites au plan thérapeutique.

Favoriser la réparation narcissiqueToute maladie est ressentie comme avilissante. L’accès maniaque ou

l’épisode dépressif n’échappe pas à la règle. Comment en réduire lesconséquences pendant l’hospitalisation ?

• En agissant au plus vite sur les manifestations aiguës de la maladie,ce qui permettra, entre autres, de réduire le temps d’hospitalisation.

• En faisant participer le patient au projet thérapeutique pour qu’ilperçoive que ses avis et attentes sont pris en compte, que la relationest de confiance et d’égalité. En ayant une action psychothérapiqueadaptée à la personnalité prémorbide fondée sur l’action pédagogiquepoursuivie au fil des entretiens quotidiens et renforcée par les réu-nions d’information.

• En maintenant du lien avec la famille, car l’implication de cettedernière au projet thérapeutique, la possibilité qu’elle participe auxréunions d’information, contribuent à valoriser l’image du patient.Ainsi, à la clinique du Château, il n’est pas rare que l’on propose à unmembre de la famille de rester avec le patient le jour comme la nuit.Cette façon de procéder permet d’amortir le caractère traumatisantque peut revêtir une hospitalisation, d’offrir un meilleur climat affectifet de contribuer à une plus grande sécurité.

• En sollicitant le patient, en fonction du stade évolutif, pour dif-férentes démarches devant conduire à des gratifications et à des ré-parations narcissiques : retrouver le bon usage de son corps lors deséances quotidiennes de psychomotricité ; découvrir ou entretenir leplaisir de la création en art-thérapie (s’exprimer dans le chant et dansle théâtre peut participer à redonner au patient confiance et estimede soi) ; participer aux d’affirmations de soi pour limiter le sentimentde dévalorisation et préparer le retour à la vie normale.

• En préparant la sortie, le retour à la vie normale dès l’admissiondu patient : la lutte contre les rechutes et les récidives comportel’inscription à un cycle d’éducation thérapeutique (quinze séances engroupe de quinze malades, avec un médecin psychologue et un in-firmier). 415993 ■

Le Dr Henri Cuche déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts avec les données publiées dans cet article.Marie-Laure Robin n’a pas transmis de déclaration de conflit d’intérêts.

matisé, et d’autre part transmis oralement aux autres équipes infir-mières. Chaque jour, le médecin reporte dans le dossier informatiséle recueil de ses observations. Surtout, chaque jour, un « staff » réu-nissant médecins et infirmiers permet de mieux définir la situationdu patient et d’ajuster le projet thérapeutique. De plus, ce partaged’informations facilite l’action des médecins, qui assurent une pré-sence médicale 24 h/24 à la clinique.

Cette mise en commun des informations facilite les prises de dé-cision, le « staff » de 12h30 est bien perçu par les patients, qui ontcompris que l’équipe soignante améliorait ainsi la qualité et la sécu-rité des soins.

Engager un projet thérapeutique avec le patient etlʼentourage

Cet objectif nous mobilise dès que le patient est en état de partici-per à ses soins. Il doit comprendre et adhérer au traitement médica-menteux et à l’évaluation régulière du rapport bénéfices/risques dece dernier. Les entretiens quotidiens avec le médecin permettent enoutre de mieux cerner la personnalité du patient, son insertion danssa famille comme dans la société, de mieux mesurer l’impact de la ma-ladie sur la vie du patient.

Le projet thérapeutique prend en compte très rapidement qu’il ya la clinique de la maladie et la clinique du sujet (ou encore : la di-mension synchronique et la dimension diachronique de l’expressionde la maladie ; voir encadré).

Trop souvent, on impute à un (ou à des) travers de personnalité uneévolution péjorative alors qu’il s’agit de notre incapacité à stabiliserl’humeur de beaucoup de patients. L’expérience montre que nom-breux sont les « bipolaires » soumis aux oscillations morbides de l’hu-meur malgré les traitements médicamenteux et psychologiques ;cela illustre que l’on sous-estime souvent la gravité de la psychose maniaco-dépressive. La répétition des accès thymiques, les hospita-lisations, les conséquences des épisodes traversés, les modifications

Clinique de la maladie et clinique du sujet

La clinique de la maladie, exprimée par des symptômes, trouve sarésolution dans lʼefficacité des médicaments. Les antidépresseurscomme les antimaniaques ayant un certain délai dʼaction, il nousfaut assurer la sécurité et le meilleur confort possible au patient enattendant lʼeffet thérapeutique. La clinique de la maladie changeau fil de lʼévolution et indique ainsi les changements nécessairesau plan médicamenteux comme au plan institutionnel. Lʼéchangequotidien permet dʼévaluer lʼefficacité du traitement, les effets indésirables éventuels, il permet des ajustements de traitement, onredéfinit les objectifs du projet thérapeutique de façon régulière.La clinique du sujet repose sur la souffrance présente, sur lʼhistoirede la maladie, sur la biographie du patient, sur les antécédentspersonnels et familiaux, et sur les impacts et les séquelles des épisodes de la maladie. Cʼest en tenant compte de tous ces élé-ments que lʼon peut au mieux définir une stratégie thérapeutiqueet préparer le retour à la vie normale. La participation de la famille,après accord du patient, facilite lʼévaluation de la situation du pa-tient et de ses possibilités de réinsertion.

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TOME 133 [ N°7 ] SEPTEMBRE 2011 527

LE CONCOURS MÉDICAL

pratiques

Place des associations de patients et de leurs famillesJean-Jacques Margerie ([email protected]), secrétaire général de lʼassociation Capʼcités

Focus sur les besoins des patientsEn 2009, dans une étude dirigée par un comité scientifique de psy-

chiatres et réalisée par Ipsos Santé sur 300 patients atteints de trou-bles bipolaires de type I(3), des patients expriment le désir de vivrecomme les autres, parmi les autres. Toutes les composantes socialessont sollicitées pour les aider à atteindre cet objectif : l’entreprise, oùils souhaitent trouver un appui leur permettant de mener une vie pro-fessionnelle épanouie (40 %), l’entourage, où ils attendent plus desoutien (37 %) mais plus largement la société tout entière, de laquelleils attendent moins de stigmatisation et plus de compréhension(30 %).

En 2010, dans une enquête psychosociale(4) réalisée auprès d’unepopulation de personnes avec un trouble bipolaire, membres de fo-rums Internet, 276 personnes ont exprimé 952 souhaits avec, par or-dre de priorité : – le désir de gagner en qualité de vie en arrivant à travailler, en trou-

vant des solutions permettant de s’autonomiser finan-cièrement, 27 % ;– le désir de gérer sa vie quotidienne avec équilibre etconstance sans ressentir de fatigue ou d’excitation tropintenses, 24 % ;– le désir de ne pas s’isoler ou se replier sur soi même ens’impliquant dans des associations ou des lieuxd’échange, 16 %.

Les actions des associations pour maintenir le liensocial malgré le trouble bipolaire

Il est reconnu que les solutions sont très minoritaires face aux dif-ficultés d’insertion sociale engendrées par le trouble bipolaire, maisil n’est pas inutile de rappeler celles qui existent.

Les Groupes d’entraide mutuelle (GEM) : des liens sociaux régu-liers entre pairs et avec le reste de la cité.

Ces associations d’usagers de la psychiatrie épaulées par des asso-ciations ou organismes expérimentés dans la vie associative ont en ef-fet vocation à permettre à leurs adhérents de s’aider mutuellement àrompre l’isolement et développer des activités favorisant le bien-être, en lien avec la communauté environnante. Les GEM sont crééssur la base d’un cahier des charges (circulaire du 29 août 2005), avecun financement provenant des fonds de solidarité de la Caisse na-tionale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), leur permettantl’aide salariée d’une ou deux personnes. Trois cent trente-quatregroupes d’entraide mutuelle existent aujourd’hui, dépassant l’objec-tif initial du Plan(5).

Le projet EMILIA (Empowerment of Mental Health Service Usersthrough Life Long Learning, Integration and Action) [Autonomisation

Dans une récente campagne de sensibilisation pour inciterles Français à changer leur regard sur les cancers, on pouvaitvoir et entendre le message suivant : « Je suis une personne,pas un cancer ». Les personnes touchées par le troublebipolaire ont besoin de nourrir lʼespoir dʼun avenir meilleur,dʼune autogestion de leur maladie et de la poursuite de rôlesreconnus par la société pour avoir aussi une identité quidistingue la personne de la maladie.

Les répercussions de ce trouble sont importantes : la solitude, lesdifficultés sur le plan familial et interpersonnel, professionnel et/ouéconomique, la stigmatisation/discrimination. Pour ces personnes,soins et insertion sociale sont indissociables : l’insertion permet labonne santé mentale et la bonne santé mentale permet l’insertion.

À partir du contexte actuel et des attentes exprimées, des acteursassociatifs contribuent à lutter contre le retentissementsocial qui accompagne le trouble bipolaire afin de favori-ser l’ « empowerment », la « reprise de pouvoir sur sa vie ».

Socle psychoéducatif et associationsLa thérapie psychoéducative est une facette primordiale

du traitement dans un grand nombre de maladies chro-niques (diabète, hypertension artérielle, maladie asthma-tique…) et pourtant, moins d’une équipe sur dix enFrance(1) a mis en place ce type de prise en charge pour le trouble bi-polaire.

Depuis quelques années, l’approche psychoéducative, les théra-pies comportementales et cognitives, les thérapies familiales com-portementales et les thérapies interpersonnelles ont démontréleur efficacité sur le cours évolutif du trouble bipolaire en com-plément des traitements thymorégulateurs. Toutes ces interven-tions ont en commun un socle psychoéducatif qui vise à délivrerdes informations complètes sur la maladie, « un savoir », tantpour le patient lui-même que pour sa famille. Par une meilleuremaîtrise du trouble dans les dimensions biopsychosociales, ellespermettent aux personnes de vivre de façon aussi active et auto-nome que possible dans la société.

En partenariat avec des soignants, des associations de patients(2) etleurs familles participent au partage de l’information sur le troubleà l’aide de cycles de conférences, de communications, et organisentpour certaines des programmes psychoéducatifs. Afin de trouver del’aide, elles proposent également des groupes d’échange et de soutien.Elles permettent aussi d’améliorer la conscience publique envers lesproblèmes engendrés par les troubles bipolaires.

Favoriser la « reprise de pouvoir sur sa vie »

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des usagers des services de santé mentale par l’accès à la formationtout au long de la vie et l’intégration active] : pour « donner la chanceaux gens »(6).

Le projet EMILIA fait le pari que l’accès à la formation tout au longde la vie des personnes vivant avec un trouble psychique favorise leurqualité de vie et diminue leur utilisation des services sanitaires et so-ciaux. Ce projet vise à observer les voies de facilitation de l’accès àl’emploi et à l’insertion sociale des personnes qui vivent avec des trou-bles psychiques, notamment bipolaires et schizophrènes. Les profes-sionnels de santé du 25e secteur psychiatrique et du 7e secteur de Paris– psychiatres, infirmiers, assistantes sociales, cadres de santé – et lesopérateurs de l’accompagnement à l’emploi qui se sont associés auprojet – PLIE 4 (Plan local pour l’insertion et l’emploi) des 18e et 19e

arrondissements de Paris et Maison de l’emploi de Paris (MEP) – ontcréé un partenariat afin de proposer des accompagnements spéci-fiques et de travailler à une pérennisation des actions testées pendantles deux années de la recherche-action.

L’Agence Entreprises & Handicap : comment l’entreprise peut-elle aborder la question de la santé mentale ?

Née pendant les travaux de la loi de 2005, qui reconnaît le handi-cap psychique pour la première fois, l’Agence Entreprises & Handicappropose aux acteurs économiques d’aller plus loin que l’obligationd’emploi et que la contrainte légale en matière de handicap. L’AgenceEntreprises & Handicap fait le pari de l’intégration stratégique du han-dicap dans le projet global des organisations et du lien crédible entrehandicap et performance. Cette agence travaille depuis des années àla question complexe des situations par rapport à l’emploi des

personnes atteintes de troubles psychiques. Avec le collectif Osons !,l’Agence Entreprises & Handicap(7) souhaite diffuser et partager sontravail avec le plus grand nombre et des organisations de toutes tailles.

Association Cap’cités : le modèle d’intervention psychosociale Club-house en France(8)

Cap’cités est une association d’intérêt général créée en avril 2010afin d’ouvrir en France un lieu d’accueil et d’activité de jour nonmédicalisé destiné au rétablissement de personnes fragilisées par untrouble psychique. Connu sous le nom de modèle d’interventionpsychosociale clubhouse, le concept repose sur une méthodologiehumaine, simple et efficace qui a porté ses fruits dans plus de trentepays, auprès de 60 000 bénéficiaires. Un clubhouse est un lieu de viecréé pour et avec des personnes fragilisées par les effets de troublespsychiques dans le but de faciliter leur insertion sociale et profes-sionnelle. Concrètement, ce modèle d’intervention psychosociales’articule autour du « club », lieu de socialisation, et de la valeur tra-vail au sein de la communauté. À Cap’cités, chaque membre a ledroit et la capacité de vivre une vie épanouie et remplie d’espoir, deréaliser ses rêves et d’occuper une place importante et gratifiantedans un milieu de travail et de vie. L’association a la conviction quechaque membre a la capacité de se rétablir et elle a le devoir de l’ai-der à atteindre ses objectifs, qu’il décide de reprendre le travail, depoursuivre des études ou de vivre de façon autonome.

ConclusionLes patients bipolaires et leurs familles paient un lourd tribut per-

sonnel à cette pathologie. Même s’ils ne s’opposent pas, force est deconstater que le projet médical l’emporte trop souvent sur le pro-jet de vie, le « statut de patient » sur le « statut de personne à partentière ». La notion de handicap psychique pour les patients bipo-laires correspond à une réalité clinique que l’on doit appréhenderdans les trajectoires de vie et de soins. Les associations doivent lut-ter activement pour les aider à sortir de cette position de patient pas-sif ou peu participatif et être des alliées essentielles pour leur regaind’autonomie. Il s’agit aussi de promouvoir une véritable politiqued’accessibilité, « d’abord le droit de tous », d’inclusion, dans tous lesdomaines de la vie. Afin de lutter contre la stigmatisation de la ma-ladie mentale et les préjugés, il est nécessaire de valoriser la paroledes usagers, de faire connaître l’action de leurs associations, ce quipeut permettre d’apporter au public un autre point de vue que ce-lui qui leur est si habituellement offert par les médias. 415994 ■

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts avec les données de cet article.

1. Information, éducation, psychoéducation dans le trouble bipolaire. Yes, we should. C. Even - L’Encéphale,Vol. 37, numéro S1, (mai 2011).

2. AITB, ARGOS, FNAPSY, France dépression, UNAFAM… Liste non exhaustive d’associations sur le forumbipotes.leforum.eu

3. Vécu et attentes des patients atteints de troubles bipolaires de type 1, Sylvie Warnet, La revue del’infirmière, Vol 59, N°157 (janv-fév 2010).

4. Enquête psychosociale des bipotes sur le forum bipotes.leforum.eu

5. Répertoire des GEMS sur le site de l’UNAFAM.

6. Pour « donner la chance aux gens », JOUET Emmanuelle, GREACEN Tim, FAVRIEL Sébastien. SANTEMENTALE, n°149, p. 72-76.

7. www.entreprises-handicap.com avec www.osons-entreprises-handicap.com

8. www.capcites.org/

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

Osons ! Entreprises & handicap (www.osons-entreprises-handicap.com)permet à ses adhérents dʼaborder le handicap par des entrées variéeset adaptées aux attentes de chacun.

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TOME 133 [ N°7 ] SEPTEMBRE 2011 529

LE CONCOURS MÉDICAL

Le trouble bipolaire, selon sa définition actuelle, regroupedifférentes sous-catégories de pathologies non superposables et qui relèvent de prises en chargespécifiques, en particulier sur le plan chimiothérapique, car si la prescription dʼun stabilisateur de lʼhumeur doit êtresystématique, excepté les formes mineures et les tempéraments, sa durée varie.

L̓ élargissement récent du spectre de la bipolarité, en incluant, en-tre autres, certaines formes de dépression, complexifie encoreplus le choix des traitements médicamenteux et des stratégies

thérapeutiques. Bien que leur définition reste imprécise, les thymo-régulateurs, que certains préfèrent dénommer stabilisateurs d’humeur,appartiennent à trois classes de produits : les sels de lithium, les an-ticonvulsivants, les antipsychotiques de deuxième génération connusaussi sous le terme d’antipsychotiques atypiques (APA). Leurs indi-cations dépendent à la fois du type de trouble bipolaire, des comor-bidités, de l’état somatique, des convictions du prescripteur et des pré-férences du patient.

Les formes bien caractériséesDe nombreux paramètres cliniques et évolutifs devraient être pris

en considération dans l’évaluation du trouble bipolaire, car ils ontchacun leur importance comme élément de pronostic et indice deprédiction de choix et de réponse au traitement. Les antécédents fa-miliaux de trouble bipolaire et de suicide, l’âge de début précoce, laséquence évolutive manie-dépression-intervalle libre, la qualité des in-tervalles libres, l’intensité de la symptomatologie sont des élémentsen faveur d’un trouble caractérisé (en référence au concept de mala-die) qui justifie une thymorégulation pendant plusieurs années.

Le trouble bipolaire de type I Le trouble de type I se rapproche le plus de la description classique

qui était faite de la psychose maniaco-dépressive bipolaire (PMD).Son caractère aigu lors de la phase d’exaltation justifie le plus souventl’hospitalisation. Le choix du stabilisateur d’humeur est fonction descaractéristiques cliniques, avec une préférence pour les APA lorsqu’ilexiste une agitation importante et une activité délirante.

Cette forme de trouble est relativement facile à identifier en raisondu caractère spectaculaire de l’accès maniaque. Néanmoins, il peutêtre confondu avec un épisode schizophrénique ou un délire para-noïaque, en raison de la thématique délirante et des phénomènes hal-lucinatoires.

Les états mixtes font encore partie de cette catégorie de troubles. Ilsse caractérisent par l’intrication de symptômes dépressifs et d’exci-tation. La prise en charge est superposable à celle d’un état d’excita-tion maniaque. Le risque suicidaire est élevé lors de la présencesimultanée d’une humeur dépressive et d’une excitation psychomo-trice.

Dans tous les cas, la question est de savoir s’il faut poursuivre le sta-bilisateur d’humeur après la normalisation de l’humeur : compte tenudu risque majeur de récidive, il est établi de manière consensuelle quece traitement devra être poursuivi pendant trois à cinq ans avec ré-évaluation de l’indication après ce délai.

Le trouble bipolaire de type II Le trouble de type II, caractérisé par l’existence d’épisodes dé-

pressifs majeurs et d’épisodes hypomaniaques*, est plus difficile àdiagnostiquer : il est souvent rapporté un délai d’identification d’unedizaine d’années, l’épisode d’hypomanie n’étant pas reconnu commetel, car non perçu comme pathologique par le patient.

Il existe fréquemment une confusion entre les épisodes dépressifsunipolaire et bipolaire. La recherche d’indices en faveur d’une bipo-

pratiques

Nouvelles définitions :un spectre hétérogène, avec des conséquences pratiquespour la prise en chargeDr Christian Gay ([email protected]), clinique du Château, Garches

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

des patients améliorés, mais seulement de manière partielle, par lesantidépresseurs, ou ayant eu un échappement après une stabilisationtransitoire. Ces patients qui ne répondent pas aux antidépresseurspourraient avoir accès aux stabilisateurs d’humeur.

Les troubles bipolaires à cycle rapide Caractérisés par une fréquence égale ou supérieure à quatre épi-

sodes par an, ils peuvent s’observer dans les différentes catégoriesde troubles bipolaires (I, II et III). Leur survenue peut être favori-sée par la prescription d’antidépresseurs (plus particulièrement lestricycliques), une hypothyroïdie, des abus de substance, des apnéesdu sommeil. Le recours à l’association de plusieurs stabilisateursd’humeur, l’abstention de prescription d’antidépresseur et l’appli-

cation de règes d’hygiène de vie consti-tuent les bases du traitement.

Les formes subsyndromiquesParallèlement à ces catégories cliniques

bien caractérisées, il existe des formes ditessubsyndromiques, dont certaines sont as-similées à des états résiduels le plus souventpostdépressifs. Elles peuvent relever de

mesures thérapeutiques spécifiques à la fois chimiothérapiques etpsychothérapiques (thérapie cognitivo-comportementale, mesurespsychoéducatives…).

Les tempéraments Intégrés dans le spectre des troubles bipolaires, les tempéraments

sont regroupés en quatre catégories : hyperthymiques, cyclothy-miques, dysthymiques et colériques. Ils correspondent à des styles depersonnalité présents dès le début de la vie, avec une vulnérabilité auxtroubles de l’humeur qui augmente avec l’âge.

Ces définitions rendent compte du caractère extrêmement hété-rogène du trouble bipolaire, d’autant que des troubles associés peu-vent rendre le diagnostic plus difficile et la prise en charge encore pluscomplexe. Dans tous les cas, l’abstention ou la limitation de durée deprescription d’un antidépresseur est de règle. Le recours à un stabi-lisateur de l’humeur est indiqué dans tous les cas, excepté les formesmineures et les tempéraments. La détermination de la durée du trai-tement est plus difficile et implique une réévaluation clinique à dis-tance. Les mesures psychoéducatives sont indiquées dans tous les cas,quelle que soit la catégorie de trouble bipolaire. 415995 ■

L’auteur déclare avoir participé à des interventions ponctuelles (activités de conseil, conférences, colloques, actions de formation…) pour les entreprises AstraZeneca, BMS, Lilly,Lundbeck, Sanofi, Servier.

* Cet état d’exaltation, modéré dans son intensité et sa durée, est plus difficile à identifier. Méconnu par le patient, l’épisode hypomaniaque peut mettre le patient (et sa famille) en danger en raison de prises de risques variés (financiers, conduite de véhicules, abus de toxiques...). C’est le plus souventl’interrogatoire de l’entourage qui nous permettra de faire le diagnostic de l’épisode hypomaniaque et d’un trouble bipolaire de type II.

• Goodwin FK, Jamison KR. Manic-Depressive illness: bipolar disorders and recurrent depression 2nd edition.Oxford University Press, 2007.

• Stahl SM. Psychopharmacologie essentielle : bases neuroscientifiques et applications pratiques, Paris,Lavoisier 2010.

larité chez un patient déprimé devrait être systématique : antécédentsfamiliaux de troubles bipolaires, troubles de l’humeur du postpartum,hypersomnie, hyperphagie, irritabilité… Dans les troubles bipolairesde type II, la dépression est au premier plan de la symptomatologietant en durée qu’en intensité.

Il est admis que les antidépresseurs sont à éviter mais que, dans lescas où leur prescription s’avère indiquée, celle-ci devra être de courtedurée. Le choix du traitement stabilisateur peut s’orienter vers les selsde lithium, la lamotrigine et certains APA (quétiapine), en raison deleurs effets préventifs sur les récurrences dépressives.

Le trouble bipolaire de type III Le trouble de type III n’est pas répertorié dans les classifications ac-

tuelles sous cette dénomination (maismentionné comme trouble de l’humeurinduit par une substance). Cette formemérite d’être individualisée du fait de safréquence et des mesures thérapeutiquesspécifiques. Elle se caractérise par l’exis-tence d’un virage maniaque ou hypoma-niaque induit par un traitementantidépresseur (ou par un autre médica-ment type corticoïdes, antipaludéen…). Dans ce cas, la prescriptiond’un stabilisateur d’humeur et l’abstention de traitement antidé-presseur, tout du moins en monothérapie, sont de règle. Certains au-teurs ont regroupé dans cette catégorie les patients qui avaient desépisodes dépressifs avec des antécédents familiaux de troubles bipo-laires.

Plus récemment, d’autres sous-groupes sont venus compléter cetteclassification. Ils peuvent présenter un intérêt pratique pour le clini-cien.

Le trouble bipolaire de type IV Il se caractérise par la survenue d’un épisode dépressif majeur sur

un tempérament de base hyperthymique (hyperactivité, multiplicitédes projets, grande sociabilité, faible besoin de sommeil, optimisme).Ce trouble qui se situe aux confins de la bipolarité est d’apparitionsouvent tardive et survient dans un contexte de surmenage, de si-tuations répétées de stress ou d’une succession d’événements péni-bles de vie. L’évolution n’est pas bien établie, mais le risque d’une« bipolarisation secondaire » peut justifier la prescription d’un sta-bilisateur d’humeur.

Le trouble cyclothymiqueDécrit par des amplitudes modérées d’euphorie, d’irritabilité et de

dépression, ce trouble ne justifie pas systématiquement un stabilisa-teur d’humeur, mais l’application de règles d’hygiène de vie contri-bue à une meilleure stabilisation de l’humeur. Cette forme de troublene peut être méconnue en raison du risque d’évolution vers un trou-ble caractérisé et de son caractère invalidant du fait de l’absenced’identification.

Le trouble bipolaire de type ¼Plus récemment, une autre forme a été intégrée dans la catégorie

des troubles de l’humeur : le trouble bipolaire de type ¼, qui regroupe

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La détermination de la durée du traitement stabilisateur implique une réévaluation clinique à distance

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LE CONCOURS MÉDICAL

Il faut éviter les pièges diagnostiques que sont les épisodesdépressifs majeurs, psychotiques, ou anxieux atypiques, quine relèvent pas du même traitement que celui des troublesbipolaires. Le retard au diagnostic, et donc au traitementspécifique thymorégulateur, expose aux complications.

Le trouble bipolaire est une pathologie chronique classique-ment définie par l’alternance d’épisodes thymiques majeurs(dépressifs, maniaques, hypomaniaques et mixtes). Cette pa-

thologie est associée à un handicap, notamment en raison de son ca-ractère cyclique et récidivant. Le développement scolaire,universitaire, professionnel, social, affectif et familial du sujet est for-tement altéré en raison d’une survenue de la pathologie à la fin del’adolescence ou au début de l’âge adulte, des récurrences d’épisodesmajeurs, mais également des symptômes résiduels dont l’intensitécroît avec le nombre d’épisodes majeurs et d’un retard diagnostiquemoyen de près de dix ans. En effet, il s’écoule en moyenne huit àneuf ans entre le premier épisode thymique majeur (dépressif, hy-pomaniaque, maniaque ou mixte) et le diagnostic correct de trou-bles bipolaires associé à la prescription d’un régulateur del’humeur(1, 2). C’est durant cette période, pendant laquelle les pa-tients ne sont pas traités, qu’ils développent les complications dutrouble bipolaire non traité : suicide, rupture scolaire, désinsertionsociale, familiale et professionnelle, comorbidités addictives (50 %),dégradation précoce de leur santé physique (syndrome métabolique,pathologies cardiovasculaires), stigmatisation, épuisement desproches ou encore complication médico-légale. C’est également du-rant cette période que les patients bipolaires sont exposés à des thé-rapeutiques inefficaces ou dangereuses, telles que les antidépresseursou les neuroleptiques conventionnels.

Un diagnostic précoce de ces troubles qui présentent de nom-breux masques trompeurs constitue donc un enjeu pronostique ma-jeur du trouble bipolaire. Ceci permet la mise en œuvre de

thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses spéci-fiques, afin d’obtenir un effet préventif des récurrences, le plus rapi-dement possible.

En pratique, quand suspecter un trouble bipolaire ?

Devant un épisode dépressif majeur (EDM) Un épisode dépressif majeur est le principal piège diagnostique. En

effet, une dépression chez un patient non bipolaire ne relève pas dumême traitement qu’un EDM chez un patient bipolaire. Or, la cli-nique n’est pas contributive au sens où, à la phase d’état, rien ne per-met de distinguer l’un de l’autre.

Une anamnèse méticuleuse et active auprès du patient, de sa fa-mille, de ses médecins, à la recherche d’épisodes hypomaniaquespassés inaperçus, d’une cyclicité de l’humeur a minima, de variationsthymiques saisonnières, d’un premier épisode thymique à l’adoles-cence, de réponses « anormales » à des antidépresseurs (inefficacité,virage anxieux, virage maniaque), permet de suspecter le diagnosticde trouble bipolaire. D’autres « indices de bipolarité » permettentd’orienter le diagnostic et doivent être systématiquement recher-chés :– antécédents familiaux de trouble de l’humeur, d’addiction et deconduites suicidaires : en effet, le trouble bipolaire connaît une agré-gation familiale importante ; – épisode psychiatrique du postpartum, dont une majorité évolue versun trouble bipolaire ;– tempérament prémorbide hyperthymique ou cyclothymique ;– addictions paroxystiques et troubles des conduites à l’adolescence.

Devant un premier épisode délirant (bouffée délirante aiguë)L’existence de symptômes délirants au cours d’un épisode psy-

chiatrique oriente le diagnostic plutôt vers les pathologies psycho-tiques. Pourtant, ces symptômes psychotiques sont fréquents (50 %)au cours des épisodes thymiques des troubles bipolaires. À ce titre, ilsconstituent également des masques trompeurs et contribuent à ce quedes patients bipolaires reçoivent un diagnostic erroné de schizo-phrénie. Là encore, la recherche systématique d’« indices de bipola-rité » sera déterminante pour suspecter le diagnostic.

Devant un trouble anxieux « atypique » Un syndrome anxieux peut également constituer un masque trom-

peur. C’est le caractère « atypique » de la symptomatologie anxieuse(cours évolutif ou réponse aux traitements inhabituels) ou encore sile patient emprunte à des registres anxieux multiples (syndromepan-anxieux) qui peut faire suspecter un trouble bipolaire. Ces « aty-picités » ne suffiront pas à établir le diagnostic de trouble bipolaire,et là encore la recherche systématique d’indices de bipolarité dans les

pratiques

Dépistage précoce : rechercher les indicesde bipolaritéDr Frank Bellivier ([email protected]), pôle de psychiatrie, hôpital Henri-Mondor, Créteil

Le MDQ est disponible et validé en français.

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Les patients ayant des troubles bipolaires posent de manièreexemplaire la question du relais du médecin généraliste auspécialiste, et de leur partenariat. Les dispositifs de soinspartagés, qui développent les compétences des médecinsgénéralistes au suivi des patients psychiatriques, et celles despsychiatres au suivi en soins partagés, sont peu développésen France.

Le parcours de soins des patients bipolaires est le plus souvent ins-tauré par le médecin généraliste, surtout si la porte d’entrée destroubles est la dépression. Il est préconisé que le spécialiste prenne

le relais de la prise en charge des patients atteints de troubles bipo-laires, mais la réalité n’est pas aussi simple. La notion de médecin trai-tant, référent des soins, fait du médecin généraliste le premierinterlocuteur du parcours de soins. Cette obligation rejoint les com-portements habituels des patients, dont les intentions de consultationrestent orientées vers leur médecin traitant et qui souhaitent le main-tenir dans la prise en charge ultérieure. C’est pourquoi, dès le premiertemps du parcours de soins, la notion de « soins partagés » entre mé-decins généralistes et psychiatres tend à se développer, d’où l’émer-gence de dispositifs dédiés à cette coopération.

Lʼinterpellation du médecin généraliste par le patientau début de la maladie bipolaire

Les fréquentes comorbidités somatiques ou d’abus de substancespeuvent expliquer en partie que les patients bipolaires consultentd’abord leur médecin généraliste. Il est aussi naturel que le patients’adresse d’abord à son médecin généraliste lorsque son trouble

commence par un tableau dépressif(1). Tout l’enjeu va être la recon-naissance, souvent difficile dans une première prise en charge d’untrouble dépressif, de son caractère bipolaire(2,3,4). Les sous-diagnosticsdu trouble bipolaire et les délais importants entre l’apparition des pre-miers symptômes et le diagnostic sont connus : 30 à 40 % des patientsbipolaires recevraient un diagnostic de trouble unipolaire ; 49 % nesont pas diagnostiqués comme ayant un trouble uni- ou bipolaire ;20 % seulement reçoivent un diagnostic correct(2,5). Le délai entre lepremier contact avec le système de santé mentale et le diagnostic debipolarité serait de sept ans et demi à plus de neuf ans pour le trou-ble bipolaire I et jusqu’à douze ans pour le TB II(2). L’adressage au sys-tème spécialisé se fait donc tardivement.

Les errances diagnostiques sont fréquentes : troubles de la person-nalité, dépression unipolaire, abus de substances, schizophrénies(3,6).Les motifs d’erreur ou de retard diagnostiques sont multiples : absencede recherche, lors d’une consultation pour un trouble dépressif, des an-técédents maniaques ou hypomaniaques (non rapportés par le patient,mais mieux renseignés par l’entourage)(3) ; meilleure connaissance parles médecins des critères de la dépression que de ceux de la manie oude l’hypomanie(2) ; difficulté de retrouver des phases hypomaniaquesdans l’anamnèse et de reconnaître, après amendement de la dépres-sion, une hyperthymie. Les erreurs diagnostiques peuvent conduire àune utilisation inadaptée des antidépresseurs, avec des conséquencessur le cours évolutif du trouble(1,3). En cas de diagnostic établi, le mé-decin généraliste est moins à l’aise pour prescrire un thymorégulateurqu’un antidépresseur (dont la prescription est comparable à celle despsychiatres, lors d’un état dépressif majeur)(4).

Le paradoxe est donc que le premier interlocuteur du parcours desoins est le plus souvent le médecin généraliste, alors même qu’il luiest recommandé de passer la main lorsqu’il soupçonne un trouble bi-

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

Demander lʼavis dʼun centre expert au moindre doute

Le diagnostic précoce des troubles bipolaires repose essentiellement surla connaissance des « masques trompeurs » qui contribuent à égarer lediagnostic et sur la recherche systématique et active des indices de bipo-larité recensés dans cet article. Cette enquête sera utilement complétée parl’administration de questionnaires de dépistage, tel que le Mood Disor-der Questionnaire au moindre doute (disponible et validé en français).Enfin, toujours en cas de doute, un avis diagnostique auprès d’un cen-tre spécialisé (centre expert, par exemple) doit être demandé, car l’enjeupronostique d’un diagnostic plus précoce est majeur. 415996 ■

L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts.

1. Lish JD, et al. The DMD. A survey of bipolar members. J Affect Disord 1994;31:281-94.

2. Hirschfeld RM, et al. Perceptions and impact of bipolar disorder: how far have we really come? J Clin Psychiatry 2003;64:45-59.

antécédents personnels et familiaux sera déterminante. Ces patientsporteurs d’un masque « trompeur anxieux » sont fréquemment despatients bipolaires avec comorbidité anxieuse, une association fré-quente (50 % de troubles anxieux comorbides) qui nécessite une thé-rapeutique spécifique.

Devant une personnalité borderline Il existe une superposition symptomatique importante ainsi que

des parentés dans le cours évolutif d’un trouble bipolaire et d’une per-sonnalité borderline : fluctuations thymiques et caractérielles, hy-perréactivité émotionnelle, conduites suicidaires, décompensationsthymiques, sensibilité aux facteurs de stress, conduites impulsives oufluctuations alimentaires et des besoins de sommeil. Là encore, uneanamnèse méticuleuse à la recherche des indices de bipolarité sera dé-terminante pour établir le diagnostic, et surtout pour l’évolution deces patients qui tirent grand bénéfice des régulateurs de l’humeur.

Parcours de soins : des dispositifs de liaisonpour un accès précoce aux soins spécialisésDr Nadia Younes, Pr Marie-Christine Hardy-Baylé ([email protected]), hôpital A. Mignot, Le Chesnay

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LE CONCOURS MÉDICAL

polaire ! Pourtant, la participation du médecin généraliste reste es-sentielle tout au long du parcours de soins du patient bipolaire : mêmes’il n’assure pas lui-même les soins psychiatriques principaux, il joueun rôle clé dans le soutien de l’observance, dans la continuité dessoins, dans le dépistage des comorbidités psychiatriques et soma-tiques, dans la surveillance des thymorégulateurs ; enfin, il est sou-vent interpellé lors d’épisodes aigus(4,6).

Comment améliorer la coopération entre médecinsgénéralistes et psychiatres ?

Les conséquences d’une mauvaise coopération entre médecins gé-néralistes et psychiatres sont majeures, en particulier sur le retard audiagnostic, l’interruption des soins, l’inobservance au traitement etle risque de perdus de vue.

La France est le pays européen où cette coopération est la plusinexistante(7), et tous les obstacles identifiés dans la litté-rature internationale sont à l’œuvre dans l’organisationdes soins primaires, avec des obstacles(8,9) liés à l’exercice(parmi lesquels la réticence des patients à consulter et àêtre suivis par un psychiatre, les différences des stratégiesde prise en charge en médecine générale et en psychia-trie et l’absence de langage commun de ces professions,les difficultés des médecins généralistes dans le suivi depatients dits « psychiatriques » comme en témoigne lefait que l’un des premiers critères d’adressage au psy-chiatre est l’existence d’un suivi psychiatrique antérieur)et des obstacles organisationnels (manque de disponi-bilité des psychiatres, importance des délais d’attentepour obtenir une consultation avec un psychiatre, indigence des re-tours des spécialistes au médecin généraliste).

Depuis les années 1990, surtout dans les pays anglo-saxons, des ac-tions d’amélioration de cette coopération ont été envisagées pour le trai-tement des troubles dépressifs, et plus globalement des troubleschroniques.

La formationEn matière d’effets cliniques (observance, devenir), toutes les

études mettent en évidence une supériorité des actions organisa-tionnelles sur les actions de formation, lesquelles ont montré leurs li-mites lorsqu’elles ne sont pas inscrites dans des dispositifsorganisationnels(10). En d’autres termes, il est légitime d’attendred’un partenariat renforcé qu’il assure l’acquisition continue des com-pétences nécessaires en médecine générale pour le suivi de patientspsychiatriques et, en particulier bipolaires.

Les recommandations de bonnes pratiquesL’élaboration de recommandations visant à contraindre les conditions

d’adressage des patients par les médecins généralistes aux psychiatres,et pour les patients bipolaires en y intégrant la recherche de signes de bi-polarité, a été remise en cause. L’intérêt d’élaborer des protocoles pouraméliorer la coopération entre les médecins généralistes et les psychia-tres est soulignée, mais les recommandations visant à favoriser le par-tenariat et les échanges collaboratifs doivent être privilégiées par rapportaux recommandations d’adressage, fondées sur des normes difficiles àfixer et ne prenant pas en compte la diversité de compétences des

médecins généralistes. Le Collège national pour la qualité des soins enpsychiatrie recommande, avec une labellisation de la HAS, d’utiliser leséchanges de courrier comme des leviers d’amélioration de la collabo-ration : ces courriers permettent de poser les conditions d’un partena-riat futur et de formaliser des critères de qualité. Il ne s’agit donc pas defixer à quel moment ni devant quels symptômes le médecin généralistedoit adresser son patient, mais de recommander la nature des infor-mations à transmettre pour ouvrir un échange de type collaboratif.

Des dispositifs dédiésDe nombreux pays occidentalisés ont donc développé des moda-

lités organisationnelles de coopération entre médecins généralistes etpsychiatres pour favoriser une intervention spécialisée plus précoce,selon deux modèles(11) :– les consultations de « liaison » (Grande-Bretagne, Australie, Canada,

Suisse et Pays-Bas) où des psychiatres installés dans deslieux souvent hospitaliers (donc déstigmatisés par rap-port aux institutions psychiatriques) apportent un sou-tien aux médecins généralistes de leur territoire : avisdirects ou interventions brèves auprès des patients quiposent problème aux médecins généralistes, avis indi-rects (sans voir les patients), formations/actions inscritesdans le travail partagé quotidien et permettant unetransmission des savoirs à propos d’un patient. La for-mation peut être relayée par des séances d’aide au rai-sonnement clinique. Ces dispositifs doivent développerles compétences des médecins généralistes au suivi despatients psychiatriques, et celles des psychiatres au suivi

en soins partagés ; ce modèle s’est développé dans des zones urbaines ;– les consultations de « liaison-attachement » (Écosse, Canada, Israël,Australie) où le travail est réalisé avec des psychiatres attachés aux ca-binets de médecins généralistes (où ils viennent régulièrement selonun rythme hebdomadaire ou bimensuel) ; ce modèle se prête mieuxaux milieux ruraux.

Quelques recherches ont été développées sur des soins collaboratifsoù interviennent de façon variable psychiatres, infirmières ayant unrôle de case manager et médecins généralistes. Ces collaborations ontun impact sur le devenir et la satisfaction des patients(1,6,12,13). Il s’agitde filières spécifiques de soins plus adaptées au suivi à long terme despatients déjà diagnostiqués qu’aux tableaux débutants. Les erreurs etretards diagnostiques plaident plus pour des filières ouvertes aux ta-bleaux de trouble dépressif qui se présentent en médecine générale.

Les dispositifs de collaboration entre médecins généralistes et psy-chiatres sont peu développés en France ; pourtant, le dernier Plan desanté mentale prévoyait leur multiplication sur tout le territoire. Le dis-positif de soins partagés du centre hospitalier de Versailles, conçu dansle cadre du Groupement de coopération sanitaire « Réseau pour la pro-motion de la santé mentale dans le Sud-Yvelines » fonctionne sur cemode depuis plus de dix ans, et paraît intéressant dans le dépistage pré-coce de troubles graves, comme les troubles bipolaires, dès les premierstemps du parcours de soins. Avec l’accroissement de compétences des310 médecins généralistes ayant fait appel à ce dispositif et convaincuspar la qualité de ce partenariat, l’adressage des patients ne cesse de croî-tre (entre 300 et 400 nouveaux patients par an), et le taux d’absentéismeaux consultations est incroyablement bas, de l’ordre de 5 %.

pratiques

Le premier interlocuteur du parcours de soins est le plus souvent le médecin généraliste

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

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13. Bauer MS, Biswas K, Kilbourne AM. Enhancing multiyear guideline concordance for bipolar disorderthrough collaborative care. Am J Psychiatry. 2009;166:1244-50. Epub 2009 Oct 1.

Ainsi, les soins partagés entre médecins généralistes et psychiatresse sont développés selon une approche tout-venant des patientèlesen soins primaires. Ces dispositifs réfutent la pertinence de filièresspécifiques de soins vers lesquelles le médecin généraliste devraitorienter les patients. En effet, la question majeure se posant à l’ins-tauration du parcours de soins des patients bipolaires étant celle duretard au diagnostic, et la formation des médecins généralistes auxdiagnostics précoces de troubles bipolaires ayant montré ses limites,la réponse des dispositifs de soins partagés doit rester généraliste (au-trement dit, il n’est pas demandé aux MG d’adresser les « bipolaires »ou les « schizophrènes » ou toute autre forme de « pathologies »,mais des patients qui leur posent problème) et s’inscrire dans une lo-gique de soins de proximité. Ce n’est qu’une fois le diagnostic et lanature du soin partagé établis qu’une orientation vers des structuresdédiées à des troubles spécifiques peut avoir tout son sens. 415997 ■

Le Pr Marie-Christine Hardy-Baylé est directeur médical du Groupement de Coopération Sanitaire « Réseau Santé Mentale Yvelines Sud » et président d’honneur du « Collège pour la Qualité des soins en psychiatrie » ; elle n’a signé aucune convention avec l’industrie pharmaceutique.Le Dr Nadia Younes déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles :membre du comité scientifique de l’étude observationnelle « Essentielle » (Dépression en population active : impact sur le statut fonctionnel) pour le Laboratoire Lundbeck et rapporteur de l’APA 2011 pour le Laboratoire Euthérapie.

Cʼest vraiment le rôle du médecin généralistede savoir évoquer un diagnostic de

bipolarité : autant devant un état maniaqueévident, le diagnostic est facilement évoqué(type I), autant devant un patient dépressifrécidivant, cʼest un diagnostic plus difficile àenvisager, les épisodes hypomaniaques nedonnant généralement pas lieu à uneconsultation et devant être recherchés parlʼanamnèse (type II); de même, on ne pense pasforcément à évoquer la bipolarité dans les annéesqui suivent un épisode de bouffée délirante. Lesdifficultés sont donc surtout dʼordre diagnostique(y penser !). En dehors du fait que les médecins généralisteshésitent à gérer des médicamentsthymorégulateurs, ces patients ne sont pastoujours difficiles à suivre, dʼautant plus quʼilssavent, souvent, très bien gérer eux-mêmes leurmaladie, et reconnaître les signes avant-coureurs dʼun épisode thymique (un de mespatients, en phase maniaque malgré leTéralithe, mʼa plusieurs fois appelé pour unedemande dʼhospitalisation).Nous espérons beaucoup des recommandationsrécentes de la HAS, qui formalisent le courrieréchangé entre psychiatres et médecin

généraliste*. En effet, les psychiatres ne sont pashabitués à nous informer, par exemple quand ilsprescrivent des thymorégulateurs, et beaucoupde patients traités ne savent pas nous direpourquoi ils ont tel ou tel traitement. Je ne suis peut-être pas très représentatif desmédecins généralistes dans la mesure oùjʼappartiens à un réseau de santé mentale, etjʼai, à ce titre, participé à la mise en place dʼundispositif de soins partagés (DSP) **: cesconsultations sont destinées à lʼévaluation etlʼorientation des patients ayant des troublespsychiatriques, et au suivi conjoint avec legénéraliste, et on ne peut que regretter quʼellesne soient pas en place sur tout le territoire. Leurintérêt réside dans la possibilité dʼobtenir uneconsultation dans un délai raisonnable,contrairement aux délais habituels, et dʼavoirainsi un avis approprié précoce ; en outre, avecle suivi conjoint, le médecin traitant se sentsoutenu et plus à même de continuer à suivreson patient, ce qui est particulièrementintéressant dans les dépressions compliquéeset récidivantes. Personnellement, jʼadresse leplus précocement possible les patients ayantune dépression grave, sévère et/ou récidivante,et dont lʼinterrogatoire révèle des épisodes

antérieurs susceptibles dʼhypomanie, le DSPpouvant alors être relayé par le centredʼexpertise bipolarité.L̓espoir est que ce parcours de soins fléché puissediminuer de façon conséquente le délai parfoisextrêmement long entre les premièresmanifestations de la maladie et le diagnostic. 415998 ■

*Recommandation HAS. Les courriers échangés entre médecinsgénéralistes et psychiatres lors d’une demande de premièreconsultation par le médecin généraliste pour un patient adulteprésentant un trouble mental avéré ou une souffrance psychique.Février 2011.

www. has-sante.fr

**Le DSP est le nouveau nom de la consultation d’avis et de suiviconjoint (CASC) ; cette consultation multidisciplinairehospitalière est présente sur tout le territoire du Réseau SantéMentale Yvelines-Sud avec un pôle principal à l’hôpital Mignot(Versailles) et un autre à Rambouillet (au CPM). L’équipe,constituée d’infirmières pour le premier contact téléphonique(quasiment une première consultation par téléphone) depsychiatre(s) et de psychologue(s), est essentiellement dédiéeaux demandes d’avis ou de prise en charge de maladespsychiatriques adressés par les médecins généralistes ; elles’engage à répondre à ces demandes dans un délai raisonnablehors urgence ; son travail peut comprendre de une à troisconsultations psychiatriques ou psychologiques, voire un suivi unpeu plus long par les psychologues à but thérapeutique. À ceterme, un projet de soins est négocié avec le patient et lemédecin généraliste et mis en œuvre : il peut consister en unsimple avis thérapeutique ou diagnostique, un adressage ou unsuivi conjoint soit entre le généraliste et le DSP, soit entre le MGet des professionnels extérieurs type psychologues oupsychiatres libéraux, voire un CMP.

Pour le médecin généraliste, les difficultés sont surtout dʼordre diagnostiqueDr Bruno Beauchamps ([email protected]), médecin généraliste

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TOME 133 [ N°7 ] SEPTEMBRE 2011 535

LE CONCOURS MÉDICAL

Médecin traitant et psychiatre doivent articuler leurs actions respectives au moment du diagnostic, en particulier sʼil fautdemander une hospitalisation ou des mesures de protection, mais aussi lors de la prise en charge globale et du suivi à longterme. Le psychiatre assure un travail de coordination avec les nombreux intervenants sollicités pour le bilan initial ou le suivi, choisit le traitement, élabore le plan de soins, et, en vue dʼune réinsertion professionnelle, assure un travail de liaison avec la médecine du travail. Le médecin traitant participe à la surveillance clinique, mais aussi à lʼamélioration delʼobservance, au dépistage et à la surveillance des comorbidités.

Le trouble bipolaire est une pathologie caractérisée par une fré-quence élevée de récurrence des épisodes aigus (maniaques oudépressifs) et une évolution chronique chez de nombreux pa-

tients. Ainsi, dans une population de patients souffrant de trouble bi-polaire de type I et II, suivis en moyenne 12,8 ans, Judd et al.(1)

retrouvent, pour ceux souffrant de troubles de type I, la présence desymptômes pendant 47 % du temps (dont troisfois plus de temps en phase dépressive que ma-niaque) et un changement de polarité 3,5 foispar an en moyenne ; les troubles bipolaires detype II, quant à eux, changeaient en moyenne depolarité 1,3 fois par an.

À côté de cette chronicité, ce trouble en-traîne chez les patients qui en souffrent des limitations dans diversdomaines de la vie – avec des difficultés dans les relations inter-personnelles, en particulier avec les proches et en société –, l’in-sertion professionnelle, mais aussi les activités de loisirs.

Selon l’OMS(2), les troubles bipolaires figurent, au niveau mondial,parmi les dix maladies entraînant le plus d’années de vie vécues avecinvalidité (AVI).

Lorsqu’elle n’est pas correctement prise en charge, cette pathologiepeut se compliquer du fait de l’accélération des changements de po-larité de l’humeur, de comorbidités psychiatriques ou somatiques, maiségalement du fait des conséquences sociales (voire médico-légales) destroubles présentés lors des épisodes aigus (divorce, dettes, perte d’em-ploi…).

Ces différents aspects justifient une prise en charge précoce, plu-ridisciplinaire et tous les temps de l’évolution.

IntervenantsLe psychiatre et le médecin traitant ont un rôle majeur à jouer, tant

sur le plan du repérage ou de l’évaluation clinique que de la mise enplace du traitement et de sa surveillance. L’articulation de leurs actionsest primordiale.

La Haute Autorité de santé(3) souligne l’importance d’autres pro-fessionnels, notamment pour l’identification et l’évaluation : le neu-rologue pour le diagnostic différentiel avec certaines pathologiesneurologiques, le psychologue pour une éventuelle évaluation psy-chométrique.

La prise en charge initiale et le suivi peuvent également justifierl’intervention d’un infirmier pour la prise en charge ambulatoire,

notamment pour l’aide à l’observance ; d’assistants sociaux du fait despossibilités de désinsertion liés aux épisodes aigus ; de psychologuespour une éventuelle approche psychothérapeutique ; de cardiologue,néphrologue, endocrinologue pour l’évaluation des risques et del’éventuelle survenue de complications liées au traitement (en parti-culier à long terme) ; d’un gynécologue lorsqu’une contraception est

nécessaire ; d’un diététicien du fait desrisques métaboliques associés au trouble bi-polaire, mais aussi aux traitements prescrits.

Dans certaines circonstances spécifiques, ilpeut être utile de recourir à un addictologue,la comorbidité addictive étant très fréquenteet souvent mal évaluée, et insuffisamment

prise en charge ; et lors d’une grossesse, à un obstétricien, pour éva-luer les possibilités de maintien de la thérapeutique en cours.

Modalités de collaborationDifférentes modalités de collaboration sont possibles lors des dif-

férents temps de la maladie, en fonction des objectifs thérapeutiques.

À la phase aiguë (dépressive ou maniaque)Lors de cette période, l’objectif de la prise en charge est de réduire l’in-

tensité des symptômes, les troubles comportementaux présents, la vul-nérabilité suicidaire. De même, il est indispensable de mettre en œuvretous les moyens pour, d’un point de vue social, protéger le patient, sesproches et ses biens.

À la phase de détection et d’identificationDétection et diagnostic sont du domaine de tout médecin, mais

surtout du médecin traitant et du psychiatre. Devant un trouble del’humeur, certains signes doivent faire évoquer une bipolarité(3) :l’existence de trois épisodes dépressifs récurrents ou plus ; un épisoded’hypomanie, même bref (y compris déclenché par un antidépres-seur) ; des antécédents familiaux de troubles bipolaires ou de suicide ;des antécédents personnels de tentative de suicide ; le début d’un épi-sode aigu durant le post-partum ; le début des épisodes dépressifs ré-currents avant 25 ans ; une réponse atypique à un traitementantidépresseur. Devant de tels signes, un avis spécialisé psychiatriqueest recommandé.

C’est le psychiatre qui coordonne le bilan initial permettant d’affirmer le diagnostic, de caractériser le trouble, d’éliminer un

pratiques

Quelle prise en charge pluridisciplinaire ?Pr Pierre-Michel Llorca ([email protected]), Dr Aurore Nourry, Dr Ludovic Samalin, service de psychiatrie, CHU Clermont-Ferrand

Une pluridisciplinarité nécessaire à tous les temps de lʼévolution

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536 TOME 133 [ N°7 ] SEPTEMBRE 2011

LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

ment du médecin traitant (ou du psychiatre traitant) suffit en pre-mière intention.

Une réévaluation a lieu au bout de soixante-douze heures. Unprotocole de soins ambulatoires sans consentement peut être mis enplace. Pour cela, il faut un certificat médical du psychiatre hospitalier(différent de celui qui a prononcé l’admission).

• Mesure de protectionLa loi du 5 mars 2007 réformant la protection juridique des ma-

jeurs entrée en vigueur le 1er janvier 2009 a modifié les modalités demise en œuvre des mesures de protection de type sauvegarde de jus-tice, curatelle ou tutelle qui peuvent s’avérer nécessaires.

Auparavant, un certificat du médecin traitant était nécessaire. Au-jourd’hui, les mesures de protection ne peuvent être demandées aujuge que par les personnes suivantes : la personne à protéger elle-même ; son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un Pacs (saufen cas de rupture de la vie commune) ou un membre de sa famille;d’autres proches entretenant des relations étroites et stables avecelle ; la personne qui exerce à son égard une mesure de protection ju-ridique ; le procureur de la République, qui formule cette demandesoit d’office, soit à la demande d’un tiers (par exemple : médecin, di-recteur d’établissement de santé, travailleur social).

Dans ce cas, les différents intervenants qui participent à la prise encharge peuvent faire la demande de la mesure de protection. Ceci jus-tifie une coordination pour la proposer. Une fois de plus, l’interactionentre médecin traitant, qui connaît le contexte familial, et psychiatreest essentielle.

La demande doit également comporter un certificat médical rédigépar un médecin inscrit sur une liste établie par le procureur de la

diagnostic différentiel ou l’existence de comorbidités somatiques oupsychiatriques.

À la phase initiale de soinsÀ l’issue du bilan, il faut déterminer l’urgence pour prendre des me-

sures immédiates pour protéger le patient du point de vue de sa santémais aussi du point de vue social. Ces mesures comprennent l’hos-pitalisation et la mise en place d’une mesure de protection.

• HospitalisationL’hospitalisation, sans consentement si nécessaire, fait partie de ces

mesures permettant la mise en œuvre de soins intensifs, et la pro-tection du patient et de son entourage. Elle peut être décidée par lemédecin traitant en cas d’urgence. Autant que possible, une décisioncoordonnée entre médecin traitant (qui connaît le contexte, notam-ment social et familial, et peut apprécier les conséquences) et psy-chiatre est souhaitable.

Les critères principaux d’hospitalisation sont : l’existence d’unrisque suicidaire élevé ; les troubles du comportement majeurs, asso-ciés à des risques pour le patient et pour l’entourage et les soignants ;une situation d’isolement ou un soutien socio-familial inadapté.

Des soins sans consentement peuvent être mis en place, en parti-culier lors des périodes aiguës lorsque la conscience du trouble est al-térée. La loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 prévoit différentes mesuresde soins sans consentement (ambulatoires ou hospitaliers), sous lecontrôle du juge des libertés. L’admission dans ce type de dispositifnécessite entre autres deux certificats médicaux, dont l’un peut êtrefait par le médecin traitant et l’autre par un psychiatre. En cas de me-sure dite de péril imminent (L 3212-1), le seul certificat éventuelle-

Les études publiées de suivi au-delà de cinqans sont rares. Elles sont pourtant le seul

outil dʼévaluation du devenir des patients bi-polaires sur le long terme.La cohorte de Zurich (Angst, et al. cité in(1)) re-groupe 400 patients suivis pendant quaranteans : 16 % ont évolué vers une guérison, défi-nie comme lʼabsence de rechute depuis plusde cinq ans ; 52 % souffrent toujours dʼépi-sodes récurrents entrecoupés de phases derémission ; 16 % demeurent symptomatiquesde manière subcontinue ; enfin 7,8 % sontmorts par suicide.Ces résultats sont corroborés par lʼétude da-noise de Licht et al.(2) qui comporte 91 pa-tients bipolaires traités par lithium et suivispendant quinze ans : 21 % nʼont pas été ré-hospitalisés ; 50 % ont des rechutes avec hos-pitalisations ; 40 % des patients ont reçu, pen-

dant des périodes variables, en complémentdu lithium, dʼautres traitements médicamen-teux ; enfin, 29 % des patients sont décédés(dont 6,6 % par suicide), ce qui constitue unesurmortalité estimée à 2,3 par rapport à la po-pulation générale. Les causes de décès lesplus fréquentes des patients bipolaires sont lesuicide, puis les pathologies cardiovasculaireset les accidents(1).Le pronostic fonctionnel et la qualité de viepeuvent être affectés par lʼapparition dʼunsyndrome subdépressif chronique qui appa-raît chez un patient sur deux(3). Parmi les fac-teurs prédictifs dʼun mauvais pronostic, on re-lève : lʼâge de début précoce, les abus desubstances, la mauvaise observance théra-peutique, lʼabsence de rémission complète etlʼexistence dʼépisodes mixtes (associant si-multanément des symptômes maniaques et

dépressifs)[1,3]. Par ailleurs, des symptômespsychotiques non congruents à lʼhumeur, unesymptomatologie intercritique et des cyclesrapides seraient des facteurs prédictifs dʼunemauvaise réponse au lithium(4).En revanche, la participation aux groupes depsychoéducation permettrait dʼobtenir despériodes de rémission plus longues, unemoindre récurrence des épisodes qui devien-nent plus courts, tout comme les séjours enhospitalisation(5). 416000 ■

1. Goodwin FK, Jamison KR. Manic-Depressive illness : bipolardisorders and recurrent depression 2nd edition. Oxford UniversityPress, 2007.

2. Licht RW, et al. Bipolar Disord, 2008;10:79-86.

3. Gonzalez-Pinto A, et al. J Clin Psychiatry 2010 Sep 7.

4. Pfennig A, et al. Bipolar Disord 2010;12:390-6.

5. Colom F, et al. Br J Psychiatry, 2009;194:260-5.

Devenir à long terme des patients bipolairesDr Marc Masson ([email protected]), psychiatre, clinique du Château, Garches

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LE CONCOURS MÉDICAL

République, qui établit l’altération des facultés de la personne etdonne tout élément sur son évolution prévisible.

Le médecin traitant, le psychiatre, mais aussi les travailleurs sociaux,ont également un rôle d’information et de conseil vis-à-vis de ce typede disposition légale.

Organisation de la stratégie thérapeutique• Rôle des intervenants

Après l’évaluation, la stratégie thérapeutique est mise en place defaçon pluridisciplinaire : le psychiatre fait le choix du traitementmédicamenteux le plus approprié en fonction du tableau cliniquemais aussi de l’histoire pathologique du patient(4) ; le médecin trai-tant mais aussi les infirmier(e)s participent à la bonne adhésion chezdes patients ayant parfois une conscience du trouble altérée ; les dif-férents spécialistes (cardiologue, néphrologue, endocrinologue) per-mettent l’ajustement optimal et la meilleure tolérance du traitement ;les travailleurs sociaux fournissent les éléments permettant de dimi-nuer les conséquences sociales du trouble.

Un travail de liaison est nécessaire entre les différents intervenantsmédicaux, la médecine du travail (relais indispensable pour l’éva-luation de la capacité de travail et les possibilités de réinsertion)mais aussi les services sociaux, médicosociaux, éducatifs et juridiques(notamment juge des tutelles). Tout cela s’effectue dans les limites dusecret professionnel.

Lors de la phase aiguë, on peut mettre en place une prise en chargepsychothérapeutique, cela reste toutefois controversé. Dans ce cas, l’in-tervention d’un psychologue spécifiquement formé peut être justifiée.

• Notion de plan de soinsÀ la fin de la phase aiguë, un plan de soins visant à diminuer le risque

de rechute doit être élaboré par le psychiatre avec le patient. Il est com-muniqué aux professionnels impliqués (particulièrement médecintraitant et infirmiers assurant d’éventuels soins ambulatoires).

Ce plan se basera sur le déroulement de l’épisodeactuel en termes de facteurs de déclenchement, demanifestations cliniques et de réponse au traite-ment. Il vise à permettre au patient (et à son en-tourage) mais aussi aux différents intervenants dedétecter et prendre en charge précocement de façonefficiente et adaptée une rechute thymique.

Ce type de protocole de soins ne se substitue pasà une consultation en urgence, mais permet de l’anticiper. Il estfondé, une fois de plus, sur la collaboration entre professionnels.

L’information sur la maladie et le plan de soins est indispensable.Elle s’effectue par le psychiatre, le médecin traitant et le personnel soi-gnant. Elle peut se baser sur l’utilisation de supports écrits.

Prise en charge à long termeÀ long terme, le traitement vise à prévenir les rechutes, diminuer

l’amplitude des fluctuations de l’humeur, préserver les capacitésd’adaptation du patient, maintenir le niveau de fonctionnement so-cial et professionnel, identifier les comorbidités pour les prendre encharge.

Les stratégies à mettre en œuvre doivent être définies dans le plande soins.

La prévention des rechutes

Elle se fonde sur deux points majeurs : l’identification des situationsà risque et la détection précoce des prodromes de la rechute.

• Situation à risqueTous les événements vitaux (changement de vie professionnelle ou

personnelle, maladie…) peuvent favoriser la survenue d’un épisodethymique. Toutefois, chaque sujet est sensible de façon plus spécifiqueà une situation donnée. Il faut donc identifier dans l’histoire du pa-tient les facteurs ayant déclenché des épisodes antérieurs et être vigi-

lant, avec le patient, lors de la reproduction d’une situationidentique.

Il faut noter qu’il existe un véritable phénomène desensibilisation : au cours de l’évolution du trouble, une si-tuation d’intensité de plus en plus faible peut être associéeà une éventuelle rechute. Il ne faut donc jamais négliger descirconstances de la vie pouvant paraître relativement ano-dines (par exemple, la perte d’un animal familier).

Cette approche doit être mise en œuvre par le psychiatre mais com-muniquée au médecin traitant qui peut être amené à identifier la sur-venue d’événements familiaux.

Certains médicaments d’usage courant possèdent une action thy-mique (bêtabloquants, corticoïdes, antihypertenseurs centraux…).Leur emploi n’est pas contre-indiqué, mais ils doivent faire l’objetd’une surveillance renforcée sur le plan thymique. Le médecin trai-tant joue dans ce cas un rôle de coordination indispensable.

• ProdromesLes prodromes sont souvent peu spécifiques (troubles du som-

meil, irritabilité, hyperactivité…), mais le plus souvent caractéris-tiques de chaque individu : les épisodes commencent souvent defaçon identique.

pratiques

Le plan de soins vise à diminuer le nombre de rechutes

La loi du 5 juillet 2011 prévoit différentes mesures de soins sans consentement, hospitaliers ou ambulatoires, sous le contrôle du juge des Libertés. Un protocole de soins ambulatoires sans consentement peut être misen place, après soixante-douze heures dʼhospitalisation.

DR

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolaires

Elle permet au patient de connaître la maladie et les différents trai-tements (médicamenteux et non médicamenteux) ; de mettre en œu-vre des modifications de son mode de vie définies en fonction dessituations à risque évoquées précédemment ; de prendre en comptel’équilibre diététique et la mise en œuvre de programmes d’activitésphysiques. Cette approche participe à l’éducation à la santé du patient.

Nécessaire pluridisciplinaritéLa nécessité d’une prise en charge pluridisciplinaire dans le

trouble bipolaire est une évidence, compte tenu de la complexitéet des modalités évolutives de ce trouble. Toutefois, sa chronicitémême génère des difficultés pour maintenir dans le temps le niveaude collaboration entre professionnels. La notion de plan de soinsstructuré formalisé est un outil majeur, qui reste sous-employé enFrance. Son développement est un enjeu réel pour améliorer glo-balement le niveau de prise en charge des patients souffrant detroubles bipolaires.

Par ailleurs, les modifications très récentes de la loi qui permettentla mise en œuvre de soins ambulatoires sans consentement en fontpeut-être un outil supplémentaire qui aidera à améliorer l’appréhen-sion des phases aiguës qui émaillent l’évolution du trouble. 415999 ■

P.M. Llorca est consultant, orateur pour les laboratoires Astra-Zeneca, Lilly, Servier, Sanofi,Lundbeck.L. Samalin est consultant, orateur pour les laboratoires AstraZeneca, Lilly, Lundbeck.A. Nourry ne déclare aucun conflit d’intérêt.

1. Judd LL, Akiskal HS, Schettler PJ, et al. The long-term natural history of the weekly symptomatic statusof bipolar I disorder. Arch Gen Psychiatry. 2002;59:530-7.

2. OMS, Global Burden of Disease, 2004. p. 35, 37, 63.

3. Haute Autorité de santé. Guide médecin - affection de longue durée. Troubles bipolaires. Mai 2009.

4. Llorca PM, Courtet P, Martin P, et al. Recommandations formalisées d’experts concernant la prise encharge des troubles bipolaires: Résultats. Encéphale. 2010;36 Suppl 4:S86-102.

Ces caractéristiques doivent faire partie des éléments de surveillancetout au long du suivi pour tous les intervenants au contact régulieravec le patient (médecin traitant, psychiatre, infirmière). C’est un deséléments essentiels de l’information partagée entre professionnels.

Suivi pluridisciplinaire

La prise en charge globale et le suivi des thérapeutiques à long termejustifient un recours régulier au psychiatre. Pour la surveillance des thé-rapeutiques médicamenteuses, celui-ci doit prescrire un bilan biolo-gique à intervalles fixes, variable en fonction de leur profil de tolérance.

Compte tenu des objectifs qui sont médicaux mais aussi sociaux,les différents professionnels sont amenés à intervenir tout au long dusuivi, lors de la survenue de phases aiguës.

Le médecin traitant participe à la surveillance clinique, mais aussià l’amélioration de l’observance, au dépistage et à la surveillance desdifférentes comorbidités. Il peut participer au soutien psychothéra-pique ; dans certains cas, ce travail est mis en œuvre avec un psy-chologue qui peut développer des techniques spécifiques adaptées àl’objectif individuel.

Les travailleurs sociaux peuvent identifier les répercussions socialesdu trouble et les modalités de gestion de ses conséquences.

Tous les professionnels doivent favoriser un contact régulier avecl’entourage pour éviter les risques d’isolement et de désocialisation.

Sur le long terme, la coordination doit être assurée par le psychia-tre qui met en œuvre la stratégie thérapeutique.

Éducation thérapeutique du patient (ETP)

Elle vise à permettre l’acquisition de connaissances sur la maladiepar le patient. Le but est notamment de prévenir les rechutes. Dansle cadre des troubles bipolaires, l’ETP est complémentaire de la priseen charge médicale. Elle est mise en œuvre par une équipe pluri-pro-fessionnelle qui nécessite des intervenants formés.

Àla suite dʼune audition publique, organiséele 10 décembre 2010 par la HAS, un rapport

dʼorientation identifie les facteurs de risque deviolence et les signes dʼalerte dʼun passage à lʼacteviolent chez les personnes souffrant de troublesmentaux graves (schizophrénie ou troubles delʼhumeur) et donne 84 recommandations.Le plus souvent, la violence des personnes souf-frant de troubles mentaux est dirigée contre lesproches ou les membres de la famille. Selon lesétudes, les personnes souffrant de troubles men-taux graves ne sont que rarement auteurs dʼactesde violence grave (environ un homicide survingt) ; toutefois, leur risque de violence estdeux fois supérieur à celui des personnes sanstrouble mental, et jusquʼà quatre à sept fois su-périeur en cas dʼexistence concomitante dʼuneconsommation dʼalcool ou dʼautres substances

psycho-actives ou dʼun trouble de la personna-lité antisocial. À lʼinverse, notionméconnue, ces patients sont septà dix-sept fois plus souvent vic-times de violence (verbale ou phy-sique) que les personnes sanstrouble mental. Les facteurs de risque à rechercherpour permettre un suivi renforcésont : les antécédents de violencecommise ou subie, notammentdans lʼenfance ; la précarisation, lesdifficultés dʼinsertion sociale, lʼisolement ; lʼabusou la dépendance à lʼalcool ou à dʼautres subs-tances psycho-actives ; un trouble de la per-sonnalité de type antisocial ; lʼâge (inférieur à40 ans) ; une rupture des soins ou un défautdʼadhésion au traitement.

Au-delà des facteurs de risque, des signes dʼalertepeuvent faire craindre la survenueprochaine dʼactes violents, qui sont,en cas de troubles de lʼhumeur :lʼimportance de la douleur morale ;des idées de ruine, dʼindignité oudʼincurabilité, notamment quandelles sʼélargissent aux proches ; unsentiment dʼinjustice ou de blessurenarcissique. Ces signes doiventconduire à renforcer le suivi ou àproposer une hospitalisation.

Enfin, précarité, incarcération ou hospitalisationnécessitent une vigilance accrue. 416001 Ch.M.

Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez les personnes ayantdes troubles schizophréniques ou des troubles de l’humeur.www.has-sante.fr

Repérer les signes dʼalerte pour prévenir les actes de violence

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LE CONCOURS MÉDICAL

Deux écueils diagnostiques, plus souvent par excès que par défaut, des conduites addictives, des troubles anxieux et de la personnalité, et des affections somatiques associésaux troubles de lʼhumeur sont à éviter pour une adaptationindividuelle optimale de la thérapeutique et uneamélioration substantielle du pronostic.

Les comorbidités dans les troubles de l’humeur sont davantage larègle que l’exception, en particulier en ce qui concerne le trou-ble bipolaire. On estime que 65 % des patients souffrant de trou-

bles bipolaires ont des troubles psychiatriques ou somatiques asso-ciés, qui sont malheureusement sous-diagnostiqués. Cette difficultéà caractériser les troubles bipolaires dans leur complexité renvoie àla variabilité et la limite des cadres nosographiques utilisés pour dé-crire des troubles dont la physiopathologie reste largement mécon-nue et dans lesquels les symptômes sont pour une part importantesubjectifs. L’excès inverse consistant à « surdiagnostiquer » les co-morbidités conduit à fragmenter les troubles psychiques en des en-tités composites « vertigineuses », dont la prise en charge s’avère sou-vent autant incohérente qu’inefficace. Reconnaître et traiter les co-morbidités est un enjeu majeur, permettant une adaptation indivi-duelle optimale de la thérapeutique et une amélioration substantielledu pronostic des patients.

Conduites addictivesLes conduites addictives, et principalement l’alcoolisme, sont fré-

quemment associées aux troubles bipolaires, cette association re-flétant une causalité et une aggravation réciproques. Elles doiventêtre caractérisées précisément : simple abus ou réelle dépendancevis-à-vis de la substance, début de l’ad-diction par rapport au début des trou-bles de l’humeur, aggravation destroubles de l’humeur par la consomma-tion de substances ou majoration de laconsommation de substances lors desépisodes psychiatriques aigus. Laconsommation de substances (notamment l’alcool et la cocaïne)accompagne le plus souvent les épisodes maniaques, et peut alorsaccroître la sensation de bien-être, d’exaltation, d’euphorie. Lessubstances peuvent aussi parfois être utilisées comme une auto-médication destinée à atténuer la dysphorie, voire les symptômesdépressifs. La consommation de substances est un facteur favori-sant de la genèse et de l’aggravation des troubles, à l’origine d’uneaugmentation de la fréquence des épisodes psychotiques, des étatsmixtes, des cycles rapides, des conduites suicidaires. La consom-mation même modérée de substances, et notamment d’alcool et decannabis, apparaît être un facteur d’aggravation de la maladiechez les patients bipolaires.

Troubles anxieux

La comorbidité des troubles bipolaires avec les troubles anxieux estégalement très fréquente et conduit à une aggravation réciproque desdeux troubles. Elle est associée à une augmentation des conduites sui-cidaires et de la consommation de substances, à une diminution de laréponse aux traitements, à une dégradation du pronostic fonctionnelet de la qualité de vie. Son évaluation est rendue difficile par le fait queles symptômes anxieux sont communs aux troubles anxieux et auxtroubles de l’humeur, interrogeant une nouvelle fois les limites noso-logiques entre les deux troubles. Parmi les troubles anxieux fréquents,il convient de rechercher l’anxiété généralisée, le trouble de panique,le trouble obsessionnel compulsif et l’anxiété sociale. La variation decette dernière semble être étroitement corrélée aux variations d’hu-meur, s’aggravant lors des phases dépressives et disparaissant parfoiscomplètement lors des phases maniaques ou hypomaniaques.

Les affections organiques associées aux troubles de lʼhumeur sont nombreuses

Leur physiopathologie implique divers facteurs neurobiologiqueset génétiques et ne peut donc être réduite à l’effet des traitementspharmacologiques, néanmoins indéniable pour certaines molécules.

Les pathologies cardiovasculaires, favorisées par le syndrome mé-tabolique (obésité, dysrégulation du métabolisme glucidique, hyper-tension artérielle, dyslipidémie), par l’augmentation de l’agrégabilitéplaquettaire, par une inflammation systémique chronique et par le ta-bagisme souvent associé doivent être recherchées et traitées.

Les affections endocriniennes, telles le diabète et les dysthyroïdies,sont également fréquemment associées. Les hypo- ou hyperthyroïdiess’accompagnent souvent de troubles psychiatriques, et notamment de

troubles thymiques. À l’inverse, les trou-bles thymiques sont souvent associés àdes dysthyroïdies, soulignant que la stabi-lité émotionnelle dépend du fonctionne-ment de l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien.

Les troubles du comportement ali-mentaires de type anorexie et surtout boulimie (binge eating disorders)et les désordres cognitivo-comportementaux regroupés au sein de l’en-tité « hyperactivité et déficit attentionnel » semblent être surreprésentésdans les formes précoces de bipolarité.

Enfin, l’existence d’un trouble de l’humeur, surtout lorsqu’il s’accom-pagne de troubles cognitifs marqués et de troubles de conscience, doitfaire rechercher une affection neurologique, et notamment une maladieneurodégénérative, a fortiori chez le sujet âgé. À noter qu’un nombre im-portant de patients bipolaires ont en vieillissant des désordres cognitifs,indépendamment de maladies neurologiques caractérisées. 416002 ■

L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts.

pratiques

Comorbidités : lesquelles rechercher ? Antoine Del Cul ([email protected]), Clinique médicale du Château, Garches

Plus de deux tiers des patientsont des troubles psychiatriquesou somatiques associés

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LE CONCOURS MÉDICAL DOSSIER Troubles bipolairesD

R

Même si les neurosciences permettentde mieux comprendre le trouble bi-polaire, à la complexité nosologique

et sémiologique de ce trouble répond lacomplexité de sa prise en charge. Pour lePr Philippe Courtet, les avancées sont assu-jetties non seulement au développementde la recherche mais aussi à l̓ information ausens large, afin de limiter le handicap des pa-tients bipolaires et leur stigmatisation.

« La tyrannie des émotions »« Les études de neuropsychologie et dʼima-gerie cérébrale menées chez des patientsbipolaires ont mis en évidence un dys-fonctionnement de certaines zones du cor-tex préfrontal impliquées dans la régulationdes émotions. Le clinicien comprend ainsipourquoi ces patients sont plus sensibles àla génération dʼémotions face à des évé-nements de vie anodins et ont plus de diffi-cultés à réguler celles-ci ; et aussi pourquoi,en dehors des phases majeures de dépres-sion ou dʼépisode maniaque, les patientsbipolaires restent relativement instables,avec des symptômes résiduels », expliquele Pr Courtet, puis il ajoute : « Sur le plan dela génétique moléculaire, une commu-nauté de gènes avec la schizophrénie a étéidentifiée. Ces données, qui peuvent expli-quer les formes cliniques de chevauche-ment entre ces deux psychoses, auront uneinfluence dans la reconceptualisation duDSM V ».

Stratégie thérapeutique : en manque de consensusConcernant les avancées récentes dans laprise en charge du trouble bipolaire, lePr Courtet précise : « Lʼarsenal thérapeu-tique sʼenrichit régulièrement de nouveauxmédicaments indiqués dans les différentesphases de la maladie, avec des moléculesefficaces sur le pôle dépressif, comme la la-motrigine, anticonvulsivant déjà commer-cialisé ou la quétiapine, antipsychotiqueprochainement disponible », et il ajoute :« Cependant, nous restons dans lʼinconnu

pour traiter les patients, car la multiplicationdes molécules complexifie les schémasthérapeutiques, lesquels sont actuellementfondés sur une polythérapie associant pro-gressivement plusieurs régulateurs de lʼhu-meur, sans que des données scientifiquesprécises nous guident dans ces combinai-sons thérapeutiques ». Puis il signale à cesujet la publication récente dans LʼEncé-phale (vol. 36, 2011) de recommandationspour la prise en charge du trouble bipolairesous lʼégide de lʼAssociation française depsychiatrie biologique et de neuropsycho-pharmacologie. Autre question faisant lʼobjet de débats, laplace des antidépresseurs. Lʼanalyse de lalittérature scientifique, surtout constituéede revues de la littérature et dʼarticles dʼopi-nion, dispense ici des messages contradic-toires, ces médicament étant selon certainsauteurs « efficaces sur la dépression bipo-laire mais susceptibles dʼinduire des cyclesrapides ou un virage de lʼhumeur », et plusrécemment, selon dʼautres publications,« dénués dʼeffets délétères mais sans effetsur le pôle dépressif ». Pour le Pr Courtet,« cette littérature contradictoire reflète pro-bablement l̓ hétérogénéité du trouble bipo-laire expliquant la variabilité interindividuellede la réponse aux antidépresseurs. Cepen-dant, tous sʼaccordent pour ne jamais utiliserun antidépresseur en monothérapie, cetteprescription devant être systématiquementprécédée par celle dʼun thymorégulateur ».

Évaluation clinique : complexe mais possible en un jourSur le plan de lʼorganisation des soins, « enFrance, des évolutions notables dans le do-maine de la psychiatrie se mettent en place,avec différents types dʼinitiatives, commecelle du Réseau Santé mentale Yvelines-Sud décrite dans ce dossier, et, au niveaunational, celle du réseau de centres expertstroubles bipolaires de la Fondation Fonda-Mental, déclare le Pr Courtet. Ces centres, enproposant une évaluation clinique com-plète standardisée (psychiatrique, soma-

tique, psychologique et cognitive), sur unejournée dʼhospitalisation devraient répon-dre aux attentes des patients et des méde-cins en simplifiant la prise en charge dutrouble bipolaire. Car les difficultés com-mencent dès le diagnostic, porté encoreaujourdʼhui en France avec plusieurs an-nées de retard, délai pendant lequel le pa-tient ne bénéficie pas du traitement adapté.Ajouté à cela, le caractère constamment co-morbide de cette psychose (autre troublepsychiatrique, comorbidité suicidaire trèsmarquée, morbimortalié cardio-métabo-lique) qui rend lʼévaluation clinique trèscompliquée. Deux autres intérêts de ces centres : latransmission dʼun compte rendu détailléau médecin adresseur, généraliste ou psy-chiatre, premier pas vers une organisationplus fluide des soins ; lʼintégration de la re-cherche aux soins, ces centres expertsconstituant notamment lʼinfrastructuredʼune étude de cohorte française qui seradédiée aux patients bipolaires ».Le Pr Courtet revient ensuite sur le rôle dugénéraliste : « Si le suivi des patients bipo-laires par un psychiatre est une nécessité,le généraliste joue un rôle essentiel car ilest en première ligne pour évoquer lediagnostic, contribuer ensuite à la psycho-éducation, dépister et prévenir le risquesuicidaire auquel il doit être formé, assurerle suivi sur le plan cardio-métabolique, etgérer lʼentourage des patients ». Pour conclure, le Pr Courtet évoque la pro-blématique, non résolue, du handicap despatients, de leur stigmatisation, de lʼaltéra-tion de leur qualité de vie. « Cʼest en com-muniquant sur les avancées de la scienceque lʼon œuvrera pour améliorer la qualitéde vie des patients », affirme-t-il, en nour-rissant lʼespoir que le prochain Plan psy-chiatrie et santé mentale aille dans ce sens,comme ses premiers axes de travail le lais-sent présager. 416003 ■

Propos recueillis par Brigitte Némirovsky

Le Pr Philippe Courtet déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts avec les données de cet article.

Faire face à la complexité !Pr Philippe Courtet ([email protected]), CHRU de Montpellier

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