4_neoplasie_solide

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Evidence Based Medicine Recommandations officielles Avis des experts Décembre 2008 Prise en charge pratique des patients sous abatacept 1 Le risque d’induction de pathologies néoplasiques est toujours évoqué lors de l’apparition d’un nouvel immunomodulateur , notamment pour un produit qui influe sur le lymphocyte T qui constitue une cellule essentielle dans les défenses antitumorales. Ce risque a donc été par ticulièrement regardé dans le développement de l’abatacept, ce d’autant que, dans les études précliniques de carcinogénicité, une augmentation de l’incidence des lymphomes et des tumeurs mammaires avait été mise en évidence dans un modèle murin,en liaison avec la perte de contrôle de la prolifération de virus associés au développement de ces pathologies malignes. Enfin, l’attention avait été attirée, durant les essais cliniques de phase III, sur l’obser vation de néoplasies pulmonaires observées sous abatacept, qui n’avaient pas été constatées dans le bras placebo. Lors de la phase de développement d’une molécule, l’évaluation du risque est cependant toujours li mitée, car le nombre de patients i nclus dans un essai cli nique ne permet pas d’appr écier l’i ncidence d’évènements r ar es. Une bonne appr oche consiste à pooler l’ensemble des essais cli niques pour augmenter les effectifs. Une telle méta-analyse, il faut le r appeler , avait permis de mettre en évidence une augmentation du risque de malignité pour les anticorps anti-TNF. Durant les études cliniques, qui représentent 1688 patients-années d’observation, la f r équence des cancers a été si milai r e chez les patients sous abatacept et chez ceux ayant r eçu le placebo ( r espectivement 1,4% et 1,1%). Cependant, 4 cas (0,2%) de cancer du poumon ont été observés chez les patients t r aités par abatacept, tandis qu’aucun cas n’a été r et r ouvé sous placebo. D’aut r es cancers ont été observés : cancer de la peau, cancer du sei n, cancer de la vessie, cancer de l’ovai r e, cancer de la pr ostate, cancer de la thy r oïde et ly mphomes, sans différ ence appar ente avec le gr oupe placebo (tableau 1). L’avantage des essais cliniques est de fournir naturellement un groupe de comparaison idéal, obtenu par tirage au sor t. Cependant, la période d’essai en double-aveugle est toujours relativement courte, et ne permet pas d’apprécier des évènements susceptibles de survenir après une période d’administration prolongée. Les périodes d’extension des essais cliniques en ouvert, permettent de collecter un plus grand nombre d’évènements sur une période d’exposition plus longue, mais on perd le bénéfice du groupe de compa- raison. Deux solutions peuvent être adoptées. On peut comparer l’incidence des patho- logies malignes observées dans l’ensemble du programme de développement du produit à l’incidence attendue dans la population nérale, mais on n’inclut pas la part de risque liée à la maladie (rappelons que le risque de lymphome est deux à cinq fois supérieur dans la PR à ce qu’il est dans la population nérale). On peut également comparer l’incidence des pathologies malignes obser vées sous abatacept à l’incidence de ces pathologies dans plusieurs cohortes historiques de PR, cohortes constituées avant l’ère des biothérapies. Les données de la littératur e Que fair e en cas d’antécédent ou d’apparition de néoplasies solides et hématologiques ?

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Les données de la littérature Recommandations officielles Avis des experts Prise en charge pratique des patients sous abatacept Evidence Based Medicine Décembre 2008 1 Prise en charge pratique des patients sous abatacept Décembre 2008 2

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Evidence Based Medicine Recommandations officielles Avis des experts

Décembre 2008

Prise en charge pratique des patients sous abatacept 1

● Le risque d’induction de pathologies néoplasiques est toujours évoqué lors del’apparition d’un nouvel immunomodulateur, notamment pour un produit qui influe sur lelymphocyte T qui constitue une cellule essentielle dans les défenses antitumorales. Cerisque a donc été particulièrement regardé dans le développement de l’abatacept, ced’autant que, dans les études précliniques de carcinogénicité, une augmentation del’incidence des lymphomes et des tumeurs mammaires avait été mise en évidence dansun modèle murin, en liaison avec la perte de contrôle de la prolifération de virus associésau développement de ces pathologies malignes. Enfin, l’attention avait été attirée,durant les essais cliniques de phase III, sur l’observation de néoplasies pulmonairesobservées sous abatacept, qui n’avaient pas été constatées dans le bras placebo.

● Lors de la phase de développement d’une molécule, l’évaluation du risque est cependanttoujours limitée, car le nombre de patients inclus dans un essai clinique ne permet pasd’apprécier l’incidence d’évènements rares. Une bonne approche consiste à pooler l’ensembledes essais cliniques pour augmenter les effectifs. Une telle méta-analyse, il faut le rappeler,avait permis de mettre en évidence une augmentation du risque de malignité pour lesanticorps anti-TNF. Durant les études cliniques, qui représentent 1688 patients-annéesd’observation, la fréquence des cancers a été similaire chez les patients sous abatacept etchez ceux ayant reçu le placebo (respectivement 1,4% et 1,1%). Cependant, 4 cas (0,2%) decancer du poumon ont été observés chez les patients traités par abatacept, tandis qu’aucuncas n’a été retrouvé sous placebo. D’autres cancers ont été observés : cancer de la peau,cancer du sein, cancer de la vessie, cancer de l’ovaire, cancer de la prostate, cancer de lathyroïde et lymphomes, sans différence apparente avec le groupe placebo (tableau 1).

● L’avantage des essais cliniques est de fournir naturellement un groupe de comparaisonidéal, obtenu par tirage au sort. Cependant, la période d’essai en double-aveugle esttoujours relativement courte, et ne permet pas d’apprécier des évènements susceptiblesde survenir après une période d’administration prolongée. Les périodes d’extension desessais cliniques en ouvert, permettent de collecter un plus grand nombre d’évènementssur une période d’exposition plus longue, mais on perd le bénéfice du groupe de compa-raison. Deux solutions peuvent être adoptées. On peut comparer l’incidence des patho-logies malignes observées dans l’ensemble du programme de développement du produità l’incidence attendue dans la population générale, mais on n’inclut pas la part de risqueliée à la maladie (rappelons que le risque de lymphome est deux à cinq fois supérieurdans la PR à ce qu’il est dans la population générale). On peut également comparerl’incidence des pathologies malignes observées sous abatacept à l’incidence de cespathologies dans plusieurs cohortes historiques de PR, cohortes constituées avant l’èredes biothérapies.

Les données de la littérature

Que faire en cas d’antécédent ou d’apparition denéoplasies solides et hématologiques ?

Décembre 2008

Prise en charge pratique des patients sous abatacept 2

● Si l’on compare les taux de néoplasies solides et de lymphomes observés sousabatacept par rapport aux taux attendus dans la population générale, on note l’absenced’augmentation globale du risque néoplasique (SIR = 0,75 ; IC95% [0,5-1,09]), uneaugmentation du risque de cancer du poumon (SIR = 2,25 ; IC95% [1,12-4,03]) et uneaugmentation du risque de lymphome (SIR = 3 ; IC95% [0,81-7,67]). À l’inverse, onconstate une tendance à la réduction du risque de cancer colorectal (SIR = 0 ; IC95% [0-1,04]). Ces constatations sont celles habituellement faites dans une population depatients atteints de PR, indépendamment du traitement, et reflètent vraisemblablementplus les caractéristiques de la pathologie que celles du produit (cf. données récentesEULAR 2008 et ACR 2008).

● La comparaison aux données des grandes cohortes est plus intéressante. Six cohortes ontété utilisées pour servir de groupe de comparaison : la cohorte canadienne « British ColumbiaPopulation-Based RA Cohort », le « Norfolk Arthritis Registry » au Royaume-Uni, la « NationalData Bank for Rheumatic Diseases » aux États-Unis, la « General Practice Research Database »(GPRD) en Grande-Bretagne, et une cohorte suédoise le registre des arthrites récentes(Sweden ERA). L’ensemble de ces cohortes représente plus de 94000 patients soumis à destraitements non biologiques.

● 4134 patients atteints de PR ont été exposés à l’abatacept durant le développementclinique, pour un total d’environ 10000 patients-années d’exposition. Le tableau 3 résumeles ratios d’incidence des principales néoplasies observées. On constate que, pouraucune des néoplasies observées, l’incidence ne dépasse les intervalles de confiance,des incidences attendues d’après les cohortes (figures 1 et 2).

● Ces résultats suggèrent qu’il n’y a pas d’augmentation du risque de néoplasie (notammentlymphome et cancer du poumon) chez les patients traités par abatacept quand on lescompare à une population de polyarthrites rhumatoïdes non soumises à une biothérapie.Ces résultats devront être confirmés par les études observationnelles qui seront conduitesaprès la commercialisation du produit.

● De part l’action modulatrice des lymphocytes T, les anticorps monoclonaux anti-CTLA-4ont été testés dans différentes stratégies anti-tumorales. Chez l’animal, les anticorpsanti-CTLA-4 permettent la régression de tumeurs solides et des lymphomes dans desmodèles murins d’implantation tumorale humaine. Cependant, le CTLA-4 seul estinsuffisant pour faire régresser d’autres tumeurs peu immunogéniques comme lemélanome et les carcinomes mammaires. Chez l’homme, cette stratégie d’immuno-thérapie anti-tumorale a été développée avec 2 anticorps monoclonaux anti-CTLA-4associés à une vaccination peptidique. Il a été observé une réponse objective chez 7 à17% des patients atteints de mélanome, de cancer du rein, de la prostate, de l’ovaire,de sein ou du côlon, le plus souvent métastasé. De plus, il a été démontré que cesanticorps anti-CTLA-4 ne bloquent pas les LT reg qui viennent infiltrer la tumeur et yréduire l’efficacité des LT anti-tumoraux (9-13).

Décembre 2008

Prise en charge pratique des patients sous abatacept 3

1. En cas d’antécédent de cancer ou d’hémopathie maligneIl n’a pas été mené d’études pour évaluer les avantages ou les risques de l’abataceptchez des patients ayant un cancer, un lymphome ou des antécédents récents de tellespathologies. En l’absence de données, il apparaît prudent, comme pour les anti-TNF, dene pas utiliser abatacept chez des sujets ayant un antécédent de lymphome ou decancer de moins de 5 ans (hormis les cancers cutanés basocellulaires et épidermoïdeslocalisés, lorsque l’exérèse est passée en zone saine).

2. En cas d’apparition d’un cancer ou d’une hémopathie maligne sous traitementL’arrêt du traitement sera décidé au cas par cas, en fonction de la nature du cancer (ladécouverte d’un cancer de prostate chez un homme de 75 ans n’a pas la mêmesignification que l’identification d’un lymphome chez un sujet jeune). L’évènement feral’objet d’une déclaration de pharmacovigilance.

● Tableau 1 - Taux de néoplasies observées sous abatacept comparés aux taux retrouvés sous placebo dans les essais cliniques (6)

Tumeursn (%)

abatacept(n=1955)

placebo(n=989)

Bénignes 46 (2,4) 18 (1,8)

Malignes 27 (1,4) 11 (1,1)

• Cutanées non mélaniques 16 (0,8) 6 (0,6)

• Poumon 4 (0,2) 0

• Thyroïde 2 (0,1) 0

• Lymphomes 1 (<0,1) 0

• Sein 1 (<0,1) 2 (0,2)

• Vessie 1 (<0,1) 0

• Prostate 1 (<0,1) 0

• Rein 1 (<0,1) 0

• Endomètre 0 2 (0,2)

• Mélanome 0 1 (0,1)

Tableaux

Que faire en pratique ?

Décembre 2008

Prise en charge pratique des patients sous abatacept 4

● Tableau 2 - Taux de néoplasies observées sous abatacept comparés aux tauxattendus dans la population générale (6)

SIR : standardized incidence ratios

SIR = 1 : le nombre d’évènements observés est le même que le nombre d’évènements attendus

● Tableau 3 - Taux de néoplasies observées sous abatacept (8)

*évènement/100 patients-années ; IR : incidence rate

IR (IC95%) des néoplasies*

Néoplasies

Double-aveugle placeboN=989

Double-aveugle

abataceptN=1955

5 études pivot abataceptN=2689

Cumulatif abataceptN=4150

Patients-années 794 1688 8837 10365

Globales (saufpeau non mélan.)

0,63(0,26-1,50)

0,59(0,32-1,10)

0,74 (0,57-0,94)

0,71(0,55-0,89)

Poumons 00,24

(0,09-0,64)0,18

(0,10-0,29)0,16

(0,10-0,26)

Lymphomes 00,06

(0,01-0,43)0,07

(0,02-0,15)0,07

(0,03-0,14)

Cancers colorectaux

0 00,02

(0,00-0,08)0,02

(0,00-0,07)

Cancer du sein0,25

(0,06-1,01)0,06

(0,01-0,43)0,08

(0,03-0,16)0,09

(0,04-0,16)

Cancers ou lymphomes observés attendus SIR (IC 95%)

Cancers solides 28 37,25 0,75 (0,5-1,09)

• Poumon 11 4,88 2,25 (1,12-4,03)

• Sein 4 9,66 0,41 (0,11-1,10)

• Prostate 3 3,92 0,77 (0,15-2,24)

• Colon /rectum 0 3,54 0 (0-1,04)

Lymphomes 4 1,34 3 (0,81-7,67)

Décembre 2008

Prise en charge pratique des patients sous abatacept 5

● Figure 1 - Incidence de lymphomes observée sous abatacept et comparaison avec l’incidence attendue d’après différentes cohortes (8)

● Figure 2 - Incidence du cancer du poumon observée sous abatacept et comparaison avec l’incidence attendue d’après différentes cohortes (8)

SIR(SIR: standardized incidence ratios)

0,1 101

Observés : 17Intervalle de confianceattendu : 9-26

BC

NDB

GPRD

NOAR

Sweden ERA

Il n’apparaît pas d’augmentation du risque de cancer du poumon avec abatacept en comparaison avec l’incidence observée dans d’autres cohortes de PR soumisesà des traitements non biologiques.

0,65

1,37

1,18

1,84

1,32

SIR(SIR: standardized incidence ratios)

0,1 101

0,60

0,85

1,17

0,95

1,23

Observés : 7Intervalle de confianceattendu : 6-12

BC

NDB

GPRD

NOAR

Sweden ERA

Il n’y a pas d’augmentation du risque de lymphome avec abatacept en comparaisonavec l’incidence observée dans d’autres cohortes de PR soumises à des traitementsnon biologiques.

Décembre 2008

Prise en charge pratique des patients sous abatacept 6

1) Genovese MC, Becker JC, Schiff M et al. Abatacept for rheumatoid arthritis refractory to tumor necrosisfactor alpha inhibition. The New England journal of medicine 2005;353:1114-23.

2) Kremer JM, Dougados M, Emery P et al. Treatment of rheumatoid arthritis with the selective costimulationmodulator abatacept: twelve-month results of a phase IIb, double-blind, randomized, placebo-controlledtrial. Arthritis and rheumatism 2005;52:2263-71.

3) Kremer JM, Genant HK, Moreland LW et al. Effects of abatacept in patients with methotrexate-resistantactive rheumatoid arthritis: a randomized trial. Annals of internal medicine 2006;144:865-76.

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9) Quezada SA, Peggs KS, Curran MA et al. CTLA-4 blockade and GM-CSF combination immunotherapy altersthe intratumor balance of effector and regulatory T cells. J Clin Invest 2006;116:1935-45.

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Références