4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

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De la vente de vin par Internet à la modélisation des rapports de prescription dans la relation d’achat en ligne résumé : L’analyse des sites web des principaux cavistes en ligne et la mobilisation des travaux de Hatchuel sur la prescription permettent de proposer un cadre général pour l’étude de la relation d’achat en ligne autour de sept dimensions. Ce travail conduit ainsi à (ré)introduire le concept de prescripteur en marketing. mots-clefs : prescription, interactivité, internet, achat en ligne, relation client, aide à la décision, vin Thomas STENGER Maître de Conférences en Sciences de Gestion [email protected] Laboratoire CREOP, Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Limoges / Laboratoire CEREGE, Institut d’Administration des Entreprises de Poitiers Equipe CRITIC, Institut National des Télécommunications

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Page 1: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

De la vente de vin par Internet à la modélisation des rapports de

prescription dans la relation d’achat en ligne

résumé : L’analyse des sites web des principaux cavistes en ligne et la mobilisation des

travaux de Hatchuel sur la prescription permettent de proposer un cadre général pour l’étude

de la relation d’achat en ligne autour de sept dimensions. Ce travail conduit ainsi à

(ré)introduire le concept de prescripteur en marketing.

mots-clefs : prescription, interactivité, internet, achat en ligne, relation client, aide à la

décision, vin

Thomas STENGER

Maître de Conférences en Sciences de Gestion [email protected]

Laboratoire CREOP, Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Limoges / Laboratoire

CEREGE, Institut d’Administration des Entreprises de Poitiers

Equipe CRITIC, Institut National des Télécommunications

From wine selling on the Internet to recommendation

relationship in online shopping

abstract : A survey of the main french websites of wine selling on the Internet and the use of

Hatchuel’s works on recommendation relationship drive to submit a framework to study

online shopping around seven dimensions. This research work thus enables to (re)introduce

the concept of prescriber in marketing.

keywords : recommendation, interactivity, Internet, online shopping, customer relationship,

decision aid, wine

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1

INTRODUCTION

Les premiers travaux sur les comportements d’achat sur Internet soulignent les fortes

potentialités d’interactivité (Hoffman et Novak, 1996 ; Hodkinson et Keil, 1996 ; Alba et alii,

1997 ; Ghose et Dou, 1998 ; Hoffman, 2000 ; Haubl et Trifts, 2000), les possibilités d’accès et

de contrôle de l’information par le consommateur (Ariely, 2000 ; Lynch et Ariely, 2000). Ce

sont, en pratique, différentes opportunités d’aide au consommateur qui sont mises en avant,

grâce à des outils d’aide à la décision d’achat en ligne (Hoffman et Novak, idem ; Alba et alii,

idem ; Ghose et Dou, idem ; Haubl et Trifts, idem). Les vertus de ces outils, parfois qualifiés

d’interactifs, renvoient aux possibilités de tri de l’offre proposée, de comparaison de produits,

de recommandation, et plus généralement d’information personnalisée selon le profil des

internautes. Mais quelles informations, quelles aides, quelles recommandations et quelle inter-

activité apportent réellement les sites web marchands aux consommateurs ? C’est en étudiant

les sites de commerce électronique sous l’angle de l’aide à la décision d’achat des

consommateurs que nous proposons des éléments de réponse à ces questions.

L’aide à la décision d’achat en ligne est ici analysée à partir du concept de prescription. La

littérature marketing fait quelquefois référence aux termes de prescripteur et de prescription.

Les travaux, spécialisés en l’occurrence, en comportement du consommateur, indiquent que la

prescription est affaire d’influence et de décision (Cf. par exemple Brée, 1994 ou Ladwein,

2003). Mais à notre connaissance, aucune théorie ou modélisation de la prescription n’ont

encore été proposées en marketing. Benghozi et Paris, dans une étude des relations entre

prescripteurs et consommateurs (dans le contexte de la télévision par câble et par satellite),

notent eux aussi que, paradoxalement, il existe peu de travaux sur l’organisation de la

prescription en marketing (2003).

Page 3: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

2

Dans ce travail de recherche, l’usage du concept de prescription, s’appuie sur les écrits de

Armand Hatchuel, qui est « (sans soute) l’auteur ayant le plus directement identifié le

phénomène et abordé la question » (Benghozi et Paris, idem). Ils considèrent d’ailleurs que

l’approche de Hatchuel est « très voisine de celles que défendent les auteurs qui ont travaillé

sur l’intermédiation électronique1 » (Ibid.). Il ne s’agit pas de résumer ici ce que Hatchuel

finit par appeler en 2003 la « théorie des rapports de prescription » dans un article de

synthèse2 après de nombreux travaux sur le sujet3, mais de présenter certains éléments,

développés à partir de l’étude et pour le contexte de l’échange marchand, que nous avons

retenus pour étudier les relations d’achat en ligne et la stratégie marketing des sites

marchands4.

L’analyse proposée est centrée sur le cas de la vente de vin en ligne. Le vin est,

intrinsèquement, très intéressant sur le plan marketing de par sa force symbolique et ses

multiples facettes (Aron, 1999). Aurier et Ngobo considèrent le vin comme un produit

complexe et impliquant « où la recherche d’information, l’expertise, le risque perçu et l’avis

des leaders d’opinion jouent des rôles importants (ex. experts en dégustation) » (1999). En

conséquence, le consommateur s’entoure de conseils, sollicite différentes sources

d’informations (Lacoeuilhe, 2002). Face à la complexité perçue de l’offre, et le risque perçu

élevé, la confiance vis-à-vis d’indicateurs de qualités ou vis-à-vis de personnes est au cœur de

l’étude des processus d’achat (Sirieix et Morrot, 2001). Le consommateur de vin est plus

exigeant et de plus en plus curieux (Lapassousse-Madrid et Monnoyer-Longé, 2000 ;

Lacoeuilhe, 2002). Plus de temps et d’intérêt sont consacrés à cet achat. Le contexte de

consommation joue également un rôle déterminant (Aurier, 1997). Les travaux sont unanimes

1 Ils citent Gille et Mathonet (1994) à ce sujet. 2 … à la dernière page de son dernier article sur le sujet. 3 Hatchuel, 1994, 1995, 1996, 1997, 2000, 2003. 4 Notons par ailleurs qu’une analyse approfondie de l’interactivité dans la relation d’achat en ligne a été menée à l’aide de la notion de prescription (Stenger, 2004).

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3

sur l’importance de la recherche d’information et le rôle des prescripteurs (même si le terme

n’est pas directement employé) dans l’achat de vin.

En tant que catégorie de produit, la richesse informationnelle, la complexité et la très grande

variété de l’offre font du vin un cas particulièrement intéressant pour le commerce

électronique. Le commerce de vin en ligne s’est d’ailleurs fortement développé, en France en

particulier, à partir de 1997. D’après la dernière étude TNS Sofres qui est la plus importante

réalisée en France sur le commerce électronique5, le vin est devenue la première catégorie de

produits alimentaires vendue en ligne6. Les premières recherches consacrées au commerce du

vin en ligne mettent en avant les opportunités que représente Internet en insistant sur les

potentialités d’interactivité, les possibilités de fournir plus d’informations sur les vins et de

conseiller les acheteurs dans leur processus de décision d’achat en ligne (Lapassousse-Madrid

et Monnoyer-Longé, 2000 ; Lynch et Ariely, 2000 ; Cases et Gallen, 2003). Internet et les

sites d’e-commerce offrent en effet de réelles opportunités pour réduire l’asymétrie

d’information entre acheteur et vendeur, grâce à la possibilité de diffusion de l’information

sur les produits et la mise à disposition d’outils d’aide à la décision d’achat en ligne.

Dans une première partie, nous présentons tout d’abord les fondements théoriques élaborés

par Armand Hatchuel sur les concepts de prescripteur et de prescription dans le contexte de

l’échange marchand. Puis, dans une deuxième partie, l’analyse des sites web leaders dans la

vente de vin par Internet est menée en mettant en évidence la stratégie de prescription des

sites, les possibilités de recherche d’information et d’aide à la décision d’achat en ligne.

Enfin, la troisième et dernière partie propose un certain nombre de prolongements conceptuels

sur les rapports de prescription en ligne à partir de l’étude des sites web des cavistes en ligne.

Ils permettent, d’une part, d’affiner l’analyse de la gestion de la relation client et de la relation

5 Cette étude réalisée en 2003 est effectuée à partir de 10 000 acheteurs en ligne interrogés, 138 sites Internet et 11 secteurs étudiés. 6 Selon cette étude, le vin est acheté par 4 % des internautes.

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4

d’achat en ligne, et d’autre part, de s’engager, de façon plus générale, dans une démarche de

modélisation des rapports de prescription en marketing.

LE RECOURS AU PRESCRIPTEUR ET LES FORMES DE PRESCRIPTION : FONDEMENTS THÉORIQUES

Après avoir exposé le principe de prescripteur et de rapport de prescription dans le cadre de

l’échange marchand dans un premier point, trois formes types de prescription seront

distinguées dans un deuxième paragraphe.

Le prescripteur : à la rescousse de l’échange marchand

L’analyse économique classique, fait l’hypothèse que « l’acheteur dispose d’un savoir qui lui

permet de se représenter au moins trois éléments : la chose ou la prestation acquise, son mode

de jouissance ou d’usage, l’appréciation qu’il porte sur cette jouissance ou cet usage »

(Hatchuel, 1995). Le processus d’achat est donc l’expression d’une délibération de l’acheteur

sur ces trois éléments, explique Hatchuel. Face aux imperfections du savoir de l’acheteur,

deux grands recours sont envisageables pour rendre l’échange possible : la convention de

droit (obligations contractuelles) et l’engagement d’un processus d’acquisition de savoir

(Idem). C’est ce deuxième recours qui est étudié ici. Il s’agit du moment où l’acheteur (…) se

disqualifie lui-même comme acteur de ses propres choix et recourt à un prescripteur (Ibid.).

Le prescripteur est donc un tiers (autre qu’un intermédiaire marchand) dont l’apport est une

condition de fonctionnement de l’échange (Ibid.).

Le principe suivant est posé : « le prescripteur intervient auprès de l’acheteur pour lui

recommander un comportement, une orientation, une analyse à conduire, des questions à

évoquer… » (Ibid.). Cette intervention instaure alors un marché « différent » avec un offreur,

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5

un demandeur (ici, l’acheteur), mais aussi un prescripteur. Des relations autres que

marchandes sont alors créées par ce recours au prescripteur7.

Schéma 1 – Acheteur, offreur et prescripteur : un nouveau marché (adapté de

Hatchuel, 1995)

Offreur

Acheteur Prescripteur

Le prescripteur peut en effet créer ou déformer le marché. Il peut rendre substituables des

biens qui n’étaient pas perçus comme tels, redéfinissant ainsi le marché. Hatchuel prend

d’ailleurs un exemple lié au vin : « vous pouvez servir du vin blanc en apéritif », pour illustrer

cette idée (Ibid.). Le prescripteur peut aussi restreindre, par ses recommandations, l’espace

des choix envisagés. Notons que le prescripteur a besoin des informations des offreurs mais il

doit s’en méfier. Et l’offreur sait qu’il a intérêt à influencer le prescripteur - s’il est

identifiable (exemple : visiteurs médicaux et médecins ; producteurs de vin et dégustateurs).

Mais l’offreur peut contester le prescripteur et souhaiter maintenir une relation directe avec

l’acheteur ou proposer un autre prescripteur. L’offreur peut même être tenté d’aller plus loin

et chercher à s’instituer comme prescripteur. Il cherchera à provoquer l’achat sans

intervention d’un tiers en suscitant un sentiment d’auto-prescription de la part de l’acheteur

(Ibid.). Le cas du commerce de vin en ligne est particulièrement riche sur ce point. Ainsi

certains cavistes en ligne « s’installent » derrière des prescripteurs officiels (tels Robert 7 Cette facette de la théorie des rapports de prescription n’est pas développée ici (Cf. Hatchuel, 1995 à ce sujet ou Stenger, 2004 pour son interprétation et adaptation dans le cadre de la relation d’achat de vin en ligne).

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6

Parker), tandis que d’autres se mettent véritablement en scène, cherchant ainsi à établir une

relation de prescription directe avec l’acheteur et à s’instituer comme prescripteur légitime,

comme nous le verrons plus loin. Cette revendication du statut de prescripteur est d’ailleurs

au cœur de la stratégie commerciale de certains cavistes en ligne.

En poursuivant l’analyse à travers l’examen des savoirs manquants et des incertitudes

rencontrées plusieurs formes types de prescription peuvent être identifiées.

Trois formes de prescription fondamentales

Hatchuel distingue trois formes fondamentales, de complexité croissante qui correspondent à

trois grands types de savoirs (manquants) : la prescription de fait, la prescription technique et

la prescription de jugement, où l’intervention du prescripteur sur l’échange et sur le processus

décisionnel de l’acheteur va crescendo.

La « prescription de fait » apporte une connaissance plus grande de la chose ou de la

prestation acquise. Le prescripteur ne se prononce que sur l’existence d’un état

particulier du monde, la qualification de cet état étant un savoir déjà détenu par

l’acheteur mais qu’il ne peut constater lui-même (Ibid.). Ce savoir peut d’ailleurs être

commun à l’acheteur et au vendeur ; il ne peut être contesté (ni ignoré par le vendeur).

Hatchuel donne comme exemples le poids absolu d’un ballot de soie - l’humidité

retirée - et le titre en or d’un objet d’orfèvrerie.

Lors d’une « prescription technique », l’expert va intervenir dans le processus d’achat

en apportant des notions initialement inconnues de l’acheteur (exemple : désigner des

offreurs alternatifs, indiquer des stratégies d’usage…). Le prescripteur comble ici une

incertitude plus complexe qui va jusqu’à l’ignorance des pratiques possibles

(exemple : l’ingénieur, l’architecte, le médecin). Il doit réduire une incertitude

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7

notionnelle ; il fournit une carte plus riche du territoire à explorer, ou un ensemble

d’itinéraires pour aller vers un point fixé par l’acheteur (Ibid.). Dans ce cas, l’acheteur

n’a plus vraiment le choix, il ne sait plus ce qu’il doit ou peut acheter, sa décision se

fait abstraite (…) : l’acte d’achat se mue en un processus de délégation et de contrôle.

L’acheteur résout la crise de l’échange en passant d’un acte marchand à un acte

d’organisation (Ibid.).

Dans les deux types précédents, l’intervention du prescripteur porte sur la chose à acquérir ou

sur ses logiques d’utilisation. L’acheteur reste encore maître de son appréciation sur ce que

serait la jouissance ou l’utilité qu’il veut en retirer8.

Dans la « prescription de jugement », la chose à acquérir, mais aussi son mode

d’appréciation, sont définis et évalués par le prescripteur. Hatchuel prend l’exemple du

chirurgien – qui ne peut pas consulter son patient pendant l’opération – ou encore

celui des étoiles du guide Michelin. Il cite également : « la plupart des revues de

consommateurs, qui définissent des critères de jugement qui étaient inconnus ou non

formulables pour l’acheteur » (Ibid.). La délégation du processus décisionnel du

décideur vers le prescripteur est très élevée ; le prescripteur apprécie l’offre et indique

de plus comment l’apprécier. Notons que les multiples revues et guides spécialisés sur

le vin (Hachette, Parker, Bettane et Desseauve…) s’inscrivent très clairement dans

cette double logique de définition et d’évaluation : de définition de critères

d’appréciation des offres et d’évaluation même de ces offres.

Ces exemples illustrent bien la portée et l’intérêt que l’étude des rapports de prescription peut

avoir pour l’analyse marketing, l’étude du comportement du consommateur et des relations

d’achat de vin en ligne en particulier. La production de critères d’évaluation de l’offre, dans le

cadre d’un recours au prescripteur, est particulièrement riche à étudier dans une

8 Il s’agit du troisième élément de l’hypothèse économique constitutive de « l’acheteur » (cf. supra).

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problématique en ligne précisément, où l’acheteur n’est pas directement en interaction avec le

vendeur. L’acheteur est donc à la fois plus libre et esseulé. Cette situation d’achat renvoie

parallèlement à un besoin de prescription plus important, puisqu’il ne peut s’appuyer sur le

vendeur, et à une plus grande liberté de recourir à des prescripteurs lors de la relation d’achat

en ligne. L’acheteur n’a pas, en effet, à redouter la « pression psychologique » que le vendeur

ne manque pas d’exercer en face-à-face.

Tableau 1– Trois formes fondamentales de prescription  (adapté de Hatchuel, 1995)

Forme de prescription Type d’incertitude

Objet d’intervention : savoirs portant sur

Mutation de l’acte d’achat en

Prescription de fait simpleou « de fait »

la chose à acquérir ; un état du monde. /

Prescription technique notionnelle les champs d’action, les pratiques possibles.

processus de délégation et de contrôle.

Prescription de jugement de valeur la chose à acquérir et son mode d’appréciation.

délégation de jugement.

Pour le premier type de prescription (i.e. de fait), la réduction d’incertitude est simple. Pour

les deux autres, l’apport de connaissance est plus complexe, surtout si l’acheteur se trouve :

« face à un apprentissage par tâtonnements impossibles, trop long ou trop coûteux » ;

on ne réinvente pas aisément la médecine, ironise Hatchuel (Ibid.). De même, on ne

peut goûter tous les vins d’un millésime avant de choisir lesquels acheter.

« en situation de carence pragmatique » (Idem). Il ne s’agit plus de savoir ici si telle

ou telle décision est la meilleure, mais plutôt de se demander comment formuler le

problème auquel on est confronté et comment poser les critères de sa résolution. C’est

souvent la situation dans laquelle se trouve le consommateur face à de nouvelles

catégories de produits qu’il ne sait comment évaluer. Hatchuel parle de « crise de la

représentation qui découle de l’absence de cadres et de repères d’action ». Il s’agit du

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9

domaine de prédilection du prescripteur (Ibid.). Dans ce dernier cas, nous notons que

l’aide constituée par le recours à la prescription n’est plus seulement centrée sur les

préférences du décideur (ici l’acheteur), mais concerne également la structuration du

problème de décision lui-même.

En distinguant « ordre » et « conseil », comme types différents de prescription, Hatchuel

introduit l’idée d’intensité de la prescription (1996)9. Cette deuxième dimension est

développée après une première analyse des sites web des leaders de la vente de vin en ligne.

LES SITES WEB DES CAVISTES EN LIGNE : UNE AIDE À LA DÉCISION D’ACHAT EN LIGNE ?

L’étude détaillée des sites web des principaux cavistes en ligne est menée en mettant l’accent

sur leurs capacités de prescription et d’interactivité. Elle est centrée sur trois sites web :

ChateauOnline.fr, Wineandco.fr et 1855.com, bien que l’étude ait également porté sur les sites

de Rouge et Blanc, de Millesima, du Savour Club et de Nicolas10. Ces trois premiers sites ont

l’intérêt, d’une part, d’être distincts, que ce soit en terme d’ergonomie, de contenu, de

conception de la gestion de la relation client, de capacité et de forme de prescription. D’autre

part, ce sont les trois leaders en France de la vente de vin par Internet.

L’étude des sites web est articulée autour de trois points : la structure et le contenu global du

site, les modes de recherche et les fiches détaillées (i.e. fiche propre à chaque vin). Ces trois

points, particulièrement distinctifs, permettent à la fois de bien comparer les sites web et de

procéder à l’étude des rapports de prescription dans la vente de vin en ligne. L’analyse révèle

que ces trois concurrents diffèrent dans la façon de concevoir la relation client et l’achat en

ligne, favorisant différemment la recherche et l’accès à l’information, le recours à la

prescription et l’interactivité.

9 Cette idée est déjà esquissée dans l’article de 1994 avec la notion de prescription faible. 10 Par ailleurs, cette analyse fait suite à une étude de cas approfondie d’une société spécialisée dans la vente de vin en ligne et à des interviews réalisés auprès des dirigeants des sociétés leaders du secteur (Stenger, Idem).

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10

Tableau 2 – Une comparaison des sites web leaders dans la vente de vin sur Internet

ChateauOnline.fr Wineandco.fr 1855.com

Traits caractéristiques

du site

- variété des moteurs de recherche- possibilités d’apprentissage élevées- contenu périphérique important

- arborescence très claire- recherche multicritère facile d’emploi- agent de recommandation

- arborescence très claire- recherche multicritère complexe- contenu exclusivement dédié à la vente

Potentialités de prescription

- formes de prescription variées- degré de prescription élevé

- formes de prescription variées- degré de prescription plus limité

- formes de prescription très réduites (notes)- degré de prescription élevé

En synthèse, ChateauOnline est organisé autour d’une politique de promotion et de

prescription pour tous, Wine and Co propose d’autres modes de prescription et un « agent

intelligent », tandis que 1855 est un site dédié à la recherche de vins qui s’adresse aux

connaisseurs.

Présentation générale et structure des sites web

Le site web de ChateauOnline, leader de la vente de vin sur Internet, propose de nombreuses

« bonnes affaires » et « offres exceptionnelles » dès la page d’accueil. Un « pop up11 » affiche

la promotion du jour et encourage le visiteur à s’inscrire à la newsletter. L’ergonomie du site

invite ainsi à une navigation guidée par la promotion mais aussi par la prescription (« les

préférés de notre comité de dégustation » ; « nos meilleures ventes » ; « coups de cœur » etc.).

Quelle que soit la « zone » du site consultée, le rôle des six sommeliers qui composent le

comité de dégustation est particulièrement mis en avant, avec en « première ligne », la figure

de Jean-Michel Deluc, ancien sommelier du Fouquet's et du Ritz. Le statut de prescripteur est

donc hautement revendiqué par ChateauOnline.

11 Pop up : fenêtre supplémentaire affichée automatiquement lors de l’arrivée sur certains sites. Il s’agit en principe d’une offre commerciale.

Page 12: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

11

La libre découverte du site est également possible et même encouragée par un contenu varié

proposant des éléments sur l’actualité du vin, l’histoire du vin et le vin en général (carte des

millésimes, lexique, accord mets et vins…). Le site de ChateauOnline est le plus varié en

terme de fonctionnalités puisque au-delà de la vente en ligne, il dispose également de deux

types de forum de discussion12, d’une zone FAQ, d’un espace magazine, de petites

annonces… De plus, les formes de vente sont multiples : enchères, achats groupés, cadeaux,

abonnement, espace réservé aux meilleurs clients (approche communautaire)…

Figure 1– Extrait de la page d’accueil de ChateauOnline.fr (le 1er mai 2005)

La présentation générale du site de Wine and Co est bien plus sobre que celle de

ChateauOnline. En dehors de quelques rares offres promotionnelles, la mise en évidence

d’une arborescence claire facilite la navigation hypertexte : par pays ou région ou par

12 Un forum « public », ouvert aux internautes et deux forums administrés par les sommeliers de ChateauOnline.

sélections de vin

moteurs de recherche

Page 13: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

12

critère (millésime, cépages, maisons - ou marque). Un lexique consacré aux mots du vin et

une zone « saveurs » sur les accords mets et vins sont également proposés.

Figure 2 – Extrait de la page d’accueil de wineandco.fr (le 1er mai 2005)

Le site de 1855 met en avant l’étendue de son offre dès la page d’accueil. L’arborescence du

site, articulée selon l’origine géographique des vins et la structure hiérarchique des

appellations, apparaît ainsi très distinctement. Avec 15 000 références, un effort doit

nécessairement être effectué dans ce sens. L’objectif affiché est de « permettre à l’amateur de

vins de trouver le plus rapidement possible les vins qu’il cherche, de les commander le plus

vite possible » (in zone « L’entreprise »). Plus précisément, l’offre est structurée autour de

huit « zones » principales : Bordeaux, Bordeaux Primeurs, Bourgogne, Champagne, Rhône et

Provence, Languedoc-Roussillon, Autres vins de France et Europe Nouveau Monde.

arborescence générale

accès au « Style »

moteurs de recherches

(libre et avancée)

Page 14: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

13

Figure 3– Extrait de la page d’accueil de 1855.com (le 1er mai 2005)

Une promotion et/ou un cadeau sont offerts pour les commandes importantes (montant

variable), mais le discours commercial reste très réduit. Sur ce point, le site de 1855 se

démarque nettement de la démarche offensive de la plupart des cavistes en ligne.

Le design général du site offre une structure apparente et claire de l’offre de vins qui invite

avant tout le consommateur à se diriger vers les appellations pour trouver les vins qu’il désire.

Ce site est conçu pour les connaisseurs à la recherche de vins fins. Les formes de prescription

et les possibilités d’apprentissage en ligne sont réduites.

L’ensemble du site est exclusivement dédié à la vente. Il ne contient pas de contenu

« périphérique » (pas de carte des millésimes, de lexique…) comme le propose généralement

les autres sites. Le site de 1855 se situe en ce sens à l’opposé de celui de ChateauOnline.

structure générale de l’offre

structure détaillée de l’offre

Page 15: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

14

Encadré 1 - Comparaison du « contenu périphérique » des trois sites web (i.e. non

directement dédié à la vente des produits)

Les sites web des cavistes en ligne ont évidemment un contenu centré sur la vente de vin, avec la mise en avant des produits proposés à la vente. Mais certains proposent également de nombreux éléments d’information, de compréhension, et de « culture générale » sur le vin.

ChateauOnline Wine and Co 1855

espace « le magazine »comprenant :

conseils du sommelier accords mets et vins actualités du vin carte des millésimes lexique les pays du vin l’univers du vin

rubrique « le saviez-vous ? »

espace « cépages »

espace « saveurs »

espace « millésimes »espace « lexique »

aucun contenu « périphérique »

L’espace accordé à ce contenu « non directement dédié à l’offre » peut même être supérieur au contenu « purement marchand »13. C’est le cas de ChateauOnline.fr14 qui consacre de nombreuses rubriques à l’univers du vin. Par opposition, 1855.com est exclusivement dédié à la description et la promotion des vins commercialisés.

Les trois sites proposent les deux modes de recherche classiques avec un moteur de recherche

libre, par mot clef et un moteur de recherche avancée (multicritère). Mais d’autres outils et

stratégies de recherche sont parfois offerts aux internautes, se situant justement entre outil de

recherche et outil de prescription, dans une logique d’aide à la décision.

Des outils en ligne entre recherche et aide à la décision d’achat

Sur ChateauOnline, une recherche directe selon le type de vin (rouge, blanc, rosé,

champagne) et d’autres moteurs de recherche sont proposés dans des « zones » spécifiques

(« Grande cave » pour les grands crus, « Petits prix », « Primeurs »…). Il est intéressant de

13 La frontière entre ce qui serait « marchand » et ce qui serait « non directement dédié à l’offre » est très délicate puisqu’il s’agit de toute façon de sites dédiés à la vente. Ce contenu « périphérique », tel que la carte des millésimes, est indirectement au service de l’apprentissage des acheteurs et donc au service de l’achat en ligne. Mais tandis que certains sites se contentent de décrire et commenter leurs produits, d’autres proposent un important « contenu périphérique » sur le vin en général (ex. cours de dégustation, régions viticoles…). 14 C’est également le cas du site du Savour Club.

Page 16: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

15

noter qu’il existe un critère : « note Parker comprise entre…et… » pour le moteur de

recherche dédié à la vente de vins en primeurs. Le recours à un « prescripteur officiel » est

ainsi directement intégré à cet outil. ChateauOnline s’engage par ailleurs à ce qu’un

sommelier réponde aux questions des internautes sous 24 heures, proposant ainsi un recours à

la prescription personnalisé et continu.

Au-delà de la recherche libre (mot clef) et de la recherche multicritère, particulièrement

étendue (avec 7 critères et 1 champ libre), Wine and Co se distingue par la mise à disposition

d’un outil spécifique appelé « Le Style ». Cet outil est présenté comme un « agent

intelligent » visant à aider les internautes à trouver un vin en fonction de leurs goûts. Le

« Style » est un agent de recommandation (au sens de Haübl et Trifts, op. cit.) ; les

préférences doivent être préalablement établies et déclarées par l’acheteur en des termes

imposés. Le visiteur doit tout d’abord choisir un type de vin, dans un menu déroulant (ex.

rouge massif, blanc nerveux…), puis qualifier ce vin selon quatre axes.

Figure 4– Présentation de l’agent intelligent de Wine and Co : le « Style »

Terroir Technique

Original Classique

Facile Difficile

Découverte Prestige

L’internaute formule ainsi ses préférences, en cliquant dans la matrice du « Style », qui

propose des vins en conséquences. Nous considérons ainsi qu’il s’agit plus d’un outil de

recherche que d’un agent intelligent ou de recommandation. Les critères de recherche sont

simplement différents de ceux communément employés. Les résultats de la requête sont

composés d’une sélection de un à trois vins assortis de commentaires critiques. En pratique,

l’utilisation de cet outil donne des résultats pour le moins surprenants et la réponse la plus

Page 17: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

16

courante est : « Aucun vin ne correspond précisément à votre recherche. Voici néanmoins

trois belles bouteilles ». Si l’outil d’aide à la décision d’achat développé par Wine and Co est

original, il se révèle complexe d’usage (la qualification des préférences sur les axes prédéfinis

est particulièrement délicate15 et peu efficace. Notons qu’il est possible d’utiliser à la fois le

moteur de recherche multicritère (couleur, millésime…), et le « Style ».

Un nombre important de critères de recherche est signe d’une plus grande capacité de

précision mais ne signifie pas forcément une plus grande aide pour le consommateur. Le fait

de proposer deux critères différents pour l’appellation et le domaine, par exemple (comme le

fait 1855), peut perturber l’utilisateur ; 70 % des français font déjà la confusion entre AOC et

marque (ONIVINS – Infos, n° 105, 2003). La recherche multicritère nécessite une

participation plus forte de l’internaute, que ce soit en terme d’expertise en matière de vin,

d’effort cognitif ou de compétence technique16. Cette « exigence » supplémentaire peut gêner,

voire décourager les consommateurs en ligne17.

Sur le site de 1855, le moteur de recherche « détaillée » est étoffé (huit critères). Mais il est

difficile d’accès18 et s’avère particulièrement rigide. A titre d’exemple, il faut impérativement

savoir épeler « Rothschild » sans faute sous peine de se voir répondre : « Nous n'avons pas

trouvé de réponses satisfaisantes pour votre recherche ». De la même façon, il faut bien faire

une recherche de « saint-julien » sous le critère appellation, car si, par étourderie ou

méconnaissance, le visiteur inscrit cette requête dans « domaine », il se voit encore répondre :

15 Pour exemple, le lecteur peut essayer de qualifier un vin qu’il connaît sur le premier axe « classique / terroir »… pour réaliser la difficulté de la tâche. 16 En revanche, les moteurs de recherche libre, qui fonctionnent par mot clef, tolèrent davantage d’imprécision et d’erreur (d’orthographe notamment). Les résultas produits par ces requêtes sont également moins précis. 17 Parfois, l’expertise requise est si élevée qu’elle peut constituer une véritable « barrière » pour le consommateur. Et inversement, un faible niveau d’expertise requis serait associé à une offre grand public. Il y aurait alors une cohérence entre le niveau d’expertise requis et le positionnement de l’offre.18 Seul le moteur de recherche libre est mis en évidence sur la page d’accueil.

Page 18: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

17

« Aucun vin ne correspond à votre recherche ! »19. Les compétences requises en matière de

vin sont donc particulièrement élevées.

Des fiches détaillées entre information et prescription

Les fiches détaillées de ChateauOnline sont les plus complètes parmi les trois sites étudiés20.

L’internaute peut accéder à une page entière consacrée à chaque cru comprenant, les

références du cru, l’étiquette et le prix, puis une présentation critique du vin en six parties :

« notre avis », « description », « service », « références », « accords mets et vins » et enfin les

commentaires de dégustation, qui distinguent classiquement œil, nez et bouche. Certains vins

se voient attribuer une note par le comité de dégustation de ChateauOnline. Les notes de

« dégustateurs officiels » (Parker, Guide Hachette, Wine Spectator, Decanter…) et les

médailles obtenues lors de concours sont également signalées. Le rôle de prescripteur est donc

particulièrement mis en avant et les éléments de prescription sont aussi nombreux que variés.

Sur le site web de Wine and Co, les fiches détaillées sont presque aussi complètes. La

description du vin est associée à des prescriptions sur « l’usage » des vins (température de

service, potentiel de garde, accord met et vin, style). Autre originalité de Wineandco.fr : lors

de la consultation d’une fiche détaillée, un espace « Alternatives » propose d’autres vins

censés être proches de celui étudié. Cette démarche prescriptive, qui est même assez

interactive en son principe (prescription de vins en fonction de préférences exprimées par

l’acheteur), se révèle très « curieuse » en pratique (Cf. encadré ci-après). L’enjeu est ici très

fort, car c’est le bien-fondé du statut de prescripteur, revendiqué par le site, qui est évalué par

19 Par ailleurs, le moteur de recherche détaillée affiche par défaut les valeurs « bordeaux » et « rouges » dans les critères région et couleur, si bien qu’il faut 1) s’en rendre compte et 2) modifier ces valeurs pour effectuer une recherche. 20 Le dossier de presse de ChateauOnline insiste particulièrement sur ce point. Il précise : pour chaque vin sélectionné, « l’internaute accède à une fiche organoleptique, véritable fiche d’identité du vin, comprenant : ses principales caractéristiques (robe, nez, bouche), des conseils sur sa conservation ainsi que des suggestions d’accompagnement » (dossier de Presse juillet 2003, p. 4).

Page 19: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

18

l’acheteur. Lorsque ces « alternatives » se révèlent judicieuses, elles peuvent ainsi introduire

une interactivité dans la relation d’achat en ligne (Stenger, 2004).

Encadré 2 – Offres alternatives sur Wine and co

Illustration : En accédant à la fiche détaillée d’un premier cru classé en Sauternes (blanc liquoreux) du millésime 2002, le système propose en « alternative » un second vin de Saint-émilion (rouge) du millésime 1995 !?!…

La cohérence entre les préférences exprimées par l’acheteur en consultant cette fiche détaillée et la prescription est pour le moins étrange. Cela est dû au fait que la prescription est établie sur la base du « style » du vin tel qu’il est défini dans la matrice « Le Style » présente sur toutes les fiches détaillées (mais ceci n’est pas explicité sur le site…). Le Saint-émilion proposé est jugé plus « terroir » et moins « technique » que le château Guiraud, mais il est évalué de façon identique sur les trois autres axes. Mais le « type de vin » n’est pas considéré.

Selon un principe assez proche, lorsqu’une recherche avec le moteur se révèle infructueuse

sur Wine and co (i.e. ne donnant aucun résultat), le site propose une sélection intitulée :

« Voici néanmoins trois belles bouteilles ». En pratique, cette démarche souffre des mêmes

consultation de la fiche d’un premier cru classé de Sauternes…

…un second vin de Saint-émilion est proposé en « alternative ».!?

matrice « Le Style » de Wine and co

Page 20: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

19

lacunes que la précédente : la cohérence entre les vins proposés en alternative et la requête

effectuée est faible ou nulle.

Enfin, Wine and Co se démarque également en matière de prescription sur deux autres points.

C’est tout d’abord le seul site à ne pas afficher d’évaluation personnelle sur les vins sous

forme de note de synthèse21. Ensuite, le recours à des prescripteurs « officiels » reste encore

rare, même si des notes de dégustation apparaissent davantage depuis un an (guides Parker,

Fleurus). La prescription « personnelle » de Wine and co est toutefois exprimée sous forme de

commentaires critiques sur les vins (fiche détaillée), par la rubrique « Alternatives » décrite

ci-dessus et, comme tout caviste, par la sélection des vins proposée.

Tableau 3– Les fiches détaillées des leaders de la vente de vin par Internet en France

Eléments d’information et de prescription

ChateauOnline Wine and Co 1855

identité (nom, couleur, appellation, cépages, millésime, étiquette, classement…) et prix

commentaires critiques très détaillés

détaillés

réduits

conservation (temps de garde ; apogée)

*22

température de service

suggestion d’accompagnement (plat)

note de dégustation propre au site quelquefois

systématique

autres notes de dégustation (Parker, Wine Spectator…) *23

vins proposés en alternative 24

autres liens annexes

A l’opposé des ses deux concurrents précédents, 1855, propose des fiches signalétiques pour

chaque vin très succinctes. Les commentaires se réduisent le plus souvent à une ou deux

phrases pour chaque cru. Le rôle de prescripteur est essentiellement exercé par une note,

21 1855 attribue systématiquement une note à chaque vin et c’est parfois le cas chez ChateauOnline. 22 Cette information fait souvent défaut. 23 Quelquefois... 24 Ces vins sont proposés en alternative, avec les limites exposées ci-dessus.

Page 21: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

20

propre à 1855, allant de 1 à 4 cœurs qui est attribuée à la totalité des vins proposés 25. D’autres

notes sont également indiquées (Parker, Wine spectator, Quarin…). Le recours à ces éléments

de prescription est d’ailleurs encouragé par la possibilité de classer chaque sélection de vin

par la « notation 1855 » ou la « notation Parker ». Cette possibilité de classer les offres fait

directement écho à la problématique de rangement dans l’aide à la décision (Roy, 1985).

La durée de conservation et la température de service, censées apparaître sur la fiche détaillée,

sont souvent absentes. Par contre, des liens (hypertextes) annexes vers d’autres vins du même

domaine/château ou de la même appellation sont proposés sur chaque fiche détaillée. Ils

permettent de situer le vin au sein de la hiérarchie des appellations et facilite la poursuite de la

relation d’achat.

Encadré 3 - Extrait de fiche détaillée sur le site de 1855

Domaine François Jobard "Poruzots" 2000Premier Cru, Meursault premier cru, blancBourgogne, France

Notation 1855 :Domaine François JobardDétails du vin :Couleur : blancCépage : ChardonnayRégion : Bourgogne, FranceAppellation : Meursault premier cruChâteau : Domaine François JobardConservation : entre 2000 et 2000Conditionnement : 75.00 clTempérature : Servir entre 8 et 12°C

Autres liens utiles :Autres vins de Domaine François JobardAutres Meursault premier cruAutres Bourgogne

Cette démarche est ainsi structurante et prescriptive (proposition d’autres vins), elle s’inscrit

dans une perspective interactive. Dans l’exemple présenté (Cf. encadré supra), des liens

hypertextes (soulignés en bleu) permettent d’accéder à une sélection de vins du même

domaine, à une sélection de la même appellation (Meursault premier cru) et à la zone

25 Rappelons que sur ChateauOnline, les notes attribuées par le site ne concernent que quelques vins particulièrement appréciés par le comité de dégustation et qu’aucune note n’est attribuée par Wine and Co.

prescription horizontale

prescriptions verticales

Page 22: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

21

Bourgogne. Ces « autres liens utiles » sont autant d’itinéraires possibles, en cohérence avec la

fiche consultée, qui élargissent le champ des possibles. Une distinction peut être effectuée

entre prescription « horizontale » (même appellation et même domaine) et prescription

« verticale » (ascendante dans l’exemple ci-dessus, avec un lien vers l’appellation régionale :

la Bourgogne), en reprenant la structure arborescente des appellations d’origine contrôlée26.

En conclusion, les sites web des trois leaders de la vente de vin par Internet diffèrent en tant

que vendeurs, mais aussi en tant que prescripteurs. Les contenus informationnels sont très

variés, de même que les outils de recherche et d’aide à la décision d’achat qui renvoient à

plusieurs logiques de vente et de prescription en ligne. En conséquence, les possibilités

d’acquisition de savoir en ligne pour les consommateurs peuvent être quasi nulles (sur 1855)

ou au contraire élevées (sur Wine and Co et ChateauOnline).

Le terrain d’étude que constitue les sites de vente de vin sur Internet permet d’identifier

différentes stratégies de prescription mais aussi de poursuivre sur les travaux originels de

Hatchuel pour proposer un cadre d’analyse générale en s’engageant dans une démarche de

modélisation des rapports de prescription dans la relation d’achat en ligne.

VERS UNE MODÉLISATION DES RAPPORTS DE PRESCRIPTION DANS LA RELATION ACHAT EN

LIGNE 

L’analyse effectuée conduit en effet à proposer un cadre général pour l’étude des rapports de

prescription dans la relation d’achat en ligne autour de six dimensions : la forme de la

prescription, son intensité, sa source, sa portée, son niveau d’intervention, son opération vis-à-

vis de l’ensemble des possibles et la compétence requise chez l’acheteur.

26 La fiche détaillée de Rouge et Blanc (http://www.rouge-blanc.com), autre caviste en ligne, va plus loin encore dans cette démarche prescriptive puisqu’elle s’étend également aux cépages et aux pays.

Page 23: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

22

Formes et intensité de la prescription : la décision d’achat sous prescription

La règle retenue pour apprécier l’intensité de la prescription dans le cadre de notre analyse des

sites web marchands est basée sur l’évaluation de son degré de structuration du processus de

décision d’achat en ligne. Plus la prescription réduit le champ des possibles et structure

l’action, plus elle est forte27. Plus le processus de décision de l’acheteur est délégué vers un

prescripteur, plus le degré d’intensité de la prescription est élevé. Selon ce principe, l’intensité

de la prescription, est qualifiée de forte, limitée ou nulle.

Ainsi, la prescription est jugée « forte », si l’acheteur s’appuie sur des éléments prescriptifs

fortement structurants lors de son processus de décision d’achat. C’est le cas par exemple, s’il

effectue son choix parmi des « sélections de vins préétablies par un prescripteur » (ex. les

sélections de « vins préférés », les « meilleures ventes », les « préférés de Parker »).

L’acheteur délègue alors de manière importante son processus de décision (sa capacité de

jugement en particulier). Ce type de recours à la prescription réduit considérablement l’espace

de choix. Il ne s’agit plus, par exemple, de choisir un vin parmi plusieurs milliers de

références mais parmi une sélection de cinq vins.

27 Dans le cadre de la coopération entre concepteur et opérateur, Hatchuel envisage l’intensité de la prescription à travers le degré de confinement de l’activité de l’opérateur (1996).

Page 24: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

23

Encadré 4- Extrait de la carte des millésimes de Wine and co

« Ensoleillement, pluviométrie, conditions de la récolte, influencent le goût des vins dans chaque région de l'hémisphère nord. La disponibilité des millésimes dans nos stocks est signalée par la couleur parme en fond de case. Cliquez sur une case pour rechercher les vins correspondants à un millésime et à une région donnée.

( à boire :    |   à garder :    |   à boire ou à garder :  )

La qualité d'un vin est indiquée par le nombre d'icônes (de 1 à 3), de petite à exceptionnelle. »

Lorsque l’acheteur recourt à la prescription pour apprécier le potentiel de garde d’un vin (ex.

l’acheteur cherche un vin à boire dans vingt ans) et s’y conforme, la prescription est encore

forte. Elle est également de forme « technique » puisqu’elle indique une stratégie d’usage. De

la même façon, la prescription est forte lorsque l’acheteur consulte la « carte des millésimes »

et choisit un vin parmi l’appellation la mieux évaluée (i.e. prescrite). Dans ce cas, le rapport

de prescription structure le problème de décision et l’espace de choix ; le décideur se trouve

dans une situation beaucoup plus confinée et choisit, dans un millésime donné, un vin parmi

l’appellation prescrite.

Enfin, le degré de prescription est très fort lorsque le participant choisit en s’appuyant sur les

« notes de dégustation ». Il peut s’agir de notes attribuées par un dégustateur officiel (Parker :

note sur 100, le guide Hachette : de 1 à 3 étoiles…) ou par le site lui-même (1855 et

ChateauOnline attribuent respectivement des « cœurs » et des « étoiles »). Les « médailles »

(or, argent, bronze) décernées aux vins entrent dans cette même catégorie. Il s’agit de

prescriptions de jugement : les médailles et les notes de dégustation correspondent

Page 25: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

24

typiquement à une appréciation de la jouissance de l’usage formulée par le prescripteur. Pour

être très précis, nous considérons qu’il s’agit de prescriptions de jugement « partielles ». Le

caractère partiel provient du fait que le prescripteur exprime son jugement mais pas

nécessairement comment juger28. Le degré de prescription est encore plus fort lorsque

l’acheteur porte son choix sur un vin proposé en « alternative » par le site. Le prescripteur ne

dit plus seulement son jugement sur un vin mais quel vin acheter. Mais en pratique, nous

avons vu que ce système prescriptif29 est le plus souvent inadapté.

La prescription est dite « limitée », si le décideur recourt à des éléments de prescription

faiblement structurants, tels que le « descriptif critique » d’un vin, généralement composé

d’une à trois phrases (Cf. figure infra) ou la « fiche détaillée » d’un vin (i.e. fiche

individuelle). Ces éléments apportent essentiellement :

des savoirs sur la composition du vin (cépages), son origine (lieu, mode de

production…) ; ce sont là des « prescriptions de faits » : le prescripteur ne se prononce

que sur des « états particuliers du monde » ; elles ne peuvent être contestées ;

des commentaires critiques sur les qualités du vin ; il s’agit alors de prescriptions de

jugement – ce sont à nouveau des prescriptions de jugement partielles. En ayant

recours à ces éléments de prescription, l’acheteur fait l’acquisition et l’usage de

savoirs structurants, mais il garde néanmoins la maîtrise du processus décisionnel et

en particulier du choix30.

28 Si le prescripteur précise son mode d’appréciation (en mettant en évidence ses critères de jugements), la prescription de jugement est « complète ». 29 Sur le site de Wine and co, un espace « alternatives » apparaît au sein de chaque fiche détaillée. Des vins censés être proches de celui étudié sont ainsi proposés en alternative (cf. supra). 30 Il y a toutefois des exceptions liées au contenu même de la prescription qui peut implicitement s’avérer fortement prescriptif (ex. « La révélation du millésime en Sauternes »)..

Page 26: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

25

Figure 5 - Prescription limitée et prescription forte : illustrations sur ChateauOnline

La prescription est qualifiée de « nulle » lorsque l’acheteur procède de façon autonome sans

solliciter de transfert de savoirs dans la relation d’achat en ligne (ex. l’acheteur sait

exactement ce qu’il veut et le commande). L’acheteur accède nécessairement à des données et

traite des informations pour naviguer sur le site et acheter en ligne, mais il n’y a pas de

prescription exercée par le site sur la relation d’achat. Cela signifie en pratique, que seule

l’intitulé des vins, qui renvoie aux mentions légales pour qualifier les vins (nom du cru ou

descriptif critiqueprescription limitée

sélection de vins préétablie

prescription forte

Page 27: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

26

domaine, appellation, classement éventuel31) est considéré par l’acheteur. Le processus de

décision d’achat ne s’appuie sur aucune acquisition de savoir en ligne.  

Tableau 4– Intensité et forme des principaux supports et éléments de prescription

disponibles sur les sites web des cavistes

Intensité

limitée forte

Forme

techniqueaccord met et vin

autres liens associés32potentiel de garde

offre alternative

de jugement sélection préétablie33

notes et médailles

de faitcépages34

Outre la forme et l’intensité de la prescription, la notion de recours à la prescription et son

emploi pour l’analyse des sites web marchands et des relations d’achat en ligne peuvent être

affinées avec l’examen de la source de la prescription, de la compétence requise chez

l’acheteur, de la portée et du niveau d’intervention de la prescription sur le processus de

décision ainsi que son opération vis-à-vis de l’ensemble des possibles.

31 Afin de dissiper un éventuel doute, nous nous arrêtons sur le cas particulier du classement (1 er cru classé, 2nd

cru classé, Grand cru classé…), qui n’est pas considéré ici comme une prescription forte. Les raisons en sont les suivantes. Cette prescription n’est pas produite spécifiquement pour ce vin (cette cuvée) mais pour le château (ou le domaine). Le château Guiraud, par exemple, est un 1er cru classé en Sauternes. Ce classement fait désormais partie de son identité (et de son étiquette d’ailleurs). S’il s’agit bien, à l’origine, d’une prescription de jugement, elle est aujourd’hui intégrée à l’identité de ce château et fait partie de l’intitulé du vin : le château Guiraud « est » un 1er cru classé. Cette prescription ne peut être contestée ; il s’agit donc plutôt aujourd’hui d’une prescription de fait. Par contre, les notes attribuées chaque année sont des prescriptions (de jugement), comme expliqué plus bas ; les prescripteurs sont d’ailleurs visibles. Ainsi, 2003 est mieux évalué que 1987. D’ailleurs, chaque prescripteur peut apprécier différemment le vin, alors que nul ne peut modifier son classement.32 Liens hypertextes vers des vins du même domaine, de la même appellation, de la même région (sur 1855.com exclusivement). 33 Sélection de vin préétablie par un prescripteur (exemple : « Nos préférés »). 34 Pour le cépage, la source de la prescription est le législateur pour les vins d’appellation puisque l’encépagement est contrôlé par l’INAO (ainsi que toutes les étapes qui vont «  depuis la terre jusqu'au verre », pour reprendre l’expression consacrée).

descriptif critiquefiche détaillée

carte des millésimes

Page 28: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

27

Source, compétence requise, niveau, portée et opération : cinq dimensions complémentaires

Le recours à la prescription dans la relation d’achat en ligne renvoie à l’idée d’intervention du

site web, au sens large, sur cette relation d’achat. Les sources de cette intervention sont

multiples. Il peut s’agir :

de prescripteur(s) tiers : ce sont le plus souvent des « dégustateurs-prescripteurs

officiels » du monde du vin (ex. Parker, Wine Spectator, le guide Hachette, la Revue

du Vin de France…) ;

du vendeur lui-même, c’est-à-dire du site web : ChateauOnline et 1855, en décernant

des notes de dégustation, cherchent ainsi à s’instaurer comme prescripteur légitime ;

de clients, instrumentalisés comme prescripteurs, par le vendeur35 (ex. « les préférés de

nos clients » , « les meilleures ventes »).

Figure 6– Mise en scène d’un prescripteur officiel : illustration sur 1855.com36

35 Notons que Amazon a notamment construit son succès en s’appuyant depuis l’origine, sur la mise en avant de prescriptions des clients (qui recommandent… ou pas les produits commercialisés). Aujourd’hui, Amazon va beaucoup plus loin encore dans cette démarche en utilisant également des outils de filtrage collaboratif permettant de proposer aux visiteurs des produits en fonction des achats effectués par ses clients (ex. « les gens qui ont acheté « ça » ont également acheté « ça ». 36 Page d’accueil du site web de 1855, le 29 avril 2004

Page 29: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

28

Les cavistes en ligne « jonglent » ainsi avec les prescripteurs. Ils se mettent en

scène (ChateauOnline est l’exemple le plus typique37) et s’autoproclament prescripteurs ou

bien, au contraire, s’effacent derrière des prescripteurs officiels. La combinaison des deux

options est également possible. Elle est d’ailleurs souhaitable, pour le vendeur, si le

prescripteur tiers ne va pas dans le sens qu’il souhaite. Pour chaque prescription,

l’identification du prescripteur effectif est essentielle. L’attribution de la prescription à un

acteur (prescripteur par définition, même s’il joue ce rôle symboliquement) enrichit en effet

l’étude des relations d’achat en ligne et des stratégies des e-commerçants.

Pour chaque type de prescription, la compétence requise chez l’acheteur pour acquérir les

savoirs est variable. Certaines prescriptions, telles que les notes de dégustation (ex. 95/100) ne

requièrent qu’une très faible (voire aucune) compétence dans la catégorie de produits, tandis

37 La référence au comité de dégustation dirigé par Jean-Michel Deluc, ancien sommelier en chef du Ritz, est omniprésente. Sont également précisés les concours remportés par l’ensemble des membres du comité de dégustation (une zone spécifique précise même le CV des dégustateurs).

Sur la page d’accueil de 1855, un lien

direct vers des vins notés plus de 90 sur

100 par Parker

Page 30: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

29

que d’autres impliquent une compétence plus importante. Le recours à la carte des millésimes

ou au potentiel de garde, par exemple, impliquent une certaine compétence en matière d’achat

de vin. Il faut en effet que la relation millésime – potentiel de garde ait un sens pour

l’acheteur. Cette dimension de compétence chez l’acheteur est cruciale pour toutes les

catégories de produits techniques où le prescripteur doit non seulement prescrire des savoirs,

mais veiller à la « pédagogie » de la prescription.

La portée de la prescription est également variable. Elle peut être locale et n’être valable que

pour le vin considéré (ex. une note de dégustation) ou au contraire, plus vaste (ex. 2001 est

une bonne année pour les vins liquoreux). Le savoir acquis est alors plus largement utilisable

et transférable à d’autres projets d’achat. La prescription peut même être globale et concerner

l’ensemble de l’offre, quel que soit le vin. C’est le cas pour la prescription d’un critère

décisionnel (ex. le potentiel de garde) ou d’un nouveau schéma (ex. la relation entre le type de

vin et le potentiel de garde).

Par ailleurs, lorsque le recours à la prescription structure le processus de décision d’achat, la

prescription, en tant qu’intervention sur le processus de décision, peut se situer à différents

niveaux. En reprenant le modèle canonique de Simon, par exemple, nous pouvons distinguer

les interventions de la prescription sur la définition du problème décisionnel, sur la

détermination de solutions envisageables, sur la sélection d’une action particulière. Avec la

prescription de jugement, qui prescrit le mode de jouissance de l’objet d’échange,

l’intervention peut même aller jusqu’à l’évaluation de la décision.

Enfin, les différents types de prescription peuvent conduire à réduire l’ensemble des possibles

(ex. proposition d’une sélection de vins) ou à élargir le champ des possibles (ex. proposition

d’une sélection alternative, d’autres critères décisionnels…). L’opération de la prescription

Page 31: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

30

peut ainsi être considérée à travers le degré d’ouverture ou de réduction des possibles (i.e. des

solutions envisageables, des actions potentielles). En règle générale, les prescriptions

s’inscrivent dans cette deuxième perspective alors que l’ouverture, l’élargissement du spectre

de solutions envisageables peut conduire à des formes d’apprentissage et à une plus grande

interactivité en ligne (Stenger, idem).

Le tableau suivant reprend l’ensemble de ces développements. Associés aux principes de

formes et d’intensité de la prescription exposés plus haut, ils constituent un cadre d’analyse

général pour la relation d’achat en ligne et la stratégie de prescription des sites marchands.

Page 32: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

31

Tableau 5 – Un cadre d’analyse pour la prescription des sites web de vente de vin sur Internet (hors forme, intensité et source)

Exemple Compétence requise

Portée Niveau d’intervention Opération vis-à-vis de l’ensemble des

possiblesnote de dégustation, médaille

aucune (hyper)locale38 choix (essentiellement) ou sélection de solutions envisageables

réduction

sélection préétablie aucune locale sélection de solutions envisageables réduction

carte des millésimes limitée globale structure le processus décisionnel (le problème et/ou les préférences)

réduction

potentiel de garde d’un vin

limitée locale choix (essentiellement) ou sélection de solutions envisageables

réduction

critère décisionnel ; schéma39

variable (de limitée à forte)

globale ; apprentissage

possible

apprentissage et structuration du processus de décision dans son ensemble

réduction ou élargissement

autres liens associés(prescription verticale ou horizontale)

aucune réduite sélection de plusieurs solutions envisageables

élargissement

sélection de vins alternative

aucune locale sélection de plusieurs solutions envisageables

élargissement

offre alternative aucune locale sélection d’une action potentielle élargissement

38 Les notes de dégustation et les médailles sont une portée « très » locale, puisque réduite à un seul vin.39 Exemple : la relation « type de vin » – « potentiel de garde ».

31

Page 33: 4ème journée nantaise de recherche sur le e-marketing

32

CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE

En conclusion, le concept de rapport de prescription développé par Hatchuel se révèle

particulièrement riche pour étudier les sites web marchands sous l’angle de l’aide à la

décision d’achat en ligne. Centré sur les savoirs (recherchés, manquants, échangés, acquis) et

les relations (acheteur, vendeur, prescripteur), il permet d’appréhender la relation client et

l’aide à la décision des consommateurs envisagés par les sites web marchands. La

transposition et l’adaptation de ses travaux au commerce du vin en ligne conduit à prolonger

ces fondements théoriques pour s’engager dans une modélisation des rapports de prescription

dans la relation d’achat-vente en ligne. Nous développons ainsi un cadre général des rapports

de prescription pour étudier la stratégie de vente des sites marchands. Ce cadre reprend, les

principes de forme et d’intensité de la prescription (Hatchuel, 1995) en les adaptant à la vente

de vin en ligne, et propose cinq autres dimensions : la source de la prescription, la compétence

requise chez l’acheteur, la portée de la prescription, son niveau d’intervention sur le processus

décisionnel et le type d’opération vis-à-vis de l’ensemble des possibles.

Plus globalement, cette recherche contribue, à la suite de précédents travaux (Hatchuel, 1995,

1997 ; Benghozi et Paris, 2003), à montrer l’intérêt du concept de prescription pour étudier

l’échange marchand et les comportements d’achat sur Internet. En synthèse, il permet

d’élargir le schéma traditionnel acheteur - vendeur, hérité des sciences économiques, et

d’étudier conjointement la relation d’achat sous l’angle du consommateur, du vendeur et du

prescripteur, sans se limiter à l’un des ces trois acteurs.

Ce travail de recherche invite ainsi à apprécier les sites web marchands, non seulement en tant

que vendeur, mais aussi en tant que prescripteur. Les sites web des trois leaders de la vente de

vin par Internet diffèrent d’ailleurs en tant que vendeurs et en tant que prescripteurs. Les

contenus informationnels sont très variés, les outils de recherche et d’aide à la décision

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d’achat offerts aux consommateurs également. Mais si les capacités prescriptives des sites

sont très diversifiées, les possibilités d’acquisition de savoir en ligne, pour les

consommateurs, restent très majoritairement possibles par le biais de prescriptions de fait et

de prescriptions de jugement (partielles). Les réelles possibilités d’apprentissage en ligne,

favorisées par les prescriptions techniques sont en revanche plus rares.

Ce travail de recherche est centré sur un domaine : le commerce du vin en ligne. On peut ainsi

s’interroger sur sa généralisation, car si le vin est un cas particulièrement intéressant à étudier

en tant que marché à prescripteurs, tous les marchés ne sont pas autant associés à des

prescripteurs. Toutefois, si on admet que l’acheteur n’est pas omniscient et ne possède pas à

l’avance toutes les connaissances et tous les savoirs utiles à son processus de décision d’achat,

les marchés à prescripteur sont très nombreux. Les catégories de produits à vocation culturelle

(musique, livre…) et produits techniques (informatique, électronique…), qui sont justement

celles les plus vendues sur Internet40, mais aussi les services (voyages, services financiers) se

prêtent particulièrement aux rapports de prescription dans l’achat en ligne. Le cas du vin est

sur ce point représentatif en partie du commerce en ligne. Ainsi, c’est le contexte général dans

lequel se situe le vin qui permet de généraliser le cas du vin. L’étude d’autres catégories de

produits, telles que celles citées plus haut, constitue justement l’un des prolongements

envisageables de ce travail.

L’analyse des relations d’achat en ligne, sous l’angle du modèle des rapports de prescription

développé ici, conduit également à poser de nouvelles questions concernant l’usage et les

effets de la prescription en ligne sur les processus de décision d’achat en ligne. Le recours à la

40 D’après l’étude TNS Sofres [op. cit.], les catégories de produit les plus vendus sur Internet sont les DVD, achetés par 47 % des acheteurs en ligne, les livres (45%), les CD (40%) et le matériel informatique (33%). Les appareils électroniques (17%), les logiciels informatiques (14%), les appareils photo (8%) et l’électroménager (7%) sont également à associer parmi les catégories de produits techniques.

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prescription intervient-il au moment du choix, de la définition de solutions envisageables, de

la structuration du problème de décision ? Modifie-t-il la structure des préférences ? La

prescription conduit-t-elle l’acquisition de nouveaux critères décisionnels ? Pour une

compréhension à la fois plus globale et plus fine des comportements des consommateurs en

ligne, la recherche doit être poursuivie avec une analyse spécifique des processus d’achat de

vin en ligne menée « aux côtés » du consommateur. Une première étude (Stenger, ibid. ;

2005) a d’ailleurs été réalisée dans cette perspective avec deux expérimentations d’achat de

vin sur Internet.

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