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4. Les défunts Pompée et César dans les propagandes de leurs héritiers: l'exploitation politique des conceptions philosophiques et religieuses liées à la mort à la fin de la République Pierre Assenmaker (Université Catholique de Louvain)" 1. Introduction Le livre Mors omnibus instat offert l'occasion de revenir sur certains aspects idéologiques et sociaux liés à la mort dans le monde romain. Plu- sieurs contributions ont été consacrées à l'apothéose des empereurs et au culte impérial d'une part, aux funérailles aristocratiques républicaines d'au- tre part. Elles ont rappelé l'importance des interactions entre la sphère po- litique et le domaine funéraire, particulièrement remarquables sous l'Empire, à une époque où le culte des empereurs divinisés est devenu l'un des fondements religieux du pouvoir impérial, mais déjà à l'oeuvre sous la République, où la mémoire des ancêtres était constamment entretenue et activée dans la compétition entre les grandes gentes l . Notre contribution a pour objectif d'éclairer ces interactions pendant les années 40 et 30 av. J.-c. Nous nous attacherons plus précisément à mettre en lumière les concep- tions philosophico-religieuses relatives au thème de la mort et de la sur- vie des âmes qui sous-tendent les idéologies politiques élaborées à cette époque. Ces deux décennies cruciales pour le destin de Rome et du monde Chargé de recherches du F.R.S. - FNRS, Faculté de Philosophie, arts et lettres, Collège Érasme, Place Blaise Pascal, 1 B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique ([email protected]). Les abrévia- tions des titres des catalogues et corpora: ILS: DESSAU, H. (1982-1916; réimpr. 1962): Inscriptiones Latinae selectae, Berolini, 3 t; RIC l': SUTHERLAND, C. H. V. (1984) : The Roman Imperial Coinage. Volume 1. Revised Edition. From 31 BC to AD 69, London, Spink; RPC J: BURNETT, AMANDRY, RIPOLLÈS 1998'; RRC: CRAWFORD 1974. 1 Vid., dans ce volume, les contributions d'A. Bravi, T. Fujii et A. Rodrîguez Mayorgas. 95

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4. Les défunts Pompée et César dans les propagandes de leurs héritiers: l'exploitation politique des conceptions philosophiques et religieuses liées à la mort à la fin de la République Pierre Assenmaker (Université Catholique de Louvain)"

1. Introduction

Le livre Mors omnibus instat offert l'occasion de revenir sur certains aspects idéologiques et sociaux liés à la mort dans le monde romain. Plu­sieurs contributions ont été consacrées à l'apothéose des empereurs et au culte impérial d'une part, aux funérailles aristocratiques républicaines d'au­tre part. Elles ont rappelé l'importance des interactions entre la sphère po­litique et le domaine funéraire, particulièrement remarquables sous l'Empire, à une époque où le culte des empereurs divinisés est devenu l'un des fondements religieux du pouvoir impérial, mais déjà à l'œuvre sous la République, où la mémoire des ancêtres était constamment entretenue et activée dans la compétition entre les grandes gentes l

. Notre contribution a pour objectif d'éclairer ces interactions pendant les années 40 et 30 av. J.-c. Nous nous attacherons plus précisément à mettre en lumière les concep­tions philosophico-religieuses relatives au thème de la mort et de la sur­vie des âmes qui sous-tendent les idéologies politiques élaborées à cette époque. Ces deux décennies cruciales pour le destin de Rome et du monde

• Chargé de recherches du F.R.S. - FNRS, Faculté de Philosophie, arts et lettres, Collège Érasme, Place Blaise Pascal, 1 B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique ([email protected]). Les abrévia­tions des titres des catalogues et corpora: ILS: DESSAU, H. (1982-1916; réimpr. 1962): Inscriptiones Latinae selectae, Berolini, 3 t; RIC l': SUTHERLAND, C. H. V. (1984) : The Roman Imperial Coinage. Volume 1. Revised Edition. From 31 BC to AD 69, London, Spink; RPC J: BURNETT, AMANDRY, RIPOLLÈS 1998'; RRC: CRAWFORD 1974. 1 Vid., dans ce volume, les contributions d'A. Bravi, T. Fujii et A. Rodrîguez Mayorgas.

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occidental furent en effet placées sous le signe de deux mises à mort violentes, dont le caractère pour ainsi dire sacrilège marqua profondément les esprits et orienta de façon déterminante le cours des événements: en septembre 48, Pompée fut décapité alors qu'il débarquait en Égypte; moins de quatre ans plus tard, César succombait aux poignards des «libé­rateurs» de la res publica. À la suite des assassinats de ces deux grandes figures, leurs héritiers politiques poursuivront la lutte et se réclameront de leur souvenir pour entretenir l'ardeur de leurs partisans et de leurs trou­pes, mais aussi pour se gagner la faveur du peuple de Rome et convaincre le Sénat et la nobilitas de la légitimité de leur cause. La référence à Pom­pée et à César devint le socle des propagandes pompéienne et césarienne, qui s'articulent autour du thème de la pietas envers le défunt. C'est dans ce contexte que s'inscrit la divinisation de César, qui est le précédent direct de l'apothéose des empereurs et du culte impérial.

Nous n'exposerons pas dans tous ses détails la «guerre de propagan­des», désormais bien connue, à laquelle pompéiens et césariens se livrè­rent en parallèle au conflit armé 2

• Nous nous concentrerons sur les références aux deux grands hommes défunts et tenterons de retracer leur «destin posthume» en ces années de guerre civile. Dans un premier temps, nous évoquerons le thème de la pietas erga patrem développé conjointe­ment par Sextus Pompée et Octavien. Nous aborderons ensuite le plus remarquable développement de la politique religieuse menée par les cé­sariens: la divinisation de César et le culte du diuus 1 ulius. Il ne s'agira pas de reprendre dans sa globalité ce dossier complexe et débattu depuis des décennies: nous examinerons particulièrement la «montée au ciel» de César, signalée par l'apparition de la comète de juillet 44, car c'est dans cette particularité de l'apothéose césarienne que l'on appréhende au mieux la récupération des conceptions relatives à la mort et à l'immorta­lité des âmes, qui, pour la première fois à Rome, se traduisent en décrets officiels et sont introduites dans la religion de l'État.

2 Vid. notamment WALLMANN 1989: 163-177 et 185-210; POWELL 2002: 118-129 (sur la propagande de Sex. Pompée).

Les défunts Pompée et César dans les propagandes de leurs héritiers

2. Venger Pompée et César: la pietas erga patrem comme légitimation de l'action politique

La pietas est un concept central de la vie religieuse à Rome et de la définition de l'identité romaine. Elle ordonne les relations entre les hom­mes et les dieux, mais règle aussi la vie de la communauté, tant au niveau de l'État que de la famille3• Dans le domaine funéraire, la pietas joue aussi un rôle essentiel: elle est le principe moral et religieux qui contraint la familia

et les relations du défunt à lui offrir une sépulture et à honorer sa mémoire par les rites appropriés. Dans le cas où le décès est causé par une action in­juste et criminelle, la piété appelle à venger le scelus et, le cas échéant, lé­

gitime le recours à la violence. Ces conceptions étaient si bien ancrées dans la mentalité romaine qu'on ne s'étonne pas qu'à la suite de l'assassinat du Grand Pompée, ses fils continuèrent la lutte contre César en brandissant, pour ainsi dire, l'étendard de la pietas4

• La justification première qu'ils donnent à leur action n'est pas la sauvegarde de la res publica, mais leur de­voir filial de vengeance. Désormais, sur la majorité des émissions de deniers qui financeront les campagnes des pompéiens jusqu'à leur défaite finale en 36, figurera au droit le portrait de l'imperator défuntS. Cette représentation

se rattache à la tradition du monnayage des décennies précédentes, où cer­tains monétaires faisaient représenter des membres de leur famille défunts. Cependant, dans le contexte de ces années, elle ne revêt plus seulement une signification familiale, mais devient un signe de ralliement politique.

Après la mort de Cnaeus, c'est Sextus, le fils cadet du Grand Pompée, qui prend la tête du parti pompéien. Celui-ci se présente comme le ven­geur de son père et de son frère assassinés et accentue encore la référence à la pietas erga patrem, à laquelle se combine celle erga fratrem. Au re­vers des deniers qu'il émet durant la période séparant la bataille de Munda de son départ de l'Espagne (45-44), est représentée une figure féminine te­nant un sceptre dans la main droite et une palme dans la gauche, identi­fiée par la légende PIETAS (Fig. 1)6. Le monnayage romain n'avait

3 Cf HELLEGOUARC'H 1972': 276-279. 4 C'est ce terme qui fut utilisé comme mot de reconnaissance des troupes pompéiennes à Munda: App. B Civ. 2, 104. 5 RRC 470; 477/1; 479; 483; 511/3 (cf les portraits de Pompée et de son fils Cnaeus au revers de RRC 511/1). Vid. ZEHNACKER 1973: 1007-1014. 6 RRC 477. Cette émission a fait l'objet d'une étude, restée fondamentale, de BUITREY 1960, à laquelle

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compté auparavant que deux représentations parfaitement assurées -c'est-à-dire identifiées par une inscription- de cette divinite: l'impact de cette image ne peut donc aucunement être minimisé. La signification exacte de la présence de Pie tas sur les monnaies de Sextus est précisée par les types de droit de cette émission, qui donnent à voir soit le portrait du Grand Pompée (RRC 477/1 et 3), soit celui de son fils Cnaeus (RRC 477/2). C'est bien la Pietas en tant qu'incarnation de la pietas erga patrem et fratrem que Sextus revendique comme divinité porteuse de victoire (va­leur symbolisée par la palme qu'elle tient en mainS). À la même époque, il ajouta à sa nomenclature le cognomen Pius, qui fait précisément son appa­rition sur certains deniers à la Pietas 9• Ce surnom restera un élément cen­tral de la nomenclature de Sextus, qui, dans les émissions siciliennes (RR C 511), renoncera à son praenomen et ne se désignera plus que sous le nom de Magnus Pius 10. Le fils de Pompée ne se contenta donc pas de figurer sur ses monnaies la Pietas comme sa déesse patronne, mais se présenta comme le «Pieux» par excellencell . Un passage de la cinquième Philippique de Ci­céron, prononcée en début janvier 43, évoque la pietas des fils de Pompée. L'orateur y évoque Cnaeus et Sextus en ces termes: duos Cn. Pompei, summi et singularis uiri,filios [ ... J, quibus certe pietas fraudi[sl esse non de­buit 12. Cicéron répond ici manifestement à des attaques portées contre Sex­tus Pompée. Cette allusion atteste que la propagande pompéienne centrée

on ajoutera principalement CRAWFORD 1974: 486 et 739; SEAR 1998: 137-138; AMELA 2000; WOYTEK 2003: 497-499. 7 La première au droit des deniers de M. Herennius (RRC 308), datés de la fin du Ile siècle; la seconde au droit d'une émission de D. Iunius Brutus Albinus (RRC 45012), datée de 48. Dans les deux cas, la tête féminine diadémée est identifiée au moyen de la légende PlET AS. D'autres figures féminines ont aussi été identifiées à Pietas (RRC 262/1; 374; 448/1; 452; 466), mais sans que cette interprétation ne soit assurée, dans la mesure où elles ne sont pas accompagnées d'une inscription: vid. PERASSI 1997. 8 BUTTREY 1960: 84-85; cf WALLMANN 1989: 165-166. 'Le cognomen Pius, absent des deniers RRC 477/1-2, figure sur les variantes RRC 477/3a-b. BUTTREY 1960: 89 a montré que sur ces dernières monnaies, ce mot a été ajouté dans un second temps aux coins, après qu'ils avaient déjà été achevés. Le remaniement des coins permet de dater avec une certaine préci­sion le moment où Sextus revêtit le surnom Pius. 10 R. Syme a jadis souligné l'importance de cette «manipulation onomastique», qui est un précédent à celle d'Octavien,lequel, au cours des années 30, prendra officiellement le nom d' Imperator Caesar Diui f (SYME 1958). Sur l'évolution de l'onomastique de Sextus Pompée, vid. aussi WALLMANN 1989: 163-165; AMELA 2000: 114-115. 11 CRESCI MARRONE 1998 a montré que la pie tas de Sextus Pompée ne consistait pas seulement en la piété filiale, qui le poussait à venger son père, mais s'exprimait aussi dans l'aide apportée aux victimes de la proscription triumvirale, laquelle avait donné une terrible actualité au thème de la pietas erga patrem. 12 Cic. Phil. 5,39: «les deux fils de Cn. Pompée, cet homme excellent et sans égal, eux qui, vraiment, n'au­raient pas dû se voir reprocher leur piété». Sur la chronologie des Philippiques, vid. MANUWALD 2007: 9-31.

Les défunts Pompée et César dans les propagandes de leurs héritiers

sur le thème de la pietas était bien connue à Rome, et qu'elle suscitait des réactions de la part des adversaires de l'héritier du Grand Pompée.

Une personne, à Rome, devait particulièrement prendre ombrage de la prétention de Sextus à incarner l'idéal de la pietas erga patrem: Octavien,

qui, dès ses premiers pas sur la scène politique, s'était lui aussi présenté comme le champion de cette vertu romaine traditionnelle. En mars 43, dans la treizième Philippique, Cicéron le qualifie d'adulescens summa pie­tate et memoria parentis sui 13

• Son adoption par César avait introduit le jeune homme dans la gens Iulia, faisant de lui un descendant d'Énée, le modèle héroïque par excellence de la pietas erga patrem. Il n'est pas for­tuit que, dans l'abondant monnayage émis en 42 pour les triumvirs, le portrait d'Octavien au droit des aurei frappés par L. Livineius Regulus soit accompagné au revers de la représentation d'Énée sauvant son père (RR C 494/3). Il est intéressant de comparer cette représentation avec celle du revers des deniers frappés par César après Pharsale (RRC 458), où le fils d'Anchise tenait devant lui le Palladium, un élément qui soulignait sa

pietas erga deos. Le type iconographique utilisé pour les aurei de Regu­lus n'intègre pas le pignus imperii et met donc l'accent sur la pietas erga patrem d'Énée, laquelle préfigure évidemment celle d'Octavien, son der­nier descendantl4

• Le thème était parfaitement approprié en cette année de «guerre de vengeance» contre les assassins de César1s• Il restera au cen­tre de la propagande d'Octavien et de ses partisans durant les années qui

suivirent la victoire de Philippes, à une époque où le conflit avec Sextus Pompée est au centre des préoccupations de l'héritier de César. Dans ce contexte, il est important de souligner que la référence à la pietas, qui de­viendra, à travers la figure d'Énée, un des fondements idéologiques du Principat augustéen, a été développée d'abord par les pompéiens. Ce n'est que dans un second temps que ce thème fut exploité par Octavien, dont

13 Cie. Phil. 13,47; cf. 13,46 (où Cicéron opère un habile glissement de sens, passant de la pietas enten­due au sens de «piété filiale» vers la maxima pietas, consistant en la sauvegarde de l'État). 14 Ainsi PETRILLO SERAFIN 1982; cf. CRESCI MARRONE 1998: 14-15. 15 Octavien était le seul césarien à pouvoir se réclamer de la pie tas erga patrem au sens propre pour mener la guerre contre les assassins de César. Cependant, l'assassinat du pontifex maximus et Parens patriae constituait un scelus qui ne touchait pas seulement la gens lulia, mais souillait la res publica dans son en­semble: ainsi les Ides de Mars furent-elles déclarées jour parricide (Suet. lui. 88,3; sur la date de l'octroi du titre de Parens patriae à César, vid. la discussion de WOYTEK 2003: 414-415, qui la situe en fin dé­cembre 45). À l'instar d'Octavien, les deux autres triumvirs et tous les partisans du dictateur défunt, dé­sormais devenu un dieu, faisaient donc également acte de pietas en vengeant ce meurtre.

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la propagande dans les années précédant Actium se construit pour une bonne part en réaction par rapport à celle de Sextusl6

• Il est significatif à cet égard que même après Philippes, alors que l'on pouvait considérer le meurtre de César comme vengé, les portraits monétaires d'Octavien ar­borent encore, comme ceux de Sextus, la barbe du deuip7. Face à l'héri­tier de Pompée, qui jouit d'une très grande popularité à Romel8, Octavien tient à conserver lui aussi l'image d'un fils attaché à venger son père.

3. Caesar in caelum receptus

La pietas devait constituer, aux yeux du peuple comme des membres de la nobilitas, une incitation d'autant plus puissante à venger la mort de César que celui-ci, durant les derniers mois de sa vie, avait bénéficié d'honneurs qui faisaient de lui plus qu'un simple mortel-fût-il dictateur à vie et Parens patriae- et le rapprochaient de la sphère divinel9

• Un passage de la deuxième Philippique de Cicéron, difficilement contestable et corroboré par le té­moignage de plusieurs auteurs postérieurs, indique même qu'un décret avait été passé pour diviniser César de son vivanrl°. Ce passage indique aussi que cette mesure n'avait pas pris effet, puisqu'Antoine, qui devait être le flamen de la nouvelle divinité, n'avait pas encore été «inauguré» au moment de la rédaction de ce discours (à l'automne 43). Dans le récit qu'il donne du jour des funérailles de César, Appien décrit l'exaltation fanatique du peuple, en­flammé par le discours d'Antoine, et sa volonté de rendre au dictateur dé­funt des honneurs divins. La foule brûla son corps sur le forum, non loin de la Regia, et à cet endroit, on éleva un autel, qui fut par la suite remplacé par un temple au diuus /u/ius21 • Quelques mois à peine après cette démonstra-

16 ZANKER 1987: 48-50 et AssENMAKER 2007: 172-174 (à propos de la propagande neptunienne). 17 Sextus Pompée est représenté barbu sur ses aurei frappés en Sicile (RRC 511/1). Quant à Octavien, il porte la barbe dans la majorité des émissions précédant la victoire de Nauloque, en 36. Dans les mon­naies antérieures à Philippes, Antoine est lui aussi représenté barbu (RRC 480/22; 492/1-2; 493; 494; 496), mais par la suite, il n'arbore plus cette marque du deuil, que seul Octavien maintient. 18 Sans doute très largement due à l'aide apportée aux proscrits: VIO 1998. 19 Les honneurs rapprochant César de la sphère divine et culminant dans sa divinisation ont été décré­tés à trois moments de la domination césarienne: après Thapsus en 46 (Dio Casso 43,14,6), après Munda en 45 (Dio Casso 43, 45, 3) et dans les derniers mois de la vie du dictateur (Cie. Phil. 2,43,110; Dio Casso 44,4-8; App. B. Civ. 2, 106; Suet. Iut. 76, 1 et 84, 2). Sur le contenu de ces honneurs et leur signification, vid. l'excellente mise au point de GRADEL 2002: 54-72. 20 Cie. Phil. 2,43,110. 21 App. B. Civ. 2, 148.

Les défunts Pompée et César dans les propagandes de leurs héritiers

tion de dévotion populaire, un heureux concours de circonstances allait accélérer le processus de divinisation de César: à la fin du mois de juillet 44,

alors qu'Octavien célébrait des jeux -dont on ne sait pas exactement s'ils portaient toujours le nom de Ludi Veneris Genetricis ou s'ils avaient déjà été rebaptisés Ludi Victoriae Caesaris22- qui faisaient office de Lu di funebres en l'honneur de César, une comète brilla durant sept soirs consécutifs23. À en croire Auguste, dans ses Mémoires (achevés vers 24 av. ].-c.), le peuple aurait de lui-même interprété ce sidus crinitum comme le signe de la divini­sation de César: Eo sidere significari uuLgus credidit Caesaris animam inter deorum immortaLium numina receptam 24. Plusieurs auteurs se firent l'écho de cette version «officielle»25, mais le commentateur du Seruius auc­tus est certainement plus proche de la vérité en indiquant que le peuple était arrivé à cette conclusion Augusto persuadente26. Nous verrons en effet que l'interprétation de l'apparition d'une comète comme signe de l'apothéose de César n'avait rien d'évident. Toujours dans ses Mémoires, Auguste relate qu'à la suite de cet événement, il fit ajouter une étoile au-dessus de la tête de la statue de César qu'il avait consacrée au forum 27 et cet attribut devint bien­tôt le symbole habituel de la nature divine du défunt dictateur. Un an et demi plus tard, au début de l'année 42, la Lex Rufrena officialisait la divini­sation de César et instituait le culte du nouveau dieu28.

22 La plupart des sources qui mentionnent à la fois la comète et les jeux dénomment ces derniers ludi Ve­neris Genetricis; aucun texte ne situe l'apparition de la comète lors de ludi Victoriae Caesaris, appella­tion qui n'est attestée pour l'année 44 que dans une lettre de Matius à Cicéron (Fam. 11,27,7) et chez Suet. Aug. 10,11. Bien que la communis opinio retienne le nom de ludi Victoriae Caesaris (vid. e. a. ORTH 1994: 158, DOMENICUCCI 1996: 30-32 et GREEN 2004: 235), RAMSEY et LICHT 1997: 2-10 et pas­sim ont livré une argumentation solide en faveur de l'appellation ludi Veneris Genetricis. 2J Sur la comète de César, vid. désormais RAMSEY et LICHT 1997, qui rassemblent de façon commode tou­tes les sources littéraires relatives à la comète et aux jeux durant lesquels elle apparut (appendice I, p. 155-177). A ces jeux célébrés du 20 au 30 juillet furent associés les ludi funebres de César, ainsi qu'il ressort clairement d'une notice du Seruius auctus (Serv. ad. Aen. 8,681). 24 Plin. HN 2,94 : «Le peuple crut que cet astre signifiait que l'âme de César avait été reçue parmi les puis­sances des dieux immortels». 25 Suet. lui. 88 et Dio Cass 45, 7, 1. 26 SerY. ad. Aen. 8,681; cf ad Aen. 6,790 (persuasione Augusti) et SerY. ad Buc. 9,47; cf. aussi Suet. Diu. lui. 88 (persuasione uolgi). Dans le sens d'une propagande d'Octavien qui «persuada» le peuple que la comète était l'âme de César divinisé, vid. FLINTOFF 1992: 69-71; ORTH 1994: 159-160; RAMSEY et LICHT 1997: 136-137 (interprétation préférable à celle de DOMENICUCCI 1996: 61-63, qui ne semble pas soup­çonner que lefutur Auguste ait pu influencer l'opinion du peuple). 27 Plin. HN 2, 94 (in foro). Dion Cassius (Dio Casso 45, 7,1) situe par contre la statue dans un Aphrodi­sion, qui doit être le temple de Venus Genetrix: faudrait-il alors voir dans le forum mentionné dans la citation des Mémoires le forum lulium? Cf RAMSEY et LICHT 1997: 159, n. 3. 28 La lex Rufrena nous est connue par l'inscription ILS, 73a. Sur les mesures prises en l'honneur de César divinisé le 1er janvier 42, rapportées par Dio Casso 47, 18,3-19, 3, vid. W ALLMANN 1989: 52-58.

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La divinisation et le culte d'un mortel défunt sont une innovation sans précédent dans le cadre de la religion romaine. Toutefois, l'apothéose de César ne doit pas être considérée comme une rupture dans l'histoire re­ligieuse de l'Vrbs, mais plutôt comme un moment charnière, car elle est aussi le fruit de l'évolution des mentalités et des comportements politi­ques de la Rome de la fin de la République. Elle peut d'une part être envisagée comme l'héritière des idéologies «impératoriales» qui, surtout depuis Marius et Sylla, tendaient à rapprocher les grands généraux vain­queurs de la sphère divine -songeons à Sulla Epaphroditos. D'autre part, la croyance en une «montée au ciel» de César doit être mise en rapport avec les conceptions de l'époque relatives aux catastérismes et au destin posthume des âmes29• Le thème de la survie des âmes et de leur accession au ciel trouvait, à la fin de la République, une résonance profonde dans l'esprit de bien de membres de la nobilitas. Une part importante de l'aristocratie romaine s'imprégnait par ailleurs depuis plusieurs géné­rations de l'idéologie religieuse développée dans l'entourage des rois hellénistiques, dans laquelle, en particulier à la cour des Ptolémées, le ca­tastérisme était devenu un mode particulièrement prestigieux d'accession du souverain au rang des dieux30

• Cette forme d'apothéose présentait en effet le double avantage de satisfaire l'érudition astronomique et astrologique des cercles intellectuels et aristocratiques autant qu'elle s'en­racinait dans les croyances populaires les plus anciennes.

4. De la comète de 44 au Caesaris astrum31

On comprend donc aisément que l'habile Octavien, en ce mois de jui­llet 44, ne laissa pas échapper l'heureuse opportunité qui s'offrait à lui:

29 Sur la croyance en l'immortalité des âmes et en leur retour dans le ciel étoilé, théorisée dès le VIe siè­cle par Pythagore et très largement diffusée dans la Rome du 1er siècle av. l-C., vid. ORTH 1994: 148-158 et GREEN 2004: 244-246. 30 Vid. notamment SANTIN! 1996: 100-104; GREEN 2004: 247-248 (lequel souligne toutefois que «despite the increasingly frequent deification of monarchs during the Hellenistic period, catasterism remained rare» [p. 247]). Cf GREEN 2004: 238-240 pour une réflexion sur la survivance, même aux époques les plus «rationalistes», de croyances irrationnelles sur l'anthropomorphisme des dieux et la possibilité pour un mortel d'accéder au rang de divinité. 31 Bien qu'un usage vieux de plusieurs décennies ait profondément ancré l'expression sidus l ulium dans les habitudes des philologues et des historiens, il nous semble que celle-ci n'est pas la plus judicieuse pour dé­signer la comète de César, telle qu'elle apparut en juillet 44 et telle qu'elle fut représentée, plus ou moins fi-

Les défunts Pompée et César dans les propagandes de leurs héritiers

l'apparition de la comète durant les jeux destinés, notamment, à célébrer César devait lui permettre d'imposer l'idée que son père adoptif était de­venu un dieu et donner ainsi une impulsion déterminante au processus de divinisation officielle de César. Cela n'alla toutefois pas sans difficulté. Octavien était en effet confronté à un problème de taille: les comètes étaient très généralement considérées, dans l'Antiquité, comme un pré­sage funeste32. Nous avons certes connaissance d'une théorie voulant qu'un type particulier de comète (entièrement entouré de la «chevelure») constituerait un présage favorable, mais on ne peut être assuré que cette conception n'ait pas été forgée postérieurement, justement en raison de l'interprétation positive donnée à celle de 44: «notre source -tardive­ajoute en effet qu'une telle comète était apparue eo tempore quo est Augustus sortitus imperium ... »33. Quoi qu'il en soit, même si Octavien put se réclamer de théories astrologiques particulières pour contrecarrer la valence communément négative des sidera crinita, que ses adversaires n'avaient pas manqué de rappeler34, il est vraisemblable, comme l'ont sou­tenu J. T. Ramsey et A. L. Licht, que l'héritier du dictateur préféra dans un premier temps présenter le corps céleste apparu lors des ludi non pas comme une comète, mais comme une étoilés. C'est en tout cas bien un sidus et non un sidus crinitum qui est figuré dans les plus anciens portraits posthumes de César accompagnés d'un astre, qu'il s'agisse de la statue consacrée par Octavien peu après l'apparition de la comète36 ou de la

dèlement à la réalité, dans la littérature et l'iconographie. Tout d'abord parce qu'un tel emploi ne respecte pas le sens -du moins le sens premier- que ces mots revêtent dans leur contexte originel: Horace (Carm. 1,12, 47) a forgé cette expression pour évoquer métaphoriquement Auguste, «étoile des lulii». L'allusion à la co· mète de 44 semble bien être présente en filigrane, mais il ne s'agit que d'une référence indirecte (cf. NISBET et HUBBARD 1970: 162-163). À l'appellation sidus lu/ium, nous proposons par conséquent de substituer celle de Caesaris astrum, issue de la neuvième Bucolique de Virgile, au vers 47. Il s'agit en effet de l'allusion à la comète la plus ancienne que nous possédions (42 av. J-C), et ces deux mots y font directement référence. J2 Cf Plin. HN 2,92: «terrificum magna ex parte sidus atque non leuiterpiatum». Vid. notamment FLIN· TOFF 1992: 67-69; DOMENICUCCI 1996: 72-79; RAMSEyet LICHT 1997: 135-136 (avec bibliographie). J3 Rufius Festus Avienus (IVe s. apr. J-C) apud SerY. ad Am. 10,272. Nous partageons sur ce point les soupçons de DOMENICUCCI 1996: 77-78. Aucun élément précis, nous semble-t-il, ne permet d'affirmer qu'Avienus avait repris cette interprétation positive de ce type de comète à un manuel d'astrologie du Ile s. av. J-C, ainsi que le supposent RAMSEY et LICHT 1997: 145-147. J4 Comme il ressort clairement du texte de Dio Casso 45, 7, 1. 35 RAMSEYetLICHT 1997: 136-140 et 144-145. 36 Celle-ci porte sur la tête un sidus selon Auguste lui-même (Plin. HN 2, 94), ce qui est confirmé par Dion Cassius (45, 7, 1), qui utilise le terme aster, explicitement opposé à cometes. La phrase extraite des Mémoires d'Auguste trouve une illustration parfaite dans le revers des deniers de L. Lemulus (RIC j2 415, 12 av. J-C): on y voit le princeps poser une étoile sur la tête d'une statue, que l'on peut interpréter comme celle du diuus lulius (ainsi WEINSTOCK 1971: 379 et GIARD 2001': 115).

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représentation au droit des aurei frappés en 38 par le diui filius et Agrippa (RR C 534/2; Fig. 2)37. C'est encore une étoile sans la queue caractéristique des comètes qui figure sur le fronton du temple du diuus Iulius tel qu'une série de deniers d'Imperator Caesar nous le donnent à voir (Fig. 3)38.

Il a également été noté que lorsque les poètes faisaient allusion à la comète de 44 dans le contexte de l'apothéose de César, ils employaient les termes sidus ou astrum, tandis que lorsqu'ils l'évoquaient sans la mettre en rapport avec le diuus Iulius, ils la désignaient comme une comète39

• Seul Ovide, qui appartient à la «seconde génération» des poètes augustéens, intègrera la comète dans le récit du catastérisme de César -non sans tra­hir un certain embarras40

• Quant aux représentations monétaires du diuus I ulius, c'est seulement vingt-cinq ans environ après l'apparition de la fameuse comète, à l'époque des Jeux séculaires, que l'étoile y est rempla­cée par un sidus crinitum, dont c'est la première apparition dans le mon­nayage romain (Fig. 4)41. Il semble donc que de nombreuses années passèrent avant que l'on puisse présenter définitivement la comète comme le résultat du catastérisme de César42

• Auguste lui-même, dans ses Mé­moires, parlait d'un sidus crinitum et non plus d'un simple sidus (cf. supra). Mais à l'époque où il écrivait ces lignes, la divinisation de son père était depuis longtemps un fait officiel et lui-même était maître de Rome ...

37 Un portrait monétaire de César accompagné de l'étoile (laquelle n'est cependant pas placée devant le front) figure aussi dans le monnayage d'Hadrumentum d'époque augustéenne (RPC 1772). Une étoile accompagne le portrait d'Octavien au droit d'une des deux variantes des célèbres monnaies de bronze au nom duDIVOS IVLIVS (RRC 535/2), dont la datation va de 41 à 38/37 (cf AMANDRY et BARRAN­DON 2008: 227-229, qui préconisent le retour à la datation traditionnelle de 38/37). Sur plusieurs émis­sions monétaires des années 40-30 apparaît le motif de l'étoile surmontant une proue (RRC 521/1-2 ; RPC l 515 [Lugdunum D; WEINSTOCK 1971: 378 a voulu y reconnaître aussi l'astre de César (À la suite de GRANT 1946: 50-51, cet auteur considérait que l'étoile de César apparaissait encore sur une émission de bronze attribuée à une cité d'Afrique; il pourrait en réalité s'agir d'un faux moderne: vid. BURNETT, AMANDRY et RIPOLLÈS 1998': 201-202, qui l'excluent de leur catalogue.) " RR C 540 (émission datée de 36). J9 RAMSEY et LICHT 1997: 144-145 et 172-177 (pour la liste des textes). 40 Ov. Met. 15,746-750, qui tente par une formule redondante de concilier l'image de l'étoile comme résultat du catastérisme avec la comète effectivement apparue: in sidus uertere nouum stellamque comantem (749). Par la suite, lorsqu'il décrit la métamorphose de César en astre, il montre une ftammi­ferumque trahens spatioso limite crinem / stella (15, 849-850). 41 La comète de César, accompagnée de la légende DIVVS IVLIVS, est représentée sans doute pour la premièrefois au revers des deniers RIC l' 37-38 et 102, datés d'env. 19-18 av. J.-c. et attribués à des ate­liers espagnols. En 17 av.J.-c., le triumuir M. Sanquinius signe une émission de deniers (RIC l' 337-342) dont le revers figure la tête laurée du diuus Iulius surmontée d'une comète (Fig. 4). 42 DOMENICUCCI 1996: 64-66 a souligné que, bien que ce fût loin d'être courant, la tradition antique pouvait aussi admettre la transformation en comète comme le résultat d'un catastérisme, même s'il

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De quelques façons que les contemporains aient interprété l'appari­tion de la comète en juillet 44, nous retiendrons pour notre propos que, dans les années qui suivirent cet événement, c'est à l'image de l'étoile -et non de la comète- que recourut la propagande du jeune César pour symboliser l'apothéose de son père adoptif. Ce choix se comprend aisé­ment car, à la différence du sidus crinitum, l'étoile faisait directement ré­férence à ce mode d'apothéose particulier qu'était le catastérisme et ne se prêtait pas à des lectures négatives pouvant être opposées à l'interpréta­tion qu'Octavien avait répandue dans le peuple. De plus, en privilégiant l'image de l'étoile, le diui filius ne faisait en réalité que s'inscrire dans le sillage de César lui-même, dont le monnayage donne à voir de façon récurrente le motif du sidus4J. Il convient en particulier d'attirer l'attention sur l'émission produite par P. Sepullius Macer au début de l'année 44, encore du vivant de César, où figure au droit le portrait de ce dernier accompagné -déjà- d'une étoile (placée derrière la tête)44.

S. Weinstock a interprété de façon convaincante la présence de ce motif dans les monnaies césariennes45. Celui-ci fait d'abord référence à l'étoile d'Aphrodite, qui, de par son éclat, jouissait depuis la plus haute antiquité d'un statut particulier, et qui, pour les Romains de la fin de la République, passait pour avoir guidé Énée depuis Troie jusqu'au territoire laurente46. Il n'est donc pas fortuit que l'étoile apparaisse à plusieurs reprises associée à Vénus dans les émissions du régime césarien. En outre, lorsqu'il est juxta­posé au portrait du dictateur, l'astre prend aussi une valeur similaire à celle qu'il détenait dans les représentations de monarques hellénistiques depuis Alexandre, à savoir symboliser le caractère divin du souverain47. Cette

s'agissait d'une forme de catastérisme «faible» dans la mesure où le résultat de la métamorphose n'était pas inscrit en permanence dans la voûte du ciel. 43 RRC 468/2 (une étoile orne le chignon de Vénus au droit); 476/1b (derrière le buste de la Victoire au droit); 480/5 (derrière la tête de César au droit et sous le sceptre de Vénus au droit); 480/11,14 et 18 (sous le sceptre de Vénus au droit); 480/26 (étoile comme type de revers). 44 RRC 480/5. Sur la datation de cette série de deniers, vid. désormais WOYTEK 2003: 419-421. Elle est située de façon certaine avant les Ides de Mars et «wahrscheinlich ungefahr zwischen J"nner und Mitte Februar 44» (WOYTEK 2003: 420). 45 WEINSTOCK 1971: 373-378. 46 Varron apud Serv. ad Aen. 1,382. 47 On pourrait exprimer une légère réserve dans le cas du denier de Macer (RRC 480/5). Il conviendrait peut-être de ne pas interpréter ses types isolément, comme le fait WEINSTOCK 1971: 377-378, car ils for­ment un ensemble cohérent avec ceux des monnaies de M. Mettius (RRC 480/3) et de L. Aemilius Buca (RRC 480/4), qui présentent également la légende CAESAR IMP et le portrait de César accompagné d'at­tributs, respectivement un culullus surmonté d'un lituus et un croissant de lune. Dès lors, l'étoile qui fait

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seconde exégèse ne doit pas surprendre: nous avons vu plus haut que, dans les derniers mois de sa vie, César avait obtenu des honneurs qui faisaient de lui pratiquement l'égal des dieux. En tout cas, la présence récurrente (et jamais anodine) du sidus sur les émissions césariennes prouve que le dictateur avait exploité le puissant symbolisme de l'étoile dans la com­position de son image de maître de Rome. Dès lors, quand la providen­tielle comète éclaira le ciel de l'Vrbs -peut-être justement lors de jeux dédiés à Venus Genetrix, la divine aïeule du dictateur, elle-même dotée d'un astre renommé48

-, il ne fut guère difficile pour le jeune César de convaincre le peuple que c'était bien là l'âme de son ancien chef, montée au ciel prendre sa place parmi les dieux49

5. En guise de conclusion: une réponse pompéienne à la divinisation de César?

Nous ne nous étendrons pas ici sur le prestige sans équivalent que la divinisation de César fit rejaillir sur la personne de son héritier, lequel ne manqua évidemment pas d'en faire un usage intensif dans sa propa­gandë. Il n'est que de rappeler que les mots diui filius devinrent un élé-

office d'attribut au droit de la monnaie de Macer ne devrait-elle pas être analysée en lien avec le croissant de lune (l'union de ces deux motifs étant attestée précédemment dans le monnayage républicain, par ex. sur les deniers RRC 335/10)? CRAWFORD 1974: 494 semble aller dans ce sens, puisqu'il suggère que tant l'étoile que le croissant sont représentés «just conceivably to indicate a belief in the imminence of a new age» (cf. CRAWFORD 1974: 511 pour le renvoi aux sources). Une analyse séduisante de ce double motif avait été proposée jadis par A. Alfüldi dans deux articles de 1965 et 1966 (vid. la réédition ALFDLDI 1984: 40 et 48), où l'auteur établissait un rapport avec le croissant de lune et l'étoile -laquelle représenterait en fait le soleil- accompagnant le buste du souverain sur les monnaies parthes, et interprétait ces attributs comme un 'polemischer Parallelismus» aux émissions du grand roi contre qui César préparait alors une cam­pagne (interprétation suivie par WOYTEK 2003: 420, n. 503). En fin de compte, la conclusion d'A. Alfüldi est très proche de celle de S. Weinstock puisque la combinaison de l'étoile-soleil et du croissant élèverait le souverain dans la sphère cosmique et le désignerait comme particeps siderum, frater Solis et Lunae (selon les termes en lesquels se présente le roi de Perse Shapur/Sapor chez Amm. Marc. 17,5,3). 48 Lequel était probablement visible dans le ciel peu de temps après la comète les jours où celle-ci appa­rut, ainsi que l'ont démontré RAMSEY et LICHT 1997: 138-139. Une heureuse coïncidence de plus, qui peut expliquer en partie le rôle que les poètes augustéens ont accordé à Vénus dans l'accomplissement du catastérisme de César. ., WEINSTOCK 1971: 373 allait-il trop loin lorsqu'il affirmait: .One gains the impression that the rise of the cornet had been a welcome incident, but that the symbolism of the stars would have exerted its in­fluence even without it?». 50 Vid. la synthèse de ZANKER 1987: 42-46.

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ment essentiel de la nomenclature officielle d'Octavien, telle qu'elle apparaît notamment dans les émissions monétaires (au plus tard à partir de 38)51. Au moment de clôturer cette brève contribution, nous préférons attirer l'attention sur un thème particulier de la propagande pompéienne qui a peu attiré l'attention des historiens, mais qui prend un intérêt indé­niable si on le replace dans le contexte idéologique que nous avons es­quissé dans cette étude. Sur une des deux séries de deniers frappées par Q. Nasidius, un lieutenant de Sextus Pompée, le droit est occupé par le portrait de Pompée en «nouveau Neptune» et le revers figure un navire au-dessus duquel est représentée une étoile (RRC 483/2). E. La Rocca a proposé une analyse très convaincante de ce motif: «la stella che illumina dall' alto 10 scafo pare essere un segno divino corrispondente alla cometa che aveva indicato ai Romani l'immissione del nuovo divus Cesare ne­ll'Olimpo»52. Il ne serait pas inutile de reprendre l'analyse de la propa­gande pompéienne dans la perspective d'une réponse à la divinisation de César et d'une tentative de réappropriation du symbole de l'étoile. Ce développement outrepasserait toutefois les limites assignées à cet article, ne fût-ce qu'en raison des vives discussions qui entourent la datation de l'émission de Q. Nasidius53. Nous nous proposons donc d'offrir au lecteur les résultats de cette enquête dans une étude de plus grande ampleur, qui prolongera les réflexions auxquelles nous a amené le thème de ce livre.

51 Cf ASSENMAKER 2007: 162-163. 52 LA ROCCA 1988: 270. 5) Vid., pour les dix dernières années seulement: ESTIOT et AYMAR 2002; WOYTEK 2003: 503; AMELA 2003 et 2005; ESTIOT 2006.

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Fig. 3.- Denier d'Octavien (RRC 54012) <!:> Classical Numismatic Group. Auction 85. Nr. 829.

Fig. 2.- Denier d'Octavien et d'Agrippa (RRC 53412) iI:l Münzen &. Medaillen AG Base!. Auction 93. r. 74.

Fig. 4.- Denier de M. Sanquinius (RIC l' 337) iI:l Stack's. Stack &. Kroisos CoUections. Nr. 2332.

Fig. 5.- Denier de P. Sepullius Macer (RRC 480/5a) iI:l LHS umismatik AG. Auction 100. r.433.

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