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Ndzuani, Ngazidja, Mwali : 700 fc / Maore : 4 euros / Réunion, France : 5 euros / Madagascar : 2.500 ariary www.kashkazi.com kashkazi les vents n’ont pas de frontière, l’information non plus n°72 - mai 2008 enquête dans les secrets du régime mafieux de mohamed bacar bourses scolaires : les “fils à papa” d’abord analyse séparatisme : le “monstre” endormi reportage au coeur de la tourmente anjouanaise les dernières heures des dockers le boom des écoles privées à maore Ali Soilihi. Portrait réalisé par Mokeït Van Linden. 30 ans après sa mort ali soilihi la révolution inachevée enquête à maore comment les notables veulent reprendre la main césaire, maore et le département

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Ndzuani, Ngazidja, Mwali : 700 fc / Maore : 4 euros / Réunion, France : 5 euros / Madagascar : 2.500 ariary

www.kashkazi.com

kashkaziles vents n’ont pas de frontière, l’information non plus

n°72 - mai 2008

enquêtedans les secrets du régime mafieuxde mohamed bacar

bourses scolaires :les “fils à papa”d’abord

analyseséparatisme : le“monstre” endormi

reportageau coeur de la tourmenteanjouanaise

les dernières heures des dockers

le boom des écolesprivées à maore

Ali Soilihi. Portrait réalisé par

Mokeït Van Linden.

30 ans après sa mort

ali soilihila révolution inachevée

enquête à maore

comment les notables veulent reprendre la main

césaire, maore et le département

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4 enquêtecomment les notables mahorais veulent reprendre la main

6 enquêtebourses d’études dans l’union : la foire au clientélisme

8 diplomatiefrance/comores : comment Moroni joue l’apaisement

9 socialaffaire sogéa : une décision historique

10 reportagele boom des écoles privées à maore

12 enquêtedans les secrets du régime mafieux de mohamed bacar

14 analyseséparatisme : le “monstre” endormi

16 césaire, maore et le départementdu combattant départementaliste à la revendication autonomiste

l’échec économique des DOM

à maore, entre combat égalitariste et croyance quasi-religieuse

24 reportagedockers dans l’archipel : un métier en pleines mutations

26 gros planvanille : la fin du système des papas ?

28 FQS

30 in situndzuani, une sécurisation lente et difficile

sommaire (72) Il ne suffit pas de brailler

A SON ARRIVÉE AU POUVOIR, Ahmed Abdallah Sambi avaitfait de la question de la lutte contre l'impunité un sacerdoce. La corruption,en pôle position, devait être sanctionnée. Tous en prison ! Les voleurs debiens publics, les trafiquants d'influences et les complices sans nom. Il y eutquelques coups d'éclats, des rapports d'audits, puis pffuit !!! plus rien. Ah !Si… Les procès de quelques "caciques" du pouvoir Azali pour donnerl'exemple. Et puis plus rien ! L'écran noir ! Nul ne sait si les affaires conti-nuent à être instruites en justice. Personne ne peut dire si l'Etat a eu gain decause au-delà du procès politique de tel ou tel accusé ! Et surtout rien ne ditsi le citoyen pourra désormais s'attaquer à la machine corruptrice sans y per-dre son latin ! Car il y avait bien un enjeu dans cette idée d'une justice plusjuste, plus équitable, plus encline à défendre le bien commun. Il s'agissait demontrer au peuple comorien que la mémoire courte n'encourage pas à lapaix des consciences et que mettre fin à l'impunité n'est pas seulement unacte de bravoure en période de marketing politique. Au contraire, "sanction-ner" signifiait l'avènement d'un "Etat de droit", chose que le Comorien n'aque très peu vécu depuis l'indépendance.

Dans la foulée, on aurait voulu - "on", pronom malhonnête - quela société civile profite de cette occasion, se mette au travail le plus sérieu-sement possible, enquête sur le manque à gagner de l'Etat et du citoyen danscette corruption généralisée, engage des procédures longues pour le citoyenmais nécessaires pour le devenir de la nation comorienne. Du temps duColonel Azali, il y eut ce mouvement inédit de juges impertinents, qui poin-tèrent du doigt les affaires de corruption comme jamais auparavant on ne l'a-vait fait. Les citoyens n'ayant pas réagi à leur suite - ni manifestation ni récri-minations d'aucune sorte - le pouvoir a vite fait de remettre de l'ordre dansles rangs. Sur les places publiques, "on" a alors préféré commenter les més-aventures de tel juge ou de tel ancien directeur de sociétépublique au lieu d'agir en conséquence. Et les valeureuxjuges n'ont plus eu qu'à se dédire. C'est ce qu'on appelleune occasion manquée - un pouvoir qui entrouvre, mal-gré lui, une fenêtre de démocratie, et le peuple qui oubliede s'y engouffrer.

L'IMPUNITÉ REPOSE EN FAIT sur ce postulat.Tant qu'il n'y aura pas de citoyens assez résolus pourenquêter et monter des dossiers accablants et indiscuta-bles contre ceux que la rumeur accuse habituellementsans pouvoir condamner, les innocents continueront à êtreconfondus avec les "criminels". C'est là que la sociétécivile devrait jouer son va-tout. Donner le sentiment qu'u-ne justice est encore possible dans "le monde" qui est lenôtre. La corruption, sujet qui interpelle beaucoup l'opi-nion, était un bon début. Sévir en la matière est forcément exemplaire pourtous ceux qui en appellent à l'Etat de droit. Procéder à des investigations làoù l'homme de la rue se contente de lâcher un gros soupir de déception, ense persuadant du bien-fondé de l'inégalité, est un exercice autrement plusinquiétant pour les ennemis de la nation comorienne. Mais nous avons man-qué là une occasion de changer la donne ! Raté le rendez-vous des juges duColonel Azali ! Tout comme on risque de rater le rendez-vous pris par Sambicontre l'impunité au lendemain de son intronisation ! Nous allons rater cettegrande occasion de fonder une organisation citoyenne, à même de défendrenos droits devant les tribunaux. Contre la corruption généralisée. Contre l'ir-responsabilité de nos élus. Contre la violence de ceux qui tiennent les armeset contre les exactions commises par nos hommes de pouvoir. Car nous pré-férons regarder ce qui se trame en "spectateurs" au lieu d'être pleinementacteurs obligeant la justice comorienne à sévir.

Sans doute existe-t-il des sujets complexes sur lesquels nous nepourrons pas grand'chose. Savoir par exemple que le dossier Abdallah cont-re la bande à Denard était vide de pièces à convictions, à cause d'un Djoharqui a bien voulu se laisser manipuler par ses puissants protecteurs, n'était pasune information évidente à gérer pour nous, simples citoyens, au momentdes assises du “corsaire de la République” à Paris. Mais prouver les crimescommis par le mercenariat dans le pays (tortures, disparus, intimidations,etc.) est chose encore possible pour cette société civile à laquelle nous par-ticipons tous de façon plus ou moins affirmée. Les témoins sont encore bienvivants et la justice aurait du pain sur la planche pour au moins une décen-

nie, si on l'encourageait à s'y atteler. Peut-être qu'un simple citoyen n'oseraou ne saura pas porter plainte contre des crimes commis à l'époque deschiens de guerre, mais un collectif de citoyens peut avoir les moyens d'ac-compagner une telle procédure. Peut-être que la France n'aiderait pas àextrader un lieutenant Marques ou un sergent Daniel. Mais les complices del'Etat mercenaire sont en si grand nombre dans ce pays qu'on ne s'ennuieraitpas une seule seconde. Commençons par là ! Le citoyen saurait alors ce quesignifie l'expression "Etat de droit". En ne confondant pas les bourreauxd'hier avec leurs victimes sur une place publique. Car voilà ce qu'on appel-le une impunité aggravée. Quand les bourreaux viennent s'asseoir dans lesmêmes harusi que leurs victimes, sans qu'on y trouve à redire.

EN DÉFINITIVE, IL EST PLUS FACILE de s'attaquer à l'impunitéde manière populiste et ordurière, avec des tracts et des hari hari ("on dit")qui ne feront jamais "jurisprudence". Prenons le cas de la France [du moinscertains de ses représentants, pour être plus exact] devenue "maître ès impu-nité" aux Comores. Elle réussit -il est vrai- à accentuer le malaise entre sespropres citoyens en coopération et les Comoriens qui vivent à leurs côtés.Car elle prend cause souvent pour des faits indéfendables au nom de ladémocratie. La dictature Abdallah, les soldats de fortune, les coups d'Etat,les assassinats de présidents, les leaders politiques au passé douteux, la cor-ruption dans le service public, etc. Maintenant, il est clair que de le savoirn'est pas tout. Car là comme ailleurs, la société civile se contente de nourrirl'exaspération dans la rue sans se montrer capable d'engager les procéduresnécessaires au règlement des situations ainsi listées. Dernièrement, le scéna-rio "de toujours" s'est répété. "On" dit que l'ambassade de France à Moroni

aurait armé Mohamed Bacar. Les autorités àMaore l'auraient ensuite aidé à fuir 1. Un vrairéquisitoire s'est constitué sur nos placespubliques. Mais que font-ils, nos hommes dedroit, politiques patentés, avocats autoprocla-més du citoyen ? Sont-ils en train de faire l'in-ventaire des exactions du pouvoir Bacar demanière à pouvoir le juger ? Sont-ils en trainde dresser un dossier à charge de manière àpoursuivre, à défaut de faire confiance à leurpropre justice, le dictateur devant une courinternationale 2 ?

Qui nous en empêche ? Encore faut-ilque quelqu'un collecte les faits qui font deBacar l'homme le plus dangereux dumoment dans l'imaginaire politique del'Archipel. Un travail qui n'appartient pas au

seul Sambi. Un travail que notre société civile devra assumer, au lieu decontinuer à faire brailler notre jeunesse inutilement dans les rues. Mieux !Les prétendus avocats de la nation comorienne trouvent localement quel'ambassadeur de France s'est comporté comme un poisson odieux eneaux troubles. S'ils en ont la preuve, pourquoi faut-il le clamer par tractsinterposés, au lieu de fournir un rapport clair et précis sur ces agisse-ments, de manière à pouvoir sommer sa hiérarchie à s'expliquer ?

L'impunité vient aussi de la manière dont le citoyen combat. S'ilen reste au stade de l'exaspération et des combats de rue, il encourage l'ad-versaire à se fondre dans une forme d'anonymat absurde, où l'on ne peut plusdésigner d'ennemi. "Ustaaranbu tsi mare marahafu" disait quelqu'un. Letemps est peut-être venu d'apprendre à instruire les dossiers. Se contenter depousser les plus faibles dans la rue, en leur distribuant des tracts d'insultesfabriqués dans l'ombre des partis politiques défaits, n'est pas responsable.Qui veut punir sévit mais pas en se contentant de brailler. Adéfaut, le citoyencontinuera à palabrer en spectateur de sa propre descente aux enfers.

Soeuf Elbadawi

1 Lire Kashkazi n°71, avril 2008 (disponible sur www.kashkazi.com)2 Seule la Fédération comorienne des droits de l'Homme (FCDH) a effectué un travail sur les crimes du régime Bacar. Son rapport rendu public mi-avril est cependant jugé trop peu détaillé pour être recevable, notamment par la Justice et par l’OFPRA, chargé d’étudier la demande d’asile de M. Bacar.

EN PRÉAMBULE

par Soeuf Elbadawi

Mensuel indépendant de l’archipel des Comores édité par la SARL BANGWE PRODUCTION Troisième année - numéro 72BP 53 11, Moroni, Ngazidja, Union des Comores Tel. Moroni : (00 269) 76 17 97 - (00 269) 35 66 18Tel. Mamoudzou : 06 39 40 56 38e-mail : [email protected] / www.kashkazi.com

Directeur de la publication : Kamal’Eddine Saindou Rédactrice en chef : Lisa GiachinoRédaction : Rémi Carayol, Ahmed Abdallah, Naouir-EddinePapamwegne, Daan-Ouni Msoili, Faissoili Abdou, Anzaouir Ben AlioiouCollaborateurs : Nassuf Djaïlani, Soeuf Elbadawi, Eric Tranois,Le Quotidien de la Réunion, le site internet Malango

Impression : Graphica Imprimerie, Moroni - (00 269) 73 59 65

kashkaziles vents n’ont pas de frontière, l’information non plus

Qui veut punir sévit mais pas en secontentant de brailler.A défaut, le citoyencontinuera à palabreren spectateur de sapropre descente aux enfers.

kashkazi 72 mai 2008

20 ADMINISTRATION : la décentralisation version mudiria

22 LANGUE : le shikomori au service de la révolution

23 POLITIQUE : pourquoila gauche s’opposait à soilihi

ali soilihi,30 ans après

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kashkazi 72 mai 20084

Comment les notables mahoraisENQUÊTE / enjeux de pouvoir à maore

TOUT le monde est là ce vend-redi 4 avril, sur le par-

king du Conseil général. Le préfet certes,ainsi que le sénateur Ibrahim Soibahaddineet la plupart des caciques de la nouvellemajorité - ces jeunes de 40 ans qui se sontaccaparé le pouvoir politique depuis laretraite des vieux "baobabs". Rien que detrès habituel… Mais à côté des "costard-cravate", l'on trouve un public moins fami-lier : le président du CRCMM (Conseilrégional du culte musulman de Mayotte)

Zoubert Adinani, le Grand cadi MohamedHachim, et surtout une flopée de notablesplus habitués aux daïra des confréries etaux assemblées villageoises -bref, à la viemahoraise telle que l'administration l'igno-re-, qu'aux fastes des cérémonies républi-caines. Ce jour-là, ces derniers attirentautant -sinon plus- le regard des spectateursque les différentes étapes de ce qui les atous réunit : l'investiture du nouveau prési-dent du Conseil général, Ahmed AttoumaniDouchina.

Celle-ci n'est cependant pas dénuée d'in-térêt. Les communicants du nouveau prési-dent n'avaient pas manqué, la veille, d'atti-rer l'attention des médias sur la spécificitéde cette "intronisation". Il était question deretour aux traditions telles qu'elles étaientperpétuées avant la colonisation, quandMaore comptait encore des rois. Après unmanzara, marche rythmée par le récit decertains versets du Coran et fermée par lesfemmes, le président, vêtu à la comorienneet protégé du soleil par un parapluie, s'ins-talle à la tribune d'honneur ce vendrediaprès-midi. A la baguette : Ali SaïdAttoumani, certes responsable de laDirection de la culture au sein de l'adminis-tration départementale, mais surtout "gar-dien" du temple des traditions locales. C'estlui qui a imaginé depuis son bureau situédans l'ancienne résidence du gouverneur, àDzaoudzi, cette cérémonie. "AhmedAttoumani Douchina est le premier hommepolitique depuis 150 ans -depuis que laFrance est présente à Mayotte- à disposerdes pleins pouvoirs, à ne pas être sous lacoupe du gouverneur ou du préfet. L'idéeétait donc de marquer l'événement en nousinspirant des cérémonies d'intronisation

des rois de Mayotte", dira-t-il quelquesjours plus tard.

"Dans le rituel de l'intronisation, l'hommedestiné à être investi est recouvert d'un tissude soie", note Sophie Blanchy dans un arti-cle consacré au “rituel d'intronisation dessouverains de Mayotte” 1, "alors que KoloNahuda [celui qui dirige le rituel dont ilassume la partie religieuse, ndlr] prononcele serment". Un troisième personnage, lewaziri, est chargé quant à lui de "faire allé-geance (…) sans doute au nom de toutMayotte", devant une foule d'assistants quidoit être "le peuple".

Conformément à la coutume donc, le pré-sident devenu l'instant de quelques minutesun roi, laisse une autre personne -en l'occur-rence le grand cadi Mohamed Hachim- lan-cer la fatiha d'imploration et de demanded'exaucement des vœux. Appelée égalementduwa, la prière précède la remise au nou-veau "régnant" des insignes du pouvoir : uneécharpe de soie et la canne de commande-ment. Quant au waziri chargé de lui faireallégeance au nom du peuple de Maore, nuldoute qu'il s'agit de Zoubert Adinani, digni-

taire religieux mais aussi leader politique (ilpréside le MDM) devenu, depuis les derniè-res élections, le grand patron de la politiquelocale -c'est lui qui a décidé de placer à laprésidence de la collectivité AhmedAttoumani Douchina à l'issue du secondtour 2. Ainsi tout s'assemble dans un jeu derôle d'autant plus troublant que ZoubertAdinani est l'héritier d'une grande famille deTsingoni, l'ancienne capitale de l'île à laquel-le, rapporte Sophie Blanchy, "revenaient lesmeilleurs morceaux de viande"…

Dans ce contexte, rien d'étonnant à ce quele "roi", dans son discours, mette l'accent, cejour-là, sur l'importance de la religion et descoutumes. Certes, Ahmed AttoumaniDouchina réitère, en présence d'un préfetquelque peu désarçonné, l'attachement desMahorais à la France. "Au moment de rece-voir sur mes épaules l'échappe en soi et lebankora qui symbolisent le myla na tsy, àsavoir la coutume mahoraise, je souhaitetout d'abord vous exprimer ma fierté d'êtreun citoyen de la République Française",lance-t-il à la tribune. "Pour nous Mahorais,être français, ce n'est pas un vain mot, niuniquement une question de passeport, c'est

L’intronisation coutumière du présidentdu Conseil général, le 6 avril, n’était pasune simple cérémonie folklorique. Elle symbolise la volonté des notables de reprendre une partie du pouvoir perdu ces dernières années.

Au premier plan, le grand cadi Mohamed Hachim. Derrière : Ahmed Attoumani Douchina, lors de son “intronisation” le 6 avril.

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veulent reprendre la main...avant tout le sentiment d'appartenir à unegrande nation, c'est la volonté de vouloirvivre ensemble qui n'a jamais été démentie."Mais il en vient rapidement à ce pour quoiles notables sont venus. Le département ?Non : la survivance des traditions mahorai-ses dans ce nouveau statut "assimilateur" :"Le 18 avril prochain", proclame-t-il, "notreassemblée adoptera la résolution tendant àériger notre collectivité en département. Lestatut de département français n'est pascontraire à la religion musulmane ni à lapratique de nos coutumes. L'état de la per-sonne subsiste indépendamment de l'organi-sation administrative d'un territoire. Noscoutumes sont régies par des ouvrages dedoctrine et de pratique tels que le Minhadjatwalibin, le Futuhu el-Karib et le Mongouniainsi que le commentaire de l'imam Shaffii.Ces sources, reconnues par les lois de laRépublique, ont été aménagées et interpré-tées par le Tribunal Supérieur d'Appel enfonction des nécessités des temps actuels(…). Nos coutumes africaines, malayo poly-nésiennes, arabo shirazies ou françaisesfaçonnent le statut personnel prévu etgaranti par la Constitution." Et de poursuiv-re, tel un médiateur lançant un message à

deux ennemis -le préfet et les notables ?- :"Nous ne renoncerons pas à notre identitéculturelle ni au statut de département fran-çais. Sortons de ces débats idéologiques etrappelons qu'il est question de mettre àniveau les conditions de vie de nos conci-toyen en matière économique et sociale".

La conclusion du "nouveau roi" sonnecomme un avertissement à tout administra-teur zélé qui souhaiterait s'en prendre à laculture locale : "Notre attachement à laFrance vient de ce que Mayotte est le seulterritoire africain et musulman de laRépublique Française. C'est une richessesupplémentaire pour la nation. Les pra-tiques coutumières des mahorais sont gui-dées par la tradition shaféite, Kamariad'Afrique de l'Est. Cette doctrine est la seulecapable de résoudre l'apparente contradic-tion qui existe entre mahorité et modernité ;francité et mahorité ; islam et francité ; fran-cité et africanité…"

Cette cérémonie qui se voulait d'un autretemps pourrait ne rester qu'une parenthèsefolklorique dans la marche vers l'assimila-tion statutaire voulue par les Mahorais, si

elle n'était accompagnée d'une série d'indi-ces permettant d'affirmer le retour en forcedes notables, et de penser que l'intronisationdu roi… en était vraiment une. Ainsi le 18avril, Ahmed Attoumani Douchina récidive-ra lors de la session qualifiée d'historique aucours de laquelle les conseillers générauxvoteront en faveur de la résolution deman-dant au gouvernement d'organiser uneconsultation sur le statut de départementavant la fin de l'année 2008. Au micro, lenouveau président réitèrera -plus succincte-ment- les assurances en direction des défen-seurs de la tradition : "Je souligne que latransformation institutionnelle se fera auservice de la société mahoraise (…) leConseil général de Mayotte restera aussi legarant ou le gardien de notre culture, de nostraditions, de notre identité."

Dans le même ordre d'idées, depuis sonélection, M. Douchina ne cesse, à chacunede ses sorties, de rendre hommage à celuique la plupart des Mahorais ont oublié :Georges Nahouda (lire ci-contre). "Ma mis-sion s'inscrit sur le chemin tracé parGeorges Nahouda, Zama Nahouda, depuis1958 suite au congrès des notables deHamaha et d'Ytsoundzou", dit-il le 4 avril."Je rends hommage à Georges Nahouda",répète-t-il le 1er mai, à son retour de Paris, aucours d’une cérémonie “royale”, qui a vu leConseil général affréter des dizaines de buspour acheminer les partisans de la départe-mentalisation à Mamoudzou, et réserver unebarge -ornée de drapeaux aux couleurs de laFrance et de la collectivité- spécialementpour “Sa Majesté”...

La référence au créole plutôt qu'à Bamanaou Henry n'est pas anodine. Celui qui fut lepremier à revendiquer pour Maore le statutde département il y a 50 ans, avait su rallierà sa cause les notables -malgré un handicapsérieux : il n'était pas musulman-, quand lalogique aurait voulu qu'ils se rapprochent deleurs homologues anjouanais et grand-comoriens. "Le génie de Nahouda", affirmeaujourd'hui le député Abdoulatifu Aly, "c'estd'avoir réussi à réunir l'ensemble des nota-bles pour leur exposer son projet".

Réunir l'ensemble des notables : aumoment même où le statut de départementn'a jamais semblé aussi proche, voilà uneautre idée en passe d'être recyclée. Dansles couloirs de la Résidence dirigée par AliSaïd Attoumani, à Dzaoudzi, comme àl'ombre de la varangue de la demeure deZoubert Adinani à Tsingoni, l'on concoctedepuis quelques semaines la mise en placed'une structure au nom révélateur : leCongrès des notables. Selon son organi-gramme que nous nous sommes procurés,celui-ci sera composé des trois principalesconfréries présentes sur l'île (Rifa'iyya,Qadiriyya et Shadhuliyya), de la DjamaatTabligh -dont les membres sont commu-nément appelés Djaoula-, du Conseilrégional du culte musulman de Mayottede Zoubert Adinani, du Conseil des cadisqui en réunit 16, et -cette dernière catégo-rie ne cesse d'intriguer- du Conseil desnotables, une structure qui n'existe pas,mais qui est censé réunir les grandesfamilles des cinq anciens cantons deMayotte à l'époque de l'autonomie interne(Pamandzi, Mtsamboro, Tsingoni,Mtapere et Bandrele)…

Si le secret a été bien gardé jusqu'à pré-sent -très peu de personnes que nous avonscontactées pour cette enquête étaient aucourant-, il ne cesse d'étonner ceux qui ensont informés. "Je ne vois pas trop l'intérêt.Que veulent-ils ? Je ne comprend pas", bal-butie Ali Saïd Amri, président d'une organi-sation, le CREMM (Conseil représentatifdes Musulmans de Mayotte), bizarrementabsente de l'organigramme du Congrès desnotables. "Est-ce parce que Zoubert, qui futprésident du CREMM, semble vouloir sadisparition aujourd'hui ?", se demande unde ses membres. Auquel cas, ajoute-t-il,l'on pourrait estimer qu'il s'agit "d'une orga-nisation avant tout politique" - Ali SaïdAmri, qui milita pour l'indépendance etreste réfractaire au statut départemental,n'est pas sur la même longueur d'onde queZoubert Adinani, ardent défenseur de ladépartementalisation.

Les sources d'interrogations sont ainsinombreuses. La première est l'identité mêmedu promoteur de cette structure : ZoubertAdinani, dignitaire religieux mais avant toutfervent départementaliste, ancien député quivota contre l'indépendance en 1974, fut trèsdiscret ces dernières années, avant de ressus-citer miraculeusement. En quelques semai-nes, il est devenu le grand manitou de la poli-tique locale. Celui qui a fait élire AhmedAttoumani Douchina à la présidence de lacollectivité en forçant les élus de son parti, leMDM, à accepter de se faire diriger par unUMP -dans une volonté clairement affichéed'en revenir au parti unique-, fut en tête ducortège lors de la manifestation du 6 avril enréponse aux émeutes du 27 mars ; siégea auxcôté de Douchina le jour de sa fameuseintronisation ; et ouvrit le meeting du 1er maiqui marqua le retour dans l'île de la déléga-tion mahoraise partie défendre la départe-mentalisation à Paris… Invisible ces derniè-res années, Zoubert est devenu omniprésent,voire incontournable. “C’est lui qui décidede tout actuellement”, affirme un cadre duConseil général. Il est donc permis de sedemander si l'objectif de ce Congrès n'estpas politique...

Le moment choisi pour le structurerlaisse lui aussi songeur. Ce Congrès sera-t-il un outil de plus servant la propagandedépartementaliste ? Difficile à croire, vusa composition : les cadis ne sont pas trèsfavorables à l'évolution statutaire actuellequi les cantonne à la marge de la société 2,tandis que les confréries évitent de faire dela politique - le cheick de la tariqa shadhu-liyya décédé en avril, Ahmed Soilihi, n'aainsi jamais pâti dans sa confrérie de sonpassé de serré-la-main et de ministre deDjohar. D'un autre côté, fait remarquer unobservateur, "le nom rappelle forcément leCongrès des notables de 1958 qui marque

le début de la revendication départemen-taliste". Ali Saïd Amri reste sur ce pointcirconspect : "Je ne vois pas comment unetelle structure pourrait soutenir le dépar-tement, qui s'attaque chaque jour aux fon-dements de la société mahoraise et de sareligion", dit-il.

L'un des concepteurs de ce Congrès -qui atenu à conserver l'anonymat et qui se décritcomme étant "la plume" du projet quantZoubert en est "le représentant"- nie touteambition politique. "L'objectif", explique-t-il, "est de formaliser une structure tradition-nelle méconnue par tout le monde mis à partles vieux de plus de 50 ans. Notre ambitionest de remettre au goût du jour le rôle de larégulation sociale, familiale, religieuse aumoment où la jeunesse a perdu tous sesrepères". Revenir au fonctionnement tradi-tionnel de la société en quelque sorte, enréponse aux fractures générationnellesaccentuées par la présence française. Si cettedémarche, en pleine évolution vers le droitcommun, étonne, elle n'est pas si insolite :elle s'est également manifestée dans d'autresdépartements d'outremer dans lesquels l'as-similation culturelle s'accentuait. "L'idée",poursuit "la plume", est aussi de rappeler aupréfet et aux élus le poids des notables dansla société. "Il ne s'agirait pas de nousoublier", affirme un autre des concepteursdu projet. "De nous mépriser".

Entre politique et coutume, un autre intel-lectuel pense pour sa part qu'il s'agit avanttout de contrer une évolution semble-t-il irré-médiable : l'occidentalisation des élus."Regardez qui sont les nouvelles fortes per-sonnalités du Conseil général : Oili,Aboubacar, Tavanday, Mirhane… Tous sontdes vrais Occidentaux. Ils sont doncincontrôlables par la vieille notabilité villa-geoise. Ce Congrès, c'est un moyen de leurmettre la pression, de leur rappeler que cesnotables qui ne peuvent plus agir sur euxindividuellement existent encore sociale-ment". "Pour moi, il ne s'agit ni plus nimoins que la tentative de conserver un sem-blant de pouvoir de gens qui ne représententplus personne mais veulent préserver leurtitre", affirme, plus tranchant, AbdoultifuAly. "Un moyen, encore une fois, de parta-ger le gâteau, d'avoir des titres de mission etdes indemnités", ajoute un autre intellectuel.Si selon le député, cette structure n'est pasinnocente alors que les cadis perdent petit àpetit leurs prérogatives, elle n'en reste pasmoins instrumentalisée. "

Qui fait la pluie et le beau temps aujour-d'hui au Conseil général ? Qui a fait élire leprésident ? Qui décide des hommes à mettreen place ? Zoubert Adinani. A quel titre ?Qui représente-t-il ? De quel droit ?" ques-tionne M. Aly -qui avait refusé de participerà l'intronisation de M. Douchina le 4 avril. Atravers le retour des notables, il faudrait doncy voir le retour d'un notable : ZoubertAdinani. Et si c'était lui, le vrai roi ?

RC

1 S. Blanchy, Notes sur le rituel d'intronisation des souverains de Mayotte et l'ancien ordre politico-religieux, in Etudes Océan Indien n°21, Inalco, 1997

2 Lire Kashkazi n°71, avril 20083 "Conseil général : des tractations très privées", Kashkazi n°71, avril 2008

“Il s'agit d’une tentative de conserver un semblant

de pouvoir de gens qui ne représentent plus

personne.”Nahouda revival

L 'ARRIVÉE AU POUVOIR D'AHMED

ATTOUMANI DOUCHINA SOUS LA

FÉRULE de Zoubert Adinani, ladépartementalisation imminente, l'appro-che du cinquantième anniversaire dufameux Congrès des notables du 2 novem-bre 1958, acte fondateur de l'histoirecontemporaine mahoraise, et la volontéde relancer une structure rassemblant lesnotables de l'île, ont fait renaître de ses cen-dres oubliées la légende de GeorgesNahouda 1. Depuis son élection, il n'estpas un discours dans lequel M. Douchinane rend hommage au “père de la départe-mentalisation mahoraise”.

NOUS SOMMES en 1958. GeorgesNahouda, membre d'une famille créole -mère originaire de Sainte-Marie, pèreeuropéen- dont sont également issusMarcel Henry et Zaïna Méresse, est l'unedes personnalités les plus influentes deMaore. A la fin des années 40, il est l'undes quatre représentants de l'île au sein del'administration du Territoire desComores. A cette époque, "une réelle amitiéliait Georges Nahouda à Saïd MohamedCheikh", déclarait Marcel Henry, sonneveu et secrétaire, dans Jana na Leo 2.Mais Nahouda n'accepte alors pas le pro-jet de transfert de la capitale de Dzaoudzivers Moroni, cher à Cheikh. Le 14 mai1958, l'assemblée territoriale comoriennevote (par 25 voix pour, 4 contre, celles desélus mahorais) une motion demandant letransfert de la capitale. En août, les quatrereprésentants mahorais "s'adressent à l'ad-ministrateur supérieur et au ministère dela France d'Outre-Mer pour signaler l'in-justice de la mesure envisagée", noteThierry Flobert 3. En septembre, lesComoriens optent pour un statut de TOM(Territoire d'outre-mer), au cours du réfé-rendum organisé dans l'ensemble descolonies françaises. "Le résultat du réfé-rendum [et] la frustration découlant dutransfert imminent de la capitale […] ravi-

vent les rancoeurs latentes 2". "Pouressayer de contrecarrer le transfert de lacapitale 3", Nahouda entreprend alors deconvaincre les notables. Ainsi le 2 novem-bre 1958, il organise le Congrès des nota-bles de Maore, à Tsoundzou. MarcelHenry : "Le parti créé ce jour-là prend le nomd'Union pour la défense des intérêts deMayotte. Le président Georges Nahouda estinvesti d'une mission, celle de se rendre enmétropole pour remettre à Jacques Soustelle,alors homologue de l'actuel ministre des DOM-TOM une pétition demandant la départemen-talisation de Mayotte."

"LE GÉNIE DE NAHOUDA", affirmeaujourd'hui le député Abdoulatifu Aly,"c'est d'avoir réussi à réunir l'ensemble desnotables pour leur exposer son projet". "Pourcontrôler le pays, il suffit de contrôler laclasse des notables", écrivait en 1976Jean Charpantier, dans un article publiédans la Revue française d'études poli-tiques africaines 4. Georges Nahouda l'a-vait parfaitement compris. "En effet",poursuit J. Charpantier, "dans chaquevillage, les vieux et les notables délibèrentavant chaque élection, et la délibérationne cesse qu'après l'adoption d'une posi-tion unanime. Le vote unanime par villa-ge est donc la règle."

LE “GÉNIE” DE NAHOUDA est aujourd'-hui remis au goût du jour par ZoubertAdinani et Ahmed Attoumani Douchina,qui tentent de réconcilier notables et élus.Reste à savoir si l’objectif -la départemen-talisation-, est le même...

RC

1 Lire Kashkazi n°52, 05/10/062 Jana na leo n°49, 19963 T. Flobert, Revue française d'études politiques africaines n°121 (janvier 1976)

4 J. Charpantier, Revue française d'études politiques africaines, 1976

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kashkazi 72 mai 20086

enquête sur un trafic d’Etat

Bourses d’études à l’étranger :

SUR l'impitoyable marché desbourses scolaires, seuls ceux

qui ont le bras long sortent vainqueurs.Depuis les premières heures de l'indépen-dance des Comores, les dirigeants successifsdu pays se livrent à des luttes d'influencesans merci autour du "gâteau" que représen-tent les allocations accordées aux jeunes quipartent étudier à l'étranger. Dès que leurenfant entre en terminale, les parents les plusaudacieux, ou les mieux placés pour atteind-re l'oreille d'un ministre, courent de gauche àdroite pour diminuer les frais d'études de leurprogéniture. Car les bons résultats d'un élèvesont loin de lui garantir l'accès à une bourse.Dans la plupart des cas, il faut avoir des rela-tions au sein du pouvoir pour entrer dans lecercle privilégié des boursiers... "J'ai obtenuune bourse parce que le ministre desRelations extérieures était un parent. Audébut, j'ai eu une bourse pour l'Algérie, maiscomme le pays ne me convenait pas, j'aichangé pour me rendre au Maroc. Là-bas,j'avais aussi une bourse venant du ministre",avoue une jeune femme qui a étudié quatreans dans le royaume chérifien.

Depuis la fin des années 90, aucun étu-diant n'a bénéficié d'une aide financièreaccordée par l'Etat comorien. Les Comoresont interrompu leur système de bourses aumoment où l'Ecole nationale supérieure, quia formé une grande partie des cadres -notamment les enseignants- du pays, dispa-raissait. Restent les bourses octroyées pardes pays “amis”, qui en accordent au total,chaque année, plus d'une centaine auxbacheliers comoriens, en général pour unedurée de quatre ans. Officiellement, ce sontles Etats donateurs qui fixent les conditionsd'attribution. "Le gouvernement comorienne fait que recenser les dossiers et les ache-miner auprès de ces pays amis. Il y a unenouvelle commission qui se charge, dans latransparence, d'attribuer les bourses à ceuxqui le méritent", affirme Hamdani Bakar,directeur de l'enseignement supérieur au seindu ministère de l'Education nationale.Lorsque les jeunes sont appelés à se portercandidats, ces conditions sont diffusées à laradio et publiées au Journal officiel. La men-tion au bac, par exemple, est presque tou-jours nécessaire pour être éligible.

La réalité est cependant toute autre : lesresponsables politiques n'hésitent pas à pas-ser outre ces formalités pour ne choisir queles enfants des proches du pouvoir. "Je n'a-vais pas de mention. Mais mon père étaitbien placé dans le régime et j'ai fait partiedes boursiers" explique Sarah, qui a fait sesétudes de droit au Maroc. Comment les

autorités peuvent-elles détourner les mesu-res imposées par les pays donateurs ? SelonIdi Abdou Eghaniyou, ancien directeur decabinet du ministre de l'Education deNgazidja, l'astuce est toute simple. "Il suffitque le ministre des Relations extérieuresaccompagne les dossiers d'une lettre danslaquelle il trouve une excuse pour que seshomologues acceptent des étudiants qui nerépondent pas aux critères." S'ils ne datentpas d'aujourd'hui, ces petits arrangementssont toujours en vigueur, nous assure uncadre du ministère des Relations extérieures(Mirex) qui a préféré rester anonyme. "Ledomaine des bourses est très sensible. Il sepasse des choses très sales. Les bourses nesont jamais gérées correctement. Il y a tou-jours une mainmise du gouvernement enplace. C'est pourquoi je n'aime pas entrerdans les commissions d'attribution des bour-ses", confie-t-il.

Réceptionnées par le ministère desRelations extérieures, les propositions debourses sont en principe gérées parl'Education nationale. Mais le court-cir-cuitage de leur cheminement habituel per-met à certains membres et proches du gou-vernement d'en faire un usage politique."Parfois les bourses, au lieu d'aller auministère de l'Education, atterrissent aucabinet du président de la République",lance un député qui a siégé dans la com-mission des bourses avant l'arrivée deSambi à la présidence de l’Union.

Face aux magouilles qui détournent lesbourses vers un réseau de copinage et derelations familiales, le nouveau régime amis en place une nouvelle commission d'at-tribution. Celle-ci est censée instaurer latransparence et faire que les véritables ayantdroits profitent de ces aides. "Avant, lesbourses étaient distribuées sans aucunelogique. Le ministère ou la présidence lesattribuaient comme bon leur semblait. C'estpourquoi on a eu l'idée de recréer la com-mission, qui en réalité a toujours existé.Celle-ci est représentative car toutes lesinstances concernées par les bourses y siè-gent", se gratifie Hamdani Bakar, membre

de cette instance et en poste au ministère del'Education nationale depuis un an.

La composition de cette commissiondémontre cependant à quel point les bour-ses constituent un enjeu pour les hommespolitiques. Chaque régime s'est en effetempressé de changer ses membres afin des'approprier le fonctionnement de cettemachine juteuse, utile pour sa pérennisa-tion au pouvoir. Conseillers, personnalitéshaut placées du régime… de la présidenceen passant par la vice-présidence et leministère des Relations extérieures, tous leslobbies du pouvoir en place y sont repré-sentés. Le conseiller spécial du chef del'Etat dirige en personne cette structure quicompte plus d'une dizaine de personnes."Les membres de cette commission repré-sentent les départements d'Etat concernéspar les bourses. Au début, les vice-prési-dents n'étaient pas représentés mais ils ontréclamé d'y entrer. Le conseiller spécial duprésident dirige le groupe pour s'assurer dela transparence des travaux", souligne

Mohamed Nafion, conseiller politique duministre des Relations extérieures et mem-bre de la commission.

Cette instance stratégique n'échappe évi-demment pas aux enjeux insulaires. La com-mission travaille sur la base de quotas : lesjeunes de Ngazidja se voient attribuer 43%des bourses disponibles, ceux de Ndzuani42%, et les étudiants de Mwali 15%. "Cepartage se fait par rapport à la réalité dechaque île. Ndzuani a beaucoup souffert cesdix dernières années donc elle a traitement

particulier", indique Mohamed Nafion. Lesreprésentants de l'Union ont cependantgardé la haute main sur la répartition desbourses. Alors que le partage se fait par île,les exécutifs des îles ne sont que rarementassociés. Depuis la mise en place de laConstitution de l'Union, les ministères del'Education des îles ne se sont vus confierque par deux fois la gestion d'un certainnombre de bourses. "La première fois, c'étaiten 2002, lorsqu'on était fraîchement instal-lés. Il fallu attendre 2006 avec l'arrivée deSambi pour que d'autres bourses soientattribuées aux gouvernements des îles. Cetteannée-là, on en a obtenu quinze, mais on n'ajamais su combien il y en avait en tout. Lereste du temps, on a beau réclamer, on n'ajamais rien", martèle Idi Abdou Eghaniyou.

"Les exécutifs des îles ne sont pas asso-ciés car peut-être que les gens de l'Union sedisent qu'ils ont toutes les données. Aprèstout, ce sont eux qui organisent les examens,donc ils ont les informations qui concernentles élèves", suppose Abdérémane Said

Une centaine de bourses sont attribuées chaque année aux étudiants comoriens par des pays “amis”. Pour y accéder, la proximité avec le pouvoir compte plus que la mention au bac...

“Le domaine des bourses est très

sensible. Il se passe des choses très sales.”

“Le plus souvent, desbourses arrivent et sontdistribuées à des élèvessans que le ministère detutelle ne soit contacté.”

Ci-dessus, une librairie d’étudiants, au Maroc, où partent étudier de nombreux Comoriens. (DR)

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7kashkazi 72 mai 2008

la foire au clientélismeBacar, chargé de la francophonie au minis-tère des Affaires étrangères, qui a longtempsdirigé le service culturel où atterrissent enpremier lieu les bourses.

Quoiqu'il en soit, la commission enquestion fonctionne d'une manière étran-ge quand on sait qu'elle est constituée dereprésentants de l'Etat central. Plutôt quede juger ensemble les candidatures enfonction de leur domaine de compétencerespectif, ceux-ci se retrouvent selon leurorigine insulaire pour "étudier" les dos-siers provenant de leurs îles natales."Dans les sous-commissions, chaquegroupe lance les appels à candidature,récolte les dossiers, procède audépouillement et à l'attribution. Il se peutqu'une île n'ait pas d'élèves qui répondentaux critères établis à l'avance. Dans cecas, la sous-commission fait appel auxautres îles pour compléter la liste",explique Hamdani Bakar. Au final, le des-tin des élèves est souvent laissé aux mainsd'une ou deux personnes qui n'ont aucundétachement par rapport aux pressions etjeux de pouvoirs locaux, et risquent fortd'utiliser les bourses pour s'assurer dessoutiens, récompenser des fidèles, voirevenir en aide à leur propre famille…

Au sein même des ministères, ceux quiont été laissés à l'écart du circuit fustigentces pratiques. "Cette année, il s'est passédes choses dont le gouvernement ne vou-drait pas entendre parler. Même le servi-ce culturel qui est sensé recevoir et gérerles bourses n'a pas été associé", s'insurgeun cadre du Mirex. Pour un député qui aautrefois participé, en tant que directeurde cabinet du ministère de la Fonctionpublique, à une commission, "il y a unesélection dans la sélection. Il ne suffit pasqu'on remplisse les conditions requisespour obtenir la bourse. Lorsqu'un enfantde ma région a sollicité une bourse, il afallu que je me batte fort pour qu'il entredans la sélection alors qu'il avait lesmoyennes requises".

Au ministère de l'Education nationale,on estime "qu'ici tout se passe dans latransparence, mais que tout ne passe paspar le ministère. Si abus il y a, ce n'est pasdans notre département". En effet, si cer-taines bourses envoyées au ministère del'Education sont distribuées dans desconditions ambiguës, d'autres arrivent aupays et en repartent sans que les serviceséducatifs ne soient avertis. "Le plus sou-vent, des bourses arrivent et sont distri-buées à des élèves sans que le ministèrede tutelle ne soit contacté. Parfois, on estinformés de l'arrivée des bourses maisd'autres fois, on l'apprend lorsque desélèves sont bloqués et qu'ils ne peuventpas partir sans un dossier du ministère del'Education. Il y a à titre d'exemple desbourses dites techniques : le donateur, leplus souvent, négocie directement avec ledépartement concerné", affirme "DeGaulle", le directeur de cabinet du minis-tre de l'Education nationale. Un étudiantbénéficiaire de deux bourses confirme :"Elles sont distribuées au ministère desRelations extérieures. Je ne connais pasune autre institution qui s'en occupe",affirme-t-il.

Le Mirex constitue donc la plaque tour-nante de ces allocations, même si sonstaff assure qu'il ne représente "qu'uneboîte à lettres. Il reçoit les correspondan-ces des pays amis et les transmet auxautorités compétentes. Et inversement, ilreçoit le courrier de la part des ministèrespour le renvoyer au donateur", comme lesoutient Mohamed Nafion. Chaqueannée, plus de dix pays se déclarentvolontaires pour faciliter l'accès des étu-diants comoriens à leurs écoles. Parmieux, le Maroc reste le plus pourvoyeur debourses depuis l'indépendance, tandis queles participations de la Libye, de laTunisie ou encore de la Russie varientselon les années. Ce sont principalementces bourses que maîtrise le ministère desRelations extérieures grâce au canal de ladiplomatie.

D'autres aides passent cependant au nezet à la barbe du Mirex. "Il y a des boursesqui sont remises directement au chef del'Etat lors de ses voyages à l'étranger.Dans les pays arabes, souvent, les roisaccordent au président deux ou troisbourses qui sont entièrement à sa guise.On ne sait même pas où elles vont", rela-tivise Mohamed Nafion. Les boursesremises au président en guise de cadeaupar les souverains amis, ne sont pas lesseules à échapper aux services de l'éduca-tion et de la diplomatie : les bourses ditesmilitaires continuent à être gérées par laprésidence elle-même. "Il s'agit des privi-lèges de la coopération militaire. Commele ministre de la Défense est rattaché

directement à la présidence, c'est BeitSalam [le palais présidentiel, ndlr] quis'occupe de leur attribution", dit-on ducôté des Relations extérieures.

La gestion des bourses militaires a faitque la formation des officiers de l'arméedans les grandes écoles est longtemps res-tée l'apanage d'une classe particulière :seuls les enfants d'officiers ou issus degrandes familles ont pu en bénéficier. C'estle cas des fils du président Abdallah, ouencore de celui du colonel Mradabi. Cettepratique était toujours d'actualité sous lerégime Azali, durant lequel l'ancien prési-dent a envoyé son fils aux Etats-Unis poursa formation militaire. Comme il ne pou-vait pas tenir physiquement, il a été ren-voyé de l'académie dans des cours prépara-toires mais, fort de la stature politique deson papa, le jeune homme a ensuite ététransféré au Maroc. Sous ce même régime,un frère du ministre des Relations extérieu-res a également été bénéficiaire d'une bour-se militaire. Ces privilèges ont-ils été abolisaujourd'hui ? Rien n’est moins sûr...

Autre cas particulier : celui des boursesprovenant des pays du Golfe Persique, et desaides destinées aux formations théologiques,dont une grande partie échappe au contrôlede la présidence comme du gouvernement.Les chefs religieux qui les gèrent ont toutelatitude pour choisir les jeunes qui en béné-ficieront, parfois en collaboration avec lesautorités locales. Ainsi, l'île de Ngazidja areçu en 2005 de la part de l'Arabie Saouditeune trentaine de bourses "dans le cadre de lacoopération décentralisée", indique IdiElghaniou. "Cela avait déclenché la colèrede l'Union qui voulait les gérer. En collabo-ration avec le Madrassat Ibn Kaldum deVouvouni, on avait aussi d'autres bourses duSoudan mais les élèves n'étaient pas tropintéressés." Le beau-frère de l'actuel chef del'Etat, enseignant coranique réputé àNdzuani, est également connu pour gérerdirectement un certain nombre de boursesd'études, religieuses ou non.

Autant de circuits opaques au sein des-quels la sélection par le mérite s'efface der-rière des enjeux clientélistes. Les reprochesadressés à Sambi par son vice-président IdiNadhoim, qui estime que les bourses d'étu-des à l'étranger sont attribuées de façon mal-adroite et peu stratégique pour le pouvoir 1 ,sont révélateurs du rôle joué par ces aides.

Ahmed Abdallah

1 Lire “Sambi / Idi, un conflit à couteaux tirés”, Kashkazi n°70, mars 2008 (disponible sur www.kashkazi.com)

Le cauchemar des bourses fantômes

I L N'EST PAS RARE QU'ATTIRÉS PAR

UNE PROMESSE DE BOURSE ABUSI-VE, DES JEUNES se retrouvent à l'é-

tranger sans revenus, voire sansinscription dans un établissement sco-laire. "Un compatriote nous a logés pen-dant un mois, le temps qu'on lance unSOS à la famille. Maintenant, il se trouveque ma famille n'avait pas assez de revenuspour me supporter. Elle a dû faire des énor-mes sacrifices pour que je puisse apprendre.Si j'avais su, je serais resté chez moi",confie Rahim, qui s'était vu accorderune "bourse" pour le Sénégal.

LE JEUNE HOMME faisait partied'un groupe de cinq bacheliers titu-laires d'une mention. Quittant leurpays pour la première fois à la findes années 90, ils sont tombés desnues en arrivant au Sénégal. "A partles inscriptions dans les facultés, riend'autre n'avait été fait. Les bourses n'é-taient qu'un mirage. On n'avait ni unendroit pour se loger, ni de quoi manger.Comme j'avais le numéro du ministre, jel'ai appelé mais il m'a demandé de sup-porter les problèmes", expliqueRahim, aujourd'hui archiviste dansl'administration.

DES JEUNES COMORIENS lâchésdans la nature sous prétexte qu'unebourse les attend, il en existe des cen-taines. Parfois, ils sont rétrogradés àun niveau scolaire inférieur au leurcar les termes de la bourse ne sontbien négociés, comme ces bacheliersqui découvrent une fois en Egyptequ'ils doivent suivre une formationpréalable avant d'accéder àl'Université d'Al Azhar.

EN JANVIER ET FÉVRIER DERNIERS,UN CONTINGENT d'étudiants

comoriens recrutés sur concours s'estenvolé pour l'Iran, pour des forma-tions agricoles notamment.Découragés par la réalité qui les atten-dait à Téhéran, certains ont tout desuite pris le chemin du retour. "Leministère de la Production avait expliquéque la bourse ne serait pas conséquente,mais que les élèves auraient de quoi seloger, manger, et seraient pris en charge encas de maladie. En réalité, ils doivent coti-ser pour se payer à manger et sont actuel-lement logés chez des Comoriens qui sonten Iran. En plus, ils doivent reprendreleurs études en première année", se plaint

Djazila, dont le jeune frère titulaired'une licence a été contraint dereprendre au niveau Bac.

SEUL FONCTIONNAIRE du groupe,Nabouhane Ben Mssa, en poste àMwali, avait accepté de partir pourparfaire sa formation en agriculture."Une condition avait été imposée pourêtre éligible : il fallait s'acquitter de lasomme de 380.000 fc [760 euros, ndlr]pour le billet aller, mais on nous avaitbien assurés que dès notre arrivée, onserait remboursés. Nous étions onze.Arrivés à Téhéran, on a été accueillis ettransférés au centre de formation, où on apassé trois semaines sans voir personne.Après ce délai, le responsable du centre est

venu avec une délégation. Ils ont d'abordordonné le ramassage des passeports, et ilsnous ont fait savoir que nos billets neseraient pas remboursés, et que seulesdeux personnes étaient boursières, dontune n'était pas venue avec nous. Le bour-sier qui était présent est de Djoiezi, levillage du vice-président en charge de laSanté, signataire de la convention[Ikililou Dhoinine, ndlr]. J'ai gardémon passeport et avec des amis, j'ai pufuir ce cauchemar. Arrivé aux Comores,ces mêmes autorités m'ont fait savoir queje m'étais précipité pour partir."

POUR D'AUTRES ÉLÈVES débarquésen début d'année au Caire, l'expé-rience est également amère. "Ils ontdécouvert que la rentrée était en septem-bre. L'Université ne peut pas lesaccueillir avant cette date. Donc, ils sontinscrits dans des cours particuliers auxfrais de la famille", explique le frèrede l'un d'entre eux. Le ministèrecomorien de l'Education nationale,qui serait à l'origine de ces bourses,soutient pour sa part que les élèvessont partis sans son aval.

AA et DOM

“Dans les pays arabes,souvent, les rois

accordent au présidentdes bourses qui sont

entièrement à sa guise.”

Le Bacanjouanaisn'est pas un

obstacleLa non reconnaissancedu Bac anjouanais parles autorités nationalesces dernières années n'apas constitué un obstacleà l'accès aux bourses d'é-tudes pour les jeunes deNdzuani, affirment lesautorités. "On a recensé lesdossiers quelle que soit l'ori-gine du Bac pour les envoyerchez les donateurs. Ce sontces pays qui choisi un élèveou un autre. Il fallait don-ner une chance à ces élèvesvictimes de la politique",affirme M. Nafion,conseiller politique duministre comorien desRelations extérieures. Unchoix qui n'est semble-t-ilpas du goût des cadresdu ministère del'Education nationale, oùl'on affirme "avoir saisi envain nos supérieurs" surcette question.

“Ils ont découvert que la rentrée était en

septembre. Donc, ilssont inscrits dans des

cours particuliers.”

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kashkazi 72 mai 20088

Affaire Sogea : la base d’un nouveau rapport de forces

victoire syndicale à maore

L'AMNÉSIEmédiatiqueest un phé-

nomène remarquable (et universel). L'affairede la Sogea à Maore en est un nouvel exem-ple. Alors qu'en août 2005, le licenciementde 21 employés de la société titulaire ducontrat d'affermage avait fait couler beau-coup d'encre, la décision du Tribunal admi-nistratif de Mamoudzou d'invalider cetteprocédure est passée, elle, inaperçue.

Mi-avril, le tribunal a jugé abusif le licen-ciement de 19 des 21 ex-salariés de la multi-nationale française. La Sogea est ainsicondamnée à réintroduire ces agents dansson effectif, ou, plus certainement, à négo-cier des indemnités dont l'avocat des agentslicenciés est en charge de calculer le mon-tant, en fonction des pertes salariales et enprimes, mais aussi du préjudice subi."Nombre de ces agents ont été au chômagependant plusieurs mois. Certains pendantun an", indique Fahar Ousséni, l'un des délé-gués syndicaux qui faisaient partie du lot.Les négociations se feront directement entrel'avocat, Me Saïdal 1, et la direction de laSogea, assure pour sa part le secrétaire géné-ral de la Cisma-CFDT, Boinali SaïdToumbou.

Cette décision semblait inévitable depuiscelle rendue deux mois auparavant par laCour administrative d'appel de Bordeaux.Cette dernière avait à juger sur deux cas seu-lement, et non l'ensemble des licenciés -pourdes raisons financières, les agents licenciésavaient décidé de ne porter devant la juridic-tion bordelaise que ces deux cas symbo-liques- le bien-fondé de la position de laDirection du Travail qui, à l'époque, avaitactivement soutenu le patron de la Sogea,jouant un rôle majeur dans la légitimationde ces licenciements. La sentence de la courfrançaise tombée le 19 février est sansappel : "Le jugement du tribunal administra-tif de Mamoudzou du 4 mai 2006 et la déci-sion de l'inspecteur du travail du 3 octobre2005 autorisant le licenciement" de DakaParfait et Fahar Ousséni "sont annulés". Lacour estime que "c'est à tort que (…) le tribu-nal administratif a rejeté [leur] demande ten-dant à l'annulation de sa décision d'autorisa-tion de licenciement."

L'affaire avait fait grand bruit à l'époque.Nous sommes en août 2005. Tout part d'unehistoire a priori banale. Fahar Ousseni, délé-gué syndical de la Cisma-CFDT à l'usine dedessalement de la Sogea, filiale du groupeVinci qui distribue l'eau à Maore, est convo-qué par le directeur d'exploitation. "Je nem'entendais pas avec le responsable de l'usi-ne", racontait-il en septembre 2006, un an

après les faits 2. "Il a avancé des argumentscomme quoi j'avais ensorcelé sa femme. Ledirecteur d'exploitation m'a accusé de fairedes gri-gri et m'a annoncé que je seraismuté." Selon Fahar Ousseni, la mésententeavec son supérieur direct portait essentielle-ment sur sa manière d'agir. "Il avait desréflexes coloniaux. En tant que délégué, jene me gênais pas pour le dire. Et les collè-gues me suivaient. Je dérangeais, c'est sûr."Il dérangeait d'autant plus que lui et d'autresdélégués syndicaux, dont Daka Parfait,avaient fait considérablement évoluer ledroit des employés depuis leur embauche."On a obtenu la rédaction d'une conventioncollective et certains droits."

Le jour où il reçoit son avis de mutation"pour gri-gri", Fahar Ousseni informe sescollègues de la station, qui décident de s'yopposer. "On a été voir la Cisma. On a lancéun préavis de grève", dit Fahar, qui travaillaità la Sogea depuis 1998. "La grève a débutéle 9 août", indiquait en 2006 Daka Parfait,délégué syndical qui travaillait à l'usine deBouyouni, dans le nord. "J'ai alors été appe-lé sur place, de même que Combo [le troisiè-me délégué licencié, ndlr], pour jouer lesmédiateurs. Mais la direction ne nous ajamais donné ce rôle. On a été mis dans lemême panier alors qu'on n'était pas au cou-rant de cette grève." Une décision qui faitdire à Parfait que la Sogea "s'est servie decette action" pour justifier un plan social. Unan après les faits, il révélait que "nous avionsété informés que l'entreprise devait équilib-rer son budget, et pour cela licencier. Celaavait débuté avec les CDD, mais il fallaitcontinuer. J'avais demandé un tas de docu-ments pour vérifier si cela était nécessaire,mais on ne m'a jamais rien donné. Je penseque la direction a profité de la grève pourlicencier." "La preuve", soutenait alors FaharOusseini, "c'est que les licenciés n'ont pasété remplacés”. Boinali Saïd Toumbou lesrejoignait en se posant cette question qui n'a,aujourd'hui encore, trouvé aucune réponse :"Comment peut-on virer 21 personnes d'uncoup parce qu'au lieu de respecter un délaide 5 jours, ils n'en ont fait que 4 ?!"

Au plan de licenciement s'ajoutait, enoutre, un écrémage sélectif des salariés.

Ousseni, Parfait et Combo étaient tropdérangeants. Outre l'opposition à la mutationde Fahar, la grève englobait une série derevendications d'ordre général. "Cela faisaitlongtemps qu'on en avait marre de la maniè-re de fonctionner de l'entreprise. On voulaitdénoncer les méthodes de la direction", ditce dernier. "Il faut savoir qu'à la Sogea, tacouleur est un diplôme. Les 'métros' ont tousles avantages : primes, salaires supérieurs.Même ceux qui sont embauchés sur placeont les avantages des expat'. Des stagiairesdevenaient chefs. On nous méprisait."

Selon la direction de la Sogea, ce mouve-ment de grève n'avait pas été mené dans lesrègles : le personnel avait donné un préavisde quatre jours, alors que les statuts dessociétés privées à mission de service public-le cas de la Sogea- prévoient cinq jours dedélai. Les agents furent donc mis à la portepour grève illégale et abandon de poste, desfautes lourdes qui les privèrent de tout pré-avis et de toute indemnité. La société avaitété dans sa décision grandement soutenuepar la DTEFP, qui avait déclaré la grève illé-gale. De son côté, le syndicat continue d'af-firmer que la mission de service public n'é-tait pas spécifiée dans les contrats des agents."Depuis la signature du contrat d'affermageavec le Syndicat des eaux, en 1992, le cahierdes charges de la Sogea indique bien que lasociété a une mission de service public",expliquait en septembre 2005 Boinali SaidToumbou 3. "Mais il dit aussi qu'elle doitfournir un statut particulier pour le person-nel affecté à cette mission. Or ce statut n'apas été présenté et la notion de mission deservice public ne figure pas dans les contratsdes agents." Les décisions de la Cour et duTribunal lui ont donné raison. "Cela nousréconforte dans l'action que nous avonsmenée. La grève était bien légale, contraire-ment à ce qu'affirmait la Sogea, et les sala-riés n'auraient pas dû être licenciés", disait-il en février dernier.

Wirdane Allaoui, l'un des 21 licenciés, nedisait pas autre chose sur Télé Mayotte :"Cela prouve que nous ne sommes pas desvoyous. Nous avons été licenciés de façonabusive. C'est une grande victoire face à unegrande entreprise mahoraise. C'est unexemple qui fait qu'aujourd'hui, les salariéspeuvent se battre pour leurs droits.""Maintenant, on va tous y aller et on vaprouver à la Sogea mais aussi à la DTEFP[Direction du travail, de l'emploi et de la for-mation professionnelle, ndlr] que leursmanœuvres coloniales n'ont plus de raisond'être aujourd'hui à Mayotte", pavoisait deson côté un autre ex-salarié.

En effet, "ces deux décisions de justicesont un désaveu de la pratique de laDirection du Travail et de son directeur,Didier Périno", estime-t-on à la Cisma. Cedernier s'était directement impliqué dansl'affaire. Très proche à l'époque de Jean-François Baudet, alors directeur de laSogea-Mayotte, il avait directement géré leconflit et avait pris fait et cause, dès ledébut, pour l'employeur. "En fait de négo-ciations, on s'est vite rendu compte qu'ilétait là pour nous descendre. Les désétaient pipés d'avance", constatait en sep-tembre 2006 Fahar Ousseni 2. "Sans sonassentiment", affirmait alors un syndicalis-te de la boîte, "Baudet n'aurait jamais puvirer tout ce monde d'un coup”. Pour DakaParfait, comme pour Fahar Ousseni, Perinoa joué un rôle essentiel dans ce "plan socialsans indemnités".

Son silence inhabituel depuis ces déci-sions de justice prouve selon les licenciésque cette victoire est avant tout la défaite cin-glante d'un directeur du Travail n'ayantjamais caché ses amitiés patronales.Cependant, pour Boinali Saïd Toumbou, ilfaut se garder de tomber dans la vengeanceaveugle. "Cette décision de justice est avanttout une victoire syndicale", affirme-t-il.

"Que M. Périno soit mal à l'aise, ce n'est pasun problème. A l'époque, la Direction duTravail avait une position, le syndicat uneautre. Le tribunal a tranché ! Il faut arrêterde voir dans les conflits sociaux des conflitspersonnels. Les rapports sociaux doiventévoluer et se sortir de cet héritage colonialet paternaliste. Avant, les syndicats avaienttendance à accepter tout ce que l'adminis-tration nous disait. Nous pensions qu'ellereprésentait le droit. Aujourd'hui, nousdevons regarder cette institution comme unpartenaire, avec des possibilités de contra-diction, et parfois de gain."

En ce sens, l'affaire Sogea et son dénoue-ment heureux pour les salariés marque unepremière essentielle, estime Boinali."L'événement est très important pour uneraison simple : la position de l'institution dutravail qui se déterminait auparavantcomme le détenteur de la vérité est abolie.La relation d'égalité et de parité n'est plus unvain mot. Dire que Perino doit se taire, c'estrester dans une posture d'infériorité." Cettepremière est cependant loin de marquer l'a-vènement d'un syndicalisme libéré de soncarcan colonial. "A nous, maintenant, deconstruire la deuxième étape de cette évolu-tion." Une tâche peu aisée, reconnaît le lea-der syndical, tant les réflexes du passé sontprégnants… et parfois intéressés : "Jusqu'àprésent, cela arrangeait tout le monde, cettesituation de non-droit. Les patrons commeles salariés. Mais ce compromis n'est pluspossible aujourd'hui : les connaissances dessalariés se développent et la contestationanti-coloniale avec. Il faut y mettre fin."

RC

1 Ce dernier n'a pas répondu à notre sollicitation

2 Kashkazi n°50, 24/08/063 Kashkazi n°8, 22/09/05

En donnant raison aux salariés qui avaient été abusivement licenciés par la Sogea -avec la bénédiction de la Direction du Travail- en2005, la justice a ouvert le champ à de nouvellespratiques syndicales.

Les ex-salariés de la Sogea licenciés, en 2005. (ARCHIVES)

“Je pense que la direction [de la Sogea]

a profité de la grèvepour licencier.”

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kashkazi 72 mai 2008 9

Expulsions de “sans-papiers” : pourquoi Moroni a cédé

diplomatie

IL NE RESTE de lacolère

qui avait soulevé la rue comorienne contrel'accueil du colonel Bacar à Maore et sontransfert à la Réunion, que les slogans hos-tiles à la France sur les murs de la capitale,et les coups de gueule sporadiques querelaie une partie de la presse locale.Pourtant, jamais le ressentiment contre laFrance, encore une fois accusée de s'immis-cer dans les affaires intérieures desComores, n'avait atteint le seuil du 27 marsdernier. Une journée de déferlement anti-français dans l'ensemble des îles desComores indépendantes, mais aussi àMaore où les manifestations ont été les plusvirulentes, dépassant le degré de violenceatteint en 1994 par d'autres manifestations -provoquées cette fois par la décision duPremier ministre français EdouardBalladur, d'instaurer un visa d'entrée àMaore pour les ressortissants des autres îlesde l'archipel. Signe de cette poussée de ten-sion : pour la première fois, un ambassa-deur de France à Moroni a été victime d'unetentative d'agression, obligeant Paris àdemander aux Comores d'assurer directe-ment sa protection.

Mais si cette contestation contre l'attitudefrançaise semble partie de la rue, elle a prisune tournure politique le 1er avril, après lapublication par le secrétaire général de lavice-présidence de l'Union chargé desTransports, d'une mesure interdisant "stricte-ment toute agence de voyage, aérienne oumaritime, nationale ou étrangère, detransporter des Comoriens dits ‘clandestins’à partir de Mayotte". Inattendue, cette déci-sion a été vécue par les autorités françaisescomme un défi à leur politique d'immigra-tion et risquait de dégrader les relations entreles deux pays.

Relayant les déclarations des responsablesmahorais et du préfet de la Collectivitédépartementale, le secrétaire d'Etat àl'Outremer n'a pas caché son exaspération."La situation de Mayotte devient extrême-ment préoccupante au titre du nombre d'é-trangers en situation irrégulière qu'on nepeut pas renvoyer aux Comores parce que legouvernement des Comores refuse dereprendre ses propres ressortissants", a-t-ildéclaré le jeudi 24 avril à l'AFP. Yves Jégo,qui a saisi le 25 avril le ministre français desAffaires étrangères, Bernard Kouchner, a

jugé "parfaitement inacceptables" les pro-pos du ministre de l'Intérieur des Comores,affirmant qu'il n'y a "pas de raison que lesAnjouanais n'aillent pas à Mayotte carMayotte est une terre comorienne et qu'ellea vocation à le redevenir juridiquement". EtJego d'ajouter qu'"on ne peut pas imaginerque Mayotte soit victime plus longtemps decette attitude qui n'est pas acceptable del'Union des Comores, nous sommes aujour-d'hui en situation de tension extrême".

La réplique ne s'est pas faite attendre. Leministre de la Justice de l'Union desComores, Mourad Said Ibrahim, qui n'a pascommenté directement les propos du secré-taire d'Etat français, a dénoncé la décision dela France d'accorder l'asile politique à deuxproches de Mohamed Bacar, faisant le lienentre la décision comorienne et la positionfrançaise sur la situation politique auxComores. "Je devine que Mohamed Bacaret son frère bénéficieront de ce grand boule-vard que leur ouvre l'Etat français (...) lesdés sont pipés" a ajouté le ministre como-rien, accusant un peu plus la France. Face àune opinion publique acquise à ce discoursde la "complicité" de Paris sur le sort réser-vé au colonel Bacar, Moroni espérait tenirpar cette mesure un moyen de pression vis-à-vis de la France. Mais très vite, le climats'est tendu. Yves Jégo a même souhaité "uneaction diplomatique ferme de la France vis-à-vis des Comores".

Une menace prise au sérieux par les auto-rités comoriennes qui, sans vouloir heurterleur opinion, ont alors cherché une porte desortie dans ce qui ressemblait à une impasse.Paris, qui ne pouvait pas non plus rester sansréagir, a dépêché le 15 avril à Moroni une

mission conjointe Elysée-Quai d'Orsay,conduite par Alain Moreau, ambassadeurdélégué à la Coopération régionale, accom-pagné de Rémi Maréchaux, conseiller à laprésidence de la République française. Sicette mission a permis de renouer le contactentre les deux pays, l'attitude de discrétionadoptée par la délégation, laissait entrevoirun malaise certain. Alors que le ministrecomorien des Relations extérieures, AhmedJaffar, soufflait le froid en déclarant que "cen'est pas la question de Mohamed Bacar qui

va affecter les relations qui existent entre nosdeux pays", son conseiller politique faisaitsavoir que ce n'était pas la mission qu'ilsattendaient pour évoquer le différend surMaore. Selon Mohamed Nafion, lesComores souhaitaient un dialogue de niveauministériel pour aborder la question desreconduites à la frontière... De source diplo-matique, on affirme que "ces premières dis-cussions ont été infructueuses". Des diver-gences sont apparues, y compris dans lesrangs du gouvernement comorien, où cer-tains attendaient des annonces fermes deParis sur l'extradition du colonel Bacar avantd'envisager la levée de l'interdiction contreles reconduites à la frontière des Comorienssans-papiers français vivant à Maore. De soncôté, la mission française exigeait un fléchis-sement de Moroni sur ce dossier avant touteautre discussion.

Il a fallu attendre deux semaines pour quele ministère comorien des Relations exté-rieures publie un communiqué sur ces dis-cussions. Ce texte d'une rare imprécision,non signé et destiné spécialement à faireaccepter à l'opinion comorienne la levée dela mesure du 1er avril, met l'accent sur lesengagements de la partie française à faciliter"la délivrance pour Mayotte de visas de cir-culation". Un assouplissement qui, selon lecommuniqué, concerne "les hauts fonction-naires comoriens, les détenteurs de passe-ports diplomatiques et de services, ainsi queles hommes d'affaires". Les mêmes avan-tages sont accordés "pour les participants àdes événements culturels, sportifs et reli-gieux (mariage et enterrement)", et pour lestravailleurs comoriens munis "d'un contratde travail visé par la [Direction du travail]".Rien de nouveau, en soi...

L’analyse du journal gouvernemental Al-watwan, qui titrait au lendemain de la publi-cation de ce communiqué : "La France lâchedu lest", n’a pas empêché les opposants dedénoncer une volte-face. "Ne s'agirait-il pasd'une tentative maladroite de redorer l'ima-ge de la France aux yeux d'une opinioncomorienne excédée par la politique inami-

cale de la France ? Et / ou assiste-t-on à unestratégie camouflée visant à faire accepter lefait accompli français à Mayotte ?" s'interro-ge Idriss Mohamed, porte-parole du ComitéMaore, association qui milite pour le retourde l'île sous la souveraineté comorienne.

Un fonctionnaire des Relations extérieu-res affirme quant à lui qu'il n'y a "rien denouveau dans ces mesures déjà évoquées enoctobre 2005 sous le régime du présidentAzali, sans avoir été suivies d'aucun effet".Si en privé, les diplomates comoriensavouent qu'il n'y a effectivement pas lieu, deleur côté, de s’adonner au triomphalisme,l’on assure que "la France et les Comorescontinuent de travailler pour trouver unesolution qui soit satisfaisante pour les deuxparties". Le conseiller politique du ministèredes Relations extérieures, M.Nafion, ad’ailleurs confirmé l'arrivée d'une missionministérielle le 15 mai prochain à Moroni.L'agenda des discussions n'est pas encorearrêté, indique une source sûre. Mais endépêchant son secrétaire d'Etat à laCoopération Alain Joyandet et celui del'Outremer Yves Jego, Paris envisage d'abor-der toutes les questions liées aux relationsbilatérales. "Il sera bien sûr question de lalibre circulation, de Mayotte, mais surtoutde la coopération en général entre nos deuxpays", indique Mohamed Nafion.

Les discussions devraient relancer lamise en exécution du Document cadre departenariat (DCP). Conclu en novembre2006 entre le président Sambi et BrigitteGirardin, alors chargée de la Coopérationdans le gouvernement de Villepin, le DCPa inscrit dans le cadre de l'aide publique audéveloppement, 88 millions d'euros quidevaient être affectés aux secteurs de lasanté, de l'agriculture et au soutien au sec-teur privé pour la période 2006-2010.

Fait nouveau cependant, les autoritéscomoriennes affirment avoir obtenu de leurshomologues français que soit institué unnouveau format pour le suivi de la coopéra-tion entre les deux pays. Alors que laCommission mixte franco-comorienne,réactivée en avril 2005, demeurait un cadretechnique, le Groupe de travail de hautniveau (GTHN) devrait être plus politique,"et peut-être à un niveau présidentiel"pense-t-on à Moroni, où l'on parle de "créerles conditions d'un nouveau dialogue". Undialogue auquel pourraient désormais parti-ciper les élus mahorais. De retour d’une mis-sion de dix jours à Paris visant à déposer larésolution votée par les conseillers générauxle 18 avril et demandant l’organisation d’uneconsultation sur le statut de département -consultation prévue pour mars-avril 2009-,le président du Conseil général AhmedAttoumani Douchina et le sénateurSoibahaddine Ibrahim se sont réjouis de lapromesse du gouvernement français d'intég-rer les élus mahorais aux travaux du GTHN.“Nous devons nous imposer dans larégion”, est le mot d’ordre du nouveau chefde l’exécutif local.

Kamal'Eddine Saindou (avec RC)

Les “facilités de visa” vers Maore accordées par la France en échange de la reprise des reconduites à la frontière ne changeront rien au statu quo. En acceptant le deal, les autorités comoriennes cherchent surtout à renouer le dialogue et à relancer la coopération avec Paris.

“Assiste-t-on à une stratégie camouflée visant

à faire accepter le faitaccompli à Mayotte ?”

Sur un mur de la capitale, Moroni.

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kashkazi 72 mai 200810

éducation

POUR BELAÏD, cinq ans, lavie n'est pas

de tout repos. A l'heure où son père, conducteur d'en-gins au port de Longoni, part travailler, le petit garçonmonte dans la voiture pour parcourir la demi-heure deroute qui sépare Bandrélé, un gros village du sud deMaore, de Mamoudzou. Direction : l'AMPE, une écolematernelle associative, où ses parents ont choisi del'inscrire cette année. A midi, c'est une habitante duvillage, employée de l'AMPE, qui le ramène en mêmetemps que trois autres élèves de maternelle. "Je connaisune dizaine de gens de Bandrélé qui ont inscrit leursenfants là-bas" indique Saoudati Colo, sa maman.

Les mères de famille de Bandrélé ont acquis commed'autres villageoises de l'île une renommée un peu par-ticulière. Depuis le début des années 2000, elles se sontrégulièrement illustrées en manifestant contre l'inscrip-tion à l'école maternelle de bambins issus de parents“étrangers”, sous prétexte que ceux-ci contribuaient àla surcharge des classes et obligeaient les établisse-ments à refuser les enfants de moins de trois, voire sou-vent quatre ans. Au-delà de l'arrière-pensée politiquequi sous-tendait leur agitation, elles exprimaient ainsi lavolonté forte de voir leur progéniture scolarisée le plustôt possible. Les temps sont cependant en train de chan-ger. Si l'inscription dans les établissements publics resteun enjeu pour de nombreuses familles mahoraises, l'é-poque où elle représentait un gage de réussite socialeest bel et bien révolue. "L'école de la République" a prisdu plomb dans l'aile…

Les fondateurs de la toute jeune école privée Paind'épices 1, qui a ouvert au sein du village, l'ont biencompris. Doté de classes à plusieurs niveaux, l'établis-sement accueille aussi bien les enfants d'enseignantsdu collège, venus de l'Hexagone, que des petitsMahorais. Un instituteur de l'école publique de

Bandrélé, qui a inscrit sa fille de trois ans à Pain d'é-pices faute de place dans le public, affirme que quat-re ou cinq autres enfants du village fréquentent lamaternelle privée. Coût de la scolarité : 150 euros parmois environ, comme dans la plupart des écoles pri-vées et associatives de l'île, auxquels s'ajoutent lesfrais d'adhésion et/ou d'inscription demandés en débutd'année.

Saoudati Colo et son mari dépensent encore pluspour que Belaïd puisse fréquenter l'école qu'ils ontchoisie. "On paie 145 euros par mois, plus 30 euros àla dame qui le ramène à midi", énumère la jeunefemme. "On doit aussi cotiser pour les livres, les goû-ters…" Un budget conséquent pour le couple : inter-prète dans un dispensaire et un service de Préventionmaternelle infantile (PMI), Saoudati est payée auSmig, comme son époux ; chacun perçoit donc unsalaire d'environ 800 euros. Cette mère de famille neregrette pas pour autant le sacrifice : c'est justementparce qu'elle et son mari ont "peu de moyens" qu'elledésire pour son enfant la meilleure scolarisation pos-sible. "Moi, je n'ai pas fait beaucoup d'études : j'aiarrêté en 5e", confie-t-elle. "Son père a un niveau de2de. Souvent, il rentre tard du travail, et je suis touteseule avec les deux enfants et un petit bébé. Je n'ai pasbeaucoup de temps pour faire étudier mon fils, maisje ne veux pas qu'il arrête l'école en 5e comme moi,car la vie d'aujourd'hui n'est pas facile !"

A l'âge de trois ans, Belaïd avait pourtant pu êtreinscrit à l'école publique maternelle de Bandrélé."Mais quand j'allais le chercher, je voyais que lesinstituteurs ne parlaient pas français aux enfants",explique Saoudati. "Maintenant, il sait bien parler lefrançais, il est bien avancé !" L'année prochaine, lecouple envisage de scolariser également son fils cadetà l'AMPE. "Le problème, c'est que la voiture de

l'Asem [assistante maternelle, ndlr] qui les ramène deMamoudzou est déjà pleine avec quatre enfants",indique la jeune femme. "Il va falloir trouver uneautre voiture…" Afin de pallier aux dépenses, leménage est en train d'ajouter un étage à sa maisonpour l'offrir à la location. "L'argent que j'ai, c'est justepour les enfants", avoue Saoudati.

Si le cas de cette famille reste encore marginal, lesparents aux revenus modestes sont de moins en moinsrares à inscrire leurs enfants dans un établissementprivé ou associatif, dès lors que les deux époux ont unemploi régulier. "Il n'y a pas que les familles aisées,mais aussi des balayeuses, des femmes de ménage dela mairie", affirme la directrice d'une école de PetiteTerre. "On voit une vraie volonté de la part d'une géné-ration de parents qui ont la trentaine environ, qui veu-lent un autre avenir pour leurs enfants et sont prêts àtout donner. J'ai même une famille qui a inscrit ses deuxenfants dont la mère est aide-ménagère dans une gar-derie, et le père a un petit boulot. Ils sont smicardsmahorais et paient en espèces car ils n'ont pas decompte bancaire." Lorsque les mois de scolaritéimpayés s'accumulent, les familles les plus en difficul-té règlent quand vient leur tour au shikoa, la tontinecomorienne, assure l'enseignante…

Acette idée, un sourire sceptique se dessine sur levisage de Bikarima. Interprète en PMI -commeSaoudati- elle dit gagner, ainsi que son mari

électricien, 600 euros par mois, et paie régulièrement,depuis bientôt quatre ans, les 148 euros mensuelsdemandés pour la scolarité de son fils. Dans sa maisonde Petite Terre, la jeune femme se remet de la naissan-ce de son cadet. "Je n'ai qu'un enfant à l'école. Monmari travaille, moi je travaille… mieux vaut que je lemette là-bas", estime-t-elle. "Comme ils ne sont pasbeaucoup d'élèves, il écoutera mieux la maîtresse."Depuis que son fils est en âge d'aller à l'école, Bikariman'a jamais essayé de l'inscrire dans le public. "Il a sixans et va à l'école depuis qu'il a deux ans et demi. Jefais ça pour lui parce que c'est le genre de choses dontnotre famille, avant, n'a jamais pu profiter. On neregarde pas l'argent, mais l'avenir de nos enfants",explique-t-elle. Son second fils, elle l'inscrira même àla crèche, pour qu'il "apprenne vite" et "parle bien lefrançais", mieux encore que son frère. Elle prévoit d'a-voir au maximum quatre enfants et, "si Dieu le veut",de leur payer à tous l'école privée.

Amorcée à Maore il y a une décennie environ, l'é-mergence des écoles privées et associatives connaît uneaccélération étonnante. Ces deux dernières rentrées ontvu l'ouverture de trois nouveaux établissements : un àPamandzi, un autre à Bandrélé, un troisième àTsimkoura. Sur la quinzaine d'écoles recensées, la plu-part ont été créées et sont gérées par une association deparents d'élèves dont les cotisations sont calculées enfonction des coûts de fonctionnement : location desbâtiments, salaires du personnel et achat des fournitu-res. Quelques unes sont des entreprises privées -c'estnotamment le cas des P'tits loups, à CavaniMamoudzou, ou des Flamboyants, dans le nouveauquartier de Hamaha, derrière Jumbo Score. Certainessont spécialisées dans les classes maternelles, d'autresdans l'enseignement élémentaire, d'autres enfin cumu-lent les deux, voire proposent un service de crèche pour

Maore : quand l’école publique

De plus en plusnombreuses, les écoles privées etassociatives affichent complet à Maore. Desfamilles locales, pas forcément parmi les plusriches, y inscriventdésormais leursenfants. Une tendance révélatrice de l'impasse à laquelle sembleconfrontée l'éducation de masse dans l'île.

“Ils sont smicards mahorais et paient en espèces car ils n'ont

pas de compte bancaire.”

Ci-dessus, dans une école maternelle associative de Maore.

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n’est plus un gage de réussiteles tout petits. Les plus familiales accueillent moinsd'une quarantaine d'enfants ; les plus grosses près de200. Toutes ont un point commun : le manque de pla-ces, qui se traduit par de perpétuelles listes d'attente.

"Les effectifs grossissent d'année en année", obser-ve la directrice d'une école de Petite Terre. "Au momentde l'inscription, certains pleurent car il n'y a pas deplace", raconte aussi le président de l'association desparents d'élèves de Frimousse, une école élémentairede Cavani. "Depuis janvier, on a eu à faire des refusinnombrables. Franchement, si en une semaine je trou-vais un local qui puisse accueillir 300 élèves, l'écoleserait remplie tout de suite."

Les premières initiatives cherchaient à pallier l'ab-sence d'écoles maternelles, mises en place par l'éduca-tion nationale seulement à partir de 1993 2. Le plusancien de ces établissements, l'APEEM, date de quasi-ment 25 ans et fut le fait de quelques familles de labonne société mahoraise. La grosse vague de la fin desannées 90, qui a vu entre autres l'ouverture des écolesVanille Chocolat (Mamoudzou), Pomme Cannelle(Combani) ou Frimousse (Mamoudzou), constitueplutôt une réaction des familles métropolitaines audécalage entre les conditions d'enseignement de l'éco-le publique en France hexagonale, et celles qu'elles ontpu découvrir lors de leur arrivée à Maore.

Si un certain communautarisme n'est pas étranger auphénomène, de nombreux parents favorables à l'écolepublique et désireux de voir leurs enfants s'intégrer à lasociété locale, ont fini par se rabattre sur des solutionsalternatives. Faiblesse du niveau général des élèves,francophonie limitée, sureffectifs, appréhension faceau manque de formation d'une partie des ensei-gnants… Tout semble se conjuguer pour faire de l'é-cole publique un repoussoir à leurs yeux. "Certains ontpeur que le décalage ne produise un choc chez leursenfants qui peuvent se trouver en trop forte minorité",indique Marc Fretard, vice-président de l'associationqui gère Pomme Cannelle. "L'école privée, ce ne sontpas mes convictions. Ma femme est d'ailleurs ensei-gnante dans l'éducation nationale", avoue pour sa partun père d'élève de l'école associative Les Roussettes, àMamoudzou. "Mais quand il s'agit de ses propresenfants et qu'on sait qu'on va passer trois ans ici… onoublie ces valeurs là, et on accepte d'y mettre le prix."

Françoise Martin est allée plus loin : "Elle a crééVanille Chocolat pour sa fille", indique Isabelle Delos,l'actuelle directrice de cette petite école associativeinstallée dans la zone industrielle de Kaweni. "Quandon est arrivés en 1998, ma fille devait entrer au CP",raconte cette directrice générale d'une société de trans-it. "Je n'avais pas d'a priori et je l'ai inscrite à l'écolede Kaweni. Mais quand je suis entrée dans la classe,j'ai vu que l'âge des élèves allait de 6 à 14 ans et quedeux filles étaient enceintes…" Dans la file d'attented'établissements privés qui affichent tous complet,Françoise Martin fait la connaissance de parents qui setrouvent dans la même situation qu'elle. Décision estprise d'ouvrir une classe de CP dans une petite maisonde Cavani. "On a commencé avec sept élèves. Deuxjours plus tard, ils étaient 25", se souvient-elle.Réitérée l'année suivante avec deux classes -CP etCE1- l'expérience a finalement débouché sur un éta-blissement de cinq classes élémentaires.

Dès le début, des Indiens, des Malgaches d'un cer-tain niveau socio-économique et des membres de labourgeoisie mahoraise et comorienne des autres îles,ont suivi ces familles wazungu dans leur démarche.Les effectifs d'enfants originaires de l'archipel inscritsdans ces établissements sont cependant longtemps res-tés très limités. Les acteurs du secteur s'accordent à direque cela fait maintenant deux ou trois ans -un peu plusen Petite Terre- que le phénomène gagne les familleslocales aisées, mais aussi les ménages plus modestes.Si certaines écoles restent très "blanches", d'autres par-viennent quasiment à l'équilibre entre communautéslocale et métropolitaine. De rares établissements affi-chent même un effectif "à 80% mahorais". Ce n'estdonc plus seulement le décalage entre l'île et sa "métro-pole" qui est en cause, mais tout bonnement la capaci-té de l'éducation nationale à répondre aux attentes de lasociété. Le nombre d'enseignants du public ayantinscrit leurs enfants dans le privé est d'ailleurs signifi-catif. "Le premier constat qui pousse vers le privé, cesont les mauvaises conditions d'accueil dans lepublic", explique un instituteur métropolitain. "Les éta-blissements sont sales. Les sanitaires de mon école, jen'y vais plus : aujourd'hui, je me suis retenu toute lamatinée…" A l'école primaire de Bandrélé, au moinsdeux instituteurs ont des enfants scolarisés ailleurs. "Jesuis enseignant depuis 28 ans et je vois ce qu'on nousimpose sans tenir compte des besoins des élèves",explique Adabé Ahmed Bacar. "Je crois qu'à l'écoleprivée, ils sont libres de donner aux enfants directe-ment ce dont ils ont besoin pour progresser."

Parmi les familles locales, les reproches les plussouvent adressés à l'école publique concernentla surcharge des effectifs, et le problème de la

langue. Dans leur désir de voir leurs rejetons maîtriserle français, beaucoup préfèrent qu'ils soient instruitsdès la petite enfance par des enseignants blancs et encompagnie d'enfants francophones, renvoyant ainsi l'é-ducation nationale à son échec linguistique. "Dans laclasse de ma fille, ils sont 26 et il y a 16 enfants métro-politains. Du coup, elle a fait de grands pas en expres-sion orale", se félicite Adabé Ahmed Bacar. "On faitcroire que le français est langue maternelle alors quece n'est pas le cas", regrette de son côté un parent d'é-lève métropolitain engagé dans une école associative."L'Education nationale ne se donne pas les moyenspour apprendre le français en langue étrangère. Ducoup, il est difficile de mettre les enfants qui maîtrisentle français dans le public." Résultat : "Il y a un préju-gé par rapport à la qualité de l'enseignement dans lepublic", constate un jeune cadre franco-comorien qui ainscrit ses deux enfants dans une école associative. "Cen'est pas forcément un problème de qualité de l'ensei-gnant, mais c'est le nombre d'enfants qui fait peur."

Cette crise de confiance dans l'école de laRépublique entraîne plusieurs dérives. D'abord, l'en-trée des familles dans une course à "la bonne école".Depuis la mise en place de l'éducation de masse surl'île, des tuyaux circulent au sein de la communautémzungu sur les meilleurs établissements, la meilleureclasse, le meilleur enseignant "proposés" parl'Education nationale. S'ils privilégiaient autrefois lesécoles d'application, qui bénéficiaient de la présence demaîtres formateurs, les fonctionnaires et salariés duprivé bien aiguillés ciblent désormais certaines écoles,espérant y trouver des instituteurs plus qualifiés et unniveau plus élevé. Mais le phénomène dépasse désor-mais le cercle des métropolitains. "Quand on est arri-vés, des amis mahorais nous ont dit : ‘Pour ta petite, ilvaut mieux que tu ailles dans telle école. Ta cadette, onva essayer de l'inscrire avec ce maître-là, etc’”, racon-te une mère de trois enfants. "Les gens qui n'ont pas lachance de se faire aider comme nous finissent par setourner vers le privé." Le vice-rectorat 2 ne faitd’ailleurs rien pour les en dissuader : certains parents se

sont vus formellement déconseiller par un cadre del'institution d'envoyer leurs enfants dans le public…

Au sein de la société locale, un autre phénomène sedessine. Aux yeux des jeunes parents, rien ne paraîttrop cher pour permettre à leur progéniture de devenircompétitive. "Tous les ans, on fait des comparaisons",avoue notre cadre franco-comorien, qui a déjà testédeux écoles du circuit privé et associatif. "Si je vois unenfant de l'âge du mien élève d'une autre école, je luidemande de compter, de répondre à des questions…"Journaliste, Nizar Soufou n'a quant à lui pas hésité àdébourser 250 euros par mois pour la scolarité et lescours de soutien de sa fille de 8 ans, dont le niveauavait "régressé" à l'issue d'une année dans le public."On ne l'a pas regretté : elle est devenue première desa classe", se réjouit-il avant d'évoquer les cours d'an-glais dispensés à la fillette pendant les vacances scolai-res. Et d'expliquer : "Mayotte, c'est un petit pays. Onest conscients que tous les enfants ne pourront pasavoir de travail ici. On pense à l'avenir de l'enfant : ilfaut qu'il ait un bon niveau pour aller se vendreailleurs. Et pour avoir un bon niveau, il faut payer…"

La tendance ne concerne pas uniquementMamoudzou et la Petite Terre. Le clivage entrewazungu et population locale, et celui, plus récent,basé sur les ressources financières, risquent ainsi delaisser place à une nouvelle division de la populationscolaire. "Certains parents ne s'occupent pas bien deleur enfant, il n'y a pas de suivi", explique NizarSoufou. "Quand ma fille était dans le public, j'es-sayais de faire en sorte qu'elle ait un bon niveau mais,la plupart du temps, l'instituteur s'occupait de ceuxqui ont des difficultés…" D'un côté, toutes commu-nautés confondues, les enfants de parents conscientsdes enjeux de la scolarité, las de voir leurs effortsamoindris par la "négligence" de leurs congénères. Del'autre, la masse d'écoliers qui n'ont personne pourcontrôler leurs devoirs et préparer leur cartable, que cesoit pour des raisons de précarité ou parce que leurfamille est dépassée par les bouleversements de lasociété. Si la tendance se confirme, elle ne fera quecreuser le fossé entre ceux qui ont les clés pour affron-ter la nouvelle donne, et ceux qui resteront sur le bordde la route. Nous voilà bien loin de l'idéal de l'égalitédes chances véhiculé par l'école publique…

Lisa Giachino

1 Ayant tenté en vain de joindre cette école par téléphone, nous n'avons pu vérifier ces informations.

2 A l'exception d'une expérience de collège associatif menée en Petite Terre, avant que des établissements secondaires ne soient ouverts à Pamandzi et Labattoir.

3 Nous n'avons pas reçu de réponse de la part du vice-rectorat, contacté par téléphone pour connaître sa position sur la question.

E N FRANCE HEXAGONALE, LES ENSEIGNANTS

DU SECTEUR PRIVÉ SONT RÉMUNÉRÉS parl'Education nationale, qui exerce un contrôlepédagogique sur ces établissements. Maore échap-pe totalement à la règle : aucune relation officiellen'existe entre le vice-rectorat 1 et les écoles privéeset associatives. "Ils ont tout de même un regard sur ceque nous faisons puisque tous les cadres du vice-rectoratont leurs enfants dans le privé", s'amuse la directriced'une école. Conséquences : non seulement lessalaires des enseignants, entièrement à la chargedes parents, alourdissent les frais de scolarité, maisles enseignements dispensés et les pratiques desinstituteurs ne font l'objet d'aucun contrôle réel.La difficulté des établissements à offrir des condi-tions d'embauche et de salaire attrayantes limiteégalement le recrutement de professeurs des éco-les -une grande partie des enseignants du privé nesont pas qualifiés. Certaines écoles ne sont ainsipas exemptes de dérives : instituteurs résolumentfâchés avec l'orthographe, supports pédagogiquesinadaptés, voire, parfois, comportements dou-teux…

LA GESTION ASSOCIATIVE de la plupart des éco-les n'est pas non plus sans poser quelques problè-mes : si elle permet une implication plus grandedes parents d'élèves, elle favorise aussi les conflitsde pouvoir et les problèmes d'encadrement desenseignants, surtout lorsque la direction est assu-rée par une personne non qualifiée. Résultat :régulièrement, ce petit monde se déchire. Les dis-sidents d'une école vont en créer une nouvelle ouinscrivent en masse leurs enfants ailleurs ; d'autresplus radicaux choisissent d'enseigner à la maison,individuellement ou en groupe, par l'intermédiai-re du Centre national d'enseignement à distance

(Cned). Et certains parents de déplorer le "copina-ge" qui règne dans certaines associations : "Lesgens s'arrangent pour avoir leur enfant avec le professeurdes écoles", tandis que "les enseignants de l'école pren-nent leur enfant dans leur classe", signe que, pas plusdans le privé que dans le public, la confiance nesemble de mise…

P OUR SORTIR CES ÉCOLES DE LEUR "AUTARCIE",CERTAINS PARENTS souhaitent les voir conven-

tionnées par le vice-rectorat. "Depuis le 1er janvier2008, le Code de l'éducation est applicable à Mayotte etdevrait permettre la normalisation de leur fonctionne-ment, et leur démocratisation", plaide un père d'élèveengagé dans une école associative. "Puisque l'Etat nepeut pas assurer la scolarisation de tous, il faut permettreun fonctionnement le plus normal possible de ces structu-res."

L'ACTUEL BUREAU de l'association qui gère l’é-cole Pomme Cannelle, à Combani, adopte laposition inverse. "Nous ne voulons surtout pas deve-nir conventionnés, grossir et devenir une institution",explique Marc Fretard, vice-président de l'asso-ciation. "Les fondateurs de l'école, il y a dix ans, pen-saient que c'était juste une solution de dépannage, letemps que les choses s'arrangent dans le public. Nousvoulons rester une association qui puisse être rempla-cée du jour au lendemain, si un établissement publicremporte la confiance des parents."

LG

1 Nous n'avons pas reçu de réponse de la part du vice-rectorat, contacté par téléphone pour connaître sa position sur la question.

“On pense à l'avenir de l'enfant : il faut qu'il ait un bon niveau pour aller se vendre ailleurs.”

Les affres du privé

“Le privé, ce ne sont pas mesconvictions. Ma femme est dans

l'éducation nationale.”

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kashkazi 72 mai 200812

après la chute du régime Bacar

Dans les rouages de la “mafia Bacar”

EN DIX années de séparatis-me, l'administration

anjouanaise n'avait jamais connu ça. Desfonctionnaires fédéraux dépêchés dans l'îlepar le gouvernement de l'Union, passent aupeigne fin les comptes et dépouillent lesarchives de l'île. Des services sociaux auxentreprises publiques en passant par tout cequi a trait aux finances, aucun secteur n'é-chappe à ces investigations. Objectif de cesenvoyés spéciaux qui se relaient depuis lasemaine du 14 avril : établir un état deslieux des recettes et des dépenses effec-tuées depuis 2005. Un travail de titan sil'on croit ces émissaires qui doivent recom-poser le puzzle d'un chaos organisé avantl'arrivée d'une mission du Fonds monétaireinternational (FMI) dans le courant de cemois de mai. Etrange coïncidence, leslocaux qui abritaient la direction duBudget de l'île ont été saccagés par la fouleau lendemain du débarquement du 25mars. A la douane, autre place forte de l'é-conomie de l'île, "beaucoup de dossiersont disparu" -tout comme la directrice, lireci-dessous-, constatent les deux inspec-teurs détachés à Mutsamudu pour évaluerles comptes de ce secteur vital. Il faudrasans doute du génie pour recouper lesquelques documents qui ont échappé àl'œuvre de dissimulation mise en place parl'ancien régime quelques jours avant ledébarquement. "Nous avons la preuve quecertains dossiers ont été arrachés desregistres", soulignent les deux inspecteurs.

Chargé de caisse à la Douane deMutsamudu à partir de 2006, récemmentnommé receveur, Ibrahim Saïd Ali Petit estpessimiste. "Je me demande combien detemps il faudra pour remonter ce circuit del'évasion." Il décrit "une gestion anar-chique dont les proches du régime profi-

taient, chacun à son niveau". La preuve,cette note manuscrite griffonnée sur unefeuille blanche sans en-tête que lui remet ennotre présence un gendarme chargé de l'en-quête financière. Un ordre d'exécution y estinscrit : "Veuillez récupérer 28 tonnes deciment." Adressée à l'ancienne directrice dela Douane, Roukia Ahmed, l'une des piècesmaîtresse du système Bacar, la note date du9 février 2008 et porte la signature et letampon du chef de l'état-major de la gen-darmerie anjouanaise, qui n'est autre que lefrère de Mohamed Bacar. "Voilà un exem-ple de ce qu'il se passait ici. Ce "mot" suf-fit pour que l'opération soit exécutée sansla moindre vérification", explique le rece-veur. Le dédouanement de la marchandisene figure dans aucun registre et ne sera pasfacturé.

Les deux inspecteurs de l'Union ont rele-vé de nombreux cas de ce type "d'exonéra-tion", qui permettait aux proches du pouvoirde dédouaner des tonnes de marchandises entoute illégalité. "Dix containers de 280 ton-nes de ciment sont ainsi sortis de la douane,soi-disant pour la construction d'une école.Nous n'avons aucune trace de cette école.Pour tout le monde ici, ils ont atterri chezBacar", dévoile Djaladine, l'un des deuxdouaniers de l'Union. "Pas étonnant, Bacarne recule devant rien dès qu'il s'agit degagner de l'argent", confie un ancien colla-borateur qui a travaillé près de deux ansauprès du colonel.

Pour lui, la construction de l'école primai-re de Barakani, le village du dictateur déchu,fait partie des grandes énigmes du régime."Personne ne peut dire exactement comments'est fait le montage financier de ce projet,quelle est la part de participation entre legouvernement, la communauté villageoise etlui-même. Pire encore, on retrouve sur lemême terrain sa maison et l'école du villagesans pouvoir dire quelle parcelle est attri-buée à l'une et à l'autre."

"Les exonérations sont l'un des modesopératoires mis en place par le régime pourdisposer d'argent frais", affirment aussi lesinspecteurs. "Les commerçants qui jouaientle jeu venaient récupérer des containeurs demarchandises et payaient directement l'équi-valent à la présidence." Parmi les commer-çants sur la sellette : un importateur de laplace, le nommé Mongarçon, qui fait l'objetd'un redressement par la douane. Le cas de

Le Roi fort est plus complexe. Ce commer-çant, fidèle parmi les fidèles de Bacar, béné-ficie d'un régime particulier. "Il lui est arrivéde commander du ciment censé être réex-porté vers Mwali pour éviter de payer destaxes à la douane anjouanaise. En réalité, ceciment était débarqué sur l'île avec la com-plicité des agents du port", explique unancien de la présidence. Un trafic qui per-mettait de soutirer de l'argent à chaque étapedu circuit douanier, note Ibrahim Saïd Ali,qui dénonce "un système complètement cor-rompu et dont le circuit de décision étaitréduit à deux ou trois personnes".

Au stade actuel des contrôles, les inspec-teurs de la douane, qui viennent de lancerune opération de redressement contre lesbénéficiaires de ces exonérations frauduleu-ses, estiment à plus de 800 millions fc(400.000 euros) le manque à gagner pourlequel ils disposent de preuves. Ce n'estcependant pas la seule pratique en vigueurdans cet univers mafieux. Selon le receveurde la Douane de Mutsamudu, "les trafics desdéclarations, les manipulations des carnetsde recettes pour l'exportation, les prélève-ments à la source", complètent le dispositifde la rapine organisée. Des preuves auxmains des évaluateurs accablent directementla présidence anjouanaise d'avoir généraliséce mécanisme de prélèvements, qui portentsur des sommes importantes. "AbdouRidjali, le directeur de cabinet de Bacar,actuellement en fuite, s'en était fait une spé-cialité", indiquent plusieurs sources. "Il pou-vait prendre jusqu'à 6 millions [12.000euros, ndlr] cash en une prise", aux dires destémoins. "Un coup c’était pour aider desindigents à l'occasion de l'Aïd, un coup c’é-tait pour des projets d'école dans les villa-ges" ironise Sounouf, l'un des inspecteurs.

Les entreprises publiques n’étaient pas enreste. "J'ai trouvé une gestion chaotique",lance d'emblée le directeur régional desHydrocarbures, récemment nommé parMoroni. "Le dépôt censé ne livrer que lesstations était devenu une gigantesque pompeoù l'on venait remplir les réservoirs sur sim-ple ordre. Le directeur Djamil Ali avait sespropres bons qu'il signait à sa guise, alorsqu'il existe normalement un mécanisme dedotation légalement accordée par les textes.Les stations payaient au trésor et venaients'approvisionner directement sur la based'un bon", décrit Chahalane. "Si vous faitesune enquête, vous apprendrez que la plupartdes stations appartiennent à Bacar", affirmel'un de ses anciens multiples conseillers. Lepersonnel qui travaille n'avait pas de statut."On ne sait jamais qui est de la boite et quine l'est pas", s'inquiète le nouveau patron desHydro. Conseiller du président Sambi etancien fonctionnaire du FMI, rôdé aux affai-res financières, Ali Bourhane tire ainsi lebilan de cette situation laissée par le régimedu colonel Bacar : "Aucun chiffre, un budgetqui n'existait pas. C'est un régime de préda-tion qui vivait avec un budget de caisse."

L'image de commissionnaires voyageantavec des valises d'argent n'est donc pas uneinvention d'amateurs de série B. Cette pra-tique propre aux milieux mafieux, a sévi àNdzuani depuis l'avènement du séparatisme.Lorsque l'île était soumise à l'embargo impo-sé par l'Organisation de l'Union africaine(OUA devenue UA) en 1998, c'est avec des

mallettes d'argent récolté dans les sociétéspubliques sous leur contrôle, que des affai-ristes commissionnés par les dirigeants sépa-ratistes sillonnaient le monde pour approvi-sionner l'île en denrées nécessaires à sa sur-vie. En pleine tempête sécessionniste, soup-çonnant le président Taki de préparer undébarquement militaire sur l'île, Charikaneet Makani, deux chefs séparatistes, furentainsi interpellés par la police malgache dansune chambre d'hôtel à Antananarivo, avecune valise pleine de billets de banque. Ilscherchaient à acheter des armes…

Sans institutions, sans budget et sans struc-tures de contrôle, Ndzuani est passée enquelques années de cette économie de ladébrouille à un système de gestion faisant fide toutes les règles de comptabilité publique.Le port de Mutsamudu s'est transformé enplaque tournante d'un trafic opaque contrôlépar des milices armées qui faisaient régnerleur loi. Dans cette anarchie structurelle, cesréflexes ont engendré une corruption systé-matique, accentuée par le fait que l'île acontinué à bénéficier, avec la bénédictiondes autorités nationales et de la communau-té internationale, d'un statut quo qui l'a sous-traite de tout contrôle économique de l'Etat,y compris après la normalisation datant de2001. Avec plus d'un milliard fc (20 millionsd’euros) de recettes annuelles propres, selonles prévisions budgétaires 2008 calculées sur

la base des estimations tirées des données de2006, le régime anjouanais n'avait aucunbesoin de se soumettre à l'autorité centrale.Le fameux "conflit de compétences" servaitainsi de prétexte afin de ne pas subir lesmécanismes d'harmonisation des politiquesbudgétaires, initiées par les lois organiquesqui devaient mettre fin à cette situation denon droit.

Mais si l'opacité du système et ces pra-tiques mafieuses dénoncées par les émissai-res du gouvernement de l'Union semblentavoir été accentuées à partir de janvier 2007,date de la rupture entre Bacar et Sambi, cesystème n'est que le prolongement d'unegouvernance "qui a été toléré depuis lapériode du régime Azali", soutient un finconnaisseur du mode de fonctionnement dusystème politique anjouanais.

"Bacar n'a pas changé en quelques mois.Tout ce qui est argent, c'est lui qui maîtrise.En sept ans, il n'a jamais changé de minist-re des Finances: Douclain Mahamoud [quia fui avec lui à Maore, puis à la Réunion,ndlr] est l'un de ses hommes de main. LeTrésor, la Douane et les entreprisespubliques ne lui échappaient pas... Maisfournissez-moi une seule plainte, une seulenote de contestation des autorités del'Union contre la gestion anjouanaise !",s'offusque un ancien collaborateur, qui rap-pelle qu’en “2005, la société anjouanaisedu riz (Oraizon) devait 750 millions [1,5million d'euro, ndlr] à l'Etat au titre desimpôts. Bacar a versé 150 millions[300.000 euros, ndlr]. Où sont passés les600 millions restant ?"Ainsi, Bacar n’auraitfait selon lui que "profiter d'une impunité dela part de l'Union qui fermait les yeux."

Kamal'Eddine Saindou

La chute du colonel dévoile un système de "prédateurs" qui siphonnait l'économie anjouanaise, mais bénéficiait visiblement de complicités à l'extérieur de l'île.

Le trouble jeuL A RÉVÉLATION DE L'EXISTENCE DE

BANQUES OFFSHORE domiciliéesà Ndzuani -dont nous avions parlé il ya un an 1- continue d'amplifier lessuspicions autour du régime du colo-nel Bacar. Ce commerce extra-territo-rial qui s'apparente aux yeux des pro-fanes à des pratiques douteuses et"illégales" comme le blanchiment d'ar-gent ou le financement terroriste, abraqué les regards sur cette île et surles agissements de ses dirigeants qui,échappant au contrôle de l'Etat, nepouvaient que renforcer la caricatured'un régime mafieux qui a ouvert l'îleaux trafiquants de tous bords.

DES SUSPICIONS accréditées par desaveux comme celui de Mzé AbdouMohamed Chanfiou, vice-gouverneurde la Banque centrale des Comores.S'exprimant dans les colonnes du jour-nal gouvernemental Al-watwan, lebanquier a indiqué que les Comores setrouvaient dans "l'incapacité de mesurerl'impact financier de ces banques off-shore", demandant ainsi le concours"de toutes les banques centrales [pour] nousfournir les renseignements sur les tentatives

d'opération dont elles pourraient avoirconnaissance, pour nous aider à luttercontre le développement de ces activités illé-gales qui prospèrent dans l'île d'Anjouan".

CES DÉCLARATIONS qui datent defévrier dernier, soit cinq ans aprèsque les Comores se soient dotées d'undispositif de lutte contre le blanchi-ment d'argent institué par l'ordon-nance de janvier 2003, sont équi-voques pour au moins deux raisons.Les instruments de veille et de sanc-tion contre l'infraction de blanchi-ment et de financement du terrorismeprévus par le décret du 18 février2003 qui a suivi l'ordonnance, n'ontjamais été mis en place. Malgré lesdifférents avertissements, notammentdu Fonds monétaire international(FMI) qui a révélé dans un rapportdatant de 2006 l'existence de prèsd'une centaine de sites autorisés parle pouvoir anjouanais à mener des"activités échappant à tout contrôlede la Banque centrale", celle-ci n'a-vait pris aucune disposition autrequ'une campagne de presse destinéeà faire valoir sa bonne foi. Il a fallu la

“Un système corrompu et dont le circuit de

décision était réduit àdeux ou trois personnes.”

“En sept ans [de pouvoir], Bacar

n'a jamais changé deministre des Finances.”

La fuite paisiblede “Roukia”

Rouage essentiel du régimemafieux de Mohamed Bacar,celle qui fut directrice desDouanes sous sa présidence etqui était dans les petits secretsdu colonel, Roukia Ahmed, afui Maore le 27 mars -un jouraprès Mohamed Bacar.Depuis, elle coule des jourspaisibles à Sada (Maore), dansla famille de son mari, au vu etau su de tout le monde - y com-pris des autorités françaises.On la voit en voiture, faire sescourses, saluer ses amis...comme si de rien n’était. Entoute impunité.

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kashkazi 72 mai 2008 13

du business des banques offshoreréaction de l'organisme internationalGroupe d'Action financière (Gafi), quis'est inquiété de "la prolifération" et desactivités obscures de "ces officines bancai-res” autorisées par le gouvernementd'Anjouan -selon le Gafi, il y aurait près de350 banques sous licence anjouanaise-, etqui a saisi officiellement les autoritéscomoriennes, pour que la Banque centralese décide enfin, en février dernier, à enga-ger une procédure judiciaire auprès duParquet de Moroni. Une commissionrogatoire pourrait entendre toutes les per-sonnes impliquées, notamment les créa-teurs et propriétaires des sites.

TROP TARDIVE, cette réaction de laBanque centrale traduit les hésitations desautorités comoriennes face à un dossierbrûlant dont les répercussions ne concer-nent pas uniquement l'île de Ndzuani, etencore moins le colonel Bacar - qui n'a faitque perpétuer un héritage qui vient deloin. Car il faut remonter au début duséparatisme pour situer l'origine de cesbanques offshore. Le 1er mars 1999, uncertain Fabien Lecler, basé sur l'île de LaRéunion, entame des négociations avecun comité de cinq leaders séparatistes qui

dirigeait l'île à l'époque. L'accord obtenusera renforcé par le lieutenant-colonelAbeid Abdérémane, qui donne pleins pou-voirs à Lecler pour octroyer des licencesoffshore à des sociétés internationales et àdes banques au nom de "l'Etat d'Anjouan".Elu en 2002, le colonel Mohamed Bacar,pour des raisons obscures, ne s’entend pasavec le partenaire réunionnais et décide dedénoncer le contrat qui le lie à l'île qu'il diri-ge. Ce qu'il réussit à faire à la fin du moisde juillet 2003, non sans avoir au préalabletrouvé un nouveau partenaire, en l'occur-rence la Compagnie Globe FinancialMarketing Plc., basée à Londres et repré-sentée par Johnny Hon.

R EFUSANT CETTE PASSATION UNILATÉ-RALE DE MARCHÉ, FABIEN LECLER

attaque son concurrent en justice. Il per-dra la manche en 2007 au terme d'un longet coûteux procès. Selon une source pro-che du dossier, "si le régime Bacar a puempocher la part qui lui est due dans la ventedes licences, tel que le prévoit le contrat, rienn'atteste les accusations de blanchiment ouencore de financement terroriste". Un argu-ment qui se fonde sur une récente rencon-

tre entre le colonel Bacar et une déléga-tion américaine à Ndzuani, qui a officiel-lement accédé à tous les éléments du dos-sier. "La même mission s'est rendue égalementà Londres et a inspecté la compagnie britan-nique [qui a succédé à Lecler]", précisenotre source.

PARMI LES HOMMES CLEF de la négocia-

tion de ces banques offshore avec la compa-gnie anglaise, on retrouve l'actuel gouver-neur de la Banque centrale, Abdoulbastoi,qui était à l'époque le Conseiller écono-mique du président Bacar. Cet homme dis-cret, spécialiste des dossiers financiersdepuis l'époque du président Abdallah, futl'une des courroies de transmission entre leclan Bacar et le clan Azali, qui l'a propulsé

à ce poste après qu'il ait dirigé le ministèredes Finances. C'est lui qui, en qualité deConseiller économique du président Bacar,a rédigé "le projet de décret créant la directiongénérale offshore d'Anjouan au sein du ministèredes Finances de l'île", confirme un proche dudossier. Si l'on peut ainsi comprendre lapassivité de la Banque centrale desComores à s'attaquer frontalement à undossier qui pouvait mettre en cause sonpatron et avoir des répercussions sur d'aut-res personnalités politiques locales et étran-gères qui baignent dans ces réseaux de lafinance, l'on peut s'interroger de façon plusgénérale sur la responsabilité de l'Etatcomorien, qui pratique à différents niveauxce commerce extra-territorial.

SOUS LA PRÉSIDENCE du colonel AzaliAssoumani, l'Union des Comores a ainsiconclu un contrat de vente de pavillons avecune compagnie grecque dénomméeI.N.S.B, basée à Athènes, pour mener cesactivités au nom de l'État comorien. Près de500 bateaux sont actuellement immatricu-lés et naviguent sous pavillon comorien.Preuve que le commerce offshore est unepratique courante sous nos cieux, à son arri-vée au pouvoir, le gouvernement du prési-

dent Sambi s'est empressé de dénoncer lecontrat avec la société grecque au profitd'une société basée à Sharjah, dans lesEmirats Arabes Unis, qui poursuit ces acti-vités. D'autres dossiers d'activités offshorese négocieraient dans les couloirs de la pré-sidence de l'Union...

AINSI, UN MOIS après la chute de Bacar,le débat sur l'attitude à l'égard desbanques offshore divise le gouvernementde l'Union en deux camps qui révèlentdeux positionnements divergents sur letraitement de ce dossier. Les partisans del'interdiction de ces activités financièrescraignent des effets boomerang du faitd'une conjoncture internationale de plusen plus stricte. Une position qui neconvient pas au camp adverse, qui propo-se de doter seulement le pays des instru-ments de contrôle indispensables pourdistinguer les sociétés mafieuses, de cellesqui ne le sont pas.

KES

1 Kashkazi n°65, juillet 2007

Sous Azali, l’Union aconclu un contrat de

vente de pavillons avecune compagnie grecque.

Ci-dessus, Mohamed Bacar avant sa fuite, devant le palais présidentiel à Ndzuani. (PHOTO AFP)

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kashkazi 72 mai 200814

après la chute du régime bacar

Ndzuani : le courant séparatiste“LE séparatisme est mort", a lancé le

5 avril dernier le président del’Union des Comores Ahmed AbdallahSambi, de retour à Ndzuani après onze moisd'interdiction “de territoire” par le régimeBacar, et dans l'euphorie de l'après débarque-ment. Plus qu'un slogan, il s’agit là d’uneconviction partagée par une partie de l'opi-nion comorienne, qui voyait en la personna-lité du colonel Bacar, à la tête de l'exécutifanjouanais depuis 2001, l'incarnation duséparatisme insulaire. La victoire militairedu 25 mars contre l'ancien président a doncbrisé un mythe. Celui de la citadelle impre-nable, et de la théorie séparatiste de la fin del'Histoire qui avait rallié le 3 août 1997autour d'une lame de fond contestatrice, lesgueux et les nantis, l'illusion et l'utopie, la

légitimité et la manipulation. De ce point devue, l'opération de la coalition a effective-ment porté un coup dur aux certitudes quiont permis aux séparatistes de tenir plus dedix ans sur leurs intransigeances autonomis-tes. Etait-ce pour autant un coup fatal ?

"Ce discours n'est pas seulement naïf, ilest surtout démagogique", analyse AnliYachourtu Jaffar 1. Militant séparatiste radi-cal, ancien membre de l'Organisation pourl'indépendance d'Anjouan (OPIA), son pro-pos ne se démarque pas de ce qu'on entendcommunément dans les rues de Ndzuani."Bacar a certes fauté pour avoir humilié,torturé ses frères anjouanais et dilapidé lesfonds publics, mais dans le même temps, ila affirmé la personnalité anjouanaise etbien défendu les intérêts de l'île vis-à-vis del'Union", soutient Mouhtar, un jeune cadrequi ne porte pas l'étiquette séparatiste et nepeut être soupçonné d’être un pro-Bacar.Selon Mouhtar, "les Anjouanais se sont ral-liés à l'intervention du 25 mars pour ren-verser un régime qui leur était devenuinsupportable, mais pas pour remettre encause les acquis d'une autonomie gagnéedepuis dix ans".

Un discours dont la portée politique n'estpas négligeable puisqu'il est au cœur dupositionnement de l'électorat intellectuel del'île, qui aura à se déterminer lors de la pro-chaine élection présidentielle annoncée pourla fin jun. "Nous avons soutenu Sambi, maisnous ne voulons pas un chef de l'île qui luiserait soumis", ajoute Ahmed. Le proposn'est pas éloigné de celui d'Anli YachourtuJaanfar. "On veut faire passer le soi-disantséparatisme comme étant le fait de person-nalités qu'il suffirait d'éliminer ou d'écarterde la scène politique pour que tout soit réglé.On veut de ce fait nier la réalité économique,sociale et politique de ce mouvement qui senourrit d'injustice, d'iniquité et de frustra-tions, un mouvement de fond, qui propulsepour la première fois, sur la scène politique,les grandes masses défavorisées d'Anjouan.Rien ne peut plus être comme avant", pré-vient l'ancien militant de l'OPIA.

Dans l'euphorie des premiers jours de l'o-pération "Démocratie aux Comores", lafoule qui exulte et savoure la chute d'un régi-me qui l'avait murée dans le silence, se gardebien de commenter l'avenir. Mais certainesscènes prises sur le vif révèlent une réalitécomplexe. Dans une rue de Mutsamudu, unebanderole orpheline flotte au vent. On peut ylire : "Le séparatisme est enterré". Commepour accentuer l'ironie du slogan, à quelquespas de là, Fundi Abdallah Ibrahim, l'hommede la proclamation de l'indépendance de l'îlele 3 août 1997, premier président de "l'Etatd'Anjouan", marche d'un pas alourdi parl'âge, mais dans la quiétude. Alors que lessous-fifres du régime Bacar se planquentpour échapper à la vindicte populaire -quandils n’ont pas été arrêtés-, les chantres duséparatisme déambulent librement.

Tous sont à l'âge de la retraite et coulentdans la désillusion leurs derniers jours sur lesruines qu'ils ont léguées à leurs émules.Chamassi à Domoni, Abeid à Mutsamudu,Halifa à Mirontsy… Doit-on voir dans cettetranquillité, les signes d'une amnésie collec-tive ou la preuve d'un "non-dit" anjouanais

que ne peut saisir la "rationalité" des joutesverbales des places publiques moroniennes ?La réponse viendra de l'un d'eux, Saïd AbeidAbdérémane. "Le séparatisme s'est terminéen 2001 avec l'Accord cadre de Fomboni",affirme celui qui succéda à AbdallahIbrahim à la tête de l'Etat séparatiste anjoua-nais, et qui signa avec le président AzaliAssoumani, en présence de la communautéinternationale, ce fameux Accord cadre.Pour l'ancien leader séparatiste 2 qui briguela présidence de l'île -sa candidature a cepen-dant été rejetée par la Cour constitutionnelleen avril 2007- "les gens sont en train deconfondre séparatisme et autonomie desîles. Malheureusement, les hommes qui sesont succédés au pouvoir n'ont pas respectél'Accord", fustige t-il.

Le séparatisme a-t-il alors réussi sonœuvre, ou adapte-t-il son discours ? En1997, les leaders anjouanais avaient optépour une rupture radicale avec le pouvoircentral et construit un discours volontaire-ment provocateur vécu par les autres îlescomme inadmissible, sapant les fonde-ments mêmes du socle de l'unité comorien-ne. En retour, les anti-séparatistes ne vou-laient voir dans ce mouvement que la seulemanipulation d'une main étrangère. "Lesoulèvement anjouanais n'a pas été unmouvement planifié et programmé de lon-gue date, cela a été une révolution sponta-née qui s'est nourrie des réalités différen-tes de la société comorienne", rétorqueAnli Yachourtu Jaffar.

"On sentait l'explosion venir, il suffisaitd'aller à Anjouan, ou de vivre à Anjouan,pour comprendre que cela ne pouvait pascontinuer. Anjouan comme Mohéli deve-naient des zones de non-vie, tout mourait :commerces, petites industries. C'était larégression constante avec le sentiment d'in-justice. Un petit exemple : les fonctionnai-res pouvaient être payés à Ngazidja et pasceux d'Anjouan. La plaine était sèche, ilsuffisait d'une étincelle, qu'a fournie lerégime autoritaire et arrogant de Taki, et lemouvement s'est endurci avec la répres-sion, comme pour le mouvement mahorais.Donc, il y a eu des indépendantistes, desrattachistes, des autonomistes, avec le sou-tien de personnalités françaises, parmoment. Mais pour discréditer le mouve-ment anjouanais, on tendra bien sûr à leurdonner la paternité d'une révolte dont onne peut trouver les racines et les moteursqu'au sein même de la société comorien-ne", tranche le militant.

Dix ans plus tard, le discours est deve-nu plus politique et les séparatistes d'hierplus “fréquentables”. La rhétorique s'ap-puie sur une architecture institutionnellequi a conforté la référence insulaire dansla gestion de l'Etat-archipel et trouvé échodans les cercles politiques des autres îles.

Loin du discours officiel selon lequel le séparatisme est mort, les anciens acteurs de la sécession de Ndzuani n'ont pas renoncé à "l'autonomie" de leur île. Doivent-ils être traités en tant que force politique légitime ou considérés comme des hors-la-loi ? Après la chute de Mohamed Bacar, un débat national s'impose.

“Nous avons soutenuSambi, mais nous ne

voulons pas un chef del'île qui lui serait soumis.”

Ndzuani, en 1997, lorsde la criseséparatiste.(PHOTO AFP)

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kashkazi 72 mai 2008 15

n’a pas dit son dernier mot"C'est grâce à notre combat que l'on parlede l'Union des Comores. On a réussi àinstaurer une large autonomie des îles, ilne reste maintenant que sa mise en exécu-tion. Chaque île obtient aussi la possibili-té de diriger le pays", rappelle ChamassiSaïd Omar, un autre leader séparatiste dela première heure. Lorsque le colonelAbeid critique aujourd'hui l'opération"Démocratie aux Comores" et accuseSambi de "ne pas vouloir laisser les îlesfonctionner normalement", il tient lemême discours que la Convention pour lerenouveau des Comores (CRC), le parti del'ex-président Azali. Cela explique l'a-plomb qui lui permet d'affirmer aujourd'-hui : "Je ne suis pas séparatiste, mais pourl'autonomie des îles."

Le colonel Bacar lui-même pourrait s'endéfendre. Chassé d'un pouvoir dont il avoulu s'emparer par la force, le gouverne-ment de l'Union le poursuit pour "rébellion",mais pas pour le délit de séparatisme. Unretournement de situation qui rendrait diffi-cile le procès du séparatisme que réclameune partie de l'opinion. "Vouloir arrêter lesséparatistes reviendrait à mettre un murautour d'Anjouan et à déclarer l'île prison",ironisait un député de l'Assemblée del'Union, lors d'un débat visant à savoir si ledébarquement du 25 mars visait à destituerle régime du colonel Bacar ou à lutter cont-re le séparatisme.

Les séparatistes, eux, n'en démordent pas."On voudrait juger les dirigeants anjoua-nais sur quels motifs ? Atteinte à l'uniténationale ? Si on veut extirper le soi-disantséparatisme en cherchant les causes et lesresponsables pour les juger, commençonspar les véritables responsables de ces mal-heurs : Saïd Mohamed Cheikh pour avoiravec la complicité française, déplacé lacapitale de Dzaoudzi à Moroni [en 1962,ndlr], et avoir réprimé férocement lesMahorais et ainsi semé les graines de lasécession ; Ali Soilihi qui a porté atteinte àl'indépendance par son putsch et renforcéle mouvement séparatiste mahorais, puisqui a introduit le mercenariat [lire notredossier, p.20, ndlr] ; Mohamed Taki qui aété à l'origine du mouvement anjouanais,pour son arrogance, sa répression du mou-vement lycéen, les humiliations et les violsdont ses soldats se sont rendus coupables à

Anjouan... Alors, faisons le procès de lapolitique comorienne pendant toute lapériode de l'indépendance et peut-être tire-rons-nous les vraies leçons de notre histoi-re pour que nul Comorien ne pense plus àse révolter ou à vouloir se séparer des aut-res, parce qu'il n'y verrait aucun intérêtpour son existence", argumente AnliYachourtu Jaffar.

Dopé par la cacophonie qui l'entoure etla difficulté de lui imposer une autre visionque celle formatée par les institutions issuesde l'Accord de 2001, le discours séparatistea inondé l'espace public et stérilisé la pen-sée politique comorienne. Ses opposantsles plus radicaux ne parviennent plus àconstruire une contre-offensive sérieuse.Aucune position claire -ou si peu- n'est affi-chée autour de questions sur lesquelles ledébat achoppe avant même d'être posé.Dans ce contexte, les séparatistes doivent-ils être traités en tant que force politiquelégitime ou comme des hors la loi ?Mohamed Ahmed Chamanga, reconnupour être le premier intellectuel anjouanaisà avoir exprimé son opposition au sépara-tisme, depuis la France où il réside, sem-blait prôner il y a dix ans le débat : sa lettrede juillet 1997, où il fustigeait les séparatis-tes, expliquait en partie leur audience parles erreurs commises par Taki, qui a préfé-ré l'usage de la force à la solution du dialo-gue dans la gestion de cette crise.

Onze ans plus tard, Idrisse MohamedChanfi, leader du Comité Maore qui militepour l'unité de l'archipel, estime qu'il "nefaut pas glisser vers une chasse aux sorciè-res" à la faveur de la reprise en main deNdzuani. Pour l'ancien cadre du Frontdémocratique, le séparatisme "est une opi-nion" tant qu'il n'incite pas à la haine ou nese traduit pas en actes. Favorable à la libé-ration de la plupart des prisonniers de l'in-tervention militaire, il propose de "s'inspi-rer de l'expérience sud-africaine pourcréer une commission de réconciliationafin que l'on puisse parler librement duséparatisme, et que la population com-prenne pourquoi ces gens sont remis enliberté". Idrisse Mohamed n'en réclamepas moins que l'on "remonte jusqu'en 1997pour mener des enquêtes et arrêter ceuxqui doivent l'être. Des gens aujourd'huiresponsables dans l'Union, ex-séparatis-tes, savent plus ce qu'ils ont fait que le pau-vre gendarme anjouanais qui voulaitgagner sa croûte", plaide-t-il.

Cette volonté de ne pas confondre lesactes et la pensée politique est cependantloin de s'imposer dans le débat public : enentretenant la confusion entre les exactionsdu régime de Bacar et un mouvement poli-tique vieux de dix ans, les autorités como-riennes n'ont pas contribué à éclairer les ter-

mes du débat, d'autant plus que l'on connaîtmal, pour l'instant, les charges qui pèsentcontre les personnes arrêtées à Ndzuani.C'est ainsi que le 5 avril, lors de la célébra-tion du dénouement de la crise, le présidentpar intérim de l'île a remercié "le bon Dieuqui a rendu possible la libération de l'île deNdzuani qui a été pendant plus d'une décen-nie prise en otage par Bacar et consorts"…

Autre question délicate que n'ont pas réso-lue les intellectuels favorables à l'unité poli-tique de l'archipel : où se situe la frontièreentre séparatisme et autonomisme ? En2006, Chamanga souscrit au format institu-tionnel issu de cette crise en briguant le man-dat de président de l’Union. Une stratégieadoptée également l’année suivante parIdriss Mohamed, farouche opposant du sys-tème institutionnel actuel, et pourtant candi-dat à la présidence de Ngazidja. Des partiscomme le Front démocratique, opposés àtout projet qui fragiliserait le socle nationaldes Comores, n'ont pas hésité non plus às'engager dans l'air du temps. La levée debouclier des leaders mohéliens, toutes ten-dances confondues, contre toute réformeconstitutionnelle qui mettrait en cause la

tournante de la présidence de l'Union quidoit revenir à l'île dans deux ans, avantmême le débat qui devait poser la questionde l'efficacité ou pas de ce dispositif consti-tutionnel dans la consolidation de l'Etat, nerenvoie-t-il pas à ce réflexe insulaire aumême titre que celui qui a secoué Ndzuani ?

Cette contrainte constitutionnelle "est unpremier pas vers la démocratie" répondAbdou Djabir, candidat malheureux à la der-nière présidentielle mohélienne, et l'un desleaders politiques mohéliens signataires ducommuniqué sur ce sujet.

Le mal est donc plus profond que ne veu-lent l'admettre les Comoriens. "Les germesdu séparatisme sont dans notre fonctionne-ment médiéval", explique Abdou Dabirdans le journal Al-watwan. "Nous quiétions à Madagascar en 1979, avons vu deschoses", soutient Ali Bourhane, leconseiller privé de Sambi, évoquant àdemi-mot des vexations que s’infligeaientles ressortissants des différentes îles."Anjouan est une verrue du séparatismemais n'en a pas le monopole. C'est un phé-nomène comorien qui doit être assumé

comme tel. Le problème, c'est que ceci aabouti à une dictature qui a séparé complè-tement Anjouan." Pour Aboubacar AbdouMsa, un juriste de Ngazidja, les Comoresne peuvent pas échapper à cette pesanteurinsulaire, notamment dans "la redistribu-tion des postes". "Refuser d'admettre cetteréalité, cette épine dans la formation et l'é-volution de l'Etat comorien, c'est refuser dejeter un regard sur nos modes de fonction-nement et de pensée, ces soubresauts quifaçonnent nos institutions", déclarait-il le14 mars dans Al-watwan.

Si aucun parti politique, à l'exceptiondu Parti populaire anjouanais (PPA), nese réclame aujourd'hui du séparatisme,leur existence effective et leur horizonpolitique s'arrête depuis dix ans auxcontours insulaires. D'où le défi qui sepose à tous ceux qui se disent portés parun projet national. L'histoire risque t-elled'absoudre le délit (ou le crime) sépara-tiste, faute de pouvoir le circonscriredans sa véritable expression ? La périodeouverte par la chute du colonel Bacar àNdzuani et la perspective d'une tableronde politique sur le cadre institutionnelactuel, offrent l'opportunité auxComoriens d'un vrai débat sur cettepériode de leur histoire, pour une visionpartagée sur leur nation.

A Ndzuani, celui-ci a déjà commencé."Les causes qui ont provoqué le séparatis-me sont toujours là. Et si on veut bousculerles choses, les séparatistes seront là pourréclamer la décentralisation de l'adminis-tration", avertit Chamassi. Certes, la plupartcritiquent la gestion de Bacar, à l'instar deSaïd Abeid qui l'accuse d'avoir "manœuvrépour se hisser tout seul à la barre, et a mar-ché dans la combine que voulait Azali. Ils sesont remplis tous les deux les poches. Il étaitlà pour s'enrichir". Mais ils se disent tousvigilants sur ce que fera l'Union dans l'île. AMutsamudu comme à Domoni, les critiquescontre le régime ne manquent pas. "Il y adéjà des choses qui ne vont pas. On a impo-sé des gens au pouvoir de transition, ils sontde Mutsamudu et du quartier du président.Sambi montre qu'il veut revenir au modèlerépublicain de la RFIC 3", avertit Abeid."L'Union doit tirer les leçons de la gestionde Bacar", renchérit Chamasse, commepour dire que lui et les siens n'ont pas renon-cé à la lutte politique.

Kamal'Eddine Saindou (avec LG)

1 Interview réalisée par Internet.2 Le régime d’Abeid s’était lui aussi adonné aux arrestations arbitraires et à la torture.

3 République fédérale islamique des Comores, constitution instaurée en 1978, en vigueur jusqu'en 2001.

+ loinSur le séparatismeanjouanais, lire notredossier dans Kashkazin°64 (mai 2007).

Lire également notresupplément Bangwe n°2consacré au séparatismedans l’archipel, encartédans Kashkazi n°56(octobre 2006)

disponibles surwww.kashkazi.com

“Vouloir arrêter lesséparatistes reviendraità mettre un mur autour

d'Anjouan.” “Anjouan est une verruedu séparatisme mais n'ena pas le monopole. C'est

un phénomène comorien.”

Les interrogations de la presse

Le débarquement, et après ? Passée l'euphorie des premiersjours, c'est l'interrogation qui ressort des débats publics et de lapresse moronienne. Si le directeur d'Al-watwan MohamedBoudouri s'est dans un premier temps enflammé sur la victoi-re "éclatante" et "merveilleuse" du président, de l'armée et dupeuple comorien tout entier, les éditorialistes du journal d'Etatne cessent depuis de dresser les enjeux auxquels sera prochai-nement confronté le pays. Derrière le soulagement provoquépar le dénouement relativement paisible de l'interventionarmée, les journalistes traduisent l'inquiétude générale : et si,alors que le pays semble avoir les cartes en main pour prendreun nouveau départ, il ratait ce rendez-vous crucial ?Ali Moindjie 1 rappelle ainsi que parmi les Anjouanais qui ontadhéré au séparatisme en 1997, "beaucoup étaient des citoyensordinaires, lassés par la pauvreté et l'absence de perspectives,et qui avaient cru effectivement bien faire pour leur famille etleur descendance parce qu'ils en avaient assez d'être piétinés,spoliés, méprisés, volés (…) Les masses populaires sont capa-bles d'accepter n'importe quoi pour espérer mettre fin à leurcalvaire quotidien", poursuit le journaliste avant d'avertir : "Ilreste à espérer que nos dirigeants ont assimilé ces leçons etqu'ils ont bien inscrit sur leur tablette que la préservation del'unité et de l'intégrité nationale n'a de sens que si la nation sepréoccupe de tous ses membres sur le même pied d'égalité. Sion remet sur le feu les vieilles recettes du chauvinisme et dufavoritisme (…) alors d'autres Mohamed Bacar vont réapparaî-tre inévitablement avec des idées et des armes, peut-être, enco-re plus redoutables. Pas forcément à Anjouan."Autre enjeu crucial : la réinsertion des membres de la Force degendarmerie anjouanaise, parmi laquelle "la rébellion a sapétout repère républicain", écrit Ahmed Ali Amir 1. Pour le jour-naliste, "cette réinsertion ne sera efficace que si les militairesqui se sont rendus coupables d'exactions sont jugés. Mais ilexiste surtout des centaines et des centaines de jeunes enrôlésdans ces forces et qui ont servi à mettre en pratique les salesbesognes du colonel. Pour eux, la nation doit se préoccuper deleur apprendre un métier d'avenir rapidement et à leur trouverdes débouchés rapidement". Il s'agit là, souligne-t-il, "d'unedes conditions pour (…) priver à jamais les séparatistes, deséléments incontrôlés, éparpillés dans la nature, détenteursd'armes, et prêts à les reprendre pour assouvir des ambitions etdes intérêts qui les dépassent souvent".

1 Al-watwan du mercredi 9 avril 2008

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16 kashkazi 72 mai 2008

Césaire, du combat départementalistecésaire, maore et le département

“LA République rend hommage àl'ardent défenseur de la départe-

mentalisation de la Martinique pour qui lavraie liberté a toujours résidé dans l'affirma-tion d'une appartenance pleine, fière et entiè-re à la France." Voilà ce qu'il était permis delire sur le site du ministère français del'Outremer 1 au lendemain du décès d'AiméCésaire, le 17 avril dernier. Paradoxalement,en guise d'"hommage" à l'œuvre du "nègrefondamental", rejeton ô combien rebelle desdeux mamelles de l'histoire européenne horsde ses bases -l'esclavage et la colonisation -,le gouvernement français a ressuscité laméthode qui faisait l'essence même de l'œu-vre coloniale que Césaire n'a jamais cessé decombattre : la spoliation. Spoliation des ter-res, de l'histoire, du pouvoir de décision,mais surtout des consciences. En affirmantque Césaire voyait dans l'appartenance à laFrance "la vraie liberté" (comme s'il n'enexistait pas d'autre !), l'Etat a dévoyé le mes-sage du père de la négritude.

Une logique recyclée par les conseillersgénéraux de Maore le 18 avril, en ouvertured'une session qu'ils qualifieront plus tardd'historique, au cours de laquelle ils voterontà l'unanimité la résolution demandant augouvernement français d'organiser uneconsultation sur le statut de l'île (lire pagesuivante). Aimé Césaire fut ce jour-là pré-senté comme "le précurseur de la départe-mentalisation" que la classe politique maho-raise appelle de ses voeux. Il ne fut pas ques-tion, par contre, de la "négritude", ce courantlittéraire et philosophique radical qu'il créaavec Senghor et Damas, du "Discours sur lecolonialisme", cet ouvrage-référence sanspitié pour la décadence européenne, ou de sapropre évolution qui le fit militer, quelquesannées après la "départementalisation", enfaveur d'une autonomie large de laMartinique, son île. A croire que le seulCésaire acceptable dans les ministères et ausein de la classe dirigeante mahoraise s'estéteint avec cette fameuse loi du 19 mars1946… Le discours et l'évolution idéolo-gique du Martiniquais sont pourtant loin duchapelet de propos consensuels entendusaprès sa mort.

Certes, Aimé Césaire fut le rapporteur dela loi du 19 mars 1946 2 faisant des "quatrevieilles colonies" françaises -Martinique,Guadeloupe, Guyane et Réunion- des dépar-tements d'outremer. Il en fut aussi son plusardent défenseur. Non pas pour l'assimila-tion culturelle et sociétale telle que la rêvaitl'idéologie coloniale, mais bien pour des rai-sons avant tout humaines. "En 1945", expli-quait-il en 2005 à l'hebdomadaire françaisL'Express 3, "quand on m'a pressenti pourcette mission, j'ai hésité, car j'ai pensé à nos

ancêtres, à notre identité et à ce qu'il en res-terait si nous devenions des Français à partentière. Mais je me suis rendu compte quec'étaient les gens du peuple qui tenaient leplus à ce que la Martinique devienne undépartement français. Pour eux, cela signi-fiait en réalité devenir les égaux desFrançais de France, avec les mêmes droitssociaux, les mêmes salaires." "J'avais en têtela chose suivante : 'Mon peuple est là, il crie,il a besoin de paix, de nourriture, de vête-ments, etc. Est-ce que je vais faire de la phi-losophie ? Non'" s'expliquait-il en 2005 dansun livre d'entretiens avec Françoise Vergès4."Quelle était la situation auparavant ?",poursuivait-il. "Une misère totale : la ruinede l'industrie sucrière, la désertification descampagnes, les populations qui se précipi-taient sur Fort-de-France et jouaient auxsquatters en s'installant comme elles le pou-vaient sur n'importe quel bout de terre. Quefaire ? Les préfets n'avaient qu'une idée, leurenvoyer la police. Eh bien nous, nous avonschoisi de nous intéresser à ces gens-là. (…)Le peuple martiniquais se fichait de l'idéolo-gie, il voulait des transformations sociales,la fin de la misère."

Lorsque débutent les débats àl’Assemblée, deux positions s'affrontent :l'une est partisane de l'assimilation, l'autre del'autonomie. En 1946, "assimilation", décla-re Césaire, signifie que les "territoires enquestion soient considérés comme le prolon-gement de la France", tandis qu'autonomieimplique que les conseils généraux conti-nuent à bénéficier d'une certaine autonomiebudgétaire. Or pour Césaire et les mouve-ments anticolonialistes, les conseils géné-raux étant aux mains des grands planteurs,ils persisteraient à privilégier ces derniers si,devenus autonomes, ils n'étaient pas soumisà la loi républicaine 3. La "Métropole" étaitalors perçue comme un moyen de limiter lepouvoir des planteurs, et d'offrir aux ancienscolonisés les mêmes chances que l'ensembledes citoyens français.

"D'hommes reconnus depuis des sièclescitoyens formels d'un Etat, mais d'unecitoyenneté marginale, comment ne pascomprendre que leur première démarche

serait, non de rejeter la forme vide de leurcitoyenneté, mais de faire en sorte de latransformer en citoyenneté pleine et depasser d'une citoyenneté mutilée à unecitoyenneté tout court ?" énonçait-il en2005 4 - "Je parle de millions d'hommesarrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurshabitudes, à leurs vies, à la vie, à la danse,à la sagesse. Je parle de millions d'hommesà qui on a inculqué savamment la peur, lecomplexe d'infériorité, le tremblement, l'a-genouillement, le désespoir, le larbinisme",écrivit-il dans Discours sur le colonialisme(lire encadré ci-contre) en 1950.

Il y avait aussi, dans son combat au seinde l'ancienne puissance coloniale, unecrainte de l'indépendance, ce saut dans l'in-connu qu'il jugeait dangereux. "On le voit,

et on le verra en Afrique, l'indépendancecontre un oppresseur ne garantit pas lesdroits de l'homme", disait-il. Commentantl'une de ses pièces phares, Le RoiChristophe, qui évoque l'histoire d'Haïti,première nation noire à s'être émancipée dela tutelle coloniale, Césaire reconnaissaitqu'elle symbolise "les problèmes de l'indé-pendance réalisée : la liberté, les relationsentre le 'leader' et le 'peuple', le grave pro-blème du choix des idéologies, le problèmede la différentiation en classes sociales dela population. Le Roi Christophe est auxprises avec tout cela, et dramatiquement, iléchoue, car il n'est pas préparé à cela… 5"

Césaire aimait choquer. La négritude etson slogan : "Je suis un nègre", alors que leterme lui-même signifiait aux yeux des

Blancs l'infamie, était née de cette volonté deprovoquer - "notre lutte était la lutte contrel'aliénation (...) et alors nous avons pris lemot nègre comme un mot-défi (...) Puisqu'onavait honte du mot nègre, eh bien, nousavons repris le mot nègre", déclara-t-il. Ledépartement répondait de la même logique.La France serait-elle capable d'appliquer sondiscours universaliste à des nègres, anciensesclaves, anciens colonisés ? En tentant cepari, Césaire s'est fait des ennemis.Aujourd'hui encore, nombre de ses compa-gnons de route -ou de plume- lui reprochentde ne pas avoir défendu l'indépendance de laMartinique. Pour autant, l'homme n'était pasnaïf au point de croire à sa propre entreprise."Oui mais voilà", avouait-il à FrançoiseVergès, "je me disais par ailleurs [lors duvote de la loi] : 'Cela résout un problème

Après son décès, Aimé Césaire a été réduitpar le gouvernement français et la classepolitique mahoraise à la seule revendicationdépartementaliste. Son oeuvre littérairecomme son action politique sont pourtantbien plus complexes.

“Mon peuple est là, il crie,il a besoin de paix, de

nourriture, de vêtements.Est-ce que je vais faire

de la philosophie ?”

Ci-dessus, Aimé Césaire. (PHOTO AFP)

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17kashkazi 72 mai 2008

à la revendication autonomisteimmédiat, mais si nous laissons faire, tôt outard surgira avec violence un problèmeauquel ni les Martiniquais, ni lesGuadeloupéens, ni aucun Antillais n'ajamais pensé : le problème de l'identité.'Liberté, égalité, fraternité', prônez toujoursces valeurs, mais tôt ou tard, vous verrezapparaître le problème de l'identité. Où estla fraternité ? Pourquoi ne l'a-t-on jamaisconnue ? Précisément parce que la Francen'a jamais compris le problème de l'identi-té". En 1946 déjà, il lançait à la tribune del'Assemblée nationale : "Si un jour le régimeissu de la départementalisation à son tourapparaît comme un obstacle, rien, je veuxdire aucun fétichisme, n'empêchera qu'il soitremis en cause pour faire place à un régimequi ne sera pas seulement la négation desdeux régimes précédents mais leur sommesurmontée et enrichie."

"Chaque peuple européen a son histoireet c'est l'histoire qui a construit la mentali-té française telle qu'elle est", pensait-il."Chez l'Anglais, le racisme coexiste avecune conception de l'homme et le respect dela personnalité de l'autre, ce qui fait qu'il ya eu beaucoup moins d'assimilation dansles colonies anglophones que dans lescolonies françaises. Les Français ont cru àl'universel et, pour eux, il n'y a qu'uneseule civilisation : la leur. Nous y avonscru avec eux ; mais dans cette civilisation,on trouve aussi la sauvagerie, la barbarie.(…) Les Allemands, les Anglais, ont com-pris bien avant les Français que la civili-sation, ça n'existe pas. Ce qui existe, cesont les civilisations. 3"

En juillet 1949, trois ans après le vote dela loi de départementalisation, Césaire entre-voyait déjà l'impossibilité de sa démarche."Permettez-moi de vous donner cet avertis-sement", annonçait-il devant les députésfrançais. "Lorsque, sous couleur d'assimila-tion et sous prétexte d'uniformisation, vousaurez accumulé dans ces territoires, injusti-ce sur injustice, lorsqu'il sera évident qu'à laplace d'une véritable assimilation, vousentendez ne leur offrir qu'une caricature,une parodie d'assimilation, alors, vous sus-citerez dans ces pays une immense rancœuret voici ce qui se produira : vous aurez faitnaître dans le cœur des Martiniquais, desRéunionnais, des Guadeloupéens, un senti-ment nouveau, un sentiment qu'ils neconnaissaient pas et dont vous porterez laresponsabilité devant l'histoire, un sentimentdont les conséquences sont imprévisibles :vous aurez fait naître chez ces hommes lesentiment national martiniquais, guadelou-péen ou réunionnais. Si vous me permettezde m'élever à quelques considérations géné-rales, laissez-moi vous dire qu'en pays colo-nisé, c'est presque toujours le sentiment del'injustice qui détermine l'éveil ou le réveildes nationalismes indigènes. C'est là ledrame. Quand nous voulons nous assimiler,nous intégrer, vous nous rejetez, vous nous

repoussez. Quand les populations colonialesveulent se libérer, vous les mitraillez !"

Un an plus tôt au Sénat, il dénonçait, enco-re et toujours, l'incapacité des administra-teurs à oublier leurs vieux réflexes : "Quandon parcourt les campagnes antillaises, lecœur se serre aux mêmes endroits où se ser-rait il y a un siècle le cœur de VictorSchœlcher : les mêmes cases, sombres etbranlantes, les mêmes grabats pour lesmêmes lassitudes, les mêmes taches de mis-ères et de laideurs dans la splendeur du pay-sage, les mêmes hommes mal vêtus, lesmêmes enfants mal nourris, la même misèrechez les uns, la même opulence chez les aut-res, aussi égoïstes, aussi insolents ; et si, dupoint de vue politique, le rêve de VictorSchœlcher a été réalisé - la transformationdes vieilles colonies en départements - à voircertains évènements récents, qui pourraitaffirmer que l'Administration elle-même adésappris certaines méthodes queSchœlcher dénonçait, il y a un siècle ?"

Parmi ses disciples, nombreux sont ceuxqui ne comprennent pas comment celui quiécrivit le Discours sur le colonialisme -dia-tribe incroyablement dure quant à l'essencedu colonialisme européen (lire des extraits

ci-dessous)-, a pu réclamer la départementa-lisation au sein du pays champion ès coloni-sation ; comment celui qui, au milieu desannées 60, déclara : "Naturellement, il estbien plus difficile d'être un homme libre qued'être un esclave. Mais toute la dignité del'homme vient de ce qu'il préfère la libertédifficile à l'esclavage et la soumission faci-les 4", en arriva à refuser l'indépendance lors-qu'il appela en 1958 à voter "oui" au référen-dum du général de Gaulle 8. Car si dans sonesprit -il l’a dit un jour sur RFO-, la départe-mentalisation représentait une quête d'"éga-lisation", ce que Césaire voulait éviter estpourtant arrivé : "La départementalisation aconduit à l'assimilation et a conduit à la bri-sure de cette société", dénonce PatrickChamoiseau, chantre de la créolité pas tou-jours tendre avec "son père spirituel", et dontl’analyse est vivement contestée.

L'"erreur" de Césaire, selon Chamoiseau,fut d'avoir fait privilégié le prosaïque - leseffets immédiats, la santé, l'éducation- aupoétique - l'âme, l'identité, la liberté. "Lepoétique a été mis de côté", dit-il, "mais unepolitique qui ne satisfait que le prosaïque estune politique qui amène à de grands désas-tres. Il aurait fallu une politique qui allie lesdeux : prosaïque et poétique, car une poli-

tique sans imagination ne donne rien. Qu'estce qui fait la puissance d'un pays, c'est sacapacité d'idéal, d'enthousiasme !"

S'il ne regretta jamais le choix du départe-ment, Césaire n'en changea pas moins radi-calement d'analyse au fil des années. Trèsrapidement, échaudé par le manque devolonté de l'administration, il deviendraautonomiste - les élus mahorais comme leministère ont vite fait de l'oublier. Après

avoir quitté le Parti communiste françaisqu'il jugea hanté de vieux réflexes assimila-tionnistes petits-bourgeois, il créa le Partiprogressiste martiniquais (PPM) en 1958,dont le mot d'ordre était l'"autonomie"."Prenant acte de l'échec de la départementa-lisation, le PPM milita pour l'instaurationd'une République fédérale", rapporteLaurence Proteau 7.

L'échec de la départementalisation étaitsymbolisé selon lui par le délabrement éco-nomique de son île. "A mon avis, aujourd'-hui, notre principale faiblesse est écono-mique. [Avant la départementalisation] l'é-conomie antillaise était génératrice de misè-re et d'inégalité, mais elle existait. Qu'en est-il maintenant ? A l'heure actuelle, nous som-mes un pays qui ne produit plus rien, maisqui consomme de plus en plus. C'est unesituation d'assistanat, dont il nous faut sor-tir. 3" Il rejoignait ainsi l'analyse de PatrickChamoiseau, selon lequel la départementali-sation est comparable à la maladied'Alzheimer. "Le corps reste, il peut mêmes'améliorer, mais l'esprit s'en va, la mémoires'en va, la personnalité s'en va. Ce qui cons-titue les rêves, les idéaux, disparaît, s'anéan-tit", regrettait-il en 2006 sur RFO. "Lesrépercussions de la départementalisationsont dramatiques", poursuivait-il. "On a euun ressort qui a été cassé ; ce qui nous per-met aujourd'hui de nous accommoder dusystème d'assistanat et de dépendance. Etc'est dramatique."

Après l'engagement départementaliste (de1946 à 1956) et la lutte pour l'autonomie(jusqu'en 1973), Césaire "voulut réaliser lamodernisation économique de l'île. Il n'eutde cesse de dénoncer l'aliénation culturellede la Martinique, la politique d'assistancemenée par les gouvernements de droite etde protester contre l'émigration antillaise etl'immigration blanche 7". "Il y a une thèse :l'assimilation ; et en face, une autre thèse :l'indépendance", indiquait-il à F. Vergès."Thèse, antithèse, synthèse : vous dépassezces deux notions et vous arrivez à une for-mule, plus vaste, plus humaine et plusconforme à nos intérêts. Je ne suis pas assi-milationniste, parce que nos ancêtres nesont pas des Gaulois. Je suis indépendan-tiste. Comme tout Martiniquais, je crois àl'indépendance, mais encore faudrait-il queles Martiniquais le veuillent vraiment !Selon eux, l'indépendance, c'est pour les

autres, mais pas pour eux pour l'instant.Pour moi, ni indépendance, ni assimila-tionnisme, mais autonomie, c'est à dire,avoir sa spécificité, ses formes institution-nelles, son propre idéal, tout en apparte-nant à un grand ensemble."

La "France a toujours été en retard dans[le domaine des identités culturelles et singu-lières], et c'est pour cela qu'elle n'a jamais surepenser le lien avec les départements d'ou-tre-mer où l'aspiration est d'être autonomeau sens politique du terme", disait-il en 2005dans L'Express 3. "Ce qu'il faut, c'est qu'au-jourd'hui les Antillais soient des hommesresponsables de leur destin. On ne va paspasser notre temps à gémir, à quémander.Nous ne voulons pas être, selon la fameuseformule, 'des mendiants exigeants etingrats', ni 'les danseuses de laRépublique'", avertissait-il, avant de lancerun ultime défi à cette République "une etindivisible" : "Bien sûr qu'elle est divisible !C'est un phénomène général. On assiste, àl'heure actuelle, au réveil des identités : lesBasques veulent être basques, les Bretonsveulent être bretons. Ici, pendant très long-temps, les Martiniquais n'avaient qu'uneobsession : 'Etre français! Etre français!Etre français !' Maintenant, ils veulent allerplus loin : il ne serait pas sage de ne pastenir compte de ce réveil des identités..."

Dans son Discours sur le colonialisme, ilécrivait : "Nous ne sommes pas les hommesdu 'ou ceci ou cela'. Pour nous, le problèmen'est pas d'une utopique et stérile tentative deréduplication, mais d'un dépassement. Cen'est pas une société morte que nous voulonsfaire revivre. (...) Ce n'est pas davantage lasociété coloniale actuelle que nous voulonsprolonger, la plus carne qui ait jamais pourrisous le soleil. C'est une société nouvelle qu'ilnous faut, avec l'aide de tous nos frèresesclaves, créer, riche de toute la puissanceproductive moderne, chaude de toute la fra-ternité antique. 9"

RC (avec ND)

1 www.outre-mer.gouv.fr2 LOI n°46-451 "tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane".

3 L'Express Livres, 14/09/20054 Interview d'Aimé Césaire réalisée par K.Chraibi en 1965 (http://oumma.com)

5 "Nègre je suis, nègre je resterai", entretiens avec Françoise Vergès, Albin Michel, 2005

6 Cité dans Les Antilles décolonisées, D.Guérin, Présence africaine, 1955

7 L.Proteau, "Entre poétique et politique, Aimé Césaire et la 'négritude'", in revue Sociétés contemporaines, 2005

8 Darsières, le numéro 2 du parti de Césaire, écrira que "Césaire et le parti progressiste martiniquais se sont alors trompés". Lylian Kestloot explique que non : "Césaire ne s'est pas trompé. Il a été trompé. Il eut en effet un entretien avec de Gaulle, au cours duquel le général lui laissa entendre qu'un 'oui franc et massif' de la part de la Martinique ouvrirait la porte à l'autogestion, voire à l'autonomie. Et Césaire fit voter 'oui', confiant en la parole du général. Sauf que, de Gaulle, après le 'oui' antillais, n'eut que paroles de mépris pour ces 'poussières d'îles'."

9 A.Césaire, Discours sur le Colonialisme, éd. Présence africaine, 1950

Le colonialisme selon Césaire“Donc, camarade, te seront ennemis - de manière haute, lucide etconséquente - non seulement gouverneurs sadiques et préfets tor-tionnaires, non seulement colons flagellants et banquiers goulus,non seulement macrotteurs politiciens lèche-chèques et magistratsaux ordres, mais pareillement et au même titre, journalistes fiel-leux, académiciens goîtreux endollardés de sottises, ethnographesmétaphysiciens et dogonneux, théologiens farfelus et belges, intel-lectuels jaspineux, sortis tout puants de la cuisse de Nietzsche (...)et d'une manière générale, tous ceux qui, jouant leur rôle dans lasordide division du travail pour la défense de la société occidenta-le et bourgeoise, tentent de manière diverse et par diversion infâmede désagréger les forces du Progrès - quitte à nier la possibilitémême du Progrès - tous suppôts du capitalisme, tous tenants décla-rés ou honteux du colonialisme pillard (...)” (p.38)

“Oui, il vaudrait la peine d'étudier, cliniquement, dans le détail, lesdémarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué,très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu'il porteen lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est sondémon, que s'il le vitupère, c'est par manque de logique, et qu'aufond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi,le crime contre l'homme, ce n'est pas l'humiliation de l'homme ensoi, c'est le crime contre l'homme blanc, c'est l'humiliation del'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colo-nialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, lescoolies de l'Inde et les nègres d'Afrique.” (p.13)

“Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmesque suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Unecivilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les pluscruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avecses principes est une civilisation moribonde.” (p.7)

“La colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir ausens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instinctsenfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relati-visme moral (...) Au bout de tous ces traités violés, de tous cesmensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées,de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotestorturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactanceétalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le pro-grès, lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent.” (p.12)

Discours sur le colonialisme, texte publié en 1950, Présence africaine

“Les Français ont cru à l'universel et, pour

eux, il n'y a qu'une seulecivilisation : la leur.”

“Je ne suis pas assimilationniste, parce

que nos ancêtres ne sont pas des Gaulois.”

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kashkazi 72 mai 200818

césaire, maore et le département

A Maore, la lutte égalitariste prend leUNE image en guise de symbole.

Nous sommes le dimanche 3septembre 2006. Des élus de la Républiquefrançaise, parmi lesquels le député de l'é-poque Mansour Kamardine, et des notablesinfluents se réunissent à la mosquée deChiconi. L'objectif de cette grande prière :forcer le destin et faire en sorte que Dieuinflue sur le président français d'alors,Jacques Chirac, afin que celui-ci accorde lapossibilité aux Mahorais d'être consultéssur le statut de département d'outre-mer.Rien de neuf en soi… Dans les années1960 déjà, les leaders du Mouvementpopulaire mahorais (MPM), fer de lance duséparatisme, avaient prêté serment dans lefameux "pacte de Sada", jurant de lutter

jusqu'à la mort pour obtenir ce statut. Telsdes croisés, ils affirmaient ainsi que leur vieétait moins importante que la quête de ceGraal institutionnel, tandis que les dignitai-res religieux s'entendaient pour donner auserment sur le Coran du non-musulmanMarcel Henry une légitimité 1.

Longtemps, la revendication départemen-taliste de la classe politique mahoraise s'estappuyée sur deux socles : le sentiment derévolte face à la "domination exercée par lesGrand-Comoriens et Anjouanais", et lasacralisation du statut de département d'ou-tremer dans une logique quasi mystique.Transmis de génération en génération, l'idéalstatutaire ne prête à aucune critique, aucune

question. On le souhaite comme un Paradis,on le respecte comme une Bénédiction. Les"infidèles", ceux qui osent émettre des dou-tes voire dénoncer ce statut "assimilationnis-te", ont été durant de longues années punis,physiquement ou socialement. "Quand onest contre, on est banni, c'est un sacrilège,mieux vaut pécher, Dieu pardonnera, ques'opposer au département" affirmait endécembre 2006 -dans un article intitulé"Mayotte département : plus qu'un statut,une religion" 2 dont celui-ci s'inspire en par-tie- Bacar Ali Boto, l'un des seuls hommespolitiques à s'être officiellement prononcéscontre ce statut. "Si c'est moins vrai aujour-d'hui", l'hérésie autonomiste reste largementdiabolisée. Saïd Omar Oili, l'ancien prési-dent du Conseil général, qui ne cesse dedénoncer cette "poudre aux yeux" -il parleaussi de "totem"- que les hommes politiquescontinuent de vendre à la population, en afait les frais en 2004, lorsqu'il a osé émettredes doutes quant au statut de DOM.Aujourd'hui encore, qui n'est pas départe-mentaliste est indépendantiste, donc unennemi de Maore…

Et pour cause : "Au lieu de faire du dépar-tement un moyen de nous développer, d'a-vancer, on en a fait un but ultime", nous dis-ait à l'époque le socialiste Hamada AliHadhuri. "Depuis tout petit, on nous app-rend que le département sera la solution àtous nos problèmes comme on nous apprendqu'il n'y a de Dieu qu'Allah" affirmait MlaïliCondro, enseignant de français et étudiant en

linguistique. "La départementalisation a étéintégrée dans l'éducation des parents enversles enfants. Les parents font dès son plusjeune âge la promotion du département àleur enfant. Dans une société où le discoursdes parents est prépondérant et ne prête pasà discussion, encore moins à contradiction,l'enfant peut difficilement envisager un autrepoint de vue. Il s'aligne sur la position desparents (…) Les religieux nous disent :‘Pour prier, il faut se tourner vers laMecque’, et on s'exécute, on ne pose pas dequestions." Pour le développement et le pro-grès, c'est vers le département que Maoredoit se tourner.

La "menace de l'ennemi comorien" (le dia-ble) sans cesse mise en avant par les respon-sables politiques mahorais -et facilitée parcertaines déclarations des dirigeants del'Union des Comores- favorise la pénétrationde cette croyance. Il n'est ainsi pas un dis-cours, ces derniers temps, qui n'évoque lespropos "provocateurs" d'Ahmed AbdallahSambi. Le 1er mai, à l'occasion de son retourd'une mission de dix jours en France,Ahmed Attoumani Douchina, le présidentdu Conseil général, a dénoncé "les provoca-tions des dirigeants comoriens", appelant àl'unité "de tous les Mahorais" : "Notre forcerepose sur notre unité et notre vigilance", a-t-il lancé sous les applaudissements de lafoule, au cours d'une cérémonie fastueuse.

Cependant, l'on assiste depuis quelquestemps à une évolution de l'argumentaire pro-

Le chemin de croix

Longtemps proposé à la populationcomme une secondereligion, le statut de département estdevenu la marche“indispensable” vers plus d’égalité et de solidarité.

E TONNANT, COMME LES LEADERS

POLITIQUES MAHORAIS ARRIVENT

À ÉVITER LES DÉBATS qui secouentl'ensemble des départements et territoiresde l'outremer français, et à faire croire à lapopulation que seul le statut de DOM estviable au sein de la République française.Un autisme idéologique qui pousse lesélus à réduire Césaire à la seule loi sur ladépartementalisation de la Martinique, laGuadeloupe, la Guyane et la Réunion,alors que le fondateur de la Négritudeavait changé de cap (en 1956) avant mêmeque Georges Nahouda n'évoque ce statut,lors du Congrès de Tsoundzou en 1958 -acte fondateur du combat pour “Mayottedépartement”.

POURTANT, COMME l'indique l'historien-ne Françoise Vergès dans son ouvrageconsacré à Aimé Césaire 1, “la questionposée en 1946 reste très contemporaine :est-il possible d'être égaux et différents surun même territoire ou, pour être égaux etdifférents, faut-il suivre la voie tracée par ladoctrine nationaliste ?” Autrement dit :“La République peut-elle être diverse ?”Selon la spécialiste du post-colonialisme,“la question posée par les 'vieilles colonies'[à la Métropole] en 1946 est la suivante :'Vous avez affirmé le droit naturel à l'égali-té à travers l'affirmation 'Tous les hommesnaissent libres et égaux en droit', que vousavez toujours voulu universelle. Mais outrele maintien d'un état d'exception dans voscolonies, vous avez en 1848 reconnu for-mellement notre égalité en tant que

citoyens, sans la reconnaître dans les faits.Alors, si nous sommes égaux, mais quenous sommes exclus des droits qui s'atta-chent à cet état, qui êtes-vous ?'” La répon-se ne s'est pas faite attendre. Très rapide-ment, la loi de 1946 a été “vidée de soncontenu”, analyse la chercheuse réunion-naise. Alors que Césaire la définissaitcomme une “égalisation”, l'assimilation “vadevenir le mot d'ordre des conservateursqui y voient l'occasion rêvée pour nier lapluralité culturelle et religieuse de cessociétés ainsi que la spécificité de leur his-toire (…) Les améliorations sociales sontlentes et les populations s'estiment mépri-sées, négligées”, si bien que moins de dixans après l'adoption de la loi du 19 juin1946, “la demande d'autonomie prendforme et le parti de Césaire va l'adopter”.“On ne demandait pas de devenir l'autre, ondemandait à être son égal” précisait Césaireen 1972, avant d'ajouter : “On voudrait uneassociation et pas une domination. Tant pispour les hommes politiques français s'ils neconçoivent pas d'alternative, s'ils donnent lechoix entre la sujétion et la séparation !”

L E MARTINIQUAIS A TRÈS TÔT PERDU

SES ILLUSIONS. “L'assimilation doit êtrela règle et la dérogation une exception”,explique-t-il en 1946. Mais les réticencessont nombreuses, notamment au ministèredes Finances. “Sollicitée, la commissiondes finances et du budget insiste sur le prixà payer pour assurer l'application d'unetelle loi”, rapporte Françoise Vergès. “Cette

Ci-contre,lors de lamanifestationcontre lesviolences du27 mars, le 6avril à Maore.

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pas sur la croyance quasi mystiquedépartement. Tandis que la crainte d'un lar-gage de Maore s'est amenuisée depuis quel'île est inscrite dans la Constitution françai-se (2003), le spectre de l'"hégémonie" como-rienne ne joue que sur une infime partie de lapopulation. Surtout, alors qu'auparavant lemythe du département s'accompagnait d'uneméconnaissance de ce qu'il représente - encela, plus qu'à une religion, le rêve départe-mentaliste s'apparentait aux intégrismes reli-gieux et à leurs préceptes : apprendre sanscomprendre ; transmettre sans accepter lamoindre contradiction-, l'avancée vers ledroit commun et la mise en application decertains codes métropolitains -urbanisme,commerce- ont mis à jour ce que l'onnomme pudiquement parmi les départemen-talistes "les bouleversements" qu'impliquentun tel statut. Face à ces désagréments quitouchent au quotidien les Mahorais lorsqu'ils'agit de construire sa maison, mettre à jourson état-civil, régulariser ses terres, etc, laclasse politique a fait évoluer son discours,poussée par certaines associations qui n'hési-tent plus à remettre en cause l'action colonia-liste de l'Etat français.

Basculement logique, à en croire HamadaAli Hadhuri, selon lequel "la nouvelle géné-ration regarde vers la Métropole, quand lesanciens avaient l'œil rivé vers les Comores."S'il conserve cette fonction "protectrice"contre la revendication comorienne, ledépartement est surtout devenu la marche“indispensable” vers une pleine assimila-tion à la France. "Je suis Français, et dans la

France, il n'y a qu'un statut qui garantie l'é-galité de tous les citoyens : le département",clame le député Abdoulatifu Aly.Désormais, ce statut est avant tout perçucomme la voie vers "l'égalité" et surtout "lasolidarité" -un terme régulièrement employépar Ahmed Attoumani Douchina, qui décla-rait le 18 avril dernier : "[La consultation surle statut] confèrera une force plus grande àMayotte, comme elle consolidera davantagel'ancrage de Mayotte au sein de laRépublique. Par ailleurs, elle permettra ànotre île de devenir une Collectivité de pleinexercice" et de profiter "de la solidariténationale". Département est synonyme pourbeaucoup (à tort), de RMI, allocations fami-liales, hausse du Smig…

Alors que certains jouent sur cette cordesensible, d'autres comme Abdoulatifu Aly enfont, plus qu'une revendication sonnante ettrébuchante, une question de principe et "dedignité" 2. Le discours de ce dernier, celui quilui a permis de battre Mansour Kamardineen 2007 avec 56% des suffrages, n'estd'ailleurs pas sans rappeler celui d'AiméCésaire. "Seul le département nous permet-tra d'avancer avec les mêmes droits que lesautres territoires français. Nous réclamonsjuste l'égalité. (…) Nous devons être traitésde la même façon que les autres, c'est unequestion de dignité (…) Aujourd'hui, cettedignité, les Mahorais fuient à la Réunion ouen Métropole pour la trouver, car là-bas ilsjouissent totalement de la citoyenneté fran-çaise", nous disait-il en janvier 2007 2.

Il s'agit ainsi, dans un troublant mimétis-me de la revendication des "quatre vieillescolonies" en 1946, d'en finir avec un statutbâtard qui ne fait que perpétuer les pratiquescoloniales. "Nous voulons être départementpour que l'Etat respecte la loi ! Notre com-bat, c'est plus un combat contre la Franceque contre les Comores 2." Quand Césairedisait, en 1946 : "L'application des loissociales est le test de l'assimilation, c'est lapierre de touche. Or vous n'appliquez pas

les lois sociales. Alors si vous n'êtes paspour l'assimilation, tournons la page etcherchons ensemble autre chose 3" ; quandil affirmait en 1949 : "L'Etat, violant tous lesengagements, nous prend tout et ne nousdonne rien 3" ; la classe politique, les syndi-cats et des associations telles qu'Oudaïliahaqui za M'mahore ne cessent de dénoncerla mise en place de lois essentiellementrépressives sans les avantages. "Commentvoulez-vous qu'avec 200 euros on puissedire : "Ah, continuez à chanter la

République, à chanter l'égalité, la fraterni-té !"" s'insurgeait le député en 2007.

Ce dernier reprend aujourd'hui un autreargument cher aux départementalistes de1946 : le département comme protecteur desplus faibles. Pour Césaire et les mouvementsanticolonialistes de l'époque, l'autonomien'aurait fait que conforter les privilégiés -lesplanteurs. Les lois métropolitaines étaientperçues comme un moyen de limiter le pou-voir des planteurs, et d'offrir aux ancienscolonisés les mêmes chances que l'ensembledes citoyens français. Selon Aly, aujourd'hui,"les Mahorais qui ne sont pas pour le dépar-tement sont les cadres qui gagnent bien leurvie et souhaitent rester dans cette situationpour continuer à profiter des faibles”.

Pour l'heure, ce discours n'a cependantguère pénétré les couches les moins instrui-tes. Comme l'indiquait en 2006 Saïd OmarOili, "la revendication départementaliste estune revendication de passion, et non de rai-son." "Les gens ne voient pas le côté socialou économique du département. Pour eux,ce n'est pas un ordre social, c'est un objet",confirmait Mlaïli Condro. Un objet dontchacun se sert, affirme Boinali Saïd. "LesMahorais ne sont pas dupes", pense le secré-taire général de la Cisma-CFDT. "Pour euxle département n'est rien d'autre que de l'ar-gent. Il y a un compromis social : les wazun-gu pour rester ici apportent l'argent, et lesMahorais s'en servent pour construire leurvillage." Pour lui, "il n'y a pas du tout d'idéa-

lisation du département, il s'agit d'un rap-port marchand, mercantile. Les Mahorais neveulent pas le département, ils veulent dessous, or leurs chefs leur disent que les sous,c'est le département”.

Un amalgame qui sert les ambitions poli-tiques -la manipulation des masses étant unedes armes favorites des politiciens de l’archi-pel-, mais qui n'a aucun fondement, commele démontre l'histoire agitée des quatreDOM -et notamment des Antilles, lire ci-dessous. Lorsque les Mahorais, à l'épreuvedes faits, s'en rendront compte, l'exaspéra-tion et la colère pourraient alors succéder à lamystification. D'où la volonté affichée par legouvernement -dénoncée par Aly commeétant une ultime tentative d'éviter la départe-mentalisation- de mettre en oeuvre "unecampagne de vérité" dans la perspective dela consultation. "Nous avons un devoir devérité. Il ne faut pas laisser d'illusions car ladécouverte de la réalité des choses seraitdramatique", avait déclaré Yves Jégo, secré-taire d'Etat français à l'Outremer, lors de savisite dans l'île fin mars.

Rémi Carayol

1 Referendums mahorais, lois françaises et hégémonie politique comorienne, J. Charpantier, in Revue française d'Etudes politiques africaines, 1976

2 Kashkazi n°59, janvier 20073 Cité dans D. Delas, Aimé Césaire, Hachette, 1991

de l’“assimilation” et du développement

“La revendication départementaliste

est une revendication de passion, et non

de raison.”

départementalisation risque de coûter cheraux Français au moment où ils ont tantbesoin d'argent pour reconstruire le pays,insiste la commission. Césaire s'indigne dece que le principe d'égalité soit examiné àl'aune du porte-monnaie. Mais la colonie atoujours été l'objet d'âpres discussions bud-gétaires”… Une discussion d'épiciers quiperdure sur la question de Maore 2.

LE RÊVE DE L'ÉMANCIPATION par l'assimi-lation porté par Césaire s'est écrasé contrele mur de l'essence même de la Républiquefrançaise -une République dont le colonia-lisme n'est pas un accident, mais bien unfondement, affirment Bancel, Blanchard etVergès dans La république coloniale (AlbinMichel, 2003). “L'assimilation politiqueétait pour certains de nature à délivrerl'homme antillais de ses aliénations. Maisles traces de l'histoire, la logique de la colo-nisation, en feront un piège qui dès lorsenfermera”, note l'économiste MichelLouis dans l'ouvrage Entre assimilation etémancipation 3. Empêtré dans sa schizo-

phrénie, l'Antillais voulait être “reconnutotalement français” tout en mettant enavant “la différence de sa culture”. Dèslors, “tandis que s'accentue de manièreabstraite un désir d'émancipation, l'assimi-lation s'approfondira, se manifestantconcrètement par une surconsommationd'objets venus de l'Ailleurs.”

LA SOCIÉTÉ ANTILLAISE s'autodétruit endésespérant de la réussite de son rêve assi-milationniste. Et pour cause : le terme nerevêt pas le même enjeu de part et d'autredu champ post-colonial. “Vue du côté ducolonisateur, la politique dite d'assimilationa pour fin de reconduire la vieille relationcoloniale sous une nouvelle forme : au planculturel, en tentant d'imposer la culture pré-tendument supérieure de la Métropole etpour se faire d'éliminer toutes les autres for-mes de culture des colonisés, et au planpolitique, en dressant un piège qui consisteà faire croire au colonisé que cette décultu-ration est la condition sine qua non d'uneégalité sociale à laquelle en fait on n'est pasdisposé à consentir”, note l'historien Jean-Pierre Sainton 3. Qui affirme que “la poli-tique d'assimilation n'a pas pour fonctionde faire des colonisés des égaux des coloni-sateurs”, mais d'en “créer l'illusion”,notamment par la promotion sociale d'unepetite part des colonisés, dont l'ascensionsociale figure selon Edouard Glissant “lefantasme d'une possibilité offerte à tous” deréussir. A l'inverse, reprend Sainton, “ducôté des colonisés, l'assimilation est vécuecomme un enrichissement culturel” et "non

comme un recopiage" ; il s'agit “d'une voieroyale pour parvenir à l'égalité sociale avecles autres citoyens français.”

DANS CE CONTEXTE, certes les progrèssociaux sont nombreux -notamment grâceà la lutte des hommes et des femmes dési-reux d'obtenir cette égalité- et l'ambiguïtéidentitaire s'avère féconde, comme le rap-pelle Michel Giraud 4, mais au final, analy-se Sainton, “le pari de l'égalité n'a pas étégagné” dans les départements d'outremer.La situation de dépendance, “qui est unedes marques les plus sûres de toute situationcoloniale, non seulement persiste mais -ter-rible constat- s'est à la fois considérablementrenforcée et diversifiée”. Aimé Césaire lereconnaissait lui-même lorsqu'il regrettaitl'assistanat dans lequel sont tombés sescompatriotes (lire pages précédentes).

C AR L'ÉCHEC DE LA DÉPARTEMENTALI-SATION DONT PARLAIT Saïd Omar Oili

en février 2007 5 n'est pas seulement socio-culturel ; il est avant tout économique.“Consommation déraisonnable et assista-nat généralisé” sont les deux caractéris-tiques des économies domiennes. Ainsi,“si, depuis 1946, le niveau de vie desDomiens a largement augmenté, les bilanséconomiques et sociaux régulièrement réta-blis (…) sont négatifs et insistent sur la per-sistance d'une structure économique banca-le, qui traduit le mal-développement récur-rent”, indique Laurent Jalabert 3. Si les PIBde la Martinique, la Guyane et la

Guadeloupe n'ont cessé de progresserdepuis soixante ans, ils restent parmi lesplus faibles de l'Union européenne. Accrosaux subventions parisiennes, ces territoiresont vu leur déficit commercial exploser : en1950, la Martinique couvrait plus de 70%de ses besoins, contre 16% en 1999. Letexte de la future Loi-programme pour l'ou-tremer présenté en janvier par ChristianEstrosi, alors secrétaire d'Etat, le reconnaît :“D'importants écarts subsistent avec lamétropole (…) Le taux de chômage estencore deux à trois fois plus élevé dans lesDOM qu'en métropole (…) Par ailleurs,80% de la population est éligible aux loge-ments sociaux. Ces écarts ne sont pas tolé-rables.” En 1999 déjà, le rapport dit Lisa-Tamaya dénonçait cette situation écono-mique intolérable.

OR “LES FAIBLESSES économiques desAntilles françaises se retrouvent sur le plansocial”, indique Jalabert, une grande par-tie de la population ne vivant que grâceaux perfusions de la Métropole - le taux dechômage avoisine les 30% et le nombre defonctionnaires est énorme. La conséquen-ce de cet échec provoque “le désenchante-ment et les frustrations” qui tendent àfavoriser “la montée en puissance desrevendications particularistes”, note lepolitologue Justin Daniel 3. “C'est bien icique se situe la clef du malaise antillais”,poursuit Jalabert. “La population a tacite-ment accepté la politique de l'assimilation,en se jetant corps et âme dans la société deconsommation occidentale (…) Or s'ils

aspirent à mener une vie comparable àcelle de la métropole, les Antillais n'en ontpas les moyens financiers”.

L'EXEMPLE DES DOM devrait faire réflé-chir les élus mahorais. Pourtant, jamaison ne les entend en public s'exprimer surun projet de société ou de développementéconomique. “Un statut juridique n'estpas une fin en soi”, écrit le professeur deDroit Emmanuel Jos 3. “Il n'est jamaisqu'un moyen au profit d'une programmede développement.” Quant à l’interroga-tion de Françoise Vergès -“LaRépublique peut-elle être diverse ?”-, ellereste sans réponse alors que les Mahorais,en tant que musulmans vivant dans unensemble régional homogène, se trouventsur ce point en première ligne -bien plusexposés que les Antillais.

RC

1 Nègre je suis, nègre je resterai, entretiens avec Françoise Vergès, Albin Michel, 2005

2 Aujourd'hui, Abdoulatifu Aly dénonce le même discours tenu à Paris. "On nous dit que la départementalisation sera coûteuse et contraignante", nous affirmait-il début mai.

3 Entre assimilation et émancipation,l'outre-mer français dans l'impasse ?, (dir.) T. Michalon, Les Perséides, 2006

4 "L'ambivalence peut être (est souvent) créatrice", écrit-il sur www.gensdelacaraibe.org

5 Kashkazi n°60, février 2007

“La politique d'assimilation n'a paspour fonction de faire

des colonisés des égauxdes colonisateurs.”

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kashkazi 72 mai 200820

SOILIHI, 30 ANS APRÈS SA MORT

“On nous battait mais

A ÉGALE distance de Simaet de Moya, les

deux grandes villes du sud-ouest anjouanais,Vassy est un petit village qui dispose pour-tant d'une école primaire, d'un collège, d'unposte de santé, tous logés dans une mêmeenceinte : le mudiria. Le village abrite éga-lement une mairie. Si pour faire le tour deNdzuani on devait commencer par là, onfinirait par ne rien comprendre à l'organisa-tion administrative de cette île : avec ses 900habitants, Vassy ne ressemble à aucun autrevillage. "Nous à Vassy, nous avions unegrande chance", nous explique SoufianiHoumadi, le président de l'Union des jeunesde Vassy pour le développement (UJVD)."Nous sommes le centre géographique de larégion Shissiwani. Nous étions destinés àdevenir un grand centre administratif régio-nal sous Ali Soilihi. On y a construit alors unmudiria." Le centre géographique, ou plutôt"l'équidistance" : telle était la formulemagique pour qu'un village puisse recevoirl'administration décentralisée soilihiste…

Faisant "table rase" de l'administrationcoloniale, jugée inadaptée, trop coûteuse et

éloignée du citoyen, Ali Soilihi élabore eneffet au début de l'année 1976 un nouveaudécoupage administratif. Chaque île consti-tue un wilaya dirigé par un muhafidhu etdivisé en bavu, sorte de canton placé sousl'autorité du liwali. A la base administrativese trouve le mudiria, dirigé par un mudir.Réunissant 5.000 habitants environ, le mudi-ria "n'a pas été fait au hasard" soulignent leshistoriens Emmanuel et Pierre Verin 1. "Il estéquidistant des principaux villages, parfoisen pleine campagne au milieu des ylang-ylang. Cette volonté de distribuer les servi-ces hors des murs des bourgs est en complè-te contradiction avec les institutions de lasociété comorienne traditionnelle où leregroupement de la communauté se faitautour d'une mosquée du vendredi, inséréeau milieu d'un complexe de maisons organi-sées en quartiers, eux-mêmes hiérarchisés."

La région Shissiwani comprenait troismudiria : à l'ouest, Sima ; au sud, Ouvanga ;au centre, Vassy. Soufiani n'avait que 12 ansquand celui de son village a été construit,mais il reste persuadé d'une chose : "Depuisque les Comores sont Comores, Vassy n'a

connu l'utilité des pouvoirs publics que sousle régime révolutionnaire." Formé de quatreblocs disposés en carré autour d'une cour, lemudiria devait comprendre, outre les loge-ments pour le responsable et ses adjoints,des bureaux pour la justice, ainsi qu'uneannexe économique pour le stockage desdenrées. Selon le texte de la "réforme fonda-mentale", "en plus de toutes ses responsabi-lités administratives traditionnelles (état-civil, application des lois et règlements,tutelle des établissements publics, vérifica-tion des listes électorales, notation des fonc-tionnaires), cette administration reçoit denouvelles compétences plus nécessairesdans un contexte révolutionnaire : la policeéconomique (chargée de dépister les fraudes-marchés noirs, bénéfices illicites, organisa-tion de pénuries), le contrôle des carburants,le maintien de l'ordre avec la possibilité derequérir l'intervention des forces armées, lepouvoir d'arbitrage de tous les conflits (...)".

Dans son discours à la milice du 26 mars1976, Soilihi annonçait que la responsabili-té des fonctionnaires affectés dans lesmudiria serait de "corriger les habitudes desorte qu'elles se conjuguent avec une indé-pendance authentique 2".

Tsoumou Houmadi, 18 ans à l'époque,était membre de la milice locale, ou "comitépopulaire". "Nous recueillions les doléancesdes habitants pour les faire parvenir auxautorités, et inversement nous faisions par-venir aux habitants les décisions des autori-tés", se souvient-il. Contrairement à d'autresvillages, à Vassy, la milice ne commettaitpas d'exactions, assure-t-il. "C'était plutôt lesresponsables de ces milices qui étaient sanc-tionnés", avance Frahati Mdala, elle aussiancienne membre du comité. "Un jour",raconte-t-elle, "le Commando Moissi 3 et lamilice populaire de Sima, le siège du bavu,sont venus ici au village. Ils ont demandé ànous rencontrer. Après la réunion qui s'esttenue à la mosquée, nous étions tous arrêtéset emmenés à Pomoni ou à Sima. Notrefaute: nous laissions faire toutes les célébra-tions coutumières qui étaient interdites. Moiet une autre fille de la milice, nous avons étéles seules à ne pas être punies. NadhirMouhoudhoir a été battu. Depuis cet acte, lamilice populaire de Vassy a beaucoup perdude son autorité : on nous a jugés, nous quiétions censés juger les gens !"

Symbole de la décentralisation selon Soilihi, les mudiria restent dans certainsvillages reculés le seul signe de l'action de l'Etat depuis 30 ans. De Ngazidja àNdzuani en passant par Mwali, les habitants se souviennent de leur constructiondans une ambiance révolutionnaire, mi fraternelle, mi inquisitoriale. Reportage.

“Distribuer les serviceshors des murs des bourgsest en contradiction avec

la société comorienne traditionnelle.”Ali Soilihi, à droite, avant sa prise de pouvoir en 1975.

(ARCHIVES NATIONALES CNDRS)

Le 29 mai 1978, Ali Soilihi étaittué d’une balle dans le dos dansdes conditions obscures, alorsqu’il avait été renversé quelquessemaines plus tôt par AhmedAbdallah avec le soutien de BobDenard. Arrivé lui même aupouvoir par un coup d’Etat le 3 août 1975, un mois après ladéclaration unilatérale d’indépendance prononcée parAbdallah, il secouera la sociétécomorienne pour tenter deconstruire la nation sur desbases modernisées et égalitaires. Si les conservateurs,mais également les partis degauche, ne lui ont pas pardonnéson autoritarisme et la violencede son régime, son approche de la décentralisation commecelle des problématiques linguistiques conservent,aujourd’hui, tout leur sens.

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kashkazi 72 mai 2008 21

L'infortune de Nadhir et de ses compa-gnons, tout le monde la connaît à Vassy. "Laraison de cette mésaventure, c'est que la plu-part d'entre nous, nous faisions ce travailcontre notre gré", affirme celui-ci."Personnellement", ajoute Frahati, "on aenvoyé un papier à mes parents sur lequelmon nom était marqué : on m'enjoignait derejoindre l'armée". "Le jour où j'ai reçu cepapier, j'éprouvais de la rancœur”, se sou-vient sa mère. “C'était douloureux pour moi,tel un deuil." Fatima Saïd, 13 ans à l'époque,n'a échappé aux milices qu'en se mariant."C'était le seul moyen qu'avaient mesparents pour me préserver contre ce métier",dit-elle. "On voulait des jeunes filles nonmariées. Et à Vassy, je ne suis pas la seule àm'être mariée pour échapper aux milices."

D'autres localités de la région Shissiwaniont connu des milices populaires fortes.Moya, à 15 km de Vassy, figure parmi celles-ci. "Il y avait de l'autorité dans ce pays", sesouvient Dhoimir Abdallah, natif du villageet actuel président du Conseil régional deShissiwani. "Maire à Moya, j'ai 18 policiers:je ne peux rien faire. Or moi seul, j'avaisMoya dans la main quand je faisais partiedes milices populaires sous Soilihi. Quandon prenait une décision, elle avait de l'auto-rité ; aujourd'hui, cela n'est plus possible."

Les mudiria avaient aussi une dimensionéconomique, avec leurs magasins de stocka-ge de viande, le contrôle des prix qu'ellesdevaient assurer, leur rôle de vulgarisationagricole. "Sur le plan financier, le regroupe-ment des villages dans le cadre des mudiriaétait beaucoup plus bénéfique que lesactuelles communes", estime DhoimirAbdallah. "Dans le cadre du mudiriaOuvanga avec cinq villages, tout était béné-fique : c'était un regroupement de citoyensavec leurs richesses. Aujourd'hui, deux com-munes se le partagent." "On nous battaitmais au moins on mangeait dignement",regrette Mariama Houmadi, la trentaine à l'é-poque. "Chaque jour, on égorgeait du bovin.Les produits de première nécessité étaienttrès abordables. Il y avait un magasin villa-geois et manger comorien n'était pas un luxecomme aujourd'hui."

Trente ans après, personne ne regretteavoir servi sous Ali Soilihi, particulièrementceux qui ont participé à la construction deces mudiria dont toute la population tire pro-fit aujourd'hui, que ce soit pour aller se soi-gner ou pour éduquer les enfants. MêmeNadhir, à Vassy… Aujourd'hui âgé de 67ans, il se souvient encore des conditions dif-ficiles de construction de ces bâtiments, luiqui y a travaillé comme ferrailleur. "On tra-vaillait tous les jours. On n'avait ni samedini dimanche. La journée de travail débutaità 6h30 pour se terminer à 15 heures. A l'oc-casion du bétonnage, le travail pouvait seprolonger jusqu'à minuit. Dans ce cas, on seservait de lampes pétromax." Afin de faireavancer le plus rapidement possible les tra-vaux, l'administration révolutionnaire necomptait pas uniquement sur la main d'œuv-re des habitants de Vassy. "Les travailleursprovenaient de tous les villages du mudiria",dit Nadhir. "Chaque jour, ils étaient là, sélec-tionnés par les comités de leur villagerespectif. La plupart du temps, ils retour-naient chez eux à pieds."

A Ndzuani, les travaux de construction dumudiria de Vassy ont été les premiers finis.Pour Boura Abdou, compagnon de jeu deNadhir, ce résultat est le fruit d'un importantinvestissement humain. "Au début, c'estcontre leur gré qu'on faisait travailler lesgens", soutient-il. "Par la suite on a recrutéune quinzaine de salariés. En plus, chaquemaçon devait utiliser deux sacs de cimentpar jour ; un sac de ciment permettait defabriquer 25 briques." "Au total, ce sont 12salles pour le mudiria et six chambres pourla gendarmerie qui sont sorties de terre en àpeine trois mois", ajoute Nadhir. Ce com-plexe administratif était censé répondre auxbesoins des habitants vivant tout au long del'axe Mromouhouli-Hamabawa, soit un péri-mètre d’une quinzaine de kilomètre. Voilàpourquoi, au pays de la démission des pou-voirs publics, Vassy demeure aujourd'hui unpetit village qui porte les habits d'une ville…

ANgazidja, dans le Hambu, la région nata-le du "père de la révolution", la loi de "l'équi-distance" a fait les choses autrement : l'undes deux mudiria de la zone se trouve à mi-chemin entre Singani et Hetsa, à environ 30km au sud de Moroni. A Singani, Soilihi etson régime ont d'abord marqué les mémoi-res pour leur rapidité d'intervention lors del'éruption volcanique du Karthala, qui a vuune coulée de lave traverser le village 4. "Lesautorités centrales ont donné l'alerte. Lecomité villageois a procédé à l'évacuationdes gens, au recensement et à la distributiondes vivres. L'intervention a été si rapide qu'iln'y a eu aucune victime", se souvientMohamed Elarif Soilih, un ancien du comi-té populaire. Après l'éruption, le régimerévolutionnaire a acheté des terrains apparte-nant aux anciens colons pour la constructiond'un nouveau village à proximité de l'ancien.Des maisons ont commencé à sortir de terre.Mais une bonne partie des familles a refuséde se déplacer vers la nouvelle ville, car "lamosquée de vendredi était restée intacte.Donc, il ne fallait pas s'éloigner de ce lieu",explique Moumine, la soixantaine révolue.

Au-delà de cette gestion de la crise parl'Etat soilihiste, les villageois gardent un sou-venir mitigé de la période de grands travauxqui a permis d'ériger le mudiria. "Les gensn'ont pas accepté facilement. Ils ont pris letrain en marche sans en connaître la direc-tion. De toutes les façons, ils n'avaient pasd'autre alternative : ou tu venais dans lestravaux publics sans salaire, ou tu étais punisévèrement", indique Athoumane Soilih, unancien membre du commando Moissi 3.Hommes et femmes ont participé à la cons-truction des blocs administratifs, parvenus àla phase de finition avant la chute du régimerévolutionnaire. A part quelques coups depeinture, rien n'a changé depuis : au contrai-re, certains villageois estiment que "le bâti-ment est plus délabré qu'avant".

Aujourd'hui, celui-ci abrite le collège. "Lesmudiria étaient bien réfléchis. Aujourd'hui,tout le monde peut scolariser son enfantsans beaucoup de difficulté", concèdeHassane Islam, un retraité.

L'autre chantier sur lequel les habitants deSingani ont sué au nom de la révolution,concerne l'ouverture des routes visant à dés-enclaver le village. Les travaux forcésétaient permanents, que ce soit pour lesmudiria ou le développement de la localité."Il y avait une liste de tous les villageois. Atour de rôle, les gens partaient dans lesmudiria pour participer aux travaux demaçonnerie. Le reste devait faire l'ouverturedes routes. Dans le village, lorsqu'une per-sonne manquait à ses obligations, sa puni-tion était de faire un maximum de route.Tous ces passages que vous voyez dans levillage, c'est l'oeuvre de la révolution",raconte Mohamed Elarif Soilih, qui fréquen-tait l'école primaire lorsqu'il est entré aucomité villageois.

Si certains sont restés nostalgiques de "l'é-poque où tout était moins cher, et où lesmudiria devaient contenir tous les servicesdont le citoyen aurait besoin", ces avantagesn'effacent pas le souvenir des bavures ducomité populaire. "Ce que m'a fait le comité,seul Dieu va trancher. Ils m'ont torturé pourrien. Le comité était géré par des incompé-tents. Du coup, le pouvoir de la révolutionn'avait d'apparent que l'impolitesse.Pourtant dans ce pays, les gens sont élevés

dans la politesse et le respect.L'administration centrale était peut-êtrebonne, mais ses ramifications étaient nulles.Ils ont entretenu l'image de la terreur et del'arrogance", déplore Hassane Islam, qui adû faire le tour du village en rampant pours'être montré récalcitrant à la loi des jeunesmiliciens. Son cas n'est pas isolé. "Je recon-nais qu'il y avait beaucoup de bavures et d'a-bus. On se permettait d'appliquer unilatéra-lement des sanctions parfois très difficiles",regrette Mohamed Elarif, qui a connu la pri-son avec ses amis du comité après la chuted'Ali Soilihi. Est-ce la faute du comité localsi aucune trace de la révolution ne demeureà Singani, mis à part le mudiria transforméen collège ? Même les maisons bâties par lepouvoir pour reloger les habitants ont étéanéanties. "Tout a été effacé car la popula-tion n'était pas convaincue de la politique dedécentralisation. C'est quelques annéesaprès que les gens ont compris la valeur dela révolution", explique A.Abdou.

A Mwali, le village de Wallah 2 est restéplus fidèle à la philosophie qui a prévalu lorsde la construction des mudiria. Le blocadministratif, qui comprenait "un magasinde stockage, une boutique, une boucherie,une chambre froide, un poste de police etune unité de justice" selon AtturachiAbdallah, a gardé son caractère polyvalenten jouant un rôle social et économique. "Çanous a servi à ouvrir des salles de classepour nos enfants, mais aussi de siège socialpour l'association du village et d'unité de

production avec une menuiserie et une minicentrale thermique", indique l'instituteur.

Si les Comoriens sont attachés à ces ves-tiges matériels de la révolution, ils ontcependant enterré le principe de base qui jus-tifiait aux yeux d'Ali Soilihi la création desmudiria : le dépassement de la notion devillage. Dans la grande majorité des cas, leslocalités qui ont eu la chance d'abriter cesbâtiments se les sont accaparés, oubliant queles habitants des villages voisins avaient par-ticipé à leur construction. "A la fin du régi-me, on a pu garder ce centre comme étant unpatrimoine du village", explique ainsiAtturachi Abdallah. "Le combat n'était pasfacile car Nyumashua a voulu trouver sapart du gâteau." Pour un habitant deSingani, "ces bâtiments administratifs cons-truits à mi-chemin entre les villages symbo-lisaient l'égalité des localités". Une égalitéqui n'a pas survécu à la révolution…

Anzaouir Ben Alioiou et

Ahmed Abdallah (avec DOM, LG et KES)

1 E. et P. Vérin, Histoire révolutionnaire, décolonisation, idéologie et séisme social, L’Harmattan

2 M. Lafon, L'éloquence comorienne au secours de la révolution, Les discours d'Ali Soilihi (1975-1978), L'Harmattan, 1995

3 Milice de niveau national, regroupant des jeunes soldats réputés pour leurs excès

4 Lire Kashkazi n°62, avril 2007

au moins, on mangeait dignement”

“L’enjeu était la lutte des classes”

“K APVATSI MDZIMA HARMWANYI

UDJODJUA UKANA FIKRA YA

MDJI yalaa au isiwa yalaa ; letwaifa dzimande letwaifa la Komor, dzima bahi !"(Aucun d'entre vous ne doit accorderd'importance à son village ou à son îled'origine ; il n'y a qu'une nation, lanation comorienne, rien d'autre !) Cettephrase prononcée par Soilihi devant lamilice populaire prend une résonanceétrange au vu des problématiques qui seposent aujourd'hui. Les enjeux auxquelsvoulait répondre le président en élabo-rant son administration décentraliséesont en effet toujours d'actualité. Soilihipensait la décentralisation de façonconcrète, comme "un système capabled'animer une transformation écono-mique et sociale" indispensable à laconstruction de la nation. Coordinateurdu Comité populaire national en 1977-1978, actuel président de l'Assemblée del'Union, Saïd Dhoifir Bounou revientsur cette tentative de résoudre les dés-équilibres insulaires et régionaux.

Ali Soilihi avait-il une vision particuliè-re de la manière à employer pour rédui-re les divisions insulaires ?Sa vision pour enrayer ce fléau partaitsur plusieurs axes. L'affectation desagents de l'Etat ne tenait aucun comptede l'origine insulaire ni même régionaledes personnes, y compris pour les fonc-tions subalternes : on rencontrait desmaçons et des ferrailleurs mohéliens au

mudiria de Liwara à Anjouan, comme ily avait des Anjouanais à Ngazidja et desGrands-comoriens à Mwali. Il existaitune représentation significative des îlesaux responsabilités nationales, aussi bienau niveau du Comité d'Etat qu'au niveaudu Comité populaire national (composéde 16 membres à raison de 4 par îles, ycompris Mayotte) qui avait la charge dela sensibilisation et de l'encadrement.Les investissements étaient répartis surl'ensemble du territoire sans discrimina-tion : les champs populaires destinés àfournir les semences pour l'exécution duplan quinquennal agricole, étaient réali-sés partout sur les trois îles libres desComores, au même moment. Il en étaitde même pour les routes rurales… Ladécentralisation administrative non plusne laissait aucune place à la frustrationdes uns ni à l'envie des autres. Même leplan des boutiques des villages et desquartiers était le même, ainsi que celuides écoles de base.

Nommer "wilaya" les circonscriptionscorrespondant aux îles, cela avait-il unsens politique ?Ali Soilihi ne pouvait pas ignorer que lesîles étaient des entités géopolitiquesimposées par la géographie et l'histoire etqu'il fallait leur reconnaître un rôle poli-tique. C'est pour cela qu'au niveau dugouvernement, il avait pris soin d'avoir àses côtés un vice-président de Mwali etun premier ministre d'Anjouan. C'est

cette même logique politique qui a justi-fié la construction de trois mudiria àMwali alors que le ratio appliqué auniveau national en terme de populationlui donnait droit à deux mudiria à peine.Donc en tant qu'entité politique, il fallaitdonner à l'île un nom spécifique. Leterme wilaya qui est utilisé en Algériepour désigner une circonscription poli-tique, est certainement celui qui convientle mieux.

A ses yeux, les enjeux étaient-ils insulai-res ou se posaient-ils avant tout en ter-mes de rapports ville/campagne et cen-tre/côte ? Les îles devaient-elles se voirattribuer des rôles particuliers en fonc-tion de leurs potentialités ?Je ne crois pas qu'Ali Soilihi donnait del'importance à un quelconque enjeu insu-laire. Les îles sont une réalité qui est là, ilfallait le reconnaître et en tenir compte,sans plus. Les enjeux s'exprimaient en ter-mes de luttes de classes. Le pouvoirappartenait au détenteurs de moyens deproductions qui exploitaient les tra-vailleurs, son objectif était de faire ensorte qu'en suivant des méthodes spécifi-quement comoriennes, les travailleursdétiennent eux-même les moyens de pro-ductions et exercent le pouvoir politiqueet économique. Par contre les régionspouvaient se voir attribuer des rôles deproduction suivant leur vocation.

Recueilli par FA et LG

“Sur le plan financier, le regroupement des

villages dans le cadre desmudiria était beaucoup

plus bénéfique.”

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kashkazi 72 mai 200822

SOILIHI, 30 ANS APRÈS SA MORT

Le shikomori au service de la révolution

SIRIKALI ya mikuwani(administration

communale), wufwakuzi (révolution),maduhuli mshindzi (denrées de premièrenécessité), waka mpvema(bourgeoisie/nantis)… Autant de mots etd'expressions sortis de l'ombre par AliSoilihi, et passés aujourd'hui dans le langa-ge commun. Sous sa présidence, "la langues'est beaucoup enrichie", rappelle l'histo-rien et sociologue Damir Ben Ali, qui a par-ticipé aux travaux linguistiques menés sousla révolution. "On préparait des listes devocabulaire politique, dont la languecomorienne était très pauvre à l'époque.On les envoyait à la radio et elles étaientaffichées sur un tableau. Les journalistesles utilisaient très souvent pour que cesmots soient adoptés" par la population.

Dans ses discours, le Mongozi se livraitsans cesse à d'étonnants challenges lin-guistiques qui ne se limitaient pas auchamp politique. Son allocution pronon-cée au port de Moroni après l'exécutionde Sule Bwana, en 1977, est en cela unpetit morceau de bravoure 1. Pour fairecomprendre à la foule la différence entre"science" et "sorcellerie", il se lance dansla description de phénomènes com-plexes : circulation sanguine, structura-tion du cerveau humain, mécanique auto-mobile… Du jamais entendu jusqu'alors !Il "partait du principe que tout, sansexception, de la politique à la dialectiquemarxiste, de la religion au programmeéconomique ou à l'agronomie, pouvait etdevait être exprimé en comorien", écritl'historien français Michel Lafon 2. "AliSoilihi procédait souvent par images, parcomparaisons et par répétitions (…)[pour] mieux faire comprendre uneexpression nouvelle à un public populai-re que pouvaient déconcerter des innova-tions lexicales et une conceptualisationqui, se voulant scientifique, reproduisaitune classification étrangère."

Cet acharnement à tout dire en shiko-mori quand les élites s'étaient habituées àétudier, écrire et administrer dans la lan-gue du colon, n'a rien d'anecdotique. Danssa volonté de construire la nation como-rienne, la langue "était un instrument deson idéologie", analyse Damir Ben Ali.Pour saisir l'ampleur de l'innovation, ilfaut se rappeler le contexte linguistiquequi prévaut en 1975. "Seul le français étaitla langue de l'enseignement public et del'administration, ce qui induisait l'exclu-sion du plus grand nombre de la marchede l'Etat", résume le linguiste MohamedAhmed Chamanga 3. "L'arabe était pré-sent dans l'enseignement religieux, au seind'écoles informelles, le comorien restantdans le domaine des communications ora-les, des correspondances familiales, demanuscrits privés en caractères arabes oudes actes de droit privé des cadis." Scindé

en parlers régionaux, le shikomori étaitfortement différencié selon les classessociales. "Il y avait une langue comorien-ne des grands notables cultivés que lesgens de niveau inférieur ne comprenaientpas. Les paysans, les pêcheurs avaient leurlangage propre", indique Damir Ben Ali.

Soilihi a donc contribué à unifier la lan-gue. "Il y a eu non seulement un enrichis-sement mais aussi une intercompréhen-sion entre les dialectes locaux", noteDamir Ben Ali. Pour Michel Lafon, "s'ex-primer en grand-comorien revenait àinclure la langue dans le projet global dechangement révolutionnaire : même si,sans doute, le grand-comorien avait déjàété utilisé dans le débat politique local(…) c'est Ali Soilihi qui le fit accéder d'uncoup au niveau national 2".

Pour servir sa politique, le Mongoziprocède de façon empirique, puisant dansson excellente connaissance des mentali-tés et de l'art oratoire, s'inspirant de l'ex-périence tanzanienne, selon ce qui l'arran-ge et le message qu'il souhaite faire pas-ser. "Il allait chercher dans les représen-tations mentales du Comorien pour diresa conception moderne", analyse le lin-guiste mahorais Mlaïli Condro. "Il n'a pascréé les mots. Mais il a donné plus devolume à des mots d'un usage tout à faitquotidien. A travers la parole du pouvoir,il leur a donné toute l'amplitude séman-tique qui est celle d'un concept." S'il puise"dans les ressources de la langue elle-même, généralisant des mots régionaux,réactualisant dans un sens moderne desmots anciens"2, Soilihi emprunte égale-ment des expressions au swahili, à l'arabe,parfois au français. "Il a essayé de suivrela même politique que celle pratiquée enTanzanie avec le swahili : pour lesemprunts, d'abord commencer par voirdans les variétés régionales, puis les lan-gues voisines proches, ensuite l'arabe etenfin les langues européennes", expliqueAhmed Chamanga. "Mais, pour des rai-sons de commodité, Ali Soilihi a eu plusrecours au swahili qu'aux mots como-riens régionaux."

Le recours à la graphie latine, et nonarabe, pour transcrire le shikomori, sem-ble répondre aux mêmes impératifs d'ur-gence et d'efficacité. Désireux d'utiliser lecomorien dans l'administration et pour les

campagnes d'alphabétisation des masses,Soilihi fait appel à Damir Ben Ali poursuperviser les travaux. "Quand il m'aconvoqué et qu'il m'a fait part de son pro-jet, on s'était entendus qu'on allait le faireen caractères arabes", se souvient celui-ci. "A l'époque, le taux d'alphabétisationen caractères latins n'était que de 23%alors que si on adoptait les caractèresarabes, c'est presque toute la populationqui allait en profiter. Mais quand je suisrevenu le voir, tout a été chamboulé."

Damir explique ce choix par le fait"qu'il n'y avait pas de machines en carac-tères arabes. Cela facilitait aussi lecontact avec les Tanzaniens qui formaientson armée [la Tanzanie utilisait les carac-tères latins pour transcrire le swahili,ndlr]." Ahmed Chamanga indique égale-ment que "les caractères latins sont plusfaciles à adapter pour rendre les sons dela langue comorienne, alors que lescaractères arabes exigeraient la créationde nombreux signes diacritiques supplé-mentaires, donc non disponibles sur lesmachines à écrire". Par ailleurs, "AliSoilihi ne voulait sans doute pas de deuxsystèmes d'écriture dans l'administration :l'un en caractères arabes pour le como-rien et l'autre en caractères latins pour lefrançais, puisque les deux languesdevaient y être utilisées".

D'autres motivations plus profondesexpliquent sans doute aussi que le prési-dent ait privilégié cette option. "AliSoilihi voulait s'appuyer sur les jeunes,qui manipulent plus aisément les carac-tères latins, pour assurer l'alphabétisa-tion", souligne Ahmed Chamanga, tandisque Damir Ben Ali s'étonne encore de la

manière dont la transcription du shiko-mori a été élaborée : "Il m'a dit que jedevais travailler en premier lieu avec lescomités [des comités politiques formésde très jeunes militants, ndlr]. Il y a desmembres du comité qui ont proposé deslettres qu'il a adoptées, comme le "v" quis'est écrit "pv". J'étais dérouté. Dansnotre première conversation, il avait étéquestion d'instituteurs !"

Dans le fond, pense Damir, "la cam-pagne générale d'alphabétisation n'étaitpas son premier objectif. Il voulait don-ner un enseignement aux comités et auxmilitaires qui étaient le fer de lance de sarévolution, et qui n'étaient pas scolari-sés. Il les appelait Ushababi wamadaras-sa." C'est à ces jeunes, justement, que leprésident s'adresse en mars 1976, insis-tant sur l'utilité pratique qu'il comptetirer de l’utilisation du shikomori : "Dequelle manière fait-on un procès verbal ?Etudiez la manière de le rédiger en como-rien en écriture arabe, parce qu'il y a desgens qui ne savent pas écrire le français ;étudiez la manière de traduire les termesjuridiques en comorien, de sorte que cha-cun d'entre vous qui sera dans un village,lorsqu'il dresse un procès-verbal pour

l'envoyer au tribunal, sache le faire enfrançais ou en comorien. 4"

Pour Mlaïli Condro, même si l'on peuttrouver contradictoire l'utilisation de l'al-phabet de la langue coloniale, "il y a unecohérence dans la démarche". En effet,analyse le linguiste, "la graphie arabeaurait imposé de recourir aux hommes delettres de la société comorienne. Il y a uncapital idéologique investi dans la gra-phie arabe, c'est tout un univers : on l'i-dentifie à une langue, une religion, unetradition… Je pense qu'il voulait éviterque la jeunesse ne s'identifie à ce mondelà". Soilihi ne cachait en effet pas sadéfiance envers les chefs religieux qu'ilaccusait d'utiliser leur connaissance de l'a-rabe pour asseoir leur supériorité : "Napvanu idjomkinishiba zehabari zinuwadomwambiani wadoambia owanantsiha lugha ya kikomor, an-an, ngwambaoha lugha ya kiarabu ili wadjwa waone ukao wandru wadjuzi, wandru wadjwa urin-drindra" (Tout cela, ils pourraient le direaux citoyens en comorien, mais non, ilspréfèrent parler en arabe pour montrerqu'ils sont lettrés, pour que les gens trem-blent devant eux), critiquait-il dans un dis-cours à la milice en 1976 4.

Surnommée alifube ya shetwani (l'écri-ture du diable) la transcription du como-rien en caractères latins sera bannie lors duretour d'Ahmed Abdallah au pouvoir, en1978, rappelle Chamanga. Il faudra atten-dre 1992 pour que le shikomori soit recon-nu langue officielle. Au-delà du rejet irra-tionnel dont elle a fait l'objet, la politiquelinguistique de Soilihi a finalement étédesservie par les excès du régime et lecaractère précipité de cette révolutioninachevée. "Vers la fin, il s'isolait", regret-te Damir Ben Ali. "Il s'était entouré d'en-fants qui acceptaient ce qu'il disait maisqui ne lui apportaient plus rien. A partird'avril 1977, ces jeunes occupaient laradio et utilisaient un langage qui ne plai-sait pas beaucoup aux gens. Il y avait unedévalorisation de la langue comorienne.""L'enseignement d'une langue et son utili-sation ne peuvent pas s'improviser", souli-gne de son côté Ahmed Chamanga. "Il fal-lait les préparer. Qu'avait-on à l'époque ?Aucune description de la langue, pas deressources humaines capables d'assurerles formations nécessaires… Les consé-quences de cette démarche hâtive ont étéune orthographe aléatoire, et la produc-tion de documents peu exploitables par leslinguistes."

LG et FA

1 Condamné à mort pour assassinat, Sule Bwana a été fusillé publiquement le 20 juin 1977. Il s'agit de l'une des rares exécutions ordonnées par la justice comorienne. Le discours prononcé par Soilihi à cette occasion est retranscris dans l'ouvrage de Michel Lafon.

2 Auteur de L'éloquence comorienne au secours de la révolution - Les discours d'Ali Soilihi, L'Harmattan, 1995.

3 Interview réalisée par Internet4 Discours à la milice, 26/03/1976, in

M. Laffont, L'éloquence comorienne au secours de la révolution

Dans sa volonté de construire la nationcomorienne, Soilihi a hissé la langue dupays sur la scène nationale.

“Il allait chercher dans les représentationsmentales du Comorienpour dire sa conception

moderne.”

“L'enseignement d'une langue et son

utilisation ne peuventpas s'improviser.”

Ci-dessus, l’une des rares photos d’A. Soilihi, lors d’un discours. (ARCHIVES CNDRS)

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kashkazi 72 mai 2008 23

Pourquoi les marxistes ne l’ont pas suivi

ETRANGE p a r a d o x eque l'histoi-

re politique des Comores : durant le seulrégime que l'on ait pu qualifier de "marxis-te" ou de "révolutionnaire", et qui se soitappuyé sur la jeunesse pour bouleverser lasociété, les jeunes qui rêvaient de marxis-me et de révolution se trouvaient dans l'op-position et, pour la plupart, différaient leurretour de France où ils effectuaient leursétudes. "Sous Soilihi, on estimait qu'on nepouvait pas rentrer, que c'était trop dange-reux", nous expliquait en 2007 IdrissMohamed, l'un des piliers de l'Associationdes stagiaires et étudiants des Comores(ASEC), puis du Front démocratique (FD)."C'est quand Abdallah a été au pouvoirqu'on est rentrés pour lutter dans le pays.C'était une sorte d'ambiguïté : le régimed'Abdallah constituait un meilleur contextepour implanter une révolution."

Car la "révolution" que prônaient les jeu-nes marxistes de la diaspora n'était pas cellequ'Ali Soilihi se targuait de mener. Leurjournal politique, Jeunesse patriotique, nese privait d'ailleurs pas de fustiger le "valetdu colonialisme" que constituait à leursyeux le président. Premier grief : la prise depouvoir par la force et le recours aux mer-cenaires -c'est Ali Soilihi qui, le premier, afait appel à Bob Denard pour former sesmiliciens et mener sur Ndzuani la captured'Ahmed Abdallah. Une attitude que nepouvaient approuver des jeunes militantsnourris de théorie et de principes acquis aucours de leurs lectures, le regard tourné versles "révolutions populaires" à l'œuvre enAsie et en Europe de l'Est. "C'était dans la

psychologie de notre idéologie : nousétions contre l'idée d'une prise de pouvoirpar coup d'Etat", nous disait le leader his-torique du FD, Moustoifa Saïd Cheikh, en2007. Pour qu'une prise de pouvoir soitlégitime, elle devait émaner directementdes "travailleurs"."Il fallait que beaucoupde conditions soient réunies. L'option d'unsoulèvement populaire armé n'était pasprogrammable."

Soilihi était donc accusé d'avoir "cassél'élan des quatre îles", d'autant plus que soncoup de force avait reçu -au début- la béné-diction de la France. "Nous ne pouvons pasoublier qu'il a fait un coup d'Etat contrel'indépendance et que c'est lui qui a faitvenir les mercenaires aux Comores. AhmedAbdallah n'a fait que récupérer un systèmequi était installé", explique à présentMoustoifa Saïd Cheikh. Aboubacar SaïdSalim, un autre leader de l'ASEC, renchéritdans la condamnation de celui qui a "initiéle coup d'Etat comme méthode de prise dupouvoir". Même discours chez IdrissMohamed, pour qui Soilihi "a fait beau-coup de mal à ce pays en montrant auxgens à quel point il était facile de prendre lepouvoir par la force".

Le fossé était également idéologique. SiSoilihi a clairement inscrit son régime dansle "bloc de l'est" et le mouvement des pri-ses d'indépendance africaines, MoustoifaSaïd Cheikh se montre sceptique quant àl'étiquette de "marxiste" dont il a été affu-blé. "Influencé par Salim Himidi 1, il adéveloppé une approche marxiste de cer-tains problèmes de société, mais ce qui est

évident c'est qu'il avait un côté socialiste",indique-t-il. Sans renier la vision marxistede la société (lire ci-dessous), le Mongozi 2

lui préférait en effet la notion de "socialis-me". Un socialisme qu'il voulait spécifique-ment comorien, libéré de toute référenceaux modèles étrangers à la réalité locale -unpoint d'achoppement de plus avec les jeu-nes marxistes. Moustoifa reconnaîtd'ailleurs que son organisation "ne portaitpas de jugement sur les détails, d'autantplus qu'on avait peu d'informations. Lescritiques étaient principalement politiqueset idéologiques".

Leur jugement sera d'ailleurs révisé parla suite. "Nous avons changé d'opinionparce qu'il y avait beaucoup de chosesqu'on ne savait pas", révèle le leader du

FD, qui situe le début de ce changementaux années 80. "Sur ses actions de dévelop-pement agricole et d'amélioration desconditions de vie de la population, il y avaitbeaucoup de choses positives, notammentune meilleure répartition des richessesdans la société." Concernant sa politique degestion du territoire, "on ne s'opposait paspar principe à la décentralisation, maisl'arbitraire du régime nous heurtait, demême que sa conception de l'égalité qui sepassait de manière frustre. Une égalité parle bas, sans dignité", dénonce Moustoifaavant de reconnaître qu'il avait une vision"nationale et non insulaire" et une "cohé-rence dans sa politique du développement".

Les critiques sur la "docilité" d'Ali Soilihienvers la France se sont également modé-rées : "Il a essayé de se rattraper grâce àune action diplomatique qui a rétabli ledroit international en faisant passer àl'ONU, les résolutions dont les Comoress'inspirent encore aujourd'hui pour défend-re leur souveraineté." Comme AboubacarSaïd Salim qui fait la distinction entre le AliSoilihi d'avant et d'après sa rupture avec laFrance, Moustoifa note qu'il "est passé d'unextrême à un autre, ce qui lui a été fatal.Les Français ont tiré parti de ses erreurspour le couper du peuple".

S'il est une critique qui demeure et quifait toujours consensus, c'est cependantcelle qui concerne sa "gestion spartiatedu pouvoir" et les excès de son régime,qualifié de dictature. Ancien président dela fédération malgache du Mouvement delibération des Comores (Molinaco), partisitué lui aussi à gauche et qui a joué unrôle de précurseur dans le mouvementindépendantiste comorien, l'avocatElaniou leur a consacré un pamphlet viru-lent -et quelque peu grotesque 3- qui nesemble garder du passage du Mongozique le souvenir d'un "cauchemar". "Ce futl'an zéro pour l'immense majorité descitoyens !" écrit-il. "L'hibernation deslibertés, la mise aux arrêts de la plume du

journaliste, de la robe de l'avocat, l'étouf-fement de l'orateur dans les bangwe, lesmosquées, la mise au pas des enseignants,le pouvoir des adolescents, les torturesdans les citernes et les cachots…"

"Deux leaders qui ne s'accordent pas surla voie de la Révolution ne peuvent pasavoir raison tous les deux [à la fois] ; àun moment donné, il n'y en a qu'un quipeut avoir raison, l'autre doit s'écarter",affirmait en 1977 Ali Soilihi 4. Une sen-tence qui semblait faire allusion auconflit entre Lénine et Trotski, mais nepouvait que conforter ses jeunes adver-saires dans leurs convictions. Car sesopposants de gauche étaient pour la plu-part des jeunes instruits, rompus à l'art dela critique et de l'autocritique révolution-naires ainsi qu'aux règles rigides desorganisations marxistes, peu désireux dese soumettre à la pensée et à la stratégiechangeante d'un seul homme. Le fait quele Mongozi ait eu recours à des lycéensqu'il formait à sa guise et à des jeunesnon scolarisés, tout en affichant de laméfiance à l'égard des diplômés, n'étaitpas pour réduire ce clivage.

KES et LG

1 Salim Himidi était ambassadeur, et l'un des bras droits d'Ali Soilihi.

2 Mongozi, ainsi que Soilihi aimait se faire appeler, signifie "leader".

3 Elaniou, Ali Soilihi ou l'indépendance dans la citerne, 2003 Komédit

4 M.Lafon, L'éloquence comorienne au secours de la révolution, L'Harmattan

Les jeunes de l'ASEC et du Front démocratique reprochaient au Mongozi son coup d'Etat, ses méthodes et son manque d'adéquation avec la rigueur des thèses marxistes.

“L’arbitraire du régimenous heurtait, de même

que sa conception de l'égalité.”

“Aucune nation ne peut être assimilée à une autre”

"Dans [la pratique] de la politique révolutionnaire, deux hommes qui ne sont pas d'accord sur la voie à suivrene peuvent pas avoir raison en même temps ; cela est à l'opposé des autres systèmes politiques où, devant un pro-blème donné, deux personnes peuvent avoir raison, l'une pour une part, l'autre pour une autre : la politique révo-lutionnaire ne fonctionne pas comme ça (…)Sans doute, certains lettrés, certaines personnes cultivées en entendant de tels propos, vont réfléchir et trouverque cela ressemble aux théories d'un dénommé Marx ; ils ne se trompent pas, c'est vrai. Et certains citoyens enconcluront que, s'il s'agit de la pensée marxiste, il s'agit aussi d'un système politique qui, une fois introduit dansun pays, dépouille les gens de leurs biens, s'empare de leurs enfants, interdit la religion ! Et de fait, cela s'est pro-duit dans de nombreux pays mais cela ne pourra arriver ici parce que la politique révolutionnaire comorienne achoisi et adopté une orientation qui n'est autre que celle de la spécificité (…) Aucune nation ne peut être assimi-lée à une autre.Donc, citoyens, on ne peut se servir de [la pensée] de quelqu'un, ne reprendre la conception de la Révolutionchinoise, de la Révolution russe ou d'une autre révolution : car, même si on a pu le faire avec succès et qu'onenvisage donc de les réutiliser ici aux Comores, dès qu'on les aura introduites, on se trouvera pris dans la tour-mente, la nation dans son ensemble sera en difficulté parce que le facteur de la spécificité de la politique révolu-tionnaire comorienne est solide."

Ali Soilihi, allocution radiodiffusée sur l'instauration du socialisme, 15 juin 1977 (reproduite in Michel Lafon,L'éloquence comorienne au secours de la révolution, L'Harmattan, 1995)

Dés 1973, Soilihi séduisait les lycéens grévistes en les initiant au cocktail molotov. DESSIN : MOURIDI ABOUBACAR POUR KASHKAZI

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kashkazi 72 mai 200824

instantané

Moroni...Ils s'appellent Anto, Abdillahi, Hospito, AbdallahSoule, Daniel Daoud… Ils sont anciens dockers, bou-triers ou matelots, et ont perdu leur travail il y a un peuplus d'un an. Nous les rencontrons -c'est incontourna-ble- place Kalaweni, près du port aux boutres deMoroni, assis à l'ombre d'un badamier, les yeux rivéssur les embarcations de bois et sur la mer. Cette mer oùils ont travaillé pour la plupart d'entre eux depuis leurplus jeune âge… A notre première question, les répon-ses fusent. "C'est ici que nous passons toute la jour-née", expliquent-ils avant d'ajouter : "Nous sommestous au chômage." Ce lieu, ils le nomment mpvombure dju -entendez l'arbre à palabre. C'est ici, entrel'océan et la médina de Moroni, qu'ils se rencontrentquotidiennement.

Il est 14h30, ce lundi 14 avril, et ils se préparent pourune partie de pêche : un moyen pour eux de se faire unpeu d'argent. Dans un petit seau noir posé sous leurspieds, ils ont entassé leur matériel, qui attend pendantqu'ils se cotisent pour acheter les 5 litres d'essencenécessaires au moteur de leur vedette. "Vous voyez,même 3.000 fc [6 euros, ndlr], il est difficile pour nousde les avoir", indiquent-ils. Tous font partie de ce grou-pe d'hommes -304, selon leur avocat- qui se sont retro-uvés sans travail au lendemain de l'acquisition de lagestion du port de Moroni, en janvier 2007, parGulfcom, une joint-venture émirati des sociétés Al-Marwan et Gulftainer. La plupart d'entre eux, dockers,louaient leurs bras lors du déchargement des navires.Quelques uns, plus nantis, possédaient des boutres, cesbateaux de planches aux formes courbes qui, remor-qués par des vedettes, transportaient les conteneurs descargos jusqu'au port, trop peu profond pour accueillir laflotte marchande.

Par souci d'efficacité, Gulfcom a révisé les critèresd'embauche de ses employés. Au premier rang de cescritères, l'âge et la condition de santé du candidat, quidevait fournir un curriculum vitae et se présenter pourun contrôle physique. C'est ainsi que du jour au len-demain, un nombre important de travailleurs quijusque là n'avaient eu aucune autre activité, est restésur le carreau. La société n'a embauché que 80 à 90dockers qu'elle emploie régulièrement. D'autres,comme ce jeune homme que nous avons rencontrédans un couloir des bureaux de Gulfcom, viennent ytravailler occasionnellement et reçoivent directementleur dû. "Hier j'ai travaillé avec eux et je viens tou-cher mon argent ", nous a-t-il dit. "Nous avons optépour un nombre précis d'embauches. En cas d'activi-té intense nous faisons recours à des journaliers",explique le chef du personnel.

D u coup, c'est toute une couche sociale qui jusque làgagnait sa vie par un dur labeur, qui est en train dedisparaître. Une force de travail qui jouissait autrefoisd'une certaine puissance, et pouvait si elle le voulaitbloquer l'activité économique du pays. Les dockersavaient d'ailleurs retenu, dans les années 80, l'attentiondu parti marxiste Front démocratique (FD), qui voyaiten eux un groupe assimilable au prolétariat. "Ces gensfaisaient leur travail dans des conditions extrêmementdifficiles", indique Idriss Mohamed, ancien cadre duFD. "Pour les révolutionnaires comoriens, les dockersconstituaient l'une des classes ouvrières comorienneset on s'était intéressés à eux." Issoufa Mmadi, un mate-lot de 55 ans, ajoute que "l'ex-président Ali Soilihi dis-ait à l'armée révolutionnaire 1 : 'Respectez bien cesgens qui soulèvent les marchandises au port, ils sontdes soldats comme vous…'"

Le travail avait beau être harassant, le système cor-poratiste des dockers, au sein duquel ils décidaient eux-mêmes des nouvelles embauches, réduisait l'emprisede la société gestionnaire du port et leur permettait denégocier les tarifs. "Lorsque nous travaillions, notreargent profitait à tout le monde. Il y avait même desfonctionnaires qui venaient nous emprunter de l'ar-gent. Il y a des gens qui sont devenus riches", expliquel'un d'entre eux. Depuis qu'ils sont au chômage, leurquotidien comme celui de leurs proches est boulever-sé. "C'est l'éducation de nos enfants qu'on a hypothé-quée", affirment-ils. "Mes cinq enfants étaient à l'éco-le privée et maintenant ils sont obligés de partir dansle public" ajoute Abdallah Soule, un quinquagénairepropriétaire d'un boutre.

Drôle de coïncidence… Le muret où s'assoientces laissés pour compte de la modernisation aété construit lors de la dernière campagne

électorale par le parti Ridja dont le fondateur, SaidLarifou, est devenu l'un des chefs de file de l'oppositionau gouvernement de l'Union. Un gouvernement auquelles manutentionnaires reprochent de les avoir sacrifiésau profit d'intérêts étrangers… La liste de leurs griefsest longue. Ils accusent tour à tour le président Sambiet son vice-président Idi Nadhoim d'être à l'origine deleurs malheurs, car "se sont eux qui ont installé cettesociété ici". "Pourquoi préfère-t-on ces chalands parrapport à nos boutres alors qu'ils fonctionnent selonune même mécanique : tous les deux sont tirés par desvedettes ? C'est parce que nos boutres sont en bois ?Alors on préfère ce qui vient de l'étranger et on rejettece qui est du pays ? Si on nous avait demandé, onaurait pu cotiser pour acheter des chalands. Notreargent était directement utilisé aux pays, il ne partaitpas à l'étranger comme celui de Gulfcom" s'emporteHospito, propriétaire de deux boutres.

"Nous n'avons jamais eu un problème pareil avec lesrégimes passés", affirme de son côté MohamedMoissi, 78 ans, un ancien docker. Assis devant la portede sa case à Bacha, près du port, le vieil homme, dontles mains tremblent et qui pourtant travaillait encorerécemment sur les quais, dit avoir commencé ce travailavant l'indépendance du pays, à un moment où "il n'yavait même pas de grue au port". Depuis qu'il a perduson travail, il vit grâce à la solidarité de ses voisins quilui apportent à manger. Sa situation est identique à celle

d'un grand nombre de ses collègues. En effet, si cer-tains sont rentrés dans leur village respectif pour tra-vailler leurs lopins de terre, d'autres, surtout les plusâgés, végètent encore dans la capitale. Ils refusent detravailler en qualité de journaliers pour Gulfcom.Certains y vont quand même - "pour trouver quelquechose à manger", confient-ils.

Quelques uns travaillent aussi pour des particuliers."Une fois qu'il y a un patron qui dédouane des mar-chandises, nous suivons le camion pour décharger aumagasin. Nous pouvons gagner entre 20.000 et 30.000fc [40 à 60 euros, ndlr] qu'on se partage entre nous. Ily a aussi des jours où on ne trouve rien à faire",explique Ousseni Halidi. Tous pensent que Gulfcomdevrait "respecter nos droits. Nous avons passé toutenotre vie ici, pourquoi nous rejeter comme ça ?"

Dans les mémoires, le 11 janvier 2007 reste le pointde départ de tous les ennuis des dockers de Moroni. "Ily avait une cargaison de riz à décharger. A 11 heures,les militaires sont venus nous chasser. Ils nous ont ditque c'était Gulfcom qui devait s'en occuper. Certainsd'entre nous ont passé sept jours au camp de gendar-merie de Mdé", raconte Hamada Mmadi Chanfi. Lesaffrontements avec les forces de l'ordre feront troisblessés par balle parmi les grévistes, qui ont finalementporté plainte contre l’entreprise. La sentence devraittomber le 14 mai, mais Gulfcom a déjà été condamnéeen première instance pour "licenciement abusif". Elle aété tenue de verser la somme de 211.912.399 fc (4millions d'euros environ) aux 304 ouvriers concernés.Leur avocat avait demandé 511.962.689 fc (10millions d'euros). L'affaire est en appel.

Réduits à l'inactivité depuis bientôt 15 mois, lesanciens ouvriers comme les patrons de boutre, solidai-res dans la bataille juridique qui les unit, aimeraienttous continuer à entonner "vura kassiya na mpondroriwashindre", l'un de ces couplets qu'ils chantaient autravail pour se donner du courage.

Mutsamudu...Saindou Moussa n'a que 33 ans, mais cela fait exacte-ment 20 ans qu'il se rend chaque matin au port deMutsamudu, en quête de travail pour la journée. Venutout jeune de son village, Hadda Daoueni, au sud deNdzuani, il peine à nourrir ses sept enfants tout enpayant le loyer de sa seconde épouse. "Comme je n'aipas réussi à l'école, je n'imagine aucune issue pourm'en sortir dans la vie", avoue-t-il. En 1997, il a tout demême intégré le Syndicat national des dockers como-riens (Sinadecom), dans l'espoir d'améliorer ses condi-tions de travail. Créés au début des années 90, leSinadecom et le Syndicat national des travailleurscomoriens (SNTC) se sont battus pour obtenir uneaugmentation des tarifs de déchargement des marchan-dises, payés à la tâche aux hommes du port. "A l'é-poque, on pouvait être reçus par un chef pour récla-mer, contrairement à cette période qu'on vient de vivre,où on a failli se faire tabasser par les gens deMohamed Bacar qui nous ont virés du port parcequ'on dérangeait le gouvernement avec nos revendica-tions", commente Chafi Mchindra, du haut de ses 22ans de carrière. En 2002 en effet, alors que le prix dutransport d'un sac de ciment était fixé à 100 fc (0,20euro) et que certains membres du gouvernement Bacaront voulu le faire passer à 25 fc (0,05 euro), près de 130dockers récalcitrants s'étaient vus mettre dehors pourune durée indéterminée.

Dockersentre agonie

et résurrection, la lente

mutationdes forçats

de la mer

“Pourquoi préfère-t-on ces chalands par rapport à nos boutres alors qu'ils fonctionnent selon une

même mécanique ?”

A Moroni, voilà quinzemois que la sociétéGulfcom a licencié 304dockers et boutriers,signant la disparitiond'une corporation autrefois puissante.Depuis, les uns cultiventleur lopin de terre, lesautres végètent dans lacapitale… Ce que faisaient, en somme,leurs homologuesanjouanais àMutsamudu, avant quele débarquement et la fuite de Bacar ne changent la donne.Après des mois de galère,les journaliers du portcomptent bien reprendreles négociations pouraméliorer leur sort,comme le font ceux deLongoni, à Maore, aprèsune longue période deturbulences...

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25kashkazi 72 mai 2008

Said Salim est de ceux-là. Père de 10 enfants, doc-ker depuis 25 ans -il avait 10 ans à ses débuts-, il arepris le chemin du port il y a un mois après plusieursannées de chômage, convaincu de voir la situation s'a-méliorer avec la chute du régime Bacar. Il est loin d'ê-tre le seul à espérer : les attentes des travailleurs du portsont grandes. Les affiliés des deux syndicats, quitransportent sur leur tête les sacs de riz ou de ciment,chargent les camions puis se rendent chez le commer-çant pour toucher la rémunération de la journée, espè-rent voir remonter le prix de transport du sac de 50 kg.Abaissé à 25 fc sous Bacar, celui-ci oscillait entre 70 et85 fc dans les années 90. Cette mesure aurait desconséquences non négligeables sur le quotidien desfamilles de dockers. Depuis sept ans qu'il effectuechaque jour le déplacement depuis Dindri, dans larégion de la cuvette, Hadhar Attoumani débourse quo-tidiennement 1.000 fc (2 euros) pour se rendre sur sonlieu de travail. Il rentre le soir avec en poche 1.500 à2.000 fc (3 à 4 euros) pour 8 heures de travail d'arra-che-pied sous le soleil. "Ni les autorités, ni les commer-çants qui importent leur marchandise, personne nes'est jamais soucié de voir que nous sommes des gensqui ont besoin de nourrir leur famille", se plaint-il.

Les non syndiqués, ceux qui font la queue lematin au port pour glaner quelque tâche, espè-rent quant à eux obtenir le droit de pénétrer

librement sur les quais. "J'ai cru qu'on allait penser àoffrir du travail pour nous les chômeurs", confie SaidAmadi, âgé de 65 ans. "Au moins, on devrait suppri-mer les 250 fc [0,50 euro, ndlr] qu'on nous fait payer àl'entrée du port. Si vraiment Sambi voulait se débar-rasser des abus de Bacar, je crois que les 250 fcseraient la première chose à supprimer, car c'estMohamed Bacar qui les a imposés."

Deux autres catégories de dockers coexistent enco-re sur le port : il y a les 300 "privilégiés", salariés del'Anjouan Stevedoring Company (ASC), qui condui-sent les engins portuaires pour le déchargement desconteneurs, gèrent l'enregistrement des marchandiseset la surveillance. Enfin, les moins bien lotis, en dépit

de leur statut de salariés, semblent être les employésdes agences maritimes : ils ne perçoivent leur rémuné-ration qu'épisodiquement et sont menacés de licencie-ment s'ils osent réclamer. "Cela faisait onze ans qu'ontravaillait avec deux agences de voyage : on était prèsde 20 agents et on gagnait chacun 40.000 fc [80 euros,ndlr] par mois", raconte Ibrahim. "Notre travail consis-tait à décharger les bagages et surtout les marchandi-ses qui venaient de Madagascar ou Zanzibar. Mais il ya 13 mois que je me trouve sans emploi. Lorsque mafemme a dû subir une opération chirurgicale, j'ai vouluréclamer mes trois mois d'arriérés de salaire. Messupérieurs m'ont répondu que ma place n'était pasavec eux et que je ne pouvais plus faire de réclamation,car tout était entre les mains du régime Bacar."

Longoni...Forcément, à lire le récit des dockers deMutsamudu, les plaintes de leurs homologuesmahorais paraissent bien dérisoires - tout autant quelorsqu'on s'intéresse à d'autres forçats oeuvrant àMaore, dans les carrières notamment. Pourtant, "onpeut dire ce qu'on veut sur nos soi-disant avantages,le métier de docker est très difficile", s'emporteSaïd. "C'est dangereux, stressant et pas beaucouppayé. On travaille la nuit, les jours fériés, et on estappelés au dernier moment pour venir au port. A 20ans, ça va ; à 50 ans, c'est usant !" Si les salaires etles conditions de travail n'ont rien à voir avec ceuxdes îles voisines, la condition de docker reste précai-re à Maore. Certes, la SMART (Société mahoraised'acconage, de représentation et de transport), lasociété de la famille Henry, qui possède le monopo-le de fait de l'acconage dans l'île et qui fut sauvée dela faillite en 2007 grâce à une subvention de derniè-re minute du Conseil général 2, offre à ses salariésdes acquis non négligeables, comme l'assuranced'un emploi longue durée, des primes de nuit dès 20heures, et un salaire indépendant du nombre d'heu-res effectuées dans le mois. Mais comme l'affirmeSaïd, "le salaire est très faible !"

Saïd avait 20 ans lorsqu'il a intégré la SMART en1980. Jusqu'il y a peu, son salaire restait tributaire duSmig (salaire minimum fixé chaque année par la pré-fecture). "L'année dernière, je touchais à peine plus de800 euros [400.000 fc]. Ce n'est pas assez pour nour-rir la famille." Père de sept enfants, dont trois sontencore à sa charge, Saïd ne peut compter que sur sesrevenus -"ma femme ne travaille pas, elle s'occupe desenfants" dit-il. "Je n'y arrive pas", reconnaît-il au coursd'une pause, ce jeudi 1er mai, dans son bleu de travail."Je suis souvent obligé d'aller voir le patron pour luidemander une avance. Mais c'est de plus en plus diffi-cile à obtenir."

Ils sont des dizaines comme Saïd, à vivoter au tarifdu Smig alors qu'ils travaillent depuis bientôt trente ansdans la boîte. "Jusqu'à présent, que l'on soit dockerdepuis deux mois ou 20 ans, le salaire était quasimentle même : autour de 800 euros", indique SaïdMkadara, délégué syndical Cisma-CFDT. "Ils sontprès de 40 à être là depuis 25 ans. C'était inconceva-ble !" De récentes négociations ont permis aux dockersd'augmenter sensiblement leur rémunération. "On aobtenu 1.000 euros plus des primes d'ancienneté. Ceuxqui ont 25 ans d'ancienneté auront 25% de plus, soit1.250 euros". Une hausse très sensible du salaire, quisoulève l'enthousiasme, ce jeudi 1er mai, dans le hall quisert d'aire de pause lors des déchargements. "C'est bienpour nos familles ; on se serrera moins la ceinture", ditAhmed, cinq ans de boîte. A ses côtés, fumant uneclope, son collègue, Younoussa, 20 ans de plus à laSMART et une gueule de vieillard, se réjouit quant à

lui de "la fin des injustices". "Ce n'est pas tant l'aug-mentation de salaire qui me plaît, c'est le fait que pourla première fois, l'ancienneté entre en compte. Je n'ac-ceptais pas qu'un jeune arrivé il y a deux jours gagnequasiment autant que moi, qui ait donné ma vie à cetteentreprise", lâche-t-il, mi-hilare mi-indigné. Autreacquis tout juste gagné : la prime de nuit passe d'un for-fait global à un forfait conjoncturel.

Si certains, hors la SMART, s'insurgent de cequ'ils qualifient d'"avantages incroyables", etalors qu'Arlette Henry, gérante depuis un an,

dénonçait l'année dernière cette prime pour une “nuit”débutant à 20 h et se terminant à 23 h, les dockersjurent mériter ces compléments. "Les gens ne se ren-dent pas compte. Certains vivent dans l'extrême sud del'île. Travailler jusqu'à 23 heures, cela signifie ne pasrentrer chez soi, car très peu ont une voiture. D'autres,qui habitent en Petite Terre, regagnent leur domicile àminuit", explique Aboudou, dans la boîte depuis 1989et dont le salaire ne dépasse pas 830 euros. "Et puis, ondoit sans cesse être prêts ! Ce n'est que la veille qu'onnous informe à la radio de l'arrivée d'un bateau.""C'est un métier à risques", rappelle pour sa part SaïdMkadara. "L'année dernière, il y a eu trois blessés dansdes manoeuvres. Certains sont handicapés à vie aprèsleur accident." Dans ce domaine, "il reste encore beau-coup à faire", reconnaît-il. "On est d'ailleurs en trainde rédiger une convention collective avec la direction."

Ainsi, l'horizon se dégage pour les dockers mahorais."Les années d'inquiétude, c'est fini !", affirme haut etfort Saïd. "Cela fait un an qu'on est payés chaque mois.Regardez : pour le mois d'avril, on a été payés le 29 !Avant, il fallait attendre deux mois pour s'en fairepayer un." A les entendre, ils reviennent tout droit del'enfer. "On a été très inquiets pendant des années. Nonseulement pour nos salaires, nos familles, mais aussipour l'avenir de la société à laquelle nous sommes toustrès liés", indique un autre délégué syndical qui a tenuà garder l'anonymat. C'est que le destin des dockers, àMaore, est intimement lié à celui de la SMART. Lefruit de l'histoire -la SMART est née avec le port deLongoni et n'a jamais eu de concurrent- et d'une certai-ne conception de l'entreprise, basée sur le paternalismecher à Marcel Henry, le fondateur de la SMART2.

De fait, le moral des dockers, "plutôt bon aujourd'-hui" reconnaît notre délégué anonyme, oscille au grédes comptes de la société. Menacée de faillite en 2007,celle-ci a été proche de la fin. A l'époque, les dockersavaient par deux fois pris le chemin du bitume pourdemander aux pouvoirs publics une nouvelle chance,alors qu'ils étaient payés au lance-pierre depuis desannées. "Cela fait quatre ans qu'on est irrégulièrementpayés", nous indiquait le délégué syndical BacarHamouza fin 2006. "Les conditions de travail sont dif-ficiles. Certains mois, on travaille beaucoup, mais à lafin, on n'est pas payé."

Sauvée par l'intervention du Conseil général dans unclimat trouble lié à l'affaire Aly Mohamed 3, la SMARTs'est relevée de ses cendres. Un plan a été mis en placepar Arlette Henry 4. Au menu : rigueur budgétaire etallègement de la masse salariale. Si les licenciementsont été moins nombreux que prévu -on parlait en 2007d'une bonne cinquantaine de licenciements-, une dizai-ne de dockers sont partis à la retraite. Par contre, "on aévité les licenciement directs" se réjouit Saïd Mkadara."La direction voulait en virer une quarantaine, mais iln'y avait pas de motif et on a refusé." Selon lui, lalivraison prochaine du second quai (sans cesse repous-sée) devrait permettre aux dockers de justifier pleine-ment leur embauche. "Maintenant que notre avenir estsauvé", pense Mahamoud, "on peut défendre nosdroits. Il n'y a pas de raisons qu'on n'ait pas les mêmesque ceux qui travaillent à la Réunion."

FA, NEP et RC

1 Le FD est resté dans l'opposition sous Soilihi.2 Kashkazi n°63 (mai 2007), "Du paternalisme au capitalisme, la délicate mue de la SMART"

3 Kashkazi n°61 (mars 2007)4 Elle a refusé de répondre à notre sollicitation.

“Je suis souvent obligé d'aller voir le patron pour lui demander une avance. Mais c'est de plus en plus

difficile à obtenir.”

Au port de Moroni, des dockers en plein effort, en 2005.

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kashkazi 72 mai 200826

LA COLONIE les a gravés surses cartes posta-

les jaunies. Le chapeau de paille sur la tête, les mainsqui s'emparent délicatement de la fleur précieuse, et leregard accroché à la liane, perdu dans la minutie répé-titive de la fécondation artificielle. C'était l'époque oùles paysans se laissaient berner par la société Bambao,qui leur faisait avaler que leur vanille "arrivée à matu-rité sur la liane et séchée simplement au soleil, qui estfendue, a une sale gueule mais est de très bonne quali-té", était "mauvaise", raconte Amine Kalfane, qui ahérité de son père le métier d'exportateur de plantes àparfum. Le mot a survécu au dédain des colons, quidévalorisaient ainsi le prix d'achat d'une partie de laproduction. Près d'un siècle plus tard, on appelle enco-re la Mové cette vanille qui n'a ni la souplesse, nil'aspect luisant de la vanille échaudée, mais possède unfort taux de vanilline. "On n'en produit nulle partailleurs qu'aux Comores", assure Amine Kalfane. "Sonrendement n'est pas bon. A l'époque où l'Etat régle-mentait les périodes de récolte, on en faisait surtoutdans les régions où elle était mâture plus vite : ne pou-vant pas la préparer, les paysans la séchaient directe-ment au soleil."

Il n'y a pas que la Mové qui ait traversé le siècle. Lavanille a conservé aux Comores son mode de produc-tion totalement artisanal : rituel immuable de la fécon-dation manuelle ; culture en complément des produitsvivriers sur de petites surfaces, grâce à un indéniablesavoir-faire mais sans aucune méthode de "rationalisa-tion". Longtemps, elle est restée une valeur sûre, unmoyen d'épargne et de crédit pour les producteurscomme pour les préparateurs. "Elle permet d'emprun-ter de l'argent à un patron, d'acheter un cabri ou unbœuf", souligne Issa Mhadji, président du Syndicatnational des agriculteurs comoriens.

Il y a quelques années encore, la culture des lianesavait la part belle dans les investissements de nom-

breuses familles rurales, en particulier à Ngazidja."J'ai commencé à l'âge de 10 ans" raconte DarkaouiMohamed, un étudiant qui a hérité des champs de sonpère à Djumwashongo, un village du sud de l'île."C'est grâce à la vanille que j'ai pu assurer mes éco-lages depuis la classe de 6ème jusqu'à la terminale. Mononcle, lui, a fait son Grand mariage et son pèlerinagegrâce à la vanille, alors qu'il n'a personne en Francepour s'occuper de lui." Quant à Bacar Abdallah, àMvuni, il se souvient qu'"au temps du régime d'Azali,j'ai pu m'acheter deux chèvres à raison de 50.000 fc[100 euros, ndlr] chacune. La vanille m'a aussi permisd'acheter les cahiers de mes enfants." "C'est commeune sécurité sociale", indique-t-on à la Brigade vanillede l'Union des Comores.

A Maore également, le système savait s'adapter auxbesoins des cultivateurs. "Il y avait un grossiste quipassait de village en village, et la Coopérative devanille de Mayotte, qui avait ses acheteurs à laRéunion, avançait les campagnes pour que les produc-teurs puissent faire vivre leur famille", expliqueIbrahim Moussa, à la Chambre de l’agriculture, lapêche et l’aquaculture de Mayote (Capam). "Dans lesvillages, chacun amenait sa petite quantité et vendait.Chaque producteur avait ses clients. S'il voulait mariersa fille, il allait directement voir le transformateur.D'autres transformaient eux-mêmes, mais ce n'étaitpas un problème : le marché existait !"

La chute des cours, à partir de 2003, a vu s'écrou-ler les vieilles habitudes. "La vanille préparée a coûtéjusqu'à 480 euros le kilo à l'extérieur. A l'heure actuel-le, on parle de 25 euros", indique AboubacarAbdoulwahab, dit Kadhafi, ancien secrétaire généralde l'Association des préparateurs de vanille, àNgazidja. Résultat : de 200 tonnes environ exportéespar an dans les années 80-90, les Comores indépen-dantes sont passées à moins de 80 tonnes ces derniè-res années ; Maore vient d'atteindre péniblement les 2tonnes par an, sans pour autant parvenir à renoueravec les exportations. Partout, de nombreux paysansont renoncé à féconder leurs lianes. "Nous récoltionsplus de quatre sacs de 50 kg", témoigne DarkaouiMohamed. “Mais ces dernières années, nous sommesdécouragés et on a produit un peu moins de 40 kg.D'ailleurs depuis l'an dernier, je ne cultive plus quedu manioc et de la banane." Exportatrice basée àMoroni, Sitti Djaouharia Chihabiddine constate aussique "beaucoup de préparateurs sont sortis du mar-ché. En 2002, ils étaient 162. On en a aujourd'huimoins de 20 officiellement reconnus".

La confrontation des Comoriens avec les loisd'un marché "spéculatif à l'extrême et très réac-tif à la rumeur, (…) incertain, opaque et chan-

geant" 1, s'est révélée brutale. Le cocon qui semblait lesprotéger commence à se déchirer en 2000. Cette année-là, deux cyclones ravagent Madagascar, le principalexportateur mondial, et divisent sa production pardeux. Le vent de panique qui s'empare des acheteursgonfle les prix et pousse l'Inde, l'Ouganda ou encore laChine à se lancer sur le marché.

Entre 1999 et 2003, les prix à l'exportation sont qua-siment multipliés par 10. Mais la "bulle" finit par écla-ter : non seulement l'offre mondiale dépasse désormaisla demande, mais les industriels de l'agroalimentaire sesont tournés vers la vanille de synthèse. Ce contexteinternational est aggravé au niveau régional par le bou-leversement de la structure d'exportation àMadagascar. "Le clash de 2003 a fait que beaucoup desociétés malgaches ont disparu", explique AmineKalfane. Endettées, les grosses sociétés américaines

“C'est grâce à la vanille que j'ai pu assurer mes écolages

depuis la classe de 6ème

jusqu'à la terminale.”

Vanille : la fin du

système des papas ?

gros plan

La chute des prix en 2003 a brutalementconfronté les producteurs, préparateurs et exportateurs aux réalités du marchéinternational. Depuis, la survie de la filière ne tient qu'à un fil.

“C E GRAND BÂTIMENT,C'EST MON BEAU-PÈRE

QUI L'A CONSTRUIT grâceà la vanille. Avant, les grands patrons, c'é-taient les préparateurs. Ils faisaient le voyageà la Mecque, envoyaient leurs enfants à l'ex-térieur, et accordaient de petits prêts auxgens…" Ancien secrétaire général del'Association des préparateurs devanille, Aboubacar Abdoulwahab dési-gne avec une nostalgie certaine la cons-truction qui fait face à son domicile, surla route du marché de Moroni."Kadhafi" -c'est son surnom- occupeactuellement un poste de cadre au seinde la Société des Hydrocarbures. Sesanciens collègues se sont recyclés plusdifficilement après la crise de 2003."Presque 100% des préparateurs ont despetits terrains où ils ont planté des bananierset du manioc. Les autres ont des petitsmagasins."

LA CHUTE DES PRIX a stoppé net l'é-mergence d'une classe de préparateursqui tentaient de prendre leur autono-mie par rapport aux exportateurs. "Audébut, les préparateurs travaillaient pour lesgrands exportateurs", indique AhamadaIssimaila, qui a commencé l'exporta-tion en 2000. "Au fil du temps, ils ontamassé de l'argent. Ils ont aussi été soutenuspar les exportateurs dans la réalisation desgrandes cérémonies coutumières, et ontatteint un certain prestige dans la société."

Beaucoup restaient cependant dépen-dants de leurs clients, qui leur avan-çaient l'argent nécessaire à l'achat desgousses vertes auprès des producteurs."Ils imposaient leurs prix", affirmeAboubacar Abdoulwahab. "C'est pour-quoi on a décidé de travailler avec les Mecket Sanduk [les deux organismes como-riens de micro crédit, ndlr]. Ça a bienréussi en 2001, 2002 et 2003."

L'ANNÉE 2004 EST REVANCHE catas-trophique : les préparateurs, qui n'ontpas tenu compte du contexte interna-tional et ont basé leurs achats sur lastructure de prix dictée par l'Etat, res-tent avec sur les bras une vanille ache-tée à prix d'or (lire ci-dessus). Depuis,"la pauvreté a touché de plein fouet le milieurural. Chaque vrai préparateur -nous som-mes 120 à 150- travaillait avec 12 à 15 per-sonnes, dont 3 de sa famille, pendant quatremois de l'année. En 2002-2003, mon fundi(chef de chantier) gagnait 100.000 fc [200euros, ndlr] par mois pendant 3 mois : ilsavait que la vanille valait cher et négociaitdur. Un ouvrier gagnait 30 à 40.000 fc [60à 80 euros, ndlr] par mois. Maintenant,on travaille en famille, et c'est une perted'emplois pour ces ouvriers de la vanille".

DU CÔTÉ DES EXPORTATEURS, onregarde avec une pointe d'ironie ladéconfiture qui a mis un terme à cetteéchappée belle. Pour Ahamada

Issimaila, la faillite des préparateursétait prévisible. "Ce ne sont pas des gensqui ont de l'argent. Ils ont essayé une fois deprendre le large, ont voulu se substituer auxexportateurs, mais ils n'ont pas réussi. Ilsn'ont pas pu maîtriser le commerce interna-tional - il faut dire que la plupart sont illet-trés. Ils ont trop spéculé en 2003." AmineKalfane, le principal exportateur de laplace, rappelle qu'ils "se sont fait arnaquerplusieurs fois. Exportateur, c'est un métiertrès difficile. Il faut garder la vanille enmalle, calibrer, mettre en boîte, vendre parportion selon le calibre"…

P RODUCTEURS, PRÉPARATEURS,COLLECTEURS, EXPORTATEURS…

Ils sont à la fois rivaux et solidaires, liéspar une certaine intimité, mais aussiune pointe de méfiance. "Je ne crois pasqu'on puisse parler de classes sociales", ana-lyse Amine Kalfane. "Souvent dans unefamille, il y a à la fois des préparateurs et desproducteurs." Les exportateurs, qui pré-parent parfois eux-mêmes une certainequantité de vanille, occupent cepen-dant une place à part : le fait de préfi-nancer la campagne des préparateursles fait pénétrer dans leur vie de famille."Ils viennent me voir toute l'année, quandleur enfant est malade ou qu'il passe le Bacet part étudier à l'étranger", indique SittiDjaouharia Chihabiddine. "Notre rôleest de mettre des liquidités sur le marché."

SOUVENT ACCUSÉS de grossir leursmarges, les exportateurs mettent enavant les difficultés de leur position."Le producteur retire toujours ses billesavant tout le monde", rappelle AmineKalfane. "Il ne sort pas sa vanille avantd'avoir le cash en face. Le préparateur luiachète la vanille verte grâce à notre argent.Qui prend les risques ? C'est nous ! Quandnous allons voir les banquiers, ils nous dis-ent : ‘Il vous manque une case dans latête ! Comment sortir 12 millions [24.000euros, ndlr] pour financer un prépara-teur qui a une case en tôle ?’ Il peut partirdu jour au lendemain, et vous n'aurez rienà saisir ! En période de vanille, je sillonnela Grande Comore au moins 3 ou 4 foispar semaine pour être sûr que je recevraibien ce que j'ai payé."

FACE AUX DIFFICULTÉS de la filière,Ahamada Issimaila propose deréduire le nombre d'intervenants."On ne peut pas faire concurrence auxautres pays avec nos structures actuelles.Il faut brûler les étapes, supprimer lesdémarcheurs et faire la préparation chezl'exportateur." Pour Amine Kalfaneau contraire, "chaque échelon a sa rai-son d'être. Si on supprime une étape, onbrise quelque chose dans la chaîne écono-mique, alors que des familles entièresvivent de ça".

LG

Ngazidja : l'envol brisé des préparateurs

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27kashkazi 72 mai 2008

qui jouaient les intermédiaires avec les géants de l'a-groalimentaire ont, elles, recentré leurs activités surd'autres secteurs. Résultat : "Les grands utilisateursaméricains se sont retrouvés orphelins, et ont été obli-gés d'aller à la source pour acheter de la vanille. Surplace, ils se sont rendu compte qu'ils pouvaient mani-puler le marché en mettant la pression sur les collec-teurs malgaches. Ça a changé la donne."

Les Comores sont en plus handicapées par leurappartenance à la zone euro, via le franc comorien."Les Américains consomment 60% de la vanilleachetée dans le monde", souligne Amine Kalfane."La faiblesse du dollar par rapport à l'euro nenous aide pas à être concurrentiels."

Les producteurs n'ont pas été les seuls à trinquer. ANgazidja, l'endettement a fait des ravages dans lesrangs des exportateurs, et surtout des préparateurs. En2003, les exportateurs se retrouvent pris au piège : lachute des cours intervient après qu'ils aient acheté auprix fort aux transformateurs. Pourtant, l'année suivan-te, la structure de prix fixée par l'Etat reste largementsupérieure au cours mondial. Alors que les exporta-teurs se retirent du marché, les transformateurs malinformés continuent d'acheter aux producteurs, grâceaux crédits consentis par les institutions de micro-cré-dit. "104 personnes avaient emprunté aux Meck etSanduk. Elles n'ont pas pu rembourser", expliqueKadhafi, qui accuse les autorités d'avoir aggravé lacrise. "Dans un geste politique vers le milieu rural,l'Etat a fait monter le prix de la vanille verte sans tenircompte de la situation internationale." Si le gouverne-ment a par la suite libéralisé le cours de la vanille, lemal était fait. AMoroni, la dizaine d'exportateurs qui separtageaient le marché a été décimée : ils ne sont plusque trois ou quatre. "On ne s'est pas outillés pour faireface à une concurrence agressive", constate SittiDjaouharia Chihabiddine. "Le fait qu'il y ait des haus-ses et des baisses n'aurait dû surprendre que les ama-

teurs, mais moi par exemple, qui avait peu d'expérien-ce, j'ai tout pris dans la gueule."

A Maore, le décalage est encore plus grand entre lesproducteurs et les réalités du commerce extérieur."C'est sur le prix d'achat de la vanille la saison passéequ'ils raisonnent", remarque la revue Univers Maore 1."En plus du fait qu'ils sont en constant retard sur la ten-dance internationale, leur production est complètementdéconnectée de la réalité du marché (...). Résultat :étant donné que ces producteurs refusent de vendreleur vanille à perte, les stocks grossissent et les inven-dus s'accumulent."

Pour éviter la disparition totale de la filière, les stra-tégies adoptées diffèrent. AMoroni, certains misent surles marchés biologique et équitable. C'est le cas de SittiDjaouharia Chihabiddine, qui exportait avant la criseenviron sept tonnes de vanille biologique, et mèneactuellement des démarches pour mettre son entrepri-se, Vaniacom, aux normes sociales du commerce"équitable". Le Syndicat national des agriculteurscomoriens (Snac) a lui déjà fait ses premiers pas dansl'équitable. "Nous exportons à un prix trois fois plusélevé que le prix conventionnel et nous touchons unemarge qui va à l'organisation professionnelle", indiqueIssa Mhadji. "On en a vendu 800 kg dans ce cadre en2007. L'idée est d'en faire 5 à 10 tonnes." A Mwali,

l'association Vuna Djema, qui dépend du Snac, a puainsi affilier ses adhérents à une mutuelle de santé. Ladémarche est encouragée par la Maison des épices 2,qui a élaboré un cahier des charges visant à améliorerla qualité de la vanille comorienne. Ces "marchés deniche" ne sont cependant pas extensibles. "LesComoriens ne sont pas les seuls à y avoir pensé et lemarché bio est déjà saturé", remarque Amine Kalfane.

Incapable de concurrencer les prix de revient deses voisins, Maore s'est de son côté rabattue surle marché intérieur. Face au découragement

général, des incitations financières ont été mises enplace par le Stabex 3, un organe de l'Union européen-ne. Huit transformateurs tenus de respecter certainesnormes de qualité ont par ailleurs été agréés par laChambre de l'agriculture. Soula Saïd et AnliMahamoudou, responsables du Stabex au sein duConseil général, estiment cependant qu'il est temps de"privilégier la commercialisation. On pousse lestransformateurs à négocier directement avec les tou-ristes. Les supermarchés aussi demandent de plus enplus de produits locaux." "C'est impossible de vendreà l'extérieur", estime aussi Ibrahim Moussa, à laChambre d'agriculture. "Notre objectif est de fairedeux tonnes de qualité, qui peuvent être vendues faci-lement ici jusqu'à 150-200 euros le kg, par petitesquantités." Un optimisme qui laisse de nombreux pro-ducteurs et préparateurs sceptiques. Pour Soula Saïd etAnli Mahamoudou, il est cependant indispensable detourner la page. "On ne soutient pas la vanille pourdes raisons économiques", expliquent-ils, mais parcequ'elle "maintient en activité des familles, protège lesterrains et est importante pour développer une certai-ne forme de tourisme. Mais on entre dans une nouvel-le période. Si on ne réfléchit pas avant que le Conseilgénéral ne se recentre sur d'autres activités, on vapeut-être rater le coche, et des familles entières vontpointer au chômage."

Reste une question qui concerne tout l'archipel :comment assurer le renouvellement des générations ausein de la filière ? "La moyenne d'âge est de 50-60 ans.Le problème de qualité qui implique de planter enlignes et de féconder un certain nombre de doigts nepeut pas être résolu par ces vieux-là" estime AminaKeldi, responsable de l'observatoire de la Maison desépices, qui annonce pour cette année la mise en placede prêts et une assistance à l'installation des jeunes. Cesderniers sont cependant bien souvent rebutés par uneactivité qui leur paraît anachronique : "Les parents neraisonnaient pas sur la rentabilité mais sur le social"observe Ahamada Issimaila, exportateur à Moroni. "Lavanille était échangée contre 4 ou 5 sacs de riz pourfaire le mariage coutumier. Un jeune, lui, il faut qu'il sesape. Il veut que la vanille soit un métier."

Abdourhamane Ahamada, producteur et transfor-mateur à Maore, reconnaît à 65 ans que la vanille est"un travail de vieux. Les vieux étaient contents desavoir qu'ils avaient eu 500 euros. Mais Mayotte s'esttransformée. Si on incite les jeunes à planter, ilsdevront entretenir pendant trois ans avant que ça pro-duise… C'est très difficile d'inculquer le temps d'at-tente de la production à un jeune qui n'a pas eu d'an-técédent dans la vanille. Moi, je suis de la quatrièmegénération, je suis né dedans, et je ne sais pas si j'au-rai de la relève. Pourtant à Chiconi, dans ma promo-tion, presque tout le monde savait faire une féconda-tion. Autrefois, quand tu n'avais rien à faire, tu allaist'occuper de ce genre de choses…"

Lisa Giachino (avec FA et DOM)

1 Univers Maore, la revue des Naturalistes de Mayotte, n° spécial sur la vanille et l'ylang, 2007

2 Groupement d'intérêt économique financé par le Stabex, un programme de l'Union européenne

3 Stabex : Système de stabilisation des recettes d'exportation

Ci-dessous, récolte de la vanille à Maore, au début du XXème siècle. (ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE MAYOTTE - RÉF. : IFI 71/10/72)

“En plus du fait qu'ils sont enconstant retard sur la tendanceinternationale, leur productionest complètement déconnectée

de la réalité du marché.”

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FQS (faut qu’ça sorte)

Policiers musclésDÉCIDÉMENT, CERTAINES pratiques ont la viedure chez les policiers de Ngazidja. Pour unesimple affaire qui pourrait se régler dans lecalme, certains parmi ces messieurs préfèrentvous tabasser. On se souvient encore des vio-lences dont avait été victime le musicienMaalesh en début des années 2000, au com-missariat central de Moroni. Alors que l'oncroyait de telles habitudes révolues, voiciqu'elles resurgissent. En l'espace d'un mois,nous avons reçu deux témoignages de victi-mes de ce genre de traitement. Le premierprovient d'un commerçant qui avait récupéréle colis de l'un de ses amis à l'aéroport deHahaya, dans lequel certains objets auraientété égarés. Les deux amis ainsi que l'agent del'aéroport qui avait livré les colis, ont étéenvoyés au poste pour n'avoir pas respecté laprocédure. Là, ils ont reçu des coups qui n'ontcessé qu'après le dépôt d'une somme d'argentcomme caution. Le deuxième cas concerneun taximan de 51 ans, opérant à Moroni, quiavait apparemment garé sa voiture au mau-vais endroit sur la route de la Coulée, actuel-lement en travaux. Il fera les frais de son inat-tention sur le champ : un policier qui se trou-vait non loin de là, l'a copieusement battu. Lemalheureux se plaint de douleurs partout surle corps et envisage de porter l'affaire devantla justice.

Un frigo très convoitéLE GOUVERNEMENT de l'île de Mwali n'apas apprécié qu'une chambre froide soitdirectement attribuée par les autorités del'Union à une association de pêcheurs.Alors que ceux-ci refusaient de remettreles clés du local, les forces de sécurité inté-rieure ont défoncé la porte et l'un de leursresponsables a passé des heures au com-missariat, jusqu'à ce que la résistance soitmatée. On ne sait pas encore qui parmi lesautorités mohéliennes, ira à la pêche etmettra son poisson au frais…

Pratiques policières à Maore :le rapport accablant de la CNDSSaisie en décembre 2007 par un dépu-té français suite au naufrage d'unkwassa provoqué par sa collision avecune vedette de la PAF à Maore, laCommission nationale de déontologiede la sécurité (CNDS) a rendu un rap-port accablant le 15 avril. Elle dénon-ce les pratiques en mer de la PAFmais aussi les conditions de détentionau Centre de rétention administrative(CRA) et à la maison d'arrêt deMajicavo.

Alors qu'une enquête judiciaire est encours pour déterminer les responsabilitésdu passeur et de la police dans ce naufra-ge qui avait provoqué la disparition deplusieurs personnes, dont un enfant de 12ans, dans la nuit du 3 au 4 décembre 2007,la CNDS évoque les circonstances de l'ac-cident dans son rapport. Il ressort du docu-ment que le passeur aurait transmis labarre du kwassa au dernier moment à unjeune passager, qui n'aurait su que faire ;dans le même temps, le pilote de la vedet-te de la PAF, qui naviguait tous feuxéteints, n'aurait vu qu'au dernier momentl'embarcation. "Nous voulions, commetoujours, aborder l'embarcation quitransportait des clandestins en nous posi-tionnant en parallèle par tribord arrière.J'ai soudain constaté la présence d'unemasse noire sur notre bâbord avant, sous

nous. J'ai ordonné au barreur - et il l'avaitdéjà fait en réflexe -, de mettre en marchearrière toute, mais la collision a eu lieutout de suite", a indiqué un membre de l'é-quipage de la PAF à la CNDS. Au mêmemoment, indique le rapport, à la suite d'unchoc violent, "les passagers du kwassa-kwassa, dont certains dormaient, sont pro-jetés à la mer. Peu d'entre eux savent nager; pris de panique, tous ceux qui le peuventtentent de s'accrocher à ce qu'ils trouvent :au bateau éventré ou à d'autres naufragés."Dans la journée du 4 décembre, vingt-sixpersonnes, dont six mineurs, furent pla-cées au centre de rétention de Pamandzi,avant d'être remis en liberté pour le besoinde l'enquête.

Sans se prononcer sur les responsabili-tés de ce naufrage sur lequel elle a enquê-té -elle a interrogé les victimes et les poli-ciers présents dans la vedette ainsi quedes militants associatifs et les autorités-,la CNDS demande qu'il soit "impérative-ment mis fin, conformément à la régle-mentation internationale en vigueur à lapratique de la navigation en dérive feuxéteints lors des opérations de rechercheen mer des clandestins". La CNDS"recommande instamment de ne plusrecourir à des méthodes qui aboutissent àla mise en danger d'êtres humains,notamment de femmes et d'enfants, dans

des conditions susceptibles de caractéri-ser le délit d'homicide involontaire."Cinglant désavoeu des pratiques policiè-res en mer -celles sur terre mériteraientelles aussi une autre enquête...

D'autre part, la Commission, qui avaitvisité le CRAlors de son enquête à Maore,"estime que le Centre de rétention admi-nistrative de Mayotte est indigne de laRépublique". Selon la CNDS, "la capacitéthéorique du centre de Mayotte doit êtrerespectée comme c'est le cas dans les cen-tres de rétention administrative en métro-pole. La construction d'un nouveau centreannoncée depuis près de dix ans s'imposedans les plus brefs délais. Les conditionsde vie au centre de rétention administrati-ve de Mayotte portent gravement atteinteà la dignité des mineurs retenus." LaCommission demande que les mineurs"ne soient plus placés en rétention dansl'actuel centre", conformément à la régle-

mentation française et internationale envigueur. Enfin, la Commission "recom-mande instamment qu'un règlement inté-rieur soit établi et respecté."

En aparté, la CNDS s'inquiète desconditions de détention à la maison d'arrêtde Majicavo. "Lors de son séjour àMayotte", indique le rapport, "laCommission s'est rendue à la maison d'ar-rêt de Majicavo, afin d'auditionner troisnaufragés qui y étaient détenus. Bien quesa saisine ne concerne pas cet établisse-ment, la Commission a pu, avec l'accorddu directeur de la maison d'arrêt, procéderà une visite d'ensemble. Le constat effec-tué ne peut être passé sous silence. La sur-population carcérale due notamment à lamise en détention de nombreux passeurs(jusqu'à 200 personnes voire plus sontdétenues, alors que la capacité de la mai-son d'arrêt est de 90 places - 76 pour leshommes, 6 pour les femmes, 6 pour lesmineurs et 2 pour les arrivants) a desconséquences inacceptables". "La com-mission demande que les projets d'agran-dissement prévus pour cet établissementsoient réalisés dans les plus brefs délais",conclut sur ce sujet la CNDS.Depuis, le nombre de détenus est passé à230 à Majicavo...

RC

Pollueurs !“MADAME, MONSIEUR, vous êtes ensituation irrégulière et vous avez érigévotre habitation sur un terrain apparte-nant à la commune de Mamoudzou etvous ne bénéficiez d’aucun titre légalvous autorisant à l’occuper. Je vousdemande donc de bien vouloir quitterles lieux sans délai et de remettre le ter-rain dans son état initial. Dans le cascontraire, je serais dans l’obligation desaisir la justice et de solliciter une inter-vention immédiate des services de poli-ce à votre encontre.” Cette gentille lettresignée par le nouveau maire du chef-lieude Maore, Abdourahamane Soilihi, aété distribuée à des milliers d’exemplai-res dans les bidonvilles de la commune.Problème : les policiers municipauxchargés de faire les facteurs n’ont pasfait le distingo entre maison en tôlehabitée par les Mahorais de nationalitéfrançaise, et maison en tôle habitée parles Comoriens sans-papiers français ! Ilsn’ont pas saisi non plus la différenceentre terrains appartenant à la commu-ne et propriété privée -de laquelle ils nepeuvent chasser personne. Certainsadministrés français n’ont pas manquéde s’en plaindre auprès du maire -lessans-papiers, eux, n’ont pas osé dénon-cer ce qui s’apparente à du harcèlement.Il est vrai que ce même maire ne fait pasdans la dentelle : il a récemment pris unarrêté interdisant de se servir des rivièresde la commune pour faire sa lessive, auprétexte que ce sont les sans-papiers qui,ainsi, la polluent. Et les laveurs de voitu-res flambant neuves, ils sont “clandes-tins” aussi ?...

“Le Centre de rétentionest indigne de

la République.”

Petits arrangements entre ennemisIl s'en passe, des choses, dansles urnes mahoraises. Aprèsles innombrables fraudes -plus ou moins importantes-des dernières élections canto-nales et municipales, les délé-gués des deux syndicats inter-communaux de l'île s'en sontdonnés à cœur joie.

Le 30 avril, l'élection du prési-dent du Syndicat mixte inter-communal de l'aménagement deMayotte (Smiam), organisme ôcombien important en terme debudget -il construit les écoles pri-maires et les équipements spor-tifs de l'île-, a ainsi prêté le flan àtoutes les tractations. Deux can-didats visaient la présidence :Issihaka Abdillah, ancien direc-teur de cabinet du président duConseil général Saïd Omar Oili,et Ahmed Madi, ancien maire deBouéni soutenu par la majoritéactuelle de l'assemblée départe-mentale. Le terme "soutenu" estcependant bien faible au vu despratiques déployées pour le faireélire. De nombreuses pressionsont ainsi été exercées sur lesdélégués -un conseiller munici-pal par commune et quatre repré-sentants du Conseil général- duSmiam. Pressions économiques :plusieurs délégués affirmentavoir été appelés -si ce n'est har-celés- par des entrepreneurs de

leur commune pour voter Madi.Pressions professionnelles : undélégué d'une communeemployé par une autre municipa-lité s'est vu demander par sonemployeur de voter Madi, souspeine de sanctions. Pressions,enfin, politiques : le cabinet duprésident Douchina n'a pas hési-té à menacer les communes quivoteraient "mal" d'être placéessous la tutelle de la collectivitédépartementale. Il faut dire quele membre du cabinet en chargedu dossier ne porte guèreIssihaka dans son cœur, lui quilui a succédé au cabinet deOili… Pis : un délégué (celui deKoungou) acquis à la caused'Issihaka, a subitement disparule matin du vote... remplacé aupied levé par son suppléant, jugéplus malléable.

L'adversaire de Madi n'a cepen-dant pas été en restes. Ses parti-sans l'ont également "active-ment" soutenu. Si bien que lamère d'un délégué acquis à lacause de Madi a cru bon de venir,le matin du vote, au siège duSmiam… pour exhorter son fils àvoter Issihaka ! Arrivés à onze(soit la majorité) le matin en bus,les pro-Madi se sont retrouvés àdix, et ont perdu la présidence !Un rude coup pour le cabinetprésidentiel, qui avait déjà perdu,deux semaines plus tôt, la prési-dence du Syndicat intercommu-nal de l'eau et de l'assainissementde Mayotte -autre budget colos-sal-, après un travail "très inten-se" de lobbying de la part du pré-sident sortant -et réélu- MadiAhamada. La vérité des urnes !RC

Après le départ de l’AND,Mwali compte ses sous

Après les semaines d'effervescence qui ont précédé l'in-tervention militaire à Ndzuani, à Mwali, les commer-çants comptent leurs sous… mais aussi les crédits nonréglés. Les soldats, les journalistes, les hommes poli-tiques, les "réfugiés" et tous ceux qui gravitaient autourde l'armée, installée sur l'île d'où a été lancée l'opération,sont partis du jour au lendemain. Maik, un petit restau-rateur installé sur la place du marché, fut la première per-sonne à constater que ses clients n'étaient plus au rendez-vous matinal. "D'habitude, je reçois 30 à 40 personnes parjour, mais depuis qu'on parlait de débarquement, ma clientèleétait passée à plus de 100 par jour, et celle-ci était surtout consti-tuée des civils anjouanais qui avaient fait le déplacement, soitforcés, soit volontaires pour aider les militaires", explique-t-il."Lorsque le 24 avril à 7h30 je n'ai pas vu ceux qui prenaient lecafé, je me suis dit : soit ils sont partis, soit ils ont beaucoup detravail…" Effectivement, le "débarquement" aura lieu lelendemain. Durant cette période, Maik a engrangé desbénéfices "comme je n'en ai jamais réalisé pendant ma carriè-re de restaurateur".

Said Abdou, revendeur des cartes téléphoniques àFomboni, a eu tant de clients "militaires, surtout les étran-gers", qu'en "l'espace de quelques jours j'ai fait un bénéfice de200.000 fc [400 euros, ndlr], c'est plus que ce que j'avais gagnéen presque une année." Cependant, "j'ai aussi un cahier avec lescrédits des gens que je connais, car ils en profitaient pour m'ame-ner des client et demander crédit : sous les yeux des étrangers, je nevoulais pas refuser, pour ne pas que les Mohéliens aient l'air de nepas s'aimer entre eux !"

Quand aux habitants du village d'Itsamia, dont le siègeassociatif, la Maison de la tortue, avait été réquisitionnépour y établir le centre de commandement militaire, ilsdéplorent la casse d'une partie du mobilier de l'association.Depuis, la très glorieuse Armée nationale de développe-ment ne s'est pas manifestée pour réparer !

Daan-Ouni Msoili

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29kashkazi 72 mai 2008

no comment

“Alors que le Mahorais offraitson hospitalité sans limite,l'Anjouanais clandestin s'organi-sait pour détruire Mayotte.”

Daniel Zaïdani, au nom du collectif de la société civile,le 6 avril à Mamoudzou, lors de la manifestation contre lesémeutes du 27 mars.

“Il est triste de voir qu'on n'arriveplus à distinguer une jeune fillecomorienne d'une étrangère.”

Miftahou Abdou, secrétairegénéral du ministère en chargedes affaires islamiques del'Union, le 17 avril.

“Aujourd'hui, nous avons apporté la preuve de manièreéclatante au gouvernement français que les jeunes mahoraissont capables de s'entendre pourpoursuivre la voie de nosanciens.”

Abdoulatifu Aly, député deMaore, après le vote à l’unanimité par les conseillersgénéraux de la résolutiondemandant au gouvernementfrançais d’organiser une consultation sur la statut dedépartement, le 18 avril.

“On ne peut pas imaginer que Mayotte soit victime pluslongtemps de cette attitude quin'est pas acceptable de l'Uniondes Comores, nous sommesaujourd'hui en situation de tension extrême.”

Yves Jégo, secrétaire d’Etat français à l’Outremer,le 24 avril.

"Je devine que Mohamed Bacaret son frère bénéficieront de cegrand boulevard que leur ouvrel'Etat français.”

Mourad Saïd Ibrahim,ministre comorien de la Justice, la 24 avril.

“Désormais, les Mahorais, lesélus de Mayotte, seront associésau travail diplomatique [de laFrance], s'il faut aller à l'OUA,s'il faut aller à l'ONU ou auprèsd'autres Etats et institutionsinternationales, pour que lesMahorais expriment eux-mêmesleur voix…"

Ibrahim Soibahaddine,sénateur de Maore, dansMayotte Hebdo.

"Que celui qui croit à ma politique me suive que celui qui s'y oppose lève la main."

Ahmed Abdallah Sambi,le 27 avril à Mutsamudu.

“A la réflexion, je crois que nousdevons arrêter de donner del’importance aux déclarations duchef de l’Union des Comores etprétentions sur Mayotte.”

M’hamadi Abdou, premiervice-président du Conseil général, dans Mayotte Hebdo.

Covoiturage passifON ÉTAIT JUSQU'ICI presque habitués,aux Comores, à voir les véhicules del'Etat utilisés lors des campagnes élec-torales. Mais depuis son arrivée à latête de l'antenne publique RadioComores, Youssouf Ali Ibouroi a inau-guré de nouvelles pratiques. Nommé ily a un peu plus d'un an en raison de sapopularité à Mkazi, un grand villagede la région du Bambao dont le sou-tien semblait indispensable au pouvoirde Sambi lors de l'élection présiden-tielle de Ngazidja, le directeur a eneffet décidé de récompenser les habi-tants du bourg. Comment ? Tout sim-plement en mettant à leur service lesdeux minibus censés ramasser lesdizaines d'employés des médiasaudiovisuels publics. Désormais, lepersonnel doit partager ses seulsmoyens de locomotion avec lesjoueurs de l'équipe de football deMkazi. Lorsque cette formation, quiévolue en première division, a unmatch, l'Office de la radio et de la télé-vision des Comores (ORTC) doit amé-nager ses programmes de manière àlibérer les véhicules au profit des jeu-nes de Mkazi. Comme ceux-ci, aprèsavoir joué, doivent aussi se détendre,le directeur a également envoyé, ven-dredi 25 mars, les bus de l'ORTC lesconduire à un bal organisé par RadioOcéan Indien. On dit merci qui ?

“Cachez ce maillot”L'AMBIANCE DOMINICALE sur la plaged'Itsandra, l'une des plus belles deNgazidja située à une dizaine deminutes de la capitale, où les jeuness'amusent chaque semaine jusqu'à lanuit tombée, a tourné à l'affrontementle 27 avril entre les jeunes et les nota-bles. A l'origine de ces heurts sansprécédent dans l'histoire de cette"ville noble" de l'île, la décision unila-térale des notables d'interdire l'accèsdes femmes à la plage. "La présencede plus en plus de femmes en maillotde bain à proximité des lieux de priè-re et du mausolée de Cheikh BinSumet, une grande figure spirituelle,heurte la culture comorienne et lamorale musulmane" affirment les par-tisans des notables. Pour les jeunes dela ville, "interdire aux femmes d'accé-der à la plage, c'est réduire la fré-quentation du site". Et pas réduire lechamp des libertés ?

"On vient me chercher des poux dansla tête pour des événements qui se sontdéroulés il y a 11 ans. Pourquoi dansce cas ne remonterait-on pas à l'é-poque de Moïse ?"

Ainsi s'interrogeait le 21 avril le "baron"de Lasbadias dans la cour du palais deJustice de Moroni, où il venait commechaque jour depuis une semaine "pointer"dans le cadre de sa liberté conditionnelle.Dans l'attente de son jugement, ce quinqua-génaire d'origine française, qui se déclaraitde nationalité "anjouano-comorienne" -unenationalité qui n'existe pas- disait ne récla-mer aucun soutien particulier de la part del'ambassade de France à Moroni. "Etantsoumis à la loi comorienne en tant quecitoyen de l'Union des Comores, je n'aibénéficié à ma connaissance d'aucunappui de la part de l'Ambassade, à laquel-le je n'ai personnellement rien demandé.Les faits pour lesquels j'ai été incarcéré, àtort ou à raison, ne relèvent que de maseule et unique responsabilité. J'en assu-merai donc seul les conséquences avec laplus grande confiance en la justice de notrepays" affirmait le "sultan blanc", comme ilfut surnommé à Ndzuani, en parlant de lajustice comorienne.

Les Comores attirent parfois de drôlesd'oiseaux, en quête de territoires où leursidéaux, qui semblent avoir atteint la date depéremption sous leurs cieux d'origine,pourraient se fondre dans le paysage. "Onm'a prédit que je serais le porte-drapeaud'un pays entouré d'eau", nous confiait-ill'année dernière 1. Toujours est-il que dès1997, ce petit homme efflanqué transféraitsur Ndzuani ses rêves sécessionnistesemprunts de royalisme, en se mettant auservice du régime séparatiste -il avait étémis en contact avec Abdallah Ibrahim parle docteur Zaïdou, à la Réunion. "Nousavons pensé faire, mon fils et moi, ce que

nous ne pouvions pas faire pour notre pays,l'Occitanie où, en 1273, ont été brûlés lesderniers Cathares", expliquait-il en 2007."Cela remonte à 1.000 ans, il s'agit d'unvieux fondement familial, un attachementpersonnel et intime au passé qui fait quenous sommes des sympathisants actifs detoutes les causes séparatistes [dans lemonde]", poursuivait-il avant de proposerle retour au régime des sultans.

Le rêve semble aujourd'hui terminé.Après avoir passé quinze jours de garde àvue à l'aéroport de Ouani, à Anjouan,"Jean-Louis Victor Alexandre Gayout deFalco de Puyraveau-Puybereau de Migloset Casteldiai, XVe Baron-Seigneur et Royde Lasbadias", ou encore Jean-LouisGayout pour l'état-civil, ou bienAbousseine, son surnom adopté après saconversion à l'Islam, a été inculpé pour"atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat". "Ilest bien précisé qu'il s'agit de faits remon-tant aux années 1997-1998", précisait-il aumois d'avril. Au contraire des gendarmesanjouanais transférés à Moroni la mêmesemaine que lui vers le camp militaire, "jen'ai pas pris les armes contre l'armée loya-le. C'est pour cela que je bénéficie d'un sta-tut particulier".

Lasbadias est cependant l'une des rarespersonnalités séparatistes poursuivies parla justice pour des faits remontant à plus dedix ans. "Des faits que nous avions suppo-sés amnistiés après la signature des

accords de Fomboni marquant la réconci-liation nationale", s'étonne-t-il. "J'affirmeque depuis cette époque, je n'ai jamais faitpartie ni de près ni de loin, d'aucun desgouvernements qui se sont succédés àAnjouan que ce soit sous l'autorité du lieu-tenant-colonel Abeid et sous les deux pré-sidences du colonel Bacar. Je n'ai faitdepuis ce temps là qu'assumer mes devoirset exercer mes droits de simple citoyenanjouano-comorien. J'ai été participantactif du mouvement séparatiste, mais j'é-tais sous les ordres de mes chefs directs, leprésident Abdallah Ibrahim et le premierministre Chamasse ben Saïd Omar."

Les ennuis du "baron" ne s'arrêtentcependant pas là : dans la semaine du 21avril, il était refoulé des Comores vers laRéunion. Selon son avocat, Me Mzimba,ce sont les nouvelles autorités de Ndzuaniqui ont appelé le Parquet de Moroni pourdemander son expulsion. Le Parquet auraità son tour saisi les services d'immigrationpour exécuter la décision. Lorsque nous luiavions demandé, quelques jours avant sonexpulsion, s'il pensait que l'Union desComores accepterait de considérer la natio-nalité qui lui a été accordée par l'Etatanjouanais de 1997 -un Etat non reconnu-il s'était montré optimiste : "Je suis como-rien. Je suis propriétaire de terres àAnjouan. Je suis marié avec une femmecomorienne depuis neuf ans. J'ai ma cartede vote." Ses propriétés foncières joueront-elles en sa faveur ? On peut en douter, d'au-tant plus que la maison dans laquelle ilhabitait à Domoni lui avait été attribuée pardécret par le pouvoir séparatiste "jusqu'àson départ d'Anjouan". Les avocats deLasbadias annoncent cependant son retoursur Moroni d'ici un mois.

FA et LG

1 Lire Kashkazi n°66, septembre 2007

Le “Roy” Lasbadias en disgrâce à la Réunion

le chiffre qui tue

5151 gradés des Forces de gendarmerieanjouanaise, arrêtés lors de l'interven-tion militaire à Ndzuani ont ététransférés au milieu du mois d'avrilvers Moroni, en raison de la surpopu-lation carcérale à la prison de Koki,selon les autorités militaires. AMoroni, le procureur de laRépublique s'étonne de cette décisionprise alors qu'aucune action judiciai-re n'avait été engagée, et se demandes'il est judicieux "pour des faits qui sesont déroulés à Anjouan, avec des auteursanjouanais qui y sont domiciliés", d'or-donner ce transfert.

“Je suis comorien.Je suis propriétaire de

terres à Anjouan.”

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kashkazi 72 mai 200830

n d z u a n iune normalisation lente et difficile

Un peu plus d'un moisaprès l'intervention militairedu 25 mars dernier, Ndzuaniretrouve une certaine sérénité.L'arrestation des membres dugouvernement de Bacar, de sesprincipaux partisans ainsi que de laquasi-totalité des Forces de la gendarmerieanjouanaise (FGA), a fait baisser la tension despremiers jours. Bien que limités, les dégâts collaté-raux ont laissé quelques traces dans certains villagescomme à Barakani, où la résidence du colonel Bacara déjà l'apparence d'une ruine. Aucun nouveau cas dereprésailles sur des personnes n'a été signalé. Signe decet apaisement, une partie des 1.500 hommesdéployés sur l'île fin mars, a été retirée, laissant surplace un peu plus de 500 soldats qui assurent les opé-rations de sécurisation. Le commandement del'Armée nationale de développement (AND), confiéau capitaine Combo, a pris ses quartiers à Sangani.Les insignes de la gendarmerie anjouanaise sont reti-rés et remplacés par ceux de l'Union. Sur les routes, lacirculation a repris son rythme normal après l'arrivéed'un stock de carburant qui a ramené les prix à leurniveau d'avant la flambée.

Ce retour progressif à la normale ne signifie pas lafin de la phase de sécurisation. Les points de contrôlesont maintenus aux entrées des principales agglomé-rations. Allégés dans la journée, ils sont renforcés lanuit. Dans la région de Bambao Mtsanga jusqu'au suddu Nyumakele, sous contrôle des troupes soudanai-ses, les fouilles des véhicules ont été multipliéesdepuis la découverte le 10 avril dernier de deux per-sonnes en possession d'armes à l'intérieur d'un mini-bus. Les militaires qui avaient dressé des check-pointstous les 15 km, passent au peigne fin tous les bagagesdes passagers et ne laissent passer que ceux munis

d'une pièce d'identité. Une intensification de la sur-veillance qui suscite quelques frictions. "Ce qui nousdérange, ce n'est pas le fait que ces militaires nouscontrôlent, c'est leur droit. Mais c'est lorsqu'on netrouve plus cette liberté de circuler librement pendantla nuit", regrette Farid, originaire de BambaoMtsanga. Beaucoup de jeunes ont été contraints depasser la nuit dans une brigade, faute d'avoir sur euxleur carte d’identité ou de pouvoir s'expliquer face àdes soldats soudanais ne parlant que l'arabe.

La situation est moins tendue à Domoni, où lesSoudanais sont un peu chez eux depuis l'accueil tri-omphal qui leur a été réservé à leur arrivée dans laville, le 25 mars. Postés aux entrées nord et sud de laville, où ils passent la nuit sous des tentes, ils sont sol-licités pour régler de menus problèmes. Bien intégrés,ils assurent la sécurité des manifestations publiques etsont présents sur les stades lors des compétitions.Dans cette ville d'où partent de nombreux kwasa àdestination de Maore, les soldats soudanais assurentune mission de gendarmerie maritime en interceptantles barques chargées de passagers. En deux semaines,ils ont intercepté deux embarcations avec leurs pro-priétaires. Ce climat de convivialité ne leur fait pasoublier qu'on ne doit pas sortir ou entrer dans la villesans présenter sa pièce d'identité. De même, les pro-priétaires des maisons réquisitionnées pour loger cessoldats, ne cessent de réclamer des loyers qu'ils ontdu mal à percevoir.

Dans le Nyumakele, le premier barrage de contrôlese situe au carrefour qui mène vers Mremani etMoya. Une maison en construction sert de brigade.En descendant un peu plus loin, c'est dans les ancienslocaux du service agricole de Mremani que se trouvele second poste. Dans ces lieux retirés, les Soudanaistravaillent avec un ou deux militaires de l'Arméenationale de développement.

Le secteur de Mutsamudu et la région de Simasont eux sous contrôle des troupes tanzaniennes et del'armée comorienne. Si la zone de Sima-Moya préoc-

cupe visiblement peu les forces coalisées qui n'yavaient pas déployé d'hommes le jour du débarque-ment, le secteur Mutsamudu-Ouani-Patsy reste lepoint névralgique de ce dispositif militaire. Outre lefait que le président par intérim réside à Ouani et quele gouvernement transitoire siège à Patsy, la présencede près de 500 prisonniers à la maison d'arrêt deKoki, située dans le secteur, justifie cette concentra-tion de forces dans ce périmètre. Les troupes tanza-niennes, qui avaient seules la charge de la prison, ontété rejointes par des soldats de l'AND depuis ladécouverte de téléphones cellulaires qui permettaientà certains prisonniers civils d'entrer en contact avecl'extérieur, affirme une source associative.

La prison de Koki, qui n'est pas conçue pouraccueillir autant de monde, est surpeuplée, ce quipose des problèmes de prise en charge et de sécuri-té. Certains incidents ont été d'ailleurs signalés,comme le cas de ce soldat de Bacar “agressé àl'intérieur de la maison d'arrêt par un visiteur quis'est présenté comme membre de la famille qui luiapportait à manger, alors qu'il cherchait à se ven-ger", indique un proche des autorités insulaires.C'est également pour des "motifs sécuritaires" quel'état-major de l'AND a décidé de transférer 51officiers des forces anjouanaises à Moroni où ilssont gardés au camp militaire de Kandani. En plusde la garde de ces détenus et de la gestion des visi-tes des familles, les conditions de détention danscet établissement se dégradent. Les consultationsrégulières assurées par des médecins militaires tan-zaniens et comoriens, n'empêchent pas de nom-breuses hospitalisations. Ainsi, 179 personnes souf-frent d'hémorroïdes sur les 275 cas traités.

Pour réduire le nombre des détenus, un procu-reur et un juge d'instruction ont été nommés pourinstruire leurs dossiers. Mais alors qu'aucune infor-mation judiciaire n'a été ouverte, M. Maadhui, leprocureur par intérim nommé il y a un peu plus de

deux semaines, a mis en liberté 52 civils. Unedécision qui a soulevé un tollé dans la rue et parmicertains responsables de l'Union, qui critiquent leschoix du magistrat. "Ma mission" dit-il, “est defaire respecter la procédure judiciaire en mettanten liberté tous ceux contre lesquels il n'y a pas decharges justifiant leur internement", s'est défendule représentant du ministère public.

"La gestion des prisonniers et la perspective de l'é-lection du président de l'île probablement à la fin dumois de juin, sont deux facteurs de tensionsactuelles", observe Abdoulatuf. Le responsable de laFondation comorienne des droits de l'homme(FCDH) s'inquiète de la précipitation mise à organiserun scrutin de ce niveau, "tant que les conditions desécurisation ne sont pas réunies". Selon lui, "les liti-ges électoraux pourraient fragiliser la normalisationen cours, surtout que celle-ci doit être terminée avantle déploiement de la Maes [Mission d'assistance élec-torale et de sécurité, ndlr], seule force qui sera habili-tée à se déployer pour assurer la sécurisation durantla période électorale".

S'il est vrai qu'aucun incident majeur n'est venucontrarier le dispositif de sécurisation mis en placedepuis que les troupes de la coalition contrôlent l'île,la prudence est de mise. Le président Sambi en visitele 27 avril à Ndzuani, a confié publiquement qu'il n'é-tait pas encore autorisé par sa sécurité à se déplacer àl'intérieur de l'île. Sans doute pas avant que la phasede ramassage des armes déclenchée depuis deuxsemaines ne soit terminée. Quelques unes d'entre ellesseulement ont été saisies dans la zone de Mutsamudu-Mirontsy, a fait savoir un membre de la Fondationdes droits de l'homme. Vendredi 2 mai, c'est le fief ducolonel Bacar qui a été passé au peigne fin par uneéquipe de l'AND. L'opération, qui a duré plus de huitheures, n'a pas permis de découvrir des armes, mais adévoilé un important mobilier administratif qui a faitl'objet d'une saisie.

KES et NEP

in situUn pro-Bacar, le 26 mars,entouré de soldats de lacoalitionAND/UA.

(PHOTO AFP)