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3 e JOURNEE DES DROITS DE LA CONSOMMATION ET DE LA DISTRIBUTION BLOCKCHAIN ET SMART CONTRACTS – DEFIS JURIDIQUES

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3e JOURNEE DES DROITS DE LA CONSOMMATION ET DE LA DISTRIBUTION

BLOCKCHAIN ET SMART CONTRACTS – DEFIS JURIDIQUES

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3e JOURNEE DES DROITS DE LA CONSOMMATION ET DE LA DISTRIBUTION

BLOCKCHAIN ET SMART CONTRACTS – DEFIS

JURIDIQUES

Edité par Blaise Carron et Christoph Müller

CEMAJ, Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel

Helbing Lichtenhahn

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www.unine.ch/droit

Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek

La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche

Nationalbibliografie ; les données bibliographiques détaillées peuvent être

consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.d-nb.de.

Tous droits réservés pour tous pays. L’œuvre et ses parties sont protégées par

la loi. Toute utilisation en dehors des limites de la loi est strictement interdite et

requiert l’accord préalable écrit des éditeurs.

ISBN 978-3-7190-4181-6

© 2018 Helbing Lichtenhahn, Bâle, CEMAJ, Faculté de droit de l’Université de

Neuchâtel, Neuchâtel

www.helbing.ch

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Préface

La troisième journée des droits de la consommation et de la distribution met l’accent sur les Smart Contracts fondés sur des blockchains. Le présent ouvrage rassemble trois contributions combinant analyse scientifique et considérations pratiques sur ces sujets d’actualité.

Les deux premières contributions (B. Carron et V. Botteron, d’une part, et C. Müller, d’autre part) examinent comment le droit des obligations peut appréhender ce nouveau phénomène technologique de contrats capables de s’exécuter (et même de se conclure) automatiquement. Ces deux contributions analysent les contrats intelligents par rapport à toutes les problématiques traditionnelles du droit des obligations, telles que la conclusion, la validité, l’exécution et l’inexécution des contrats. La troisième contribution (D. Hug) est consacrée plus spécifiquement à la protection du consommateur face aux nouvelles technologies de la conclusion et de l’exécution des contrats.

La Faculté de droit, le CEMAJ et les éditeurs scientifiques de cet ouvrage tiennent à remercier les auteurs, les conférenciers et les participants à la journée du 30 novembre 2018, ainsi que Mesdames Sylvia Staehli et Anouk Gillabert, secrétaires à la Faculté de droit, pour la relecture des textes, l’élaboration du manuscrit et l’organisation de la journée.

Blaise Carron et Christoph Müller

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Sommaire

BLAISE CARRON et VALENTIN BOTTERON Le droit des obligations face aux « contrats intelligents » : Blockchain, Smart Contracts et contrats de droit suisse 1

CHRISTOPH MÜLLER Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse 51

DARIO HUG La protection du consommateur face aux nouvelles technologies de la conclusion et de l’exécution des contrats 115

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Abréviations

a ancien(ne)

AnwBl Anwaltsblatt

art. article(s)

BGB Bürgerliches Gesetzbuch

BK Berner Kommentar

c. considérant

c.-à-d. c’est à dire

CC Code civil suisse du 10 décembre 1907 (RS 210)

cf. confer

CL Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, conclue à Lugano le 30 octobre 2007 (RS 0.275.12)

CO Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (Livre cinquième : Droit des obligations) (RS 220)

comp. comparer

CP Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (RS 311.0)

CPC/ZPO Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (RS 272)

CR Commentaire romand ou Computer und Recht

Cst. Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101)

DAO Decentralized Autonomous Organization

DLT Distributed Ledger Technology

édit. éditeur(s)

EF Expert Focus

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Abréviations

X

ég. également

etc. et cetera

ex. exemple(s)

i.e id est

InTer Zeitschrift zum Innovations- und Technikrecht

IoT Internet of Things

LCC Loi fédérale du 23 mars 2001 sur le crédit à la consommation (RS 221.214.1)

LDIP Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (RS 291)

LP Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et faillite (RS 281.1)

aLFors Loi fédérale du 24 mars 2000 sur les fors en matière civile (Loi sur les fors, aRS 272)

LVF Loi fédérale du 18 juin 1993 sur les voyages à forfait (RS 944.3)

n. note de bas de page

N numéro(s)

ndbp note(s) de bas de page(s)

not. notamment

NZZ Neue Zürcher Zeitung

p.ex. par exemple

réf. référence(s)

RDS Revue de droit suisse

RO Recueil officiel du droit fédéral

RS Recueil systématique du droit fédéral

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Abréviations

XI

SC Smart Contract(s)

SCSE Loi fédérale du 18 mars 2016 sur les services de certification dans le domaine de la signature électronique et des autres applications des certificats numériques (Loi sur la signature électronique, RS 943.03)

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Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse

par

Christoph Müller

Professeur à l’Université de Neuchâtel1

I. Introduction .................................................................................................. 53

A. La notion de « Smart Contracts » ........................................................ 54

B. Le fonctionnement des « Smart Contracts » et de la blockchain .............................................................................................. 55

C. L’analogie avec le distributeur automatique ....................................... 60

D. Les applications possibles .................................................................... 62

E. Les forces et faiblesses des « Smart Contracts » ................................ 64

F. Le « Smart Contract » comme moyen d’exécuter et de conclure un contrat .............................................................................. 68

II. La manifestation de la volonté des parties à travers le « Smart Contract » ...................................................................................... 69

A. Bref rappel théorique............................................................................. 70

B. La transmission de la manifestation de volonté et les forks ............ 72

C. L’imputation des manifestations de volonté générées par le « Smart Contract » ............................................................................ 76

1. Le problème ......................................................................................... 76

2. La position restrictive .......................................................................... 78

3. La position libérale .............................................................................. 80

4. La solution intermédiaire .................................................................... 80

1 Je remercie Me Vincent Mignon, LE/AX Avocats Sàrl, Neuchâtel, pour ses

précieux conseils concernant les aspects technologiques de cette contribution. Je tiens également à remercier Me Julitte Schaller, assistante-doctorante à l’Université de Neuchâtel, pour la relecture du manuscrit et l’épuration consciencieuse de l’appareil critique.

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Christoph Müller

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D. La validité formelle des manifestations de volonté générées par le « Smart Contract » ..................................................... 84

1. Le problème ......................................................................................... 84

2. L’équivalence fonctionnelle ............................................................... 86

E. La validité matérielle des manifestations de volonté générées par le « Smart Contract » ..................................................... 90

F. L’interprétation des manifestations de volonté générées par le « Smart Contract » ..................................................................... 90

III. Les vices du consentement...................................................................... 92

IV. Autres modifications ultérieures du contrat exécutable par « Smart Contract » ............................................................................... 94

V. Le paiement par actif cryptographique ................................................... 94

A. Les notions de prix et de loyer ............................................................. 95

B. L’actif cryptographique comme moyen de paiement d’une dette d’argent .............................................................................. 96

C. Conséquences pour le régime légal applicable aux « Smart Contracts » ............................................................................................. 99

VI. Le « Smart Contract » comme conditions générales d’affaires ........ 101

VII. Conclusions ............................................................................................ 105

Bibliographie .................................................................................................. 107

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Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse

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I. Introduction

1. Il est difficile de nos jours d’ouvrir un journal sans être assailli par le vocabulaire d’une nouvelle technologie. Blockchain, smart contracts, initial coin offering, token, distributed ledger, oracles, decentralised applications et decentralised autonomous organisations n’en sont que quelques exemples. A la base de ce nouveau monde se trouve la technologie de la blockchain qui est appelée à révolutionner bon nombre de domaines de notre économie dans un avenir proche. D’après le World Economic Forum, en 2027, environ 10% du produit intérieur brut mondial seront ainsi enregistrés sur des technologies basées sur la blockchain2.

2. La technologie de la blockchain permet aux « Smart Contracts » d’exploiter tout leur potentiel. Les « Smart Contracts » sont des programmes informatiques permettant la conclusion et l’exécution automatique de contrats. Un tel déroulement du contrat sans intervention humaine pose le droit (privé) devant des problématiques nouvelles que cette contribution se propose d’examiner.

3. Il s’agira dans un premier temps d’expliquer les phénomènes des « Smart Contracts » et de la blockchain (cf. N 4 ss ci-dessous). Il s’agira ensuite d’examiner comment les parties peuvent manifester leurs volontés par le biais du « Smart Contract » (cf. N 44 ss ci-dessous) en mettant l’accent sur la question épineuse de l’imputation des manifestations de volonté générées automatiquement par le « Smart Contract » (cf. N 57 ss ci-dessous). La validité formelle et matérielle de ces manifestations ainsi que leur interprétation seront examinées par la suite (cf. N 76 ss ci-dessous). Les vices du consentement (cf. N 93 ci-dessous) et d’autres modifications ultérieures du contrat exécutable par « Smart Contract » (cf. N 100 ss ci-dessous) formeront les chapitres suivants. Pour finir, cette contribution analysera le paiement par actif cryptographique (cf. N 102 ss ci-dessous) et le « Smart Contract »

2 World Economic Forum, Deep Shift, Technology Tipping Points and Social

Impact, Survey Report 2015, p. 24 (http://www3.weforum.org/docs/WEF_ GAC15_Technological_Tipping_Points_report_2015.pdf ; dernière consultation le 11.09.2018).

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comme conditions générales d’affaires (cf. N 116 ss ci-dessous), avant de conclure (cf. N 123 ss ci-dessous).

A. La notion de « Smart Contracts »

4. L’idée des « Smart Contracts » (« contrats intelligents ») a été développée au milieu des années 1990 par l’informaticien américain NICK SZABO3. Pour cet auteur, le « Smart Contract » était un ensemble de clauses contractuelles traduites dans des programmes informatiques (software) d’une manière à ce que la partie qui violerait ces clauses contractuelles doive payer un prix élevé, voire prohibitif 4.

5. Aux Etats-Unis, différentes dispositions légales récentes tentent de donner des définitions plus modernes du « Smart Contract ». Ainsi, l’art. 47-10-201 al. 2 du Tennessee Code Annotated de mars 2018 définit le « Smart Contract » comme étant « an event-driven computer program, that executes on an electronic, distributed, decentralized, shared, and replicated ledger that is used to automate transactions, including, but not limited to, transactions that : (A) Take custody over and instruct transfer of assets on that ledger ; (B) Create and distribute electronic assets ; (C) Synchronize information ; or (D) Manage identity and user access to software applications »5. L’art. 44-7061 let. e al. 2 des Arizona Revised Statutes de mars 2017 prévoit que « Smart Contract » signifie « an event-driven program, with state, that runs on a distributed, decentralized, shared and replicated ledger and that can take custody over and instruct transfer of assets on that ledger »6.

6. Dans la présente publication, le terme « Smart Contract » désigne un programme informatique basé sur la technologie de la blockchain qui s’exécute de manière automatique lorsque certaines conditions sont

3 SZABO NICK, The Idea of Smart Contracts, 1997 (www.fon.hum.uva.nl/

rob/Courses/InformationInSpeech/CDROM/Literature/LOTwinterschool2006/szabo.best.vwh.net/idea.html ; dernière consultation le 11.09.2018).

4 SZABO (n. 3). 5 https://legiscan.com/TN/bill/SB1662/2017 (dernière consultation le

11.09.2018). 6 https://legiscan.com/AZ/text/HB2417/id/1497439 (dernière consultation le

11.09.2018).

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Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse

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réunies, qui a une structure décentralisée et qui est sécurisé par des moyens de cryptographie7.

7. Il ressort d’emblée de ces définitions doctrinales et légales que le terme « Smart Contract » est particulièrement mal choisi, étant donné qu’un « Smart Contract » n’est ni un contrat au sens juridique du terme, ni smart 8. Il n’est pas un contrat au sens juridique du terme, mais un programme informatique servant à la conclusion et l’exécution de véritables contrats (cf. N 27 ci-dessous). Le « Smart Contract » n’est pas non plus intelligent (smart). Au contraire, les « Smart Contracts » exécutent bêtement ce que leur créateur a programmé, mais ceci de manière très fiable (cf. N 23 ci-dessous). Le terme smart désigne donc plutôt la capacité du « Smart Contract » d’interagir de manière autonome avec d’autres applications, c’est-à-dire de se connecter avec elles et d’échanger avec elles des données9.

B. Le fonctionnement des « Smart Contracts » et de la blockchain

8. L’engouement actuel pour les « Smart Contracts » est intimement lié à l’essor récent de la technologie de la blockchain. Même si cette technologie n’est pas une condition sine qua non pour que des « Smart Contracts » puissent s’exécuter, elle permet à ces derniers de réaliser leur plein potentiel (cf. N 14 ci-dessous)10. C’est pourquoi cette

7 Voir aussi GLARNER ANDREAS/MEYER STEPHAN D., Smart Contracts in Escrow-

Verhältnissen, Jusletter 04.12.2017, N 18 ; MEYER STEPHAN D./SCHUPPLI

BENEDIKT, « Smart Contracts » und deren Einordnung in das schweizerische Vertragsrecht, recht 2017, p. 208 ; SCHULZ HAJO, Vertrag denkt mit, magazin für computer und technik (c’t) 23/2017, p. 108 s. ; DJAZAYERI ALEXANDER, Rechtliche Herausforderungen durch Smart Contracts, jurisPR-BKR 12/2016, Anm. 1 ; KAULARTZ MARKUS/HECKMANN JÖRG, Smart Contracts – Anwendungen und Blockchain-Technologie, Computer und Recht (CR) 9/2016, p. 618 ; SIMMCHEN CHRISTOPH, Blockchain (R)evolution : Verwendungs-möglichkeiten und Risiken, MultiMedia und Recht 3/2017, p. 164.

8 BUCHLEITNER CHRISTINA/RABL THOMAS, Blockchain und Smart Contracts, Revolution oder alter Wein in digitalem Schlauch ?, ecolex, Fachzeitschrift für Wirtschaftsrecht 1/2017, p. 6 ; MEYER/SCHUPPLI (n. 7), p. 208.

9 GLARNER/MEYER (n. 7), N 16 ; MEYER/SCHUPPLI (n. 7), p. 208. 10 JACCARD GABRIEL, Smart Contracts and the Role of Law, Jusletter IT 23.11.2017,

N 13 ; VOSHGMIR SHERMIN, Blockchains, Smart Contracts und das Dezentrale Web, Technologiestiftung Berlin, Berlin 2016, p. 14 (https://www.

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contribution traite dans un premier temps du fonctionnement des blockchains et dans un second temps uniquement des « Smart Contracts » basés sur la technologie de la blockchain.

9. La blockchain (un type de distributed ledger, DTL ; littéralement « livre de comptes distribué ») est un registre de données informatiques distribué sur un grand nombre d’ordinateur formant un réseau11. Le registre assure l’authenticité et l’exhaustivité des transferts de données (transactions) intervenant dans le réseau par un miroir redondant de l’ensemble des transactions sur tous les ordinateurs participant au réseau (peer-to-peer, P2P)12. Sur chacun des ordinateurs participant au réseau se trouve donc une copie conforme de l’ensemble des transactions qui ont été effectuées sur la blockchain. Les transactions sont empilées chronologiquement puis « hachées » au moyen d’un algorithme cryptographique afin d’en créer une empreinte numérique. En cas de modification à l’intérieur du bloc, cette empreinte numérique change et sera donc identifiée. Le bloc est ensuite validé pour être enregistré dans le registre. Ceci fait, il est passé à la création d’un nouveau bloc. L’empreinte cryptographique du bloc précédent est alors recopiée dans le bloc suivant et ainsi de suite pour former une chaîne (d’où le terme blockchain ou chaîne de blocs). Le concept de la blockchain est apparu pour la première fois en 2009 dans le contexte du projet Bitcoin qui se limitait encore à des transactions purement financières d’échange d’actifs cryptographiques, les bitcoins13.

technologiestiftung-berlin.de/fileadmin/daten/media/publikationen/170130_ BlockchainStudie.pdf ; dernière consultation le 11.09.2018) ; HECKMANN

JÖRN/KAULARTZ MARKUS, Selbsterfüllende Verträge, Smart Contracts : Quellcode als Vertragstext, magazin für computer technik (c’t) 24/2016, p. 138.

11 NAKAMOTO SATOSHI, Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System (http://bitcoin.org/bitcoin.pdf ; dernière consultation le 11.09.2018) ; VOSHGMIR (n. 10), p. 8.

12 CHOULI BILLAL/GOUJON FRÉDÉRIC/LEPORCHER YVES-MICHEL, Les Blockchains, De la théorie à la pratique, de l’idée à l’implémentation, St-Herblain 2017, p. 28 ss ; SCHULZ HAJO, Das macht Blockchain, magazin für computer technik (c’t) 23/2017, p. 102 ; KAULARTZ MARKUS, Die Blockchain-Technologie, Computer und Recht (CR) 7/2016, p. 474 ss.

13 NAKAMOTO (n. 11).

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Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse

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10. Chaque participant au réseau a la possibilité d’ajouter de nouvelles transactions à la blockchain. Pour ce faire, il dispose d’une clé publique et d’une clé privée. La clé publique donne la possibilité de générer une adresse unique (une sorte de numéro de compte) permettant de recevoir des transactions que d’autres participants ont effectuées sur la blockchain. La clé privée, qui génère la clé publique, permet de gérer ses propres transactions sur la blockchain. Pour effectuer une transaction, l’émetteur doit la signer avec sa clé privée et envoyer l’actif à l’adresse du destinataire14. Afin d’éviter que d’autres personnes (non autorisées) effectuent des transactions, chaque participant doit garder secrète sa clé privée qui lui sert donc de mot de passe pour effectuer des transactions sur le réseau.

11. Pour qu’une nouvelle transaction soit validée et ainsi durablement inscrite sur la blockchain, il faut que la majorité des ordinateurs participant au réseau la reconnaisse comme étant correcte (proof of work). Il s’agit donc de trouver un consensus décentralisé par rapport à chaque nouvelle transaction15. Dans le cas contraire, la transaction est refusée et ne sera pas inscrite sur la blockchain. Le protocole de la blockchain indique aux ordinateurs participant les « règles du jeu » pour la validation de transactions. Lorsque la blockchain est publique, chaque personne intéressée pourra télécharger ce protocole sur son ordinateur et ainsi participer au réseau. Par contre, lorsque la blockchain est privée (ou de consortium), une participation au réseau ne sera possible que sur « invitation » ou « autorisation » d’un ou de plusieurs participants.

12. Une fois enregistrée sur la blockchain, une transaction ne peut (quasiment) plus être modifiée ou supprimée sans que l’on s’en aperçoive. En effet, un bloc de données contient non seulement les données de la transaction en tant que telles, mais également un horodatage électronique (time stamp)16 et un résumé de tous les blocs

14 VOSHGMIR (n. 8), p. 13. 15 BUCHLEITNER/RABL (n. 8), p. 5. 16 L’article 2 let. i de la Loi sur la signature électronique (SCSE ; RS 943.03) le définit

comme étant « l’attestation que des données numériques déterminées existent à un moment précis ». Pour le fonctionnement des distributed ledgers, HANCOCK

MATTHEW/VAIZEY ED, Distributed Ledger Technology : beyond block chain, London 2016, p. 21 s. (https://assets.publishing.service.gov.uk/government/

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qui le précèdent dans la chaîne sous la forme d’une valeur de contrôle (valeur hash)17. La valeur hash sert de sécurité contre des modifications ultérieures, car elle permet de vérifier l’authenticité de la chaîne des transactions. Si les données d’un bloc étaient modifiées ultérieurement, la valeur hash changerait, ce qui serait instantanément détecté.

13. Plus un réseau a de participants et plus ceux-ci sont diversifiés, plus le système est fiable18. En effet, si des millions d’ordinateurs désintéressés et fonctionnant correctement vérifient simultanément une information donnée, la probabilité que cette information corresponde à la réalité confine à la certitude19. Pour qu’une transaction inscrite sur la blockchain puisse être modifiée ou supprimée, il faudrait que la majorité des participants y consentent. Il est donc possible en théorie d’inscrire des données inexactes sur la blockchain, mais cela requerrait un effort concerté et considérable de la majorité des participants au réseau.

14. Des interfaces (oracles) permettent de connecter un « Smart Contract » avec le monde extérieur20. Elles sont le lien avec des données provenant de l’extérieur du réseau, telles que celles fournies par un transporteur au sujet du statut de transport d’un livre21 : lorsque l’ordinateur du transporteur informe la blockchain de l’expédition (ou de la livraison) du livre, la blockchain déclenchera le paiement en faveur du vendeur. C’est seulement par le biais de telles interfaces que le « Smart Contract » est connecté à la « vie réelle » et peut ainsi développer tout son potentiel.

15. L’utilisateur final utilise un « Smart Contract » en règle générale à l’aide d’une application décentralisée (decentralized application, dApp).

uploads/system/uploads/attachment_data/file/492972/gs-16-1-distributed-ledger-technology.pdf ; dernière consultation le 11.09.2018).

17 CHOULI/GOUJON/LEPORCHER (n. 12), p. 32 s. ; SCHULZ (n. 12), p. 103. 18 VOSHGMIR (n. 10), p. 12. 19 RASKIN MAX, The Law and Legality of Smart Contracts, Georgetown Law

Technology Review 2017, p. 319. 20 Cf. https://www.ethereum-france.com/les-oracles-lien-entre-la-blockchain-et-le-

monde (dernière consultation le 11.09.2018). 21 CHOULI/GOUJON/LEPORCHER (n. 12), p. 162 s. ; SCHULZ (n. 12), p. 111 ;

HECKMANN/KAULARTZ (n. 10), p. 139.

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Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse

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De telles applications vont de la structure informatique située à l’arrière-plan du « Smart Contract » jusqu’à l’interface visible pour le client final. Elles s’exécutent également à l’aide d’une blockchain et utilisent un ou plusieurs « Smart Contracts »22. C’est à l’aide de telles applications décentralisées que les (futures) parties au contrat peuvent mettre en place leur propre « Smart Contract » qui leur permettra de conclure ou d’exécuter leur contrat (cf. N 27 ci-dessous). Les possibilités techniques du « Smart Contract » dépendent dès lors des fonctionnalités de l’application décentralisée à l’aide de laquelle l’utilisateur final a recours au « Smart Contract »23.

16. L’application décentralisée est à son tour basée sur une (ou plusieurs) plateforme(s). Le concepteur de la plateforme peut exploiter lui-même sa propre plateforme. Mais il peut aussi la mettre à disposition du grand public (open source). Dans cette deuxième hypothèse, l’infrastructure de la plateforme sert alors au concepteur de l’application comme infrastructure de base pour le développement de son application24.

17. La plateforme publique qui a eu le plus de succès à ce jour pour la mise en place de « Smart Contracts » est Ethereum, lancée en 201525. Sur la blockchain Ethereum, des particuliers peuvent, à l’aide du langage de programmation Solidity, créer leur propre « Smart Contract », en spécifiant par exemple leurs noms, leurs obligations respectives de paiement et de livraison ainsi que des délais26. Des « Smart Contracts » sur la blockchain Ethereum utilisent l’actif cryptographique de cette plateforme, à savoir l’Ether (ETH).

22 VOSHGMIR (n. 10), p. 14. 23 FURRER ANDREAS, Die Einbettung von Smart Contracts in das Schweizerische

Privatrecht, Revue de l’avocat 2018, p. 106. 24 BUCHLEITNER/RABL (n. 8), p. 7. 25 www.ethereum.org (dernière consultation le 11.09.2018) : « Ethereum » est une

« decentralized platform that runs smart contracts : applications that run exactly as programmed without any possibility of downtime, censorship, fraud or third party interference ».

26 TRÜEB HANS RUDOLF, Smart Contracts, in : Grolimund/Koller/Loacker/ Portmann (édit.), Festschrift für Anton K. Schnyder zum 65. Geburtstag, Zürich/Basel/Genf 2018, p. 729 ; HECKELMANN MARTIN, Zulässigkeit und Handhabung von Smart Contracts, NJW 8/2018, p. 505.

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C. L’analogie avec le distributeur automatique

18. Pour SZABO, le précurseur primitif du « Smart Contract » était le distributeur automatique. Selon cet auteur, le distributeur accepte des pièces et, par un mécanisme simple, libère le produit et rend la monnaie en fonction du prix affiché. Le distributeur permettrait ainsi la conclusion d’un contrat de vente avec n’importe qui : toute personne munie de pièces pourrait provoquer un échange avec le vendeur. Les produits et la monnaie conservés dans la machine seraient protégés d’éventuelles attaques par la caisse et d’autres mécanismes de sécurité27.

19. Du point de vue du droit suisse, l’installation d’un distributeur automatique représente une offre publique au sens de l’art. 7 al. 3 CO qui prévoit que « [l]e fait d’exposer des marchandises, avec indication du prix, est tenu dans la règle pour une offre »28. Le fait d’exposer des marchandises contenues dans un distributeur automatique représente donc une offre (« entre absents ») au sens de l’art. 5 CO29. En introduisant les pièces de monnaie correspondant au prix affiché ou en payant ce montant à l’aide d’une carte de crédit, le client accepte cette offre par un « acte indice de la volonté » (Willensbetätigung)30. Un acte indice de la volonté est une manifestation de volonté pour laquelle la partie qui exprime sa volonté par un acte concluant exécute cette volonté en la mettant simultanément en œuvre. La volonté se manifeste donc par son

27 SZABO (n. 3). 28 TF 2A.599/2004 du 7 juin 2005, c. 5.2 (machine à sous) ; KUT AHMET, in : Furrer

Andreas/Schnyder Anton K. (édit.), Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, Obligationenrecht, Allgemeine Bestimmungen, 3e éd., Zurich/Bâle/Genève 2016, art. 7 OR N 11 ; MÜLLER CHRISTOPH, Berner Kommentar zum Schweizerischen Obligationenrecht, Obligationenrecht, Allgemeine Bestimmungen, art. 1-18 OR mit allgemeiner Einleitung in das Schweizerische Obligationenrecht, Berne 2018, art. 7 N 69.

29 KUT (n. 28), art. 7 OR N 11 ; MÜLLER (n. 28), art. 7 N 69. 30 BÜRKE OTHMAR, Der Warenautomat im schweizerischen Recht, thèse St-Gall

1967, p. 33 ss ; MÜLLER (n. 28), art. 1 N 70 ; ELLENBERGER JÜRGEN, in : Palandt Bürgerliches Gesetzbuch mit Nebengesetzen, 75e éd., Munich 2016, § 145 BGB N 7.

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exécution31. L’acte indice de la volonté est particulièrement fréquent dans les transactions de la vie de tous les jours : dans le magasin avec libre-service, le client soumet son offre au magasin en présentant les marchandises choisies à la caisse ; la personne du vestiaire accepte l’offre du client de conclure un contrat de dépôt en prenant le vêtement tendu ; etc. S’il est raisonnablement possible de déduire d’un tel comportement la volonté de la personne de provoquer un effet juridique déterminé (Rechtsfolgewille ; cf. N 45 ci-dessous), il ne s’agit que d’un cas particulier d’une manifestation de volonté par actes concluants32.

20. Toutefois, si le distributeur automatique était effectivement le précurseur du « Smart Contract » et qu’il n’y avait donc pas de différence de principe entre les deux mécanismes, on pourrait tout simplement soumettre les « Smart Contracts » au régime juridique des distributeurs automatiques33. La différence fondamentale entre un « Smart Contract » et un distributeur automatique réside cependant dans le fait que ce dernier n’est automatique qu’à moitié. Seule l’exécution par le distributeur est automatisée, alors que celle du client implique des actions humaines (insérer une pièce de monnaie ou une carte de crédit et choisir un produit)34.

31 MÜLLER (n. 28), art. 1 N 47 ss. 32 MÜLLER (n. 28), art. 1 N 50. 33 Il faudrait alors également admettre que les « Smart Contracts » soient aussi vieux

que le droit romain lui-même. En effet, il semble que la première référence à un distributeur automatique se trouve dans l’ouvrage Pneumatika de Hero d’Alexandre, un ingénieur et mathématicien grec du premier siècle de notre ère. Son distributeur automatique acceptait des pièces de monnaie et dispensait de l’eau bénite dans des temples égyptiens : lorsqu’une pièce de 5 drachmes était déposée dans le distributeur, le levier ouvrait une valve qui laissait sortir une certaine quantité d’eau bénite. Le récipient continuait de se pencher avec le poids de la pièce de monnaie jusqu’à ce que celle-ci tombe, et à ce moment un contrepoids faisait remonter le levier et refermait la valve. Un distributeur automatique moderne est donc basé sur une technologie vieille de 2000 ans (SEGRAVE KERRY, Vending Machines : An American Social History, Jefferson 2002, p. 3 s.).

34 SAVELYEV ALEXANDER, Contract law 2.0 : « Smart » contracts as the beginning of the end of classic contract law, Information & Communication Technology Law, 26:2, 120 s. (https://doi.org/10.1080/13600834.2017.1301036 ; dernière consultation le 11.09.2018).

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D. Les applications possibles

21. Les applications possibles du « Smart Contract » sont multiples. Les « Smart Contracts » sont ainsi susceptibles de révolutionner d’innombrables domaines économiques et administratifs. En voici quelques exemples.

22. L’immuabilité du programme informatique permet aux « Smart Contracts » de trouver application dans toutes les situations dans lesquelles au moins une des parties au contrat doit pouvoir faire confiance à l’autre partie (ou aux autres parties) en vue de l’exécution de leurs obligations. Un acheteur peut ainsi commander un livre et consigner le prix, mais le « Smart Contract » ne transférera le prix au vendeur qu’au moment où l’acheteur aura reçu le livre (if « livraison du livre à l’acheteur = true, then exécution paiement du prix au vendeur »). Certaines plateformes Internet offrent déjà une protection similaire à l’acheteur, ce qui présuppose toutefois que l’acheteur ait confiance en l’exploitant de la plateforme. En plus, une telle protection a un prix pour l’utilisateur, que ce soit sous la forme de frais supplémentaires ou de la communication de ses données personnelles35. Le même argument de la protection de la confiance s’applique au voyageur qui réserve une chambre d’hôtel, lorsque le « Smart Contract » active la clé électronique pour ouvrir la porte de la chambre d’hôtel qu’au moment où la blockchain a enregistré le paiement de la nuitée en faveur de l’hôtelier. Les « Smart Contracts » permettent ensuite aussi de réagir de manière automatisée à une violation contractuelle : un « Smart Contract » peut ainsi verrouiller l’allumage d’une voiture dès que le preneur de leasing est en retard avec le paiement d’une redevance périodique. Les « Smart Contracts » permettent finalement aussi d’adapter le contenu du contrat en fonction de changements des circonstances : un « Smart Contract » peut ainsi déclencher l’envoi automatique d’une déclaration d’augmentation du loyer pour le cas où le taux hypothécaire de référence évolue dans une certaine mesure36.

23. La fiabilité, la rapidité et l’économicité des « Smart Contracts » (cf. N 7 ci-dessus) ouvrent également de nombreuses possibilités

35 HECKELMANN (n. 26), p. 504. 36 HECKELMANN (n. 26), p. 505.

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d’application à chaque fois qu’au moins une des parties au contrat doit pouvoir faire confiance à un intermédiaire (trusted third party). Traditionnellement, cette tierce personne gère ou vérifie de manière plus ou moins fiable les informations échangées entre les parties37. Les banques (qui souffrent déjà de la concurrence des FinTech) et les assurances en sont des exemples typiques38. D’autres applications possibles se trouvent dans les chaînes de distribution où les « Smart Contracts » pourraient rendre superflus certains intermédiaires (p.ex. grossistes) et garanties (p.ex. accréditif39) et en même temps assurer une meilleure traçabilité des produits distribués40. Un autre domaine qui pourrait subir une véritable révolution est celui de l’administration publique (eGovernment) et des notaires où les « Smart Contracts » pourraient considérablement simplifier la tenue de registres publics, l’octroi de certificats et de permis ainsi que la gestion et l’encaissement des impôts41. La comptabilité et la vérification des comptes (auditing) pourraient également être touchées en profondeur, car chaque transaction financière inscrite sur la blockchain pourrait servir de pièce comptable certifiée pour la comptabilité (analytique)42.

24. Des domaines économiques en plein essor tels que l’économie de partage ou l’Internet des objets43 pourraient également tirer profit des « Smart Contracts » :

25. Pour l’économie de partage (sharing economy), les objets de notre quotidien (appartements, voitures, machines à laver, vélos, tondeuses à gazon, etc.) pourraient bientôt être munis de serrures électroniques, ce qui permettra de partager l’utilisation de ces objets avec d’autres personnes via la blockchain44. Le projet américain Brooklyn Microgrid (micro-réseau d’électricité) est par exemple en

37 VOSHGMIR (n. 10), p. 8. 38 Pour les « Smart Contracts » dans les relations de dépôt fiduciaire, voir

GLARNER/MEYER (n. 7). 39 MÜLLER CHRISTOPH, Contrats de droit suisse, Berne 2012, N 3175 ss. 40 VOSHGMIR (n. 10), p. 22. 41 VOSHGMIR (n. 10), p. 21. 42 VOSHGMIR (n. 10), p. 22. 43 TRÜEB (n. 26), p. 729 s. 44 TRÜEB (n. 26), p. 729 s.

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train de développer un système qui permette à des voisins de vendre et d’acheter de l’énergie photovoltaïque produite sur leurs toits45.

26. Pour l’Internet des objets (Internet of Things ; IoT), un réfrigérateur programmé par exemple pour commander de manière automatique de la bière dès que la quantité en stock tombe en-dessous d’un seuil prédéfini, n’est rien d’autre qu’un contrat de fourniture de bière sous forme d’un « Smart Contract »46.

27. Les « Smart Contracts » permettent non seulement la conclusion et l’exécution de contrats bilatéraux (cf. N 7 ci-dessous)47. Par le biais d’une organisation autonome décentralisée (Decentralized Autonomous Organisation, Distributed Autonomous Organisation ; DAO), des contrats multilatéraux48 peuvent également profiter des « Smart Contracts »49. Une organisation autonome décentralisée est une organisation dont le contrat de société, les statuts et le règlement interne sont représentés par un « Smart Contract » qui s’exécute donc de manière automatique50 : une procédure de vote prédéfinie dans le programme permet de prendre des décisions à la majorité, ce qui déclenche automatiquement certaines actions également prédéfinies. Contrairement aux formes traditionnelles de sociétés, une DAO n’a ainsi pas besoin de direction ou d’administration51. Les DAOs étant la forme la plus complexe de « Smart Contracts », elles se trouvent encore au balbutiement de leur développement52.

E. Les forces et faiblesses des « Smart Contracts »

28. La force principale des « Smart Contracts » par rapport à l’exécution de contrats classiques est que les parties n’auront plus besoin de se

45 http://brooklynmicrogrid.com/ (dernière consultation le 11.09.2018). 46 HECKELMANN (n. 26), p. 504. 47 TERCIER PIERRE/BIERI LAURENT/CARRON BLAISE, Les contrats spéciaux, 5e éd.,

Genève/Zurich/Bâle 2016, N 335 ss, 345 ss. 48 MÜLLER (n. 39), N 74. 49 Pour l’appréhension juridique des DAOs en droit suisse, GYR ELEONOR,

Dezentrale Autonome Organisation DAO, Jusletter 04.12.2017, N 16 ss. 50 VOSHGMIR (n. 10), p. 14. 51 GYR (n. 49), N 8. 52 VOSHGMIR (n. 10), p. 14.

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faire confiance. Elles ne devront pas non plus faire confiance à des tierces personnes telles que des intermédiaires (banques, assurances, grossistes, comptables, notaires, fiduciaires, administration, etc.), ce qui leur permettra de rendre l’exécution de leurs transactions non seulement plus fiable, mais aussi meilleur marché et plus rapide53. A la place, les parties devront faire confiance au « Smart Contract », c’est-à-dire au fait que ce dernier soit programmé et fonctionne selon leur volonté commune, et aux autres participants au réseau54. Lorsque le « Smart Contract » prend en compte des informations venant du monde réel (cf. N 14 ci-dessus), les parties doivent en plus avoir confiance en le fait que ces informations correspondent à la réalité55.

29. De plus, les « Smart Contracts » garantiront à la fois une plus grande transparence et un plus grand anonymat :

30. La transparence (ou publicité) sera augmentée par le fonctionnement en réseau P2P, car chaque participant au réseau pourra consulter l’ensemble des transactions effectuées sur la blockchain, si celle est publique (cf. N 9 ci-dessus)56.

31. En même temps, l’anonymat des participants à la blockchain sera mieux préservé, car ceux-ci ne devront plus fournir leurs données personnelles pour avoir accès aux services des intermédiaires, comme c’est encore le cas de nos jours avec de nombreuses plateformes Internet (cf. N 22 ci-dessus). Comme une transaction ne nécessite pas d’autres informations qu’une adresse combinée avec un jeu de clés publique et privée (cf. N 10 ci-dessus), le

53 SWISS LEGALTECH ASSOCIATION, Data, Blockchain and Smart Contracts –

Proposal for a robust and forward-looking Swiss ecosystem, 27.04.2018, p. 38 (http://www.swisslegaltech.ch/wp-content/uploads/2018/05/SLTA-Regulatory-Task-Force-Report-2.pdf ; dernière consultation le 11.09.2018).

54 WEBER ROLF H., Smart Contracts : Vertrags- und verfügungsrechtlicher Regelungsbedarf ?, sic ! 2018, p. 293 ; WEBER ROLF H., Leistungsstörungen und Rechtsdurchsetzung bei Smart Contracts, Jusletter 04.12.2017, N 7 ; SAVELYEV

ALEXANDER (n. 34), p. 123. 55 BACINA MICHAEL, When Two Worlds Collide : Smart Contracts and the

Australian Legal System, Journal of Internet Law, vol. 21, n° 8, février 2018, p. 19. 56 BARBY ÉRIC, Smart contracts… Aspects juridiques !, Annales des Mines – Réalités

industrielles 2017, p. 78.

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participant n’aura donc pas besoin d’apparaître dans le réseau avec son vrai nom ou avec une identité vérifiée (ce qui pose toutefois en même temps un problème pour la conclusion d’un contrat par l’intermédiaire d’une blockchain ; cf. N 79 ci-dessous)57.

32. Plusieurs de ces forces sont en même temps des faiblesses des « Smart Contracts ».

33. Le fait que l’exécution d’un contrat basé sur un « Smart Contract » ne peut pas être arrêtée ou modifiée soulève toute une série de problèmes juridiques. Cette caractéristique des « Smart Contracts » empêche par exemple la prise en compte de vices du consentement dans la conclusion du contrat (cf. N 93 ss ci-dessous), l’interprétation de termes ambigus dans le contrat (cf. N 90 ss ci-dessous) ou encore, dans une large mesure, l’adaptation du contrat58. En effet, l’inadaptabilité des « Smart Contracts » dans le temps exclut l’application de la clausula rebus sic stantibus59 et oblige donc les parties à prévoir tous les changements de circonstances futurs susceptibles de déséquilibrer le rapport entre les obligations respectives des parties60.

34. Une autre faiblesse consiste dans le fait que les « Smart Contracts » sont par nature déterministes (« if-then ») et ne laissent ainsi aucune place à la prise en compte de notions juridiques indéterminées telles que l’exécution « dans un délai raisonnable », la résiliation « pour justes motifs » ou encore des concepts comme la bonne foi ou les « best efforts ».

35. Un autre point faible des « Smart Contracts » est le suivant : pour que quelque chose ayant une valeur économique puisse être transféré à l’aide d’une blockchain, cette chose doit tout d’abord se trouver sur la blockchain, c’est-à-dire y être déposée à titre fiduciaire et sous la forme d’un actif cryptographique (Internet of Values). En effet, si pour son exécution, le « Smart Contract » a besoin d’une information qui existe exclusivement dans le monde réel (p.ex. l’état

57 VOSHGMIR (n. 10), p. 13. 58 Swiss LegalTech Association (n. 53), p. 39. 59 Pour cette notion, voir MÜLLER (n. 28), art. 18, N 557 ss. 60 Swiss LegalTech Association (n. 53), p. 39.

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d’un compte bancaire), le « Smart Contract » ne peut pas garantir l’exécution automatique du contrat61. C’est aussi pour cette raison que les « Smart Contracts » ne peuvent pas (encore) trouver application pour les contrats impliquant une prestation de service (personnalisé) telle que celles appréhendées par les diverses formes de contrats de mandat62.

36. La programmation du « Smart Contract » est une autre faiblesse, car pour traduire le contenu du contrat en « Smart Contract », l’intervention d’un programmeur, donc d’un être humain faillible, est nécessaire. En même temps, quand des juristes et des programmeurs transcrivent les termes d’un contrat en langage de programmation, le risque d’ambiguïté se réduit, car le codage est un langage basique à l’extrême, tandis que les nuances des langues humaines sont sans limites63. Le codage peut dès lors même permettre aux parties de clarifier ce dont elles voulaient convenir dans leur contrat. Quoi qu’il en soit, le contentieux judiciaire et arbitral risque de se déplacer tout simplement de l’exécution du contrat lui-même vers la manière dont ce dernier a été codé. Les juges et arbitres n’examineront plus des contrats, mais des lignes de code64. Dans une telle procédure en responsabilité contre les programmeurs du « Smart Contract », il peut être difficile pour la partie au contrat d’établir l’identité même des programmeurs, notamment dans un contexte open source où de multiples acteurs modifient le code source (cf. N 16 ci-dessus)65.

37. Une autre faiblesse des « Smart Contracts » consiste malgré tout (cf. N 28 ci-dessus) en un certain risque de fraudes. L’attaque perpétrée en 2016 contre The DAO, pour un montant estimé à USD 50 millions à l’époque en livre, un exemple parlant.

61 BACINA (n. 55), p. 19. 62 RASKIN MAX (n. 19), p. 311. 63 BACON LEE/BAZINAS GEORGE, « Smart Contracts » : The Next Big

Battleground ?, Jusletter IT 18.05.2017 ; RASKIN (n. 19), p. 325. 64 BARBY (n. 56), p. 78. 65 BACINA (n. 55), p. 19.

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Heureusement, les contre-mesures adoptées à temps ont permis d’éviter le pire66.

38. Un dernier inconvénient des « Smart Contracts » consiste en leur consommation d’énergie, car les données inscrites sur la blockchain doivent être copiées et enregistrées sur un grand nombre de serveurs (cf. N 9 ci-dessus). Les développements futurs de cette technologie devraient toutefois permettre de surmonter cette faiblesse67.

F. Le « Smart Contract » comme moyen d’exécuter et de conclure un contrat

39. Le « Smart Contract » peut servir non seulement à l’exécution mais aussi à la conclusion de contrats :

40. Lorsque le « Smart Contract » ne sert qu’à exécuter un contrat, les parties ont d’ores et déjà conclu leur contrat au sens des art. 1er ss CO (contrat conclu off chain), qui sera par la suite simplement exécuté par le biais d’un « Smart Contract ». Mais les parties peuvent aussi conclure leur contrat au sens des art. 1er ss CO à travers la blockchain (contrat conclu on chain). Tel est le cas lorsqu’une partie définit dans un « Smart Contract » les conditions pour la conclusion d’un contrat. Ces conditions peuvent alors être traitées comme l’envoi de tarifs ou de prix courants (Auskündung) au sens de l’art. 7 al. 2 CO. Cette disposition précise certes que l’envoi de tels documents ne constitue pas une offre de contracter. Toutefois, l’envoi de taris, de prix courants ou d’autres documents semblables (« etc. ») peut exceptionnellement constituer une offre, lorsque le destinataire doit de bonne foi déduire de toutes les circonstances concrètes que l’auteur de ces documents y exprime d’ores et déjà sa volonté de conclure un contrat. En présence d’une blockchain, tel sera le cas lorsque les conditions définies dans le « Smart Contract » expriment d’ores et déjà la volonté de l’autre partie de conclure un contrat.

66 GYR (n. 49), N 11. 67 ESSEBIER JANA/WYSS DOMINIC A., Von der Blockchain zu Smart Contracts,

Jusletter 24.04.2017, N 20.

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41. Si une partie remplit ces conditions (p.ex. en transférant une certaine somme de bitcoins à une adresse), cet acte indice de la volonté (cf. N 19 ci-dessus) peut valoir acceptation de l’offre publique, de sorte qu’un contrat au sens des art. 1er ss CO est en principe formé avec un contenu correspondant aux conditions fixées dans le « Smart Contract »68.

42. La conclusion du « Smart Contract » à travers la blockchain soulève toutefois le problème de l’identité des parties. En effet, les parties à un « Smart Contract » sont désignées uniquement par une adresse, qui est un simple numéro séquentiel ne permettant pas d’identifier une personne physique ou morale69. Il ne sera donc pas non plus possible de vérifier si le cocontractant a l’exercice des droits civils au sens des art. 12 ss du Code civil70. En plus, en fonction de la structure du « Smart Contract », les parties au contrat peuvent se trouver au bout d’une longue chaîne de « Smart Contracts » rendant l’identification du cocontractant tout simplement impossible (cf. N 31 ci-dessus).

43. Pour résoudre ce problème, certains auteurs suggèrent que les « Smart Contracts » doivent impérativement contenir le nom du cocontractant et que les plateformes doivent mettre en place une procédure d’identification efficiente71. D’un point de vue purement juridique toutefois, le « Smart Contract » ne sera pas valablement conclu, tant et aussi longtemps que les parties ne seront pas en mesure de connaître leurs identités respectives.

II. La manifestation de la volonté des parties à travers le « Smart Contract »

44. Pour qu’un « Smart Contract » en tant que programme informatique (cf. N 6 ci-dessus) puisse servir de moyen pour l’exécution ou la conclusion d’un contrat, il faut que les (futures) parties soient en

68 ERNST WOLFGANG, Die Vertragsordnung – Rückblick und Ausblick,

ZSR 137/2018 II, p. 79 ; SWISS LEGALTECH ASSOCIATION (n. 53), p. 37. 69 WAGNER ALEXANDER F./WEBER ROLF H., Corporate Governance auf der

Blockchain, RSDA 1/2017, p. 69. 70 Swiss LegalTech Association (n. 53), p. 44. 71 JACCARD (n. 10), N 83.

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mesure de manifester leur volonté commune d’exécuter ou de conclure leur contrat à travers le « Smart Contract ».

A. Bref rappel théorique

45. Une manifestation de volonté (Willensäusserung, Willenserklärung) au sens juridique du terme est la communication de la volonté d’une partie de créer, modifier ou supprimer un droit ou un rapport juridique72. La volonté juridique se compose des trois éléments suivants : la volonté de l’auteur d’accomplir l’acte (Handlungswille), la volonté de l’auteur d’accomplir un acte juridique (Geltungswille) et la volonté de l’auteur de provoquer, de par sa manifestation de volonté, un effet juridique déterminé (Rechtsfolgewille, Geschäftswille)73.

46. L’un des types de manifestations de volonté particulièrement importants dans la naissance, la vie et la mort d’un contrat est le droit formateur (Gestaltungsrecht). Il s’agit d’un type particulier de la sous-catégorie des manifestations de volonté unilatérales sujettes à réception. Le droit formateur est le droit d’une personne de créer, modifier ou supprimer un droit de par sa seule manifestation de volonté et donc sans le consentement du cocontractant74. L’exercice d’un droit formateur est appelé acte formateur (Gestaltungsgeschäft)75. D’après ses effets juridiques, on distingue entre le droit formateur générateur, modificateur et résolutoire. L’exercice du droit formateur ne peut pas être soumis à une condition. En effet, l’on ne peut raisonnablement attendre du destinataire de l’acte formateur, qui a un intérêt légitime à connaître la situation juridique définitive,

72 HUGUENIN CLAIRE, Obligationenrecht, Allgemeiner und Besonderer Teil, 2e éd.,

Zurich/Bâle/Genève 2014, N 168 ; GAUCH PETER/SCHLUEP WALTER R./

SCHMID JÖRG, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, Band I, 10e éd., Zurich/Bâle/Genève 2014, N 168 ; MÜLLER (n. 28), art. 1 N 12.

73 SCHWENZER INGEBORG, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 7e éd., Berne 2016, N 27.02 ; MÜLLER (n. 28), art. 1 N 15 ss.

74 ATF 138 II 311, c. 4.2, p. 319 ; ATF 135 III 441, c. 3.3, p. 444 ; VON TUHR

ANDREAS/PETER HANS, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationen-rechts, Zurich 1979, p. 23 ; MÜLLER (n. 28), Einl. N 95.

75 ATF 128 III 70, c. 2, p. 75 ; KOLLER ALFRED, Schweizerischer Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 4e éd., Berne 2017, N 3.38, 3.66 ss ; MÜLLER (n. 28), Einl. N 95.

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de supporter l’insécurité découlant de l’existence d’une condition76. Il est toutefois possible de soumettre l’exercice d’un droit formateur à une condition dont l’avènement dépend exclusivement de la volonté du destinataire77. Un bailleur peut ainsi résilier le rapport de bail à la condition que le locataire ne paie pas les loyers en souffrance jusqu’à une certaine date78. Le fait que l’exercice d’un droit formateur ne puisse pas être conditionné peut poser un problème particulier dans le cadre des « Smart Contracts » dont le fonctionnement repose sur la structure binaire « si telle condition est remplie, tel effet se produit ».

47. L’acte juridique (Rechtsgeschäft) se compose d’une ou de plusieurs manifestations de volonté (cf. N 45 ci-dessus) auxquelles l’ordre juridique rattache une modification de la situation juridique en conformité avec la volonté exprimée79.

48. Il est possible de distinguer entre l’acte juridique unilatéral et multilatéral. L’acte juridique unilatéral est constitué d’une seule manifestation de volonté80. L’acte juridique unilatéral permet à une partie par une simple manifestation de volonté de produire un effet juridique qui correspond à la volonté exprimée81. La promesse publique (art. 8 CO), le fait de conférer des pouvoirs de représentation (art. 33 al. 2 CO), la création d’une fondation (art. 80 CC), le testament (art. 498 ss CC) ainsi que l’exercice d’un droit formateur (cf. N 46 ci-dessus) en sont des exemples. L’acte juridique multilatéral se compose d’au moins deux manifestations de volonté (cf. N 27 ci-dessus). Le contrat (art. 1 ss CO) et la décision en sont des exemples.

49. Il est également possible de distinguer l’acte générateur d’obligations de l’acte de disposition. L’acte générateur d’obligations fait naître

76 ATF 137 I 58, c. 4.3.3, p. 66. 77 GAUCH/SCHLUEP/SCHMID (n. 72), N 155 ; MÜLLER (n. 28), Einl. N 103. 78 SCHWENZER (n. 73), N 11.11 ; MÜLLER (n. 28), Einl. N 103. 79 KOLLER (n. 75), N 3.06 ; GAUCH/SCHLUEP/SCHMID (n. 72), N 119 ; MÜLLER

(n. 28), Einl. N 85. 80 MÜLLER (n. 28), Einl. N 93. 81 TERCIER PIERRE/PICHONNAZ PASCAL, Le droit des obligations, 5e éd.,

Genève/Zurich/Bâle 2012, N 153.

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une obligation, c’est-à-dire un devoir de faire ou de ne pas faire quelque chose, à la charge d’une des parties au moins82. L’acte générateur d’obligations (Verpflichtungsgeschäft) n’a pas d’effet réel, car il ne fait qu’augmenter le passif de la partie chargée d’une nouvelle dette. L’acte générateur d’obligations ne présuppose en outre pas que son auteur ait le pouvoir de disposer de l’objet de l’obligation ainsi créée. La plupart du temps, l’acte générateur est un acte juridique multilatéral (cf. N 48 ci-dessus) et notamment un contrat (art. 1 ss CO). Il peut aussi consister en un acte juridique unilatéral comme par exemple la promesse publique (art. 8 CO). L’acte de disposition (Verfügungsgeschäft) est l’acte juridique par lequel un droit est directement et définitivement transféré, modifié ou supprimé83. L’acte de disposition a un effet réel, car il diminue le passif de la partie chargée de l’obligation. L’acte de disposition présuppose que son auteur ait le pouvoir de disposer de l’objet de l’obligation dont il est chargé. La remise d’une chose mobilière (art. 714, 922 CC), l’inscription du nouveau propriétaire au registre foncier pour les immeubles (art. 656 al. 1er, 958 al. 1er et 972 CC), la constitution d’un gage sur une chose immobilière (art. 799 CC) ou mobilière (art. 884 CC), la cession d’une créance (art. 164 CO) et la remise d’une dette (art. 175 CO) en sont les exemples.

B. La transmission de la manifestation de volonté et les forks

50. La première question qui mérite notre attention dans le contexte des « Smart Contracts » est celle de savoir si, sur le principe, les parties ont la possibilité de manifester leur volonté par le biais d’un « Smart Contract », donc d’un programme informatique (cf. N 6 ci-dessus). Comme les parties liées par un programme informatique sous forme de « Smart Contract » ne se trouvent en règle générale pas en présence l’une de l’autre au sens de l’art. 4 CO (« entre présents »), leur volonté sera manifestée « entre absents » au sens de l’art. 5

82 SCHWENZER (n. 73), N 3.31 ; HUGUENIN (n. 72), N 62 ; MÜLLER (n. 28), Einl.

N 155, 198 ss. 83 KOLLER (n. 75), N 3.59 ; SCHWENZER (n. 73), N 3.33 ; TERCIER/PICHONNAZ

(n. 81), N 208 ; MÜLLER (n. 28), Einl. N 158.

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CO84. De plus, de telles manifestations de volonté sont en règle générale sujettes à réception, c’est-à-dire que ce sont des déclarations qui, de par leur contenu, ne déploient des effets juridiques que si elles sont faites envers une ou plusieurs personnes déterminées85 et sont effectivement reçues par ces dernières86.

51. La transmission d’une telle manifestation de volonté implique régulièrement deux moments clés, à savoir l’envoi par l’expéditeur et la réception par le destinataire87. L’envoi est le moment auquel l’expéditeur manifeste sa volonté envers le monde extérieur. Une manifestation de volonté est envoyée lorsque l’expéditeur a fait tout ce qui était nécessaire de sa part pour que la manifestation de volonté parvienne au destinataire88. Sur une blockchain, une partie peut envoyer une manifestation de volonté en la signant par sa clef privée (cf. N 10 ci-dessus)89.

52. La réception est le moment où la déclaration entre dans la sphère d’influence du destinataire, de telle sorte qu’il ne dépend plus que de lui d’en prendre connaissance90. En principe, la réception de la manifestation de volonté consiste en le rattachement du bloc la contenant à la blockchain (cf. N 9 ci-dessus). Il est certes possible de vérifier si la manifestation de volonté émane véritablement du partenaire contractuel en décodant la manifestation à l’aide de la clef publique (cf. N 10 ci-dessus). Cependant, le fait que les calculs nécessaires pour rattacher de nouveaux blocs soient répartis sur plusieurs serveurs travaillant en parallèle comporte le risque que la blockchain bifurque à un moment donné en plusieurs branches (fork,

84 Tribunal de commerce (Handelsgericht) du canton de Zurich, ZR 116/2017 du

16.12.2016, c. 2.3, p. 133 ; PERRIG ROMAN, Die AGB-Zugänglichkeitsregel, thèse, Bâle 2011, p. 328.

85 MÜLLER (n. 28), art. 1 N 68 s. 86 Cf. § 130 BGB : « Eine Willenserklärung, die einem anderen gegenüber abzugeben

ist, wird, wenn sie in dessen Abwesenheit abgegeben wird, in dem Zeitpunkt wirksam, in welchem sie ihm zugeht. […] » ; MÜLLER (n. 28), art. 1 N 70.

87 SCHWENZER (n. 73), N 27.17 ; HUGUENIN (n. 72), N 182 ; MÜLLER (n. 28), art. 1 N 75 ss.

88 VON TUHR/PETER (n. 74), p. 168 ; MÜLLER (n. 28), art. 1 N 81. 89 HECKELMANN (n. 26), p. 505. 90 TERCIER/PICHONNAZ (n. 81), N 184 ; MÜLLER (n. 28), art. 1 N 93 ss.

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hardfork)91. Tôt ou tard, une de ces branches deviendra plus longue que les autres. La blockchain éliminera alors les branches plus courtes et invalidera les manifestations de volonté contenues sur ces dernières. La blockchain part en effet de l’idée que la branche la plus longue réunit le plus de participants et contient donc les données les plus fiables (cf. N 13 ci-dessus)92.

53. Cela signifie toutefois que les blocs formant les branches plus courtes sont perdus. Une déclaration contenue dans un bloc d’une branche éliminée serait donc traitée par la blockchain comme si elle n’avait jamais été faite. Il sied alors de distinguer selon que la déclaration représente un acte générateur d’obligations ou un acte de disposition. L’acte générateur d’obligations fait naître une obligation à la charge d’une des personnes au moins, tandis que l’acte de disposition affecte directement et définitivement l’existence ou le contenu d’un droit de l’auteur de la manifestation de volonté (cf. N 49 ci-dessus)93. Si la déclaration est un acte générateur d’obligations, la manifestation devrait être considérée comme non advenue et ne déploierait donc tout simplement pas d’effets juridiques. En revanche, s’il s’agit d’un acte de disposition, la prestation faite devrait être restituée selon les règles sur la revendication (art. 641 al. 2 CC) ou celles sur l’enrichissement illégitime (art. 62-67 CO)94.

54. Le risque de bifurcation de la blockchain ne devrait toutefois pas être surestimé. En effet, des fourches d’une certaine longueur sont extrêmement rares en pratique. C’est pourquoi la plupart des participants à une blockchain considèrent qu’une déclaration a été reçue lorsqu’elle est contenue dans un bloc à la suite duquel se trouvent au moins six autres blocs. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’actif cryptographique (monnaie virtuelle ou token) est par exemple transféré ou qu’une commande payée par bitcoins est déclenchée95.

91 CHOULI/GOUJON/LEPORCHER (n. 12), p. 26 ; JACQUEMART NICOLAS/MEYER

STEPHAN D., Der Bitcoin-/Bitcoin-Cash-Hardfork, Gesellschafts- und Kapitalmarktrecht 2017, p. 469 ss ; SCHULZ (n. 12), p. 105.

92 SCHULZ (n. 12), p. 105. 93 TERCIER/PICHONNAZ (n. 81), N 207 s. 94 HECKELMANN (n. 26), p. 505. 95 CHOULI/GOUJON/LEPORCHER (n. 12), p. 26 ; SCHULZ (n. 12), p. 105.

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Etant donné que sur la blockchain Ethereum, un nouveau bloc est en moyenne créé toutes les 14 secondes96, cela reviendrait à un retardement d’environ une minute et demie. L’exigence des six blocs subséquents n’est toutefois qu’une valeur empirique qui ne garantit pas une certitude absolue et qui n’est pas inscrite dans le programme informatique de la blockchain97.

55. Une alternative consisterait à considérer la manifestation de volonté comme étant en suspens jusqu’au moment où une bifurcation de la blockchain peut être exclue avec certitude. Techniquement, il est possible de constater avec précision par la suite si une blockchain a bifurqué et à quel moment quelle branche secondaire a été éliminée. Toutefois, une invalidité temporaire des manifestations de volonté n’apporte aucun avantage par rapport à la solution du délai (court) d’attente des six blocs subséquents (cf. N 54 ci-dessus). D’une part, la solution alternative n’élimine pas le risque que des actes de disposition soient annulés et que des prestations déjà effectuées doivent être restituées ultérieurement. D’autre part, une telle (in)validation ultérieure des manifestations de volonté rendrait difficiles à l’excès, voire impossibles, certaines applications des « Smart Contracts » pour lesquelles la rapidité des transactions est cruciale, comme par exemple pour le négoce de titres à haute fréquence98.

56. En conclusion, c’est le rattachement d’un nouveau bloc à la blockchain qui doit être considéré comme le moment de la réception de la manifestation de volonté dans un « Smart Contract ». Malgré les petites incertitudes techniques qui subsistent, c’est probablement le moment qui garantit la plus grande sécurité du droit.

96 https://etherscan.io/chart/blocktime (dernière consultation le 13.09.2018). 97 CHOULI/GOUJON/LEPORCHER (n. 12), p. 26 ; HECKELMANN (n. 26), p. 506. 98 HECKELMANN (n. 26), p. 506.

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C. L’imputation des manifestations de volonté générées par le « Smart Contract »

1. Le problème

57. Dans le cadre de l’exécution du contrat, le « Smart Contract », en tant que programme informatique, génère et induit lui-même certaines actions. Il peut par exemple déclencher le transfert d’une somme d’argent en faveur d’une partie au contrat (acte d’exécution) ou l’envoi d’une mise en demeure à une partie au contrat (acte formateur ; cf. N 46 ci-dessus).

58. De telles actions sont générées par le « Smart Contract » en fonction de son programme informatique (ou code). Le code source (source code) est programmé dans un langage de programmation tel que Solidity pour la blockchain Ethereum (cf. N 17 ci-dessus). KAULARTZ

et HECKMANN donnent l’exemple suivant pour un tel code pour un pari simple sous la forme d’une « fente à monnaie » qui double la mise (envoyée au « Smart Contract ») selon qu’un chiffre aléatoire peut être divisé par deux ou pas. Si tel n’est pas le cas, le « Smart Contract » conserve la mise99 :

contract fente à monnaie {

function () {

var mise = msg.value ;

if (block.timestamp % 2 == 0)

msg.sender.send (2 * mise);

else

return;

}

}

59. Dans la plupart des cas, le code source, à savoir le texte qui représente les instructions de programme telles qu’elles ont été

99 KAULARTZ/HECKMANN (n. 7), p. 619.

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écrites par le programmeur, est accessible aux parties au contrat. Des parties qui s’intéressent particulièrement à l’informatique sont peut-être en mesure de comprendre de tels langages de programmation. Par contre, l’on ne peut raisonnablement attendre d’une partie normalement versée en matière informatique qu’elle comprenne le code source d’un « Smart Contract »100. Il faut donc partir de l’idée qu’en règle générale, les parties au contrat ne comprennent pas le contenu ni le fonctionnement du « Smart Contract » à l’aide duquel elles concluent et/ou exécutent leur contrat.

60. Et pourtant, toutes les actions générées et déclenchées par le « Smart Contract » doivent être couvertes par la volonté juridique (Rechtsfolgewille ; cf. N 45 ci-dessus) de l’une ou de toutes les parties au contrat pour produire des effets juridiques. En effet, le « Smart Contract », en tant que programme informatique, n’est pas un sujet de droit, il ne peut donc pas être titulaire de droits et d’obligations. A l’heure actuelle, notre système juridique ne reconnaît la qualité de sujets de droit qu’aux personnes physiques et juridiques, ainsi qu’à certaines autres entités reconnues par la loi telle la société en nom collectif (art. 552-593 CO) ou la communauté héréditaire (art. 602 CC)101. La machine n’en fait pas (encore) partie. C’est pourquoi le « Smart Contract » en tant que programme informatique ne peut pas non plus être l’auteur d’une manifestation de volonté.

61. La particularité réside toutefois dans le fait que lors de la conclusion du contrat, la partie n’a pas (encore) la volonté d’accomplir un acte juridique déterminé à un moment bien précis. Au contraire, cet acte sera généré automatiquement par le « Smart Contract » sur la base des paramètres préprogrammés. Lorsque par exemple le stock d’un certain légume d’un producteur de repas en masse tombe en-dessous d’un certain seuil (information reçue par le « Smart Contract » à l’aide d’un oracle ; cf. N 14 ci-dessus), un « Smart Contract » peut automatiquement conclure un contrat d’achat de ce légume avec le fournisseur dont l’offre (information reçue par le « Smart Contract » à l’aide d’un autre oracle ; cf. N 14 ci-dessus) remplit au mieux les conditions de prix et de livraison prédéfinies dans le « Smart Contract ». Ainsi, le « Smart Contract » génère et met

100 BACINA (n. 55), p. 21 ; FURRER (n. 23), p. 107. 101 HUGUENIN (n. 72), N 24 ; MÜLLER (n. 28), Einl. N 179.

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en œuvre un acte générateur d’obligations (cf. N 49 ci-dessus) indépendamment de la question de savoir si le producteur de repas aurait à ce moment-là conclu un contrat d’achat avec le même fournisseur et aux mêmes conditions.

62. C’est pourquoi le « Smart Contract » fait plus que simplement transmettre des manifestations de volonté générées par des sujets de droit. Une analogie avec le messager qui transmet tout simplement la manifestation de volonté de l’expéditeur, respectivement reçoit celle-ci au nom du destinataire102, ne permet dès lors pas d’appréhender la nouvelle problématique juridique soulevée par les « Smart Contracts »103.

2. La position restrictive

63. Certains auteurs distinguent dans ce contexte entre la déclaration automatique (automatische Erklärung) et la déclaration générée par un agent (Agentenerklärung). La déclaration automatique serait la suite technique « logique » de la volonté exprimée par un distributeur automatique (cf. N 18 ss ci-dessus)104. L’utilisateur du programme informatique générant la déclaration pourrait (dans une certaine mesure) déterminer à l’avance les déclarations à faire en définissant les paramètres pour la création de la déclaration. La déclaration automatique interviendrait toutefois sans intervention spécifique de l’être humain, ni au moment de l’établissement de la déclaration, ni au moment de son envoi105.

64. D’un point de vue juridique, le critère décisif serait celui de la prévisibilité (ou la déterminabilité) de la genèse, respectivement du contenu de la déclaration : si la déclaration déclenchée de manière automatique était prévisible, elle serait couverte par la volonté

102 MÜLLER (n. 28), art. 1 N 116. 103 FURRER (n. 23), p. 108. 104 KIANIČKA MICHAEL MARTIN, Die Agentenerklärung, thèse, Zürich 2012, p. 41 ;

WIEGAND WOLFGANG, Die Geschäftsverbindung im E-Banking, in : Wiegand (édit.), E-Banking, Rechtliche Grundlagen, Berner Bankrechtstagung/BBT, Band 8, Berne 2002, p. 112.

105 KIANIČKA (n. 104), p. 41 ; CORNELIUS KAI, Vertragsabschluss durch autonome elektronische Agenten, MultiMedia und Recht 2002, p. 354.

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juridique de la partie au contrat. Cette volonté resterait donc le critère d’imputation pour la déclaration automatique concrète.

65. Toutefois, en présence d’un haut degré d’automatisation, il se pourrait que le lien entre la volonté de la partie au contrat et la déclaration automatique soit tellement affaibli qu’il ne serait plus possible d’identifier une volonté concrète ayant comme objet la déclaration en question. La volonté comme critère d’imputation de la déclaration ferait alors défaut106. Comme la formation de la volonté en tant qu’activité intellectuelle est en partie accomplie à l’aide de l’informatique, la déclaration automatique serait uniquement couverte par la volonté de l’auteur d’accomplir un acte (Handlungswille ; cf. N 45 ci-dessus), alors que la question de savoir si cette déclaration est également couverte par la volonté de l’auteur d’accomplir un acte juridique (Geltungswille ; cf. N 45 ci-dessus) et la volonté de l’auteur de provoquer un effet juridique déterminé (Rechtsfolgewille ; cf. N 45 ci-dessus) dépendrait du degré d’automatisation107.

66. Selon ces auteurs, le degré maximal d’externalisation de l’activité intellectuelle humaine consistant en la formation d’une volonté (juridique) vers un système informatique (respectivement la substitution de cette activité par un processus externe sur un support informatique) est atteint lorsque la personne humaine manifeste sa volonté à l’aide d’un agent. Dans ce cas, la personne se limiterait à mettre en place et à maintenir respectivement contrôler les conditions cadres permettant la formulation de déclaration108. En présence d’une déclaration générée par un agent, la volonté de la personne humaine d’accomplir un acte ne couvrirait que ces conditions cadres, mais non pas la déclaration concrète. Pour cette dernière, la volonté de l’auteur d’accomplir un acte, celle d’accomplir un acte juridique et celle de provoquer un effet juridique déterminé feraient défaut.

106 KIANIČKA (n. 104), p. 41 ; WIEBE ANDREAS, in : Gounalakis Georgios (édit.),

Rechtshandbuch Electronic Business, Munich 2003, § 15 N 30, p. 589. 107 FURRER (n. 23), p. 108. 108 KIANIČKA (n. 104), p. 44.

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67. Comme ces trois types de volontés feraient défaut pour la déclaration générée par un agent (cf. N 66 ci-dessus) et - selon le degré d’automatisation - aussi pour la déclaration automatique (cf. N 63 ci-dessus), celles-ci ne pourraient pas entraîner d’effet juridique109. Le principe de la confiance (Vertrauensprinzip) ou (pour la manifestation de volonté générée par un agent) la théorie de l’apparence juridique (Rechtsscheinlehre) pourrait toutefois pallier à cette carence110.

3. La position libérale

68. Le Tribunal de commerce du canton de Zurich a adopté une position plus large en estimant qu’« à côté des manifestations de volonté transmises de manière individuelle, des manifestations de volonté qui sont envoyées automatiquement par un ordinateur préprogrammé (un "agent de software électronique") lient également les parties »111. Certains auteurs partagent cet avis en estimant que si une partie se sert d’un programme informatique pour la conclusion d’un contrat qui génère une manifestation de volonté et transmet cette dernière de façon automatisée, il doit se laisser imputer la déclaration faite par l’agent de software électronique (« elektronischer Softwareagent »), étant donné que toutes les activités de la « machine » reposent en dernière conséquence sur la volonté d’accomplir un acte juridique (cf. N 60 ci-dessus) de l’exploitant de l’installation112.

4. La solution intermédiaire

69. Un troisième groupe d’auteurs adopte une solution intermédiaire qui mérite le soutien. FURRER estime ainsi que le code source du « Smart Contract » est l’expression de la volonté concordante des parties au

109 KIANIČKA (n. 104), p. 44. 110 KIANIČKA (n. 104), p. 167-201. 111 Handelsgericht du canton de Zurich, ZR 116/2017 du 16.12.2016, c. 2.3, p. 133 :

« Nebst individuell übermittelten Willenserklärungen sind auch solche verbindlich, welche von einem vorprogrammierten Computer automatisch abgegeben werden (sog. ‹elektronischer Softwareagent›) » (mise en évidence dans l’original).

112 PERRIG (n. 84), p. 326.

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contrat selon laquelle le « Smart Contract » est autorisé à exécuter des actions juridiquement valables si les conditions définies dans le code source sont remplies. Cette volonté concordante des parties par rapport aux actions générées automatiquement par le « Smart Contract » pourrait être déduite des relations contractuelles entourant le recours au « Smart Contract »113. Il ne s’agirait pas seulement du contrat prévoyant son exécution à l’aide d’un « Smart Contract » (Grundvertrag, « contrat fondamental » selon FURRER). Il s’agirait également du contrat d’application (Applikationsvertrag), à savoir du contrat entre l’auteur de l’application permettant aux parties de mettre en place un « Smart Contract » pour l’exécution automatisée de leurs droits et obligations respectifs (cf. N 15 et s. ci-dessus). Le cas échéant, il s’agirait en plus du contrat de plateforme (Plattformvertrag), c’est-à-dire du contrat avec l’exploitant qui met à disposition des parties sa plateforme sur laquelle l’application fonctionne et pour laquelle les parties au contrat doivent s’annoncer (cf. N 16 ss ci-dessus)114.

70. En effet, pour savoir si une action concrète générée automatiquement par le « Smart Contract » peut être imputée à une partie au contrat, il faut avant tout interpréter les termes du contrat prévoyant son exécution à l’aide d’un « Smart Contract » selon les méthodes et principes traditionnels de l’interprétation115. Dans ce contrat, les parties expriment non seulement leur volonté d’exécuter ce contrat à l’aide d’un « Smart Contract », mais aussi les conditions auxquelles le « Smart Contract » est autorisé à déclencher automatiquement une action au nom et pour le compte d’une des parties au contrat116. Le contenu et la portée des actions déclenchées automatiquement par le « Smart Contract » sont également déterminés par l’application qui fixe les fonctionnalités et en même temps les limites de ce dernier (cf. N 15 ci-dessus). Le cas échéant, même le contrat de plateforme peut donner des indications précieuses sur ce à quoi les parties ont consenti en rapport avec le recours à un « Smart Contract »117. Le consentement que les parties

113 FURRER (n. 23), p. 109. 114 FURRER (n. 23), p. 105 s. 115 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 46 ss. 116 FURRER (n. 23), p. 111. 117 FURRER (n. 23), p. 111.

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au contrat ont exprimé dans ces deux (voire trois) relations contractuelles détermine le périmètre à l’intérieur duquel le « Smart Contract » peut générer des actions en leur nom et pour leur compte. Cette question se pose avant tout lorsque le « Smart Contract » a la possibilité de générer des actions ou déclarations de manière totalement automatisée et indépendante de toute intervention ultérieure des parties au contrat. Cette problématique est étroitement liée aux questions suivantes : quelles possibilités ont les parties pendant l’exécution du « Smart Contract » d’empêcher le déclenchement d’actions et la genèse et l’envoi de déclarations ? Quelles informations extérieures le « Smart Contract » prendra-t-il en compte (à l’aide d’oracles ; cf. N 14 ci-dessus) pour générer et déclencher des actions ou envoyer des déclarations ? Selon quelles règles le « Smart Contract » générera-t-il des déclarations et des actions sur la base de ces informations reçues du monde externe118 ?

71. Une fois que les termes du contrat prévoyant le recours au « Smart Contract », du contrat d’application et, le cas échéant, du contrat de plateforme ont été interprétés (cf. N 70 ci-dessus), il s’agira d’interpréter l’action déclenchée, respectivement la déclaration générée par le « Smart Contract » (cf. N 90 ss ci-dessous). Il s’agira dans un dernier temps d’examiner si cette dernière respecte ou non le périmètre de consentement fixé par les parties au contrat119.

72. Si l’action ou la déclaration automatiquement générée par le « Smart Contract » se situe à l’extérieur de ce périmètre, elle ne sera pas valable d’un point de vue juridique. Par exemple, un paiement sur la blockchain serait tout simplement considéré comme juridiquement inexistant et ne pourrait avoir la signification juridique d’une acceptation (art. 1er ss CO), de la ratification d’une erreur (art. 31 CO), ou encore de l’exécution d’une obligation (art. 68 ss CO). La partie concernée ne sera donc pas liée par l’action ou la déclaration en question et la volonté effective de cette partie primera sur la volonté manifestée par le « Smart Contract »120. Ce décalage entre la réalité informatique du « Smart Contract » et la réalité juridique (cf.

118 FURRER (n. 23), p. 111. 119 FURRER (n. 23), p. 111 s. 120 FURRER (n. 23), p. 111 s.

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N 98 ci-dessous) peut parfois être corrigé par une action en enrichissement illégitime (art. 62 ss CO ; cf. N 53 ci-dessus)121.

73. Par contre, si l’action ou la déclaration automatiquement générée par le « Smart Contract » respecte le périmètre fixé par le consentement donné par la partie concernée, cette dernière sera liée par l’action ou la déclaration, et ceci même si elle aurait agi différemment ou manifesté une autre intention dans le cas concret122.

74. La fixation de ce périmètre de consentement ne présuppose pas forcément que le code source (cf. N 59 ci-dessus) soit systématiquement traduit dans une langue naturelle123. Le positionnement de l’action ou de la manifestation automatiquement générée par le « Smart Contract » à l’intérieur ou au contraire à l’extérieur du périmètre fixé par le consentement des parties doit être déterminé à la lumière de l’ensemble des circonstances permettant de définir l’étendue de la volonté des parties124.

75. Un parallèle avec la représentation peut illustrer ce raisonnement. Le représenté peut accorder à son représentant les pouvoirs d’agir et de manifester une volonté juridique en son nom et pour son compte. Tant que les actions et les déclarations du représentant respectent les limites fixées par les pouvoirs concédés, le représenté y est lié (art. 32 al. 1er CO). La seule différence par rapport au « Smart Contract » consiste donc dans le fait que l’action est déclenchée ou la déclaration est faite par une personne humaine (le représentant) et non pas par un programme informatique automatisé (le « Smart Contract »). Toutefois, pour la question de savoir si le représenté est lié par l’action ou la déclaration du représentant, cette différence est sans importance. En effet, pour le destinataire d’une action ou d’une manifestation de volonté, il est sans importance de savoir si celle-ci a été déclenchée ou générée individuellement ou de manière automatique. Il suffit que le destinataire puisse la reconnaître en tant que telle et qu’il puisse l’imputer à son partenaire contractuel125.

121 MEYER/SCHUPPLI (n. 7), p. 221 ss. 122 FURRER (n. 23), p. 111 s. 123 Contra : WEBER (n. 54, Leistungsstörungen […]), N 9 ss. 124 FURRER (n. 23), p. 112. 125 FURRER (n. 23), p. 112.

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D. La validité formelle des manifestations de volonté générées par le « Smart Contract »

1. Le problème

76. Le « Smart Contract » en tant que programme informatique génère des actions et des manifestations de volonté sous forme électronique. Il se pose donc la question de savoir si de telles actions et déclarations sont juridiquement valides du point de vue de la forme.

77. Selon le principe de la liberté de la forme (Formfreiheit) prévu à l’art. 11 al. 1er CO, la validité d’un acte juridique ne dépend pas de sa forme126. Ce principe s’applique aussi aux manifestations de volonté127. En prolongation de ce principe général, l’art. 16 al. 1er CO autorise toutefois les parties à soumettre la validité d’un acte juridique au respect d’une certaine forme. En principe, n’importe quel signe reconnu par la société (hochement de tête, poignée de main, dans certaines circonstances même le simple silence ; art. 6 CO) permet dès lors d’exprimer validement sa volonté juridique128. Il suffit donc que l’inscription d’une transaction sur la blockchain soit reconnue par notre société comme moyen pour manifester sa volonté (juridique) pour que de telles déclarations soient en principe également valides d’un point de vue juridique.

78. Toutefois, la loi subordonne la validité (formelle) d’un certain nombre de déclarations à des exigences de forme. Pour certaines déclarations, elle exige uniquement la forme textuelle (Textform ; p.ex. art. 40d al. 1er CO, art. 17 al. 2 CPC, art. 178 LDIP)129. Pour d’autres, elle exige la forme écrite (art. 12 à 15 CO)130. C’est ainsi que la cession de créance (qui est un acte de disposition) n’est par

126 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 11 ss. 127 KOLLER (n. 75), N 12.142 ; KUT (n. 28), art. 11 N 2 ; MÜLLER (n. 28), art. 11

N 15 ss. 128 SCHWENZER (n. 73), N 27.09 ; HUGUENIN (n. 72), N 173 ; cf. § 864 ABGB : « Man

kann seinen Willen nicht nur ausdrücklich durch Worte und allgemeine anerkannte Zeichen […] erklären ».

129 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 95 ss. 130 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 71 ss.

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exemple valable que si elle respecte la forme écrite (art. 165 al. 1er CO). Parfois, la loi qualifie encore la forme écrite en prescrivant le contenu (p.ex. art. 40d al. 1er et 2 CO, art. 493 al. 1er et 2 CO)131 ou des exigences formelles supplémentaires (p.ex. art. 40d al. 3 CO, art. 266l al. 2 CO en rapport avec l’art. 266o CO)132. Pour d’autres manifestations de volonté encore, la loi exige même la forme authentique (p.ex. art. 216 al. 1er CO, art. 634 al. 1er CO)133, parfois de nouveau en la qualifiant davantage par rapport à leur contenu (p.ex. art. 493 al. 2 CO, art. 650 al. 2 CO)134 ou à une inscription de la transaction dans un registre (p.ex. art. 629 et 640 CO, art. 734 CO)135.

79. L’inscription d’une transaction sur la blockchain ne respecte probablement même pas les exigences les moins contraignantes, c’est-à-dire celles de la forme textuelle (cf. N 78 ci-dessus). Si une telle inscription respecte peut-être encore le premier critère, celui d’un moyen de communication permettant d’en établir la preuve par texte (cf. art. 178 al. 1er LDIP ; cf. N 78 ci-dessus)136, elle ne permet en règle générale pas d’identifier avec certitude l’émetteur et le destinataire de la déclaration générée automatiquement par le « Smart Contract », de sorte que la condition première pour la conclusion de tout contrat, à savoir l’identité des parties, fait déjà défaut (cf. N 42 s. ci-dessus)137. A fortiori, l’inscription d’une transaction sur la blockchain ne satisfait ni aux exigences de la forme écrite, ni à celles de la forme authentique138. Quant à la forme écrite, la signature cryptographique attachée à une transaction effectuée dans le cadre d’un « Smart Contract » (cf. N 10 ci-dessus) ne remplit pas les exigences de la signature électronique qualifiée avec

131 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 71 ss. 132 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 87 ss. 133 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 111 ss. 134 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 135 ss. 135 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 139 ss. 136 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 105 ss. 137 EMMENEGGER SUSAN/KURZBEIN REGULA, in : Huguenin Claire/Hilty Reto

(édit.), OR/CO2020, Schweizer Obligationenrecht 2020, Entwurf für einen neuen allgemeinen Teil, Zurich/Bâle/Genève 2013, art. 25 N 10 ; MÜLLER (n. 28), art. 11 N 110.

138 Pour le droit allemand, HECKELMANN (n. 26), p. 507 ; DJAZAYERI (n. 7), Anm. 1.

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horodatage qualifié au sens de la loi fédérale du 18 mars 2016 sur la signature électronique (SCSE ; RS 943.03)139. Elle ne peut donc être assimilée sans autre à la signature manuscrite au sens de l’art. 14 al. 2bis CO140.

2. L’équivalence fonctionnelle

80. Une approche fondée sur l’équivalence fonctionnelle (funktionale Äquivalenz, functional equivalence approach) pourrait permettre de surmonter le problème de la validité formelle des manifestations de volonté générées automatiquement par le « Smart Contract »141. Ce principe « repose sur une analyse des objectifs et des fonctions de l’exigence traditionnelle de documents papier et vise à déterminer comment ces objectifs et fonctions pourraient être assurés au moyen des techniques du commerce électronique »142. En effet, lorsque la loi prescrit une certaine forme pour un acte juridique, elle poursuit un ou des objectifs précis qui se fondent sur des considérations de politique juridique143. Ces buts sont notamment la clarification et la preuve des actes juridiques, la protection des parties d’actes juridiques irréfléchis, la sécurité du droit, la facilitation de la tenue de registres et l’information des consommateurs144.

81. La Loi type de la CNUDCI sur les documents transférables électroniques de 2017145, la Loi type de la CNUDCI sur les

139 A ce sujet, MÜLLER (n. 28), art. 14 N 45 ss. 140 WAGNER/WEBER (n. 69), p. 69 ; JACCARD (n. 10), N 92 ; EGGEN MIRJAM, Chain

of Contracts, PJA 1/2017, p. 8. 141 FURRER ANDREAS/MÜLLER LUKA, « Funktionale Äquivalenz » digitaler

Rechtsgeschäfte, Jusletter 18.06.2018. 142 Guide pour l’incorporation dans le droit interne de la Loi type de la CNUDCI sur

le commerce électronique (1996), p. 21, N 16. Voir aussi Guide pour l’incorporation de la Loi type de la CNUDCI sur les signatures électroniques (2001), p. 15, N 8.

143 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 24. 144 MÜLLER (n. 28), art. 11 N 46 ss. 145 L’art. 7 al. 1er (« Reconnaissance juridique d’un document transférable

électronique ») exprime le principe de l’équivalence fonctionnelle de la manière suivante : « Le document transférable électronique n’est pas privé de ses effets juridiques, de sa validité ou de sa force exécutoire au seul motif qu’il se présente sous une forme électronique ». Sous le titre « Dispositions sur l’équivalence fonctionnelle », le chapitre II explicite

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signatures électroniques de 2001146 et la Loi type de la CNUDCI sur le commerce électronique de 1996147 sont toutes basées sur l’idée de l’équivalence fonctionnelle. Elles prévoient toutes l’équivalence de la forme électronique par rapport à la forme écrite ou textuelle, respectivement l’équivalence de la signature électronique par rapport à la signature manuscrite. Dans les transports internationaux aériens148, ferroviaires149 et par route150, l’équivalence fonctionnelle

par la suite ce principe par rapport à la forme écrite (art. 8), la signature (art. 9), les documents ou instruments transférables papier (art. 10) et le contrôle de la possession d’un document ou instrument transférable papier (art. 11).

146 L’art. 3 (« Egalité de traitement de techniques de signature ») exprime le principe de l’équivalence fonctionnelle de la manière suivante : « Aucune disposition de la présente Loi, à l’exception de l’art. 5, n’est appliquée de manière à exclure, restreindre ou priver d’effet juridiques une quelconque méthode de création de signature électronique satisfaisant aux exigences mentionnées au paragraphe 1 de l’art. 6 ou autrement satisfaisant aux exigences de la loi applicable ».

147 L’art. 5 (« Reconnaissance juridique des messages de données ») exprime le principe de l’équivalence fonctionnelle de la manière suivante : « L’effet juridique, la validité ou la force exécutoire d’une information ne sont déniés au seul motif que cette information est sous forme de message de données ». Les art. 6 (« Ecrit »), 7 (« Signature ») et 8 (« Original ») détaillent ensuite ce principe général.

148 L’art. III al. 2 du Protocole de Montréal n° 4 portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929, entré en vigueur pour la Suisse le 14 juin 1998 (RS 0.748.410.6), prévoit l’équivalence fonctionnelle pour la lettre de transport aérien de la manière suivante : « L’emploi de tout autre moyen constatant les indications relatives au transport à exécuter peut, avec le consentement de l’expéditeur, se substituer à l’émission de la lettre de transport aérien ».

149 L’art. 6 § 9 des Règles uniformes concernant le Contrat de transport international ferroviaire des marchandises (CIM), valable dès le 1er juillet 2006 (https://www.cit-rail.org/secure-media/files/documentation_de/freight/ cim/cim_1999_2010-12-01_fr-de-en_rev_ns.pdf?cid=21957), relatives à la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires du 9 mai 1980, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er mai 1985 (COTIF ; RS 0.742.403.1), prévoit l’équivalence fonctionnelle pour la lettre de voiture électronique de la manière suivante : « La lettre de voiture, y compris son duplicata, peut être établie sous forme d’enregistrement électronique des données, qui peuvent être transformées en signes d’écriture lisibles. Les procédés employés pour l’enregistrement et le traitement des données doivent être équivalents du point de vue fonctionnel, notamment en ce qui concerne la force probante de la lettre de voiture représentée par ces données ».

150 L’art. II du Protocole additionnel à la Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR) concernant la lettre de voiture électronique du 20 février 2008, entré en vigueur pour la Suisse le 5 juin 2011 (RS 0.741.611.2), prévoit l’équivalence fonctionnelle pour la lettre de voiture

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est reconnue pour les lettres de transport aérien et de voiture électroniques.

82. FURRER et MÜLLER considèrent que le problème de la validité (formelle et matérielle) des manifestations de volonté électroniques - et ainsi aussi de celles générées par les « Smart Contracts » - ne peut pas être résolu (à temps) par des interventions législatives ponctuelles dans les divers domaines du droit concernés. C’est pourquoi ils estiment que la doctrine et la jurisprudence, ou alors le législateur, devraient reconnaître l’équivalence fonctionnelle comme nouveau principe juridique en droit suisse. Ils proposent de formuler ce principe en les termes suivants : dans la mesure où le droit suisse fait dépendre la validité d’actes juridiques ou l’existence d’une institution juridique d’exigences matérielles ou formelles, de telles exigences sont réputées remplies lorsqu’un système digital est en mesure de satisfaire de manière fonctionnellement équivalente les intérêts de protection juridique à la base de ces exigences151.

83. Le principe de l’équivalence fonctionnelle pourrait ainsi fournir une base pour trancher des questions qui sont aujourd’hui hautement controversées, comme par exemple celles de savoir si des créances peuvent être cédées par le transfert d’un actif cryptographique (token ; cf. N 54 ci-dessus), s’il est possible d’acquérir ou de transférer la propriété sur une chose par le biais d’un actif cryptographique, si des actifs cryptographiques peuvent être des papiers-valeurs, si un registre des actionnaires peut être tenu via un ledger (cf. N 5 ci-dessus), si des actions peuvent prendre la forme

électronique de la manière suivante : « 1. Sous réserve des dispositions du présent Protocole, la lettre de voiture visée à la Convention, ainsi que toute demande, déclaration, instruction, ordre, réserve ou autre communication concernant l’exécution d’un contrat de transport auquel la Convention s’applique, peuvent être établis par communication électronique. 2. Une lettre de voiture conforme au présent Protocole sera considérée comme équivalente à la lettre de voiture visée à la Convention et, de ce fait, aura la même force probante et produira les mêmes effets que cette dernière ».

151 Traduction littérale libre de « Soweit das schweizerische Recht an die Gültigkeit von Rechtsgeschäften oder an den Bestand eines Rechtsinstituts inhaltliche oder formale Voraussetzungen knüpft, sollen diese Voraussetzungen als erfüllt gelten, wenn ein digitales System die hinter diesen Voraussetzungen stehenden Rechtsschutzanliegen funktional gleichwertig ersetzen kann » (FURRER/MÜLLER, (n. 141), N 9).

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d’actifs cryptographiques et être transférées par le biais d’actifs cryptographiques152.

84. La proposition de FURRER et MÜLLER mérite l’approbation. Elle n’est en effet que la généralisation de tentatives ponctuelles du législateur suisse de suivre l’évolution toujours plus rapide des moyens de communication, notamment en reconnaissant la forme textuelle (cf. N 78 ci-dessus), en admettant l’équivalence de la signature électronique qualifiée avec horodatage qualifié avec la signature manuscrite (art. 14 al. 2bis CO) et celle de l’acte authentique électronique avec l’acte authentique sous format papier (art. 55a Titre final CC, Ordonnance du 8 décembre 2017 sur l’établissement d’actes authentiques électroniques et la légalisation électronique, OAAE).

85. Toutefois, cette proposition doit être limitée aux exigences formelles, de sorte que le principe de l’équivalence (cf. N 80 ss ci-dessus) ne devrait pas s’appliquer aux exigences matérielles. En effet, les exigences formelles ne sont qu’un moyen pour le législateur d’atteindre certains objectifs de politique juridique (cf. N 76 ss ci-dessus). Au contraire, lorsque le législateur limite la liberté contractuelle par une exigence matérielle, il opère un choix législatif sur le fond que les tribunaux ne sauraient contourner par la magie de l’équivalence153.

86. En plus, cette proposition n’apporte pas de solution satisfaisante au problème suivant qui est spécifique aux « Smart Contracts » : l’utilisateur moyen à qui la conclusion d’un contrat exécutable par « Smart Contract » est proposée ne comprend pas le contenu du programme informatique (ou du code source) qu’il est censé couvrir par son consentement (cf. N 59 ci-dessus).

87. Le fait qu’à l’heure actuelle, l’inscription d’une transaction sur la blockchain ne satisfait pas aux exigences des formes textuelles, écrites

152 FURRER/MÜLLER (n. 141), N 5 s. 153 KRAMER ERNST A., in : Meier-Hayoz Arthur (édit.), Berner Kommentar,

Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, Band VI (Obligationenrecht), 1. Abteilung (Allgemeine Bestimmungen), 2. Teilband, Unterteilband 1 a (Inhalt des Vertragses, Artikel 19-22 OR), Berne 1991, N 132.

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et authentiques (cf. N 79 ci-dessus) n’empêche bien évidemment pas les parties de manifester leur volonté en dehors de la blockchain dans les formes prescrites et d’inscrire ensuite leurs déclarations sur la blockchain afin de déclencher le déroulement du « Smart Contract »154. Un tel procédé fait toutefois perdre au « Smart Contract » une bonne partie de ses avantages cruciaux (cf. N 28 ss ci-dessus).

E. La validité matérielle des manifestations de volonté générées par le « Smart Contract »

88. L’art. 19 CO prévoit que « [l]’objet d’un contrat peut être librement déterminé, dans les limites de la loi ». Le droit des parties de pouvoir librement choisir l’objet de leur contrat (Inhaltsfreiheit) est un aspect important de leur liberté contractuelle155. Rien n’empêche donc les parties de convenir qu’elles exécuteront leurs obligations contractuelles respectives à l’aide d’un programme informatique sous forme d’un « Smart Contract »156.

89. Toutefois, les art. 19 et 20 CO limitent en même temps cette liberté contractuelle du point de vue matériel. Ces limites s’imposent de la même manière aux déclarations générées automatiquement par un « Smart Contract » qu’à celles faites par une personne157.

F. L’interprétation des manifestations de volonté générées par le « Smart Contract »

90. Le Tribunal fédéral et la doctrine majoritaire distinguent entre les interprétations subjective et objective des manifestations de volonté. L’interprétation subjective consisterait à rechercher la « réelle intention des parties » (cf. art. 18 al. 1er CO)158. L’interprétation

154 HECKELMANN (n. 26), p. 507. 155 GAUCH/SCHLUEP/SCHMID (n. 72), N 618, 624 ss. 156 FURRER (n. 23), p. 106 ; HECKELMANN (n. 26), p. 505. 157 FURRER (n. 23), p. 113. 158 ATF 143 III 157, c. 1.2.2, p. 159 ; ATF 142 III 239, c. 5.2.1, p. 253 ; GAUCH/

SCHLUEP/SCHMID (n. 72), N 1200 ; WIEGAND WOLFGANG, in : Honsell/Vogt/

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objective, quant à elle, consisterait à rechercher comment chaque partie pouvait et devait comprendre de bonne foi la manifestation de volonté de l’autre dans les circonstances concrètes159. L’interprétation subjective serait une question de fait que le Tribunal fédéral ne pourrait pas revoir (art. 105 al. 1er LTF)160, tandis que l’interprétation objective représenterait une question de droit susceptible d’un réexamen par le Tribunal fédéral (art. 106 al. 1er LTF)161.

91. Nous avons critiqué cette distinction dans une autre contribution en proposant l’abandon pur et simple de l’interprétation subjective en faveur de l’interprétation objective et concrète162. En présence de manifestations de volonté générées par un « Smart Contract », l’interprétation subjective se justifie encore moins. En effet, en autorisant le « Smart Contract » à générer automatiquement des manifestations de volonté, la partie consent ipso facto à leur interprétation purement objective et concrète, car le « Smart Contract » en tant que programme informatique ne peut pas avoir de « réelle intention » (cf. art. 18 al. 1er CO)163.

92. Pour le reste, l’ensemble des méthodes164, moyens165 et principes166 traditionnels de l’interprétation objective et concrète trouvent application. Cela vaut notamment aussi pour la manifestation de volonté implicite qui est déduite d’une action générée par le « Smart Contract » (p.ex. l’acceptation d’une offre faite par le biais d’un « Smart Contract » par la transmission du prix de vente)167. La même

Wiegand (édit.), Basler Kommentar, Obligationenrecht I, art. 1-529 OR, 6e éd., Bâle 2015, art. 18 N 11 ss.

159 ATF 143 III 157, c. 1.2.2, p. 159 ; ATF 142 III 239, c. 5.2.1, p. 253. 160 ATF 142 III 239, c. 5.2.1, p. 253 ; ATF 138 III 659, c. 4.2.1, p. 666 s. 161 ATF 142 III 239, c. 5.2.1, p. 253 ; ATF 141 V 657, c. 3.5.2, p. 662. 162 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 70 ss. 163 FURRER (n. 23), p. 110, 113. 164 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 46 ss. 165 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 128 ss. 166 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 169 ss. 167 FURRER (n. 23), p. 110.

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chose vaut lorsque le « Smart Contract » doit être qualifié de conditions générales d’affaires168 (cf. N 116 ss ci-dessous)169.

III. Les vices du consentement

93. Les « Smart Contracts » s’exécutent de manière automatique (cf. N 2 ci-dessus). En théorie, cette caractéristique permet aux « Smart Contracts » de réaliser à la perfection le principe fondamental de la fidélité contractuelle (pacta sunt servanda)170 : si un contrat est immuable, les prestations seront exécutées avec certitude exactement comme convenues (programmées)171. Toutefois, il existe des situations où l’exécution du « Smart Contract » ne correspond pas à ce qu’une partie aurait voulu. Les art. 23 ss CO permettent à une partie d’invalider un contrat après sa conclusion pour vice du consentement, à savoir notamment pour erreur (art. 23-27 CO), mais aussi pour dol (art. 28 CO) ou crainte fondée (art. 29 s. CO).

94. En présence d’un « Smart Contract », une erreur peut conduire à l’invalidation (partielle) du contrat exécutable par « Smart Contract » (cf. N 93 ci-dessus), du contrat d’application (cf. N 69 s. ci-dessus) et/ou du contrat de plateforme (cf. N 69 s. ci-dessus). Une erreur peut ainsi révéler que le consentement d’une partie à ce qu’un « Smart Contract » génère des manifestations de volonté soit moins étendu que ce que cette partie avait compris au moment de la conclusion du contrat exécutable par « Smart Contract ». Tel peut par exemple être le cas d’un « Smart Contract » qui, de par la complexité et le dynamisme de ses algorithmes, est capable de générer des manifestations de volonté dans une mesure beaucoup plus large que ce que la partie victime de l’erreur pouvait anticiper

168 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 225 ss. 169 FURRER (n. 23), p. 110. 170 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 563 ss. 171 WEBER (n. 54, Leistungsstörungen […]), N 18 ; MEYER/SCHUPPLI (n. 7),

p. 217 s. ; HESS MARTIN/SPIELMANN PATRICK, Cryptocurrencies, Blockchain, Handelsplätze & Co. – Digitalisierte Werte unter Schweizer Recht, in : Reutter Thomas U./Werlen Thomas (édit.), Kapitalmarkt – Recht und Transaktionen XII, Zurich/Bâle/Genève 2017, p. 164.

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au moment de la conclusion du contrat exécutable par « Smart Contract » (cf. N 70 ci-dessus)172.

95. Par contre, une erreur concernant la déclaration générée automatiquement par le « Smart Contract » elle-même est plus difficilement concevable. Une telle déclaration ne pourrait être invalidée que si la partie victime de l’erreur a directement influencé la genèse ou le contenu de la déclaration par une action ou une information de sa part173.

96. La partie victime de l’erreur peut bien évidemment ratifier par la suite le champ d’application plus large qu’initialement compris du contrat exécutable par « Smart Contract », du contrat d’application ou du contrat de plateforme (cf. N 72 ci-dessus) en application de l’art. 31 CO. Elle peut aussi ratifier la manifestation de volonté générée automatiquement par le « Smart Contract ».

97. Lorsque l’erreur provient de la faute de la partie qui invalide (partiellement) le contrat exécutable par « Smart Contract », le contrat d’application ou le contrat de plateforme (cf. N 94 ci-dessus), voire la manifestation de volonté automatiquement générée par le « Smart Contract » (cf. N 95 ci-dessus), cette partie devra toutefois réparer le préjudice résultant de cette invalidation, à moins que l’autre partie n’ait connu ou dû connaître l’erreur (art. 26 CO).

98. Le fait qu’un contrat basé sur un « Smart Contract » s’exécute fidèlement tel que prévu dans son code source et donc de manière automatisée crée toutefois le risque que celui-ci ne reflète plus la réalité juridique en cas d’annulation pour vice de consentement. Pour assurer la cohérence entre les réalités informatique et juridique, il faudrait que le « Smart Contract » contienne dès son départ la possibilité pour les parties de l’annuler pour vice du consentement en application des art. 23-31 CO. Le « Smart Contract » devrait donc offrir à chaque partie la possibilité technique d’inscrire une déclaration d’annulation comme bloc séparé dans la blockchain174.

172 ERNST (n. 153), p. 80 ; FURRER (n. 23), p. 113. 173 ERNST (n. 153), p. 80 ; FURRER (n. 23), p. 113. 174 HECKELMANN (n. 26), p. 507.

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99. Toutefois, un « Smart Contract » ne peut que refléter des événements purement factuels, notamment la réception de manifestation de volonté (cf. N 52 ss ci-dessus). L’appréciation juridique de ces faits devra se faire inévitablement à l’extérieur de la blockchain.

IV. Autres modifications ultérieures du contrat exécutable par « Smart Contract »

100. Ce dernier constat ne s’applique pas seulement à l’invalidation pour vice du consentement, mais aussi à l’interprétation175, au complètement176 et à l’adaptation177 du contrat exécutable par « Smart Contract », du contrat d’application ou du contrat de plateforme (cf. N 69 ci-dessus), voire des manifestations de volonté générées automatiquement par le « Smart Contract ». La même chose vaut pour des manifestations de volonté tendant à influencer le futur du contrat exécutable par « Smart Contract », comme les déclarations de révocation, de résolution ou de résiliation, ou encore l’exception de la prescription.

101. Même si un « Smart Contract » offre la possibilité d’inscrire de telles manifestations de volonté dans la blockchain, le « Smart Contract » ne pourra jamais faire plus que constater le fait qu’une partie a manifesté sa volonté de produire un certain effet juridique. Il se peut donc que le contenu d’un contrat exécutable par « Smart Contract » ait été modifié par rapport à la programmation initiale du « Smart Contract » ou que ce contrat n’existe plus d’un point de vue juridique, sans que cela ne se soit reflété dans le « Smart Contract »178.

V. Le paiement par actif cryptographique

102. Le contrat exécutable par « Smart Contract » prévoit régulièrement que la prestation financière doit être exécutée par le transfert d’une

175 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 17 ss. 176 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 425 ss. 177 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 557 ss. 178 HECKELMANN (n. 26), p. 507.

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monnaie électronique (Kryptowährung, digitale Währung ; cryptocurrency) ou d’actifs cryptographiques à travers la blockchain. C’est pourquoi la qualification juridique du contrat exécutable par « Smart Contract » est étroitement liée à celle des actifs cryptographiques.

A. Les notions de prix et de loyer

103. Dans les contrats de vente (art. 184 à 236 CO), de bail à loyer (art. 253 à 273c CO) et d’entreprise (art. 363 à 379 CO), une partie doit à l’autre une prestation financière en échange du transfert de la propriété, de la cession d’usage ou de la réalisation d’un ouvrage. La question se pose alors de savoir si le transfert d’un actif cryptographique satisfait aux exigences des notions de prix (art. 184 al. 1er CO pour le contrat de vente ; art. 363 CO pour le contrat d’entreprise) ou de loyer (art. 257 CO).

104. Aucune de ces dispositions ne définit la notion de prix ou de loyer. Quant à la notion de prix au sens de l’art. 184 al. 1er CO, la doctrine majoritaire estime que l’obligation de payer le prix vise le paiement d’une somme d’argent179. Pour la notion de prix au sens de l’art. 363 CO, certains auteurs limitent cette dernière également au paiement d’une somme d’argent180. La même chose vaut pour la notion de

179 TERCIER/BIERI/CARRON (n. 47), N 852 s. ; MÜLLER (n. 39), N 171 ; VENTURI

SILVIO/ZEN-RUFFINEN MARIE-NOËLLE, in : Thévenoz Luc/Werro Franz (édit.), Commentaire romand, Code des obligations I, art. 1-529 CO, 2e éd., Bâle 2012, art. 184 CO N 34 ; KÄHR MICHEL, in : Kren Kostkiewicz Jolanta/Wolf Stephan/Amstutz Marc/Fankhauser Roland (édit.), Orell Füssli Kommentar, OR Kommentar Schweizerisches Obligationenrecht, 3e éd., Zurich 2016, art. 237 OR N 4. Pour le droit allemand : WESTERMANN PETER HARM, in : Säcker Jürgen Franz/Rixecker Roland/Oetker Hartmut/Limperg Bettina (édit.), Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, Band 3, Schuldrecht - Besonderer Teil I, §§ 433-534, Finanzierungsleasing, CISG, 7e éd., Munich 2016, § 433 BGB N 16, § 480 BGB N 1.

180 GAUCH PETER, Der Werkvertrag, 5e éd., Zurich 2011, N 111 ; KOLLER ALFRED, in : Hausheer Heinz (édit.), Berner Kommentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch, Das Obligationenrecht, Band VI, 2. Abteilung, Die einzelnen Vertragsverhältnisse, 3. Teilband, 1. Unterteilband, Der Werkvertrag, art. 363-366 OR, 3e éd., Berne 1998, art. 363 OR N 84.

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loyer au sens de l’art. 257 CO qu’une partie de la doctrine limite aussi à une dette d’argent (Geldschuld)181.

105. Pour le contrat d’entreprise, certains auteurs considèrent aussi le transfert de choses fongibles comme paiement du prix au sens de l’art. 363 CO182. Quant au contrat de bail, une partie de la doctrine élargit la notion de loyer à des choses fongibles183, à d’autres prestations appréciables en argent184 et même à la reprise de dettes185.

106. Il se pose donc la question de savoir si un actif cryptographique remplit les caractéristiques du prix au sens des contrats de vente et d’entreprise, et du loyer au sens du contrat de bail.

B. L’actif cryptographique comme moyen de paiement d’une dette d’argent

107. Le paiement d’une dette qui a pour objet une somme d’argent (Geldschuld) est régi par les art. 84 à 90 CO. Selon l’art. 84 al. 1er CO, « [l]e paiement d’une dette qui a pour objet une somme d’argent se fait en moyens de paiement ayant cours légal dans la monnaie due ». L’art. 2 LUMMP186

181 WEBER ROGER, in : Honsell Heinrich/Vogt Nedim Peter/Wiegand Wolfgang

(édit.), Basler Kommentar, Obligationenrecht I, art. 1-529 OR, 6e éd., Bâle 2015, art. 257 OR N 3.

182 GAUTSCHI GEORG, in : Meier-Hayoz Arthur (édit.), Berner Kommentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch, Band VI (Das Obligationenrecht), 2. Abteilung (Die einzelnen Vertragsverhältnisse), 3. Teilband (Der Werkvertrag), art. 363-379 OR, Berne 1967, art. 363 OR N 9a ; OSER HUGO/SCHÖNENBERGER WILHELM, in : Egger August (édit.), Zürcher Kommentar, Kommentar zum Schweizerischen Zivilgesetzbuch, Das Obligationenrecht, Die einzelnen Vertragsverhältnisse, art. 184-418 OR, 2e éd., Zurich 1936, art. 363 OR N 9.

183 GIGER HANS, in : Hausheer Heinz/Walter Peter (édit.), Berner Kommentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch, Das Obligationenrecht, Die Miete, art. 253-273c OR, art. 256-259i OR, Berne 2015, art. 257 OR N 34.

184 LACHAT DAVID, in : Thévenoz Luc/Werro Franz (édit.), Commentaire romand, Code des obligations I, art. 1-529 CO, 2e éd., Bâle 2012, art. 257 N 4 ; WEBER

(n. 181), art. 257 OR N 3. 185 SVIT-Kommentar, Das schweizerische Mietrecht, 3e éd., Zurich/Bâle/Genève

2008, art. 257-257b OR, N 7. 186 Loi fédérale du 22 décembre 1999 sur l’unité monétaire et les moyens de paiement

(LUMMP ; RS 941.10).

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énumère les moyens de paiement ayant cours légal, à savoir les espèces métalliques émises par la Confédération, les billets de banque émis par la Banque nationale suisse et les avoirs à vue en francs auprès de la Banque nationale suisse.

108. Etant donné la nature dispositive de l’art. 84 al. 1er CO, les parties sont toutefois libres de prévoir d’autres moyens de paiement187. L’expression « dette qui a pour objet une somme d’argent » est alors comprise dans un sens fonctionnel188 : elle sert à procurer un pouvoir patrimonial (Vermögensmacht) abstrait et incorporel189. Du point de vue du droit des obligations, l’argent représente donc simplement un moyen d’échange190 appelé à diminuer les coûts de transaction dans le commerce de choses (et de services)191.

109. Cette acception large de la notion d’argent a comme conséquence qu’une exécution en monnaie scripturale (Buchgeld) ou en monnaie étrangère est également considérée comme un paiement d’une somme d’argent192. La doctrine et la jurisprudence appliquent aussi ce principe aux moyens de paiement privés, comme par exemple l’argent WIR qui – contrairement au paiement scriptural – ne permet

187 EGGEN MIRJAM, Verträge über digitale Währungen, Jusletter 04.12.2017, N 23 ;

EMMENEGGER SUSAN, Geldschuld und bargeldloser Zahlungsverkehr, in : Kunz Peter V./Weber Jonas/Lienhard Andreas/Fargnoli Iole/Kren Kostkiewicz Jolanta (édit.), Berner Gedanken zum Recht, Festgabe der Rechtswissenschaftlichen Fakultät der Universität Bern für den Schweizerischen Juristentag 2014, Berne 2014, p. 4.

188 EGGEN (n. 187), N 23, avec d’autres références. 189 SCHRANER MARIUS, in : Gauch Peter/Schmid Jörg (édit.), Zürcher Kommentar,

Kommentar zum Schweizerischen Zivilgesetzbuch, Obligationenrecht, Kommentar zur 1. und 2. Abteilung (Art. 1-529 OR), Die Erfüllung der Obligationen, Teilband V.1.e, art. 68-96 OR, 3e éd., Zurich 2000, art. 84 OR N 4 ; WEBER ROLF H., in : Hausheer Heinz (édit.), Berner Kommentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch, Das Obligationenrecht, Allgemeine Bestimmungen, Die Erfüllung der Obligation, Band/Nr. VI.1.4, art. 68-96 OR, 2e éd., Berne 2005, art. 84 OR N 13 ; BECK BENJAMIN, Bitcoins als Geld im Rechtssinne, NJW 9/2015, p. 581 ss.

190 WEBER (n. 189), art. 84 N 13. 191 EGGEN (n. 187), N 23 ; BECK (n. 189), p. 582. 192 HUGUENIN (n. 72), N 2443 s. ; KOLLER ALFRED, in : Honsell Heinrich/Vogt

Nedim Peter/Wiegand Wolfgang (édit.), Balser Kommentar, Obligationenrecht I, art. 1-529 OR, 6e éd., Bâle 2015, art. 184 OR N 19.

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pas une conversion simple en monnaie étatique193. Toutefois, le Tribunal fédéral considère que lorsque les parties conviennent, sans plus de détail, d’un paiement « 100% WIR » et que les bons de virement ne sont pas exécutés par la coopérative WIR, il est présumé qu’ils ont été remis au vendeur en vue du paiement et non pas à titre de paiement194.

110. Toutefois, lorsque les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies, les actifs cryptographiques peuvent être assimilés à l’argent au sens du droit des obligations :

• Il faut d’une part qu’un grand nombre de personnes acceptent l’actif cryptographique en question comme moyen d’échange195. Ce n’est qu’à cette condition que le vendeur pourra à son tour utiliser l’actif cryptographique reçu pour conclure d’autres transactions à sa guise, sans devoir attendre un partenaire commercial dont l’offre ou la demande représente la contrepartie exacte de ses propres besoins196.

• Il faut d’autre part que les parties au contrat aient l’intention commune de procurer au créancier un pouvoir patrimonial abstrait (cf. N 108 ci-dessus) par le transfert de l’actif cryptographique197.

Lorsque ces deux conditions sont réunies, une convention prévoyant le transfert de la propriété sur une chose, la livraison d’un ouvrage ou la cession de l’usage d’une chose contre un paiement en actifs cryptographiques peut être qualifiée de contrat de vente, d’entreprise ou de bail198.

193 ATF 119 II 227. 194 ATF 119 II 227, c. 2b, p. 230. 195 EGGEN (n. 187), N 11 ss, 24. 196 BECK (n. 189), p. 582 ; HARARI YUVAL NOAH, A Brief History of Humankind,

London 2011, p. 193 ss. 197 EGGEN (n. 187), N 24. 198 EGGEN (n. 187), N 24, 27 ; HECKELMANN (n. 26), p. 508 ; BECK BENJAMIN/

KÖNIG DOMINIK, Bitcoin : Der Versuch einer vertragstypologischen Einordnung von kryptographischem Geld, JZ 3/2015, p. 136 ; contra : ERNST (n. 153), p. 81, qui y voit un contrat d’échange au sens des art. 237 ss CO ou alors un contrat innommé.

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Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse

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111. Par contre, la question de savoir si l’Etat reconnaît l’actif cryptographique comme moyen de paiement est sans importance199. Il en va de même de la question de savoir si l’actif cryptographique peut être converti à tout moment en un moyen de paiement légal200. N’est pas non plus décisive la question de savoir dans quelle mesure l’actif cryptographique est effectivement utilisé. Aussi longtemps que le créancier de l’actif cryptographique garde la possibilité de payer une multitude de choses et de services avec l’actif reçu, il dispose dès la réception de cet actif du pouvoir patrimonial abstrait nécessaire201.

112. Dans son Guide pratique pour les questions d’assujettissement concernant les initial coin offerings (ICO) du 16 février 2018, la FINMA a confirmé la conclusion de ce raisonnement en précisant ce qui suit : « Compte tenu du fait que les jetons de paiement [i.e. les crypto-monnaies] sont conçus comme des moyens de paiement et que leur fonction économique ne présente aucune analogie avec les valeurs mobilières traditionnelles, la FINMA ne traite pas les jetons de paiement comme des valeurs mobilières »202. Le contrat d’aliénation ayant comme objet l’achat ou la vente d’un actif cryptographique soulève des questions particulières qui dépasseraient les limites de cette contribution203.

C. Conséquences pour le régime légal applicable aux « Smart Contracts »

113. Comme le paiement en actifs cryptographiques ne change rien à la qualification des contrats de vente, d’entreprise et de bail (cf. N 110 ci-dessus), ce sont aussi les règles légales, jurisprudentielles et doctrinales habituelles qui régissent l’exécution, la mauvaise exécution et l’inexécution de ces contrats204. Cette conclusion donne dès lors tort à tous ceux qui voient en les « Smart Contracts » un

199 EGGEN (n. 187), N 24 ; BECK/KÖNIG (n. 198), p. 137. 200 EGGEN (n. 187), N 24 ; BECK/KÖNIG (n. 198), p. 137. 201 EGGEN (n. 187), N 24. 202 FINMA, Guide pratique du 16 février 2018 pour les questions d’assujettissement

concernant les initial coin offerings (ICO), p. 4. 203 EGGEN (n. 187), N 33 ss. 204 EGGEN (n. 187), N 28.

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outil d’exécution des contrats tellement parfait qu’il n’est plus assujetti aux règles ordinaires. La formule accrocheuse « Code is Law », c’est-à-dire que l’ensemble des règles juridiques régissant le « Smart Contract » se trouvent dans le code source (cf. N 59 ci-dessus)205, est donc aussi bien frappée qu’inexacte206. Il n’est donc pas forcément nécessaire de programmer dans le « Smart Contract » une « interface judiciaire » (Justizschnittstelle)207 ou de créer même un nouveau cadre juridique propre aux « Smart Contracts »208, comme certains auteurs allemands le réclament.

114. Le paiement en actifs cryptographiques soulève cependant la question spécifique de savoir à quel moment l’obligation de payer est exécutée. Il découle de l’art. 74 al. 2 ch. 1 CO que le débiteur n’aura exécuté son obligation de payer le prix ou le loyer qu’au moment où le créancier peut disposer de l’argent209. En présence d’un paiement sans espèces, le Tribunal fédéral210 et certains auteurs211 estiment que tel est seulement le cas lorsque le montant a été crédité sur le compte du créancier. D’autres auteurs sont d’avis qu’est déjà décisif le moment de l’opération interbancaire (Interbankbuchung)212 ou encore celui où le montant est débité du compte de la banque débitrice213. En présence d’un paiement en actifs cryptographiques, le créancier peut disposer du montant transféré lorsque la transaction a été inscrite de manière irrévocable sur la blockchain (cf. N 9 ss ci-dessus). L’inscription du montant dans le wallet du créancier n’est par contre pas nécessaire, car ce dernier

205 LESSIG LAWRENCE, Code version 2.0, New York 2006, p. 5 ss. 206 ERNST (n. 153), p. 75 s ; HECKELMANN (n. 26), p. 508. 207 SIMMCHEN (n. 7), p. 164. 208 DJAZAYERI (n. 7), Anm. 1. 209 TF 4F_12/2018 du 15 juin 2018 ; ATF 124 III 112, c. 2a, p. 217 ; ATF 119 II 232,

c. 2, p. 234. 210 ATF 124 III 112, c. 2a, p. 217 ; ATF 119 II 232, c. 2, p. 234. 211 LEU URS, in : Honsell Heinrich/Vogt Nedim Peter/Wiegand Wolfgang (édit.),

Basler Kommentar, Obligationenrechrt I, art. 1-529, 6e éd., Bâle 2015, art. 74 OR N 6 ; WEBER (n. 189), art. 74 OR N 123.

212 SCHRANER (n. 189), art. 74 OR N 105. 213 GAUCH PETER/SCHLUEP WALTER R./EMMENEGGER SUSAN, Schweizerisches

Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, tome II, 10e éd., Zurich/Bâle/Genève 2014, N 2324.

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Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse

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ne sert au créancier qu’à administrer ses unités de la monnaie électronique214. N’est pas non plus décisif le moment où le débiteur déclenche la transaction215.

115. Le paiement par actifs cryptographiques soulève une deuxième question. Comme ce type de paiement à travers une blockchain est (pour l’instant encore) moins fiable que des modes de paiement traditionnels (cf. N 52 s. ci-dessus pour le problème des forks), il se peut que le débiteur se trouve dans l’incapacité d’exécuter son paiement à cause d’un problème technique de la blockchain. Si les parties ont convenu d’un paiement par actifs cryptographiques comme unique mode paiement, il sera difficile de qualifier ce mode de paiement comme un simple substitut au paiement (Zahlungssurrogat)216. Lorsque l’empêchement technique n’est que passager, les règles sur la demeure du débiteur (art. 102-109 CO) offrent des solutions satisfaisantes. Par contre, en présence d’un empêchement durable, le paiement en actifs cryptographiques devient impossible. Contrairement aux dettes d’argent traditionnelles, ce sont donc les règles sur l’impossibilité objective subséquente de l’art. 119 CO qui trouvent application217.

VI. Le « Smart Contract » comme conditions générales d’affaires

116. Le recours au « Smart Contract » a pour but principal de simplifier les échanges commerciaux et de permettre ainsi des transactions en masse (cf. N 23 ci-dessus). Il se pose alors la question de savoir si le

214 EGGEN (n. 187), N 29. Pour le fonctionnement du wallet, SPINDLER

GERALD/BILLE MARTIN, Rechtsprobleme von Bitcoins als virtuelle Währung, Zeitschrift für Wirtschafts- und Bankrecht (WM) 29/2014, p. 1358.

215 EGGEN (n. 187), N 29. Pour le transfert de monnaie électronique par payment channels, HESS MARTIN/LIENHARD STEPHANIE, Übertragung von Vermögenswerten auf der Blockchain, Jusletter 04.12.2017, N 16 ss.

216 EGGEN (n. 187), N 30. Tel est toutefois le cas pour l’argent WIR selon l’art. C.8.b des Conditions générales de la Banque WIR société coopérative du 1er janvier 2017 (https://www.wir.ch/fileadmin/user_upload/Dokumente/Dokumente/ dokumentagb-fr.pdf ; dernière consultation le 14.09.2018) : « Si la créance en WIR n’est pas réglée dans les 7 jours dès réception du rappel, le montant WIR est dû dans son intégralité en CHF (taux de conversion CHW-CHF 1:1) ».

217 EGGEN (n. 187), N 30 ; pour le droit allemand, BECK (n. 189), p. 585.

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« Smart Contract » en tant que tel peut être qualifié de conditions générales d’affaires (CGA)218. Les CGA sont des conditions non négociables qu’une partie (l’utilisateur) pré-formule sous forme de clauses contractuelles pour les imposer à un nombre illimité de futurs partenaires contractuels (clients)219. La qualification du « Smart Contract » en tant que CGA se pose en particulier lorsque le « Smart Contract » a été programmé par la même personne qui propose son utilisation (cf. N 36 ci-dessus).

117. Plusieurs aspects indispensables pour une qualification de CGA sont toutefois sujets à caution.

118. Le premier de ces aspects est l’intention de l’utilisateur d’avoir recours au « Smart Contract » pour une multitude de transactions futures. Lorsque l’exploitant de la plateforme (cf. N 16 s. ci-dessus), respectivement le concepteur de l’application (cf. N 15 s. ci-dessus), n’est pas partie au contrat exécutable par « Smart Contract », aucune des parties à ce contrat n’aura recours au « Smart Contract » dans une multitude de transactions. Au contraire, une multitude d’utilisateurs n’aura recours au même « Smart Contract » qu’une seule fois. Prenons par exemple une plateforme pour l’octroi et l’obtention de crédits qui permette de conclure une multitude de transactions sur la base d’un seul et même « Smart Contract » : chaque preneur de crédit n’aura besoin que d’un seul crédit et la plupart des prêteurs (ou investisseurs) n’accordera qu’un seul crédit. Seul l’exploitant de la plateforme, respectivement le concepteur de l’application, mais non pas les parties au contrat de prêt exécutable par « Smart Contract », auront l’intention d’utiliser le « Smart Contract » dans une multitude de transactions220. Au contraire,

218 Une bonne partie de la doctrine allemande qualifie le « Smart Contract »

effectivement de CGA, souvent sans examen approfondi : HECKMANN/

KAULARTZ (n. 10), p. 139 ; KAULARTZ/HECKMANN (n. 7), p. 622 ; SCHREY

JOACHIM/THALHOFER THOMAS, Rechtliche Aspekte der Blockchain, NJW 20/2017, p. 1436. Nuancé par contre HECKELMANN (n. 26), p. 507 s.

219 TF 4A_47/2015 du 2 juin 2015, c. 5.1 ; KOLLER (n. 75), N 23.02 ; KRAMER ERNST

A./PROBST THOMAS/PERRIG ROMAN, Schweizerisches Recht der Allgemeinen Geschäftsbedingungen, Berne 2016, N 73 ; MÜLLER (n. 28), art. 1 N 272.

220 HECKELMANN (n. 26), p. 507.

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Les « Smart Contracts » en droit des obligations suisse

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l’utilisateur des CGA n’aura recours au « Smart Contract » qu’une seule fois.

119. Même si le « Smart Contract » devait être qualifié de CGA, il se poserait alors une difficulté supplémentaire bien illustrée par l’exemple de la plateforme pour l’octroi de crédits (cf. N 118 ci-dessus) : laquelle des parties au contrat de prêt exécutable par « Smart Contract » doit être qualifiée d’utilisatrice des CGA (cf. N 118 ci-dessus) ? Pour cela, il faudrait que le recours aux CGA puisse clairement être imputé à l’une des parties et que ce recours ne repose pas sur un accord librement négocié entre les parties au contrat exécutable par « Smart Contract »221. Une telle imputation est uniquement possible si la partie qui offre la conclusion d’un contrat exécutable par « Smart Contract » est la même que celle qui a programmé (ou fait programmer) le « Smart Contract » (cf. N 116 ci-dessus)222. La même chose vaut lorsque la partie qui offre la conclusion d’un contrat exécutable par « Smart Contract » est en même temps partie au contrat d’application (cf. N 15 s. ci-dessus) ou au contrat de plateforme (cf. N 16 s. ci-dessus)223. Dans l’exemple de la plateforme de crédits, par contre, une telle imputation n’est pas possible. Le donneur et le preneur de crédits sont dans la même mesure au bénéfice (ou à la merci) des conditions fixées par l’exploitant de la plateforme, respectivement le concepteur de l’application224.

120. Un autre aspect problématique des « Smart Contracts » en tant que CGA est celui du caractère pré-formulé (cf. N 116 ci-dessus). En effet, un « Smart Contract » peut être programmé de manière beaucoup plus flexible que des CGA classiques. Certes, certains utilisateurs proposent déjà aujourd’hui sur Internet des modèles de contrats que le client peut non seulement télécharger, mais aussi adapter à ses besoins personnels par un jeu de questions-

221 MÜLLER (n. 28), art. 1 N 272, 277 ; pour le droit allemand, BASEDOW JÜRGEN, in :

Säcker Jürgen Franz/Rixecker Roland/Oetker Hartmut/Limperg Bettina (édit.), Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, Band 2, Schuldrecht – Allgemeiner Teil, 7e éd., Munich 2016, § 305 N 20 s.

222 FURRER (n. 23), p. 110 et 111. 223 FURRER (n. 23), p. 111. 224 HECKELMANN (n. 26), p. 507.

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réponses225. La jurisprudence allemande a eu l’occasion de qualifier de tels modèles de contrats offrant au client un choix limité par rapport à certaines clauses. Elle a admis la qualification de CGA lorsque le modèle suggère ou recommande un certain choix226. Si un « Smart Contract » est programmé de manière dynamique suivant les indications du client, une qualification de CGA semble par contre plutôt exclue227. En effet, plus le processus de gestion du « Smart Contract » est influençable par le client, moins il peut être considéré comme étant pré-formulé. Comme en règle générale, le processus de gestion du « Smart Contract » est toutefois fortement influencé par la partie offrant la conclusion du contrat exécutable par « Smart Contract », le « Smart Contract » pourra très souvent être qualifié de pré-formulé au sens des CGA228.

121. En conclusion, un « Smart Contract » doit être qualifié de CGA lorsque l’une des parties au contrat exécutable par « Smart Contract » a elle-même programmé le « Smart Contract » ou est en même temps partie au contrat d’application, respectivement de plateforme et que le client n’a pas pu influencer la programmation du « Smart Contract ».

122. Cela signifie pour l’intégration et l’interprétation du « Smart Contract » dans le contrat que les règles spécifiques sur l’intégration et l’interprétation229 des CGA trouvent application par analogie230. Cela signifie, pour la conclusion du contrat exécutable par « Smart Contract », que les parties doivent avoir intégré le « Smart Contract » dans leur contrat et que ce dernier ne contient pas de clauses individuellement négociées contraires231. KAULARTZ et HECKMANN estiment à ce propos qu’un client qui conclut un contrat en étant conscient des effets juridiques d’un code source (« im Bewusstsein über die Rechtswirkungen eines Programmcodes ») donne son consentement à

225 HECKELMANN (n. 26), p. 507. 226 Bundesgerichtshof, 6 décembre 2002, NJW 18/2003, p. 1313 ss. 227 HECKELMANN (n. 26), p. 507. 228 FURRER (n. 23), p. 110. 229 MÜLLER (n. 28), art. 18 N 226 ss. 230 FURRER (n. 23), p. 110, 113. 231 MÜLLER (n. 28), art. 1er N 269 ss.

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l’intégration du « Smart Contract » en tant que CGA232. Il est fort douteux que la jurisprudence suisse partage cette analyse (que KAULARTZ et HECKMANN qualifient eux-mêmes de « interessengeleitet », c’est-à-dire dirigée par leurs propres intérêts de spécialistes du droit de l’informatique) et prive le consommateur en tant que partie plus faible et moins expérimentée en matière de technologie de toute protection juridique233.

VII. Conclusions

123. Il ressort de cette contribution que les avantages clés des « Smart Contracts » se trouvent en tension avec plusieurs institutions fondamentales du droit privé (suisse).

124. C’est notamment la capacité du « Smart Contract » de conclure et d’exécuter des contrats de manière totalement automatisée qui pose problème. Même si le syllogisme juridique procède aussi selon le schéma « if – then », le droit est rarement noir ou blanc, 1 ou 0, mais se décline en plus de 50 nuances de gris. Un programme informatique n’est ainsi pas en mesure d’intégrer des notions juridiques indéterminées, de tenir compte des vices du consentement ou encore de tous les changements futurs de circonstances.

125. Les automatismes des « Smart Contracts » remplacent certes la confiance qu’une partie au contrat doit accorder à l’autre ou à des tierces personnes (banquier, notaire, etc.) pour l’exécution du contrat. Toutefois, si l’objet même du contrat ne peut pas être transféré sous forme de valeur cryptographique via la blockchain (p.ex. un appartement de vacances loué par Airbnb), les parties auront toujours besoin de se faire confiance, même en présence d’un « Smart Contract ».

126. Par contre, pour des transactions de masse simples, les « Smart Contracts » pourraient offrir une alternative très efficiente pour la conclusion et l’exécution de contrats. Pour devenir compatible avec notre droit (privé), il faudrait cependant que les codes sources à la

232 KAULARTZ/HECKMANN (n. 7), p. 622. 233 Voir aussi WEBER (n. 54, Leistungsstörungen […], N 11.

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base des « Smart Contracts » intègrent le plus de fonctionnalités juridiques possibles. Il faudrait donc que le monde de la technologie et celui du droit collaborent étroitement pour développer des « Smart Contracts » qui tiennent compte des limites (impératives) imposées par l’ordre juridique. La résolution de litiges en rapport avec la conclusion ou l’exécution d’un contrat exécutable par « Smart Contract » pourra aussi nécessiter une fonction de « Smart Arbitrator »234.

127. La plupart des applications des « Smart Contracts » sont toutefois encore loin d’une implémentation qui a fait ses preuves et encore plus d’une commercialisation de masse. Pour l’instant, chaque plateforme développe sa propre structure et pour certaines (p.ex. Ethereum), l’utilisateur est même obligé d’apprendre un nouveau langage de programmation. Des interfaces standardisées capables de relier les diverses implémentations de la blockchain font également défaut. Il reste donc encore beaucoup de travail aux informaticiens de la blockchain pour faire des « Smart Contracts » un outil à disposition de tous, y compris des juristes.

128. L’appréhension juridique dépendra des modalités techniques concrètes qui s’imposeront finalement sur le marché. Quoi qu’il en soit, nos systèmes juridiques sauront « digérer » ces nouveaux mécanismes de conclusion et d’exécution de contrats, d’une manière ou d’une autre. Une technologie innovante n’appelle pas forcément une législation ou jurisprudence innovante. Les moyens traditionnels du raisonnement juridique devraient permettre d’établir quelques règles simples offrant un cadre souple. J’espère que la présente contribution y aura contribué quelque peu.

234 P.ex. SAMBA (Smart Arbitration & Mediation Blockchain Application) de The

Miami Blockchain Group (http://miamiblockchaingroup.com/ ; dernière consultation le 11.09.2018) ou Confideal (Smart contract management service ; (https://icobench.com/ico/confideal ; dernière consultation le 11.09.2018) ou encore KLEROS (The Blockchain Dispute Resolution Layer ; https://kleros.io/ ; dernière consultation le 11.09.2018). Voir aussi SWISS LEGALTECH ASSOCIATION (n. 53), p. 53 ss.

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