3 georges devereux

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 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.spsy.2013.12.011 SOiNS  PSYCHIATRIE - n o 291 - mars/avril 2014 45 en ches les grandes gures de la psychiatrie 3/7 Georges Devereux  ORIGINES DE DOBÓ À DEVEREUX ANTHROPOLOGIE , PSYCHANALYSE  ET ETHNOPSYCHIATRIE Gyorgy Dobó est né le 13 s eptembre 1908 dans la petite ville de Lugoj dans la provinc e de Banat, partie de l’Em- pire austro-hongrois devenue aujourd’hui la Roumanie. z Sa famille, typique de la bourgeoisie juive aisée, est une famille d’intellectuels. Son grand-père maternel avait deux filles et cinq de ses petits-fils emprunteront des carrières de professeurs à l’univer- sité, de mathématiciens et de physiciens aux États-Unis. Le père de Gyorgy, avocat, se t remarquer dans la ville de Lugoj par ses idées politiques socialistes. z Très tôt, le jeune Gyorgy connaît déjà quatre langues, il en parlera huit plus tard. La bre mélomane de sa famille fera naître en lui le désir de devenir pia- niste. Malheureusement, un chirurgien maladroit rate une opération à la main droite, brisant net ce rêve. Gyorgy Dobó arrive à Paris en 1926, à l’âge de dix- huit ans. Il veut apprendre la physique, la chimie et les mathématiques et étudie avec Marie Curie et Jean Perrin. Avide d’indépendance, et en conit avec ses parents, il cesse ses études pour apprendre un métier. Amoureux de la langue française, il s’oriente vers la littérature. Entre 1928 et 1929, il fait une escale à Leip- zig (Allemagne) où il exerce comme apprenti libraire avant de revenir en France où il trouve un emploi chez un éditeur. En 1932, il publie des articles pour la célèbre revue  American Anthropologis t . La même année, il se fait baptiser et devient Georges Devereux. En 1933, Georges Devereux commence des études d’anthropologie qui le conduisent en Arizona chez les Hopi, au Colorado chez les Mohaves, en Nouvelle- Guinée puis en Indochine. Dans ce cadre, en Indochine française , il étudie les populations Sedang. z En 1935, il rejoint les États-Unis où il s’installe et obtient la nationalité américaine qu’il conservera  jusqu ’à sa m ort. À l’ Université de Berke ley , il appr end l’anthropologie avec Alfred Kroeber et Robert Lowie. Il y écrit une étude à propos des Amérindiens Mohaves et passe son doctorat d’anthropologie en 1935. En qualité de citoyen américain, il s’engage dans la marine, et lors de la Seconde Guerre mondiale, il est lieutenant en Extrême-Orient aux côtés des Forces françaises. z En 1944, après sa démobilisation,  il enseigne la sociologie à Port-au-Prince avant de revenir à Paris en 1946. À cette époque, il s’inscrit dans une psycha- nalyse auprès de Marc Schlumberger mais, devant l’opportunité d’un poste de chercheur à Topéka aux États-Unis, la cure est écourtée au bout d’un an. Il entreprend alors une deuxième analyse auprès de Robert Jokl et effectue un stage psychanalytique de quelques années à la cliniq ue Menninger de Topeka (Kansas) admettant également des non-médecins. C’est là qu’il fait la rencontre de l’Indien de la tribu des Pieds-Noirs, Jimmy Picard 1 , qui deviendra l’un de ses plus importants cas d’étude et le sujet de publication de Psychothérapie d’un Indien des plaines [1]. z Par la suite,  il est reçu membre de l’  Ame ri- can Psychoanalytic Association (APsaA), ce qui lui confère la qualité de membre de la Société psycha- nalytique de Paris (SPP) lorsqu’il émigre à Paris en 1963. Cette même année, à l’invitation de Claude Lévi- Strauss et de R oger Bastide, il rejoint, en France, l’École pratique des hautes études (EPHT) et créé la chaire d’ethnopsychiatrie de la 6 e  section. z Démontrant la nécessité de combiner plu- sieurs approches, il est proche de l’école de Chicago ainsi que de l’ egopsychology . Il défend l’idée de l’uni- versalité du complexe d’Œdipe, développe le courant “complémentariste” (entre anthropologie et psycha- nalyse) et se démarque du courant culturaliste (Ralph Linton, Margaret Mead) et des approches évolution- nistes, postulant le déterminisme biologique. z En France, un de ses élèves le plus c onnu est Tobie Nathan (bien que Georges Devereux n’ait pas favorisé la mise en place de dispositifs spéci ques tels qu’ils existent aujourd’hui, au nom de ses orientations théoriques). LES GRANDES FIGURES DE LA PS YCHIA TRIE 1. Henri Ey 2. Lucien Bonnafé 3. Georges Devereux 4. Donald W. Winnic ott 5. Wilfred Bion 6. Carl B. Rogers 7. Alois Alzheimer L ’œuvre de Georges Devereux (Gyorgy Dobó – 1908-1985) est vaste et variée. Poète et musicien passi onné de Mozart, ce nomade a fait de la Terre son pays. Formé à l’anthropologie, puis à la psychanalyse, il est considéré comme le fondateur du concept d’ethnopsychiatrie. A  RMEL RIVALLAN Cadre supérieur de santé Centre hospitalier de Quimperlé, Pôle de psychiatrie, 20 bis, avenue du Maréchal-Leclerc, 29300 Quimperlé, France  Adresse e-mail : armel.rivallan@ orange.fr (A. Rivallan).    ©     C  .    M    o    r    e    a    u    /    E    l    s    e    v    i    e    r    M    a    s    s    o    n    S    A    S NOTES 1 Sorti dans les salles en septembre 2013, le biopic  Jimmy P., réalisé par Arnaud Desplechin, relate la rencontre de Jimmy Picard et de Georges Devereux. 2 Georges Devereux a également fondé et dirigé la revue Ethnopsychiatrica .  © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Doc ument téléchargé le 10/03/2015 par IMFSI PERPIGNAN - (329084)

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Georges Devereux

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  • 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits rservshttp://dx.doi.org/10.1016/j.spsy.2013.12.011SOiNS PSYCHIATRIE - no291 - mars/avril 2014 45

    en fi chesles grandes fi gures de la psychiatrie

    3/7 Georges Devereux

    ORIGINES

    DE DOB DEVEREUX

    ANTHROPOLOGIE, PSYCHANALYSE ETETHNOPSYCHIATRIE

    Gyorgy Dob est n le 13septembre1908 dans la petite ville de Lugoj dans la province de Banat, partie de lEm-pire austro-hongrois devenue aujourdhui la Roumanie. z Sa famille, typique de la bourgeoisie juive

    aise, est une famille dintellectuels. Son grand-pre maternel avait deux filles et cinq de ses petits-fils emprunteront des carrires de professeurs luniver-sit, de mathmaticiens et de physiciens aux tats-Unis.

    Le pre de Gyorgy, avocat, se t remarquer dans la ville de Lugoj par ses ides politiques socialistes. z Trs tt, le jeune Gyorgy connat dj quatre

    langues, il en parlera huit plus tard. La bre mlomane de sa famille fera natre en lui le dsir de devenir pia-niste. Malheureusement, un chirurgien maladroit rate une opration la main droite, brisant net ce rve.

    Gyorgy Dob arrive Paris en 1926, lge de dix-huit ans. Il veut apprendre la physique, la chimie et les mathmatiques et tudie avec Marie Curie et Jean Perrin. Avide dindpendance, et en con it avec ses parents, il cesse ses tudes pour apprendre un mtier. Amoureux de la langue franaise, il soriente vers la

    littrature. Entre 1928 et 1929, il fait une escale Leip-zig (Allemagne) o il exerce comme apprenti libraire avant de revenir en France o il trouve un emploi chez un diteur. En 1932, il publie des articles pour la clbre revue American Anthropologist. La mme anne, il se fait baptiser et devient Georges Devereux.

    En 1933, Georges Devereux commence des tudes danthropologie qui le conduisent en Arizona chez les Hopi, au Colorado chez les Mohaves, en Nouvelle-Guine puis en Indochine. Dans ce cadre, en Indochine franaise, il tudie les populations Sedang. z En 1935, il rejoint les tats-Unis o il sinstalle et obtient la nationalit amricaine quil conservera jusqu sa mort. lUniversit de Berkeley, il apprend lanthropologie avec Alfred Kroeber et Robert Lowie. Ily crit une tude propos des Amrindiens Mohaves et passe son doctorat danthropologie en 1935.En qualit de citoyen amricain, il sengage dans la marine, et lors de la Seconde Guerre mondiale, il est lieutenant en Extrme-Orient aux cts des Forces franaises. z En 1944, aprs sa dmobilisation, il enseigne la sociologie Port-au-Prince avant de revenir Paris en 1946. cette poque, il sinscrit dans une psycha-nalyse auprs de Marc Schlumberger mais, devant lopportunit dun poste de chercheur Topka aux tats-Unis, la cure est courte au bout dun an. Il entreprend alors une deuxime analyse auprs de Robert Jokl et effectue un stage psychanalytique de quelques annes la clinique Menninger de Topeka (Kansas) admettant galement des non-mdecins.

    Cest l quil fait la rencontre de lIndien de la tribu des Pieds-Noirs, Jimmy Picard1, qui deviendra lun de ses plus importants cas dtude et le sujet de publication de Psychothrapie dun Indien des plaines [1]. z Par la suite, il est reu membre de lAmeri-can Psychoanalytic Association (APsaA), ce qui lui confre la qualit de membre de la Socit psycha-nalytique de Paris (SPP) lorsquil migre Paris en 1963. Cettemme anne, linvitation de Claude Lvi-Strauss et de Roger Bastide, il rejoint, en France, lcole pratique des hautes tudes (EPHT) et cr la chaire dethnopsychiatrie de la 6e section. z Dmontrant la ncessit de combiner plu-sieurs approches, il est proche de lcole de Chicago ainsi que de legopsychology. Il dfend lide de luni-versalit du complexe ddipe, dveloppe le courant complmentariste (entre anthropologie et psycha-nalyse) et se dmarque du courant culturaliste (Ralph Linton, Margaret Mead) et des approches volution-nistes, postulant le dterminisme biologique.z En France, un de ses lves le plus connu est Tobie Nathan (bien que Georges Devereux nait pas favoris la mise en place de dispositifs spci ques tels quils existent aujourdhui, au nom de ses orientations thoriques).

    LES GRANDES FIGURES DE LA PSYCHIATRIE

    1. Henri Ey2. Lucien Bonnaf3. Georges Devereux4. Donald W. Winnicott5. Wilfred Bion6. Carl B. Rogers7. Alois Alzheimer

    Luvre de Georges Devereux (Gyorgy Dob 1908-1985) est vaste et varie. Pote et musicien passionn de Mozart, ce nomade a fait de la Terre son pays. Form lanthropologie, puis la psychanalyse, il est considr comme le fondateur du concept dethnopsychiatrie.

    ARMEL RIVALLANCadre suprieur de sant

    Centre hospitalier de Quimperl, Ple de psychiatrie, 20 bis, avenue du Marchal-Leclerc, 29300 Quimperl, France

    Adresse e-mail : [email protected] (A. Rivallan).

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    NOTES1 Sorti dans les salles en septembre 2013, le biopic Jimmy P., ralis par Arnaud Desplechin, relate la rencontre de Jimmy Picard et de Georges Devereux. 2 Georges Devereux a galement fond et dirig la revue Ethnopsychiatrica.

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  • SOiNS PSYCHIATRIE - no291 - mars/avril 201446

    en fi chesles grandes fi gures de la psychiatrie

    ANTHROPOLOGIE, PSYCHANALYSE ETETHNOPSYCHIATRIE (SUITE) z La premire tude dethnopsychiatrie a t

    celle que Georges Devereux a consacre en 1961 aux Indiens Mohaves de lArizona [2]. Il y dcrit les classi- cations traditionnelles du dsordre. Au dcours de ses laborations thoriques, il conceptualise dune part la notion de dsordres ethniques. Ainsi que le reprage de modles dinconduite (notion emprun-te Linton, 1936 [3]).

    z Il existe donc des modles de la folie, propres aux cultures: le chien fou qui veut mourir des Indiens des plaines dAmrique du Nord, le bersek des vikings, lamok et le latah des Malais, le koro des Chinois, la schizophrnie des Occidentaux, le tarentisme dItalie du Sud, le windigo de certaines tribus indiennes du Canada

    POUR EN SAVOIR PLUS Collectif. Georges Devereux, une voix dans le monde contemporain. In Le Coq-Hron. 2007;190. Devereux G. De langoisse la mthode dans les sciences du comportement. Premire dition 1967. Paris: ditions Flammarion; 1980. Devereux G. Ethnopsychanalyse complmentariste. Paris: ditions Flammarion; 1972; 1985. Devereux G. La renonciation lidentit. Dfense contre lanantissement. Paris: ditions Payot; 2009. Devereux G. Baubo: la vulve mythique. Premire dition 1983. Paris: ditions Payot; 2011. Nathan T. Lhritage du rebelle. Site du centre Georges Devereux. http://www.ethnopsychiatrie.net/GD_.htm.geza.roheim.pagesperso-orange.fr/html/devereux.htm

    RFRENCES[1] Devereux G. Psychothrapie dun Indien des plaines: ralits et rve. Premire dition 1951. Paris: Fayard; 1998; 2013.[2] Devereux G. Ethnopsychiatrie des Indiens Mohaves. Paris: ditions les empcheurs de penser en rond; 1996.[3] Linton R. De lhomme. Paris: ditions de Minuit; 1936.[4] Devereux G. Essais dethnopsychiatrie gnrale. Paris: ditions Gallimard; 1970.[5] Devereux G. Clomne le roi fou. tude dhistoire ethnopsychanalytique. Paris: Aubier; 1998.[6] Devereux G. Les rves dans la tragdie grecque. Paris: Les Belles Lettres; 2006.

    LUVRE DE GEORGES DEVEREUX z Sigmund Freud et mile Durkheim sont les

    deux personnages qui ont in uenc luvre de Georges Devereux. Chez Sigmund Freud, il sins-pire de linconscient, du refoul, du complexe ddipe ou encore du transfert. Le rapport individu/socit dvelopp par mile Durkheim forge son analyse dun systme du point de vue de lindividu et de la culture. De 1963 jusqu sa mort, Georges Devereux produit un nombre considrable dcrits2. Son engagement permet aujourdhui de d nir les critres de lethnopsychiatrie en lien avec les autres disciplines scienti ques[4]. z lge de 55 ans, Georges Devereux apprend seul

    lalphabet grec. Il persvre et, en quelques annes peine, il parvient commenter et interroger les textes anciens avec son propre style, sous langle de lethnopsychanalyse. Ethnologue, psychanalyste, hel-lniste, la vie de Georges Devereux est faite dtapes, de phases qui, disjointes en apparence, se relient par quelques ls qui traversent en continu les priodes et les disciplines quil a parcouru. Lasexualit, noyau de la psychanalyse, est dj dans sa thse sur la vie sexuelle des Mohaves, le chamanisme chez Platon tait dj une proccupation de lethnopsychiatrie.z En 1953, Georges Devereux commente pour lAmerican Anthropologist, le livre de EricR.Dodds: The Greeks and the Irrational. Plus tard, ce dernier linvite enseigner au All Souls College dOxford. Georges Devereux y crit, avec William George Forrest, autre professeur dOxford, Clomne le roi fou. tude dhistoire ethnopsychanalytique. [5]. Les Rves dans la tragdie grecque est un ouvrage publi en 1976 en anglais (Dreams in Greek Tragedy)[6]. Ce travail, qui associe les intrts psychanalytiques et grecs de

    Georges Devereux, est le re et dune grande contri-bution des tudiants de son sminaire de lanne 1968-1969. Ce livre collecte et analyse les rves tels quils apparaissent dans des uvres aussi diverses que Les Perses, Promthe enchan, Agamemnon et Les Suppliantes dEschyle, lHcube et lIphignie en Tauride dEuripide. z Si lon en croit des tmoins privilgis comme

    Tobie Nathan ou Fethi Benslama, lhumeur de Georges Devereux se rapprochait de la constellation forme par les mlancolies et les tatsmaniaco-dpressifs que la nosographie psychiatrique tend distinguer linverse de la psychodynamique psychana-lytique qui, elle, cherche plutt les associer dans une problmatique commune. Sans prtendre que Georges Devereux ait souffert de telles pathologies, il portait cette gure dpressive au cur de sa personnalit. z Le succs de ses sminaires lEPHE ne se

    mesure pas la quantit de ses auditeurs mais la qualit de lenseignement dispens et des liens per-sonnels quil entretenait avec ses tudiants. Visible-ment, Georges Devereux na pas produit de clones ou de disciples emprunts du mme modle. Pourtant, si certains de ses lves se sont engags dans des voies diffrentes, tous se rclament de son in uence. Comme le rsume bien Diane Kolnikoff : Devereux a laiss des lves mais pas dcole, une pense origi-nale mais pas de thorie .Il meurt dun emphysme pulmonaire le 28 mai 1985 lge de 77ans. Conformment ses souhaits, il a t incinr au crmatorium du Pre Lachaise Paris et ses cendres ont t transfres dans la rserve indienne Mohave de Parker dans le Colorado.

    Lauteur dclare ne pas avoir de con its dintrts en relation avec cet article.

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    3/7 Georges Devereux