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CHAPITRE 3

Stratégies de prévention et de résolutiondes conflits et d’établissement de la paix

Ce chapitre traite des principaux problèmesliés à la prévention et à la résolution desconflits, ainsi qu’à l’établissement de lapaix, à partir des facteurs de risque et desfacteurs qui déclenchent des conflits (cha-pitre 1). Le terme « résolution des conflits »renvoie aux mécanismes mis en œuvrepour mettre fin aux conflits. Le terme « éta-blissement de la paix » désigne, lui, lesmesures destinées à consolider la paixaprès un conflit armé. Différentes actionspeuvent mettre un terme aux guerresciviles, c’est-à-dire aux guerres menées parun mouvement rebelle : une interventionmilitaire, un accord de paix ou une combi-naison des deux. Parmi les rares cas d’issuemilitaire décisive en Afrique, citons la vic-toire du Mouvement de résistance nationalesur les forces gouvernementales del’Ouganda en 1986 et la défaite de l’UNITAface au gouvernement de l’Angola en 2002.Il arrive toutefois, quand le mouvementrebelle vainqueur prend le pouvoir, que lesrôles s’inversent et que le gouvernementévincé prenne la tête d’une nouvelle rébel-lion. Ce fut le cas au Rwanda après lavictoire du Front patriotique rwandais sur lerégime extrémiste Hutu en 1994. Lesaccords négociés sont relativement cou-rants. Il en existe des exemples en SierraLeone (entre le Front révolutionnaire uni etle gouvernement en 1999), en Côte d’Ivoire

(entre l’État et les « nouvelles forces »rebelles, en 2003 et 2007) et au Burundi(dans le cadre du processus de paixd’Arusha). Ce chapitre proposera desmesures visant à éliminer les causes pro-fondes des conflits armés et examinera uncertain nombre d’instruments de résolutiondes conflits et d’établissement de la paix.

Prévention des conflits

Croissance économiqueet développement

En Afrique, de nombreux facteurs de risquede conflit sont liés au relatif dénuementéconomique de la région. Aussi les politi-ques qui parviennent à relever les revenuset le niveau d’instruction, à diversifier l’éco-nomie et à renforcer une classe moyennequi tire ses revenus et son influence poli-tique de son capital humain et financierpeuvent-elles, sur la durée, contribuer àéviter des conflits. En particulier, une crois-sance économique globale se traduiraitin fine par une hausse des revenus quirendrait moins attractif, aux yeux de la jeu-nesse, le recours à la violence. Les fruits dela croissance économique doivent êtreéquitablement partagés, de manière à ceque les pauvres en bénéficient, ainsi queles jeunes, hommes et femmes, susceptiblesde prendre part à des conflits armés.

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Par ailleurs, une croissance économiqueéquitable peut renforcer l’efficacité et lastabilité des institutions démocratiques.Selon Dahl (1989, p. 252), la démocratie nepeut s’épanouir que dans une « société plu-raliste, dynamique et moderne », caracté-risée par une « dispersion (i) des ressourcespolitiques, notamment l’argent, les connais-sances, le statut et l’accès aux institutions ;(ii) des lieux stratégiques, notamment pourl’économie, la science, l’éducation et la cul-ture ; et (iii) du pouvoir de négociation,ouvert ou latent, dans l’économie, lascience, la communication, l’éducation,etc. ». Les plus pauvres n’ont aucun pouvoirde négociation. Les citoyens ne peuventforcer les élites détentrices du pouvoir poli-tique à honorer le contrat implicite du sys-tème démocratique que s’ils peuvent influersur le revenu de ces élites. La dispersiondes ressources et des positions passe doncforcément par un revenu moyen élevé.

Gestion des ressources naturellesLes études de cas montrent que plusieursguerres civiles récentes, en Angola, enSierra Leone, en République démocratiquedu Congo (RDC) et au Liberia, avaient pourorigine des problèmes liés aux ressourcesnaturelles. Dans certains de ces pays, c’estla mauvaise gestion des ressources natu-relles qui a contribué à l’effondrement del’État et à la guerre civile. Là, la constructiond’un État viable et sûr passe donc par unemeilleure gestion. Ailleurs, les conflitsdécoulent de la répartition des revenusissus des ressources naturelles. Si la régionde production est marginalisée, les inéga-lités régionales peuvent aboutir à un conflitarmé. Dans ce cas, une bonne politiqueconsisterait à répartir plus équitablement les

revenus. L’accord passé entre le gouverne-ment soudanais et l’Armée populaire delibération du Soudan pour mettre un termeà la longue guerre civile qui a ravagé leSud-Soudan en constitue une bonne illustra-tion. Cet accord prévoyait une répartitionéquitable des recettes tirées des gisementsde pétrole (dans le Sud) entre la région etl’État central. Le chapitre 4 formule recom-mandations sur les politiques à mener à lasuite d’un conflit.

Démocratisation et contrat social

Les risques de conflit armé sont moinsimportants dans les pays qui disposent d’unarsenal de règles consensuelles, formellesou non, régissant l’allocation des ressourceset la résolution pacifique des différends. Lanotion de contrat social comme fondementde l’État moderne remonte aux philosophespolitiques tels que Hobbes, Locke et Rous-seau. Il ne s’agit pas d’un contrat explicite,mais d’un certain degré de gouvernementpar consentement en échange, a minima,du maintien de la sécurité. Au sein d’unesociété, le contrat social peut être vertical sil’État est autoritaire, comme le décrit Tho-mas Hobbes, ou horizontal s’il découle d’unconsensus plus large, ainsi que le prôneJohn Locke.

Qu’est-ce qui caractérise un bon contratsocial ? Dans son essai sur la « paix perpé-tuelle », Emmanuel Kant (1795)1 nous livrequelques grandes pistes. Notons toutd’abord le terme « perpétuel », qui supposeune permanence plutôt qu’une trêve provi-

1 Kant parle d’une paix perpétuelle entre les nations, mais sonanalyse peut être étendue aux composantes de l’État-nation.

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soire. En langage moderne, on pourrait uti-liser l’expression « auto-exécutoire » pourmontrer qu’il n’existe aucune incitation às’écarter de la « paix ». Ensuite et surtout,Kant évoque une constitution « républi-caine », c’est-à-dire la séparation des pou-voirs exécutif et législatif. On pourrait yajouter l’indépendance de la magistrature.La notion de contrat social est axée surl’idée de bonne gouvernance. Dans notrevision contemporaine, celle-ci peut inclureune multitude de facteurs autres que laséparation des pouvoirs, notamment ladécentralisation du pouvoir décisionnaire.Enfin, la stabilité de la paix dépend de lasource de la souveraineté ou de la légitimitédu pouvoir au sein de la nation. Kant sou-ligne qu’une bonne gouvernance qui seraitle fait d’un dictateur ou d’un monarqueabsolu est par essence instable puisque cedirigeant ou ses successeurs sont tentés des’en écarter. La bonne gouvernance estmieux assurée dans un système de gouver-nement par représentation, qui suppose uncertain degré de démocratie.

Nous venons d’essayer de démontrer lelien entre démocratie et contrat social. Tou-tefois, comme nous l’avons vu dans le cha-pitre 1, les institutions démocratiques despays d’Afrique sont parfois incapables delimiter les risques de conflit. Cela remet-ilpour autant en question la démocratie entant que fondement du contrat social ?

L’évolution récente vers l’établissementde régimes électoraux multipartites estsolide et ne risque guère d’être enrayée. Sielles ne parviennent pas à éviter les guerres,les institutions démocratiques semblentatténuer quelque peu les comportementsguerriers et réduire la létalité des conflits.Cette tendance ne peut ni ne doit être

inversée. Les régimes autocratiquesn’offrent qu’une paix factice obtenue par larépression (Hegre et al., 2001). La seulequestion qui vaille est donc : comment créerdes synergies, ou les renforcer, entre ladémocratisation, la paix et le développe-ment en Afrique ?

Les institutions démocratiques formentdes chaînes de délégation du pouvoir, quivont du principal (l’électorat) à des agentsde différents niveaux (dirigeants de parti,parlementaires, chefs d’État et fonction-naires). Les élections offrent le moyen dedéléguer officiellement l’autorité aux politi-ques et de réévaluer régulièrement leursperformances, mais elles ne permettent pasen soi de surveiller un agent entre deuxélections. En l’absence de mécanismes desurveillance, celui-ci peut abuser du pou-voir qui lui a été délégué. De plus, lesreprésentants élus sont en position de mani-puler le résultat des élections suivantes,voire de supprimer les élections. Dansl’absolu, les élections ne suffisent donc pasà garantir une chaîne de délégation démo-cratique.

Les élections doivent s’accompagner delimitations du pouvoir exécutif. Une poli-tique qui encourage les élections sansmettre en place de garde-fous ne peutguère réduire les risques de conflit, et peutmême les multiplier. La proportion impor-tante de conflits armés qui se déclenchentau moment d’élections témoigne de l’intérêténorme des charges électorales pour lescandidats. Si l’on impose des limites effi-caces aux représentants élus, cet intérêt seréduit et l’on peut créer un environnementpropice à une saine concurrence politique,en réduisant nettement les risques de vio-lence. Dans une démocratie mature, c’est

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l’organe législatif qui fixe ces limites. Néan-moins, les parlementaires peuvent aussi êtreaux prises avec des problèmes d’aléa moralet d’antisélection. Un parlement élu n’estpas en soi une garantie de vigilance.

Le renforcement des pratiques et desinstitutions suivantes permet de limiter lepouvoir exécutif dans un pays, démocra-tique ou non :c Transparence des budgets et des

comptes publics ;c Vérificateurs généraux compétents,

spécialisés dans l’évaluation dubudget et des comptes de l’État ;c Obligation de soumettre les projets

d’investissement public à un appeld’offres ;c Pouvoir judiciaire indépendant ;c Indépendance des banques centrales ;c Constitution stricte : pour toute révi-

sion, obligation d’obtenir la majoritéqualifiée ou d’organiser un réfé-rendum ;c Commissions électorales indépen-

dantes ;c Décentralisation des décisions écono-

miques et politiques pour élargir laparticipation et permettre aux citoyensde s’approprier le processus de gou-vernance. La décentralisation peutaussi contribuer à désamorcer lespressions sécessionnistes.

Ces garde-fous peuvent non seulementrendre moins violente la concurrence pourles mandats électoraux (ou autres), maiségalement faciliter la mise en place de poli-tiques propices à la croissance qui, à leurtour, renforceront à terme les institutionsdémocratiques.

La démocratie à l’occidentale peut poserdes problèmes particuliers dans des sociétéscomposées de différents grands groupesethniques, comme le Rwanda et le Burundi.Dans ces sociétés, des mesures supplémen-taires sont nécessaires pour protéger lesdroits des minorités. En l’absence de tellesgaranties, la démocratie peut conduire à lamarginalisation des minorités ou à des exac-tions commises à leur encontre. Si c’est uneminorité qui détient le pouvoir, cette craintepeut la pousser à faire obstacle à la démo-cratisation.

Renforcement du voisinage

La prévention des conflits peut avoir desconséquences bien plus importantes qu’iln’y paraît au premier abord, car les conflitsarmés s’étendent parfois aux pays voisins.Les données étudiées au chapitre 1 mettentégalement en évidence l’importance d’unbon voisinage : le risque de déclenchementd’un conflit armé est moins important si lespays environnants sont relativement riches,démocratiques et calmes. Pour les acteursinternationaux désireux de limiter l’inci-dence des conflits, la meilleure politique neconsiste pas à orienter toutes les ressourcesvers les États présentant le plus de risques,mais à soutenir ceux qui affichent lesmeilleures politiques, les taux de croissanceles plus élevés et les systèmes politiques lesplus efficaces. La stabilité et la relativerichesse de pays tels que l’Afrique du Sud etle Botswana pourraient se propager auxpays voisins, même si cet effet n’est pasaussi direct que l’extension d’un conflit. Ilpeut être aussi important de soutenir lesîlots de prospérité que de résoudre lescrises naissantes.

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Intégration régionale

Il n’est pas rare que les conflits armés quiéclatent dans un pays d’Afrique gagnentensuite des pays voisins. Par ailleurs, cer-tains États de ce continent ont été ou sontaccusés (à tort ou à raison) de soutenir unmouvement de rébellion chez leurs voisins.L’intégration régionale favoriserait la paix etla sécurité, en éliminant ou en diminuantces sources de conflit. Elle permettrait éga-lement de réduire les suspicions entre pays,et donc de freiner la course aux armementsdans la région. La perspective pour un paysde devenir membre d’une organisation peutégalement contribuer à éviter ou à fairecesser des conflits. Ainsi, la résolution duconflit en cours était l’une des conditionsfixées par la Communauté de l’Afrique del’Est pour l’adhésion du Burundi à cetteorganisation régionale.

Instruments de résolutiondes conflits et d’établissementde la paix

Voici quelques-unes des initiatives politi-ques et de sécurité mises en œuvre au fildes ans pour résoudre les conflits et cons-truire la paix.

Initiatives politiques

Partage du pouvoir

Le partage du pouvoir est un instrument deprévention et de résolution des conflits etd’établissement de la paix. Comme instru-ment de résolution des conflits, il entregénéralement dans le cadre d’un accord depaix. La perspective du partage du pouvoir

peut inciter les groupes d’opposition augouvernement en place à accepter et à res-pecter l’accord de paix : grâce aux postesobtenus, chacune des parties trouve soncompte dans la paix et est incitée à lapréserver. Le succès ou l’échec dépend del’acceptation par tous des dispositions etdes mécanismes de partage du pouvoir(règles du jeu) et de la présence de garan-ties et de médiateurs extérieurs.

À plus long terme, par son rôle fédéra-teur, le partage du pouvoir peut se révélerune forme de démocratie préférable à unsystème majoritaire dans lequel le vain-queur concentre tous les pouvoirs. Ilpermet non seulement une plus grandeouverture, puisque toutes les minorités sontreprésentées, mais il peut également tem-pérer la concurrence entre les élites, qui estnéfaste et source potentielle de conflits.Dans un système électoral proportionnel, lepartage du pouvoir peut être considérécomme supérieur au système majoritaireclassique de type Westminster, car la majo-rité doit tenir compte de la minorité. C’estcertainement vrai en Afrique, étant donné sagrande diversité ethnique. Même dans cer-taines anciennes colonies britanniquesdotées d’un gouvernement de type West-minster, le partage du pouvoir a entraîné larépartition des ministères entre des groupesd’identité (régionale, ethnique ou autre) dif-férente.

Après un conflit, plusieurs facteurs peu-vent compromettre le partage du pouvoir.Le premier est l’asymétrie de l’information :certains signataires du traité de paix peu-vent disposer d’informations confidentiellessur leurs forces et leurs intentions. Desgroupes ou des milices peuvent n’accepterqu’un désarmement partiel, afin de garder

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la possibilité de reprendre la guerre. Undeuxième facteur est une adhésion au traitéqui n’est pas totale en raison d’un ancragenational et international trop faible. Un troi-sième facteur découle de l’insuffisance del’aide extérieure, qui peut limiter les possi-bilités de reconstruction dans des sociétésqui ont vu leurs revenus diminuer en raisond’un conflit récent. La qualité de cette aideextérieure a également de l’importance. Lepartage du pouvoir peut échouer si lesgarants externes sont partiaux ou perçuscomme tels. Enfin, l’accord de partage dupouvoir peut exclure certains groupes qui yauraient leur place.

Pour Jarstad (2006), le partage du pou-voir n’est pas forcément une garantieabsolue du respect d’un accord de paix oudu développement de la démocratie. Toutd’abord, lorsque sont en jeu des rentes surdes ressources ou le contrôle d’un territoirepar certains groupes, l’attrait du partage dupouvoir peut être insuffisant pour les inciterà maintenir la paix. Parfois, un groupe jugeopportun de signer le traité de paix, puistrouve un prétexte pour reprendre laguerre, comme l’Angola en a fait la tristeexpérience. Ensuite, le partage du pouvoirn’empêche pas forcément la formation degroupuscules prêts à saper le processus depaix. Certains éléments peuvent, par intérêt,se retirer du processus parce qu’ils atten-dent plus d’avantages d’une reprise duconflit. Troisièmement, les modalités departage du pouvoir ont tendance à favoriserles factions les plus violentes au détrimentdes plus modérées. Une telle situation metnon seulement en péril l’accord de paix,mais peut également retarder le processusde démocratisation. Quatrièmement, le par-tage du pouvoir peut, à terme, perpétuer les

clivages ethniques. Cinquièmement, le par-tage du pouvoir peut être économiquementcoûteux. Les violences post-électorales quiont éclaté au Kenya au début de 2008 ontabouti à la formation d’un vaste gouverne-ment de coalition et à la création de neufministères supplémentaires, soit un total de40 ministères répartis de manière égaleentre les deux partis arrivés en tête auxélections de décembre 2007, auxquelss’ajoutent une cinquantaine de ministresadjoints. Le fonctionnement d’un tel gouver-nement de coalition demande des res-sources financières conséquentes.

Pour toutes ces raisons, les modalités departage du pouvoir doivent être définiesavec soin. Il est possible de mettre en placedes mécanismes temporaires et de les sup-primer une fois la démocratie bien ancréedans le pays. C’est l’idée qui sous-tendait lesaccords de paix d’Arusha pour le Burundi :les différents groupes ethniques devaient,dans un premier temps, se partager le pou-voir. Ensuite, la Constitution prévoyait unereprésentation proportionnelle des Hutu etdes Tutsi ; en Sierra Leone, le RUF (Frontrévolutionnaire uni) a, dans un premiertemps, participé au gouvernement aprèsl’accord de paix de Lomé en 1999. Parailleurs, une gouvernance décentralisée,avec plusieurs niveaux de décision poli-tique et économique, peut étayer l’accordde partage du pouvoir en renforçant le rôledes minorités et des groupes exclus du gou-vernement central. À cet égard, un systèmefédéral regroupant des provinces ou desÉtats peut être préférable à un État unitaire.De plus, mieux vaut parfois un corps légis-latif composé de deux chambres, commeaux États-Unis où le sénat et la chambrebasse sont élus selon des règles différentes :

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chaque État, quelle que soit sa taille, envoiedeux sénateurs, alors que le nombre d’élusà la chambre des représentants est propor-tionnel à la population. Troisièmement, lesystème électoral, qu’il soit proportionnelou majoritaire, doit permettre l’élection dereprésentants d’ethnies différentes. Quatriè-mement, il faut veiller à ce que les élémentsles plus modérés soient représentés. Il fautégalement savoir que le futur systèmedémocratique devra peut-être prendre uneforme différente du système issu de l’accordde partage du pouvoir mis en place immé-diatement après un conflit. Enfin, les limitesimposées au pouvoir exécutif, notammentvia l’indépendance du pouvoir judiciaire,revêtent une grande importance à longterme. Toutes ces conditions ne pouvantêtre réunies dans un seul accord, il fautétudier au cas par cas le poids à donner auxunes et aux autres.

Justice transitionnelleÀ la fin d’un conflit, un certain nombre deprocessus judiciaires sont souvent mis enplace, notamment des tribunaux internatio-naux, des poursuites pénales et l’indemnisa-tion des victimes. Dans ce domaine,l’Afrique a accueilli un certain nombre d’ini-tiatives innovantes, en particulier le Tri-bunal pénal international pour le Rwanda,le Tribunal spécial et la commission Véritéet réconciliation pour la Sierra Leone, lestribunaux gacaca (tribunaux communau-taires) au Rwanda et, en Ouganda, les pre-mières mises en accusation, par la Courpénale internationale (CPI), de leaders degroupes armés.

La CPI a été créée en 2002 à La Haye,aux Pays-Bas, pour juger les crimes contrel’humanité, les crimes de guerre et le crime

d’agression (celui-ci ne relève pas encoredu champ d’action de la Cour). La CPI estnée lors d’une conférence de l’Assembléegénérale des Nations Unies à Rome en 1998.Elle compte aujourd’hui 106 États membresde plein droit et n’est compétente que sil’accusé est un ressortissant de l’un de cespays. Son rôle est de compléter les systèmesde justice nationaux pour le jugement descrimes de guerre. La compétence de la Courreste floue lorsque le processus de réconci-liation nationale accorde l’amnistie auxauteurs de crimes de guerre. Jusqu’à pré-sent, toutes les affaires traitées par la Courconcernent l’Afrique : Ouganda, Républiquedémocratique du Congo (RDC), Républiquecentrafricaine (RCA) et Soudan (Darfour).En Ouganda, l’État a intenté une action enjustice contre le chef rebelle Joseph Kony etses acolytes de l’Armée de résistance duSeigneur (LRA) qui opèrent dans le Nord dupays. Kony et d’autres, exigent de ne pasêtre traduits devant la CPI en échange de lapaix. Les détracteurs de la CPI déplorentque ses actes ne s’appliquent pas universel-lement, en particulier aux nations les pluspuissantes : ils citent l’exemple des États-Unis qui, bien que n’étant pas membres dela CPI, demandent l’immunité pour leurscitoyens.

Au Rwanda, le processus gacacas’appuie sur tout un réseau de tribunauxcommunautaires. Face à l’ampleur du géno-cide et au nombre d’auteurs d’exactionssupposés (d’après certaines estimations, ilfaudrait au système judiciaire ordinaireenviron 150 ans pour juger tous les accusés,et la cour internationale d’Arusha ne pour-rait juger qu’une centaine des suspectsparmi les plus importants), les autoritésrwandaises ont délégué une partie des

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procès au système traditionnel de résolutiondes conflits dans les communautés indi-gènes, les tribunaux gacaca (Graybill etLanegran, 2004). Ce système présente troisgrands avantages. Tout d’abord, il permetde diviser par deux les peines de ceux quireconnaissent leurs crimes, et donc d’accé-lérer les procédures et le traitement desaffaires. En second lieu, la procédure laisseune grande place à l’expression de regrets.Enfin et surtout, le système gacaca reposesur des indemnisations d’un montant rai-sonnable, sous la forme d’un versement àun fonds communautaire et/ou d’un serviceà la collectivité. Il n’est pas interdit depenser qu’il a bien plus de chancesd’aboutir à une réconciliation réelle, fonde-ment d’une paix durable, parce qu’il metl’accent sur l’importance des regrets et de laréparation, et surtout parce qu’il s’agit d’unesolution à un problème national ancréedans la culture nationale.

Certains craignent toutefois que la justicetransitionnelle puisse faire obstacle à lapaix : la menace (réelle ou imaginaire) depoursuites peut inciter les chefs rebelles àrefuser ou à violer un accord de paix oudécourager les ex-combattants de participerau programme de désarmement, de démobi-lisation et de réinsertion (DDR). D’un autrecôté, les partisans de ce système estimentque la justice et la fin de l’impunité sontindispensables à la réconciliation. Cepen-dant, le cas de l’Armée de résistance duSeigneur au Darfour (Soudan) montre qu’ilfaut parfois choisir entre l’exigence de justiceet le risque de prolongation de la guerre.

Commissions Vérité et RéconciliationLe rôle des Commissions Vérité et Réconci-liation a été défini dans les travaux très

influents de John Paul Lederach (2003).Plutôt qu’une « résolution » ou une « ges-tion » des conflits, Lederach est partisand’une « transformation des conflits », quitémoigne d’une autre perception de lanature même du conflit. La notion de réso-lution des conflits suppose que ceux-ci sontnéfastes et qu’il faut y mettre fin. Elle sous-entend également qu’un conflit est un phé-nomène temporaire, auquel on peut remé-dier définitivement par le biais d’unemédiation ou d’un autre type d’intervention.La notion de gestion des conflits impliqueque les conflits sont de longue durée et, leplus souvent, qu’ils ne peuvent être résolusrapidement, mais le terme « gestion » sous-entend aussi que des êtres humains peuventêtre dirigés ou manipulés comme desobjets. Par ailleurs, ce terme suppose quel’objectif est de limiter ou de maîtriser l’ins-tabilité, et non de remédier à la véritablecause du problème. La transformation duconflit, selon Lederach, « consiste à prévoirle flux et le reflux des conflits sociaux, à yréagir et à y voir l’occasion d’instaurer desprocessus de changement constructifs afinde réduire la violence, de rendre plus justesles échanges directs et les structuressociales et de résoudre les problèmes liésaux relations humaines » (Lederach, 2003 :14). La réconciliation est donc un élémentde la transformation des conflits. C’est unprocessus à long terme, qui ne peut réussirque s’il est suffisamment large pour incluretous les individus et toutes les commu-nautés. Il ne suit pas un tracé linéaire maisest fait de hauts et de bas (van der Mark,2007).

Lederach considère apparemment quela réconciliation repose sur la justice, quipasse par l’établissement de la vérité mais

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aussi par des réparations, faute de quoi leprincipe de justice risque de ne pas êtrerespecté. Le processus de réconciliationcomporte plusieurs dimensions, juridiques,psychologiques, religieuses, sociales, politi-ques et économiques. Les CommissionsVérité et Réconciliation constituent unmécanisme permettant d’aboutir à la jus-tice ; et donc à la réconciliation. Pour êtreefficace, ce mécanisme doit porter surtoutes les dimensions indiquées et fonc-tionner au niveau individuel et communau-taire comme au niveau national.

De plus en plus de Commissions Véritéet Réconciliation (CVR) sont créées dans denombreuses régions d’Afrique pour faciliterla réconciliation à la suite d’un conflit armé.La plus connue est celle mise en place enAfrique du Sud mais il en existe égalementau Rwanda, en Sierra Leone, en Républiquecentrafricaine, au Ghana, au Maroc et auNigeria. Les CVR posent quelques pro-blèmes épineux. Doivent-elles être inté-grées au processus judiciaire ou servir uni-quement de mécanisme de réconciliation ?Faut-il les associer à d’autres processus,notamment aux procès pour crimes deguerre ?

Même si, en principe, la réconciliationdoit être générale, elle fonctionne essentiel-lement pour les individus. La cicatrisationdes plaies peut participer à la réconciliationnationale, qui est indispensable au partagedu pouvoir et à un processus de démocrati-sation durable, deux facteurs d’établisse-ment de la paix. Il peut être utile de par-venir à une position nationale communevis-à-vis des événements passés, danslaquelle chaque faction reconnaît sa respon-sabilité dans les erreurs et les crimescommis. Pour certains, la cicatrisation ou

réconciliation passe forcément par la justice,qui exige elle-même des sanctions (ou toutau moins, en cas d’amnistie, la reconnais-sance des crimes commis) et une répara-tion. Celle-ci a une dimension économiqueimportante, puisqu’il faut assurer à la foisles moyens d’existence des responsablesd’exactions et ceux de leurs victimes. Sanscela, il ne peut y avoir de pardon et lesanciennes blessures restent ouvertes. Aprèsun conflit, une reprise économique géné-rale est essentielle.

Maintien de la paix

Maintien de la paix par les NationsUnies

Les Nations Unies (l’ONU) définissent lemaintien de la paix comme « une façond’aider les pays déchirés par un conflit àcréer les conditions d’une paix durable »(www.un.org/Depts/dpko/dpko/). À cettefin, les opérations de maintien de la paixpermettent de veiller à l’application d’unaccord de paix, de rétablir la confianceentre les belligérants et d’apporter une aidetechnique et logistique pour les principalesopérations de transition, notamment ledésarmement, la démobilisation et la réin-sertion des combattants, ainsi que l’organi-sation d’élections. En général, l’applicationd’un accord de paix entre les parties à unconflit ne va pas sans difficultés et les opé-rations de maintien de la paix jouent un rôledans la surveillance et la mise en œuvre. Lapremière mission de l’ONU dans cedomaine a été lancée en 1948. Il s’agissaitde surveiller l’accord d’armistice entre Israëlet ses voisins arabes. Depuis, on a recensé63 opérations de maintien de la paix dans lemonde.

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Au fil des ans, des efforts ont été accom-plis pour adapter les opérations de maintiende la paix de l’ONU à l’évolution desconflits et du paysage politique mondial.Ses objectifs ayant été définis à une époqueoù les rivalités de la guerre froide paraly-saient souvent le Conseil de sécurité, lemaintien de la paix de l’ONU se limitaitessentiellement à l’application des cessez-le-feu et à la stabilisation de la situation surle terrain, afin de permettre au dialoguepolitique de résoudre les conflits. Ces mis-sions rassemblaient des observateurs mili-taires et des troupes légèrement armées quiavaient pour tâches la surveillance, des acti-vités de compte rendu et le rétablissementde la confiance afin d’appuyer un cessez-le-feu ou un accord de paix à portéelimitée. À la fin de la Guerre froide, lecontexte stratégique du maintien de la paixde l’ONU a changé de façon spectaculaire,ce qui a poussé l’Organisation à étendre lechamp de ses opérations et à passer demissions « traditionnelles » cantonnées à unrôle strictement militaire à des actions mul-tidimensionnelles complexes, destinées àgarantir l’application d’accords de paix glo-baux et à aider à jeter les bases d’une paixdurable. Aujourd’hui, les soldats de la paixse voient confier un large éventail de tâchescomplexes : mise en place de mécanismesde gouvernance durables, surveillance durespect des droits humains, réforme du sec-teur de la sécurité, désarmement, démobili-sation et réinsertion des ex-combattants(www.un.org/Depts/dpko/dpko/).

Destinées à l’origine à résoudre lesconflits entre États, les opérations de main-tien de la paix de l’ONU visent de plus enplus souvent à remédier à des conflits àl’intérieur d’un État ou à des guerres civiles.

Bien que les militaires constituent toujoursle pilier central de ces opérations, celles-cimobilisent aussi, désormais, des administra-teurs et des économistes, des officiers depolice et des experts juridiques, des démi-neurs et des observateurs électoraux, desspécialistes des droits de l’homme, desaffaires civiles ou de la gouvernance, destravailleurs humanitaires et des experts encommunication et en information du public(www.un.org/Depts/dpko/dpko/).

En 2005, près de 77 pour cent de toutesles forces de maintien de la paix de l’ONU(soit 50 000 hommes sur un total de 65 000)se trouvaient en Afrique. Sur le plan finan-cier, les missions en Afrique représentaientprès de 75 pour cent du budget de maintiende la paix de l’ONU (soit 2,9 milliards dedollars sur 3,9 milliards de dollars en 2004-2005, selon les chiffres du Département del’information des Nations Unies). Parailleurs, 54 missions de maintien de la paixont été menées par l’ONU en Afriquedepuis 1948. À l’heure actuelle, c’est sur lecontinent africain que se déroulent le plusgrand nombre d’opérations de ce type.

Les missions multinationales de maintiende la paix, y compris celles menées sousl’égide des Nations Unies, découlent del’idée que la paix est un bien qui appartientà tous. En d’autres termes, la paix dans unpays lointain profite aux citoyens du mondeentier. Si les motivations qui sous-tendentces opérations peuvent être généreuses, cer-tains facteurs stratégiques, notammentl’afflux de réfugiés ou les dépenses néces-saires pour faire face à des catastropheshumanitaires complexes telles que lesfamines, peuvent pousser à utiliser ces opé-rations non seulement comme un palliatif,mais également comme action préventive.

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Cependant, la communauté internationalen’est guère encline à faire supporter auxcontribuables occidentaux l’essentiel ducoût des opérations menées en Afrique.Alors que ces missions sont indispensablespour appuyer les accords de paix, lesmoyens financiers et humains dont elles dis-posent sont souvent insuffisants.

Les missions de maintien de la paix del’ONU menées en Afrique ont connu dessuccès divers. En 1994, l’intervention desNations Unies et des États-Unis en Somalies’est révélée désastreuse. Les forces améri-caines s’étaient retirées à la fin de 1993,après la mort de 18 de leurs membres dansune opération militaire bâclée. Une secondemission de l’ONU s’est retirée en 1995. AuRwanda, les soldats de la paix de l’ONUn’ont pu empêcher le génocide qui, en1994, a fait 800 000 morts. En Sierra Leone,ils ont été mis en déroute par les rebelles duFront révolutionnaire uni (RUF), qui se sontservi des armes récupérées pour marchersur la capitale en 2000. Toutefois, aprèsl’intervention britannique, les Casques bleusde l’ONU ont pu contribuer au maintien dela paix et à l’organisation d’élections en2002. Au Darfour, la mission de l’ONU a étéentravée par les problèmes logistiques dansune région grande comme la France et parles réticences des autorités soudanaises, quiauraient préféré une force de l’Union afri-caine. Les soldats de la paix ont participé àl’organisation d’élections au Liberia en 2005,et en RDC en 2006.

En tant qu’instrument de résolution desconflits et d’établissement de la paix, lesopérations de maintien de la paix sontconfrontées à divers problèmes. Le premiertient au financement et à la logistique, ainsiqu’au mandat souvent restreint qui limite le

rôle des soldats de la paix. Ensuite, la pré-sence de Casques bleus de l’ONU doit nor-malement être acceptée par les autorités dupays : si une mission de maintien de la paixn’est pas approuvée par l’État en guerre,elle ne peut plus être envisagée pourrésoudre un conflit. Troisièmement, lemaintien de la paix suppose qu’il existe unepaix à maintenir. Il ne permet pas, en soi,d’arrêter un conflit. Il ne peut être utiliséque lorsqu’un accord de paix, quel qu’ilsoit, a été conclu. Quatrièmement, la duréeadéquate de présence des forces de l’ONUdans un pays fait débat, car elles risquent àterme d’être perçues comme des forcesd’occupation. Cinquièmement, les missionsde maintien de la paix portent générale-ment sur des conflits de grande ampleur etde dimension nationale. Jusqu’ici, ellesn’ont pas concerné des conflits plus loca-lisés et moins intenses.

L’une des rares études empiriques consa-crées au maintien de la paix a été réaliséepar Doyle et Sambanis (2000). À partir d’unensemble de 124 guerres civiles postérieuresau second conflit mondial, ces auteursconcluent que les « opérations de paix multi-latérales des Nations Unies donnent desrésultats positifs ». Toutefois, les conclusionsde telles études sont souvent fragiles et trèscontestées. D’autres travaux sont doncnécessaires pour des conclusions et desrecommandations fondées sur l’expérience.

Maintien de la paix par lesorganisations africaines

Ces dernières années, les organisations afri-caines ont également participé à la gestiondes problèmes de sécurité sur le continent(encadrés 3.1 et 3.2). L’ancien présidentsud-africain, Thabo Mbeki, a fait office de

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médiateur, au nom de la Communauté dedéveloppement d’Afrique australe (SADC),entre le gouvernement du Zimbabwe etl’opposition, en vue d’une résolution de lacrise économique et politique qui sévit dansle pays. L’Union africaine et l’ONU ontdéployé une mission de maintien de la paixconjointe dans la région du Darfour, auSoudan. La Communauté économique desÉtats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aenvoyé des troupes de maintien ou d’impo-sition de la paix en Sierra Leone et auLiberia. Toutefois, l’insuffisance des moyensfinanciers et logistiques freine souvent cesopérations régionales.

Désarmement, démobilisationet réinsertion

Le processus de désarmement, démobilisa-tion et réinsertion (DDR) représente l’une

des premières étapes du retour à la paix.L’objectif global est d’éviter la reprise d’unconflit armé, en démantelant les moyensarmés des forces rebelles et en aidant lescombattants à reprendre une vie civile « nor-male », par des mécanismes de subsistancepacifiques. Ce processus comporte trois-phases étroitement liées : le désarmement,la démobilisation et la réinsertion.

La première phase, le désarmement, estavant tout une opération militaire quiconsiste à gérer les armes et les munitions.Elle se compose de la collecte, du contrôleet de l’élimination des armes. Preuve tan-gible de l’acceptation du processus poli-tique par les parties au conflit, le désarme-ment exige que la confiance soit rétablie.Pendant les années 1990, par exemple, lesautorités du Niger et du Mali ont réalisé desopérations symboliques de désarmement

Encadré 3.1. Les leçons tirées de la Communauté Economique des Étatsde l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)

Les quinze membres de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)ont mené des efforts de règlement des conflits dans la région. Le Nigeria en a été l’acteur principalet a satisfait la plus grosse partie des coûts, le défi du financement étant très important. Lesestimations finales de la participation du Nigeria dans l’intervention au Liberia se chiffrent entre 4 et10 milliards de dollars.Une leçon essentielle à tirer des efforts de règlement des conflits et d’établissement de la paix dela CEDEAO est la nécessité de collaborer avec les autres partenaires, notamment les Nations-Unies. La synergie des efforts de la CEDEAO et de l’ONU a produit des dividendes considérables,en exploitant complètement les forces de chacune des institutions et en atténuant leurscontraintes. Ainsi, la capacité de la CEDEAO à déployer rapidement ses troupes est utilisée dansles situations où l’ONU seule ne pourrait pas agir sur-le-champ en raison du temps nécessaire àl’obtention d’un mandat obligatoire. Une fois que le mandat est obtenu, l’ONU renforce alors ledéploiement initial des troupes de la CEDEAO qui autrement n’auraient pas pu rester longtempsen raison des ressources limitées de la CEDEAO. Une telle collaboration a contribué auxinterventions en Sierra Leone, au Liberia et en Côte d’Ivoire.La principale faiblesse de la CEDEAO est qu’elle n’a pas établi de capacité à adresser les causespremières des conflits dans ses États membres. Même si son système de signes avant-coureurspourrait permettre de prévoir une crise potentielle dans ses États membres, la capacité de laCEDEAO à affronter et à résoudre les causes des crises est sévèrement limitée.

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post-conflit, notamment des cérémonies dedestruction d’armes. De même, la créationde mécanismes de vérification dans le cadredes opérations de DDR (y compris la des-truction publique d’armes) contribue à réta-blir la confiance entre les anciennes factions

combattantes et la société civile, et àredonner au gouvernement sa légitimité.Décidées par le Mozambique, la SierraLeone, le Liberia, la République du Congo,la Côte d’Ivoire et d’autres pays d’Afrique, lacollecte et la destruction des armes de

Encadré 3.2. Règlement des conflits et établissement de la paix dans la régiondes Grands Lacs

La région des Grands Lacs qui comprend la République démocratique du Congo, le Rwanda, leBurundi, la Tanzanie et l’Ouganda, a connu un certain nombre de conflits prolongés qui ontentraîné plusieurs efforts de paix. L’accord de paix Arusha pour le Rwanda, signé en 1993, étaitnégocié par la Tanzanie conjointement avec l’Organisation de l’Unité Africaine de l’époque(actuellement Union Africaine), la France, la Belgique et les Etats-Unis. Cependant, l’Accord n’apas réussi à éviter la reprise de la violence au Rwanda en 1994.Des efforts de paix régionaux et internationaux ont également été entrepris en Républiquedémocratique du Congo. En 1999, le pays et les pays limitrophes ont signé l’accord de paix deLusaka, sous l’initiative du Président zambien, Federick Chiluba, agissant pour le compte del’Organisation de l’Unité Africaine de l’époque (l’Union Africaine) et de la Communauté dedéveloppement de l’Afrique australe (SADC). Néanmoins, l’accord n’a pas ramené la paix danstoutes les parties du territoire de la République démocratique du Congo. En conséquence, legouvernement a négocié, avec l’aide de la communauté internationale, d’autres accords de paixavec les groupes rebelles. L’ONU a désormais déployé sa plus vaste mission de maintien de lapaix à ce jour avec 23 000 casques bleus dans le pays.Le Burundi est un bon exemple de coopération internationale dans le règlement d’un conflit. FeuJulius Nyerere, à l’époque président de la Tanzanie, et Nelson Mandela, ont été les principauxmédiateurs dans le processus de paix du pays dans les années 1990 et au début des années2000. Par la suite, les pays membres régionaux - avec l’appui de l’Union africaine et de l’ONU –ont crée l’Initiative de Paix Régionale pour le Burundi. L’Initiative régionale a entraîné un accord depaix entre le gouvernement et les principaux groupes rebelles et la tenue d’élections en 2005. Lacommunauté internationale – l’ONU, l’UE et les donneurs bilatéraux – ont financé le processus depaix et ont fourni les soldats de la paix. L’Union africaine a apporté un important contingentsud-africain à la Mission de l’Union africaine au Burundi (MIAB). Elle a été suivie par l’Opérationdes Nations-Unies au Burundi (ONUB). La Commission de consolidation de la paix des Nations-Unies, établie en 2005 pour appuyer les efforts de paix dans les pays sortant d’un conflit, a choisile Burundi (et la Sierra Leone) comme étant les premiers pays bénéficiaires.Le processus de paix dans la région des Grands Lacs offre plusieurs leçons, notamment sur lanécessité d’une approche régionale au règlement des conflits et à l’établissement de la paix, étantdonnées la porosité des frontières nationales et l’interconnexion des conflits dans la région. Uneautre leçon importante est la nécessité de la coordination des efforts extérieurs. L’AmbassadeurOuld Abdallah, l’envoyé spécial des Nations-Unies dans la région des Grands Lacs en 1993-95, aaffirmé que la multiplication des médiateurs, dont 13 se sont succédé pendant son mandat auBurundi, avait retardé l’accord entre les protagonistes.

Source : Daley, 2006.

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poing ont apparemment témoigné d’uneforte volonté de paix. En 2004, en Côted’Ivoire notamment, le Premier ministreSeydou Diarra a remis ses armes dans lecadre du processus de DDR. La destructionpermet également d’éviter que les armes nesoient remises en circulation. Au Mozam-bique et en Namibie, les armes ont continuéd’alimenter le marché noir avant de res-surgir dans des crimes de sang en Afriquedu Sud (Dzinesa, 2007). La porosité desfrontières nationales rend indispensableune coordination régionale afin de limiter lapropagation des armes, car le désarmementpeut aussi favoriser les échanges et le trafictransfrontaliers.

La deuxième phase, la démobilisation,est un processus rapide destiné à diminuerla taille des forces armées et à démantelerd’autres groupes informels, grâce à laréduction des effectifs ou à la dispersioncomplète des troupes. En général, elleenglobe le regroupement, le cantonnement,l’administration des anciens combattants,ainsi qu’une indemnité de démobilisationsous une forme ou une autre.

La dernière phase, la réinsertion, vise àaider les anciens combattants et leur familleà se réinstaller. L’aide accordée peut inclureune indemnité (en espèces), un équipementménager, des terres, une formation, desmoyens de production, la prise en chargedes frais de scolarité, une assistance psycho-logique ou professionnelle, des prêts, uneaide à l’emploi, un accompagnement sani-taire et des services d’orientation.

Difficultés de la réinsertionLa réintégration dans les services de sécuritéde l’État et dans la vie professionnelle civileprésente d’immenses difficultés. Les services

de sécurité ont souvent besoin d’être pro-fondément réformés. Dans certains cas, ilsont été politisés ou ont pris parti pendant laguerre. En l’absence de réformes, lesex-combattants risquent d’avoir beaucoupde difficultés à réinsérer les forces de sécu-rité. Réforme ou non, s’ils sont réinsérés, ilssont souvent déçus par leur nouveau rôle etmécontents du rang qui leur est attribué.

Par ailleurs, les décennies de conflitpeuvent avoir fortement érodé la capacitéd’absorption, sur le plan social et écono-mique, des villes, des villages et des zonesrurales où retournent les combattants.L’absence de capital physique et humainnécessaire pour une réinsertion réussierisque d’entraîner des frustrations et desmécontentements et d’entraîner le recours àd’autres méthodes violentes pour trouverdes moyens de subsistance. L’autre pro-blème tient aux tensions qui risquentd’apparaître si les groupes cibles reçoiventune assistance, mais pas les populationslocales qui les accueillent et qui sont elles-mêmes souvent dans le besoin. Dans cer-tains cas, ce problème a bien été identifié etdes efforts ont été accomplis pour aideraussi bien les populations d’accueil que lespersonnes à réinsérer.

Les agents chargés de l’organisation etde la mise en œuvre du processus de DDRen Afrique sont confrontés à une multitudede problèmes administratifs, résultant engrande partie du fait que les interventionsne sont pas planifiées dans le bon ordre etqu’elles ne sont reliées qu’a posteriori avecles programmes existants de relèvement etde développement post-conflit. Les vastesprogrammes régionaux de DDR se heurtentparfois à des obstacles administratifs etfinanciers. Le nombre de parties prenantes

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nationales et internationales qui intervien-nent dans ces programmes peut rendre dif-ficile une approche coordonnée et cohé-rente et faire peser sur les pays d’Afriquedes exigences institutionnelles excessives,notamment en ce qui concerne l’élaborationde rapports. On observe également des dif-ficultés logistiques considérables à assurerle paiement des indemnités de réinsertionpar les banques locales, le suivi des bénéfi-ciaires et l’évaluation de l’efficacité des pro-grammes.

La mise en place de réformes économi-ques peut également provoquer des ten-sions par rapport aux programmes de DDR.En Éthiopie, le passage du régime commu-niste de Mengistu Haile Mariam à l’éco-nomie de marché a conduit à un vastedésengagement vis-à-vis du secteur publicet à un ralentissement du marché du travail,au moment même où les anciens combat-tants venaient d’être démobilisés et arri-vaient sur ce marché, réduisant les chancesde réussite (Ayalew et al., 1999). Dans cer-tains cas, l’ONU et la Banque mondiale ontsoutenu des projets à effet rapide pour faci-liter le passage de la DDR à un développe-ment à plus long terme, mais il s’agit le plussouvent de mesures provisoires.

Il existe également des difficultés budgé-taires. Les accords de paix prévoient géné-ralement l’intégration des rebelles dansl’armée nationale, ce qui nécessite un com-promis entre l’équilibre budgétaire et l’équi-libre du pouvoir nécessaire à la paix.

Dans le cas des conflits résolus par lanégociation, un accord de paix solide,accompagné d’un engagement ferme à res-pecter les termes de l’accord, est indispen-sable pour faciliter le processus de DDR. Sil’accord de paix est précaire ou inégalement

accepté, les ex-combattants, en particulierceux qui restent dans leur ancienne struc-ture de commandement, risquent de com-promettre le retour de la paix, comme on l’avu à plusieurs reprises lors d’un processusde paix hésitant en Sierra Leone. Parailleurs, les mouvements rebelles peuventêtre peu enclins à coopérer sachant que ladémobilisation va réduire ou anéantir leurcapacité de combat.

Si les combattants sont démobilisés troprapidement, comme ce fut le cas juste aprèsla guerre civile en Angola, ils peuvent aussidéclencher de nouvelles vagues de violenceau sein de la population qui les accueille.Ajoutée à un engagement mitigé à l’égarddes termes de l’accord de paix, la mauvaiseorganisation des efforts de démobilisation a,par deux fois au cours des années 1990,contribué à la reprise de la violence arméeentre le Mouvement populaire de libérationde l’Angola (MPLA) et l’UNITA (Unionnationale pour l’indépendance totale del’Angola). À moins de prendre d’emblée(avant même le démarrage du programmede DDR) des dispositions pour une réinser-tion efficace, une démobilisation préma-turée et mal conduite peut se révéler contre-productive, voire dangereuse. Et unedémobilisation précipitée risque de laisserinchangées les structures de commande-ment et de contrôle, tandis que le cantonne-ment des troupes peut renforcer ces struc-tures.

Résultats des programmesde désarmement, démobilisationet réinsertion

De plus en plus d’éléments semblent indi-quer que la DDR ne produit pas les résultatsescomptés en termes de réduction de la

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violence armée ou de réinsertion durable(Humphreys et Weinstein, 2008 ; Blattmanet Annan, 2008 ; Pugel, 2008 et Paris, 2004).L’encadré 3.1 rend compte d’une étudeconsacrée à la Sierra Leone. On sait égale-ment que certains processus de désarme-ment, trop partiels, ne parviennent guère àdiminuer le nombre d’armes en circulation(Small Arms Survey, 2005).

Contrôle des armes légères

Les armes légères sont les armes de prédi-lection des gangs et des individus impliquésdans des activités criminelles mais aussi desgroupes armés en lutte contre le gouverne-ment. Quelques armes légères dans lesmains d’un petit nombre de personnes peu-vent avoir des effets dévastateurs. Aussi, à lafin d’un conflit armé, met-on généralementen place un programme de contrôle desarmes légères afin de récupérer les armes etles munitions, souvent à la fois par desmesures coercitives et sur la base du volon-tariat. Pour ancrer localement ces processus,des commissions nationales de DDR ou dedésarmement spécialement créées et des« organes de liaison nationaux » chargés dusuivi sont parfois instaurés. Il arrive que l’oncherche avant tout à obtenir des résultatsrapides et visibles, et des rangées bien nettesd’équipements ou des ex-combattants can-tonnés sont parfois considérés comme dessignes de progrès plus convaincants qu’unebaisse confirmée de l’insécurité réelle ouperçue.

Face à la disponibilité des armes et auxgroupes armés, les opérations ciblées res-tent majoritaires. De nombreux documentsfont état de l’importance accordée par lesmissions de soutien à la paix et par les paysafricains à la lutte contre les trafics d’armestransfrontaliers et au désarmement forcé(Small Arms Survey, 2005). Il est égalementlargement reconnu que les embargos(ciblés) sur les armes, les sanctions et lespatrouilles aux frontières, modes d’actiontrès visibles, ne peuvent endiguer que par-tiellement le surplus d’armes déjà en circu-lation. Malgré le soin croissant apporté auxréformes du secteur de la sécurité, les armes

Encadré 3.3. Le processus de DDR enSierra Leone : une réinsertion réussie ?

La Sierra Leone a été félicitée par la com-munauté internationale pour le succès deson programme de DDR, garant de la stabi-lité politique après la violente guerre civilequi a secoué ce pays entre 1991 et 2002.Toutefois, certains éléments semblent mon-trer que l’aspect réinsertion du programmede DDR n’a pas réussi aussi bien qu’on ledit. D’après une étude portant sur1 043 combattants des cinq factions impli-quées dans la guerre civile, Humphreys etWeinstein (2008) ont cherché à identifier leseffets du programme de DDR, en particulierl’« efficacité » de la réinsertion. Pour cela, ilsont comparé le taux de réussite de la réin-sertion entre les combattants ayant participéau programme de DDR et les autres. Quatreindicateurs leur ont permis d’évaluer les dif-férentes « dimensions » de la réinsertion :(i) accès à l’emploi, (ii) importance des lienssubsistant entre les combattants et leurancienne faction, (iii) confiance dans le pro-cessus démocratique et (iv) sentiment descombattants d’être acceptés par leur familleet par la population locale. Cette enquêten’a toutefois pas permis de démontrer defaçon tangible que la participation aux pro-grammes de DDR facilitait réellement laréinsertion.

Source : Humphreys et Weinstein, 2007.

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Encadré 3.4. Les programmes de DDR destinés aux enfants : le cas de l’Ouganda

On évoque rarement le Nord de l’Ouganda, qui est pourtant un bon endroit pour étudier les effetsde l’enrôlement des enfants et des jeunes gens, ainsi que le sens de la réinsertion. En plus devingt ans de guerre, des dizaines de milliers de civils ont été enrôlés de force par les rebelles del’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Les deux tiers d’entre eux avaient moins de 18 ans.Parmi les premières recrues de la LRA, on comptait un petit nombre de volontaires (dont beaucoupsont montés en grade au sein de cette armée) qui, pour la plupart, n’ont pas quitté la brousse.Ainsi, pratiquement tous les ex-combattants de la région avaient été enlevés, et les programmesde DDR ont surtout été axés sur l’accueil et le retour chez eux des enfants et des jeunes qui ont puéchapper à leurs ravisseurs.Pour étudier l’efficacité des programmes de DDR destinés aux enfants, Blattman et Annan (2008)ont mené une vaste enquête représentative auprès de 1 000 ménages et pratiquement500 anciennes victimes d’enlèvement. D’après les résultats de cette enquête, il faudrait revoir laperception habituelle des effets de la guerre sur les enfants et les jeunes, ainsi que les modes deréinsertion après un conflit. Alors que les ONG cherchent avant tout à réunir les familles et àapporter une aide « psychologique » afin de réduire le traumatisme mental et les perturbationssociales, il ne semble pas qu’il y ait de traumatisme psychologique généralisé parmi les victimesde rapt, enfants ou adultes. Les signes de détresse invalidants semblent plutôt se concentrer surun nombre relativement faible de personnes, en particulier celles qui ont subi les violences les plusgraves ou qui retrouvent un environnement familial peu favorable. Les principaux effets de laguerre sont apparemment le niveau d’éducation nettement inférieur, une productivité réduite, unepauvreté plus grande et des inégalités accrues, dus bien davantage au temps passé au loin qu’àun traumatisme. Ces effets sont plus importants pour les enfants, dont la scolarité a plus souventété interrompue.Ces pertes en capital humain ont de graves conséquences sur la reprise du développement aprèsun conflit. Étant donné le nombre de jeunes concernés et le temps nécessaire pour combler lesretards d’éducation et d’expérience (si tant est que cela soit possible), le niveau et le taux decroissance des revenus au nord de l’Ouganda risquent de demeurer faibles pendant desdécennies. Il faut donc modifier les programmes de réinsertion afin de combler ces lacuneséducatives et économiques. En ce qui concerne les politiques d’aide, il faut avant tout ciblerl’assistance psychologique sur les personnes les plus touchées et accroître le financement desprogrammes consacrés à l’enseignement secondaire, au développement des entreprises et à laformation des adultes. Pour les autorités de l’Ouganda, il convient de poursuivre les vastesprogrammes post-conflit à destination des jeunes, en évitant un déploiement tardif, et potentielle-ment dommageable, du programme de DDR officiel.

Source : Blattman et Annan, 2008.

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légères et les munitions continuent de filtrerdes armureries d’État mal protégées et desforces de sécurité, comme cela a été signaléen Ouganda, au Congo et en Angola (voirnotamment Nichols et Muggah, 2007, etMuggah, 2004, pour une étude des pro-grammes de DDR en République duCongo). Ainsi, même lorsque l’on coupel’approvisionnement par une réduction desimportations et un meilleur contrôle desfrontières, les stocks continuent dedéborder d’armes légales et illégales.

Toutes les armes et les munitions nesont pas produites dans les pays de l’Est et

de l’Ouest pour être envoyées au Sud.Depuis la fin de la guerre froide, plus de90 pays ont développé des capacités deproduction (Small Arms Survey, 2007 et2006). Si les transferts depuis l’Amérique duNord, l’Europe occidentale, l’Europe orien-tale et l’Asie restent importants, l’Afriquefabrique désormais une partie de ses pro-pres armes militaires et civiles (Small ArmsSurvey, 2007 et 2006). Plusieurs paysd’Afrique du Nord, mais aussi l’Afrique duSud, le Ghana, le Nigeria, le Kenya,l’Éthiopie, le Soudan et l’Ouganda, comp-tent des usines d’armes et de munitions. De

Encadré 3.5. Désarmement non accompagné d’emplois rémunérateurs dans le deltadu Niger

Depuis plusieurs dizaines d’années, le Nigeria a lancé un certain nombre d’initiatives de désarme-ment sur son territoire. Beaucoup concernaient la région du Delta, où un conflit a opposé desfactions non gouvernementales, mais aucune n’a vraiment produit de bons résultats. Ainsi, entre1997 et 1999, les autorités de l’État du Delta ont lancé un programme de désarmement desfactions en guerre issues des ethnies Ijaw, Urhobo et Itsekiri, tandis que le gouverneur de la villede Warri offrait de l’argent, une formation rapide et un emploi aux jeunes militants qui rendaient lesarmes. Ces processus n’ont toutefois pas réussi à réduire nettement le nombre d’armes encirculation, ni à entraîner un recul sensible de la violence.En juillet 2004, face à l’escalade de la violence dans le delta du Niger, le gouverneur de l’État deRivers a lancé un programme de désarmement. Mais ce programme ne s’est jamais imposé et lareprise des combats entre des factions fortement armées a poussé les autorités fédérales àintervenir. Dès octobre 2004, l’ancien Président, Olusegun Obasanjo, négociait un arrêt provisoiredes violences, qui a conduit à la mise en place d’un programme atypique de DDR « de temps depaix ». L’absence de progrès réel de cette initiative tient avant tout au peu d’intérêt accordé auxefforts de réinsertion et aux maigres possibilités, pour les anciens militants, d’obtenir un emploirémunérateur.L’échec de ce processus a incité de nombreux groupes armés à s’interroger sur les motivations del’État et a accentué leur méfiance à l’égard des futures initiatives de désarmement. Cette ombrecontinue de peser sur les efforts constants déployés par les autorités pour résoudre la crise dans larégion du Delta. Cependant, la plupart des membres des groupes armés ont affirmé qu’ils étaientprêts à abandonner leurs activités dans la milice si on leur offrait des perspectives d’emploi et si lasécurité était rétablie dans la région. On peut donc espérer le succès des campagnes dedésarmement à venir, tout en sachant que la participation des combattants dépendra largement del’amélioration réelle de la stabilité et de la création d’alternatives économiques viables à la violencecomme moyen de subsistance.

Source : Hazen, 2007.

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plus en plus, le contrôle des armes passeautant par la régulation et la réduction de laproduction et de la circulation au niveaunational que par le contrôle des échangesinternationaux, les armes fabriquées enAfrique étant toujours plus nombreuses.

Les armes étrangères ne circulent passimplement sur un marché noir interna-tional régi par de vils marchands d’armes.Les transferts d’armes passent par de nom-breuses filières, notamment le commerceofficiel entre États, les transferts internatio-naux illégaux et clandestins, les échangesentre États et groupes armés, les trafics clan-destins, transfrontaliers et intérieurs, lestransferts entre groupes armés et la remiseen circulation par des civils sur les marchéslocaux informels. Sur l’ensemble de cesréseaux, une multitude d’intermédiaires(marchands d’armes, sociétés de transportet fonctionnaires corrompus) interviennentdans les transferts maritimes, aériens ou ter-restres. Différents facteurs conditionnentapparemment l’importance des marchés illi-cites des armes : importance des barrièrescommerciales, porosité des frontières inter-nationales et moyens de la police du pays(Killicoat, 2007).

Le contrôle des armes légères est unepriorité pour certains pays africains qui sor-tent d’un conflit. Depuis le milieu desannées 1990, des efforts diplomatiquesconsidérables ont été consacrés à l’élabora-tion de structures internationales et régio-nales destinées à limiter la prolifération et letrafic de ces armes en Afrique. Ces initia-tives étaient motivées par l’inquiétude gran-dissante, au niveau international, quant auxconséquences de la circulation des armes,en particulier entre les pays développés etl’Afrique. Elles visaient également à enrayer

la multiplication des conflits et des crimessur le continent. Les investissements des-tinés à améliorer le partage d’informations,la coopération des experts de médecinelégale et la coopération pratique surl’ensemble de l’Afrique devaient permettred’endiguer le trafic d’armes. Les institutionsafricaines, notamment l’Organisation desÉtats africains (devenue l’Union africaine),la Communauté économique des États del’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Com-munauté de développement d’Afrique aus-trale (SADC) ont élaboré des initiativesconcrètes portant sur le contrôle et la col-lecte des exportations et des importationsd’armes, aux côtés, notamment, de l’Unioneuropéenne, de l’Organisation des Étatsaméricains (OEA), du Forum des îles duPacifique (FIP), de la Ligue des États arabeset de plusieurs autres organisations.

Il existe de nombreux instruments etaccords internationaux relatifs au contrôledes armes, qui servent de cadre au dialogueavec les partenaires nationaux et facilitentdes actions coordonnées et responsables(tableau 3.1). Ils ont posé les bases, entreautres, du contrôle de la fabrication desarmes, de la réglementation de la posses-sion d’armes par des civils, de la gestion etla sécurité des stocks, du contrôle des trans-ferts, du marquage, de l’enregistrement etdu suivi des armes (voir le site www.smal-larmsurvey.org pour un rappel des mesuresinternationales et régionales et des textescorrespondants). Si de nombreux engage-ments ne sont pas, en soi, juridiquementcontraignants, ils constituent une premièreétape capitale dans l’amélioration de la coo-pération internationale et régionale enfaveur de la stabilité et de la sécurité.

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De nouvelles initiatives régionales ontété prises pour endiguer l’entrée et la circu-lation d’armes en Afrique. Citons notammentcelle de la CEDEAO, à laquelle le Mali adonné l’impulsion dès 1993, et le Protocolede la SADC sur les armes à feu. En 2004,onze pays de la région des Grands lacs et dela Corne de l’Afrique ont également signé leProtocole de Nairobi pour la prévention, lecontrôle et la réduction des armes légères etde petit calibre, premier accord obligatoirede ce type dans la région. Toutes ces initia-tives ont pour but de contribuer à éviter lesviolences criminelles et les conflits en empê-chant les civils de posséder des fusils auto-matiques et semi-automatiques, en appli-quant des sanctions en cas de possessionillégale et en favorisant le contrôle de lafabrication, de l’importation, de l’exporta-tion, du transit et du transfert d’armes.

Recommandations

Le processus de DDR et le contrôle desarmes légères sont étroitement liés. Pour

améliorer leur efficacité, il est recommandéde prendre les mesures suivantes :

Recourir à des indicateurs humains pourévaluer la réussite des opérations de DDR etde contrôle des armes légères : Jusqu’à unedate relativement récente, les programmeshabituels de DDR et de contrôle des armeslégères mettaient en avant des indicateursmesurables : nombre d’armes recueillies,nombre de combattants démobilisés,sommes déboursées. Néanmoins, aussiimportants soient-ils, ces indicateurs ne ren-seignent pas sur les résultats ou sur le degréd’efficacité. Il faut donc encourager les ins-tances décisionnaires et les spécialistes despolitiques de développement à élaborer desindicateurs plus pertinents, notamment desindicateurs spécialement conçus pourmesurer l’évolution, réelle et perçue, de lasécurité.

Assurer un investissement humain et finan-cier suffisant dans les programmes de DDR,et plus particulièrement pour la réinsertion :Le désarmement et la démobilisation sontau centre de l’attention, mais l’intérêt vis-à-vis de la « réinsertion » doit, lui, êtrerelancé. Il faut absolument dépasser laconception étroite de la réinsertion commeinstrument de bien-être économique pourpasser à une conception qui tienne comptede ses dimensions politiques, sociales etpsychologiques. Par ailleurs, les États afri-cains et les pays donateurs doivent impéra-tivement investir dans une réinsertion à pluslong terme. Trop souvent, l’aide diminuepeu à peu après que les ex-combattants etleur famille ont reçu leurs indemnités. Demême, les efforts de réinsertion ne s’intè-grent pas suffisamment aux processus de

Tableau 3.1 : Quelques instrumentsde contrôle des armes légères

Monde Afrique

Protocole de l’ONUsur les armes à feu(2001)

Moratoire de laCEDEAO (1998,1999)

Programme d’actionde l’ONU (2001)

Déclaration deBamako (2000)

Arrangement deWassenaar(2002, 2004)

Protocole de la SADCsur les armes à feu(2001)

Traité d’Ottawasur les minesantipersonnel (1997)

Protocole de Nairobi(2004)

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reconstruction. Même si c’est difficile, il estimportant de veiller à ce que les initiativesde développement soient en phase avec lespriorités de la « réinsertion ».

Renforcer les interdépendances entre lesprogrammes de DDR et de réforme du sec-teur de la sécurité : Il faudrait, à l’évidence,renforcer la coopération pour mieux plani-fier et créer des synergies entre les pro-grammes de DDR et de réforme du secteurde la sécurité. Les programmes de DDR ontpeu de chances d’être efficaces sans un

secteur de la sécurité opérationnel et comp-table. En l’absence de garanties de sécuritéou d’organismes de sécurité légitimes, lescombattants ou les civils risquent de ne pasdéposer les armes. De plus, sans une stra-tégie efficace de réforme du secteur de lasécurité, les ex-combattants qualifiés n’ontguère la possibilité de jouer un rôle dans lesnouvelles institutions de sécurité.

Adopter des approches régionales et localesvis-à-vis des programmes de DDR, deréforme du secteur de la sécurité et de

Encadré 3.6. Opération Rachel : une opération réussie de contrôle régional des armesen Afrique australe ?

L’opération Rachel a été lancée conjointement en 1995 par les forces de police d’Afrique du Sud etdu Mozambique afin d’empêcher et de réduire la violence criminelle. Le premier objectif étaitd’identifier les armes (et plus particulièrement les armes militaires) disponibles dans plusieurs paysd’Afrique australe. Depuis 1996, les forces de police d’Afrique du Sud et du Mozambiquecollaborent pour identifier et détruire les caches d’armes qui subsistent au Mozambique après laguerre civile qui a ravagé le pays (Dzinesa, 2007, et Chachua, 1999).Cette opération était spécifiquement destinée à éviter que les armes ne tombent entre les mainsde contrebandiers et de trafiquants. Elles auraient alors alimenté des marchés souterrains lucratifsavant de servir dans des crimes de sang. L’opération comprenait également des actions destinéesà éliminer et détruire les dispositifs et les matières explosives instables présents dans ces caches,afin que des civils innocents, femmes ou enfants, ne soient pas blessés dans le voisinage.Apparemment, l’opération Rachel a été un véritable succès : entre 1995 et 2005, elle a permis decollecter et de détruire environ 21 600 armes à feu, 1 610 mines antipersonnel et 5,1 millions decartouches. En 2006, plus de 3 060 armes légères et de petit calibre, 105 missiles, 75 000 char-geurs et 300 000 cartouches d’armes légères ont été rassemblés, dont plus de 95 pour cent enétat de fonctionnement. Le rapport 2005 présenté par l’Afrique du Sud devant le 11e congrès desNations Unies sur la prévention du crime et la justice pénale indiquait que l’Opération Rachel a euun effet positif sur la stabilité de l’Afrique du Sud, du Mozambique et de l’Afrique australe.Ce succès de l’Opération Rachel est attribué en partie à une coopération étroite et à des échangesde renseignements entre les États, et à une culture d’apprentissage et d’adaptation entre lesforces de police d’Afrique du Sud et du Mozambique, qui s’est bâtie au fil des opérationssuccessives. Cela s’est traduit par la bonne qualité systématique de la planification et de laréalisation des interventions. D’autres pays membres de la SADC sont très désireux de participer àdes initiatives similaires, notamment l’Angola et la République démocratique du Congo (étantdonné leur récent processus de paix et le nombre de caches d’armes sans doute présentes dansces deux pays), ainsi que la Tanzanie et la Zambie.

Source : Stott et van der Merwe (2007).

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contrôle des armes : Si les pays africainsveulent, et peuvent, jouer un rôle centraldans la supervision des programmes deDDR, de réforme du secteur de la sécuritéet de contrôle des armes au niveaunational, il importe de s’intéresser égale-ment aux dimensions régionales et localesde la sécurité.

Conclusion

Étant donné l’importance des facteurs derisque, la prévention des conflits armés enAfrique reste un défi considérable. Elleappelle une série de mesures en faveur dela gestion économique, de la participationpolitique et de l’intégration régionale. Unecroissance économique équitable est néces-saire pour mieux intégrer les pauvres etaméliorer le niveau de vie. Les populationsqui détiennent des ressources naturellesdoivent être les premiers bénéficiaires de

l’exploitation de ces ressources. L’intégra-tion régionale permettra d’atténuer les ten-sions régionales et de freiner la course auxarmements.

La résolution des conflits et l’établisse-ment de la paix se heurtent également à denombreux obstacles qui, en général, ont uncoût et nécessitent des arbitrages. Il convientde comparer les mérites des différentesmesures et de les doser avec soin, en fonc-tion de chaque situation. Comme pour laprévention des conflits, une stratégie régio-nale est primordiale. Toutefois, le recul desconflits armés en Afrique ces dernièresannées laisse à penser que les efforts derésolution des conflits ont quelque efficacité.Il faut donc les renforcer afin de mettre unterme aux conflits encore en cours enAfrique. De plus, la diminution des conflitsrend encore plus nécessaires les effortsd’établissement de la paix, pour éviter queles progrès réalisés ne soient réduits à néant.

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