2015 lecourrier

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Eric SadinInterviewLe Courrier

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  • LE COURRIERLA LIBERT VENDREDI 29 MAI 2015

    8 HISTOIRE VIVANTE

    On veut rationaliser toute la socitRVOLUTION NUMRIQUE Imagine comme un mouvement dmancipation, la rvolution numriquesest mue en un technopouvoir emmen par des grands groupes. Rsultat: rationalisation et contrle social.PROPOS RECUEILLIS PAR

    JEAN-CHRISTOPHE FRAUD

    Loin des utopiesde dpart, le mon -de merveilleux dunumrique tend imposer une ratio-nalisation de notrevie quotidienne,

    sociale ou personnelle. Ecrivain etphilosophe, Eric Sadin analyse leschangements induits par la numri-sation de notre monde. Il vient de publier La Vie algorithmique Cri-tique de la raison numrique (Ed.lEchappe). Une charge contre letechnopouvoir emmen par lesGoogle, Apple, Facebook et autresAmazon, qui capte tous nos faits etgestes via nos smartphones et objetsconnects. Une marchandisation denos existences au nom dun BigData orwellien, infaillible et tout-puissant? Entretien.

    Dans La Vie algorithmique, vousdcrivez un homme assist danstoutes ses actions par une intelli-gence niche dans les smartphones,les crans, les murs de la maison.Prochaine tape de la rvolutionnumrique?Eric Sadin: La gnralisation din-ternet, la fin du XXe sicle, a institulge de laccs, soit la possibilit deconsulter, distance, un volume infi-ni dinformations numrises. Cephnomne se poursuit, mais il neconstitue plus aujourdhui le faittechnologique majeur. Nous som -mes entrs dans une nouvelle re delhistoire de la numrisation, qui voitune prolifration de capteurs et dob-jets connects enregistrer la plupartde nos faits et gestes. Cest notresmartphone, qui nous golocalise; lamontre connecte dApple, qui enre-gistre nos constantes; la balancetransforme en coach numrique oules fourchettes, qui analysent notrealimentation

    Quels sont les rsultats de ce nouveau contrle permanent?Le rsultat, cest que nous ne cessonsde dissminer des flux de donnesqui sont traites par des algorithmesde plus en plus sophistiqus, chargsde nous suggrer des offres et ser-vices personnaliss. Cette intelli-gence de la technique entend opti-miser, fluidifier et scuriser notrequotidien individuel et collectif.

    Vous parlez dune extrme rationalisa-tion des socits par le numrique

    Ce projet est inscrit ds lorigine delinformatique. Il sagissait, dabord, derpondre une ambition defficacitadministrative rendue possible parlinvention de cartes perfores. Ensuite,linformatique naissante a rpondu un usage militaire. Cette histoire a trefoule, partir des annes 70, par l-mergence dune utopie qui a inspir ladynamique de la Silicon Valley, envi-sageant linformatique comme uneformidable occasion historique d-

    mancipation. Cemythe a accom-pagn lessordinternet au mi-lieu des annes90. Mais le projetnumri queconfirme sa vo-

    cation initiale rationaliser lensembledes secteurs de la socit. On est loinde lutopie.

    Vous voquez un technopouvoirqui influe sur nos comportements etla nature de nos socits.Ce que je nomme technopouvoir,ce sont les entreprises des technolo-gies numriques et du traitementdes donnes, dont les innovationscontribuent dterminer la formede nos socits, autant quune largepart de la cognition et de lactivit

    humaine. Les Google, Apple, Face-book, Amazon

    Le numrique, cest dabord et surtout un secteur conomique?Oui, mais le monde numrico-in-dustriel sest arrog un pouvoir depar sa capacit interfrer sur nosactions. Or, ce qui caractrise cesproductions, cest quelles autori-sent une matrise en temps rel ducours des choses. Ambition aujour-dhui massivement luvre dans lecommerce, le marketing, lorganisa-tion industrielle et des lieux de tra-vail, lamnagement des villes et delhabitat, le rapport aux autres et son propre corps.

    Vous dnoncez aussi la marchandi -sation de lexistence opre par lconomie numriqueLe modle majoritaire dans linno-vation numrique consiste trans-former les donnes en services lat-tention de toutes les squences duquotidien. Dimension particulire-ment emblmatique dans les appli-cations de sant par exemple dontlusage va tre considrablement fa-voris par le port des montres etautres bracelets connects, qui me-surent, en continu, les flux physiolo-giques et suggrent des offres et ser-

    vices personnaliss via des applica-tions charges dassurer notre plusgrand bien-tre.

    Le business est-il le seul ressortde tous ces dveloppements? Sous couvert de libration dmo-cratique des donnes, ce qui estnomm open data ne vise, in fine,qu transformer des informationsen services et applications mar-chandes visant montiser nos vies.Tout comme cet enjolivement rh-torique quest la notion dcono-mie du partage.

    Faut-il avoir peur que ces ocansde donnes nourrissent une intelligence artificielle qui prendraun jour les commandes?On sait lambition de Google dans cedomaine. Lintelligence artificiellepermet dj de dlguer nombre denos dcisions des systmes auto-matiss. Cest le cas dans la financeavec le trading algorithmique. Cesera le cas avec les voitures sanschauffeur. Mais de faon moins spec-taculaire, cest dj le cas au quoti-dien: lalgorithmisation de la vie,cest aussi tre orient par dessystmes intelligents vers des actesdachats sous couvert dapplicationscool et ludiques. LIBRATION

    A lEcole de commerce Aime-Stitelmann, prs de Genve (Suisse),un surveillant a repr pendant unexamen quun lve planchait plusavec sa montre quavec son stylo. Iltentait de se connecter internet,rapportait dbut mai le directeur delcole La Tribune de Genve. Cefait divers a relanc le dbat sur lerglement des coles vis--vis desobjets connects. En Suisse, des dis-cussions sont en cours sur une pos-sible interdiction des montres pen-dant les tests, comme cest dj le casdans des universits britanniques ou,en 2013, dans une fac belge. AGenve, llve pris les yeux sur le neta cop dun 1, note la plus mauvai-se, le rglement de ltablissement

    stipulant quil est dfendu de porterun lment susceptible de se connec-ter internet.En France, au bac, les montresconnectes ne sont pas autorises, tout

    comme le fait de garder son tlphoneportable sur soi pendant lpreuve ildoit tre plac dans un sac plastique endbut dexamen. En 2018, les calcula-trices programmables sans mode exa-men seront galement dfendues.

    Au Ministre de lducation, Paris,on assure que linterdiction desmontres tout court nest pas envisage.Car les chiffres, indique une porte-pa-role, sont peu loquents: parmi les 385fraudes sanctionnes en 2014 au bac,30% des cas impliquent lutilisationdun appareil type portable, calculatri-ce ou autre. Selon le ministre, lutili-sation dobjets connects est relle-ment minime, celle des portables estbien plus importante.

    Pour dissuader les fraudeurs, le mi-nistre affirme utiliser des dtecteursdondes qui permettraient de reprerun portable allum, sans donner plusdindications sur leur nombre ou lemodle. Lcole est dconnecte de laralit, ragissait sur son blog LaurentDubois, charg denseignement lUniversit de Genve, au sujet de lin-terdiction des montres connectes lorsdes examens suisses. La technologievoluant, nous aurons bientt affaire des habits connects! Verra-t-on nosbacheliers effectuer leurs examens poil? Peut-tre serait-il plus sage de fai-re comme au Danemark, autoriserlaccs internet durant les examens.

    EMILIE BROUZE

    LA LIBRE BELGIQUE

    SEMAINE PROCHAINE

    AVANT LA RVOLUTIONDans les annes 1960 et1970, de nombreux Israliensvivent paisiblement Thran, dans le calme et leluxe, fruits dune relation pri-vilgie avec le shah et sadictature. Mais cette commu-naut se fait surprendre parla rvolution islamique et denombreuses vies basculent.Au moyen darchives et din-terviews indites, voici unautre regard sur cette prio-de si particulire de lhistoire iranienne.

    Quand la montre connecte entre en classe

    La monte en puissance lchelle plantaire du technopouvoir peut tre symbolise, visuellement, par limmense centre informatique de Google Dallas, aux Etats-Unis. KEYSTONE

    Du lundi au vendredi

    de 20 21 h

    Dimanche 21 h 05

    Lundi 24 h 00

    Histoire vivante

    Radio Tlvision Suisse

    TROP DE COMPLAISANCEDU MONDE POLITIQUELes usages de ces immenses banques de donnesnumriques (big data) sont sans limites, commentles encadrer quand la technique va bien plus viteque la loi?Eric Sadin: La complaisance des politiques lgarddu technopouvoir est problmatique. Ils se soumet-tent aux diktats des gants dinternet en se rendant largument de la cration de richesse et demplois. Ilest impratif que le pouvoir politique reprenne lini-tiative, affirme certaines exigences fondamentales etles maintienne dans le droit. Car ce sont nos valeursdmocratiques les plus lmentaires qui sontmines: le respect de lintgrit de la personnehumaine, celui des biens communs, la libre dcisionpar la dlibration et le choix consenti des individus.

    On assiste lmergence de mouvements technophobes. Croyez-vous une rvolte contrecette nouvelle classe dominante des ingnieurs?Lesprit majoritaire qui caractrise la classe desingnieurs ignore, dlibrment, les consquencessocitales et thiques de ses actes. Pis encore,lesprit Silicon Valley, qui est devenu la norme,consiste affirmer que les ingnieurs agissent pournotre bien et celui de lhumanit, prsente etfuture. Il est impratif driger des contre-pouvoirscapables de contenir la puissance du technopouvoir.Cest un enjeu politique et citoyen majeur de notretemps. JCF

    CLAIRAGE

    Lintelligence artificielle permetde dlguer nombrede nos dcisions

    KEYSTONE