2009 nan 20007

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1 UNIVERSITE NANCY 2 - NANCY UNIVERSITE FACULTE DE DROIT, SCIENCES ECONOMIQUES ET GESTION ECOLE DOCTORALE SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES, ECONOMIQUES ET DE GESTION La concurrence déloyale en droit international privé communautaire Thèse en vue de l’obtention du grade de Docteur en droit privé (Doctorat nouveau régime) présentée et soutenue publiquement le 17 décembre 2009 par Elisabeth COUREAULT Membres du jury : M. Jean-Bernard BLAISE, Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) (Rapporteur) M. Olivier CACHARD, Professeur à l'Université Nancy 2, Doyen de la Faculté de Droit, Sciences économiques et Gestion (Directeur de recherches) Mme Marie-Anne FRISON-ROCHE, Professeur des Universités à Sciences Po M. Louis PERREAU-SAUSSINE, Professeur à l'Université Nancy 2 Mme Valérie PIRONON, Professeur à l'Université Paris Sud (Paris 11) (Rapporteur)

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UNIVERSITE NANCY 2 - NANCY UNIVERSITE FACULTE DE DROIT, SCIENCES ECONOMIQUES ET GESTION ECOLE DOCTORALE SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES, ECONOMIQUES ET DE GESTION

La concurrence dloyale en droit international priv communautaire

Thse en vue de lobtention du grade de Docteur en droit priv (Doctorat nouveau rgime)

prsente et soutenue publiquement le 17 dcembre 2009 par Elisabeth COUREAULT

Membres du jury : M. Jean-Bernard BLAISE, Professeur mrite l'Universit Panthon-Assas (Paris II) (Rapporteur) M. Olivier CACHARD, Professeur l'Universit Nancy 2, Doyen de la Facult de Droit, Sciences conomiques et Gestion (Directeur de recherches) Mme Marie-Anne FRISON-ROCHE, Professeur des Universits Sciences Po M. Louis PERREAU-SAUSSINE, Professeur l'Universit Nancy 2 Mme Valrie PIRONON, Professeur l'Universit Paris Sud (Paris 11) (Rapporteur)

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CORPS ENSEIGNANT

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La facult nentend donner ni approbation ni improbation aux opinions mises dans les thses. Ces opinions doivent tre considres comme propres leurs auteurs.

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REMERCIEMENTS

Quil nous soit permis dadresser nos remerciements aux personnes qui nous ont aid dans la ralisation de ce travail: M. le Doyen Olivier Cachard pour la confiance quil ma accorde en acceptant de diriger ce travail, pour ses conseils ainsi que pour ses encouragements, ma mre et mes surs pour leur soutien constant et leur patience, ainsi qu Marie, Lou, Julien et Simon pour leurs clats de rire et leur joie de vivre, Nathalie, Diana, Marie, Hlne, Guillaume et Augustin pour leur soutien et pour tous les bons moments passs leurs cts, Mme Francine Mansuy, Mme Caroline Houin-Bressand, M. le Prof. Thierry Lambert et M. le Prof. Jean-Claude Ray pour leurs encouragements, aux membres du BETA pour leur accueil, et particulirement Lydie, Eve, FranoisXavier et Jimmy, Matre Danielle Kolbach et Matre Judith Raijmakers pour leurs encouragements, et enfin Mme Jeanine Jacob pour son soutien. Quils trouvent ici lexpression de notre reconnaissance.

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SOMMAIRE LA CONCURRENCE DELOYALE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE COMMUNAUTAIRE

PARTIE I La cohrence des rgles Titre 1 Llaboration des rgles Chapitre 1 La diversit des rgles de droit matriel Chapitre 2 - Luniformisation de la rgle de conflit de lois Titre 2 La mise en uvre de la rgle de conflit de lois Chapitre 1 - Lunit factice de la rgle de conflit de lois Chapitre 2 - Le rle des parties et du juge PARTIE II Lquilibre entre les intrts en prsence Titre 1 Le choix de la comptence Chapitre 1 Le choix individuel Chapitre 2 Le choix mutuel Titre 2 La loi approprie Chapitre 1 Lquilibre tabli Chapitre 2 Lquilibre rtabli

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INTRODUCTION GENERALE

1 La concurrence dloyale : illicit ou manquement un devoir moral ?

1. - Voici un professionnel qui dtourne la clientle de lun de ses concurrents en

dnigrant ses produits; un autre qui se place dans le sillage dune marque renomme pour proposer la vente des produits commercialiss sous le mme nom commercial, mais sur un march diffrent; ou encore un commerant qui trompe la confiance de ses consommateurs dans ses publicits. Ltendue des manuvres permettant aux oprateurs de conqurir la clientle dautrui est extrmement vaste, et les comportements dloyaux voluent aussi rapidement que les moyens de communication. Lapprhension du phnomne de la concurrence selon un raisonnement conomique faisait au dpart abstraction de toute considration morale1. La rgulation des manuvres commises par un oprateur en vue de dtourner les clients de ses concurrents sur les marchs pourrait alors se concentrer sur le comportement rationnel des agents. Dans un monde idal, chaque intervenant sur le march pourrait ainsi capter la clientle dautrui ou profiter de ses investissements grce aux moyens les plus divers, condition que la poursuite de son propre intrt permette de garantir la satisfaction de lintrt collectif2. Mais si la conception conomique classique entend faire confiance aux mcanismes de march pour assurer lajustement de lensemble des comportements individuels, cette vision manque de ralisme ds lors que lon considre les pratiques prcites. Lencadrement des comportements dloyaux ncessite lintervention de

Sur lvolution de la rgulation du march, notamment, M. TORRE-SCHAUB, Essai sur la construction de la catgorie de march, Prf. de A. LYON-CAEN, L.G.D.J., Bibliothque de droit priv, Paris, 2002, spc. p. 5 et suiv ; L. DEPAMBOUR-TARRIDE, Quelques remarques sur les juristes franais et lide de march dans lhistoire , Arch. phil. Droit, t.40, 1996, pp. 265-285. 2 A. SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.

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lautorit publique afin de garantir le bon fonctionnement de lconomie de march3, ainsi que la loyaut des relations entretenues entre professionnels ou entre professionnels et consommateurs. Les fondements des interventions lgislatives ou jurisprudentielles successives rsident alors dans le principe de la libert du commerce et de lindustrie4, comprenant le principe de la libert de la concurrence5, ou dans la recherche de la protection du consommateur considr comme une partie faible dans le rapport de droit6.2. La dfinition de la concurrence dloyale - Lapprhension des

comportements dloyaux par le droit a en effet t progressive depuis la reconnaissance dans la Convention dUnion de Paris sur la protection de la proprit industrielle7 (ciaprs la Convention dUnion de Paris) de la concurrence dloyale comme une institution juridique part entire. Cette dernire a t dfinie dans larticle 10 bis de la Convention dUnion de Paris comme tout acte de concurrence contraire aux usages honntes en matire industrielle et commerciale . La dfinition correspond ce que le Doyen Cornu a qualifi de dfinition relle du concept8 : le concept est dfini de manire gnrale et abstraite, en nonant les lments qui le composent - un comportement (lacte) et un standard de comportement (le respect des usages honntes en matire industrielle et commerciale). Le standard de la loyaut de la concurrence prsente une dimension morale certaine9, dans la mesure o il implique un jugement thique sur le comportement des auteurs10. Norme souple ou directive de conduite11, il se distingue en effet de la rgle prcise et fixe, de la norme immdiatement

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E. PUTMAN, Droit de la concurrence et ordre concurrentiel , dans Mlanges en lhonneur dAntoine Pirovano, 2003, pp.515-522, spc. p. 518 et suiv. 4 Elle a t proclame en France par le Dcret dAllarde des 2 et 17 mars 1791. 5 M.-A. FRISON-ROCHE et M.-S. PAYET, Droit de la concurrence, Dalloz, Paris, 2006, spc. p. 2. 6 Sur cette question, infra, 21 et suiv. 7 Convention de Paris pour la protection de la proprit industrielle du 20 mars 1883, rvise Bruxelles le 14 dcembre 1900, Washington le 2 juin 1911, La Haye le 6 novembre 1925, Londres le 2 juin 1934, Lisbonne le 31 octobre 1958 et Stockolm le 14 juillet 1967 et modifie le 28 septembre 1979. 8 G. CORNU, Les dfinitions dans la loi et les textes rglementaires , Cahiers de Mthodologie juridique n2, RRJ 1987-4, pp. 2713-2720. 9 E. PATTARO, Les dimensions thiques de la notion de standard juridique , Cahiers de Mthodologie juridique n3, R.R..J. 1988-4, pp.813-823, spc. p.816. 10 B. OPPETIT, Ethique et vie des affaires , dans Mlanges offerts Andr Colomer, Litec, Paris, 1993, pp.319-333, spc.p.325. 11 Sur les dbats relatifs au caractre juridique du standard, voir S. RIALS, Les standards, notions critiques du droit , dans C. PERELMAN et R. VANDER ELST (Ed.), Les notions contenu variable en droit, Bruylant, Bruxelles, 1984, pp.39-53.

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oprationnelle12 , et constitue un instrument de mesure des comportements et des situations mis en uvre au sein dune rgle manant du lgislateur ou du juge13 . Son apprciation par le juge a permis de fournir un cadre juridique visant moraliser les relations professionnelles et commerciales et restreindre le phnomne de la concurrence dloyale par linstauration dune dontologie dans les relations entre professionnels 14. Il est ainsi admis quune conduite juge dloyale car elle nest pas conforme aux usages honntes en matire industrielle ou commerciale ne constitue pas un simple manquement un devoir moral15, mais est illicite. Le droit et la morale entretiennent ainsi des rapports de complmentarit16 plutt que dexclusivit dans le domaine de la recherche de la loyaut de la concurrence17.3. - La dfinition unitaire dlicate du concept de concurrence dloyale - Cette

tude se limite aux manifestations de concurrence dloyale survenant dans les relations prives internationales18, lexclusion des comportements dloyaux commis dans les relations entre Etats. Il en va ainsi par exemple du dumping ou de la corruption19, qui sont rgis au sein de lOrganisation Mondiale du Commerce20. Apprhender la question de la concurrence dloyale dans les relations transfrontires pourrait ensuite conduire rechercher une dfinition unitaire de la notion. Une approche conceptuelle permettrait en effet de dgager un fond commun aux diffrents Etats, qui garantirait aux oprateurs la possibilit de pouvoir anticiper le caractre loyal ou dloyal de leur comportement lorsquils exercent leurs activits en dehors des frontires de lEtat dans lequel ils sont tablis. Mais si linsertion de lexpression concurrence dloyale dans larticle 10 bis de la Convention dUnion de Paris lui confre en thorie le statut de notion12

P. JESTAZ, Rapport de synthse. Les standards dans les divers systmes juridiques , Cahiers de Mthodologie juridique n3, R.R.J. 1988-4, pp.2674-2681. 13 S. RIALS, Les standards, notions critiques du droit , op. cit., spc. p.44. 14 M.-A. FRISON-ROCHE, Le modle de march , Arch. phil. Droit, t.40, 1995, pp.286-313, spc. p. 299. 15 Sur les considrations morales sous-jacentes aux rgles de conduite, G. RIPERT, La rgle morale dans les obligations civiles, 1949, n13-18 ; J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, Dalloz, Paris, 2003, p.50, 39. 16 B. OPPETIT, Ethique et vie des affaires , op. cit., spc.p.332. 17 D. GUTMANN, Lobligation dontologique, entre lobligation morale et lobligation juridique , Arch. phil. Droit 2000, t.44, pp.115-127, spc.p.116. 18 Sur les types de comportements viss, infra, 15 et suiv et 21 et suiv. 19 J. CHEVALLIER, Lutte contre la corruption et loyaut dans les relations internationales , dans J. LAROCHE (Ed.), La loyaut dans les relations internationales, LHarmattan, Paris, 2001, pp.185-211. 20 M. RAINELLI, Rflexions sur la loyaut dans le commerce international , dans J. LAROCHE (Ed.), La loyaut des relations internationales, LHarmattan, Paris, 2001, p.213-229, et les exemples cits.

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internationale commune21, la terminologie varie utilise dans les diffrents Etats pour dcrire le phnomne de la concurrence dloyale rend la systmatisation de la notion difficile: concurrence dloyale en France et dans de nombreux Etats europens; pratiques commerciales dloyales aux Etats-Unis, au Canada et en Hongrie ; pratiques du commerce en Belgique22. La dnomination des standards de comportement varie galement : loyaut du commerce, principe de bonne foi, principe de correction professionnelle, bonnes murs, etc23 Il est par consquent difficile daborder la concurrence dloyale dans les relations prives internationales par la recherche dune notion unitaire commune aux Etats. Lenvisager en tant quinstitution juridique garantit au contraire de regrouper lensemble des normes composant le droit de la concurrence dloyale grce un critre fonctionnel, en rassemblant autour dun intrt commun et dune mme aspiration des rgles disperses sous des rubriques diffrentes dans les textes ou les codes, mais qui sont complmentaires par la finalit et lesprit qui les animent 24. Le recours la notion dinstitution juridique permet ainsi de dpasser la diversit des sources et de la terminologie qui prvaut dans le domaine de la protection contre la concurrence dloyale.

2 La concurrence dloyale : lharmonisation de la rgle de conflit de lois

4. Lopportunit dune tude de la concurrence dloyale en droit

international priv malgr la raret de la jurisprudence franaise en la matire Lextranit de la relation prive internationale est dfinie comme celle qui noue des liens avec plusieurs pays, soit par la nationalit ou la rsidence des protagonistes, soit par les lieux de () production des faits ou daccomplissement des actes concerns 25. Lapplicabilit des rgles de droit international priv dpend de lexistence de tels21

E. ULMER, Le droit de la concurrence dloyale et le march commun , La proprit industrielle 1963, n2, pp.33-44, spc. p. 34. 22 Pour des rfrences des tudes de droit compar, infra, note 121. 23 OMPI, Protection contre la concurrence dloyale. Analyse de la situation mondiale actuelle, op. cit., spc. p. 23. 24 J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, Dalloz, Paris, 2003, 167, p.195. 25 M.-L. NIBOYET, G. de GEOUFFRE DE LA PRADELLE, Droit international priv, L.G.D.J., Paris, 2007, p.VI.

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lments dextranit dans le litige. Le domaine de la concurrence dloyale est intressant cet gard en raison du faible nombre de dcisions de jurisprudence franaise traitant expressment, soit de la comptence internationale, soit des conflits de lois en matire de concurrence dloyale. Ce constat rsulterait-il de la raret du contentieux en matire de concurrence dloyale ? Le nombre trs important de dcisions rendues en matire de concurrence dloyale et consultables sur les bases de donnes de jurisprudence conduit rpondre par la ngative. Serait-il alors une consquence du faible nombre de litiges relatifs la concurrence dloyale qui contiennent des lments dextranit et qui sont ports devant les juridictions franaises ? L encore, la consultation des dcisions rendues par la Cour de Cassation et par les juridictions du fond26 montre que de trs nombreuses affaires opposent, soit des socits ayant leur sige social dans des Etats diffrents27, soit des socits dun mme Etat mais au regard de comportements dloyaux raliss ou produisant leurs effets ltranger28. Les dcisions disponibles sont pour la plupart des dcisions rendues par la Cour de Cassation et, sil a t soulev, le problme de la loi applicable au litige a en principe t rsolu devant les juridictions du fond. Laccs moins ais aux dcisions rendues par ces dernires pourrait expliquer en partie pourquoi lon considre frquemment que la question des conflits de lois nest que rarement tranche par le juge franais en matire de concurrence dloyale. La plupart du temps, la comptence dune loi trangre dans le cadre dune action en concurrence dloyale intente devant le juge franais nest par ailleurs pas invoque par lune ou lensemble des parties au litige alors mme quil existe des lments dextranit. Malgr ces constatations, lanalyse de la concurrence dloyale en droit international priv communautaire prsente un intrt pratique certain en raison non seulement du volume important de demandes fondes sur des comportements dloyaux qui sont portes devant les juridictions franaises, mais galement du rle des parties et du juge face lexistence dlments dextranit dans le litige.

Laccs difficile aux jugements rendus par les juridictions de premire instance implique que lanalyse sera cantonne aux arrts et jugements accessibles sur ou sur des sites spcialiss, comme par exemple . 27 Cass., com., 13 fvrier 2001, pourvoi n 98-14805 (absence de contrefaon de modles et de concurrence dloyale de la part de deux socits allemandes et franaises lencontre dune socit franaise). 28 TGI Paris, 3me Chambre, 27 mars 1998, LOral, Parfums Guy Laroche, The Polo Lauren Company, Cacharel et Ralph Lauren c/ PLD Enterprises, disponible sur le site .

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5. Le contexte thorique de la spcialisation des rgles de conflit de lois -

Une rgle de conflit de lois traditionnelle prsente trois caractres : elle est indirecte, bilatrale et neutre29. Lassociation dune catgorie de rattachement et dun ou plusieurs critres de rattachement pertinent permet de localiser le rapport de droit dans un ordre juridique donn en vertu de la thorie de la localisation des rapports de droit dveloppe par Savigny au 19me sicle30, sans partir des lois en conflit pour en dterminer le champ dapplication dans lespace. La rsolution du conflit de lois est alors en principe effectue sous le postulat dgalit entre la lex fori et la loi trangre, et est indiffrente au contenu des droits matriels en conflit. La localisation objective des faits juridiques dans le pays dans lequel ils avaient t commis tait traditionnellement accepte par la plupart des Etats jusquau milieu du vingtime sicle31. Cette localisation tait considre comme approprie ds lors quelle conduisait lapplication de la loi du milieu social, cense prsenter les liens les plus troits avec la situation. Les intrts de lauteur du dlit et de la personne lse taient prservs de manire similaire par la loi locale, sans favoriser lun des deux32. Cette localisation objective permettait donc en principe de garantir la prvisibilit des solutions pour lauteur et pour la victime de lacte dommageable, mais galement la possibilit pour lEtat de rguler les comportements dlictuels commis sur son territoire33.6. - Cette vision de la rgle de conflit de lois semble aujourdhui dpasse, et de

nombreuses analyses ont t consacres depuis le milieu du vingtime sicle auxB. AUDIT, Droit international priv, 4me Ed., Economica, Paris, 2006, spc. p. 82 et 83. Savigny, System des heutigen rmischen Recht, t. VIII, 1849 (trad. Gunoux, 1851, reproduit aux Editions Panthon-Assas, Paris, 2002, prf. Y. Synvet). 31 Pour un aperu des solutions de droit compar admises en Europe, T. KADNER GRADZIANO, La responsabilit dlictuelle en droit international priv europen, op. cit., spc. p.20 et suiv. En France, la solution est constante depuis larrt Cass., Ch. Civ., 25 mai 1948, Lautour, RCDIP1949, p.89, note Batiffol ; D. 1948, p.357, note P. L.-P., S. 1949, p.1.21, note Niboyet ; J.C.P. 1948.II.4532, note Vasseur ; Grands arrts n19, note B. Ancel et Y. Lequette. 32 P. BOUREL, Les conflits de lois en matire d'obligations extracontractuelles, Prf. de Yvon LOUSSOUARN, L.G.D.J., Paris, 1961, spc. p.54 ; P. MAYER, V. HEUZE, Droit international priv, 8me dition, Montchrestien, Paris, 2004, p. 500, 678. 33 B. AUDIT, Le caractre fonctionnel de la rgle de conflit (Sur la crise des conflits de lois) , Recueil des Cours 1984, III, t. 186, spc. p. 299, qui rappelle la justification fonctionnelle du rattachement : lapplication de la loi du lieu du dlit rpond une certaine attente des personnes impliques, et elle satisfait lintrt de lEtat au maintien dun certain ordre sur son territoire. De manire plus prcise en ce qui concerne le premier point, la personne qui se trouve en un lieu donn doit pouvoir compter sur la protection offerte par le droit local ; celle qui y agit a le devoir de se conformer aux rgles de prudence qui y sont en vigueur. 30 29

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mthodes de spcialisation ou dadaptation de la rgle de conflit de lois lorsque le critre de rattachement traditionnel a t considr comme insuffisant34. Certains auteurs ont soulev le risque de localisation rigide de lobligation non contractuelle laquelle lapplication de la loi du lieu de survenance du dommage pouvait conduire35. Les critiques se sont ensuite dveloppes au fur et mesure de lvolution des rgles de droit matriel rgissant la responsabilit civile et de lessor des dlits spciaux. Laugmentation des risques de dlits complexes, produisant leurs effets dans plusieurs pays, a galement rapidement mis en lumire les difficults de localisation prcise dune obligation non contractuelle dans lespace. Deux approches taient proposes en doctrine. Dun ct, la doctrine anglo-saxonne a dvelopp des thories fondes, notamment, sur des principes gnraux devant conduire soit dsignation de la loi la plus approprie par la mthode du groupement des points de contacts, soit la loi qui a un intrt sappliquer en fonction de critres ou de principes prdtermins36. Dun autre ct, une partie de la doctrine europenne a propos dadapter les critres de rattachement pour certains dlits prsentant des spcificits au regard des rgles gnrales gouvernant la responsabilit civile dlictuelle, en tenant compte de la nature de chaque fait dommageable et des circonstances dans lesquelles il se produit 37 et en faisant entrer des considrations de justice matrielle dans la rsolution du conflit de lois. Une troisime voie intermdiaire sest ouverte depuis quelques annes par une analyse des mthodes du conflit de lois fonde sur les outils et les thories de lanalyse conomique du droit38.

P. BOUREL, Du rattachement de quelques dlits spciaux en droit international priv , Recueil des Cours 1989, II, t. 214, pp.261-398, spc. p. 279 et suiv.; pour un rappel des lments de la crise du conflit de lois , se reporter B. AUDIT, Le caractre fonctionnel de la rgle de conflit (Sur la crise des conflits de lois) , op. cit., spc. p. 231 et suiv., et p. 298 et suiv. ; Y. LOUSSOUARN, La rgle de conflit est-elle une rgle neutre ? , Trav. Com. fr. DIP 1980-1981, pp.43-68 ; Y. LOUSSOUARN, Lvolution de la rgle de conflit de lois , Trav. Com. fr. DIP, Journe commmorative du Cinquantenaire, Paris, 23 novembre 1985, pp.79-95 ; J. D. GONZALEZ CAMPOS, Diversification, spcialisation, flexibilisation et matrialisation des rgles de droit international priv , Recueil des Cours. 2000, t.287 ; sur lvolution des mthodes en droit international priv compar, notamment, S. C. SYMEONIDES, Private International Law at the End of the 20th Century: Progress or Regress?, Kluwer Law International, London, Cambridge, Dordrecht, 2000, 494p. 35 Notamment, Cavers, A critique of the Choice of Law Problem, Harvard Law Review 1934, p. 173. 36 Sur les thories du conflit de lois dveloppes aux Etats-Unis, B. AUDIT, Le caractre fonctionnel de la rgle de conflit (Sur la crise des conflits de lois) , op. cit; P. HAY, Flexibility Versus Predictability and Uniformity in Choice of Law. Reflection on Current European and United States Conflicts Law, Recueil des Cours 1991-1, t.226, pp.281-412. 37 P. BOUREL, Du rattachement de quelques dlits spciaux en droit international priv , op. cit.. 38 Parmi les nombreuses tudes, H. MUIR-WATT, Law and Economics : quel apport pour le droit international priv , dans Etudes offertes Jacques Ghestin. Le contrat au dbut du XXIme sicle,

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7. - La matire de la concurrence dloyale na pas chapp aux dbats relatifs la

spcialisation de la rgle de conflit de lois. La pertinence de la mise en uvre de la rgle de conflit de lois traditionnellement applicable aux dlits civils dans le domaine de la concurrence dloyale a en effet t trs tt critique. Une partie de la doctrine militait en effet depuis de nombreuses annes pour ladoption dune rgle de conflit de lois spciale en matire de concurrence dloyale en se fondant sur la spcificit des rgles de droit matriel au regard de la thorie gnrale de la responsabilit civile 39. Une autre partie de la doctrine estimait que la lex loci delicti tait suffisante dans le domaine de la concurrence dloyale pour parvenir un quilibre suffisant entre les intrts en prsence40. Cette question a galement t mise plusieurs fois lordre du jour de lagenda de la Confrence de la Haye de droit international priv, mais aucun texte na

L.G.D.J., Paris, 2001, pp.685-702 ; H. MUIR-WATT, Aspects conomiques du droit international priv (Rflexions sur limpact de la globalisation conomique sur les fondements des conflits de lois et de juridictions) , Recueil des Cours 2004, t.307, pp.25-382 ; E. OHARA and L. RIBSTEIN, From Politics to Efficiency in Choice of Law, The University of Chicago Law Review 2000, pp.1151-1232; M. E. SOLIMINE, The Law and Economics of Conflict of Laws, American Law and Economic Review 2002, p.208; G. RHL, Methods and Approaches in Choice of Law: An Economic Perspective, Berkeley Journal of International Law, vol. 24, 2006, disponible sur le site http://ssrn.com/abstract=920999; R. MICHAELS, Two Economists, Three Opinions? Economic Models for Private International Law Cross-Border Torts as Example, in An Economic Analysis of Private International Law, J. Basedow and T. Kono (Eds), Mohr Siebeck, 2006, pp.143-184; K. KAGAMI, T. KONO and Y. NISHITANI, Economic Analysis of Conflict-of-Laws Rules in Tort, in An Economic Analysis of Private International Law, J. Basedow and T. Kono (Eds), Mohr Siebeck, 2006, pp. 121-141. 39 P. BOUREL, Les conflits de lois en matire d'obligations extracontractuelles, Prf. de Yvon LOUSSOUARN, L.G.D.J., Paris, 1961, spc. p. 153 et suiv. ; J.-M. BISCHOFF, La concurrence dloyale en droit international priv , Trav. Com. fr. DIP 1969-1970, pp. 53-79; G. MONTBEL, La concurrence dloyale en droit international priv compar, Thse dactyl., Paris I, 1980 ; A. TROLLER, Unfair Competition, International Encyclopedia of Comparative Law, vol. III, Private international law, Chap. 34, Unfair competition, 1980, pp.3-17; Institut of International Law, Yearbook, Vol. 60, Part II, Session of Cambridge 1983, pp. 292-303; A. DYER, Unfair Competition in Private international Law, Recueil des Cours 1988, t.212, pp.373-446 ; B. DUTOIT, Une convention multilatrale de droit international priv en matire de concurrence dloyale : mythe ou ncessit ? , dans E pluribum unum : liber amicorum Georges A.L. Droz. Sur lunification progressive du droit international priv, Kluwer Law International, The Hague, 1996, pp.51-66 ; F. LECLERC, Concurrence dloyale et droit international priv , dans Concurrence dloyale. Permanences et devenir, Thmes et commentaires, Dalloz, Paris, 2001, pp.77-107. 40 M. FALLON, B. FAUVARQUE-COSSON, et S. FRANCQ, Le rgime du risque transfrontire de la responsabilit environnementale : en marche vers un droit spcial des conflits de lois ? , dans Les responsabilits environnementales dans lespace europen. Point de vue franco-belge, sous la direction de G. VINEY et B. DUBUISSON, Schulthess, Bruylant, L.G.D.J., Bruxelles, Paris, 2006. Les critiques ont t nombreuses parmi les commentateurs de lavant-projet de rglement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ; notamment, C. NOURISSAT et E. TREPPOZ, Observations sur lavant-projet de proposition de rglement du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles Rome II , J.D.I. 2003, pp.7-38, spc. p.30 ; House of Lords, European Union Commitee, The Rome II Regulation. Report with Evidence, op. cit., spc. p.34.

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jamais t propos41. Malgr les tudes doctrinales, la Cour de Cassation franaise na pourtant pas consacr la fragmentation de la catgorie des faits juridiques en dehors des domaines unifis par les conventions internationales, et a cherch prserver une stricte galit entre la loi du lieu de survenance du fait gnrateur et la loi du lieu de ralisation du dommage en cas de dlit complexe42. Dans un litige de concurrence dloyale, elle a ainsi rappel que la loi applicable la responsabilit extra-contractuelle est celle de lEtat du lieu o le fait dommageable sest produit43 , pour ensuite prciser que ce lieu sentend aussi bien de celui du fait gnrateur de dommage que du lieu de ralisation de ce dernier44. Sous lempire de ces dcisions, le choix entre les deux lois ntait pas effectu par la victime, mais par le juge en fonction des liens les plus troits quelles prsentaient respectivement avec la situation45, cest--dire en recourant au principe de proximit46.

A notre connaissance, deux tudes ont t menes dans ce cadre sur le problme de la loi applicable la concurrence dloyale : Confrence de La Haye de droit international priv, Etude exploratoire sur la loi applicable en matire de concurrence dloyale, A. DYER, Doc. prl. n2, novembre 1987, galement publi dans la Revue Internationale de la Concurrence 1989, pp.9-26; Confrence de La Haye de droit international priv, Note sur les conflits de lois en matire de concurrence dloyale : rappel et mise jour, Bureau permanent, Doc. prl. n5, avril 2000. 42 Sur les arguments dvelopps en faveur de lune ou de lautre loi, se reporter B. AUDIT, Le caractre fonctionnel de la rgle de conflit (Sur la crise des conflits de lois) , op. cit., spc. p. 301. La comptence de la loi du lieu de ralisation du dommage a t expressment retenue une seule reprise en France : Cass., 1re civ., 8 fvrier 1983, Bull.civ. I, n51, J.D.I. 1984, p. 123, note G. Lgier. 43 Cass., 1re civ., 14 janvier 1997, Soc. Gordon and Breach Science Publishers et autres c. Association The American Institute of Physics et autres, Bull.civ.I, n 14, p.8, RCDIP1997, p. 504, note J.-M. BISCHOFF, JCP G 1997.II.22903, note H. MUIR-WATT, contra : D. 1997, p. 177, note M. SANTACROCE. 44 Ibid. 45 Cass., 1re civ., 11 mai 1999, Mobil North Sea Ltd et autres c. Compagnie franaise dentreprises mtalliques et autres, RCDIP 2000, p.199, note J.-M. BISCHOFF, JDI 1999, p. 1049, note G. LEGIER, JCP G 1999.II.10183, note H. MUIR-WATT, D. 1999, somm., p. 295, JCP G 2000.I.197, n1, note G. VINEY. 46 La mme solution a t retenue par la Cour de Cassation dans larrt Cass., 1re civ., 27 mars 2007; Rev. Lamy droit civil 2007, p.22, note C. Kleitz ; D. 2007, n16, pp.1074-1075, note I. Gallmeister : Mais attendu que la loi applicable la responsabilit extracontractuelle est celle de lEtat du lieu o le fait dommageable sest produit ; quen cas de dlit complexe, ce lieu sentend aussi bien de celui du fait gnrateur du dommage que du lieu de ralisation de ce dernier ; que le lieu de ralisation du dommage tant fortuit, il convient de rechercher le lieu du fait gnrateur ().

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8. Le contexte communautaire47 : ladoption du Rglement Rome II du

Parlement europen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ( Rome II )48 (ci-aprs le Rglement Rome II) Lopportunit dune tude de la concurrence dloyale dans les relations prives internationales est renouvele depuis ladoption du Rglement Rome II. Ce dernier aurait d tre adopt grce la procdure de codcision nonce larticle 251 du Trait CE, qui constitue le fondement traditionnel du processus dcisionnel au sein de lordre juridique communautaire. La Commission europenne a prsent la proposition de rglement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles en 2003 (ci-aprs la Proposition Initiale)49. Celle-ci a eu un accueil modr parmi la doctrine, et les premiers commentateurs ont rapidement exprim leurs critiques50. Labsence prolonge de consensus sur le texte final du rglement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles a cependant conduit les autorits communautaires abandonner la procdure de codcision pour une procdure de ngociation, qui a seule permisLe phnomne de communautarisation des rgles de droit international priv a fait lobjet de nombreuses analyses doctrinales. Parmi les trs nombreuses tudes, M. FALLON, Les conflits de lois et de juridictions dans un espace conomique intgr. Lexprience de la Communaut europenne , Recueil des Cours 1995, t.253, pp.9-282 ; A. BORRAS, Le droit international priv communautaire : ralits, problmes et perspectives davenir , Recueil des Cours 2005, t. 317, pp.313-536 ; O. REMIEN, European Private International Law, the European Community and its Emerging Area of Freedom, Security and Justice, CMLR 2001, pp.53-86; C. KOHLER, Interrogations sur les sources du droit international priv europen aprs le Trait dAmsterdam , RCDIP1999, pp.1-30; C. BRUNEAU, Le Trait dAmsterdam et la coopration judiciaire en matire civile , JCP G 2000, I, 266 ; P. LAGARDE, Dveloppements futurs du droit international priv dans une Europe en voie dunification: quelques conjectures , Rabels Zeitschrift fr auslndisches und internationales Privatrecht, Band 68 (2004), pp.225-243 ; F. RIGAUX, La mthode des conflits de lois en droit europen , dans Mlanges en lhonneur de Bernard Dutoit, Comparativa, Librairie Droz, Genve, 2002, pp.242-256 ; H. U. JESSURUN dOLIVEIRA, The EU and a Metamorphosis of Private International Law, in Reform and Development of Private International Law. Essays in Honour of Sir Peter North, Ed. by J. Fawcett, OUP, 2006, pp.111-136; J. BASEDOW, Federal Choice of Law in Europe and the United States A Comparative Account of Interstate Conflicts, (2008) 82 Tul. L. Rev. 2119; J. BASEDOW, Spcificit et coordination du droit international priv communautaire , Trav. Com. Fr. DIP 2002-2004, pp.275305 ; J.-S. BERGE et M.-L. NIBOYET (sous la dir. de), La rception du droit communautaire en droit priv des Etats membres, Bruylant, Bruxelles, 2003 ; J.-S. BERGE, Le droit dune Communaut de lois : le front europen , dans Le droit international priv : esprit et mthodes. Mlanges en lhonneur de Paul Lagarde, Dalloz, Paris, 2005, pp.113-136. 48 Rglement Rome II du Parlement europen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles), J.O.C.E. 31 juillet 2007, L199/40. Il est applicable depuis le 11 janvier 2009. 49 Proposition de Rglement du Parlement europen et du conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), prsente par la Commission le 22 juillet 2003, COM (2003)427 final. 50 Notamment, C. NOURISSAT et E. TREPPOZ, Observations sur lavant-projet de proposition de rglement du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles Rome II , op. cit; Hamburg Group for Private International Law, Comments on the European Commissions Draft Proposal for a Council Regulation on the Law Applicable to Non-Contractual Obligations , RabelsZ, Bd.67 (2003), pp.1-56; House of Lords, European Union Commitee, The Rome II Regulation. Report with Evidence, op. cit47

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ladoption finale du texte51. Le Rglement Rome II sinsre dans le systme de droit international priv communautaire adopt en matire civile et commerciale, qui comprend le Rglement du Conseil du 22 dcembre 2000 concernant la comptence judiciaire, la reconnaissance et lexcution des dcisions en matire civile et commerciale (ci-aprs le Rglement Bruxelles I)52 et le Rglement du Parlement europen et du Conseil du 17 juillet 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (ci-aprs le Rglement Rome I)53. Grce au Rglement Rome II, un cap a t franchi en Europe dans le processus de spcialisation des rgles de conflit de lois en matire dobligations non contractuelles. Il contient en effet dans le Chapitre II une rgle de conflit de lois gnrale en matire dobligations non contractuelles ainsi que des rgles de conflit de lois spciales pour certains types de dlits. Une rgle spcifique a t adopte en matire de concurrence dloyale, de responsabilit du fait des produits54, datteintes lenvironnement55, dactes restreignant la concurrence56, datteintes aux droits de proprit intellectuelle57 et de grve ou de lock-out58. Larticle 6 du Rglement Rome II intitul Concurrence dloyale et actes restreignant la concurrence remplace ainsi depuis le 11 janvier 200959 les rgles de conflit de lois labores par les Etats membres et appliques jusqualors dans ces deux matires60, et dispose que 1. La loi applicable une obligation non contractuelle rsultant dun acte de concurrence dloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intrts collectifs des consommateurs sont affects ou susceptibles de ltre.

Intervention de C. Hahn lors du colloque organis Dijon le 20 septembre 2007 sur le thme du rglement communautaire Rome II . 52 J.O.C.E. nL12 du 16 janvier 2001, p. 1, en vigueur depuis le 1er mars 2002. 53 J.O.C.E. nL177 du 04 juillet 2008, p.6. Il est applicable depuis le 17 dcembre 2009, et remplace la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (ci-aprs la Convention de Rome). 54 Article 5 du Rglement Rome II. 55 Article 7 du Rglement Rome II. 56 Article 6, point 3 du Rglement Rome II. 57 Article 8 du Rglement Rome II. 58 Article 9 du Rglement Rome II. 59 Article 32 du Rglement Rome II. 60 Seuls les points 1, 2 et 4 de larticle 6 applicables en matire de concurrence dloyale seront analyss dans le cadre de cette tude, lexception du point 3, qui est applicable aux actes restreignant la concurrence.

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2. Lorsquun acte de concurrence dloyale affecte exclusivement les intrts dun concurrent dtermin, larticle 4 est applicable. 3. a) La loi applicable une obligation non contractuelle rsultant dun acte restreignant la concurrence est celle du pays dans lequel le march est affect ou susceptible de ltre. b) Lorsque le march est affect ou susceptible de ltre dans plus dun pays, le demandeur en rparation qui intente laction devant la juridiction du domicile du dfendeur peut choisir de fonder sa demande sur la loi de la juridiction saisie, pourvu que le march de cet Etat membre compte parmi ceux qui sont affects de manire directe et substantielle par la restriction du jeu de la concurrence dont rsulte lobligation non contractuelle sur laquelle la demande est fonde. Lorsque le demandeur, conformment aux rgles applicables en matire de comptence judiciaire, cite plusieurs dfendeurs devant cette juridiction, il peut uniquement choisir de fonder sa demande sur la loi de cette juridiction si lacte restreignant la concurrence auquel se rapporte laction intente contre chacun de ces dfendeurs affecte galement de manire directe et substantielle le march de lEtat membre de cette juridiction. 4. Il ne peut tre drog la loi applicable en vertu du prsent article par un accord tel que mentionn larticle 14.

9. Les enjeux - Les enjeux dune analyse de la concurrence dloyale en droit

international priv communautaire sont doubles. Mme si lon reste dans le cadre de la mthode bilatrale du conflit de lois, les deux oppositions traditionnellement admises en droit international priv entre, dune part, la comptence judiciaire et la comptence lgislative, et, dautre part, entre la justice conflictuelle et la justice matrielle, peuvent tre remises en cause dans ce domaine. Lexistence dune rgle de conflit de lois applicable en matire de concurrence dloyale est en outre une innovation pour les juridictions franaises, dont la pratique consistait jusqualors appliquer trs frquemment la loi franaise dans les litiges de concurrence dloyale prsentant des lments dextranit61. La rsolution des conflits de lois devrait donc tre envisage conjointement avec celle des conflits de juridictions afin de dterminer de quelle manire les rgles de droit international priv sarticulent en matire de concurrence dloyale, en vue, notamment, de dterminer si lexistence dune rgle de conflit de lois codifie est de nature entraner lapplication plus frquente dune loi trangre par les juridictions franaises.

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Sur ce point, infra, 86 et suiv.

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Ds lors que la matire est imprgne de considrations conomiques et de rgulation du march, la dtermination de la loi applicable ne peut ensuite tre entirement dissocie des rgles de droit matriel rgissant les comportements dloyaux. Ces dernires poursuivent des finalits qui leur sont propres, et ont vocation prserver des intrts dtermins. Elles ne protgent plus seulement les oprateurs contre les actes de concurrence dloyale commis dans les relations professionnelles, mais tendent galement garantir le respect des intrts des consommateurs face aux pratiques commerciales dloyales commises leur encontre par un professionnel. Cette approche conduit envisager les rgles de droit international priv applicables en matire de concurrence dloyale au regard des intrts dont elles devraient garantir le respect ou des finalits qui leur sont assignes dans le Rglement Rome II, afin, notamment, de caractriser leur nature au regard de la rgle de conflit de lois savignienne traditionnelle ainsi que lquilibre entre les intrts en prsence auquel leur mise en uvre devrait conduire.10. - Lanalyse a donc vocation fournir des pistes de lecture mthodologiques

sur larticulation, en matire de concurrence dloyale, de la comptence judiciaire et la comptence lgislative, ainsi que sur la manire dont les rgles de conflit de lois devraient tre mises en uvre par les juridictions franaises. Cette approche conduit envisager au pralable la cohrence entre les rgles de droit international priv ainsi que celle des rgles de conflit de lois et des rgles de droit matriel rgissant la concurrence dloyale (Partie I La cohrence des rgles), puis le rsultat de la mise en uvre des rgles de comptence internationale et des rgles de conflit de lois du point de vue des intrts en prsence dans le litige de concurrence dloyale (Partie II Lquilibre entre les intrts en prsence). La question de la reconnaissance et de lexcution des dcisions judiciaires ne sera pas aborde dans le cadre de cette tude.

Partie I La cohrence des rgles Partie II Lquilibre entre les intrts en prsence

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PARTIE I LA COHERENCE DES REGLES

11. - La rgle de conflit de lois adopte au niveau communautaire fait partie dun

ensemble constitu par les rgles indirectes existantes62 les normes indirectes- et par les rgles de droit matriel applicables en matire de concurrence dloyale pour donner la solution du litige au fond les normes directes. Toutes ces normes devraient tre cohrentes entre elles afin de garantir la prvisibilit des solutions recherche par luniformisation de la rgle de conflit de lois au sein de lUnion europenne. Les rdacteurs du Rglement Rome II taient conscients de cet enjeu, et ont prcis que le champ dapplication matriel et les dispositions du prsent rglement devraient tre cohrents par rapport au Rglement Bruxelles I () et les instruments relatifs la loi applicable aux obligations contractuelles63 . La recherche de la cohrence ne devrait cependant pas tre limite aux rapports entre les diffrentes normes indirectes rgles de comptence judiciaire et rgles de conflit de lois-, et devrait tre tendue aux influences rciproques entre les rgles de conflit de lois et les rgles de droit matriel rgissant la concurrence dloyale au sein des Etats membres. La rgle de conflit de lois adopte en matire de concurrence dloyale dans le Rglement Rome II sera dabord envisage au stade de son laboration en la replaant la fois dans le contexte des rgles de droit matriel existantes et dans celui des mthodes retenues au sein du Rglement Rome II (Titre 1 Llaboration des rgles). Le cadre gnral de sa mise en uvre par le juge franais sera ensuite envisag (Titre 2 La mise en uvre de la rgle de conflit de lois).

Notamment les rgles de comptence judiciaire contenues dans le Rglement Bruxelles I et applicables en matire de concurrence dloyale. 63 Considrant 7 du Rglement Rome II.

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Titre 1 Llaboration des rgles Titre 2 La mise en uvre de la rgle de conflit de lois

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TITRE 1 Llaboration des rgles

12. - Ladoption du Rglement Rome II bouleverse le systme franais du conflit

de lois64 en matire dobligations non contractuelles par la codification des rgles de localisation65, et en particulier en matire de concurrence dloyale. Comme pour les rgles de droit matriel66, llaboration de rgles de conflit de lois uniformes en matire dobligations non contractuelles repose sur la mthode de coordination retenue dans lordre juridique communautaire67. Or ladoption dactes de droit communautaire driv sinscrit ncessairement dans une logique de ralisation des objectifs de lordre juridique communautaire, comme par exemple la ralisation du march intrieur68 ou la

Sur la codification du droit international priv en France, D. BUREAU et H. MUIR-WATT, Droit international priv, Tome I, Partie gnrale, PUF, Paris, 2007, p. 61, 46 et les rfrences bibliographiques cites. 65 En France, le juge et la doctrine jouaient traditionnellement un rle majeur dans llaboration des rgles de conflit de lois. Sur la codification du droit international priv communautaire, notamment, M. FALLON, P. LAGARDE, S. POILLOT-PERUZZETTO (sous la dir. de), La matire civile et commerciale, socle dun code europen de droit international priv ?, Dalloz, Thmes et commentaires, Paris, 2009, 198 p ; M. FALLON, Le droit international priv en 2004, entre ius commune, codification et droit priv europen , dans Le Code civil entre ius commune et droit priv europen, Etudes runies et prsentes par Alain WIJFFELS, Bruylant, Bruxelles, 2005, pp.225-267. 66 Sur les dbats relatifs lharmonisation du droit de la responsabilit civile en Europe, se rapporter, notamment, aux travaux raliss par l European Group on Tort Law, Principles of European Tort Law, Text and Commentary, Springer, Wien, 2005, 282 p., galement disponible sur le site ; G. WAGNER, The Project of Harmonizing European Tort Law, C.M.L.R. 2005, vol.42, n5, pp.1269-1312; G. ALPA, Principles of European Tort Law, a Critical View from the Outside, European Business Law Review 2005, vol.16, n5, pp.957-974. 67 Sur la dfinition des diffrentes mthodes, A. JEAMMAUD, Unification, uniformisation, harmonisation : de quoi sagit-il ? , dans Vers un code europen de la consommation. Codification, unification et harmonisation du droit des Etats membres de lUnion europenne, sous la dir. de F. Osman, pp. 35-108 ; M. DELMAS-MARTY, Le pluralisme ordonn et les interactions entre ensembles juridiques , D. 2006, n14, Doctr., pp.951-957. 68 Article 3, c) du Trait CE ; le march intrieur est dfini dans larticle 14 du Trait CE comme un espace sans frontires intrieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assure selon les dispositions du prsent rglement . Voir galement larrt Schul rendu par la CJCE le 5 mai 1982, aff.15/81, Rec., p.1409 : la notion de march commun () vise llimination de toutes les entraves aux changes intra-communautaires en vue de la fusion des marchs nationaux dans un march unique ralisant des conditions aussi proches que possible de celles dun vritable march intrieur .

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suppression des distorsions de concurrence69. Lenjeu de la communautarisation des rgles de conflit de lois en matire dobligations non contractuelles, et en particulier en matire de concurrence dloyale, rside donc dans la question de savoir si des objectifs communautaires ont t assigns la rgle de conflit de lois ou si elle correspond aux mthodes retenues auparavant dans le domaine des dlits (Chapitre 2 Luniformisation de la rgle de conflit de lois). Llaboration et la mise en uvre des normes rgissant la concurrence dloyale dans lordre interne (Chapitre 1 La diversit des rgles de droit matriel) permet didentifier au pralable les domaines dans lesquels elles peuvent exercer une influence sur la rgle de conflit de lois.

Chapitre 1 La diversit des rgles de droit matriel Chapitre 2 Luniformisation de la rgle de conflit de lois

Article 3, g) du Trait CE ; Pour parvenir la ralisation de ces objectifs, le transfert de souverainet des Etats membres vers la Communaut est encadr ; en vertu de larticle 5 du Trait CE, la Communaut dispose de comptences dattribution, et ne peut agir, dans les domaines qui ne relvent pas de sa comptence exclusive, que conformment au principe de subsidiarit.

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Chapitre 1 La diversit des rgles de droit matriel

13. - La coordination de lensemble des normes rgissant la concurrence dloyale

implique de rappeler le but commun qui les fdre afin de former un ensemble de rgles constituant le droit de la concurrence dloyale. La cl de vote70 des normes de droit matriel rside dans la recherche de la loyaut de la concurrence ; cette finalit commune devrait ensuite tre combine avec les buts poursuivis lors de llaboration des normes applicables en matire de concurrence dloyale afin den identifier les finalits matrielles particulires, qui diffrent selon la nature du rapport de droit en cause relations entre professionnels ou relations entre professionnels et consommateurs (Section 1 Les finalits du droit de la concurrence dloyale). Une fois ces finalits rappeles, il convient de justifier la persistance de la diversit des lgislations nationales en matire de concurrence dloyale. Si le but recherch est commun et rside dans la protection contre les comportements dloyaux, les concepts, le rgime juridique et les sanctions qui sy rattachent varient dun Etat un autre71. En matire de concurrence dloyale, de nombreuses rgles de droit matriel de source communautaire ainsi que des conventions internationales prexistent en effet au rapprochement rcent des rgles de droit international priv opr au sein du Rglement Rome II. Dans ce contexte, la diversit des normes, condition de la mise en uvre des rgles de droit international priv, nest permise que si, dans les matires concernes, les Etats bnficient dune certaine marge de manuvre (Section 2 Les marges de manuvre des Etats).

Section 1 Les finalits du droit de la concurrence dloyale Section 2 Les marges de manuvre des Etats70 71

J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, op. cit, spc. p. 199. Pour des exemples, se reporter aux tudes cites supra, note 121.

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Section 1 Les finalits du droit de la concurrence dloyale

14. - Les tudes doctrinales ayant contribu la systmatisation du droit de la

concurrence dloyale ont tout dabord cherch distinguer la concurrence dloyale dinstitutions juridiques connexes en mettant en vidence les intrts que les normes ont vocation prserver72. Les finalits matrielles poursuivies par le droit de la concurrence dloyale ont en effet volu depuis la Convention dUnion de Paris. Alors que cette dernire incitait les Etats contractants introduire des considrations morales dans la rgulation de la concurrence entre professionnels 73, la protection contre la concurrence dloyale a ensuite t tendue dans les relations entre professionnels non concurrents, puis dans les relations entre professionnels et consommateurs. Si les normes sont regroupes autour de la finalit commune que constitue la recherche de la loyaut dans la concurrence, deux corps de rgles devraient tre clairement distingus au sein de linstitution juridique de la concurrence dloyale. La protection contre la concurrence dloyale est par consquent envisage diffremment dans les relations entre professionnels (1 La rgulation des comportements entre professionnels) et dans leurs relations avec les consommateurs (2 La rgulation des comportements entre professionnels et consommateurs).

.1. La rgulation des comportements entre professionnels

15. - Dans le systme prvu par la Convention dUnion de Paris, la protection

contre la concurrence dloyale est conue comme un mcanisme permettant de

72

En France, P. ROUBIER, Le droit de la proprit industrielle, 2 vol., Sirey, Paris, 1952-1954, et les rfrences cites par Y. SERRA, Verbo Concurrence dloyale, Rp. com. Dalloz, 2004 ; J.-B. BLAISE, Droit des affaires. Commerants, concurrence, distribution, 2me d., L.G.D.J., Paris, 2000, spc. p. 317 et suiv. 73 Supra, 2.

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prserver les intrts privs des professionnels exerant des activits commerciales ou industrielles. Le droit de la concurrence dloyale entretient traditionnellement des relations troites avec les matires connexes que sont le droit de la proprit intellectuelle ou le droit de la concurrence. Si elles sont parfois toujours imprgnes des finalits matrielles de ces deux corps de rgles, les normes rgissant la concurrence dloyale dans les relations entre professionnels sen sont pourtant progressivement loignes (A Lautonomie au regard des rgles relatives la proprit intellectuelle ; B Lautonomie au regard des rgles relatives aux actes retreignant la concurrence).

A. - Lautonomie au regard des rgles relatives la proprit intellectuelle

16. - La complmentarit des rgles rgissant les actes de concurrence

dloyale et les droits de proprit intellectuelle - La conception juridique de la protection contre la concurrence dloyale sinscrit lorigine dans la logique normative des rgles relatives la proprit intellectuelle. Sous limpulsion de larticle 10 bis de la Convention dUnion de Paris, de nombreux pays ont intgr les dispositions rgissant la concurrence dloyale dans le corps de rgles relatives la proprit intellectuelle. Dans les Etats dans lesquels la thorie de la concurrence dloyale est une construction prtorienne, les juridictions admettent frquemment laction en concurrence dloyale comme instrument complmentaire de protection des droits de proprit intellectuelle74. Laction en concurrence dloyale vise alors offrir aux professionnels une protection subsidiaire et complmentaire lensemble des droits de proprit intellectuelle75. Le critre de la confusion dans lesprit du public permet par exemple de sanctionner un comportement sur le fondement de la concurrence dloyale lorsque laction en contrefaon ne conduit pas des solutions quitables du point de vue des intrts des

En France, par exemple, laction en concurrence dloyale ne peut tre exerce que sil existe des faits distincts des atteintes aux droits de proprit intellectuelle. 75 Sur les raisons expliquant linsertion dune disposition relative la concurrence dloyale pour complter la protection des droits de proprit industrielle, se reporter, notamment, F. HENNINGBODEWIG, International Unfair Competition Law, in R. M. HILTY and F. HENNING-BODEWIG (Eds), Law Against Unfair Competition. Toward a New Paradigm in Europe?, Springer, Berlin, Heidelberg, New-York, 2007, pp. 53-76, spc. p. 54.

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professionnels en prsence. Un professionnel verra par exemple ses intrts particuliers protgs contre des actes ou faits quelconques de nature crer une confusion par nimporte quel moyen avec ltablissement, les produits, ou lactivit industrielle ou commerciale dun concurrent 76. Linfluence du droit de la proprit intellectuelle sexerce notamment dans le cadre de la protection contre limitation des signes distinctifs de lentreprise77, des produits dun concurrent78, des indications de provenance ou des appellations dorigine par laction en concurrence dloyale.17. - Les liens entre les rgles rgissant les actes de concurrence dloyale et les

rgles relatives la proprit intellectuelle se sont cependant progressivement distendus, et les rgles relatives la concurrence dloyale ont acquis une autonomie certaine au regard du droit de la proprit intellectuelle79. Laction en concurrence dloyale permet de rparer le prjudice subi la suite dun dnigrement, caractris par des allgations fausses, dans lexercice du commerce, de nature discrditer ltablissement, les produits ou lactivit industrielle ou commerciale dun concurrent 80 . Elle permet galement de sanctionner le parasitisme, dfini comme lensemble des comportements par lesquels un agent conomique simmisce dans le sillage dun autre afin de tirer profit, sans rien dpenser, de ses efforts et de son savoir-faire 81.

Article 10 bis de la Convention dUnion de Paris. Nom commercial, dnomination sociale, enseigne. 78 Par exemple, imitation des tiquettes, de lemballage, des appellation des produits, de la publicit effectue. 79 La Cour de Justice des Communauts europennes reconnat la distinction entre les deux matires : CJCE, 17 juin 1981, aff. C-113/80, Rec.p.I-1625, cit par F. HENNING-BODEWIG, International Unfair Competition Law, in R. M. HILTY and F. HENNING-BODEWIG (Eds), Law Against Unfair Competition. Toward a New Paradigm in Europe?, Springer, Berlin, Heidelberg, New-York, 2007, pp. 53-76, spc. p. 56. 80 Article 10 bis de la Convention dUnion de Paris ; le dnigrement peut porter sur la personne dun concurrent, sur les produits et services ou sur les mthodes commerciales dune entreprise concurrente. 81 Cass., com., 26 janvier 1999, pourvoi n96-22457.77

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B. - Lautonomie au regard des rgles relatives aux actes restreignant la concurrence

18. - La filiation entre le droit de la concurrence dloyale et le droit de la

concurrence - Le droit de la concurrence stricto sensu et les rgles rgissant la concurrence dloyale appartiennent un ensemble plus vaste quest le droit conomique82. Ce constat est admis dans la plupart des Etats du fait de la convergence de leurs finalits. Le dnominateur commun entre le droit de la concurrence stricto sensu et le droit de la concurrence dloyale rside en effet dans le principe dgalit dans les moyens de la concurrence83. Les rgles assurant une protection effective contre la concurrence dloyale participent, comme les rgles rgissant les actes restreignant la concurrence, au bon fonctionnement du march. Dans les deux cas, lintervention de la rgle de droit a pour objectif dviter les ruptures dquilibre84 ou les distorsions de concurrence sur un march. En dautres termes, le droit de la concurrence dloyale vient complter le droit de la concurrence pour assurer le respect du principe de la libert de la concurrence en en limitant les abus85. Le lien entre le droit de la concurrence dloyale et le droit de la concurrence stricto sensu ne revt pas seulement un enjeu doctrinal. De nombreux Etats intgrent ainsi les rgles relatives la concurrence dloyale dans les lois sur la concurrence86 ; et comme pour la protection de la proprit intellectuelle, laction en concurrence dloyale peut tre exerce, de manire subsidiaire, pour combler

Sur les dbats relatifs lexistence et au contenu du droit conomique, voir C. CHAMPAUD, Contribution la dfinition du droit conomique , D. 1967, Chron., p. 215 ; G. FARJAT, La notion de droit conomique , Archives de philosophie du droit, t.37, 1992, pp.27-62 ; R.M. HILTY, The Law Against Unfair Competition and Its Interfaces, in R. M. HILTY and F. HENNING-BODEWIG (Eds), Law Against Unfair Competition. Toward a New Paradigm in Europe?, Springer, Berlin, Heidelberg, New-York, 2007, pp. 1-60, spc. p. 4. 83 Y. SERRA, V Concurrence dloyale , Rp. Com. Dalloz, 20, qui soutient que la notion dquilibre dans les moyens de la concurrence constituerait un fonds commun du droit de la concurrence dans son ensemble . 84 A. PIROVANO, La concurrence dloyale en droit franais , RIDC 1974, vol.26, pp.467-504 ; M.-S. PAYET, Droit de la concurrence et droit de la consommation, Nouvelles Bibliothque des Thses, Dalloz, Paris, 2001, p.78, 44. Contra : M.-A. FRISON-ROCHE, Les principes originels du droit de la concurrence dloyale et du parasitisme , RJDA 1994, pp.483-488, qui nuance la parent en considrant que le bon fonctionnement du march reste indiffrent aux conditions constitutives du comportement rprhensible . 85 Y. SERRA, V Concurrence dloyale, 16 ; sur cette question, M. CHAGNY, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, Nouvelles Bibliothque des thses, Dalloz, Paris, 2004, spc. p. 223 et suiv. 86 Par exemple en Europe, lEstonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie.

82

27

les lacunes du droit de la concurrence87, ou dans le domaine des rseaux de distribution88. Elle peut ainsi tre intente pour sanctionner une pratique anticoncurrentielle (entente, abus de position dominante, mise lindex) ou une pratique restrictive de concurrence, mais seulement si les conditions requises par les dispositions lgales sur la concurrence ne sont pas remplies. La Cour de Cassation franaise entend en effet limiter cette utilisation subsidiaire de laction en concurrence dloyale en exigeant la preuve de faits distincts des pratiques anticoncurrentielles ou restrictives de concurrence89.19. - La distinction du droit de la concurrence dloyale et du droit de la

concurrence stricto sensu - Si les finalits convergent, il est cependant admis que les deux corps de rgles se distinguent clairement par leur objet90. Le droit de la concurrence stricto sensu assure la prservation de lintrt gnral et la garantie du bon fonctionnement du march. Composante du droit public, il participe lordre public concurrentiel de lEtat qui ldicte91. A linverse, les rgles rgissant les actes de concurrence dloyale sappliquent des rapports de droit priv, mme si elles ont parfois vocation apprhender les comportements dlictuels de march92 . En imposant une thique des affaires, elles visent garantir le respect des intrts particuliers des professionnels93. Il en va ainsi de la protection contre la dsorganisation dun concurrent opre par la divulgation de ses secrets daffaires, du dbauchage de

J.-S. BERGE, Droit communautaire de la concurrence et concurrence dloyale , JCP E 2000, Cahiers du droit de lentreprise n41, pp.5-10 ; par exemple, CE, 10me section, 29 juillet 2002, Cegedim c/ INSEE, disponible sur le site , pour la sanction dune utilisation abusive de position dominante grce laction en concurrence dloyale. 88 R. KOVAR, Concurrence dloyale et droit communautaire de la concurrence , dans Concurrence dloyale. Permanence et devenir, sous la dir. de Y. Serra, Thmes et Commentaires, Dalloz, Paris, 2001. 89 Par exemple, Cass., com., 6 dcembre 2005, pourvoi n05-10929, Nengage pas la responsabilit de son auteur pour concurrence dloyale sur le fondement de larticle 1382 du Code civil, la pratique de prix qualifis danormalement bas lorsque cette pratique nest pas constitutive dune infraction aux dispositions des articles L.420-1, L.420-2 ou L.420-5 du Code de commerce, et quaucun fait distinct nest invoqu . 90 B. REMICHE, Droit de la concurrence et droit de la concurrence dloyale : objets diffrents et objectif commun , LIDC, Congrs de Cambridge, Second rapport international concernant la question n3, Revue internationale de la concurrence, 1996, pp.29-39, spc. p.30. 91 Y. LEQUETTE, P. SIMLER ET F. TERRE, Droit civil, les obligations, 2002, n383. 92 Y. AUGUET, Concurrence et clientle. Contribution ltude critique du rle des limitations de concurrence pour la protection de la clientle, Prf. de Y. Serra, L.G.D.J., Paris, 2002, spc. p. 72 et suiv. 93 J.-B. BLAISE, Droit des affaires. Commerants, concurrence, distribution, 2me d., L.G.D.J., Paris, 2000, p. 336, 654.

87

28

son personnel, de la dgradation de ses moyens publicitaires ou du dtournement de ses commandes. La distinction entre le droit de la concurrence et le droit de la concurrence dloyale est renforce par le constat, dans de nombreux Etats, de la suppression progressive de lexigence de lexistence dun rapport de concurrence comme condition de recevabilit de laction en concurrence dloyale94. Cette volution implique que lon soit progressivement pass dun droit des concurrents un droit des professionnels. Certains auteurs militaient en faveur de linclusion des normes rgissant la concurrence dloyale dans lordre public de direction en se fondant sur la qualification dinfractions pnales des comportements quelles rgissent95. Cette opinion ne fait cependant pas lunanimit au sein de la doctrine franaise96. Seules certaines dispositions visant protger la fois les intrts privs des professionnels et ceux du march pourraient tre considres comme relevant de lordre public. Il en va ainsi des dispositions codifies en France dans le Code de Commerce qui visent rguler les pratiques restrictives de concurrence afin de garantir la loyaut de la concurrence. Sont par exemple inclues dans la catgorie des pratiques restrictives de concurrence les comportements viss dans les articles L. 441-6 III et L. 442-6 I du Code de Commerce visant assurer la loyaut des transactions commerciales dans les relations entre producteurs et distributeurs et qui rgissent les conditions commerciales discriminatoires, lobtention dun avantage commercial injustifi ou disproportionn, labus de dpendance, les primes de rfrencement, la menace de rupture abusive de relations commerciales, la rupture de relations commerciales tablies, linterdiction de revente hors du rseau de distribution, ou les conditions de rglement abusives ou discriminatoires. Ces comportements sont illgaux et peuvent tre sanctionns en France soit par le prononc de dommagesintrts, soit par le prononc dune sanction pnale. Dautres types de pratiques sont interdites et sanctionnes pnalement, comme par exemple les prix minimums

Sur cette question, notamment, Y. SERRA, Lvolution de laction en concurrence dloyale en droit franais , dans Mlanges en lhonneur de Bernard Dutoit, Comparativa, Librairie Droz, Genve, 2002, pp.287-296, spc. p. 289 et suiv. 95 C. GIVERDON, Les dlits et quasi-dlits commis par le commerant dans lexercice de son commerce , R.T.D.Com. 1953, pp.855-867. 96 M.-A. FRISON-ROCHE, Les principes originels du droit de la concurrence dloyale et du parasitisme , op. cit.

94

29

imposs97, la revente perte98, le paracommercialisme99 ou la pratique de prix abusivement bas100.

20. - Les rgles rgissant les actes de concurrence dloyale commis dans les

relations entre professionnels participent la prservation de lquilibre dans les moyens de la concurrence. En revanche, elles ne concourent en tant que telles ni la prservation dintrts publics ni la rgulation du march comme peuvent le faire les rgles rgissant les pratiques anticoncurrentielles ou les actes restreignant la concurrence. La thorie de la concurrence dloyale est extrmement utile, car elle fournit un fondement juridique pour la sanction de nombreux comportements qui portent atteinte la loyaut de la concurrence, et qui ne pourraient pas tre sanctionns sur dautres fondements. Pour assurer la rparation du dommage caus par un acte de concurrence dloyale, le professionnel ls peut intenter une action en concurrence dloyale fonde sur les rgles relatives la responsabilit civile dlictuelle, soit, en France, larticle 1382 du Code civil. La finalit du droit des actes de concurrence dloyale rside par consquent dans la prservation des intrts privs des professionnels, et les normes qui les rgissent ne relvent pas de lordre public de direction.

.2. La rgulation des comportements entre professionnels et consommateurs

21. - Lextension de la fonction sociale des rgles nationales relatives la

concurrence dloyale la protection des intrts des consommateurs En retenant la tromperie du public sur la nature ou les caractristiques des produits comme exemple dactes de concurrence dloyale, larticle 10 bis de la Convention dUnion de Paris, initialement conu comme visant la protection des intrts particuliers des concurrents,97 98

Article L. 442-5 du Code de Commerce. Article L. 442-2 du Code de Commerce. 99 Article L. 442-7 du Code de Commerce. 100 Article L. 442-9 du Code de Commerce.

30

laisse la porte ouverte aux Etats pour la prise en compte et la protection des intrts des consommateurs101. La flexibilit instaure par larticle 10 bis de la Convention dUnion de Paris a permis lamnagement progressif des rgles rgissant la concurrence dloyale afin de tenir compte des effets nfastes des comportements dloyaux sur les consommateurs. Dans ses Dispositions types sur la protection contre la concurrence dloyale102, lOrganisation Mondiale pour la Proprit Intellectuelle reconnaissait que la protection contre la concurrence dloyale devrait aujourdhui tre assure par les Etats de manire quivalente pour les professionnels ou les concurrents et pour les consommateurs. Une illustration du lien existant entre la protection des intrts des concurrents et des intrts des consommateurs contre les comportements dloyaux rside dans la notion dquilibre dans les moyens de la concurrence, qui a permis dintgrer progressivement lobjectif de prservation des intrts des consommateurs au sein des finalits du droit de la concurrence dloyale103. En France, les tudes ralises montrent que lobjectif de sauvegarde des intrts des consommateurs nest pas tranger au droit de la concurrence en gnral, et au droit de la concurrence dloyale en particulier. Un acte de concurrence dloyale commis entre deux professionnels (ou concurrents) peut tout dabord affecter de manire indirecte les intrts des consommateurs104. Si la concurrence nest pas effective et loyale, le consommateur ne peut en effet bnficier de ses bienfaits sur lajustement des prix par loffre et la demande. Il est ensuite admis que lun des objets du droit de la concurrence consiste en la recherche du bien-tre des consommateurs. Le droit de la consommation et le droit de la concurrence poursuivent alors des finalits communes105. En tant que composante du droit du march et de la discipline du droit de la concurrence, le droit de la concurrence dloyale peut apprhender les pratiques commerciales dloyales qui portent atteinte aux

En ce sens, M. HPPERGER and M. SENFTLEBEN, Protection Against Unfair Competition at the International Level The Paris Convention, the 1996 Model Provisions and the Current Work of the World Intellectual Property Organization, in R. M. HILTY and F. HENNING-BODEWIG (Eds), Law Against Unfair Competition. Toward a New Paradigm in Europe?, op. cit., pp.62-76, spc. p. 67. 102 OMPI, Dispositions types sur la protection contre la concurrence dloyale, op. cit.. 103 De manire plus gnrale, M.-S. PAYET, Droit de la concurrence et droit de la consommation, op. cit., spc. p.23 et suiv. 104 D. FERRIER, Droit de la concurrence et droit de la consommation , JCP E 2000, p.36. 105 G. CANIVET, Droit de la concurrence et droit de la consommation : complmentarit ou divergences ? , Revue Lamy de la Concurrence 2006, n9, pp.134-165, spc. p.135, qui considre que le droit de la concurrence est () aussi un droit de protection du consommateur comme lest le droit de la consommation , le premier sattachant lagent conomique (), au consommant , alors que le second prend en considration ltre juridique (), le sujet de droit, dont la protection sinscrit dans lanalyse dun rapport de force ingal, dun risque contractuel asymtrique .

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intrts conomiques des consommateurs, afin de garantir leur bien-tre106. La rgulation des comportements dloyaux affectant les intrts des consommateurs peut alors, selon les Etats, tre opre sur le fondement du droit de la concurrence, du droit des obligations, ou du droit spcial de la consommation107.22. - Le droit communautaire des pratiques commerciales dloyales et la

protection des intrts conomiques des consommateurs La Directive 2005/29/CE du Parlement europen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales dloyales des entreprises vis--vis des consommateurs dans le march intrieur108 (ci-aprs la Directive sur les pratiques commerciales dloyales) a t adopte sur le fondement de larticle 153, paragraphes 1 et 3, point a) du Trait CE. Lintervention communautaire doit favoriser la ralisation de lobjectif de renforcement de la protection des consommateurs, nonc dans larticle3, t) du Trait CE, et qui consistent, notamment, en la promotion des intrts conomiques des consommateurs et de leur droit linformation, ainsi que la garantie dun niveau lev de protection109. Les dispositions rgissant les pratiques commerciales dloyales sont par consquent imprgnes des objectifs communautaires, et de la politique de protection des

D. FERRIER, Droit de la concurrence et droit de la consommation , ibid, p.36. R. HILTY, The Law Against Unfair Competition and Its Interfaces, op. cit., spc. p.7; pour une comparaison des droits europens, voir J. STUYCK, La thorie de la concurrence dloyale et lintrt des consommateurs , Concurrence et consommation 1994, pp.95-109 ; la protection des intrts des consommateurs contre la concurrence dloyale a parfois t expressment prvue lors de ladoption dune loi spciale sur la concurrence dloyale. Ainsi, par exemple de la loi belge sur les pratiques du commerce, qui inclut des dispositions relatives la publicit ou certaines mthodes de vente : Pour un aperu, voir J. STUYCK, Belgian Report: Example of an Integrated Approach, in R. M. HILTY and F. HENNINGBODEWIG (Eds), Law Against Unfair Competition. Toward a New Paradigm in Europe?, op. cit., pp. 139-150. 108 Directive 2005/29/CE du Parlement europen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales dloyales des entreprises vis--vis des consommateurs dans le march intrieur, J.O.C.E. L149/22 du 11 juin 2005 ; J. STUYCK, E. TERRYN et T. VAN DYCK, Confidence Through Fairness? The New Directive on Unfair Business-To-Consumer Commercial Practices in the Internal Market, Common Market Law Review 2006, pp.107-152; L. GONZALEZ VAQUE, La directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales dloyales : entre lobjectif dune harmonisation totale et lapproche dune harmonisation complte , RDUE 2005, n4, pp.785-802 ; C. HANDIG, The Unfair Commercial Practices Directive A Milestone in the European Unfair Competition Law?, Business Law Review 2005, vol.16, n16, pp.1117-1132; M. LUBY, La directive 2005/29 sur les pratiques commerciales dloyales (une illustration de la nouvelle approche prne par la Commission europenne) , Europe 2005, p.6-10. 109 Article premier de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales : Lobjectif de la prsente directive est de contribuer au bon fonctionnement du march intrieur et dassurer un niveau lev de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions lgislatives, rglementaires et administratives des Etats membres relatives aux pratiques commerciales dloyales qui portent atteinte aux intrts conomiques des consommateurs .107

106

32

consommateurs. Le champ dapplication matriel de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales est relativement large. Lexpression pratiques commerciales dloyales des entreprises vis--vis des consommateurs est en effet dfinie comme visant toute action, omission, conduite, dmarche ou communication commerciale, y compris la publicit et le marketing, de la part dun professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture dun produit aux consommateurs110 . Il est cependant limit aux relations entre professionnels et consommateurs, et ne stend pas la protection des professionnels contre les actes de concurrence dloyale111. Le consommateur protg contre de telles pratiques sentend de toute personne physique ou morale qui () agit des fins qui nentrent pas dans le cadre de son activit commerciale, industrielle, artisanale ou librale112 , alors que le professionnel est dfini comme toute personne physique ou morale qui () agit des fins qui entrent dans le cadre de son activit, commerciale, industrielle, artisanale ou librale, et toute personne agissant au nom et pour le compte dun professionnel 113.23. - Linfluence multiple du droit des pratiques commerciales dloyales Si

les rgles relatives aux pratiques commerciales dloyales se rattachent, par leur objectif de maintien dune concurrence effective et loyale, linstitution juridique de la concurrence dloyale, elles se rapprochent galement du droit de la consommation et des rgles applicables aux contrats conclus par les consommateurs114. Lobjectif des dispositions de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales rside en effet dans la protection des intrts conomiques des consommateurs contre les pratiques commerciales dloyales des entreprises leur gard. Cette protection tait dj assure par les dispositions issues de directives adoptes antrieurement dans des domaines particuliers, comme la directive 84/450/CEE, la directive 97/7/CE du ParlementArticle 2, d) de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales. Considrant 6 de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales : La prsente directive a pour objet de rapprocher les lgislations des Etats membres relatives aux pratiques commerciales dloyales, y compris la publicit dloyale, portant atteinte directement aux intrts conomiques des consommateurs, et par consquent indirectement aux intrts conomiques des concurrents lgitimes. () Elle ne couvre ni naffecte les lgislations nationales relatives aux pratiques commerciales dloyales qui portent atteinte uniquement aux intrts conomiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels () . 112 Article 2, a) de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales. 113 Article 2, b) de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales 114 Cette matire se caractrise par sa fonction, qui est intrinsquement lie la source communautaire de la plupart de ses dispositions : Y. PICOD et H. DAVO, Droit de la consommation, Armand Colin, Dalloz, 2005, p.3, 4.111 110

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europen et du Conseil concernant la protection des consommateurs en matire de contrats distance115 ou la directive 2002/65/CE du Parlement europen et du Conseil du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation distance de services financiers auprs des consommateurs116. Alors que la protection du consommateur qui conclut un contrat avec un professionnel tait dj assure par les dispositions de ces directives, la Directive sur les pratiques commerciales dloyales impose une protection dans les autres cas dans lesquels le professionnel pourrait commettre une telle pratique en vue de donner une fausse impression de la nature des produits et daltrer le comportement conomique des consommateurs117. Ses dispositions cherchent donc imposer des rgles garantissant le respect de la loyaut de la part des professionnels avant, pendant ou aprs la transaction envisage, et sinsrent dans lacquis communautaire existant au sein de lUnion europenne en matire dinformation du consommateur ou des abus de faiblesse commis par un professionnel en vue de la conclusion dun contrat de consommation118. De manire gnrale, les dispositions de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales ont donc vocation assurer la protection du consommateur dans les relations prcontractuelles, contractuelles et postcontractuelles avec le professionnel. Le droit des pratiques commerciales dloyales poursuit donc un double objectif de protection dune partie suppose en situation de faiblesse face au professionnel le consommateur-, en vue de la ralisation du march intrieur. Ces objectifs militent en faveur de la participation des dispositions de transposition de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales un ordre public de protection dans le domaine de la protection des consommateurs119.

JOCE L144, 4 juin 1997, p. 19. JOCE L166, 11 juin 1998, p.51. 117 Considrant 10 de la Directive sur les pratiques commerciales dloyales : La prsente directive ne sapplique () que lorsquil nexiste pas de dispositions communautaires spcifiques rgissant les aspects particuliers des pratiques commerciales dloyales telles que des prescriptions en matire dinformation ou des rgles rgissant la prsentation des informations au consommateur. () La prsente directive complte par consquent lacquis communautaire applicable aux pratiques commerciales portant prjudice aux intrts conomiques des consommateurs. 118 E. POILLOT, Droit europen de la consommation et uniformisation du droit des contrats, Prf. de P. de Vareilles-Sommires, L.G.D.J., Paris, 2006, spc. p. 103. 119 F. TERRE, Rapport introductif , dans Lordre public la fin du vingtime sicle, Dalloz, Thmes et commentaires, 1996, p.4 ; D. MAZEAUD, Le droit de la consommation est-il un droit social ou un droit conomique ? , Revue Lamy de la Concurrence 2006, n9, p.137 ; C. MONTFORT, La loyaut des pratiques commerciales dloyales en droit communautaire du march. Origines nationales et perspectives dharmonisation, Thse dactyl. Lyon 3, spc. p. 160 et suiv. ; E. POILLOT, Droit de la consommation. Janvier 2008-dcembre 2008 , D. 2009, p.393 et suiv.116

115

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24. - Sous linfluence du droit communautaire, le droit de la concurrence dloyale

sest donc enrichi depuis quelques annes dune nouvelle branche, dont les rgles ont vocation garantir la loyaut des relations entre professionnels et consommateurs. La source des normes applicables aux pratiques commerciales dloyales implique quelles poursuivent des finalits qui ne se cantonnent pas la seule prservation des intrts privs des consommateurs et quelles sont empruntes de considrations lies la ralisation du march intrieur.

25. - Conclusion de la section 1 Les finalits du droit de la concurrence

dloyale Les rgles ayant vocation assurer une protection contre la concurrence dloyale peuvent tre regroupes autour dune finalit commune : la prservation de la loyaut de la concurrence. La protection contre la concurrence dloyale a cependant t tendue depuis la Convention dUnion de Paris la protection des intrts des consommateurs. Le consommateur est protg soit comme intervenant sur le march, soit en tant que partie faible dans un rapport de droit. Cette finalit commune explique en partie le fondement assign la rgle de conflit de lois labore en matire de concurrence dloyale dans larticle 6 du Rglement Rome II, dont le considrant 21 prcise que en matire de concurrence dloyale et dactes restreignant la libre concurrence, la rgle de conflit de lois devrait protger les concurrents, les consommateurs et le public en gnral, et garantir le bon fonctionnement de lconomie de march 120. Si le but est commun, chacune des rgles de droit matriel poursuit pourtant des finalits matrielles diffrentes selon la nature du rapport de droit considr. Ces fonctions particulires des rgles de droit matriel permettent alors de distinguer plusieurs catgories au sein de linstitution juridique de la concurrence dloyale selon que lon considre les actes de concurrence dloyale commis dans les relations entre professionnels ou les pratiques commerciales dloyales commises dans les relations de consommation. Les rgles rgissant les actes de concurrence dloyale ont vocation prserver les intrts privs des professionnels et des concurrents ainsi

120

Pour une approche nuance de ce fondement, infra, 143 et suiv.

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que, le cas chant, lgalit des moyens dans la concurrence lorsque les actes de concurrence dloyale affectent galement lintrt gnral. Les rgles rgissant les pratiques commerciales dloyales ont quant elles vocation prserver les intrts conomiques des consommateurs et participent la ralisation du march intrieur.

36

Section 2 Les marges de manuvre des Etats membres

26. - La prsente tude na pas vocation offrir une tude de droit compar des

rgles de droit matriel rgissant la concurrence dloyale (actes de concurrence dloyale ou pratiques commerciales dloyales)121. Les marges de manuvre des Etats membres sont envisages ici dans le contexte de llaboration et de la mise en uvre des normes de droit matriel rgissant la concurrence dloyale. Leurs sources sont en effet diverses en la matire : convention internationale, rglement ou directive communautaires, disposition lgale, rgle prtorienne, codes de conduite priv, etc. Le degr dquivalence des normes devrait donc tre valu afin de dterminer les domaines dans lesquels la diversit des lgislations nationales subsiste. La divergence des finalits matrielles au sein de linstitution juridique de la concurrence dloyale incite alors dissocier ltude des marges de manuvre en fonction de la nature du rapport de droit considr. La diversit des normes rgissant la concurrence dloyale est ainsi tolre lorsquil sagit de prserver la loyaut de la concurrence dans les relations entre professionnels (1 La matire des actes de concurrence dloyale). Elle est davantage contrle, voire supprime, dans le cadre de la protection du consommateur rsidant sur le territoire communautaire contre les pratiques commerciales dloyales (2 La matire des pratiques commerciales dloyales). Les instruments privs de rgulation prsentent enfin la particularit duniformiser le standard de comportement dans desPour des tudes de droit compar, se reporter, notamment, dans le domaine des actes de concurrence dloyale, E. ULMER, La rpression de la concurrence dloyale dans les Etats membres de la Communaut conomique europenne, Dalloz, Paris, 1978, 1036p; OMPI, Protection contre la concurrence dloyale. Analyse de la situation mondiale actuelle, op. cit. ; B. DUTOIT, Convergences et divergences des droits nationaux de la concurrence dloyale dans la CEE , dans Un droit europen de la concurrence dloyale en formation ?, Actes du Colloque de Lausanne, Comparativa, Librairie Droz, Genve, 1994, pp.97-117 ; R. W. de VREY, Towards a European Unfair Competition law. A Clash Between Legal Families, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, 2006; R. M. HILTY and F. HENNINGBODEWIG (Eds), Law Against Unfair Competition. Toward a New Paradigm in Europe?, op. cit. Dans le domaine des pratiques commerciales dloyales, C. MONTFORT, La loyaut des pratiques commerciales dloyales en droit communautaire du march. Origines nationales et perspectives dharmonisation, op. cit. ; E. POILLOT, Droit europen de la consommation et uniformisation du droit des contrats, op. cit. H. COLLINS, (Ed.), The Forthcoming Directive on Unfair Commercial Practices: Contract, Consumer, and Competition Law Applications, Kluwer Law International, The Hague, London, New York, 2004, 293p.; S. WEATHERILL and U. BERNITZ (Eds), The Regulation of Unfair Commercial Practices under EC Directive 2005/29. New Rules and New Techniques, Hart Publishing, Oxford and Portland, 2007, 290p.121

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domaines spcifiques (3 Les mcanismes de rgulation prive).

1 La matire des actes de concurrence dloyale

27. - Des tudes ont t menes partir du milieu du vingtime sicle sur

lopportunit de lunification des rgles de droit matriel rgissant les actes de concurrence dloyale122. La conclusion tait sans appel : si une unification tait souhaitable, elle ntait pas possible123. Existe-t-il alors de rels obstacles llaboration dun droit de la concurrence dloyale commun aux Etats ou ceux-ci cherchent-ils conserver une certaine latitude daction afin de pouvoir rguler lensemble des comportements dloyaux, mme non connus ? Seuls quelques types dactes de concurrence dloyale dtermins ont fait lobjet dun rapprochement des lgislations nationales (A La diversit encadre). Dans les autres domaines, la structure particulire de la dfinition dun acte de concurrence dloyale permet aux Etats dadapter sans cesse leurs rgles aux nouveaux comportements des professionnels (B La diversit tolre).

A La diversit encadre

28. - Les premires tentatives de rapprochement des normes garantissant une

protection contre les actes de concurrence dloyale rsultent de la Convention dUnion de Paris, et ont t poursuivies au sein de lAccord sur les droits de proprit intellectuelle et sur le commerce (ci-aprs lAccord sur les ADPIC) (a) La coopration intertatique). Des actes de droit communautaire driv ont ensuite t adopts afin122

UNIDROIT, Observations prliminaires pour une tude comparative en matire de concurrence dloyale , 1957. 123 UNIDROIT, op. cit.

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dharmoniser les lgislations des Etats membres de lUnion europenne dans des domaines particuliers (b) Lharmonisation des lgislations nationales).

a) La coopration intertatique

29. - Labsence de rgles matrielles excutoires dans la Convention dUnion

de Paris - Llaboration de larticle 10 bis de la Convention dUnion de Paris et des dispositions pertinentes de lAccord sur les ADPIC rsulte dun processus dcisionnel fond sur la coopration intertatique entre Etats souverains et gaux. Il semble que linsertion de dispositions relatives la concurrence dloyale dans ces conventions internationales ait moins pour but dimposer un contenu normatif prcis que de reflter un accord sur un objectif commun. Larticle 10 bis de la Convention dUnion de Paris reflte en effet la proccupation des Etats de sassurer de lexistence dun consensus, lchelon international et dans lintrt commun des Etats, quant la ncessit dune protection contre la concurrence dloyale. Les dispositions contenues dans ce texte ne relvent pas dune logique dintgration, mais de coopration intertatique en vue de la ralisation cet objectif de protection. La Convention dUnion de Paris ne contient pas de rgles matrielles directement excutoires dans les Etats contractants124. Les particuliers nont donc pas la possibilit dinvoquer directement les dispositions quelle contient devant le juge national.30. - Lintgration minimale des rgles relatives aux appellations dorigine et

aux secrets de fabrique - En imposant aux Etats membres de lOrganisation Mondiale du Commerce des obligations minimales, lAccord sur les ADPIC leur laisse une marge de manuvre consquente. Ils peuvent par exemple offrir leurs ressortissants une protection suprieure celle prescrite dans la norme minimale, et sont libres de choisir les moyens appropris pour lintgrer dans lordre interne125. Ce texte est plus124

P. BOLLA, Rapport sur la possibilit de raliser une certaine unification en matire de concurrence dloyale, UNIDROIT, Rome, 1959. 125 T. FLORY, Lorganisation mondiale du commerce. Droit institutionnel et substantiel, op. cit., p.173, 432.

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contraignant que la Convention dUnion de Paris, dans la mesure o les Etats sont tenus de mettre leur lgislation en conformit avec les dispositions quil contient. Limpact de lAccord sur les ADPIC est cependant relativement limit en matire de concurrence dloyale, et ne vise expressment que les indications dorigine et la protection des secrets de fabrique ( la protection des renseignements non divulgus ). Larticle 39 de lAccord sur les ADPIC se combine alors avec larticle 10 bis de la Convention dUnion de Paris et dfinit les obligations des Etats en matire de secrets de fabrique. Il prcise en effet quil sagit dun cas particulier de concurrence dloyale, qui nest pas expressment mentionn dans larticle 10 bis126. La mme plus-value peut tre constate dans le cadre de larticle 22, qui adopte galement une dfinition plus prcise des notions dappellations dorigine127.

31. - Le recours une convention internationale nimposant pas de rgles

matrielles uniformes montre que les Etats, ou leurs reprsentants, ont entendu conserver le policy making128 dans les domaines couverts par la Convention dUnion de Paris et par lAccord sur les ADPIC. Ces deux textes refltent une prise de conscience commune des Etats s