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[email protected] 1 LES LIMITES DE LA DEMOCRATIE PAR LA GOUVERNANCE NEO-LIBERALE Communication pour le colloque gouvernance globale : démocratie impossible ? Madrid, 15 16 novembre 2007 RÉSUMÉ : Dans les organisations internationales la gouvernance (globale, européenne, bonne...) par la société civile consiste à opérer : - un élargissement du nombre et de la nature des acteurs participant aux décisions en s'appuyant notamment sur la société civile (ONG, associations professionnelles...) - et à se rapprocher les acteurs de terrain par un mouvement descendant (up-down). Cependant dans le cadre de la gouvernance, que l'on peut considérer comme une des formes de la démocratie participative, il y a le risque d'un passage excessif : - de la régulation politique à la régulation technocratique, - de la négociation intégrant les conflits politiques, à la fausse neutralité de la normalisation technique, - d'une démocratie publique représentative à une régulation déléguée aux intérêts particuliers : (passage du peuple souverain au partenariat avec la société civile). MOTS CLÉS : ONG, Gouvernance globale, démocratie, société civile, code de conduite, Global compact, lobbies, régulation, normalisation, conflit, partenariat. Introduction Les politiques de la Banque Mondiale et du FMI fondées sur les principes de la ‘ bonne gouvernance’ ont été initiées dès le début des années 90 (World Bank, 1992). Bien que le discours et la forme des politiques des institutions financières internationales évoluent, notamment sous les 1 Docteur en sociologie, Largotec, auteur du livre Les mouvements sociaux face au commerce éthique, Hermès/Lavoisier, 2007. 1

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[email protected] 1

LES LIMITES DE LA DEMOCRATIEPAR LA GOUVERNANCE NEO-LIBERALE

Communicationpour le colloque gouvernance globale : démocratie impossible ?

Madrid, 15 16 novembre 2007 RÉSUMÉ :Dans les organisations internationales la gouvernance (globale, européenne, bonne...) par

la société civile consiste à opérer :- un élargissement du nombre et de la nature des acteurs participant aux décisions en

s'appuyant notamment sur la société civile (ONG, associations professionnelles...)- et à se rapprocher les acteurs de terrain par un mouvement descendant (up-down).

Cependant dans le cadre de la gouvernance, que l'on peut considérer comme une des formes de la démocratie participative, il y a le risque d'un passage excessif :

- de la régulation politique à la régulation technocratique,- de la négociation intégrant les conflits politiques, à la fausse neutralité de la

normalisation technique,- d'une démocratie publique représentative à une régulation déléguée aux intérêts

particuliers : (passage du peuple souverain au partenariat avec la société civile).

MOTS CLÉS : ONG, Gouvernance globale, démocratie, société civile, code de conduite, Global compact, lobbies, régulation, normalisation, conflit, partenariat.

IntroductionLes politiques de la Banque Mondiale et du FMI fondées sur les principes de la ‘ bonne

gouvernance’ ont été initiées dès le début des années 90 (World Bank, 1992). Bien que le discours et la forme des politiques des institutions financières internationales évoluent, notamment sous les critiques des mouvements sociaux transnationaux, il reste toujours globalement fidèles aux principes du « consensus de Washington », qui a généralisé la doctrine du néo-libéralisme en 1990 en tant que modèle de gouvernement mondial. Ces politiques sont expérimentées et affinées dans les pays en voie de développement (PED), pour être ensuite mise en oeuvre dans les pays industrialisés (Chossudovsky, 1998). Les citoyens du Nord ont donc tort de considérer que les politiques menées par ces institutions internationales ne les concernent pas vraiment.

Les dirigeants de la Banque Mondiale et du FMI soutiennent que la ‘bonne gouvernance’ vise à promouvoir la démocratie fondée sur les principes d’égalité, de transparence, de participation de la société civile, d’Etat de droit. A l’origine du discours sur la ‘bonne gouvernance’, il y a notamment le constat par la Banque Mondiale (BM) que la démocratie renforce le développement, la croissance.

Mais au-delà de l’idéologie et du discours politique, qu’en est-il en réalité ? La ‘bonne gouvernance’ ne cherche-t-elle pas plutôt à déplacer les conflits entre les classes sociales, entre les intérêts privés et l’intérêt général, en cherchant à les masquer derrière une novlangue rassurante et les nouvelles formes de gestion de l’Etat prônées par le néolibéralisme (Bihr, 2007) ?

Nous ferons une analyse critique du syntagme de ‘bonne gouvernance’, tel qu’il est promu dans l’univers de la majorité des organisations internationales (BM, FMI, OMC, UE,

1 Docteur en sociologie, Largotec, auteur du livre Les mouvements sociaux face au commerce éthique, Hermès/Lavoisier, 2007.

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ONU à travers le projet de Global compact). Néanmoins, nous nous focaliserons surtout sur la BM et le FMI, car ces deux organisations sont les premières à faire la promotion de cette nouvelle philosophie politique. Il s’agira ainsi de montrer que les frontières antérieures qui plaçaient l’Etat au-dessus des intérêts privés particuliers afin d’être légitimé comme une autorité publique démocratique veillant au respect de l’intérêt collectif de la population ont été déplacées, de telle manière que la défense par l’Etat des intérêts des forces du marché représente aujourd’hui la façon de « produire » un intérêt dit « général ».

Les théories de la gouvernance : aperçu historiqueCes différentes initiatives (pacte, charte, labels, codes de conduite...) participent à la

gouvernance du travail au plan international. L'usage du concept de gouvernance prend des significations variées, du fait de son usage de plus en plus répandu (Chavagneux 2001). Il faut donc distinguer la gouvernance2 comme simple "action de gouverner" (Cassen, 2001), des différentes théories de la gouvernance. La gouvernance globale, dans son utilisation comme prénotion, signifie un gouvernement international mis en oeuvre par les pouvoirs publics (Etats et organisation internationale publique). La fonction de ces derniers consiste alors à compenser l’absence de direction politique mondiale qui entraîne un développement anarchique de la mondialisation. La gouvernance globale est ainsi préférée au terme de gouvernement global, considéré comme insuffisamment démocratique, notamment du fait de ses dérives bureaucratiques possibles.

Dès le Moyen âge, le terme “gouvernance” évoquait le partage du pouvoir entre les différents corps constitutifs de la société médiévale anglaise. Il était issu des travaux des historiens universitaires anglo-saxons de l’époque (Solagral, 1997). Il est utilisé en ancien français, mais aussi au Portugal et en Angleterre au XIIIe siècle, comme l'équivalent de “gouvernement” (l’art et la manière de gouverner). Il passe en anglais (governance) au siècle suivant avec la même signification.” (Cassen, 2001). Il n'existe pas un mode de gouvernance, mais plusieurs. En les classant par ordre chronologique, il s'agit principalement de la « gouvernance d'entreprise » développée par Willamson (1979) à partir des travaux de Coase (1933), locale ou urbaine4 (années 90), "bonne" (World Bank: 1991)5,

2 Dès le Moyen âge, le terme “gouvernance” évoquait le partage du pouvoir entre les différents corps constitutifs de la société médiévale anglaise. Il était issu des travaux des historiens universitaires anglo-saxons de l’époque (Solagral, 1997). Utilisé en ancien français, mais aussi au Portugal, où il est équivalent de “gouvernement” (l’art et la manière de gouverner), il repasse en Angleterre (governance) au siècle suivant avec la même signification” (Cassen, 2001). Cependant l’origine géographique demeure encore fragile.

3La Corporate governance ou gouvernance d'entreprise Dans son article “the nature ou the Firm” de 1937, Coase considère qu’il faut diminuer les coûts de transactions dans l’entreprise (contrats, négociations, vérifications, définition des normes qualités, etc...). Il jette ainsi les bases de l’école néo-institutionnaliste qui sera qualifiée d”impérialisme économique”, en raison de sa prétention à couvrir tous les champs des sciences sociales, à partir de la méthode de l’économie néoclassique. Dans les années 1970, Olivier Williamson (1979) notamment, commence à parler de gouvernance d’entreprise et de structure de gouvernance (corporate governance et governance structure), pour désigner les politiques internes de l’entreprise. C'est à partir de certains de ces principes fondamentaux que vont se développer les autres formes de la gouvernance.4 L’Urban gouvernance ou la gouvernance locale La seconde phase d’expansion de ce concept est “l’urban gouvernance”. Elle débute en Angleterre avec l'élection de Margaret Tatcher en 1989. Elle a pour origine le désengagement des pouvoirs publics municipaux britanniques. C’est le résultat de “la crise moléculaire du Welfare qui se produit au niveau municipal” selon Brown, 2001 : 4). Elle a pour objectif de réorganiser le désengagement des municipalités néo-libérales, en faisant appel à la société civile (associations et secteur économique privé). Ainsi “on fait d’une pierre trois coups: on réduit les frais du public, on augmente le bénéfice du privé et on supprime dans une grande mesure la marge d’intervention des classes populaires dans la gestion des affaires publiques” (Brown, 2001 : 4). Néanmoins la gouvernance locale prendra des formes diverses. Parfois néolibérales (privatisations, restrictions financières...), parfois liées à des politiques sociales, en cherchant à faire participer les associations (Harding, 2003).5 En 1989 paraît un document de la Banque Mondiale faisant "état d'une crise de gouvernance dans les pays de l'Afrique sub-saharienne. En 1991, deux cadres supérieurs de la Banque Mondiale, Pierre Landell-Mills, conseiller principal et Ismail Serageldin, vice-président du département Environnement et développement durable présenteront les critères de la "bonne gouvernance".

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globale (Rosenau : 1992) ou mondiale et européenne (Commission Européenne, 2000)6. Puis il y a la théorie, le discours politique et la pratique de terrain. C'est pourquoi nous préciserons les spécificités des différentes théories de la gouvernance chaque fois que cela sera nécessaire.

Les dimensions principales des théories et politiques fondées sur la gouvernanceLa gouvernance est un processus décisionnel, par des acteurs de nature multiples

(économique (et/ou) militaire, société civile, pouvoir public), réalisé à des niveaux (verticaux et horizontaux) multiples. La gouvernance est donc un processus décisionnel multi-acteurs et multi-niveaux.

La gouvernance non démocratique, relève (et/ou) :1- de la gouvernance légale (et/ou) :

-non transparente (occulte)- par des acteurs non légitimes du fait de leur nature, car : - Non indépendant économiquement- Non élu démocratiquement.- Les décisions sont insuffisamment participatives.

2- de la gouvernance illégale, c'est-à-dire ne respectant pas l’Etat de droit (les lois)

3- de la gouvernance non-égale, ne permet l’égalité des conditions (Tocqueville), c’est à dire, une égalité au niveau du :

- capital économique,- capital social (réseaux, origines….),- capital culturel (connaissance, éducation, temps disponible pour cela…),- capital symbolique (diplomes, titres, statuts…) (Bourdieu).

En résumé la gouvernance non démocratique est une gouvernance illégale, (et/ou) non égale, non transparente, par des acteurs non légitimes.

Parmi les nombreuses dimensions de la gouvernance, en voici les dimensions principales7 :

a) Diversification des acteurs- "Gouverner sans gouvernement" (Rosenau, 1992).- Introduction d’autres formes d’autorité8 que l'autorité étatique (Strange, 1996).

6 Dès 1995, la cellule prospective de la Commission Européenne va travailler sur ce thème et elle aboutira en 2001 la présentation du livre blanc.7 Nous mêlons sciemment des analyses de théoriciens et des prescriptions normatives d'administrateurs, car les uns interagissent avec les autres. 8 L’existence d’une autorité dépend de l’exercice lui même de l’autorité et de son acceptation par les autorités avec laquelle elle est en rivalité. C’est, précise Rosenau, "une convergence entre les besoins des différents acteurs qui permet à l’un d’entre eux d’obtenir l’approbation des autres et non une contrainte de type constitutionnel qui

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- Coopération entre acteurs de diverses natures (publics et privés) (Commission on global governance, 1995).

- Triangulation entre acteurs publics, acteurs de la société civile et acteurs économiques officiellement liés au marché.

- Préférence pour le partenariat avec la société civile (associations professionnelles et non lucratives...) et le marché, (Commission européenne, 2001) plutôt que l'usage de la souveraineté du peuple (Gobin, 2002).

- Renforcement du rôle des experts et des techniciens dans les prises de décisions considérés comme plus rationnels et compétents plutôt que du peuple considéré comme plus ignorant, émotif et versatile (Hermet: 2003 : 16).

- Démocratie organique (Burns, 2000) plutôt que démocratie pluraliste.

b) Modes d'élaboration et de prises de décisions des actions, règles et normes- Recherche d'une diminution des coûts de transactions (Coase, 1932).- Polycentrisme multiniveaux (vertical), topographique (horizontal) et procédurale des

décisions et de leur élaboration (Hermet, 2003 : 12-13), (Lequesne, 2000 : 213).- Décentralisation (Gueye, 2003 : 40).- Usage des normes applicables dans tout le champ lorsque l’organisation s’externalise

(Leach, Percy-Smith, 2001).- Relevant du droit contractuel (norme technique) plutôt que du droit positif (norme

juridique) (Supiot, 2001)9.- Auto-ajustement, équilibrage automatique des processus, empruntés à la cybernétique

et à une conception autorégulée du marché (Hermet, 2003 : 12-13) plutôt que planification.- Approche empirique10 plutôt que théorique ou formaliste11 (Supiot, 2001).- Décision par le consensus (plus petit dénominateur commun) plutôt que par la majorité

(imposant sa décision à la minorité) (Hidouci, 2003 : 7).- Incitation plutôt que coercition.- Action coopérative ou compétitive (entre acteurs s'horizontalisant vers le réseau) plutôt

qu'autoritaire (verticale et pyramidale).- Coopération non conflictuelle plutôt que négociation collective (conflit de classe).

c) Aspects plus"normatifs"- "Bonne gestion des affaires publiques" (Banque Mondiale, 1992).- "Responsabilité des dirigeants politiques" devant le peuple grâce à des règles

appropriées (Landels-Mills, 1991).- Transparence (Landels-Mills, 1991).- Légitimité des dirigeants par l'élection (Landels-Mills, 1991).

Dans le cadre de cet article, nous nous limiterons plus spécialement à l'analyse des dimensions concernant notre angle de recherche : la gouvernance et la société civile.

La « bonne gouvernance » selon la Banque MondialeLa ‘bonne gouvernance’ est à la fois une idée, un objectif politique et un moyen de mettre en œuvre les projets néo-libéraux, tels les plans d’ajustement structurels. La Banque Mondiale définit la gouvernance comme « la manière d’exercer le pouvoir en matière de gestion des ressources économiques et sociales d’un pays et ce en vue de son

attribuerait la plus haute autorité exclusivement aux Etats et aux gouvernements nationaux" (Rosenau, 1992).9 Par conséquent primauté de la supériorité du pouvoir jurisprudentiel des juges sur celui du législateur (Hermet, 2003 : 12-13).10 Progression par essai et erreur, par expérimentation, par jurisprudence en droit, par négociation...11 Une élaboration intellectuelle (théorique) en amont, un schéma raisonné et raisonnable supposé prendre en compte l'intérêt général.

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développement ». Au-delà de la variation des contenus, en 1992, la Banque Mondiale, a fondé la ‘bonne gouvernance’ sur quatre critères principaux, la gestion du secteur public; la responsabilisation; 'rule of law' (État de droit), c’est-à-dire, le cadre juridique du développement et enfin, l’information et la transparence. La formulation et les choix réalisés par la Banque Mondiale, relèvent d’une forme d’ethnocentrisme occidental, du fait d’une non prise en compte de la diversité des expériences historiques et à cause de la centralité du paradigme libéral-pluraliste au coeur de cette formulation particulière (Moore, 1993).

A ces quatre caractéristiques, quatre autres font consensus chez les bailleurs de fonds et sont utilisées pour évaluer la ‘bonne gouvernance’ dans chaque pays et renforcer la conditionnalité de l’aide. Ils consistent : Dans la participation de l’ensemble des hommes et des femmes à la prise de décision, qu’elle s’exerce directement ou à travers des institutions légitimes qui représentent leurs intérêts - La satisfaction des besoins et des attentes exprimés par les individus, sans discrimination par le biais des institutions et des procédures - Le consensus sur les politiques - L’effectivité et l’efficience des institutions et les procédures (Pouillaude, 2001).

Dans la pratique, la ‘bonne gestion du secteur public’ a correspondu à la mise en œuvre de plans d'ajustements structurels fondés sur les principes du néo-libéralisme et en particulier du "consensus de Washington"12. Ce dernier n’a pas directement besoin des politiques de «bonne gouvernance » pour être mis en œuvre, simplement ces politiques en sont la continuité. En effet, elles contribuent à privatiser la régulation de la société, avec ces risques d’accaparement de la production et du contrôle de la norme par les intérêts privés.

Dès 1992, la Banque mondiale a aussi précisé que la participation citoyenne est un des critères essentiels de la gouvernance selon la Banque Mondiale et le FMI (World Bank, 1992). « C'est pourquoi la Banque Mondiale soutient explicitement la société civile en Afrique, en particulier dans sa lutte contre la corruption » (Gueye, 2003).

En 1999, le compte rendu des réunions annuelles de la Banque Mondiale et du FMI, portant sur le 'cadre stratégique de lutte contre la pauvreté' (CSLP) fait apparaître que «les stratégies de lutte contre la pauvreté doivent être conduites par le pays, et être conçues de manière transparente en concertation avec la société civile, les principaux bailleurs de fonds et les banques régionales de développement» (Banque Mondiale, FMI, 1999).

De plus, le document de base du NEPAD13 de la Banque Mondiale et du FMI d'octobre 2001 soulignait les progrès de la démocratie en Afrique et faisait largement référence à la société civile. Il indiquait que "les priorités et les plans de développement nationaux et régionaux (devaient) être préparés par des processus participatifs impliquant le peuple". Ces principes louables n'ont pourtant pas été suivis selon la déclaration finale du Forum des peuples. Cette dernière constate que le NEPAD souffre d'une absence de stratégie participative et souligne le peu d'égard des gouvernements africains à l'égard de la société civile (Morteau, 2003). De même, en 2004, la Commission européenne a souligné, en particulier, » le besoin de renforcer la capacité des pouvoirs publics, des partenaires sociaux et de la société civile pour mieux anticiper les conséquences des mutations économiques» (CEE, 2004).

12 Au début des années 90, John Williamson a donné son interprétation du consensus de Washington à travers dix “commandements”. Ils fondent la première génération des réformes des plans d’ajustements structurels (PAS) menés sous l’égide du FMI et de la Banque Mondiale : 1- La discipline Budgétaire- 2- La réorientation économique -3-La réforme fiscale -4-La libéralisation financière -5-L’adoption d’un taux de change unique et compétitif -6-La libéralisation des échanges -7-L’élimination des barrières à l’investissement direct à l’étranger-8-La privatisation des entreprises publiques -9-La dérégulation des marchés pour assurer l’élimination des barrières à l’entrée et à la sortie -10- La sécurité des droits à la propriété. 13 Le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique) lancé par l'axe FMI – Banque Mondiale, dans sa rénovation du vocabulaire de l'ajustement structurel. Ce dernier ayant subit de nombreuses critiques, ils cherchent à travers une nouvelle formulation (la novlangue) à laisser penser que l’on prend mieux en compte les besoins des plus faibles. Mais étant donné que les principes fondamentaux restent de nature néo-libérale, les plus démunis restent toujours sur le bord du chemin.

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La gouvernance par la société civile: les limites de la démocratie participativeOn peut, dans une certaine mesure, distinguer les tentatives d’analyse théorique de la

gouvernance globale qui cherchent à analyser le processus de gouvernement international (Finkelstein L., 1995, Young O., 1994) de son usage par les acteurs politiques qui vise à orienter la politique internationale de manière libérale (World Bank 1992 :1) (Pierre Landell-Mills, Ismail Serageldin : 1991). James Rosenau fait partie des politologues qui ont forgé le concept de gouvernance. Il considère qu’il permet de “concevoir une gouvernance sans gouvernement, un ensemble de mécanismes de régulation dans une sphère d’activité qui fonctionne même s’il n’émane pas d’une autorité officielle” (Rosenau, 1992 : 5). Si l’on poussait le raisonnement à son extrême, la société pourrait ainsi voir un jour la disparition de l’Etat au niveau national et des institutions interétatiques au plan international au profit de la seule gouvernance par les entreprises et la société civile. D’un point de vue lexical, théorique et politique on relèvera que la notion de société civile se substitue souvent à celle de peuple et celle de souveraineté à partenariat (Gobin, 2002 : 157-169).

Les organisations, comme l’OMC ou la Banque Mondiale, ont compris tout le regain de légitimité qu’elles pouvaient tirer des ONG. Pascal Lamy, le représentant de l’Union Européenne (UE) à l’OMC estime “que les ONG et la société civile peuvent contribuer à la légitimation de l’OMC, en fournissant différents canaux d’activité (par exemple la mobilisation, la représentation ou simplement un soutien juridique et technique) en répondant ainsi à une requête de nouveaux intermédiaires sociaux qui ne trouvent de réponse dans aucun autre lieu” (Lamy 2001). La théorie de la gouvernance qui règne au sein des organisations internationales publiques (OIP), s’appuie sur la société civile pour remplacer ou renforcer l’Etat. Mais, comme le fait remarquer John Brown, la société civile “est précisément cet ensemble de relations dans lequel les individus ne sont pas des citoyens, mais de simples vecteurs d’intérêts particuliers. On est citoyen qu’en tant que membre du peuple souverain. Les prérogatives qui placent la loi, expression de la volonté du peuple souverain, au-dessus de l’intérêt privé sont la seule garantie qu’ont les citoyens qui intègrent la personne collective du souverain, contre l’inégalité et contre la domination des plus faibles par les plus forts” (Brown 6: 2001).

Cette vision d’une société régie par la gouvernance offre un soubassement théorique à l’idéologie néo-libérale qui considère que l’Etat s’avère un obstacle aux libertés des acteurs économiques. Mais, lorsque la société civile (que ce soit les ONG ou les entreprises) se substitue complètement à l’Etat, alors il y a risque de violer la souveraineté populaire et de voir disparaître les lois édictées par les Etats. En effet, la société civile même si elle a un rôle important à jouer, ne possède pas la même légitimité que l’Etat. Les élus tirent leur légitimité de l’élection et de leur fonction de défenseur des intérêts du peuple souverain. Cependant, lorsque l’Etat ne remplit plus ses fonctions, alors il subit des attaques de plusieurs fronts : du peuple et des mouvements sociaux. Très habilement, les partisans du néo-libéralisme s’appuient sur les réprobations contre l’Etat et les institutions interétatiques, pour les dénoncer eux aussi et appeler le remplacement de l’Etat par la société civile.

Les hauts fonctionnaires, tel Pascal Lamy, dont nombreux disposent d’un pouvoir politique important et travaillent pour L’OMC ou à l’UE par exemple, disent tenir compte des avis de la société civile surtout depuis le sommet de Seattle en 1999. Or, lorsqu’ils tiennent des discours sur cette dernière, ils pensent surtout aux organisations appartenant au secteur de l’économie privée et aux associations qui les représentent.

Pour Antony Giddens le théoricien de la troisième voie mise en oeuvre par Tony Blair, la gouvernance “servirait à démocratiser la démocratie, en la libérant de la charge de l’Etat social et en la rapprochant de la société civile” (Giddens 1995). Ainsi, les dirigeants des organisations internationales publiques où l’idéologie dominante est néo-libérale tentent de faire passer l’idée que, grâce à la prise en compte de la société civile, la démocratie s’améliorera. De nombreux éléments viennent limiter cette assertion, en particulier le fait qu’ils choisissent eux-mêmes de manière relativement arbitraire quels seront les membres

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de la société civile qui pourront donner leurs avis sur les décisions des organisations internationales publiques. Cela n’offre donc aucune garantie que la démocratie soit renforcée. En effet, les intérêts des acteurs économiques, ne sont pas du même ordre que ceux du peuple, même si parfois ils peuvent se rejoindre sur certains points. Pour le sommet de l’OMC de Doha en 2001, les ONG et les syndicats ne s’élevaient pas à plus du tiers parmi des représentants de la société civile, tandis que les autres associations représentaient les intérêts des ETN.

Le jeu sur l’ambiguïté de la nature d’organismes membres de la société civile est facilité par le fait que foisonnent des associations aux intérêts très différents. Il n’y a pas que des groupes recherchant l’intérêt général des citoyens de tous les pays, mais aussi des lobbies industriels, jusqu’aux “ONG anglo-saxonnes d’esprit consumériste (pouvoir disposer du plus grand nombre de biens et des services au meilleur prix) qui affichent volontiers leur soutien aux politiques de libéralisation. Il n’est donc pas étonnant qu’elles aient été les seules invitées à prendre la parole à la tribune officielle lors de la séance d’ouverture de la Conférence Ministérielle” de l’OMC à Seattle (Rongead 2000 : 7).

Selon J. Brown, l’usage de la gouvernance vise à “remplacer la traditionnelle séparation des pouvoirs de Montesquieu (...), par une triade dans laquelle l’Etat s’oppose à deux expressions de l’intérêt particulier” que sont les ONG et les syndicats d’un côté et le marché de l’autre (...) La gouvernance se réfère dans tous les cas à des formes de gestion des affaires publiques dans lesquelles on fait appel à l’intervention de la “société civile” en réduisant parallèlement le rôle des instances politiques. Cela peut se produire à tous les niveaux : local, régional, national, mondial, militaire...” (J. Brown 5 : 2001). Ainsi, plus les pouvoirs publics se désengagent, plus ils s’appuient sur la société civile pour les remplacer. La dimension constructive est la responsabilisation, l’implication croissante de la société civile, mais chaque pas en avant comporte des risques.

On observe en effet une lutte idéologique, autour du concept de société civile, visant notamment à gagner “la bataille” pour une nouvelle forme de direction politique démocratique mondiale. Actuellement pour le sens commun, la société civile englobe l’ensemble du champ social et économique. Y sont présents aussi bien les ONG, les syndicats et les associations (culturelles, sportives...) que les acteurs économiques (salariés, chefs d’entreprise...).

Dans le cadre d’un numéro spécial sur la société civile, François Houtard (1998 : 12-16) distingue ainsi trois principales conceptions : non analytique, préanalytique et analytique populaire. Tout d’abord, la conception non analytique (angélique) de la société civile. Cette vision ne prend pas en compte les rapports sociaux basés sur l’exploitation et la domination. La société civile se limite selon cette vision aux ONG, aux associations, aux organisations alternatives, culturelles... Elle se base sur la dénonciation des abus du système capitaliste libéral, mais ne s’attaque pas à sa logique d’exploitation, d’aliénation et de domination entre les classes sociales.

Il qualifie la seconde conception de préanalytique (néo-libérale ou sociale libérale). Selon cette conception, le marché favorise théoriquement à long terme l’enrichissement collectif. Or, “la société civile, dans cette conception, signifie prendre en compte prioritairement le monde de l’entreprise sur celui des associations citoyennes” selon Houtard (1998: 14).

Or, la conception analytique de Gramsci est différente. Ce dernier définit la société civile comme “l’ensemble des organismes vulgairement appelés privés... et qui correspondent à la fonction d’hégémonie que le groupe dominant exerce sur l’ensemble de la société” (Gramsci, 16 : 1972). Les institutions propres à la société civile qui sont les canaux par lesquels le groupe dominant exerce sa fonction hégémonique sont principalement l’école, l’église et toute autre organisation susceptible d’influencer l’opinion publique. (Bouvier, 1998 : 13). Selon Gramsci, la société civile ne se compose donc pas seulement des

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associations de solidarité nationale et internationale, mais aussi des lobbies industriels (groupements, associations, syndicats, ONG, médias...) notamment.

Le terme de société civile nuit à une lecture claire des enjeux politiques, dans la mesure où il recouvre des classes différentes et en conflit. Au sein de la société civile luttent donc différents acteurs afin de conquérir l’hégémonie idéologique et politique et pour la défense des plus défavorisés. Or, dans le cadre des politiques relevant de la gouvernance globale, la définition de la société civile est donc, fondamentale. Cette dernière se compose d’ONG, qui signifie “organisations non gouvernementales”. Cependant, au sein des ONG, les Anglo-saxons en particulier distinguent deux sous catégories: les GONGOS, qui désigne les ONG travaillant directement pour les intérêts des Etats et les BINGOS (Business International Non-Governmental Organizations) qui sont des organisations privées à vocation économique (Smouts, 1995: 13). Il s’agit par exemple d’associations d’industriels, tel que l’European Round table, ou de syndicats patronaux tel le Medef, ou de son homologue européen l’UNICE.

Les limites de « bonne gouvernance » en matière de transparence et de souveraineté démocratique

Derrière la politique de “bonne gouvernance”, la Banque Mondiale cherche aussi à contraindre les pays à bas salaires à mener une bonne gestion, c'est-à-dire à appliquer les plans d’ajustements structurels, basés sur une politique économique néo-libérale. Selon Hermet (2003 : 9) "la bonne gouvernance" vise notamment agir contre "les administrations, des classes politiques jugées trop corrompues" à privatiser les services publics... Du fait du principe de conditionnalité auquel sont soumis les États pour recevoir des prêts de la Banque Mondiale, ceux-ci perdent la souveraineté sur leur politique nationale (Georges et Sabelli, 1994 : 184). Cette entorse à la souveraineté du peuple est “camouflée par les qualificatifs “d’empowerement” et de “consensus" avec la société civile (Hidouci, 2003 : 6).

La souveraineté des Etats africains s’avère donc très limité, alors qu’il est un des fondements de la démocratie. Compte tenu qu’ils sont soumis à la conditionnalité de la dette, pour renégocier leur dette ou obtenir un allègement ils doivent se soumettre aux réformes néo-libérales. Ces dernières sont fondées sur le principes du “consensus de Washington” (la bonne gestion des affaires dans le cadre de la bonne gouvernance telle que l’envisage la Banque Mondiale).

La corruption limite la démocratisation des États. Pourtant, les institutions financières internationales (IFI) agissent peu contre la corruption des dirigeants (lorsque les prêts qu'elles octroient sont détournés), tel au Tchad.

Selon Charentay, en 1993, les seules ressources importantes, celles du pétrole découvertes dans le sud du Tchad, sont détournées au profit du président qui a vendu l’exploitation, pour dix ans, aux compagnies américaines. Selon le Figaro, “la normalisation du Tchad renforce l’exploitation et le pillage. Or, la France, en continuant à financer une partie du fonctionnement de ce pays, a prolongé la vie du régime, cachée les réalités politiques et sociales et provoque une aggravation de la situation économique (Charentenay, 1994).

En effet au Tchad la répartition des revenus entre le consortium et l’Etat, ont été au détriment de ce dernier. Selon Damien Millet “l’Etat devrait récupérer seulement 12,5 % de royalties sur la vente directe de ce pétrole... S’y ajoutent des taxes et bonus divers, qui sont versés directement au Trésor public tchadien. Le premier bonus, versé à titre d’avance, ne fut pas un modèle du genre : 7,4 millions de dollars auraient été détournés. De plus, un autre détournement de 4,5 millions de dollars aurait servi à l’achat d’hélicoptères par le fils du président” (Millet, 2005). Malgré cela la Banque Mondiale a continué à prêter des fonds à cet Etat.

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La Banque Mondiale et le FMI affirment ne pas pouvoir intervenir dans les affaires des États, car leurs statuts les en empêchent (Hidouci, 2003 : 4). Or des aspects de la gouvernance, telle que la définit la Banque Mondiale, concerne la nature du régime (Word Bank, 1992 : 1). Pour pouvoir exercer son action sur ce dernier point, la banque a dû violer ses statuts, car ceux-ci lui interdisaient d’intervenir sur la nature des gouvernements (Gueye 2003 : 38). Le pas a été franchi lorsque ces dirigeants ont constaté les échecs d'une gestion trop centrée sur l'économie et ne prenant pas assez en compte la dimension politique. Ainsi, la Banque mondiale considère que les échecs des plans d'ajustements structurels sont dus au clientélisme, aux pratiques patrimoniales, au fait que les gouvernements défendent les intérêts de la classe au pouvoir et sa clientèle politique (Gervais, 1994 : 124-125). Mais elle ne remet pas ou peu en cause leur politique économique, si ce n'est dans le discours. Ainsi a-t-elle développé une approche plus politique, la "bonne gouvernance". Après l'échec des politiques de désétatisation des années 1990, on a assisté alors à la création d'un nouveau paradigme néo-institutionnaliste qui permet de réintroduire son intervention, sans revenir au modèle interventionniste14 (Campbell, 1997 : 210).

La théorie de la gouvernance s’inscrit sein du “néo-institutionnalisme libéral” (Young, 1994) qui privilégie notamment l’étude de la convergence des intérêts individuels. Dans l'approche néo-institutionnelle il n'existe pas de rapport hiérarchique entre l'Etat et le marché. Les acteurs de la gouvernance sont interdépendants, coopèrent, échangent plus qu'ils ne se concurrencent. Le secteur associatif et économique privé participe à la délégation de service public, à la sous traitance, à la fourniture de service autrefois dévolus à l'Etat. Les échanges d'informations entre la société civile, le secteur économique privé et l'Etat repose donc sur des relations de confiance (Campbell, 1997 : 93). Or "la confiance ne peut prospérer là où il n'existe pas de règle instituant la responsabilité des dirigeants face à la société civile (...). Les règles de transparence permettent aux citoyens d'exercer un contrôle sur la gestion des affaires publiques et de rendre plus effective la responsabilité des dirigeants" (Gueye, 2003 : 40). Il s'agit notamment du contrôle des élections par les citoyens eux-mêmes, les débats publics, enquête, audit sur l'administration, le contrôle parlementaire, l'indépendance des juges, le contrôle de la constitutionalité... Transparence et responsabilité sont donc intimement liés.

Dans les pays en développement (les pays en transition) en particulier il existe une faible différenciation entre l'Etat et la société civile. Jusqu'en 1981, au Sénégal par exemple la plus grande partie du mouvement associatif et des syndicats de travailleurs évoluait sous la tutelle de l'Etat et du Parti socialiste. La société civile à pris son essor de même que la liberté de la presse, à partir de 1981 avec l'avènement du pluralisme intégrale et de l'échec de l'Etat interventionniste qui à cristalliser les revendications (Gueye, 2003 : 42).

La normalisation technique se substitue au politiqueLa gouvernance globale s'est développée à partir de la gouvernance d'entreprise. Cette

dernière privilégie "les coordinations efficaces des protocoles internes, quels que soient les territoires de souveraineté et l'usage des normes applicables dans tout le champ lorsque l’organisation s’externalise” (Leach, Percy-Smith, 2001). C'est donc l'efficacité (vision utilitariste) qui domine les souverainetés (en particulier celle du peuple. Dans la gouvernance on observe "une normalisation technique envahissante" (Hidouci, 2003 : 7) qui tente d'évacuer la dimension politique sous le discours de la neutralité, en se cachant dernière le langage de la gouvernance des entreprises. La gouvernance conduit à substituer les normes du droit positif (dans le public) par des normes techniques (normes privées). Par exemple : les chartes, les codes de conduite, les codes d’éthique ne sont ni créés, ni

14 Selon cette théorie, l'Etat devrait, grâce à son autorité et à son contrôle, contribuer à créer un environnement favorable à l'investissement privé, en réduisant les coûts de transaction et en assurant la stabilité et la sécurité, en matière contractuelle.

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vérifiés ni sanctionnés par les pouvoirs publics. Ces derniers voient alors une large partie de leurs fonctions de régulation supplantées par les acteurs privés. Que ce soit les experts, les administrateurs, les associations professionnelles ou les ONG, aucun n'est neutre. Ils représentent un courant politique que celui soit affiché ou non. Les plans d'ajustements structurels sont présentés par la Banque Mondiale comme des solutions relevant de la technique économique or celles-ci relèvent du néo-libéralisme, en particulier du "consensus de Washington".

“Dans la conception de la gouvernance, l’Etat n’exprime lui-même aucun intérêt général et doit se borner à arbitrer entre des intérêts particuliers” (J. Brown 5 : 2001). L’arbitrage exercé par les pouvoirs publics se révèle partisan s’il sert les intérêts des groupes dominants et des acteurs économiques privés, au détriment de ceux des classes populaires ou des classes les plus défavorisées. La légitimité des pouvoirs publics émane du peuple ; une décision ou une norme à caractère publique n’est pleinement légitime que quand elle est adoptée par des organes qui expriment la souveraineté populaire. Les conventions de l’OIT qui composent les codes de conduite, expriment dans une certaine mesure la souveraineté populaire puisqu’elles ont été votées à l’OIT qui est une institution publique internationale. Par contre, c’est l’instrument qu’est le code de conduite qui l’est moins puisqu’il est de nature exclusivement privée. Les normes ISO 9000, par exemple, sont le fruit d’un consensus dominé essentiellement par des acteurs économiques privés. De même les normes ISO 14000, ont été créées sur la base de discussion entre les représentants des industriels et les ONG protégeant l’environnement.

Le Global Compact : une privatisation de la régulation démocratiqueLe Global Compact est un instrument qui contribue au développement de la bonne

gouvernance, telle que l’envisage la Banque Mondiale. Au cours du Forum Mondial de l’Economie de Davos, le 31 Janvier 1999, Kofi Annan, le Secrétaire Général des Nations Unies, a proposé au monde des affaires, de mettre en oeuvre le Global Compact (le pacte global) (Paringeaux : 2000).

Le Global Compact est selon l’ONU “l’effort le plus ambitieux pour établir des relations de travail entre l’ONU, le secteur privé et les mouvements de citoyens” (Paringeaux, 2000). De ce point de vue il est intéressant d’observer comment se dessinent des tentatives de gouvernance entre les trois acteurs du politique, de l’économique et du social. Le Global Compact se fonde sur un partenariat avec les entreprises. Les relations de l’ONU avec les ETN prennent parfois la forme d’engagement moral ou d’échange économique. “Le nombre de partenariats entre le monde des affaires et les organisations des Nations Unies, tel que la CNUCED, le PNUE, l’ONUDI et l’OMC ont augmenté fortement ces dernières années“ (Utting 1999 : 9).

Le Global Compact concernait, en mars 2003, une trentaine de pays et environ 700 entreprises (BIT, 3/2003). En 2004, plus de 1400 entreprises y avaient adhéré. Parmi les dix principes du Global Compact, deux principes concernent les droits de l’homme, quatre sont destinés aux droits des travailleurs, trois principes concernent l’environnement et le dixième porte sur la lutte contre la corruption. Le Global Compact est composé d’engagements volontaires non contraignants, il est rédigé de manière vague, sans référence aux conventions de l’OIT et il ne dispose pas de système de vérification. L’ONU affirme que les principes du Global Compact ne seront pas imposés par la contrainte. L’association Corpwatch précise que c’était d’ailleurs une des conditions requises par les ETN, pour qu’elles adhérent au Global Compact (Corpwatch, 2000).

Le risque, lorsque des entreprises privées soutiennent les organisations internationales publiques directement, réside dans le fait que ces dernières perdent leur indépendance. Même si elles n’appliquent pas le Global Compact, les entreprises disposent du droit de placer le logo de l’ONU, sur leurs documents publicitaires. De plus, soutenir ainsi certaines ETN, peut se révéler nuisible pour l’image, la crédibilité et même la légitimité de l’ONU.

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Les Nations Unies ont autorisé les ETN Nike et Shell à se joindre aux entreprises adhérant au Global Compact. Or leurs exactions dans ces domaines ont été observées à plusieurs reprises notamment par la CCC européenne (1998).

La gouvernance privilégie donc la régulation incitative plutôt que coercitive. L’ONU fait le choix pour l’instant d’une régulation incitative faible, au travers le Global Compact ou Pacte Global.

D’après Joshua Karliner et Kenny Bruno (2000), qui travaillent pour le Transnational Ressource & Action Center, à San Francisco., le Global Compact permet en fait à des sociétés connues pour leurs violations des droits humains et de l’environnement de “bleuir” leur image en se drapant dans la bannière des Nations Unies. C’est un “blue Wash” à peu de frais, car rien ne les empêchera de continuer à produire sans améliorer leur pratique, dans la mesure où il n’existe pas de système de contrôle. Le fait que l’on demande aux ETN d’adopter le Global Compact, suggère qu’elles pourraient le faire. Les efforts réalisés par les gouvernements pour rendre les ETN responsables vis-à-vis des valeurs et des normes internationales sont nuisibles. Beaucoup parmi la communauté des ONG, rejettent cette démarche. “Nous considérons que le marché ne peut concilier l’éthique et l’efficacité sans lui imposer des lois claires et impartiales. La sous-commission des Nations Unies pour la promotion et la protection des droits de l’homme crée actuellement un instrument destiné à légaliser les pratiques des ETN vis-à-vis des droits de l’homme. Nous préférerions vous voir soutenir cette initiative”, déclarent-ils à Kofi Annan.

L’ONU aspire à un partenariat avec les entreprises selon ses déclarations. Mais cela suppose un échange de service réciproque. Pourtant est-ce le rôle des Nations Unies d’être partenaire, car cela suppose une relation relativement égalitaire ? Or l’ONU dispose de la capacité d’exercer une régulation contraignante, mais elle choisit de ne pas en user. En revanche, à l’échelon national, les Etats sanctionnent les infractions au droit du travail. C’est pourquoi l’association CorpWatch (2000) s’adresse ainsi à Kofi Annan : “bien qu’il faudra plusieurs années, nous espérons que vous chercherez à créer un cadre légal et obligatoire concernant le comportement en matière de droits de l’homme, du travail, et de l’environnement”. Les pouvoirs publics internationaux peuvent en effet, soit développer leur pouvoir de régulation par la sanction vis-à-vis des acteurs économiques privés, soit privilégier une régulation entre acteurs privés, voire une auto-régulation des ETN envers elles-mêmes.

Les codes de conduies : une régulation néo-libérale peu efficiente.Le cas de l'ETN Nestlé est emblématique du long développement des codes de conduite

et de leur aboutissement le Global Compact. En 1970, suite à une longue campagne contre Nestlé “Nestlé tue les bébés”, l’ONG suisse qui porte le nom, “la déclaration de Berne” (membre de la CCC Suisse actuellement) parvient à faire adopter un code de conduite à l’entreprise transnationale Nestlé. Dans ce dernier, elle s’engage à modifier ses pratiques, vis à vis des nouveau-nés, dans les pays du tiers-monde.

Quand à C&A, même après l’adoption de son code de conduite en 1996, de nombreuses autres infractions aux normes fondamentales du travail, ont été relevées par l’association hollandaise Somo, concernant notamment C&A. Ce fut par exemple le cas au Zimbabwe, chez un des sous-traitants nommé Winfield Barlana en 1996 (CCC, 1998). Plusieurs sous-traitants de C&A ont aussi été épinglés à plusieurs reprises, en 1999, en Indonésie, selon l’ONG Transnational: les salariés travaillaient entre 74 et 80 heures par semaine chez le sous-traitant Kolon Langgeng. De plus le droit syndical et d’association, l’interdiction du travail forcé et la discrimination au travail n’étaient pas respectées chez Kaoindah Citragarment et Kolon Langgeng factories (Transnational, 2003).

L’ETN Nestlé dispose de son propre code de conduite et son ex- PDG, Helmut Maucher est un des principaux initiateurs du Global Compact). Cependant Nestlé viole le code de conduite international sur les substituts au lait maternel. En 1998 elle a fait pression sur la

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direction de Tadaram, un sous traitant thaïlandais, pour obtenir le licenciement de 13 ouvriers ayant créé un syndicat dans l’usine et donc pour supprimer le syndicat. En 2001 les usines Nestlé emploient des prisonniers qui travaillent 12 heures par jour, 7 jours sur 7 et subissent des décharges électriques causées par des machines insuffisamment sécurisées. En Colombie, en 2002, 13 syndicalistes sont licenciés dans l’entreprise Tandaram, un de ses sous traitants. Or, syndicat des employés de Tandaram, accuse Nestlé d’être complice de la disparition de 7 autres (Balanya, 2003 : 420).

On observe donc que très souvent les codes de conduite ne sont pas appliqués, contrairement au discours affiché par les ETN. Ce qui vient confirmer notre idée selon laquelle la mise en oeuvre des codes de conduite liée aux normes fondamentales du travail reste peu probante lorsque la régulation par la vérification et la sanction est exercée par les seuls acteurs privés.

Le Global Compact : instrument marketing au service d'une gouvernance globale néo-libérale

Même si elles n’appliquent pas le Global Compact, les entreprises disposent du droit de placer le logo de l’ONU, sur leurs documents publicitaires. Les Nations Unies ont autorisé les ETN Nike, Shell et Total notamment, à adhérer au Global Compact, alors qu’elles enfreignent régulièrement leurs propres codes de conduite et les normes sociales et environnementales.

L’ex-dirigeant de cette dernière entreprise d’Elf (Total) Floch Prigent, affirme lui-même dans un livre intitulé “Affaires Elf, affaires d’Etat” (2001), faisant le bilan de son procès, que “l’activité industrielle classique s’accompagne nécessairement de mécanismes qui permettent le financement d’opérations opaques (...). Au sein du groupe (Elf) qui fait deux cents milliards de francs de chiffre d’affaires par an, le volume de ces opérations (occultes) varie de trois cents à huit cents millions de francs). (…) L’ensemble de ces commissions versées aux officiels du pays, via des intermédiaires était d’un certaine façon le prolongement de la politique étrangère de la France, notamment dans les pays africains et c’est la raison pour laquelle le président d’Elf en informait la présidence de la république (française), ainsi que les ministres des Finances et du Budget” (Prigent, 55-56). “Disons que le président d’Elf est à la fois le président d’une société pétrolière et ministre bis de la Coopération. Et c’est justement parce ce que cette société avait un objet politique et diplomatique en Afrique qu’elle à de tout temps financée les services secrets (...). Elf a servi au financement du parti gaulliste, et a même été créée pour ça... (...). Puis se fut le tour du parti socialiste” (Prigent, 2001 : 54-55 et 63-64). Certaines de ces affaires ont défrayé la chronique judiciaire (affaire Dumas, Deviers Joncourt, Sirven, Elf Thomson, avions renifleurs, affaires des frégates, etc.) “L’ensemble de la classe politique savait qu’Elf faisait du financement politique”. Les rétro-commissions servaient “à mettre sous influence celui qui les percevaient. Au cas où... Au cas une affaire comme l’affaire Elf leur péterait à la figure. Si tout le monde se sert du gâteau, plus personnes ne plus rien dire.” (Prigent, 2001, 66-67). On le voit les intérêts des Etats, siègant notamment au sein des la Banque Mondiale, sont fortement liés à ceux de leurs grandes entreprises transnationales, dont certaines adhèrent au Global Compact. Car il en va des intérêts nationaux, tel qu’ils sont envisagés par les gouvernements nationaux et les partis politiques dominants. Il s’agit d’une lutte politico-économique entre Etats via leurs entreprises, pour s’assurer entre autres, une indépendance énergétique et se disputer les parts du marché mondial. C’est pourquoi les pouvoirs publics nationaux et organisations internationales où elles siègent, sont relativement peu regardant sur les pratiques des entreprises qu’elles subventionnent.

Le Global Compact est le résultat de plusieurs rencontres initiées depuis février 1998, entre Kofi Annan, la Chambre de commerce internationale (CCI) (associée de Coca Cola et

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Unilever), et des lobbies industriels très puissants: l’European Round Table (ERT) et le Geneva Business Dialogue (Balanya, 2003 : 342).

Parmi les dirigeants présent à ces rencontres, figure Helmut Maucher président de la CCI (en 1998), membre de l’ERT, PDG de Nestlé. Or, cette ETN est accusée de nombreuses infractions contre les normes fondamentales du travail qu'elle prétend défendre (Balanya, 2003 : 420). L'ONU a décidé de développer les partenariats avec les entreprises privées dans le cadre d’une gouvernance néo-libérale. Selon George Kell, le chef exécutif du Global Compact, ce dernier participe au développement d’une autorégulation fondée sur “l’apprentissage et le dialogue” plutôt que la contrainte (Balanya, 2003). Ainsi, "le dialogue" devrait se substituer à la régulation par contrainte exercée par les pouvoirs publics, en matière de normes sociales et environnementales. Le Global Compact représente ainsi un des premiers pas de la conquête de l’ONU par le monde des affaires.

En 2004, l'entreprise British Petroleum (BP) était membre du Global Compact, tandis que le vice-président des relations extérieures de BP avait en charge la coordination du lobbying de la CCI. "Selon Shell, les normes juridiques et contraignantes, sapent les engagements volontaires des entreprises, tel que le Global Compact de l’ONU” rapporte Le quotidien suisse, Le Courrier (15/08/2004). Les représentants de la CCI affirment de plus, que si les normes de l’OIT sont “mises en application, elles affaibliront les droits humains, le secteur des affaires de la société et le droit au développement” (ICC-IOE, 2004).

L’ONU dispose potentiellement de la capacité d’exercer une régulation contraignante vis à vis des ETN. Cependant, les Etats membres de l’ONU choisissent de ne pas en user. Paradoxalement, à l’échelon national, une majorité des Etats membres de l'ONU sanctionne les infractions au droit du travail. Faut-il comprendre que certains d'entre eux envisagent, à terme, de changer de politique en matière de droit du travail?

Les associations professionnelles influencent l'élaboration des politiques internationales Parallèlement aux réunions de préparation du Global Compact, les dirigeants de la CCI,

tel Maucher, ceux de l’ERT, et, des ETN telles Nestlé, Shell ou Unilever participent régulièrement aux rencontres de Davos et du groupe Bilderberg (Balanya, 2003). C'est dans ces lieux où se forgent les idées néo-libérales au plan mondial que ces derniers se réunissent tous les ans (Gill, 1990 : 127).

Le groupe Bilderberg, fut créé en 1954, grâce à un cofinancement de Unilever et de la CIA. Selon le politologue Stephen Gill, Il a pour but “d’encourager des discussions ouvertes et confidentielles (...) entre les nations de l’axe atlantique" (Gill, 1990 : 127) en particulier les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest. Selon un ancien délégué du groupe, le consensus élaboré au sein de ce forum sert de base à l’évolution des politiques internationales. Bilderberg “compose la toile de fond des politiques qui sont mises en place par la suite. Ainsi, le Forum économique mondial à Davos en février, les rencontres Bilderberg et du G8 en avril-mai et la conférence annuelle du FMI et de la Banque Mondiale en septembre. Une sorte de consensus international émerge (...). Ce consensus devient la toile de fond des communiqués du G8; il inspire le FMI lorsqu’il impose le programme de réajustement à l’Indonésie, et la politique que le Président américain propose au congrès” (Armstrong, 1998).

David Rockefeller fut le fondateur du Bilderberg, puis de la Commission Trilatérale. "Ces deux lobbies sont les véritables architectes de la mondialisation néo-libérale” selon M. R. Jennar (2005). D. Rockefeller a déclaré à Newsweek international, “quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semblent l’entité adéquate pour le faire” (Rockefeller, 1999). “Ce même personnage avait déclaré huit ans plus tôt devant la Commission Trilatérale: la souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et de banquiers est préférable au principe d’autodétermination des peuples” (Jennar, 2005 : 17). En effet, ces derniers sont considérés par certaines élites, tels les certains experts de la gouvernance européenne comme “ignorants, émotifs et versatiles, comme nous le rapporte

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Hermet (2003 : 16). C’est donc, pour leur éviter de commettre des erreurs nuisant à l'intérêt du peuple lui même, que les élites proposent d’ériger la gouvernance, par les seuls experts et les élites économiques et politiques.

Etienne Davigon, notamment illustre l'omniprésence de ces réseaux privés et de ces élites non-élues dans l'élaboration des politiques internationales par les pouvoirs publics. Il présidait le Groupe Bilderberg en 1999 et était membre du comité directeur en 1997 (Balanya, 2005 : 293-292). Il a été membre de l’ERT (European Roundtable) et commissaire européen à l’Industrie de 1977 à 1994 (Balanya, 2005 : 68).

Démocratie organique et par outputs contre démocratie pluraliste et par inputLa corporate governance écarte des conseils d'administration les non-exécutifs réputés

parasiter les prises de décisions. De même, les acteurs de la gouvernance Européenne, tel Burns (Burns, 2000), revendiquent une action fondée sur la démocratie organique. Dans les deux cas, il s'agit selon Hermet de s'ouvrir à "la pluralité effective mais limitée"15 en évinçant de manière discrétionnaire les organisations considérées comme gênantes pour l'autorité compétente (Hermet, 2003 : 17). Or, la terminologie "démocratie organique" et ces pratiques sont issues des régimes autoritaires (Franquiste, gouvernement du Général Pinochet...). Cela laisse supposer que la commission européenne notamment, écarte des groupes de discussions (panels, multistakeholders international dialogue) les organisations qui la dérangent (certaines ONG et mouvements sociaux jugés trop fortement revendicatifs et contestataires par exemple).

Par ailleurs, la gouvernance tire sa légitimité de l'input (le mandat électif), de son input coopté (les intérêts particuliers, la société civile et plus encore de ses outputs explique Yannis Papadopoulos (2002 : 142). Certains auteurs, tel Fritz Scharpf, estiment que la légitimité par l'élection peut nuire au résultat, puisque le peuple n'est pas un expert (Scharpf, 2000), qu'il est versatile et émotif. Ils privilégient une gouvernance fondée surtout sur les outputs, c'est-à-dire la légitimité par le résultat notamment économique. C'est sur ce type d'argument que se sont appuyés les régimes autoritaires pour justifier leur autoritarisme, souligne Hermet. Il poursuit en affirmant "qu'en fin de compte il s'agit de parvenir à une bonne gouvernance dont le moment initial serait autoritaire" (Hermet, 2003 : 21).

CONCLUSIONLa théorie de la gouvernance entend restaurer le pouvoir de la société civile afin ne pas

laisser une place excessive aux pouvoirs publics nationaux et internationaux considérés selon (Senarclens, 1998 :200) comme trop bureaucratiques. C’est à dire privilégier une approche “bottom up” par rapport à une approche “top down” considérée comme moins démocratique. Or, dans les pratiques politiques qui se fondent sur la gouvernance, l’Etat est pris en tenailles : il existe une première limitation de la démocratie lorsque les organisations internationales publiques limitent la souveraineté des Etats ; une seconde limitation apparaît quand les relations entre les organisations internationales publiques et la société civile mettent à l’écart les Etats.

Cette limitation s’exerce par une diminution du pouvoir des pouvoirs publics, au profit des intérêts des représentants des acteurs économiques dominants, au sein de la société civile. La théorie de la gouvernance néo-libérale consiste à mettre en place un Etat (ou des pouvoirs publics) fort, mais aux fonctions limitées. Alors que dans leurs discours, les tenants de la gouvernance entendent renforcer la démocratie grâce à la société civile, nous observons la réalité inverse, puisque cette plus grande participation favorise les intérêts privés d’une minorité.

15 C'est la définition que donne Juan Linz d'un régime autoritaire.

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Dans le cadre d’une politique de gouvernance globale telle qu’elle est défendue par les organisations internationales, les pouvoirs publics abandonnent leur politique d'intervention en matière de service public à la société civile au sens libéral. De plus, le discours sur la participation démocratique de la société civile vise surtout à masquer les intérêts des classes dominantes et à restreindre les interventions de l’Etat. Ce dernier se voit donc progressivement restreint à sa base et à son sommet, puis supplanté par une régulation néo-libérale peu démocratique de certaines organisations internationales publiques et des acteurs économiques privés au sein d’un marché mondialisé.

À l’inverse, la majorité des ONG ne souhaitent pas pour autant un mode de gouvernance dominé par les seuls pouvoirs publics internationaux. Ils reprochent à cette forme de régulation d’être insuffisamment démocratique et considèrent que ces institutions servent prioritairement les intérêts des classes dominantes et à restreindre le pouvoir des Etats. Cette gouvernance néo-libérale prend des formes variées : dialogue social fondée sur le consensus visant à cacher les conflits des négociations, développement d’une régulation déléguée aux intérêts particuliers des entreprises transnationales au détriment d'une démocratie publique représentative, usage de la fausse neutralité politique de la normalisation technique, perte de souveraineté des Etats soumis à la conditionnalité de la dette, partenariats privés engendrant une perte d'indépendance, absence de régulation contraignante, gouvernance sous le pouvoir des lobbies dérivant parfois jusqu’à la corruption…

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