18- les théories psychanalytiques du groupe

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Psychanalyse group

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  • 67-82

    Distribution lectronique Cairn pour Presses Universitaires de France Presses Universitaires de France. Tous droits rservs pour tous pays. Ilest interdit, sauf accord pralable et crit de lditeur, de reproduire(notamment par photocopie) partiellement ou totalement le prsentarticle, de le stocker dans une banque de donnes ou de le communiquerau public sous quelque forme et de quelque manire que ce soit.

    Chapitre IIIProcessus et principes du fonctionnement psychique dans la viedes groupes

    Ren KasProfesseur mrite de psychologie et psychopathologie cliniques de luniversit Lyon-II

    1Lapproche psychanalytique du groupe rencontre sans cesse cette question initiale :comment et avec quels concepts rendre compte de processus et de formationspsychiques qui ne sont pas le propre de chaque sujet considr isolment, mais qui, partir des actions, des reprsentations et des liens rciproques entre un sujet, unautre sujet et plus dun autre, forment la ralit psychique commune et partage delentit groupe ?

    2Les rponses ces questions varient selon les divers modles psychanalytiques dugroupe ; elles varient aussi selon les concepts emprunts la psychanalyse de lacure : les catgories de loriginaire, de larchaque, du primaire, du secondaire et dutertiaire ne sont pas superposables chez S. Freud, chez M. Klein, A. Green ouP. Aulagnier. La pertinence de ces catgories et de leur consistance dans le champgroupal est une question ouverte : pour toutes ces raisons, nous ne disposons pasencore dune vritable thorie des processus de groupe, mais plutt de descriptionsde processus et de fragments de thorie.

    3Quentendre par processus ? Un processus dcrit une succession organise,rgulire et constante de phnomnes en mouvement. Il suppose une source partir de laquelle avance (procde) la succession, qui se dveloppe selon unedynamique interne, dans un espace et selon une temporalit spcifiques. Il sinscritdans une structure qui en dtermine le fonctionnement : certains processusconservent la structure, dautres peuvent la modifier.

    4Les processus de groupe sont des processus complexes parce quils concernent deuxespaces htrognes et associs : lespace intrapsychique de chaque sujet et lespace

  • I. Les processus psychiques groupaux originaires

    commun, intersubjectif et transsubjectif du groupe lui-mme. Mais ils sont aussicomplexes parce que coexistent des processus dorigine et de fonctions diverses, quiproduisent eux aussi des effets de travail htrognes dans ces deux espacespsychiques. Certains processus sont de la mme nature que ceux qui qualifient lesformes les plus primitives de la vie psychique et que lapproche de la psychose nousa permis de comprendre ; dautres processus sont ceux qui sont luvre dans letravail onirique et dans le travail de la pense. Les groupes, en certaines priodes deleur organisation, sont plus particulirement les vecteurs des processus de premiertype, alors quen dautres phases les processus de second type prdominent ; mais ilarrive aussi que des processus htrognes soient mobiliss dans le mme tempspar diffrents membres du groupe, nous en avons point lincidence sur la questionde la rgression. Cest sur cette double htrognit des processus, individuels etgroupaux, synchroniques et diachroniques, que se fonde le travail psychique propre la situation de groupe.

    5Quatre catgories de processus sont luvre dans les groupes : nous allons lesexaminer en restituant chacun sa valeur dans chaque contexte thorique.

    6Les travaux sur la psychose et lautisme ont permis de dgager certains processusconstitutifs de la vie psychique. Comme la mis en vidence P. Aulagnier, lapsychose pose dune manire dcisive la question de la possibilit du Je de sepenser dans laltrit, et elle la pose dans un contexte clinique diffrent de celui dela cure individuelle des nvross. La rencontre de lanalyste avec le psychotique etson monde, souvent avec sa famille, met au jour les conditions dune primitiverencontre du sujet et du monde : y oprent, par dfaut, les effets duneintersubjectivit qui ne sest pas constitue en raison de tous les lments quidfinissent la fonction psychotisante dun milieu familial , celle qui impose lenfant des preuves psychiques de manire trop prcoce, ou dans des conditionsqui excdent ses capacits de rponse et de dfense. Les effets de non-sparationdes psychs exercent une violence telle sur les processus de pense que toutengagement dans un avnement du Je devient une aventure o sengage la viepsychique elle-mme.

    7Lexprience du groupe confronte des situations homologues : hors de toutevritable pathologie psychotique, les effets de non-sparation des psychs y sontports au maximum, comme condition initiale de la formation du groupe. Larencontre plurisubjective, dans un dispositif rduisant toutes les certitudes etmajorant les incertitudes dans les rapports linconnu, constitue une situation

  • Loriginaire et lexprience de la rencontre inaugurale

    potentiellement psychotisante dans la mesure o les capacits de dfense etdlaboration sont mises en dfaut : sidration, blancs de pense, effacement desaffects, paniques profondes lies la dsorganisation des identifications sontprouvs par quiconque sengage dans cette situation. Lexprience du groupemobilise ainsi les noyaux psychotiques de tout sujet nvros et le contraint depenser ses plonges dans les angoisses et les dfenses psychotiques .[1]

    8Dans son interrogation sur lorigine de la vie psychique, P. Castoriadis-Aulagnier(1975) a propos une conception nouvelle du processus originaire : loriginaire estun lieu et un processus de production de la vie psychique pralables aux espaces etaux processus primaires et secondaires ; ces processus orients chronologiquementtravaillent simultanment une fois quils sont tablis. Loriginaire est une formedactivit et un mode de fonctionnement psychique inaugural produit dans larencontre entre la psych de linfans et le monde environnant.

    9Lexprience de cette rencontre est organise par lallaitement ; elle correspond laperception dun besoin et la mise en relation des espaces corporels et psychiquesde la mre et de lenfant. De cette rencontre va natre une premire reprsentationque la psych se forge delle-mme et que P. Aulagnier nomme pictogramme. Danscette reprsentation converge une exprience de satisfaction corporelle et de plaisirpsychique ou dinsatisfaction et de dplaisir. La qualit de la rencontre avec le seinmaternel, sous le signe du plaisir et de lamour, est reprsente par un pictogrammede jonction ou dunion entre la bouche et le sein : ce pictogramme sassocie lepostulat de lautoengendrement, ce qui fait lien avec le fantasme originairedautoengendrement. lexprience du dplaisir correspond le pictogramme derejet. Le dclenchement de cette exprience et de cette reprsentation partir de larencontre avec un objet excitant extrieur la psych, nomm objet-zonecomplmentaire par P. Aulagnier, est le point de dpart de deux autres processusde mtabolisation, le primaire et le secondaire.

    10Lexprience de cette rencontre inaugurale est fondamentale dans la mise en uvredu processus groupal. Dans les groupes, le processus originaire est enclench parles expriences de plaisir et de dplaisir de ce qua t pour chacun cette rencontredont la mtabolisation a donn lieu aux premires reprsentations pictographiquesdunion-fusion ou de rejet. Labolition partielle des limites du Moi de chaque sujetet lindiffrenciation de leur espace et de leur temps propres font prvaloir lesmotions contagieuses sans sujet ni objet, les expriences sensorielles de typehallucinatoire ou matrialises par des odeurs produites par les membres du

  • II. Les processus primaires : onirisme de groupe etfantasmatisation de groupe

    groupe comme des enveloppes atmosphriques, o sestompent les diffrencesentre dedans et dehors ; le groupe est la forme indtermine dun espacenarcissique sans limites, o lexprience ocanique et celle du nirvana peuventtre prouves. Le processus originaire travaillerait alors tablir la prise en soi oule rejet hors de soi des objets-zone complmentaire quivalents du sein, la force deliaison entre les psychs et les objets tant essentiellement commande par lasatisfaction du besoin et par la recherche du plaisir de la concidence entre les uneset les autres. Cette force de liaison sexerce avec dautant plus dintensit que lanon-satisfaction et la non-rencontre menacent la constance et la stabilit dugroupe, ici figure de lespace originaire.

    11La constance des investissements de liaison sur le groupe en tant que formant untout (psychs-objets-zone complmentaire) et sur ses limites sera donc un desprocessus originaires majeurs. La mise en chec de ces processus appelle desmcanismes de dfense dont le premier est le refoulement originaire. Dautresmcanismes sont utiliss : rejet, effacement, clivage du Moi primitif, fragmentationou isolation. La prvalence de ces processus entrane gnralement de gravesperturbations dans lactivit de reprsentation et de symbolisation.

    12Lillusion groupale peut ici tre reconsidre en tant que processus originaire : ellepourrait tre conue comme la reprsentation, sous la forme dun pictogramme dejonction, dune exprience de plaisir dans la concidence entre la bouche-groupe etle sein-groupe ; elle aurait une fonction dintgration des prouvs corporels lensemble groupal, lui-mme la fois corps de plaisir et corps pour le plaisir, selonle postulat dautoengendrement qui prvaut dans ce temps constitutif de la viepsychique.

    13Le processus originaire rgit le mode isomorphique de lappareillage psychiquegroupal. Il est possible de qualifier selon cette perspective certains aspects duprotomental bionien et du co-soi conceptualis par A. Abraham. Toutefois, pardautres cts, isomorphie, co-soi et protomental mobilisent les processusprimaires, notamment les formations oniriques et la fantasmatisation.

    14Dans la perspective freudienne, les processus primaires rgissent les formations etles processus de linconscient, ils uvrent maintenir les meilleures conditions dela satisfaction psychique, ils organisent lactivit de reprsentation selon lesmcanismes qui favorisent le mieux la ralisation (dplacement, condensation,

  • Lanalogie du groupe et du rve : quatre processus primaires

    dramatisation, symbolisation) du dsir inconscient et qui facilitent linvestissementde lnergie psychique sur ces reprsentations. Dans cette vise, les exigences de lacensure dclenchent un travail psychique de transformation. Les processusprimaires sont actifs dans la formation du symptme, dans le travail du rve, danslagencement scnarique du fantasme, dans le noyau organisateur de la chaneassociative.

    15Les formations groupales dcrites par Bion (mentalit de groupe, prsupposs debase) de mme que la notion de rsonance fantasmatique avance par Foulkes etEzriel sont rgies par les processus primaires. Toutefois, le reprage explicite desprocessus primaires dans la vie des groupes est illustr par la thse de lonirismegroupal dont D. Anzieu a dgag les caractristiques essentielles en proposantlanalogie du groupe et du rve : Les sujets humains vont des groupes de lamme faon que dans leur sommeil ils entrent en rve. D. Anzieu a recours auxprincipes explicatifs de LInterprtation du rve : les phnomnes divers qui semanifestent dans les groupes sapparentent des contenus manifestes, ils driventdun nombre limit de contenus latents ; cette drivation obit des processusprcis, les uns gnraux et propres toute production de linconscient, les autresspcifiques de la situation de groupe. Le groupe est, comme le rve, le moyen et lelieu de la ralisation imaginaire des dsirs inconscients infantiles. Comme le rve,comme le symptme, le groupe est lassociation dun dsir inconscient qui cherchesa voie de ralisation imaginaire, et de dfenses contre langoisse que suscitent dansle Moi des membres du groupe de tels accomplissements.

    16En gnralisant ces perspectives, on pourrait considrer que, lorsque Freud dcritla horde originaire, ltat de foule ou de masse, il dcrit une formation groupalecollective onirique maintenue sous hypnose et rgie par les processus primaires.

    17Lanalyse du rve a mis en vidence deux principaux mcanismes luvre dans lefonctionnement du processus primaire : la condensation et le dplacement. Il estpossible de concevoir ces mcanismes comme tant au cur de lactivit de liaisonintrapsychique. Par exemple, la condensation est directement implique dans laformation de certaines formes de groupalit interne : dans LInterprtation durve, propos de lanalyse du rve de linjection faite Irma, Freud met en videncela manire dont se forment, par le mcanisme de la condensation, des personnes-conglomrat : derrire l Irma du rve se dissimulent plusieurs personnes que letravail de la condensation a rassembles. La formation dune figure unique partirde traits emprunts plusieurs confre toutes ces personnes une sorte

  • Fantasme de groupe et interfantasmatisation

    dquivalence. Il se forme ainsi un groupe interne o chaque personnage est dansun rapport de reprsentation des diffrents objets du rveur.

    18Dans un ouvrage sur la polyphonie du rve, tay sur les travaux de Bakhtine(R. Kas, 2002), le modle de lappareil psychique groupal nous a conduits prendre en considration deux autres mcanismes dont Freud esquisse le rle dansla formation du rve : la diffraction et la multiplication de llment identique.

    19La diffraction est responsable de la figuration multiple des aspects du Moireprsent par ses personnages et par ses objets qui ensemble forment un groupeinterne. Elle consiste en une projection diffractive lintrieur de la scnepsychique, en une dcondensation mettant profit le dplacement. Comme dans lascne du rve, les diffrents membres dun groupe peuvent reprsenter pour unsujet donn les diffrents aspects de son groupe interne.

    20Au service de la ralisation du dsir inconscient, la diffraction est proche dunmcanisme luvre dans le jeu et dans la jouissance hystriques. Lhystriqueprocde par condensation de plusieurs fantasmes dont les caractres communsvont former, comme dans le rve, le noyau de la figuration. Mais lhystriqueprocde aussi par diffraction, cest--dire par la figuration successive ou simultanedes lments distincts qui la reprsentent en la masquant.

    21La diffraction doit aussi tre considre du point de vue conomique, sous laspectde la rpartition des charges pulsionnelles sur plusieurs objets. Au service de lacensure, la diffraction est une technique de camouflage par dissmination deslments psychiques qui, regroups et agencs dans leurs embotements mutuels,vont permettre de recomposer la figure de lobjet censur. La diffraction est diffrencier de la fragmentation. Springmann a dcrit ce mcanisme utilis dans lesgroupes pour viter le contact avec un objet dangereux : des fragments dobjet et deMoi sont parpills dans le monde extrieur sans trouver de contenant pour lesrecevoir et les transformer.

    22La multiplication de llment identique est un mcanisme utilis par le travail durve pour reprsenter la frquence dune action ou dun rapport de dsir avec unpersonnage du rve.

    23Ces quatre mcanismes du processus primaire sont lectivement mobiliss dans lesorganisateurs psychiques inconscients de lappareil psychique groupal. Leparadigme des groupes internes est donn par la structure du fantasme : ce sont

  • III. Les processus secondaires : reprsentation et pense

    IV. Les processus tertiaires : le lien avec lappareil du langageet le mythe

    des scnarios de ralisation du dsir inconscient ; ils gouvernent les agencementsde places et dactions psychiques corrlatives dans ces scnarios. Ce qui estproprement groupal dans le fantasme tient, selon nous, laction des processusprimaires lintrieur de sa structure. Le processus dinterfantasmatisation dcritla formation de fantasmes partags ; mais, pour comprendre comment il agit, nousavons besoin de nous reprsenter la structure du fantasme qui en rend possible lamise en uvre dans les groupes, ce que nous prciserons au chapitre suivant.

    24Les processus secondaires spcifient le systme Prconscient-Conscient. Ils secaractrisent par le dplacement de quantits nergtiques de faible intensit sur lerseau des reprsentations et par un investissement suffisamment fort pourmaintenir lattraction et lidentit des penses. Ils organisent ainsi la stabilit desexpriences mentales en liant lnergie et en soutenant les oprations de la pensevigile, de lattention, du jugement et de laction contrle. Ils accomplissent unefonction rgulatrice par rapport aux processus primaires, transformant lescontenus qui leur sont associs en une structure intelligible.

    25Dans la perspective de P. Aulagnier, le processus secondaire travaille lespace dusecondaire, cest--dire le lieu de la mise en sens. Il implique la prvalence duprincipe de ralit et de la participation du sujet aux symboles culturels. Il est donctrs troitement associ au travail de pense.

    26La logique du processus secondaire est soumise aux contraintes de la linarit dudiscours : elle peut sopposer la logique qui rgit les noncs et les signifiants dudiscours commun et partag. Tous les discours sont la fois dj l, inscrits dans laculture et crs par les contributions des sujets dans le groupe. Selon une modalitproche de ce quen architecture on appelle le remploi, les sujets reprennent,modifient et intgrent ces noncs dans leur propre discours associatif. Lesrsultats en sont les contenus, lorganisation et le style dune pense qui acquiertdes caractristiques et des fonctions groupales.

    27Les processus tertiaires ont t dcrits par E. R. Dodds (1959) et par A. Green(1984) dans des perspectives diffrentes. A. Green postule lexistence de processusde relation entre processus primaires et processus secondaires, circulant dans les

  • V. Les processus associatifs et le travail du prconscient dansles groupes

    deux sens ; il rattache ces processus au Prconscient de la premire topique et auMoi inconscient de la seconde. Une proprit remarquable des processus tertiairesest de faire le lien entre lappareil du langage et lappareil psychique.

    28E. R. Dodds a propos cette notion propos de llaboration des rves produitsdans un contexte thrapeutique de groupe dans la Grce classique. Il note quelensemble des sujets (le prtre et les patients) participe llaboration du rcit durve : alors que llaboration secondaire est dcrite par Freud comme lactionopre dans le travail du rve de telle sorte quil perde son semblant dabsurdit etdincohrence et quil se rapproche de la structure dune exprience intelligible, letravail de llaboration tertiaire est de rendre le rcit et le contenu du rve efficacesen les rendant suffisamment conformes la structure culturelle traditionnelle.Laccent est mis sur la transformation du processus primaire dans les termes desnoncs mythiques.

    29Nous pourrions trouver ici un quivalent, dans le collectif, de lApparat zu deutenque Freud supposait dans lactivit inconsciente (prconsciente ?) de lesprithumain pour interprter et produire des significations. Le mythe, mais aussi leconte, lutopie et lidologie sont des appareils interprter collectifs dont nouspouvons reprer et analyser la formation et le fonctionnement en groupe . Lemythe contient et transmet un ensemble dnoncs fondamentaux sur lorigine et laraison dtre de lensemble, sur les Interdits, sur les emplacements de chacun dansle groupe. Ces noncs de lensemble sur lui-mme et sur ses sujets constituentpour ces derniers le fondement de leurs propres noncs. Ce qui signifie que legroupe et ses noncs sont une des conditions ncessaires la constitution dunsujet du discours.

    [2]

    30Ces quatre catgories de processus psychiques groupaux ne fonctionnent pas demanire homogne et synchronique dans les groupes : alors que certains processusse sont stabiliss au niveau du groupe, dautres peuvent demeurer actifs lintrieur de chaque psych.

    31Les processus associatifs dans la situation psychanalytique de groupe sont desprocessus complexes. Nous avons affaire une pluralit de discours intriqus lesuns dans les autres. Dans une telle situation, le travail de lassociation se prsentecomme un cycle de transformation des nonciations qui se produit dans lestransferts et sous leffet des transferts qui se dveloppent dans lespace groupal.

  • Le travail du prconscient de lautre dans le processus associatif

    Nous avons alors affaire un discours de groupe.

    32La notion dun discours de groupe suppose un organisateur inconscient dudiscours, valant reprsentation-but partage par les membres du groupe. Cettereprsentation se forme partir des oprations de refoulement ou de dniinauguralement et conjointement effectues pour faire lien de groupe ; ellesconstituent lquivalent de loriginaire du groupe et sont maintenues inconscientespar les alliances et les pactes qui lient entre eux les membres du groupe.

    33Les discours sont dtermins par les structures partiellement htrognes delespace intrapsychique et de lespace intersubjectif. Nous supposons que leprocessus associatif se dveloppe partir des tensions produites par cettehtrognit et ces carts entre les processus des membres du groupe.

    34Nous avons dj soulign que le groupe est loccasion de la rencontre pulsionnelleavec plus-dun-autre, rencontre intempestive en raison de la multiplicit dessollicitations auxquelles le Moi des membres dun groupe doit faire face : la capacitde lier des reprsentations est mise lpreuve de la qualit de la vie fantasmatiquede chacun et de ses dispositifs pare-excitateurs.

    35Ces caractristiques qualifient le rgime particulier des processus associatifs dans legroupe : les signifiants apports par chacun sont dtermins par le fantasme dedsir inconscient de chacun et par les processus primaires qui travaillent lafigurabilit de ce dsir. Ils sont aussi ordonns par les reprsentations-butsassocies lorganisateur groupal inconscient qui tient ensemble, agence etappareille les psychs. Toutefois, la diversit des sujets, et la singularit de chacun,cre une certaine tension par rapport ces reprsentations-buts individuelles etcommunes : des vnements associatifs imprvisibles et surprenants surgissentdans le cours des associations. Certaines reprsentations peuvent devenir soudaindisponibles et utilisables par des sujets lcoute des associations : ceux-l peuventtrouver le frayage de leurs reprsentations inconscientes vers le Prconscient. Leprocessus associatif dans le groupe fonctionne comme un dispositif demtabolisation qui rend possible la relance de lactivit du Prconscient en mettant profit toutes les ressources des processus primaires, secondaires et tertiaires.

    36Dans tout processus associatif, et ses modalits groupales le mettent en vidence,lactivit du Prconscient dun sujet se met en uvre ou sinhibe au contact delactivit psychique prconsciente de lautre : comme dans les premiers temps de ladiffrenciation de lappareil psychique, la formation du Prconscient est tributaire

  • VI. Propositions concernant les principes du fonctionnementpsychique dans les groupes

    de lautre, essentiellement de son activit de reprsentation de paroles adresses un autre. Cette fonction est primitivement soutenue par la mre lorsquelle seconstitue comme porte-parole vis--vis des stimulations internes et externes delenfant (de linfans, celui qui ne parle pas encore) : cest de cette manire et sur cemodle que la formation du Prconscient est fondamentalement lie lintersubjectivit.

    37Ces considrations ont un intrt clinique pour llaboration psychique desexpriences traumatiques : dans de nombreux cas, le groupe fonctionne comme unappareil de transformation de lexprience traumatique.

    38Par exemple, un membre du groupe fait surgir dans le processus associatif unereprsentation nigmatique lie son trauma. Si le dveloppement des associationsdes autres membres du groupe sorganise autour de cette nigme, en raison de cequelle mobilise en chacun, il ouvre au sujet une voie daccs son nigme. Pourautant que celui-ci sest rendu disponible leur discours dans une coute dattente,il trouve dans leurs associations le signifiant dont il a manqu. Cet effet daprs-coup est une exprience constante et spcifique du travail psychanalytique engroupe : la parole des uns ouvre pour les autres la voie au retour du refoul. Autreexemple : une femme laquelle une autre femme demande dtre sa porte-parole dans le groupe pour parler sa place dun aspect douloureux de sonhistoire prouve que la parole quelle profre au nom dune autre la concerne auplus vif de sa propre histoire. Le porte-parole parle la place dun autre, pour unautre, mais il parle aussi pour lautre qui est en lui : il trouve dans la parole delautre une reprsentation qui ne lui tait pas disponible.

    39Nous savons aujourdhui quun certain nombre de pathologies et de souffrancesintenses de la vie psychique sont lies de graves dfaillances dans lactivit duPrconscient. Ces pathologies peuvent tre traites dans un dispositifpsychanalytique de groupe : le travail du prconscient de lautre, de plus-dun-autre, son activit de figuration et de mise en reprsentation de paroles adresses un autre cre les conditions dune relance de lactivit de symbolisation.

    40Freud a dcrit plusieurs principes rgissant le fonctionnement de lappareilpsychique : tout dabord, le couple complmentaire et antagoniste que forment leprincipe de plaisir/dplaisir et le principe de ralit. Puis ces principes en sontadjoints deux autres : le principe de constance et le principe de Nirvana. Ces

  • principes sappliquent-ils dautres agencements de la vie psychique, au groupe et,plus gnralement, toute configuration de liens intersubjectifs ?

    41Nous avons dgag des recherches psychanalytiques sur les groupes sept principesfondamentaux organiss en couples complmentaires et antagonistes :

    421. le principe de plaisir/dplaisir : le groupe se constitue et se maintient enfournissant ses membres lvitement du dplaisir (lexcitation interne etmutuelle excessive, les blessures narcissiques, langoisse dtre abandonn,rejet, ou dtre sans assignation dans lespace groupal) ; il leur fournitaussi des expriences de plaisir, cest--dire la satisfaction des besoins etdes pulsions par linterliaison pulsionnelle : le plaisir dtre en groupe, deformer un tout, dtre protg, de recevoir une stimulation de pensergule. Ce principe conomique concourt mettre en uvre tous lesautres ;

    2. le principe dindiffrenciation/diffrenciation : le groupe se forme sur unfond dindiffrenciation des psychs, dont la matire premire se diffrencieprogressivement et par crises pour laisser place des diffrenciationsncessaires au dveloppement de la vie psychique de lensemble et desindividus. Ce principe peut tre dcrit partir du protomental et desprsupposs de base, des ples isomorphiques et homomorphiques delappareil psychique groupal, du co-soi et du soi groupal originaire. Il rgitla topique et la gense groupales ;

    3. le principe de dlimitation dedans/dehors : sous leffet du principe deplaisir/dplaisir, et en synergie avec le principe dediffrenciation/indiffrenciation, le groupe se forme en scrtant unefrontire entre le dedans et le dehors, une premire diffrenciationcontenant/contenu partir dun premier contenant, ou encore uneenveloppe qui spare et articule de manire plus ou moins fluide, poreuse etmallable les limites entre lespace groupal et les espaces subjectifssinguliers. Ce principe concerne la topique groupale ;

    4. le principe dautosuffisance/interdpendance : ce couple gre la formationde la spcificit de la ralit psychique groupale par rapport la ralitindividuelle et sociale ; il prside lorganisation interne du groupe, sousleffet des prsupposs de base, des organisateurs psychiques inconscients(fantasmes partags, signifiants communs, mtadfenses, alliancesinconscientes, narcissisme commun). Le ple de lautosuffisance sappuiesur lillusion groupale, les fantasmes dautoengendrement, les rveriesutopiques et les idologies autarciques. Le ple de linterdpendance estorganis par les effets de distinction sexuelle et gnrationnelle du

  • complexe ddipe. Ce principe accomplit une fonction de diffrenciationentre la ralit imaginaire et la ralit symbolique ;

    5. le principe de constance/transformation : il organise un antagonisme et unecomplmentarit entre la tendance du groupe maintenir une tensionminimale dans les excitations et les conflits intragroupes, et la tendance promouvoir la ralisation des composantes dynamiques des autresprincipes, notamment la capacit transformatrice du et dans le groupe. Ceprincipe conomique et dynamique est en synergie avec tous les autres ;

    6. le principe de rptition/sublimation est troitement associ lhypothsede la pulsion de mort : il gre donc la dimension conomique desautomatismes mis en place dans les groupes pour surmonter les expriencestraumatiques qui traversent lexprience collective. Totem et Tabou enpropose un modle : le passage de la Horde soumise la rptition dumeurtre au Groupe qui en trouve les modalits de dgagement par linterditdu meurtre du Pre exige le renoncement la ralisation directe des butspulsionnels, mais il ouvre aussi les voies daccomplissement symbolique lasublimation ;

    7. le principe de ralit soppose au couple plaisir/dplaisir : dans le groupe, ilest dfini par ce que Bion appelle le groupe de travail. Toutefois, ce principepossde la caractristique dtre infiltr par le discours et lesreprsentations inconscientes construits par le groupe. Le principe deralit dans sa forme radicale ne peut se construire que lorsque ladimension de la Loi sociale en est devenue le principe organisateur. Dansles groupes organiss par la mthode psychanalytique, la rglefondamentale participe la mise en uvre du principe de ralit.

    [1] Une affinit clinique et thorique associe de longue date lintrt des psychanalystes pour la psychoseet pour le groupe. On pense aux travaux de W. R. Bion, S. Resnik, P.-C. Racamier, N. Caparros,F. Corrao, G. Haag.

    [2] Sur la formation et les fonctions de lidologie dans les groupes, cf. R. Kas, LIdologie. tudespsychanalytiques, Paris, Dunod, 1980.

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