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STC 175 STCTTS 16 F rév.1 fin Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DES SCIENCES ET DES TECHNOLOGIES TERRORISME CHIMIQUE, BIOLOGIQUE, RADIOLOGIQUE ET NUCLÉAIRE : LA MONTÉE EN PUISSANCE DE DAECH ET LES DÉFIS À VENIR RAPPORT Maria MARTENS (Pays-Bas) Rapporteure

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STC175 STCTTS 16 F rév.1 finOriginal : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION DES SCIENCES ET DES TECHNOLOGIES

TERRORISME CHIMIQUE, BIOLOGIQUE, RADIOLOGIQUE ET NUCLÉAIRE :

LA MONTÉE EN PUISSANCE DE DAECH ET LES DÉFIS À VENIR

RAPPORT

Maria MARTENS (Pays-Bas)Rapporteure

Sous-commission sur les tendances technologiques et la sécurité

www.nato-pa.int 20 novembre 2016

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TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION......................................................................................................................1

II. ARSENAL CBRN UTILISABLE À DES FINS TERRORISTES.................................................2

III. EFFORTS DÉPLOYÉS PAR DAECH POUR SE PROCURER DES ARMES CBRN..............3

IV. PARADES INTERNATIONALES À LA MENACE TERRORISTE CBRN.................................6A. PRINCIPALES MESURES INTERNATIONALES...........................................................6B. MESURES PRISES PAR L’OTAN..................................................................................9C. MESURES PRISES PAR L’UNION EUROPÉENNE.....................................................10

V. SÉCURITÉ CBRN...................................................................................................................12VI. SCIENCES ET TECHNOLOGIES ÉMERGENTES ET ARMES CBRN.................................13

A. NANOTECHNOLOGIES................................................................................................16B. TECHNOLOGIE DES VÉHICULES SANS PILOTE......................................................17C. CYBERTECHNOLOGIES..............................................................................................17D. FABRICATION ADDITIVE.............................................................................................18

VII. CONCLUSIONS......................................................................................................................18

BIBLIOGRAPHIE CHOISIE....................................................................................................21

SIGLES ET ACRONYMES UTILISÉS

ADM Armes de destruction massiveAIEA Agence internationale de l’énergie atomique

CAS Chemical Abstract ServiceCBRN Chimique, biologique, radiologique et nucléaire CIABT Convention sur l’interdiction des armes biologiques ou à toxines CIAC Convention sur l’interdiction des armes chimiquesOIAC Organisation pour l’interdiction des armes chimiquesONU Organisation des Nations uniesSSN Sommet sur la sécurité nucléaireUE Union européenne

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I. INTRODUCTION

1. Deux jours après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le Premier ministre français, Manuel Valls, a déclaré devant l’Assemblée nationale : « Je le dis bien sûr avec toutes les précautions qui s’imposent, mais nous savons et nous l’avons à l’esprit, il peut y avoir aussi le risque d’armes chimiques ou bactériologiques ».  Des avertissements similaires ont été lancés par d’autres dirigeants, dont l’ex-Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron. En effet, l’organisation terroriste Daech1 emploie sur le terrain, en Iraq et en Syrie, des armes chimiques de qualité militaire. Cela faisait plus de 20 ans – depuis l’attentat commis dans le métro de Tokyo par la secte de Aum Shinrikyo, en 1995 – qu’un acteur non étatique n’avait pas agi de la sorte.

2. Comme le montre la série d’attentats récemment perpétrés dans des pays membres de l’OTAN, les terroristes continuent à privilégier les armes classiques ou improvisées : ils n’ont guère de mal à s’en procurer ou à en fabriquer, et ils peuvent les utiliser aisément pour provoquer des dommages humains et psychologiques considérables. Il n’empêche que les organisations terroristes les plus dangereuses du moment ont l’intention avouée de se doter d’armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN).

3. L’histoire montre que seuls quelques individus ou acteurs non étatiques ont essayé jusqu’ici d’élaborer de telles armes ; de surcroît, ceux qui disposaient de certaines compétences en la matière ont le plus souvent échoué dans leurs tentatives et ceux qui sont parvenus à commettre un attentat en recourant à des moyens CBRN ont fait peu de victimes par comparaison à un attentat classique. Malgré tout, deux faits spécifiques exigent un regain de vigilance de la part de la communauté internationale : en premier lieu, l’expansion de Daech en Iraq, en Syrie et au-delà pose d’épineux problèmes CBRN ; en second lieu, les connaissances scientifiques, la technologie et les matières – tant anciennes que récentes – nécessaires à la fabrication d’armes de ce type sont de plus en plus facilement accessibles, tandis que leur prix baisse et que leur utilisation se simplifie. La communauté internationale ne saurait faire montre de complaisance face à ces nouveaux défis.

4. Dans le contexte de l’OTAN, les Alliés travaillent au développement de leurs capacités de protection face à la menace d’une attaque CBRN, que celle-ci provienne d’un État adverse ou d’un acteur non étatique. L’Alliance a évoqué pour la première fois le risque de voir des armes CBRN tomber aux mains de terroristes dans la directive politique globale de 2006, qui constitue le cadre et le cap politique juste en deçà du concept stratégique. Dans le concept stratégique de 2010, les Alliés observent que « [d]es groupes extrémistes continuent de se propager, ou de se développer, dans des régions d’importance stratégique pour l’Alliance, et la technologie moderne accroît la menace et l’impact potentiel d’attaques terroristes, notamment si ces groupes devaient acquérir des capacités nucléaires, chimiques, biologiques ou radiologiques ». En 2014, au sommet du pays de Galles, ils ont répété que « [l]a prolifération des armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive et de leurs vecteurs par des acteurs étatiques ou non étatiques continue de faire peser une menace sur les populations, le territoire et les forces de nos pays ». Au sommet de Varsovie, en 2016, les Alliés en sont une fois de plus arrivés à cette conclusion. Ils ont toutefois ajouté que « [l]’utilisation persistante d’armes chimiques en Iraq et en Syrie, que nous condamnons, souligne encore le caractère évolutif et croissant de la menace ADM qui pèse sur l’Alliance ».

5. Le présent rapport a pour objet d’alimenter le débat parlementaire transatlantique sur les périls du terrorisme CBRN et sur les parades requises. Loin de se vouloir exhaustif, il se concentre sur les problèmes actuels et futurs les plus pressants. Il analyse et passe en revue les armes CBRN dont pourraient se servir les terroristes, les efforts déployés par Daech pour se doter de telles armes, les principales ripostes internationales à la menace terroriste CBRN, la sécurité CBRN ainsi que les incidences potentielles des sciences et technologies émergentes sur le terrorisme CBRN. La commission des sciences et des technologies (STC) a examiné la version

1 Acronyme arabe utilisé pour désigner l’organisation terroriste “État islamique” (EI)

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provisoire du présent rapport à sa session de printemps, à Tirana, qui s’est tenue le 29 mai 2016. Depuis lors, le projet de rapport a été mis à jour, débattu et adopté lors de la réunion que la STC a tenu à l’occasion de la session annuelle de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, le dimanche 20 novembre 2016.

II. ARSENAL CBRN UTILISABLE À DES FINS TERRORISTES

6. Bon nombre des principales organisations terroristes en activité – à commencer par al-Qaida et Daech – sont séduites par les effets potentiels d’attentats mettant en œuvre des armes CBRN : lourdes pertes humaines, choc psychologique massif, perturbations sociétales et pertes financières. Pourtant, elles doivent encore franchir d’imposants obstacles pour acheter, voler ou fabriquer ce type d’armes, puis trouver les bonnes occasions et méthodes pour les utiliser.

7. L’expression « armes de destruction massive (ADM) » s’emploie couramment pour décrire les armes CBRN. Elle peut cependant induire en erreur, car toutes les armes CBRN ne provoquent pas de destructions massives. Pour ce faire, de grandes quantités d’agents chimiques sont nécessaires. Il se peut donc que seules les perturbations sociétales et les retombées psychologiques d’un attentat CBRN soient massives. En outre, les armes actuelles susceptibles de faire de nombreuses victimes, comme les explosifs à grande puissance et les munitions incendiaires, n’entrent normalement pas dans la définition des ADM. Pour plus de clarté, on utilisera donc ici l’expression « armes CBRN ».

8. Les armes CBRN ne forment pas un tout monolithique ou uniforme. Elles varient beaucoup entre elles et chaque catégorie (« armes chimiques », « armes biologiques », « armes radiologiques » et « armes nucléaires ») se divise en plusieurs sous-catégories. Ainsi, elles peuvent différer par leur complexité ou leur coût de fabrication, par leur difficulté d’acquisition, de manipulation et d’utilisation (vecteurs, moyens de dispersion), par leur efficacité, par les pires conséquences envisageables pour chacune d’elles et par leurs effets (tactiques ou stratégiques). En mars 2016, le conseil consultatif autrichien a fourni à son gouvernement une analyse portant sur 13 menaces CBRN distinctes en fonction de deux grands critères – impact et vraisemblance – et huit sous-critères. En résumé, toute analyse doit donc dissocier soigneusement les différentes menaces CBRN les unes des autres.

9. Au niveau le plus élémentaire, on trouve quatre types d’attentats chimiques possibles2. Des terroristes pourraient :

- militariser des agents chimiques civils ou de qualité militaire en les plaçant par exemple dans des obus de mortier ou tout simplement dans des barils largués d’un hélicoptère ;

- attaquer ou saboter une usine de produits chimiques en vue de la dispersion de grandes quantités d’agents chimiques dans l’environnement ;

- utiliser des méthodes de vectorisation improvisées comme des containeurs percés ou la contamination de l’eau courante ou des denrées alimentaires ; ou

- utiliser des agents chimiques pour des assassinats ciblés.

2 Selon la définition consacrée dans la Convention sur les armes chimiques : on entend par « armes chimiques » les éléments ci-après, pris ensemble ou séparément : a)  les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs, à l'exception de ceux qui sont destinés à des fins non interdites par la présente Convention, aussi longtemps que les types et quantités en jeu sont compatibles avec de telles fins ; b) les munitions et dispositifs spécifiquement conçus pour provoquer la mort ou d'autres dommages par l'action toxique des produits chimiques toxiques définis à l'alinéa a), qui seraient libérés du fait de l'emploi de ces munitions et dispositifs ; c)  tout matériel spécifiquement conçu pour être utilisé en liaison directe avec l'emploi des munitions et dispositifs définis à l'alinéa b).

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10. Dans le cas d’un attentat biologique, des terroristes pourraient intentionnellement disperser un agent pathogène – c’est à dire un agent biologique provoquant une maladie – ou une biotoxine, c’est-à-dire un poison sécrété par des organismes vivants3. Les armes biologiques peuvent être fabriquées en laboratoire ou trouvées dans la nature. Certains agents pathogènes ou biotoxines, comme le bacille du charbon ou la toxine botulique, ne sont dangereux que pour les personnes spécifiquement visées. D’autres, comme le virus de la variole ou le virus Ébola, sont contagieux et peuvent provoquer des épidémies, voire des pandémies, si la contamination n’est pas correctement endiguée. La différence capitale avec les armes chimiques, radiologiques ou nucléaires est que les terroristes eux-mêmes peuvent servir de vecteur. S’ils consentent à mourir dans un attentat-suicide, rien ne les empêche de s’auto-contaminer avec un pathogène et de propager la maladie dans la zone visée.

11. Avec les armes radiologiques, ce sont des méthodes conventionnelles qui servent à disperser les matières radiologiques. En d’autres termes, un attentat radiologique consiste à disperser de telles matières par d’autres moyens qu’une arme nucléaire. Si, en lui-même, un attentat radiologique est peu susceptible de causer la mort immédiate d’un grand nombre de personnes, la contamination et les effets psychologiques pourraient être graves. Il existe trois types d’armes radiologiques :

- les dispositifs de dispersion radiologique : souvent surnommé « bombe sale », un dispositif de dispersion radiologique est un engin explosif improvisé (EEI) ou classique chargé de matières radiologiques. Une fois qu’il a explosé, celles-ci se dispersent dans la zone prise pour cible ;

- les dispositifs émetteurs de radiations : comme leur nom l’indique, il s’agit de dispositifs qui émettent simplement des radiations et qui peuvent être déployés aussi bien pour procéder à des assassinats ciblés que pour irradier toute une zone ;

- les dispositifs incendiaires radiologiques : il s’agit de dispositifs combinant explosifs et matières incendiaires et radiologiques, de manière à compliquer les premiers secours.

12. Il existe une autre forme d’attentat radiologique, toutefois indirecte, dans laquelle des terroristes pourraient attaquer ou saboter une installation nucléaire dans le but de causer la dispersion de matières radiologiques sur une zone étendue.

13. Une arme nucléaire est un dispositif causant une explosion nucléaire, produite soit par fission nucléaire soit par association de la fission et de la fusion nucléaires. Contrairement aux armes radiologiques, un attentat nucléaire pourrait occasionner un grand nombre de victimes et d’importants dommages infrastructuraux en plus d’être susceptible d’entraîner une contamination et des conséquences psychologiques à grande échelle. Un attentat nucléaire par un groupe terroriste supposerait la détonation d’une arme nucléaire, c’est-à-dire d’une arme munie d’une charge mettant en œuvre les forces destructrices de l’énergie nucléaire.

III. EFFORTS DÉPLOYÉS PAR DAECH POUR SE PROCURER DES ARMES CBRN

14. Durant les deux décennies écoulées, al-Qaida a été la principale organisation terroriste désireuse d’acquérir des armes CBRN. Elle n’y a pas renoncé mais, depuis quelques années, elle reste sur la défensive. Al-Qaida n’en représente pas moins une menace CBRN qui ne saurait être négligée, d’autant que, poussée par sa rivalité avec Daech, elle pourrait ressentir le besoin de se

3 La convention sur les armes biologiques ou à toxines a interdit aux États parties de mettre au point, fabriquer, stocker, ou acquérir d'une manière ou d'une autre ou de conserver : 1) des agents microbiologiques ou autres agents biologiques, ainsi que des toxines quels qu'en soient l'origine ou le mode de production, de types et en quantités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d'autres fins pacifiques ; 2) des armes, de l'équipement ou des vecteurs destinés à l'emploi de tels agents ou toxines à des fins hostiles ou dans des conflits armés.

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distinguer par un coup d’éclat. Cependant, ses démarches dans ce sens sont notoires et dûment consignées dans de nombreux documents, dont de précédents rapports de la STC, et depuis que celle-ci a examiné la question pour la dernière fois, peu d’informations nouvelles ont été publiées à ce sujet. Aussi la présente section se concentrera-t-elle plutôt sur les efforts déployés par Daech pour se procurer des armes CBRN, dès lors qu’il s’agit peut-être actuellement de la plus grave menace de cette nature pour la zone euro-atlantique.

15. Depuis que Daech cherche à s’étendre au-delà de l’Iraq et de la Syrie par le biais d’attentats en Europe, aux États-Unis et en Asie, le groupe terroriste a prouvé qu’il était devenu un réseau clandestin capable de commettre des attentats très meurtriers. Selon la plupart des estimations, plus d’un millier de personnes ont perdu la vie dans des attentats de Daech en 2015 et, pour les six premiers mois de cette année, le bilan s’élève déjà à plus de 500 morts dans le monde entier. Vu leur si tragique réussite, sans doute les attentats conventionnels, se caractérisant par des innovations opérationnelles considérables, resteront-ils le modus operandi de cette organisation terroriste.

16. Les risques d’un attentat CBRN signé par Daech ont augmenté essentiellement en raison de divers facteurs sous-jacents. Premièrement, Daech recrute largement parmi les diplômés universitaires, dont certains ont acquis de l’expérience dans le domaine des armes CBRN. Deuxièmement, un attentat CBRN réussi permettrait à Daech de cultiver son image d’un groupe sans pitié, ce qui s’inscrirait parfaitement dans sa stratégie médiatique. Troisièmement, en dépit de récents revers, il continue d’avoir accès à de considérables ressources financières. Quatrièmement, il contrôle de vastes pans de territoire où sont implantées des installations industrielles perfectionnées lui offrant un refuge sûr pour opérer librement. L’accès à des équipements et à des installations CBRN est un élément qui permet de distinguer Daech d’al-Qaida, dont les aspirations CBRN aurait pâti du fait qu’il n’en disposait pas. Daech a déjà utilisé des armes chimiques en Iraq et en Syrie, mais on redoute de plus en plus qu’il ne renvoie les combattants étrangers chez eux pour y commettre des attentats CBRN ou qu’il ne charge des terroristes endogènes d’agir en son nom.

17. Daech a bien montré qu’il voulait renforcer encore ses capacités CBRN. Sur les territoires qu’il contrôle en Iraq et en Syrie, il aurait créé une unité spécialement chargée de la fabrication d’armes chimiques. Le groupe s’appuie sur l’expérience d’anciens responsables sous le régime de Saddam Hussein ainsi que sur des spécialistes étrangers venus, entre autres, de Tchétchénie ou d’Asie du Sud-Est. L’administration états-unienne pense qu’il a utilisé des armes chimiques à une douzaine d’occasions au moins en Syrie et en Iraq. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), qui est chargée de veiller à l’application de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC), a officiellement confirmé l’emploi de gaz moutarde en Iraq par un acteur non étatique. Bien qu’il n’entrait pas dans ses attributions de désigner les responsables, il est très vraisemblable que cet acteur ait été Daech. Dans le cadre d’une enquête conjointe avec l’ONU sur les attaques en Syrie, l’OIAC aurait désigné Daech comme étant le seul acteur susceptible d’avoir pu perpétrer une attaque au gaz moutarde à Marea en août 2015. En outre, les autorités marocaines affirment que Daech planifiait une attaque aux armes chimiques dans le pays début 2016. Lors d’un raid contre une cellule terroriste liée au groupe, elles ont trouvé des manuels de fabrication d’armes chimiques.

18. Jusqu’ici, l’organisation terroriste a utilisé du gaz chloré et une forme impure de gaz moutarde vectorisés par les EEI, des mortiers, des roquettes et des missiles. Ces deux agents – du moins tels qu’ils sont actuellement employés par Daech – sont des armes de terreur plutôt que des ADM, car leur concentration n’est pas assez élevée pour tuer des adultes en bonne santé. Ces attaques à l’arme chimique ont effectivement fait peu de victimes et des responsables états-uniens ont souligné que, lorsque Daech a eu recours à des armes chimiques, les morts étaient dues aux tirs d’artillerie proprement dits, et non à l’inhalation de gaz.19. On sait très peu de choses sur la taille des installations dont dispose Daech pour la fabrication d’armes chimiques. Certains experts estiment qu’une bonne partie du gaz moutarde

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semble bien avoir été dérobée des anciens stocks de Saddam Hussein : des obus remplis de ce gaz avaient été scellés dans des casemates en Iraq, car ils étaient jugés trop instables pour être déplacés ou détruits en toute sécurité. Il se pourrait que Daech utilise ces obus détériorés. En février 2016, des forces spéciales états-uniennes et des agents des services du renseignement iraquiens ont capturé Daoud al-Afari, un concepteur clé d’armes chimiques travaillant en Iraq pour le compte de l’organisation terroriste. Al-Afari aurait servi en tant qu’ingénieur industriel dans les forces armées iraquiennes à l’époque de Saddam Hussein. Les renseignements obtenus d’al-Afari ont confirmé que Daech avait militarisé du gaz moutarde en le plaçant dans des obus d’artillerie. Daech aurait également utilisé comme armes des produits industriels toxiques et des substances agrochimiques, par exemple des insecticides. Daech se serait emparé de stocks d’armes chimiques en Syrie, mais on ne sait pas dans quelle mesure il a accès à des usines chimiques. Un tel risque existe certainement puisque des lacunes, des incohérences et des disparités subsistent en ce qui concerne les installations, activités et les munitions d’armes chimiques ainsi que les produits chimiques présents en Syrie. À l’heure actuelle en effet, l’OIAC n’est pas en mesure de vérifier pleinement que la déclaration de la Syrie et les communications y afférentes soient exactes et complètes. Pour l’instant, les spécialistes ne pensent toutefois pas que Daech ait les moyens de lancer des attaques chimiques de grande envergure : il dispose sans nul doute de ressources sous diverses formes (connaissances, matériel, matières premières, chaîne d’approvisionnement partielle), mais toutes ces ressources sont limitées, de sorte qu’il est encore loin de pouvoir mettre en chantier un véritable programme de fabrication d’armes chimiques.

20. Récemment, la coalition anti-Daech a multiplié les frappes aériennes et les assauts contre les installations chimiques aux mains de Daech. Il semblerait que, début 2016, elle ait pu mener, sur la base des renseignements obtenus d’al-Afari, au moins deux frappes aériennes contre des installations chimiques de l’organisation terroriste en Iraq. En septembre 2016, les États-Unis ont conduit une opération contre 50 cibles proches de Mossoul à l’aide de bombardiers B-52 et de chasseurs F-18D. Washington a déclaré que la zone ciblée était un complexe pharmaceutique que Daech avait converti en une importante installation de fabrication d’armes chimiques.

21. En 2016, Daech a utilisé de plus en plus souvent des armes chimiques dans le nord de l’Iraq, où les forces kurdes locales et les forces gouvernementales prennent le dessus. De l’avis de certains analystes militaires, le recours plus fréquent aux armes chimiques par Daech trahit la faiblesse de ce dernier sur le champ de bataille. D’autres estiment que Daech utilise les armes chimiques comme un moyen tactique visant à affaiblir les fronts. Néanmoins, s’il s’avère que c’est la première de ces théories qui est la bonne, cela pourrait alors augmenter encore les risques pour la communauté euro-atlantique : en effet, les spécialistes considèrent déjà que la multiplication des attentats commis par Daech en Europe est le signe de sa perte de vitesse en Syrie et en Iraq.

22. Il serait difficile – mais pas impossible – pour Daech d’introduire clandestinement des agents chimiques ou leurs vecteurs dans un pays membre de l’OTAN. S’il peut se révéler ardu de procéder au transfert du matériel et des composants nécessaires à la fabrication d’armes chimiques, l’expertise technique peut quant à elle se transmettre. L’organisation terroriste explique par exemple sur les réseaux sociaux de quelle façon ses sympathisants peuvent utiliser le cyanure et l’acide sulfurique pour commettre des attentats ciblés de petite envergure sur le sol américain. En outre, l’expertise acquise en Iraq et en Syrie pourrait être transmise à des agents opérationnels en Europe. Daech n’a pas nécessairement besoin de transférer en Europe des produits chimiques pour les militariser vu que ceux-ci y sont déjà largement disponibles. Le groupe pourrait cibler des installations industrielles pour se procurer de tels produits. Il pourrait aussi infiltrer ou attaquer de telles installations pour libérer des substances chimiques dans l’environnement.

23. Un ordinateur portable saisi en 2014 sur un membre tunisien de Daech contenait des instructions pour la fabrication d’armes biologiques mettant en œuvre, entre autres, le virus de la peste bubonique. En fait, certains experts estiment que le groupe n’aurait pas trop de mal à se procurer les bioréacteurs et les pulvérisateurs agricoles requis pour utiliser comme une arme des pathogènes présents dans la nature. Mais l’obtention des connaissances scientifiques nécessaires

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à la fabrication d’armes biologiques plus complexes poserait sans doute plus de problèmes au groupe, comme l’ont montré dans les années1990 les tentatives infructueuses d’Aum Shinrikyo.

24. Des experts se sont inquiétés des tentatives de Daech pour mettre également la main sur des matières radiologiques. En juin 2015, les services du renseignement australiens ont affirmé que l’organisation terroriste en avait récolté assez pour pouvoir fabriquer un dispositif de dispersion radiologique. Elle s’est emparée d’uranium enrichi à l’Université de Mossoul lorsqu’elle a pris la ville et les autorités iraquiennes craignent qu’elle ne se soit également procuré dix grammes d’iridium 192, un isotope radioactif extrêmement dangereux. Par ailleurs, Daech a procédé à la surveillance de sites nucléaires en Europe. Les services antiterroristes belges ont découvert chez des suspects impliqués dans les attentats de Paris plus de dix heures d’enregistrements vidéo montrant les allées et venues du responsable de la recherche et du développement nucléaire en Belgique. On ne connaît pas avec certitude le but de cette surveillance : Daech aurait pu fomenter l’enlèvement du scientifique pour avoir accès à des matières radiologiques ou à une installation nucléaire. Des éléments découverts au domicile de l’un des terroristes impliqués dans les attentats de Paris ont révélé que celui-ci avait rassemblé des informations sur le centre de recherche Juliers, qui se situe dans le nord-ouest de l’Allemagne. Le centre sert actuellement à l’entreposage de déchets radiologiques. Qui plus est, dans un numéro de 2015 de sa revue, Dabiq, Daech annonce son intention d’acheter des armes nucléaires au Pakistan. Les spécialistes jugent cependant qu’il s’agit là d’une propagande sans fondement.

IV. PARADES INTERNATIONALES À LA MENACE TERRORISTE CBRN

25. Faire pièce à une attaque CBRN lancée par un acteur non étatique exige une intervention pratique aux niveaux international (traités de coopération multinationaux), national et local. Pour ce qui est des traités, la CIAC, la Convention sur l’interdiction des armes biologiques ou à toxines (CIABT) et le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) constituent le fondement des efforts de la communauté internationale en matière de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération. Pourtant, l’acquisition d’armes CBRN par des acteurs non étatiques ne figure pas au cœur de ces instruments, puisque ceux-ci régissent avant tout le comportement des États. Par conséquent, la présente section décrit les principales mesures prises à l’échelon multinational ou international – y compris au sein de l’OTAN et de l’Union européenne – pour faire pièce au terrorisme CBRN.

A. PRINCIPALES MESURES INTERNATIONALES

26. Grâce à son nombre élevé de membres, la CIABT est dans une position unique lui permettant de promouvoir la sécurité chimique à l’échelle mondiale. En juin 2016, elle a suggéré des étapes visant à soutenir les États parties dans leurs activités de lutte contre le terrorisme, à savoir, notamment, faciliter l’échange des meilleures pratiques et créer un réseau international spécialisé dans la sécurité chimique associant à la fois des acteurs étatiques et non étatiques et prévoyant une aide aux États parties. En mai 2016, le secrétariat technique de la CIABT a décidé que les dispositions de l’article VI de la CIAC relatives aux « mesures nécessaires » visant à assurer un usage légal des produits chimiques s’appliquaient aux activités de lutte contre le terrorisme. La CIABT a estimé que ces dispositions exigeaient des États parties qu’ils empêchent les terroristes d’avoir accès aux produits chimiques et qu’ils recherchent comment la CIAC peut contribuer aux activités de lutte contre le terrorisme en s’appuyant sur les mécanismes existants.

27. En 2004, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité la résolution 1540 sur la non-prolifération des ADM, laquelle fait obligation aux États « de s’abstenir d’apporter un appui, quelle qu’en soit la forme, à des acteurs non étatiques qui tenteraient de mettre au point, de se procurer, de fabriquer, de posséder, de transporter, de transférer ou d’utiliser des armes nucléaires, chimiques ou biologiques ou leurs vecteurs », d’une part, et d’adopter des règles et règlements nationaux propres à empêcher une telle prolifération, d’autre part. Un « Comité 1540 »

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a été chargé d’obtenir auprès des États des rapports complets sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre des dispositions obligatoires de la résolution, dont la validité a été prolongée en 2011 pour une durée de dix ans. Un examen approfondi de la résolution a été lancé en 2016. Dans ses observations liminaires, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a mis l’accent sur la nécessité de renforcer la sécurité CBRN et de se prémunir contre l’utilisation abusive de la technologie par des acteurs non étatiques.

28. En juin 2002, le G8 a décidé de la création d’un Partenariat mondial contre la prolifération des ADM et des matières connexes (PMG8) d’une durée de dix ans et doté d’un budget de 20 milliards de dollars : il s’agit de prendre des mesures efficaces pour empêcher des organisations terroristes ou des États les soutenant de se procurer ou de mettre au point des armes CBRN. Depuis lors, le nombre de parties au PMG8 est passé à 29. En 2011, le G8 a décidé de prolonger la durée du Partenariat de dix années supplémentaires et de lui consacrer 20 milliards de dollars de plus. En parallèle au PMG8, un Groupe sur la sûreté et la sécurité nucléaires (GSSN) a été mis sur pied ; sa mission consiste à fournir des avis techniquement fondés pour l’élaboration d’une stratégie susceptible d’impacter la sûreté et la sécurité dans le contexte de l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques.

29. L’Initiative de sécurité contre la prolifération (PSI), lancée en 2003, vise à mettre un terme au trafic d’armes CBRN, de leurs vecteurs et de matières connexes en provenance ou à destination d’États et d’acteurs non étatiques suscitant des préoccupations en matière de prolifération. Cent cinq pays ont souscrit à cette initiative informelle qui a pour objet de débusquer et d’éliminer les marchés noirs de composants CBRN grâce, notamment, à l’interception de marchandises illicites. Les parties ont pris l’engagement d’intervenir au besoin en mer, dans les airs ou sur terre pour contribuer à empêcher le commerce de produits dangereux et à saisir les produits en question, ainsi que de partager spontanément entre eux les informations pertinentes dont ils disposeraient.

30. Interpol mène diverses opérations dans le domaine CBRN. Le Programme de lutte contre le trafic de substances chimiques (Chemical Anti-Smuggling Enforcement) est une « initiative d’envergure mondiale visant à combatte le trafic international de substances chimiques utilisées dans la fabrication d’armes conçues pour tuer et blesser sans discernement ». L’opération « Sécurité, sûreté, surveillance des matières microbiologiques et technologies émergentes » a été lancée pour améliorer la sûreté et la sécurité des matières biologiques et pour instaurer ou améliorer la surveillance épidémiologique dans les régions où elle est le plus nécessaire. Quant à l’opération Fail Safe, elle vise à réunir des informations sur les personnes connues pour être impliquées dans le trafic de matières radioactives ou soupçonnées de l’être.

31. Le Groupe d’Australie est une entité informelle de 42 pays – au nombre desquels figurent tous les États membres de l’Union européenne, le Canada, la Norvège, la Turquie et les États-Unis – qui collaborent entre eux à l’harmonisation des contrôles des exportations pour garantir que celles-ci ne contribuent pas à la fabrication d’armes chimiques ou biologiques. Ce Groupe se réunit chaque année pour discuter de la façon dont les mesures relatives aux licences d’exportation nationales pourraient être rendues plus efficaces dans le contexte de la lutte contre la prolifération. Lors de l’édition 2016 de sa réunion annuelle, le groupe a décidé d’axer davantage ses travaux sur le rôle des technologies émergentes dans la fabrication d’armes chimiques et biologiques ainsi que sur le problème du terrorisme chimique et biologique.

32. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) travaille à divers aspects de la sûreté et de la sécurité biologique. Elle dispose d’instruments, tel le Réseau mondial d’alerte et d’action en cas d’épidémie, pour le traitement d’épidémies d’ampleur internationale. En outre, l’OMS a mis à la disposition des primo-intervenants du matériel de traitement pour les personnes victimes d’une exposition à des agents chimiques et biologiques.

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33. Le Programme d’action pour la sécurité sanitaire mondiale, lancé en 2014, est un partenariat en plein essor qui rassemble près de 50 pays, organisations internationales et parties prenantes non gouvernementales ; il œuvre à la construction de capacités nationales propices à la création d’un monde qui soit à l’abri des maladies infectieuses et à l’amélioration de la sécurité sanitaire à l’échelle de la planète. Il aide aussi à renforcer les moyens de prévention, de détection et d’éradication des maladies infectieuses animales et humaines, qu’elles soient d’origine naturelle, accidentelle ou criminelle.

34. En 2005, l’Assemblée générale de l’ONU a entériné la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, laquelle oblige les États parties à coopérer pour prévenir les actes de terrorisme radiologique ou nucléaire et en poursuivre les auteurs.

35. La Convention de 1980 sur la protection physique des matières nucléaires est le seul instrument international juridiquement contraignant qui régisse la protection physique des matières nucléaires, mais seulement pendant leur transport d’un pays à l’autre. En 2016, un amendement a été ratifié en vertu duquel les États parties sont juridiquement contraints de protéger toutes les installations et matières nucléaires employées à des fins pacifiques en cours d’utilisation, de stockage ou de transport. Il a étendu le texte aux infractions de vol et de trafic de matières nucléaires ainsi que de sabotage d’installations nucléaires. En outre, la convention favorise le partage d’informations entre les États parties.

36. L’AIEA fournit une multitude de recommandations, normes et services pour favoriser la sûreté et la sécurité nucléaires, tels que son Plan d’action sur la sûreté nucléaire, ses principes fondamentaux et ses recommandations en matière de sécurité nucléaire, mais aussi cinq conventions, sur la sûreté nucléaire, radiologique, du transport et des déchets. Aucun de ces textes n’est juridiquement contraignant pour les pays membres de l’Agence. Celle-ci dispose aussi d’un Service consultatif international pour la protection physique qui permet l’échange d’avis entre pairs sur l’application des instruments internationaux et sur la protection des matières nucléaires et autres matières radioactives ainsi que des installations connexes.

37. L’Initiative mondiale de lutte contre le terrorisme nucléaire est un partenariat international dont les membres s’engagent à titre volontaire à renforcer les moyens mondiaux propres à prévenir et détecter le terrorisme nucléaire et à y riposter. Elle rassemble actuellement 86 pays et cinq organisations internationales et mène des activités multilatérales visant à renforcer les plans, les politiques, les procédures et l’interopérabilité de ses membres.

38. Dans le contexte de la Conférence du désarmement menée sous les auspices de l’ONU, 65 États examinent l’opportunité de proposer un traité interdisant la production des deux principales matières fissiles – l’uranium fortement enrichi et le plutonium – entrant dans la composition des armes nucléaires. Toutefois, les discussions sont au point mort depuis des années en raison de l’attitude du Pakistan : ce pays prétend en effet qu’il se retrouverait en état d’infériorité par rapport à son voisin indien dès lors que ce traité ne porterait pas sur les arsenaux existants. Prenant au dépourvu de nombreux observateurs, la Russie a présenté, lors du cycle de discussion de 2016 de la Conférence du désarmement, un projet de convention relative à la suppression du terrorisme chimique et biologique et elle a fait état de sérieuses lacunes dans le cadre international. Plusieurs États, dont de nombreux Alliés, se sont prononcés contre la proposition russe en l’état, et ils ont notamment affirmé que le problème du terrorisme biologique et chimique n’était pas l’absence d’instruments juridiques mais l’absence de mise en œuvre des traités et instruments existants, qui sont énumérés dans la présente section. Il subsiste en outre bien des questions. On ne sait pas avec certitude à quel point la Russie est déterminée à négocier une telle convention étant donné que la Conférence du désarmement n’est pas parvenue à établir la moindre convention depuis le milieu des années 90 ; on ne sait pas non plus si la Conférence du désarmement se prête à l’introduction d’une convention sur le terrorisme (et non sur le désarmement), ni si la formulation vague proposée par la Russie ne risquerait pas de fragiliser la

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norme universelle stricte et les obligations juridiquement contraignantes en matière d’interdiction des armes chimiques et biologiques.

39. Dans son célèbre discours de Prague, en 2009, Barack Obama avait demandé la tenue d’un sommet mondial sur la sécurité nucléaire, démarche qui contribuerait à mettre en sécurité toutes les matières nucléaires vulnérables dans le monde en l’espace de quatre années. Quatre sommets sur la sécurité nucléaire (SSN) se sont tenus sur ce thème depuis lors (à Washington DC en 2010, à Séoul en 2012, à La Haye en 2014 et de nouveau à Washington DC en 2016). D’importants objectifs figuraient à leur ordre du jour, dont la minimisation et la mise en sécurité des matières nucléaires à usage militaire, le resserrement de la coopération internationale dans la prévention de l’acquisition illicite de matières nucléaires par des acteurs non étatiques – et, surtout, par des groupes terroristes ou des filières criminelles organisées – et la prise de mesures pour renforcer le régime mondial de la sécurité nucléaire. Les États ayant participé aux sommets ont essentiellement pris des engagements nationaux et se sont répartis entre groupes de plus petite taille pour poursuivre ces objectifs. Le sommet de Washington de cette année était le dernier ; il a débouché sur des plans d’action et des initiatives grâce auxquels les travaux entamés lors des sommets pourront se poursuivre à l’ONU, mais aussi au sein de l’AIEA, d’Interpol, du PMG8 et de l’Initiative mondiale de lutte contre le terrorisme nucléaire.

B. MESURES PRISES PAR L’OTAN

40. La prolifération et l’utilisation potentielle d’armes CBRN ainsi que leur éventuelle acquisition par des acteurs non étatiques sont considérées comme autant de menaces majeures par l’Alliance. L’OTAN œuvre à la prévention de la prolifération de ces armes due à des acteurs étatiques ou non étatiques grâce à un programme de contrôle des armements, de désarmement et de non-prolifération et par le développement et l’harmonisation de capacités de défense. Si l’Alliance venait à être la cible d’une attaque ADM, elle serait prête pour une action de rétablissement par le biais d’une approche militaire, politique et civile. Son programme de lutte contre le terrorisme vise à améliorer la perception de la menace, à élaborer des moyens de s’y préparer et d’y riposter, et à coopérer avec des partenaires et des organisations internationales. À l’OTAN, le Centre de non-prolifération des ADM et la section du contre-terrorisme – qui font partie de la division Défis de sécurité émergents – sont au cœur du combat contre le terrorisme CBRN.

41. Sur le plan de la lutte contre le terrorisme, l’OTAN continue d’accroître sa connaissance de la menace terroriste par des consultations, le partage du renseignement entre pays membres partenaires et organisations internationales, de même que par des analyses et des évaluations stratégiques. L’Unité de liaison pour le renseignement est la principale entité chargée de la surveillance au sein de l’OTAN. À propos du partage du renseignement, les Alliés ont pris une décision importante lors du sommet de Varsovie, en 2016 : Ils ont déclaré que « la réforme du renseignement à l'OTAN doit être un processus continu et dynamique », l’importance du renseignement dans les activités de l’OTAN ne cessant de croître. Les Alliés ont par conséquent décidé de créer une division civilo-militaire Renseignement et sécurité, avec, à sa tête, un secrétaire général adjoint pour le renseignement et la sécurité. Celui-ci « dirigera les activités de l'OTAN en matière de renseignement et de sécurité, et veillera à mieux tirer parti des ressources existantes et du personnel en place, tout en optimisant l'exploitation du renseignement fourni par les Alliés ». Votre rapporteure applaudit cette nouvelle initiative et espère qu’elle facilitera le partage de l’information en matière de menaces CBRN. Le développement de capacités et de technologies novatrices axées sur les menaces asymétriques et terroristes se déroule essentiellement dans le contexte du programme de travail pour la défense contre le terrorisme. La coopération extérieure est régie par divers accords conclus avec des partenaires et des organisations internationales. Les partenaires intéressés sont encouragés à inclure un chapitre sur la lutte contre le terrorisme dans leurs accords de coopération avec l’OTAN, par exemple. Dans l’optique du présent rapport, il pourrait être utile que l’OTAN encourage en outre l’insertion d’une section sur la lutte contre le terrorisme CBRN, en particulier lorsqu’elle signe de tels accords avec des pays se situant dans des régions à haut risque comme le Moyen-Orient ou l’Afrique du Nord.

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Au niveau international, l’OTAN collabore, entre autres, avec l’Union européenne, l’ONU et l’OSCE. Son programme pour la science au service de la paix et de la sécurité (SPS), dans le cadre duquel scientifiques et spécialistes des pays alliés et partenaires travaillent ensemble, insiste notamment sur la lutte contre le terrorisme. Enfin, l’OTAN sert de forum pour la comparaison et l’étude des programmes nationaux, l’objectif étant de vérifier que des plans et des procédures soient mis en place et que le nécessaire soit fait pour affronter une éventuelle situation d’urgence. En 2011, un programme d’action des plans civils d’urgence pour les menaces CBRN a été adopté. À l’intérieur de l’OTAN, les principales entités à s’occuper de la question sont le Comité des Plans d’urgence dans le domaine civil et le Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe.

42. Toujours dans le domaine CBRN, l’Alliance a lancé en 1999 une Initiative sur les ADM destinée à intégrer les réponses politiques et militaires à la prolifération des armes CBRN. La création en 2000 du Centre de non-prolifération des ADM était une conséquence directe de cette démarche. La stratégie relative aux ADM de 2009 encadre la réponse alliée au terrorisme CBRN et repose sur trois piliers : prévention de la prolifération d’armes CBRN, protection contre les attaques ou les actes mettant en œuvre des armes CBRN et rétablissement de la situation après de telles attaques ou actes. Concernant la lutte contre la prolifération des armes CBRN, les principaux domaines dont s’occupe l’OTAN sont les suivants :

- normalisation, formation, recherche-développement ;- maîtrise des armements, désarmement et non-prolifération ;- dissuasion ;- amélioration de la préparation du secteur civil ;- élaboration d’accords de normalisation entre Alliés ;- coopération avec les pays partenaires ;- activités d’ouverture en direction de la communauté internationale.

43. Cinq initiatives de défense contre les armes CBRN ont été approuvées par l’OTAN, l’objectif étant de créer :

- une équipe prototype consultative interarmées capable d’évaluer les effets d’une attaque CBRN ;

- des laboratoires d’analyse CBRN déployables susceptibles d’être transportés rapidement sur le théâtre des opérations ;

- un stock virtuel de produits pharmaceutiques agissant contre les effets des substances CBRN et susceptible d’être instantanément réparti entre les pays membres en cas d’attaque ;

- un centre d’excellence virtuel pour la défense CBRN conçu pour accroître la notoriété et la transparence des programmes de formation et d’entraînement CBRN de l’OTAN ;

- un système de surveillance épidémiologique en temps quasi réel pour recueillir, identifier, analyser et diffuser des informations sur toute épidémie, système déclaré initialement opérationnel en 2007.

44. L’équipe prototype et les laboratoires sont devenus le bataillon de défense CBRN et l’équipe d’évaluation interarmées CBRN (JAT) respectivement, lesquels forment ensemble la force opérationnelle multinationale interarmées de défense CBRN. Cette dernière et le Centre d’excellence interarmées pour la défense CBRN, centre homologué par l’OTAN, sont conçus pour répondre aux menaces CBRN, y compris celles qui émanent d’acteurs non étatiques.

C. MESURES PRISES PAR L’UNION EUROPÉENNE

45. En règle générale, à l’UE, la lutte contre le terrorisme relève de la responsabilité des États membres. Toutefois, compte tenu des incidences transfrontalières d’un éventuel attentat, l’UE a adopté un certain nombre de politiques pour répondre à la menace du terrorisme CBRN. La

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stratégie européenne de sécurité de 2003 considérait que la prolifération des ADM « constitu[ait] potentiellement la menace la plus importante pour notre sécurité ». Elle insistait sur le lien entre les aspects externes et internes de la sécurité et suggérait que la coopération internationale jouait un rôle central. La même année, l’UE adoptait sa stratégie contre la prolifération des ADM pour « empêcher, décourager, arrêter et, le cas échéant, supprimer » la prolifération de ces armes et de leurs vecteurs. Cette stratégie réaffirmait l’importance de la coopération internationale en tant que cadre d’action. Elle plaidait en outre pour la conception de programmes mieux à même d’encourager le désarmement et d’intégrer l’obligation de non-prolifération dans toutes les activités politiques, diplomatiques et économiques de l’UE. Dans la stratégie de 2005 visant à lutter contre le terrorisme, l’UE proposait que les activités à cet effet s’articulent autour de quatre axes : prévention, protection, poursuite et réaction. L’UE réaffirmait par ailleurs son soutien à une coopération améliorée dans le domaine de la non-prolifération des armes CBRN. Dans l’édition 2016 de la stratégie globale de l’UE, il est indiqué que la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs demeure une menace croissante pour l’Europe et le monde entier.

46. L’attention accordée au terrorisme CBRN a débouché sur des mesures concrètes. Suite aux attentats terroristes qui se sont produits aux États-Unis et en Europe au début des années 2000, plusieurs programmes ont été adoptés pour lutter contre le terrorisme, dont un programme commun visant à améliorer la coopération dans l’UE en vue de prévenir et de limiter les conséquences des menaces CBRN. En novembre 2010, le Conseil européen a adopté un plan d’action de l’UE dans le domaine de la sécurité CBRN destiné, précisément, à renforcer en cinq ans cette sécurité dans l’UE, notamment dans les secteurs de la prévention, de la détection, de la préparation et de la réponse. Ce plan prévoit la mise en sécurité des matières CBRN, de même que l’amélioration des capacités dont disposent les États membres pour détecter la présence de telles matières et faire face à des incidents concernant celles-ci. Par la suite, l’UE a lancé l’initiative relative aux centres d’excellence pour l’atténuation des risques d’origine chimique, biologique, radiologique ou nucléaire, initiative qui vise le renforcement des capacités institutionnelles que possèdent les pays tiers en matière d’atténuation des risques CBRN. Le processus de mise en œuvre du plan d’action prévoyait la création d’un réseau européen d’unités répressives spécialisées dans le domaine CBRN et d’un système d'alerte rapide en cas d'incident lié à l'utilisation, notamment, de substances CBRN. Le processus est également destiné à renforcer le système de contrôle des exportations de biens à double usage. En 2012, un rapport d’étape a été consacré à l’examen du plan d’action et de son application. Le rapport constatait que cette dernière était inégale d’un État membre à l’autre. Il soulignait en particulier le rôle majeur d’Europol en tant que facilitateur pour le partage des informations et des bonnes pratiques, la mise en place d’exercices d’entraînement conjoints, la collecte de données et la diffusion d’alertes précoces. L’examen du plan d’action CBRN insistait en outre sur la nécessité de mettre au point une conception plus stratégique et plus globale des politiques liées aux matières CBRN et explosives (CBRN-E). Un débat sur un nouveau programme de travail en matière de CBRN-E a démarré en 2012. En 2015, une communication a été adoptée sur une nouvelle approche de l’UE en matière de détection et d’atténuation des risques CBRN-E proposant une série de 30 mesures, notamment une coopération avec l’industrie et les exploitants d’installations traitant des matières CBRN-E. À ce jour, toutefois, aucun nouveau texte législatif n’a encore été proposé.

47. Plusieurs réglementations de l’UE concernant les matières CBRN ont été établies. Un règlement de 2009 impose des restrictions d’accès et un contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit des biens et technologies à double usage. Un règlement de 2013 sur la commercialisation et l’utilisation de précurseurs d’explosifs a instauré un régime réglementaire plus strict sur les précurseurs chimiques à haut risque de manière à en réduire les facilités d’accès pour le grand public. Il prévoyait également des mécanismes permettant le signalement adéquat de toute transaction suspecte portant à la fois sur les précurseurs dont l’accès était restreint et d’autres substances préoccupantes en vente libre.

48. La Commission européenne a mis en place un Centre de coordination des interventions d’urgence qui est en mesure de réagir rapidement aux catastrophes dans l’Union Européenne.

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L’objectif sous-jacent est d’éviter des répétitions d’efforts aussi coûteuses qu’inutiles si le pire des scénarios – y compris des attaques CBRN – venaient à se produire.

V. SÉCURITÉ CBRN

49. Pour se procurer une arme CBRN, un groupe terroriste doit acheter, voler ou fabriquer une ogive ou des matières létales requises pour la confection d’une arme, et acheter, voler, fabriquer ou concevoir un vecteur. Il incombe à la communauté internationale d’écarter chacune de ces possibilités par tous les moyens à sa disposition. La section précédente a décrit les mesures prises à l’échelon international pour y parvenir. Cependant, l’élément le plus crucial des activités de lutte contre les menaces CBRN est peut-être la sécurité des matières létales requises pour la confection d’une arme. Si les terroristes ne peuvent pas mettre la main sur les substances chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires nécessaires à la fabrication d’une arme CBRN, leurs tentatives resteront vaines.

50. Tout État a intérêt à protéger ses substances CBRN, à usage à la fois militaire et civil. La communauté internationale ne saurait cependant se montrer trop sûre d’elle, car les risques et difficultés émanant du terrorisme CBRN vont au-delà des frontières des États. Par exemple, les États dont les structures de gouvernement sont faibles sont plus exposés à un détournement desdites substances. Il n’en reste pas moins que les risques les plus grands proviennent des applications scientifiques et techniques à double usage. Le problème fondamental est que les connaissances scientifiques, les technologies et les matières requises pour la fabrication d’armes CBRN se retrouvent de plus en plus dans le domaine public, en même temps qu’elles deviennent moins chères et plus faciles d’utilisation. L’une des grandes raisons à cela est que les applications scientifiques, les techniques et les matières à double usage recèlent un énorme potentiel pour le progrès de l’humanité. Le chlore est essentiel au traitement moderne de l’eau ; la recherche sur les souches de maladies dangereuses contribue à soigner ces maladies ; enfin, la technologie nucléaire agricole donne de meilleures récoltes dans les pays en voie de développement. Et pourtant, ces trois éléments peuvent être mis à profit pour la fabrication d’armes CBRN. La communauté internationale se voit donc confrontée à un double dilemme : comment protéger les stocks civils et militaires et comment gérer l’immense prolifération de matières à double usage qui peuvent être utilisées pour une attaque CBRN ?

51. Le régime international de sécurité chimique, placé essentiellement sous la direction de l’OIAC, est solide par comparaison aux régimes de la sécurité biologique et de la sécurité nucléaire. La CIAC n’est pas encore universelle, même si quatre pays seulement – Corée du Nord, Égypte, Israël et Soudan du Sud – n’en sont pas parties. Israël a signé le Traité mais ne l’a pas encore ratifié. Comme ils y sont tenus, les États parties à la Convention ont mis en place des entités nationales chargées de la mise en application de cette dernière, laquelle a aussi créé un programme de vérification détaillé. La CIABT inspecte à la fois les installations qui produisent des substances chimiques pouvant servir à la fabrication d’armes chimiques et celles qui fabriquent des produits chimiques organiques définis répondant à certains critères et au-delà d’un certain seuil de production. On compte environ 5 000 usines appartenant à la seconde catégorie.

52. Le risque de voir un groupe terroriste s’emparer d’agents chimiques est plus élevé dans un pays qui, à une certaine époque, a mis en chantier un programme de guerre chimique et qui ne contrôle pas entièrement son territoire. Comme mentionné plus haut, Daech puise dans l’expérience et dans les ressources de l’Iraq et de la Syrie, mais la Libye aussi représente un théâtre d’opérations potentiellement dangereux de ce point de vue, puisque des groupes terroristes pourraient y occuper des régions où sont implantées des installations chimiques utiles pour eux. Les stocks libyens de gaz moutarde ont été détruits en 2014. Après beaucoup de retard, les derniers stocks libyens devant être détruits à l’étranger – plus de 500 tonnes métriques d’agents précurseurs essentiellement chimiques (produits chimiques industriels toxiques) – ont quitté le pays au début de l’automne 2016. Toutefois, fin 2015, des combattants de Daech en

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Libye étaient retranchés à quelque 70 km de là. En outre, les produits à double usage, comme les produits chimiques agricoles ou le chlore, présentent un risque élevé. Les spécialistes pensent qu’il existe aujourd’hui au Moyen-Orient et en Afrique du Nord un marché parallèle des produits chimiques susceptibles d’être militarisés et de leurs précurseurs. Ces spécialistes estiment aussi, à en juger par la multiplication des attaques à l’arme chimique en Iraq et en Syrie, que l’on trouve sur Internet des informations de plus en plus précises et de plus en plus nombreuses sur la fabrication d’armes et de leurs vecteurs.

53. À la différence de la CIAC, la CIABT ne dispose pas d’un secrétariat permanent ou de solides mécanismes de vérification. Elle fait l’objet d’une conférence d’examen tous les cinq ans, ce qui a conduit à limiter son institutionnalisation. Depuis la conférence d’examen de 1986, des mesures de confiance annuelles politiquement contraignantes ont été introduites. Elles se classent en sept catégories et consistent en des échanges de données et d’informations sur a) les centres de recherche et les laboratoires, b) les programmes nationaux de recherche-développement en matière de défense biologique, c) les apparitions de maladies contagieuses ou autres accidents causés par des toxines, d) la promotion active de contacts, ainsi qu’en des déclarations concernant (e) des mesures législatives, réglementaires et autres, f) les activités menées par le passé dans le cadre de programmes de recherche-développement biologique de caractère offensif et/ou défensif, et g) les installations de fabrication de vaccins. Mais, en dernière analyse, il n’y a guère de transparence quant aux matières biologiques susceptibles d’être militarisées. En décembre 2016, les États parties à la CIABT se réuniront de nouveau pour examiner le traité. Pour bon nombre d’États de la région euro-atlantique, la grande question est celle de savoir si la CIABT peut être adaptée de manière à améliorer la façon dont la communauté internationale traite les sciences et les technologies convergentes et émergentes, thème qui sera traité dans la prochaine section.

54. Parce qu’elles sont indispensables à certains secteurs d’activité – tels que l’agriculture, la médecine ou la production d’énergie – les matières radiologiques et fissiles abondent dans le monde civil. Selon les experts, plus de 13 000 bâtiments abriteraient 70 000 sources de substances utilisables dans des engins radiologiques. Il n’existe dans le domaine de la sécurité nucléaire aucune réglementation à l’échelle mondiale. Le processus des SSN est fait pour combler certaines des insuffisances au niveau international, mais le problème crucial est que de nombreuses sources de matières radiologiques et même fissiles ne sont pas adéquatement protégées.

55. Il y a pour les matières radiologiques un marché noir florissant. Plus de 130 États contribuent à la base de données de l’AIEA, où sont enregistrés et analysés les cas de trafic de matières nucléaires et autres matières radioactives. Tous les incidents au cours desquels de telles matières échappent à un contrôle réglementaire figurent dans cette base de données. Entre 1995 et 2014, l’Agence a répertorié 27 341 incidents confirmés. Une récente enquête de l’Associated Press sur la contrebande nucléaire a révélé que les craintes au sujet de la sécurité nucléaire sont fondées. Entre 2009 et 2015, des filières criminelles soupçonnées d’entretenir des relations avec la criminalité organisée russe ont tenté à quatre reprises au moins de vendre des matières radiologiques à des terroristes. Cette enquête n’indique pas l’ampleur de la contrebande nucléaire, mais elle montre bien qu’un marché noir nucléaire a fait son apparition en République de Moldova. Les filières incriminées proposaient à des extrémistes moyen-orientaux des matières radiologiques (uranium fortement enrichi, plutonium et césium), ainsi que les plans d’un dispositif de dispersion radiologique. Il est certes heureux que les enquêteurs moldaves, en collaboration avec le FBI, aient fait échouer ces complots, mais on ne peut affirmer que les filières sont démantelées.

VI. SCIENCES ET TECHNOLOGIES ÉMERGENTES ET ARMES CBRN

56. Exploiter les sciences et les technologies a été extrêmement bénéfique pour la société humaine et continuera de l’être en ces temps de progrès scientifiques et technologiques rapides.

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Les nouvelles avancées scientifiques et technologiques peuvent néanmoins dans bien des cas être détournées par des acteurs malveillants – des États, mais aussi des terroristes. En effet, plusieurs tendances émergentes pourraient permettre aux terroristes de se procurer ou d’utiliser plus facilement des armes CBRN. La présente section examine, sous l’angle de la sécurité, certaines de ces tendances potentiellement inquiétantes, mais elle propose également quelques idées sur la façon dont les technologies émergentes pourraient permettre de surmonter plus facilement les difficultés liées au terrorisme CBRN. Elle se concentre tout particulièrement sur les tendances dans le domaine biologique, qui connaît actuellement des changements profonds.

A. TENDANCES DANS LE DOMAINE CHIMIQUE

57. En tant que conseiller scientifique auprès de la CIABT, Jonathan E. Forman, l’a déclaré aux membres de la commission en 2014, que le Chemical Abstract Service (CAS) enregistre dans sa banque de données quelque 15 000 nouvelles substances chimiques et oligomères par jour depuis le début des années 1990 – il a d’ailleurs cessé d’en enregistrer en raison de l’augmentation spectaculaire de leur nombre. Cette banque de données forme le recueil le plus fiable des informations disponibles sur les substances chimiques ; son index contient plus de 109 millions de substances organiques et inorganiques, et 66 millions de séquences. Inévitablement, quelques-unes de ces substances ou séquences peuvent être utilisées à des fins malveillantes. Par exemple, de nombreux médicaments de chimiothérapie contiennent de la moutarde azotée et d’autres composés chimiques dérivés des agents moutarde, et l’action de certains médicaments destinés à être utilisés dans le traitement de la maladie d’Alzheimer consiste à inhiber les mêmes fonctions biologiques que des agents neurotoxiques – mais leur toxicité est considérablement moindre et l’inhibition n’est pas permanente. Il faut ajouter à cela que l’on ne distingue plus aussi aisément les programmes de recherche et de développement en chimie et en biologie. De fait, la convergence des sciences devient la règle à mesure que la chimie, la biologie, la physique, l’ingénierie, l’informatique et bien d’autres secteurs finissent par se rejoindre pour œuvrer au développement des sciences et des technologies bénéfiques aux humains et à l’environnement. Certains observateurs vont même jusqu’à affirmer qu’il faut voir tout l’éventail des menaces biologiques et chimiques comme formant une seule menace – biochimique – où la limite entre agents de guerre chimique et biologique devient facilement floue. Tous ces développements offrent à d’éventuels terroristes CBRN de nouvelles possibilités qu’ils pourraient mettre à profit.

B. TENDANCES DANS LE DOMAINE BIOLOGIQUE

58. L’événement le plus marquant des sciences et des technologies se rapportant aux armes CBRN est peut-être ce que l’on appelle la révolution biotechnologique, qui continue de radicalement transformer l’utilisation des processus, organismes ou systèmes biologiques dans les applications industrielles. Les progrès dans le domaine de la génomique ont permis de séquencer l’ADN des animaux et des plantes, par exemple, et si la collecte de données continue d’augmenter au rythme actuel, le nombre de données séquencées d’ici 2025 sera supérieur à la somme des données qu’auront générées les autres grands collecteurs de données : l’astronomie, Twitter et YouTube.

59. L’exploitation des biotechnologies pour le développement humain – et dans le cadre de la lutte contre les menaces CBRN – a permis de réaliser d’énormes progrès mais la révolution biotechnologique pourrait aggraver de manière incommensurable les dangers du terrorisme biologique. Les connaissances biotechnologiques sont très largement versées dans le domaine public et accessibles gratuitement. Pour leur part, les pouvoirs publics ne contrôlent que peu les innovations et les matières utilisées en biotechnologie ; au contraire, le marché est façonné par une multitude d’agents du secteur privé allant de sociétés composées d’une seule personne à des compagnies pharmaceutiques de grande envergure. En matière de sécurité, le problème fondamental se résume au fait que les sciences et les technologies qui permettent de soigner des maladies peuvent aussi permettre de mettre au point des agents pathogènes plus puissants ou de faciliter l’accès des terroristes à ces derniers.

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60. Le génie génétique en particulier est un secteur émergent qui préoccupe les professionnels de la sécurité depuis plusieurs années. Il permet de modifier le matériel génétique d’un organisme en ajoutant, en changeant ou en supprimant des séquences ADN. La manipulation génétique est l’un des prochains chantiers, pour lequel la technologie du CRISPR/Cas (Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées / endonucléase) permet aux chercheurs de découper un génome à leur guise et donc de cibler une séquence ADN précise dans un génome. Le génie génétique, qui sert à introduire des propriétés plus intéressantes dans un organisme, comme la résistance à une maladie ou l’accélération de la croissance, est communément employé sur les plantes, en agriculture, ainsi que, dans certaines parties du monde, pour modifier l’ADN des animaux. Par ailleurs, la biologie de synthèse est une nouvelle technologie qui cherche à simplifier et à accélérer l’ingénierie biologique. C’est un secteur interdisciplinaire qui associe notamment biologie, chimie, science informatique et génie électrique et chimique. Les biologistes de synthèse cherchent a) à concevoir et fabriquer des composants et systèmes biologiques qui n’existent pas encore dans la nature et b) à reproduire et fabriquer des systèmes biologiques existants. La biologie de synthèse offre des possibilités aussi multiples qu’attrayantes d’améliorer les niveaux de vie. Elle pourrait révolutionner l’industrie pharmaceutique. Des systèmes biologiques nouveaux pourraient servir au stockage de données. Des biocapteurs surveillant l’environnement et signalant les anomalies pourraient être mis au point. De nouveaux matériaux optimisant les propriétés désirées pourraient être conçus. L’exploration spatiale pourrait se faire plus facilement si les astronautes pouvaient fabriquer diverses matières à partir de ressources locales. En revanche, les spécialistes de la sécurité qui examinent la biologie de synthèse y voient de nombreux risques. S’il est plus facile d’élaborer des matières « évoluées », il devrait aussi être plus facile de fabriquer des substances très nocives. Si l’on peut manipuler les caractéristiques d’un pathogène, on pourrait aussi renforcer la résistance d’un pathogène aux médicaments, sa létalité ou son aptitude à la survie, voire le doter de nouvelles capacités. Si l’on peut créer des pathogènes en partant de zéro, on pourrait alors refabriquer des pathogènes qui avaient été éradiqués.

61. À court et à moyen terme, la biologie de synthèse devrait se concentrer sur la recherche et le développement de substances commerciales, dans des installations bien sécurisées. Certains observateurs affirment cependant que la vogue du « petit biologiste du dimanche » bat déjà son plein et que l’on voit des gens sans formation particulière en biologie concevoir de nouvelles matières, ce qui n’est pas sans risque dans un avenir proche. Bon nombre d’entre eux se réclament d’une éthique technologique progressiste, mais l’on peut aisément envisager l’apparition d’une face obscure, comme cela a été le cas pour la cybertechnologie. D’autres observateurs ne considèrent pas que ce risque soit très élevé étant donné que la biologie de synthèse en matière CBRN représenterait un défi même pour des spécialistes aguerris. À long terme, les risques découlant de cette discipline augmentent, au fur et à mesure qu’augmentent les connaissances et le savoir-faire et que prolifèrent les agents biologiques de synthèse.

62. Dans l’ensemble, aucune approche claire en matière de gouvernance ne se profile à l’horizon en ce qui concerne les sciences et technologies émergentes et leur éventuelle utilisation à mauvais escient pour des armes CBRN. C’est peut-être particulièrement vrai pour la biotechnologie. Tout d’abord, les préoccupations sécuritaires sont souvent incompatibles avec les investissements et innovations biotechnologiques. Ensuite, les démarches en vigueur dans le domaine de la non-prolifération sont souvent affaiblies par la vente en ligne de matériel de biotechnologie, par la disponibilité d’ordinateurs de pointe ainsi que par l’essor des mouvements de science ouverte. La rapidité des cycles de développement, notamment comparé à la lenteur des cycles politiques, complique énormément l’exercice d’un contrôle sur les progrès de cette discipline. L’Europe et les États-Unis conservent une position prééminente sur le marché de la biologie de synthèse, mais l’écart se réduit entre eux et les économies en voie de développement ou émergentes, où les investissements dans ce domaine vont croissant. L’innovation biotechnologique voit souvent le jour dans des pays qui n’ont pas mis en place de garde-fous législatifs contre le terrorisme biologique, non seulement parce que les pays émergents renforcent leur parc industriel, mais aussi parce que de nombreuses entreprises européennes et nord-

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américaines se sont mises à sous-traiter des opérations techniques majeures. Tout cela inquiète de nombreux spécialistes.

63. L’ancienne pratique consistant à compter uniquement sur les pouvoirs publics pour réglementer le secteur ne suffit plus. Compte tenu des lacunes de la CIABT et de la faible probabilité que des dispositions plus contraignantes soient adoptées lors de la conférence d’examen de 2016, les efforts relatifs aux agents biologiques qui s’inscrivent dans le contexte de la maîtrise des armements, du désarmement et de la non-prolifération doivent aller au-delà du champ d’action de la Convention. Par exemple, les mesures de sûreté applicables aux agents pathogènes et aux laboratoires restent lacunaires dans de nombreux pays, d’autant que les sciences et les technologies progressent rapidement. Alors qu’il est de plus en plus facile pour les scientifiques de créer des virus de synthèse létaux, les mécanismes de contrôle des substances biologiques ont du mal à tenir le rythme. L’industrie et le monde universitaire doivent être encouragés à suivre le mouvement. Les milieux scientifiques et industriels doivent en faire davantage pour introduire des instruments d’autorégulation sans que les gouvernements n’abdiquent pour autant leur responsabilité en matière de biosécurité en faveur de ces deux secteurs. Il faut un nouveau paradigme global pour la biosécurité ; pourtant, la communauté internationale semble peiner à y parvenir. Il faut néanmoins admettre que le secteur en question est très difficile à réglementer et que cela aurait un coût élevé pour d’autres secteurs. Par exemple, les consommateurs pourraient ne pas bénéficier de toutes les possibilités prometteuses offertes par les nouvelles biotechnologies. De plus, une réglementation stricte ne fonctionnerait pas nécessairement bien. La biotechnologie avancée pourrait proliférer légalement dans les pays qui ne la réglementent pas très strictement étant donné son caractère de plus en plus mondial. Et même dans les pays aux réglementations extrêmement strictes, des individus et des groupes pourraient développer des capacités biotechnologiques considérables puisque la biotechnologie requiert souvent très peu d’infrastructures ; néanmoins, pour des non scientifiques, les compétences, le savoir-faire et les connaissances permettant d’utiliser et de contrôler les biotechnologies restent très difficilement accessibles. Un changement culturel doit se produire dans ce domaine. De nombreux experts suggèrent donc l’élaboration d’un code international d’éthique ou de conduite pour les scientifiques spécialisés dans les sciences du vivant.64. Pour terminer sur une note positive, ajoutons que la biologie de synthèse offre de nombreuses possibilités d’amélioration des moyens de lutte contre les menaces CBRN. Elle est en mesure d’accélérer la production de vaccins et de permettre la mise en place rapide d’une protection face aux attaques CBRN, et elle est porteuse de l’espoir que soient mis au point des « vaccins intelligents », pouvant être programmés pour déclencher au besoin des réponses immunitaires. Des travaux sont en cours pour créer des composantes capables de détecter et de neutraliser aussi bien des agents de guerre chimiques que biologiques ainsi que de concevoir des équipements de protection individuelle.

A. NANOTECHNOLOGIES

65. Les nanotechnologies consistent à créer et/ou à manipuler des matériels à l’échelle nanométrique, par exemple à l’échelle d’un milliardième de mètre. Certains observateurs considèrent qu’elles ouvrent des possibilités quasiment illimitées, jusqu’à celle de l’autoréplication et de l’autoguidage de la technologie. Les nanotechnologies pourraient également conduire à un changement de paradigme lors d’une guerre si elles étaient militarisées ou détournées par un État ou un acteur non étatique. Pour commencer, les nanoparticules peuvent être extrêmement dangereuses en raison de leurs caractéristiques : leur traçage est difficile, elles sont imprévisibles et ont la capacité d’infiltrer la technologie. Elles pourraient notamment constituer une grave menace pour les systèmes biologiques, dont l’humain, car elles sont capables d’emprunter d’autres voies que les pathogènes biologiques. La communauté scientifique et technologique n’en sait encore que trop peu sur la façon dont le corps humain réagirait à une exposition aux nanoparticules ou sur le traitement qui pourrait être efficace. Les nanotechnologies pourraient également servir à renforcer la létalité des armes. Les premières « armes nanotechnologiques » tirant au shrapnel et frappant plus aveuglément sont déjà disponibles. Pour ce qui est du

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terrorisme CBRN, certains experts ont souligné que les nanomatériaux pourraient servir à aider ou à dissimuler la vectorisation d’agents chimiques ou biologiques. Ceux-ci pourraient par exemple être dissimulés dans une capsule en nanomatériaux et prendre ainsi l’apparence d’une substance à première vue inoffensive. Les stratégies d’administration des médicaments s’appuient déjà sur ces techniques, mais il existe encore bien des obstacles scientifiques et techniques. À court et à moyen termes, il semble toutefois que les acteurs non étatiques rencontreraient de grandes difficultés pour employer les nanotechnologies au service des armes CBRN.

66. Les nanotechnologies pourraient à l’avenir être également utilisées pour lutter contre les menaces CBRN. Elles pourraient par exemple servir à suivre la dispersion d’un agent chimique après une attaque, à améliorer la décontamination et à créer des vêtements de protection.

B. TECHNOLOGIE DES VÉHICULES SANS PILOTE

67. Le développement de véhicules aériens, terrestres ou maritimes sans pilote toujours plus perfectionnés pourrait susciter son lot de nouvelles difficultés et possibilités en matière CBRN. Certains groupes terroristes – notamment le Hezbollah, les brigades al-Qassam du Hamas et Daech – ont déjà démontré les capacités des véhicules aériens sans pilote. Ces groupes s’en sont le plus souvent servis pour la surveillance, pour la propagande et pour déclencher des attentats-suicides à la voiture piégée. Cependant, Daech, qui a déployé des drones dans des attentats ciblés, cherche à améliorer ses capacités pour pouvoir équiper des véhicules aériens sans pilote avec des EEI. Utiliser les technologies sans pilote à des fins CBRN présente l’avantage de ne comporter qu’un faible risque potentiel de détection et de réduire les risques auxquels s’exposent les terroristes lors d’une attaque.

68. Dans le contexte du présent rapport, les véhicules sans pilote pourraient tout d’abord servir à vectoriser des armes CBRN. La plupart d’entre eux ne peuvent actuellement transporter qu’une charge utile limitée. C’est particulièrement vrai pour les véhicules sans pilote disponibles dans le commerce, que les terroristes peuvent facilement se procurer. En raison de cette charge utile limitée, ces véhicules pourraient ne pas convenir à des attentats nécessitant le transport de grandes quantités de matières CBRN. Ils pourraient en revanche convenir à des attentats pour lesquels ce n’est pas nécessaire. En 2015, par exemple, un véhicule aérien sans pilote contenant des traces de radiation a atterri sur le toit du bureau du Premier ministre japonais Shinzo Abe. En outre, ces véhicules aériens sans pilote sont de plus en plus souvent utilisés en agriculture pour pulvériser des produits chimiques. Ce type de véhicule pourrait également être employé dans des attaques visant des installations CBRN, ce qui causerait la dispersion de matières CBRN dans l’environnement. Le survol interdit de centrales nucléaires ou même d’un complexe d’armement nucléaire s’est déjà produit aux États-Unis. Outre le fait que les terroristes peuvent avoir recours à ces véhicules pour obtenir des renseignements et pour des activités de reconnaissance et de surveillance, ils pourraient par exemple les charger d’explosifs conventionnels et les lancer contre des installations chimiques, biologiques ou nucléaires. Comme la majeure partie des mesures de sécurité des sites nucléaires ont été conçues avant l’apparition dans le commerce, par exemple, des véhicules aériens sans pilote, ces sites ne sont pas dotés de systèmes leur permettant de détecter ces drones ou de se défendre face à une attaque. Encore une fois, le fait que la charge utile soit limitée compliquerait une telle entreprise, mais le développement des voitures autonomes pourrait accroître ce risque.

69. Le déploiement, en particulier, de véhicules aériens sans pilote pourrait contribuer aux efforts de lutte contre les menaces CBRN. L’industrie de la défense et les gouvernements cherchent à savoir de quelle façon exploiter ces véhicules dans des domaines tels que la détection CBRN. De nombreux projets futuristes sont sur la table, notamment celui d’employer une multitude de drones à des fins de détection et de décontamination ou pour acheminer des contre-mesures médicales. Néanmoins, jusqu’à présent, les véhicules aériens sans pilote ne se sont pas montrés à la hauteur dans le domaine de la lutte contre les menaces CBRN, la tâche étant techniquement plus difficile qu’il n’y paraît. Les experts affirment toutefois qu’ils pourraient jouer un rôle complémentaire

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important, notamment pour ce qui est de rassembler du renseignement capital sur les réseaux terroristes et sur les flux de marchandises illicites. Une initiative parallèle a été lancée pour exploiter le potentiel qu’offre la technologie des véhicules aériens sans pilote en matière de lutte contre les EEI. Au fil du temps, les développeurs et les opérateurs ont réalisé que la valeur ajoutée de tels moyens résidait dans la désorganisation des réseaux et non dans la détection des EEI une fois ceux-ci placés.

C. CYBERTECHNOLOGIES

70. Le cyberespace est un autre domaine ayant de sérieuses incidences sur les politiques de défense et de sécurité. Toutefois, à ce stade, seuls les effets secondaires ou tertiaires des cybertechnologies peuvent entraîner des dommages ou la mort. La cyberinfiltration pourrait indirectement faciliter l’accès à des informations secrètes en matière CBRN. Mais surtout, une cyberattaque contre des installations chimiques, biologiques et nucléaires pourraient entraîner la dispersion de substances CBRN dans l’environnement. En accédant au réseau commercial ou en ciblant directement le réseau de contrôle de telles installations, les terroristes pourraient exécuter des opérations de fermeture ou de diffusion, ou encore tenter de causer des ravages. Les attaques contre des infrastructures critiques, dont des installations CBRN, sont aujourd’hui une question extrêmement préoccupante que la STC suit de près. Le risque de voir aboutir des attaques augmente à mesure que gagnent en sophistication les capacités technologiques des acteurs non étatiques et que les opérateurs des infrastructures critiques prennent du retard dans la modernisation de leurs dispositifs de cyberdéfense et de cybersécurité.

D. FABRICATION ADDITIVE

71. La fabrication additive, communément appelée impression 3D, permet à des modèles numériques de se transformer en objets concrets grâce à la superposition progressive de couches de matière, notamment certains plastiques, métaux et composés chimiques. Avec cette technologie, il est possible de fabriquer des éléments complexes qui, entre autres, renforcent la durabilité et les performances des produits. La fabrication additive devrait révolutionner plusieurs secteurs industriels, notamment celui de la défense. Les utilisateurs parviennent déjà aujourd’hui à créer des prototypes et à produire des outils à partir desquels des produits finaux sont fabriqués ; la fabrication additive se profile rapidement comme une technologie permettant de fabriquer des produits industriels finis ainsi que des articles personnalisés. Les experts s’inquiètent surtout de savoir de quelle façon des États ou des acteurs non étatiques malveillants pourraient détourner cette technologie pour fabriquer des moyens d’attaque conventionnels, mais le problème des CBRN se pose aussi. Cette technologie limite le besoin de savoir-faire car il suffit d’avoir accès à des plans et à une imprimante 3D. Elle pourrait donc réduire les obstacles empêchant les terroristes de fabriquer des matériaux CBRN, voire des armes elles-mêmes. Les moyens de fabrication additive réduisent en outre la dépendance envers les réseaux de commerce illicite. En outre, avec cette technologie qui prend peu de place il est moins nécessaire de trouver des espaces ou des refuges sûrs. Le suivi des activités CBRN n’en deviendra donc qu’encore plus difficile : au lieu de devoir faire passer en contrebande des dispositifs servant dans le cadre d’attaques CBRN, il suffira de transmettre des plans par voie numérique.

VII. CONCLUSIONS

72. Le monde n’a connu qu’un petit nombre d’attentats CBRN et une bonne partie des informations relatives aux tentatives d’obtention de moyens CBRN reste confidentielle. Aussi les spécialistes ne s’accordent-ils pas sur la gravité du péril CBRN terroriste, lequel, pour la plupart des observateurs, dépend du niveau de la menace terroriste, de la vulnérabilité des cibles potentielles et des conséquences éventuelles d’un attentat. Gregory Koblenz, directeur du programme d’enseignement supérieur en biodéfense à l’Université George Mason aux États-Unis qui a déjà été l’interlocuteur de la commission des sciences et des technologies, classe les experts en trois groupes :

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- les optimistes qui croient qu’en fin de compte les terroristes n’ont ni vraiment l’intention ni guère les moyens de se procurer une arme CBRN. Même si un groupe terroriste parvenait à utiliser avec succès une arme de ce type, les conséquences seraient vraisemblablement minimes. Les optimistes font valoir que le terrorisme CBRN est un risque « très peu probable et dont les conséquences seraient très réduites » ;

- les pessimistes qui pensent que le risque d’un attentat va croissant car les barrières technologiques se franchissent plus aisément et les terroristes ont les coudées de plus en plus franches. En outre, ils estiment qu’un attentat CBRN aurait des conséquences catastrophiques. À leurs yeux, le terrorisme CBRN est donc un risque « peu probable et dont les conséquences seraient lourdes » ;

- les pragmatiques, comme les pessimistes, ne pensent pas qu’il soit judicieux de sous-estimer la détermination des terroristes à se procurer des moyens CBRN ; selon eux, les barrières technologiques tombent l’une après l’autre. Mais, comme les optimistes, ils jugent que les obstacles à contourner demeurent importants et que tous les attentats menés à leur terme n’auraient pas nécessairement des conséquences catastrophiques : cela dépendrait des circonstances. Ils préconisent, en vue d’une vigilance accrue, des analyses plus pointues des groupes terroristes. Pour eux, le terrorisme CBRN est donc un risque « peu probable mais dont la probabilité augmente et dont les conséquences seraient moindres ».

73. Comme l’a montré le présent rapport, les armes CBRN ne peuvent pas être considérées comme formant un tout monolithique ou uniforme. Il serait par conséquent malavisé d’assigner un degré de probabilité et un niveau de conséquences à l’ensemble des attaques CBRN que des terroristes pourraient effectuer. Votre rapporteure est donc en désaccord avec les trois opinions ci-dessus. À titre d’exemple, il est plus probable de voir Daech mener une attaque chimique qu’al-Qaida faire exploser une arme nucléaire, mais la première aurait moins de conséquences que la deuxième. Votre rapporteure préconiserait donc que l’on traite la question du terrorisme CBRN avec lucidité, sans oublier que chaque type d’arme a ses propres caractéristiques et qu’il faut donc une réponse adaptée. Des groupes terroristes ont l’intention déclarée de se procurer des armes CBRN et agissent dans ce sens, augmentant régulièrement leurs capacités. Qui plus est, de nouvelles perspectives s’ouvrent dans le domaine des sciences et des technologies. Il est nécessaire de comprendre la menace, y compris grâce à des analyses de vulnérabilité et à une action adéquate des services du renseignement, pour élaborer les ripostes les plus efficaces qui soient aux niveaux international, multinational, national et local.

74. De nos jours, la communauté euro-atlantique est confrontée, tant à l’échelon national, régional qu’international, à des problèmes inédits au cours des deux dernières décennies. Les parlements doivent parvenir à faire face à chacun de ces problèmes de la manière la plus efficace, en se contentant des ressources limitées dont ils disposent en matière de défense et de sécurité. Compte tenu de ces problèmes, les ressources octroyées aux activités de lutte contre les menaces CBRN vont objectivement rester stables. Votre rapporteure espère toutefois que le présent rapport montre bien que même si les acteurs non étatiques rencontrent encore de sérieux obstacles dans la perpétration d’attentats CBRN, les risques sont bien réels, ils sont considérables et ils augmentent. Les parlements des pays de l’Alliance doivent donc investir les ressources nécessaires pour faire face au problème du terrorisme CBRN.

75. Un facteur clé de réussite est de lutter contre le terrorisme sous toutes ses variantes de manière beaucoup plus efficace. Au bout du compte, il importe peu de savoir si c’est une attaque conventionnelle complexe, comme celle de Paris ou de Bruxelles, ou une attaque CBRN que les terroristes sont en train de planifier. Ce qu’il faut, c’est que les Alliés investissent dans des activités efficaces de lutte contre le terrorisme à tous les niveaux, contribuant ainsi à prévenir le terrorisme CBRN.

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76. Il faut concevoir des politiques pour tous les aspects du terrorisme CBRN. Dès lors qu’il est très difficile, voire impossible, de dissuader les groupes terroristes de passer à l’acte, la communauté transatlantique doit s’efforcer avant tout de les empêcher de se procurer des armes CBRN. Ici, la résilience est le maître mot, et pour améliorer celle-ci l’OTAN et ses partenaires doivent :

- se préparer et se prémunir de façon adéquate dans la perspective d’un attentat ;- détecter rapidement un attentat lorsqu’il se produit ;- gérer les conséquences d’un attentat : primo-interventions, soins médicaux de longue durée,

décontamination et aide psychologique ;- nettoyer le lieu de l’attentat ;- gérer les conséquences à long terme.

77. Le risque d’attentats CBRN continuera d’augmenter à mesure que l’accessibilité et la mondialisation de l’innovation scientifique et technologique, de la recherche-développement et de la diffusion s’accroîtront. Cet accroissement de l’accessibilité et de la diffusion pourrait permettre à des terroristes innovateurs d’atteindre des niveaux technologiques qui n’étaient jusque-là qu’à la portée de pays très développés. L’ubiquité de plus en plus répandue de matières susceptibles d’être utilisées par des terroristes pour fabriquer des armes CBRN et la vulnérabilité de quelques-uns des stocks existants pourraient, à l’avenir, donner à des personnes dotées d’une éducation moyenne et d’une certaine habileté technique la possibilité de provoquer des dégâts massifs. D’ailleurs, l’Histoire montre que les groupes terroristes font souvent preuve d’esprit d’innovation et exploitent les technologies nouvelles pour compenser leur manque de capacités.

78. Comme l’Armée républicaine irlandaise (IRA) l’avait dit dans une déclaration devenue célèbre après un attentat manqué contre Margaret Thatcher : « Il nous suffit d’avoir de la chance une seule fois. Vous, vous en avez besoin à chaque fois. » Heureusement, les armes CBRN restent difficiles à acquérir et à utiliser. On pourrait donc retourner cette déclaration de la sorte : les terroristes ont de nombreuses occasions de jouer de malchance tout au long des préparatifs d’un attentat CBRN ; il incombe à la communauté internationale d’augmenter la probabilité que les terroristes soient malchanceux. Pourtant, on ne saurait exclure l’éventualité d’un attentat CBRN. Citons pour conclure le général de brigade (e.r.) Russell D. Howard et Margaret J. Nencheck : « La meilleure parade [contre les groupes terroristes] est de comprendre que nous vivons entourés de dangers sans pour autant vivre dans la peur. »

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BIBLIOGRAPHIE CHOISIE

(Pour de plus amples informations sur les sources qui ont servi à la rédaction de ce rapport, veuillez contacter le directeur de la commission)

Forest, James J.F., and Russell D. Howard (eds.), Weapons of Mass Destruction and Terrorism (Second Edition), New York: McGraw Hill, 2013

Immenkamp, Beatrix, “ISIL/Da’esh and ‘Non-Conventional’ Weapons of Terror”, European Parliamentary Research Service Briefing, décembre 2015

Rudischhauser, Wolfgang, “Could ISIL Go Nuclear?,” NATO Review, 26 mai 2015Rudischhauser, Wolfgang, “Proliferation of WMD and Defending against CBRN Threats – NATO’s

Achievements and Ongoing Challenges,” CBRN Protection Made in Germany, Bonn: Mittler Report, 2015

The Royal Society, The Chemical Weapons Convention and Convergent Trends in Science and Technology, 2013, The Royal Society, https://royalsociety.org/~/media/policy/projects/brain-waves/2013-08-04-chemical-weapons-convention-and-convergent-trends.pdf

Unal, Beyza, and Sasan Aghlani, Use of Chemical, Biological, Radiological and Nuclear Weapons by Non-State Actors, Chatham House (Royal Institute of International Affairs), janvier 2016, https://www.lloyds.com/~/media/files/news%20and%20insight/risk%20insight/2016/cbrn.pdf

Caves, John P. Jr., and W. Seth Carus, The Future of Weapons of Mass Destruction: Their Nature and Role in 2030, Occasional Paper 10, Center for the Study of Weapons of Mass Destruction, US National Defense University, juin 2014,

http://ndupress.ndu.edu/Portals/68/Documents/occasional/cswmd/CSWMD_OccationalPaper-10.pdf

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