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Priemira

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Contribution pour le Forum Social Mondial - Dakar Février 2011 EDUCHANGEART/ EDUMUDARTE

Ana da Palma

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Première partie

Un parcours jusqu’à la négritude en langue portugaise

(…) Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour Ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre Ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale Elle plonge dans la chair rouge du sol Elle plonge dans la chair ardente du ciel Elle troue l’accablement opaque de sa droite patience. (Aimé Césaire)

«Afrique, continent imaginaire1» a écrit Sartre. Afrique, un monde étrange et

fantastique, peuplé d’êtres dont on n’avait jamais entendu parler et nous pouvons

imaginer la surprise et l’enchantement de ceux qui pour la première fois débarquaient

sur ces Terres.

Déjà, dans l’antiquité, les Colonnes d’Hercules annonçaient la fin et le début d’un

Continent. De ce coté là du détroit de Gibraltar, repose Ceuta, réminiscence du

monde européen, où, une fois passée la frontière, les couleurs de l’Andalousie se

transforment ; les sons se diluent annonçant un immense continent, où les hommes

apparaissent comme surgissant de la Terre. Après Ceuta, les parfums des fleurs

d’oranger, du henné et d’un jour de Ramadan, nous introduisent dans un autre monde.

Afrique, où le désir de pouvoir, de richesse et d’impossibles voyages ont alimenté

l’imaginaire déjà si fertile des européens. Au moyen âge, les références à des mondes

lointains et fantastiques, à de véritables paradis terrestres, peuplés d’êtres étranges,

sont abondantes et transposent les frontières du réel et du possible, mêlant sacré et

profane et alimentant les recherches des alchimistes, semblables à celles de Ponce de

Léon à la recherche de l’Ile de Jouvence. L’esprit du moyen âge regorge d’esquisses,

1 Jean-Paul Sartre, «Orphée noir». In Léopold Sédar Senghor (org.) (2002) Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française. Paris : PUF, p. XVI

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de descriptions impressionnantes comme celles des monstres décrits par Honorius

d’Autun2.

Continent africain, attraction et répulsion, où les ailes de géant du peuple

européen laissèrent une des plus grandes ombres de l’Histoire du Monde :

l’esclavage. Les premiers pas de cette descente aux enfers de la nature humaine sont

décrits par Zurara3 dans ses chroniques de Guinée. Un des débuts de cette

douloureuse diaspora du peuple africain commença l’été de 1441, sous les yeux de D.

Henrique dans une province du Sud du Portugal, l’Algarve. Un calvaire qui dura près

de quatre cents ans et qui continua même après 18364 car les tentacules vénéneux de

la ségrégation raciale vont régner sous diverses de formes. Plus tard les processus de

décolonisation furent longs et sanglants, laissant des lignes de séparation fictives, une

Afrique morcelée, découpée en lignes droites sans préoccupation envers les peuples

et les tribus.

Au début du XX siècle, des intellectuels et des artistes montrent leurs intérêts

pour l’art et la culture africains. Nous ne pouvons oublier de mentionner l’Anthologie

Nègre5 de Blaise Cendrars publiée en 1921 et dont les sources principales sont celles

que des missionnaires et des explorateurs nous ont laissé.

2 Honorius Augustodunensis, qui suivant l’esprit encyclopédique de son temps, composa un ouvrage didactique et moral en latin intitulé Imago Mundi (Image du monde, XII siècle), va inspirer Gautier de Metz dans son ouvrage Image du monde (en particulier dans la deuxième partie dédiée à la géographie et où apparaissent des descriptions extraordinaires et fantastiques d’animaux et d’êtres étranges) et parmi d’autres, Brunetto Latini dans son ouvrage doctrinal Li livres dou trésor. 3 Gomes Eanes de Zurara (v.1420-1473/74) fut le chroniqueur de l’Infant D. Henrique, dont il fait le panégyrique dans les chroniques de Guinée (1453). Il existe une traduction française de cette chronique de Zurara, faite par Léon Bourdon in Mémoire de l’Institut Français d’Afrique Noire, nº60, Dakar, 1960. Aux pages 146-147 de Crónica da guiné (s.d.). (s.l.) : Livraria Civilização, nous pouvons lire la suivante description:« (…)começaram de os apartar uns dos outros afim de porem seus quinhões em igualdade(...)pois, logo que os tinham posto numa parte, os filhos que viam os pais na outra levantaram-se prestemente e iam-se para eles; as mães apertavam os outros filhos nos braços e lançavam-se com eles de bruços, recebendo feridas, com pouca piedade de suas carnes, para lhes não serem tirados (...)». ( «Ils commencèrent à les séparer afin de procéder à un partage égal (...)dés qu’ils commencèrent, les enfants éloignés de leurs parents, se levaient prestement pour les rejoindre ; les mères embrassaient leurs autres enfants, les couvraient de leurs corps pour ne pas être séparés, recevant des coups sans pitié (…) [notre traduction] ) 4 Les dates indiquant la fin de l’esclavage sont multiples et varient en fonctions des pays. Nous pouvons lire dans un ouvrage collectif, Voz de Angola no Deserto (1984). Lisboa : Edições 70, à la page 22 dans Solemnia verba du chanoine António José do Nascimento: « (...) 10 de Dezembro de 1836, data do decreto referenciado pelos beneméritos, então Visconde de Sá da Bandeira, Padre António Manue L. Vieira de Castro e Manuel da Silva Passos, proibindo a escravatura» («(...) le 10 décembre 1836, date du décret rapporté par les bien méritants vicomte de Sá da Bandeira, Père António Manuel L. Vieira de Castro et Manuel da Silva Passos, interdisant l’esclavage.» [notre traduction] ). 5 Blaise Cendrars (1972) Anthologie Nègre. Paris: Le livre de Poche. C’est un ouvrage qui révèle l’admiration de l’auteur pour les civilisations africaines, la spontanéité des formes d’expression (la musique, la danse, les rythmes improvisés, les récits imagés). Blaise Cendrars a recueilli des informations d’ethnologues et de linguistes et sélectionné les textes, pour nous offrir un aperçu de cette culture. Dans la notice du présent volume, nous pouvons vérifier le travail dédié et patient du poète de la Prose du Transsibérien et de

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Après cette digression musicale avec Blaise Cendrars, revenons à la Négritude !

C’est grâce à cette diaspora initiale que la voix du Nègre va retentir et revenir sur un

continent déchiré6. Les évènements et les publications se bousculent. William E.B.

Dubois va participer à une série de congrès panafricains dans plusieurs capitales du

monde colonialiste. Une doctrine est élaborée dont l’idée principale est de

promouvoir l’union et la solidarité des peuples africains. L’art africain est présenté

dans de grandes expositions, comme l’Exposition des Arts Décoratifs en 1925, et puis

l’Exposition Coloniale en 1931. Partout dans le monde, la voix des poètes s’élève.

Une voix qui exprime sa puissance par le rythme. Une étonnante musicalité qui va

unir un peuple aux multiples langues.

A Cuba, Nicolas Guillén compose essentiellement sur la structure musicale du

poème. Il chante la vie quotidienne du Nègre de la Havane7. Aux États Unis

d’Amérique, Langston Hugues8 fait le portrait du comportement raciste plus ou

moins violent des Blancs. A Paris, en 1935, paraît la revue L’Étudiant Noir. En

1937, Léon Damas écrit Pigment9. En 1938, Richard Wright écrit Uncle Tom’s

Children, où il dresse le portrait réaliste de la vie des noirs américains du Sud,

pendant la ségrégation raciale. Dans ce recueil de nouvelles, il met en évidence la

position délicate du métis. Il parle de la souffrance et de la lutte contre l’oppression.

En 1940, il écrit Native Son (Un enfant du pays), un roman où l’anti-héros, Thomas

Bigger, commet deux horribles crimes qui sont inévitables, mais qui le conduisent à

la chaise électrique. En 1945, paraît Black Boy, une œuvre auto biographique, sans

doute le texte le plus connu de l’auteur.

la petite Jeanne de France : «(…)Le présent volume est un ouvrage de compilation. C’est pourquoi je me suis fait un devoir d’indiquer exactement dans la bibliographie la date et le lieu de publication des ouvrages compulsés. J’ai reproduit ces contes tels que les missionnaires et les explorateurs nous les ont publiés. Ce ne sont pas toujours les versions les plus originales, ni les traductions les plus fidèles. Il est bien à regretter que l’exactitude littéraire ne soit pas le seul souci légitime de ces voyageurs lointains. En effet, l’étude des langues et de la littérature des races primitives est une des connaissances les plus indispensables à l’histoire de l’esprit humain et l’illustration la plus sûre à la loi de constance intellectuelle entrevue par Remy de Gourmont.» 6 Il est intéressant de remarquer que cela va se dérouler avant et pendant la deuxième guerre mondiale. En effet, si nous pensons au contexte historique et au moment littéraire, que les maîtres de l’histoire littéraire ont nommé modernisme, ou dès les années 40 post-modernisme, nous pourrions faire un abordage très révélateur, puisque cela correspond aux effervescences de nationalismes exacerbés. 7 Cet aspect se retrouve essentiellement dans Motivos de Son (1931) et West Indies Ltd (1934) 8 Ce thème se retrouve dans le recueil de nouvelles intitulé The Way of White Folks (1934). Langston Hugues a aussi publié des poèmes dans l’esprit de la négritude et d’un combat pour la liberté 9 Léon –G Damas, Poète Guyanais (1912-1978).

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En 1939, W.E.B. Dubois écrit Black Folks, then and now, où il présente une

vision globale de l’histoire des peuples nègres tout en parlant des grands noms de la

culture africaine. Pour lui, la lute pour l’égalité des droits était aussi une lutte pour la

liberté des Nègres du Monde et, en premier, les Nègres soumis à la colonisation.

Cette même année, le néologisme, Négritude, apparaît pour la première fois dans le

long poème d’Aimé Césaire intitulé Cahier d’un retour au pays natal, publié dans

la revue Volontés 1010. La négritude s’est construite sur des principes esthétiques et

idéologiques. C’est une prise de conscience, une valorisation de la culture nègre, de

l’«être nègre» dans le monde et l’expression de l’âme nègre par le biais de la Poésie.

Nous ne pouvons oublier que la position de ces poètes fut extrêmement délicate. Le

moment historique de la négritude correspond aussi à la tentative d’élimination des

minorités ainsi qu’à la présence d’une censure systématiques.

Si certain poètes peuvent encore être considérés comme appartenant au

«négrisme», la négritude se consolide par ses affirmations idéologiques, par sa

réflexion sur la condition de l’être, par l’appropriation de la langue de l’oppresseur et

Jean-Paul Sartre nous en donne une puissante description et réflexion dans sa préface

à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, intitulé Orphée Noir. Ce

superbe essai poétique engagé dans la négritude rehausse la puissance et le rythme

de ce nouveau verbe. Il y annonce que la «négritude est retrouvée», impliquant de

ce fait quelle a toujours existé. Cependant elle est retrouvée d’une part à travers la

littérature par le pouvoir des mots et d’autre part à travers la réflexion qui porte à

l’action grâce au Verbe. Cette idée est exprimée par Senghor dans la postface des

Éthiopiques (1956) : «le pouvoir de l’image analogique ne se libère que sous

l’effet du rythme. Seul le rythme provoque le court-circuit poétique et transforme

le cuivre en or, la parole en verbe» Ce verbe est poème et parole mais il est aussi

action et se concrétisera dans le concept de l’autodétermination des peuples. Le

choix du titre est extrêmement révélateur puisqu’il allie un personnage du panthéon

10 Aimé Césaire, Poète Martiniquais (1913-2008). En 1935, il fonde la revue l’Étudiant Noir avec Léopold Sédar Senghor et Léon Damas, où il écrit «La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être Noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture.». Le long poème intitulé Cahier d’un retour au pays natal est paru dans la revue Volontés à Paris en 1939. Il fut édité en 1947 par les éditions Bordas avec une préface d’André Breton écrite en 1943. Les rééditions, depuis 1956, furent de Présence Africaine. On en retrouve un long extrait dans l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache.

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de la culture occidentale, le fils du roi de Thrace Oeagre et de la muse Calliope, le

poète et musicien le plus célèbre, à la couleur noire. C’est la tête de l’Orphée noir,

qui, comme celle de l’Orphée de Thrace, fut arrachée, que Sartre nous fait

redécouvrir : «Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu’à terre par la force,

pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l’adoration dans leurs yeux ? Voici

des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir

comme moi le saisissement d’être vus.»

Selon Sartre, la poésie de la négritude «est évangélique» et l’auteur de la préface

se présente en porte-parole, en médiateur et témoin de ce Verbe. L’ Orphée Noir

présente deux aspects qui se trouvent synthétisés dans la redécouverte de la

négritude. Le premier appartient au monde littéraire, c’est le principe esthétique de la

négritude qui s’appuie sur le rythme du verbe créatif. L’analyse du philosophe nous

révèle deux sortes de négritude directement liées à l’expression esthétique. L’une est

une négritude objective et l’autre une négritude subjective. La première serait

directement liée à la tradition orale, où l’expérience poétique est faite de danses et de

rythmes ancestraux. La deuxième serait un dépassement du surréalisme par la

dimension subversive de la «corruption» poétique de la langue de l’oppresseur

rejoignant une dimension plus politique. Or ce verbe innovateur est aussi action et

introduit donc le deuxième aspect : le principe idéologique de la négritude, où

l’affirmation et la reconnaissance de l’être, l’être noir, fournissent les instruments de

son autodétermination. En termes de langage, il s’agit d’un passage de la logique à

l’ontologique, puisque le fait de «dire son Monde» est passer du mot au verbe.

Il a été reproché à Sartre le recours équivoque à une figure mythologique grecque

pour parler de la négritude. Toutefois, si nous considérons que l’Orphée Noir est

avant tout une analyse poétique, qui comme toute analyse contemple la forme et le

fond, c’est à dire le domaine esthétique et idéologique, il ne nous semble pas y avoir

de malentendu. Le personnage emblématique a été bien choisi et transformé en un

Orphée qui a perdu sa «pâleur de mal cuit». Un Orphée Noir, ou l’adjectif noir ne

qualifie pas, mais nous montre un «être de feu» avec une nouvelle force poétique.

D’autre part, le malentendu pourrait cependant exister dans la répétition de l’histoire

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mythique : la double perte11. Toutefois cette perte appartient au passé, puisque, selon

Sartre, la négritude a été retrouvée. Le sentiment de perte est une notion propre à la

pensée occidentale. C’est pourquoi, dans ce cas précis, ce sentiment doit être perçu

comme un passage. La négritude est/était un état momentané qui doit/devait

propulser l’homme noir, l’homme opprimé, l’home subjugué ver son avenir : «Ainsi

la négritude est pour se détruire, elle est passage et non aboutissement, moyen et

non fin dernière. Dans le moment que les Orphées noirs embrassent le plus

étroitement cette Eurydice, ils sentent qu’elle s’évanouit entre leurs bras.»12

La poésie de la négritude s’insinue dans le langage qu’elle va utiliser. Un

langage qui ne lui appartenait pas mais qui sera l’instrument d’une lutte. Nous

retrouverons bien sur, des poèmes exclusivement de combat qui auront perdu l’esprit

de cette recherche qui se voulait aussi littéraire13.C’est avec toutes ces productions

littéraires et l’innovation rythmique des mots ou, pour utiliser ceux de Léopold Sédar

Senghor, la transformation «du mot en verbe» que le dépassement de la négritude

s’est accompli14.

Ce réveil va avoir des ramifications, des prolongements et des répercussions dans

d’autres pays africains. Nous le retrouverons, dès 1949, dans les pays africains de

langue portugaise, comme l’a démontré Pires Laranjeira15, même si cette négritude

lusophone a été et continue d’être un sujet polémique. L’influence des poètes du

monde entier ainsi que ceux de l’Anthologie de la Nouvelle Poésie Nègre et

Malgache, Léopold Sédar Senghor, Aimé Cesaire et Léon Damas, s’est faite sentir

dans la publication, en 1953, du cahier : Poesia negra de expressão portuguesa16

dédié à un poète du «negrisme», Nicolas Guillén, où l’on peut lire un de ses poèmes.

11 La descente aux enfers, la perte d’Eurydice et la mort d’Orphée. 12 Senghor (org.) Op.Cit., p.XLI 13 Nous ne pouvons oublier que la littérature est produite dans un contexte historique avec lequel elle crée des liens. Si le texte de Sartre a été critiqué par quelques spécialistes de la littérature africaine, nous ne pouvons nier sa force poétique. Le message qui semble évident dans le texte de Jean Paul Sartre est que la négritude est un moment qui doit être dépassé. En annonçant la négritude comme un passage, un dépassement, le philosophe laisse la porte ouverte a un futur en marche. 14 Ce dépassement s’est accompli du point de vue littéraire et évidemment du point de vue historique les luttes furent et continuent sanglantes. 15 Pires Laranjeira (1995) A negritude africana de língua portuguesa. Porto: Afrontamento. 16 Francisco José Tenreiro, Mário Pinto de Andrade (org)(1982). Poesia negra de expressão portuguesa. Linda-a-Velha: África Editora. Cette publication est accompagnée d’un article de Manuel Ferreira intitulé : «Metamorfoses e premonição»

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Cette publication fut organisée par Mario Pinto de Andrade et Francisco José

Tenreiro et présente une reproduction d’un dessin du peintre António Domingues.

Dans cette publication se trouvent réunis les poèmes de deux poètes de São

Tomé : Alda do Espírito Santo avec «Lá no água Grande», où la blancheur du linge

propre détonne entre les mains des petites nègres ; où les rires et les chants explosent

entre les gouttes d’eau qui bondissent ; où on retrouve des éléments de la terre : la

pierre, le vent et l’eau qui rythment la vie quotidienne ; et de Francisco José Tenreiro

avec «Coração em África», où s’élèvent les voix des poètes du monde, toutes les

couleurs des artistes du monde qui chantent avec le cœur en Afrique. Trois poètes

d’Angola : Agostinho Neto avec «Aspiração» et «Criar», où le poète chante le désir,

qui est une force, de transformer et de créer ; et António Jacinto avec

«Monangamba», où prend place un dialogue comme dans les chants africains ; et

Viriato da cruz avec «Mamã Negra», où résonnent les voix du cœur de l’Afrique qui

est Mère. Une poétesse du Mozambique, Noémia de Souza avec «Magaíça» et

«Deixa passar o meu povo», où on retrouve la voix des «negroes spirituals».

Dans la préface de Mário Pinto de Andrade, datée de Avril 1953, nous pouvons

vérifier l’importance des poètes de l’Anthologie organisée par Senghor et il nous

semble important de souligner deux aspects. Le premier se rapporte à la poésie nègre

qui, comme l’indique Mário Pinto de Andrade, dès les premières lignes de la

préface : « A poesia negra (…) surge hoje como um fruto amadurecido duma nova

consciência dos problemas africanos»17 La poésie nègre est donc considérée

comme un produit qui a atteint son plein développement et qui est le véhicule de

réflexions sur les problèmes africains. C’est donc une poésie didactique et engagée.

C’est une poésie qui lie la culture et la tradition africaine à une langue imposée qui

devient autre, qui se moule à la culture, à l’identité retrouvée. D’ailleurs, Mário

Pinto de Andrade lui donne un nom : «le drame rituel» : «Na África Negra, a poesia

tradicional não vive por si, como um dado de existência própria, mas apenas

quando as palavras são essenciais à música, e a música e as palavras à dança. É

uma forma sempre interessada e integrada numa expressão estética mais larga e

17 «La poésie nègre apparaît aujourd’hui comme le fruit mûr d’une nouvelle conscience des problèmes africains.» [notre traduction]

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complexa – o drama ritual»18. Il s’agit donc d’un dialogue qui s ‘établit entre les

mots, les sonorités et les mouvement du corps. C’est une poésie vivante. Un

organisme qui grandit et s’alimente des langages et d’une identité africaine. Le

deuxième aspect se rapporte à la négritude. Bien que le mot ne soit apparu qu’avec

Aimé Césaire, l’idée qu’il véhicule n’a pas de limite définie dans le temps et dans

l’espace. Selon Mário Pinto de Andrade, la négritude s’est exprimée pour la

première fois, dans le monde africain de langue portugaise, en 1942, avec Francisco

José Tenreiro dans le recueil intitulé Ilha de Nome Santo. Toutefois, nous ne

pouvons oublier de reprendre les derniers mots de l’auteur, qui viennent en quelque

sorte contredire l’idée initiale de fruit mûr : «Este caderno é, em última análise, a

expressão duma ansiedade ; possam todos compreendê-la e amá-la(…)»19.

La note finale de Francisco José Tenreiro nous permet de comprendre cette

«anxiété». En effet, en 1953, la poésie nègre de langue portugaise est amorcée.

D’où, d’une part, comme l’indiquent les organisateurs du cahier, la difficulté de

sélectionner les auteurs qui exprimaient la négritude. Mais, d’autre part, cette

difficulté nous indique que la poésie de la négritude possède des caractéristiques qui

lui sont propres et qui sont identifiables. Nous vérifions la participation de deux

femmes poétesses20 et l’absence de poètes de Cap Vert. Selon Tenreiro, ces poètes

mériteraient une étude spécifique, car il considère le cas de l’Archipel comme étant

particulier. Cette exclusion nous semble significative et d’une importance cruciale

pour comprendre la production artistique, le concept d’identité culturelle, sociale et

politique des pays africains de langue portugaise, mais nous ne l’aborderons pas

dans cette brève contextualisation.

18 Op.Cit., p.47. «En Afrique Noire, la poésie traditionnelle ne vit pas d’elle même, comme ayant une existence qui lui est propre. Elle vit quand les mots deviennent essentiels à la musique, quand les mots et la musique deviennent essentiels à la danse. C’est une forme intéressée et intégrée dans une expression esthétique plus vaste, plus complexe – le drame rituel.» [Notre traduction] 19 Op.Cit., p52 20 Alda do Espírito Santo et Noémia de Sousa. Il nous semble important de souligner cet aspect, car l’accès au monde littéraire, même en Europe, a pendant longtemps été le domaine privilégié de l’homme et que les infrastructures (éditeurs, presse) de ce monde commencèrent à se développer assez tard dans les pays africains de langue portugaise. Selon Pires Laranjeira, la typographie fut introduite en 1842 au Cap Vert, 1845 en Angola, en 1854 au Mozambique, en 1857 à São Tomé et en 1879 en Guinée Bissau et les respectives publications ont du parcourir un long chemin jonché de censures et autres difficultés.