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Conférence intergouvernementale Qualité et inclusion en éducation : le rôle unique des langues Strasbourg, 18-19 septembre 2013 Palais de l’Europe, Salle 9 Jeudi 19 septembre 2013 Présidence : Mike Fleming CONVERGENCES ENTRE LES LANGUES (COMME MATIÈRE) EN VUE DUNE ÉDUCATION DE QUALITÉ Prendre appui sur la langue de scolarisation pour apprendre les langues étrangères – développements curriculaires récents en Suisse Dr. Mirjam Egli Cuenat, Institut pour l’enseignement et l’apprentissage des langues, Haute école pédagogique de St. Gall, Suisse 1. Introduction : situation dans le contexte suisse............................1 2. Favoriser les convergences dans le curriculum des langues dans les plans d’études.......................................................................3 3. Favoriser les convergences entre langue de scolarisation et langues étrangères dans les matériaux d’enseignement...................................7 4. La formation des enseignants...............................................11 5. En guise de conclusion.....................................................12 6. Bibliographie..............................................................12 1. Introduction : situation dans le contexte suisse Les réflexions qui suivent se situent dans le contexte de l’enseignement- apprentissage des langues en Suisse. La Suisse est officiellement quadrilingue avec, comme langues nationales, l’allemand, le français, l’italien et le 1

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Conférence intergouvernementale

Qualité et inclusion en éducation : le rôle unique des langues

Strasbourg, 18-19 septembre 2013

Palais de l’Europe, Salle 9

Jeudi 19 septembre 2013

Présidence : Mike Fleming

CONVERGENCES ENTRE LES LANGUES (COMME MATIÈRE) EN VUE D’UNE ÉDUCATION DE QUALITÉ

Prendre appui sur la langue de scolarisation pour apprendre les langues étrangères – développements curriculaires récents en Suisse

Dr. Mirjam Egli Cuenat, Institut pour l’enseignement et l’apprentissage des langues, Haute école

pédagogique de St. Gall, Suisse

1. Introduction : situation dans le contexte suisse......................................................................................1

2. Favoriser les convergences dans le curriculum des langues dans les plans d’études.......................3

3. Favoriser les convergences entre langue de scolarisation et langues étrangères dans les matériaux d’enseignement............................................................................................................................ 7

4. La formation des enseignants.................................................................................................................11

5. En guise de conclusion............................................................................................................................ 12

6. Bibliographie............................................................................................................................................. 12

1. Introduction : situation dans le contexte suisse

Les réflexions qui suivent se situent dans le contexte de l’enseignement-apprentissage des langues en

Suisse. La Suisse est officiellement quadrilingue avec, comme langues nationales, l’allemand, le français,

l’italien et le romanche. Le quadrilinguisme suisse est géré selon par le principe de territorialité, établi dans la

Constitution fédérale (article 70, §2), stipulant qu’en règle générale, une seule langue – celle

traditionnellement parlée par le plus grand nombre de personnes dans un territoire donné – est

obligatoirement utilisée dans les domaines de la vie officielle, notamment en ce qui concerne l’école

publique. De ce fait, le multilinguisme national ne va pas automatiquement de pair avec le plurilinguisme

individuel dans les langues nationales. En revanche, du fait d’un taux d’immigration important, une part

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considérable des habitants en territoire Suisse sont plurilingues: en moyenne, 25% d’enfants en scolarité

obligatoire sont alloglottes, ressortissant d’un grand nombre de langues, dont le turc, l’albanais, le portugais,

l’espagnol et bien d’autres encore.

En relation avec le quadrilinguisme national, des efforts considérables sont déployés au niveau politique

depuis une quarantaine d’années pour faire acquérir à tous les enfants, dès l’école primaire, en plus de la

langue officielle locale, une deuxième langue nationale comme langue étrangère, afin de garantir la

compréhension entre les régions linguistiques. Depuis 2004, suite à un concept global pour les langues,

développé à la fin des années 90 (Lüdi et al 1998), une stratégie nationale de coordination de

l’enseignement des langues est mise en œuvre par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de

l’instruction publique (CDIP). L’objectif est désormais de soutenir dès la scolarité primaire l’apprentissage

d’une deuxième nationale plus l’anglais. Le choix et l’ordre d’introduction varient selon les régions, comme le

montre l’illustration suivante :

Source : CDIP (2013)

Le système éducatif suisse est traditionnellement caractérisé par un fédéralisme extrême. Depuis plusieurs

années, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) déploie avec le

projet HarmoS des efforts considérables pour créer une cohérence dans les systèmes éducatifs des 26

cantons. Ainsi, des standards de formation sont élaborés et valables pour toute la Suisse ; cependant les

plan d’études et le choix de l’ordre d’introduction des langues sont de l’ordre de la compétence des régions

(pour plus de détails voir Hutterli et al 2012).

Dans ce qui suit, j’aimerais mettre l’accent sur trois grands projets curriculaires liés aux régions : Le Plan

d’études romand pour les cantons de la Suisse francophone (en bleu clair sur la carte), le projet

Passepartout pour 6 cantons suisses alémaniques situés le long de la frontière francophone-germanophone

(en bleu foncé) et le Lehrplan 21 pour les 21 cantons suisses alémaniques (réunissant ces six cantons et les

cantons de la Suisse alémanique orientale, en vert sur la carte). C’est en rapport avec le projet Passepartout

que je tenterai de mettre en valeur le poids de l’élaboration de matériaux d’enseignements liés aux objectifs

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d’apprentissage et de la formation des enseignants pour la mise en en œuvre des objectifs formulés dans le

curriculum.

2. Favoriser les convergences dans le curriculum des langues dans les plans d’études

L’enjeu majeur dans cette section de la Conférence intergouvernementale est la promotion d’une

approche intégrée à l’enseignement et l’apprentissage des langues à travers la création de convergences

entre celles-ci. Comme l’a rappelé Mike Fleming dans son introduction, une telle approche vise une

expérience d’apprentissage plus unifiée et moins fragmentée : l’objectif est de favoriser un développement

harmonieux des répertoires plurilingues des apprenants par le curriculum scolaire. Comme décrit dans le

Guide pour les curriculums (Conseil de l’Europe, 2010), la notion de curriculum est envisagée ici de manière

très large, comme dispositif permettant d’organiser l’apprentissage. Ce dispositif engage tous les échelons

du système éducatif : le niveau international (supra), le niveau national ou régional (macro), le niveau de

l’établissement scolaire (méso), la salle de classe (micro) et le processus d’apprentissage individuel (nano).

Le curriculum ainsi défini concerne l’ensemble des composantes de la planification curriculaire, soit les

finalités, les objectifs/compétences, les contenus d’enseignement, les démarches et activités, les

regroupements des apprenants, les dimensions spatio-temporelles du processus d’apprentissage, les

matériaux et ressources, le rôle des enseignants, les coopérations et l’évaluation.

En accord avec le principe des convergences, exposé dans le Guide pour les curriculums (Conseil de

l’Europe 2010, section 2.3.2), les plans d’études Suisse présentés ici visent tous d’une manière ou d’une

autre à créer une cohérence dans l’ensemble des enseignements des langues comme matières, pensés

traditionnellement de manière séparée. Ils tentent de valoriser au mieux les ressources construites en

langue de scolarisation et en langues étrangères. Le Plan d’études romand, élaboré dès 2007 et achevé en

2011 pour les cantons de la Suisse romande, est encore en phase d’introduction. Le plan d’études

Passepartout pour les six cantons germanophones (ou bilingues) situés le long de la frontière linguistique

germano-francophone ayant choisi le français comme première langue étrangères, a été achevé en 2011. Le

Lehrplan 21, encore en voie d’élaboration pour les 21 cantons suisses alémaniques, sera finalisé en 2014, et

intégrera en partie le plan d’études Passepartout.

Dans ces plans d’études, quelques dimensions favorisent un développement cohérent du répertoire

plurilingue :

la structuration en domaines de compétences analogiques pour les langues enseignées (langue de

scolarisation et langues étrangères)

la définition de compétences transversales et transposables liées à la language awareness ainsi

qu’aux stratégies de communication/d’apprentissages et leur organisation en progression.

la référence aux genres de textes comme ancres pour la création d’une cohérence à travers les

apprentissages

Dans le Lehrplan 21 et dans le Plan d’études romand (PER), la structure de base en domaines de

compétences est identique pour la langue de scolarisation et pour les deux langues étrangères. Cela

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favorise la création d’une cohérence voire de convergences à travers les langues. A titre d’exemple, voici la

structure de base du PER :

Structuration des domaines de compétences dans le PER (www.plandetudes.ch)

Contrairement au PER et au Lehrplan 21, le plan d’études du projet Passepartout, élaboré dès 2007, ne

s’applique qu’aux deux langues étrangères et non à l’allemand langue de scolarisation. Mais ayant servi,

entre autres, de base à l’élaboration des objectifs du Lehrplan 21, il a franchi comme celui-ci un pas décisif

au niveau de la description très concrète de compétences spécifiquement transversales et transposables,

organisées en progression à travers les cycles d’apprentissage.

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Passepartout est un projet curriculaire mis en œuvre par six cantons germanophones (dont deux

bilingues) situés le long de la frontière linguistique germano-francophone, s’étendant de 2006 à 2018, dans

lequel le français a été choisi comme première langue étrangère. L’allemand standard est la langue de

scolarisation, le français est appris dès la classe de 3ème primaire (8/9 ans) et l’anglais dès la classe de

5ème primaire (10/11 ans). L’éducation plurilingue est mise en valeur comme un des principaux objectifs

éducatifs dans le plan d’études (Passepartout 2011, 4). La détermination de trois domaines de compétences

montre le poids massif de la perspective plurilingue : agir avec la langue (domaine de compétences I),

conscience pour les langues et les cultures (domaine de compétences II) et stratégies d’apprentissages

(domaine de compétences III). Le domaine de compétences I a été élaboré de manière coordonnée pour les

deux langues étrangères, sur la base du Cadre européen commun de référence (CECR, Conseil de l’Europe

2001), mais en prenant également quelques libertés, notamment au niveau de l’inclusion de nombreuses

références à des genres de textes scolaires et des liens avec la langue de scolarisation. Les domaines de

compétences II et III ont été élaborés conjointement pour les deux langues étrangères, notamment sur la

base du CARAP, émanant du Centre européen pour les langues vivantes du Conseil de l’Europe (CELV,

Candelier et al. 2010). Voici un extrait de ce plan d’études :

Domaine de compétences IFrançais (année scolaire 7/8)

Niveau A 2.1

Objectif global :

Domaines d’activité

Agir avec la langueCompréhension de l’oral

Comprendre quand on parle lentement et distinctement de sujets connus

Activités d’apprentissage et contenusRencontrer et comprendre des histoires en langue étrangère

Comprendre les principaux aspects d’histoires courtes et simples (personnages, action,

dénouement)

Comprendre de manière plus détaillée des parties d’une histoire, savoir les relater dans la

langue scolaire, si elles peuvent être écoutées à plusieurs reprises et par petites sections

Domaine de compétences IIFrançais et anglais (année scolaire 7/8)

Objectif global :

Domaines d’activité

Conscience pour les langues et pour les cultures

Développer la conscience pour les langues et les cultures et une attitude positive à travers la

réflexion, l’observation et des activités ludiques.

Activités d’apprentissage et contenusSavoir-faireReconnaître des particularités, comparer,

mettre en relation les langues et les cultures

Observer des ressemblances et des différences au niveau linguistique et culturel

Formuler en langue scolaire des hypothèses à propos du fonctionnement de la langue

Tirer bénéfice des ressemblances entre les langues

Domaine de compétences IIIFrançais et anglais (année scolaire 7/8)

Objectif global :Domaines d’activité

Stratégies d’apprentissage

Appliquer et élargir les techniques d’apprentissage, construire une attitude positive face à

l’apprentissage, réfléchir à son apprentissage à l’aide du portfolio pour les langues (PEL II)

Activités d’apprentissage et contenusApprentissage de la langue: construire des stratégies pour apprendre de manière efficace.

Lire : activer le savoir préalable, chercher des mots parallèles dans d’autres langues,

deviner, regarder dans le dictionnaire

Ecrire : regarder les mots dans un dictionnaire, se servir de structures textuelles proposées

à l’usageExtraits du plan d’études Passepartout (2011) pour la 5ème et 6ème classe de primaire (années scolaires 7/8 selon HarmoS ; 11-13 ans), traduction ME

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Le plan d’études Passepartout a été formulé seulement pour les deux langues étrangères, étant donné que l’objectif majeur du projet se restreint à l’introduction de deux langues étrangères dès l’école primaire. Toutefois, l’on trouve dans ce plan d’études de nombreux encouragements à l’établissement de convergences avec la langue de scolarisation:

« L’efficacité de l’apprentissage des langues peut être augmentée si les élèves sont encouragés à exploiter le potentiel de transfert entre les langues. Ainsi, si les élèves ont déjà appris dans le cadre de l’enseignement de l’allemand [langue de scolarisation] à lire un texte de manière sélective, à écrire une lettre formelle ou à deviner le sens d’un mot nouveau à partir du radical d’un mot connu, ces compétences peuvent être activées de manière ciblée dans l’enseignement des langues étrangères. » (Plan d’études Passepartout 2011, p. 9, traduction ME)

Tous les projets curriculaires présentés se situent au niveau décisionnel macro (voir ci-dessus).

L’introduction de la perspective plurilingue à travers l’élaboration de plans d’études est donc de l’ordre d’une

approche curriculaire top down. Leur introduction est obligatoire pour toutes les écoles publiques des

cantons concernés, comme les standards de formation « HarmoS », élaborés pour l’ensemble de la Suisse.

Toutefois, comme il est bien connu, le passage de la formulation d’objectifs au niveau macro vers la pratique

de la salle de classe au niveau micro est épineux et peu évident. Dans le projet Passepartout, cette difficulté

a été anticipée dans la planification, tant au niveau de la création de matériels prêts à l’emploi qu’au niveau

de la formation des enseignants.

3. Favoriser les convergences entre langue de scolarisation et langues étrangères dans les matériaux d’enseignement1

Les matériaux d’enseignement prêts à l’usage peuvent jouer un rôle important pour la mise en œuvre

d’objectifs de curriculums au niveau micro (cf. Egli Cuenat et al. 2010, 113 f.). Ceci est d’autant plus vrai si

un système éducatif – comme c’est le cas en Suisse – prescrit l’usage de matériaux d’enseignement

obligatoires. En guise d’illustration des activités à mettre sur pied en classe afin de réaliser le type de

convergences à travers les langues préconisé par les plans d’études, voici une séquence tirée des

matériaux d’enseignement Mille feuilles. Ces matériaux ont été créés sur mandat dans le cadre du projet

Passepartout pour l’enseignement du français comme première langue étrangère.

Le manuel Mille feuilles vise dès la première année d’apprentissage (dès la classe de troisième primaire

(8/9 ans) non seulement l’enseignement du français langue étrangère, mais plus généralement le

développement autonome des répertoires plurilingues et la language awareness. Les auteurs adoptent une

approche orientée vers les contenus et les tâches et proposent de manière quasi exclusive des activités

basées sur des textes authentiques (cf. Grossenbacher et al. 2012). Les convergences entre la langue

étrangère et la langue de scolarisation ainsi que le travail sur la littératie plurielle jouent un rôle majeur.

1 Ce chapitre s’appuie partiellement sur Egli Cuenat, Mirjam (à paraître) : Koordinierte Förderung des mehrsprachigen Repertoires im Curriculum. In: Fremdsprache Deutsch, « Mehrsprachigkeit » Fokus : Die « Fremdsprache Deutsch » in mehrsprachigen Lehr- und Lernkontexten.

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Les extraits suivants, tirés de Mille feuilles 5.2. (Grossenbacher, Sauer et Thommen 2013) pour la

classe de 5ème primaire (11/12 ans) illustrent ceci. Les élèves sont dans leur troisième année

d’apprentissage du français langue étrangère et dans leur première année d’apprentissage de l’anglais

langue étrangère. Le parcours d’apprentissage s’étendant sur plusieurs semaines est centré autour un genre

textuel précis, la blague. Il s’agit d’un genre très courant que les enfants rencontrent ou pratiquent sous de

multiples formes dans leur vie quotidienne, à l’écrit ou à l’oral. Selon le concept du manuel, l’aperçu de la

tâche et les objectifs d’apprentissage donnent le cadre du parcours (voir l’extrait ci-dessous). En effectuant

diverses activités, les apprenants construisent les ressources nécessaires pour résoudre une tâche finale: se

raconter mutuellement des blagues en français, soit pendant toute une leçon, soit en instaurant un rituel en

commençant chaque leçon avec une blague. Cette activité sera proposée comme point de départ pour une

coopération entre les langues comme matière, soit l’allemand et l’anglais.

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je suis capable de comprendre des blaguesje suis capable de raconter une blague tout seul ou avec les autres

Je suis capable de reconnaître comment on forme la négation dans différentes langues

Je sais comment une blague est construite. Cela m’aide à comprendre et à raconter une blague.

Extraits de Mille feuilles 5.2 (Grossenbacher, Sauer et Thommen 2013), trad. ME

La tâche et les objectifs d’apprentissage – basés sur le plan d’études précédemment décrit – sont formulés en allemand, langue de scolarisation. Les explications, les consignes et les incitations aux réflexions métalangagières sont donnés en grande partie en allemand (quoi que de manière décroissante jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire). Comme partout dans le manuel, les objectifs sont présentés de manière bien visible aux élèves ; ils sont, de plus, assignés de manière transparente aux domaines de compétence du plan d’études précédemment mentionnés : en vert pour la capacité à agir avec la langue (domaine de compétences I), en bleu pour la conscience pour la langue et les cultures (domaine de compétences II), en orange pour les stratégies d’apprentissage (domaine de compétences III).

Dans ces objectifs, la language awareness est ciblée à plusieurs niveaux: tant autant au niveau du texte (saisir la structure de la blague), des stratégies (savoir utiliser cette structure) qu’au niveau de la syntaxe (comprendre le fonctionnement de la négation).

Les élèves bénéficient un input riche sous forme de choix de blagues en français s’étendant sur plusieurs pages du manuel, qu’ils peuvent déchiffrer grâce à des aides de traduction et écouter à partir d’un CD enregistré par des enfants francophones de leur âge. En guise de comparaison ou point d’ancrage, des

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Witze dans leur langue scolaire leurs sont également proposés; plus tard, moyennant des jokes en langue anglaise, on leur demandera également de créer des liens vers leur seconde langue étrangère.

Tiré de Mille feuilles 5.2 (Grossenbacher, Sauer et Thommen 2013), p. 15 ss.

La langue de scolarisation sert d’appui à plusieurs égards. Sans reprendre l’ensemble du parcours, j’aimerais pointer quelques aspects particulièrement intéressants eu égard à la construction transversale de la langue de l’éducation (Bildungssprache). Dans la séquence suivante, les apprenants sont sollicités à réfléchir sur le genre textuel de la blague. Le texte prototypique, représentant le genre, est présenté en allemand : il en va de même pour les réflexions dans le but d’assurer une compréhension maximale du principe par tous les élèves. Un glossaire bilingue pose les éléments clé en français: la situation, le dialogue, la chute. Cette réflexion est libellée dans un petit encadré comme une stratégie aidant les élèves par la suite à mémoriser plus facilement les blagues.

Tu comprends comment la plupart des blagues sont construites:

Chaque genre de texte a ses caractéristiques propres. En regardant l’exemple suivant, tu verras quelles sont les parties une blague

Lis la blague. Comment est-elle construite?

Stratégie (encadré orange avec le signet du labyrinte): Connaitre les caractéristiques d’un genre de texte. Cela t’aidera à comprendre un texte et à le raconter.

Tiré de Mille feuilles 5.2 (Grossenbacher, Sauer et Thommen 2013), p. 34, Trad. ME

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La maîtrise de macrostructures ou schémas textuels a été reconnu dans la recherche

développementale et didactique comme un élément clé et pour la production et pour la réception textuelles.

Il s’agit de moyens potentiellement transposables d’une langue à l’autre, ce qui les rend particulièrement

propices à la création de liens entre les langues dans l’enseignement (voir p.ex. Deyrich 2006). Le schéma

proposé représente de toute évidence une simplification, étant donné que le genre de la blague est

décomposable en nombreux sous-genres. Toutefois les composantes correspondant au schéma narratif

cadre – développement – situation finale/chute (l’élément inattendu) peuvent s’appliquer à un grand nombre

de blagues ou d’histoires drôles et en grande partie à celles proposées aux enfants dans le manuel.

Au sein de ce même parcours d’apprentissage, quelques chunks permettant d’appliquer la négation

grammaticale en français, dont les apprenants auront souvent besoin pour raconter leurs blagues, sont

présentés et appris par cœur. Par la suite, une activité d’analyse, basée sur la mobilisation des ressources

plurilingues est mise en œuvre afin de rendre conscients les élèves du fonctionnement de la négation en

langue cible:

Mille feuilles 5.2, Trad. ME

La réflexion – tant aux structures textuelles, tant aux stratégies de production et de réception textuelles tant aux structures syntaxiques récurrentes dans un genre – fait partie d’une didactique de la littératie et du développement d’une compétence textuelle en général (Wolff 2002, Portmann-Tselikas 2005, Schmölzer-Eibinger 2006). A partir d’un genre de texte proche des pratiques quotidiennes des élèves, un élément d’éducation langagière générale est donc fourni dans le cadre de l’enseignement d’une langue étrangère. L’usage des langues est interconnecté de manière savante pour encourager le transfert (« teaching for transfer », Cummins 2005), suivant le principe selon lequel les langues ne doivent pas être séparées en classe, mais se renforcer mutuellement (voir également Hall & Cook 2012).

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4. La formation des enseignants

L’élaboration de plans d’études favorisant les convergences entre la langue de scolarisation et les

langues étrangères et valorisant les ressources du répertoire plurilingue ainsi que la création de matériaux

scolaires transposant les objectifs formulés et prêts à l’usage des enseignants, représentent de toute

évidence un bon point de départ pour promouvoir une éducation langagière intégrée. Le plus grand défi

reste cependant la formation des enseignants (voir aussi Guide pour le Curriculums, Conseil de l’Europe

2010). En effet, si un tel curriculum est visé, les enseignants doivent non seulement être aptes à assurer un

enseignement d’une langue étrangère vivante, orienté vers les activités et les contenus, tant au niveau

didactique qu’au niveau des compétences en langue étrangères – ce qui est déjà un grand challenge. De

plus, ils doivent devenir des experts en plurilinguisme, conscients des apprentissages en synergie à travers

les langues, des répertoires diversifiés de leurs élèves, des potentialités d’apprentissage du plurilinguisme

« déjà là » des enfants ressortissant d’autres cultures ainsi que de la pluralité inhérente dans chaque langue

et culture (cf. Garcia 2008).

Une approche plurilingue implique également une connaissance des processus typiques ou

« normaux » de l’acquisition de plusieurs langues et d’une littératie plurielle, et, partant, la formation

d’attentes réalistes par rapport à la compétence plurilingue et interculturelle à acquérir qui s’éloigne de l’idéal

du native speaker dans chaque langue. Ainsi, ils doivent développer une attitude nuancée par rapport à

l’erreur linguistique et en général aux normes prescriptives à atteindre, surtout en langues étrangères. Prêts

à dépasser les cloisonnements de leur discipline, ces enseignants, s’ils n’enseignent pas plusieurs langues

comme matières, doivent être au courant des programmes des autres langues et prêts à coopérer avec leurs

collègues. Ils doivent savoir comment activer des stratégies de transfert d’une langue à l’autre, d’une

compétence à l’autre, d’une discipline à l’autre ; ils doivent gérer de manière réfléchie et maîtrisée les

alternances de langues en classe (cf. Hall & Cook 2012).

Ces exigences sont élevées. Les enseignants doivent passer de représentations « unilingues » des

langues et de leur enseignement-apprentissage à des représentations « plurilingues ». Ils doivent assimiler

des concepts pédagogiques et didactiques complexes sans succomber à la tentation de la simplification.

Cela implique aussi une connaissance de la richesse et la diversité des instruments à disposition et

apprendre à en exploiter le potentiel. Ils doivent apprendre à créer et exploiter une multitude de possibilités

de coopération. De plus, leurs conceptions de l’évaluation doivent évoluer. Et de toute évidence, ils doivent

informer les parents de cette évolution et, si possible, trouver aussi le moyen de les impliquer directement

dans les activités de classe

Dans le projet Passepartout, les objectifs de la formation initiale et continue, décrits sous forme de

référentiels de compétences, tant au niveau de la capacité à enseigner les langues que des compétences

langagières spécifiques à la profession, sont en cohérence avec l’ensemble du projet. Cette cohérence,

assurée par une collaboration étroite entre les membres du réseau et des documents de référence, sont

accessibles à tous les acteurs et responsables du projet (disponibles sur www.passepartout-sprachen.ch).

Une formation en didactique intégrée, s’étendant sur 12 journées, est prescrite à tous les enseignants en

langues étrangères, du primaire au secondaire inférieur. Une équipe d’enseignants spécialement formés,

proches de la pratique de l’enseignement, assurent la formation continue de leurs collègues, dans l’idée

d’une crédibilité maximale du curriculum recommandé. Toutefois, la réalité des impératifs de l’enseignement

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quotidien et les contraintes du système scolaire, continuant à fonctionner de manière cloisonnée, appellent à

tempérer les attentes.

5. En guise de conclusion

La formation et le soutien pratique des enseignants semble bien un des principaux défis de l’évolution

des dispositifs curriculaires. Dans les milieux didactiques et universitaires, surtout dans le domaine de

l’enseignement des langues étrangères ou secondes, on discute depuis une dizaine d’années de didactique

intégrée, d’apprentissages plurilingues ou pluriels et de convergences. Ces idées commencent lentement à

percer dans les milieux des décideurs en matière de curriculums. Simultanément le corps de la recherche

grandit, se solidifie et se spécialise de plus en plus. Pourtant, la grande majorité des enseignants sont

encore loin d’en être acquis. De plus, au niveau des institutions formatrices d’enseignants, les

cloisonnements disciplinaires entre les langues comme disciplines sont forts partout en Europe et ailleurs,

comme le montrent p.ex. Martinez et al. pour les didactiques du FLE, du FLS et du FLM en France (Martinez

et al. 2011). Le poids des représentations et des catégorisations, comme l’a mis en évidence Mike Fleming

dans son introduction, pèse lourd à tous les échelons.

Mais le domaine se trouve également en pleine évolution : ainsi, un concept modulaire en voie

d’élaboration en Autriche (ÖSZ, à paraître), conçu à l’intention des institutions de formation des enseignants,

propose des voies très concrètes de préparation des enseignants à leur futur rôle d’experts en

plurilinguisme. Ce module mise notamment sur l’idée de faire expérimenter aux (futurs) enseignants eux-

mêmes les principes d’un éducation plurilingue qu’ils offriront à leurs élèves, en les amenant ainsi à réviser

leurs représentations à propos de l’enseignement-apprentissage cloisonné des langues. La publication

d’exemples de pratiques couronnées de succès, d’excellents matériaux d’apprentissage, des instruments

d’évaluation adaptés aux nouveaux objectifs, l’information des responsables des établissements sont

d’autres clés importantes pour la mise en œuvre de ces changements.

6. Bibliographie

Candelier, M. (éd.) (2010) : A travers les langues et les cultures, CARAP. Graz : Conseil de l’Europe. http://carap.ecml.at/ (15.4.2013)

CDIP (2013) : Feuille d’information – enseignement des langes à l’école obligatoire. Bern: CDIP. http://www.edudoc.ch/static/web/arbeiten/sprach_unterr/fktbl_sprachen_f.pdf (30.08.2013)

Conseil de l’Europe (2010) : Guide pour l’élaboration des curriculums pour une éducation plurilingue et interculturelle. Strassburg: Europarat. http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/langeduc/BoxE-UseDescriptors_fr.asp (15.4.2013)

Cummins, Jim (2005) : Teaching for Cross-Language Transfer in Dual Language Education: Possibilities and Pitfalls. http://www.achievementseminars.com/seminar_series_2005_2006/readings/tesol.turkey.pdf (30.8.2013)

Deyrich, Marie-Chrstistine (2008) : Enseigner les langues à l’Ecole. Paris:Ellipse.

Egli Cuenat, Mirjam, Manno, Giuseppe & Le Pape Racine, Christine (2010) : Lehrpläne und Lehrmittel im Dienste der Kohärenz im Fremdsprachencurriculum der Volksschule. BzL 28 (1), 109-124.

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