Lulu (Patricia Petibon, Salzbourg) Blu-ray

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Alban Berg

Opéra

L’on a déjà écrit ici tout le bien que l’on pensait de la prestation de la soprano Patricia Petibon dans le rôle-titre de Lulu enregistré au Liceu fin 2010 dans la mise en scène d'Olivier Py. Cette présente captation restitue quant à elle la production de Vera Nemirova présentée la même année lors du Festival de Salzbourg. Patricia Petibon tient le même rôle écrasant que quelques mois plus tôt aux côtés de Pavol Breslik et Michael Volle. Marc Albrecht dirige le Wiener Philharmoniker. DVD et Blu-ray sont édités par EuroArts.

Patricia Petibon interprète Lulu à Salzbourg le 2 août 2010.

 

Prenons une pièce, une pièce très marquante, marquante au point d'être interdite en Allemagne. Son titre : Die Büchse der Pandora, autrement dit La Boîte de Pandore, jaillie en 1902 de la plume du dramaturge Frank Wedekind… En 1905 Alban Berg la voit pour la première fois dans une production de Karl Kraus. Mais il lui faudra plus de vingt ans pour que le souvenir de ce spectacle fasse son chemin en lui. Un chemin musical, bien sûr. Mais, pour que celui-ci soit complet, il fera appel à une autre pièce de Wedekind : Erdgeist (L’Esprit de la Terre).

Thomas Johannes Mayer (un dompteur) dans le Prologue de Lulu.

Berg commence la composition de Lulu après avoir terminé Wozzeck, son premier opéra. Il est interrompu dans l’écriture de la partition en 1935 par la mort de Manon Gropius, la fille de ses proches amis Walter Gropius et Alma Mahler. Cette mort lui fait pousser des ailes et il écrit, rapidement, comme emporté par l’émotion, son Concerto pour violon "À la mémoire d’un ange". Sa mort prématurée, en décembre 1935, suite à un empoisonnement du sang, l’empêchera de terminer Lulu, et il faudra attendre des années pour que Friedrich Cerha complète la partition à partir des indications laissées par le compositeur. Cette version, publiée en 1979, fut créée à Paris au Palais Garnier le 24 février de la même année sous la direction de Pierre Boulez. Elle fait maintenant autorité, et c'est celle retenue par le Festival de Salzbourg.

Un rôle en or pour Patricia Petibon

Patricia Petibon à l'Acte I de Lulu mis en scène par Vera Nemirova.

Lulu, c’est l’histoire d’une femme. Une histoire mouvementée, nimbée de corruption, de sexe et d’outrage et mâtinée d’un parfum de scandale. Or la mise en scène de Vera Nemirova cherche à ce que l’opéra ne perde en rien son pouvoir de déranger. Interpellent ainsi par leur audace la gestuelle des personnages masculins aimantés par le désir, l’abondance du sang et le réalisme des scènes. Pourront également choquer les tenues affriolantes de Patricia Petibon et ses poses de créature prétendument "sans âme" façon "poupée" fin-de-siècle. Se dessine dès lors une filiation, comme un hommage, entre l’interprétation de Patricia Petibon et celle d’Anneliese Rothenberger en 1967, à la Staatsoper de Hambourg, dans la mise en scène de Günther Rennert. Mais la soprano française va au-delà : par ses expressions, les mouvements tout aussi outranciers que retenus de son corps, et ses silences, jusque dans une immobilité quasi sépulcrale, Patricia Petibon incarne magnifiquement cette Lulu qui porte en elle la figure séculaire de la femme dénuée d’âme conduisant à leur perte les hommes qui s’attachent à elle. Il y a tant d’assurance et de justesse dans sa façon de jouer et de chanter que ce rôle semble être, comme on a pu l'écrire à propos de la production du Liceu, le rôle de sa vie. Patricia Petibon semble même ici encore davantage en osmose avec le rôle que dans la mise en scène d'Olivier Py créée à Genève 6 mois avant cette captation, et parvient à un très haut niveau de naturel, d’exigence et de justesse, tant dans son jeu théâtral que sur le plan vocal.

 

Patricia Petibon (Lulu) et Pavol Breslik (le peintre) dans Lulu d'Alban Berg mis en scène par Vera Nemirova.

 

Michael Volle interprète Dr Schön.

Parmi une distribution parfaite, Pavol Breslik et Michael Volle offrent une belle démonstration de leurs possibilités vocales en déployant une tessiture dramatique sur toute l'étendue du livret. L'ensemble des interprètes parvient en outre à une excellence dramatique, ne forçant jamais le geste jusqu’à l’outrance afin qu’il s’inscrive naturellement dans la musique et dans la sémantique du texte au point de sembler découler entièrement de celles-ci. C’est suffisamment rare pour être souligné, et chaleureusement applaudi.À la tête du Wiener Philharmoniker, Marc Albrecht (actuellement directeur musical de l’Opéra des Pays-Bas et de l’Orchestre Philharmonique des Pays-Bas) sait donner au volume sonore sa justesse et sa force. Sous sa direction, le Wiener Philharmoniker s’affirme avec suffisamment de savoir-faire pour que l'expression des instruments semble l’exhalaison des personnages, et non un tissu sonore les portant.

 

Franz Grundheber interprète le rôle de Schigolch.

Thomas Piffka interprète un compositeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le film dans l'opéra

Tanja Ariane Baumgartner interprète le rôle de la Comtesse Geschwitz.

Avec Lulu, le film s’invite à l’intérieur de la structure opératique, et tel était le souhait de Berg, qui fut très précis sur ce point. Aujourd’hui malheureusement perdu, un interlude filmé (Filmmusik) et muet, réalisé par Heinz Rucker, était projeté à la création pendant l'Acte II… Dans le film voulu par Berg défilent l’arrestation de Lulu, son procès, son incarcération et sa libération grâce à la ruse de la comtesse Geschwitz. La musique qui accompagne ce film manifeste d’ailleurs le centre de l’arche qui sous-tend l'œuvre entière, au même titre que la structure en miroir qui vise à confier plusieurs rôles aux mêmes chanteurs : les maris de Lulu à l’Acte I (le Médecin, le Peintre et le Docteur Schön) ne sont autres que ses clients à l’Acte III (le Professeur, le Nègre et Jack l’éventreur). Poussant cette logique de la structure en miroir à son paroxysme, Berg s’attache à ce que la musique qui accompagne le film soit un palindrome. Un palindrome dont le point central est indiqué par un arpège joué au piano, de manière ascendante puis logiquement descendante.Est-ce pour cette incursion du cinéma dans l'opéra que Lulu éveille en nous si naturellement le souvenir de plusieurs films ? Le début, au cours duquel le Dompteur introduit sa ménagerie dont la pièce maîtresse est Lulu, rappelle intensément le film de Max Ophüls Lola Montès (1955) – et toute l'œuvre doit être vivement rapprochée de Loulou de Pabst (1929), film qui s’inspire également très directement de La Boîte de Pandore de Wedekind.Le découpage de l’opéra lui-même contient quelque chose de cinématographique. Les tableaux, toujours intensément colorés, se succèdent avec vivacité. Comme l’écrit Michel Fano : "l’intuition 'cinématographique' que Berg avait de la dramaturgie musicale oriente l’architecture de l’œuvre".

 

Patricia Petibon (Lulu) et Tanja Ariane Baumgartner (la Comtesse Geschwitz).

Filmer Lulu

Proposer une captation de Lulu, c’est en capturer l’essence même tant on ne saurait séparer la musique et la façon dont les personnages vivent au travers d’elle, par et grâce à elle. Cette relation s'exprime constamment entre les inflexions, les morsures de la partition, et le comportement des personnages. Mais ces derniers vivent avec une force telle qu’ils semblent faire vivre également la musique en retour. Car, si Berg utilise la technique des séries d’Arnold Schoenberg*, il opère de telle sorte que la série génératrice soit déclinée en autant de "générations" que de personnages. Berg utilise cette technique à la manière de Wagner dans son Ring, et les séries ainsi rattachées à l’identité des personnages ont toutes les caractéristiques du leitmotiv.* Cette technique dite aussi "dodécaphonique" fonde la base d’une œuvre musicale sur une série de douze sons de la gamme chromatique, arrangée selon un ordre déterminé par le compositeur.

Franz Grundheber (Schigolch) et Patricia Petibon (Lulu).

Filmer Lulu c'est en quelque sorte aboutir au second achèvement de l'œuvre tant la réalité de l’image exhausse pleinement l'opéra de Berg. Regarder et écouter Lulu devient ainsi une pure féerie qui rend le spectateur captif de chaque instant de cette musique qui, pour prendre à bras-le-corps l’atonalité, n’en reste pas moins étonnamment classique. En effet, cette atonalité est manifestement exempte de volonté de brusquer l’oreille, d’aller à rebours du désir naturel d’euphonie. Berg substitue l’atonalité à la tonalité sans combattre cette dernière, et la bascule du tonal dans l’atonal ne nous prive ici aucunement du plaisir que distille en nous le tonal par sa rigueur qui semble aller de soi, ses chatoiements multiples… De telle sorte que notre écoute s'appuie sur une forme d'assentiment, bien plus que sur une attente de la surprise et de la lutte auxquelles nous contraint le plus souvent l’atonalité. Nous nous trouvons dans Lulu, comme dans Wozzeck, face à ce que définit le compositeur et écrivain Michel Fano comme des "formes musicales classiques qui 'rhétorisent' le drame".

 

Patricia Petibon (Lulu) et Michael Volle (Dr Schön).

La mise en scène de Vera Nemirova

Le sous-texte de l’opéra que la mise en scène de Vera Nemirova fait affleurer est que, même si la mort frappe de sanglante et injuste façon, même si la déchéance la plus définitive semble s’emparer des êtres, l’idée d’équilibre reste toujours sauve grâce à l’Art. L’Art sauve la vie par l’équilibre extrême qu’il instaure… Pour ce faire, le travail de Nemirova vise à ce que l’identité tonale de l’opéra de Berg soit montrée. Les déplacements des chanteurs sur scène, leurs costumes signés Klaus Noack entre inventivité et respect d’un lien avec l’Histoire, les somptueux décors de Daniel Richter, jusqu’à la lumière de Manfred Voss : tout vise à créer une harmonie et une cohérence qui répond à notre ontologique besoin de beauté. Aucune cacophonie dans ce maelström de couleurs, de sons et de mouvements car il donne toujours clairement à voir le comportement des personnages et la façon dont il se trouve sous-tendu par

l’affect, comme peut être tendue la corde d’un arc.Le travail opéré par les mouvements de caméras de Brian Large restitue en outre très bien les partis pris de mise en scène de telle sorte que l’intensité du détail et la fluidité des mouvements sont restituées ensemble sans jamais que l’une soit privilégiée au détriment de l’autre. L’on imagine ainsi sans peine pourquoi il faut se porter de préférence, si on en a l’occasion, vers la version Blu-ray de cette captation.

 

Scène finale de Lulu mis en scène par Vera Nemirova pour le Festival de Salzbourg 2010.

 

S'il est impossible de rendre caduque la version terrassante de beauté et de précision de Pierre Boulez avec Teresa Stratas parue en DVD chez Deutsche Grammophon en 2001, cette représentation de Lulu pétrie de qualités avec une incroyable Patricia Petibon fera incontestablement date. La mise en scène, la précision du jeu scénique des chanteurs, l’espace chatoyant dans lequel ils évoluent, recréent admirablement l’équilibre propre à l’opéra de Berg qui, loin de choquer par sa relative contemporanéité, fait de ce monument de la musique un joyau abouti du classicisme. Il est de plus très heureux de voir Patricia Petibon parvenir à une telle osmose avec un personnage qu’elle connaît bien et qu’elle interprète tout en nuances avec un mélange de candeur et d’affront. Son interprétation se hisse au niveau de sa justesse musicale et montre toute l’étendue de ses talents de comédienne, ce qui n’est pas rien.

Lire le test du DVD Lulu au Festival de Salzbourg 2010

Matthieu Gosztola

Suppléments du Blu-rayEn HD : Quatre bandes-annonces. (Stéréo PCM)

 

 

Bande-annonce du Blu-ray

Critique Images et Son du Blu-ray

Images

La formidable palette de couleurs de cette production contrastée est magnifiquement rendue par un master Haute Définition de très haute volée. Une précision au scalpel s'invite sur chaque plan, y compris dans les scènes peu éclairées, et révèle les matières et les brillances des costumes et bijoux avec un éclat infini. Les contrastes sont puissants, le piqué est saisissant et certains plans se parent d'une dimension de relief très convaincante.

Son

Le mixage stéréo avantage la projection vocale sur l'orchestre. De fait, les chanteurs sont parfaitement intelligibles mais la masse orchestrale assez souvent réduite à un simple soutien. La dynamique globale est en revanche satisfaisante et le spectre assez équilibré.Le mixage 5.0 apporte un incroyable réalisme à l'ensemble tout en permettant à l'orchestre une expression bien plus riche et sonore, sans toutefois retirer la clarté fort appréciable de la projection vocale. Les enceintes surround sont peu utilisées mais le message arrière parvient néanmoins à apporter une aération qui s'allie à de forts contrastes de dynamique pour nous plonger dans un réalisme de salle d'opéra. L'absence du canal de graves n'est aucunement pénalisante ici dans la mesure où des basses rondes sont exprimées avec précision par la scène avant. L'encodage DTS HD Master Audio assure en outre un parfait respect des timbres et de la complexité des harmoniques vocales et instrumentales.

Note technique : 10/10

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Mots-clésAlban BergFestival de SalzbourgLuluMichael VollePatricia PetibonPavol Breslik

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