À tous les survivants - eklablogekladata.com/oy5t1r7gsx7cgihrg8tuvtxtm5i.pdfqu’avant, je m’en...

221

Upload: others

Post on 01-Mar-2021

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,
Page 2: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,
Page 3: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Àtouslessurvivants

Page 4: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Prologue

Masurviedépendaitdesonamouràunpointdontjen’avaisaucuneidéeavantsondépart.Lesjoursse suivaient et se ressemblaient, supportables dans la seule mesure où ils nous rapprochaient desretrouvailles.

Jejetaiuncoupd’œilauréveil,uniqueobjetintéressantdelamornechambrequejepartageaisavecunecolocataireabsente.Lalumièredel’après-midifinissantypénétraitparlabaievitrée,étonnantedansunlogementd’étudiant,mêmesi lesmaisonscommecelleoùjevivaisnemanquaientpassur l’antiquecampus.EllesabritaientlajeuneélitedeNouvelle-Angleterredepuisdesdécennies–voiredessiècles.

Maquasi-solitudedesdeuxderniersjourss’étaitrévéléedéconcertante.Uncalmeinhabituelrégnaitenceslieux,oùélèvesetprofesseursdéchaînaientd’habitudeuntourbillond’activité.Cettetranquillitéextraordinaire,ajoutéeàl’interruptiondescours,avaitrendul’absencedeCameroninsupportable.Ilmemanquaitterriblement,unmanquequimetorturaitplusquejamaiscejour-là–oùjen’avaisabsolumentrienpourmedistraire.

Letourmentquimerongeaitm’incitaitàcompterlesminutesquimeséparaientencoredesonretour,mais mon manque d’assurance et l’interruption récente de nos échanges alimentaient une peur quisuspendaitrégulièrementlerêveoùjeletenaisànouveauentremesbras.M’aimait-ilencore?Laplupartdesengagéschangeaientaucoursdeleursclasses.RiennemedisaitqueCameronmereviendraittelquedansmessouvenirs,àpartquelqueslettresetbrefscoupsdetéléphone.

Cesdeuxdernières semaines, son absence était devenueplus angoissantequedouloureuse.Mais,toutcomptefait,j’étaislaseulepersonnequ’ilveuilleabsolumentvoirlorsquel’arméeluiaccordaitunepermission. Je me cramponnais donc à nos souvenirs partagés chaque fois que la peur de le perdrem’envahissait.Pourvuque le lienquinousunissait resteassezfort,pourvuquenouspassionsassezdetempsensemblepourrésisteràlalongueséparationquinousattendaitencore!

Onfrappa,et jesursautai.Cenepouvaitêtreque lui !Unnouveaucoupd’œilauréveilm’appritqu’il était en avance. Étonnant. Je me levai du lit en jetant mon livre de côté puis, le cœur battant,défroissaima robebainde soleilblanche– la seule enbonétat– etôtai l’élastiquedemaqueue-de-cheval pour laisser mes cheveux tomber librement dans mon dos. Une minute d’agitation encore, unsecond«toctoctoc»,l’énergieetl’excitationbattantdansmesveines…j’inspiraiàfondetouvris.

Page 5: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Ilétait là,presque tropbeaupourêtrevrai. Je lâchai leboutondeporte, joignis lesmainset lestordis, timidement frémissante. Il n’était plus lemême.Sesyeuxbleusperçantsme restaient familiers,maislesoleiltexanavaitfoncésapeauolivâtre,etilavaitperduaumoinsdixkilos.Ilavaitaussil’airplusâgé,àlafoisparcequeleslignespuissantesdesespommettesetdesonmentons’étaientaiguiséesetparce que ses cheveux noirs étaient maintenant coupés en brosse. J’aurais dû m’attendre à deschangementsphysiques,maisuneinquiétudeirrationnelletempéraletorrentd’émotionquimesubmergeaàsavue.

Sessentimentsétaient-ilsrestéslesmêmes,ouavait-ilaussichangéintérieurement?Quandj’ouvrislabouche,àlarecherchedesmotsadéquats,seslèvresdessinèrentunpetitsourire

auqueljerépondisavecsoulagement.Ils’avança,pritmesmainsagitéesentrelessiennesetmefrottalesarticulationspourm’aideràmedétendre.Lesdoutesquis’attardaientenmoifondirentàlachaleurdesonregard,etunelongueexpirationtremblantem’échappa.

–Entre,murmurai-je.Je n’osais encore briser le silence et rendre justice à l’émotion irrésistible dontm’emplissait sa

présenceretrouvée,maisjereculaid’unpas,l’entraînantdanslachambre.Ilpassasonbrasautourdemataille puis resserra son étreintepourmepresser fermement contre lui.Moncorps semoula aux lignesduresdusientandisquemonsouffles’accélérait,carjeréagissaistoutentièreàsaproximité,soussonregardhypnotisant.Sonsourires’effaça.

– Tu m’as tellement manqué,Maya, murmura-t-il en dessinant mes lèvres du pouce. Jour aprèsjour…

Mamainseglissad’elle-mêmeaucreuxdesanuque.Leslonguesbouclesquiauraientdûseprendreentremesdoigtsmemanquèrentbienunpeu,maiscegenredechosesn’avaitpasd’importance.Changéounon,ilétaitlà.Soncœur,lachaleurdesoncorpscontremoi,ilnemefallaitriendeplus.Monamour,enchairetenos. Ilmesemblait rêver.Peut-être l’avais-jeappelési fortetsi longtempsqu’ilenétaitdevenu réel. La séparation avait été une telle torture que je ne pouvais – que je ne voulais – toutsimplementpasmerappelerqu’ilfaudraitànouveaul’affronter.

–Jen’arrivepasàcroirequetuesvraimentlà.Mavoixsebrisa.Ilm’effleuraunepommetteduboutdesdoigtspourm’apaiser.Unsoupir tremblantm’échappa, je

voulusl’embrasser,maisilm’arrêtaenmeposantavecdouceurlamainsurlajoueavantquejetrouvesabouche.

–Jet’aime,murmura-t-il,soufflelégersurmeslèvres.Moncœurseserra,souffrancedouce-amèrepalpitantdansmapoitrineaurythmedemonpouls.On

avaitéchangécettedéclarationsisouvent,devivevoixouparécrit,quelesmotss’enétaientusés,maisilsavaientàcetinstantuneprofondeurtellequ’ilsmecoupèrentlesjambes.Monêtreseréchauffatoutentierdel’intérieur.PortéeparledésirferventdeprouveràCameronl’ardeurdemessentiments,jemehaussai sur la pointe des pieds pour l’embrasser. Nos lèvres s’unirent, timidement d’abord, puispassionnément.

Page 6: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Maya…souffla-t-il,brisantlecontactparceseulmot.–Oui?Perduedanssesyeux,j’auraisdonnén’importequoipourquecetinstantseprolongeéternellement.

Jamaisjenel’avaisautantaimé.Monâmedébordaitdessentimentsqu’ilm’inspirait.Ilhésita,commes’ilcherchaitsesmots,luiaussi,maisilm’entraînaavantquejepuissel’interroger

dans un autre baiser, profond et tumultueux.Un gémissementm’échappa.Nos corps serrés l’un contrel’autrem’empêchaientdepenserclairement.Unemaindescendit le longdemacuisse, la remontapar-derrière puis se pressa contre mes fesses à travers le coton léger de ma culotte. Cameron en triturabrièvementl’ourlet,avantdelafaireglissersurmeshanches.Lorsqu’ellemetombaauxgenoux,jem’endébarrassai.

Il repoussa sur mes épaules les fines bretelles de ma robe, qui glissa à mes pieds. Son regardbrûlanterrasurmanudité,alorsquesesyeuxétaientjusque-làrestésrivésauxmiens.Samaincourutsurmon bras, dessina la saillie dema hanche puis s’immobilisa à nouveau surmes fesses pourm’attirerfermementcontrelui.Lapeaumebrûlaitdanssonsillage.

Je caressai sonventre lisse etdurpuis relevai sa chemisepourmieux levoir,mais il l’ôtad’ungestebrusque.Quelhommemagnifique !Lemoindrede sesmuscles était plusprononcéetplus fermequ’avant,jem’enaperçusenlaissantmesmainserrersurlescourbesdesonabdomen,sespectoraux,sesbicepsnoueux.

–Tuapprouves?s’enquit-ilquandjememordislalèvre,incapablededissimulerunsourire.–Ondiraitquelqu’und’autre.Physiquement, dumoins, c’était en effet un autre homme. Il avait beau êtremagnifique avant, je

découvraisàprésentlacerisesurlegâteau…voirelapiècemontée.–Jen’aipastellementchangé,murmura-t-il.–J’espèrebien.Je n’avais qu’une envie : apprendre moi-même ce qu’il en était ; l’avoir tout entier à moi, là,

maintenant, toutdesuite–et leplus longtempspossible.Jepromenaimabouchehumidesursontorse,dontsesmusclescontractéstendaientlapeaudouce,m’agenouillailentementpuisleparcourusduregard,enhardiepar ledésir quibrûlait dans sesyeux.Aprèsquoi j’ouvris labraguettede sonpantalonet ledescendisassezbaspouraccéderàtoutelalongueurdesonérection,quesonboxerpeinaitàcontenir.

Sahampetressaillitsouslecoton,àtraverslequelj’aspiraiunairbrûlantetdessinaidelalanguelescontoursdesongland,maislorsquejeglissailesdoigtssousl’élastiquedesoncaleçonpourlibérertoutesalongueurdélicieuse,ilm’arrêtad’unevoixtendue:

–Attends.–Jeteveux.–Çafait troplongtemps,répondit-ilenm’attrapantparlescheveux.Jenetiendraipascommeça.

Viensparici.Il se laissa tomber près de moi, assis par terre, adossé au lit, puis m’aida à m’installer à

califourchonsur lui.Une timidité fugacem’échauffaquand j’écartai largement les jambes,exhibantma

Page 7: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

nudité.Sabouches’entrouvrit.Sonregarderrasurmoncorps,suividesesmains.–OhMaya,tuesmagnifique!Unevivechaleurmemontaauxjoues.–Tudisçaparcequetuesenmanquedepuisdesmoisetquetun’enpeuxplus.–Non,jedisçaparcequetueslacréaturelaplussublimequej’aiejamaisvue.Ilsepenchapourm’embrasserenm’entourantétroitementdesesbras.–Mmm,ceslèvressidoucesm’ontmanqué…Sesmainseffleurèrentmacagethoracique,puismesseins,avantdelespresseretd’enagacerles

tendresmamelons.–Etça…Sonregards’assombrit.Sescaressesenflammèrent lecheminquimenaitàmonentrejambe,avant

qu’il s’insinue entre mes boucles pour taquiner les plis humides de mon excitation à petites touchesaffolantes.

–Etça…chuchota-t-ilenhumectantsalèvreinférieure.Haletante,jemeserraiavidementcontrelui,plaquaimapoitrineàlasienne,afindejouirducontact

desapeau,leprisdansmesbrasetl’embrassaifrénétiquement.–Jeteveuxenmoi,implorai-jeenondulantdeshanchessoussescaresses.Une chaleur brûlante m’envahit, tandis que l’ardeur de notre baiser me laissait les lèvres

fourmillantes.Sesdoigtsplongèrentenmoi,quimecontractaiautourd’eux,gémissante,puismebalançaisursamain.

–Plusfort!Jevoulaistellementplus!Unautredoigts’introduisitenmoipourmassermachairtendre,allantetvenantavecdouceurdans

mamoiteur croissante, avant de ressortir brièvement humectermon clitoris. Les flammes du désirmeléchaient la peau. Mes hanches se soulevaient et retombaient contre la main qui me tourmentait decaressesvolontairementlentes.

–Jet’enprie,Cameron!Tumerendsfolle.–Jeveuxquetusoisprêteàm’accueillir.–Jesuisprêtedepuisdessemaines.Ilmesoulevalégèrementpourbaisserdumêmecoupsonboxeretsonpantalon,dévoilantlaverge

viriledontj’avaisrêvéjenesaiscombiendefois.Sisonsexeétaitunedrogue,j’étaistoutedisposéeàenfaireuneoverdose.Jen’avaisjamaisriendésiréaussifort.

Frissonnante à la pensée de ce quim’attendait, j’entourai des deuxmains sa chair brûlante et lapressai doucement. La perle liquide qui luisait au sommet de sa hampememit l’eau à la bouche. Jemouraisd’enviedelesucer,maisonauraitletemps,plustard.Là,maintenant,toutdesuite,ilfallaitjustequ’ilentreenmoi,ouj’allaisperdrel’esprit.

Page 8: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Lorsqu’ilinspirabrusquement,jecomprisavecjoiequesonardeurégalaitlamienne.Dresséeau-dessusdelui,j’amenaisonglandjusqu’àmonsexe,oùjel’introduisis.

Ilm’attrapaaussitôtparleshanchespourm’immobiliser,sesirisbleusdilatés,l’airgrave.–Doucement,jeneveuxpastefairemal.Obéissante, je résistaià l’enviedeme laisser retombersur luipour leprendre toutentierenmoi

d’unseulcoup.Ilm’emplit,peuàpeu,lentement,sansjamaisdétournersonregarddumien,tandisquejepassais du désir au soulagement, à la douleur, puis revenais au besoin frénétique, chaque transitionexposéeàsavue.

Enfin, il m’embrassa avec douceur, aspirant mes gémissements et mes petits cris étouffés. Moncorps,quil’avaitabsorbéjusqu’àlaracine,s’étiraitpours’adapteràsonvolume,seraidissait,partagéentrelamorsuredesapénétrationprofondeetlaviolenteenvied’apaisercettegêneenlechevauchantsibrutalementquej’enoublieraismonproprenom.

Sesmainsescaladèrentmescôtespuis redescendirent jusqu’à l’endroitoùsescuissessoutenaientmesfesses,qu’ilserratendrement.

–Merveilleux,murmura-t-il.C’estunesensationtellementstupéfiante,tunepeuxpassavoir.–Onestfaitsl’unpourl’autre,répondis-jesurlemêmeton,ensuivantdelalanguelacourbedeson

oreille.Jel’embrassaidanslecou,nonsanslécherleseldesasueur,puism’emplis lespoumonsdeson

odeurenivrante,toutedevirilitémusquée.Ilserelevaetmeposalentementàterre,cequim’évitad’avoiràdéciderquandetcommentbouger.

Le torrent de sensations qui m’envahit au changement de position m’arracha un gémissement. Je mecramponnaiàsesépaules,incapabled’échapperauplaisirincendiairedelapénétrationaprèsuneaussilongueabsence.Ilallaitdevoirmeservird’ancrependantlatempêtequis’annonçait.

Noscorpsadoptèrentunrythmerégulierquirenforçaitàchaquemouvementlapalpitationdudésir,aucreuxdemonventre.J’embrassaiCameronavecl’intrépiditéetl’exigencedelacréatureavidequelaséparationavaitfaitdemoi.

Quandilonduladeshanchespours’enfoncerdavantageencoreenmoi,jerejetailatêteenarrièredansuncri,carleplaisirm’envahissait.Messeinss’alourdissaient,pendantquesabouchetransformaitmes mamelons en pointes dures hypersensibles. Je me contractai autour de sa hampe, haletante,augmentantlafrictiondesespoussées.

Sa verge emplitmon sexe jusqu’àme faire perdre le sens de la réalité. J’aurais voulu étirer cemoment,maismoncorpsembuédesueurmenaçaitdes’emballer.

Ungémissementmemontaauxlèvres:l’orgasmem’étaitaussinécessairequel’inspirationsuivante.J’accompagnais de tout mon poids les poussées de Cameron, afin de l’entraîner plus loin dans lesprofondeurstrempéesdemonsexe.Ilallaitetvenaitfacilement,sansralentir.Plusvite,plusfort.Monespritseperdaitdansundébordementd’exigencesetdebesoinssilencieux.J’étaisprêteàtout,pourvuqueçanousrapproche.

–Regarde-moi,Maya.

Page 9: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Sesdoigtsseglissèrentdansmescheveuxpourm’obligeràmeconcentrersurlui.Mes yeux se rivèrent aux siens ; notre souffle était heurté, chaotique. Quelque chose dans ses

paupières mi-closes et la fermeté de son menton s’imposa à mon besoin obsessionnel de jouir. Laviolencedesapousséesuivantemecoupalesouffle.Mabouches’ouvritsuruncrisilencieux.Moncœurallaitexplosers’ilcontinuaitcommeça,maisjenepouvaisluiéchapper…jenelevoulaispas.

–Cameron…balbutiai-je,faiblesupplicationoùtransparaissaitmareddition.Jemedonnaistoutentière,àprésent.Corps,cœuretâme,confiante.–Tuesàmoi.Affirmationrauquequifitcourirunfrissonsurmapeau.Ilne se contentaitpasdemeprendre, ilm’aimaitpar tous sesgestes : ses lèvres caressaient les

miennes;sesmains,fermementposéessurmeshanches,guidaientmesmouvements;sonsexeplongeaitenmoi,pressionfarouchem’amenantauborddel’extase.Lemoindredemesbesoinsprimaires,internescommeexternes,enétaitsatisfait.

Ilseléchalapulpedupouce,qu’ilpromenaenpetitscerclesadroitssurmonclitoris.Jemetordiscontrelui,tressaillante,cramponnéeàsesépaules.

–Oh,Cameron!m’écriai-je.–Oui,c’estça.Resteavecmoi.Sapoigne fermem’obligeaitàmeconcentrer,àporter toutemonattentionsur sesyeux,àprésent

sombresetintenses.–Jevaisjouir…balbutiai-je.Les paupières étroitement closes, je renonçai à essayer deme contrôler, car je n’étais plus que

sensations.Demultiplessensations.Nos moindres points de contact se contractèrent violemment, à croire que notre énergie vitale

risquaitdenouséchappersionselaissaitaller.Sonsexes’allongea,rigideetpalpitant,propulséparsonbassinjusquedansmestissuslesplussensibles.Emportéeparunorgasmeaveugle,jesentismesonglesluicreverlapeaupuisluilacérerlapoitrine.

–OhMaya…grogna-t-il.Mesyeuxse rouvrirentà tempspourque je levoieperdre lesderniers restesdemaîtrisede lui-

même.C’enfutassez.Lajouissance,lepoidsdelaséparationetdel’amour,lebesoinaigud’êtreprisecommejamaisjenel’avaisétém’emportèrentteluntsunami.Plaisiretsoulagementmesecouèrenttoutentièred’une successionde frissonsviolents. Jeme cramponnai au lit, hurlante,mesmains sans forcecrispéesdanslesdrapspourm’ancreràlaterre,malgréleplaisirsuprêmequim’emmenaitauseptièmeciel.

–Jet’aime.Qu’est-cequejet’aime!Unsanglotcontenuaccompagnacettedéclarationinvolontaire.Deslarmesmepiquaientlecoindes

yeux,tandisquejeredescendaissurterre.

Page 10: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

LeshanchesdeCamerons’arquèrent,étirantl’instantpendantqu’iltraquaitsonpropreapaisementen relançant mon plaisir.Mon dernier cri se perdit dans un baiser désespéré, qui absorba aussi songémissementanimal.Ilsefigeaavantd’éjaculer,torrentdechaleurintérieure.

Pantelante,jemelaissaiallerenarrière,toutetensionenfuie.Sesbrasserefermèrentsurmataille,etsonfronthumideseposaentremesseins,soulevésparmeshalètements.

Jeleserraicontremoiavecreconnaissance.Unereconnaissancequ’ilm’inspirait,lui,maisaussilemiraclequil’avaitfaitentrerdansmavieetlemomentquenousvenionsdevivre.Unnœuddouloureuxmegonflaitlagorge.Monêtreintimeétaitànu.J’avaisenviedepleureretdemedépouillerdespeurs,desdoutes,desinquiétudesquipesaientsurmoiauparavant.Medépouillerdetoutçapourqu’ilnerestequenotreamour.

Lorsqu’ilrelevalatête,sonvisagetrahissaitunbouleversementabsolu.–Bonsang,Maya.C’était…–Étonnant,achevai-je,mêmesilemotétaitfaiblepourqualifiercequivenaitdeseproduireentre

nous.« Épique » ou « atomique » auraient mieux convenu. « Cuisant » aussi, car j’avais vaguement

conscience que le dos me brûlait, sur la descente de lit qui nous protégeait du parquet. Mais peum’importait.

JepromenaimesdoigtssurlapeaudeCameronpareffleurementslégers,encoreétourdiemais,enbonne droguée, toujours aussi avide. Il se redressa pour m’embrasser, tendres baisers paresseux quigagnèrentviteenardeur,ravivantlesbraisesdemondésiretlefaisantmonterenmoi.

–Viens,onrecommence,dit-ild’unevoixrauque.

***

On avait toute la semaine pour être ensemble, ni plus ni moins, puisqu’on n’en demandait pasdavantage.

Pendant quemes colocs s’ébattaient sur les plages duSud pour fêter les vacances de printemps,Cameronetmoipassionsnosjournéesaulit.Lesoir,onallaitsepromenerdanslecentre-ville,dîneretboire quelques verres, puis on rentrait en courant faire l’amour ou baiser sauvagement, bruyamment,vacarmedésinhibérésonnantdanslescouloirsheureusementdésertsdelamaison.

Onabsorbaitlamoindredecesprécieusesminutesetondiscutaitàn’enplusfinirdenotreavenircommun : on allait semarier, vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants. La part d’inconnu qui nousattendait était si grande qu’on s’autorisait à rêver et à imaginer notre vie future. J’ignorais quand etcommentelleprendraitforme,maisj’espéraisque,lemomentvenu,jedonneraisàCamerontoutcequ’ildésirait.

Au fil des jours, nos contacts se prolongeaient, nos baisers gagnaient en profondeur, le sexefrénétiquedevenaittendresétreintessanshâte.Lorsqueenfinjelaissaicoulermeslarmes,illesembrassasansjamaism’endemanderlaraison.Ilmeserraitdanssesbras,ilm’aimait,ilm’aidaitàm’oublier,fût-ceuninstant,quecettesemaineallaits’achever.

Page 11: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Si longs que deviennent nos ébats, le temps ne ralentissait pas. Lors de nos promenades sur lecampus, j’essayais de chasser de mon esprit l’enchaînement des jours. Cameron ne tarderait pas àreprendrel’avion,tandisquejeretourneraisàmavieétudiante,monotoneetlaborieuse.Appuyéeàsonépaule, je regrettais de ne pouvoir figer le temps ou le kidnapper, lui. Ce troisième occupant nedérangeraitcertainementpasmacompagnedechambre.

Cesoir-là,enarrivantàl’endroitoùl’étangscintillantsejetaitdanslarivière,ilralentit,setournaversmoi etmeprit lesmains. Je le regardai,hypnotiséepar l’éclatde sesyeuxdans l’ombre. Il étaitbeau.Tellementbeau.Et,pourl’instantaumoins,toutàmoi.

–Çava?–Oui,mentis-je.Jenevoulaispasperdredetempsàparlerdel’inévitable.–Moinonplus,jeneveuxpasrepartir,dit-il,faisantéchoàmespensées.–Jen’arrivemêmepasàypenser,avouai-je,lesyeuxrivésausol,entrenous.–Onyarrivera.Quandj’auraifaitl’écoletechnique,ceseraplusfacile,jetelepromets.Moncœurseserraàl’évocationdecettefutureséparationprolongée.–L’étéarrive,dis-jenéanmoinsenravalantmeslarmes,afind’apporterunrayond’espoir.Ilétaithorsdequestiondecéderà la tristesseavant ledépartdeCameronetdegâchernosdeux

derniersjoursenpleurantsurl’inévitable.–Àpropos…commença-t-il.Jerelevailatête,étonnéeparsonattitudesoudaintendue.Ilserraitlesdents,leregardfixésurnos

mainsauxdoigtsentrelacés.Puisilinspiraàfond.–Quoi?Qu’est-cequisepasse?Monestomacsenoua.Avait-ilattenducetinstantpourm’annoncerunemauvaisenouvelle?–Tum’asbienditquetucherchaisdutravailici,cetété…–Oui,acquiesçai-je.C’estlepluslogiquepourmoi.–Jesais,maisaulieudemerendrevisitelàoùjeseraistationné,tupourraiscarrémentypasser

l’étéavecmoi.–Jecroyaisquetudevaisvivresurlabase?demandai-je,perplexe.Etjenepourraispasmepayer

unstudio,Cameron.Jedétestaisd’autantplusévoquermesproblèmesfinanciersqueceslimitations-làn’avaientjamais

existépourlui.–Jedoisvivresurlabaseàl’heureactuelle,maistoutdépenddescirconstances…Il m’était impossible de voir où il voulait en venir, car les arcanes militaires m’échappaient

complètement:l’arméeappliquaitdavantagederèglesquejen’enconnaissais.–Commentça?–Ceseraitdifférentsionétaitmariés.Mesyeuxs’écarquillèrentetmabouches’entrouvrit, tandisquejeprenaisunebrusqueinspiration

defraîcheurnocturne.

Page 12: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Mariés?Ce fut tout juste si je reconnus ma voix. Forcée, aiguë, paniquée – contraste saisissant avec la

manièredontonavaitévoquélesujetquelquesheuresplustôt,commeunrêvelointainmaispartagé.–Sionétaitmariés, jeneseraisplusobligédelogersur labase.Onpourraitvivreensemble.Je

gagneraislargementassezpournousdeuxjusqu’àcequeturetournesàlafac.Plustardaussi,biensûr.L’ardeurquivibraitentrenousuninstantplustôtrestaitàprésentensuspens,glacée,pendantque

ces mots m’imprégnaient lentement. J’aurais aimé répondre, mais mes lèvres remuaient sans que lemoindresonlesfranchisse.Lapaniquerefermaitsonétausurmespoumons.Jenepouvaisplusrespirer.

Les choses ne se passaient pas comme ça, dansmes rêves.On était plus âgés,ma vie avait unecertainestabilité,jesouriais,jepleurais,jesautaisaucoudeCameronpourl’embrasserpendantqu’unchapeletdeouisedéversaitdemeslèvres.Alorsquelà,jeluttaiscontreunenausée,mavuesebrouillait,un fouillis de pensées fragmentées envahissait mon cerveau, étouffant les bruits subtils qui nousentouraient.

–Jenecomprendspas,dis-jeenfin.Et,eneffet,j’ignoraisvraimentd’oùsortaitcetteproposition.Ilmeserralesmainsavecforce.Jeprisvaguementconsciencedelamoiteurdemespaumes,mais

mesidéeséparsesm’empêchèrentdem’enpréoccuper.–Jeveuxfairedetoimafemme,Maya.Ladouceurdesavoixavaitlaisséplaceàladétermination.Ilmefixaitd’unregardintense,avecle

plusgrandsérieux.Jemouraisdepeur.–Ilfauttenircomptedelalogistiquemilitaire,biensûr,continua-t-il,maisleplusimportantdans

toutça,c’estque jeveuxt’épouser.Cequ’onavécucettesemaine…jeveuxlevivreà l’avenir,et jeveuxavoirlacertitudequeriennepourranousl’enlever.

–Mais…Jetrébuchaissurlesmots.Pourvuqu’ilnevoiepasquej’étaisterrorisée!–Tuveuxdire…Tucrois…maintenant?Courtsilence,puis:–On pourrait semarier ceweek-end, avantmon départ. Rien que nous deux.On n’a besoin de

personned’autre.Jereculaid’unpaspourluiéchapper,dansl’espoirquem’écarterdeluimepermettraitderespirer

plusfacilement.Unsoufflelaborieuxsoulevaitmapoitrine.Monespritchavirévenaitdejaillirducomaamoureux où j’avais passé la semaine. J’avais beau adorer Cameron, rien n’aurait pu me secouerdavantagequesaproposition.

–Jen’aipasd’alliance…avoua-t-il,latêtebasse.Sonregardinterrogateurnefitqu’augmentermonmalaise.–Jem’enfiche,del’alliance,répondis-je,maisc’esttellementsoudain.Tuterendscomptedece

quetumedemandes?

Page 13: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

– Je sais exactement ce que je te demande, oui. Je ne pense pratiquement qu’à ça depuis dessemaines,tusais.J’aieuenviedeteposerlaquestionàlasecondeoùjet’airevue.

Mon regard errait du sol aux immeubles lointains. Il me fallait quelque chose sur quoi meconcentrer,carmespenséess’étaientemballées.

L’avenirdontonavaitparléétaitmanifestementbienplusprocheàsesyeuxquejenel’avaiscru.Mais,alorsquenosrêvespartagésétaientàportéedemain,jemesentaispulvériséeémotionnellement,dépouilléedemessentiments.Lecocondouilletdesderniersjoursm’avaitétéarraché,melaissantsouslechocdesaproposition.

–Maispourquoimaintenant?m’enquis-je.–Pourquoiattendre?–Jenepeuxpasm’enallercommeça.Ilfautquejem’occupedecertaineschosesici.Froncementdesourcilsperplexe.–Quoi,parexemple?–Jenesaispas.Montravail,jesuppose.Cettedemi-véritémollem’évitaitd’évoquerlesvéritablesraisonsquim’empêcheraientdequitterla

villeavecmonfuturmariaumoisdemai.–Tutrouverasdutravaillàoùj’irai,oùquecesoit,àmoinsquetulaissestomber,toutsimplement.

Quetuprennestonété.Jegagneraidavantage,assezpourtoi…pournous.Commesileschosespouvaientêtreaussisimples!J’étaistétanisée.Arriverais-jeàlepersuaderde

soninconséquence?Desaprécipitation?–Jenesaispas,Cameron.Jecroisquej’aibesoindetemps.Ilfautquejeréfléchisse.Lorsque je risquai un coup d’œil dans sa direction, il serrait les dents. Son attitude tout entière

trahissaitlatension.–Tuveuxm’épouser,ouiounon?demanda-t-ildansunmurmure.Je lui avais dit qu’ilme fallait du temps,mais il n’était plus question de négocier.L’heure était

venue–celledesréponses,pasdesesquives.Unebrumefinemebalayalapeau,tandisquejerepoussaisunenouvellenausée.Impossible.C’était

trop.Trop tôt. J’avais beau être dans tousmes états –on avait beau être dans tous nos états –, je nepouvaispasaccepterça.Unjour,oui…maisjen’auraissudirequand.Cameronvoulaitmeprotéger…sansbiensavoirquelfardeaupesaitsurmoi.

–Oui,jeveuxt’épouser,jeleveuxvraiment,unjour.Pasaujourd’hui.Ilnefautpasprécipitercegenredechoses.

–Précipiter?J’aipassédeuxmoissanstoi,etj’encrève.Jecroyaisquec’étaitpareilpourtoi.Mesmainstremblaient.Chacunedesesparolesl’entraînaitplusloindemoi.Lorsquemesyeuxse

posèrentsurl’étang,derrièrelui,jem’aperçusquelecampusavaitsombrédansl’obscuritésouslecielnocturne.C’étaitça,mavie.Jamaisjenem’étaisréellementdemandéàquoielleressembleraitplustard,saufdansnosrêvesparesseux.Etmaintenantqu’ilenappelaitàmoiaunomdespromessesquenousnousétionsfaites,jemanquaisàmaparole.

Page 14: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Malgré l’amour qu’il m’inspirait, être sa compagne revenait pour moi à vivre dans un rêve, unfantasmeoùtoutétaitpossible,toutallaitbiensepasser.Maisilnesavaitpasgrand-chosedemoi.Ilnepouvaitcomprendrelesforcesquipesaientsurmoi,nilesbataillesquejelivrais,loindemesamis.Savien’avait étéqueprivilèges, sécurité,normalité,dansune famillequ’onpouvaitqualifierdeparfaited’aprèslaplupartdescritères.Comparéeàlamienne,entoutcas.

Jeluiavaistrèsvaguementparlédemamère,sansmentionnerlamanièredontsonexistenceétaittombéeenruinesconsternantesaprèsmondépartpourlafac.Quelleschancesaurais-jeeuesaveclui,s’ilavaitsuquij’étaisréellement?

–Jeveuxqu’onresteensemble,Cameron,repris-je,dansl’espoirquecesoitassez.–Alorsépouse-moi.Iln’yaurajamaispersonned’autrepourmoi.C’estcommeça.L’amourdanssesyeux,cetamourquej’yavaisvusisouvent,nelaissaitaucundoute.–Lemariage?Jesecouailatête,l’implorantderenonceràcerêvequejenepouvaisréaliserpourlui.Iltressaillit.–Àt’entendre,oncroiraitqueçaterendmalade.–Parcequeçamerendeffectivementmalade.Jemedétournaienm’enveloppantdemesbraspourchasserlefroiddelanuit.Quelleobstinationde

sa part, alors que lamoindre demes réponses le décevait atrocement ! C’était horrible – toute cetteconversationétaithorrible.Jevoulaisrentrer,m’endormirentresesbrasetmeréveillercommesiderienn’était.

Lasouffrancequibrûlaitdanssesyeuxmepoignardaitenpleincœur.–Alorstuneveuxpas.Je secouai la tête, bouleversée. Je n’avais pas le choix, mais il m’était impossible de lui faire

comprendremesraisons.–Jenepeuxpas.–Qu’est-ce qu’on a vécu, cette semaine ? insista-t-il d’une voix tendue, où perçaient douleur et

frustration.Je haussai les épaules. Si seulement on avait pu oublier cette discussion, remonter le temps,

retournerausimplebonheurd’êtreensemble,sanssesattentesterriblesquejenepouvaiscombler.–C’étaitinfinimentplusfortquecequ’onavaitvécujusqu’ici,tulesaisparfaitement,s’obstina-t-il.

Mais qu’est-ce que je représente pour toi, en fait ?Qu’est-ce que ça représente pour toi si, en fin decompte,tuneveuxpasdemoi?

–Tuestoutpourmoi,Cameron.Sonriredurmedéchira.–Ondiraitbienquenon.–Arrête.Mavoix s’étranglait, car ledésespoir l’emportait sur les remords, à l’approched’undénouement

prévisiblefaceauqueljemesentaisimpuissante.

Page 15: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Qu’est-cequejesuis,alors?–Monamant,monami.Jenesaispascommentj’auraissupportécetteannéesanstoi.Ilm’avait donné l’espoir. Avant son départ pour l’armée, j’attendais toujours leweek-end avec

impatience,fascinéeparlespromessesdenotreamourdévorant.– Ah, d’accord, je suis une béquille. Tu peux te reposer sur moi émotionnellement, mais pas

t’engager,c’estça?Cesmotsmetirèrentunebrusqueexpiration.Leslarmescontenuesmebrûlaientlesyeux.–Non.–Ahbon?Explique-toiunpeu.–C’estdelafolie.Tuesfoudemedemanderunechosepareille.Çanesefaitplus.–Jemefousqueçasefasseoupas.Ilsefrottalefront.Sonsoufflesifflaitentresesdentsserrées.–Alorsvoilà,c’estfini?Moncœurbattaitàtoutrompre.–Qu’est-cequetuveuxdire?–C’est fini,Maya. Je ne peux pas… (Il secoua la tête, évitantmon regard.) Tu ne te rends pas

comptedecequej’aitraversé.Jenepensaisqu’àtoietàcetteproposition…maissituleprendscommeça,autantarrêterlesfrais.

–Non,râlai-je,suffoquéeparlapanique.Mais quand je voulus l’attraper par le bras, il recula en levant les mains, dans un geste de

renoncement.–Ilfautqu’onenparle.Ilm’échappait.Jenepouvaispourtantpasleperdreàcausedeça!Mais jenepouvaisni trouver lesmotsqui leconvaincraientderester,niempêcher les larmesde

ruisselersurmonvisage.–Cameron,attends,jet’enprie!J’étouffaiunsanglotquandilfitvolte-faceets’éloignasansunmotdeplus.

Page 16: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

I

Cinqansplustard

MAYA

Malgré le bourdonnement des appareils, le froissement des papiers et les dizaines de gens quitapaient sur leur clavier, j’aurais juréque l’atmosphèrede la salle changeait tous les jours à lamêmeheure,lorsqueapprochaitcelledelaliberté:soixanteminutesquinousappartenaient,horscesmurs.Ilétaitdonconzeheurescinquante-cinq, et je fouillais anxieusementdansmon immense sacàmainpourvérifierquej’avaisbienlenécessaire.Midivenaitàpeinedesonnerquejemedirigeaisdéjàverslesascenseurs,enm’ouvrantunpassageversl’avant-gardedutroupeau.Commed’habitude,nossupérieursnouslibéraienttousenmêmetemps,pirequedubétail.

Lesregardsassassinsquemejetaientlesvictimesdemonsacmelaissaientindifférente:Vanessaavaitfêtésonanniversairelaveilleausoir,etlagueuledeboisannihilaitlemoindreembarraspotentiel.Pasquestiondeperdrecinqminutesdepauseenpolitesses.Pasaujourd’hui.Niunautrejour,enfait.

Jen’avaispastoujoursétécommeça,penséequejem’empressaidechasserensortantdelaporteàtambour.Lefroidglacialdel’hivermefigeauneseconde,quisuffitàquelqu’unpourmeheurterdepleinfouet,mepropulsantenavant.Jereprisl’équilibreetcontinuaisurmalancée,sansmedonnerlapeinedemeretournervers lecrétinquiavait faillime faire tomber.De toutemanière,c’étaitmoi lacrétineuninstantplustôt.

Lesmainsenfouiesdans lespochesdemonmanteau, jemaudis le froidpolaire,car leDelaney’sn’était pas la porte à côté.Heureusement, il ne fallut guère de temps au torrent de cabans noirs pourdiminuer.Lorsquejemefaufilaidanslebarobscuràl’odeurdemoisi,jemehissaisuruntabouretpuisrestai une seconde figée, à lutter contre le froid qui m’avait envahie. Enfin, j’inspirai à fond et medébarrassaidemonmanteau,que jeposaisur le tabouretvoisin, libre.CefutalorsqueJerrysurgitde

Page 17: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

nullepart. Ilmesaluad’unhochementde têteavantdepassermacommandehabituelledans l’arrière-salle.

–Quoideneuf,aujourd’hui?demanda-t-ilensuiteenattrapantunchiffonpourlepromenersurlecomptoirimmaculé.

–Plusçachange,plusc’estlamêmechose…Jemepassailesdoigtsdanslescheveux,afind’enchasserl’électricitéstatique.–Commed’habitude?–Oui.Nouveauhochementdetête,puisilm’apportaungrandverredeCocalightetunedosedeJameson.Moncorpssedétenditàcetteseulevue.Mesdeuxmeilleursamis:lacaféineetl’alcool.Jen’aurais

sudirequandj’avaiscommencéàboireenjournée,maisjenem’étaispasencorefaitprendre,etcommepersonneauboulotnevoudraitjamaisêtresurprisàdéjeunerauDelaney’s,jedoisdireentoutefranchisequeçanemetracassaitpas.

J’avaisfêtémesvingt-cinqanscetété-là,jetravaillaisdoncdansunboxdepuisprèsdequatreansàcompiler des chiffres.Après le naufrage économique et le renflouement des banques, lemonde de lafinanceavaitperdudesonattrait,maispasl’argent.Orl’aviditépermettraitausystèmeéconomiquedesemaintenir, d’une manière ou d’une autre, et ceux qui l’y aideraient deviendraient riches, s’ils s’endonnaientlapeine.Moiquin’avaisjamaiseubeaucoupd’argent,j’avaischoisicettevoie-làpourcetteseuleraison.

N’empêchequ’obtenirunposteaussibienpayéjusteàlafindemesétudesm’avaitimpressionnée:j’yétaisenfinarrivée;jenem’étaispasdonnétoutcemalpourrien.SaufquelaséductiondeWallStreetavaitpâliplusvitequejenem’yattendais,quandj’avaiscomprisquemescompétencesnesuffiraientpasàfaireprogressermacarrière,trèsloindelà.Rienn’étaitjamaisfacile,dumoinspourmoi.Onauraitditquequelquechosem’attendait toujoursau tournantpourme tacler…maisçanem’avaitpasempêchéed’arriverjusque-làsurmesdeuxpieds.

Jevidailepetitverre,etlewhiskymebrûlal’œsophagejusqu’àl’estomac–vide.Mesentraillesprotestèrentbienunpeumaissecalmèrentenabsorbantl’alcool.Ilfallaitchasserlemalparlemal.

À l’autreboutde la salle se trouvaitStella, unehabituéeauxcheveuxaussi longsque lesmiens,mais ébouriffés et gris– sauf lapointe, blondiepar sadernière teinture, qui remontait peut-être àdesannées.Destasdechosespouvaientchangerenquelquesannées.Sonvisageblêmeétaitsinistre,malgrélapénombre,carlavagueclartéadmiseparlesfenêtresl’éclairaitdecôté,accentuantencorelesridescreuséesparl’âgeetlavie.

–Salut,Stella,çava?lançai-je.Quelquesclientslevèrentlatêteversmoi,avantdereprendrelecoursdeleursoccupations–lirele

journal,regarderlatélé,scruterleurbière,enquêtederéponses.–Bien,mapuce,trèsbien.Autantquejepuisseenjugerparsesyeuxvitreuxetsonsouriretors,elleavaitcommencétôt.Sion

la regardait attentivement, on se disait qu’elle avait été jeune et belle,mais que la ronde des longues

Page 18: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

journées et des nuits glacées l’avait usée, ratatinée. À moins que ce soit les journées glacées et leslongues nuits. Je ne savais rien d’elle, sinon qu’il ne restait pas trace de celle qu’elle avait été dansl’habituéeduDelaney’s.Elleétaitdevenuetransparente,mêmeauxyeuxdesclientsdecebarmiteux,quin’avaientpourtantpasl’airtellementplusfrais.

Maispasauxmiens.Moi,j’avaisenviedeluidemandersielleavaitdelafamille;maisjem’enabstins,parcequ’unequestiondecegenrepouvaitfaireplusdemalquedebien.

Jerrym’apportamondéjeuner:nuggets-frites,monplatpréféré.Jepersistaisàmenourrircommedansmonenfance,quandmamèreétaitfauchée.Dehors,onprenaitlemenupremierprix;àlamaison,onsepréparaitunecasseroledenouillesjaponaises.Jenemeplaignaispas,puisquec’étaitàl’époque–etmaintenantencore–cedontjeraffolais.Entremesdéplorablesgoûtsculinairesetmavieenopenspace,j’avaisgardélescinqkilosprispendantmapremièreannéed’université,auxquelsétaientvenuss’ajouterquelquesautres.Jeleregrettais,maispasassezpouryfairegrand-chose.

–Merci,Jerry.–Derien.Situasbesoindequelquechose,tun’asqu’àdire.–AlorsjeveuxbienquetuservesStella.Tumettrasçasurmonaddition.Jelaissaitombermacartedecréditsurlecomptoirpourêtreprêteàrégleravantdedevoirfiler.–Tuessûre?Il arquait le sourcil, l’air de dire que c’était du gaspillage de consacrer dix dollars à quelqu’un

d’aussiinintéressantqueStella.–Jesuissûre.Mavoixs’étaitdurcie.Ils’approchad’elleetbalançaunmenusursatable.–Choisis-toiquelquechose,magrande.C’esttacopine,là,quirégale.Encoreunefois.Qu’est-ce

quecesera?–Oh,mapuce,tun’espasobligée.Gardetonargent,dit-elleenagitantlamaindansmadirection.Sonverredebièreàmoitiévideyéchappadejustesse.–Çanemedérangepas.Son sourire attristém’apprit qu’elle aurait aimé être en position de refuser, voire d’inverser les

rôlesetdem’offriràdéjeuner,maisquisavaitàquandremontaitsonderniervrairepas?Ellebuvaittoutsonargent,jelesavais,parcequ’elleétaitmaigrecommeunclou.C’étaittoutjustesisesvieuxvêtementsneluitombaientpasducorps.Entrel’alcooletlanourriture,sonchoixétaitfait.VoilàpourquoilesJerrydecemondesecouaientlatête.

Ilpritnéanmoinssacommande,qu’ilrelayaunefoisdeplusdansl’arrière-salle.J’avais déjà terminémes nuggets, mais je prenaismon temps avecmes frites. À ce point d’une

gueuledeboissupportable,lanourritureavaitdeseffetscuratifs,puisquemeremplirl’estomacm’aidaitàcombattrelesdernièrestracesdenausée.Uncoupd’œilàmamontre.Ilmerestaitdutemps.Jen’étaispascommelerestedubétail,quifaisait laqueueunedemi-heurepouringurgiterundéjeunermédiocre

Page 19: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

dans une cafétéria, coude à coude avec de parfaits inconnus. Prendre le temps de marcher jusqu’auDelaney’senvalaittoujourslapeine.

Je fouillai dans mon sac, un de ces accessoires de designer aussi peu pratiques que possible,débordantdecochonneriesquejen’avaisaucunbesoindetraînerpartoutavecmoi,maisdontjeparvinsmalgrétoutàextirpermoncalepin.Aprèsl’avoirouvertàunepagevierge,jefisjouerplusieursfoislapointedemonstylobillepuislaposaiausommetdufeuillet.

LesmotsquejecouchaisurlepapierconcernaientStellaetlespenséesassociées,simplesfruitsdemonimagination,carjeneconnaissaisl’habituéequepourlavoirrégulièrementdepuismontabouret,àl’autreboutde lasalle.Mais,d’unecertainemanière, j’avaispeurde laconnaîtreréellement.Lapageremplie, je la tournai, puis j’y couchai desmots sélectionnés au recto jusqu’à cequ’unpoèmeprenneforme,quejeréécrivisenleréduisantencore.

Stellagrisarbrehumideetnuvisagecachéparlesbra(s)nchesfroidmèrearideetmorneâmeenquêtedeprintemps

Celaconismeheurtém’apaisait,cewabi-sabi–l’imperfectionminimaliste–,oupeut-êtrelasimplecertitude que personne à part moi ne comprendrait rien à mon œuvre. Ça ne me dérangeait pas, aucontraire:j’enétaismêmecontente.Jem’étaisrésignéeàcequelaplupartdesgensquejecroisaisdanslavien’enarriventjamaisàvraimentmeconnaître.

Nouveaucoupd’œilàmamontre.Ilétaitl’heure.JepayaiJerry,m’enveloppaidemonmanteauetsaluaiStelladelamainenregagnantlaporte,maisellenelevitpas.

Avantde ressortirdans le froid, j’allumaiunecigarette.Unementhol.Monestomacprotesta,unefoisdeplus.J’avaistropfumélaveilleausoir,j’auraisvraimentdûarrêter.N’empêchequemaintenantj’avais chaud, je m’étais un peu détendue, j’étais prête à affronter la seconde moitié de la journée.Mercredi.Encoredeux jours.Encoredeux jours,etaprès?Jemedécideraispeut-êtreenfinàfairedusportouquelquechosecommeça.Onverra.

Perduedansmonfantasmedefitnessetmonrêvedeminceurfessière,jemisunmomentàremarquerqu’onm’appelaitparmonnom.Apriori,jen’étaispasencoreassezprèsdemonimmeubledebureauxpourrisquerd’êtrereconnue.Ilmerestaitunpeudecheminàparcourir.

–Maya?

Page 20: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jepilaietlevailatête.Unejoliefilleauvisageencadrédelongscheveuxsombressetenaitdevantmoi.Sesyeuxbleusperçantsrencontrèrentlesmiens.

–Olivia.Çaalors…Salut.Commentçava?–Bien.Sonsouriresecrispasurcettecourteréplique.Aucunedenousnefitmined’embrasserl’autre,mais

s’ilest toujoursbizarred’embrasserquelqu’unqu’onn’apasvudepuisuneéternité,cefutencoreplusbizarredes’enabstenir.Enfin…onavaitpeut-êtredebonnesraisonsd’éviter.Jenedoutaispasqu’elleaitlessiennes.

–Jenesavaispasquetuvivaisici,reprit-elle,brisantnotresilenceembarrassé.–Oui,jemesuisinstalléeàNewYorkaprèsavoirobtenumondiplôme.Jesuisanalystefinancière

àWallStreet.J’écrasaimacigarette sousma semelle,gênée soudainde fumer, sans trop savoirpourquoi. Il ne

m’auraitserviàriend’impressionnerOlivia,maisquelquechoseenmoiavaitenviedeluifairesavoirque ma vie était maintenant parfaitement sous contrôle. Si on oubliait la cigarette et le whisky, quiparfumaitsansdoutemonhaleine,j’avaisfièreallure.Tailleurdeprix,manteaudeprix,chaussuresd’unprixridicule…Jecoinçaiderrièremonoreillemescheveuxcoupésenundégradéméticuleusementraidi.

–Ettoi?–Jeviensd’emménager,m’apprit-elle.J’explorelesenvirons,d’oùmapetitebaladeàManhattan.

Deuxdemesamisviventici.–Tuasbienchoisitonjour.–Sansrire.Çapèle.Elledansaitd’unpiedsurl’autre,leregardrivéausol.Quelquechosemedisaitqu’ellenem’avaittoujourspaspardonnée,pourCameron…–Jeferaismieuxd’yaller.Ilfautquejeretourneautravail.–Ah…(Ellerelevalatête.)Bon.Ehbien,jesuisraviedet’avoirrevue,Maya.Etdesavoirque

toutvabiendetoncôté.–Merci, moi de même, répondis-je maladroitement, consciente soudain de ne pas avoir pris la

peinedeluidemandercequ’ellefaisaitdanslavie.Bonsang,j’étaisdevenueunevraiepauméenombriliste,elles’enétaitforcémentrenducompte.–Bon,jesupposequ’onsereverra.Sur ces mots, elle me gratifia d’un petit hochement de tête sévère, me dépassa et continua son

chemindansladirectiond’oùjevenais.Jeregagnail’openspace,incapabledepenserclairement,maisreprislecollierdèsquej’eusgobé

unedizainedepastillesàlamenthe.Deuxdemescollèguesétantabsentspourmaladie,jemechargeaimêmed’unepartiedeleurtravail.

Lesheurespassaient,absorbantes.J’étaisseuleavecmespensées,unefoisdeplus,jusqu’àlafermeturedesmarchés.

Page 21: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

CAMERON

–Tunedevinerasjamaisquij’aicroisé,aujourd’hui.Oliviameregardait lever lespoidsàun rythmerégulier.La journéeavaitété longueet lanuit le

seraitplusencore,sanssommeiloupresque.J’auraisappréciéunepetitedistractioncapabled’éveillermonintérêt,maisjen’avaisaucuneenviedeperdreuneheureencomméragesavecelle.

–Qui?grognai-jesansperdrelefildemoncomptesilencieux.–Maya.Mamainglissalégèrement,maisjemeressaisisetrepoussailabarrejusqu’àsonberceau,avantde

m’asseoir en laissant le nom résonner dans mon esprit et conjurer une vision que j’espérais oublierdepuisdesannées.MaMaya?

–MayaJacobs?Olivia s’adossa aumur demiroirs etme répondit d’unbref hochement de tête qui confirmamon

hypothèse.Lasalleseremplissaitderefletsd’adhérents,pressésdesedisputeraprèsleurtravailsurlestapis

decourseetlesvéloselliptiques.Lessalariés,àlapeinedeneufàdix-septheures,remplaçaientlafouletranquille des femmes au foyer qui venaient en journée. La plupart du temps, j’essayais alors de mefaufilerjusqu’àmonbureaupournepasêtreprisdanslamêlée:j’avaisbeauvivreicidepuisunan,jen’étaistoujourspashabituéàl’intensitédesNew-Yorkais.

–Etoùl’as-tucroisée?Malgrémadésinvoltureaffichée,lacuriositémebrûlait.Oliviaarquaunsourcil.–PastrèsloindeWallStreet.Apparemment,c’estlàqu’elletravaille,maintenant.–Maya?ÀWallStreet?C’estuneblague?Masœurm’observait,lesyeuxplissés,manifestementattentiveàmaréaction.–Cameron…dis-moiquetun’esplusaccroàcettefilleaprèscequ’ellet’afaitsubir,s’ilteplaît!Jemelevaidubancdemusculation,prismaserviettepourépongermonvisagesuantpuisladrapai

autourdemoncou.–Jesuiscurieux,c’esttout.Çafaitlongtempsqu’onnes’estpasvus.Elleavaitl’airenforme?Le regard d’Olivia se perdit derrière moi, manifestement attiré par un type qui pratiquait le

développécouché.Unhabitué.Lessourcilsfroncés,jeprismentalementnotedeleteniràl’œil.Masœursoupiratoutbas.–Jel’aitrouvéechangée.–Quelleprécision…–Tulacroiseraspeut-êtreundecesjours,ettuteferastapropreopinion.–Ilyadesmillionsdegensdanscetteville.Çam’étonnerait.–Detoutefaçon,c’estsansdouteladernièrepersonnequetuaiesenviedevoir.Vousnevousêtes

pasvusdepuis…–Oui,eneffet.

Page 22: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jen’avaisaucuneenviederevivrelejouroùj’avaisquittéMaya,surtoutsousleregardscrutateurd’Olivia,dontlarancunerivalisaitaveclamienne.

–Bon,ilfautquejemedoucheetquejefasseunpeudepaperasse.Jeteretrouveàlamaisonpourledîner,d’accord?

–OK.J’aiencoredeux,troischosesàranger.Jelaconsidéraid’unœilméfiant.–Jeneveuxpasquetuclassesmeschemisesparcouleurniriendecegenre.–Pasaujourd’hui,répondit-elleenriant.Maisjet’organiseraiunpeu,mêmesijedoisyconsacrer

toutemavie.–J’aimonsystèmedeclassementpersonnel.Arrêtedetoutdéplacer.–Bon. Je te souhaite bien du plaisir pour te dégoter une nana, après qu’elle aura profité de tes

talentsd’organisateur.J’agitainégligemmentlamainpuismedirigeaiverslefonddubâtiment,oùunautremurdemiroirs

dissimulaitmonbureau.Toutefois,lestasdepapiersàtraiternem’inspirèrentaucunintérêt.Peut-êtreOliviaavait-elleraison.Réaménagerl’appartementdetroisniveauxpartiellementrénové

quim’avaitservidegarçonnière,pourquoipas?Maislagestiondelasalledegymétaittropexigeante.Quandma sœurm’avait proposédem’aider, je l’avais prise aumot, persuadéqu’elle partageaitmonenviedes’éloignerdenosparents.Laseuleidéedeleslaissergérerlamoindrefacettedemavie–cequ’ilstendaientàfaireavecelle–etdetravaillerpourmonpèrem’étaitinsupportable.Heureusement,ilsavaientdéjàlaissétomberencequinousconcernait,Darrenetmoi.

J’étaisravid’offriruntremplinàOliviapourqu’elleabordel’étapesuivantedesonexistence,maisellen’étaitpaslàdepuisquinzejoursqu’ellemerendaitdéjàdingue.Sionajoutaitàçal’enchaînementrécentdesnuitsblanches,ilnefallaitpass’étonnerquejepiloteauradar.

Laportes’ouvritsurDarren.–Salut,mec,qu’est-cequetufais?–Pasgrand-chose.Delapaperasse,apriori.–Tuveuxuncoupdemain?Jeconsidérailaproposition,maismespenséesétaienttropdisperséespourlemoment.–Non,jevaisprendreunedouche,etjem’attaqueraiàçademainmatin.Jeteverraiàcemoment-là.–OK.Çava,sinon?–Oui,pourquoi?Ilhaussalesépaules.–Jetetrouveunpeugrognon.C’estencoreleshormones?–Vatefairefoutre,marmonnai-je.Iléclataderireetfourrasavestedansuncasier,avantderemplacersontee-shirtdepompierpar

celuidelasalledegym.Jeluiavaisproposédesejoindreàl’équipepouraiderlesentraîneursetmeménagerunpeudetempslibre,maisilmelefaisaitpayerparsessarcasmespeusubtils.Jemedemandaissouventcommentonpouvaitêtredelamêmelignée…

Page 23: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Etsionallaitboirequelquesbières,ceweek-end?reprit-il.Çafaitunbailquetun’aspasmislenezdehors.

J’hésitai,carmespenséesm’emportaientversMaya:sonnomauraitaussibienpuêtreletitred’unevieillechansondontj’auraischerchéàmerappelerlesparoles.Pourquoim’infligerunechosepareille?Jen’avaiscertainementpasbesoindemetourmenteravecd’autressouvenirs.

–Allez,mec, tu n’es pas sorti depuis une éternité, insistaDarren.On dirait un petit vieux.Boisquelquesverres,intéresse-toiauxfilles,détends-toiunpeu.

L’aînédenotrefratrieapprochaitdelatrentaine,maissaviesocialesurclassaitdetrèsloincelled’Oliviaetlamienne.Lesfemmessepressaientàlasalledegymdansl’espoirdel’avoirpourcoach…etautrechose,biensûr,maisilavaitréussijusqu’iciànepasprovoquerdedrameautravail.

–Jevaisyréfléchir,d’accord?–Disjusteoui,mec,répondit-ilavecunsourireencoin.–Bon,d’accord.Oniraboireunebière.–Super.Jeme détendis un peu, content qu’il arrête de semêler demes affaires. Puis je pensai à ce que

j’allaisluidemander,etj’hésitai,avantdemedéciderenfin:–Disdonc,tupeuxmeremplacerquelquesheures,demain?Jerisqued’avoirdescoursesàfaire.–Situveux.Jesuisderepostoutelajournée.–OK,merci.Unelonguedouchemitlepointfinalàmajournée.J’étaisàpeinesortidelasallequemescheveux

mouillésgelèrent,mais jen’endécidai pasmoinsde rentrer àpied,même s’il neigeait encore.Onnesavait jamaiscequeréservaient lesruesdeNewYork–événements,bêtesetgens.Toutétait toujourspossible,disait-on…etcejour-là,c’étaitindéniablementvrai.

Àunmoment,deretourdel’étranger, j’avaisfaitunelongueescaleenvilleavantderentrerchezmoi.C’estalorsquej’avaisdécidédevenirvivredanslaGrossePommeenquittant l’armée–cequej’avaisfaitaprèsquatreansettroispériodesdeserviceenpleindésert.Olivias’inquiétait,lesparentsdevenaient hystériques… Après mes efforts colossaux pour réduire à néant le souvenir de Maya, lemomentétaitvenudebouger.

Maya.Chaquefoisquejecroisaisuneblondeauxcheveuxlongs,j’yregardaisàdeuxfois.D’aprèsOlivia,elleavaitchangé.Enquoi?Lareconnaîtrais-jeseulementaupassage?Peut-êtrenousétions-nousdéjàfrôlésdanslarueetavais-jeététropabsorbéparmonpropreuniverspourlavoir.

Non.Sonvisagem’auraitarrêté.Jen’arrivaistoujourspasàcroirequ’Oliviasoittombéesurellesilongtempsaprès,preuvequenon

seulementelleexistaittoujours,maisqu’enpluselleétaitdanslecoin.Toutprès.

Page 24: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

II

MAYA

Jefaillisdérapersurleparquet.Uneneigefineavaitcommencéàtomberpeuaprèsmonretouraubureau,etmesManolon’avaientpasappréciésonaccumulationsurlechemindel’appartement.

Jereprismonéquilibreavantdemedéchausser,soulagéedemeretrouverchezmoi,bienauchaud.–Home, sweethome, chantonnaEli àmoinsd’unmètredemoi,maisdepuis le salon, séparéde

l’entréeparunesimplecloisonamovible.Tuveuxunverredevin,mapuce?–Volontiers.Lorsqu’il se leva du canapé, je constatai qu’il arborait sonuniformehabituel, jean cigarette noir

délavéettee-shirtsouvenird’ungroupederockquelconque:sonillustrecarrièreatrocementmalpayéedejournalistemusicalfree-lanceluipermettaiteneffetd’assisteràd’innombrablesconcerts.Ildisparutdansleplacardquenotrepropriétairequalifiaitpompeusementdecuisine.

Je me rendis dans ma chambre – que j’occupais seule et qui, contrairement au reste del’appartement,étaitd’unetailleraisonnable.Onavaitbeaumeneruneexistencemodeste,Elietmoi, jerefusaisdedormir serréecommeune sardine.Non seulement jedisposaisd’un litqueensize,mais jepouvaismedéplacer toutautour.Débarrasséedemon tailleur, jemis lamainsurmonplusvieux jean,délavéetdéchiré,danslequeljemesentaissuperbien.Unsweatàcapuchecomplétamatenue,puisjegagnaiàpasfeutrés lesalonoùElireparaissait tout juste,deuxbonsverresdenotrevinrougepréférédanslesmains.

–Tiens,beauté,dit-ilenm’entendantun.–Tuesgénial.Merci.–Jesais,etderien.Ilrepritplacesurlecanapé,unpetitsouriresuffisantauxlèvres.–Raconte-moitajournée.TuasvuVanessa?–Non.Ondevaitdéjeunerensemble,maissonpatronl’aenvoyéefaireunecoursequelconque.–Vuvotretêtelanuitdernière,jemedemandecommentvousavezréussiàallerbosser.Vousêtes

desacréespro.

Page 25: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jesoupirai.Mapéniblegueuledeboisdumatinn’étaitmêmeplusunmauvaissouvenir.–Mmm,c’esttoutjustesij’aisurvécu.Jenesaispaspourelle,maisàmonaviselles’enestsortie.NonseulementElietVanessaétaientmesmeilleursamisdepuisquejetravaillaisàNewYork,mais

Vanessa faisait aussi partie des rares personnes capables de donner à unmardi soir l’ambiance d’unvendredi soir – sans porter aucun jugement surma conduite.La plupart des gens se lâchaient pendantleursétudes,alorsquejem’étaisépanouieunpeutarddecepointdevue-là.EtcommeVanessadétestaitsontravailautant,voireplus,quemoi,onseserraitlescoudes.

MonregardseposaderrièreEli, sur lesétagèresencombréesde livresdisparatesetdePolaroidencadrésdenosdiversesaventuresalcoolisées.

–Tuasl’aircarrémentloin.Qu’est-cequisepasse?Nosyeuxsecroisèrentànouveau.J’hésitai.MarencontreavecOlivian’avaitaucuneimportance,

simpledétaildemajournée,maisjen’arrivaispasàl’oublier.–J’aicroiséunevieilleamie,aujourd’hui.–Quiça?–OliviaBridge.Unecopined’université.Jememisàtiraillerletissueffilochédemonjean,toujoursincapabledesurmontermonincrédulité.

J’avais croisé des tas de gens, àNewYork.Des centaines.LaGrossePommeétaitLaMecquede lajeunessedoréeetéduquée–quejefréquentaismaintenantdepuisdesannées–,maisjen’avaispasrevuOliviadepuislafac.Ellen’avaitpaschangé,ousipeu.C’étaittoujourslabellefillemaîtriséeavecquij’avaispartagémachambred’étudiante.

Lesyeuxd’Elis’écarquillèrent.–Attendsvoir…Olivia…Pascelledontlefrère…–Si.LasœurdeCameron.–Waouh!Jenesavaispasqu’ilsétaientd’ici.–Ilsnelesontpas.Ellevientd’emménager.Ons’estcroiséesparhasard.–Ças’estbienpassé?Jehaussailesépaules.–Jen’ensaisrien.Elleaétéplutôtsympa.Olivias’étaitmontréeprudente,maisplusavenantequedansmessouvenirs.Aprèstout,ellem’avait

adressélaparole,mêmesijelasoupçonnaisd’êtretoujoursaussifurieusecontremoi,malgrélesannéesécoulées.J’auraisvoulum’enmoquer,maisjen’yarrivaispas.

–Laisse-moideviner,repritEli.TuaspassétajournéeàpenseràCameron.C’estpourçaquetudéprimesàmort.

Ilpenchalatêtedecôté,sescheveuxd’unenoirceurartificielleaussilégersquedesplumessursonfront.Ilavaitraison,évidemment,maiscommejeluiavaisdéjàparlédeCameron,çanemedérangeaitpasdereconnaîtrequemonexavaitrefaitirruptiondansmespenséesaprèsuneabsencemiséricordieuse.

Jesoupirai,toujoursaussibouleversée.Laréapparitiond’Oliviamenaçaitderessusciterunvolumeentier de souvenirs indésirables. Le chapitre dema vie consacré àCameron avait beau appartenir au

Page 26: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

passé, il me suffisait de l’évoquer pour qu’une souffrance familière pénètre la fatigue et l’anesthésieapaisanteduvin.

–Franchement,jedevraism’installermédiumavecunnumérosurtaxé.Elinousdrapatousdeuxdanslacouvertureposéesurledossierducanapé.–Tuasdéjàpenséàlerecontacter?Àviderl’abcès?Jesecouailatête.Silointainsquemeparaissentlessouvenirs,laruptureavaitététropdouloureuse.

PerdreCameronavaitfaillimebriser.Jenevoulaisrienrevivredetoutça.–Peut-êtrequedesoncôtéilaimeraittournerlapagepourdebon,suggéraEliavecdouceur.–C’estluiquim’aquittée.Siquelqu’undanscettehistoirealedroitdetournerlapagepourdebon,

c’estmoi.Maisjen’enaipasbesoin,jemesuisremise.Lesilences’installa,etj’allainousservirundeuxièmeverre.–Dis-moi,çat’arrivederegretterdeluiavoirditnon?Jelevailesyeuxauciel:jesavaisoùnousmenaitcetteconversation,etjen’avaisaucuneenvied’y

aller.–Lesjeunescouplesnes’enfuientpluscommeçapoursemarier,çanesefaitplus,affirmai-je.Elihaussalesépaules.–Personnen’auraitditoui,dansunesituationpareille.–D’accord,maistun’aspasvraimentréponduàlaquestion.Çat’arrivedepenseràcequiserait

arrivésituavaisditoui?J’avaisrevécucejour-làenespritjenesaiscombiendefois,avecjenesaiscombiendescénarios

dontlafinnem’obligeaitpasàregarderCameronsortiràjamaisdemavie.–Tusaispourquoijenepouvaispas,marmonnai-je.Unevaguedecolèrem’envahitbrusquement.LàoùCameronavaitfuiunstatutdeprivilégié,j’avais

dûbataillercontretoutessortesd’entraves,alorsquemasurviepersonnellen’étaitpasseuleenjeu.Rienn’était aussi simple que le pensaient les autres. Je l’avais expliqué à Eli, mais il s’obstinait à metarabusteretàranimermesremords.

–Tuesdansquelcamp,toi?ajoutai-je,rageuse.Tuparlesd’unthérapeutedemerde!– J’ai dit que j’étais médium, pas psy. Et je suis dans ton camp, tu le sais pertinemment. J’ai

parfaitementcompristesraisons,maisleschosesontchangé.Ilyavaituntrucvraimentfortentrevous,çasevoit.Alorsils’estpeut-êtreécouléassezdetempspourquevousrepreniezcontactetdeveniezamis.

Ilmetapotalajambeàtraverslacouverture.–Tourner lapagepourdebon faitdubienà tout lemonde,crois-moi.Vousétiezbouleversés,à

l’époque,maisilaeuletempsdesecalmer.Ettoiaussi.Je secouai la tête en repensant au jour J. À l’émotion qui m’avait submergée lors de nos

retrouvailles,toutçapourquesonamourmesoitaussitôtarraché.Jamaisjen’oublierais.J’avaispassédes semaines àm’endormir enpleurant, torturéepar les regretsmais conscientedenepas avoir eu lechoix.Jem’étaisfaitd’amersreprochespendantdesmois,desannées,parcequejen’avaispasréussiàdonnermoncœuretàfuirmaproprevie,sifortquejel’aievoulu.

Page 27: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Épouse-moi.Ces deuxpetitsmots avaient tout gâché.Aucunepropositiondemariagen’aurait putournerplusmal.

Après le brusque départ deCameron, la paniquem’avait poussée à appelerOlivia, en vacanceschezsesparents : jemedisaisqu’il l’yrejoindrait,maisnon.Ilétait retournésursabasemilitaire,enrenonçantaurestedesapermission.

Lessemainesavaientpassésansm’apporterlamoindrenouvelle.Ilnem’avaitpasdonnél’adressedesanouvellebase,etOliviaprétendaitnepasl’avoir;d’aprèselle,ilseraitdéployédèsqu’ilsortiraitde l’école technique. Par la suite, on avait pratiquement cessé de se parler. C’était tout juste si ellesupportaitdemeregarder.

–Tul’aimais,Maya.(Lavoixdouced’Elis’immisçadansmespensées.)Etjesaisquetunel’aspas oublié. Soit tu continues à porter le fardeau de ce jour-là, soit tu essaies de créer de nouveauxsouvenirs.

Jedéglutis,malgrémagorgebrûlante.Cettehistoirenem’avaitque trop faitpleurer.Cameronetmoin’avionspasvécuune simpleamourette : il était toutpourmoi, et jecroyaisêtre toutpour lui. Ilincarnaitàmesyeuxl’évasion,lesespoirs,lesrêves:unvéritablecadeaudesdieux.Unebéquilleaussi,oui,àuneépoqueoùj’enavaisdésespérémentbesoin.

Unebéquille…Ce seulmotme crispait – et lamanière dontCameronme l’avait assené aupiremoment.Voilàcequ’ilcroyaitêtrepourmoi,àcausedemonincapacitéàm’engager,etpeut-êtreavait-ilraison;peut-êtreétait-ilmieuxlotisansmoi.

–Jepréféreraisqu’onlaissetomber.Je m’octroyai une rasade de vin, persuadée que la raison l’emporterait quand j’aurais fini mon

verre, voire la bouteille. Cameron,mon travail débilitant etma famille dysfonctionnelle sombreraientdansl’oubli,engloutisparl’insensibilitébienfaisantequis’insinuaitenmoi.

Eli soupira, manifestement radouci, s’empara de la télécommande posée sur la table et mit lesinformations. Un sujet international entreprit deme redonner le sens de lamesure,maismes penséess’obstinaientàtournerautourdeCameron.Leregardqu’ilm’avaitlancécesoir-làrestaitgravédansmonesprit–siaimant,maissiabattu,plusdouloureuxquejenel’avaisjamaisvu.

Jen’avaisrienoublié.Etj’avaispeurdenejamaisyparvenirsijelerevoyaisunjour.

***

–Hé!Alexinterrompitmontravailsurletableur,alorsquej’étaisaussiconcentréequ’unrayonlaser.Je

lui jetaiuncoupd’œil rapide.Une tassedecaféà lamain– la troisième,sansdoute–, lesourireauxlèvres,lesyeuxexorbités,ilenavaitmanifestementunebienbonneàmeraconter.

–Quoi?Mesyeuxsereposèrentsurl’écran.J’étaisenmodeMaya.–Bienlebonjouràtoiaussi.

Page 28: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jesoupirai,conscientequ’ilallaitselancer.Pourunhomme,hétéroetdesurcroîtfiancé,c’étaitunecommère de première.Du seul fait, àmon avis, qu’il s’ennuyait àmourir – ce que je ne pouvais pasvraimentluireprocher.Nosbureauxmanquaientcruellementdecultured’entrepriseetd’énergie.Quandje n’étais pas absorbée parmon travail, j’étais en général enchantée qu’ilme distraie – etme tienneinformée–,carjen’avaispasl’habitudedemefairedesamisdansl’entreprise.

Ilsepenchadansmonbox,latêtebaisséeversmoi.–Tuasvulanouvelleassistanteduvice-prez?–Lajeune?J’avaiseneffetvulanouvelleallerdesonbureauàceluiduvice-président.Unebeautéauteintmat

etaurirerauquedontjemedemandaiscombiendecollèguesl’avaientinvitéeaurestaudepuisqu’elleavaitprissonposte,lasemaineprécédente.

–C’estunecertaine Jia.Elleanotreâge, figure-toi. J’aimeraisbiensavoircommentelleaeu leposte,ilsn’ontmêmepasfaitminederecrutereninterne.

–Elleestsympa?Je partais du principe que la réponse était négative, puisqu’on nemontait pas aussi vite dans la

hiérarchie en étant sympa,mais je n’aurais rien affirmé : la profession avait beau s’être ouverte auxfemmes en dix ans, on ne pouvait pas dire qu’une franche camaraderie féminine unissait notre petitetroupe.Chacunepoursoi,etDieupour toutes.Quantàsavoir laquelleseraitprêteàvousdescendresil’occasion s’en présentait… J’avais été témoin de ce genre de choses plus d’une fois, c’était une desfacettesdelavieprofessionnelleauxquellesjen’adhéreraisjamaiscomplètement.

– Jene saispas, jen’aipas encore fait sa connaissance, avouaAlex.Mais le cousinde Jasonabosséavecelleavantqu’elledébarqueici,etilditquec’estunevraiesalope.Enfin,siçasetrouve,c’estjustequ’ellen’apasvouluselaissersauter.

–Super.J’aihâtedefairesaconnaissance.Jemeretournaiversmonécranencherchantàmerappeleràquellecasej’enétais.–Ah,merde,lechefarrive!Àplus.Alexdisparutàlavitessedel’éclair,tandisquejeluirépondaisd’unhochementdetête.Jeterminailatâcheinterrompueparsescomméragesavantd’allerdéjeuner,alorsqueletroupeau

avait déjà déserté les bureaux depuis longtemps. Quelqu’un me rejoignit pendant que j’attendaispatiemmentl’ascenseur.

–VousêtesMaya,c’estça?–Oui?–Moi,c’estJia.Deprès,elleavaituneallureimpeccabledanssoncorsageensoiebleue,sajupedroitenoireetses

talonshauts–quejeluienviaiaussitôt.Sescheveuxd’unnoirdejaisétaienttirésenarrièreettorsadésserrés. D’énormes boucles d’oreilles en diamant encadraient son visage, souligné par une chaîne enplatinetoutesimple,étincelantecontresapeaumate.Elleétaitravissante.Tropravissante.

–Félicitationspourvotreposte.

Page 29: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Aprèsunrapidesourireetunepoignéedemain,jemeretournaiversl’ascenseuretfixaileschiffreschangeantsdesétagesenespérantqu’ilallaitbientôtarriver.LetempsrisquaitdememanquerpourallerauDelaney’s.

–Merci.J’aivuvotrenomsurletableaudeservice.Iln’yapasbeaucoupdefemmes.–Vousavezremarqué?Son rire dévoila des dents immaculées. Elle n’était pas seulement belle, mais éblouissante. Ses

lèvres d’un rouge sombre parfaitement naturel mettaient la touche finale à son charme. Lorsquel’ascenseurarriva,vide,elleyentraavecmoi.Jepressaileboutondurez-de-chaussée,tandisqu’elles’adossaitàlaparoi.

–Çafaitlongtempsquevoustravaillezici?s’enquit-elle.–Quatreans.Sonseulcommentairefutunhochementdetête:monincapacitéàm’éleverdanslahiérarchieàla

vitesse folle dont elle faisait preuve ne l’impressionnait certainement pas. Je n’étais pas sûre d’avoirenviedesavoircommentelles’yétaitprise,maisj’auraispeut-êtrepuluipiquerunoudeuxdesestrucs,puisqueabattreletravaildedeuxpersonnesnesuffisaitmanifestementpas.

–Ondevraitdéjeunerensembleundecesjours,reprit-elle.–Volontiers.Jesentaisqu’ellemeregardait,cequ’unregardencoinmeconfirma.L’examenauquelcettebelle

inconnuemesoumettaitdetrèsprèsmemettaitvaguementmalàl’aise,maisj’essayaidemedétendre.–Cettesemaine,j’aidesrendez-vous.Alorspourquoipaslasemaineprochaine?proposa-t-elle.–Génial.Voussavezoùmetrouver.Malgré le pessimismegénéral quem’inspiraitmon évolution professionnelle, çam’intéressait de

mieuxlaconnaître.Peut-êtreallais-jedécouvrircedontj’avaisentenduparleràlafac,lorsdesréunionsde soutien à l’équipe de basket féminine : la fameuse entraide féminine. Peut-être Jia allait-elle mesurprendre.

Unefoisdehors,chacunedenouspartitdansladirectiondesonchoix.Jen’avaispasfaitdeuxpaspourgagnerleDelaney’squandjelevis.

Mon cœur s’arrêta.Une vague de chaleurm’envahit. Lorsque nos yeux se croisèrent, ses lèvress’entrouvrirentetsonsoufflesecondensaennuagedevantlui.J’oubliaitoutlereste.Oùjemetrouvais,où j’allais, qui j’étais. Une fraction de seconde durant,mon esprit fut envahi par celle que j’étais ladernièrefoisqu’ons’étaitvus.Vulnérable,malheureuse,etsifolledeluiquej’enétaismalade.

J’avaisarchivédepuislongtempsnosphotosdecouple,maislemoindresouvenirrevenaitaugalop.Ilétaittoutcequejemerappelais–voiredavantage,carsonmanteaunepouvaitdissimulerlalargeurdeses épaules. Ses pommettes affirmées et son menton volontaire, couvert d’un chaume léger, étaienttoujoursaussiséduisants.Sescheveuxavaientrepoussé,quoiquepasassezpourobscurcirsesyeuxbleus,lesmêmesqueceuxdesasœur.Ilsplongeaientenmoileurregardperçant,àl’ardeurindéfinissable.

Lorsqu’ils’approcha,indéchiffrable,jem’aperçusquejenepouvaisplusrespirer.Ou,plutôt,queje ne pouvais plus contrôlerma respiration. Je haletais comme une démente, le brouillard en suspens

Page 30: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

devantmoinelaissaitaucundoute.–Salut,dit-iltoutbas.–Cameron…Quand son nom tomba demes lèvres, une faiblesseme prit, impression qu’il m’avait faite bien

souvent.Jemouraisd’enviedeletoucher,demeblottircontrelui,persuadéequ’ilmesoutiendrait.Eliavaittort.C’étaitunetrèsmauvaiseidée.

–Qu’est-cequetufaisdanslecoin?demandai-jeaprèsavoirdéglutipéniblement,perduedanssesyeux.

– Olivia m’a dit que tu travaillais par ici. Je pensais qu’on pourrait peut-être se donner desnouvelles.

–Sedonnerdesnouvelles?Pourquoiunevoixaussidésespérée?OùétaitpasséelaMayaprofessionnelle?Ilavaitsuffid’un

instantàCameronpourmeréduireàl’idiotie.Une fractionde secondedurant, ilm’apparut exactement tel que jeme sentais,moi : bouleversé,

égaré,quasiparalysé.–Tuviensdéjeuneravecmoi?reprit-il.–Avectoi?Jen’avaispasencorereprislecontrôledemoncerveau,voilàpourquoijeluifaisaisécho.Detoute

manière,vulesensquejetrouvaisàsesrépliques,ilauraitaussibienpuparlerunelangueétrangère.Unsourireluimontalentementauxlèvres.Ceslèvres,bonsang!Ellesétaientsibelles,etilyavait

silongtempsquepersonnenem’avaitembrassée.

Page 31: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

III

CAMERON

Oliviaavaitraison,Mayaavaitchangé.Etpasseulementdanssacoiffureetsatenue,ilmesuffitdequelquesminutespourlesavoir,mêmesijel’avaisreconnuesansdifficulté.

On s’était installés dans un petit restau, près de son lieu de travail. Tous les hommes étaient encostume,saufmoi,maisçaneluifaisaitmanifestementnichaudnifroid.Heureusement,parcequemoiaussijem’enfichais.Monpères’habillaitcommeçatouslesjours,çam’avaitvacciné.Bon,Mayaétaitsansdoutetropsurprisedemevoirsortirdenullepartpourpenseràl’allurequ’ilfallaitavoirdanslesbistrotsdeManhattan,maisellenem’avaitpasencoredemandépourquoij’avaischerchéàlavoir.

J’avaispassélamoitiédelanuitàtournerenrondetàessayerdelachasserdemespensées,avantd’enarriveràlaconclusionquejenepouvaisattendredessemaines,desannées,voireuneéternitédelacroiserparhasard.On se trouvait dans lamêmeville aumêmemoment…C’était le karma. Jedevaisfairequelquechose,j’enavaisbesoin:ouvrirlaporte,lafranchir,voircequim’attendaitdel’autrecôté,neserait-cequel’amitié.Oumoinsencore.

–Bon,dequoivoulais-tumeparler?Elle ramenasescheveuxblondsderrièresonoreille. Ilsétaientaussi longsqu’autrefois,mais les

doucesondulationsquiencadraientsonvisageàl’époqueavaientétélissées.–Jenesaispas.Je n’avais pas assez réfléchi. J’aurais dû savoir ce que je voulais avant de lui tendre une

embuscade,maiscommejenesavaispasàquoim’attendredesapart,j’allaisdevoirimproviseraufuretàmesure.

Lorsque laserveusenousapportanosplats, jemeconsacraiaumien,soulagéd’avoiruneexcusepourmereprendre.Ildevaitbiennousresterunterraind’entente,maispluslessecondespassaient,pluslegouffreouvertentrenouspardesannéesdesilences’élargissait.

On n’avait pas gardé le contact, parce que certaines ruptures ne peuvent tout simplement pasdébouchersurautrechose.Jen’avaiseuaucuneenviedelavoirs’éloignerdemoi,s’attacheràd’autres

Page 32: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

quemoi.Onavaitcoupélesponts,etj’avaislaissésonsouvenirpâlirautantqu’illevoulaitbien.Savieactuellem’étaitdonctoutàfaitinconnue.

–ÇafaitlongtempsquetuesàNewYork?demanda-t-elleavecunsourirecrispémaispoli.–Environunan.J’aiouvertunesalledegymàBrooklyn.–C’estsuper!Comments’appelle-t-elle?–BridgeFitness.Ellefaillits’enétrangler.–Waouh!–Quoi?Qu’est-cequ’ilya?–C’esttoutprèsdechezmoi.Jen’enrevienspasqu’onnesesoitjamaiscroisés.–Tuyvas?–Non,répondit-elleenriant.–Qu’est-cequeçaadedrôle?Ellehaussalesépaulesenregardantparlafenêtre.–Rien.Jen’aipasvraimentletempspourça.–Toutlemondedittoujoursça.C’estl’excusequej’entendsleplus.–OK.–Etsinon,tuteplaisàtontravail?Sonregards’attardasurlarueaniméeavantdesereposersursonassiette.–Çava.Jesuisbienpayée.Legouffre s’élargissait : lui faire la leçonsur le sportn’avait sansdoute rienarrangé. J’étaisen

traindetoutfoirer.Onnes’étaitpasexactementquittésbonsamis,etonétaitlà,àpapotercommesiderienn’était.Commedevieuxamisquiviennentdeseretrouver.Onenétaitpourtantloin.

–Écoute,Maya,jesuisdésoléd’avoirdébarquésansprévenir.–Pasdeproblème.Jeveuxdire,jesuiscontentedetevoir.– Je sais bien qu’on n’a pas gardé le contact, mais j’avais envie de te voir. Ça fait tellement

longtemps.–Eneffet.Elle ferma les yeux et inspira longuement, à croire que ses pensées l’emmenaient ailleurs, une

secondeseulement.–Apparemment,onaévoluétouslesdeux,tutedébrouillesbien…c’estsuper.Jemeraidis.–Tuasquelqu’un?–Commentça?s’étonna-t-elle.–Tuviensdedirequ’onaévolué.J’endéduisquetuasquelqu’und’autre.–Maisnon.Quandelleseremitàexaminersonassiette, jelaissaiéchapperunsoufflequej’avaisretenusans

mêmem’enapercevoir.Pourquoinemeregardait-ellepasdanslesyeux,bordel?

Page 33: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Lamainqu’elletenditverssonverred’eautremblaitlégèrement.Lerougeluiétaitmontéauxjoues,etsapoitrinesesoulevaitsouslefincorsagerosequimettaitsesseinsenvaleur.Jen’étaispasaveugleaux réactions féminines que je provoquais. Il y avait eu d’autres femmes après elle, mais je ne merappelaispasavoir jamaisremarquéchezelles lessubtilschangementsphysiquesquej’observaischezMaya.Ellemefascinait.

Jem’arrachaitoutefoisàcettefascinationetmeredressaisurmachaise.–Jecroisquejenesaispasparoùcommencer.Ellerestauninstantsilencieuse,trèsoccupéeàdessinerdepetitscerclessurlanappe,avantdese

déciderenfin:–S’ils’agitdetournerlapagepourdebon,jecomprends.Leschosesnesesontévidemmentpas

terminéesdemanièresatisfaisanteentrenous.Ilseraitnormalquetuveuillesenparler.Tournerlapage?Ilmesemblaitavoirprisuncoupdepoingdansleventre.–Tournerlapage,hein?répétai-jeàvoixhaute,enrianttoutbas.Elle s’adossa et jeta sa serviette sur la salade qu’elle avait à peine entamée, malgré l’attention

qu’elleyavaitconsacrée.–Jenesaispas.Çanemedérangeraitpasdenepasressasserenpermanence.Vusafroideurprosaïque,ellen’avaitaucuneenviedeparlerdecequis’étaitpasséentrenous.Ça

dataitdeMathusalem.–Tunepensesjamaisànotrehistoire?demandai-je.Longueinspiration.–Si,çam’arrive.–Etçanetedérangepasqu’ellesesoitterminéecommeça?–Qu’est-cequeçapeutfaire?Elles’estterminée.Voilà.C’estcequ’onadécidé.(Elles’éclaircit

lagorge.)Cequetuasdécidé,entoutcas.Cesderniersmotsmehérissèrent.C’étaitmoiquiétaisparti,etellemelereprochait,évidemment.

Àcemomentardent,partirm’avaitsemblélameilleurechoseàfaire–laseulepossible.– Je voulais passer le reste de ma vie avec toi, mais tu n’as pas voulu. À quoi t’attendais-tu,

franchement?Ellerelevaenfinlesyeux,sabellebouchetordueparunemouedouloureuse.–Onnesemariepaspendantsesétudes,Cameron.–Onparlaitdemariageenpermanence.Etnevienspasmedirequecen’estpasvrai.Jemaîtrisaismavoixpournepas luimontrerque je souffrais toujours terriblementde son refus.

J’avaispassédesannéesàessayerdelachasserdemonesprit,etj’enétaistoujourslà,bordel.Onauraitpuseséparerhier,jen’auraispasétéplusbouleversé.

–Franchement, tunous imaginesmariés, là,maintenant, tout de suite ?medemanda-t-elle.Enfin,quoi,tunousasvus?

Meslèvressepincèrent,carjecherchaisàcomprendrelafemmeassiseenfacedemoi.Querestait-ilenelledecellequej’avaisaimée?

Page 34: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Non,franchement,jenel’imaginepas,avouai-jeenfin.Surlemoment,çam’étaiteneffetimpossible.L’éclairdedouleurquitraversasonregardmefitregrettercesmots.Peut-être,aprèstout,laMaya

que j’aimaissecachait-ellequelquepartdanscettenouvellevie,souscenouveau look.Ellebattitdespaupières, les yeux brillants, puis jeta un coup d’œil à sa montre, un gros truc couvert de cristauxétincelantsquidévoraitsonfrêlepoignet.

–Ilfautquej’yaille.Jen’aiqu’uneheurepourdéjeuner,etjesuissortietard,marmonna-t-elleens’emparantdesonsacàmain.

–Laisse,jet’invite,dis-jeaussitôt.–Non,c’estmoi.–J’insiste.Lorsque la serveuses’approcha, je luiadressaiunsourirequi signifiaitclairementque l’addition

étaitpourmoi.– Je t’en prie, Cameron, tu n’as pas à me payer à déjeuner, protesta Maya en fouillant quasi

frénétiquementdanssonsac.–Jetelaisseraifairelaprochainefois.Jeposaiquelquesbilletssurlatablepuismelevai,lamaintendueverslasienne.Ellefitminedene

pass’enapercevoiretmeprécédaverslaporte,sonsacàl’épaule.Dehors,elles’arrêta.–Netesenspasobligédemeraccompagner.–Çanemedérangepas,répondis-je,mécontent.Ellecédasansunmotdeplusetmarchaàviveallureenlouvoyantentrelespassants.Chacundenos

pasaccroissaitlacolèrequem’inspiraitnotremaladressemutuelle.Etmerde!Leregardqu’ellem’avaitlancé un instant plus tôt, ce regard douloureux, je l’avais reconnu. La dernière fois qu’on s’était vus,c’étaitaussimoiquil’avaisprovoqué.Aujourd’hui,elles’étaitempresséedelemasquer,maisilavaitpercémalgrétout.

Monestomacsenouaquandlesregretsm’envahirent.Cetterencontretropbrèveneressemblaitpasauxretrouvaillesdontj’avaisrêvé.JenepouvaispasquitterMayadecettemanièreunesecondefois–convaincuequejeladétestais,etsanssavoirsiellemedétestait.

Elleralentitetseretournaàquelquesmètresdesportesàtambourdesonimmeuble.Sansluilaisserletempsdedireaurevoir,jelaprisparlebraspourl’attireràl’écart.

–Maisqu’est-cequetufais?demanda-t-elle,paniquée.–Maya…(Lesmotsmefuyaient.)Jesuisdésolé.–Hein?–Jenepensaispasqueleschosestourneraientcommeça.Mêmesicen’estpasunepremière,avec

toi.–Navréedenepascorrespondreàtesattentes.

Page 35: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Elleserra lesdents,et je leretrouvai,ceregardquimeratatinait,quimepoussaità luiprésentermesexcusesetàessayerd’arrangertoutcequiallaitmalentrenousdepuissilongtemps.

Lorsqu’ellemetournaledospourrepartir,jelatiraienarrièrecontremoi.Elleinspirabrusquementpuis son corps se détendit entre mes bras. J’effleurai sa joue enme souvenant de sa peau – dont ladouceurseréchauffaitàmoncontact.

–J’aienviedet’embrasser.–Hein,quoi?Sesyeuxs’écarquillèrent,tandisqu’elleseraidissaitcontremoi.–Jenepeuxpasl’expliquer.J’aibesoindesavoirsiçavamefairequelquechose.Jesuivisduboutdudoigt lacourbedesabouche,dont le frémissement répondaitauxbattements

violentsdemoncœur.–Disonsquejetournelapage,ajoutai-jedansunsouffle.–Non,dit-elle,unesecondeavantquenoslèvressetouchent.Elleme repoussa, l’airhésitantemais legestedécidé.Aussi la laissai-je s’éloignerdemoi,bien

troploin–unpasenarrière.Sonteintdeporcelainesecolorabrusquement.Était-elleembarrassée?Furieuse?Jen’auraissule

dire.Toutcequejesavais,c’étaitquejelavoulaisaussiviolemmentqu’autrefois,voireplus.Jevoulaisretrouversongoût,sonodeur–désirpressantquejenedominaiqueparunimmenseeffortdevolonté.Jemouraisd’enviedelapossédercommeautrefois,maisjen’enavaispasledroit.Pasencore.

MAYA

L’ascenseurmeparutmettreuneéternitéàarriver,aupointquej’envisageaideprendrel’escalier.Lagrimpetteviendraitpeut-êtreàboutdurazdemaréededésiretd’égarementquim’avaitenvahie.

Moi quimedemandais parfois si, après tout ce temps, il resterait entreCameron etmoi quelquechose demagique, je n’avaismaintenant plus aucun doute. J’étais littéralement en feu, alors qu’il nem’avaitmêmepasembrassée.J’enavaiseuenvie,biensûr,maispassertoutledéjeuneràfairecommes’iln’étaitqu’unpointdedétaildemonhistoirem’avaitdéjàassezébranlée.Ilm’étaitimpossibledelesuivre sur ce chemin-là sans savoir si je pouvais raisonnablement m’attendre à survivre auxconséquencesémotionnellesd’unepassadeaveclui.J’étaisdéjàdanstousmesétats.

–Hého!Vanessaseglissaprèsdemoi.–Jet’aiappeléepourqu’onailledéjeuner.–Ahbon?(Je tapotaimespoches,à la recherchedemonportable.)Désolée.J’aidûéteindre la

bêteauboulotetl’oublier.–C’estpasgrave.Quoideneuf?–Pasgrand-chose,mentis-je.

Page 36: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jeluiraconteraisplustard,quandjemeseraisfaituneidéedecequiavaitbienpusepasserentreCameronetmoi.

–Commentçava,auboulot?–Pff!Commed’habitude.Elle continua tout bas, pendant qu’on s’entassait dans une cabine en compagnie d’une douzaine

d’autrespersonnes:–Hier,c’étaitl’enfer.Jesuisprêteàparierqu’ilsaitquandjen’enpeuxplusetqu’ilm’endemande

encoreplus,parcequ’ilaimemevoirsouffrir.Jecroissincèrementquec’estsamanièreàluideprendresonpied.

Il,ouencoreDavidReilly,sonsupérieurhiérarchique,undesgrandsmanitous,pluspuissantqueJiaouquen’importequiàmonétage.IladoraitfairedelaviedeVanessaunenfer.Elleavaitobtenusonposte grâce à une connaissance, alors qu’elle n’avait pratiquement aucune expérience, et refusait delâcher pour ne pas nuire à la réputation de son bienfaiteur. Si je n’avais pasmoi-même autant tenu àgarder mon travail, j’aurais dit ce que je pensais à M. Reilly. Mais avec qui me serais-je ensuiteréconfortée?

–C’esttoujoursbon,pourceweek-end?repritVanessa.– Il faudrait aumoins une apocalypse zombie pourm’empêcher d’aller faire la fête avec toi un

samedisoir,répondis-je.Ettupeuxconsidérerçacommeuneinvitationpermanente.Elleéclataderireenmedonnantunpetitcoupdecoudeaffectueuxpuis,pendantquel’ascenseur

montait,attrapaquelquesmèchesdecheveuxrouxégaréespourlescoincerdanssabarrette.–Souhaite-moibonnechance,medemanda-t-ellequandlesportess’ouvrirentàmonétageetqueje

mepréparaiàquitterlacabine.–Ceseraitavecplaisir,siçapouvaitychangerquoiquecesoit.–Touché!Jeprisladirectiondemonenferpersonnelpendantqu’ellelevaitlesyeuxauciel.Heureusement,lamatinéeavaitétéproductive,carmeseffortsdel’après-midipourmeconcentrer

surmontravailfurentvains,dufaitqueCamerons’immisçaitsanscessedansmespensées.Laveille,jem’en étais tirée à bon compte, puisque seul son souvenir avaitmismon univers sens dessus dessous.Aujourd’hui, c’était lui en chair et en os, ce qui se révélait beaucoup plus déstabilisant. L’athlètesplendidedontjemesouvenaisetquej’évoquaispendantmesnuitssolitairesavaitaussitôtcédélaplaceà l’homme qu’il était devenu. Une demi-douzaine de fantasmes où je redécouvrais son corpsm’avaittraversél’espritpendantledéjeuner,etmonproprecorpsleréclamaitmaintenantàgrandscris.

Ce désir obsédant n’avaitmalheureusement rien de simple. Cameron ne se limitait ni à un beauvisage ni au corps inouï que j’imaginais sous ses vêtements. C’était un phare du passé qui sortait del’ombredesémotionsdont jem’étaiséloignéedepuis longtempsetque jen’avaispasparticulièrementenviederetrouver.

Cameron… À son regard, à ses yeux d’un bleu transparent et hypnotiques, j’aurais juré qu’ilm’aimaitencore.Soncontactmesemblaitemplidelatendressepossessived’autrefois.

Page 37: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Non. Impossible. Il m’avait fait trop mal. Personne d’autre ne m’avait jamais brisée de cettemanière.Jenepouvaisl’enrécompenserparunbaiserouunedeuxièmechance.

Page 38: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

IV

MAYA

–Debout!Allez,debout!Elimesecouaitparl’épaule,avivantlemaldetêtediffusquiavaitprispossessiondemoncrâneau

réveil.Laveilleausoir,aprèsletravail,j’étaissortieavecVanessacélébrerledébutduweek-end.Tropdechampagne.Dumauvaischampagne,quinelecédaitqu’auvinenbriquedansledomainedespiresgueulesdebois,garantiessurfacture.

–Vatefairefoutre,ilesttroptôt,grognai-jedansmonoreiller,enmeréfugiantsansénergiesousmescouvertures.

–Arrête,ilestpresquemidi.Jepoussaiunnouveaugrognement, longgémissementmélancoliquecensé inspirerquelquepitiéà

Eli.–Debout,jetedis,insista-t-il.Çafaitdessemainesquetuveuxalleràlasalledegym.J’enaima

claque.Cettefois,onyva.Jerejetaimescouverturesetlefixaid’unregardmenaçant.S’ils’obstinaitàmesecouer,çaallait

saigner.Ilbattitenretraite,prudent,maissesyeuxbrillaientdedétermination.–Bon,lâchai-je.Café.Pourcommencer.– Tu es sûre que tu veux verser du café sur tout le champagne que tu as bu hier soir ? Tu ne

préféreraispasdel’eau?–Jem’enfichepasmal,dumomentqueçamepermetdegagnerunquartd’heurepourmeréveiller.

Va-t’en.S’ilteplaît.Lorsque je quittai ma chambre, après m’être douchée, Eli me présenta une tasse de camomille

fumante sansme laisser le tempsde reprendremes récriminations. Jem’effondrai sur lecanapé,où latisaneapaisamonestomactoutenmeredonnantenviededormir.Elis’étantinstalléprèsdemoi,jemedemandaisijedevaisluiparlerdemarencontreavecCameron.

Ilplissalesyeuxcommes’illisaitdansmonesprit.–Tumecachesquelqueschose.

Page 39: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Maiscommenttufais,bordel?–Jetel’aidéjàdit.(Ilsetapotalatempe,souriant.)Alors,qu’est-cequisepasse?–CameronBridge,voilàcequisepasse.–Arrête…Tul’asvu?Hiersoir?–Non.Hier,oui,maisautravail.Sessourcilssefroncèrent.–Explique-toi.–Disonsqu’onacrééunnouveausouvenir.–Ehbien,c’estsoitunemauvaise,soitunetrès,trèsbonnechose…Je secouai la tête, ne sachant trop dans quelle catégorie ranger cette rencontre, aussi inattendue

qu’intense.Unebonneouunemauvaisechose…çanesuffisaitpas.Elleétaitdansunecatégorieàpart.Autantignorerlaquestiond’Eli,ilyrépondraitlui-mêmequandjeluiauraisraconté.

–IlaapprisoùjetravaillegrâceàOlivia.Quandjesuissortiedéjeuner,ilm’attendaitdehors.Çam’asciée,maisonadéjeunéensembleet…discuté.

–Dequoi?–Dechosesetd’autres.Saufqu’àunmoment j’aiparléde tourner lapage,et jecroisqueça l’a

contrarié. Jene saispascommentça se fait,maisona finipar se retrouver exactementoùonenétaitquand on s’est séparés. En gros, il a plus oumoins dit qu’il ne nous imaginait pasmariés à l’heureactuelle.

–Aïe!–N’est-cepas…Jen’avaispasfranchementbesoind’entendreunechosepareille.Rienqued’ypenser, j’avais envie de retourner dormir jusqu’à ce que ça arrête de fairemal.Et

j’auraisregagnémonlitsij’avaiscruuneseulesecondepouvoirmedébarrasserdecettemanièredelasouffrancequientouraitmarelationavecCameron.Cequis’étaitpassélaveillem’avaitconvaincuequelablessureouverteparnotreruptureneguériraitjamais,malgréletempsetladistance.

–Bon,ils’estconduitcommeuncrétin.Etaprès?Vousenêtesrestéslà?Je terminaimatisaneet reposai la tassesur la table.Jen’avaisaucuneenviedeparlerdecequi

s’étaitpasséaprès.–Allez,Maya,crachelemorceau,s’ilteplaît.Lesuspenseestinsoutenable.–Ilaessayédem’embrasser.–Waouh!Bon.Ilaessayédet’embrasser?–Jeluiaiditnon,çaasuffi.Jesuispartie,etvoilà.–Hein?–Jen’allaiscertainementpasmelaisserembrasser!Ilm’aquittéesansunmotd’explicationilya

cinqans…Jenesuisquandmêmepascenséetomberenpâmoisondevantluicommeunefragileviolettelanguissante?

–Jenesaispas.(Elicroisalesbras.)Tuaspeut-êtreraison.Enfait,oui,qu’ilaillesefairefoutre.Ilneteméritepas.

Page 40: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Ouqu’iln’aillepassefairefoutre,corrigeai-je.Elihaussalesépaules.–C’estpeut-êtreuncrétin,maisc’estmanifestementuncrétinsexy,etiln’estjamaistroptardpour

tirerunderniercoup.Pourlaroute,tuvois.Siçasetrouve,çateferaitdubien.–Çam’étonneraitfort.Jelevailesyeuxaucielenm’arrachantaucanapé.Fairedusportmetentaitbrusquementbeaucoup

plusqueconsacrerneserait-cequ’uneminutedeplusàCameron.–Bon,allons-y.Jen’avaispasplustôtmislepieddehorsquejemesentisgelée.Heureusement,iln’yavaitplusde

neige,oujemeseraisvraimentopposéeàcetteexcursion–unefoisdeplus.Etpuislasalledegymnesetrouvaitqu’àquelquescentainesdemètres.Enyarrivant,jem’arrêtaibrusquement.

–Attends.Jen’avaispascomprisqu’onvenaitlà.–J’enaientendubeaucoupdebien,réponditEli,perplexe.Çanefaitpastrèslongtempsqu’ilsont

ouvert.–C’estCameron!–Commentça?–C’estCameronleproprio.BridgeFitness…CameronBridge…Tuvois?Jenepeuxpasallerlà.

Onrisquedetombersurlui.Uneavalanchedemotssedéversaitdemeslèvres,déclenchéeparleséismequimesecouaitàla

seuleidéederevoirCameron.Elilevalesyeuxaucieletmepritparlebras.–Allons-y.Jenebougeaipas,lesdentsserrées.–Non.Incroyable.Commentpouvait-ilnepascompatir?–Jetedisquejenevaispaslà.Ilmelâcha,s’écartademoietposalesmainssurseshanches.–Grandisunpeu,Maya.Onabravélefroidglacialpourarriverjusqu’ici.Alorsmaintenant,ony

va.Jesecouaiànouveau la tête,cequieutpourseuleffetde lui faireprendre lamouche. Ildisparut

danslasalledegym.J’enrestaibouchebée:iln’allaitquandmêmepasmelaissertombercommeça,alorsquejepétais

visiblementuncâble?Jetiraisurlescordonsdemonbonnet,dansl’espoirdedissimulermonvisageaucasoùCameronmeverrait,inspiraiàfondetentrai,moiaussi.

Leslieuxmesemblèrentétonnammentaccueillants,avecleurscouleurspastel,alorsquelessallesdegymmefaisaienttoujoursflipper,peut-êtreparlafautedesgensquilesfréquentaient.Quoiqu’ilensoit, jem’ysentais invariablementdéplacée,commesi jen’avaisrienàyfaire.IlenallaitdemêmeàBridgeFitness,quiavaitpourtantaussiquelquechosedecurieusementapaisant.Jeparcourusdesyeuxla

Page 41: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

réceptionetcequejedistinguaisdubâtimentau-delà.Cameronn’étaitpasenvue,cequim’arrachaunsoupirdesoulagement.

Plantédevantlecomptoir,Elidemandaitdesdétailssurlescoursdeyoga.Quandjelerejoignis,ilmejetauncoupd’œiletmepritlamain,avantdem’entraînerdanslecouloirjusqu’àunesallespacieuse,tapisséedemiroirsetparquetéedeboisclair.Unsystèmedesonglobalydiffusaitdespaysagessonoresnewage.Aprèsavoirprisdeuxtapisdegym,oncherchadesplaceslibresoùs’installer.Elichoisitunemplacementstratégique,àcôtéd’unangeblondavecquiilengagealaconversationenunclind’œil,cequim’obligeaàmerabattresur lepremierrang.L’anxiétémereprit immédiatement,mais ilnem’étaitpluspossibledereculer.

Jem’allongeaisurmontapisenattendantledébutducours,etlapositionhorizontale,aidéedelamusique, faillit me rendormir. Quand la prof prit enfin la parole pour nous dire de nous asseoir,j’obtempérai,désoléedenepasdisposerdescinqminutessupplémentairesnécessairesàunepetitesiesterevigorante.

ElleseprésentasouslenomdeRaina.C’étaitunebrunettedemonâgeàl’alluredelutin,minceettonique,quisepliafacilementlesjambespouradopterlapositiondulotus.Jebaissailesyeuxversmespropresjambes,croisées.Non.Çanevapaslefaire.

Le reste du cours se déroula mieux que je ne l’aurais cru, car Raina avait des exigencesraisonnablesetnous laissaitdeschoix telsquepersonnenesesentaitexclu.Lorsqu’ils’acheva, jemesentaisàlafoisépuiséeetrajeunie.Elipapotaitavecsonnouveaucopain,cequim’obligeaitàl’attendre,maisCameronbrillaittoujoursparsonabsence.Jen’enremispasmoinsmonbonnet,aucasoù.

–C’étaitsuper,dis-jefinalementàEli,d’unevoixbienplusénergiquequ’uneheureplustôt.–Tuvois?(Ilpenchalatêtedecôté.)Tuescontented’êtrevenue.Tuétaistellementpuérileavec

cettehistoiredeCameron.J’aicruquej’allaisdevoirtetraîneràl’intérieur.–Maya?Jesursautaiviolemment.Unepetiteportedecommunicationvenaitdes’ouvrir,etCameronapparut

justeàcôtédenous,impossibleàsnober.Monregardleparcourutmalgrémoidelatêteauxpieds,danssontee-shirtetsonshortdesport.

–Salut,marmonnai-je,aprèsunedéglutitionpénible.Ungrandsouriresedessinasurlevisaged’Eli,quiluitenditlamain.–Bonjour,jesuisEli,lecolocdeMaya.–Enchanté.(Cameronluiserralamain.)Vousvenezvousentraînerou…–Auyoga,coupai-je.–Ettufaisduyogaavecunbonnet?s’étonna-t-il.Quand je me découvris, agacée, l’électricité statique me hérissa les cheveux. Je cherchai

nerveusementàlesdompter,pendantqueCameronpoursuivait:–Çavousdit,unpetittourdupropriétaire?Jepeuxmêmevousoffriruneminiséancedemuscu,si

çavousintéresse.Jen’airiendeprévuavantunedemi-heure.

Page 42: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Formidable.Allez-y donc tous les deux, ilme semble avoir vu un copain aux tapis de course,réponditEli,avantdem’adresserunclind’œiletdes’éloigner.

Jesuivissafuited’unregardnoir:mazénitudes’évanouissaitàlavitessegrandV.–Alors,qu’est-cequecesera?Camerons’adossaaumur,lesbrascroisés,attitudequimitenvaleursesjambespuissantes.Moiqui

l’avais trouvé changé après ses premières classesmilitaires…On était passé à un tout autre niveau !Arrêterdel’admireretleregarderenfacemedemandaunvéritableeffort.

–Jenesaispas.Jen’aipastellementenviedem’yremettre,jesuisvannée.–Aprèsduyoga?Cettefois,jelevailesyeuxauciel,peudésireusedementionnermagueuledeboishistorique.–J’aifaitlaplanchejenesaiscombiendefois.Elleyva,tusais!–Quiça,Raina?Ileutunpetitrire,puissonattentionseconcentraderrièremoi.–Quandonparleduloup…Labrunettenousrejoignitd’unpasélastique,leregardrivésurlui.–Salut,Cameron.Quandelle sehaussasur lapointedespiedspour lui faire labise, la jalousiemepinça lecœur.

Après tout, il n’était peut-être pas libre, et même s’il l’était, un aussi beau mec ne le resterait paslongtemps.Rainameleprouvad’ailleursenfrottantcommeparhasardsabrassièredesportcontreunbrasviril.

–Salut,luidit-il.Raina,jeteprésenteMaya.–Unenouvelle?demanda-t-elleenposantenfinlesyeuxsurmoi.–Àvraidire,Mayaestunevieilleamie,expliqua-t-il.J’allaisluifairevisiterleslieux.Lajeunefemmemetenditlamain,unsourirecrispéauxlèvres.–Enchantée.Lecoursvousaplu?–Ehbienoui,admis-je.–J’espèrevousrevoir,alors?Jerépondisd’unhochementdetête,carjenevoulaispasm’engagerverbalement.–Super.Àplustard,touslesdeux.J’aiunautregroupedanscinqminutes.Sondépartnousrenditànotretête-à-tête,Cameronetmoi.Sansmelaisserletempsdetrouverune

autreexcusepournepaseffectuerlemoindreexerciceensaprésence,ilmepritparlamainetm’entraînadanslapartieprincipaledelasalle.Ungestehardi,maisdontjefusheureuse,carcecontactmerassuramalgrél’anxiétéquej’éprouvais toujoursdansunendroitpareil.Jeparcourusduregardlesrangéesdeclientsenpleineforme,manifestementdeshabitués,dontlaprésencenefitqu’accentuermonimpressiondenepasêtreàmaplace.

Camerons’arrêtadevantlespoids.–Lesbras,çaira?Aprèslesplanchesetjenesaisquoid’autre?Sonrictusmoqueur,maldissimulé,m’agaçaassezpourquejerelèveledéfi.

Page 43: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Donne.Lerictusse transformaensourireéblouissant–millewatts,minimum–puis il s’emparadedeux

haltères, minuscules dans ses mains puissantes, qu’il manipula face aux miroirs pour memontrer lesmouvements à effectuer. Il savaitmanifestement de quoi il parlait,mais je ne l’écoutais pas vraiment,fascinéeparsoncorps.Jen’arrivaistoujourspasàm’habitueràsatransformation.Ilavaittoujoursétégrandetmince,mais il avaitmaintenant assezdemassemusculairepourdevenir réellement imposant.L’ourletdesontee-shirtremontaitlégèrementchaquefoisqu’ilbrandissaitleshaltèresau-dessusdesatête,m’offrantunaperçudesesabdominaux.Jem’humectaileslèvresenmemettantaudéfidebaisserleregard…

–Compris?Monregardserelevabrusquement.–Oui,oui.Jeluiprisleshaltèresetmeraidisfaceàl’effortnécessairepourlesmanier,alorsqu’ill’avaitfait

sifacilement.–Lesépaulesdroites,medit-ilaveccalme,àvoixbasse,enmeposant lesmainssur lesépaules

pourlestirerlégèrementenarrièreduboutdesdoigts.Ce simple contact me secoua tout entière. Notre reflet me montra que ses yeux erraient sur ma

silhouette,pendantqu’unedesesmainsdescendaitdansmondosetqu’ilmecontournaitpourseposteràcôtédemoi.

–Nebougeplus.Jemefigeai,leshaltèresenl’air.–Écartelégèrementlesjambes.Cetordretranquillemefitprendreunebrusqueinspiration.–Parfait.Situesdanslabonneposition,tuvasaussilesentiràceniveau-là.Samainmefrôlaleventre.Lavaguedouleurdueauxplanchesetaumaniementdecessaletésde

poids semua en une énergie d’un rouge brûlant, palpitation battant au cœur demon être et entremesjambes,alimentéeparcecontactnettementtropintime.

Jen’aipassignépourça,merde,alors!Haletante,jerabaissaileshaltères,lesrelevailentementpuisrépétailemouvement.Certainsclientsétaientsansdouteprêtsàpayertrèscherunetelleattention…maispeut-êtren’avaient-ilspasàlefaire.Peut-êtreCameronsemontrait-ilaussiserviableavectoutlemonde.N’empêche:monespritmaltournés’obstinaitàcroirequ’ilmetouchaitparpurplaisiranimal.

CAMERON

Ilnem’avaitjamaisétéplusdifficiledemeconcentrersurdesexercices.Lesclientesséduisantesnemanquaient pas, ellesadoraient s’entraîner avecDarren ou avecmoi,maisMaya était à part. Soncorpsavaitchangédepuisnosannéesd’étudiants.Malgrésesvêtements,ondevinait la rondeurdeses

Page 44: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

seinsetlescourbesdeseshanches–biendifférentesdansmessouvenirs.Enfin…Aumoins,jepouvaislaregardertantquejevoulais,vulasituation.

Lafindesontravailauxhaltèresinterrompitmonexamenattentifdesescomplexitéscorporelles.–Jenesuispassûred’êtrede taille,protesta-t-ellequand je l’entraînai jusqu’auxmachines tire-

câbles.–Tutedébrouillestrèsbien.Lerougeluimontaauxjoues,meconfirmantqu’ellesesentaitmalàl’aise.Lamoitiédemontravail

consistait àmettre lesgens à l’aise,malgré les quelques clients quimepayaient justepourque je lesregardes’entraînerrégulièrement.Lesaffairessontlesaffaires,doncjenem’enplaignaispas.Quandilscomprenaientqueçaneleurapportaitrien,lapluparts’enallaient.VoirDarren,parfois.

Maya,elle,avait toujoursété têtue.J’étaissûrqu’elle relèverait ledéfi,mêmesiça l’obligeaitàsupportermacompagniealorsqu’ellen’enavaitaucuneenvie.Aprèsavoirfaillil’embrasser,quandellem’avait laissé planté devant son immeuble, je m’étais senti partagé. On n’avait pas échangé noscoordonnées,etjen’allaiscertainementpascontinueràluitomberdessusàlasortiedesonbureau.

–Jenem’attendaispasàcequ’onserevoieaussivite,dis-je,dansl’espoirdelafaireparler.–Moinonplus.–Commentça?Ellefitlagrimaceenluttantcontrelatractiondescâbles,lesbicepscontractésparl’effort.–Elim’atraînéeàuncoursdeyoga.Jenesavaispasqu’onvenaitici.Lorsqu’elle recula un peu, le temps de souffler entre deux séries, l’exercice lui avait coloré les

joues.Letempspassait.Jenepouvaispaslasurmenerdansleseulbutderesteravecelle.–Jenesavaispasquetuavaisuncoloc.–Enfait,tunesaispasgrand-chosedemoi.Ellesesecoualesbras.–Onpourraitpeut-êtreyremédier.–Ah?Sonexpressionétaittoujoursaussitranquille.–Jenesaispas…Jehaussailesépaulesavecunedésinvolturefeinte.–J’aimeraisqu’ondevienneamis,jesuppose.Sic’estpossible,àtonavis.Ellebaissalesyeux.Lapointedesonpiedexploraitlesirrégularitésduparquet,petitebrèchedans

sonattitudesereine.–Jenesaispas.–Qu’est-cequetunesaispas?Soupir.–Commentonpourraitbienêtreamisalorsque tu…ehbien, tum’asplusoumoinsattaquéepar

surprise,hier.–Jesais.Jenevoulaispas.Jesuisdésolé.

Page 45: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Ilyaeutropdechosesentrenous.–Surtoutdesbonnes,non?Jem’adossaiàlamachine,lesbrascroisés.Son regard s’adoucit une seconde, puis ses traits se durcirent. Un masque impassible balaya

l’émotionquej’avaiscruentrevoiruninstantplustôt.–Etmaintenant?lança-t-elled’untonsec.–Qu’est-cequetuveuxdire?demandai-je,déconcerté.–C’estbientôtfiniouquoi?Jen’enpeuxplus.–Undernierexercice,marmonnai-jeenmeredressant.Jeréglailamachineavantdeluifaireladémonstrationdumouvementpuisrajustailespoidspour

elle.Dèsquejem’écartai,ellese lançadanslesflexionsavecunedéterminationfiévreuse.Chacundesesgestessoulevaitsapoitrinedanssondébardeur.J’expirailentement,cherchaiautrechosesurquoimeconcentrer et tombai sur son reflet, qui me permit d’examiner ses fesses dans son pantalon de yogamoulant.Merde!Jamaisjen’arriveraisàdissimuleruneérection,dansceshortdesport.

–Unepauseaprèscettesérie,puisdeuxsériessupplémentaires,ordonnai-jed’untonsec.Jerevienstoutdesuite.

Jem’éloignaienévitantsonregard,carilmefallaitdel’eau.Saufqu’enfaitilmefallaitunedouchefroide,parcequelesouvenirdesoncorpsmerendaitdingue.J’allaichercherdeuxbouteillesderrièrelecomptoir,vidailapremièrepuisinspiraietexpiraiàplusieursreprises,longuement,pourmecalmer.JedevaissortirMayademoncerveau.Voyagerdansmamémoiredecettemanièrenemeplaisaitpas,àmoinonplus.Qu’est-cequej’essayaisdefaire,bonsang?

–Çava?Darrens’approchait,lesyeuxplissés.Merde!Illisaitenmoiàlivreouvert.Pascommemoiavec

Maya.Sespenséesrestaientunmystère,alorsquejelesdéchiffraisfacilement,autrefois.–Oui,oui.Jevenaisjustechercherdel’eaupourunecliente.Ellearrivaàcemoment-làencompagnied’Eli,pluscalmeetdétachéequejamais.–Bon,jecroisquetum’asasseztorturéepouraujourd’hui.Jem’envais.Darrensetournaverselleets’illuminaàsavue.Jemeraidis.–Bonjour.DarrenBridge,dit-ilenluitendantlamain.Ellelaserra,lesyeuxbrillants.–VousêteslefrèredeCameron,non?Maya.Enchantée.LesouriredeDarrenvacillauneseconde.Ilsnes’étaientjamaisvus,maisilsavaiententenduparler

l’undel’autre,évidemment.Ilmejetauncoupd’œilavantdeseretournerverselle.–Eneffet.EtjesupposequevousêteslaMaya?–Sansdoute,marmonna-t-elle,presquetropbaspourêtreaudible,enenfilantmanteauetbonnet.Elleétaitprêteàpartir.–Dis donc, tu viendrais boire un verre avec nous ce soir ? lui demanda alorsDarren. Ce cher

Cameronporteraunecravate.Ceseraitdommagederaterça,hein?

Page 46: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Darren…commençai-je.Illevalamainpourmeréduireausilence.–Non,non.JeserairavidefairelaconnaissancedelafameuseMaya,dontj’aitellemententendu

parler.– Elle ne raterait une happy hour pour rien aumonde, intervint Eli, la tête rentrée dans le cou

jusqu’auxépaules.–Cen’estpasvrai,protesta-t-elleenluilançantunregardsinoirqu’ilfitunpasenarrière.–Personnenetejetteralapierrepourça,net’enfaispas,assuraDarren.Bon,onseretrouveaubar

ducoinàseptheures.Qu’est-cequetuendis?Elle le considéra d’unœil féroce : entre le sourire infernal qu’il lui adressait et le commentaire

d’Eli,commentaurait-ellepurefuser?Pourunpeu,jel’auraisplainte.–D’accord,cracha-t-elleenm’arrachantlasecondebouteille..Lorsqu’elle fit volte-face et passa son bras sous celui d’Eli, il nous sourit, avant de se laisser

entraîner jusqu’aux portes de verre. Elles ne s’étaient pas plus tôt refermées que les lèvres deMayaremuèrentàtouteallure:elleétaitfurieuse.

Jeréprimaiunsourire.

Page 47: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

V

MAYA

–Tupeuxm’expliquercequetucroyaisfaire,s’ilteplaît?demandai-jeaussitôtàl’extérieur.Elipoussaunsoupirthéâtral.–Etvoilà,c’estparti…–Tum’ascomplètementdémolie!Jemeretenaisdeluihurlerdessusenprenantlechemindel’appartement.–Tuestombéesurtonex.Cen’estpaslanouvelledusiècle,d’accord?Calme-toiunpeu.–Et,enrésumé,tum’asobligéeàprendreuncoursparticulieraveclui.Unecolèrenoirepalpitaitenmoi.–Maisçanesuffitpas,non,jesuisenpluscenséeboireunverreavecluicesoirentoutesérénité…–Etalors?Tubroiesdunoirdepuisque tusaisqu’ilvitàNewYork.Manifestement, tupenses

encoreàlui.Pourquoinepastenterlecoup?–Tenterlecoup?Notrehistoireestterminée.Jeletrouveattirant,oui,maisçaneveutpasdireque

jevaismeremettreaveclui.D’ailleurs,cen’estpeut-êtrepascequ’ilveut.–Bon…soupiraElienlevantlesyeuxauciel.–Commentça,«bon»?Qu’est-cequeçaveutdire?Ilsetournapourmefaireface.– À part quand j’étais moi-même concerné, je n’ai jamais senti l’alchimie opérer entre deux

personnes,saufaujourd’hui.Aumomentoùvousvousêtesvus,çaacarrémentfaitdesétincelles.Jenesaispascequ’ilyaentrevous,maisçacrèvelesyeuxquec’estbienpluspuissantquetuveuxbienlereconnaître.Jet’aijusteuntoutpetitpeupousséedanslabonnedirection.(Ilécartasescheveuxdesesyeux.)Unjour,tumeremercieraspeut-être.

Je m’arrêtai, trop exaspérée pour franchir les derniers mètres qui nous séparaient de notreimmeuble.

–Cen’estpasunjeu,Eli.Paspourmoi.Ettuescenséêtredansmoncamp.

Page 48: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Je parlais bas, bouleversée. Les retrouvailles avec Cameron m’avaient embarquée dans desmontagnesrussesémotionnellesoùEli,étonnamment,tenaitlesrênes.

–Tun’estoi-mêmepasdanstoncamp,Maya.Tucroisquec’esttoujoursfaciledevivreavectoiettonsyndromed’échec?

–Personneneteforceàrester.Cen’estpascommesij’avaisbesoinduloyerquetunepayespas.Maripostelelaissabouchebée.Lesilencequis’abattitentrenousétaitpresquedouloureux.–Waouh,lâcha-t-ilenfin.J’allaisajouterquelquechosepouradoucirlecoupquejevenaisdeluiporter,maisilmepritde

vitesse.–Jevaisacheterdequoidîneretessayerd’oubliercequetuviensdedire.Àtoutàl’heure.–Eli…Mondossevoûtaquandils’éloigna.Jejuraitoutbasenmontantl’escalierpouréchapperaufroid.Malgrél’énergiequem’avaitapportéelesport,jepassail’essentieldelajournéeàbouder.Eliet

moinedesserrionspaslesdents,alorsqu’ilsedébrouillaitpourmefairesavoircequ’iltrafiquaitdansl’appartement.J’essayaisdel’ignorerchaquefoisqu’ilclaquaituneporteunpeutropfort,entrechoquaitbruyammentlavaisselleoupoussaitunsoupirthéâtral.Enadmettantquejesoisplombéeparlesyndromed’échec,ilétaitquantàluitoutbonnementpassif–agressif.

Jelaissaitomberlelivrequin’arrivaitpasàm’accrocheretregardaiparlafenêtre.Desarbresnusencadraient les ruesdésertes.L’hiverprécoce,d’un froidquasidouloureux,mefaisaitpresqueoublierpourquoij’étaisvenueàNewYorkaprèsmesétudes.Jen’avaisaucunecertitude,maisj’aimaisàcroirequemamèresetrouvaitdanslecoin–etpourraitmecontacterencasdebesoin.

Installée devant mon ordinateur, j’ouvris un nouvel onglet dans mon moteur de recherche, leconsacrai à « Lynne Jacobs » et parcourus les résultats, en examinant comme d’habitude ceux quipouvaientlaconcerner:rapportsdepolice,informationsrégionalespuis,enfin,nécrologies.Impossiblededécouvriroùellesecachait,enadmettantqu’ellesoittoujoursdecemonde.

OnavaitperdulecontactsixmoisaprèsmaterribleruptureavecCameron.Jelavoyaispeu,depuisledébutdemesétudes,maisonéchangeaitrégulièrementdesnouvelles…jusqu’àcequesonnumérodeportablecessed’êtreopérationnel.J’enavaiséprouvéunmélangedefureuretdepanique,parcequejen’avais pas pris la peine de lui demander les coordonnées de sonnouveaumec, nimême sa nouvelleadresse.Elledéménageaitsisouventque jene suivaisplus,persuadéequ’elle finirait toujoursparmerevenir,oùqu’elleaille.Jefermailesyeuxenévoquantsonvisage.Jamaisjenemepardonnerais.

–Tuas trouvéquelquechose?demandaEli avecdouceur, justederrièremoi, lesyeux fixés surl’écranpar-dessusmonépaule.

Jesecouailatête.–Onfaitlapaix?Jerefermail’ordinateur,melevaietleserraitrèsfortdansmesbras.C’étaitbienmoiquiassumais

l’essentieldenosdépenses,maisnotreamitiém’avaitsisouventservideplanchedesalutqu’ellen’avait

Page 49: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

pasdeprix.Jel’avaisattaquédansunmomentdefaiblesse,alorsqu’ilneleméritaitpas.LaréapparitiondeCameronm’avaitplongéedansunmaelströmémotionnelsurlequeljen’exerçais

aucuncontrôle.Ilmesemblaitquelepasséetl’avenirseheurtaientdefront,maisjen’étaispluscellequej’avais été, sentimentale et éperdument amoureuse. Il m’avait suffi de quelques déceptionssupplémentairespourrenoncerauromantisme.Rienn’arrivaitàlachevilledecequej’avaisvécuavecCameron,cequim’avaitfinalementdécidéeàneplusperdremontemps.Jen’avaispasdepetitami,jenetombaispasamoureuse.

Pourtant,l’impressionangoissantemetenaillaitqueleretourdeCamerondansmaviereprésentaitundéfisurcesdeuxfronts.

CAMERON

Je comptais les minutes en l’attendant. Chacune de nos rencontres ressemblait à un pari, uneoccasionfacileàmanquer,alorsquejenevoulaisplusenmanquerdutout.Mayaexerçaitsurmoiuneviolente attraction et, surtout, le vide demon existence exigeait d’être comblé – plus fort que jamaisdepuisquejel’avaisrevue.L’instinctdesurviemeconseillaitdeprendremesjambesàmoncou,maisjesavaisaufonddemoiquej’aspiraisauxretrouvailles.

Le problème, c’était que je ne savais vraiment pas ce qu’elle voulait, elle. Peut-être m’étais-jetrompéendéchiffrantsessignauxcorporels,maisellenepouvaitquandmêmepasnierqu’onavaitvécuquelquechosequiméritaitd’êtresauvé–sionoubliaitnotreruptureetsesconséquences.Ilnes’agissaitpasseulementdesexe,siremarquablesqu’aientéténosétreintes.Leseulfaitd’êtreensemblenousavaittoujoursrendusheureux,alorsquejen’avaisjamaisétéaussiàl’aise,aussifondamentalementbienavecpersonne. On se sentait bien sans avoir à se parler, bien avec nous-mêmes. Pas comme maintenant.Maintenant, Maya était un beau mystère, alors que je me dévoilais d’une manière alarmante – etfranchement négative. Dès qu’elle ouvrait la bouche, j’attendais qu’il en tombe un non – non à mespropositions d’amitié, de rendez-vous ou de choses plus sérieuses que je n’étais pas encore sûr devouloir.

Jemetournaipourparcourirlebardesyeux,sanscesserdetambourinersurlecomptoirduboutdesdoigts.

–Cool,mec.Tumestresses.–C’estmonexàmoi.S’ilyaquelqu’unquistresseici,c’estmoi.–Tucroisquetuvaslasauter?s’enquitDarrenens’arrachantauxtélésquidominaientlecomptoir.Jeluijetaiunregardagacé.–J’espèrequetuplaisantes?–Benquoi?fit-il,lesyeuxécarquillés.–Ilfautabsolumentquetuessaiesunevraierelation,undecesjours.C’esttoutjustesij’arriveà

discuteravectoi.

Page 50: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Cettefois,iléclataderire.–Olivianevitcheztoiquedepuisdeuxsemaines,ettuparlesdéjàexactementcommeelle.Jem’avachisensoupirantsurmontabouretdebar.Iln’avaitpeut-êtrepastort,maisilétaitaussi

complètementidiot,suivantsonhabitude.–Maya n’est pas le genre de fille qu’on ramène chez soi comme ça, après l’avoir croisée par

hasard.–C’estquelgenre,alors?–Quelqu’unavecquij’aiunpassé.J’étaisprêtàl’épouser.Çacompliqueleschoses,forcément.–Pourquoi?Vousnevousêtespasvusdepuisdesannées,elleestsupersexy.Alorssitulabottes,

oùestleproblème?Ilfautvraimenttedétendreunpeu,mec.Çafaitcombiendetempsquetun’aspasbaisé?

Jebusunegorgéedebière,biendécidéànepasmelaisserentraînerdansunedesesconversationsidiotes.

–Silongtempsqueça?Écoute,jevaistefaireuneproposition.JetelaisseunesemainepourmettreMayadanstonlit,maissitun’arrivespasàsauterlepas,jeteprésenteàunecopine.Lachasteté,çaneteréussitpas.

–Jenesuispaschaste,etsitupensesàpayeruneprotupeuxallertefairefoutretoutdesuite.–Tuaspeurdenepasemballerenunesemaine?demanda-t-ilenriantauxéclats.Ledéfim’électrisa.Mayan’étaitpasuneconquêteàmesyeux,dumoinspasuneconquêted’ordre

purementsexuel,maisDarrensavaitjouerdenotreespritdecompétitionnaturel.–Cen’estpascequimetracasse,non.–Jetepariequetuveuxjouerlesromantiquesettoutcequis’ensuit.Pourvoirsiellevamarcher.Jelevailesyeuxauciel.–Jevaispeut-êtretelaisserunesemaineavantdetentermachance,moiaussi,ajouta-t-ilpourvoir.Cettefois,jeserrailepoingsurmesgenoux,carlacolèrem’envahissait.–Tudevraispeut-êtresurtoutt’occuperdetesoignons.Jecoucheraiavecellequandjeseraiprêt,et

situfaisneserait-cequepenseràlatoucher,jetebute.Compris?Une lueurmalicieuse brilla dans les yeux deDarren, dont le regardme dépassa, tandis que son

sourires’élargissait.–Salut,Maya.Jepivotaibrusquementsurmontabouret:ellesetenaitprèsdemoi,sesyeuxchamoisbrillantssous

ses cils sombres. Je ne savais pas ce qu’elle avait entendu de la conversation,mais si elle en avaitsurprisunmot,j’imaginaisparfaitementcequ’elleenpensait.

–Salut.Ellerestaitfigéesurplace.–Jevousdérange?–Pasdutout.(J’écartaiducomptoirletabouretleplusprochepourqu’ellesejoigneànous.)Jeme

préparaisàtraînerDarrendanslarueetàenfairedelapâtéepourchats.Tuarrivesjusteàtemps.Ilaété

Page 51: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

sauvéparlegong.–Ouparlablonde,enl’occurrence,intervintmonfrère,lesyeuxbrillants.Jeme seraisgifléde l’avoir laisséorganiser cette rencontre, cequim’obligerait à supporter ses

âneriestoutelasoirée.Commesileschosesn’étaientpasdéjàassezdifficiles.Son commentaire arracha un petit sourire à Maya, qui s’installa sur le tabouret puis passa

commande.J’enprofitaipourl’examinerdelatêteauxpieds.Elleétaitravissante,danslegenreàlafoissoignéetdécontracté:sarobe-pullbleumarineluiarrivaitàmi-cuisses,dévoilantsesjambesgainéesdeNylonjustecequ’ilfallaitpourmedonnerenvied’envoirdavantage.

–Tuessuperbe,Maya,repritDarren,exprimantmapensée.–Merci.Ellesourit–à luid’abord,àmoiensuite.Quandelle leva lesyeuxversmoi,monenvironnement

tout entier se brouilla, à part elle ; mais Darren interrompit presque aussitôt cet instant de grâce enlançant,àmonintention:

–Jenecomprendspaspourquoitunem’asjamaisditqu’elleétaitaussibelle…Marespirationsifflaentremesdentsserrées,tandisquejerésistaisàl’enviedel’arracherdeson

tabouretetdelecalmeraussisec.– Tu ne veux pas aller harceler quelqu’un d’autre, qu’on puisse discuter tranquilles unmoment,

Mayaetmoi?Ilpritsabièreetselaissaglisseràterre.–Maissi,petitfrère.Àpartirdemaintenant,tupeuxtedébrouiller.Surcesmots,ilmedonnauneclaquedansledos,adressaunclind’œilàMayapuissedirigeavers

deuxjeunesfemmes,assisesàl’autreboutducomptoir.Jelesplaignaissincèrement.–Jen’aipastoutbiensuivi…déclaraMaya,avantdesiroterunegorgéedesonMartini.–Darrenétaitjusted’unebêtisecrasse,commed’habitude.Laissetomber.–Parcequ’ilm’afaituncompliment?–Non,biensûrquenon.Jen’allaispasluiexpliquerenlongetenlargeàquelpointDarrenpouvaitêtreexaspérant,niqu’il

avaitpourseulobjectifdetrouveruncoupd’unsoiràsonpetitfrère.–Tut’estrèsbiendébrouillée,cematin,préférai-jedire,dansl’espoirdechangerdesujet.–Merci.Lesportn’estpasvraimentmatassedethé.–Tudevraisvenirplussouvent.Jeteconcocteraisunbonprogramme.–Jenesaispas.Haussementd’épaules.–J’aidelonguesjournées,autravail,etfranchement,quandjesors,j’aijusteenvied’unverrepour

medétendre.–L’exerciceestunbonsomnifèreaussi,crois-moi.Laréponseluiarrachaunlégerrire.

Page 52: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–J’endoute.–Prends-moiaumot.Ledéfiluifitarquerunsourcil.– Donne-moi une semaine, insistai-je. Je t’apprendrai à éliminer le stress et à lâcher la vapeur

physiquement.Jet’assurequetudormirascommeunbébéetquetuseraspleined’énergietouslesmatins.Le rougequi luimonta lentement aux jouesme fit comprendrequemonpetit baratinde coachne

donnait pas tout à fait lamême impressionquand jem’adressais àquelqu’unavecqui j’avais couché.Malgré ce que j’avais dit àDarren, ça nem’aurait pas non plus dérangé de lâcher un peu de vapeurphysiquementavecelle.Jemeforçaiàpenseràautrechose.Franchement,aprèsavoirentendulafindema conversation avec ce crétin, elle était sans doute déjà persuadée que je voulais juste la sauter. Siseulementilavaitexistéunmoyenplussimpledegérerça…Bon,ilenexistaitprobablementun,maisjemanquaistropdepratiquepourletrouver.

–Jenesuispassûrequecesoitunebonneidée,répondit-elleenfin.–Pourquoi?Lesdernièresgouttesde sonMartiniglissèrent entre ses lèvres,puis elle fit pivoter son tabouret

pourmeregarderenface,ledostrèsdroit.–Tuveuxqu’ondevienneamis,c’estbiença?–Oui.–Est-cequec’estvrai?Jesuisdésoléedecasserl’ambiance,maisj’aibesoindesavoiroùjevais.

Je veux dire, je suis tombée surOlivia il y a quelques jours, tu es venum’attendre àmon travail lelendemain, etmaintenant on est là.On peut continuer à jouer comme ça quelques semaines, d’accord,maisonpeutaussimettreleschosesàplattoutdesuite.Sic’estunequestiondeculetquetuveuxjustetireruncoup,dis-le-moi.Jesuisunegrandefille.

J’expiraibrusquement.Ellen’avaitjamaisétéaussidirecte,avant.–Tuveuxdirequetuenvisageraisdecoucheravecmoi,sic’étaitcequejevoulais?–Pasforcément,répondit-ellesansfrémir,maisaumoinsjeconnaîtraistesintentions.J’aisurprisla

findetaconversationavecDarren.Ilétaitbienquestiondecoucheravecmoiquandtuseraisprêt?Jefislagrimace,furieuxcontrececrétindeDarren.–Jesuisdésolé,Maya.Jeregrettevraimentquetuaiesentenduça.Ilmeharcelaitet…Jemepassai lesmainsdans lescheveux,rageur.Mondialogueavecmonfrèreétait impossibleà

restituersansnousfairepassertouslesdeuxpourdesconnardsdepremière.–Jen’aiaucuneintentioncachée,sic’estcequit’inquiète.Elle ferma les yeux et secoua légèrement la tête, tandis que son expression s’adoucissait. Jeme

détendisunpeu;peut-êtrel’interrogatoireausujetdecedérapageallait-ilcesser.Jel’espéraistrès,trèssincèrement.Sinon,Darrenallaitprendrelaracléedesavie.

– Franchement, Cameron, je ne suis pas sûre qu’on puisse jamais devenir amis. Après notreséparation,leschosesn’ontpasétésimples,etjemedemandesicertainsproblèmesnesontpasrestésen

Page 53: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

suspens.Taprésencearéveillédesémotionsdontjem’étaisdébarrasséedepuislongtemps,etjen’aipasvraimentbesoindeçadansmavieencemoment.

Jerestaiuneéternitébouchebée.Commed’habitude,elleavaitlâchéunebombe,etjen’yétaispaspréparé. Ces rendez-vous quasi impromptus n’étaient pas mon fort, mais je ne pouvais pas le luireprocher.Jel’avaisquittéesansprévenir,j’avaiscoupélesponts,etonn’avaitmêmepaseul’occasionde se disputer.Les non-dits l’avaient emporté. Je la regardai dans les yeux en rassemblant autant quepossiblemespenséeséparses.

– Pour être tout à fait honnête et adulte, je dois reconnaître que quand je te vois je n’ai passeulementenviedetonamitié.Maistun’espaslaseuleàtedemandersicéderàcetteenvieneseraitpasunetrès,trèsmauvaiseidée.

Ellehochalatête,lesyeuxbaissés.Malgrélasubtilitédesonlangagecorporel,lalégèrevoussuredesondosetl’auradetristessequientouraitsonvisagemeserrèrentlecœur:ellesouffrait,àcausedemoiquiplusest.Jeluieffleurailajoueduboutdesdoigts.

–Jetienstoujoursàtoi,Maya.Etça,çanechangerajamais.Son regard d’un caramel chaleureux se releva aussitôt vers lemien, aussi fascinant qu’autrefois.

Quandseslèvress’entrouvrirent,lapeurquimetordaitlestripess’évanouitfaceàl’envieviolentedelaprendredansmesbraspour lui redonnerconfiance,unepulsionquigagnait en forceàchacunedenosrencontres.Uneénergieinexplicablemepoussaitverselle,verssaboucheetsoncorps.J’auraisvoululaserrer contremoi au point de nous empêcher tous deux d’avoir les idées claires,mais je ne pouvaisprécipiterleschoses.

–Onn’aqu’àsedonnerletempsderefaireconnaissance.Çapeutparaîtrebizarre,ditcommeça,maisons’estperdusdevuelongtemps,ettunem’esplusvraimentfamilière…

–Jevaist’épargnerlesuspense,Cameron,jenesuispluscellequetuasconnue.Mavieest…mavieachangé.

Elleagitalamainpuissefrottaanxieusementlefront.–Monintuitionmeditqu’onapeut-êtredesmodesdevietropdifférentspourpermettreneserait-ce

qu’unesimpleamitié.J’acquiesçai, la peur au ventre : peut-être nous étions-nous en effet déjà trop éloignés l’un de

l’autre…maisjechassaicetteidée.Jenepouvaisrenoncersansmêmeavoiressayé.Ç’auraitétépirequede disparaître de sa vie comme je l’avais fait, des années plus tôt – une erreur que j’avais la fermeintentiondecorriger,sipossible.

–Onatouslesdeuxchangé,c’estévident.–Cen’estpeut-êtrepasunebonneidéedes’engagerdanscettevoieencemoment.Ellesecoinçalescheveuxderrièrel’oreille.–Enfinbon,onpeutgarderlecontact.ParFacebookoul’équivalent.–JeneveuxpasdeFacebook.–Ah!D’accord,dit-elleenriant.–Commenceparveniràlasalledegymlasemaineprochaine,OK?

Page 54: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Elledétournauninstantlesyeux,commepourrenforcersadétermination.–Tutecroisvraimentcapabledemefairefairedusporttouslesjours?–Donne-moiunesemaine.–Privéedecocktails?–Privéedecocktails,acquiesçai-je,aprèsunecourteseconded’hésitation.–Alorsquetuviensdeboireundemi-litredebière,commenta-t-elle,latêtepenchéedecôté.–C’estexceptionnel.Darrenm’atraînéici.Jenesuispasvraimentdugenreàfréquenterlesbars.–Tuviscommeunpetitvieux!Le petit sourire en coin accompagnant la remarquem’évita deme hérisser en entendant dans sa

bouchelesurnominsultantquemedonnaitmonfrère.–Jenetrouvepasspécialementenrichissantdecôtoyerdesinconnusalcoolisés.Çafaitsansdoute

demoiunpetitvieux,eneffet.–Jenesuispasuneinconnue.–Non,c’estvrai,dis-jetoutbas,lesyeuxfixéssurlalonguefrangequifrôlaitsessourcils.J’avais envie de la toucher, encore une fois, de nous rappeler à tous deux qu’on n’était pas des

inconnusl’unpourl’autre,mêmesi,parfois,ilmelesemblaitbien.–D’accord, jeviendrai fairedusport,mais jemeréserve ledroitdeprendreunpetit somnifère,

décida-t-elle,ledoigtlevépoursoulignersonpropos.–Quoi,tucontreviensdéjàauxrègles?Grimacethéâtrale.–Tunevaspasjouerlesmaniaques?– En tant que petit vieux, j’ai une réputation à soutenir. Et puis j’aurai plus de chances de te

convertiràl’adhésionpayanteaprèsunesemainedeviesaine.–Etsijedécidequetoncoachingnemeconvientpas?–Ilteconviendra.–Jeprendsnotedetonassurance.Maistudevraisêtrecondamnéàuneffort,toiaussi,quandjeme

seraiépuiséeetprivéependanttouteunesemaine,non?Jehaussailesépaules,enmedemandantsiellepourraitvraimentpenserunechosepareillequand

onenauraitterminé.–Disonsquejesuisd’accordpourcettesemained’enfersportif,jepeuxdéjàaffirmerquecesera

unenfer…maisensuiteonfêteraçaàmamanière,reprit-elle.Jetemontreraicommentjelâchelavapeur,ettumedirascequetuenpenses.

–Etcommentlâches-tulavapeur?demandai-je,intrigué.–Endansant.–Ah,d’accord.Oùça?–Dansdifférentesboîtesdenuit,avecdesamis.Onboitquelquesverres,etondansetoutelanuit.

C’est drôlement sportif. Enfin… je suppose que ce n’est pas non plus le genre d’endroits que tufréquentes.

Page 55: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Non,eneffet,maisjetiensàêtrejuste.Etçanemedérangeraitpasdetevoirdavantage.AlorsOK,onferaça.

ElletenditsonnouveauMartiniversmachopevide,cequimesemblaconveniràlasituation.–Tuveuxtrinquer?demandai-jeenriant.–C’est l’occasionoujamais,non?Commejedoutefortquetumeconvertissesausport,cesera

réconfortantpourmoideconclurel’expérienceàlavodka.Jelevaimonverreetlefistintercontrelesien.–Tchin,alors.–Auxnouveauxsouvenirs.ElleportasonMartiniàseslèvres.

MAYA

Leserveurnousayantinstalléesprèsdelavitrine,lacirculationininterrompuedelarueretintmonattentionjusqu’àcequeJiaprennelaparole.

–Alors,quic’est,cetype?–Quiça?demandai-jeenluijetantunregardneutre.–Celuiquit’acoincéecontrel’immeuble,l’autrejour.Seslèvress’incurvèrentenunsouriremaîtrisé.–Jedéjeunaisdel’autrecôtédelarue,àtonretour.J’avaisbeaunepasvoirmonreflet,jesavaisquej’étaisdevenueaussirougequ’unebetterave.–Oh!Jesuisnavrée,je…–Paslapeine,coupa-t-elleenriant.Çaavaitl’airfranchementintense.C’esttonmec?–Non,unex.–Ah,c’esttoujoursintéressant.Vousvousremettezensemble?Jememordislalèvreetparcouruslerestaurantduregarddansl’espoirdevoirrevenirleserveur,

quim’éviteraitd’avoiràdivulguerlespenséeschaotiquesquem’inspiraitCameron.Repousser ses avances ce jour-là s’était révélé plus facile que contrecarrer ses tentatives de

rapprochementsubséquentes,parcequ’unevéritable intimité s’établissait toutnaturellemententrenous.J’enarrivaispresqueàmebercerdel’illusionqu’onétaitredevenusjeunes,amoureux,etqueriend’autrenecomptait.Saufqueçanem’intéressaitpasde tomberamoureuse.Cette seulepenséeme terrifiait…maispasplusquecelledesortirCamerondemavie,mêmesic’étaitleseulmoyendemeprotégerdessuitespotentiellementdouloureusesdenotreréunion.

D’uncôté,ilseraitimprudentd’acceptersaproposition;del’autre,jenesupporteraispasqu’ilmequitteuneseconde fois.D’ailleurs, siçase trouvait,nos retrouvailles représentaient lecoupdepoucedont j’avais besoin pour remodeler mes fesses. Ce serait sympa de le faire en admirant son corpsd’athlète.

Page 56: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jiaattendaitmaréponse,jem’enrendiscompteenreprenantconsciencedesaprésence.–Disonsqu’onseredécouvre.–Jevois,commenta-t-elle,souriante.–Non,cen’estpasça.Cequejeveuxdire,c’estqu’ons’estperdusdevuependantdesannéeset

qu’onvientdes’apercevoirqu’onvitdanslemêmequartier.Jevaisvoircequeçadonnedereprendrecontact,maisjenetienspasànouerunerelation.

– Je comprends. Ce n’est pas comme si le travail n’était pas assez chronophage.Moi aussi, jemanquedetempspourunerelation.Pourunevraie,entoutcas.

–Tuasl’airdebientedébrouillerdanslaboîte.Elleacquiesça,maisjevoulaisensavoirdavantage.–Tuestrèsjeunepourêtrearrivéeoùtues,j’espèrequeçanetedérangepasquejeteledise.Je regrettaibrièvementcesmots,quiexprimaientpourtantmapenséeà laperfection.Mais,après

tout,Jiameposaitsansdétourdesquestionspersonnelles,etc’étaitellequim’avaitinvitéeàdéjeuner.Autant que je voie ce qu’elle avait dans le ventre. Le serveur vint prendre notre commande, ce quil’empêchademerépondreaussitôtetattisamanervosité.Mais iln’avaitpasplus tôt tourné les talonsqu’elleselança:

–Çanemedérangeabsolumentpas.Tudistouthautcequetoutlemondepensetoutbas,jelesaispertinemment.Cen’estpasfaciled’êtreunefemme,surtoutunejeune,dansnotredomaine.Sienplusonestséduisante,lebruitserépandimmédiatementqu’oncouchepouravoirdel’avancement.

Jememordislalèvre.Lescollèguesàquij’avaisparléd’elleavaienttousquelquechoseàdiredesonparcoursdanssaboîteprécédente,maisiln’étaitpasquestiondeleluisignaler.Cesgensétaientsisuperficiels.Avais-jeenviedesubircegenredechoses,sijamaisjeréussissaisàmesortirdemonboxparunepromotion?Ilsseperdraientensuppositionssurlesraisonsdemonsuccès…

–Jesuisplusjeunequelaplupartdenosconfrères,c’estsûr,continua-t-elle,maisjenesuispasicipourme fairedes amis. Il est questionde carrière, et j’ai la ferme intentionde continuer àmonter engrade,quoiqu’ilarrive.

–Moiaussi.Jeveuxjustebosser,maisondiraitqueçanesuffitpas.–Non,eneffet.Ilfautaussijouerlejeu.Onnepeutpasenfairel’économie.Mon cœur se serra. Jia venait de confirmer ce que je pressentais,mais dont je refusais de tenir

comptedepuismaintenantdesannées.–Tunetrouvespascettepetitecuisineinternepénible?Ellehaussalesépaulesenportantsonverred’eauàseslèvres.– Pas vraiment. Je considère que ça fait partie du travail. Il faut savoir ce qu’on veut et, plus

important,cequeveulentlesautres.C’estça,lesecret.–Explique-toi…–Regardeautourdetoi,Maya.Au-delàdeschiffres.Regardelepaysagedel’entrepriseetceuxqui

lemodèlent. Est-ce que tu connais les gens avec qui tu travailles ? Est-ce que tu connais l’un de tessupérieurshiérarchiques?

Page 57: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Pasvraiment.Jefaismonboulot.C’estcequ’ilsveulent,non?Ilmesemblait t’avoirentenduedirequ’onn’étaitpaslàpoursefairedesamis.

–Tuécoutes.Parfait.Ellesourit.–Maisnon,ilsneveulentpasjustequetufassestonboulot.Ilssonttousdifférents,etilsveulentdes

chosesdifférentes.Situsorsunpeudetazonedeconfort,tufinirasparcréerdesliensquit’ouvrirontdesportes.

–Jevois.JepensaisauxDermottetauxReillydecemonde,monbossetceluideVanessa,deshommesdurs,

concentrés, quasi inconscients de notre existence à nous, leurs subordonnés, sauf quand ils nousécrasaientparhasard.Jen’étaispassûredevouloirouvriruneporte,s’ilssetrouvaientdel’autrecôté.

– Considère-moi comme une de ces portes, me dit Jia, à ma grande surprise. Je te trouvesympathique,tusais.Jeseraisraviedet’aider,situenasenvie.

–M’aider?–Jeteparlecarrière.Jesupposequetunediraispasnonàuneconseillère,uneamie?–Euh…non.Enfin…Ellemeproposaitsonaidedemanièresidirectequejemedemandaiscommentaccepteroumême

réagir.Vusonintelligenceetsoncharisme,pouvoirlaqualifierd’amieseraitunechanceunique.–Parfait.Un sourire aux lèvres, ellem’effleura le dos de lamain du bout des doigts puis s’attaqua à son

assiette.–Jesuisraviequ’onaitdiscuté.

Page 58: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

VI

CAMERON

Jem’étaislibérépourlesséancesdusoir.Mayaavaitpromisdes’entraîneruneheureparjour,maisj’avaislafermeintentiondeluiproposerunesortiejusteaprès.

Darrenronchonnaitparcequ’ildevaitassurerlecréneauàmaplace,maisjem’enfichais.Ilm’étaitredevable, puisque je l’avais laissé filer tôt un certain nombre de fois pour qu’il se consacre à sesrecrues personnelles – c’est-à-dire à l’élue du moment. Cette habitude le rattraperait forcément : sidisponiblequ’ilsoit,ilnepourraitpasjoueréternellementàçasansprovoquerundrame.

Mayaarrivapendantquejepapotaisaveclagamineinstalléeàlaréception.–Salut!lançai-je,souriant,tropconscientdelamanièredontsaprésenceilluminaitleslieux.Peut-être à mes seuls yeux, d’ailleurs. J’avais passé la journée à l’attendre, cette douloureuse

évidence s’imposait. Elle portait toujours sa tenue de travail, et sa fatigue bien visible tempéramonexcitation.

–Çava?m’inquiétai-je.–Maisoui,répondit-elle,aussitôtsouriante.Lajournéeaétélongue,c’esttout.–D’accord.Onnevapastraîner,alors.–Commetuveux.Netesenspasobligédem’épargner.–Jen’ypensemêmepas,assurai-je,amusé.Lesvestiairessontlà-bas.Retrouve-moiicidèsquetu

esprête.Oliviaarrivadel’extérieuravantqu’ellepuisses’éloigneretperditinstantanémentsonsourireenla

reconnaissant.–Salut!lança-t-ellepourtant.Mayaluiréponditd’unmarmonnement.Masœurmelançaunregardnoir.–Jesupposequ’ilnes’agitpasd’unecoïncidence,cettefois.–Si,plusoumoins.Mayaestvenueàlasalledegymlasemainedernière.Ellevitdanslequartier.–Étonnant,commentaOlivia,impassible.

Page 59: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Jevaismechangeretjereviens,intervintMayad’unevoixtendue.Sitôtqu’elledisparutdanslevestiairedesfemmes,masœurs’enpritàmoi,sanstoutefoiséleverla

voix:–Tuveuxbienm’expliquercequisepasse,jeteprie?Jecroisailesbrasenm’appuyantaucomptoirdelaréception.–Jen’aipasàtedonnerd’explications,Olivia.–Benvoyons!Etvoilà,c’estparti.–Tuesallélavoir,hein?Je laissai mon regard se perdre derrière elle, car je ne voulais pas répondre. Il était hors de

questionquejemelaissesermonnerparmapetitesœur.–Rentreàlamaison,Olivia.Ellesecoualatête.–Jen’auraisriendûtedire.Jelesavais.Jesentaisqu’ilarriveraituntrucdecegenre.Qu’est-ce

quim’apris,franchement?Commesitun’avaispasfaitassezdeconneriesàcaused’elle…–Toutvabien.Jevoulais lavoir,etc’était sympa.Elleest iciaujourd’huipourqu’onrenoue le

contact…–Non,çanevapas.Elleadétruittavie,Cameron.–Jepensepouvoiraffirmersansgrandrisquequetuesunpeuexcessive.–Tuauraisputefairetuerenmission.Tun’ypensespas,àça?Savoixtenduetrahissaitlesinquiétudesquil’avaientplombéeàl’époquedifficiledontelleparlait.–Tunevasquandmêmepas lui reprocher laguerredans laquelle jemesuis lancédemonplein

gré?–Biensûrquesi.Arrêtedemeraconterdescraquesetdemedirequetun’espasresté là-basà

caused’elle.C’estsafaute,etuniquementsafaute,situn’espasrentréavant.Jeserrailesdentspourravalerlesmotsquimemontaientauxlèvresetmecontentaid’unecourte

réplique:–Cetteconversationestterminée.Situesicipourm’aider,aide-moi.Sinon,tupeuxt’enaller.Je

n’aipasbesoinquetuluitraînesautourpourlamettremalàl’aise.–Hein,qu’est-cequetudis?Jemeredressaidetoutemataille.Plusquestiondetraiterlesremarquesd’Oliviaparl’indifférence.–Jedisquesitucontinuesàmeprendrelatêteavecça,ousitudisquoiquecesoitquidéplaiseà

Maya, tu peux t’en aller à l’instant.On est dansma salle de gym, et tu vis chezmoi.Tu esma sœur,d’accord,maisc’estmoiquifixelesrègles.Tuferaismieuxdet’yhabituer.

Ellerestabouchebée,sespetitspoingscrispés.Sanslesclientsquiallaientetvenaientautourdenous,ellem’auraitcertainementinsulté.

–Waouh…souffla-t-elleenfin.Bon,jesaiscequejevauxàtesyeux.Autempspourlafamille.Surce,ellesortitd’unpasrageur,sansmelaisserletempsderépondre.

Page 60: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

MAYA

Assisesurlebanc,jelaissaimatêtepartirenarrièreets’appuyeraumurpuismesyeuxsefermer.Lafatigueétaitdifficileàcombattre.J’auraisvolontiersreprismonsacavantdemeglisserdehorsmais,vumachance,Camerondevaittoujoursmonterlagardeàlaporte–avecOlivia,pasmoins.

Àen jugerpar lecoupd’œilmauvaisqu’ellem’avait jeté, le finvernisdepolitessedont j’avaisbénéficiéjusque-làs’étaitévanouiaprèsnotrerencontreimprévue.Leregardnoirqu’elleavaitposésurCameronavaitaussicontribuéàmonmalaise.Apparemment,elleluienvoulaitautantqu’àmoi.

Majournéedetravailavaitétéépuisante,unefoisdeplus,maisj’avaisréussiàmetraînerjusqu’àla salle de gym, oùm’attendaient des exercices qui allaientme dépouiller de tout ce qu’ilme restaitd’énergie.Allais-jeenplussubirlesmesquineriesd’Olivia,aprèscinqansdesursis?

Jemerelevaietmeregardaidanslaglace,biendécidéeànepasmelaisserabattre.Unequeue-de-chevalaustère,undébardeurdesportnoirajustéetunpantalondeyogaassorti…Jesoupirai.Maintenantoujamais.

Quelquesminutesplustard,jequittaislevestiaire.Monnezseplissaquanduneodeurdesueuretdemétalparvintàmoncerveau.Àl’autreboutdelasalle,Cameronsoulevaitunlonghaltèreposésursesépaules, lesté de poidsmanifestement inouï.Où trouvait-il l’énergie de faire ça toute la journée ? Jen’avaisqu’uneenvie:dérouleruntapisdouilletdansuncoinpourfairelasieste.

Lorsquejelerejoignis,ilreposalabarreàsaplaceenm’adressantunsourireéclatant.–Prête?–Toi,tuesàdix;moi,àdeux.Tucroisqu’onaunechancedeserencontrerentrelesdeux?–Jevaisvoircequejepeuxfaire,s’amusa-t-il.Qu’est-cequetudisdesjambes?J’arquaiunsourcil.–J’aimebien.–Jevoulaisdire,detravaillerlesjambes.Tuasdéjàpratiquélesquat?Jerépondisparunegrimacenondissimulée.Ilposalamainsurlalonguebarremétallique.–Onvacommencerpartroissériesdequinzeauxhaltères.Lorsqu’ilsemitàjongleraveclespoids,mesyeuxs’écarquillèrent.–Hé,ho!Ils’interrompitetseredressa.–Oui?–Çamefaitflipper.Jepourraispeut-êtrejusteutiliserletapisdecourseunedemi-heure,avantde

passerauxexercicespourlesbrasdel’autrejour?–Tum’asditdenepast’épargner,etjen’aiaucuneintentiondelefaire,répondit-ilavecleplus

grand sérieux. Le cardio, c’est bien, mais je veux me concentrer sur les poids. Il faut aussi que tuapprennesàfairetravaillerlesdifférentespartiesdetoncorps.

– Je me permets quand même de te signaler que ça ne m’intéresse pas d’avoir des jambes deculturiste.

Page 61: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Tunerisquesrien.Lesjambesserventàbrûlerlescaloriesd’ensemble.Lerestedetoncorpsdoityêtreattentif.

Jejuraienmonforintérieuretreniflai.–OK.Montre-moicequejesuiscenséefaireetfinissons-en.Ilmefitpratiquerlesmouvementsétapeparétapepuis,aprèsnégociationsurlespoids,ondécidaà

l’unanimité que je commencerais avec la barre seule. Cameron soutenait que je pouvais prendre pluslourd,maisjen’avaisaucuneidéedecequejefaisais,etçanem’intéressaitpasdetestermeslimitescejour-là.Aprèstout,c’étaitlepremier.

Jefisensuiteexactementcequ’ilmedemandait,déterminéeàresterconcentrée.Pasquestiondemeridiculiser,alorsquejem’aventuraisaussiloindemazonedeconfort,danslemondedusport.

–C’estparfait,Maya.Tuesexcellente.Imperméableàsesencouragementsetàladouleurquimebrûlaitlescuisses,jeterminailadernière

série.C’étaitdur,bordel!Aprèsavoirsoulevél’haltèreunedernièrefois,jeleremisàsaplace.–Commenttutesens?s’enquit-il.Jem’octroyaiunegorgéed’eau,avantdereprendremonsouffle.–Commesic’étaituneidéedemerde.J’ailescuissesenfeu,etj’aimeraismourir.Onvacontinuer

longtemps?–Jet’aimisleplusintenseaudébut.Àpartirdemaintenant,çadevraitêtreplusfacile.Ilrestetrois

quartsd’heure.Nelaissepastomber.Je répondis par un gémissement, mais il m’entraînait déjà vers une machine en me donnant ses

instructions.Lerestedesexercicesserévélaeneffetmoinsexigeant,cequinem’empêcheraitpasd’ensouffrirlelendemainmatin,jelesavais.

Plantédevantmoi,lesbrascroisésetlespiedslégèrementécartés,ilmeregardasuersangeteaupendantmadernièresériedeleversdejambes.

–Lespectacleteplaît?–Tuestoujoursaussivannée,aprèsletravail?–Plusoumoins.Jecomptaisenmonforintérieur:presquefini.–Pourquoi?C’estlestress,ouletravailenlui-même?Penseràçaaffaiblissaitmesmusclesdéjàtropsollicités.–Onnepourraitpasparlerd’autrechose?–Jecroyaisqu’onallaitrefaireconnaissance.–Disons juste que je ne suis pas aussi passionnée que toi parmon travail, et de loin. Je trouve

incroyablequetuaiesautantdepeps,alorsquej’aifinimajournéedepuislongtemps.–Dupeps?–Turayonneslittéralementd’énergie.Çamerendmalade.Jemelaissaiallerdanslefauteuildelamachine,soulagéedefaireunepause.Vivementlafindu

cours!

Page 62: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

– C’est peut-être toi qui me fais cet effet-là, plaisanta-t-il. D’habitude, je ne suis pas tellementflambantsurledeuxièmeposte.

–Jecroisquetuprendsplaisiràmetorturer.L’ombred’unsourireincurvadenouveauseslèvres.–Allez,onpasseàlasuite.Petitcoupdetêteendirectiond’uneautremachine.Jeluijetaiunregardnoir.–Quoi?Tun’enpeuxdéjàplus?–Situm’épuisescesoir,jenereviendraipeut-êtrepasdemain.Là,maintenant,toutdesuite,mon

canapéetunverredevinmefontfurieusementenvie.J’avais en effet envie d’oublier la journée en buvant un verre, une envie que je n’avais pas

l’habitudedenepassatisfaire.Ilpinçaleslèvres,lesyeuxplissés.–Jeneplaisantepas,insistai-je.Jenefaispasdesportparcequejen’aiaucunevolonté,voilà.–Bon,d’accord.Encoreunesérieetonarrête.Maisdemain,onpasseauxabdos,etonyvafranco.Jelevailesyeuxauciel,persuadéequejen’ysurvivraispas.–Jevaismeprécipitericiensortantduboulot,c’estsûr.Sitôtlasérieterminée,jem’enfuisdanslevestiaireavantqu’ilchanged’avisetm’ajouted’autres

exercices.Unedoucheprolongéemepermitdechassertoutetensiondemoncorps.Jen’enpouvaisplus,etlachaleurcommençaitàmefairetournerlatête.Aprèsm’êtreessuyée,jemerhabillaietressortissansmaquillage,prêteàallermecoucher,tropépuiséepourattacherlamoindreimportanceauxapparences.

Cameronm’attendait. Ils’étaitchangé, luiaussi,etportaitmaintenantunjeanetuntee-shirtblancbien repassé.Une tenue toute simplequi, sur lui, étaitplusqueséduisante. Jen’avaispasoubliéqu’ilétaitmagnifique,habilléoupas.

–Jevaistedireàdemain,pourmondeuxièmejourd’enfer,annonçai-je.–Tun’aspasfaim?Onpeutallerdînerquelquepart.–Çava.J’aimangéenvenant.–Demain,alors?–Ceseraitavecplaisir,maisEliamènesonnouveaucopainàl’appartementpourmeleprésenter

avantqu’ilsaillentàunconcert.Ilsemordillalalèvre.–J’aipresquepeurdeproposermercredi.–Çadevrait êtrepossible, acquiesçai-je endansantd’unpied sur l’autre.Àconditionque tume

promettesd’yallermollo.Jenesuispassûred’arriveràmetraînerjusquechezmoi,cesoir.–Jevaist’accompagner.Pasquestionquetuprennesdesrisques.Jepenchailégèrementlatêtedecôté,fascinéeparlesyeuxétincelantsdeCameron.Unedécharge

d’énergiemetraversa.Jen’étaisplusbonneàgrand-chose,maisquelquesminutesdeplusàcontemplersonbeauvisagenemeferaientpasdemal.

–Tusaisquetuesunvraicrampon,m’amusai-je.Lorsqu’ilmepritlamain,souriant,moncœurbondit.

Page 63: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Oui,maisaumoins,avecmoi,tusaiscequit’attend.Vraiment?medemandai-jeenabordantlecourttrajetquiallaitmeramenerchezmoi.–Jesuisdésolé,pourOlivia,reprit-il.Jenemepressaipasderépondre,carjen’avaispasunefolleenviedeluisignalerquel’ambiance

demadeuxième rencontre avecOlivia nem’avait absolument pas surprise. Peut-être serait-il capabled’endéduirequ’elleavaitpassénotredernièreannéedefacàmebattrefroidsansdesserrerlesdents,cequiétaitplusqu’iln’avaitfait,lui.

–Cen’estpasgrave,dis-jeenfin.Maissitupréfèresquejecessedevenir,jecomprendrai.Jeneveuxpasquevousvousfâchiezàcausedemoi.Cen’estpasunedemesfans,j’ensuisbienconsciente.

–Onnevapassefâcher.Jeluiaiparlé.J’arquaiunsourcil.–Super.J’imaginais très bien la conversation et le malaise qui en résulterait la prochaine fois que je

croiseraisOlivia.Onavaitétéamies,etjen’avaispasoubliéqu’ellesemontraitimpitoyableenamitié.Encequilaconcernait,onétaitsoitavecelle,soitcontreelle,etj’étaisclairementcontre,sansaucunechancederedeveniravec.D’ailleurs,jenedemandaispasàrentrerdanssesbonnesgrâces.Ellepouvaitmejetersesregardslesplusnoirs,j’avaismavieetmesamisàmoi.

–Ellenevientpaslesoir,enprincipe,maispeuimporte:tueslabienvenuequandtuveux,affirmaCameron.

Enm’arrêtantdevantmonimmeuble, jebaissai lesyeux,enproieàdesdoutesrenouvelés.Est-cequeçaenvalaitlapeine?

–Hé!Ilmerelevalementonpourquenosregardssecroisent.–Jenelalaisseraipastechasser,d’accord?Sonpoucem’effleura la lèvre inférieure,où ildéclenchaun légerchatouillis.J’expirai lentement.

Chaquefoisqu’ilm’avaittouchéecesoir,parhasardounon,maconcentrations’étaitvolatilisée.Peut-êtremeferait-iltoujoursceteffet-là.C’étaitbienplusterrifiantquelesregardsfurieuxd’Olivia.

–Àdemain,Cameron.Il acquiesça en me lâchant sans hâte. Pressée de lui échapper pour recommencer à penser

clairement,jegravisl’escalierauplusviteetm’engouffraidansl’appartement.UnpetitsalutdelamainàElisurlechemindemachambre,puisjem’écroulaisurmonlitetlaissai

l’épuisementl’emporter.

CAMERON

La nécessité de me maîtriser en compagnie de Maya se révélait extraordinairement frustrante.Détestable,même.Saméfiance–justifiée–nousobligeaitàprogresserauralenti,enapprenantàmieux

Page 64: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

nousconnaître.JepréféraisnepasimaginercequeDarrenauraitditdelamanièredontjemepréparaisàcequiallaitsuivre!Franchement,jemouraisd’enviedecoucheravecMaya…etj’avaisl’intuitionquec’étaitréciproque,maissejeterbilleentêtedansunerelationphysiqueauraitétéimprudent.Onenavaittropbavé,touslesdeux.

Je rentrai chez moi sur la pointe des pieds, en espérant pourtant qu’Olivia s’était par miracleabsentée:jen’étaispasd’humeuràmedisputeravecellepourlasecondefoisdelasoirée.Puis,commeellenesemontraitpas,jegagnailacuisine,oùjesortisquelquesrestesdufrigo.

–Tureviensdrôlementtôt,disdonc.Jerefermailefrigoensursaut.Masœurétaitappuyéeaucomptoir,lesbrascroisés.–Bordel,jet’interdisd’arriverdansmondoscommeça!Qu’est-cequetuveux?–Tumechasses?Laquestionmefitréfléchir.–Tucomptesmedonnerdesraisonsdelefaire?Oliviadétournalesyeux,unemoueauxlèvres.–TutiensassezàmettreMayamalàl’aisepourretournerchezlesparents?–Biensûrquenon.Etjenecherchepasàlamettremalàl’aise.C’estjustequejen’aiaucuneenvie

deteretrouverautrente-sixièmedessous,commeladernièrefois.Tudevraisteposerquelquesquestionsavantdelalaisserrentrerdanstavie.

–Jesuisungrandgarçon,tusais.C’estgentildet’inquiéterpourmoi,maisjesuiscapabledemedébrouillertoutseul.

–Tuyasréfléchi,outufoncesjustesuruncoupdetête?Çan’apasfranchementbientournéilyacinqans,tuterappelles?

–Iln’estpasquestiondecoupdetête.Onessaiederefaireconnaissanceetdedeveniramis,avantdedécidersionveutallerplusloin.

–Pitié…soupiraOlivia.–Quoi?–Oh…rien!– Est-ce que ça va poser problème ? Je nem’imagine pas te jeter dehors,mais tu feraismieux

d’éviterdem’endonnerenvie,d’accord?Mayaestimportanteàmesyeux.–C’esttoutjustesitulaconnais,ettulaplacesau-dessusdemoi?Detaproprefamille?– Iln’estpasquestiondeplacerquiquece soitoùquece soit. Je laconnaismieuxque tune la

connaîtrasjamais,etc’estladernièrefoisquejediscuteavectoidesdécisionsquejeprendsquantàmavieintime.Compris?Çasuffit.

Elleme jetaun regardnoir, voilépar ses longs cils. Jemedirigeaivers l’escalier sansyprêterattention.

MAYA

Page 65: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Elirentraàplusdeminuit,lemardisoir,descernesderatonlaveursouslesyeuxetunsourireidiotaux lèvres.Assise en tailleurdevant la tablebassedu salon, entouréede feuillesvolantesdispersées,j’arrêtaidegriffonneràsonarrivée.

–Tuesencoredebout?s’étonna-t-il,d’unevoixaiguëetlégèrementindistincte.–Jen’arrivepasàdormir.J’airemplacélevinparlacaféine,plaisantai-je.Pourêtrehonnête,jedevaisbienadmettrequeCameronavaitraison.Lerégimedeviequ’ilm’avait

prescritmedonnaitdavantaged’énergie,toutenm’épuisantparmoments.–Commentças’estpassé,àlasalledegym?–Bien.Maismesabdosmefaisaientunmaldechien.Eliarquaunsourcil.–Tuprendsleschosesdemanièresuperpositive.–Çanemedérangepasautantquejelecraignais,avouai-jeavecunhaussementd’épaules.Jeréussissaisàremplirmapartdumarché,maisrenonceràmon«somnifère»habituel,c’est-à-dire

àma glissade dans une béatitude alcoolisée,m’obligeait à occupermes nuits autrement.Mes penséesétaient plus aiguisées, mes émotions, plus vives. Affronter mes démons – souvent suscités par laréapparition de Cameron – n’en devenait que plus difficile. Puisque je ne pouvais les faire taire enbuvant,jeleurdonnaisunevoix,toutsimplement.J’avaisdavantageécritenunesemainequedurantlesmoisprécédents.

–Etleconcert,c’étaitbien?–Génial.Lesourireincroyablementlarged’Elietsonpasvacillantenfaisaientfoi:ilavaitvécuplusquesa

partdefollessoiréesdeconcert,maiscelle-làavaitétéexceptionnelle.–Etlebeaublond?–Dupurdélire.–Raconte.Ilselaissatomberàcôtédemoi,surlecanapé,enpoussantungrandsoupir.–Jecroisquec’estdusérieux.–Ahbon?– Je ne suis peut-être pas objectif, parce que c’est tout nouveau,mais j’ai l’impression qu’on a

beaucoupdepointscommuns.Onaimelesmêmesmusiciens.Ilembrassesuperbien.Etilestvraimentsuperbandant.

Jesouriais,sincèrementravie.–C’estgénial!J’espèrequetuvasbientôtmeleprésenter.–Moiaussi.Ilsevoûta.–Quel dommage qu’il n’ait pas pu venir dîner ce soir. Tu es allée au restau avecCameron, du

coup?–Non,maisonyvademain.Detoutemanière,ilenasansdoutemarredemoi,maintenant.

Page 66: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Çam’étonnerait.–Ilpassesontempsàmetorturer,etjepasselemienàmeplaindre.C’était vrai,mais on cherchaitmanifestement à se découvrir l’un l’autre par la plaisanterie. Les

taquineriesm’aidaientàtrouvermeslimitesaveclui,etunedemesfacettesadoraitinventerlesinsultesastucieusesquejeluibalançaissansarrêt.

–Vousneparlezquedeça?–Non,maisonn’apasdeconversationvraimentsérieuse,etçamevatrèsbien.Elisepenchapourjeteruncoupd’œilàmoncalepin,quejem’empressaiderefermer.–Tuécris?–Oui.Ilplissalesyeux.–Tuluiasmontréquelquechose?–Pasquestion.C’estbeaucouptroppersonnel.–Ilnesaitsansdoutemêmepasquetuécris,hein?–Illesavait,autrefois.–Tuparlesdelui,là-dedans?J’avalaiunerasadedelatisanetiédiequejen’avaispastouchéejusqu’ici.–Parfois.Enfin,avant,oui,toutletemps.–Etmaintenant.Jehaussailesépaules.LeretourdeCamerondansmonquotidienfaisaitnaîtreenmoidespensées

dont jen’auraisparlépour rienaumonde. Je les avais couchées sur lepapierdans le seulbutde leschasser, accompagnéesdesémotionsassociées. Jem’enétais sortie commeça lapremière fois ; et jegarderaislatêtefroidecettefois-cidelamêmemanière.

–Lis-moiquelquechose.–Non,Eli.C’est…unesortedethérapie.Cen’estdestinéqu’àmoiseule.–Allez,jesuisàmoitiésaoul,jenem’ensouviendraimêmepasdemainmatin.Jerestaidemarbre.–MayaJacobs.Situnemelispastrèsvitequelquechose,jevaistevolertoncarnet,lephotocopier

et le passer à tous lesmecs que tu ramèneras à l’appart, aussi longtemps que tume laisseras y vivregratos.

–Tun’oseraispas!protestai-je,estomaquée.Ilm’adressaunsourirediabolique,avantderépondre:–Non,maisilfautquetuarrêtesdegardertoutecettemerdepourtoi.Jesuisépatéquetuarrivesà

lacouchersurlepapier,seulementc’estjustelepremierpas.Battementsdepaupières.–Alleeezzz…Jelevaiàmontourlesyeuxauxciel,reprismoncalepinetlefeuilletai,àlarecherchedequelque

chosedeplusoumoinsaupoint.Moiquin’écrivaisjamaisdansl’intentiond’êtrelue,jemedemandais

Page 67: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

ensurvolantmespoèmesqueleffetilsferaientàd’autres.Unepenséetoutsimplementparalysante.– Jene saispas,Eli.C’est trèsmaldégrossi. Jevais en travailler certains et te les liredemain,

d’accord?–Tiens.Çaferaparfaitementl’affaire.Ilvenaitderamasserunefeuillevolanteparterre.Jecherchaiàlaluireprendre,maisilsetortilla

pourm’échapper.–Ducalme!Quandils’éclaircit lagorgeenparcourantlapageduregard,jememordislalèvre,puisl’ongle.

C’étaitinsupportable.–Çasuffit,Eli.Rends-moiça.Tul’aslu,çayest.–Jelerelis.Lapaix,femme!J’inspiraiàfondetattendisqu’ilenaitterminé.Lorsqu’ilrelevalesyeux,ilsavaientretrouvéune

certainenetteté.–Maya,mapuce…Promets-moid’essayervraiment,aveclui.Pourtonbien,pourlesienetmême

pourlemien.Aprèsm’êtreàmoitiéarrachél’ongle, jeréunisen liasse lerestedesfeuillesdisperséespuis les

fourraidansmoncalepinusé,ensécurité.Lesoulagementetlasatisfactionquim’avaientenvahiequelquesinstantsplustôt,enexposantmon

âme sur le papier, laissaient rapidement place à une vulnérabilité terrifiante. À la pensée de ce quej’avaisécritetdecequ’Eliendéduisait,aveclafranchisedueàl’ivresse,jesentaisunétaumebroyerlecœuretleventre.

–Maya?reprit-il.–Quoi?demandai-jeenmelevant.–Promets-moi.–Bonnenuit,Eli.Àdemain.Jemepenchaipourl’embrassersurlefrontpuismeréfugiaidansmachambre.

Page 68: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

VII

CAMERON

On s’était installés au fond du restau, au calme. C’était un établissement assez décontracté pourqu’onpuisseyallerensortantde lasalledegym,cequin’avaitpasempêchéMayadepasserunbonmomentàseprépareraprèssesexercices.Jenesavaispascommentelleavaitfait,maissonmaquillageétait aussi parfait que ses bijoux, au scintillement discret dans la lumière tamisée. Sa tenue noire larendaitsupersexy:pulldécolletédévoilantlanaissancedesseinsetjeanmoulantquim’avaitenfiévrépendanttoutletrajetàpied.J’auraisaimémedirequ’ellelesavaitchoisisenmonhonneur,maisjen’enétaispassûr.

Dès que mes pensées s’égaraient, j’essayais de les reprogrammer : il me fallait garder la têtefroide ;onétait encore loinde se connaître aussibienque je levoulais, et c’était tout lebutdecettesemaine.

–Raconte-moicommenttuasatterriàWallStreet,demandai-je.Il m’était toujours aussi difficile de l’imaginer jonglant avec les chiffres pour l’Amérique des

multinationales.–Maboîterecrutedèslafindesétudes.Jemesuisditquec’étaitmachancedegagnerdel’argent,

depayermescrédits,cegenredechoses.–Qu’est-cequetufaisaujuste?Ellehaussalesépaulessansrépondre.–Ettoi,pourquoituasouvertunesalledegym?–Jen’avaispasfranchementenviedereprendrel’affairedemonpère,tusais.À l’époque où on rêvait d’avenir, elle savait mieux que personne que je voulais échapper aux

attentesdemesparents.Diplômes,costumes,projetsoùfiguraittoujoursunehiérarchiequelconque.Elleavait été bouleversée que j’entre à l’armée, mais elle m’avait soutenu, parce que je prenais ainsi lecontrôledemonexistencefuture.

–Jemerappelle,acquiesça-t-elleeneffet.Ilt’aaidé?

Page 69: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Non, j’ai eu recours à des investisseurs. Jeme suis débrouillé tout seul, ce qui a énormémentfrustrémafamille.

–Jesuisfièredetoi,déclara-t-elle,leregardadouciparunsourirechaleureux.–Merci.–Pourquoiunesalledegym?–Iln’yapasgrand-choseàfairedansledésert,alorsjemesuismisausportsérieusement.Cen’est

pasfranchementpalpitant,hein?Laremarquel’amusa.–Tuyaspassécombiendetemps?Rapidecalculmentaldemoncôté.–Prèsdetroisans,surplusieursaffectations.Uneémotionnouvellevoilal’étincelled’intérêtquis’étaitalluméedanssesyeux.–C’estterrible.–Non,jemeportaisvolontairepourlibérerdestypesquiavaientdesbébésenroute.Sinon,jen’en

auraispaseupourplusd’unanoudeux.–Jenecomprendspas.Tuteportaisvolontairepourallerlà-bas?J’évoquaimaviedesoldat:rienn’auraitpuêtreplusdifférentdecellequejevivaisàprésent.À

l’époque,lecalme–voirelesimplesilence–etlasécuritéétaientdevéritablesluxes,alorsqu’ilsmesemblaient maintenant acquis. Ça m’avait semblé logique, sur le moment, mais je me demandaisaujourd’huicommentjel’avaissupporté.Deretourdel’autrecôté,jenevoyaisqu’uneréponseàcettequestion:lebesoindesouffrir,deconnaîtrequelquechosed’aussiviolent,d’aussidéstabilisantquelaguerre,pourmettreenperspectivecellequifaisaitragedansmoncœur.

–Jenesaispas,mentis-je.–Tuavaispeur?–C’étaitstressant.Jeveuxdire,j’aivraimentvudeschosesquejen’oublieraijamais,maisonfinit

pars’yhabituer.Iln’yapasdefacturesnide…ah…debanalitéssansintérêt.OnnesedemandepasoùacheterlescadeauxdeNoël,parexemple.D’unecertainemanière,toutestnettementplussimple.Voilàcequim’aretenulà-basetempêchéderevenir.Lesjourssesuivaientetseressemblaient,commedansunesortedepurgatoireoùjeseraisallédemonpleingré.

Jepromenaimonpouceauborddelatable,par-dessuslanappe.Mayasedoutait-ellequej’avaisservi auxconfinsde l’enfer à caused’elle ?Qu’ilm’était arrivéd’appeler ledangeravecuncourageaveugledansl’espoirdesoignermoncœurmalade,qu’elleavaitlaisséàmoitiémort?

–Letempssemblaits’êtrearrêté,justement.Jerevivaissansarrêtlemêmejour,etjesavaisquelessuivantsallaientêtrepareils.

–Maistuyretournais.–J’avaisbesoindeça.Dumoins,jelecroyais.Ellesemordillalégèrementlalèvre.–Etpuistuasquittél’armée.

Page 70: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Lemomentvenu,oui.J’aiterminémadernièrepériodedeserviceetjesuisrevenu,prêtàrepartirdezéro.

Le silence s’installa. Quelques souvenirs particulièrement détestables me poignardèrent, visionsinoubliables,maisjelesécartaienmeconcentrantsurlafemmeravissantequimefaisaitface.

–Qu’est-cequit’afaitchangerd’avis,enfindecompte?demanda-t-elletoutbas.– Ma famille s’inquiétait, et je ne pouvais pas le lui reprocher. Tout le monde me demandait

régulièrement parmail où j’étais par rapport à ce dont parlaient les infos. Juste pour vérifier que jen’étais pasmort. J’aurais pu rester là-bas quandmême,mais je ne voulais pas leur imposer ça pluslongtemps.

–Ettuteplais,ici?–J’adore.C’estcomplètementdifférent,biensûr,maislasalledegymreprésenteunvraidéfi.Et

puisj’aimel’énergiedelaville.–Onnesaitjamaisquionpeutcroiser.–Lapreuve.Lorsqu’ellesourit,moncœurbonditdansmapoitrine.–Vousêtesassociés,Olivia,Darrenettoi?–Non.Darrens’investitàsamanière,maisilestaussiincapabledeseconsacreràuneentreprise

qu’àunefemme.Çanel’empêchepasd’êtred’uneaideprécieuse.Ilmepermetd’avoirunpeudetempslibre,etc’estunboncoach.

–Vousavezl’airtrèsproches.Jesecouailatête:sansdoutesonimpressionétait-ellefondéesurlamanièredontj’avaisinsultécet

idiotaubar,l’autrejour.–Oui,bon,c’estmonfrère,voilà.Qu’est-cequej’ypeux?Ilestinsupportable,maisjesupposeque

quelquepartdanscecrâneépaisilyaunpetitquelquechosequipenseàmoi.–Veinard!J’acquiesçai.Olivia,Darrenetmoiétionségalementindépendants,chacunànotremanière,maison

seserraitlescoudes,etc’étaitparfoisd’uneimportancevitale.–QuantàOlivia,elleavaitbesoindechangerd’air,expliquai-je.Elletravaillaitpourlasociétéde

capital-investissementdenotrepère,maisellecommençaitàétouffer.Normal.Ilenprofitaitpouressayerdeluidégoterunmec…Alorsçapartaitd’unbonsentiment,maisOlivian’avaitpasletempsdedireoufquenotremèrecommençaitàparlermariageetàluiorganiserunevietoutetracée.

–C’étaitpénible,j’imagine.–Lesparentsnevoulaientvraimentpaslalâcher.Ilsontfiniparrenoncer,avecDarrenetmoi,mais

elle, c’est resté leurpetitedernière.Et tu la connais.Ellenevoulait pas lesdécevoir.Mais ellen’enpouvait plus, alors je l’ai invitée à s’installer chez moi un moment, pour m’aider à m’organiser, enattendantqu’ellesesenteprêteàpasseràautrechose.Enfinbref…Etencequiteconcerne,toi?Quoideneuf,côtéfamille?

Page 71: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Mayadécoupaunmorceaudesonsteakqu’elleportaàsaboucheensecouantlatête.Sansdoutelesujetneluiplaisait-ilpasplusqu’àmoi,carellenel’avaitjamaisabordéquebrièvement.Sonpèreavaitdisparudesavietrèstôt,samèreavaitapparemmentlabougeotte,maisj’avaispeineàcroirequeseulsElietVanessaoccupentsonexistencedepuisnotreséparation.

–Comment se fait-ilqu’une jeunecadredynamiqueaussibelleque toin’aitpasunhommeà sespiedsdanscetteville?insistai-je.

Nosregardssecroisèrent.–Tuveuxvraimentsavoir,hein?–Ohoui!Tuferaismieuxdetoutmeracontertoutdesuite.Elle fit tournoyersonverred’eauen le tenantpar lepied.Leprisme liquidearrosa lesalentours

d’éclatsscintillants.–Cequetuvasentendrenevapeut-êtrepasteplaire.–Alorsfinissons-en,ripostai-je,crispé.Crachelemorceau.–Jen’aipasdemec,dit-elled’unevoixtendue,unemouesurseslèvresroses.–Jamais?m’étonnai-je.–Jenesuispasentréeenreligion,sic’estàçaquetupenses.Jeserrai lesdentsà lavision fugitivedeMayaencompagnied’unautre. J’auraispréféréqu’elle

entreenreligion.–Jen’ypensaispas,non,maisqu’ya-t-ild’autre?Lescoupsd’unsoir?–Exactement.N’importecomment,onenrevienttoujoursaucul,alorsautantfairesimple.Pasde

petitsjeux,pasdedrame.(Discretsoupir.)Pasdesouffrance.Waouh!Quiétaitcettefemme,etoùétaitpasséemaMaya?Jemefrottailementon,toujoursaussi

crispé,enessayantd’intégrercequ’ellevenaitdedire.–Cen’estpasunpeupessimiste?–Jediraisplutôtréaliste.–Decroirequesituasunevraierelation,tuensouffrirasforcément?–J’aimismathéorieàl’épreuveassezsouventpourêtreconvaincuequ’elleestfondée.Laremarquemeréduisitmomentanémentausilence.J’avais lanette impressionqueladite théorie

étaitliéeànotrehistoire,maiscetteindifférenceglacéedécoulait-elledelafinabruptedenotrerelation?Lerestedurepassedéroulaensilence.

–Situneveuxpasd’unmec,dis-jeenfinenjetantmaserviettesurlatable,jesupposequeledînerdecesoirn’estpastechniquementunrendez-vous.Tum’interviewespoursavoirsijeserailaprochaineencocheàtonboisdelit?

J’avaisbeauposerlaquestiond’unairdégagé,jen’étaispassûrdevouloiruneréponse.Sonfrontseplissaimperceptiblement.

–Onessaiederefaireconnaissance,non?Elleagitaentrenousunemainnégligente,maisnosregardss’affrontaient,departetd’autrede la

table.

Page 72: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Çarisquededevenircompliqué,ripostai-je.Ellelevalesyeuxauciel.–Jecroyaisquetuvoulaisqu’ondevienneamis.–Oui,maisjet’aiditaussiquejevoudraispeut-êtredavantage.Tupeuxmetraiterd’idiot,maisil

mesemblaitquetuypensaisaussi.–J’airéussiàéviterlesrelationsamoureusespendantdesannées,jenevaispasfaireuneexception

maintenant.Jelafixaisavecuneattentionaiguë,àlarecherchedumoindresignededoute.Jen’arrivaispasà

croire qu’elle était devenue cette femme-là, qu’elle ne ressentait pas au fondplus oumoins ce que jeressentais,qu’elleneveuillepascequej’enarrivaisàvouloirpournous.

–Alorsencequiteconcerne,jesuisjusteM.Tout-le-Monde?Ellefermalesyeux,unesecondedetrop.–Jesaisquetun’espasM.Tout-le-Monde.

MAYA

Ondécidadepasserparleparc.LefleuveilluminaitManhattandesmilliersdelumièrescitadines

quidansaientsursesflots.LefroidnemedérangeaitpasàpartirdumomentoùCameronétaitlà,prèsdemoi,lebrassurmesépaules,àmeréchauffer.Cettesoiréeressemblaitfortàunrendez-vousromantique,même si je refusais de l’admettre : Cameron était déjà une exception, et ce n’était certainement pasM.Tout-le-Monde.Trèsloindelà.

Ç’avaitétémonpremieretmonuniqueamour,maisjepouvaisdifficilementluienvouloiralorsquej’aspiraisàsaprésence,malgrénotrepassédouloureux.Notreententeavaittoujoursétéfacile,naturelle;ellenenousavait jamaisvraimentdemandéd’efforts.Etçan’avaitpas tellementchangé,malgrénotrelongueséparation.

Lorsqu’ilmepritlamain,jeserrailasienne,parhabitudepeut-être.Lorsqu’ilm’attiracontrelui,jem’appuyaiàsoncorps,heureusedenoscontactslégers,sanssavoiroùilsallaientnousmener.Toutmonêtreétaitenaccordaveclui,d’instinct.Toutmoncœur…monâmemeurtrie,quiauraitéténettementplusensécuritéloindelui.

–Jesuiscontentqu’onl’aitfait.Lebourdonnementbasdesavoixvibraitàtraversmoncorps.–Moiaussi.C’étaitdélicieux.Merci.J’avaisbienmangé,auméprispeut-êtredemanouvelleviesaineetsportive,maissurtoutparceque

j’étaisaffaméeenpermanence,aprèsunesemained’exercices.Jem’étaisremplil’estomacdesteak,puisdedessert,aupointd’enavoirpresquemal.

Mes doigts effleurèrentmes cigarettes, au fond de la poche demonmanteau.Comme jemouraisd’enviedecélébrermonpetitritueldigestif,jetirailepaquetdesplisdutissuetenfistombermadrogued’unesecousse.

–Qu’est-cequetufais?

Page 73: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Jeprendsuneclope.Çatedérange?Ilnousarrêtanet.–Oui,çamedérangecarrément.Sansmelaisserletempsdeformerunepensée,ilm’ôtadelamainl’objetdudélitetlerangeadans

lepaquet,dontils’étaitégalementemparé.Sonaudacemelaissabouchebée–brièvement.–Maisqu’est-cequetufais?–C’estmoiquifixelesrègles.Unedéterminationévidentetendaitsestraits.–Iln’yavaitriensurlacigarette,dansnotreaccord.–Etdepuisquandfumes-tu,d’abord?–Jen’ensaisrien.Depuisquelavieeststressante,jesuppose.Rends-les-moi.Ils’empressademettrehorsdemonatteintelepaquetquej’essayaisd’attraper.–Etsijetedisquejetelesrendsàlafindelasemaine?–Tuleferas?–Çanerisquepas,non,avoua-t-il,aprèsunesecondeàpeined’hésitation.Jeserrailesdentsenmeretenantdetoutesmesforcesdetaperdupied.–Tucommencesvraimentàm’énerver,j’espèrequetuenesconscient?Ilmeconsidéradetoutesahauteur,leslèvresétiréesparunpetitsouriresuffisant.–Tuessupermignonnequandtut’énerves.–Jenesuispasmignonne!–Tuesincroyablementmignonne.Arrêtedetedéprécier.Je tapaidupiedengémissant, enessayantdedissimulermonamusement, regardai autourdemoi

dans l’espoir de ressuscitermabrève colère, ramassai unepoignéedeneige et la lui collai enpleinefigure.

–Putain!Ilfitunbondenarrièrepuissedébarrassadelaneige,dévoilantunimmensesourire.–OK,c’estbon,tul’ascherché.Cefutàsontourdesebaisser,maispourfaireunebouledeneige.–Tun’oseraispas!m’exclamai-je,provocante.–Tuveuxparier?Laprudencem’incitaàreculerdequelquespas.–Tuferaismieuxdecourir…Lorsqu’il se redressa, je pris mes jambes à mon cou et me précipitai derrière un arbre pour

m’abriterdesboulesquinetardèrentpasàvolerdansmadirection.Malheureusement,aucunedecellesquejeluilançaienretourneletoucha:c’étaitplusfacilequandilnes’yattendaitpas.Pendantquej’enpréparaisune,cachéederrièreletronc,ilarrivadansmondosetmejetaàterre.Jemeretrouvaicoincéesous sonpoids, allongée dans la neige, etmemis à hurler, de crainte deme retrouver barbouillée deblanc.

Page 74: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Non,arrête!–Turegrettes?–Oui,jesuisdésolée.S’ilteplaît!Ilhésita,l’airdesedemandersimesregretsétaientsincères.–Nefaispasça,s’ilteplaît,implorai-je.–Pasdecigarettes?–Paslamoindretaffe.Promis,juré.Décisionplusquedifficile,maisjen’avaispaslechoix.D’ailleurs,uneinfimepartiedemoi–celle

quin’étaitpasfurieusequ’onmefasselaleçonsurlamanièredontjetraitaismonproprecorps–étaitheureusequ’ils’intéresseassezàmoipourmeparler.

Iljetasadernièrebouleauloinetselaissaallercontremoi,sesyeuxdanslesmiens.Lebrouillarddenotresouffleenveloppanosvisages.

Mon sourire s’évanouit quand la réalité de notre position s’imposa àma conscience. J’avais lesfessesgelées,maislecorpspressécontrelemienetlacuisselogéeentremesjambesmeréchauffaientrapidement.Saboucheseposasurlamienneavantquejepuissefairelamoindreremarquepourbriserlatensionsexuelle.

CAMERON

Seslèvresétaientmerveilleusementdouces.Unlégersoupirluiéchappa,tandisqu’ellesecollaitàmoicommeautrefoisetquesonodeurm’emplissaitlespoumons,charriantuntorrentdesouvenirs.

Ilm’enfallaitdavantage.Penché sur elle avec avidité, je l’attrapai par les cheveux.Nos langues s’effleurèrent, hésitantes,

puissoncorpsfuttraversétoutentierparlavibrationd’ungémissementbasquimepoussaàprendresaboucheplusardemment.Elleétaitsisuave.Sesmainssecrispèrentdansmonmanteau,sanssedéplacer,alorsquelesmienneserraientdanssescheveux,sursondouxvisageetjusquesursapoitrine.

–Maya…Sonnomm’échappaentredeuxhalètements,brouillantuninstantlesannéesaccumuléesentrenous

commes’ilnes’étaitécouléqu’uninstant.Lerêvedenotrecouple,desamantsqu’onavaitétéautrefois,redevintsoudainbienréel.

Jemaudissaislesvêtementsd’hiverquinousséparaient,carmesmainsbrûlaientdeseposersursesseins,etmeslèvres,d’errersurlamoindreparcelledesapeau.Jebrûlaisd’éveillersondésir,d’attisersapassionfrémissante,delasentirs’ouvriràmoi,del’entendreimplorerl’hommagequejebrûlaisdeluirendredepuislasecondemêmeoùj’avaisposélesyeuxsurelle.

–Cameron…Je la réduisisausilenceenposantdedouxbaiserssurses lèvresgonflées,que j’humectaidema

langue.

Page 75: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Maisqu’est-cequetufais?ajouta-t-elleenseserrantcontremoi,lesyeuxétincelantsetleroseauxjoues.

Je battis des paupières, la vue brouillée par le désir, puis l’embrassai de nouveau. Si seulementj’avaispupasserl’éternitécommeça!

–Jetecaressedansunecongère,murmurai-je.Rienquedetrèsnormal.Ellesouritsousmabouche.Jeluicaressai lacuissepuisremontaisoussonmanteaujusqu’àlaceinturedesonjean.Blagueà

part, j’étais prêt à lui faire l’amour dans cette congère : l’envie de la toucher, de posséder autantqu’autrefoissapeauetsoncorps,étaittoutbonnementirrésistible.Maislorsquej’atteignissonventreetlescourbesdoucesdesataille,ellerepoussamonbrasdansunpetitcri.Mesdoigtssedétachèrentdesapeausoyeuse.

–Qu’est-cequisepasse?demandai-je,figé.–Tuaslesmainsglacées.Ellerit,leregardjoyeux.–Etmerde!Désolé…–Non,n’arrêtepas,reprit-elle,alorsquejemepréparaisàbouger.Sesdoigtss’entremêlèrentàmachevelurepourm’empêcherdereculer,salangueglissalelongde

malèvreinférieure.Ilmefallaitcettefemme,bordel!Moncerveaun’avaitpassonmotàdire,carpeum’importaitquelemomentsoitbienchoisiounon.Seulcomptaitlebesoinimpérieuxd’êtreenelle.

Jeraffermismaprisesursahanche.–Sijet’embrasseunefoisdeplus,jenesuispassûrdepouvoirarrêter,detoutemanière.–Alorsembrasse-moi…Ellem’attirajusqu’àsaboucheentirantdesdeuxpoingssurletissudemonmanteau,preuves’ilen

fallaitqu’ellenevoulaitvraimentpasquej’arrête.Jen’enavaisd’ailleurspasl’intention.Letempssefigea.Rienn’avaitplusd’importance,excepténotreproximitéetlefaitquejelatenais

entremesbras.J’embrassaisonmenton,soncou,sabouche,ànouveau,jusqu’ànouscouperlesouffle.Commentaurais-jepum’arrêter?Chacundenosmouvementsaiguisaitmondésirfrénétique,m’emportantunpeuplushaut.

Latêtemetournait,moncœurbattaità toutrompre.J’avais l’impressiontrèsnettedemeteniraubord d’une falaise, sans savoir ce qui se trouvait à son pied.Mais je savais, en revanche, que si oncouchait ensemble, je franchirais le point de non-retour. Je l’avais aimée autrefois, et si je retombaisamoureuxd’elle,jamaisjenem’enremettrais.Mais,malgrémesdiscourssurlebonmoment,cettenuitme semblait aussi bonne qu’une autre. Je voulais montrer à Maya en quoi exactement je n’étais pasM.Tout-le-Monde.

Aiguillonné par l’idée de lui faire oublier les autres hommes qui avaient traversé sa vie, je lasoulevai contrema cuisse sans cesser de l’embrasser, demanière à exercer sur son sexe une frictionélectrisante.Ellegémitenmerendantmonbaiseravectoutelaferveurquejeluitémoignais.J’étaisd’uneduretéinouïe,brûlantmalgrélefroid,incapabledem’arrêter.

Page 76: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Seshalètements et gémissementsme firent oublier qu’on était toujoursdans laneige–«détail »d’importance–,jusqu’aumomentoùmeparvinrentdesvoixlointaines.Brièvementdégrisé,jem’arrachaiàseslèvresetàl’explorationfrustrantedesoncorpstrophabillé.

–Putain!Jereprismonsoufflepuismelevaiàcontrecœur,larelevantdanslemêmemouvement.Lapositionverticaleme fit prendre consciencedes sensationsmêlées qui s’affrontaient enmoi :

froid,humidité,chaleur,exaspération…Jen’avaisaucuneenviedelâcherMaya,maisfranchementonnepouvaitpasallerplusloinsanssefaireaccuserd’outrageàlapudeur.

–Ilfautrentrer,dit-elleenépoussetantlaneigeàdemifonduequicollaitàsonjean.–Oui,ilfauttemettreauchaud.–Etausec.Jesuistrempée.Jemecontraignisàoublierledoublesensducommentaire,laprisparlamainetl’entraînaijusqu’à

mavoiture,biendécidéàcontreveniràtouteslesrègles.

MAYA

Le court trajet fut silencieux. Cameron me tenait toujours la main avec fermeté et décision, sesdoigtsentrelacés auxmiens,posés sur sa cuisse.Malgré l’attentionqu’il consacrait à la chaussée, sestraitsbaignésd’unepénombreflatteusetrahissaientladétermination.

Comme je le fixais d’un regard où l’émerveillement le disputait à l’inquiétude, il me serratendrementlamain.Cesimplecontact,leseulpourl’instant,étaitaussisignificatifquelefiltenduentrenos cœurs depuis toujours, malgré la séparation. Notre réunion avait rendu sa traction puissante,douloureuse, de plus en plus difficile à ignorer ou à attribuer aux souvenirs. Sa tension croissantesignalaitenfaitlanaissanceagitéedesentimentsnouveaux,mêlésàceuxd’autrefois.

Dessentimentsque j’avaisécartésdemaviedepuis trop longtempspour lesaffrontermaintenantavecsérénité.J’avaiseupasmald’amants,surtoutdestypesbien,paslesdémonsobsédésparleculquejemeplaisaisàdécrire.Franchement,unerelationauthentiqueauraitpus’épanouirplusd’unefoissanstropdemal,sijen’avaisbattuenretraitedèsquequelquechosedeplusprofondmenaçaitdes’enraciner.Lespremièresfois,ç’avaitétéuneréactioninconsciente : jeplaidais lemanqued’intérêt,undéfautoudesattentesimaginaires;maisjerepéraistoujourslemomentrécurrentoùlapeurs’imposait,parcequeceshommesauraienteu lepouvoirdemefairemalenmequittantetque jenevoulaispas revivreça.Cameronm’avaitdévastée.J’étaisprêteàrejetern’importequelpoissonàlamerpouréviterdesubirànouveauunehorreurpareille.

Et pourtant, j’étais là, à danser avec le démon quim’avait définitivement brisée. La peur d’êtrerejetéesemêlaitàuneattraction indéniable– l’énergiepalpitantequim’avait toujoursentraînéeaufinfonddesaffresdenotreamour.Était-cecequ’ilvoulait?Comptetenudecequejeluiavaisditlesoirmême, peut-être avait-il bel et bien l’intention de me prouver qu’il n’était pas M. Tout-le-Monde.

Page 77: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Malheureusement, il n’était pas question qu’il devienne important pourmoi, ou je n’aurais plus aucunespoirdem’ensortir.

Le silence s’étira pendant que nous montions à mon appartement. Toute parole était inutile. Jel’avais implicitement invité au parc, et il avait accepté d’un regard. Sitôt la porte franchie, ilm’emprisonnadenouveaucontrelui.Nosmanteauxarrachés,sesmainssepromenèrentsansentravesurmapeau,àl’endroitoùmonpullretombaitsurmonjeanpuislelongdemescôtes,avantdes’aventurerplushaut.Labrusqueflambéedemondésirmepritparsurprise,accompagnéedeladuretédusiencontremoi.

Lorsque je nouai les bras à son cou, ilme prit par la taille pourme soulever, plaquée à lui.Lefrottement de nos deux corps suffit à me faire perdre la tête. Mon excitation brûlante menaçait marésolution,monbonsensetlesrèglesédictéesavecsoinauxquellesj’avaisapprisàmefierpourassurermasécuritésentimentale.

Sa bouche et ses mains caressantes prenaient possession de moi avec passion, elles qui meconnaissaientautrefoissi intimement.Aucunehésitationneralentissait leursmouvements,oùcouvait lapromesse du plaisir. Folle de désir, je m’autorisai à le ressentir pleinement, l’acceptant à en êtretrempée,prêteàhurlerdefrustration.

Lorsque nos lèvres se séparèrent, je repris péniblement mon souffle. Non, pas question de melaisseraller.Pascesoir.Laraisonreprenaitsesdroits.J’attrapailebrasdeCameronpourl’écarter.

–Jevaismechanger,balbutiai-jed’unevoixhaletante,oùtransparaissaientmesdoutes.Laperplexités’inscrivitsursestraits,avantquejelerepousseavecdouceurpourpouvoirm’enfuir.

Je n’arrivais pas à penser clairement si près de lui, alors que je devais penser au lieu d’agir sur desimpulsionsdésordonnées.

–Tupeuxfaireducaféouteservircequetuveux,ajoutai-je.Jereviens.

CAMERON

Àpeinel’avais-jelâchée,àcontrecœur,qu’elles’engouffradanssachambreetenrefermalaporte.Labarrièredesvêtementsd’abord,celledecetteporteensuite…obstaclesmesquinsquinousséparaientàprésent, alors que tel n’avait jamais été le cas autrefois.C’était exaspérant !Lesmains au fonddespoches,jerefusaidem’attardersurlefaitquecesobstaclesétaientlàparmafaute.

Àvraidire,jemedemandaispourquoiMayam’avaitrepoussé,maisjen’enparcouruspasmoinslapetitepiècedansl’espoirdemedistraireetd’atténuermafrustration,attentifauxmoindresdétails.

Apparemment,ellemenaitencompagnied’Eliuneviedont lasimplicitém’étonna.Depuisque jel’avais revueàNewYork, ilmesemblaitqu’elle sedonnaitunmal foupour remplir certainscritèresinformulés.Ses tenues et samaîtrise d’elle-mêmecontrastaient avec le naturel que je lui avais connu,maisvoilàquesonappartementse révélait incroyablementbanal.Meublesdépareillésetusés ;photosd’Eli,d’elleetdeleursamispourtoutedécoration…Lorsquejelesobservai,jenepusretenirunsourire

Page 78: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

devant cellesoùelleprenait laposeen riant.Ellen’avaitpas l’airde tellement s’amuser, engénéral,mais il lui arrivait d’être heureuse. Une douleur sourde me brûlait la poitrine. Je voulais la rendreheureuse,moiaussi.

Jem’assis sur le canapé enm’ordonnant deme détendre. Pourquoimettait-elle autant de temps,bordel ? Jen’avaisqu’uneenvie : aller la retrouverdans sa chambre, interrompre sonchangementdetenue,ladéshabillerenuntourdemainetlaserrerànouveaudansmesbras,maispeaucontrepeau.

Merde,merde,merde.Non.Jemepenchaienavant,lescoudessurlesgenoux.Ilmefallaitpenseràautrechose,ouj’allaismejetersurellecommeunebête,alorsquejemerefusaisàcourirlerisquedelacontrarier.Lalenteurs’imposait.Jemeledisetmelerépétai,telunmantra,encherchantdetoutesmesforcesàm’enconvaincre.Lalenteurs’imposait,sionvoulaitavoirlamoindrechanced’allerplusloinàlong terme–quoiqueçapuissesignifierdans lavision torduequeMayaavaitàprésentdes relationsamoureuses.

Jeprislatélécommande,allumailatélé,lesoncoupé,reposailatélécommande.Surlatablebasse,setrouvaitaussiuncarnetnoiràspirale,prèsduqueletdanslequelétaientempilésdesfeuilletsarrachés,couverts–pourceuxquidépassaient–d’uneécriturequejereconnusaussitôt:celledeMaya.

J’allaism’enemparerquandelleressortitdesachambre,enpantalondeyogaetsweatàcapuche.Une inquiétude nouvelle lui écarquillait les yeux. Elle s’approcha de la petite table, s’empressa defourrer toutes les feuilles volantesdans le calepinpuis battit en retraite dequelquespas en le serrantcontresapoitrine,laboucheentrouverte.

–Çava?demandai-je.–Maisoui,répondit-ellesansmequitterduregard.Savoixvacillaitpourtant.Elleposalecarnetsuruneétagère,danssondos,avantdemerejoindre

surlecanapé,maisàl’autrebout,lesjambesrepliéessouselle,tournéeverslatélé.Unfrissonlatraversa,etelleserecroquevilladavantageencore.Quelquechosevenaitdechanger

entrenous,sansquejesachepourquoi.Jesavaisjustequej’avaisenviedelareprendredansmesbras.–Viensici,murmurai-je,lamaintendue.–Ilvaudraitmieuxpas…commença-t-elle,unregardhésitantposésurmoi.Jel’empêchaid’argumenterenl’attrapantparlebrasetenl’attirantjusqu’àmoi,lesjambesposées

surmescuisses,soncorpslovécontrelemien.Aucundenousneprononçaunmotdeplus.Ellesedétendit,mouléeàmoi,sesfrissonscessèrent,et

seul subsista le bruit de notre souffle.Comme je redoutais d’ouvrir la bouche, au risque d’attirer sonattention sur ce qui venait de se passer entre nous, je me contentai de la tenir dansmes bras. Notreséparationavaitétésilonguequejen’avaispasledroitd’endemanderdavantage.Çamesuffisait.Pourl’instant.

Page 79: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

VIII

MAYA

Je fixaismonécransans levoir,chiffreset lettresbrouillés.Mespenséesseconcentraient sur labouchedeCameronrivéeàlamienne,soncorpsplaquéaumien,l’attirancequipalpitaitentrenous.Jel’avaisrepousséjusteàtemps.Unesecondedeplus,etmavolontéaffaiblieseseraitbriséecommeunebrindille.Sijen’avaispascoupécourt,onauraitpassélanuitdansmonlitaulieuderesterblottissurlecanapé,àregarderdesnullitésàlatéléjusqu’àcequenosyeuxseferment.

D’un autre côté, siCameronn’avait pas étéCameron, j’aurais couché avec lui sans une seconded’hésitation.Encequiconcernaitleshommes,j’avaistendanceàagirsuruncoupdetête,toutenrestantextrêmementprudente.Çafaisaitdesannéesquejenedisaisjamaisnonàunviceouàunplaisircapablesdem’aideràpasserd’unmomentdifficileàl’autre.Cameronserévélaitêtreàlafoisunviceetunplaisirdesplusdangereux.

J’avaisenviedelui,ilavaitenviedemoi,maispendantquenousmontionsàl’appartement,lapetitevoixdelasagessem’avaitrappelécequiétaitenjeu:moncœur,quemonsieuravaitdéjàdétruitenmequittantunepremièrefois.Cettedestructionm’avaitinspirédespoèmesdontj’espéraissincèrementqu’ilne les avait pas lus. L’idée qu’il ait pu regarder mon univers par cette fenêtre m’horrifiaitincomparablementplusquecelled’affronterl’opinionalcooliséed’Eli.

Jefermailesyeuxdanslevainespoirdedompterletorrentdemesémotions.Marelationactuelleavec Cameron évoquait une danse alanguie. Chaque rencontre nous rapprochait un peu plus l’un del’autre,nousoffraitplusdecontacts,plusderire.Meseffortsdedétachementnel’empêchaientpasdemefairepasserenunclind’œild’uneexaspérationcolossaleàundésirfou,palpitant.Quen’aurais-jepasdonnéencet instantmêmepourêtredanssesbras!Undeces jours, jem’yretrouverais,à lesupplierd’allerplusloin,àétoufferlapetitevoixdelaraisonetàfoncerlatêtelapremièredanslemurd’unecatastropheinévitable.

Je croisai les jambes en retenant un gémissement, douloureusement consciente demon excitationardente.Moncorpsserappelaitlesien,indifférentaubonsens.Mapeaus’échauffaitausouvenirdeson

Page 80: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

contact.Sionn’avaitnil’unnil’autreassezdejugeotepourarrêterlesfrais,jemedemandaisquand–etnonpassi–oncoucheraitensemble.

Lasonneriedemontéléphonemefitsursauter.Lorsquejedécrochai,lavoixévidemmentsèchedemonsupérieurmeparvintparl’écouteur:

–Maya.Dansmonbureau,s’ilvousplaît.–J’arrive.J’inspirai à fond, pendant que mon esprit bouillonnant s’interrogeait sur les raisons de cette

convocation.KevinDermottn’avaitjamaisriendepositifàmedire:depuismonembauche,ilnem’avaitadressélaparolequepourmesignalerunmanquementoum’expliquercequ’ilvoulaitmevoirfaire.Leconceptdecritiquepositiveluiétaitabsolumentinconnu.

Jeletrouvaitrèsoccupéàparcourirdespapiers,maisilmefitsignedeprendreplacesurunedeschaisesdisposéesen facede lui.Laquarantainebienentamée,KevinDermott était aussi soignéde sapersonnequ’onpouvaits’yattendre,avecsabrosseblondfoncéetsoncostumegrisquimettaitenvaleursesyeuxde lamêmecouleur. Ilétaitplutôtbiendesapersonne,ceque j’auraisconsidérécommeunequalité,s’iln’avaitpasétéaussipéniblelaplupartdutemps.L’anneauenplatinetoutsimpleornantsonannulairemerappelaquejen’étaispaslaseuleàêtreobligéedelesupporter.

–Vousêtesrevenuedudéjeunerenretard.–Oui,maisje…–Jeveuxlesrapportsdontjevousaiparléaujourd’huimême.–Vouslesaurezd’iciuneheure.Ilssontpresqueprêts.–Parfait.J’avais consacré l’essentiel dema pause déjeuner à ces fameux rapports,mais peu importait. Il

n’auraitserviàrienquejemedéfende.Monsieurétaitd’humeurtyrannique,jen’allaispasluigâchersonpetitplaisir.Jemecontentaidoncd’attendrepatiemmentqu’ilpoursuive.

–Nousfêtonslesvacanceslasemaineprochaine.Jesupposequevousserezlà?–Oui,biensûr.Jen’auraisjamaisparticipéàcettepetitesauteriesijenem’yétaispassentieobligée.Côtoyeren

toutesobriétélesdizainesdecollèguesavecquij’avaislemalheurdetravaillernerisquaitpasdem’êtreagréable,maisilm’auraitsuffideboirepourleurdirecequejepensaisvraimentd’eux–jelesavais,jemesentaisprêteàlefairetouslessamedis,enfindesoirée.

–Lescadreslespluséminentsdel’entrepriseserontlà.Nousallonssigneruncontratquidonneradutravailàuncertainnombredegens,etilestpossiblequ’ilsveuillentsavoirquivas’enoccuper.

–Dois-jecomprendrequevousmedemandezd’enfairepartie?Ils’adossaetmefixad’unregardévaluateur.–Oui,malgrévotreattitude.Vousêtesunedemesmeilleuresrecrues.Ceseraituneoccasionenor

pourvous…enfin,sivousn’avezriendeprévupour lesvacances.Çarisquedenousoccuper jusqu’àNoël.

–Non,jen’airiendeprévu.

Page 81: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

L’idéedetravaillerpendantlesvacancesmeplaisaitpresque:çam’éviteraitdepenseràmesamis,quipasseraient lesfêtesavecleursproches.Touslesans,ElietVanessam’obligeaientàdécliner leurinvitation, car la pensée de jouer les pièces rapportées dans leur famille me semblait encore plusdéprimantequelaperspectivedepasserleréveillonseule.

– Parfait. Considérez que vous faites partie de l’équipe. Nous allons attaquer la paperasse dèsaujourd’hui…ilvafalloirrestertard.

Lapropositionnemeréjouissaitpasautantqu’ellel’auraitdû,peut-êtreparcequeDermottl’avaitassortied’uneinsulte,mêmes’ilmedonnaitmachanceenmechoisissantparmilebétailentassédanslesbox.Toutefois,jen’avaispasoubliélesconseilsdeJia:ilfallaitsautersurl’occasionetjouerlejeu.

–Pasdeproblème.Dites-moijustecequejedoisfaire.Un petit sourire tordit ses traits. Je résistai à la brusque envie de l’envoyer se faire foutre et y

répondisaucontraireparunsouriresoumis,d’unepolitesseabsolue.–Jen’ymanqueraipas.Etj’attendscesrapports.Ilrabaissaleregardverssespapiersetgriffonnaquelquesnotessurcertains.C’étaitlesignaldudépart.Àlasortiedubureaudemonsieur,jefaillisfoncerdansJia.–Salut.TuasvuKevin?–Oui.–Ilt’aparléducontratCauldwell?–Ilnem’apasdonnédenom,maisjesupposequec’estça.–Ettuasditoui?–Biensûr.–Super.L’éclatdesonregardmedonnaàpenserqu’elleétaitpeut-êtrederrièrecetteproposition.– Je vais travailler dessus, moi aussi. Je serai enchantée de le faire en bonne compagnie. Et à

propos,qu’est-cequetufais,ceweek-end?–Jenesaispasencore,mentis-je.Notre relation évoluait à toute allure. Je lui avais déjà parlé de Cameron et du désintérêt que

m’inspiraitmon job,mais j’hésitais à luidireque jepassaismesweek-endsà faire la fête.Çanemesemblaitpascompatibleavecmapromotiondefraîchedate.

–Moi, samedi soir, j’irai sans doute boire des verres avec des amis, reprit-elle. Tu pourrais tejoindreànous.

–Bonneidée.–Super.Envoie-moiunmailavectontéléphone,jetetextoterailesdétails.J’acquiesçai puis regagnaimon box, en essayant de donner un sens à l’évolution de la situation.

L’empressementdeJiaàdevenir…uneamie?puiscetteoccasiondetravaillersuruncontratimportant.Bon… au moins, ça m’empêcherait de me focaliser sur Cameron, qui envahissait ces jours-ci mespenséesavecuneardeurredoublée.

Page 82: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Alexvintpresqueaussitôtm’interrogersurmonentretienavecDermottetfutvisiblementsidéréquelechefaitdécidédemeconfieruneresponsabilitéaussiimportante.Dèsquejemeretrouvaiseule,jemeconcentrai sur la tâche en cours, sourire aux lèvres, pleine d’une énergie nouvelle. Sans vouloir mebercerdefauxespoirs, jemedisaisqu’entremonévolutionprofessionnelle,Cameronetmesnouvelleshabitudessainesetsportives,j’allaispeut-êtrereprendrelecontrôledemonexistence,aprèsdesannéesensimplemodesurvie.

Avecunpincementderegretjeprévinspartextomoncoachpersonneldel’annulationdemaséancevespérale, enmedisant toutefois que ça ne nous ferait pas demal de ne pas nous voir ce jour-là.Laveille,leschosesétaientalléestroploin.Ilmefallaitdutempspourapprendreàgérercequisepassaitentrenous.

Lelendemain,Dermottnouslaissapartirplustôt,auseulmotifqu’ilavaitàfairecevendredisoir.Lorsquej’arrivaidanslepetitbureau,aufonddelasalledegym,j’étaisentenuedesport,pleine

d’énergieetcurieusementravieàl’idéed’entamermaséancedetorture.Ilyavaitprèsdequarante-huitheuresquejen’avaispasvuCameron,quibrillaitparsonabsence.

–Salut!lançai-jeàsonfrère.Oùestpassémoncoach?Darrenrelevalesyeuxdel’ordinateur,entouréd’unocéandepapiers.–Ilavaitàfaireàl’appartement,maisilm’aditdem’occuperdetoi,cesoir.–Ilauraitpum’appeler.–Àmonavis,ils’estditquetuneviendraispas.Jelevailesyeuxauciel.–Quelleandouille…–Siçasetrouve,ilseraderetouravantqu’onaitfini.Tun’aurasqu’àleluidire.–Tun’espasobligéde t’occuperdemoi, tusais. Jepeuxsansdoutemedébrouiller touteseule,

aujourd’hui.Maismerciquandmême.–Hé!lançaDarrenalorsquejetournaislestalons,prêteàrepartir.Qu’est-cequevousfaites,ce

week-end?Cameronm’aditquevoussortiez.–Ah…(J’hésitaiuneseconde.)Eneffet.Ilmefixaitd’unregardneutre,commes’ilattendaitdesdétails.–Engénéral,jevaisauMuse,aveclescopains.Maisonpeutvousretrouveravantaubard’enface

pourboireunverre.–Onpassevouschercher?–Non,ilfautquejem’organised’abordavecElietVanessa.Onserasansdoutelà-basversvingt-

deuxheures.–Quic’est,Vanessa?Lamanièredontilarquaunsourcileutledondem’inquiéter.–Uneamie.Tuverras.–Super,conclut-ilenretournantàsonordinateur.Jeterejoinsdansuneminute,ilfautd’abordque

jeboucleleplanning.

Page 83: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jem’approchaidespoids,lesmainssurleshanches,pleined’uneimpressiondeforcetouteneuve.Cinquième jour. J’avaismalpartout,mais j’étaisunepro,maintenant.Uncoachpersonnel?Pourquoifaire?

Aprèstout,j’étaispasséeàlacatégoriedepoidssupérieure,mêmesijedevaisbienadmettrequejejouaistoujoursendernièredivision.J’avaisadoptéleshaltèresdehuitkilos,quejelevaisfacilement,àmongrandplaisir.Petitevictoire.Rainaapparutsoudaindanslemiroir,vêtuedesatenuedeyoga.

–Salut,Maya,çava?demanda-t-elleenmerejoignant.–Trèsbien,ettoi?–Lajournéeaétéintense.Jepeuxmejoindreàtoi?–Biensûr.Monamour-propreenprituncoupdèsqu’elles’emparad’unhaltèrepluslourdquelemien,qu’elle

entrepritdesouleveretrabaissercommesiderienn’était.–Darrenm’aditquetuétaisl’exdeCameron.C’estvrai?Jereposaimonproprehaltèreletempsdesouffler.–Oui,onpeutdireça.ExdeCameron…Ladéfinitionnemeplaisaitpasdu tout,avecsesconnotationsnégatives,alors

qu’on essayait justement de réinstaurer entre nous une relation positive,Cameron etmoi : une amitié,voireplus,commemoncorpsenavaitindéniablementenvie.

–C’estmarrant…–Pourquoi?–Ehbien,iln’aabsolumentjamaisparlédetoi.Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?Jeramassaimonhaltère,dansl’espoirdedissimulermonagacementenexécutantunenouvellesérie

demouvementssansparaîtreprêteraucuneattentionàRaina,que j’observaispourtantencachette.Soncorpsautonusimpressionnantm’inspiraitunehainecroissante:elleauraitforméavecCameronlecoupleparfaitexhibésurlescouverturesdesmagazinesdefitness,penséequisapaitmonénergie.

Pourquoim’aurait-elleditunechosepareille,s’ilsn’avaientpaseuleurproprehistoire?Iln’étaitpasdugenreàparlerdesaviesentimentaleàn’importequi,maispeut-êtren’était-ellepasn’importequi.

Darrenfitsonapparitionavantquemesréflexionsnem’emportentplusloin.–Désoléden’arriverquemaintenant.–Ne t’inquiète pas, je discutais avecRaina, répondis-je, non sans unepointe de sarcasme assez

évidente.Jen’allaisquandmêmepasmedonnerdesairsfaceàuneprofdeyoga?–Ontravaillelesépaules?–Situveux.Peum’importait,dumomentquejemerapprochaisdelafindecetentraînementtoutenm’éloignant

deRaina.

Page 84: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

– Alors, qu’est-ce qui s’est passé avec elle ? demandai-je quand je fus seule avec Darren, enessayantdegardermoncalme.

–Commentça?–IlyaquelquechoseentreCameronetRaina?–Certainementpas,répondit-ilenriant,etelleenestd’ailleurstrèsdéçue.Malgrésonsourirecontagieux,majalousienefitques’aiguiser.Jeparcouruslasalledesyeux,àla

recherchedelajeunefemme,parmilafouledesclients.Pourquoi?Pourluijeterunregardvenimeux?Allez,ressaisis-toi.

Commejenelatrouvaispas,jeterminaimadernièresérieavecunedéterminationméthodique.–Çava?s’enquitDarren,lessourcilsfroncésparl’inquiétude.–Maisoui,marmonnai-je.–Iln’yarienentreeux,Maya,jepeuxtel’assurer.Jeréussisàluiadresserunmincesourire.–Merci,maisde toutemanièreçanemeregardepas.Jenesaismêmepaspourquoi j’aiposé la

question.Àquiallais-jefairecroireunechosepareille?CertainementpasàcedonJuan,passémaîtredans

l’artdemanipulerlagentféminine.J’avaisposélaquestionparcequejevoulaissavoir,toutsimplement.À ce moment-là, ma seule préoccupation consistait à découvrir si Cameron et Raina avaient eu uneliaison.

Jegagnailevestiaire,oùjem’habillaiauplusvite,furieuseàl’idéequeRainadraguaitCameron–qu’ilsoitounonintéressé–,etplusencoreàcellequ’ellecherchaitànouséloignerl’undel’autreensuscitantdesproblèmesentrenous.

Jenel’avaispasretrouvédepuisunesemainequejemarquaisdéjàmonterritoire.Incroyable.L’objetdemespenséesarrivaàl’instantmêmeoùj’allaisréussiràm’enfuir.Etmerde.–Salut!Ilsouriait,lesyeuxbrillants.–Jesuisravidereveniràtempspourtevoir.–Ehbien,tumevois.J’aurais aimé m’illuminer pour lui, moi aussi, mais j’étais trop en rogne, prisonnière de mes

interrogations.– Je suis désolé d’avoir été retenu. J’avais des ouvriers à l’appart, il a fallu que j’y reste un

moment.–Jecomprends.Raina,quipassaitprèsdenous,luiadressaunsouriresuaveavantdecroisermonregard.–Salut!lança-t-ilavecunlégersignedetête.–Salut,beaugosse.Les trois petitsmots tombés de la bouche de la jeune femmeme firent grincer des dents ;mais,

franchement, rien ne m’obligeait à y prêter attention. Je n’aurais pas dû. Pas une seconde. J’écartai

Page 85: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Camerondemoncheminpourfoncerverslasortie.–Hé,oùtuvascommeça?demanda-t-ilenmeprenantlamain.– Je m’en vais. Je te rappelle que ce soir ma semaine de torture s’achève. C’était bien ça, le

marché?–Qu’est-cequinevapas?s’inquiéta-t-il.–Maisrien.Jesuisfatiguée,c’esttout.Lasemaineaétélongue,tusais.Mesforcesvacillaienteneffet.Lesportm’avaitcertesdonnédel’énergie,Cameronnes’étaitpas

trompé,maisjemesentaisbrusquementvidée.Épuisée–etdeplusenplus.–Onestvendredi,tupeuxtereposer,maintenant.–J’enaibienl’intention.J’airendez-vousavecunverre.Jecroisquejel’aibienmérité.J’avaismêmerendez-vousavecunebouteille,maisjepréféraispassercedétailsoussilence.Sonregardsefitgrave.–Qu’est-cequisepasse,Maya?murmura-t-ilense rapprochantetenm’effleurant la joued’une

caresse.Tuasl’aircontrariée.Jeme laissai aller contre lui, et toutmoncorps sedétendit à soncontact. J’aurais aiméqu’ilme

prenne dans ses bras, comme l’autre jour, comme si j’étais déjà sienne, mais pourquoi ? Pourquoim’inspirait-ilundésiraussiextrême?J’étaispourtantcapabledetenirn’importequid’autreàdistance.

–Laisse-moit’emmenerquelquepart,insista-t-il.Darrenn’auraqu’àmeremplacer.–Non,non,çava,m’obstinai-je.Ilfautquej’yaille.Jesupposequ’onsevoitdemainsoir?J’ai

donnéquelquesprécisionsàtonfrère.Devant son froncement de sourcils, je lui offris un petit sourire, dans l’espoir qu’il me laisse

tranquille.Lesdeuxjourspasséssanslevoirm’avaientpeut-êtreapportéunpeudeclartéd’esprit,maisjemesentaisànouveauaussiperplexequelorsdenotredernièrerencontre.

Ilme lâchaet jepassai lesportes,heureusede sortirdans le froid. J’avaisbesoind’air.Etd’unverre. La semaine avait été sans excès d’aucune sorte,mais la présence de Cameron avait sapémonéquilibre–lepeuquej’enavais.

L’honnêtetém’obligeaitàadmettrequ’aufondjeleconsidéraiscommemien.Quandonavaitparléd’unerelationplusintense,jem’étaisrefuséeàévoquerfranchementcettepossibilité,maisc’étaitbiencequejevoulais.Saufquej’avaisenterrédepuislongtempslaMayadontilétaitquestion.TrouverCameronséduisant, pourquoi pas ;maismourir d’envie de reprendre une place pareille dans sonmonde…Lamanièredontj’avaisréagiàlapiquedeRainaprouvaitquej’étaisdéjàsurlapiredespentes.

CAMERON

–Qu’est-cequetuluiasraconté,bordel?Quandjeclaquailaportedansnotredos,lesyeuxdeDarrens’écarquillèrent.–Maisdequoituparles?

Page 86: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–DeMaya.Qu’est-cequetuluiasraconté?Jel’attrapaiparlachemiseetlepoussaicontrelemur.–Jeveuxsavoir,grondai-je,enpleinpicd’adrénaline.Ilmerepoussa,moinsperplexequ’exaspéré,maintenant.–Calme-toiunpeu,OK?–Elleavaitl’airdanstoussesétatsenrepartant.Jesuissûrquetuluiasditquelquechose.–Etmerde!Ilsefrottalefrontensecouantlatête.–C’estRaina.–Quoi,Raina?Jereculaid’unpashésitant,pasfranchementpersuadéd’enavoirterminéaveclui.–Mayam’ademandés’ilyavaitquelquechoseentrevous.Jeluiaiaffirméquenon,maisjeluiai

dit aussi que Raina craquait pour toi. Ça a eu l’air de l’énerver une seconde, pas plus. Après, fini.Ferméecommeunehuître.Ellenem’apasdécrochéplusdetroisrépliquespendantlerestedelaséance.

Jen’étaisquetropconscientdelamanièredontMayapouvaitserepliersurelle-mêmeetdissimulersespensées,maisjenevoyaispascequiavaitpulacontrarieràcepoint.Jefislescentpasdevantlebureau.

– Vu ta réputation, elle s’est sans doute dit que tu lui racontais des craques pour couvrir mesarrières.

–Maréputation?répétaDarren,provocateur,enfaisantlagrimace.Jemeretournaiverslui.–Onestfrères,amis,etonbosseensemble.Ellenem’avaitpasvudepuiscinqans,etjenecrois

pasqu’ellet’aitvu,toi,ici,uneseulefoissansunefemmeàtespiedsouviceversa.Elles’imaginesansdoutequejesuisdumêmegenreetquejelaconsidèrejustecommeuneconquêtedeplus.

–Parcequetulaconsidèresautrement?Tunepassespastontempsàlatripoterdèsqu’ellemetlespiedsici,peut-être?Jenesuispasaveugle,figure-toi.

–Onn’est pas pareils, toi etmoi, ripostai-je entremes dents,même si je ne lui en voulais plusvraiment.

–Ahnon?Etpourquoi?Parcequejen’aiaucuneenviedemerangeretdepondreaveclapremièregrelucheàbaverdevantmoiaprèsunenuitmémorable?

On retint tous lesdeuxnotre souffle, dansun silence tendu.L’heure et le lieuétaientmal choisispourparlerde laconduitedeDarrenaveclesfemmes,cardesproblèmesnettementplus importantsseposaient:quelqu’un–ouquelquechose–avaitinspiréàMayacettefroideurnouvelle.

–Désolé,çan’arienàvoiravectoi,lâchai-jeenfin,mêmesilesmotsmebrûlèrentaupassage.–Excusesacceptées. (Ilseredressade toutesa taille, tandisquesonfrontplissésedéridait.)Tu

n’espasobligédemecroire,maisj’aimeraisvraimentqueçamarcheentrevous.Jen’iraisjamaiscréerdesproblèmesvolontairement.J’espèrequetulesais?

Page 87: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Oui,acquiesçai-je.Maiselle…etmerde!Jenesaispas.Ellesoufflelechaudetlefroid.Ilsuffitque jenous imagine toutprèsderetrouvernotrerelationd’autrefoispourqu’ilsepassequelquechoseentrenousetqu’elles’éloigne,qu’ellem’échappe.Etjenepeuxpasl’enempêcher,parcequej’aipeurdelaperdrecomplètement.Çamerenddingue.

–Çasevoit.(Monfrèrelâchaunrire.)Vousn’avezpascouchéensemble,hein?Jesecouailatête.–Tuaspeurdetoutgâcherenlamettantdanstonlit,c’estça?–Exactement.Jeneveuxpasprécipiterleschoses,luidonnerdesregretsetlafaireflipper.J’enavaisplusqu’envie,maisMayasemontrait tellementréticente.Sioncouchaitensembletrop

tôt, le retour de flammes risquait de l’éloigner de moi à jamais, ce qui s’était passé l’autre nuit leprouvait.

–Tuespersuadéquejenecomprendsrienauxfemmes,maisilmesemblequeMayaestdugenreàsavoircequ’elleveut.Tucroisqu’elleenaenvie?

–Jenelecroispas,j’ensuissûr.Ellen’avaitpasàmeledire,soncorpss’enchargeait.Sesgestesetsesréactionsphysiques,subtils

ounon.J’auraispuenprofitern’importequand,maisjem’étaisabstenu.–Alorsqu’est-cequetuattends,bordel?Tulalaissessetrouverdesexcusespournepassauterle

pasetpourterepousser,alorsquetuasdéjàpeurqu’ellelefasse.–Sijevoulaisjustelasauter,ceseraitdéjàfait.Non,elleméritededécidercequ’elleveutquand

elleveut.Ilyacinqans,jel’aiquittéesansprévenir,sansunregardenarrière.Alorsbiensûr,ellesedemandesic’estvraimentunebonneidée,nousdeux.Moiaussi,franchement.

–Maispasaupointdeneplusl’approcher.–Touché.Darrensecoualatête.–Puisquetupensestellementàelle,tudevraisyalleretvoircommentçatourne,pointfinal.Jesoupirai,aussiépuiséqu’ellemel’avaitsemblécesoirenpartant.J’auraisdonnén’importequoi

pourlarejoindrechezelleetalleraufonddeschoses,maisunenuitderéflexionnouspermettraitpeut-êtrededécouvrircequecestiraillementssignifiaiententrenous.

–Jerentre,Darren.Tupeuxmeremplacer?–Biensûr.Àdemain.Jepartisàpied,plussûrquejamaisdevouloirreconquérirMaya.Laquestionneseposaitmême

pas.Etellevoulaitmereconquérir,elleaussi,rienn’auraitpumepersuaderducontraire.Surlechemindel’appartementetd’unenuitquis’annonçaitblanche,j’enarrivaiàlaconclusionqu’aucunchangementaumondenenousempêcheraitderéussir.

Page 88: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

IX

MAYA

J’avaispassémesderniersweek-endsenboîte,àboireetàm’amuser.Eli,Vanessaetmoi,onsefaisaitunebeautépuisondansaittoutelanuit,qu’ilpleuveouqu’ilvente.C’étaitchaquefoisl’aventure.Qui allions-nous croiser ?Dans quelle débâcle la vodka allait-elle nous entraîner ?À nous trois, onarrivaitengénéralà tirerdeces soiréesquelques fous riresetunehistoire sympa. J’auraispréféréenoubliercertaines,biensûr.Aurythmeoùj’yallais,ceseraitpeut-êtrelecasdecelle-ci.

Laplupart du temps, l’excitationquim’envahissait pendantmes préparatifs faisait déjà partie duplaisir,maisiln’enallaitpasdemêmeaujourd’hui.Unepartdemoiredoutaitd’introduireCamerondansmonunivers:jen’avaispasenviequ’ilendeviennelecentre,cequiseproduisaittoujoursquandilétaitlà.Peut-êtrecettesortieallait-elleluiprouverquejen’étaispasdel’étoffedontonfaitunecompagneetle convaincre de laisser tomber. À partir du moment où je commençais à boire, il pouvait arrivern’importequoi.

–Tuenasencorepourlongtemps?Elipassalatêtedansmachambreetmetenditunverredevinquejem’empressaideprendre.Je

devaismedébarasserdemonangoisse, laquelledevenaitheureusementdeplusenplus floue,mêmesij’avaisencorel’estomacnoué.

–Non,jesuispresqueprête.–Tuessupersexy.Il souriait, très séduisant lui-même en pantalon de cuir et tee-shirt noir près du corps. Son gel à

cheveuxavaitétéappliquéavectalentetsoneye-liner,presqueaussilibéralementquelemien.Jetrituraiunefoisencoremesmèchesrebelles.J’avaisquantàmoiutiliséassezdegelpouravoir

l’air ébouriffée par le vent, y compris si je passais toute la soirée à me déchaîner. Minirobe rougemoulante,eye-liner,ombreàpaupièresetmascaragénéreusementdoséscomplétaientmonlook–ilmefaudraitvérifierrégulièrementquejen’avaispasdesyeuxderatonlaveur.

–JesuisprêtàparierqueCameronnet’ajamaisvuehabilléepourallerenboîte,repritEli.Sansrépondre,j’ornaimesoreillesdecréolesscintillantes.Ils’appuyaàl’encadrementdelaporte.

Page 89: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Qu’est-cequisepasseentrevous?Vousfaitestoujourscommesivousnemouriezpasd’enviedecoucherensemble?

–Onnepeutpass’empêcherdesetripoter.Çavatropvite.–C’estlapremièrefoisquejet’entendsteplaindredeça.Jelevailesyeuxauciel.–Désolémais,franchement,jenet’aijamaisvuetetorturercommeçaàcaused’unmec.Jamais.–Parcequelesmecsaveclesquelstum’asvueneressemblaientpasàCameron.(Jesoufflaiparle

nezenagitantnerveusementmontubedemascara.)Àlasalledegym,j’aifaillipéteruncâbleàcausedela prof de yoga.Elle craque sur lui, et çam’a fichuun sacré coup.Onn’estmêmepas officiellementensemblenirien,maisjesuisprêteàdécoupern’importequienrondelles.Cen’estpaspossible.

–Quoiqu’ilsepasseentrevous,lefaitquevousayezdéjàétéamantsnelerendraqueplusintense.– Je sais, mais je me croyais capable de garder le contrôle. Alors que non, pas du tout. Mes

sentimentspourluiseréveillent,etjeneveuxpas,pasencore.–Tessentimentspourluionttoujoursétélà.–Jen’enaipas toujoursétéamoureuse,et j’aimeraisbiencontinuerànepas l’être,aumoinsun

moment.–Tun’aimeraispasavoirunesecondechance…aveclui,jeveuxdire?–Unepartdemoiaimerait,oui,jelereconnais.(Jesoupirai,lecœurserréparcequej’allaisdire.)

Maissijem’autoriseàretomberamoureuseetqueçanemarchepas,ilneresterapasassezdemoipourquejemereconstruise.

Radouci,Elimepritlamainetlaserrabrièvement.Sonsilenceétaitéloquent:j’étaisdéjàenvracauquotidien, jen’arriveraispasàmetirerunesecondefoisd’unedésolationpareille.PasquestiondelaisserCameronmetoucheraucœur;jenepouvaispasmelepermettre.

–Qu’est-cequetuvasfaire?repritEli.– Je n’en sais rien. Il y a une telle tension sexuelle entre nous que je n’arrive pas à réfléchir

clairement.–Etdonc…– Jevais peut-êtreme saouler àmort ce soir, coucher avec lui, et voilà.Medébarrasser de ces

interrogationsetpasseràautrechose.Penchéeversmonmiroir,jemepassaiunglossclairsurleslèvres,avantdelespincer.Enfinde

compte,lasemaineécouléeseréduisaitàunesuitedemomentsoùs’étaitaiguiséel’attractiondeplusenplusvivequinouspoussaitl’unversl’autre,Cameronetmoi.Laconclusionensemblaitinévitable.Sijemeretrouvaisivremorteàl’entraîneraulit,tantpis.

–Waouh,tuterendscomptedecequetudis?Tuenparlescommed’uncoupd’unsoir,alorsqueçan’arienàvoir,tulesaisaussibienquemoi.Tul’asdittoi-même,d’ailleurs.

– Il est peut-être temps que je commence à y penser de cette manière, répondis-je avec unhaussementd’épaules.Siçasetrouve,j’aieutortdenepaslefaireplustôt.C’estpourçaquejen’aipasdecopain,Eli.Exactementpourça.Là,j’aibaissémagarde,j’aibienvoulucroireàunrapprochement,à

Page 90: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

causedecequ’onavaitétél’unpourl’autre,luietmoi,maisfranchementjen’arrivepasàgérer.Sansdoutevaut-ilmieuxpournousdeuxqu’onenresteaustadedevaguesconnaissances.

Jefermailespaupièresdetoutesmesforces,furieusedesémotionsquimesecouaient.Impossibled’êtreobjectivesurlesujet!J’avaispourtantréussicinqansdurantàfermermoncœurauxhommes.

L’interphonesonna.–Vanessa,jesuppose,ditEli.Underniercoupd’œilaumiroir,puisjevidaimonverreencherchantàmerassurer:Toutirabien.

Maisonétaitsamedisoir;j’ignoraisdequoilesprochainesheuresseraientfaites.

CAMERON

Darrenetmoinousétionsattribuéuncanapéd’angle,danslebarsituéenfacedelaboîte.Pendantqu’onsirotaitnotrebièreensilence,jetournaisetretournaisdansmatêtecequ’ilm’avaitditlaveille.Çamecontrariaitdepenserdubiendelui,maisc’étaitexactementcequej’avaisenvied’entendre.

J’ignorais ce qu’il allait se passer ce soir, mais j’étais bien décidé à informer Maya de messentiments.Avec un peu de chance, la sortie se terminerait chezmoi, où je lui en ferais carrément ladémonstration.C’étaitpeut-êtrerisqué,maisnoscorpss’exprimaientparfoisnettementmieuxquenous.Jen’avaisjamaisregrettélesnuitspasséesdanssonlit,etj’étaisprêtàparierquerienn’avaitchangédecepointdevue-là.Soncorpsm’obsédait,desvisionsde sanuditéobscurcissaientmespensées ;monsexetressaillit.

Darrenme ramenaà la réalitéd’uncoupdecoude : elleapprochait, accompagnéed’Elietd’unebellerousseauxlonguesjambes.SansEli,d’ailleurs,jen’auraispeut-êtrepasreconnuMaya.Elleétaitépoustouflante,maisdansungenrevraimentnouveaupourmoi:trèsmaquillée,coifféeenpétard,mouléedansunerobequiluiarrivaitàmi-cuisse.Jeladétaillaidelatêteauxpieds,parfaitementconscientdestypes innombrables qui en feraient autant ce soir-là.Mon cerveau n’était déjà plus capable que d’unechose:imaginerquejeluiremontaissarobe,avantdenouersesjambesàmataille.

Le silence confortable qui nous unissait,Darren etmoi, explosa en un babillage volubile. Jemelevaipoursaluerlesarrivants,prisMayaparlatailleetl’attiraicontremoiafindeluiposerunbaisersurlajoue.

–Tuesépoustouflante.–Marobeteplaît?–Ellem’épate.Maisjenesaispastropsij’appréciequelerestedumondetevoiededans.La répliquemevalutunpetit sourire.LecorpsdeMaya sepliait facilement àmonétreinte, plus

détenduqued’habitude.–JevousprésenteVanessa,mameilleureamie,lança-t-elleenmontrantlarouquine.Darrens’empressadeluiserrerlamain,sonsouriredeséducteurauxlèvres.–Ravidefairevotreconnaissance.

Page 91: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Demême.Elle souriait, elle aussi, le rose aux joues. Ses yeux verts oscillèrent entre mon frère et moi,

étincelants,avantdes’attardersurlui.Mayaéchappaàmonbrasetselaissatombersurlecanapéd’enface,oùelleattiraautourd’elleEli

etVanessa.Vexédelamanièredontelles’étaitécartée,jereprisplaceàcôtédeDarren,mabièreàlamain,pendantquelesnouveauxvenussepenchaientensemblesurlacartedescocktails.

MonregardrefusaitdesedétacherdeMaya.Maintenantqu’elleétaitassise,sarobenelaissaitplusbeaucoupdeplaceàl’imagination.Jem’imaginaiglisserlamainlelongdesacuisse,jusqu’àlaculottenoirequej’auraisjuréavoirvuequelquessecondesplustôt.

Darrenpoussaunlongsifflementbas.–Lavache…J’adore,murmura-t-il,tropbaspourquelesautresl’entendent.SonregardàluinequittaitpasVanessa.Jemedétendis,soulagéqu’ilnes’intéressepasàMaya.Sa

copine,occupéeàpassercommande,nesemblaitd’ailleurspasconscientedel’évaluationlibidineusedemonfrère.Ilrisquaitdesemontreruncoéquipierminable,cesoir,maisjen’enavaispasvraimentbesoinnon plus, même si sa compagnie me rendait un peu plus supportable l’idée d’aller en boîte.Malheureusement,oncommençaitdéjààdescendrelapente.

–TunepourraispaséviterdesauterlameilleureamiedeMayaetdemecompliquerleschoses,s’ilteplaît?luidemandai-jedansunmurmure.

– Tu veux vraiment essayer de m’en empêcher ? répondit-il, visiblement agacé, sans cesser dedétaillerVanessa.Mmm…Tucroisqu’elleabeaucoupd’amies?

–Cherche-toiuneautreproie.Ildoitbienyavoirunepauvrefilleassezsaoulepourcoucheravectoi.

–Va te faire foutre,mec. (Cette fois, il avait l’air franchementvexé.) Jenesuisni superficielnidésespéréàcepoint-là.

Jenousvoyaisparfoiscommelesdeuxfacesd’unemêmemédaille:sesnombreusesconquêtessansimportance me laissaient froid, et il ne comprenait pas ma détermination à sauver la seule relationamoureuseàlaquellej’aiejamaistenu.

–Bon,OK,jeseraisage,ajouta-t-il,sansquitterdesyeuxlesjambesmuscléesdeVanessa.–C’est-à-dire ? (Je nevoyais pas trop àquoi il s’engageait.)Tuvas te faire passer la brosse à

reluire,avantdelaissertombermademoisellecommeunevieillechaussettesousprétextequejet’interdisdelasauter?

–Maisnon. Jevaismemontrer aussi charmantqued’habitude, et onva tous s’amusergentimententreamis.C’estassezvertueuxpourtoi,lepetitvieux?

Monscepticismenefitquecroître:àmaconnaissance,Darrennecôtoyaitlesfemmesquedansunbutbienprécis.

–Jevaisrestercorrect,jet’assure,insista-t-il.J’aicompris.Jen’aimepastellementlesdramesnonplus,etsitut’obstinesàfréquenterMaya,jen’aiaucuneenviedecréerdestensions.

Ils’interrompitpourquejeluidonnemonfeuvert,cedontjemegardaibien.

Page 92: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Jesuiscapabledediscuteravecunefemmesansessayerdelasauter,tusais.Etvoilà,ilétaitvexé.Tantmieux.Autantqu’ilaitconsciencedusérieuxdelasituation.–Bon,acquiesçai-je.Pourvuqu’iltienneparole…Quandlestroisautreseurentterminéleurscocktailsetunetournéed’alcoolsforts,jesavaiscequi

n’allait pas chez Maya : elle était saoule. Elle s’appuyait en permanence contre Vanessa ou Eli,confortablementcoincéeentreeux,etelle riait trop fort.Un rireadorable,demêmeque l’éclatdesesyeux,maisquinedissipaitenrienl’inquiétudeprotectricequ’ellem’inspirait.

–Ondevraitpeut-êtreyaller?proposai-je,dansl’espoirdel’aideràseressaisir,plustard.Aprèstout,ellem’avaitditqu’elleaimaitpasserlanuitàdanser.–Oui,oui,allons-y!acquiesça-t-elleenselevantd’unbond.Del’autrecôtédelarue,unelonguequeues’étaitforméeàl’entréedelaboîtedenuit.J’étouffaiun

gémissement:resterplantésdehorspendantdesheuresnelaissaitpasaugurerunebonnesoirée.–Heureusementqu’onn’estpaspressés!–Net’inquiètepas,cen’estpaspournous.Viens.Mayaréussitàattirerl’attentiond’undesvideurspostéssurleseuil.Illuifitsigne,etelleallase

jeterdanssesbrasletempsdeluifairelabise.–Salut,Paul.–Salut,mapuce.Çava?–Trèsbien.Quandjem’approchai,ilmesaluad’unhochementdetêteenmetendantlamain–quejeserraidans

leseulbutdel’empêcherdetripoterMaya.–Bonsoir.Cameron.Monlaconismes’expliquaitparmesdentsserrées.–Enchanté.UnpotedeMaya,hein?Cefutàmontourdehocherlatête.Unpote,oui.Plusoumoins.–OK,allez-ytous.–Merci,Paul.Elle lui glissa un billet dans la main sans cesser de sourire. Le vacarme de l’établissement

l’engloutit.Je la suivis au cœur du fracas, bien décidé à ne pas la perdre de vue, jusqu’à une salle qui se

remplissaitrapidement.Ellenousentraînaaussitôtjusqu’àuncoinsalonassezvastepournotregroupe,oùDarrens’installasanshésiterentreVanessaetEli–lequeldutdevinercequ’ilmijotait,carildisparutquelquesinstantsplustardparmilesdanseurs.

Uneserveuses’approchaetsepenchaversMayapourprendresacommande.–Qu’est-cequetubois?medemanda-t-elle.–UnCocalight,çaira.–DeuxJackDaniel’sCocaetunJägermeister,lança-t-elleàl’employée.

Page 93: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Tudémarresfort,constatai-je.–Jenevaisquandmêmepastelaisserboiredusoda.Ons’installaconfortablement,l’unàcôtédel’autre,monbrassursesépaules,mamaineffleurant

sonbrasnu.Elleselaissaallercontremoietsemitàtracerdepetitscerclessurmonpantalon,auniveaudugenou.Sonénergieéclatantevacillait.

Jeresserraimonétreintepourlarapprocherdemoi.–Qu’est-cequipeutbiensepasserdanstapetitetête?commençai-je.Mais jen’euspas le tempsdepoursuivre :sesyeuxseposèrentsurVanessaetDarren,àprésent

collésl’unàl’autre,l’unehilare,l’autreluichuchotantàl’oreille.Pasdedoute,ilrestaitcorrect.–Qu’est-cequileurarrive?s’enquitMaya.Jemefrottailementon.–Rien,j’espère.Ilm’apromisd’êtresage.Le retour de la serveuse l’empêcha de me répondre. Maya vida d’un trait le petit verre de

Jägermeisterpuismetenditundeswhiskys-Coca.C’étaittoutjustesiellem’avaitregardéenfacedepuisnotrearrivéeenboîte.Jen’allaispastenircommeçatoutelanuit.

–Quelquechoset’acontrariée?demandai-je.Seslèvresfrémirent.–Non,jem’amuse.C’estmamanièreàmoidem’amuser.Monverreétait encorepleinque le sienétaitdéjàvide.Sesyeuxerraientà travers la salle sans

jamaisseposervraimentsurriennipersonne.Je l’attrapaipar lementonpour tournersonvisageversmoi.Sonregardétincelait,sapeauempourpréeétaitbrûlante.

–Jenesaisjamaisàquoitupenses.–Arrêted’essayerd’entrerdansma tête, répondit-elle en repoussantmamain.Tune t’yplairais

pas,detoutemanière.–Jesuissûrquesi.Ellebaissalesyeuxverssespropresmains,quitripotaientletissugaufrédesarobe.–Personned’autren’ajamaisautantessayé.Jenecomprendspascequitepousse.–JenesuispasM.Tout-le-Monde,jecroyaisquetulesavais,depuisletemps.–Cen’estpeut-êtrepascequejeveux.–Qu’est-cequetuveux,alors?Ellesemordillalalèvreensoupirant.–Ilvaudraitmieuxrestercoolpouréviterdesefairedumal.–Tacoolitude,çaconsisteàtraiternotrerelationpar-dessouslajambe,c’estça?Lorsqu’ellerelevalatête,sonregardpénétrantmeparalysalittéralement.–C’esttoiquil’astraitéecommeçaautrefois,alorspourquoin’enferais-jepasautantmaintenant?Uncoupdepoingdansleventren’auraitpasétépire.Jeserrailesdentsavantderépondre:–Jepourraisterenvoyerlaballe.Tun’aspasétéseuleàsouffrir,tusais.–Jevaismechercheràboire,dit-elleenselevant.

Page 94: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Tudevraispeut-êtreyallermollo.–Tudevraispeut-êtretemêlerdetesaffaires.Surcesmots,ellesefonditdanslafoule.

MAYA

Accoudéeaubar,JiaattendaitqueleserveurluiapportesonMartini.Jeluiavaisenvoyéuntextodèsquej’avaislaissétomberCameron,etelleétaitarrivéepeuaprès,grâceautraitementdeVIPqueluiavait réservé Paul.Heureusement : elle allaitme tenir compagnie, puisquema relation avecCamerons’était sensiblement dégradée au fil de la soirée. Peut-être d’ailleurs aurais-je dû m’en réjouir. Elivaquait à ses propres affaires,Vanessa était tombée entre les griffes deDarren,mais une ivresse nonnégligeablem’y rendait de plus en plus indifférente. Cette nuitm’appartenait, et personne, pasmêmeCameron,n’allaitmelagâcher.

–Tuestouteseule?demandai-je.– Oui, ma copine a déclaré forfait. Peu importe. Ça a l’air super, comme endroit ! Tu viens

souvent?–Laboîtefaitpartiedemoncircuit.–Tuesravissante.Souriante,Jiapassaledoigtsurleruchédemarobe.–Merci.Toiaussi.Corsage sans manches, jean moulant, cheveux flottant librement : son allure décontractée me

déconcertaiténormément.Mais,àvraidire,jetrouvaistoutaussidéconcertantdeluiapparaîtreentenueduweek-end.Ilmesemblaitmedévoilerainsiàunmondequinemevoyaitjamaissouscejour-là.Unmondequ’ellereprésentaittoujours,malgrélavagueamitiéquinaissaitentrenous.

–Chaquefoisquejecroisedescollèguesendehorsdutravail,çamefaitfranchementdrôle,avouai-je.Quelquepart,j’aisansdoutel’impressionqu’ilsdormentencostumeoutailleur.

–Jen’endoutepas,s’amusa-t-elle.Maistuseraissurprisesitusavaiscequecachetoutcesérieux.Ellearquaunsourcil,unpetitsourireauxlèvres,etjenepusmeretenirderire.Personneaubureau

nem’intéressaitlemoinsdumonde.Laseulepenséedevoircequisecachaitsouslesérieuxd’untypecommeKevinDermottmedonnaitlanausée,tantjedétestaiscesalopard.

–Tuesavectonfameuxex?Jelevailesyeuxaucielengémissant,telleuneadolescenteenpleinecriseexistentiellequesamère

aurait accompagnée au centre commercial. Heureusement, la musique tonitruante couvrit mongémissement.Unepartiedemoiregrettaitd’avoirentraînéCameronenboîte;àl’autreboutdelasalle,ilregrettaitsansdoutedes’yêtrelaisséentraîner.

–Ilestlà,oui.–Çan’apasl’airdet’enchanter.

Page 95: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Disonsquejenedélirepasd’enthousiasme.–J’endéduisquevosretrouvaillesnesepassentpasbien.–Jenesaispas,avouai-jeensecouantlatête.C’estcompliqué.Jen’avaisaucuneenviededonneràJiadesexplicationsdétaillées.Pasmaintenant.–Maisjeneveuxpasypenser.Cesoir,jeneveuxpenseràrien.(J’agitailamainpoursouligner

monpropos.)Lasemaineaétélongue.Toutcequejeveux,c’estm’amuser.–Buvonsàcettebonnerésolution.Elle leva son verre, contre lequel je fis tinter le mien, avant de boire d’un trait une dose

supplémentairedeparadis.Ensuiteseulement,jeparcourusleslieuxduregard.Lebarilluminédebleuétaitentourédeclients

quidiscutaientgaiement.Lamusiquetonitruantevibrait jusquedanslemoindrerecoindepénombre.Jem’aperçussoudainquejesouriais,malgrémaprisedebecavecCameron;voilà,ilétaitarrivé,l’instantparfaitoùlanuitrecelaittouslespossibles,celuiquej’auraisvouluprolongeràjamais.Bonheurliquide,excitation,perspectivedemeperdretoutentièredanslesrythmeshypnotiquesetlecoursinéluctabledesévénements.Telleétaitmaliberté.

–Allonsdanser!criai-jeàJia.Elleacquiesça,souriante,vidasonverre,mepritparlamainetm’entraînasurlapiste,oùonjoua

descoudesdanslafoulehétéroclitejusqu’aumomentoùsarésistances’évanouit.Lapulsationprofonded’unmorceaudeLadyGagas’installa,lachanteusedisantàuntypequelconquedefairecequ’ilvoulaitde son corps. Je me mis à fredonner, séduite. Peut-être entraînerais-je Cameron au lit, malgré tout.Qu’est-ce que ça pouvait bien faire ? Raina en aurait pour son argent, et il garderait quant à lui lesouvenir de nos retrouvailles, parce qu’il ne serait plus question de se revoir, après. Autrement, jeretomberaisamoureuse.Sûretcertain.

Latêtemetournait; jemesentaispluslégèrequedepuisbienlongtemps,decorpsetd’âme.Oui,bien longtemps…Lesyeuxclos, jeme tendisvers lecielet laissaimeshanchesondulerau rythmedupoulsmusicaldévorant.

Quelqu’unme heurta par-derrière, interrompant l’instant parfait, me propulsant contre Jia. Je neperdispasl’équilibre,maisellepassaautourdematailleunbrasprotecteuretnemelâchaplus,commepourmegarderàsoncôté.Noscorpssefrôlaient,nosjambessemêlaientmaladroitement,animéesparunmêmerythme,samainlibreglissaitsurmarobe,dessinantmacuissed’ungestedélicat.

Son regard rivé àmoime donnait cette impression haletante quim’empoignait quand il allait seproduirequelquechosedefort.

–Vas-y,embrasse-la!Le type était là, juste à côté de moi. Jeune, chemise blanche au col déboutonné et pantalon de

costume,sourirestupided’ivrogne.Pasmal,maisennage,etentouréd’untroupeaudesessemblables.Fascinéparnotrenuméro.

Jiametournaànouveaulatêteverselle,puissondoigtlégerdescenditlelongdemajouejusqu’àseposersurmalèvreinférieure.Lorsqu’ellehumectalasiennedemanièresuggestive,jecompris.Elle

Page 96: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

allaitm’embrasser.Etj’allaislalaisserfaire.Lanuitm’appartenait,etl’occasionseprésentait,àlafoisdéstabilisanteetséduisante–assezséduisanteentoutcaspourquejefermemesoreillesauxinconnusquiscandaient«Vas-y,vas-y,vas-y»autourdenoustandisquenosbouchessetouchaient.

J’inspiraibrusquement.Sonparfumcoûteuximprégnaitlemuscbrûlantdelafoulealentour.Unedesesmainsmefrôlalapoitrine,pendantquel’autrerelevaitdequelquescentimètresl’ourletdemarobepourpermettreàsesdoigtsd’escaladermajambe.Legestedéclenchadeshurlementsdeloups.Jesourissous lebaiser :un rire idiotenflaitenmoià lapenséeduspectacleépoustouflantqu’ondonnaitànosnouveaux admirateurs. Mon excitation s’évanouit pourtant dès que des mains moites se posèrentmaladroitementsurmescuisses,tandisqu’uneérectionbrutalesepressaitcontremesfesses.

Mesyeuxserouvrirentaussitôt,maislebutorhurlaavantmêmequejepuisselerepousser,puissescopainsluifirentéchoens’écartantdemoi.

CAMERON

JemecontraignisànepasoubliermaforceendécollantcepetitsaloparddeMaya.Sespotesetluifirentbrièvementminederésister,letempssansdoutedeserendrecomptequelepluscostaudd’entreeuxpesaitvingtkilosdemusclesdemoinsquemoi.Àeuxtous,ilsauraientpumeposerproblème,maispasreprésenterunréeldanger.

RestaitlafilleenchevêtréeàMayaavecindécence,maisellen’avaitpasl’airabrutieparl’alcool,aucontraire:l’intelligencebrillaitdanssesyeuxsombres,quimeparcouraientdelatêteauxpiedsd’unregardévaluateur.Lentement,elle s’écartadeMaya,que j’attrapaipar lepoignetpour la fairepivoterversmoisansdouceur.

–Maisqu’est-cequetufous,bordel?Uneragenoirem’avaitenvahiquandj’avaisvudansquellesituationelles’étaitfourrée:ellevenait

quandmêmedesefairetripoterparunpaquetd’inconnus,cequiétaitinacceptable!–Jepeuxteposerlamêmequestion.Elleregardaitsonpoignet,serrédansmonpoing.Jelelâchaidèsqu’elleletorditpourlelibérer,

maismoncorpsvibraittoujoursd’adrénaline.Uneinspirationpuissantemesoulevalapoitrine.Letsunamidefureuravaitlaisséenseretirantdes

flaquesclapotantes.–Jevoudraisteparler.–Jedanse,là.Jeterejoinsànotretabled’iciunmoment.La voix sèche et les traits crispés deMaya trahissaient son agacement naissant,mais je n’allais

certainementpasm’enaller.–Trèsbien,dansons,alors.Jeluiposaisurlahancheunemainprotectricepourl’attireràmoi.

Page 97: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Son mécontentement céda devant une émotion que je n’aurais su définir, tandis qu’elle hésitaitmanifestement à accepterma proposition. Ses admirateurs s’étaient dispersés, après quelques regardsnoirsetgestesinsultants.

Ellemetournaledos,letempsdedirequelquechoseàlafille,quiacquiesçaetmejetaundernierregardparfaitementcalmeavantdeseperdredanslafoule.J’enprofitaipourattirerMayacontremoi–plusprèsqu’ellenel’avaitétédesacopine.

Tuesmienne.Lesbrasposéssurmesépaules,ellemepassalesdoigtsdanslescheveux.Nosmouvementsd’une

extrêmelenteurtransformaientlahousemusicenunslowquepersonned’autren’avaitl’aird’entendre.Jel’étreignisetapprochailabouchedesonoreillepourdemander:–Quiétait-ce?–Çan’apasd’importance.Ilmesembladistingueruneombred’embarrasdanssesyeuxavantqu’ellelesdétourne.Mesdents

seserrèrent,carlapossessivitésedéchaînaitenmoi.Puissonregardrevintaumien,tandisquesesmainsdescendaientsurmontorse.

–Tuespleinedesurprises,entoutcas,permets-moideteledire.–Tuesjaloux?Sonsourireinsolenteutledondem’exaspérer.Jel’auraisbieneffacéd’unbaiser.–Jedevrais?–Non,tun’enaspasledroit.Ellerelevaitlatêted’unairdécidé.Lapetitemaligne.–Jevoudraisl’avoir.–Ilvafalloirt’habitueràêtredéçu.–Etsijetefaischangerd’avis?Jerepoussai lescheveuxqui lui tombaientdans lecouavantdepromenermes lèvressursapeau

brûlante.Jepouvaisjoueràcejeu-làaussibienqu’elle.–Tunepeuxpas,répondit-elleens’affaissantunpeucontremoi.Savoixvacillantemefitsourire.–Mets-moiàl’épreuve.Laboucheouvertedanssoncoupourlasavourerduboutdelalangue,jeluiserrailesfessesàdeux

mainsenlaplaquantfermementcontremacuisse.Ungémissementfitvibrertoutsoncorps.Sesseinssesoulevaientet retombaientau rythmed’unsouffle rapide, sesmainserraient surmon

torse…Incapabledemeretenir, jem’emparaidesaboucheenrassemblant toutemapossessivitépourl’embrasseràperdrehaleine.Sespoingssecrispèrentsurmachemise,pendantquesadanselangoureusesemuaitenondulationsquicollaient soncorpsminceet soupleaumien.Queldommagedese trouverdans une salle bondée ! Nous aurions dû être dans mon lit. Pas question d’attendre davantage ni dequémander.

–Jet’emmènechezmoi.

Page 98: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

X

MAYA

Cameronmelâchapourouvrirlaportedesonappartement.Jem’avançaientitubant,maismeshautstalonsmefirenttrébuchersurleseuilettomberàl’intérieur,oùjeroulaisurledos,pendantquemonrirealcoolisérésonnaitdansl’obscurité.Lesolfraisétaitparfaitementlisse,etçasentaitleneuf,peut-êtrelapeinture.

–Oùest-cequ’onest?Mavoixdébordaitd’émerveillement,commesionvenaitd’arriverenunlieuaussimystérieuxque

fabuleux.Pourquoipas,d’ailleurs?Jen’ensavaisrien,vuquej’avaisbasculédurantletrajetentaxi:jen’étaisplusfollementexcitéeetexcitable,maisincroyablementsaoule,toutjustecapabledetenirdeboutgrâce à l’appui offert par le corps puissant de Cameron. Eh bien, tant pis. En fait, j’étais toujoursfollementexcitée.

–Autroisièmeétagedemonimmeuble.Oliviavitaudeuxième.C’estencoreentravaux,alorsnefaispasattentionaudésordre.Allez,viens.

Je n’y voyais rien, derrière mes paupières closes, mais peu m’importait. Le sol était plusconfortablequejenel’auraiscru.Jesuisvannée,bordel.

Cameronmepritparlamainpourmehissersurmespieds,meserrantsifortcontresapoitrinequejenetouchaispresqueplusterre.Jenepouvaispresqueplusbougernonplus.

–Tuvasarriveràmarcher?Jegloussai,latêteposéesursonépaule.Ceseraitsuperdemeretrouvercoincéeaveclui–avecsa

chaleur et sa force inouïe. Ilmeportait si facilementque jeme sentais légère commeuneplume.Sonétreinteserelâchaquandilmeglissal’autrebrassurleshanches,meréchauffantlecreuxdesreins.

–Çavaaller?insista-t-ilenposantunbaisertendresurmonépaule.Jerépondisd’unfredonnement,attentiveautiraillementfamilierquesoncontactéveillaitenmoi;

mais comme je ne pouvais me rapprocher davantage de lui, je levai juste la tête pour l’embrasser.Toutefois,quandj’essayaideforcerlebarragedeseslèvres,ils’écarta.

–Tunem’asquandmêmepasamenéeicijustepourmeborder,si?

Page 99: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Aulieuderépondre,ilmeserraànouveaucontrelui.Levisageenfouidanssoncou,engloutieparson odeur d’épices et de santal, je promenai en ronronnant la langue sur sa peau puis lemordis avecforce.

Ilmerepoussaparlesépaulespours’éloignerdemabouchevorace.–Ilfautquetudormes,Maya.Tuastropbu.–Toutlemondes’enfout,non?–Moipas.– Est-ce que par hasard tu essaies de me dire qu’en sortant avec moi ce soir tu n’avais pas

l’intentiondememettredanstonlit?–Jenesavaispasdutoutàquoim’attendrecesoir,répondit-ilensecouantlatête,maisjepréfère

éviterdecoucheravecdesfemmesquasiinconscientes.–Biensûr.Lesyeuxauciel,jem’écartailégèrementdelui.–Tunemecroispas?–Peu importe. (J’agitai lamain,écoeuréeparcette rebuffadeet tout l’alcoolque j’avaisbu.)Tu

n’espasintéressé.Jecomprends.Sesyeuxbleusétincelantss’écarquillèrent.–Oh,jesuisintéressé,crois-moi.–Peut-êtreRainaest-elleencoredebout.Cettepetitemerveillet’attendsansdoutepatiemment.Jene

doutepasquetulagardesauchaud,aucasoù.–Tuesjalouse?s’enquit-il,ungrandsourireauxlèvres.–Absolumentpas.Etvoilà.Ilprenaitl’avantage.–Tueslibredecoucheravecquituveux,etmoiaussi.Sonsouriredisparut,tandisquesonregardgagnaitensérieux.–Tumel’asprouvéonnepeutplusclairementcesoirmême.Quiétaitcettefille,d’ailleurs?Tula

connais,aumoins?–Elles’appelleJia.Onbosseensemble.La prétendue justification de ma conduite exhibitionniste flotta jusqu’à Cameron avant de me

revenir,aussiidioteàmesoreillesqu’elleavaitdûleparaîtreauxsiennes.–Waouh!souffla-t-ilensepassantlamaindanslescheveux.Saréactionm’arrachaunbreféclatderire,puisjefisunpasenarrièresurmesdangereuxtalons

hautsetclignaidesyeuxdansl’espoirdemieuxdistinguercequim’entourait.Iln’yavaitriendepirequecesivressesvertigineuses!Commentenétais-jearrivéelà,unefoisdeplus?Merdemerdemerde.

–Jenesuisplusunejeunevierge,Cameron,repris-jeaprèsm’êtreéclaircilavoix.Alorsfinissons-en.Jesuisnavréequetuaiesassistéàmadéchéance,maisquedire?Jesuispleinedesurprises,pourreprendretesproprestermes.

Page 100: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Tuneveuxpasarrêterunpeu?Toutcequejedis,c’estquetudevraisavoirunpeuplusd’estimedetoi-même.Tues là,sur lapiste,supersexy,avectousces inconnusquiessaientdete tripoter…Tuaimesvraimentjouerlesallumeuses?

–Toiaussi,tuessayaisdemetripoter.Qu’est-cequeçanousapprendsurtoi?Jeluitapotailetorseàtraverssachemise.Sesmusclesd’acierarrêtèrentmondoigt.–Jenesuispasuninconnulibidineux.Jet’aitenuedansmesbras,Maya.Jet’aiaimée.Tunecrois

pasqueçamedonneledroitdetetoucher,surtoutquandtuenasenvie?Tunepréfèrespasquecesoitmoi,plutôtquequelqu’unquetuneconnaisnid’Èvenid’Adam?Àmoinsqueçanefassepartiedetaroutineduweek-end?Partirenboîteàlarecherched’unplancul,hommeoufemme?

La tristesse de son regard sur ces derniers mots me serra le cœur, mais je ne voulais pas dujugement de quelqu’un qui n’avait aucun droit deme juger.Des larmesme piquèrent les yeux, tandisqu’unmélangeatrocedehonte,d’embarrasetdefureurmesoulevait.

– Je préfère une succession de plans cul qui prennent ce qu’ils veulent,me donnent ce dont j’aibesoin et ne portent aucun jugement surmoi le lendemain à un type quime regarde de cettemanière,commes’ilfallaitêtreuneputepourdanseretaimerça.Vatefairefoutre,avectesdiscoursdecuré!

J’avaisparfaitementledroitdemeconduireenfemmelibérée,siçamechantait!C’étaitleprincipeauqueljemecramponnaisdansl’espoirderanimermonestimedemoi-même,tombéeplusbasqueterre.Matiradeterminée,jefisvolte-face,vaguementconsciented’avoirlâchémonsacàmainenentrant,alorsquej’enavaisbesoinpourrepartir.Rien.

–Jem’envais.On se trouvait maintenant dans une chambre spacieuse, dont j’entrepris d’examiner le moindre

recoin.Une petite lampe de chevet jetait une lumière chaude sur le lit blanc, lesmurs immaculés, leparquetchaleureuxet lesquelquesmeublesanciens.VoilàoùdormaitCameron.Jefermaiunesecondelesyeuxà lapenséedescentainesdenuitsqu’ilavaitpassées ici,plusprèsdemoique jene l’auraisjamaiscru.

–Pasquestion.Tuessaoule.Tutecouches,jeteramèneraicheztoidemain,répondit-ild’unevoixrauque.

Jemeretournaibrusquement,sitôtrécupérémonminusculesacàmain.–Jenesuispastropsaoulepourprendreuntaxi,ripostai-jesanséleverlavoix.Heureusement,lacolèrem’éclaircissaitl’esprit.–Àuneheurepareille,unsamedisoir,si.Ladiscussionestclose.Tiens.Ilpritdansunplacardquelquechosequ’illançasurlelit.Untee-shirtblanc.–Tachemisedenuit.Sa tranquillité et son assurance – il s’imaginait vraiment que j’allais rester du seul fait qu’il

l’exigeait–prêtaientàrire.–Tunepeuxpasmegarderenotage,espècedeconnardprétentieux.Ilcroisalesbrassursapoitrinemusclée,lesdentsserrées,maisuneombredesourireauxlèvres,

provocant.C’étaitbeletbienunconnardprétentieux!

Page 101: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Mon exaspération croissante m’avait dessaoulée, mais la tête me tournait toujours pendant quej’examinaissongrandlit.Franchement,l’idéederentrerchezmoinemetentaitpas–encoremoinspeut-êtrequecelledesatisfairesesexigences.Plantéetrèsdroitesurmeshautstalons,afindenepasperdrel’équilibre,jeréfléchisauproblème.

–Ettoi,oùtudors?m’enquis-jeenfin,dutonleplusindifférentpossible.–Ici,avectoi,répondit-ilenmontrantlelitdumenton.J’éclataiderire.–Benvoyons!Jevaisprendrelecanapé,alors.Jemedébarrassaidemarobepuisdemesescarpins,tropivreettropexaspéréepourmesoucierde

manudité.Cefutvêtueseulementdemonminusculestringnoirquejecontournailelitendirectiondutee-shirt,maisCameronleramassaavantmoietlerebalançadansleplacard.

–Mets-toiàl’aise.–Tumedonnescefoututee-shirt,outum’obligesàm’exhiberdanstouttonappartementcommeune

marionnette?Sabouchesecourbaetilpinçaleslèvres.–Tuveuxbientecalmer,s’ilteplaît?–Non.Jepassaisprèsdeluipouraccéderauplacard,quandilm’attrapaparlatailleetmejetasurlelit.

Alorsquejemeredressaissurlescoudes,prêteàprotester,lesmotssebloquèrentdansmagorgedevantle spectacle : Cameron ôtait sa chemise, dévoilant les détails impressionnants d’un torse que j’avaismaintesfoischerchéàmereprésenter.

Waouh.Sespectorauxparfaitement sculptés jouaient sous sapeau tendue.Mmm, si seulement je pouvais

l’embrasserpartout…Monvaginsecontractaquandjem’imaginaipromenermeslèvressursoncorpsenmerégalantdumoindrecentimètrecarréexploré.Carmêmelemoindreenétaitdélicieux,jelesavaisd’expérience.SesabdominauxcontractésmenaientauVleplusprononcéquej’aiejamaisvu.Cen’étaitpaspossible,unemerveillepareillen’existaitpas–pasdanslavraievie.

MoncœurbattaitàtoutromprequandCameronmerejoignitsurlelitaveclacalmedéterminationd’unhommedécidéàobtenir cequ’ilvoulait, soulevama jambeet l’embrassa lentementdumollet augenou,puisinversement.

Jerefermaibrusquementlabouchepourravalerl’exclamationétoufféequesesbaisersavaientfaillim’arracher. Mon ébriété ne me permettait malheureusement pas de trouver les mots adéquats pourl’arrêter, ou de prendre un air indifférent. Je pouvais certes lui dire d’aller se faire foutre, mais çarisquaitfortdeseretournercontremoi.Sanscompterquelamanièredontilprocédait,enfauvetraquantsaproie,m’avaitdéjà réduiteà l’étatdepauvrepetitechose tremblante.J’étaisdansunecolèrenoire,maisjenel’endésiraispasmoins.Plusquejamais,peut-être.

Ilpoursuivaitsonchemin,toujoursplushaut,avecdesbaisersbrûlants.Lorsqu’ilaspiraavecforcelapeaudoucedemacuisse,àquelquescentimètresdemonsexepalpitant,jelaissaimatêteretomberen

Page 102: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

arrière,gémissante.Samainpassalentementsurmahancheetmonventre,avantderemonterentremesseins.Jerelevailesyeuxverslui.Lessiensétaientsisombres,sisérieuxquej’eneuslesoufflecoupé.Une légèrepression lui suffit pourm’allongerde toutmon long, aprèsquoi ilmedépouilla enunclind’œildudernierrempartnégligeabledemesvêtements.

CAMERON

Jem’attardai une seconde de trop au bord du lit pour la regarder. Elle risquait évidemment deprotesteroudes’enfuir,maisj’avaisabsolumentbesoindefixercetinstantdansmonesprit,aucasoùjelaperdraisunesecondefois.Elleétaitaussiparfaitequedansmessouvenirs,petiteetpâle,minusculecréatureàprésentbrisée.Iln’étaitpasquestiondeluifairel’amourmaintenant,pascommeça!Jedevaisdominer l’animal enmoi, qui ne pensait qu’à l’allonger sous lui et à la posséder sans répit jusqu’aumatin.Passerdesheuresenellenemesuffiraitpas.Lorsquej’yserais,lorsqu’elleseraitlà,serréeautourdemoi,jenevoudraisplusjamaismeretirer.Lasoirées’achevaitd’unemanièreabsolumentinattendue,maisMayaengarderaitunsouvenirsaisissant,j’yveillerais.J’assouviraissondésir,enmecramponnantdetoutesmesforcesàmarésolution.

Ses halètements soulevaient tumultueusement ses seins gonflés aux mamelons durcis, dont lesboutonsderoseimploraientmescaresses.

–Qu’est-cequetufais?balbutia-t-elled’unevoixhésitante,bienassortieàsanudité,livréeàmamerci.

Jem’humectaileslèvres,fascinéparlachairhumidequejedevinaisentresesjambes.–J’aifaim.–Jecroyaisquetunevoulaispasdemoi.–Aucontraire.Nonseulementjeteveux,maisenplusj’ailafermeintentiondeteprendre.–Tunet’espasdéshabillé…Quandsesorteils remontèrent le longdemacuisse, jeprisconsciencede l’érectionemprisonnée

dansmonjean–oùelleresteraitconfinéetantquejen’auraispaspleinementsatisfaitmacompagne:jememéfiaisdemoi-même.

J’attrapailepetitpiedvoyageuretlereposaisurlelit.–Jeveuxtevoir,monange…Elle eut un instant d’hésitation mais leva et écarta les genoux pour se dévoiler à moi. À peine

m’étais-jepenchésurellequesonodeurm’enivra,alorsquejenel’avaismêmepasencoregoûtée.Lessouvenirs m’envahirent. Un gémissement me monta dans la gorge quand mes lèvres, puis ma langue,rencontrèrentlachaleurmoitedesonsexe.Oh,bordel!

Jemecontraignisà la lenteuren luiprodiguantdescaressesdoséespour l’empêcherdebasculertrop tôt, car je voulais prolonger cemomentmalgréma résolution vacillante. Lorsque je taquinai sonclitoris,ellesecambrasurlematelasengémissant.

Sesdoigtss’enfoncèrentdansmescheveuxpuislestirèrent,maisladouleurnefitqu’aiguisermonavidité.Quandelle se cabra contremoi,manquantme faire tomber sur elle, je commençai à la lécher

Page 103: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

impitoyablement, oublieuxdema stratégie. Je plongeai deuxdoigts en elle, immergés dans samoiteurpourmasser le point sensible qui n’allait pasmanquer de déclencher son orgasme. Elle se contractaautourdemoiàm’enfairemal,lescuissesraidiessurmesépaules.

–Oh,Cameron,jevaisjouir.Surtout,net’arrêtepas!Un grognement roula dansma poitrine puis s’échappa dema bouche contre sa chair frémissante.

J’attrapaidemamainlibreunedeseshancheshouleusespourl’obligeràserallonger.L’étaudesonsexepalpitasousmesdoigtsaurythmedesfrissonsetdescrisquilasecouaienttoutentière.Quen’aurais-jepasdonnépourêtreenelleautrement,aucœurduparadisbrûlantenfouientresescuisses!

Incapabledemedétacherd’elle, jepiquetaidebaisers seshanches, lacourbedesonventre, sesseins, sa clavicule…Quelques secondes plus tard, elle se tortilla à nouveau contre moi en tiraillantmaladroitementmaceinture.

–Enlève-moicettesaleté!Jedissimulaiunsourireencaressantl’idéedelalaisserpoursuivreseseffortsoudemedébarrasser

moi-mêmedel’obstacle.Ilseraitsifaciledelaposséder.Elleétaitplusqueprête,etceseraittellementbon, qu’elle soit ivre ou non. Nos étreintes avaient toujours été extraordinaires, parce qu’on secorrespondaitparfaitement,depuisledébut.Etpuisluidonnerduplaisirm’étaitdevenuaufildutempsdeplusenplusnécessaire–cequiexpliquaitmonincapacitéprésenteàcesserdelacaresser.J’auraispucontinuertoutelanuit,jusqu’ànousrendredinguestouslesdeux.

–S’ilteplaît,Cameron!Jen’enpeuxplusd’attendre,balbutia-t-elle.–Maissi.Je l’embrassaiaucreuxde lagorge,où je recueillis le seldesonépuisement,puis je fisalleret

venirmesdoigtsenelle,furieuxcontremoi-mêmedevouloirqu’ellesoitlucidepourlegrandmoment:pasquestiondemeconduirecomme lesbruteségoïstesquim’avaient succédédansson lit.Moi, je larévérais,jel’aimais,etjevoulaisqu’elleensoitconscientetoutdulong.

–Maisqu’est-cequetuattends?protesta-t-elle.Prends-moimaintenant!Ellesecambracontremoi,tenueenéchecparmaceinture.L’odeurenivrantedesoncorpssemêlaitàl’arômefloraldesescheveux,cocktailexplosifdontla

dernièreboufféefaillitanéantirmamaîtrise.–Jemeursd’enviedetefairel’amour,Maya.–Alorsfais-le!Jen’enpeuxplus.–Jeveuxquetusentestoutcequisepasse.Quetut’ensouviennes.Ellemeprit levisageentresesdeuxmains frêles.Ledésirvoilait sesyeuxvitreux. Jeserrai les

dentspour résisterà l’enviede l’embrasserpuis, lentement,cramponnéaudernier lambeaudevolontéqu’ilmerestait,jem’écartaid’elle.

Page 104: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XI

MAYA

Jeme réveillai après quelques heures à peine – dumoinsme sembla-t-il. Quoi qu’il en soit, jen’avais pas assez dormi, et de loin, pour réparer les dommages que jem’étais infligés. Une lumièretamiséetraversaitlesrideauxbeiges.Cameronavaitdisparu.Sonabsenceauraitdûmefairecomprendrequ’ilvalaitmieuxm’enaller,maisjen’étaispasenétatderentrerchezmoi.

Épuiséeetenproieàlagueuledeboissuprême,jem’agitaidanslelit,lesjambesprisonnièresdescouverturesblanchessoyeusesquireprésentaientmaseuleprotectioncontredeviolentsfrissons,enproieàdesvaguesdechaleurbrûlantes.Jem’envoulaisamèrementdem’êtreinfligépareilletorture.J’avaistrop bu, une fois encore,mais autant cesser deme le reprocher. Le sommeil viendrait à bout demonmalaise,sijedormaisassezlongtemps.Malheureusement,jen’arrivaisàoubliernimonestomaccrispésursonproprecontenu,nil’instinctquipoussaitmoncorpsàvouloirexpulsertoutcetalcool.

Des images de la soiréeme traversaient l’esprit, rappelsmalvenus dema stupidité. Brûlante dehonte, je repoussai de nouveau les couvertures et pris enfin conscience dema nudité.Cette nuit…LabouchedeCameronsurmoi.Sesparoles,seulsmomentsdenettetéd’unesoiréeparailleursfloue,toutedegaietéetdedécisionsidiotes.Quepouvait-ilbienpenserdemoi,maintenant?J’auraisvoulurentrersousterre,quandunenouvellenauséemesaisit.Etmerde!

Jebondisdulit,ramassaiparterreletee-shirtdeCameron,l’enfilai,meprécipitaidanslasalledebains attenante et me laissai tomber à genoux devant les toilettes. Mon corps n’eut guère besoind’encouragementspourexpulserl’alcooldelanuit.Siseulementilavaitemportémesregretsaveclui!Jemeredressai,essouffléeettremblante.Untiroirmelivraunebrosseàdentssousemballage,dontjemeservis pour éliminer l’horrible goûtmétallique quemes excèsm’avaient laissé dans la bouche. Je lesreprochaiàmonrefletenessuyantlemascaraquim’avaitcoulésouslesyeux.Unevéritableépave.

Deretourdanslachambre,jeconsidéraiunesecondelegrandlitdouilletpuismeblottisànouveausouslescouvertures,incapabled’enquitterl’abripouraffronterlemondeextérieur.PourvuqueCameronnerentrepastroptôt!Rouléeenboule,levisagepressécontreunoreilleroùs’attardaitsonodeur,j’enserrai un autre dansmes bras en regrettant sans remords que ce ne soit pas lui. Longue inspiration :

Page 105: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

relentsmusquésetodeurfraîchedesavon.Sijenem’étaispassentieaussimal,j’auraispumecroireauparadis.Moncorpssedétenditaussitôt,etjesombraidansunsommeilsansrêve.

Lorsquejemeréveillaipourlasecondefois,lebrasdeCameronétaitpasséautourdematailleetson corps, serré sans excès contre lemien, dansmon dos. La lumière qui traversait les rideaux et unvaguepetitcreuxm’apprirentquel’après-midis’achevaitsansdoute.Jeclignaidesyeuxpourchasserlabrumedusommeil,cequirenditsanettetéàlachambre.Blancheetnue,meubléedemanièreminimaliste,banalecomparéeàlasalledebainsétincelante,aumarbreomniprésent–sol,lavaboetbacàdouche.

Lasoiréenem’avaitlaisséquedessouvenirsflous,exceptélemomentoùCameronmecaressaitenmeregardant,penséequimefitcourirdes fourmillementsdans tout lecorps.Lanuitavaitparailleurslibéré les impressions les plus fortes gravées dans ma mémoire, car mon esprit revenait encore ettoujours à notre entente physique d’autrefois, alors que j’essayais de la déloger de mon cerveau ensecouantmachinalementlatête.

Lebrasdemoncompagnonseresserraautourdemataille,tandisquesonérectionsetendaitcontremes fesses.Siprometteusesoit-elle, jedevaism’enalleretentamermonchemindecroix jusquechezmoi, avant que la proximité deCameron n’altèremon bon sens. Jeme tortillai pourm’écarter de lui,centimètreparcentimètre,maisilpoussaunpetitgrognementenm’attirantplusprèsdeluiencore.

–Salut,murmura-t-il,lenezenfouidansmanuque,oùilposaunbaiser.Mesmamelonsdurcirentinstantanément,tandisqu’unfrissoncouraitsurmapeau.Jememordisla

lèvre,exaspéréeparlaréactionrebelledemoncorps.Iltournamatêteversluietsehissasuruncoude,laboucheétiréeparunsourireendormi.Ilvenait

justedeseréveiller,maissesabdosimpressionnantsétaientparfaitementdessinés.Commentunefemmesained’espritaurait-ellepuluirésister?Sapurebeautémecoupauninstantlesouffle.Jen’avaisaucuneenviedepartir,maisillefallaitvraiment,ouj’allaisfairequelquechosed’idiot.Orj’avaisdéjàdépassémonquotaduweek-end,etjen’avaisplusl’excusedel’ivresse.

–Çava?s’inquiéta-t-il.Tuasdormiunbonmoment,tusais.–Çavamieux,répondis-je.L’énergiesexuellequipalpitaitenmoiavaitapparemmenteffacélesderniersrestesdemagueulede

bois.Cameronoccupaitàprésentlamoindredemespensées,etmoncorpsseranimait,commesij’avaisattendutoutemaviel’hommaged’undésiraussiimpérieuxquelesien–jelelisaisdanssesyeux.

–Jeferaismieuxd’yaller,ajoutai-je,haletante.Ilsefaittard.–Ilfautqu’ondiscute,Maya.Samainparcourutparesseusementmacuisse,dansunsenspuisdansl’autre,m’affolantlittéralement

sans que je puisse dire s’il cherchait sesmots ou prenait juste son temps. Je n’avais toujours pas deculotteetn’étaisquetropaccessibleàsescaresses.

–Tunem’aspasditcequit’avaitcontrariée,l’autresoir,reprit-ilenfin.–Jen’étaispascontrariée,mentis-je.–Àunmoment,tuasparlédeRaina.Darrennet’apasmenti,tusais.Iln’yarienentreelleetmoi,

jetiensàcequetulesaches.

Page 106: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Tueslibredefréquenterquituveux,jen’aiaucundroitsurtoi.–Si.(Malgrésavoixdouceetsonairserein,ilétaitextrêmementsérieux.)Tueslaseuleàenavoir

jamaiseu.Sa main me frôla la joue, léger contact qui m’en fit désirer davantage. Vu la chaleur qui

m’envahissaitsoussonregard,jedevaisêtretouterouge,àprésent.Jeserrailespoingspourmeretenirdeletoucher.

–J’avaistellementenviedetoi,cettenuit.J’aicruquejen’arriveraispasàmeretenir,maisjenesupportaispasl’idéequeturegrettes,aumatin,unefoisdessaoulée.Ou,pire,quetuneterappellesrien.

–Jemerappelle.L’essentiel.Jememordislalèvreàlavisionflouemaisgrisantequis’imposaitàmoi:lachevelure

noire deCameron entremes jambes, ses yeux bleus perçants fixés surmoi. J’étais partie comme unefusée, et leplaisirm’avait tellementaffaiblieque je l’avais suppliédem’endonnerdavantage,demeprendretoutentière.

–Moiaussi.Maismaintenant,çanemesuffitplus.Savoixrauqueannihilamamoindrepenséedefuite.Sabouches’entrouvrit,salanguehumectasa

lèvreinférieure…Moncerveaupétaunplomb,tandisquemavolontéfaiblissait.Ilscellal’instantetdissipamesdernièreshésitationsparunbaiserexigeant,quoiquetendre,auquel

jenepusm’empêcherderépondre,siconscientequejesoisdesignermachute.Sadéterminationtransparaissaitdanslamanièredontilm’écartalesjambesavecdouceur,s’installa

entremescuissespuisfitpassersontee-shirtpar-dessusmatête.Jemeretrouvainueenunclind’œil,exposéeàsonregard.

Les lignes nettes de son visage se tendirent, fascinantes, tandis qu’ilme détaillait de la tête auxpieds.Calmemaisdécidé, ilpritune foisdeplusmaboucheenpromenant sesmainssurmoipour seréapproprierlamoindreparcelledemoncorps,qu’ilconnaissaitautrefoisintimement.Autrefois…

Noslèvresnevoulaientplusseséparer.Sonérectionpalpitaitdanssonboxer,contremonventre.Sapoitrinesesoulevaitet retombaitaurythmeanxieuxdemonpropresouffle.Ledésirbrûlantquimechauffaitlapeaudissipaitlamoindrevelléitédetimidité.

Ledoutenes’enimmisçaitpasmoinsdanscemoment,quej’auraisvoulutoutentierconsacréàunabandondéchaîné.

–Onnedevraitpas.Ilsefigea.–Pourquoi,Maya?Tumerepousses,maistunemedisjamaispourquoi.J’ouvrislabouchemaisnepusémettrelemoindreson.Lesmotsrestèrentbloquésdansmagorge.Il

fallaitpourtantqueCameronsachecequientraitenjeudemoncôté.–Tuestropimportantpourmoi,chuchotai-je.Lorsquelacompréhensionadoucitsonregard,magorgeseserra.Jefermailesyeuxdetoutesmes

forces,incapablededirecequidevaitêtreditenleregardantenface.

Page 107: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Tum’asbrisélecœur.Je…jevoudraisbienêtreplusforteetfairecommesiderienn’était,maislefaitestqueçam’adétruite.Jenepeuxpasrevivreça.Jetienstoujoursàtoi,mais…

–Maya.(Ilpritmonvisageentresesmainspourmefairetaire.)Onvayarriver,cettefois-ci.Jetentaidedétournerlatête,maisilm’enempêcha.Ilmesemblaitqu’ildemandaitl’impossible,vucequ’onavaittraversétouslesdeux.J’auraisaimé

y croire, moi aussi, mais la réalité de la situation m’en empêchait. Moi qui m’étais crue capabled’entretenir avec luiune camaraderie superficielle, de céder à l’attirance,peut-êtremêmede revisiterquelquesémotionsd’autrefois–lesbonnes, les«gérables»–, jedevaisbienadmettrequelasemaineécouléeavaitlibérédessentimentsquin’avaientriendegérablesnidesuperficiels.Sijem’investissaisdans notre relation et qu’ilme quittait de nouveau, unmiracle ne suffirait pas àme sauver.Commentaurais-jepuluidonnercettechance?

–Leschosessonttropdifférentes.Onachangé.–Onachangé,c’estvrai,maisilnes’estpasécouléunjoursansquejepenseàtoiouquej’aie

enviedetaprésence.Laplupartdutemps,jeregrettaisdet’avoirjamaisconnue,parcequetunem’auraispasmanquéaussiatrocement.Jeneveuxpasrevivreçanonplus, je t’assure,maisjen’arrivepasà techasserdemespensées.(Ilhésita,laissants’attardersesderniersmots.)Jet’aime,Maya.Jen’aijamaiscessédet’aimer.

Monpoulsbattait àun rythmepesant.Lapressiondecegrandcorpscontre lemienm’empêchaitbrusquement de respirer. L’aveu de Cameron résonnait dans le gouffre profond où j’avais enfoui macapacité àmedonner corps et âme, enmedisant que l’éludemoncœur le chérirait et le protégerait.J’avais pris assez de décisions idiotes dans la vie. Autant ne pas ajouter à la liste celle de couchermaintenantavecCameron,mêmes’ilm’étaitdifficiledemerefusercedontj’avaistellementenvie–carriennipersonnenem’avaitjamaisfaitaussienvie.

–Laquestion,c’estdesavoirsituasenviedemoi.Situasenviedefairel’amour…avecmoi…L’ombred’undouteobscurcissaitsonregard.–J’enaienvie,avouai-je,maisj’aipeur.J’aipeurderetomberamoureusedetoi.Etdemefaireplaquerunesecondefois.La fierté m’empêcha de faire cette confession à voix haute, mais mon cœur palpitant se serra

douloureusement, preuve de la profondeur demes sentiments. Le doute teintait, hélas, l’amour auquelj’avaissuccombéplusjeune.

L’élanquimeportaitn’enétaitpasmoinsintense.Aufond,toutaufond,jen’avaisqu’uneenvie:meperdredanscetamour,quim’apparaissaitcommeunobjettangible,hérissédeséclatscoupantsdenoscœurs brisés, mais auquel je me cramponnais malgré ses arêtes aiguisées. Sa force d’attraction étaitirrésistible,alorsqu’ilmevideraitdemonsangsijelaissaisCameronpasseroutremesdéfensesetmeblesserencoreunefois.

–Moiaussi,j’aipeur,dit-il,maisj’aiplusbesoindetoiquejenecrainsdeteperdre.Sesyeuxrivésàmonvisagenemelaissaientpasunesecondepourm’interrogersursesintentions–

lesyeuxquiavaienttranspercémonâmequandilm’avaitdemandédel’épouser.

Page 108: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Je fermai lesmiensde toutesmes forcespour retenirmes larmes.Comment faisait-il ?Commentarrivait-ilàouvrirmonâmeavecdesmots?Etjetombaissifacilement…

–Dis-moioui,murmura-t-il,souffledansantsurmeslèvres.Il entrelaça ses doigts aux miens et leva mes bras tandis que je restais allongée sous lui,

impuissante,prisonnièredemesaspirations.Ladouleuraiguëquiavaitengloutimessensetmaluciditélanuitprécédenteétaitderetour,plusvivequejamais.L’étreintepossessivedeCameronm’affaiblissait,lachaleurdesoncorpsm’alanguissait.

J’avais beau mourir de peur, la moindre de mes cellules le réclamait…maintenant : les lentescaresses de ses lèvres surmapeau, sa vigueur fougueuseplongée enmoi…Jem’embrasais.Ledésirl’emportait.

–Oui.Déjà, saboucheardenteprenait lamienne,qui fit preuved’autantdepassion, en accord complet

avecmadécision.Unpicotements’emparademeslèvresgonfléesparsesattentions.Moncorpsseréveillaaufildesbaisersqu’ildispersasurmonépaulepuisdansmoncou,deses

suçons et de ses mordillements. Haletante, je me cambrai contre lui, pendant que nos corps brûlantsglissaientl’uncontrel’autre.Unefièvredévorantes’insinuaitdansmachairlàoùelletouchaitlasienne.J’avaisenviedeluiàenavoirmal,unedouleursourde,profonde,queluiseulpouvaitsoulager.

Il me caressa un sein puis le serra tendrement, en suça la pointe, passa à celle de l’autre… Jem’agitaisanxieusementsouslui,toujoursprisonnièredesoncorps.

Unede sesmains descendit jusqu’àmon sexe, dont il explora les plis dubout des doigts. Jemecabraipourluifaciliterlemouvementetl’inviteràuncontactplusintime.

–Tuesdéjàprête.Ledésirvoilaitsesyeuxbleus,auxpupillesdilatées.Jemecontractaiautourdudoigtquiexplorait

etagaçaitmachair.–J’aibesoindetoi!balbutiai-je.C’étaitbeletbienunbesoin,car j’avaisdépassé lestadedudésir.J’avaisbesoinde lesentiren

moi,quitteàenêtrebrisée.Çaenvalaitlapeine,quellequ’ellesoit.Jedescendissonboxerpourdévoilersonépaisseérection,memordislalèvreetlaissaiglissermes

doigtssursahampebrûlante.Lorsquejelaserraidoucement,ledésirm’envahit,promesseduplaisirquiallaitsuivre.Ilsedébarrassadesonshort,fouilladanslatabledenuit,déchirafiévreusementlapochetted’unecapotepuisl’enfila.Jeregrettaisqu’ilsubsisteunebarrièreentrenous,maislemomentauraitétémalchoisipourdiscuterdenosparcourssexuelsrespectifs.

Déjà, ilétait là,songlandpressécontremoi–exactementcequejedésiraisdepuisunesemaine.J’ondulaipourluifaciliterlapénétration,maisilm’immobilisaànouveaulesbras,sesdoigtsentrelacésauxmiens. J’eusbeaumecambrerafinde l’attirerplusavant, folled’impatience, les talonsappuyésàl’arrièredesescuisses,ilmefutimpossibledelefaireprogresserdeplusdequelquescentimètres.

–Çafaittellementlongtemps…(Ilexhalaenjouantdeshanches.)Tellementlongtempsquej’attendsça…

Page 109: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Plusfort!Le souffle coupépar ledésir, je tordismesdoigts entre les siens. Il s’enfonçaenmoi lentement,

méthodiquement,sansjamaismequitterduregard.–Jeveuxtesentirautourdemoi.Çafaittroplongtemps…Legrondementdesavoixvibraitdansmoncorps.–Cameron…C’étaitpresqueuneprière,car ilme tenaitensonpouvoir…j’étaisensonpouvoir.Lorsqu’il fut

toutentierenmoi,j’avalaimasalivepourchasserunebrusqueenviedepleurer.Quelquechosedanslelienprofondquiunissaitnosdeuxcorpsàcetinstantmebouleversait.J’aimaiscethomme,mêmesijenepouvaisleluidiremaintenant.Jel’aimaistantquej’enavaislesoufflecoupé.

Ilsepencha,unitnoslèvresenunbaiserpossessif,seretiralentementpuismerepritd’unepoussée.Jefrissonnaisàlasensationexquisedesonsexem’emplissanttoutentière,encoreetencore.Moncorpss’étiraitpourl’accueillir,plaisirdoux-amerquej’enétaisvenueautrefoisàadorer,àattendreavidement.

Ilmesoulevaparlahancheetm’inclinademanièreàmepénétrerplusprofond,cequimepermitdeluipasserlamaindanslescheveux,surletorsepuislataille,àlaquellejemecramponnaitandisqu’ilallait et venait vigoureusement. Son corps s’écrasait régulièrement contre le mien pendant qu’il mepossédaitdelamanièrelaplusintimequisoit.

Songlandfrottaitenmoilepointleplussensible,carsonsexem’emplissaitsicomplètementqu’ilne pouvait le manquer. Un éclair de plaisir me traversait chaque fois, soulagement de ma suavesouffrance.

Chacundesesmouvementsmerapprochaitdubasculement,par la frictionrythmiquequesachairinfligeaitàlamienne.L’arrivéedel’orgasmedéclenchaitlescontractionsdemonsexeautourdusien,cequi rendait samoindrepousséeplus excitante encore.Un crim’échappa, tandis quema tête partait enarrièresurl’oreiller.

–Oh,merde!Ilposalefrontsurlesdraps,justeàcôtédemoi,soufflechauddansmoncou.–Tuestellementsensible…–Jen’ypeuxrien,tuesincroyable,balbutiai-je,haletante,l’espritobscurciparledésir.Net’arrête

pas,s’ilteplaît.Je l’emprisonnai étroitement entre mes cuisses, décidée à connaître toute sa force quand il se

lâcherait.–Vas-yfort.Jeteveuxtoutaufonddemoi.Ungrondementroulacontremonoreille,dontilmordillalelobe.–Jevaistefairemal.–Alorsfais-moimal.Jen’enpeuxplusd’attendre.J’aibesoinquetumeprennestoutentière.Lorsqu’il trouvamabouche, l’intensitédubaiserpréludaàcequiallaitsuivre.Électriséparmes

exigences,Cameronsefitplusbrutalpendantquejemecramponnaisàlui,périlleusementenrouléeautourdesoncorpspuissant.Sesmusclesondulaientsoussapeauaurythmedesespousséessauvages.

Page 110: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

J’aurais voulu hurler, mais je ne me contrôlais plus, la voix et les membres paralysés par unorgasmequime souleva tout entière.Quand le cœurdemonêtre explosa,mespoumons se remplirentenfin,etuncrivacillantmefutarrachéenmêmetempsquelesdernierslambeauxdemarésistance.

Malgrél’ivresseduplaisir,jerestaiattentiveàCameron,carjevoulaislevoirjouiràsontour.Sesdentsseserrèrent,sesyeuxsefermèrent,iljura.Sonsexeplongeaunedernièrefoisenmoijusqu’auplusprofonddemoncorps,puisilsefigea.

–Maya…Un gémissement guttural lui échappa avant qu’il s’effondre sur moi, la verge palpitante des

répliquesquinoussecouaienttousdeux.Ilmeserradanssesbras,lecœurbattantcontremapoitrine,preuvedelafolleénergiequicourait

en nous mais qu’il cherchait à apaiser en dispersant sur ma peau des baisers haletants. Mes doigtsjouaientavecsescheveuxhumides.Lemoindrecontactétaitaussibienvenuquebienfaisant.

Baignée de béatitude, d’un contentement enivrant, je fermai les yeux pour traquer le souvenir duplaisirpuislesrouvrisensentantCameronbouger.Ils’étaitaccoudéaumatelas,levisageéclairéparunsourireparesseux,auqueljerépondis.

–Oui,quoi?–Riendetelqu’unepetitepartiedejambesenl’airélaboréependantcinqanspourseréconcilier.Leriremeprit.Lapesanteurdel’épuisements’évanouitenmoi,melaissantaccueillirlachaleurde

moncompagnonetunbonheurtoutsimple.Jemesentispluslégère,momentanémentdépouilléedemesdéfenses.Lessobressouvenirsdenotrepassés’éclaircirent,commesilesoleilperçaitlesnuages.Jemerappelaisparfaitementcetteimpression.C’étaitnotreamour.

CAMERON

Onpassaunbonmomentau litàsomnoler.Jen’avaisaucuneenviedemelever,siçarevenaitàmettreentrenousplusdedistancequenécessaire.Maintenantquejelatenais,iln’étaitplusquestionquejelalâche.

Son dos contre mon torse, quasi découverte, elle dormait – je le savais au souffle régulier quisoulevaitsapoitrine.Çaparaissaitimpossible,vucequis’étaitpassélanuitprécédenteetcetaprès-midimême,mais je n’avais pas encore remarqué le tatouage imposant qui ornait son dos. Je repoussai lescouverturespour ledévoilerenentierpuis suivisduboutdudoigt les tracésde l’encrenoire, légèrescrêtesdechairévoquantdescicatrices.Quepouvaientbiensignifier levold’oiseauxcharbonneuxquidécollaient sur le flanc deMaya et les branches anguleuses qui prenaient naissance au creux de sesreins?

Autantqu’elleaitchangé,ellen’avaitpasl’airdugenreàmarquersoncorpsparcaprice.Enfait,ellen’avaitpasl’airdugenreàsefairetatouer,maiselleétaitvraimentpleinedesurprises.LanouvelleMayarestaitextrêmementmystérieuse.

Page 111: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Unebrusqueenviedel’embrassermesaisit.Jepressaimeslèvressursonépaulepuisdescendislelongde sonbras, lentement, tendrement, pour nepas l’effrayer si elle se réveillait.Chaquebaisermepermettait aussi d’inspirer sa chaleur et sonodeur.Sapeaum’enivrait, d’unedouceurveloutéeque jen’avais jamais trouvéechezuneautre.Soncorpsvoluptueuxmefascinaitdavantageque toutautre.Lesdoigtsmedémangeaientdel’enviedem’enemparer,del’attireràmoi,surmoi,avantd’enfouirmonsexedanslachaleurdusien.Mondésirseréveillaitdéjà.Desheures?Çanesuffiraitcertainementpas!

Elle s’était donnée à moi. Jamais je n’avais éprouvé un besoin aussi impérieux de posséderquelqu’unphysiquement.Onavaitpassé la semaineàesquiver l’attirancemutuellequinous liait, et jen’avaisfranchementpasappréciélesconseilsdeDarren,pourtantinspirés,quandilm’avaitditdefairecequ’onavaitenviedefaire.Maintenant,onallaitvoircequeçaallaitdonner.Audépart,iln’entraitpasdansmesintentionsdedireàMayaquejel’aimais–jenel’avaispeut-êtrepasencoreadmisenmonforintérieur;maisquelquechoseavaitchangéentrenous,etlesmotsétaientsortistoutseuls.

C’était toujourscommeça, avecelle.Une impulsion familière,uneavidité à laquelle j’étais tropidiot pour résister, parce que je l’avais satisfaite autrefois.Mon corps etmon esprit refusaient de sepasserduparadisqu’ilsavaientconnu,l’incarnationdel’amour.

Jepromenaiparesseusementledoigtsurunminusculeoiseaunoirauxailesdéployées.Mayaremuapuisregardapar-dessussonépauledesesbeauxyeuxbruns.

Mapoitrinesecontractapresquedouloureusement,commesiuncoupdepoingvenaitdemecouperlesouffle.

–Tuesmagnifique,murmurai-je.Elleseretourna,lessourcilsfroncés,leslèvresétiréesparunsourirehésitant.–J’endoute.Quandelletirasurlescouverturespoursecouvrirlesseins,jelestiraidansl’autresens,plusbas

encorequ’àl’origine,puislacaressai,fascinéparsescourbesetcontours.–Tun’asjamaisétéplusbelle.J’adore.Pasdemaquillage,coifféeenpétard…Tuasl’airdesortir

d’unefollenuitd’amour,etçatevabien.–Ah,d’accord…(Ellesecouaitlatête,amusée.)Jesuishideuse,c’estça.–Tuesbelle.Jel’embrassaiensuivantàtâtonslacourbedesbranches,danssondos.–Qu’est-cequeçaveutdire?–Quoidonc?–Letatouage.Ellehésita,leregardplusvif,menoualesbrasautourducouetserapprochademoi.–C’était stupéfiant, tout à l’heure. Jeme demande comment j’ai réussi àme passer de ça aussi

longtemps.Sonsoufflemeréchauffalabouche.Elletiraunboutdelanguepourlepasserlelongdemalèvre

inférieure, avant de l’attraper entre ses dents avec douceur. Un gémissement m’échappa quand ellehumecta ensuite le fourmillement laissé par sa morsure. Mon sexe se réveilla, prêt à l’honorer. Je

Page 112: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

l’attrapaipar leshanchesenrefoulant,nonsanspeine, labrusqueenviedem’enfouirenellesansplusattendre.

Maisqu’est-cequisepasse?Letatouage.Moncerveaupassalamarchearrière.Mayacherchaitàéviterlesujet,maisjen’eninsistaipasmoins:

–J’aimeraisbienquetum’enparles.Tul’asdepuisquand?Elleselaissaallersurlelit,détendue,lesyeuxassombriscommeparunsouvenirdésagréable.–Depuislongtemps.–Maisencore?Unsoupirm’appritqu’ellerenonçaitàfeinter.–C’étaitunetrèsmauvaisepériodepourmoi.Tun’étaispluslàet…ilyavaitautrechose…–Alorstuasdécidédecommémorerçaparuntatouage?demandai-je,pleindecuriosité.Elledétournalesyeux,lessourcilsfroncés.–Non,cen’estpascommeçaqueçasepasse.Jesupposequec’estdifficileàcomprendre…Soncorpsse raiditdansmonétreinte, tandisqu’unecertaine froideurs’insinuaitentrenous. Je la

prisparlementonpourtournersonvisageversmoi.–Jenecomprendspas,maisj’aimeraisbien.Aide-moi,Maya.Seslèvrespincéesm’avertirentquelarésistances’étaitremiseenplace.–S’ilteplaît.Jecaressailacourbedesabouche.Elleinspiralentement.–Pourmoi,ilyadanscetteencrequelquechosedepurifiant,depresquecathartique.Ilfautprendre

la décision, puis subir la douleur et attendre la guérison. Pas seulement au niveau de la peau,physiquement,maisaussiintérieurement.Çam’aaidéeàguérir.Jemerappellelejouroùj’aitouchéledessinetoù j’ai senti l’esquissed’unecicatrice. Jem’étaisdécidéesuruncoupde tête,maisquelquechosedansletatouagem’adonnélaforcedontj’avaisbesoinàcemoment-là.

–Ilestimmense.Çaadûfaireunmaldechien.–Jem’yattendais.(Ellehaussalesépaules.)Et jenesuispassûrequej’auraisressenti lemême

apaisementsijen’avaispaseumal.J’acquiesçaienessayantd’intégrercequ’ellevenaitdem’expliquer.Moi,j’avaisprisdesrisques

pourveniràboutdemesdémons,paspourlescommémorer.–Çateparaîtsansdouteétrange,repritMaya,maisç’aétéunesortederitedepassage.Cetatouage

merappelleoùj’enétaisàl’époque,sansqueçan’aitriendetriste.Ilsignifiequejesuisunesurvivante,quejemesuissortied’unepériodedifficileenunseulmorceau.

Seslèvrestremblaient,etelletriturait leborddescouvertures.C’était lapremièrefoisqu’ellesemontraitaussiouverteavecmoi,depuistoujourspeut-être.Mavisiond’elle,desonâme,sefondaitdeplus en plus dans celle de mes souvenirs : l’ange blond aux yeux bruns que j’avais aimé s’étaittransformé,saflammeavaitgagnéàlafoisenintensitéetennoirceur,commesisoncheminl’avaitobligéàtraverserunegrandeombreglacéequ’ilessayaitdedistancerdepuisquatreans.

Page 113: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Ilyadesmomentsoùtun’aspasl’airheureusedutout.Jemanqued’élémentsdecomparaison,maistuétaisvraimentplusmalheureuse,àl’époque?

–Oui,nettement.Jet’avaisperduet…Elledéglutitavecdifficultépuissemorditlalèvre,cequienrougitlapulperosevif.Bouleversé

parlesouvenirdenotreséparation,jel’embrassaisurl’épaule,dansl’espoird’oublierauplusvitecetépisode. Sa peau chaude, d’une douceur de fleur, embaumait un parfum subtil. Ce corps brûlant etpassionné,marquédesymbolessombres,abritait l’âmedeMayamais recelaitaussi lessecretsdesonpassé.Quellesautresvéritésmerévélerait-il,quandelleconsentiraitàneplusm’écarterdesespenséeslesplusprofondes?

Jerésistaiàl’enviedelaissermaboucheerranteluiarracherlescrisqu’ellem’avaitoffertsunpeuplustôt.Ilrestaitbiendesmystèresenfouisenelle,jenepouvaism’endésintéresser.

–Tuasditqu’ilyavaitautrechose…Quoidonc?Ellemedonnaunelégèrepousséeetjem’écartai,luilaissantlaplacedes’asseoir.Elleselevasans

me laisser le tempsde l’attirerànouveaucontremoi, ramassasa robepar terreet l’enfila.Le tissu lamoulaitàlaperfection.

–Oùvas-tu?–Jerentre.Elidoitsedemanderoùjesuispassée.Bonargument…Àvraidire,jemedemandaispourquoisontéléphonenesonnaitpasfrénétiquement.

Elleavaitpassélajournéechezmoi,alorsqu’onn’avaitprévenupersonnedenotredépartdelaboîte.Elle aurait pu se trouver n’importe où, avecn’importe qui.Peut-être les autres s’étaient-ils dit la nuitdernièrequ’onlatermineraitensemble–oualorselledécouchaitsouvent.

Les souvenirs de la veille dansaient dansmon esprit. Celui où l’inconnue l’embrassait s’imposabrusquement.Jeserrailespoings,furieuxdelamanièredontelless’étaientexhibées;j’avaisfaillicasserlafigureauxvoyeurs.

–Çat’arrivesouventdedisparaître,lesamedisoir?La question était sortie avant que j’en imagine les implications ou même songe à tempérer la

déceptionetlessous-entendusdontétaitchargélemoindremot.Mayamejetaunregardfroid,sansbougeruncil.Leregretseplantadansmestripes.Elleramassa

sonsacàmainetenfilasonmanteau.–Aurevoir.

Page 114: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XII

MAYA

Jerentraiàl’appartemententaxi,presséedefuirCameron.Sontonmoralisateurm’avaitexaspérée,surtoutaprèsunejournéepareille.Jem’étaismiseànu,du

point de vue émotionnel autant que physique.Résultat : ilm’avait balancémamauvaise conduite à lafigure.

Je passai le reste de la journée à mijoter dans mon jus, car mon téléphone gardait un silencemenaçant.MaintenantqueCameronm’avaitsautée,peut-êtreallions-nousreveniràlaréalité.Lacolèreenrobaitenmoilavulnérabilitébrutedontilétaitlacause.J’auraisaimébalayercettefaiblesse,l’enfouirtrèsprofond ;mais comment l’aurais-jepu, alorsqu’ilm’avait capturée,dépouilléegrâceà saproprefranchise? Ilavaitditqu’ilm’aimait. Jene l’auraispascrus’iln’avaitpasétéqui ilétait,mais je lecroyais.Jenedoutaispasquesachutesoitaussibrutaleetrapidequelamienne.

N’empêche,sonsilencemedéstabilisait.Jemedemandaisàquoiilpensait,etjedétestaismesentirsurladéfensive.Ilmefallaitm’accommoderd’unéventuelrejetetforgerlentementmonassurancepournepasêtre rattrapéepar lepassé.Cette fois, jene laisseraispaspiétinermes sentiments. Je l’aimais,indéniablement, mais j’allais tester l’eau de la pointe du pied avant d’y plonger. Il m’était encorepossibled’échapperàlanoyade.

Ilm’appelalelendemainmatin,pendantquejemerendaisàmontravail.Jenedécrochaipasetnerépondispasdavantageauxquelquestextosquisuivirent:ilm’avaitlaisséeunpeutroplongtempsseuleavecmarancune.Maisquandmontéléphonebipadenouveau,àprèsdemidi,jemejetaidessus,prêteàjouirdesquestionspressantesdeCameron.C’étaitJia.

«Passeàmonbureauavantdesortir.»Unechaleurnerveusemepicotalapeau–honteetembarrasmêlés,craintedeperdremonposteà

cause de ma conduite. Les trente minutes qui me séparaient encore de mon déjeuner avec Vanessapassèrent au ralenti, sans que j’arrive à me concentrer sur mon travail. Incapable d’en supporterdavantage,j’allaifrapperdiscrètementàlaportedeJia.Lorsqu’unevoixétouffées’élevadel’autrecôté

Page 115: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

du battant, je l’ouvris, hésitante. La jeune femme tapait sur son clavier à toute vitesse, mais elles’interrompitàmavue.

–Entre,etfermelaporte.J’obtempérai,avantdeprendreplacesurunedeschaisesdisposéesenfaced’elle.Ledécorn’avait

rien à voir avec l’opulence entourantKevinDermott ;mais Jia bénéficiait tout demême d’un bureauindividuel,aveccoinsalonoùinstallersesvisiteurs,àmillelieuesdesmassestéléguidéesparquéesdansl’encloscommun.

Son mail terminé, elle releva les yeux. Je tournai et retournai dans ma tête un certain nombred’excuses, sans trop savoir lesquelles choisir, car j’ignorais à quel niveau se situait le scandale dusamedisursonéchelledescomportementsàéviter.Autantmejeteràl’eau…

–Jesuisdésolée,Jia.Pourl’autresoir.J’étaissaoule,jenepensaisplusclairement…–Tucroisquejet’aiconvoquéepourça?s’étonna-t-elle.–Euh…oui.Jeveuxdire…–N’ypenseplus,Maya.Sérieusement.Ons’amusait.Moi,entoutcas,jemesuiséclatée.Jen’irais

paslecriersurlestoitspendantlasauteriedeNoël,évidemment,maisiln’yapasdequoifouetterunchat.

–Bon.Merci…deladiscrétion,jesuppose.–Demême.Pendantqu’elleredisposait lespapiersquicouvraientsonbureau,unpetitsourireprétentieuxaux

lèvres,unmalaiseinattenduéclipsamonsoulagement.Commentpouvait-elleêtreaussiindifférenteàuneinconvenancepareille?J’avaisembrassél’assistanteduvice-présidentdel’entreprisesouslenezd’unebanded’inconnuslibidineux!Cen’étaitpasfranchementcorrect;c’étaitmêmelegenredecomportementimpulsif que seulmonmoi ivre osait tenter. Je ne l’aurais jamais reconnu,maismalgré l’alcool dontj’étaisimbibéeàcemoment-là,jesavaisquejen’auraispasdû.J’étaisencoreassezmaîtressedemespenséespouravoirunminimumdejugeoteetmeconduireautrement.LanonchalancedeJiamesidérait.

–Pourquoivoulais-tumevoir,alors?demandai-je,aprèsunsilence.–Pour le contrat. Ilva sansdoute falloir travailler tard toute la semaine. J’espèrequ’onenaura

terminéavantlesvacances,maisrienn’estmoinssûr.Çatevaquandmême?–Maisoui,acquiesçai-je,pasdeproblème.–Super.Jevoulaisvérifier,parcequeKevinrisquedes’énerversitun’espasassezdisponible.Je

trouveraiquelqu’und’autreaucasoù,tusais.– Je n’ai pas de petite famille pour m’attendre à la maison. Rien ne risque de m’empêcher de

terminercequidoitl’être.Jeregrettaisd’avoiràreconnaîtremasolitude,maislafranchiselaplusbasiqueallaitsansdoute,en

l’occurrence,m’avantager.À cette époque de l’année, les obligations familiales constituaient l’excusenuméroun.AutantassureràJiaquecen’étaitpasunproblèmeencequimeconcernait.

–Parfait.Voilàquiest réglé. (Elles’adossaàsonfauteuil,unstyloappuyéàses lèvrespleines.)Commentças’estpasséaveccetype,alors?Vousavezdisparusupervite.

Page 116: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Cameron?Euh…bien.Unsourireséducteurincurvasabouche.Sesyeuxbrillèrent.–Ilestdugenrejaloux,hein?–Apparemment.J’étaismalplacéepourcritiquercettetendance-là.–Ehbien,j’espèrequeçavamarcher.LavoixdoucedeJiaétaitunpeuplushésitante,àprésent.Sansdoutel’angoissequis’emparaitde

moiàlaseuleévocationdeCameronneluiavait-ellepaséchappé.–Tuasprévuquelquechosepourcemidi?–Oui,avouai-jeenjetantuncoupd’œilàmamontre.Demain,peut-être?Elleacquiesçaenmelibérantd’ungeste.Sitôtenpossessiondemonsacàmain, jemeprécipitai

aux ascenseurs avec le bétail des box puis descendis dans le grand hall du rez-de-chaussée, où unerouquinemanifestementstresséemerejoignit.

–Tuasl’airdemauvaispoil,fis-jeremarqueràVanessa.–J’enaimarredecesconneries,cracha-t-elle.Jelacomprenaissibien!Moi,aumoins,jepouvaismaintenantespérerquemasituations’améliore,

alorsqu’ellerestaitprisedanslarondesansfindescapricesdeReilly, lequelexigeaitenplusqu’ellegardelesourire.

Onfranchitlaporteàtambourensilence,etjen’avaispasplustôtmislepiedsurletrottoirquemesyeux se posèrent sur Cameron, adossé à un panneau, les chevilles croisées. Mais pourquoi avait-iltoujoursaussifièreallure?Jegémisenmonforintérieurpendantquenousapprochionsdelui.

Ilsouriaitenmefaisantlabise,alorsquejem’étaisraidie,consciented’êtredansunlieupublic…ettoujoursfurieusedesesinsinuations.

Jem’écartaiaussitôtd’unpaspourmeplacerensécurité.–Onallaitdéjeuner,avecVanessa.Qu’est-cequit’amène?–Jepeuxmejoindreàvous?Jevousinvite.La proposition s’accompagnait d’un sourire séducteur qui me court-circuita le cerveau. J’aurais

vraiment aimé continuer à lui en vouloir,mais il nem’aidait pas. Le coup d’œil interrogateur que jelançai àVanessanemevalut pour toute réponsequ’unhaussementd’épaules. Je soupirai, etCameronnousemboîtalepasendirectiond’unbistrot.

–Alors,mesdemoiselles,commentseportel’élitedelafinanceaméricaine,aujourd’hui?s’enquit-ilpendantqu’ons’installaitàtableavecnossandwichs.

–Tut’encharges?proposai-jeàVanessa.–Résumons-nous:elleenamarre,dit-elle.Reillys’imaginemanifestementqu’ilestdemondevoir

d’organiserdeAàZcettesaletédesoiréedeNoël.–Jeregrettefranchementd’êtreobligéed’yaller,avouai-je.Cetteseulepenséem’étaitpénible.–Tuasintérêtàyêtre,parcequejevaismecasserleculdessus,prévint-elle,menaçante.

Page 117: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–J’yserai.Kevinainsisté.–Quiça?intervintCameron.–Monsupérieur.Unconnard.PresqueaussihautplacéqueceluideVanessa, lequelse trouveau

sommetdesconnardsdelaboîte.–Vousavezvraimentl’airdevouséclater,touteslesdeux.NiVanessanimoin’avionsrienàrépondreàça.C’étaitlavie.–C’estquand,cettefête?–Jeudisoir.(Vanessaavaitétéplusrapidequemoi.)TudevraisaccompagnerMaya.Ceseraitsans

douteunpeuplussupportable.Jerésistaiàl’enviedel’enguirlander.Elleétaitàcran,etellen’avaitpaslamoindreidéedecequi

sepassaitentreCameronetmoi.–Avecplaisir.SiMayaveutbiendemoi,évidemment.–Jenesuispassûredefairegrandeimpressionenyallantavecundemesex.LagrimacedeMonsieurm’appritquemaremarqueavaitporté.Peut-êtren’aimait-ilpasêtretraité

d’«ex»,luinonplus.Unregretmepinçalecœur,maisVanessarepritlaparolesansmelaisserletempsd’adoucirmespropos.

–Onygagneàêtreencouple,tusais.Ilmesembleavoirluquelquepartquelesgensmariésavecenfantsétaientperçuscommeplusstablesquandilétaitquestiond’avancement.

–Dommage,dis-jeenlevantlesyeuxauciel.Jenesuispassûred’arriveràmemarieretàfairedesenfantsàtempspourcettepetitesauterie.Maismercidurenseignement.

Cameronlâchaunrire.Nosregardssecroisèrentuneseconde,etcequejelusdanslesiennemeplut pas : possibilités, promesses, rêves auxquels on avait renoncé. Le téléphone de Vanessa sonna,interrompantcetinstantdeconnivence.

–Allô?Sonattitudeavaitcomplètementchangé:ellesetenaittrèsdroite,lesépaulesraidies,lesyeuxfixés

auloin,attentiveàsoninterlocuteur.–Oui,jesuissortiedéjeuner.Unevoixmasculineétoufféesedéversadesonportable.Elleserralesdents,levalesyeuxauciel,

articulaensilence«Etmerdeetmerdeetmerde!»,avantdeplaquersurseslèvresunsourireexaspéré.–D’accord,jem’enoccupetoutdesuite.Lecoupdefilterminé,ellerepritsonsacàmain.–Désolée, vousdeux. Il faut que j’y aille, j’ai une course à fairepour la huitièmeMerveille du

monde.–Reilly?s’enquitCameron.–Gagné.Elleseleva,lesépaulesvoûtées,puiss’éclairaquelquepeu.–Onsevoitàlafête,alors?

Page 118: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Quandilmejetauncoupd’œilinterrogateur,jetapainerveusementdupied,agacéed’êtrepriseaupiègeparlecoursinattendudesévénements:ilm’étaitimpossiblederefusersansprovoquerunmalaise.

–D’accord.–J’yserai,assura-t-il,souriant.Vanessapartitsurunaurevoirrapide,enjetantsamoitiédesandwichrestanteàlapoubelle,etje

tripotainerveusementmamontre:pourunefois,j’auraisvouluquelagrandeaiguillesoitplusrapide.Àregret, jemordisdansmonpropresandwich : j’auraispréféréaller touteseuleauDelaney’s.Unverrem’auraitfaitdubien.

–J’aiappelé,finitpardireCameron.–Jesais.–Etenvoyédestextos.Jehochailatêteenévitantsonregard.–Tuveuxbienm’expliquerpourquoitum’évites?–Cen’estpasparcequejenesautepassurmontéléphonechaquefoisquetuveuxmeparlerqueje

t’évite. Je vis juste ma vie. Ne va pas croire que je suis ta petite copine au motif qu’on a couchéensemble.

– Tu joues les glaçons avec tous les gens qui partagent ton lit, ou j’ai droit à un traitement defaveur?

Jesoupirai.Oùqu’onailleàpartirdelà,çan’allaitpasmeplaire.J’avaissous-estimélemalaisequi allait s’installer entre nous… et qui expliquait mon refus d’aller au-delà d’une nuit de baise en« fréquentant » qui que ce soit : ça m’évitait de justifier ma froideur. Mais, évidemment, Cameroncontrevenaitàtouteslesrègles–duseulfaitqu’ilétaitCameron.

–Enprincipe,jen’aipasàlefaire,parcequelasituationestclairedèsledépart.–Etquelleestlasituation?–Franchement,jen’ensaisrien.Elleévolueenpermanence.Onétaitcensésêtreamispuis…–Attends,attends.C’estça,l’amitié?Ilsepenchaversmoi,interrogateur,enagitantlamainentrenous.–Moi,jenecroispasquedesamisseconduisentcommeça.–Voilàpourquoic’estunemauvaiseidée.Jelevailesmains,agacée,puism’adossaiàmonsiège.Siseulementj’avaispuluifairecomprendre

mesdoutes…–Pourquoiéprouves-tulebesoindem’éloignerdetoi?OùestlaMayaquej’aiconnueautrefois?

Onn’ajamais,jamaisétécommeça.–Jesuisdésoléededevoirt’annoncerlanouvelle,répondis-jeenricanant,maislaMayaquetuas

connueautrefoisestmorte.Situt’attendsàlaretrouverdanscettehistoire,netedonnepascettepeine.–Jenetecroispas.Tutelacachesàtoi-même,maiscequetucachesn’estpasmort.Jecroisailesbras,exaspéréeparcetteaffirmation.Jusqu’aumoindremot.–Depuisquandes-tuaussibutée,bordel?

Page 119: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jeserrailesdentsenlecouvantd’unregardnoir,décidéeànepascéderd’uniota.N’empêchequ’ilavaitraison.Onnes’étaitjamaisdisputéscommeçaavant.Ilnousarrivaitdenepasêtred’accordetdenouschamailler,maisonn’étaitpasvraimentantagonistes.Alorsquemaintenantnossouvenirscommunsalimentaient soit notre désir, soit nos déchirements.Notre relation s’était transformée en guerre, et jemouraisdepeurdelaperdre.Cameroncherchaittropprofondenmoiunedemesfacettesquejerefusaisdelaisservoir.

–Cen’estpascequejeveux,affirmai-je.Ilrestauninstantsilencieux,lesyeuxfixéssurmoi,tandisquejemepréparaisauroundsuivant.–Sansvouloirtevexer,tun’asaucuneidéedecequetuveuxavantquejet’embrasse,etàpartirde

làjepeuxtegarantirqu’onveuttouslesdeuxlamêmechose.–Cen’estpaslaquestion.Maisj’aimeraisbienqueçaselimiteaucul,jet’assure.–Vraiment?demanda-t-ild’unevoixtropdouce,parfaitementfigé.–Çanepeutpasêtreaussisimple.– Pourquoi essayer d’en faire quelque chose de simple, alors ? Je ne rentrerai jamais dans les

petitescasescomplètementaberrantesoùturangesleshommes.Jemepenchaiverslui,brusquementfurieuse.–Onparledemoi,là.Demavie.Tunepeuxpasarrivercommeça,toutfanfaron,etmedirequije

suiscenséeêtreouaimer.Autantarrêterlesfraisetéviterdesouffrir.–Ilfautuncœurpoursouffrir,non?La chaleur quim’envahitme rendit lesmainsmoites.On aurait dit que la température venait de

monterd’uncoup.–Tuasentièrementraison.Jenesuispassûred’enavoirun.Tul’asbriséenmillemorceauxilya

cinqans.Celadit,jejetaimaserviettesurlatable.Quelquechosesetorditdansmonventre,annihilantcequi

restaitdemonappétit.Jeramassaimesaffaires,fonçaiverslaporteetreprislechemindubureaud’unpasvif,presséederegagnermonbox.Cameronmerattrapaquelquessecondesplustard.

–Attends,Maya.Ilmepritparlecoudepourmefairepivoterversluipuism’attiraàl’écartduflotdespiétonssans

que je cherche à me dégager : au fond, ce n’était pas tant la distance physique qui m’importait quel’espaceémotionnel.Quantàlui,inquiétudeetfrustrationselisaientsursestraits.

–Pourquoipasses-tutontempsàmefuir?–Ettoi,pourquoies-tulà?Mavoix faiblissait. Je repoussaisamain,mais ilmerapprochade luiaupointquenos torsesse

touchentpuispassaunbrasautourdemataillepourm’attirercontrelui.– Je suis làparceque tumemanquais. J’avaisbesoinde réfléchirunpeu,mais je sentaisque tu

m’échappais,encoreunefois.Jenevoulaispasattendrejenesaiscombiendetempsavantdeteparleretdesavoiroùonenétaittouslesdeux.

Ilpassasesdoigtsécartésdansmescheveux,lepoucesurmajoue.

Page 120: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Tu crois vraiment que ça en vaut la peine ? demandai-je. Franchement ?On n’en a pas assezbavé?

Lorsqu’illevamonvisageverslui,sonregardbrûlantplongeadanslemien,duretdécidé.–Arrêteaveccesâneries,Maya.Onenvautlapeine.Tuenvauxlapeine,toi.Cequ’ilyavaitentre

nous…sauverunepartiedeçaenvautlapeine,oui.J’ensuissûr.–Moipas,avouai-jeensecouantlatête.–Lesdoutes,çasuffit.Laduretédesavoixmesurprit.–Lesconneries,çasuffit.Faisletridanstatête,maintenant,parcequejenevaispasm’enaller.Et

situessaiesdetesauver,jetepréviensquejeseraijustederrièretoi.–Mais…–Iln’yapasde«mais»quitienne.Onyva.Jenepeuxpastepromettrequeceserafacile,mais

j’aivécul’enfersanstoi,çanepeutdoncques’arranger.Pasquestionquejetelâche,cettefois-ci.Ilmefallaitreprendremonsouffleettrouverlesmotsjustes.Cameronnemelaissaitpaslamoindre

marge,aucontraire:ilmetenaitdanssesgriffes,aussibienémotionnellementquephysiquement.Jemeraidiscontre la tornadededoutesetdepassionsqui sedéchaînaitenmoi.Mes lèvres frémissaient, jetremblais,maislefroidn’yétaitpourrien.

–Ilm’estimpossiblededéfairecequej’aifait,reprit-ild’unevoixradoucie.Maisjetiensàcequetu saches que je t’aime. (La tristesse brilla dans les profondeurs bleues de ses yeux.)Tune peuxpassavoircombienjeregrettecequis’estpasséentrenous.Cequeçanousafaitàtouslesdeux.S’ilfautquejepasselerestedemavieàtedemanderdemelepardonner,jeleferai.

J’ouvris la bouche pour répondre. Rancune, regrets, amour – un amour profond, déchirant… untorrentd’émotionsm’avaitemportéeàsesmots.Lebarragecéda,et les larmescoulèrent, trop rapidespour que je les arrête. Mes défenses s’effondraient. Mes angoisses bouillonnantes remontaient à lasurface.

–Etsiçanemarchepas?–Çamarchera.–Tunepeuxpasenêtresûr.–Toutcedontjesuissûr,c’estquejet’aime.Ilvafalloirqueçasuffise.–Arrête,l’implorai-je.Chacunede ses paroles ouvrait enmoi une nouvelle blessure, exposait une émotion brute depuis

longtemps enfouie,mais jeme cramponnais àma colère.Ça neme plaisait pas qu’il se désole, je levoulaisméchant,prétentieux,pourcontinueràledétesteretàdissimulermoncœurenlieusûr.

–Jeledisparcequec’estvrai.Etjesaisquetum’aimesencore,toiaussi.Ilresserrasonétreinte,savoixrauquetrahissantl’intensitédesessentiments.–Tun’espasobligéedeledire,jelelisdanstesyeux.Jelevoisparinstants,quandtun’essaies

pasdefairesemblantdenerienéprouver.

Page 121: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Depetitssanglotsm’échappaient,etpeum’importaitquimevoyaitdanstousmesétatssurcetrottoirnew-yorkaisbondé,commelegenredefillequej’auraisjuréneplusêtre.Commentcetypepouvait-ilmefaireuneffetpareil?

Ilmeréduisitausilenceenm’embrassanttendrement,unbaiserquisapamesforcesetmecoupalesouffle,maisauqueljerépondis.

–Toutirabien,jetelepromets,murmura-t-il.Je l’attrapaipar sonmanteaupour l’attirer auplusprèsdemoi.Après cette crise, viendraient le

soulagementetl’acceptationdel’amourqu’ilm’inspirait.Jelesavais,aufonddemoi.L’hommequejecherchaisdésespérémentàfuirétaitleseulêtreaumondecapabledemerendremonintégrité.

Page 122: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XIII

CAMERON

– Ton appart s’améliore vraiment. Tu devrais peut-être continuer à héberger Olivia, en fin decompte.

Darrenfaisaittranquillementletourdelapièce,lesmainsdanslespoches,pourévaluerlesprogrèsde la journée.Olivia lui jetaun coupd’œil agacé en rejetant dans sondos lesmèches sombresde saqueue-de-chevalpuiscontinuaàpromenersurlemursonrouleaupleindepeinture.

Jedissimulaiunsourire.Onneselassaitjamaisdelataquiner,Darrenetmoi.–C’est vrai que ça commence à ressembler à quelque chose, admis-je. Je vois enfin le bout du

tunnel.Leréagencementavaitbienavancé,cesdernièressemaines,parcequeOlivias’activait,s’occupait

desbricoles,m’asticotaitet,pour finir,m’aidaitàgérer lesdétails lesplussubtilsafinde transformermesbonnesintentionsenactes.Lesparquets,lesfenêtres,lesmouluresetlacuisinedudeuxièmeniveauétaientterminés.Restaientlapeintureetlesfinitions.

–Lasemaineprochaine,onpasseautroisièmeniveau.ToutdevraitêtreparfaitpourNoël,dit-elle.– OK, acquiesça Darren. Et on prendra le petit déj ici ? Moi, je n’ai pas été très sage, ça

m’étonneraitquelepèreNoëlm’apportequelquechose.Sansrépondre,Oliviapassaaurouleauladernièreportiondumur.–Tuasquelquechosedeprévu,toi?luidemandai-je.–Enfait,jecroisquelesparentsvontvenir.Çaleurferasansdouteplaisirdevoirl’appartterminé.J’échangeaiuncoupd’œilavecDarren:Oh,supeeer!Oncroisatouslesdeuxlesbras,tandisqu’il

laissaitéchapperunrirebrefmaisdénuéd’amusement.–Génial.Merveilleuseannonce.Çafaitlongtempsquetuasçadanslestuyaux,Olivia?Ellehaussalesépaulessansrépondre.–Tuterendsbiencomptequ’onparledeceweek-end?demandai-jed’unevoixquitrahissaitmon

irritationcroissanteàlapenséedecettevisite.–Onaurafini,d’icilà.

Page 123: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Ellenousrejoignit,unsourirejoyeuxplaquésurleslèvres.– Il faudra juste acheter quelques meubles et arranger un peu tout ça. Maman a beau être une

maniaquefinie,jesuissûrequ’elleseraimpressionnée.–Jemefousde l’étatde l’appartetdesgensqu’il impressionneoupas,coupai-je. Jeveux juste

savoircequit’afaitpenserquetupouvaisinviterquelqu’unicisansm’enparler.Onestchezmoi,figure-toi.

–Tumelerépètesassez.Sontonsecfaisaitéchoaumien.–Jesaisquetuasunproblèmeaveceux,maiscesontquandmêmenosparents.Onnepeutpasles

éliminerdenotrevie.–Tuplaisantes?ripostai-jeenriant.C’estbientoiquiétaisprêteàpartirdechezeuxencourant,

non?Çane fait quequelques semaines, et ils temanquent tellement que tu éprouves le besoinde lesinviter?

–Jenelesaipasinvités,d’accord?Ilmefallutquelquessecondespourtenterd’imaginerunautrescénario.–Ehbien,moinonplus,c’estsûr.Ilsconnaissentparfaitementmaposition.Ellebaissalesyeuxverssespiedsnusetsemorditlalèvre.–Jemedemandesijen’aipasditenpassantqueturevoyaisMaya.Mamandoits’inquiéter.Lesmotss’enfoncèrentdansmonesprit,accompagnésdel’incrédulitéabsoluequ’ilssuscitaient.–Dis-moiquec’estuneblague.Oliviarelevalatête,lesyeuxécarquillés,l’imagemêmedel’innocence.–Detoutemanière,elleavaitenviedenousvoir.Etunefoissadécisionprise,impossibledel’en

fairedémordre.J’aiessayé,pourtant.Quoiqu’ilensoit,ilssesontorganisés,alorsautants’yfaireetenprofiter.

Jemepassai rageusement lesmainsdans les cheveuxetmemis à tourner en ronddans lapièce.Quelle idéed’avoir proposé àOliviadevenir vivre ici !N’importequoi.Darren avait beau être uneplaie,ilneluiarrivaitpasàlacheville.

–Net’énervepas,s’ilteplaît,implora-t-elle.–Commentveux-tuquejenem’énervepas?D’abordtusaoulesMayaavectesmanièresdenounou,

etensuiteilfautquejelessupporte,eux?J’aipassétroisansàesquiverlesballesetàcroiserlesdoigtspournepasmefairetueroumutilerparunebombe,maistut’imaginesquej’aibesoind’angesgardiens?Tucroisvraimentquevousallezmeprotéger?Parcequedanscecasilfautquetucomprennesbienunechose:marelationavecMaya,etlesrisquesqu’elleimplique,sonttrès, trèsloindesdangersquej’aiaffrontéslà-bas.Tunesaispasdequoituparles.

J’inspiraiàfond.Oliviaparaissait toutepetite,faceàmacolère,maiselleserrait leslèvresavecdétermination.

–C’estàcaused’ellequetuesparti,dit-elletoutbas.

Page 124: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Je serrai les dents et me contraignis à laisser passer quelques secondes avant de répondre, decrainted’êtretropbrutal.Lorsqueenfinjelefis,mavoixétaitcalmeetnette.

–C’estlàoùtutetrompes.Jesuisentréàl’arméepourleuréchapper,àeux,etmeforgeruneviequinedépendaitpasdesportesqu’ilsouvraient,eux.

–Onenestlàtouslesdeux,intervintDarrenenavançantd’unpas.S’il y avait bien quelqu’un qui connaissait ma trajectoire, c’était lui. J’allai me planter devant

Olivia.–Écoute-moibien.L’appartementneserapasprêtàNoël.Maisleplusimportant,c’estquejene

suis pas prêt,moi.Les parents etmoi, on se reverra quand je le serai.En attendant, c’est toi qui vast’occuper d’eux.Tu as foutu le bordel, tu le gères.Dis-leur qu’on est pris ailleurs,Darren etmoi, ouquelquechosecommeça.Franchement,jemefichedecequetuleurracontes,maisjenelesverraiquequandj’enauraienvieetquej’yseraipréparé.

–D’accord,maisquand?Çafaitpresqueunan.–Jetepréviendrai.

MAYA

La semaine me parut à la fois très courte et très longue. Les jours se télescopaient. Je ne merappelaispasavoirjamaissubiunepressionaussiforte,saufpeut-êtrependantmesdernièressemainesdefac.

D’une certainemanière, pourtant, travailler enpermanencemedonnait de l’énergie.Faire équipeavecJiam’avaitouvertlesyeux.J’avaisdécouvertuncôtéplusdouxdesapersonnalité,maisdupointdevue professionnel elle était impitoyable.Malgré sa politesse, surtout vis-à-vis de ses pairs et de sessupérieurs, comme Kevin, elle ne perdait pas son temps en mondanités. Elle avait pris en main lesaspectsducontratqu’onnousavaitconfiés,maisàpeineenétait-onvenuesàboutqu’elleavaitétendunotre champ de travail et notre domination, jusqu’au moment où il était clairement apparu qu’onreprésentaitànousdeuxlepivotdel’accord.

LestendancestyranniquesdeKevins’étaientnettementamenuisées.Jialuijetaitparfoisdescoupsd’œil entendus, quim’incitaient à croire que le changement ne lui avait pas échappé. Peut-êtremêmel’avait-elle anticipé, douée comme elle l’était. Je détestais toujours ce salopard, mais je le trouvaisbeaucoupplussupportabledepuisqu’onpassaitdutempsensemble.

Siexcitantesquesoientcesnouvellespossibilitésprofessionnelles,j’étaisépuisée.Cesoir-là,unelonguejournéeempiétaitunefoisdeplussurlanuit.Jemouraisdefaim,lesyeuxfatiguésparlesheurespassées à contempler l’écran de l’ordinateur et les colonnes de chiffres. J’avais d’ailleurs envoyé untextoàCameronunpeuplustôtpourlesupplierdem’apporteràmangerquandlegroupeseséparerait,àl’heuredudîner.

–Allez!lançaenfinKevin,onfaitunepauseletempsdemanger.

Page 125: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Super,ditJiaenselevant.Tuasfaim,Maya?–J’ail’estomacdanslestalons,maisCamerondoitpasser.Ilattendaitqu’onfasseunepause.–Ah,d’accord.Tuveuxqu’onterapportequelquechose?–Non,merci.Ils’encharge.–Vouspouvezallerdansmonbureau,sivousvoulez,murmura-t-elleensepenchantversmoipour

quejesoisseuleàl’entendre.J’ouvrisdegrandsyeux.–Onenaaumoinspouruneheure.J’yveillerai.Surcesmots,ellem’adressaunclind’œilpuisfitsigneauxautresdeluiemboîterlepasetsortitde

lasallederéunion.J’attendis quelquesminutes pour être sûre de leur départ puis gagnai la réception, où je trouvai

Cameronplongédansundesennuyeuxmagazinesfinancierslaissésàdisposition.UnpullnoiràcolenVsoulignaitleslignesvigoureusesdesesbrasetdesontorse,souslecreuxémouvantdesoncou.Jedusmaîtriserunefolleenvied’yposerunbaiser,deremonteret…Unpincementfamiliermetorditlebas-ventre,tandisquemonregarddescendaitdeplusenplusbas–lejeantenduparlescuissespuissantes,lesjambesallongéesdevantlefauteuil…

Renonçantàm’interrogersurlenomdesmusclesdissimulésparsesvêtements,jeplongeaidanssesyeuxbleuslumineux.Monestomacsecontracta,maislafatigueetlafaimn’étaientpasseulesencause:ilm’avaitvraiment,vraimentmanqué.

Notre dernière rencontre avait été si bouleversante que je voulais à présent émousser les arêtescoupantesdelaconversation.Chacundenousavaitjetédesmotsblessantsàlatêtedel’autre;ilm’avaitfaitmal,etjen’avaispasététendrenonplus–peut-êtred’ailleurss’était-onditdeschosesqu’onavaitenvie de se dire depuis longtemps.Maintenant que c’était fait, il voulait toujours demoi,malgrémesdéfauts,etjevoulaistoujoursdelui,malgrénotrehistoiredouloureuse.Mais,aumomentmêmeoùj’étaisprêteàprendreunnouveaudépart,letravailavaitenvahilamoindreminutedemonexistence.

Levoircesoirconstituaitunbonheurd’uneintensitéexceptionnelle,etlesentimentrenouveléqu’ilétaitmienfitmonterunsourireàmeslèvres.Ilselevaàmonapproche,m’obligeantàmehissersurlapointedespiedspourl’embrasser.Commeàunsignal,monestomacgronda.

–Rassure-moi,tum’asapportéàdîner?–Oui.Ilbranditunsacenpapierbrunquejeconsidéraid’unœilsoupçonneux,carilnecomportaitnilogo

defast-foodnitachesdegras.–Viens,onpeutallerdanslebureaudeJia.–Jia?répéta-t-il,lessourcilsfroncés.Repoussantlesouvenirembarrassantdelaboîtedenuit,jepassaimonbrassousceluideCameron

pourl’entraînerjusqu’àlapetitepièce,dontjefermailaporteàcléderrièrenous.–Qu’est-cequetum’aspris?J’espèrequec’estbon.–Unsandwichquivatechangerlavie.Entièrementbio.

Page 126: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jelevailesyeuxauciel,gémissante.–Pitié!Tuveuxmetuer,avoue.–Arrêtedeteplaindre,jesuissûrquetuvasaimer.Ils’assitsurlecanapéducoinsalon,oùjelerejoignis.Aucun sandwichn’avait lamoindre chancedemechanger lavie, et lebionemeplaisait jamais

autant que les cochonneries industrielles pleines de gras, mais mon estomac gronda une fois de pluspendant quemon compagnon sortait du sachet deux paquets enveloppés de papier d’aluminium. Tropaffaméepour discuter, je lui en pris un, déballaimon sandwich sans autre formede procès etmordisvigoureusementdedans.

–Waouh!OK,jereconnaisqu’ilestvraimentbon,avouai-jed’unevoixétoufféeparlamastication,avantdepenseràmecouvrirlabouchedelamain.

Poulet et avocat, accompagnés d’une sauce extraordinairemais que je n’aurais su définir. Je n’yconnaissaispasgrand-choseencuisine.

–Tuvois.Cameronsouriait.Clairement,ilaimaitavoirraison.–Alors,commentavanceletravail?–Bien.Detoutefaçon,ilfautqu’onterminetôtdemain,àcausedelafête.Çanousferadubien.Tu

vienstoujours?–Tumedemandesdetefréquenter?–Oui,admis-je,amusée.Detoutemanière,ilmefautdurenfort.–Tuveuxquejebrutalisequelqu’un?s’enquit-il.Je terminai mon sandwich en riant puis le fis descendre avec un des jus de fruits qu’il avait

apportés.–J’espèrequeceneserapasnécessaire.Ondevraits’entirersansça.MaissiReillys’enprend

encoreàVanessasousmonnez,jetejurequejel’étends.–Terrifiant.J’imaginetrèsbienlascène.Tuesdevenuetellementteigneuse.Lerougememontaauxjoues.Sonregardmerappelaitquej’avaisétédifférente:jeune,innocente,

effrayéeparlemonde.Unevaguedefatiguem’engloutit,etjemerenversaienarrière,lesyeuxclos,enlaissantmatêteroulersurledossierducanapé.

–Eh,ho,tueslà?appela-t-il.Jerouvrislesyeux.–Jeplaisantais,maistevoilàmuette.J’aiencoreditquelquechosedemonstrueuxsansm’enrendre

compte?–Non.Jeluiprislamain.–Jenesaispas.Quandonestensemble, ilm’arrived’avoirdesflashsdemavied’autrefois.On

change,c’estinévitable.Maisparmomentsçam’attriste.–Pourquoi?

Page 127: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Àl’époque,j’étaisnaïve,jeneconnaissaispasgrand-chose,maistoutmesemblaitpossible.Demonpointdevue,lemondeentiernousétaitouvert,tucomprends?Lavien’étaitpastoujoursparfaite,maisparcertainscôtés,si.

–Çamefaitceteffet-làaussi.–Etsionn’arrivepasàretrouvercettemagie?Jetraçaisdepetitscerclesdanssesmains,surlescalsrugueuxdesespaumes.–Sijenesuispascellequetuveux,aufond,parcequej’aichangé?Ilmepritparlataillepourm’attirersursesgenouxpuistripotaunedemesmècheségarées.–Tuesexactementcellequejeveux,d’accord?Tumesurprends,etçameplaît.Cen’estpasparce

qu’onachangéqu’onestmoinsfaitsl’unpourl’autre.Onatouslesdeuxvécubeaucoupdechosesdepuiscetteépoque.Laisse-nousletempsdelesdigéreravantdetemettreàredouterlepire,OK?

Mesmainsvoletèrentsursontorseetlescourbesamplesdesoncorpsmusclé.Lafascinationqu’ilexerçaitsurmoiétaitaussicomplètequ’autrefois.J’enavaisassezvuetassezvécudepuiscinqanspourmepersuaderquepersonnenemetoucheraitplusaucœur,maisjem’étaistrompéecommejamais.

CAMERON

Sa main m’enveloppa la nuque, tandis que sa langue m’humectait les lèvres. Chacune de sescaresseslégèresmetransmettaitsondésir,chacundeseseffleurementshumidesetdesesmordillementsalimentaitlemien,flammeéclatantequiavaitcrûenardeurdepuisnotredernièrerencontre.

Mesbrasseresserrèrentautourdesataille.Maboucheécrasalasienne.Ellegémittoutbas,etsesdoigts se crispèrent dansmes cheveux. Je laissaimesmains errer sur ses fesses, ses cuisses, le tissusatinéde soncorsage, sous lequel sesmamelons sedressaient.Quand j’emprisonnaiunde ses seinsàtraverslafinebarrièredesesvêtements,lapointeenglissasousmapaume.Mayaremuasurmesgenoux,cequinefitqu’augmenterlapressiondesesfessessurmaverge.

Déjà, des visions d’un érotisme torride me traversaient l’esprit. J’avais beau avoir une vagueconsciencedel’impossibilitéd’allerplusloindansunlieuaussiinapproprié,ellememanquaittellementquej’enavaismal.

Moncorpsladésiraitdouloureusement,biensûr.Maisilarrivaitaussiquelquechoseàmoncœurquandonétaitensemblecommeça,serrésl’uncontrel’autre.Sansdoutedescomposéschimiqueslibérésparmoncerveaumerappelaient-ilscequ’étaitlebonheur,levrai:lebonheur–j’auraismêmepuparlerdebéatitude–parvenaitjusqu’àmoiensaprésence,danslesmomentsdecalmeoùonnesedisputaitpas,oùonneserendaitpasfousàforcederessasserlepasséet lesconditionsd’unavenircommun.Jeluiavaisbienditqu’encequimeconcernaitnotrerelationn’étaitpasnégociable.Avecunpeudechance,çanouspermettraitdefairelapaix,aulieudepoursuivrelalutteacharnéeàlaquelleellem’avaitcondamnépourretrouverlechemindesoncœur.

Page 128: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Mesdoigtspressantsseglissèrentdanssonentrejambe,oùilstrouvèrentl’endroitsensibleàtraverssonpantalon.Lorsquejelefrottai,unepetiteexclamationétoufféeluiéchappa.Seslèvres,entrouvertessurunsoufflehaletant,quittèrentsoudainlesmiennes.Elleattrapadesesmainsfébrileslebasdemonpull.

–Enlève-moiça.–Tuessûre?demandai-je,laclartédemespenséessérieusementaffectéeparsonardeur.–Allez!Letempsquejesortela têtedesplisdupull,elles’était laisséglisseràgenouxpar terre,devant

moi.Sesmainsremontaientà l’intérieurdemescuisses,enveloppaientmasemi-érectionàtraversmonjean.J’expirailentement,encherchantàreprendrelecontrôledemoncerveauetdemonbonsens.

–Jenecroispasquecesoitunebonneidée.Quelqu’unrisqued’entrer.–J’aiferméàclé.Etlesandwichétaitunpeuléger.Elleseléchaleslèvres,séductrice.Mestesticulessecontractèrentdouloureusement.–Maisqu’est-cequeturacontes?–Jeveuxteprendredansmabouche.J’ypensedepuiscematin.Faisçapourmoi.–Situmeledemandesdecettemanière,commentveux-tuquejedisenon?–Jeneveuxpas.Baissant la tête, elle posa à travers mon jean, le long de mon sexe, une succession de baisers

haletantsetbrûlants.Jeserrailesdentsensentantmarésolutionvaciller.Unesecondeplustard,Mayaavaitdébouclémaceinture,ouvertmabraguette,etjemelevaisàdemi

letempsqu’elletiresurmonpantalonpourlibérermaverge.Ellel’entourad’unemainetlacaressaavecdouceur, pendant que son autre main courait sur mon ventre, dont les muscles se contractaient paranticipationduplaisir.

Salanguejouasurmongland.Lesangluiétaitmontéauxjoues,seslèvreshumidesluisaient.Sidurquefûtdéjàmonsexe,ilgrossitencoreendisparaissantdanslachaleursoyeusedesabouche.

J’expiraibrusquementenmeretenantdejurer,tantlasensationétaitintense.Ellemeprenaitdeplusenplusprofond,parcaressesdeplusenplusfermesdesaboucheardente.

Chacundesesgestes,chacundesfrétillementsexpertsdesalanguemerapprochaientdel’orgasme.Puisellemelibérabrusquementpourmeprendrecettefoisdanssamain.Seslèvresgonflées,son

soufflecourtetsesyeuxbrillantsexprimaientnotredésircommun.–Çava?m’inquiétai-je.–Tuestellementimpressionnant.Toncorps,tout.Unsourireidiotmefenditlevisage,puisjeristoutbas.–Jemedemandecequienfleleplusvite,monsexeoumonego…–Jecroisquejesais…Lorsqu’elle baissa de nouveau la tête, son visage disparut derrière ses cheveux. Elle se fit

omniprésente,maincaressantlabasedemaverge,boucheenabritanttoutelalongueur,langueselivrant

Page 129: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

àunepetitedanseépoustouflante.Lelenteffleurementdesesdentsm’électrisa,puiselleaspirafortement,àplusieursreprises.Jen’allaispassupporterçalongtemps…

–Ohoui,commeça!Un grognementm’échappa, tandis quemon poing se refermait dans ses cheveux pour guider ses

mouvements.J’avaisenviederejeterlatêteenarrière,lesyeuxclos,afindejouirdessensationsaiguësqu’elle me dispensait, mais elle me fascinait tant que je préférai écarter ses cheveux de son visage.Commentaurais-jepurenonceràlaregarder,alorsqu’ellemedonnaitduplaisiravectantdegénérositéetdesensualité?

Lorsque sesonglesmegriffèrent la cuisse, jemecambrai contre sabouche.Monglandheurta lefonddesagorge,etjeperdistoutemaîtrisedemoi-même.Mesabdominauxetlesmusclesdemescuissesse contractèrent demanière quasi douloureuse.Un sursaut agitames hanches. Jeme répandis dans sabouche,àprésentsuaveetdoucepuismelaissaiallerenarrière,latêtedanslesmains,étourdiaucreuxde cette soudaineobscurité.Sa langueglissa tendrement surmongland, caresse légèrequi suffit àmesecouerd’unevéritabledéchargeélectrique.

Jemepenchaiverselle, laprispar lesbraset l’attiraiprèsdemoisur lecanapé,maisellen’enrestapasinertepourautant:desbaiserslégersmeparcoururentl’épauleetlecou,effleurementsd’unelanguetoujoursaussiexcitante.

Jem’écartai,carj’avaisletournis.–Arrête.Sérieux.Jen’enpeuxplus.Tumerendsdingue.–Lameilleurepipedetavie?demanda-t-elletoutbas,amusée.Jereposailatêtesurledossierducanapé,encorehaletant.–Incontestablement.Tueslameilleure!Unsouriredesatisfactionétiraseslèvres,tandisquelajoiebrillaitdanssesyeux.Onauraitditun

chatcontentde lui. Je l’attiraicontremoi,nos lèvresse frôlant,etglissaiànouveau lamainentresescuisses,maisellelachassa.

–Laisse-moifaire,implorai-je.Jeveuxtevoirjouir.–Demain,dit-elleenmeposantledoigtsurleslèvres.–Jenepeuxpasattendrejusque-là.–Maissi.Demain,promis,tumefaisjouirtantquetuveux.

Page 130: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XIV

CAMERON

C’étaitunmensonge.«Demain»futengloutiparunelonguejournéedetravailquimevolaMaya.Ons’étaitdonnérendez-vousàlafêtedeNoëlorganiséeparsaboîte,maisjedécidaiauderniermomentdenepaslaretrouverlà-bas.J’avaisbesoindelavoiravantdepartagersonattentionavectoutuntasd’inconnuscolletmonté.

QuandElim’ouvrit,lasurpriseluiécarquillalesyeux.–Salut,Cameron.Ellefinitdesepréparer.IlmontraitdudoigtlachambredeMaya,oùjemerendisavecunesatisfactiontranquille:enfin!

Ellesetenaitdevantunmiroirmuralenpied,vêtued’unerobecocktailtoutjusteenfilée.–Tiens,qu’est-cequetufaislà?s’étonna-t-elleenmevoyantapparaîtredanslaglace,aumoment

oùellemettaitsesbouclesd’oreille.Jecroyaisqu’onseretrouvaitlà-bas?Jelançaimonmanteausurlelitetallaimeplanterderrièreelle.– Ce n’est pasmon genre. Et puis je ne voudrais pas que les gensme prennent pour un simple

copain,censét’aideràobtenirunepromotionenfaisantsemblantd’êtretonmec.Unsourirecourbaseslèvresrouges.–Voilàquiposelaquestion.Commentdois-jet’appeler?Jevaissansdouteteprésenteràquelques

personnes.Je passai l’index dans son dos, notamment sur l’agrafe de son soutien-gorge, à moitié tenté de

l’ouvrir.Aprèstout,j’étaisenavance.–Voyonsvoir…Et si tu disaisM. l’Impressionnant ?Çameplaît bien.Évidemment, lemot est

tombédeteslèvresàunmomentoùellesmefaisaientbeaucoupd’effet.Lorsque je me penchai pour l’embrasser au creux de la nuque, son pouls s’emballa contre mes

lèvres. Son parfum floral m’emplit les poumons, arôme enivrant charriant un flot de souvenirs. Ellefrissonnasouslacaresse,réactionquinefitqu’aiguiserlatentation.

Jemeredressainéanmoins:ilnefallaitpasquejemelaisseemporter.–Tuveuxquejemontetafermeture?

Page 131: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–S’ilteplaît.Je fermai sa robe, désolé que les choses n’évoluent pas plutôt dans l’autre sens. Lorsqu’elle se

tournaversmoi,sonregardmedétailladelatêteauxpieds,tandisqueseslèvress’entrouvraient.– Toi aussi, tu es superbe, murmurai-je, très conscient ce soir de notre admiration mutuelle.

Délicieuse,même.Jemepenchaiànouveaupourl’embrasser,maisellem’esquiva.–Arrête,tuvasmemettredanstousmesétatsavantmêmequ’onsorte.–Çanemeposeaucunproblème,assurai-je, incapabledem’empêcherd’explorer lescourbesde

soncorpsàtraverslesatindesarobe.Elleattrapamesmainserrantes,maisjel’attiraicontremoi,luiôtanttoutdouteéventuelsurl’effet

qu’ellemefaisait.–Non,sérieux,commentjeteprésente?insista-t-elled’unevoixhésitante.Jetraçaiuneligneimaginairesursajoue,puissonmenton.–Commetoncompagnon.Çadevraitaller,pourl’instant.Mesyeuxseposèrentsursaboucherosepulpeuse,capabledetantdechoses,dontjesuivisdudoigt

lacourbeinférieure.Lorsquesalanguel’humecta,jeglissaiimpulsivementl’indexentreseslèvres,quiserefermèrentautour,avantqu’elleenlèchelapulpesensiblepuislesucebrusquement.

Mamainsecrispasursataille,tandisquemonérectionsepressaitcontresahanche.–Çavaêtrelong,cettesauterie?Ellefredonnatoutbas,souriante,pendantquejeretiraismondoigt.–Quelquesheures,pasplus.–Jevaiscompterlamoindreminuteavantquetusoissousmoi.–Qued’empressement…–Cen’estabsolumentpaslemotjuste.–Onestfébrile?–Peut-être.–Etd’oùvientcettefébrilité?chuchota-t-elle,provocante,enmefrôlantleslèvresd’unbaiser.Biendécidéàluifaireregretterlaquestion,jeprissaboucheavecautantdepassionquejevoulais

enmettreàlaprendretoutentière.–Jevaisteledire.Del’idéedetecaresserjusqu’àcequetusoistrempéeetquetujouissesàne

plusenpouvoir.–Oh…souffla-t-elle,haletante.–Là,tumesupplierasdetepénétrer.Ellefermalesyeuxetsemorditleslèvres.Seshanchesondulaient,àprésent.–Fort.Encoreetencore,grondai-je.L’autrejour,jen’aieuqu’unavant-goûtdetoi.Ilmerestedu

tempsàrattraper.Elleexpirabrusquement.Ledésiranimalquipalpitaitenmoiembrumaitaussisonregard.–Promis?chuchota-t-elle,leslèvresfrémissantes.

Page 132: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Jeteprometsquejeteprendsicietmaintenantsionnesortpastoutdesuitedecettechambreetquetunem’empêchespasdesuccomberàmesenvies.

MAYA

Ilconduisaitd’unemainnégligente,l’autrefermementposéesurmacuisse,dontilcaressaitlapeausensibleau-dessusdugenou.

Jefrottainerveusementmesdoigtscontrelecuirlissedemonsiègeettentaidemeconcentrersurlaroute,lefluxetlerefluxdelacirculation.Lespectaclenesuffisaitpasàécarterlesvisionssuscitéesparlespromesses lascivesdeCameron. J’avais tellementenviede luique j’en tremblais,mais ilavaiteuassezdevolontépourm’entraînerdehors.

Sonarrivéeavaitsuffiàmecouperlesouffle.Jeletrouvaisaussiirrésistiblequed’habitude,danssoncostumenoir,maisd’unemanièredifférente.Maintenant,unepetitevoixmechuchotaitde lui fairefairedemi-tour,d’oublier lasoiréeetd’aller toutdroitau lit.SaufqueKevinDermottmecloueraitaupilorietquejenepouvaispaslaissertomberJia,aprèscequ’elleavaitfaitpourmoi.

–Tuesnerveuse,non?–Unpeu.Jusqu’ici,j’étaisalléeàcegenredesoiréesdansl’intentiondepapoteraveclesquelquespersonnes

quejeconnaissaisdéjà.Jamaisjen’yavaisvuuneoccasiondemecréerunréseauetdefaireprogressermacarrière.

–Çat’ennuiequejet’accompagne?repritCameron.–Non,aucontraire,jesuiscontentequetusoislà.Jenerigolaispasendisantqu’ilmefallaitdu

renfort.Saprésencemerassurait,mêmes’ilallaitsansdoutesesentirencoremoinsàsaplacequemoi.–Tutedébrouillerastrèsbien,assura-t-ilenmepressantbrièvementlegenou.Lorsqu’ils’arrêtasouslamarquisedel’hôtel,levoiturierouvritnosportières.Ongagnalagrande

salle, où je cherchai des yeux un visage avenant parmi les centaines d’invités et repérai Vanessa, engrandediscussionavecunemployédel’établissement.

Ànotreapproche,sonattitudesefitplusamicale.–Vousvoilàenfin!Ellem’étreignitbrièvement,avantdefairelabiseàCameron.–Toutvabien?m’enquis-je.–Jusqu’ici,oui.Jen’euspasletempsd’endemanderdavantage,carJiaarrivait.–Maya!(Ellem’effleuralajoued’unbaiser.)Tuesépoustouflante.Lesoulagementquim’avaitenvahiequandjel’avaisrepéréedanslafoules’évanouitàlapenséede

ce qui s’était passé la seule fois où Cameron nous avait vues ensemble. Leurs regards conjoints me

Page 133: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

mettaientmalàl’aise.Elleluijetauncoupd’œilinterrogateur–ilnousdominaitdesahautetaille,etlecostumelerendaitencoreplusimposant,plusimpressionnant,mêmesi jesavaisaufondquecen’étaitpassongenre.

Jemeraclailagorgedansl’espoirderetrouvermavoix.–Jia,jeteprésenteCameron.Mon,euh…compagnon.Cameron,jeteprésenteJia,l’assistantedu

vice-présidentdel’entreprise.Cetteinformationnes’imposaitpas,maisjevoulaisdonnerunetournureformelleàcepetitrituel.Je

mesentaisfranchementembarrassée.–Enchantéedefairevotreconnaissance.JiaserralamaintenduedeCameron,quihochalatêtesansmotdire.–JepeuxvousemprunterMayauneminute?Ilarquaunsourcil,tandisqu’ellepassaitsonbrassouslemien,souriante.–Onaquelquespersonnesàsaluer.Àvoirleregardqu’ilmejeta,onauraitditqu’illuifallaitmonfeuvertpourmeconfieràlagarde

deJia.Jerépondisparunsourirerassurantàsaquestionmuette.–Jeseraiaubar,medit-ilenfin.Je lui serraibrièvement lamainavantde laisser Jiam’entraîner loinde luietmepropulserdans

l’animationdelasoirée.–Champagne?meproposa-t-elleenprenantaupassageuneflûtesurunplateau.–Non,merci,çava.–Tuessûre?Tuasl’airunpeunerveuse.–Jelesuis,maisçava.Un verre m’aurait aidée à me détendre, mais il me fallait garder la tête sur les épaules.

Heureusement,lavolontéétaitlà,etj’avaisJiapourm’aider.–Alors,Cameron…C’estofficiel?Jejouainerveusementavecmapochette.–Oui,jesuppose.Ontâtonneunpeu.Ellesirotaunegorgéedechampagneenjetantuncoupd’œilaubar,oùilse tenait,sonlargedos

tourné vers nous. Je soupirai enmon for intérieur : ah, retirer ce costume et dévoiler l’homme qu’ildissimulait…

–Ilal’airplutôtpassionné,reprit-elle.–Illuiarrivedel’être.Et,àvraidire, j’appréciais. J’adorais,même.Quand ilmeregardaitcommes’ilplongeait jusque

dansmon âme, rien d’autre n’avait plus d’importance. Personne nem’avait jamais vue telle qu’ilmevoyait;personnenem’avaitjamaisconnuetellequ’ilmeconnaissait.Personne.

CAMERON

Page 134: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Mayapassaitdegroupeengroupe,accompagnéedeJia.Cetuniversm’étaitétranger,etj’espéraissincèrementpourMayaque toutallaitbien.Son travailn’avaitpas l’airde luiplaire,mais leschoseschangeraientpeut-êtresielleétablissaitlesbonscontacts.DommagequeJiaenfassepartie.Cettefilleavait quelque chose qui ne me revenait pas. Chaque fois qu’elle me regardait, ses yeux bruns aigusprenaient discrètement ma mesure, comme si elle cherchait à me situer. Maya avait le bon sens derarementparlerd’elle,maisjesavaisqu’ellessevoyaientbeaucoupaubureau.

–Cameron!lançaderrièremoiunevoixfémininesensuelle.Lorsquejemeretournai,Jiamegratifiad’unsourireoblique.–Tiens,Jia,répondis-jesanschaleur.OùestpasséeMaya?–Ellediscute.J’aidécidédelalaissersedébrouillertouteseuleunmoment.Quandellepenchalatêteversmoi,mespoilssehérissèrent.Peut-êtren’aurais-jepasdûéprouver

pourelleuneantipathiepareille,maisbon,lapremièrefoisquejel’avaisvue,elleroulaitunepelleàlafemmedemavie.

–Mayaesttrèsenbeauté,cesoir,ronronna-t-elleenjetantuncoupd’œilpar-dessussonépaule.Rienn’étaitplusvrai:lesatinnoirdesarobemettaitmerveilleusementenvaleurlapeaulaiteuse

deMaya.Jiam’examinaensuitedehautenbasd’unairsuggestif,pendantquejedansaisd’unpiedsurl’autreenregrettantd’avoiràsubirsaprésence:jeneconnaissaispersonned’autre,maiscen’étaitpasfranchementuneamie.

–Toiaussi,tuessuperbe,Cameron.Lorsqu’elle suivit du doigt la couture dema veste, jem’emparai demon verre pour y boire une

longue gorgée d’ambre liquide, alors que jemourais d’envie de repousser samain.Maya n’avait pasbesoind’action,cesoir.Jeluiavaispromisdelasoutenir.

–Tut’esbienamusé,enboîte?repritJia.–Jenesuispaspresséderecommencer,répondis-jeavecunhaussementd’épaules.–Vraiment?Vousêtespartistôt.Çan’apasdûêtresimal.Jemerefusaiàcroisersonregardetàmordreàl’hameçon.–Ondevraitsortiràtrois,undecesjours.Ceseraitsympa.Elles’humectalalèvreinférieureenm’adressantunsourireséducteur,quinefitqu’alimentermon

agacementcroissant.–Qu’est-cequevousfaites,plustard?J’inspiraiàfond.Combiendetempsallait-ellecontinuer,avecsesquestions?–Onrentreàlamaison,jepense.–Jevisdanslecoin.Vousdevriezvenirprendreunverre.–Non,merci.Lorsqu’ellesepenchaversmoi,sonparfumm’enveloppa.–Paslapeinedefairesemblant,avecmoi,murmura-t-elleenmefrôlantdelahanche.Del’extérieur,sonattitudeavaitsansdoutel’airnormale,voiredétendue,maislemoindredeses

gestesmesemblaitpleindesous-entendus.

Page 135: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

– Je ne sais pas à quoi tu penses, Jia,mais ça nem’intéresse pas, etMaya non plus, je peux tel’assurer.

Ellehaussaunsourcilenjetantunnouveaucoupd’œilpar-dessussonépaule.–Jen’ensuispassisûre.Elleestpeut-êtreunpeupluscurieusequetuveuxbienlecroire.Ceserait

marrant.Jemeraidis.Lesorientationssexuellesd’autruimelaissaientd’habitudeindifférent,maisiln’était

pasquestionquejepartagel’amouroulecorpsdeMaya!JiaavaitbeaupeindreuntableauauxcouleursdesfantasmesdeM.Tout-le-Monde,Mayan’inviteraitpersonned’autrequemoidanssonlit.

Moninterlocutricefitglissersamainsurmonbraspuisleserralégèrement.–Eh,détends-toi.Turéfléchistrop.Tuferaiscequetuvoudrais.Nousprendretouteslesdeuxou

justeregarder.Çaneteplairaitpasdevoiruneamielafairejouir?La pensée qu’une autre femme fasse des avances à celle que j’aimaismeparut si bizarre que je

restai sans réaction – heureusement pour Jia, ou je l’aurais traînée dehors par les cheveux. J’inspirailentement,afindegardermoncalmeetdenepascéderàmaseuleenvie:larepousser,avantderamenerMaya à la maison pour lui montrer très précisément que je serais désormais le seul à lui donner duplaisir.

–Jeteremerciedetaproposition,Jia,maisavectoutlerespectquejetedois,çan’arriverajamais.–Jenesuispasunemenace,tusais,s’amusa-t-elle.Tuprendsleschosesbientropausérieux.Jemeredressaidetoutematailleetluifisvraimentface,décidéàluiprouverquesespetitesruses

mesquinesnemefaisaientnichaudnifroid.–Tuveuxcoucheravecmacompagne.Jeleprendseffectivementausérieux.Maiselleteconsidère

commeuneamie,doncjevaisteledirepoliment,unefois.Laissetomber,sinon…–Sinonquoi?J’expiraientremesdentspourétoufferungrondement.–Jenedoutepasquedestasdegensicis’intéressentàcequetuessaiesdefaire.Sesyeuxseplissèrent,tandisquesonattitudesensuelleseraidissaitunpeu.–Lesmenacesenl’airsontinutiles.J’aicompris.Sagorgesetenditquandelleavalaunegorgéedechampagne,sansmequitterdesyeux.–Tuespossessif,cequiestbiencompréhensible.Elleestravissante.Etjevoisquetutiensàelle.–Jetiensénormémentàelle.Etjenefaispasdemenacesenl’air.–C’estquoi,cettehistoiredemenaces?LeretourdeMayadétournamonattentiondeJiaetdesexplicationsquejeluidonnais.L’arrivante

nousexaminatouràtour,perplexe.Nousn’avionsl’airenchantésni l’unni l’autre,maisellenesavaitévidemmentpaspourquoi.

– Tiens, je demandais justement à Cameron s’il voulait passer boire un verre plus tard,mais ilsemblequevousayezd’autresprojets,lançaJiaenluiadressantunsourireplusfranc.Remarque,cen’estpeut-êtrepasplusmal:ilyaquelquespersonnesquejen’aipasvuesdepuisunmoment.Amusez-vousbien,touslesdeux.Àdemain,Maya.

Page 136: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Elledéposaunbaisersur la jouedemacompagneenme jetantuncoupd’œilnarquois,avantdedisparaîtredanslafoule.

JeserrailesdentsetrefoulailabrusqueenviedeprendreMayadansmesbras,seulendroitoùelleseraitàl’abrideshypocritesquifaisaientminedeluivouloirdubien.

–Maisenfin,qu’est-cequec’étaitqueça?–Allons-nous-en.Tuesvenue.Ilsnes’attendentquandmêmepasàcequetusocialisestoutelanuit,

hein?Jevoulaispartiravantdefaireunscandale.Çamesurprenaitréellementd’êtredisposéàalleraussi

loinpoursonbien,et,malgrémonenviedelaprotéger,j’étaisdangereusementprèsderuinerl’avancéeprofessionnelledontellerêvait.Alorsquejenevoulaissurtoutpaslahandicaperdecepointdevue-là–nid’aucunautre.

–Oh,onpeutyaller,oui.Maistuveuxbienm’expliquer?Soucieuse,elleeffleuraduboutdesdoigtslesridesgravéesdansmonfront.J’inspirailonguement,

afindemedétendre,luiprislamain,laretournaietenembrassaitendrementlapaume,avantdelagarderdanslamienne.

–Onenparleraenrentrant.Jen’avaisaucuneenviedeluidonnerlesdétailsdelapropositiondeJia,maismacolèrenefitque

croîtreau fildu trajet.ÀnotrearrivéechezMaya, lesmotsquim’échappèrent furentplusbrutauxqueprévu.

–C’estunesalope.Mayasursautaetsefigea,pendantquejecontinuaisàfairelescentpasaupieddesonlit.–Qui,Jia?–Oui.–Tuluienveuxdenousavoirinvitésàboireunverre?– Elle ne voulait pas boire un verre, elle voulait organiser une petite orgie à trois, et ça ne

m’intéressepas.Méfie-toid’elle,etgardetesdistances.–Ah…ditMayatoutbas–tropbas.Jem’approchaipourluiprendrelamaincommes’ils’agissaitd’uneplanchedesalut,d’unmoyen

deluifairecomprendrelasituationsansqu’ellem’enveuille.–C’estunemanipulatrice.Ilnefautpasluifaireconfiance.–Qu’est-cequetuensais?demanda-t-elleens’écartantdemoi,maissansmequitterdesyeux.Jesecouailatêteenmepassantlesmainsdanslescheveux.SiseulementelleavaitvulatêtedeJia

aumomentoùellem’avaitfaitsaproposition…–Jelesais,c’esttout.Mayafrissonnaetrecula,leregardrivésurseschaussures.–Qu’est-cequ’ilya?Tuasfroid?–Tudevraisyaller.–Pourquoiça?

Page 137: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

– Je vais avoir une longue journée, demain. Il faut qu’on en finisse avec ce contrat avant lesvacances,sipossible.

–Lecontratdonts’occupeJia.Ellepritmonmanteausurlachaiseetmeletendit.–Maya…–Mercidem’avoiraccompagnéecesoir.Jetesuisreconnaissantedetonsoutien.Vraiment.Jebalançailemanteaudecôtéetmerapprochaid’elleaupointdesentircontremoilachaleurde

soncorps.Elleseretrouvacoincéecontrelemur,irradiantlafrustration,maisaussiunetensionsexuellequasipalpable.

–Tun’aspasàmedirequoifaire,reprit-elled’unevoixàpeinemoinstranchante.–Ahnon?EncequiconcernaitJia,jen’étaispasdecetavis.–Depuisqu’onserevoit,tupassestontempsàmedonnerdesordres,etmaintenanttuveuxenplus

déciderdemesfréquentations.Tucroisvraimentquej’aibesoindequelqu’uncommeçadansmavie?–Tuasbesoindequelqu’uncommeçadanstavie,parcequepersonneneteditlavérité.Etquand

tu faisdesconneries, j’aibien l’intentionde temettre lenezdessus.Si tuestimesque je tedonnedesordres,tantpis.Etàpartça,jenem’envaispas,jesuissûrquetulesaisdéjà.

Lorsque son regard vacillant croisa lemien, je lus en elle toute sa vulnérabilité ;mais la doucejeunefilleeffrayéenerestalàqu’unefractiondesecondeavantd’êtrebalayéeparl’impassibilité.

–Tuoubliesàquituparles,dit-elle.–Çayest,turecommences.–Quoidonc?–Tutecaches.Jepromenailedoigtsurlaligneduredesonmentonetlepoulsquibattaitdanssoncoupuisposaila

mainaucreuxdesanuque,maiselle l’enarracha, lesyeuxétincelants.J’attrapaisamainet lapressaifermementcontrelemur,avantd’enfaireautantdel’autrequandellevoulutmerepousser.

Ellemefixaitàprésentd’unregardnoir,lesnarinespalpitantes.Jeréprimaiunsourire.C’étaitsifacile de l’énerver !Malgré le pincement de sa bouche d’un rose parfait, sa poitrine se soulevait etretombait violemment, elle ne pouvait s’empêcher d’observer mon corps, nos lèvres se touchaientpresque. Ma rage, alimentée par la frustration et le besoin de la posséder, valait bien la sienne. Jesoutenaissonregardfurieux,ladéfiantdeledétournerpoursecacher,unefoisdeplus.

–Quellerebelle…–Tunet’yattendaispas,hein?–Non.Jenem’attendaispasnonplusàcequ’unedisputem’excite,d’ailleurs.Jem’humectaileslèvresavecl’enviedegoûterlessiennesmaismecontins,prolongeantlapause

surceterrainneutrepérilleux.–Sivraimentlesdisputest’excitent,onaunsacréproblème.Souriant,jelaissaimesmainsglisserlelongdesesflancsavantdelesplaquersursesfesses.

Page 138: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Jesuisbiend’accord.Mais,d’unautrecôté,tupourraisfairebonusagedecetteétincelle.Jelarapprochaidemoi.–Tudevraisyaller,souffla-t-elle,lesyeuxmi-clos.Vulaconvictionqu’elleyavaitmise,elleauraitaussibienpumedemanderdelaprendre.–Jet’aifaitdespromessesquej’ailafermeintentiondetenir.Jel’empoignaiparlacuisse,posaimajambesurmahancheetlaplaquaicontrelemuravecunchoc

sourd.Unepetiteexclamationétoufféeluiéchappa,tandisquesespoingssecrispaientdansmachemise,avant que je couvre le peu d’espace qui nous séparait encore et colle mes lèvres aux siennes. Nosbouchesseprirent,brûlantes,setransmettantl’uneàl’autreledésirflamboyantquinousincendiait.Jelasoulevaideterre,nouaisesjambesàmatailleetl’emportaijusqu’aulit.

Page 139: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XV

MAYA

Ilneluifallutquequelquessecondespournousdéshabilleretmeposersurlelit,endessousdelui,avantd’installersoncorpsmuscléentremesjambes.Sescaressesfermes,presquecalculées,étaientsilentementadministréesqu’ellesm’emplirentd’uneexcitationenivrante.Seslèvrestraçaientsurmapeauuncheminparesseux,maisprovocant.

J’étais à lui, oui. Je l’aimais et le détestais tout à la fois, parce qu’il ne me laissait jamais lapossibilitédefuir.Lorsquejel’attrapaiparlesépaules,mesmainsaffaibliescherchèrentsimultanémentàlerepousseretàl’attirercontremoi.

Sans se laisserdéconcerter, il seplaça surmoi, peaucontrepeau,m’explorantde la langue,deslèvres,desdents,jusqu’àmeréduireàl’étatdecréaturetremblante,idiote,quin’existaitplusquedansledésirdelui.

–Tuestellement,tellementbelle…L’amourquibrûlaitdanssesyeuxquandilprononçacesmotsmefrappaaucœur.Savoixéraillée

parl’excitationéveillamonavidité,autantquelasiennel’avaitétéplustôt.–Ettuesàmoi.Àmoi.Lemoindrecentimètrecarrébagarreurdetoi.Sesdoigtss’enfoncèrentdansmesfessespourpressermonsexecontrelesien.–Arrête,protestai-jeenlerepoussantunefoisdeplus,bouleversée.–Jamais.(Ilm’embrassa,mordillantmalèvreinférieure.)Etjenepartiraijamais.Lapenséequ’ilpuissepartirmepoignarda,rouvrantlesvieillesplaies.Quandildisaitcegenrede

choses,ilmesemblaitquemesémotionsallaientdéborder.Jel’entouraidemesbraspourl’emprisonnercontremoi.

–Jeneveuxpaspenseràça.Quandtudisdeschosespareilles…jenepeuxpasgérer.–Jenepeuxpastedirequetuesbelle?(Sescaressesralentissaientencoreaufildesaréponse.)Ni

quejet’aimeàenavoirmal?Jefermailesyeuxdetoutesmesforces.–Je…Dis-moijustequetuasenviedemoi.Paslapeinedeparlerdupasséoudessentiments.

Page 140: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Sesmouvementss’interrompirent.–Tun’essaieraispas,parhasard,demediredemetaireetdetebaiser?Lacruditédelarépliquemecoupalesouffle,maismoncorpssecambraimperceptiblementcontre

lesien,réponsesilencieuse.–Quelquechosecommeça,avouai-je,haletante.Maisétait-ceréellementcequejevoulais?Unépisodemoinsimportant,quiéviteraitàmoncœur

d’explosersousl’effetdesparolesdeCameron?Jeresserrail’étaudemesjambessurseshanchespourl’attireràmoi.

Soncorpsrestaitfigécontrelemien.Ledésirsemêlaitàl’hésitationdanssesyeux.Jevoulaisquenotreunionsoitbruteetintense,oui.Qu’ilmebaise,queletsunamidesensationsaveuglesdontj’avaisdéjàjouipeudetempsauparavantm’engloutisse,unefoisdeplus.

–Jevaistebaiser,Maya.Àtelaisserépuisée,sic’estcequetuveux.Maisilfautquetusachesqu’il y a bien plus que ça entre nous.Ça, je l’ai déjà vécu, je t’assure.Un corps contre soi, ce n’estjamaisqu’uncorps.Rienàvoiravecl’amour.Rienàvoiravecnous.

Seslèvreseffleurèrentlesbattementsfousdemoncœurdansmapoitrine.Jefermaimesoreillesaubruit:meshalètements,monpouls,savoix.

–Jevaisprendretoncorps,maisjeveuxaussitoncœur,Maya.Mesmamelonsdurcisfrôlèrentlesmusclespuissantsdesapoitrinequandilselaissadescendre,les

bras noués à ma taille. Sa langue titilla les pointes roses sans qu’il détourne du mien son regardséducteur,puissonhaleinebrûlanteagaçamachairhumideavantquesaboucheouverteseposesurmonventre,justelàoùunespiraledefeuétaittapie.Untraitdeflammesmetraversa:jelevoulaispartout,toutdesuite.Surmoi,enmoi,meprenantsauvagementjusqu’àmedépouillerdemonidentité,mesortirdel’espritlesensdesesparoles.

Commeenréponseàcedésirmuet,ilm’empoignaparlahanchepourm’allongercomplètementsurlelitetsedressaau-dessusdemoi.Cettepetitepreuvedeforcemetrempaplusencore.

Jeme cambrai afin de glisser entre les plis demon sexe son érection brûlante, gainée de latex,fermailesyeuxetserrailesdents,toutentièreraidieparlatensionsexuelle.

–Maintenant,Cameron!–Regarde-moi.Mesyeuxserouvrirentbrusquementàcetordrebref.Sansmelaisserletempsd’ajouterunmot,il

plongeaenmoisisoudainementquesonvolumem’arrachaungémissement.J’ouvrislabouche,maislesmots ne vinrent pas. Ilme prit par la nuque d’une poigne si ferme que sa poussée suivante l’emportajusqu’aufinfonddemoncorps.

–C’estça,quetuveux?–Oui,haletai-je.–Lemoindrecentimètredemoientoi?–Ohoui!

Page 141: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jenouaimesjambesautourdessiennes,commes’ilm’étaitpossibledecontrôlersaforceaveclamienne.Lepremierd’une longueséried’orgasmess’annonçait, labraisediscrètedudésirsemuantentorrentdeflammestandisqu’ilallaitetvenaitenmoi.

– Je vais te baiser jusqu’à ce que tume supplies d’arrêter. Je vais te faire hurler.Et demain, tusentirasmonfantômeentoi.C’estça,quetuveux?

–Oui…ohoui!Les promesses crues qui tombaient de ses lèvres sensuelles firent de mon lent frémissement un

tremblementviolent, réactionphysique révélatricequoiquesilencieuse. Jene lequittaispasdu regard,malgré l’effort exigé par cette attention, car le rythme intense qu’il avait adopté court-circuitaitrapidementmafacultédepenser.

Ilm’embrassaavecpassion,undésirimpérieuxemportantsatendresse.Jel’attrapaiparlescheveuxpuismecabraisousluiaurythmedesesviolentespoussées.

–C’estmoi,Maya.Moiquitebaise.Moiquit’aime.Ilsoulevameshanchesdequelquesdizainesdecentimètrespourmepositionneràunangletelquela

pièce se mit à tourner autour de moi. Je hurlai en lui lacérant le bras de mes ongles, incapable demaîtriser l’orgasme quim’avait empoignée, cœur, corps et âme.Nos corps semêlaient,mon sexe secontractaitautourdusien,jemecramponnaisàlui,lesmainsglissantsursapeausuante.

Commentaurais-jepurelâchermonétreinte,alorsquenousétionsentrelacésl’unàl’autredetoutnotreêtre?D’ailleurs,monplaisirn’interrompitnullementsesalléesetvenues.Ilplongeaunedernièrefoisaufonddemoiavecungrognementétouffé.Monnomjaillitdeseslèvres,résonnacontrelesmurspuiss’évanouittellelafoudredenotrejouissance.

Jefrissonnaiausoufflequijouaitdansmoncou,bercéeparlesrépliquesdel’orgasmependantmonlentretouràlapenséecohérente.Cameronavaitindéniablementtenusapromesse!

Ilm’embrassatendrementenrepoussantlescheveuxquim’étaienttombésdevantlevisage.–Dis-moiquetum’aimes,Maya.Mes dents se serrèrent. Les mots s’étaient plantés dans mes entrailles, nouées par les émotions

conflictuellesquientouraientnotrerelationrenouvelée.J’avaisenviededonnercequ’ilmedemandaitàCameron;mais,malgrémonbonheurpost-coïtalanimal,quelquechosem’enempêchait.Lafierté,peut-être.Çareviendraità luidirequeje luipardonnais toutcequ’ilm’avaitfaitsubir,à luiredonnermoncœurpourdebon,avectoutemaconfiance.C’étaitdéjàfait,d’unecertainemanière,maisj’avaisbesoindegarderquelquechosepar-deversmoi,neserait-cequecesquelquesmots.

Ilmefixaitdesesbeauxyeuxbleus,pleinsdefatigueetd’émotion.–Pourquoin’arrives-tupasàmeledire?reprit-il.Jemedétendisànouveauetcaressailechaumedesonmenton.–Réponds-moi.–Jenesuispasprête.Riendeplusvrai.Jenesavaispasquandjeseraisprête,maisilm’étaitimpossibled’accéderàsa

requête,sisimplefût-elle.

Page 142: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Etsijetefaisaisl’amourjusqu’àcequetulesois?demanda-t-ilenpromenantsonpoucesurmeslèvres.

Jeleshumectai,carelless’asséchaient,cequil’encourageaàm’embrasser,àencaptureruneentreses dents, à la mordiller et à la caresser jusqu’à me tirer des gémissements de plaisir.Mes bras seresserrèrentautourde lui,et sonbaiser se fitplusardent,commes’ilvoulaitverserenmoi jusqu’à ladernièregouttedesonamour.

CAMERON

Àmonréveil,elleétaitdéjàpartieautravail.Unefoisrhabillé,jegagnailesalon.Elipassalatêteparlaportedelacuisine.

–Salut.–Salut.Jenevaispastedéranger,jem’enallais.–Tuneveuxpasuncafé,avant?J’hésitai:avais-jevraimentenviedemefairedisséquerparlecolocdeMaya?Ilavaitl’airsympa,

mais elle me donnait assez de soucis comme ça. D’un autre côté, un café me tentait… et m’étaitnécessaire. On n’avait presque pas dormi de la nuit, par ma faute, et le manque de sommeil meralentissaitlecorpsetl’esprit–quoiquepasassezpourmedonnerlemoindreregret.

–Si,enfait,avecplaisir.Je jetai monmanteau sur un fauteuil, pendant qu’il retournait s’activer dans la kitchenette.Mon

regardtombasurlecarnetnoirrangédanslabibliothèque.Jen’avaispasoubliélamanièredontMayaavaitramassécetrésorsurlatable,avantdeleserrercontresoncoeur.Elireparutàcôtédemoi,unmugfumantàlamain.

–Merci.–Derien.Jecroisqu’onatousbesoind’unpetitcoupdepouce,cematin.–Ah,euh,oui,désolé…acquiesçai-jeenmefrottantlefront.Vu la taille de l’appartement, il n’avait sans doute pas beaucoup dormi non plus.Mes attentions

avaient tiré àMaya un éventail impressionnant de mots salaces, mais pas la seule petite phrase quej’auraisvraimentvouluentendre.Elleétaitcoriace!

–Oui,bon,peuimporte.Ilhaussalesépaulesets’installasurlecanapé.–J’ail’impressionqueçadevientsérieux,avecMaya,non?Jerepoussaimonmanteaupourprendreplacedanslefauteuil.Lavapeurquis’élevaitdemonmug

enpetitsnuagessedissipaitdansl’atmosphère.Querépondreàunequestionpareille?–Ças’enrapproche.Onnepeutpasdirequ’ellemefaciliteleschoses.–C’estuneemmerdeuse,s’amusaEli.–Sansblague.

Page 143: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Maistul’aimes.–Etj’aimeraiscroirequeçasuffit.Elle…(Jesoupirai.)Jenesaisabsolumentpascequ’elleadans

latête.Jecroyaislaconnaître,tusais.Etjelaconnaissais.Intérieuretextérieur.Gestes,expressions…jelisais en elle à livre ouvert. Ça n’a pas complètement disparu, maismaintenant elle se fait une idéevraimenttorduedesrelationsamoureuses.

Ilsirotaunpeudecafésansmequitterduregard,avantdedireenfin:–Elleenabavé.J’acquiesçai.Sansdouteétait-ilaucourantdenotrehistoire,àMayaetmoi.Mieuxquemoi,même.

Jen’avaispasledroitdemeplaindre,vuquej’étaisresponsabledugâchis.–Paslapeinedemelerappeler.Jeluiaifaitvivreunenfer,etjeméritesansdoutecequim’arrive.– Peut-être, mais peut-être aussi méritez-vous tous les deux une seconde chance. Si tu trouves

commentlasaisirsansluifairedemal,cettefois-cijetedonnemabénédiction.C’estmameilleureamie,etjevoisbienqu’elleestheureuseavectoi,malgrétout.Quepourrais-jedemanderdeplus?

–J’essaiedelarendreheureuse,oui.Ellenemefacilitepaslatâche.Eliselevaets’approcha.Mamainsecrispasurmonmug.Pourvuqu’iln’essaiepasdemeserrer

danssesbrasouquelquechosecommeça!Maisilsecontentadesepencher,deprendrelecarnetsurl’étagèreetdemeletendre,leslèvresserrées.

–Situluidisquejetel’aipassé,jetejurequepersonneneretrouverajamaistoncorps.Onseregardauninstantdanslesyeuxsansmotdire,puisildisparutdanssachambre.Jeposaima

tasseenmedemandantcequej’allaistrouversouslacouverturenoireducalepinquimesemblaitbienlégerentremesmains.Cefurent lacuriositéet lebesoindésespéréd’obtenirunindicesurlespenséessoigneusementdissimuléesdeMayaquimepoussèrentàl’ouvriravecprécautionpuisàenfeuilleterlespagesquasipleines.Despagesetdespagesdemots,depoèmes,degriffonnages.

Jerefermailecarnet,melevaietmemisàfairelescentpas.S’ils’agissaitpourMayad’unesortede journal intime, jemepréparaisà fairequelquechosed’impensable.Enétais-jecapable?Si jemecontentais d’une seule et unique page… m’apprendrait-elle quelque chose ? Me révélerait-elle lamoindrebribed’informationsurcelledontjeretombaisdésespérémentamoureux?

Je me rassis, terminai mon café et laissai les minutes s’écouler. Enfin, je rouvris le carnet etcommençaiàlire.

OuiChaquejour,chaquepierreretournée,Promessed’avenirDejoursheureuxdelonguesnuitsD’amourdevie,D’unsimpleoui.

Page 144: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Barrièrepimpante,visagesd’anges,Lemoindrerêveréalisé,D’unsimpleOui.Unesecondechance,jerêveetrêve,Jen’aipaspuLuidireOui.

Jetournailapage,lesmainstremblantes.Ilyenavaitdesdizainesd’autres,maisellesétaientquasiindéchiffrables, parce que le sens du poème que je venais de lire me tournait sans fin dans la tête.J’enfouismonvisagedansmesmains.

Ily avaitmaintenantplusieurs joursque j’essayaisdedépasser les apparences, de découvrir quiétaitdevenueMaya,ensentantl’espoirmesouleverchaquefoisquejetouchaisjuste.Etmaintenant,ça.Une avalanche d’émotions, sans aucun besoin d’interprétation. Je venais de passer des heures en ellepour lui faireexprimersonressenti,alorsque lavéritése trouvait là,danscecarnet.Unepartiede lavérité.L’essentiel,peut-être.

Jeme levai brusquement et recommençai à faire les cent pas, incapable de parler ou d’avoir lamoindrepenséecohérente.Commentl’aurais-jepu,aprèsunelecturepareille?QueldommagequeMayanesoitpaslàpourmedirelavéritéenface!Yconsentirait-elleunjour?J’auraisvouluscrutersesyeuxbruns, son regard sans fond pour y lire qu’elle admettait à la fois la signification de son poème etl’existencedessentimentspuissantsquenousn’avionsjamaisformulés,desrêvesquejen’avaispartagésqu’avecelle,desprojetsd’avenirquejenepouvaisréaliseravecpersonned’autre.

Jereposailecarnetsursonétagère,prismonmanteauetmeprécipitaidansl’escalier.Labrûluredouloureusementdégrisantedel’airglacéquim’emplitlespoumonsfutunsoulagement.Jejetaiuncoupd’œilendirectiondemonappartement,puisjefislespremierspasdelatrèslonguemarcheàlaquellejemepréparaisdansladirectionopposée.

MAYA

Ce24décembre,l’équipes’étaitréduiteaupointqu’iln’enrestaitqueKevinDermott,Jiaetmoi.On en avait terminé juste à temps. Le réveillon deNoël n’avait pas grande valeur àmes yeux,maisj’auraisaiméfinirplustôt:j’étaisépuisée,etj’avaisenviederentrerchezmoiretrouverCameron.Lanuitavaitétéintense.Épuisanteetintense.Jamaisunvéritabledésaccordnenousavaitséparés,autrefois,maisilenallaitautrementdenosversionsactuelles.Jel’avaisagressé,ilavaitripostéavecplusdeforceencore,puisilm’avaitréduiteausilenceparunepassioninégalable,unefoliesensuellequinousavait

Page 145: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

emportés jusqu’à l’aube. À le voir aussi infatigable, aussi implacable, on aurait cru qu’il voulaitmebriseràsamanière.

Quoiqu’ilaitvoulufaire,ilétaitfortpossiblequ’ilysoitparvenu,carjenepensaisplusqu’àça.Cameron était une drogue de première qualité que j’avais eu le bon sens d’éviter jusque-là, maismaintenantquej’enavaisprisunedose,ilm’enfallaituneautre…déjà.

Jeme tassaidansmon fauteuil clubenessayantdenepasmedireque j’auraispréféré rejoindreCameronauplusvite,sansperdreuneminuteàboireunverrepourfêterlafindumarathondetravail.

–Unscotch,çateva?LasilhouettefinedeJias’approchaitenondulantduminibardontdisposaitKevinDermott.–Oui,oui.Jesoupiraietparcouruslapiècedesyeuxpourenjaugerlatailleetledécor–boissombres,lignes

pures, vue impressionnante sur le ciel nocturne scintillant.Lorsque j’essayai dem’imaginer icimême,installée derrière l’énorme bureau de VIP ou contemplant NewYork de ce quarante-cinquième étageprivilégié,çamefuttoutbonnementimpossible.Peut-êtrecefantasmeétait-iltropéloignédemaréalité.IlnecorrespondaitcertainementpasauxrêvesdontjemeberçaisavantdevivredanslaGrossePomme.

Etpourtant…N’était-cepasmonbutprofessionnel?C’étaitentoutcasceluideJia,quim’entraînaitdanssonsillage.Lerespectetuntitreprestigieuxenvalaient-ilslapeine?Valaient-ilsleslonguesnuitsarduesetlesannéesdestagnation?Jiainterrompitlesillusionsfatiguéesdontj’ornaismonaveniràWallStreetenmemettantdanslamainunverrefinementgravé.

–Tiens,bois-moiça.–Merci.Postéeenfacedemoi,appuyéeaubureaudeKevin,ellesirotaitsonproprewhisky.Jeluitrouvai

l’airplusjeune,plusdoucequed’habitude–étonnamment,vuqu’onvenaitjustedeboucleruntravaildeforçat.Monexamen silencieux la fit sourire.Peut-êtreune lueurdemalicedansait-elle dans sesyeux,maispeut-êtreaussin’yvoyais-jeplusclair,àcestade.

–Fatiguée?–Heureused’enavoirterminé,entoutcas,répondis-je,aprèsavoirbrièvementfermélespaupières.–Buvonsàcettebonnenouvelle.Elle tendit son verre, contre lequel je fis tinter lemien, puis je dégustai une gorgée d’un scotch

délicieuxetforcémentcoûteux–brûluresavoureuseaugoûtdefumée.–Àpartça,tuasmagnifiquementbossé,cettesemaine,reprit-elle.–Merci.Toiaussi.– Je ne savais pas vraiment à quoim’attendre,maismaintenant qu’on a travaillé ensemble je ne

doutepasquetusoisunatoutprécieux.Etjecroisquetoutlemondeenestconscient.–Ahbon?J’étaisravie.–Biensûr.Maissiteln’estpaslecas,jeleurenferaiprendreconscience.

Page 146: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Merci,Jia.C’étaitunesacréechance.Tut’esdonnédumalpourmoi,jem’enrendsbiencompte,etjet’ensuisreconnaissante,jetiensàcequetulesaches.

–Jesuiscontentedel’avoirfait.Tupourraspeut-êtremerendrelapolitesseunjour.–Avecplaisir.Ilallaitsansdirequejelaremercieraisdesongestedèsquej’enauraisl’occasion.Elleavaitpris

unrisquepourm’aidersansréellementmeconnaître,etj’essaieraisdeluirendrelapareilleunjour.Je me le promettais en mon for intérieur, quand elle me tendit la main puis, devant mon

incompréhension,mefitsignedelaprendre.Àpeineeus-jeobtempéréqu’unetractionmeremitsurmespiedsetmefitfairedanssadirectionunpaschancelantquim’amenajustedevantelle.

–Que…?m’étonnai-je.Ellemeréduisitausilenceenmeposantundoigtsurleslèvres.–Jeveuxterminercequ’onacommencél’autresoir.J’ouvrisdesyeuxronds,maiselleserapprochaencoreetm’embrassaavantquejepuissedireun

mot. Saisie par son audace, j’ouvris la bouche sur une exclamation de stupeur, dont elle profita pouraccentuersonbaiser,lamainposéesurmajoueafindem’attirertoutcontreelle.

–Maisqu’est-cequetufais?haletai-je,brisantlecontact.–Jet’embrasse.–Jesais.Jenecomprendspaspourquoi,c’esttout.–Parcequetuesbelleetquejetetrouveattirante.Samaindescenditlelongdesboutonsdemoncorsage.–EtpuisKevinveutregarder.Mesyeuxs’écarquillèrent,tandisquelapaniqueetl’égarementrendaientmonpoulsfébrile.–Hein?balbutiai-je,dansl’espoird’avoirmalentendu.–Tuveuxdel’avancement,ouiounon?demanda-t-elle,lessourcilsfroncés.–Biensûr.–Alorsdétends-toi.Elles’attaquaauboutonduhautdemoncorsage.–Onvas’éclater,d’accord?–Jenepeuxpas!protestai-jeenmerejetantenarrière,horsd’atteinte.Ellelaissaretombersesmains.–ÀcausedeCameron?Jecherchaiuneréponse,tandisquelespenséessebousculaientdansmonesprit.–Euh…peut-être.–Iln’ensaurarien.Etpuiscen’estquandmêmepasàluidetedictertaconduite.–Maisc’estdingue.Kevinvarevenirdansuneminute.–Biensûr.Etilvaavoirdroitàunspectaclegénial.Tuvasvoir,Maya,çavateplaire.Après,il

fera son truc aussi, évidemment,mais ne t’inquiète pas, il n’en a jamais pour très longtemps.Et je tedonneraitellementdeplaisiravantquetunet’enapercevrasmêmepas.

Page 147: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Unsourirefroidperlasurseslèvres.–Tufaisçabien,etsiçasetrouve,onauratouteslesdeuxdel’avancement.–Tuplaisantes,j’espère?–Ils’ennuie,expliqua-t-elleenlevantlesyeuxauciel.–Maisilestmarié.–Etalors?Savoixsensuelles’étaitdurcie.–Qu’est-cequetucrois?Ilsbaisenttousàdroiteetàgauche.Quoiqu’ilensoit,iln’ajamaisvu

deux femmes faire l’amour ensemble. On est super sexy, on s’entend bien, il prend son pied, tout lemondeestcontent.Avecunpeudechance,ilseratellementexcitéqu’iljouiraensebranlant, iln’auramêmepasletempsdenoussauterl’uneoul’autre.

Ladéclarationmelaissabouchebée.–Mesdemoiselles…lançaalors lavoixdeKevin,derrièremoi.Nevous interrompezsurtoutpas

pourmoi.Il referma la porte du bureau, desserra sa cravate, la poussa de côté, déboutonna en partie sa

chemise puis s’installa tranquillement dans le fauteuil le plus proche, les jambes écartées, l’airdécontractémalgrél’aviditéaveclaquelleilnousobservait,Jiaetmoi.CesalevoyeursemordillaitlalèvreenattendantavecunepatiencedécroissantequeJiapasseàl’action.

–Oùveux-tuqu’onsemette,Kevin?demanda-t-elle.–Là,répondit-ilavecuncoupdementonendirectiondesonbureau.Jeveuxlasauterdessus,après.Moncœurbattait à tout rompreet la têteme tournait. Jen’arrivaispasàycroire.D’unepart, je

n’étaispasassezivre,etdeloin,pourenvisageruneseulesecondeunechosepareille.D’autrepart,onparlaitlàdemontravail,mongagne-pain.Pasquestiondelerisquersuruncoupdetête.

Jia entreprit sans hésiter une seconde de déboutonner son chemisier en soie, alors que j’en étaisencoreàessayerd’intégrerlapropositionqu’ellevenaitdemefaire.Uninstantplustard,débarrasséedesajupe,ellesetenaitdevantmoivêtueentoutetpourtoutdedessousendentelleviolette,accompagnésdebasàjarretièreassortis.Cefutlemomentqu’ellechoisitpours’attaqueràmonchemisier,m’attirercontreelleetm’embrasser,aveccettefoisunebrusquerieetuneardeurquibrouillèrentmacapacitéderaisonnement.

Cen’étaitpaspossible,ilnesepassaitriendetel.Jiaétaituneamieetunevraiebeauté,plussexyencore que je l’avais pensé.On s’était un peu amusées en boîte, d’accord,mais je ne la considéraisabsolumentpasdecettefaçon.Cequiarrivaitlàdépassaitdetrèsloinleslimitesdel’amitié.

Jeparcouruslapiècedesyeux.Siseulementquelqu’unétaitvenupourm’arracheràcettehorriblesituation!Kevinsetortilladanssonfauteuilsansnousquitterunesecondeduregard,cequim’écœuravraiment. C’était insupportable. Jeme raidismais résistai à l’envie de repousser Jia, même si je nepensaisqu’àça.

–Hein,quoi?murmura-t-elle.

Page 148: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Pourtouteréponse,jesecouailégèrementlatête,enespérantquelemouvementseraitinvisiblepourKevin.Ellemeposaànouveauundoigtsur les lèvres, tandisquesonfroncementdesourcilscédait laplace à un lent sourire séducteur. Samain se glissa entremes cuisses et se pressa contremon sexe àtraversmonpantalon.

–Jenemordraipas,promis,chuchota-t-elle.Jefisunpasenarrièreetentreprisdereboutonnermoncorsage,bouleversée,lesmainstremblantes.–Désolée,marmonnai-jeensecouantlatête,incapabledetrouverd’autresmots.Puisjefisvolte-faceetm’enfuisencourant,sanslâcherlespansdemoncorsage.Detoutemanière,

leslocauxétaientdéserts,sionoubliaitl’équipedenettoyage,quin’avaitpasencoreatteintcettezonedel’étage.Jemeprécipitaidansmonboxpourprendremonsacàmain,maism’arrêtainetendécouvrantCameronassissurmonbureau,lesjambestenduesenavant,emplissantleminusculeespacedesoncorpsathlétique,trèsoccupéàgriffonnerdansuncarnet.

Le grand sourire qui se peignit sur son visage àmon arrivée s’effaça au spectacle que j’offrais.Kevinarrivaunesecondeplustard,l’airàlafoisagacéetdécidé,inconscientdelaprésenceduvisiteur–lequelneluilaissapasletempsd’ouvrirlabouche.

–Qu’est-cequec’estqueça?Qu’est-cequisepasse?demandaCameronenselevant,etdanssavoixperçaitunecolèrequicroissaitmanifestementàviveallure.

Kevinseredressadetoutesataille,maislepolodeCameronmettaitenvaleursontorsepuissant,détailquemonbossremarquasansdoute,carilseressaisitimmédiatement.

– Rien, rien, s’empressa-t-il de répondre. Maya, je voulais juste te dire qu’il reste peut-êtrequelquesdétailsdesdocumentsàéclaircir.Jetecontacteraidemainparmail,s’ilyalieu.

Jehochaiimperceptiblementlatêteenmedemandantsij’allaismeprêteraujeu,maisilnoustournaaussitôt ledosetrepartitdansl’obscuritéendirectiondesonbureau,oùJiaétaitsansdouteencoreentraindeserhabiller.Oupas.Unevaguederemordsmesoulevaàlapenséequejel’avaislaissétomberetqu’elledevaitsedébrouillertouteseule.

Je rattachaimondernierbouton, enfilaimonmanteauet écartaiCameronpourprendremonsacàmainderrièrelui.

–Tuveuxbienm’expliquercequisepasse,s’il teplaît?medemanda-t-il, les traitscrispés, lesyeuxagrandisparlacolèrequiàprésentémanaitdeluiparvagues.

–Allons-nous-en.Mavoixcalmedissimulaitunembarrasaigu:ilmesurprenaitdansunesituationvraimentterrible.Onn’étaitpasarrivésaucoindelaruequ’ils’arrêta,m’arrêtantdumêmecoup,setournaversmoi

etmefixadroitdanslesyeux.–Dis-moi.Maintenant.Ilfautquejesachecequis’estpassé.Jecherchailesmotsadéquats,envain,carj’enétaisencoremoi-mêmeàessayerdecomprendre.La

manièredontçaseprésentait,vudel’extérieur,nemeplaisaitpasdutout.Cameronétaitmanifestementfurieux,etpersonnen’auraitpuexpliquerdequoi il retournaitsansqueçaressembleàunrendez-vousnocturnegalant.

Page 149: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jeleconsidéraid’unœillas.Ilavaitl’airencoreplusgrandetcostaudenmanteau.Sijenel’avaispasautantaimé,satailleimposantem’auraitfichuunetrouillebleue.

–Çan’apasd’importance,assurai-je.–Benvoyons!Dis-moicequis’estpassélà-basavantquejeperdelatête,putain!Jesoupiraienregardantnerveusementautourdemoi.Jen’avaisaucuneenviedeparlerdeçaavec

lui,nimaintenantniplustard.Toutcequejevoulais,c’étaitfairecommes’iln’étaitjamaisrienarrivédetel.Jefermailesyeuxdetoutesmesforcesetdécidaidedirelavérité.

–Jiam’afaitdesavances.Quandjerouvrislesyeux,unegrimaceperplexedéformaitsestraits.–Jia?Jenecomprendspas.–Kevinetelle,ilsvoulaient…Jesecouailatêtepourécartercesouvenir,envain.–Jenesaispas.Jepréféreraisqu’onenparleplustard,s’ilteplaît.–Non.Pourquoitoncorsageétait-ildéboutonné?–Parcequ’ellel’avaitdéboutonné!répondis-jeenlevantlesbrasauciel.–Ettunel’aspasenvoyéepromener?Ilsepassalesmainsdanslescheveux,manifestementdésemparé.–Pastoutdesuite.Jenecomprenaispascequisepassait.Ellem’aembrasséesansprévenir,jene

savaisplusoùj’enétais.–Etçat’aplu?J’ouvrisdesyeuxronds.–Maisqu’est-cequec’estquecettequestion?–Jenesaispas,moi.Tuespeut-êtrelesbienne?– Euh… tu as été commotionné, à l’armée ? Embrasser une fille ne m’a pas transformée en

lesbienne.J’étaisenétatdesidération.Cen’estpascommesionavaitcouchéensemble!–Tul’auraisfait?–Est-cequejel’aifait?Jesuispartieencourantparréflexe,etjevaissansdouteylaissermon

travail. Çam’étonnerait fort de ne pas trouver une lettre de licenciement sur mon bureau la semaineprochaine.Aufait,qu’est-cequetufaisaislà,toi?

–Demain,c’estNoël.Jemesuisditquetuallaisterminertôtetqu’oniraitdînerdehors.Jesupposequ’iln’enestplusquestion.

J’enfouismonvisagedansmesmains,enproieàunépuisementaussipsychiquequephysique.–Jesuisdésoléequetuaiesassistéàça.Jenesaispasquoipenser.Kevin…Ungémissementpaniquémemontadanslagorge,àlapenséequejerisquaisbeletbiendeperdre

monemploiàcausedecettedébâcle.–KevinDermott,tonboss?–Lui-même.

Page 150: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

LesyeuxdeCameronserétrécirenttandisquesonsouffleralentissaitencore.Ilavaitsoudainl’aird’un prédateur, mais pas d’une manière séduisante, comme d’habitude. J’enfouis les mains dans lespochesdemonmanteau,heureusededissimulerleurmoiteurcroissante.Lasituationmemettaitlesnerfsencharpie.

–Etqu’est-cequ’ilfaisait,pendantqueJiadéboutonnaittoncorsage?Je tapai légèrement du pied sur le trottoir. Quelle détestable situation ! Quelle détestable

conversation!Jepouvaisbienprésenterlachosecommejelevoulais,Cameronallaitêtrefurieux,contreeuxetsansdouteaussicontremoi.Personnen’étaitassezbienpourlui,pasmêmemoi.

–Dis-le-moi,Maya.Toutdesuite.– Il regardait, laissai-jeéchapper. Jusqu’àceque jemesauve.Toutestallé trèsvite, tu sais. Ils

avaientpréparéleurcoup,maisjel’aifaitrater.Jia…Jias’imaginaitpeut-êtrequejeseraisréceptive,àcausedelasoiréeenboîte.Jen’ensaisrien.Ellem’aditquesijeparticipais,onauraittouteslesdeuxdel’avancement.

Unrireincrédulememontaauxlèvres:direqu’elleavaitcruquejecoucheraisavecuneamiesurlebureaudubosspourobtenirdel’avancement!Pitié!

–Lesalopard.Cameronfitvolte-face,lesmâchoiresserrées,prêtàrepartirensensinverse.–Non,n’yvapas.–Jevaisdonnerunepetiteleçonàcetenfoiré.–Non!hurlai-je.Ilsefigea,cequimepermitd’allermeplantersoussonnez.Jeposaimesmainstremblantessurles

reversdesonmanteau.– Si je ne perds pas mon boulot, ce sera un véritable miracle. Alors pas la peine de hâter

l’inévitable,d’accord?Laisse-lesmevirer,s’ilteplaît.–Ilt’atouchée?–Non,jetejurequ’iln’apasposélepetitdoigtsurmoi.J’aiprismesjambesàmoncoudèsque

j’aicompriscequisepassait.–Oh,bordel!Ils’écarta,leslèvresserrées.Perdrelecontactmefitvaciller.Lesvaguesdecolèrequiémanaient

deluidéferlaientsurmoi,écrasantes.–Pourquoitum’enveux?Jen’ysuispourrien!– D’abord, je t’ai mise en garde contre Jia. Ensuite, il ne t’est vraiment pas venu à l’idée une

secondequec’esttaconduiteenétatd’ivresseavecunecollèguequiapeut-êtremenéàça?Ilsoutenaitmonregardsansciller.Lesientrahissaitlacolère,maisaussiladéception.Uneenviede

vomirmepritaucreuxduventrelorsquejesuivissespenséesinformulées.Jedétournailesyeux,briséeparlepurméprisquejelisaisdanslessiens.L’inspirationhaletante

quejeprisalorsnesuffitpasàmerendrecequesonregardm’avaitôté.

Page 151: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Çanem’estpasvenuàl’idée,parcequejen’aipaseuunesecondepourcomprendrecequis’étaitpassé!Maistoi,tut’enprendsàmoiettumedisquetoutestmafaute.

Jem’éloignaid’unbonpaspourhéleruntaxi.–Oùvas-tu?–Chezmoi.Sanstoi.Jemontaienvoiture,claquailaportièreetlaverrouillaiavantqu’ilpuisseenatteindrelapoignée.–Allez-y,ordonnai-jeauchauffeur.–Oùça?–LeDelaney’s,PearlStreet.

Page 152: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XVI

CAMERON

Assisdansl’obscuritésilencieuse,j’écoutaislapenduleneuveaccrochéeaumurparOliviaégrenerles secondes. Sans doute le décor était-il parfait. Les meubles, les saletés de coussins et jusqu’auxreproductionsdepeintures.Dans l’universd’Olivia,satisfairenosparentsavaitencoreune importancesurprenante.

Ilétaitplusd’uneheuredumatin.Mafamilleenvahiraitl’appartementd’iciquelquesheures,maisjen’arrivaispasàdormir.Mayam’avaitbienfaitcomprendrequ’ellenevoulaitpasdemacompagnie.Jem’étaispromisdenepluslalaissermefuir,maislesremordsl’avaientemportésurlafrustration.J’avaisréagisansréfléchir,sanspenserunesecondeàcequecettehistoiresignifiaitpourelle.J’avaisflippéetjem’enétaisprisàelle,sûrdemonbondroit.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’ellemeplantaitlàdanspareilcas.Jen’étaismanifestementpascapabledereteniruneleçonenuneseuleséance.

Lasonneriedutéléphonemefitsursauter.Sonnumérodeportable.–Allô,Maya?–Non,c’estVanessa.Tuescheztoi?–Oui,qu’est-cequisepasse?Ilyaunproblème?–C’estMaya.Elle…Jemelevaiimmédiatement.–Illuiestarrivéquelquechose?–Elleestici.Chezmoi,jeveuxdire.Depuisunevingtainedeminutes.Elleafaillitomberdutaxi.

Çanemedérangeraitpasqu’ellereste,simesparentsnedevaientpasdébarquerdanslamatinée.Jeneveuxpasqu’ellesesentemalàl’aiseenreprenantsesesprits.Jesuisdésolée…

–Paslapeine.Textote-moitonadresse,j’arrivedèsquepossible.Jeraccrochai,meprécipitaiaurez-de-chausséepuisdanslarue,oùmavoiturem’attendait.Lorsque jem’arrêtai devant chezVanessa, elle sortit sur le seuilme faire signedemegarer.En

pyjama,lesbrasenroulésautourducorps.–Oùest-elle?demandai-jeenlarejoignant.

Page 153: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Elle m’entraîna dans un corridor, qui nous mena à une petite chambre. Maya gisait sur le lit,inconsciente, levisageàdemidissimulépar sachevelureemmêlée, lesmembres inertes, étendusdansn’importequelledirection.

–Elleabeaucoupbu?m’enquis-je.Vanessasemordillaitlalèvresanslaquitterduregard.–Jenesaispas.Ellem’aditqu’ellevenaitduDelaney’s.Unbarprèsdubureauoùellevaparfois.–Connaispas.–Ellenet’yemmèneraitpas.C’estplutôtmiteux,etçanem’étonneraitpasqu’ilsluiserventtoutce

qu’elleveuttantqu’elleveut.Cequipeutfairebeaucoup.Quandelles’ymet,ellenesaitpass’arrêter.–Ahbon,tucrois?Mavoixsèchetrahissaitmadéception:commentpouvait-ellelaisseruneamieseconduiredecette

manière?Sesépaulessevoûtèrent,signederemords.–Jesuisdésoléedet’importuneravecça.D’habitude,c’estEliquil’aide,maisilestpartivoirsa

famille.Jenesavaispasquiappelerd’autre.– Je suis content que tum’aies appelé.Mais bordel,Vanessa, comment pouvez-vous la regarder

faire,Eliettoi,sansjamaisrienluidire?Ellecroisaétroitementlesbrascontresoncorpssansrépondre,enévitantmonregard.–Iln’estpasquestionqueçasereproduise.Cettefois,sesyeuxselevèrentjusqu’auxmiens.–Si jamais j’apprendsqu’elle s’est denouveau saouléede cettemanière en ta compagnie ou en

celled’Eli,jevousentiendraipourpersonnellementresponsables.–Jenepeuxpascontrôlercequ’elleboit.Elleestadulte.–Alors,arrêtedesortiravecelle.Sansattendrederéponse,jem’approchaideMaya;maisnimesappelsnilessecoussesénergiques

dontjelagratifiainelaréveillèrent,sibienquejelaprisdansmesbras.–Tuveuxbienm’ouvrirlavoiture?Vanessa acquiesça et s’empressa de me précéder à l’extérieur. Je posai Maya sur la banquette

arrière, la couvris de mon manteau puis poussai le chauffage à fond. Malgré le déplacement et lechangementdeposition,ellenereprenaitpasconscience.

–Tucroisquejedevraisl’emmeneràl’hôpital?m’inquiétai-je.Ellen’aaucuneréaction.Lorsque je posai une main sur sa poitrine, cependant, je constatai qu’un battement régulier

accompagnaitsonsoufflelent.– Je saisqueçan’apas l’airprometteur,mais jenepensepasqu’il y ait unproblème, répondit

Vanessa.Enfin…Elleseraautrente-sixièmedessousdemainmatin,maisceneserapaslapremièrefois.–Ondirait.Jeravalailanuéederemarquesacidesquimemontaitauxlèvresetclaquailaportière.–Bonnenuit,Vanessa.–JoyeuxNoël.

Page 154: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Malgrésatristesse,lapointedesarcasmequiperçaitdanssavoixplutàunepartdemoi-même.C’estça,oui,joyeuxNoël.JemerendischezMaya,réussisàmettrelamainsursesclésenfouillantdanssonsacàmain,la

pris dansmes bras avec précaution puismontai à l’appartement.Quand j’entrai dans sa chambre, soncorpsseraidit,etilmesemblaentendrecontremapoitrineungémissementétouffé.Jelaposaisurlelitetallumailalampedechevet.Elleplissalesyeuxetselesprotégeadesdeuxmains.

–Cameron…c’esttoi?–Oui.Elle roula sur le flancenproduisantun joyeuxpetit fredonnementd’ivrogne. Je ladéshabillai en

tirantsursesvêtementsavectouteladélicatessed’ungaminquidéshabilleunepoupéedechiffons,memismoi-mêmeenboxer,meglissaiprèsd’elledanslelitetnouscouvristouslesdeux.

–Çava,monange?murmurai-jeenécartantsescheveuxdesonvisage.Sesyeuxs’entrouvrirentàpeinemaisparurentsefixersurmoi.Égarementpuiscompréhensions’y

succédèrent.–Pourquoitefais-tudeschosespareilles,Maya?ajoutai-je.Jeluicaressailajouetandisque,déjà,elleserendormait,maisellerouvritlesyeuxetmeretrouva

danssonbrouillard.Ellemepritlamain,l’écartadesonvisageetlafitdescendremaladroitementsursapoitrine.

–Jet’aime,Cameron.Jesaisqueçanedurerapas,toietmoi,maisjet’aime.Jetiensàcequetulesaches.

–Pourquoidis-tuça?–Jevaistoutgâcher.D’unemanièreoud’uneautre…commej’aitoujourstoutgâché.Ettuvasme

quitter.Encoreunefois.Leplitristedeseslèvresmefitpenserqu’elleavaitpeut-êtrepleurécettenuitmême.Entoutcas,

elleavaitlesyeuxrougesetgonflés.Je serrai lesdentspour juguler ladéchargedouloureusequime traversait inexplicablementàces

mots. Si ce que je nous avais fait des années plus tôt avait donné naissance à sa tristesse et à ce quil’avaitabattuedecettemanière, je laconnaissaismieuxquepersonne.Après tout, jem’étais infligé lamêmesouffrance.J’avaisvécuavec.J’yavaissurvécu.

–Jenevaispastequitter,dit-jeenl’embrassanttendrement.Jevaisprendresoindetoi,d’accord?Ses yeux se refermèrent, son sourire mélancolique disparut aussi vite qu’il était apparu, et elle

retombadansl’inconscience.Jel’examinai,attentifàsonsouffle,jusqu’àcequelesommeilviennemefrôler de son aile, moi aussi. Je le combattis alors, empli de la crainte irrationnelle de la perdre ànouveausitôtmespaupièrescloses.

MAYA

Page 155: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

J’étaismaladedepuisdesheuresquandjeprisbrusquementconsciencequec’étaitNoël.CommejenevoulaispasqueCameronmevoiedansunétatpareil,jel’avaissuppliédepartiretdemelaissermepurger en privé de ma terrible stupidité. Les nausées se succédaient, et les crises de larmes. Messouvenirsdelasoiréeavaientbeauêtreflous,ellen’avaitpasdûêtreglorieuse.Jem’étaisréveilléedansmonlit,prèsdelui,quimeregardaitavecinquiétude,alorsquejenemerappelaispasêtresortieensacompagnie.C’étaitmauvaissigne.

Unbonmomentplustard,ilfrappaàlaporte.Jemeredressai,aprèslerépitmiséricordieuxdontj’avaisbénéficiésurletapisdouilletdelasalledebains.

–Çava,Maya?–Oui,oui.Jeme levai avecune lenteurdouloureuse, afind’éviterun terrible afflux sanguin sousmoncrâne

déjàpalpitant.Toutmonêtrerefusaitdeseregarderdanslemiroir,persuadéqu’uncoupd’œilsuffiraitàmeréexpédieràgenouxdevantlestoilettes.Jegardaidonclesyeuxbaissésenmelavantlafigureetenme brossant les dents pour la énième fois,m’essuyai puis sortis, passant devant lui pour regagner lachambre.

Là,jem’affalaisurlelitetm’enroulaidanslescouvertures,commesiellesallaientmeprotéger,mesauver.Ils’assitàmespieds,immobile,silencieux.

–Tuasbesoindequelquechose?demanda-t-ilenfin.–Non,répondis-jed’unevoixrauque.Merci…mercidet’êtreoccupédemoicettenuit.–Commenttutesens?–Jecroisquejepréféreraisêtremortequ’avoirunegueuledeboispareille.Rienqueparlermefait

mal.Jen’exagéraismêmepas.–Jemesuisdemandésitun’allaispasmourir,cettenuit.Jefermailesyeux.J’avaisvraimentdûmemettredansunétatépouvantable.–J’aitropbu,c’esttout.–Non,tuasbutouteseuledansunbaroùtuneconnaissaispersonne,tuasperduconscience,ettues

descenduetantbienquemaldutaxiquit’adéposéedevantchezVanessa.Jenesaispascommenttuasréussiàarriverlàdansl’étatoùtuétais.

Les larmesquimenaçaientànouveaurendaientplus fort,puispuissant, lebattementqui résonnaitdansmatête.

–Arrête,s’ilteplaît.(Mavoixn’étaitqu’unmurmure.)Tunepeuxpasmefairesentirplusmalquejenemesensdéjà.

–Cen’estpaslebut.J’essaiedetefairecomprendrecequetum’asfaitvivre.EtàVanessa.Tuneterendspascompte.

Savoix tendue trahissaitunecolèreaussivivequecellede laveille,maisc’était cequim’avaitexaspéréepourcommencer.

Page 156: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

J’ouvrislesyeuxensachantqu’ilnefallaitpas.Cameronmeregardaitavecunetelletristesse,unetelle inquiétude que ce qui restait demoi vola en éclats. J’avalaima salive,malgré lamenace d’unenouvellenausée.Moncorpssefaisaittoujourslaguerre.

–Jesuisdésolée.Tun’espasobligéderestericiavecmoi.Jesuissûrequetuasenvied’allervoirtafamille.C’estNoël,aprèstout.

–J’aibeauêtrefurieux,jepréfèreresteravectoi.Iljetauntoutpetitpaquetsurlelitprèsdemoi.–Qu’est-cequec’est?– Un cadeau. Je n’étais pas vraiment dans l’ambiance matin de Noël quand je suis parti à ta

recherche,cettenuit.La sécheresse de sa voix alimenta davantage encore mes remords. J’avais bien envie d’ouvrir

l’emballagetoutsimpleduprésent,maisjeneleméritaispasplusquelereste.–Ouvre-le,ajoutaCameron.Jelevaiversluidesyeuxemplisdelarmes.–C’estuncadeauderupture?–Maisnon,répondit-ilavecuntressaillement.Pourquoitumedemandesça?Unpetitrirerauquem’échappa.–Parcequejesuislamentable,voilàpourquoi.Jenecomprendspascommenttupourraisbienavoir

envied’êtreavecmoi.J’agitailamainau-dessusdelapauvrecréaturemaladeetdéchiréequej’étais.–Ehbien,tun’espascomplètementsaouleenpermanence,heureusement.Ilsetrouvequequandtu

nel’espas,c’estsuper.Jem’investisdanscettepartie-là.–Etlereste?–Onenreparleraquandtutesentirasmoinsmal.Ilmemontralepaquet.–Allez,ouvretoncadeau.Jem’en emparai, dénouai le ruban et dévoilai lentement le carnet dissimulé par le papier.Mes

doigtseffleurèrentlecuirbruntrèsdouxdelacouverture,puisjefeuilletailespagessépia.–Ilestbeau.–C’estpourtespoèmes.Jerelevailatêtesivitequeaussitôtellemefitmal.–Ilesttropluxueux.(Tropluxueuxpourcequej’écris.)Merci.–Derien.Ilprituneprofondeinspiration,pleinedesoulagementetdefatigue,mesembla-t-il.Jemedemandai

àquelleheureils’étaitcouché,àcausedemoi,ets’ils’étaitvraimentrongélessangs.–Moiaussi,jesuisdésolé,Maya…pourhiersoir.Jen’auraispasdûtelaisserpartircommeça.–Tuesdésolé?

Page 157: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–J’airéagibêtement,pourDermott.JeveuxdirequejepersisteàtrouversoncomportementetceluideJiainexcusables,maisj’aipétéuncâble,alorsquetuneleméritaispas.Jesuissûrequetuneteseraispasmisedansunétatpareilsij’avaisétémoinsidiot.

–Cen’estpastafautesij’aibucommeuntrou.Jesuiscapabledemetrouverdesexcusespourlefairen’importequandsansquetuysoispourrien,jet’assure.

–Maispourquoi?(Sonregardtrouvalemien.)Jenepeuxpas tepromettredecomprendre,maisj’aimeraisquetuessaiesdem’expliquercequitepousseàfaireça.

Je laissaimonfrontseposersurmamain.Pourquoi,oui,pourquoifaisais-jeunechosepareille?Encoreetencore,aprèsm’êtrejurédeneplusboire,aprèsavoirpunimoncorpssicruellement,commelanuitdernière.

– Il y a des jours où j’ai besoin de tout oublier, aumoins unmoment. (Je fermai les yeux pouréchapperàlaréalitéàlaquellejemetrouvaisconfrontée.Envain.)Surlecoup,jesuisbien.Heureuse…continuai-jetoutbas,tropconscientedenepasêtreheureusedutoutàcetinstantprécis.

–Enfait,tuessaiesderecouvrirtatristesse.C’estunbonheurartificiel,tunecroispas?–Peut-être.Cequiestaddictif,c’estlesoulagement.Peuimportequelebonheursoitartificiel,j’ai

juste peur qu’il s’interrompe et que la réalité reprenne ses droits. Je risque de recommencer à êtremalheureuseavantdemesentirprêteàreprendrelecoursdemavie,alorsjecontinueàboire,etilarriveunmoment où je ne sais plus ce que je fais. Je suis allée trop loin, et… oui, il arrive que je perdeconscience.

–Etquelqu’unterattrapequandtutombes.–VanessaetElisonttoujourslà,acquiesçai-je.C’estsansdoutepourçaquej’aiappeléVanessa.–Jesaisbienquecesonttesmeilleursamis,maiscen’estpasàeuxdeveilleràcequepersonnene

t’assassineouneprofitedetoi.Jemerenfrognai,incapabledecomprendrequ’ilétaitbouleversé.–Maismoiaussi,jeveillesureux.J’aitenulatêtedeVanessauncertainnombredefois.–Onn’estplusàlafac,Maya.Tuesadulte.Tuvasjouerlongtempsàcepetitjeu-là?Lachaleurmemontaauvisagesousl’effetdel’agacement.–Jevaistedire,jesuisdéjàassezmalcommeça.Jen’aipasenplusbesoindetonjugement.Situ

croisquej’avaisenviedepasserNoëldanscetétat,tutetrompes.(Jepressaimesdoigtssurmestempes,dansl’espoirdechasserladouleurquiaccompagnaitmaconfession.)Quelleheureest-il?

–Presquemidi.Pourquoi?–Ilvafalloirquejesorte.–Oùvas-tualler?–Voirmagrand-mère.Cen’estpasquejeluimanquerais,maisjeneveuxpasqu’ellepasseNoël

touteseule.–Oùvit-elle?–Enmaisonderetraite,àquelquesheuresderouted’ici.–Jevaist’yemmener.

Page 158: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Paslapeine.Jevaislouerunevoiture,commed’habitude.Lapenséedefairequoiquecesoitdansmonétat,sansparlerdegérertouslesdétailsd’unvoyage

pareil,mefitgémirenmonforintérieur.–Tun’espasenétatdeconduire.D’autantplusqu’ilvasûrementsemettreàneiger.–J’aidessaoulé!ripostai-je.Cameronseleva.–Franchement, jen’en suispas si sûr.Maisn’importecomment, çam’étonneraitque tu te sentes

assezbienpourconduire.Jet’yemmène.Prendsunedouche,mangeunmorceau,peut-être,etonyva.

CAMERON

Laneige commença à tomber peu après notre départ.Le soulagement déferla enmoi dès que lestoursdelavillenemefurentplusvisiblesquedanslerétroviseur,àcroirequ’onvenaitdequitterunebulledevacarmeetdechaospourpénétrerdansunautremonde–lemonde.ChaquefoisquejequittaisNewYork,c’étaitpareil,etchaquefoisquej’yrevenais,j’avaishâtederentrerdanslabulle.

Mayas’étaitendormiecontresaportière.Ellen’avaitpresquerienmangémaisavaitreprisunpeudecouleurs.Aumoins,sonétats’améliorait.

On roulait depuis deux heures, quandmon téléphone sonna. Jem’empressai de répondre pour leréduireausilence.C’étaitOlivia.

–Oui,quoi?lançai-je.–Oùes-tupassé?–JesuisavecMaya.–Super.Bon,lesparentssontlà.Toutlemondesedemandeoùtues.–Ehbien,dis-leurquejesuisavecMaya.Ilsvontadorer.Onvavoirsagrand-mère.–Quoi?Oùça?Vousêtesenvoiture?–Oui,onestenvoiture,et jerentreraisansdoute tard.Nevousgênezpaspourfaire lafêtesans

moi.–Cen’estpaspossible,tunepeuxpasnouslaissertoutseulsiciaveceux!Lavoixd’Olivias’étaitréduiteàunmurmurecoléreuxquimedonnaenviederire.D’unecertaine

manière,j’étaisenchantédelasavoirdanscettegalère…mêmesi,d’unautrecôté,jeregrettaisunpeudel’avoir laissé tomber.L’unionfaisait laforce;à trois,onarrivaitàéviterqu’aucund’entrenousnesefassecomplètementsaboterparlesjugementsetremarquesrailleusesdontlesparentsnousassaillaient.Notrearméeavaitperduuncombattant…maisonn’auraitpaseubesoind’arméedutoutsiOliviaavaittenusalangue.

–Assume,luidis-je.EttoutesmescondoléancesàDarren.–Ilsvontpéteruncâble.Ilfautquetureviennes!

Page 159: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

– Dis-leur de se trouver un hôtel. Je rentrerai, à un moment ou à un autre. On aura peut-êtrel’occasiondesevoiravantqu’ilsrepartent.Jesuisnavré,mais ilesthorsdequestionquejereviennemaintenant.

–Vatefairefoutre!cracha-t-elle,avantdecouperlacommunication.Jelaissaitombermonportabledansleporte-gobeletetmeconcentraisurlaroute.–Quic’était?demandaMayaenseredressantsursonsiègeetenmefixantdesesyeuxfatigués,

sousseslongscilsbaissés.–Olivia.–Qu’est-cequ’ellevoulait?Jehaussailesépaules,carjen’avaisaucuneenviedeparlerdemafamille.–Attention,Cameron,ceciestunmomentpédagogique.Tumereprochesdenepasmeconfier,mais

c’estexactementcequetufaisencetinstantmême.Situveuxquej’apprenneparl’exemple,tudevraispeut-êtrerepensercehaussementd’épaulessilencieuxetmedirecequisepasse.

–Jesupposequetutesensmieux.Turecommencesàm’énerver.Quandellesetournaverssavitre,j’ysurprislerefletdesonsourire.–OK,trèsbien.Mesparentssontlà.Olivialesainvités,plusoumoins.–Commentça?Je n’allais certainement pas lui dire quemes parents et ma sœur l’avaient choisie comme bouc

émissaireàquireprocherlesaffectationsmilitairesquejem’étaispourl’essentielimposéestoutseul.–Ilssonttrèsindiscrets,etilsvoulaientvenirvoircequ’onfaisait.Orquandilsprennentcegenre

dedécision,ilesttrèsdifficiledelesfairechangerd’avis.–Tuleurenveuxtoujours?Ilst’ontpayétesétudes.Ilst’onténormémentapporté.–Làn’estpaslaquestion.Ilssesontdonnédumalpourmoi,jeneconsidèrepasçacommeundû,

absolument pas, mais on n’a pas la même conception de ce qui compte dans la vie. Du coup, on abeaucoupdemalàseparlersansqueçatourneviteàladispute.

Elles’accoudaàsaportière,lajouedanslamain,unregardinexpressiffixésurlepaysage.–Jesupposequejenepeuxpassavoir.–Pourquoi t’imagines-tuquedépendred’euxmeseraitplussupportablemaintenantqu’ilyacinq

ans?Àl’époque,jenesupportaispasqu’ilsmepoussentdetoutesleursforcesàfaireexactementcommeeux,danslemêmeespritmaisenmieux,enplus…etilsnesesontpascalmésdepuis.Monpèren’estpasdugenreànégocier,etmamèreestobsédéeparcequelerestedumondepensed’elle.Çanemelaissepasbeaucoupdeplaceoùmeglisser.

Autrefois,Mayafaisaitpartiedesrarespersonnesàcomprendrelasituation.C’étaitellequim’avaitpersuadé que j’arriverais à quelque chose, alors même que mes projets étaient fondamentalementdifférentsdeceuxquemesparentsavaientfaitspourmoi.Avait-elleoubliéça?

–Maisaumoins,tuasuneplace.Ç’auraitétéfacilepourtoiderentrerdansl’entreprisedetonpèrepourl’aider.

–Biensûr.Maiscen’estpascequejevoulais.

Page 160: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Jesuispeut-êtreamère.Onnefaitpastoujourscequ’onveut.–Tupourrais,toi,répondis-jeenluiprenantlamain.Qu’est-cequetuveux?Ellehaussalesépaules.– Je suis tropoccupée, jen’aipas le tempsdepenseràceque jepourraisvouloird’autre.Sans

parlerdufaitquejedoisgagnermavie.–Tunepourraispaslagagnerenfaisantquelquechosequiterendeunpeumoinsmalheureuse?–Jenesaispas.Ilestunpeutardpourrêver,tunecroispas?–Pourquoi?Tunepeuxpastepermettred’êtreheureuse?Ellerestaunlongmomentsilencieuseavantdesetournerversmoi,pensiveetgrave.–Ettoi,tuesheureux?Jereportaimonattentionsurlarouteenmedemandantcommentrépondreàcettequestiondélicateet

lui serrai brièvement la main.Malheureusement, elle n’avait pas l’air de se rendre compte que monbonheurdépendaitdeplusenplusdusien.Sijevoulaisavoirunechanced’êtreheureux,onallaitdevoiréclaircirnotresituation.

J’enétaisencoreàchercherlesmotsjustes,quandellememontraunpanneauvoiléparlaneige:LAURELESTATES.

–Parlà.

Page 161: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XVII

MAYA

Lamaisonderetraitesetrouvait trèsàl’écartdesroutesfréquentées,àquelqueskilomètresdelarueprincipaled’unepetiteville,dansunenvironnementsidifférentdunôtrequ’onauraitaussibienpusetrouversuruneautreplanète.Lafind’après-midiassombrissaitrapidementleciel.

Uneréceptionnisted’âgemûrnoussaluaànotreentrée.–Bonjour,jevoudraisvoirRuthJacobs,s’ilvousplaît,luidis-je.–Vousêtes?–Maya,sapetite-fille.–Ahoui,biensûr.Unepetitesignaturelà,jevousprie,etjevousyemmène.J’obtempérai,etelleselevaennousfaisantsignedelasuivre.–Elle vabien, en cemoment, reprit l’employée àvoixbasse,mais si elle commence à s’agiter,

sonnez,onviendraàlarescousse.Son sourire, quand elle s’arrêta à la porte de la chambre, était à la fois plein d’espoir et de

compassion.–Merci.(JemetournaiversCameron.)Tuveuxlavoir?–Jepeuxallerchercherducaféouautrechose,situpréfères.Ellenerisquepasdemereconnaître,

etjenevoudraispasluibrouillerlesidées.–Ellenerisquepasdemereconnaîtrenonplus,maiscen’estpasgrave.Jeviendraitechercheren

repartant.–Quiestlà?appelamagrand-mère,del’autrecôtédubattant.Pourvuquecettevisite-ci sepassemieuxque laprécédente ! J’articulaiensilenceun«À toutà

l’heure»destinéàCameronpuisentraidanslachambre.C’étaitunevieillefemmeportantdeslunettesetauxcheveuxd’unblancpur,courtsmaisbouclésà

lapointe.Installéedansunfauteuilprèsdelafenêtre,lesjambesdissimuléesparsacouverturepréférée,exécutéeaucrochetdesesmainsdesdizainesd’annéesplustôt,elleposaitsurmoidesyeuxdumêmebrunclairquelesmiensetceuxdemamère.

Page 162: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Bonjour,mamie,dis-jed’unevoixdouceenluiadressantunsourireradieux,commeàuneamied’enfance.

Engénéral,çamarchaitmieuxquedesprésentationsmaladroites,àrenouvelerauboutdequelquesminutes. Je l’embrassai avant de prendre place en face d’elle sur une chaise, penchée vers elle pourqu’ellemevoiemieux.

–Commentvas-tu?demanda-t-elle,jouantlejeu.–Trèsbien,merci.Tum’asmanqué.–C’estréciproque,machérie.TuasditbonjouràGus?Iltravailledanslacour.–Pasencore,non.Mieux valait ne pas lui rappeler que grand-père était mort depuis des années, peu avant la

disparition demamère. Sans parler de la neige de plus en plus épaisse qui recouvrait le parc de lamaisonde retraite.–On se préparait à aller jouer aux cartes chez lesSmith, reprit-elle en tripotant leboutonsupérieurdesoncardiganetenseredressant,l’airprêteàserendreaussitôtàl’événementsocialdontellevenaitdemeparler.

Elleavaittoujoursuneallureparticulière,commesiellevoulaitfairesavoiraumondeentierqu’ellefaisaitdeschosesimportantes,mêmes’ilnes’agissaitquedesessoiréesdejeuxhebdomadairesaveclesSmith.Jemedemandaicequej’auraisditàmespetits-enfantspourm’attirerleuradmiration,maisilnemevintpaslamoindreidée.

–Ahbon?Vousallezbienvousamuser.LesSmithsontadorables.Jemelesrappelaisvaguement,pourleuravoirrenduvisiteenfant.–Onyvatouslesvendredis,tusais.J’acquiesçai, souriante, puis la laissai papoter, répéter encore et encore des choses pour elle

nouvellesetdignesd’intérêt.L’arthritedeGusletourmentait,maiselleavaitoubliélecancerquiprenaitlentementpossessionde lui ladernière foisque j’avaiseuavecelleuneconversationcohérente.Pire,lorsdeleurdernièresoiréedejeu,BerniceSmithavaitinsinuéquesonpropregâteauàlacourgetteétaitlemeilleur. J’offrismon soutien àRuthie en ironisant sur l’audace de son amie de toujours, qui osaitprétendrelasurpasserdansledomainedelapâtisserie–toutjustesilajalousiem’effleuraàlapenséequejenesauraispeut-êtrejamaisfairelemoindregâteau,sijecontinuaissurmalancée.

Àunmoment,elleregardadehors,etj’enprofitaipourobserversestraits.C’étaittoujourslajeunemamiedemessouvenirs,avecquijejouaisàlapoupéependantquemamèreétaitautravail.Lynneavaittoujours faitdeseffortsénormespour joindre lesdeuxbouts.Avantque l’alcoolne ladépouilledesavolontédevivreetdesebattrepournousdeux.

Jen’essayaisplusdepuislongtempsdetenirRuthieaucourantdecequejefaisais.Nousdevionsnouscontenterdeconversationsàlafoisbrèvesetdécousues,dontj’espéraisqu’ellesluiapportaientunpeuderéconfort.Jenesavaispassilesemployésdelamaisonderetraitel’occupaientbeaucoup,maisellesemontraittoujoursbavarde,avantdeperdrepeuàpeusesmoyens.

Lorsqu’elleseretournaversmoi,sesyeuxcherchèrentlesmiens.J’allaisreprendrelaparole,làoùnousenétionsrestées,quandellefronçalessourcils.

Page 163: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Tuesmafille?–Non,jesuistapetite-fille,Maya.–Jen’aipasdepetite-fille.–JesuislafilledeLynne,tutesouviens?Jedétestaisprononcerlenomdemamèreensaprésence,maisc’étaitparfoisleseulmoyendelui

rappelermonexistence.Unmusclesecontractadanssajoue,tandisquesesmainstordaientlemouchoirrouléenbouledans

songiron.– Je sais qui tu es,marmonna-t-elle à voix basse. Je t’ai déjà dit de ne pas revenir. Je n’ai pas

d’argent.Jesoupiraienmonforintérieur.Pourvuquej’arriveàluichangerlesidées…–JenesuispasLynne,mamie,etjen’aipasbesoind’argent,d’accord?Tutetrompes.–Jet’interdisdemedirequejemetrompe,riposta-t-elle.Jesaisquitues.Jereconnaismapropre

fille.N’essaiepasdemementir.–Lynneestvenuetevoir?m’enquis-je,cramponnéeàl’espoirirrationnelquemagrand-mèresénile

dénouelemystèredelabrusquedisparitionmaternelle.–Gus tedonnait tout le tempsde l’argent.Onaurait dû te jeterdehorsquandcegarçon t’amise

enceinte.Jemereculaicontreleplastiquedurdudossierenluttantcontrelabrusqueenviedeluirépondre

sèchement.Cen’étaitplusenespritqu’uneenfant,voiremoins.J’inspirailonguement,letempsdem’enconvaincre.

–Tuveuxqu’onfasseunpuzzle?Lesemployésm’ontditquetuaimaisbiença.–Çasuffit!Arrêted’essayerdememanipuler.Tunem’auraspas,salepetitepute.Jet’aidéjàdit

deneplusvenirici,maistevoilà.Tunousfaishonte.Ellesecouaviolemmentlatêteenlâchanttoutbasunebordéedejurons.Quelleironie:jamaisjene

l’avaisentenduejureravantquesonétatnel’obligeàentrerenmaisonderetraite.Jeregardaiautourdemoi,conscientepourtantquejenerisquaispasdetrouverquelquechosed’utiledanslachambre,maisjemelevaiquandellerecommençaàs’enprendreàmoi.Unepartiedemoin’enavaitpasmoinsenviedenousdéfendre,mamèreetmoi,faceauxjugementssansnuancesqu’elledévidaitsanspitié.

Au moment même où j’allais sortir appeler une infirmière, la porte s’ouvrit sur la silhouetteimposantedeCameron.Moncorpstoutentiersedétenditàsavue.Sesyeuxétincelantsseposèrentsurmoi,puissurRuthie.Ilentra,metenditungobeletfumantpuiss’approchad’elle.

–Bonsoir,Ruthie.Çavousdit,unpetitthé?Elles’éclaira instantanément,aussi fascinéeparsonbeauvisagequemoiquelquessecondesplus

tôt.–Oui,merci,jeveuxbien.Avecdulait,s’ilvousplaît.–Ilyenadanscelui-là.

Page 164: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Il lui tendit prudemment l’autre gobelet, avant de prendre place sur la chaise que je venais delibérer.Sondossevoûta légèrement,commes’ilcherchaitàsefairepluspetit,moins imposantfaceàcettefrêlevieillefemme.

–Jevousconnais?demanda-t-elle.Ilseprésenta,souriant,ettenditlamainpourserrerlasienneavecdouceur.Jemerapprochaiunpeu,hésitante:peut-êtrelemomentdemeprésenterdenouveauétait-ilvenu,

maintenantquel’arrivéedeCameronl’avaitétourdie.LeregarddeRuthiesereposasurmoi,sansquesesyeuxécarquillésperdentleurexpressionapprobatrice.JetiraiunesecondechaiseprèsdeCameronpourm’yasseoir,incertaine.

–C’esttonmari?medemanda-t-elle.Jerestaibouchebée,enquêted’uneréponsesatisfaisanteàlafoisentantquevéritéetentantque

véritéacceptablepourelle.Peuimportaitcequiauraitétéunevéritéacceptablepourmoi.Jenepouvaismêmepasmesurerlaforcedemesémotionsàcesujet.

–Non,mamie,c’estunami.Sesyeuxbrillantsd’espoirs’adoucirentunpeuenoscillantentreCameronetmoi.Ellesoupirapuis

sirotaunegorgéedethé.–Dommage,ilal’aircharmant…Lorsqu’ellerelevalenezdesongobelet,cefutpourluidemander,àlui:–C’estvotrefemme?Ilsecoualatête,souriant.–Pasencore,Ruthie.Puis,toutbas,penchéverselle,commepourluiconfierunsecret:–Vouscroyezquejevaisarriveràlaconvaincre?Lesridesaucoindesyeuxdemagrand-mères’accentuèrenttandisqu’unsourirecoquetplissaitses

traits.Demon côté, je faisais demonmieuxpour dissimuler les folles réactions demon corps à leurconversationaberrante.Mesmainscrispéestremblaientautourdugobelet.

–Oh,certainement.Vousavezl’aird’unjeunehommetrèsbien,maisilfautmefaireunepromesse.–Jevousferaitouteslespromessesquevousvoudrez,Ruthie,assura-t-ilavecunsouriretaquin.–Ilfautmepromettredeprendrebiensoind’elle.–Çavadesoi.–Parcequejen’aipasd’autrespetits-enfants.Jeréussisàgarderlecontrôledemesémotionspendantvingtminutesencore,jusqu’aumomentoù

Ruthnous informaqu’elleétait fatiguéeetqu’elleallait faire lasieste.Après l’avoirembrassée,on laquittasansluilaisserletempsdesedemandersionarrivaitousionrepartait.Enarrivantàlaréception,Camerondansmonsillage,jem’arrêtaidevantl’infirmièrequis’ytrouvaittoujours.Ellerelevalenezdesonlivre.

–Alors,commentallait-elle?–Trèsbien.Mercideprendreaussibiensoind’elle.Elleal’airenpleineforme.

Page 165: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–C’estnotretravail.–J’aimeraisvousposerunequestion.–Oui?–Quelqu’und’autreest-ilpassélavoir?Elleréfléchituneoudeuxsecondes,avantderépondre:–Uninstant,mademoiselle,jevérifie.Quelquesminutes atroces s’écoulèrent pendant qu’elle faisait défiler sous ses doigts les dossiers

rangésdansunclasseur,aufondducoinbureau,puisellenousrejoignit,unechemiseouverteentrelesmains.

–Vousavezétésaseulevisiteusedepuissonadmission,sauflemoisdernier.Elleposadevantmoiundocumentsigné,enletournantdemanièreàmepermettrededéchiffrerla

signaturequ’ellememontraitdudoigt:LynneJacobs.Moncœurs’arrêta.Mesmainstremblantesseposèrentsurmabouche.Lemondeentiersefigea.–Maya?Maya,çava?JemesouvinsderespirerlorsquelamaindeCameronmeréchauffalesreins.Jeluirépondisd’un

hochementdetête,remerciail’employéedesonaidepuismedirigeaiverslasortie.Laneigetombaitdeplusenplusdru.

–Ilfautrepartirtoutdesuite,dis-jeenregagnantlavoitured’unpasvif.–Lesroutesvontêtremauvaises.Jeserrailesmainsdansl’espoirdelesempêcherdetrembler.–Jenepeuxpasresterici,Cameron.Jenepeuxtoutsimplementpas.–OK,OK,ducalme.Ilcoinçamescheveuxdécoiffésparleventderrièremonoreille,m’effleurantlajoueaupassage.–Ilyaunhôtelouquelquechosecommeçadanslecoin?Je secouai la tête, incapable de penser, incapable d’intégrer ce qui venait de se passer. Pas

maintenant.–Je…Peuimporte!Allons-nous-en.Ilm’entraînadel’autrecôtédelavoiture.–Bon,installe-toi.Jereviens.Il regagna l’établissement en courant puis revint en effet quelques minutes plus tard et lança le

moteur.–Qu’est-cequ’onvafaire?Mavoixétaitsifaiblequecefuttoutjustesijelareconnus.–Ilyaunbedandbreakfastunpeuplusloin.Onvas’yinstaller,etdemaintoutirabien.J’acquiesçai,tandisquelamaisonderetraitedisparaissaitdansunebrumeblanche.Uninstantplus

tard, la voiture s’engageait dans l’allée menant à une vaste demeure victorienne, aux fenêtreschaleureusementéclairéesdansl’obscuritécroissantedecettesoiréedetempête.Cameronm’entraînaàl’intérieur,oùnotrehôtenousguidajusqu’ànotrechambre,audeuxièmeétage.Apparemment,nousétions

Page 166: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

les seuls clients.LaurelFalls n’était sansdoutepasunedestination très prisée,mais n’importequellevilleavaitbesoind’unendroitoùpuissentlogerlesgensdepassage.

Jelaissaitombermanteauetsacàmainsurlefauteuilanciendisposédansuncoindelachambre,unepièceaucharmedésuet,occupéeparunlitqueensizeetquelquesmeublestoutsimples.Puisjememisàfairelescentpas.Dehors,laneigetourbillonnaitdansleciel.Onauraitditlespenséesagitéesetlesémotionsquimesecouaienttoutentière.Ilfallaitquelatempêtes’apaise.L’hivercommençaitpourmoid’unefaçonparticulièrementcruelle,etjen’étaispassûredepouvoirensupporterdavantage.

Lenomdemamère,griffonnésurlalistedesvisiteurs,tournaitdansmonesprit.Elleyétaitallée.Iln’yavaitpasd’autreexplication.Quelquessemainesplustôt,aprèsdesannéesdenéant,elleétaitalléevoirmagrand-mère.Luiavait-ellevraimentdemandédel’argent?Pourquoin’avait-ellepascherchéàme contacter, moi ? Pourquoi n’était-elle pas venue me trouver, si elle avait besoin d’aide ? Jen’attendaisqueçadepuissilongtemps–uneoccasiondel’aider.Oùétait-elle,maintenant?

Une souffrance désespérée emplissait le vide habituel au creux de ma poitrine. Le tremblementd’anxiétéétaitdevenufrissonpénétrant,impossibleàmaîtriser.J’inspectailachambre.Lapanièreposéeprèsdelacafetièrenecontenaitquedesdosettesdethéetdecafédeluxequinem’étaientpourl’instantd’aucuneutilité.Lorsquej’ouvrisleminiréfrigérateur,lesoulagementm’envahitàlavuedesstocksdebièreetdeboissonscaféinéesqu’ilcontenait.

Jeprisunebière,maisquandjemeredressaiCameronmel’ôtaadroitementdesmains,labouchepincéeenunemoueréprobatrice.

–Qu’est-cequetufais?–J’aibesoind’unverre.– Tu plaisantes, j’espère.Après la nuit passée, je ne comprends pas que tu puisses seulement y

penser.–Jesuisstressée,d’accord?–Pourquoi?Àcausedetagrand-mère?–Non.Tunepeuxpascomprendre.Ilnepouvaitpascomprendre,parcequejen’allaispasluiexpliquer.–Alorsexplique-moi.Jesoupiraienmedemandantpourquoiilnemelaissaitpastranquille.–Ilfautquejemecalme.Jenerisquepasdemesaouler,iln’yaquedeuxoutroisbières.Il secoua la tête, les traits tirés par unmélange de compassion et, indéniablement, de déception.

Rienn’auraitpuêtrepirepourmoi.–Tuparlesautypequit’aportéeinconscientesurdeuxétages,lanuitdernière.Situt’imaginesque

jevaistelaisserboirequoiquecesoitd’alcoolisécesoir,tutetrompes.Lapaniquemeserralagorge.Lesmursparaissaientserapprocher–lejugementdeCameron,mon

passé,ladouloureusecertitudequenotreavenircommunétaitcondamné.C’étaitunétauquim’empêchaitpresquederespirer.J’enfilaimonmanteau,contournaimoncompagnonetmedirigeaiverslaporte.

–Attends.

Page 167: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Ilmebloqualepassage,lesyeuxbaissésversmoi.–Oùvas-tu?–Laisse-moipasser.Mavoixquasi imperceptibleconstituaitun témoignagepathétiquedemonétatd’âme. Ilm’attrapa

parlesreversdemonmanteau,l’ouvrantsurmontorseetmeleretirantaussivitequejel’avaismis.–Tunesorspas.–Maisbiensûr.Laisse-moipasser,jetedis.Jemedébattispourluiéchapper.Monmanteautombaparterre.Mesépaulestremblaientdel’effort

qu’exigeaitmamaîtrisedemoi-même.–Ilfautquetuarrêteslesconneries,Maya.Laduretédesavoixmeglaça.Jelerepoussai,lacolèredominantladouleurquiirradiaitenmoi,

maisilnebougeapasetjeneréussisqu’àmefairemalauxpoignets.–Dequeldroittepermets-tudemejuger?m’écriai-jeenluimartelantlapoitrinedemespoings–

ultimeetfutiletentative.Ilm’attrapapar lespoignets, avecdouceurmais fermeté, pourm’empêcherdemedégageroude

continueràlefrapper.–Iln’estpasquestiondetejuger,bordel.Jet’aime.Jenemefouspasdecequit’arrive.Jesuis

navréquepersonned’autrene tienne assez à toi pour te direnon,mais il n’est pasquestionque je teregardelesbrascroiséstenoyerdanslapicole.

–Jenetedemanderien,àpartdet’écarterdemonchemin.C’estdemaviequ’ilestquestion,etsij’aibesoindel’arroserdetempsentemps,çaneteregardepas.

–Turestesiciavecmoi,alorslaissetomber.Ilrelâchalégèrementsapoignepourmepermettredem’écarterdelui.J’essayaidereprendremon

souffle.Moncorpsdébordaitd’adrénaline, lemoindredemesnerfsvibrait, l’anxiétéet ladouleurquej’auraisdésespérémentvouluétoufferpalpitaientdansmesveines.EtCameronregardait,Cameronluttaitcontremespulsionscommeuncrétindeguerrier.Jen’avaispasbesoindeguerrier,jen’avaispasbesoind’unamourdecegenre.

–Sic’estcommeçaquetum’aimes,çanem’intéressepas.Tunemeconnaisvraimentpas.Unmuscletressaillitaucoindesabouche.–Parcequetunem’endonnespasl’occasion.Tuneveuxpasmelaisserapprocher.Ilfautquejete

prenne par surprise pour apprendre quoi que ce soit. Tes poèmes… Bon sang, Maya, ils débordentd’émotionsquetunem’asjamaislivrées,quetun’asjamaislivréesàpersonne.

Il fallutunmomentàmoncerveaupour lesuivre.Là,unesouffrancenouvellem’envahit,àcroirequ’onm’avaitéviscéréesurlaplacepublique,exposéeàtous,nueetdépouillée.

–Tu…tuaslumestextes?Ilhaussalesépaules,maislegesten’avaitriend’insouciant.Cameronavaitl’airaussiébranléque

moi.–Ilsétaientlà,surl’étagère.J’enailuquelques-uns.

Page 168: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–C’estpourçaquetum’asoffert lecarnet.(Leslarmesmebrûlaientlesyeux.)Jen’arrivepasàcroirequetu…Commentas-tupulirequelquechosed’aussipersonnelettedirequeçaneposaitpasdeproblème?

Unelarmecoulalentementsurmonvisage.Mamainseposasurmabouchepourétoufferunsanglot.Cettetrahison–carc’enétaitune,àmesyeux–alourdissaitencoreladouleurécrasantecontrelaquellejeluttaisdéjà.Qu’avait-illu?Etpourquoi,surtout?Pourquoicetespionnage?Maisc’étaitmafaute,jem’étaismontrée imprudenteet j’avaisécrit, tout simplement.Desmots idiots.Parceque jen’étaispascapabledecontenirmesémotionsdébiles.

Ilsefrottalesyeuxensoupirant.– Je crois… je crois que je sais ce que tu essaies d’exprimer dans certains poèmes… dans

beaucoupdepoèmes.C’estcequejeressens,moiaussi.Jeveuxcequ’onauraitpuavoir.Maisilfautquetuycroies.Iln’estpastroptard,Maya.

–Si.–Onva s’en sortir, s’obstina-t-il, le regardvoilé.Ensemble.Toi etmoi.Les chosesn’ontpas à

restercommeça.Tun’aspasbesoindecegenredebéquille.Unriredouloureuxmedéchiralagorge.–Unebéquille…Maisoui.Net’inquiètepas,jamaisjenetedemanderaidemeservirdebéquille.–Cen’estpascequeje…Il ferma lesyeuxde toutes ses forces : il se rappelait, lui aussi.Lesmots terriblesqu’ilm’avait

assenés–uncoupenpleincœur.–Siseulementjepouvaisdéfairetoutcequis’estpasséàpartirdelà…Ilsevoûta,latêtebasse,vaincu.–Tum’asquittée,etmaintenanttuveux…tuveuxquoi?Moncœur?L’adorationquejetevouais

aveuglément?Lasatisfactiondemesauver,aprèsm’avoirbrisée?Tunemesauveraspas,d’accord?Jenepeuxpastedonnercellequej’étais,jenelepourraispasmêmesijelevoulais,parcequ’ellen’existeplus. Et, oui, il m’arrive d’avoir besoin de boire pour oublier tout ça. Je ne peux pas te l’expliquerautrement,maislà,maintenant,toutdesuite,c’estcedontj’aibesoin.

J’allaim’asseoirsurlecanapé,lesbrasplaquéscontreleventre,penchéeenavantpourcontrerladouleursourdequimerongeait.J’étaissoudainglacéejusqu’auxosparunfroidquim’atteignaitjusqu’àl’âmeetqueCameronnecomprendraitjamais.

Mamèreétait revenuemehanter,pleinedeviedansmes souvenirs, car jenem’autorisaispasàrendrevisiteàlafemmediminuéequ’elleétaitpeut-êtredevenueaufildesans.Dansmatête,ellerestaitjeune,belle,animée.Jel’aimaisdel’amourégoïste,avide,dévorantdesenfants.Saviem’avaittoujoursappartenu,maisc’étaitfini.Commentaurais-jepunepasmesentiratrocementrejetée?

Sa réapparition dissimulée me ravageait, moi qui avais passé des années à m’inquiéter de sadisparitionetàm’ensentirresponsable.

Je la détestais, oui, je la détestais autant que je l’aimais. Elle était devenue abstraction, parcequ’ellen’avaitplusderéalité.Lasouffrancemerongeaitlesentrailles,etj’aspiraisàlasoulager,malgré

Page 169: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

ladouleursourdequisubsistaitdemacuitedelaveille.Maisj’étaisprisonnière,ilnemerestaitquemesyeuxpourpleurer.Alorsjelaissaicoulermeslarmes,enimplorantlecieldem’accorderlesoulagement.

Camerons’accroupitprèsdemoi,lesmainssurmesgenoux,d’abord,puisremontantlelongdemescuissesetallantmefrotterlesbraspourmeréchauffer,m’apaiser.Ilmecajolajusqu’àcequejereprennemonsouffle,essuyames jouesmouilléesavecdesgestes tendres, réduisitànéantmacolère.Commentfaisait-il? Il luisuffisaitdeme toucherpourm’emmenerailleurs,m’attirerhorsdes frontièresdemonespritobscurci,dudésertémotionnelàquois’étaitréduitemavie.

Jesecouai la tête, luipris lamainet laserrai.Siseulementilavaitpuemporter toutça, jusqu’aumoindrefragment.Maispourquoiaurait-ilfaitunechosepareille?

–Commentpourrais-tubienvouloirresteravecunefillecommemoi?Jemerisquaiàluijeteruncoupd’œil,effrayéeàl’idéedecequej’allaisliredanssonregard.Ses

calmes yeux bleus et les lignes fermes de son visage ne trahissaient aucune pitié,mais j’y découvrisquelquechosed’incomparablementplusprofondque jen’aurais su ledire,uneémotionaussi sensiblequ’unevaguedechaleurquimesaisitaucœur.Meslèvress’entrouvrirentsurunebrusqueinspiration.

–Jeveuxresteravectoiparcequ’onestfaitsl’unpourl’autre,Maya.Tun’ycroispeut-êtrepas,maistuesforte,tuesbelle,ettuesmienne,mêmequandons’affronte.Maismaintenant,ilfauttebattrepournous,pourlafillequipartageaitmesrêvesetquim’apersuadéqueriennenousétaitimpossibletantqu’onétaitensemble.Jen’aijamaissucequel’avenirmeréservait,maisjen’aijamaiscessédecroirequec’étaittoiquim’yaccompagnerais.

Ilinspiralonguement.Sestraitss’adoucirentunpeu.–Jet’enprie,Maya,jet’ensupplie,parle-moi.Ils’estpasséquelquechose,àl’époque.Dis-moi

quoi.Nemelaissepasdanslenoir.Je fermai les yeux de toutesmes forces pour lutter contre une nouvelle crise de larmes. J’allais

craquer.Sesmotsmetransperçaientjusqu’àl’os,transperçaientjusqu’aucœurdelafaiblefilleeffrayéeetsansmèrequejedétestaisêtre.

–Maya…murmura-t-ilenm’effleurantlajouedesachaleur.–MamèrearenduvisiteàRuthilyaquelquessemaines.(Jesecouailatête.)Ilyadeschosesdont

jenet’aijamaisparlé…–Dis-moi.Ilserelevaets’assitàcôtédemoi,sonbrasenlaçantmataille.J’effaçaimesdernièreslarmesen

inspirantàfondpourmeressaisir.–Mamèreetmoi…Onn’ajamaiseugrand-chose,maisjel’avaisetellem’avait,tucomprends?

Çan’apasétéfacilepourelledem’élevertouteseule,etquandjesuispartieàlafac,elle…Ah,çaatoutfichuenl’air,voilà.Ellen’avait jamaisétébien,detoutemanière,maissansmoipourveillersurelleetpourluidonneruneraisonderesterenplace,elleaperdulespédales.Elleenchaînaitlesmecs,ellepassaitsontempsàboire,etellenel’auraitjamaisadmis,maisjecroisqu’elleafiniparsedroguer.Moi,jenepouvaispasarrêtermesétudes.Jeveuxdire,j’yaipensé,vraiment,maisc’étaitpourçaqu’onenavaitbavé,pouravoiruneviemeilleure,etjenepouvaispaslaissertombercommeça.J’étaisbien

Page 170: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

décidéeàobtenirmondiplômeetàtrouverunbontravail…Onenavaitsouventparlé.Àcemoment-là,jelasortiraisdelagalère.Maisjen’aipaseuletemps.

–Qu’est-cequis’estpassé?–Tuesparti et…et elle aussi.Elle adisparu. Jeme suisditqu’elle avait encoredéménagé, en

oubliantdemedonnersonnouveaunuméro,cettefois,maislesjoursontpassé,lessemaines,lesmois…Jen’aiplusjamaiseudenouvelles.J’airemplidesdéclarationsdedisparition.Rien.

–Mais,Maya,tunem’asjamais…–Tuétaisparti,maismêmesitunem’avaispasquittée,jenesuispassûrequejet’enauraisparlé.

Jenevoulaispasquevousconnaissiezcetaspect-làdemavie,Oliviaettoi,cecôtésiimparfaitdemoi-même.

–Ilmesembleévidentqu’onnesefaitpaslamêmeidéedelaperfection,toietmoi.Jehaussailesépaules.Ilparlaitsisouventdeperfection.Moi,jen’étaispasOlivia.Jen’étaispas

legenredefillequ’onmouraitd’enviedeprésenteràsesparents.Ilmepritlementonpourm’obligeràleregarderdanslesyeux,coupantcourtàmatiradeintérieured’autoflagellation.

– Tu croyais vraiment m’avoir persuadé que tu étais comme n’importe qui d’autre ? Je savaispertinemmentquetavien’étaitpasrose.Jenesavaispastroppourquoi,maisjepensaisquetulediraisunjour.Jenem’imaginaispasqu’iltefaudraitcinqans.

–Jenepouvaispasteledire.(Lessouvenirsmefirentprendreuneinspirationheurtée.)Mêmeaumomentdeteperdre,jen’aipastrouvélecourage.

Je plongeai dans les profondeurs de ses yeux bleus, qui illuminaient la chambre de plus en plussombre.

– Ce n’est pas à cause de toi que j’ai dit non, ce jour-là. Je devais rester dans le coin pourm’occuper demamère, mais je ne supportais pas l’idée de t’expliquer quem’épouser t’obligerait àt’engager à ça aussi. Et je n’allais pas non plus la laisser sortir dema vie. (Je haussai les épaules.)N’empêchequ’ellel’afait.Jevousaiperdustouslesdeux,enessayantd’incarnerlaperfectionàtesyeuxsanscesserpourautantdem’occuperd’elle.Jemesuisretrouvéetouteseule.

Unpetitriretristem’échappaàlapenséedelapériodenoireoùj’avaisétédépouilléedetoutcequicomptaitdansmavie.D’unecertainemanière,mesdeuxraisonsdevivrem’avaientétérendues,maisjepataugeaistoujours,complètementperdue…Jem’obstinaisàtoutgâcher,aussiloind’arrangerleschosesque le jour où Cameronm’avait quittée. Les larmes avaient refroidimes joues et le fardeau pesait ànouveau sur moi, douleur suffocante qui n’avait qu’un exutoire. Je baissai les yeux vers mes mains,nouéesafind’encalmerletremblementanxieux.J’avaisvraimentbesoind’unverre.

–J’aibesoindequelquesheuresderépit,Cameron.Toutiramieuxdemain,jetelepromets.Moi,j’iraimieux.Jeneseraipluscommeça.

Ilm’attiracontrelui,lefrontsursapoitrine,lecorpsencoreplusfaibledanssonétreintepuissante.J’auraisvouludisparaîtreentresesbras,meroulerenunepetiteboulebienprotégéeetoublierlerestedumonde,maisçanesuffiraitpeut-êtrepasàécarterlasouffrancequimetaraudait.

–S’ilteplaît,ajoutai-je,dansl’espoirqu’ilauraitpitiédemoi.

Page 171: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Jevaisarrêterça,moi,d’accord?murmura-t-ilenchassantlescheveuxquiretombaientsurmesjouesbarbouilléesdelarmesséchées.Ilsuffitqueturestesavecmoi.

Jelevailesyeuxverslui,désespérée,complètementperdue.Ilmecaressalajoue,unbraspossessifpasséautourdemataille.

–Jeteveux,Maya.Tuaspeut-êtrelecœurbrisé,maisjeleveuxquandmême.Etsijeneleméritepas,j’attendrailetempsqu’ilfaudra.Maisenattendant,jesuislà.Contentons-nousdeçacettenuit,êtrejustetoietmoi.

Uneexpirationhaletantem’échappa,etsabouchetrouvalamiennepouraspirermonsoulagement.Ilembrassames lèvres,mes joues, en suivant du bout des doigts le chemin tracé. Penché surmoi,monvisageentresesmains,exigeant.Jeréagiscommeils’yattendait,avecavidité,jusqu’aumomentoùcesbaisersnouslaissèrenthorsd’haleine.

– Écoute,Maya. (Il se recula un peu, l’air grave.) Je veux être ton refuge, l’endroit où tu peuxoublieretévacuerleschoses.Jepeuxt’yemmener.Jesaisquejepeux,parcequeriennem’ajamaisfaitressentir ce que je ressens avec toi.Ni l’alcool ni les autres femmes…ni l’adrénaline, le danger, ladrogue…Rien.Jeveuxtefairel’amourjusqu’àcequ’onneserappellemêmeplusquionest,toietmoi.Cettenuit,jeneveuxpasquetutesaoules,àpartdenous.

Mon cœur battait à tout rompre, me rappelant combien je l’aimais, état de choses auquel je nepouvaisabsolumentplusrien.Letableauqu’ilpeignaitm’attirait.Jevoulaisoubliertoutcequim’avaitabattueetrepartirdezéroaveclui.Lesmotsquenoscorpsseulspouvaientprononcermemanquaient,laforcedenotrelienphysique,capabledetranscendertoutcequis’étaitglisséentrenous.

Incapabledeparler,jemecontentaidehocherlatête.Ilmesoulevadanssesbraspuismeposasurle lit, où il me couvrit de sa chaleur pesante. Le soulagement fut quasi instantané : mesmembres sedétendirentdanssonétreinte.Ilm’embrassa,m’humectaleslèvresetlesmordillatendrementpendantquemeshanchessesoulevaientsansquejepuisselesenempêcheretquejegémissaissouslui.

Ilsereleva,ouvritmonjeanetledescenditsurmesjambes.Jem’assispourmedébarrasserdemoncorsage, avant de m’attaquer à sa chemise. Il ôta son propre jean et me rejoignis aussitôt, bouche àbouche.

Mesmains erraient sans relâche, effleurant sesmuscles, qui se contractaient et se détendaient aurythmedesesmouvements.Jemecambraipourêtreencoreplusprèsdelui,impossiblementprès,pourl’attirer enmoi et le fairemien.Sapeaubrûlait lamienne, nos corps affamés se tordaient l’un contrel’autre, ledésirmefaisait tourner la tête.Ladouleuratrocede la réalitépâlissait, s’évanouissaitdansl’obscuritédelachambre.IlnerestaitqueCameron.

–Jet’aime.Lesmotstombèrentdemeslèvresavantquej’enaieconsciencedecequej’allaisdire,decequeça

signifiait,decequejelivrais.Ilsefigea,seslèvresfrôlant lesmiennes.Sonregardmebrûlaauferrouge–passionné,pleinde

toutl’amourquejeressentaismoi-même.–J’attendaisçadepuislongtemps.

Page 172: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–J’avaispeur.J’aitoujourspeur.J’aipeurquetumequittes,quetumebrises.Tedire«jet’aime»,c’estcomme…commetedonner ledernierfragmentdemoi,celuiquejenepeuxpasmepermettrededonner.

Jem’interrompis, glacée par une appréhension fugace qui s’évanouit presque aussitôt. Il posa lamainsurmajouepourm’obligeràleregarderdanslesyeux.

–Si jeme retrouvaisenenfer, je ferais tout le cheminen rampantpour te rejoindre,Maya.Pouravoirunechanced’arrangertoutcequiamaltournéentrenous.Moi-même,jenepeuxpastedirecequinousarrive,parcequejen’aijamaisrienressentidepareil,maistupeuxmecroirequandjetedisquejen’irainullepartsanstoi.Jetelejure.

Il expira brusquement enm’embrassant avec fougue. Je gémis sous sa bouche, aussi passionnée,aimante, engagée que lui. Son baiser profond, dévorant me disait qu’il avait lui aussi des démons àlibérer.

Page 173: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XVIII

CAMERON

Impossiblederalentir.Jegoûtaislamoindresurfacedesapeau,pendantquesesmainss’ouvraientetse refermaientnerveusementsur lesdrapsetquesoncorpsrépondaitaumienavecardeur, refletdudésirquimebrûlaitlesveines.Jelecombattaispourtant,décidéàprendremontempsetàl’aimersanshâte.

–Maya…murmurai-jeenluiglissantunemècheégaréederrièrel’oreille,pouraccéderàlapeausensiblejusteendessousetàsoncou.

La moindre de ses réactions m’enchantait : la chair de poule qui s’emparait de sa peau sur lepassagedemabouche,tandisquejerépétaissonnom,encoreetencore,commeunmantraouunéchoderêve.Ellefrissonnait.Jel’attiraiplusprèsdemoiencore,décidéàluidonnertoutleconfortetlachaleurpossibles.

Sondésespoirm’avaitbouleversé. J’étais résoluàchasser les souvenirset lesproblèmesqui luiinfligeaient ne serait-ce qu’une ombre de tristesse et à illuminer ses ténèbres demon amour. Lemottournaitdansmatête,carj’enanalysaislesensdansnotrecontexte:laseulefemmequej’avaisjamaisaiméeétaitànouveaudansmonlit,dansmesbras,m’offrantsoncœuretsoncorps.

Sesmainstremblantesglissèrentdemesépaulesàmontorse.Jelesattrapaipourluiembrasserleboutdesdoigtspuismepenchaipourluiempoignerlesseins,avantd’ensucerlesmamelons.Quandjeleseus transformésen longuespointesdures, je lesagaçaide la langueetdesdents jusqu’àcequ’ellecrieetquesesjambesseresserrentsauvagementautourdemeshanches.

Maboucheremontajusqu’àsesépaulespuisàsonoreille,enpassantparsoncou.Depetitsfrissonslatraversaient,etellesecramponnaàmataillepourm’attirerplusprès.Jemouraisd’enviedem’enfouirenelle:mapatiences’amenuisait.

–Tuprendslapilule?Ellebattitdespaupières,commes’ilfallaitqu’elleretrouvesesespritsavantderépondre.–Oui.

Page 174: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jeluicaressaidoucementlagorge,m’immobilisantunesecondeau-dessusdupoulsquibattaitdanssoncou,puisjedescendisjusqu’àluieffleurerlehautdescuissesavantdecontinuer,provocant,surlecotondouxdesaculotte,trempéentrelesjambes.Unelégèrepression,etellesecabracontremapaume.Lorsquejerepoussailetissupourglisserlesdoigtsdanslesplismouillésdesonsexe,ellesecramponnaà mon bras, puis elle poussa un petit cri quand je m’enfonçai en elle. Mon sexe brûlait de prendresauvagementlaplace.Bientôt…

–Jeveuxteprendrecommeça,Maya,jouirvraimententoi…–J’aitoujoursfaitattention.Iln’yaeuquetoi.Je l’embrassai avec passion, aspirant sa promesse. Elle gémit en se cambrant contremoi. Je lui

faisaisconfiance,ellemefaisaitconfiance:jel’aideraisàtraverserl’épreuve.La confiance mutuelle combattait en guerrier du bien les craintes qui nous avaient hantés. La

confiance,aidéedel’amourqueMayaenpersonnenepouvaitplusnier,constitueraitpeut-êtrelepontquinousmèneraitdeceuxquenousétionsàceuxquenouspouvionsdevenir.Peut-êtreparviendrait-elleàguérirlesplaiesquenousnousétionsinfligéesl’unàl’autre.

–Jemeursd’enviedetefairel’amour,maissic’esttroppourtoiencemoment,ilfautmeledire,repris-je.

–J’aibesoindetrop.Ellemepassalesdoigtssurlapoitrineetbougeacontremoi.Mavergeenpleineérectionnefitque

croître.–J’aibesoindetoi.Fais-moioublier.Toutcequejeveux,c’estcemomentavectoi.Fais-ledurer

lepluspossible.Je l’embrassai tendrement.Un léger fredonnement fitvibrersoncorpsminusculequand jeprissa

bouche avec davantage de passion, d’exigence. Ses paupières, qui s’étaient abaissées, se relevèrent àdemi,etsesyeuxtrouvèrentlesmiens.Moncœurseserradouloureusement.

–Jepourraispassermavieàt’embrasser.Tuestellementsuave,tellementdouce.–Ilvamefalloirquelquechosed’unpeuplusfortquedesbaisers.Jeristoutbas,luiôtaisaculotteetneperdispasdetempspourlapénétrer.J’avaisenviedeplonger

enelled’uneseulepousséeardente,maisaussidejouirdechaquesecondedecetinstant,demeretireralorsqu’ellem’attiraitplusprofond.

Sensationstupéfiante,fourreaubrûlantidéalementajustéautourdemoi–seulendroitoùj’aiejamaisvouluêtre.

C’était ce que je voulais depuis le début, mais les obstacles qui nous séparaient nous avaientjusque-là empêchés de parler de notre vie sexuelle pendant notre séparation. Et c’était presque tantmieux,vuletorrentexquisquinousemportaitmaintenantquerienneséparaitplusnosdeuxcorps.

La seule pensée qu’elle puisse coucher avec d’autres que moi m’emplissait d’une jalousieincandescente.Unbesoinbrutaldemel’appropriermefitplongerenelleplusprofondquejamais.Uncriétoufféluiéchappa.Lemoindredesesmusclessecontracta,m’emprisonnantdanssonétreinte.Sabouche

Page 175: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

s’ouvritsurlarespirationhaletantequisoulevaitsapoitrine.Seslèvresfrémirent.Ellepalpitaitautourdemonsexe,plantéaufonddesoncorps.

–Maya?Çava?–Ohoui!–Jet’aifaitmal?–Tunepeuxpasmefairemal.Tuconnaistropbienmoncorps.Depuistoujours.Jemedétendis imperceptiblement,malgré la tensionpersistanteque j’entretenaispourêtreprêt à

l’aimeravecpassion.–C’estçaquejeveux,tucomprends?demandai-je.Qu’iln’yaitrienentrenous.–Moiaussi.Jeteveux.Jenousveux.Net’arrêtepas,jet’enprie.Sesongless’enfoncèrentdansmesfesses,etjesursautaicontreelle,premièrepousséed’unelongue

sériequil’affolatrèsviteentremesbras.Lerazdemaréeduplaisirnetardapasàdéferler.–Oh,Cameron!Elle était toute serrée autour demoi, à la fois glissante et possessive. Incapable deme contenir,

j’accélérai,plongeantprofondenelle,frictiondélicieusequinousfitperdrelatêteàtouslesdeux.Notrejouissancefutsimultanée,explosionbrûlanted’émotionstumultueuses.Jejaillisenelle,lafaisantmienne,lesmainscrispéessurseshanches.

Jevoulaisl’emplir,lapossédertotalementdecettemanière,àjamais.Dansmonéblouissement,letempsnes’étaitpasinterposéentrenous.Quelleimpressioncelapouvait-ilfairedejouirenelle,avecl’espoirdebâtirunevieàdeuxsurunamourpareil?Unamourdeplusenplusfort,enracinéennousmalgrénosdoutes.

J’expirailourdementenmelaissantallersurelle.Follespensées.Monamourpourellemedominaittotalement.

Elle s’affaissa sous moi, haletante. Une petite poussée tendre, et elle se contracta à nouveau,délicieuxfourreauseresserrantparvaguesautourdemoi.J’étaisépuisé,quoiquetoujoursdur.J’auraisvoulumeretenirpluslongtemps,carj’avaisbienl’intentiondenepasm’arrêterlà.

Jemeretiraietm’allongeaiprèsd’ellesurleflanc,corpscontrecorps.Elletournalatêtepourmeregarder.Ilnerestaitpastracedel’inquiétudeetdelatensionquil’avaienttourmentée.

–C’étaitincroyable.–Jem’échauffetoutjuste,répondis-jeavecunsourireencoin.Jepassailamainsursesseins,sonventrepuiscontinuaiàdescendre.Ellefrissonna.Jeluiglissai

un genou sous les cuisses pour les écarter, en insistant afin qu’elle s’ouvre complètement à moi,m’insinuaidanssatoisonboucléeetdessinailafentedesonsexe.Trempé,àcausedemoi.Jememordisla lèvre, car mon sexe se ranimait brusquement tandis que mes testicules se contractaientdouloureusement.Jen’avaisqu’uneenvie:recommencer.Maisjerésistai,unregardardentfixésurelle,l’explorantdesdoigts.Jemeglissaientreseslèvrespuisagaçailachairtendredesonintimitéjusqu’àmelogerenelle,danssachaleurmouillée,oùjetrouvaisonpointleplussensiblepuislemassaiavecdouceur.Ellesursautaitaumoindrecontact.

Page 176: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Maisqu’est-cequetufais?Sans répondre, je me retirai pour passer mon pouce sur son clitoris, avant de tourner

paresseusementautour,delapénétrerànouveau,delacaresseràl’intérieuretàl’extérieur.–J’ailafermeintentiondetefaireperdrelecomptedetouteslesmanièresdontjetefaisjouir,cette

nuit,annonçai-jeenfin.Iln’yeutplusensuitequesesgémissementsetlespetitsbruitsexcitantsdemonva-et-vientrapide

danssamoiteur.Sapeauluisantedesueurseréchauffaitdeplusenplus.Danssonexcitationcroissante,elles’agitaitetsecontorsionnaitcommepourm’échapper.Jemesoulevaisuruncoudepuism’étendissur elle afin de la rallonger, l’embrassai passionnément et la pénétrai avec davantage de vigueur,d’énergie, jusqu’à ce qu’elle perde pied.Nos lèvres se séparèrent, et elle emplit la chambre d’un crirauqueensecontractantautourdemoi.

Lorsque jeme retirai, elle tremblait, abandonnée sans forces sur le lit. J’aurais pu laprendre enpitié, si je n’avais été aussi dur et excité. J’étais bien décidé à lui faire l’amour jusqu’à ce qu’elledemandegrâce.

–Cen’estpasfini,loindelà.Tupeuxtemettreàgenoux?–Jamaisdelavie.Jenepeuxplusbouger.TuteprendspourHerculeouquoi?Jelatournaisurleflancenriantpuislapenchaienavant.–Tunevaspast’entirersifacilement.Mabouchecaressaledessindesondos,sesépaules,lalonguelignedesoncou,puisjereplongeai

enelle.Unesecondeplustôt,elleétaittoutemolle,maiselleseretrouvaaussitôtbienserréeautourdemoi.

Jemeretirailentement,fascinéparlespectacledemavergeapparaissantetdisparaissant,sortantetentrantenelle.Unflotdesang lui remonta tout ledos, tandisquedepetitscercles lui rougissaient leshanchesauxendroitsoù je l’avais tenue fermement.Cettevisionmerenditdurcommefer. Jeplongeaiprofondenelle,nousemportantimpitoyablementoùnousvoulionsaller,encoreetencore.

–C’estfabuleux.Jenemelasseraijamaisdetefairel’amour,Maya,luimurmurai-jeàl’oreilleenaspirantsonodeur,heureuxdelamoindresecondepasséeenelle.

–Tuvastellementprofond.Elleposa sonbras sur lemien,que jepassai autourd’ellepour la serrer contremoi.Sonvagin,

encorecontractéaprèssesdeuxorgasmes,réagissaitàchacunedemespoussées.Jen’enmisqueplusdepassiondansmesva-et-vient.Sonsoufflesemuaengémissementétranglé.Elleremualeshanchesetsepenchaenavantpourmepermettred’allerplusprofond,aupointquej’auraisjuréatteindrelecentredesoncorps.

J’allaisetvenais,encoreetencore,à lapoursuitedemonpropredésir,perduenelle,danscetteintimitéquej’auraisvoulueéternelle,plusexcitéquejamais.Elleseraittoutemeurtriedemain,maisjem’enfichais.

Cette nuit, je l’emporterais plus loin qu’elle n’était jamais allée et je perdraismoi-même la têtedanslevoyage.Jerefermaiunemainsursonderrièrecharnu.Demonpointdevue–etden’importequel

Page 177: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

autre,d’ailleurs–,ilétaitabsolumentparfait.Jeluiassenaiunebonneclaqueetregardaiapparaîtrel’empreinterosedemamain.Ellepoussaun

cridesurpriseetserejetacontremoi,sonsexeseresserrantautourdemaverge.Masecondeclaquefutaccompagnée d’une poussée énergique. Elle cria, encore, un cri vacillant, éperdu. Ses mains secramponnèrentauxcouvertures.

–Encore!Jeteveuxtoutentière!Un cri haletant, et elle jouit, rigidifiée par un orgasme prolongé quim’emporta,moi aussi.Mon

éjaculationquasidouloureuseétaitassortieàl’étaudesonsexe.Onrestalà,épuisés,l’undansl’autre,jusqu’àcequelesommeilnousemporte.

Àmon réveil, la chambre était obscure, si on oubliait le clair de lune qui s’y déversait par lafenêtre.Ons’étaitendormisenchevêtrés.Probablement.Car jenemerappelaispasm’êtreendormi.Jemefrottailesyeux:non,jen’avaispasbu,maislasoiréeétaitflouedansmatête.Desfragmentsdecequi s’étaitpasséme traversaient l’esprit.Autantque jem’en souvienne, jen’avais jamais fait l’amouravecun telabandon.Mayan’étaitpeut-êtrepasfollededésir,àcemoment-là,maismoisi.Après,ons’étaitautantdireévanouis.Siçan’étaitpasaussienivrantqu’unenuitdebeuverie,riennel’était.

Mes yeux s’habituaient à l’obscurité.Maya était couchée en chien de fusil près demoi, petite etpaisible dans la nuit calme. Je repoussai les couvertures dont je m’étais enveloppé et l’attiraiprudemmentcontremoitoutenlacouvrant.Elleémitunpetitbourdonnementetm’étreignitàl’aveuglette,le nez contremon torse, sa peau fraîche contre lamienne. Je la pris dansmes bras pour la dorloterjusqu’àcequesachaleurcorporelles’ajouteàlamienne.

J’écartai sescheveuxdesonvisageet lacontemplai,émerveillé.Malgré toutcequis’étaitpasséentrenouscesdernièressemaines,sonretourdansmaviemestupéfiaitencore.Commesiunvœuquejen’étaismêmepas conscientde fairedepuis longtemps s’était enfin réalisé. Jamais jen’avais été aussireconnaissantqu’encetinstant.

Cette nuit, quelque chose avait changé.En lui faisant l’amour, en la possédant, en refusant de lalaissers’enfuir,j’avaismisaujourl’âmedelafilled’autrefois.Elleétaittoujourslà,souslesbéquillesetl’attitudeje-m’en-foutiste.MaMaya.

Jenem’inquiétaisplusdesrisquesquejeprenaisenretombantamoureuxd’elle,parcequej’avaistroppeurdecequi l’attendaitsiellecontinuaitsurcettepente-là.Aufond,elleavaitaussiabsolumentbesoindemoiquemoid’elle,certitudequimeliaitàelled’unemanièreinédite.J’allaisréparercequej’avaisbrisé, aiderMayaà redresser labarre et la ramener àmoi,quitte à cequece soit ladernièrechosequejeferaissurterre.

MAYA

Lavoituresegaradevantmonimmeuble,lemoteurcontinuaàtourner,maisilmefutimpossiblededescendre.Ils’étaitpassétropdechosesentrenouspendantcecourtvoyage.Cameronavaitmisaujour

Page 178: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

unepartiedemaviequejeluiavaistoujoursdissimulée.Danscettepetitechambreinconnued’unepetiteville perdue aumilieu de nulle part, loin de l’animation new-yorkaise, mon univers avait vacillé. Jeregardai par la vitre les balustrades enneigées qui montaient jusqu’à mon appartement. Elles mesemblaientirréelles.

–Resteavecmoi.JemetournaiversCameron,interrogative.– Jeneveuxpasqu’on se sépare toutde suite. Ilme sembleque tuvasdisparaîtrepourneplus

jamais revenir,etçamerenddingue.Donne-moiunpeude tranquillitéd’espritenvenantchezmoiunmoment,s’ilteplaît.

–Jenevaispasm’enaller,assurai-je.–Prouve-le.–Maistesparentssontlà!–Ilssontpartis.Darrenm’atextotéquelavoieétaitlibre.IlresteOlivia,maisellesedébrouille

trèsbientouteseuledanssoncoin.Etdetoutemanièreilvafalloirqu’elles’habitueàcequetufassespartiedutableau.Autantl’eninformertoutdesuite.

–Jeneveuxpascauserdeproblème.–Troptard,dit-ilenriant,lesyeuxbrillants.Tuesuneemmerdeusedepremière.–Parcequetuteprendspourunange,peut-être?m’amusai-jeenluidonnantunetapesurl’épaule.Ilattrapamamain,qu’ilserratendrement.– Pas du tout. Mais je ne plaisantais qu’à moitié. Viens chez moi. Tu me manques déjà. C’est

franchementpathétique.Unpetitsourireluiretroussaleslèvres,etmoncœurfondit.Jesoupirai.Laséparationnemetentait

pasplusquelui.–Bon,jeneretournetravaillerquedansquelquesjours,detoutemanière.Laisse-moiletempsde

préparerquelquesaffaires,jeredescendsdanscinqminutes.Jemedétournais,prêteàsortir,quandilmetiraenarrièrecontrelui.Unbaiseràlafoischaleureux

etpossessifseposasurmeslèvres.–Jet’aime,medit-ilàl’oreille.– Je t’aime aussi, soufflai-je, la tête légère, les membres parcourus d’une délicieuse chaleur

fourmillante,commesijevenaisdeboireunalcoolfort.L’attirancequinous liait l’unà l’autreétaitencoreamplifiéepar l’acceptationentièredufaitque

nous retombions désespérément amoureux. Mes réactions physiques et mentales étaient presqueincontrôlablesdansleurviolence.

Lorsqueenfinilmelâcha,jemeprécipitaichezmoipourfairemonsac,unsourireidiotauxlèvres.Elin’eutdroitqu’àdesnouvelleslaconiques,etjelesconclusparunhaussementd’épaulesrésignéquiluifutmanifestementcompréhensible.

QuandCameronm’introduisit chez lui, l’appartement était visiblement désert. Il nous prépara undéjeunertardifpuismefitvisiterleslieux,enmemontrantlesaméliorationsqu’ilyavaitapportéesces

Page 179: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

dernièressemainesavecOlivia.L’évolutiondepuismonprécédentpassageétaitindéniable.J’avaisbeauenvouloiràOliviapourdesraisonspersonnelles,elleconstituaitmanifestementuneforcepositivedanslemondedeCameron.Commenousétionsluietmoidécidésàallerdel’avantentoutefranchiseetavecoptimisme,jemedisquesasœuretmoitrouverionspeut-êtremoyendecontournernosdifférends.

–C’estsuper,maisc’estgrand,disdonc.Tucroisqu’ellevafinirparsetrouverquelquechose?–Jen’endoutepas.Pourlataille,jecroisquejepensaisàl’avenir.Jen’aipasrenoncéàl’idéede

vivreavecquelqu’un.– C’est grand, même pour deux personnes, insistai-je, le sang aux joues. C’est même immense,

quandonpensequ’onestàNewYork.Ilacquiesçaensemordantlalèvre.–Lesfamilles,ças’agrandit,tusais.J’en eus le souffle coupé. Il pensait à nous. Peut-être sa petite conversation avec Ruthie ne se

réduisait-ellepasàunmoyendedériderunevieillefemmesénile.–Quedeprévoyance…marmonnai-jeendansantnerveusementd’unpiedsurl’autre.Ilhaussalesépaules,unpetitsourireauxlèvres.Onparlad’autrechosependantlerestedelavisite,

avantderegagnerlasécuritédel’appartementdudessus.–Bon, il fautque jepasseà la salledegymvérifierqueDarrenn’apas fichu le feuouquelque

chosecommeça.–Ilestpompier,objectai-je.–Chacunsaitquelespompierssontpyromanes.Onnepeutpasluifaireconfiance.Enfin,bref…Tu

viensavecmoi?– Il vaudrait mieux que je ne traîne pas là-bas sans rien faire. Ça ne va pas être bon pour les

affaires.–N’importe quoi, protesta-t-il en riant. Je vaism’ennuyer si tu n’es pas là pour râler contre les

torturesquejet’impose.–Quoi,tuveuxquejem’entraîne?–Exactement.(Sourirediabolique.)Mets-toientenue.Jelevailesyeuxaucielengémissantmaismedétournaipourallermechanger.Laclaquequ’ilme

donnasurlesfessesluivalutunregardnoir,quoiquelas.–Quoi,encore?–Jeviensdem’apercevoirquej’adoraistefesser,etquandtumesorsdesremarquesacides,çame

donnel’excuseidéale.–Jenesuispassûred’aimercequejeviensd’entendre,dis-je,labouchepincée.–Moisi.Ilmepritparlatailleetmefittournoyerpourmeserrercontrelui,faceàface.Saboucheétaitsi

prochedelamiennequesonsouffledansaitsurmeslèvres.Lesprofondeursbleuesdesesyeuxrecélaienttoutessortesdesous-entendus.

–J’aimeleclaquementdemamainsurtesfesses…etlespetitscrisqueçatefaitpousser.

Page 180: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

J’inspiraibrusquement,lesjouesenfeu.–Bon,d’accord,tuviensderéussiràmedonnerenvied’alleràlasalledegym.Jemedégageaidesonétreinteetlerepoussaid’unebourrade,avantquemespenséesérotiquesne

l’emportentetnemepersuadentdelelaissermettresesmenacesenpratique.

CAMERON

La salle était quasi déserte.Raina elle-mêmeavait disparu, car les cours deyogane reprenaientqu’après le nouvel an. Tantmieux. Je n’avais pas eu l’occasion de lui parler deMaya,mais j’allaisdevoirlefaire,pouréviteràMayades’inquiéterdemesrelationsaveccettedemoiselle.Leslimitesquej’avaisétabliespourqu’onseconduiseenprofessionnelsavaientbesoind’êtreréaffirmées.LesmanièresséductricesdeRainam’avaientsembléacceptablesdanslamesureoùellesneposaientpasdeproblème,maisçanepouvaitplusdurer.

JefaisaisdesenroulementsvertébrauxpendantqueMayatuaitletempssuruntapisroulant,quandDarrenapparut.

–Salut!lançai-jeenm’asseyant.–TunousasbienlaisséstomberàNoël,mec.Jesuissûrquetuvasentrerdansleslivresd’histoire

avecça.Jefislagrimace,frappépardesregretsquejen’avaispaséprouvésquandOliviam’avaitdéversé

sabileautéléphone.–Leschosessesont,euh…disons,accéléréesavecMaya.Elleavaitbesoindemoi,etjemesuis

ditquevousarriveriezàvousentireraveclesparents,Oliviaettoi.C’étaitsiterriblequeça?– Insupportable, lâcha-t-il avec un grand soupir. Pire que d’habitude, sans doute parce qu’ils

flippaient de ne pas te voir. Pour résumer, ça a encore amplifié les conneries habituelles.Donc, oui,c’étaitterrible.

Ilfaudraitquejevoielesparents,àunmomentouàunautre.J’avaisréussiàleséviterpendantprèsd’unan,nonseulementparcequej’étaistrèsoccupémaisaussiparcequecen’étaitjamaislemoment.Encequimeconcernait,leurprésenceétaitpénible,agaçante,etjen’avaispaseubesoindelesvoirceNoëlpoursavoirquerienn’avaitchangéàcetégard.J’avaispassétroisansdansledésertàregardervieetmorts’affronteretàlaissermavies’écoulersansmoi.Ilétaithorsdequestionquejeperdeunjourdeplusàfairemined’êtrelefilsdontilsrêvaientouàregretterdenepasl’être;maislaprochainefoisilfaudraitquejesoislà,pourDarrenetOlivia.

–Désolé.Jetedoisunservice.–C’estl’horreur,parcequ’ilsreviennentpourlenouvelan.Àtontour.Moi,j’aiunrencard.–Avecqui?–Jenesaispasencore,maisj’enauraiun,net’enfaispas.Etnemeregardepascommeça.Tume

doisunservice,tuviensdelediretoi-même.

Page 181: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jesoupiraienmonforintérieur,furieuxdedevoirteniraussivitemapromesse.–Bon,d’accord.–Etàpartça,qu’est-cequisepasseavecMaya?Çava?–Oui,çava,maintenant.Superbien,même.–Tantmieux.J’ensuisravi.–Bon,jevaisyaller.Àdemain.–Impec.Il s’éloignaet je terminaimasérie,presséde rejoindreMaya.Une longuepromenadenousmena

jusqu’àunsalondethé,prèsduparc:jeluiavaispromisungâteauauchocolatsiellefaisaituneséried’enroulements vertébraux supplémentaire ; elle avait accepté à contrecœur, et je m’étais promis depenseràl’acheterdorénavantavecduchocolat.

Ànotreentréedansleminusculeétablissement,l’odeurdesgâteauxquicuisaientetduchocolatnousenveloppa.

–Waouh, ils ont tous l’air géniaux !Qu’est-ce que tu prends, toi ?me demandaMaya, les yeuxécarquillésdevantlespâtisseriesexposéesdansunevitrine.

–Uncafé,çaira.Maisprendscequetuveux.Elleseretournapourmefixer,lessourcilsétroitementfroncés,commesij’avaistroistêtes.–Tumemènesauxportesdelamort,puistum’attiresenunlieudedélicesoùj’aiaussitôtl’eauàla

bouche,ettuveuxjusteuncafé?– Il fautque je surveillema ligne,plaisantai-je. Jeneveuxpasque les clientsmemènent lavie

dure.–C’estàtoideleurdemanderdescomptes,pasl’inverse.–Çaveutdirequejedoist’endemander,àtoiaussi?–Jenesuispasunecliente,jeflattetespetitesmanies,c’esttout.Tupeuxbienmetortureravectes

exercices,maisnet’avisepasdet’interposerentrelechocolatetmoi.–Jeprendsbonnenotedel’avertissement,assurai-jeenriant.–D’ailleurs,pourbienmefairecomprendre,jevaisprendredeuxgâteaux.–Unprogrammeambitieux,commentai-je,avecleplusgrandsérieux.Un grand sourire illumina ses traits, et un petit frisson d’excitation me traversa devant sa joie

manifeste.Onallas’installeravecpâtisseriesetboissonsàunepetitetableronde,dansuncoin,oùMayagoûtaaussitôtsonpremierdessert.Ungémissementdiscretluiéchappa.

–C’estsibonqueça?demandai-je,taquin.–Turatesvraimentquelquechose.Ellefitoscillersousmonnezunecuilleréedemousseauchocolat.–Çaal’airsuper,maisjen’aipasfaim.Arrêtedemenarguer.Ellefitvoguerlacuillerjusqu’àseslèvres,fermalesyeuxetgémitsifortquel’eaumemontaàla

bouche, mais pas pour les bonnes raisons. Lorsqu’elle rouvrit un œil pour guetter ma réaction, je laregardais,bouchebée.

Page 182: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Oui,quoi?Jerapprochaimachaisedelasienneetluiprislacuiller.–Attends,laisse-moifaire…Cettefois,cefutmoiquiportai lamousseàses lèvres.Elle lesécarta lentementpour lamanger,

léchalacuilleretdéglutit.Jeréprimaimoi-mêmeungémissement:quen’aurais-jepasdonnépourêtrecette cuiller ! Jem’humectai les lèvres et repoussai une vision oùMaya léchaitma verge enduite demousseauchocolat.Commentavait-onfaitpourpasseraussivited’unsimpledessertausexe?

Jeportaià saboucheunenouvellecuilleréedemousse,qu’elleprit, avantde fermer lesyeuxenpoussantun imperceptiblegémissement.Le faisait-elle exprèspourme rendredingue?Laquestion seposait,maisj’étaistropconcentrésurmonrôlenourricierpourm’enpréoccuper.Onpouvaitjoueràçatoutelanuit,saufquejecommençaisdéjààbanderetqueletrajetderetourallaitêtrelong.

–Elleestvraimentbonne,tusais.Le commentaire m’arracha aux visions qui s’épanouissaient dans mon imagination soudain

déchaînée.–Tantqueça?Elleacquiesçaenléchantlentementl’écumechocolatéequiluienduisaitleslèvres.–Délicieuse.Délicieuse.Jelaissailemotroulerdansmonesprit,dansersurlesfantasmesquis’yjouaient,puis

mepenchailentement,aupointquenoslèvressefrôlèrent.–Alorsilfautabsolumentquejelagoûte.Elleinspirabrusquementmaisnetentapasderésister.Latêtepenchéedecôté,jeléchailacourbe

suave de sa lèvre inférieure, puis je pris son visage dansmamain pour l’immobiliser et l’embrassaitendrement.

Le baiser fut interrompu par un couple qui prenait bruyamment place à une autre table.Maya serejetaaussitôtenarrière,tandisquejel’observais,àl’affûtdesesréactions.

–Délicieuse.–Tuvois.Jepariequeturegrettesdenepasenavoirpris…dit-elled’unevoixhaletante.Nosregardsnesequittaientpas.–Cequim’auraitprivéduplaisirdelagoûtersurteslèvres…Jamaisdelavie!Silencieuse,ellebaissalesyeuxverssontiramisu,encoreintact.–Passe-moitafourchette.Quandelleobtempéra,jeprélevaiuncoindugâteauetlemangeai,nonsansmedirequejel’aurais

trouvénettementmeilleursurelle.–Jesuisentraindetecorrompre,dit-elleavecungrandsourire.–Pasgrave.Jeteleferaipayerdemain.–Ahnon!Cen’estpasjuste,protesta-t-elleenmetapantsurlebras.Tutriches,etc’estmoiqui

paye?–Parcequec’estmoiquifixelesrègles.

Page 183: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Etpourquoiça?Lasemaineprochaine,c’estàmontour,d’accord?Pasdesport,et tun’as ledroitdemangerquedesbeignetsdepouletetdesnounoursengélatine.

Cettepenséemefitgrimacer.–Cescochonneriessontmauvaisespourtoi,Maya.–Jesais.Mesfessesensontlapreuve.–Tesfessessontparfaites,protestai-jeavecleplusgrandsérieux.Sesyeuxétincelantssereposèrentsurletiramisu,quejemassacraisàlafourchette.–Arrête,marmonna-t-elleenrepoussantunemècheégaréederrièresonoreille,dévoilantlarougeur

soudainedesajoue.Enhardi,jemepenchaidavantageencorepourn’êtreentenduqued’elle.–Nem’obligepasàleprouvericimême.–Oui,bon,çava.Jemeradossai,souriant.–Tuasuncorpsétonnant.Tunedevraispastesentircomplexéedutout!–Jenetecroispas,maismerciquandmême.–Crois-moi,ou jevaisêtreobligédecontinuerà tecomplimenter sur tes fesses, cequipourrait

devenirfranchementgênant.Bienplusqueça,parexemple.Je désignais d’un geste discret le couple arrivé depuis peu, qui nous avait entendus – ou pas –

plaisantersurlesfessesdeMaya.Elleéclataderire,etjemejoignisàelle.J’adoraissonrire,naturellementrauque,quimeramenait

enarrière,àuneépoqueoùonpassaitnotretempsàrire.Ilfallaitquejelafasseriredavantage,poursonbienetlemien.

Je n’avais plus connu la satisfaction joyeuse qui m’envahit alors depuis… eh bien, depuis ladernièrefoisqu’ons’étaitvus.

Page 184: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XIX

MAYA

–Tum’enveux,alors?–Jenesuispasenchantéedelatournurequ’aprisenotredernièresoiréeensemble,sic’estdeça

qu’ilestquestion.Jepensaisquetuseraisplusréceptive.Jialâchasaserviettesurlatableenseradossantnonchalamment.Malgrémadifficultéàcomprendre

lasituationoùellem’avaitentraînée,jenepouvaism’empêcherdetrouversagrâcenaturellecaptivante.Jusqu’où était-elle allée en abusant les gens par son assurance tranquille, sa maîtrise et son autoritédiscrète?J’yavaissuccombésifacilement.

–Tum’asmanipulée,Jia.Commentétais-jecenséesavoirqueKevinettoi,vousvousattendiezàcequejepasselaveilledeNoëlàbaiserdanssonbureau?

– Tu avais l’air assez ouverte, pendant la soirée en boîte. Jeme disais qu’après un verre tu telâcheraisunpeuetqueçaneposeraitpasdeproblème.C’estàcausedeCameron?

J’ouvrislabouchemaisnetrouvaipaslesmotsadéquats.Jenevoulaispasreconnaîtrequ’ilavaitcomplètementpétéuncâbleaprèsce«rendez-vous».

–Iln’apasapprécié,c’estsûr.–Méfie-toidelui,meconseilla-t-elle,lessourcilsfroncés.–Commentça?–C’estmanifestementundominateur.–Ilnemedominepas.Ilpenseàmoi,c’esttout.Jefusmoi-mêmesurprisedelasécheressedemavoixetdelarapiditéaveclaquellejeprenaisla

défensedeCameron.L’idéed’êtredominéenemeplaisaitpas…pasplusquelamanièredontJias’enprenaitàl’hommequej’aimais.

–Biensûr,dit-elleenlevantlesyeuxauciel.Ilsattendentquetusoisdésespérémentamoureuse,etlà,ilscommencentàt’expliquercommentvivretavie.Jeconnais,j’aidonné.

Jedéglutispéniblement,incapabledelacontredire:Cameronavaitchangémavie,quiseretrouvaitsens dessus dessous. Même sans lui, je n’aurais pas été d’accord pour baiser avec mon supérieur

Page 185: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

hiérarchiqueenéchanged’unepromotion,maissonbonsensavaitinfluencécertainesdemesdécisionslesplusrécentes–influenceoùl’amouravaitplusquesapart.

Commesiellelisaitdansmonesprit,Jias’adoucit.–Qu’est-cequit’arrive,Maya?Ilmesemblaitt’avoirentenduedirequetuvoulaisteconcentrersur

tacarrière.Quelesrelationssentimentalesnet’intéressaientpas?–Etc’étaitvrai.Mais…ons’aimaittellement,autrefois,etc’estrevenusifacilement.Ellepoussaunlégersoupir.–Enfinbref,ilvafalloirs’arrangeravecKevin.Legouffres’accentuaaucreuxdemonventre.Montravailétaitenjeu.Jen’avaisaucuneenviede

fêterlenouvelanenétantauchomage.–Çaseprésentemal?–Ilflippeàmortquetul’accusesdeharcèlementsexueletquelahiérarchies’enprenneàlui.Jelui

aipromisquetuneleferaispas,quecen’étaitpastongenre,maisilafalluquejeluitailleunepiperienquepourlecalmer.

C’est ta faute, disait le regard dont elle accompagna ces derniersmots. J’aurais aiméme sentircoupabledel’avoirmisedansunesituationpareille,maislapenséequej’auraispuêtreàsaplacemedonnaitenviedevomir.

–Commentpeux-tu?demandai-je,incapablededissimulermondégoût.Kevinn’étaitpasrépugnantphysiquement,maissapersonnalité,si.Jen’arrivaistoutsimplementpas

àm’imaginerluidonneraccèsàmoncorpsdansunbutsexuel.MaréactioneutledondecontrarierJia.–Arrêtedemeprendredehaut,outupeuxfaireunecroixsurnotreamitié.Jet’avaispromisdete

montrercommentt’éleverdanslahiérarchie,etc’estexactementcequej’aifait.–Tucouchespourgagnerdugalon?Jelevailesyeuxauciel,incapabledeconsidéreruneattitudepareillecommenormale.–Etçane tedérangepasque lesgensenparlentdans tondos?C’estvraiment l’exempleque tu

veuxdonnerauxautresfemmesdelaboîte?–Écoute,cen’estpasdansmeshabitudes,répondit-elle, radoucie,mais ilyavaituneoccasionà

saisir, et je l’ai fait. Seulement, toi, tu ne voulais pas sacrifier quelques heures de ta vie pour unepromotionquit’auraitdonnédesannées-lumièred’avancesurtescollègues.

–Jepréféreraisencorebaiseravecl’employéquis’occupeducourrier!Ellefitlagrimaceàcetteidée.–Jenevaispasécarterlesjambespourprouverdequoijesuiscapableprofessionnellement,jen’ai

pasbesoindeça.–Alorsc’estcommeça…Défendremaréactionetcritiquerlasienne,celarevenaitaumême,elles’enrendaitbiencompte.Je

luttaicontrelapaniquequimenaçaitdem’envahiràlapenséequej’ignoraisoùtoutecettehistoireallaitmeneretcequeJiaattendaitdemoi.Jusqu’ici,jel’avaislaisséemenerlabarque,maisilnem’étaitpluspossibledeluifaireconfiance,maintenant.

Page 186: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

J’inspiraiàfondpourreprendre,d’untonplustranquille:–Moi,toutcequejedis,c’estquetudevraisavoirplusderespectpourtoncorps…pourtoi-même,

etnepaslaisserquelqu’uncommeKevint’humilierdecettemanière.–Destasdegensmerespectent,ricana-t-elle,alorsquetoi,Maya,jenevoispas.Tun’étaisqu’un

robotdanssonboxavantquejetechoisisse.Ilyadesgensquitepiétinenttouslesjours,quiprofitentdetescompétences,detonintelligence,etquis’enattribuenttoutlemérite.Cen’estpashumiliant,ça,peut-être?

Je serrai lesdents, car ellen’avait fait qu’exprimer lapurevérité, que jedétestais de toutemonâme.

–C’estvrai,admis-jesanslaquitterdesyeux,carjelavoyaispourlapremièrefoistellequ’elleétait.C’estexactementcequetuasfaittoi-même.Enfin,cequetuauraisfaitsij’avaiseulabêtisedetesuivre.

–Hein?–Tumel’asdittoutnet,tuneterappellespas?Quetun’étaispaslàpourtefairedesamis,mais

pourmonterengrade.Qu’ilfallaitjustetrouvercequevoulaientlesgensetcapitalisersurleursenviesàtonbénéfice.

–C’étaitànotrebénéfice,cettefois.–Tut’imaginaisvraimentquej’allaistelaisserjouerlesmèresmaquerellesetgagnertranquilleta

petite promotion ? Ça n’avait rien à voir avec moi, c’était de toi qu’il était question. Mais ce quim’étonneleplus,c’estqu’avectonintelligencetun’aiespasétéfichuedetrouverquelquechosedeplusoriginalpourgagnerdugalonquetaillerunepipeauchef.

–Celle-là,tuvaslaregretter,dit-elle,lesyeuxdangereusementassombris.–Peut-être,maispasautantquedem’êtrelaissésauterparKevin,ça,c’estsûr.Jemelevai,ramassaimonsacetjetaiunbilletdecinquantesurlatable.–C’estmoiquirégale.–Cen’estpascequit’empêcheradetefairevirer.–Jen’aipasbesoindecegenredeboulot.Tupeuxbienfairecequetuveux.Jesortisenessayantdenepasvacilleretdejugulerletremblementquimesecouait.

CAMERON

Darren m’appela dès mon arrivée, dit quelque chose d’inintelligible à la jolie blonde dont ils’occupait puisme suivit jusqu’au bureau dont il ferma la porte, avant deme regarder sansmot direrangermesaffairesdansmoncasier.

Lorsquejefisletourdelatabledetravailpourm’yasseoir,ilseplantapesammentdel’autrecôté.Quelque chose n’allait pas. Il n’avait pas son sourire de crétin prétentieux, il ne me faisait pas deremarquesarcastique…Franchement,jen’étaispassûrdel’avoirjamaisvuaussisérieux.

Page 187: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Qu’est-cequisepasse?m’enquis-je.Ilyaunproblème?–Tun’asriendeparticulieràmedire?medemanda-t-ilaveccalme.Jefronçailessourcilsenpianotantsurleclavierdel’ordinateurpourafficherlesemploisdutemps.–Non.–Absolumentrien?Jeleconsidérai,perplexe,enmedemandantcequiluiprenait.–Crachelemorceau,Darren.J’airendez-vousdansdixminutes.Ilposalesmainsauborddubureauetsepenchaversmoi.–Unealliance,Cameron?Tuluiasachetéuneputaind’alliance?Mesyeuxseposèrentsurlecasieroùj’avaisfourrémesaffaires,l’autrejour.Salefouineur.–Netouchepasàmoncasier.–J’aicomprisquetumijotaisquelquechosedèsquetuesarrivé.Tunepeuxpasmecacheruntruc

pareil.–Çaneteregardepas.–Ahbon?Jesuistonfrèreettonmeilleurami,ettunevoulaismêmepasm’enparler?Quandjete

conseillaisdelamettredanstonlit,jenetedisaispasdet’enfuiravecpourl’épouser.Tuesdevenufououquoi?

Jemereculaisurmachaisepourm’éloignerunpeudesquestionsclairementagressivesdeDarren.–Jenecomprendspaspourquoi tu t’intéressesautantàça.Tun’espasexactementdouépour les

relationssentimentales.–Non,maislà,c’estdelafolie.Mêmemoi,jem’enrendscompte.–Toi,tuconsidèresquec’estdelafoliederappelerunefilleavecquituascouché.Sansvouloirte

vexer,tunesaispasdequoionparle.–Tucroisvraimentqu’elleva t’épousermaintenant,alorsqu’elle t’aenvoyébalader lapremière

fois?Sontonquasihystériquem’amusa:ilétaitvraimentinquiet…maisleproblèmeméritaitbeletbien

d’être posé. D’ailleurs, j’y pensais moi-même toutes les vingt minutes depuis que j’avais achetél’alliance.Nonquejecomptel’offrirtoutdesuiteàMaya,maisj’allaislefaire.Madécisionétaitprise.

–Jenesaispasquandjevaislademanderenmariage,maisiln’estpasquestionqu’ellemedisenonàcemoment-là.

Darrenlaissaéchapperunrirebref.–Çapromet.Superpréparatifs.Jesoufflai,agacé:commentluifairecomprendrecequisepassait?Était-ilseulementcapabledele

comprendre?Onseparlaitrarementàcœurouvert,encoreplusrarementdenoshistoiresdefemmes,etcen’étaitpaslapersonnelaplusintuitivequejeconnaissesurcesujet.

–Çavasansdoute tepasserau-dessusdela têteetdisparaîtredanstontiroirmental«conneriessentimentales»,maisjel’aime.Jel’aimaistoujoursquandjel’aiquittée,etçan’apaschangé,saufqueje

Page 188: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

l’aimepeut-êtreencoreplus.Cequej’aifait…j’aicommisuneerreur.Onenacommistouslesdeux,etonleregrettetouslesdeux.Cettefois,jenevaispaslalaissers’éloigner.

Moncœurseserra–lepincementderegrethabituelàlapenséedecequis’étaitpassé.Lecrétinimmaturequej’étaisàl’époquen’avaitpaslaisséàMayal’occasiondechangerd’avis.

– Il fautabsolumentque tu redescendessur terre.Parceque, ladernière foisqueçaamal tournéavecelle,tun’aspasétéleseulàensouffrir.

–Jesais.Olivianemelelaissepasoublieruneseconde.Jemelevaietmepenchaiversluipourluirendresonregardmenaçant.–Àvousentendre,ondiraitquec’estvousquiavezpassétroisansàguetterdesexplosionstoutela

nuitetàregardervoscopainsrepartirchezeuxdansdescercueils.J’enaimarrequ’onmefasselaleçon,d’accord?C’estmoiquiaivouluallerlà-bas.Personnenem’aforcélamain,etj’enaiterminéavecça.Jesuisdésoléquevousenayezsouffert,maisvousêtes idiotsde le reprocheràMaya.Elleenabienbavéaussi,engrandepartieparmafaute.Alorslesconneries,çasuffit,maintenant.

Ilseredressa,croisalesbrasetmeregardabienenface.Seulel’acceptationquisefaisaitlentementjoursursestraitsm’empêchademejetersurluipoursoulignermonproposparunebagarre.

–Tuneplaisantespas.C’étaitplusuneconstatationrésignéequ’unequestion.–Tucroisvraimentquej’iraism’arracherlescheveuxdansunebijouteriependanttroisheurespour

plaisanter?–Jen’imaginemêmepasunechosepareille,admit-ilavecunsouriresarcastique.–J’enétaissûr,grognai-je.–Commentsefait-ilquetusoisdevenuleromantiquedelafamille?semoqua-t-il.Jelevailesyeuxaucielenriant.–Quelqu’unteleferapeut-êtrecomprendreunjour…–Sansfaçons.Çameva trèsbienderegarderdepuis lesgradinspendantque tu te faispasser le

cœuràlamoulinette.–Mercidecevotedeconfiance.Ilsoupiraensepassantlesmainsdanslescheveuxetselaissatombersurlachaisedisposéedeson

côtédubureau,lesyeuxdanslevague.–Jeveuxquetusoisheureux,Cameron.Sincèrement.Etj’espèrequeMayaterendraheureux.–Ellemerenddéjàheureux.–Oui,maisreconnaisquec’estcarrémentsoudain.Tun’aspaspeurduretourdebâton?–Puisquejetedisquejen’aipasl’intentiondeluienparlertoutdesuite.Jesaisbienquec’esttrop

tôt.C’estjusteque…jesuisdécidé,voilà.Ontâtonneencore,touslesdeux,onréapprendàseconnaître.Elleabeaucoupchangé,etmoiaussi.Maisils’estproduitquelquechoseet…

–Quoidonc?–Peuimporte.Entoutcas,çam’aouvertlesyeux.Jenesaispassivousvousenêtesrenducompte,

maisj’aivécul’enferpendanttoutenotreséparation.

Page 189: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Ons’enest trèsbienrenducompte,seulement jepensaisque tuétaisenfinguéri.Saufqu’onseretrouveaumêmepoint.

–Jen’ai jamaisguérideMaya. Ilnes’estpasécouléun jour sansque jepenseàelleouque jeregrettecequis’étaitpassé.Etsiterriblequecesoit,jemesuisrenducomptequ’elleavaitvéculamêmechose.

–Ellet’enaparlé?J’hésitai,carjen’avaisaucuneenviedefaireneserait-cequ’uneallusionàlamèredeMayaouà

sespoèmes.Cequ’elleécrivaitétaitàlafoissibrutetsirévélateurdesavulnérabilitéquejenepouvaislesoumettreàl’appréciationd’unnovicecommeDarren.SesmotsappartenaientàMaya.Jen’auraispasdû les lire, mais j’étais heureux de l’avoir fait. Sans ça, je n’aurais peut-être jamais su ce qu’elleressentait…ouilm’auraitfalludesmois,voiredesannées,pourladébarrasserdesacarapaceetobtenirlavérité.Jamaisjen’auraiseulapatienced’attendreaussilongtemps.Jelavoulaismaintenant,jevoulaissavoirquielleétait,etjen’allaispasmerésigneràmoins.

–D’unecertainemanière,dis-jeenfin.–Bon.J’espèrepour tonproprebienque tune te trompespasetque,quand tu lademanderasen

mariage,elletedonneralaréponsequetumérites.–Jenelaméritepas,maisj’aimeraisquecesoitlecas.Etj’espèrequ’ellemedonneralachance

d’yarriver.–Quellelavette…soupira-t-ilensecouantlatête.J’éclataiderire.–Vabosser,oujetevire.–Tunepeuxpasmevirer,tunemepayespas.–Jecroyaisquetuétaispayéenrendez-vousgalants?Ilhaussalesépaulesetseleva.–C’estvrai.Mais…jepeuxtedemanderunefaveur?–Laquelle?–Tiens-moiunpeuaucourantdecegenredechoses,s’ilteplaît.J’aimeraistesoutenir,maisjene

peuxpassitunemeparlespas.J’acquiesçai. Même si je n’avais eu besoin de personne pour demander Maya en mariage la

premièrefois,etsijen’avaisévidemmentpasbesoindel’approbationdeDarrenpourfairemasecondedemande.

–Jepeuxmepasserdesoutien,maisc’estsympad’enavoir.Jevaisquandmêmeessayerdenepasteprendretropaudépourvuavecmesgrandesnouvelles.

–Cool.

Page 190: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XX

MAYA

Jegagnailasalledegymécœuréedemesentiraussividée.Jen’avaisreprisletravailquelejourmême,maisilmesemblaitqu’onm’avaitpompétoutemaforcevitale.Cameronn’étaitnullepartenvue.J’hésitaiàmechangerpourcommenceraussitôtlesexercicesquejeluiavaispromisetm’étaispromisdefaire,danslecadredemongrandprojet«évitons-de-boire-une-bouteille-de-vin-par-jour»,quimarchaittrèsbienpourl’instant.Saufquelà,jemouraisd’enviedenoyerdansunverrelefardeaudelajournée–lafroideurprononcéedeKevinetlesmenacesdeJia.

Maisj’allaiplutôtfrapperdiscrètementàlaportedubureau,oùj’entraiquandCameronrépondit.Assisàsonbureau,lessourcilsfroncés,ilregardaitsonécrand’ordinateur.

–Salut!Mavoixluifitleverlatête,etsonvisages’éclairaàmavue.–Salut,belleblonde.–Qu’est-cequetufais?–Bilanfinancierdefind’année.Çamefilemalaucrâne.Viensparici.Jelaissaitombermonsacetallaim’asseoirsanshésitersursesgenoux.Ilm’enlaçaétroitement,je

fourrailenezdanssoncou,inspiraisonodeuretsentisaussitôtmesmusclescontractéssedénouer.–Tuaspasséunebonnejournée?demanda-t-il.Jesecouailatêtesansrépondre.–Ilfautquejecasselafigureàquelqu’un?Savoixnetrahissaitqueleplusinfimesensdel’humour.–Non,maisjenesuispassûrequejevaisgardermontravailtrèslongtemps.–Qu’est-cequis’estpassé?–J’aiplusoumoinstraitéJiadesalopemanipulatrice,etellem’amenacéedemefairevirer.Jem’appuyaicontrelapoitrinepuissantedeCameron,latêteposéesursonépaule.–Jeluiaiditqu’ellebluffaitetquejen’avaispasbesoindecetravail,maisc’estévidemmentun

grosmensonge.Jemesuisbiendébrouillée,j’aideséconomies,maisjenepeuxmepermettreleloyerde

Page 191: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

l’appartementquegrâceàmonsalaire.–Déménage.–Tuneterendspascomptequ’unechambredelatailledelamienne,c’estsuperrare.J’aipasséun

certaintempsàdéménagerrégulièrementavantdetomberdessus.– Installe-toi chez moi. Tu as le choix entre trois étages. Et tant pis pour ton boulot. De toute

manière,tuledétestes.Ontetrouveraautrechose.Tupourraism’aidericiunmoment.–Tuvisvraimentdansunmondederêve,dis-jeenriant.Jen’aipasmaplacedanscettesallede

gym,saufquandtum’obligesàyvenir.– Je parlais affaires, là. Je suis dans la paperasse jusqu’au cou. Cette salle, c’était un de mes

projets, et j’en ai d’autres. J’ai déniché des investisseurs, les choses se sont faites, mais ces saletésadministratives,çamerenddingue.Undecesjours,jefiniraiparmefaireavoir.

Jesoupirai.Unepetitepartdemoiavaitenviedesejetersurletableaudupossiblequ’ilvenaitdepeindre,mêmesiuneautrelerejetaitpoursonirréalisme.JenepouvaisnilaissertomberEli,nirenonceràlacarrièrepourlaquellej’avaissuésangeteau.J’auraisvolontiersprislapoudred’escampette,maisj’essayaisdecombattrecettemauvaisehabitude.

–Jeserairaviedet’aider,maisilfautquejemedébrouilleparailleurs.Detoutemanière,jepeuxtravaillerpourdifférentesbanques,sileschosessepassentmal.

–Ets’ilstemettentdesbâtonsdanslesroues?Cesboîtessonttoutesplusoumoinsliées,non?Je considérai mes ongles. L’anxiété de la journée m’en avait coûté quelques-uns. Jia ou Kevin

pouvaient très bien saper ma réputation, mais ç’aurait été tellement mesquin. L’amitié que m’avaittémoignéeJian’était-ellequ’unesinistrefarce,oupouvais-jecompterdessusunminimum?

–Jeneveuxpasypenser,avouai-je,lesyeuxclos.Çanesertàrienquejem’inquiète,puisquejen’ypeuxstrictementrien.JiaetKevinferontbiencequ’ilsvoudrontdufaitquejerefused’entrerdansleurjeu.

–Jepeuxleurparler,tusais.Leurdonnerquelquesindicationssurlamarcheàsuivre.Je rouvris les yeux pour le regarder, souriante. Il me rendit mon sourire, mais je savais que la

propositionétaittoutàfaitsérieuse.– Je te remercie d’être disposé à partir au combat pour moi, mais je t’assure que je peux me

débrouiller.–Tumedis.Je posai sur ses lèvres un chaste baiser. Il avait tellement envie d’être tout pour moi que j’en

débordaisdereconnaissance.–Commentfais-tu?murmura-t-ilensereculantunpeu,auboutd’unmoment.–Quoidonc?–Letempss’arrête.Jenevoisplusquetoi.Toutlerestedevientflou.Unlentsourirememontaauxlèvres.–C’estunenouvelleévolutiondelasituation?

Page 192: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

– Non. Avant qu’on se revoie pour la première fois, je me demandais si je te reconnaîtraisseulement,maisjet’airepéréeàl’instantmêmeoùjet’aivue,danslafoule.Commesiunprojecteurtesuivait.Tuilluminescequit’entoure.

Lachaleurmemontaauxjouessoussonregardardent.–C’estpeut-êtretoiquim’illumines.–Jel’espère,murmura-t-iltendrement.Monsoufflesebloquadansmagorge.J’attendaissoncontact–jelesouhaitais.Ilm’effleuralajoue

du pouce, joua avec les perles en forme de larmes accrochées à mes oreilles, se pencha pourm’embrasserlementon,puisleslèvres,jusqu’àcequetoutlecorpsmepicote.

Sesmainsseposèrentsurmeshanches,glissèrentsurmescuisses,s’insinuèrentduboutdesdoigtssousletissufindemajupe.Jeposailesmiennessursontorse,avecl’enviefolledecaresserlamoindrecourbeduredesoncorps.

Ilremontapuisredescenditlelongdemacuisse,éveillantlapeausensiblejusteau-dessusdemongenou.

–J’adore.C’estrarequetuaillestravaillerenjupe,non?–Jevoulaisêtreunpeuprovocante,aujourd’hui.Pourm’affirmerfaceàeux.Ilfredonnait,souriantsousmeslèvres.–Etmaintenant?Tuveuxtoujoursêtreprovocante?Je me mordis la lèvre en jouant avec les boucles qui s’ébauchaient au creux de sa nuque. Une

étincelleminusculevenaitdes’allumerenmoi.–Peut-être.–Lajournéeaétélongue.Àmonavis, tuméritesdelâcherunpeulavapeur.Qu’est-cequetuen

penses?J’acquiesçailentement.Sonregardflamboya,alimentantmonétincelle,quidevintbraiseardente.Sa

main se glissa entre mes cuisses puis remonta en décrivant des cercles provocants, sans toutefois serendreàl’endroitoùelleétaitlaplusdésirée.Jem’agitai,haletante,dansl’espoirqu’ilcomprenne;maisilmesoulevaaucontrairedesesgenoux,mepoussacontre lebureau,écartaà lahâtequelques tasdepapierspourmefairedelaplaceetm’assitàl’endroitdégagé.

–Allonge-toi.Àpeineavais-jeobtempéréqu’ilmedébarrassademajupeetdemaculotte.–Tuvois?Situmedonnaisuncoupdemain,j’auraisplusdeplacepourtefairel’amour.–Jevaisréfléchiràlaquestion,dis-jeenriant.–Tuasintérêt,parcequejevaisévidemmentintégrerçaàtonplanningd’exercices.Ilselaissaretombersursonfauteuil,lerapprochaetposamespiedssurlesaccoudoirspourqueje

luisois toutofferte.Quandilpromenaseslèvresdemongenouàmacuisse, lesimplefrôlementdesabarbenaissantesurmapeaumefitsursauter.J’étaisdéjàhypersensibleettendue,prêteauxassautsdesaboucheavide.J’enmouraisd’envie.

–Jen’enpeuxplusd’attendre,murmura-t-il.

Page 193: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Mon souffle se bloqua dans ma gorge. Chacun de ses effleurements provocants exaspérait monattente. Lorsque son pouce longea les plis demon sexe, ouvrant la voie à sa langue experte, un petitgémissementm’échappa. Les doigts plongés dans ses cheveux, jememis à onduler au rythme de sescaresses, alternancedepetits coupsde languedirects et de lents tournoiements fuyants. J’aurais vouluprofiterdelamoindreminutedecetinstant,allongéesursonbureau,oùilmedonnaitduplaisir,maisjebrûlaisdelesentirenmoietd’atteindrel’orgasmebrut.Desvaguesdechaleurdéferlèrentsurmoiquandilaccrutlégèrementlapression.

–Tabouchemerendfolle,Cameron!Il aspira mon clitoris entre ses dents, m’arrachant un cri de saisissement. Il fredonnait, jurait,

marmonnaitcontremoidedélicieuxcomplimentsobscènes.Je me tendis encore lorsqu’il introduisit en moi un doigt puis deux. Pourvu que son sexe les

remplace au plus vite !Ma réaction fut immédiate, mon corps se rapprochant encore de ses limites.J’avaisbesoindesonardeur.Delui.Salanguesefitplusexigeante,plaisirettourmentmêlés.

–Ohnon!Oh!Je…jevaisjouir!Mamains’abattitàplatsurlebureau,tandisquemonsexesecontractaitviolemment.–Vas-y,mabelle,vas-y!Sonsouffleagaçaitmapeautrempée.J’étaisentièrementàsamerci.Ses doigts allaient et venaient en moi, pendant qu’il suçait mon clitoris. Lorsque le plaisir

m’emporta,brutal,jepoussaiuncri,toutentièresecouéedelongsfrissons.Jetremblaistoujourslorsqu’ilselevaetbaissasonshortpourlibérersonsexe.Durcommepierre,

énorme, fin prêt. Cameron me prit aussitôt, et je me cabrai sur le bureau, la poussée qui m’envahitsurmultipliantlafindemonorgasme.

–OhMaya,grogna-t-il,lestraitscrispés,tuestellementétroite!Monsexepalpitaitautourdusien,secontractaitsansquej’ypuisserien.Il me prit dans ses bras et me souleva du bureau pour me laisser glisser sur toute sa longueur

démesurée. Je nouai les jambes à sa taille, afin deme redresser et de lui donner unmeilleur effet delevier.Ilsemorditlalèvre.

–Tuaimes?–J’adore,soufflai-je.Il fit quelques pas sans cesser de me faire monter et descendre sur sa verge. Je me demandais

commentilyarrivait,maisaprèstoutc’étaitunathlètequipassaitsavieensalledegym.Lorsquemondosheurtalemurfrais,ilputmesouleverdavantagepuistrouverenmoidenouvellesprofondeurs.Sesmainsm’attrapèrentparlesfesses,etsapousséemeplaquaaumur.Onauraitditquejenepesaisrien.

Un frisson me traversa, tandis que mes mamelons devenaient douloureusement durs contre lesmuscles en action de son torse. Sa force brute ne faisait qu’ajouter à mon excitation. Il maîtrisait sifacilementmoncorps!Sescoupsdeboutoirmemenaientauborddeladouleur toutenmedonnantunplaisirindescriptible.Mesyeuxsefermèrent.

–Parle-moi,haleta-t-il.Dis-moicequejetefais.

Page 194: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Mespaupièresserouvrirent.–Jet’aime,Cameron.J’aibesoindetoi.Tellementbesoin.Jemepenchaipourécrasermeslèvressurlessiennesaupointdenouscouperlesouffle.Sesbras

seresserrèrentautourdemoi.Onétaitsiproches,toutentiersl’unàl’autre,dansunebullequin’abritaitquenous.

Unesuccessiondepousséesviolentesmecontractalevagin,dontlamoiteurglissanteluipermitdeplongerplusprofondencore–véritablesdéchargesélectriques,brusques sensationsétourdissantesquimecoupaientlesouffleetlaparolechaquefoisqu’iltouchaitaucœurdemonêtre.

Mes poumons cherchaient l’air, et, mes ongles labouraient les épaules de Cameron. Tous nosmusclesrestaientfigésdansnotreétreinte,queseuleanimaitlafrictiondesesva-et-vientsauvages.

Sabouchepritlamienne,baiserpossessifquinousprivad’oxygène.–Maya!balbutia-t-ild’unevoixrauque.Un frissonmeparcourut.Lemondedisparut,gommépar laviolencede l’orgasmequinaissait en

moi,tandisqu’unevoixquineressemblaitplusàlamiennecriaitsonnom.Il se figea, les traitsadoucisparunevulnérabilitéévidente, les lèvresentrouvertessurunsouffle

haletant,etsonspermebrûlantserépandittoutaufonddemoi.Jemecramponnaidésespérémentàluienregrettantqu’onnepuisseresterenlacéspourtoujours,àcréerunenouvelleréalitéquejen’auraisjamaisàfuir.

CAMERON

Une succession de claquements rapides résonna au fin fond de mon cerveau. Mes muscles secontractèrent,prêtsàl’action.Jemeredressaibrusquement,ennage,lesyeuxouvertsdanslenoir.

Maya.Mamaintenduenetrouvaquelevideaucreuxdesdrapsfroissés.Lapaniqueenfla,accompagnée

d’undéferlementd’inquiétude,puisjecompris,tandisquemesyeuxs’habituaientàl’obscuritéetquelesformes familières dema chambrem’apparaissaient enfin. Une longue inspiration apaisante gonfla mapoitrine.Etmerde!

Assisauborddulit,latêtebasse,jepoussaimoncerveauàrevenirauréel.Lapeurcouraittoujoursdans mes veines, me maintenant en état d’alerte, comme elle l’avait souvent fait des jours d’affiléependantdesannées.Jem’étaishabituéàcetétataupointquejeneparvenaispastoujoursàconvaincremoncerveaud’ensortir.

Jemelevailentement,gagnailacuisineetbusunverred’eau.Marespirations’apaisaenfin.Cettevie-làétait terminée, jemeledisaisetmelerépétais.Pourtant, lacrainte irrationnellemaisobsédantesubsistaitenmoiqu’unjourjemeréveillelà-bas.Cetteseulepenséemenouaitlesentrailles,désespéréeetnoire,cauchemarrépétitifetobstiné.Pasmoyend’ensortir.Unevraieprison.

Page 195: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jem’effondraisurlecanapé,assezconscientpourdistinguerlerêvedelaréalité,tropréveillépourmerendormir.Ilfallaitquejemedétende.Lesyeuxclos,jelaissaimespenséesdériverjusqu’àMaya.Unesouffrancefamilièrem’envahit,parcequejevoulaisqu’ellesoitlà,avecmoi,enpermanence.Elleavaitpasséquelquesjourschezmoiavantderegagnersonappartement,pourvoircommentallaitElietreprendre ses habitudes professionnelles. Sa présence dansmon lit avait tenu les spectres en respect,peut-êtreparcequejel’aimaisjusqu’auboutdelanuitetàl’épuisementtotal.

Jeprisletéléphoneposésurlatablebassepourfairedéfilerlesphotosgardéesenmémoire.Maya,enfin:cheveuxblondsrelevésenchignon,quelquesmèchesencadrant levisage,douxyeuxbrunsfixéssurmoi, expressifs,mais secrets.Prête àpartirpour la soiréedeNoëldonnéepar sonentreprise et àlaquelle je l’avais pratiquement arrachée de force, avant de lui faire l’amour toute la nuit.Et j’auraisrecommencé,sielleavaitétélà.J’auraisfaitexactementcequej’avaisenviedefaire,jeluiauraisditàquel point je l’aimais, à quel point je voulais passer l’éternité avec elle. Enfoui en elle. Jusqu’à cequ’ellemecroie.Qu’ellen’aitplusaucundoute.

J’avaisbesoind’elle.Delaposséder,dedireaumondeentierqu’elleétaitmienne,quejel’aimais,quejelaprotégeais.Quejeveillaissurelle.

Mesyeuxsefermèrent.L’imagerestaimpriméedansmonesprittandisquelesommeilmereprenait.

Page 196: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XXI

MAYA

La journée s’achevait, et j’étais une fois de plus épuisée. Les espoirs que j’avais pu entretenirauparavantsurl’évolutiondemacarrièreavaientétéréduitsànéant.Latensionquis’étaitinstalléeentreJiaetmoisautaitauxyeux,carellem’évitaitquandonsecroisait.QuantàKevin,c’étaittoutjustesijel’avaisentrevu.Cen’étaitpasanormalensoi,maislàjemedemandaiscequ’ilpensait.Avecunpeudechance,cettehistoireseraitbientôtoubliée.

Àseizeheuresquarante-cinq,mon téléphonesonna.Kevindemandaàmevoird’un tonsec.Monventresenoua.Etvoilà!C’étaitlafin.J’inspiraiàfond,biendécidéeàgardermoncalme.

Lorsquej’entraidanssonbureau,ilnelevapaslesyeuxversmoininemesalua.Jem’assisenfacedelui,surunechaiselibre.Peut-êtrenem’avait-ilpasentenduearriver?Toutefois,ils’éclaircitlagorgeetmeregarda,brièvement,avantdefeuilleteruneliassedepapiersqu’ilfinitparlâcherdevantmoi.

–Vousmelicenciez?demandai-je,lagorgeserrée.Unsourirepincécrispasestraits.– Ilvautmieuxallerde l’avant.Vousavez réalisé sur lecontratCauldwellun travail admirable,

maisl’ambiancevasedégrader,c’estévident.–Pasnécessairement.Ilyaeuundouloureuxmalentendu,c’estévident.«Douloureux»n’étaitpeut-êtrepasletermeleplusadapté…Quoique,laisserarriveràsonterme

la scène esquissée icimême la veille deNoëlm’aurait indéniablement été douloureux. Rien que d’ypenser,j’enavaislachairdepoule.Heureusement,jen’avaispaslaisséKevinmetoucher.

–Cequiestfaitestfait.Nousn’avonsjamaiseuunetrèsbonnerelationdetravail,etjepenseentoutefranchisequevousvousépanouirezmieuxailleurs.

–Doncvousmelicenciez…–Avecuneindemnitédetroismois,àconditionquevoussigniezunedéchargemettantl’entrepriseà

l’abridetoutepoursuite.Aucasoùl’idéevousviendraitdediscuterdenotrepetitmalentendu.–Etmesréférences?

Page 197: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Il s’adossa dans son fauteuil, une grimace mécontente aux lèvres. Il ne m’aimait pas, avant ;maintenant,ilmedétestait.Parcequejenem’étaispaslaissébaisersursonbureau.

–Sivousenavezbesoin,çapourras’arranger.Quellegénérosité!Jem’emparaidespapierspouryjeteruncoupd’œil.–Vousn’aurezqu’àmelesrapporterlusetsignés.–Jevais les lire toutdesuite.J’aimeraisentermineraveccettehistoire,et jesuissûrequevous

aussi.–Bon,bon.Jeparcourusledocumentenmeconcentrantsurlesclausesconsacréesàlarupturedecontratetau

silencequ’onexigeaitdemoi.Bienficelées:monindemnisationmettraitunpointfinalauchapitredecemodestegâchis,cequipermettraitàJiaetKevindevaqueràleursoccupations,quellesqu’ellessoient,sansmaprésencepourlesgêner.Ceseraitunerupturefacilequinecoûteraitpasgrand-choseàlaboîte.Hérisséeàcettepensée,jejetailaliassedepapierssurlebureau.

–Jevaisvousdire,Kevin,vouspouvezvouscollercetaccordoùjepense.Sonsoufflepassaensifflantentresesdents,carilcontenaitsacolèreavecpeine.–Jevousdemandepardon?–C’estinacceptable.Jen’aieuaucuntort.–Vraiment?Jiam’aracontéquevousluiaviezfaitdesavancesdansuneboîtedenuit.Çanevous

montrepassousunjourfavorable.–C’estellequim’afaitdesavances,c’étaitendehorsdemontempsdetravail,etl’entreprisen’a

pasdepolitiqueparticulièreencequiconcernelesrelationsentresessalariés,j’aivérifié.–Etlepetitincidentquis’estpassédanssonbureauavecvotreami?Lapaniquem’envahitbrusquement.Etmerde!Mais je reprisaussitôtmoncalme,conscienteque

Kevin n’avait aucun moyen de savoir ce qui s’était réellement passé à ce moment-là. Jia lui avaitévidemmentditqu’ellenousavait laissésutiliser sonbureau,Cameronetmoi,maisçanevoulait riendire.

–Vousavezdespreuves?– Pas plus que vous, répondit-il avec un sourire prétentieux. Si vous avez un minimum

d’intelligence,vousallezsignercetaccord.Jenevousleproposeraipasunetroisièmefois.Ilpoussalaliassedansmadirection,maisjen’yjetaipasmêmeuncoupd’œil.–Enfait,mevirerenessayantdemefairetaireconstitueunebellepreuvequ’ils’estpasséquelque

chosedevraimentpasordinaire.Çam’étonneraitquelecasseprésentetouslesjours.(Jesecouailatête,écœuréeparsonattitudeetd’autantplusexaspérée.)Vousvousêtesdépêchédemesaqueretdepréparerlapaperassepourque jeparteauplusvite.Aprèsm’avoirouvertementproposédemepistonner si jecouchaisavecJiaetvous.Vouscroyezqueçavafairebien?Arrêtezlesconneries.Vousvoulezvousdébarrasserdemoitoutdesuite?Nevousinquiétezpas,jeserairaviedepartir.Maisjenemelaisseraipasécrabouiller.

Page 198: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Seslèvressepincèrenttandisquesesyeuxgrisseplissaient,pleinsdel’antipathie–parfaitementmutuelle–quejeluiinspirais.

–Vousnevoulezplusrienavoiràfaireavecmoi,Kevin?Sonsilenceétaitéloquent.–Jeveuxdouzemoisd’indemnisation,plusdesréférencesécrites.Devous,deJiaetd’undesvice-

présidents,quandvousleuraurezexpliquécommentjemesuisdécarcasséepourlecontratCauldwell.Etellesontintérêtàêtreélogieuses.

Sonregardétaitglacé.Uneveinebattaitàsonfront.–Vouscroyezvraimentquevouspouvezformulercegenred’exigences?–Soitvousmedonnezcequejedemande,soitjeprendsunavocat,ettoutlemonde,absolumenttout

lemonde ici, sauracequevousm’avezproposé, Jiaetvous.Sansparlerdevotre femme.C’estaussisimplequeça.

Quelquesheuresplus tard,Cameronetmoinousrendionsmaindans lamainauPlaza.Unsourirehypocriteauxlèvres,jeluiavaisassuréquemajournées’étaitbienpassée.Aprèstout,demain,c’étaitlenouvelan,etilavaitdesprojetspournous.Jeluiraconteraiscequis’étaitproduitaubureauplustard,maisjemerefusaisàgâchercettesoirée.CettehistoirelemettraitencolèreetluidonneraitsansdouteenviedecasserlafigureàKevin.

Lequelavaitàcontrecœuracceptémesconditionsetpromisdemeremettrelelendemainmatinuneversionréviséedesonprotocoled’accord…maistantqu’onn’avaitpassigné,rienn’étaitsûr.Toutefois,c’étaitmabatailleàmoi,etj’avaistoutesleschancesd’ensortirvictorieuse.Perdremontravailn’étaitcertespasunevictoire,maisaumoinsjenemeretrouveraispasdémunie.

Lapensée que je n’aurais pas à retourner là-bas était un véritable soulagement.L’étape suivanteconsisterait toutnaturellementà trouverunpostedansuneautrebanque,mais jen’étaispas sûrede levouloir, même si je n’avais guère eu le temps de m’interroger sur mon avenir avant de rejoindreCameron.

La perspective de voir les parents de Cameron ne fit qu’ajouter à ma nervosité, quand lesconversationsfeutréesdubarrésonnèrentautourdenous.Sansdoutesavaient-ilsplusoumoinscommentnous avions rompu, surtout si Olivia avait laissé libre cours à la réprobation que je lui inspirais.Cameronm’avaitpromisqu’elleseraitadorable,maisj’endoutais.

Ils riaient, souriaient ou plaisantaient, assis à une petite table ronde, un verre à la main. Notrearrivée lesréduisitausilence.Cramponnéeà lamaindemoncompagnon, j’essayaidedissimulermonembarrasenm’appuyantdiscrètementàsoncorpsvigoureux,décidéeàaffronter lesprésentationsaveccourage.

–Maya,jesupposequetutesouviensdemamère,Diane?–Maya…C’estunplaisirdevousrevoir.LeslèvresdeDianes’incurvèrentenunsourirequinemontapasjusqu’àsesyeux.Sonregardmeparcourutdelatêteauxpieds,visiblementévaluateur;maissonexpressionnetrahit

qu’unintérêtmodéré,oùjenelusheureusementnulletracedelaréprobationdesafille.Peut-êtreétait-

Page 199: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

elleaussisuperficiellequemel’avaitditCameronettrouvait-ellequejefaisaisl’affaire,desonpointdevueparticulier.

Je lui rendis son sourire puis considérai sonmari, assis en face des places qui nous avaient étéréservées,àCameronetmoi.Unhommeséduisant,maisfrêle,comparéàsesdeuxfils,vêtusoussavestedecostumed’unechemiseblanchetrèsamidonnée.Ilm’adressaunsignedetête,souriant.

–Bonsoir,monsieurBridge.–Appelez-moiFrank,jevousenprie.Jem’empressaid’acquiescer. Jemesouvenaisvaguementde lesavoir rencontrés,Dianeet lui, à

l’époqueoùOliviaetmoiallionsàlafacensemble.Jelesavaisvusassezsouvent,lorsdesweek-endsportesouvertes,quandilsvenaientchercherleurfillepourlesvacancesouqu’ilsamenaientCameronenvisite. Ils invitaient la pauvreMaya,malheureuse coloc sans famille d’Olivia, à des dîners chics lorsdesquelsilsl’interrogeaientsursesdiplômes,sesétudes,sesprojetsdegrandsvoyages.Moi,jerestaisdansmon coin, discrète, à fairemine d’avoir l’habitude de ce dont ils parlaient. Les possibilités quis’offraientàOliviagrâceàeuxnemelesrendaientpasantipathiques,aucontraire:j’enétaisenchantéepourelle.Cequejedétestais,c’étaitleurpitié.Etlefaitqu’ilsparlentunelangueinconnuedelamienne,qu’ilallaitmefalloirdu tempsàapprendre.Quand j’avaisenfineuassezd’argentpourfairecequ’ilsévoquaient,jen’enavaisplustellementenvie.

Unefoisassis,Cameronmerassurad’unsourirechaleureux.Jemedétendisunpeuetparcouruslacarte.Mais,commeilm’avaitpromisqu’onneresteraitpaslongtempsetqu’ondîneraitensembleplustard,jelareposaipresqueaussitôt,enregrettantdenerienavoirpourmedistraire.

–Ehbien,Maya,parlez-nousdoncdevotretravail!lançaFrankaprèsavoiravaléunelampéedecognac.

–Maya travaille àWallStreet.Elleest analyste financière, réponditCameronsansme laisser letempsd’ouvrirlabouche.

Sonpèreouvritdegrandsyeux.–Monterraind’élection.Jesuisimpressionné.J’aimeraisavoirdesdétails.Une étincelle d’espoir s’alluma en moi. Je me lançai dans la brève description maintes fois

ressasséedemesactivités,enomettantdepréciserquej’étaispourl’instantsansemploi.Laplupartdutemps,ilnefallaitpastrentesecondesàmesauditeurspouravoirleregardvitreux,

maisFrankavaitl’airintéressé.Ilmeposaquelquesquestions,auxquellesjerépondis,pendantqu’OliviadiscutaittoutbasavecsamèreetqueCameronrestaitsilencieux,manifestementsatisfaitdel’évolutiondelasituation.Iln’avaitpaslâchémamain,qu’ilserraitparfoissouslatable.Jusqu’ici,toutallaitbien.

Frankparlaitvite,pluspassionnéquejenemerappelaisl’avoirjamaisvu.– Et que comptez-vous faire, à long terme ? Le surmenage est un véritable fléau, dans votre

profession. Franchement, je suis surpris que vous ayez tenu à un poste pareil aussi longtemps. Vousvoulezfairecarrièredanscettebanqueoubien…?

J’hésitai,pesantcequej’allaisrépondre.Jemesentaisassezdétendue,assezacceptéepourluidirelavérité.

Page 200: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–J’ail’intentiondechercherailleursbientôt.Trèsbientôt,enfait.–Vraiment?(Sesyeuxbrillaient.)Vousavezpenséaucapitalinvestissement?– Non, avouai-je, souriante. Pour l’instant, j’aide Cameron à se dépêtrer de ses impôts et à

remboursersesinvestisseurs.Maisjen’écarteaucuneoption.– Vous pourriez peut-être vous rendre utile, en fin de compte, intervint Diane, interrompant sa

conversationdiscrèteavecOlivia.Cameronadésespérémentbesoind’uncomptablepours’occuperdesfinancesdelasalledegymetilneveutpasdel’aidedeFrank.

ElleagitaitdistraitementlamainendirectiondeCameron.Frankseclaqualacuisse,cequi lafitsursauter.

–C’estpourmoiquevousdevrieztravailler,Maya!Vousavezexactementlegenredeprofilquenouscherchons,etnousmanquonsdefemmesaubureau.

–Unpeudesérieux,Frank,luiditDiane.–Maisjesuissérieux!–Franchement…Elle lâchaunpetit rirepeuconvaincu,commesiellenevoulaitmêmepassedonner lapeined’y

mettreunpeudecœur.–JenepensepasqueCameronaittrèsenviedetevoirembauchersa…sonexje-ne-sais-quoi.–Maman!protestatoutbassafille,pendantqu’elleportaitsonMartiniàseslèvres.–Oui,machérie?Oliviamejetauncoupd’œilcompatissant,oùtransparaissaitlerareaveud’unregret.L’ambiance

étaitàcouperaucouteau.J’auraisaimémesentirvexéeetleurenvouloiràtous,maiscequisepassaitneme surprenait pas.La réactiondeDianeme confirmait juste que j’avais eu raison autrefois de ne paspartagerlesdétailsembarrassantsdemavieavecsesenfants.Medraperdansunmétierquenepouvaientpermettrequelesmeilleuresétudesnesuffisaitmanifestementpas.

Mesespoirs idiotsmeparaissaientpresquecomiques,quandlamaindeCameronsecrispasur lamienne.

–Tuesd’une impolitesse rare, j’espèreque tu t’en rends compte ?dit-il en sepenchantvers samère.

–Ridicule,protesta-t-elle.Jenefaisquediretouthautcequechacunicipensetoutbas.Etnemeparlepassurceton-là.Jesuistamère.

–TudoissurtoutdesexcusesàMaya.Deplatesexcuses.–Certainementpas.LavoixdeDianeclaquacommeunfouet.Cameronserralesdents,furieux.–Ou tu luiprésentesdesexcuses,ouon s’enva immédiatement, et tu aurasbiende la chance si

jamaisturemetslespiedschezmoi.–Ne sois pas ridicule, répondit-elle sans se troubler. Je ne vais quandmême pas présenter des

excusesàcettefille.Jenecomprendsvraimentpascequetuluitrouves.–Cen’estpasunefillequelconque.

Page 201: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Ah,bon?(Sonregardmeparcourutparesseusement.)Elleenatoutl’air,pourtant.Tupourraisenavoirunedemi-douzaine,descommeça.Jenesuispasimpressionnée.Jenel’étaispasilyacinqans,etjenelesuistoujourspas.Tudevraisviserplushaut.

–Allons-nous-en,Cameron,intervins-jeenletirantparlamain.Ilsétaientalléstroplointouslesdeux,ilsenavaienttropdit.J’auraisadorélevoirrecadrerson

insupportablemère,maissionrestaitiln’ensortiraitriendebon.Ilnemeprêtaaucuneattentionmaismetiraparlamainenselevant.

–Cen’estpasde taviequ’ilestquestion.Tun’asaucundroitde la juger,nid’ailleursde jugerpersonneici.

Elleseredressasursachaise.–Vousêtesmesenfants.Jeveuxquevousayezcequ’ilyademieux,c’estnormal.–Cequin’estpasnormal,c’estquetesenfantsenaientassezdetoi,quetuleveuillesounon.Ça

m’étonneraitque tucomprennes,mais tu finiraspeut-êtrepar te réveillerun jour,quandMayaseramafemme.Tuaurasbiendelachanced’avoirunebelle-fillepareille.Maistantquetunet’yespasfaite,jeneveuxplustevoir.

Ellesecoualatête,manifestementdégoûtée.–Tul’épouseraisvraiment,rienquepournouscontrarier?Un grondement de rage guttural échappa à Cameron, qui s’éloigna d’un pas rapide,m’entraînant

danssonsillage.

CAMERON

Ongagnaleparcensilence,etonralentitsurlepont.Lesantiquespilesdepierres’arquaientau-dessusdufleuvebaignédelune.Leventétaitassezvifpourmeglacer,maisonrestalàsansbouger.LesmèchesblondesdeMayaondoyaientautourdesonbeauvisage.

–Çava?demandai-jeenfin.Elleacquiesçaensilence,lementonfermemaisl’airtriste.Sonregardévitaitlemien.–Jesuisdésolé.Jem’interrompis.Siseulementelleavaitpusavoiràquelpointj’étaissincère!–Jen’auraispasdût’amener.Jenesaispasàquoijepensais.Mamèreétaitdéjàremontéeetprête

àmordre.Oliviaavaitdûluienraconterdebelles,etjesupposequeçan’apasaidé.Enfin…maintenant,tusaiscommentilssont.Ilsneveulentpaslâcher…

–Arrête.(Mayalevaitlamain.)Toutvabien.–Non,toutnevapasbien!Elleaétéignoble.Jamaisjeneluipardonnerai.–Elleamalheureusement raison,ditMayaen riant tristement.Tuasunproblèmeaveceux,mais

jamaisjen’appartiendraiàcemonde-là.–Moinonplus,protestai-je.

Page 202: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Cen’estpaspareil.Moi,jepeuxfairesemblant,maissouslasurfacejesuistoujoursunepetitepauvresseenpleineascensionsociale;tandisquetoi,tudescendsd’unefamilleaiséequit’adonnédesacrésavantages.Tuaseuuneviedifférente,avantdechoisirtapropreroute.Cequej’admire.C’estcequej’aifaitaussi,àmamanière.Maisjeneveuxpasquetucoupeslespontsaveceuxàcausedemoi.

–Jelesavaisdéjàcoupésavantdeteretrouver.Messentimentsn’ontjamaisrieneuàvoiraveccequ’ilspensent,maisleursattentesirréalistestendentànouséloignerl’undel’autre.Raisondeplusdenepluslesvoir.

–Turisquesdeleregretterunjour.Jen’ycroyaispas,maisjevoyaiscequ’ellevoulaitdire.Ellen’avaitjamaiseuleluxedepouvoir

envoyerpromenersafamille.Quen’aurait-ellepasfaitpourretrouversamère,siimparfaitesoit-elle?–Non,maiseux,si. Iln’estpasquestionque jechangedeviepour leurconfort.Et jepensais le

moindremotdecequej’aiditsurnous.–Tun’auraispasdû.Ilsdoiventflipperàmort.Jeme rapprochaid’elleenprenant sesdeuxmainsentre lesmiennes.Elle tremblait,peut-êtrede

froid.–Jem’enfiche.Laseulechosequicomptepourmoi,c’estd’êtreavectoi.–Jeveuxêtreavectoiaussi.J’aimeraisbienmeficherdecequ’ilspensentdemoi, tusais,mais

quelquepart,aufond,jeregrettetellementdenepasêtredignedetoiàleursyeux.C’estmafautesitulesdéçois.

Je laprispar lementonpour lui lever la têteversmoi,cherchantdanssesyeuxuneréponseà laquestionquejen’avaispasencoreeulecouragedeluireposer.

–Tuestoutàfaitdignedemoi.Tuestoutpourmoi.Lemeilleur,lepireettoutcequiexisteentrelesdeux.C’estcequ’onavécuquiafaitdenouscequ’onest,etjenevoudraislechangerpourrienaumonde,parcequemaintenantjet’aimeàenavoirmal.(Jedéglutispéniblement,afindelibérerlesmotssuivants.)Jeveuxtoutcequ’onaeuautrefoisetplusencore.Jeveuxcequ’ona…àjamais.

–Cameron,murmura-t-elle,labouchefrémissante.Jedessinaiduboutdudoigtlacourbedesalèvreinférieure.J’auraisaimél’attirercontremoipour

chasserdemesbaisers l’insécuritéqui la tourmentait,mais il fallaitque je luidise tout.Que jeparle,mêmesileschosesnesepassaientabsolumentpascommejel’avaisimaginé.

J’avaislabouchesèche,lesoufflecoupé,lesnerfsenpelote.Lefardeaudupassépesaitsurmoitelunsacdecailloux. Je tiraidemapoche l’écrindeveloursnoirque je levai entrenous sansouvrir lamain,pasencoreprêtàlelâcher.Moninstinctmeretenaitetmepoussaitenavanttoutàlafois.

–Je t’aime,Maya.Depuis toujours.J’aime toutceque tues,quoique tuenpensesetquoiqu’endisentlesautres.Quelquechosem’apousséverstoidujouroùons’estconnus.Jen’aiplusjamaisrienvécudepareildepuis.Jenesuispasamoureuxdecellequetuétaisoudecellequetuveuxêtre,jesuisamoureuxdetonâme.Jenevoisqu’elle.Etriennipersonnenechangerajamaisça.

Lorsque je la regardai, ses yeux débordaient de larmes. Elle secoua la tête, et l’appréhensionm’envahit.

Page 203: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Non…s’ilteplaît,Cameron,pasmaintenant.Jenepeuxpas,pasavectoutcequisepasseencemoment.

Unelarmeroulasursajoue,quej’essuyaidelamain.Sonchagrin–notrechagrin–mebrisaitlecœur.Pourquoiétais-jeincapabledem’yprendrecorrectement?Unemalédictionpesait-ellesurmoi?Jem’étaispromisdenepasaccepterunsecondrefus…

– Épouse-moi, proposai-je après avoir pris une inspiration revigorante, et on affrontera lesdifficultésensemble.Jeneveuxriend’autre,depuisledébut.

–Tun’aspasbesoind’unpassifcommelemien,nidesproblèmesquej’aiencoreàrégler.–Jesaisdequoij’aibesoin.Detoi.Niplusnimoins.Jen’arriveplusàdormirquandtun’espaslà.

Je n’arrive plus à penser correctement quand ça ne va pas entre nous.À partir dumoment où je t’aiquittée,mavieaétéunecatastrophe.Jeveuxqu’onretrouveenfinlebonheur,toietmoi.

–Siçanemarchepas…jenesupporteraipasdetefairedumal,encoreunefois.Jesoupirai,luttantcontrel’émotionquim’envahissait.–Alors, nem’en faispas…Dis-moioui.Marions-nous. Je teprometsqueçamarchera.On s’en

sortira,quoiquelavienousapporte.Ensemble.Sesyeuxétincelaient,leslarmesqu’ellenepouvaitpluscontenirruisselaientsursesjoues.–Cequejetedemande,Maya,c’esttoncœuretlapromessequ’ilseratoujoursàmoi.Vucequ’on

a enduré, ça neme paraît pas énorme. Tum’as dit que tum’aimais et que tu voulais être avecmoi.Prouve-le.Faisonsuneréalitédenotreamour.

Ellen’eutpasàprononcerunmot,carjesentiscequ’elleallaitdire.Sonregardseposasurl’écrinquejetenaistoujoursd’unemainferme.Sijel’ouvrais,celachangerait-illeschosesouraviverait-iljustelavieilleplaiedesonrefus?Jerangeailapetiteboîtedansmapoche.Onauraitditquejeremettaismoncœurdansmapoitrineaprèsleluiavoirtendudanslefroidpourleluiconfier.

–Jesuisdésolée,Cameron.Kevinm’alicenciéeaujourd’hui,etpuisilyaeutesparents,et…(Ellefixaitàprésent lesolentrenous, lesépaulesbasses.)Je t’aime, jenedispasnon,mais j’aibesoindetempspourremettredel’ordredansmavie.Toutestsensdessusdessous.Jenesaisplusoùj’ensuis,littéralement.Jenepeuxpasprendreunengagementàvie!Laisse-moiletempsdecomprendrecequisepasse,s’ilteplaît.

Magorgeseserra.Jen’arrivaispasàcroirequ’onseretrouvelàpourlasecondefois…etjenevoulaispaspenseràcequis’étaitpassélapremière.Letempsralentit,mepermettantd’analyserchaqueétape,chaquemot,aveclapeuratrocequ’ilsnouséloignentànouveaul’undel’autre.

Mayapoussaungrandsoupir.Sesyeuxassombrisprouvaientqu’elle s’était sentie annihilée à cemoment-là,toutcommemoi.

Letemps.Voilà.Jepouvais luiendonner,pasvrai?J’avaisbeauvouloiruneréponse, j’avaisbeaumourir

d’envied’obtenirunsimpleouietdesavoirqu’ellelepensaitdetoutsonêtre,jepouvaisbienattendreunpeu.

Page 204: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Ellen’avaitpasditnon.Ellen’avaitpasrepousséunepropositionàvraidirehâtive.Jeneluiavaismêmepasmontrél’alliance.Çan’yauraitrienchangé,maisjenefaisaisévidemmentpasleschosesdanslesrègles.

–D’accord,lâchai-jeenfin.Ellelevalatête,lestraitstirésparl’inquiétude.–J’attendrai.Prendsletempsqu’iltefaut.Jenevaispasm’enaller,OK?Un soulagement évident brilla dans ses yeux. Je l’attirai contre moi pour nous réchauffer, en

essayantdemepersuaderqu’ellemereviendraitsi,cettefois,jelalaissaisprendreduchamp.–Merci.Oh,merci…chuchota-t-elle.

Page 205: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XXII

MAYA

Jemeréveillaitôt,carj’avaisdeschosesàfaire.Lepetitmatinoffraitunmélangebrouilléderoseetdegris.Uneneigeintactecouvraitlesarbres.Jeprisenespritunephotodupaysage,conscientequecettebeautétranquillenedureraitpas,puism’affairaidansl’appartementàpréparerducaféetdestoasts.

Moncorpss’étaithabituéauxleversprécoces,etunmiracledevolontém’évitaitdedevoirsoignerunegueuledebois:maintenantquemonuniversétaitsensdessusdessous,j’étaisbiendécidéeàéviterd’ymettredavantagededésordre.

Lorsqueenfinjem’assisàlatabledesalon,jeposaimesdeuxcarnetsouvertsdevantmoi:celuiquem’avaitoffertCameronetl’autre,qu’ilavaitluenpartie–jemedemandaistoujoursquellepartie,mais je chassai cette pensée. Peu importait.Aujourd’hui, pas question de culpabiliser, de revisiter lepassé ou de déplorer des choses auxquelles je ne pouvais absolument rien. J’allais entamer lareconstruction,lenteetépuisante,demavie.End’autrestermes,affrontermonpassécommejenel’avaisencorejamaisfait.

Avecl’idéalismed’uneoptimistecouchantsurlepapiersesrésolutionsdunouvelan,j’avaisdécidédecommenceraujourd’huimêmeunevienouvelle.J’avaistoutefoisassezdebonsenspoursavoirquejen’étaispasencorelanouvelleMayaetquejenelatrouveraispassansmal.Heureusement,Cameronavaitacceptémeshésitationsdelanuit.J’enétaissoulagéeetreconnaissante,carj’avaisbeletbienbesoindetemps. Seul le tempsme permettrait deme hisser jusqu’à une position d’où je pourrais lui donner laréponse qu’il lui fallait et que j’avais tellement envie de lui donner.Quand, je n’en savais rien,maisj’espéraisqu’ilseraitcapabled’attendre.

Je passai la matinée à remplir mon nouveau carnet de l’ultime version des gribouillages dontl’original était rempli. Mes pensées étaient claires. Mes mots ne me semblaient plus honteux – queCameronlesaitlusounon;j’étaisaucontraireheureusedeleuravoirdonnéunendroitoùvivreet,peut-être,trouverlerepos.

Ils représentaient des années d’instants fugaces et de labeur émotionnel consacré àCameron,mamère,montravailetmonavenir incertain.Jusqu’ici, j’avais traversécessouffrancescommeunebrute,

Page 206: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

indifférenteàmasanté,imperméableaurespectadultequej’auraisdûavoirpourmavieetceuxquienfaisaientpartie,maisiln’étaitplusquestiond’accepteruneréalitépareille.

La tâche terminée, je jetai levieuxcalepinà lapoubellepuisposai leneufsur l’étagère,prèsdemeslivresetdemesphotospréférés.Cettematinéem’avaitpermisderevivrelamoindredesémotionsvéhiculéesparlemoindredesmotsrecopiés.J’étaismaintenantprêteàvivremonavenir.

La semaine suivante se passa dans les cafés, à écrire, réfléchir, consulter les offres d’emploi.Rêver. Je ne circulais qu’à pied. Des promenades tranquilles, dégrisantes, rafraîchissantes, qui memenaientàdesendroitsquejenem’étaisjamaisdonnélapeinedevisiter.Toutétaitpossible,ouvert.Ilmesuffisaitdechoisirmonchemin.

Kevinm’envoya finalement leprotocoled’accord, accompagnédes références lespluséclatantesquej’aiejamaislues,quimeprocurèrentuneimmensesatisfaction.Jelesignai,plusheureusequejamaisdenepasavoiràreparaîtredanscesbureaux.IlétaitpossiblequemonchemincroiseànouveauceluideJia ou de Kevin, mais j’espérais qu’il se serait écoulé assez de temps pour que ma rancune se soitatténuée.

Elipassaitpresquetoutessesnuitsàl’extérieur,avecsonnouveaupetitami.Moi,lesoir,jelisaisetmecouchaistôt.Cameronetmoinousappelionsunefoisparjour,etilm’arrivaitmêmed’alleràlasalledegymluidonneruncoupdemainpoursacomptabilité.Sonmanqued’organisationétaitstupéfiant,mais je trouvais étonnamment épanouissant d’arranger les choses. Si contente que je sois de ne plustravailler,j’avaisabsolumentbesoindem’occuper,c’étaitdeplusenplusévident.

À la grande surprise de Cameron, je faisais aussi du sport de ma propre volonté. Du yoga,notamment,commesicen’étaitpasRainalaprof.Pourpréserverlenouveléquilibredemavie,jemedisaisetmerépétaisquemonéloignementneluifournissaitpasuneoccasionenorderetentersachanceavecCameron.

Onavaitbeauprendrenotretemps,lessentimentsqu’ilm’inspiraitneperdaientriendeleurforce,etses yeux persistaient à m’interroger. Lorsqu’il m’invita à dîner, pourtant, je refusai le plus polimentpossible.Jemouraisd’enviedepasserplusdetempsaveclui,maisl’attractionaddictivequ’ilexerçaitsurmoim’empêchaitdepenserclairement.L’amourétaitunevéritabledrogue,etjemecramponnaisàlaluciditéquemedonnaitcetteparenthèse,fermementdécidéeàtrouveretconsolidercellequejedevaisêtreavantderetournermejeterdanssesbras.

CAMERON

Quand Olivia apporta le plat à table, Darren se servit sans façon, entassant les pâtes dans sonassiettecommes’ilmouraitdefaim.Ellesourit.

–Waouh,ç’al’airsuperbon,Olivia.Mercibeaucoup!lança-t-il.–Derien.Çafaisaitlongtempsqu’onn’avaitpasdînéenfamille.Sonsourirevacilla,tandisquesesyeuxseposaientbrièvementsurmoi.

Page 207: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Enfin…–C’estbon,intervins-je.Detoutemanière,encequimeconcerne,c’estbienundînerenfamille.Quelquesinstantss’écoulèrentdansunsilencegêné,pendantqu’onmangeaittoussansmotdire.Je

repensai àmadernière soirée avec les parents enmedemandant à qui reprocher lamanièredont elleavaittourné.Audébut,j’enavaisvouluàOlivia,quiavaitsuscitéleurinquiétude,doncencouragéleurdeuxièmevisitequandmêmelapremièrenemesemblaitnullementnécessaire.Darrenenpersonneavaitétéuntempsdansmoncollimateur,parcequesonabsencel’avaitempêchédefairediversion,maistoutsoncharmeinsouciantn’auraitpasempêchénotremèrededirecequ’elleavaitdit.

Je détestais aussi le supérieur hiérarchique de Maya pour lui avoir gâché sa journée, voire sacarrière, et l’avoir bouleversée. En fait, j’envisageais sérieusement depuis deux jours de rendre unepetitevisiteàcesalopardetdeluiadministrerlavoléequ’ilméritaitpouravoirfaitdespropositionsàMaya.Maissijamaiselleenentendaitparler,çanefavoriseraitpasnosretrouvailles.

Ceproblèmemisàpart,jem’envoulais,àmoi,del’avoiremmenéevoirmesparentsetdeluiavoirparlémariagealorsqu’ellen’yétaitmanifestementpasprête.L’égoïsmem’avaitpousséàvouloirlalieràmoi,maisjenedemandaisplusmaintenantqu’unechose:êtreavecelle.Jepouvaisbienmontrerlesautresdudoigt, j’étaisfinalementleseulresponsabledelacatastrophe.Peum’importaitlemariage.Jevoulaisjustequ’onsoitensemble.Ilm’étaitimpossibled’accepterdelaperdreunesecondefois.J’avaismêmepensé à rapporter l’alliance aumagasin, comme si cette retraite symbolique allait défaire notreséparation.Siseulementç’avaitétéaussisimple…

Lesévénementsdecettenuit-làavaientpousséMayaàsortirànouveaudemavie.Pasà jamais,mais assez longtempspourque je regretteprofondément ladistancequinous séparait une fois encore.Elle me manquait douloureusement. Je dormais mal, quand je dormais. Je me montrais introverti etdésagréableautravail.Sansdouted’ailleursétait-cecequiavaitpousséOliviaàorganisercedîner.Ilconstituaitenquelquesorteunepropositiondepaix,d’autantplusquec’étaitellequisouffraitleplusdemamauvaisehumeur.Onformaitunepetiteéquipe,ondevaitsesoutenirlesunslesautres.

–Commentçava,autravail?demanda-t-elleàDarren.–Bien.Questionde saison.Pleindegens essaientde chauffer leur appartement aumini four.Ça

donnedesrésultatsintéressants.–Vousavezdenouvellesrecrues?–Non,répondit-ilenfaisantlagrimace.J’arquailesourcil.–Etlablonde?Ilmesemblequ’elleesttoutletempslàavectoi.Mêmepasbesoindetebaisser

pourlacueillir.C’estbiencommeçaquetudis,non?Ilsemorditlalèvreendétournantlesyeux.–Jenesaispas.Cen’estpasmongenre.–C’estuneblague?demandai-jeenriant.Ilsedécidaenfinàcroisermonregard,unsourireidiotauxlèvres.

Page 208: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Vatefairefoutre,mec.Bon,etavecMaya,qu’est-cequisepasse?Jenevoudraispasarriveravecmesgrossabots,maistuesinsupportableencemoment.Vousavezrompuouquoi?

Jeluijetaiunregardnoir,carj’avaisbienfaitcomprendrequejenevoulaispasparlerdeMaya.Oliviatrituraitsespâtesàlafourchette,latêtebasse,leslèvrespincées.

–Onsedonneunpeudetemps,c’esttout.–Ellefréquentetoujourslasalle.Çanetedérangepas?–Du tout. J’aivécucinqans sanselle, jepeuxbienm’enpasserquelques semainesouquelques

moisdeplus.Jesuisunvraipro,maintenant.Jeserrailesdents.Quelquepartaufinfonddemonesprit,unepartiedemoiregrettaitdenepasêtre

très,trèsloin.Enviemorbidedemeretrouveràunendroitdontlessouvenirsterriblesm’empêchaientdedormir,lanuit.J’auraispréféréçaauxtourmentsquejevivaisencemoment.

QuandMaya arrivait à la salle de gym, je devaisme retenir de la prendre dansmes bras et del’embrasseràperdrehaleine.Jemevoyaisaucontrairem’éloignertoujoursunpeuplusd’elle.Moinsonseparlait,plusçasemblaitfacile.Lavoirsanspouvoirlatoucherniluidirecequej’éprouvaisétaitunevéritabletorture.Ellem’avaitdemandéunrépit,alorsquejel’avaispratiquementharcelée.Ellem’avaitditnon,etj’avaisbeaudétesterluidonnerdutemps–passerplusdetempsséparéd’ellequenécessaire–,jen’avaispasl’impressionatrocequetoutétaitfini.

Siimpossiblequeçaparaisse,j’étaisdisposéàessayerdetoutesmesforcesdeluidonnerletempsqu’illuifallait.Jemedemandaisjustesij’ysurvivrais.

–Ettoi,Olivia?demandaDarrenaprèsunelampéedebière.Quelqu’unt’atapédansl’œil?– Je ne sais pas. Dans une ville de cette taille, je n’aurais pas cru rester sur la touche aussi

longtemps.–Lasalledegymestpleined’athlètes,s’amusa-t-il.–C’estça,oui.(Ellelevalesyeuxauciel.)Jevousconnais,touslesdeux:àlasecondeoùunde

cesmecsmeproposeraitunesortie,vousarriveriezavecvosairsprotecteurs.–Enfait,lesgrandsfrèressontfaitspourça.Il tendit la main pour l’ébouriffer gentiment, mais elle l’écarta d’une tape, sans parvenir à

dissimulerunsourire.Lespâtesterminées,elleselevapourdébarrasser,maisDarrenl’enempêcha.–Jem’enoccupe,Olivia.Tuasfaitlacuisine,jepeuxbienranger.Elle se rassit donc et tripota sa serviette, pendant qu’il disparaissait dans la cuisine avec les

assiettesvides.Unsilencepesants’installa.Oliviaetmoinousparlionsàpeinedepuislenouvelan,etplusletempspassait,plusildevenaitdifficiled’apaiserlatensionentrenous.

–Jesuisdésolée,Cameron,dit-elleenfin.J’aiunpeul’impressionquetoutestmafaute.Jerésistaiàlatentationdeluidirequ’elleavaitentièrementraisonetdeluiinfligeruneminuscule

fractiondemestourmentsdévastateurs.Leremordsquibrûlaitdanssonregardm’yaida.Cen’étaitpluslamégèreindiscrètequicherchaitdepuisquelquesmoisàgérermaviedanssesmoindresdétails,maismafragilepetitesœur.Jelaconnaissaisassezpoursavoirquesesregretsétaientsincères.

Page 209: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–L’eauapassésouslesponts,d’accord?C’estfini.Promets-moijustedenejamaisplusmefaireuncouppareil.

Unsoulagementmanifesteluidécontractalesépaules.–Merci,Cameron.IlfautaussiquejeparleàMaya.Peut-êtrequandleschosesseserontstabilisées

entrevous.Entoutcas,jeluidoisdesexcuses.J’ensuisbienconsciente.J’aiétévraimentimmonde.Cen’estpasuneraison,maisj’espèrequetuesconscientquejevoulaisseulementteprotéger.

– Je comprends. Je suis protecteur avec toi aussi. On ne changera pas, de ce point de vue-là.J’espèrejustequejenemettraipasenfuitel’hommedetavieparinadvertance.

Lesregretsreparurentdanssesyeux.Lacommissuredeseslèvress’abaissa.Jeluiprislamainetlaserraibrièvement.

–Bon,allez,assezparlédechosessérieuses.Onseregardeunfilm?–Jeveuxbien,répondit-elle,unpeuréconfortée.–Vas-y,choisis.Maispasuntrucdegonzesses.Elleselevaenriant.–OK.Ilnefaudraitpasquemesdeuxgrandesbrutesdefrèresviennentmepleurnichersurl’épaule.

Page 210: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

XXIII

MAYA

Vanessaentraencoupdevent,lestraitstirésparlestress.Uneexpressionquinememanquaitpas.Ilme sembla un instant distinguer des fers à ses chevilles, pendant qu’elleme rejoignait àma table.Jamaisjen’avaisétéaussiheureusedeneplusêtresalariée.Quandjemelevai,ellemeserradanssesbras.

–Salut,commentçava?demandai-je–questionpurementrhétorique,carjesavaisdéjàqueReillyfaisaittoujoursdesavieunenfer.

Elleselaissatombersurunechaiseensoupirant.–Tumemanquesatrocement,Maya.Jesuissupercontentepourtoiquetuaiesréussiàt’ensortir,

maisjetedétesteunpeuaussi,tuvois?–Désolée,m’amusai-je.Jevaisessayerdepasserplussouventàl’heuredudéjeuner.–Tucherchesdutravail?–Jeregardecequ’ilya,maisjen’aipasencorepostulé.Enfait,j’aideCameronàlasalledegym

pourlesquestionsfinancières.Àpartça,disonsquejefaisunepause.J’essaiedevoiroùjeveuxaller,maintenant.

–JetepariequeCameronesttoutprêtàpasserplusdetempsavectoi.Jerestaisilencieuse,nesachanttropparoùcommencer.Franchement,jen’avaispastrèsenviede

raconter où les choses en étaient pour l’instant avec Cameron, mais il faudrait bien en arriver là.Heureusement,leserveurvintprendrenotrecommande.J’auraisaiméqu’ilfasseperdrelefilàVanessa,mais ellem’accordait toute son attention – qui se nuançait d’inquiétude, sans doute en raison demeshésitations.

–Rassure-moi,Maya,vousêtestoujoursensemble,touslesdeux?Qu’est-cequej’airaté?–Euh…onfaitunepetitepause,là.–C’esttoiquiasvoulu?J’acquiesçai.–Maispourquoi?Ilt’apourrilavie?

Page 211: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Unequestionàlafois,s’ilteplaît,protestai-jeenriant.Ellelevalesyeuxauciel.– Jene suisplusdans le coup !Sérieux, raconte-moi.Etvite. Jene saispasquand ledevoirva

m’appeler.–Ilnem’apaspourrilavie,soupirai-je.Loindelà.Ilavaitétéadorableetm’avaitouvertsoncœur.–Qu’est-cequis’estpassé,alors?Allez,quoi,crachelemorceau!–Ilm’aplusoumoinsdemandéeenmariage.–Commentpeut-on«plusoumoins»demanderquelqu’unenmariage?s’enquit-elle,unpliprofond

entrelessourcils.–Ehbien,ens’arrêtantàmi-chemin,parceque lapersonneconcernéea l’aird’unchevreuilpris

danslalumièredespharesetinterromptledemandeuravantqu’ilnetombeàgenoux.–Attends,tul’asinterrompu?Maispourquoi?J’évoquaicequis’étaitpassé.Oui,j’avaisinterrompuCameron.Pasdanslebutdeleblesser,de

rejouer lascèned’autrefoisquis’était simal terminéepournousdeux ;mais lesensprofondd’unouim’avaiteffrayée,mêmesimonanxiétémerappelaitledésespoirquejedevraisaffrontersijedisaisnon.

–Écoute,Vanessa,jeviensdeperdremontravail,samèrem’aengrostraitéedemoins-que-rien,etlàj’essayed’affrontermesproblèmesautrementqu’enlesnoyantdansl’alcool.C’étaittrop.Sij’avaisdûgérerunesituationaussichargéeémotionnellementdeplus,j’auraiscraqué.

–Alorstuluiasditnon?–Jeluiaiditquej’avaisbesoindetemps.Niouininon,enfait.D’ailleurs,onseparle,onsevoit

de temps en temps,mais cette pauseme fait du bien. J’ai eu le temps de réfléchir et de retrouver uncertainéquilibre.Jenemerappellemêmepasquandjemesuissentieaussi…jenesaispas,aussistable,pourladernièrefois.

–Maisvousn’avezpasdutoutparlédesapropositiondepuis?–Non.Enfait,onn’apasparlédegrand-chose.Lesdernièresfoisqu’ons’estvus,ilaétéplutôt

distant.–Sansblague!–Commentça?–Alorsmoi,sijedemandaisunmecenmariage,cequin’arriverajamais,bon…maissijamaisje

lefaisaisetqu’ilnemedonnaitpaslabonneréponse,jenemejetteraiscertainementpasàsatêteaprès.–Super,merci,grognai-jeenlevantlesyeuxauciel.– Jenedispas çapour te casser lemoral,Maya,mais tu aspenséune seule secondeà cequ’il

ressent,lui?Tuesraidedinguedecemecdepuisdesannées,tul’asjetédeuxfois,etilesttoujourslà.C’estunputaindemiracle!

–Jeneveuxpasfoncertêtebaisséedansquelquechosequejenepourraipasgérerdupointdevueémotionnel.Pourunefoisquejemeconduisdemanièreresponsable!

Page 212: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–S’ilteplaît,Maya,écoute-moi.(Vanessasepenchaversmoi,radoucie.)TuaimesCameron,çasevoit.Franchement,ilfaudraitêtrecomplètementaveuglepournepaslevoir.Maisjenesuispastoi.Jenesaispascequec’estd’êtreemportéeparcegenred’ouragansentimental,etjenepeuxcertainementpastedirequand faire legrand saut.Seulement jevoudraisque tu soisheureuse, et je seraisdésoléequel’hommesusceptibledeterendreheureusetequitteparcequetun’espascapabled’affronterlasituation.

L’arrivéedenosplats interrompit cegranddiscours.Unebrusque enviedevomirm’envahit : laréactiondeVanessadonnaitàmonassurancedecesdernièressemainesl’airabsurdeetvaine.Mesyeuxs’emplirentdelarmes,quejerefoulaienbattantdespaupières.

–Ilmerendheureuse,oui,chuchotai-je.Commesijenel’avaisjamaisvraimentétéavantqu’ilmetrouve.

– Alors arrête de lui tourner le dos. Accepte d’être heureuse. Tu le mérites, et lui aussi. Il estcomplètementfoudetoi,bordel!

–Jevoulaisjustedevenirplusdignedelui…denous.Tucomprends?Unsourirecompatissantluivintauxlèvres.–Jecroisqu’ilteveutjustetoi.Tellequetues.Sesyeuxbrillaientunpeutrop,etmoncœurseserradavantageencore.Ellevoulaitvraimentmon

bien!Unesecondeplustard,sontéléphones’alluma.Ellepoussaungémissementpuisrépondit,arborantunsourireforcé.Quelquesmotsbrefs,puisellecoupalacommunication.

–Reillyabesoindemoi.Ilfautquej’yaille.Çava,Maya?–Oui,oui,m’empressai-jed’acquiescer.Trèsbien.–Tuessûre?–Vas-y.(J’agitailamainpourlachasser.)Lechefabesoindetoi.Jem’ensortirai,net’enfaispas.–Tiens-moiaucourant.J’aibesoindesavoir.Onnepeutpascontinueràsevoiraussirarement.J’acquiesçai,denouveau,avantdelaserrerdansmesbraspourluidireaurevoir.Ellem’étreignit

avecforce,longuement,aupointquejecraignisdefondreenlarmes;quemeretrouverseuleavecmondéjeunerintactfutunsoulagement.Cameronoccupaittoutesmespensées,àprésent.

Jeluienvoyaiuntextoenrentrantàl’appartement.«Dînercesoir?–OK.Quelleheure?–Tupassesà6?–Superrencard.»La réponseme fit sourire. Les limites juvéniles que j’avais fixées àmes relations sentimentales

avaient tellementétédépassées !Préparerune rencontreavecCameronmefaisaitbattre lecœur,maisVanessaavaitraison:j’avaiseuletempsderéfléchir.Maintenant,jenefaisaisplusquebloquer.Refuserdereplongerdansunerelationplusprofonderevenaitàesquiverlesviolentesémotionsdesademandeenmariage.Commejenevoulaispasleperdre,ilnemerestaitqu’àespérerquejenel’avaispasrepousséunefoisdetrop.

Page 213: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Mon téléphonesonnaalorsque jemontais l’escaliermenantà l’appartement.Lenuméroappelantm’étantinconnu,jerépondisavecprudence:

–Allô?–Bonjour,dituneprofondevoixd’homme.VousêtesbienmademoiselleJacobs?MayaJacobs?–Oui,quiestàl’appareil?–Désolédevousdéranger,mademoiselle.JesuisRayStevens,delapoliceducomtédeGreene.Moncœurseserra.Jem’assissurlamarchesuivante.–C’estausujetdemamère?LynneJacobs?Illuiestarrivéquelquechose?Ils’éclaircitlavoix,étirantlesilenceaupointquejefaillisreprendrelaparoleavantlui.–Jesuissincèrementnavrédedevoirvousledire,mademoiselleJacobs,maisvotremèreestmorte.–Hein?– Le corps a été découvert ce matin. Il semblerait qu’elle ait fait une overdose. D’après nos

recherches,vousêtessaparentelaplusproche…–Cen’estpasvrai!Touttournaitautourdemoi.Cen’étaitpaspossible.Nonnonnon.–Jesuisdésolé.Lavoixmesemblaitmoinspuissante,souslesbattementstonitruantsdemoncœuretleshurlements

dedénidemonesprit.– Il vous faut peut-être un peu de temps. Si vous voulez, je vous rappelle d’ici unmoment pour

discuterdesdispositionsàprendre.Jesecouailatête.Ellen’étaitpasmorte.Cettescènen’existaitpas.–MademoiselleJacobs?J’inspiraibrusquement.–Rappelez-moiplustard,oui.Jenepeuxpasparlerdeçamaintenant.Ilmefutimpossiblededireunmotdeplusavantdecouperlacommunication.Latêteenfouiedans

mes mains, je laissai mes pensées s’emballer, emportées par un tourbillon de questions sans finauxquellesjen’auraisjamaisderéponse.Malgrél’équilibreretrouvédepuisdeuxsemaines,rienn’avaitplusdesensàprésent.Riennepouvaitenavoir,parcequelecontactavecmamèreavaitétécoupétroplongtemps.Nostrajectoiresnesecroisaientplusdepuisdesannées.Jenedisposaisd’aucuneinformationetn’entrouveraissansdouteaucune.Jamaislepuzzleneseraitassemblé.

Ellen’étaitplus.Jel’avaisirrémédiablementperdue.Touslesremords,lesinquiétudes,lesregretsquej’avaissivaillammentrepoussésrevenaientsoudainm’écraser.M’ensevelir.

Jemetraînaijusqu’àl’appartementetmeréfugiaiaussitôtdansmachambre,prêteàm’effondrersurmonlitpourpleurer toutesles larmesdemoncorps,àrenversermacommode,à toutcasserenhurlantavantdemeremettreàpleurer.Maisj’eusbeaulachercher,cetteMaya-làavaitdisparu.Leslarmesquej’avaisverséessifacilementcesdernierstempsm’étaientmaintenantinterdites.

Peut-être à cause du choc. De toute manière, rien de ce que je pourrais faire n’apaiserait lasouffrancequej’éprouvais.

Page 214: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jefisvolte-faceetmeprécipitaià lacuisine,sansprêterattentionàEli,qui regardait la télé.Unverreàlamain,j’hésitaidevantlerobinet.L’eaun’étancheraitpasmasoif.Lavagueenviequej’ignoraissibienàprésentn’étaitplusuntiraillement,uneimploration,unedemande,maisunhurlement,unefaimdévorantequiexacerbaientmestourmentsetexigeaientl’apaisement.

Lesmainstremblantes,j’ouvrisleplacardoùsetrouvaitlewhiskyréservéauxpréliminairesfestifset auxmauvais jours. Jem’en servis un plein verre, sans prendre la peine d’ymettre des glaçons. Iln’étaitpasquestiondesavourer,maisdechasserladouleurleplusvitepossible.Enportantl’alcoolàmeslèvres,j’inspiraid’instinct,etunsoupirm’échappaàlapenséedusoulagementàvenir.

–Maya?La voix d’Eli me fit sursauter et lâcher mon verre, qui vola en éclats au milieu de grandes

éclaboussures.Uneodeurâcrem’enveloppa,s’élevantdemesmainsmouilléesetdemoncorsagetrempé.Moiquiavaissidésespérémentvoulum’imbiberdewhisky,jenesupportaisplussoudaind’enporterlamoindretrace.

–Oh,merde,çava?s’inquiétaElienseprécipitantsuruntorchon.Jesecouaiviolemmentlatêteetreculai,lesyeuxfixéssurlesdébris.–Maya?Parle-moi.Qu’est-cequisepasse?–Je…Elle…Ma voix se réduisait à un murmure, les mots se bloquaient dans ma gorge, un lent frisson

m’envahissait.Ilm’étaitsidifficiledenepasm’effondrerquemesépaulesentremblaient.–Elleestmorte.Mesyeuxpleinsdelarmesrefouléestémoignaientd’uneréalitéàlaquelleonavaittoujourspensé,

sansjamaisl’évoquerouvertement.Jetombaiàgenoux,manquantdejustesseleséclatsdeverrerépandussurlelinoléum.

Elis’accroupit,balayalesdébrisdevantluiavecletorchonpourserapprocherdemoipuismepritlesmains.

–Qu’est-cequis’estpassé?–Overdose.Elle…elle…elleafaituneoverdose…ilsl’onttrouvéecematin.Ce n’était pas moi qui prononçais ces mots, parce que je n’y croyais toujours pas. Des larmes

brûlantesruisselaientsurmonvisage.–Oh,Maya,jesuistellement,tellementdésolé!Ilm’attira dans ses bras etme serra contre lui de toutes ses forces. Je lui rendis son étreinte en

sanglotantsansretenuesursonépaule.– Je n’ai pas réussi à la sauver. Pourquoi, Eli ? Pourquoi ? Pourquoi nem’a-t-elle pas laissée

l’aider?Ellen’avaitpasàvivreçatouteseule.Ungrandsoupirgonflalapoitrined’Eli.– Elle voulait peut-être te protéger. Ces choses-là… ces choses-là sont destructrices, et pas

seulementpourceuxquienprennent.Elletenaitsansdouteàcequeturesteslepluséloignéepossible.Tun’yasjamaispensé?

Page 215: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Jesecouai la tête.Sepouvait-ilqu’elleaitcherchéàmeprotéger toutce temps?Peut-être,maisj’avaismalgré tout l’impression de ne pas avoir été à la hauteur, comme si elle avait compris que jen’arriveraispasàl’aider.Carquelgenredepersonneétais-jedevenuesanselle?Commentaurais-jepuluidonnercedontelleavaitbesoin,alorsquec’étaittoutjustesijevivaismoi-même?Pourtant,jenepouvaisrenonceràcroirequej’auraischangésonparcourssiellem’enavaitdonnélachance.

– Elle nem’a pas laissé lamoindre chance.Des années… des années à attendre d’arranger leschoses,d’organiserlaviedontonrêvait.Jenetravaillaisquepourça.Etvoilà…

Unesouffranceinextinguiblemetordaitlesentrailles.Jevoulaisqu’ellesoitlà.Jevoulaislavoirsourire, l’entendre rire, sentir soncontact,medétendredans l’étreintebienfaisantequeseuleunemèrepouvaitdispenser. Jenedemandaisqu’un jourdeplus, unedernière lueurde son amour…mais je nel’auraisjamais.Messanglotsmesecouaienttoutentière.

–Çavaaller,Maya,çavaaller.(Elimeberçaitcontrelui.)Aumoins,maintenant,ellenesouffreplus.

–Jeneveuxpas,dis-jedansungémissement.Lesouveniromniprésentdemamèresaturaitlamoindredemescellules.Mapeaumefaisaitmal;

toutmefaisaitmal.Jel’avaisperdueàjamais,etcetteréalitéengloutissaittoutcequ’onpouvaitdireoufaire,Elietmoi.

Leslarmess’abattirentsurmoiparvaguesdetristessesuffocantes.J’avaisbeaumecramponneràelledetoutesmesforcespourlagarderavecmoidanslemondedesvivants,ellem’échappaitlentement,tellelamaréequiseretire.Jefusbientôttropfaiblepourpleurer,tropépuiséepouravoirmal.

CAMERON

Eli répondità l’interphone,et jemontaiquatreàquatre jusqu’à l’appartement.Depuis lepremiertextodeMaya,quelquesheuresplustôt,unnuaged’interrogationstournoyaitdansmonesprit.Sivaguesqu’aientété lesquelquesmotséchangés, ilsm’avaientdonnéde l’espoir.Quoiqu’ilensoit,ondevaitparler.

–Salut,Eli!lançai-jeenentrant.(Puis,devantsonairsoucieux:)Qu’est-cequisepasse?–Mayat’aappelé?demanda-t-ildansunquasi-murmure.–Non.Onétaitcensésdînerensemble.Elleestlà?Ilyaunproblème?Ilsecouala tête, lesbrascroisésserréssur lapoitrine.Moncœurseserra.DesvisionsdeMaya

inconsciente,endangerjenesavaiscomment,metraversèrentl’esprit.–Oùest-elle?Mesmusclessecontractèrent,prêtsàmepropulserdansn’importequelledirection,làoùelleaurait

besoindemoi.–Elledort.Cetteréponsemecalmaunpeu,maisquelquechoseclochaitmalgrétout.

Page 216: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

–Samèrevientdemourird’uneoverdose,continuaEli.Lapolicel’aappeléepourlaprévenirendébutd’après-midi.

–Merde!Commentva-t-elle?– Elle est bouleversée. En fait, elle se préparait à descendre une bouteille de whisky, mais

finalementelles’estmiseàpleureràlaplace.Heureusementquej’étaislà.Jecroisquejen’avaisencorejamaisvupersonnepleureraussifortetaussilongtemps.Elles’estenfinendormie,ilyauneheure.

Ilsemorditlalèvre.–Elledoitêtreeffondrée,murmurai-je,encorestupéfiéparlanouvelle.–Tusavaisquesamèreavaitdisparu?– Oui, acquiesçai-je, elle s’était enfin décidée à me le dire. Je n’imaginemême pas ce qu’elle

endure.Jepeuxlavoir?Jeveuxdire…çanedérangepas?Ilagitalamainendirectiondelachambre,oùj’entraiensilence.Lafenêtredévoilaitladoucelueur

ambréequi illuminait l’horizon,mais l’obscurité tombaitrapidement.Mayaétait rouléeenboulesur lelit,entouréed’oreillersetdemouchoirs.Jem’assisprèsd’elleetcontemplaisalenterespiration,éblouiparsabeautéetsaforceintérieure.Malgrésonsommeilpaisible,elleavaitlessourcilsfroncés,lapeaurougieetlesyeuxgonflésparleslarmesversées.J’auraisvoululaprendredansmesbras,etjedusserrerles poings pour me maîtriser. Elle avait besoin de repos. Lorsque je me levai, cependant, ses yeuxs’ouvrirent.

–Cameron…chuchota-t-elled’unevoixrauque.–Jesuislà,madouce.Justelà.Jeme rassis, soulagé de pouvoir la toucher, et lui passai lamain sur le bras.Elle avait la peau

froide,maisaumomentoù j’allais tirer lacouverturesurelle,elles’assitbrusquementpuissehissaàgenouxpourmejeterlesbrasautourducou.Monnomluiéchappaànouveau,dansunsanglottremblant.Lesfrissonsquilasecouaientm’apprirentqu’ellepleuraitànouveau.Jelaserraicontremoi,maisilnousétaitimpossibledenousrapprocherdavantage,carellem’enserraitdansunvéritableétau,commesilamoindredistanceentrenousallaitsignernotrearrêtdemort.

Ellemurmuraentreseshalètementsquelquesmotsincompréhensibles,auxquelsjerépondisparunfredonnementapaisant,en luimassant ledoset lesépaules.Quen’aurais-jepasdonnépourapaisersasouffrance !Mais je ne pouvais que tenter de la réconforter, lui offrir un roc dans la tempête qui sedéchaînaitsurelle.Sessanglotss’espacèrent,tandisquesonsoufflesecalmait.

Elleserejetaenarrière,lesmainscrispéessurmesbras,toujoursaussifrénétique.Jelesprisdanslesmienneset les frottaiavecdouceurpour lui fairecomprendrequenousétions toujours liés.Que jen’allaispaslalaissertomber.

Lorsqu’ellelevalesyeuxverslesmiens,latristessecédalaplaceàlagravité.–J’aiquelquechoseàtedire,Cameron.

MAYA

Page 217: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Son regard hésitant souleva en moi une nouvelle vague de tristesse. Il fallait que j’efface sescraintes.Immédiatement.

–Jesuisabsolumentdésolée!–Pourquoi?Enfin,Maya,tamèrevientdemourir.Pourquoiveux-tumeprésenterdesexcuses?– Parce que je t’ai repoussé et que je n’aurais pas dû.Tout ce qui s’était passéme préoccupait

tellementquejen’aipaspenséaumalquejetefaisais.Jet’aifaitassezdemalcommeça.Jenousenaifaitàtouslesdeux…tellementdemal!

Jememordislalèvresifortquejefaillismepercerlapeau.–Chut,monange,onparleradeçaunautrejour.Ilfauttereposer.–Non,ilfautquejeteledisetoutdesuite.Je…Jeluttaicontrelebesoindemejeterunefoisdeplusdanssesbras,demefondredanssachaleur,et

serraide toutesmesforcessesmainsdans lesmiennes.J’auraisaimém’effondrer, libérer lessanglotsquejeretenais,maisjeleregardaidanslesyeuxcommes’ilétaitleseulhommeaumonde,parceque,pourmoi,ill’était.

–Marions-nous,Cameron.Seslèvress’entrouvrirentpuisserefermèrent.Sestraitsfigésm’emplirentd’unepeurcreuse.Jeme

demandai soudain si je n’avais pas choisi le piremoment pour dire une chose pareille,mais j’avaisbesoin de lui comme jamais, et je ne voulais pas qu’il passe un jour de plus sans savoir ce quej’éprouvais.

Le ventre noué, j’attendis une réaction, n’importe laquelle. Mon cœur semblait m’être sorti ducorps.Vulnérable, exposée, je compris enfin le couragequ’il lui avait fallupourme faire cettemêmeproposition.À cet instant, il pouvait rendre àmon âme brisée son intégrité oume blesser au cœur sigravementqu’ilnemeseraitplusjamaispossibledeledonneràquiconque.Maviedépendaitd’unmottombédeseslèvres.

Était-cecequ’ilavaitressenti?Luiavais-jeinfligéuneblessurepareille?–Tun’espasobligée,Maya.Onn’estpasobligés.–Maisjeveux,bredouillai-je.Jepeuxterendreaussiheureuxquetumerendsheureuse.J’ensuis

sûre.Ilsuffitquetum’endonnesl’occasion.S’iln’estpastroptard.–Pourquoimaintenant?– Parce que… (Je déglutis péniblement, repoussant une déferlante de larmes pour dire ce que

j’avais à dire.) Parce que j’ai passé des années à attendre, à essayer de contrôler des chosesincontrôlables.Parcequejesuistellementtêtuequejen’aimêmepasvuàquoijerenonçaislapremièrefoisquetum’asdemandéeenmariage.Maismaintenantjelevois,plusclairementquej’aijamaisrienvu. Jen’auraispasdû te repousserà l’époque, et jen’auraispasdûnonplus te repousser ilyadeuxsemaines.Jem’enveuxàmortpourça.Parcequejenevoudraijamaispersonned’autrequetoietqu’onenaassezbavé.Jeneveuxplusluttercontrenotreamour.Jeveuxjusteêtreavectoi.Êtretafemme.Situesd’accord.

Page 218: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Il expirabrusquement etme fixaun longmoment sansmotdire.Les larmesallaientme rattraper,quandilpritmaboucheavectendresse.

–Cameron?Jeleregardaidanslesyeux.Maquestions’attardaitentrenous.–Tuveuxbien?–Évidemment!Jenevispassanstoi.Jet’aiattenduecinqans,jepeuxaussit’attendretoutelavie.Ilmeserratendrementcontrelui.Jedébordaisdelapromessedesonamourindéfectible.Moncœur

reprenaitvie,uneénergieréparatriceserépandaitdansmapoitrineetmechatouillaitlesmembres.Pourlapremièrefoisdemavie,l’amourm’apparaissaittelqu’ilétaitcenséêtre,telqu’ilauraitdû

être.Ilseruaitenmoietchassaitlasouffrance;ils’élançaitversleciel,nourridesrêvesetdesespoirsquej’avaisentretenusensecretpournotreavenir,àCameronetmoi.

J’entrelaçaimesdoigtsauxsiensetposaisamainsurmonsein,oùmoncœurbattaitpourlui,pournous.Sinoscorpsétaientlesdeuxmoitiésd’untoutbriséàuneépoquereculée,nousétionsànouveauintacts,ensemble.Jemejuraiqueriennepourraitjamaisplusdétruirecetteintégrité.

Page 219: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Épilogue

MAYA

Le ventre plein du chocolat chaud et des deux croissants délicieusement peu diététiques dont jem’étaisrégaléedansnotreboulangeriepréférée,jemesentaisfortbien,malgrélefroid.Ons’installasurundesbancsduparc,faceaugratte-cieldeManhattan,lesjambesdeCamerontenduesdevantluidansl’allée,matêtesursonépaule,sonbrasautourdemoi.Jesouriais.

Lesdernièressemainesavaientétédifficiles,attristéesparmesadieuxàmamère,maislaprésencedeCameronm’avaitsoutenue.S’ilavaitencoresubsistéenmoi lemoindredoutesursacapacitéàmetirer de l’enfer et àm’apporter le bonheur, cette période l’aurait réduit à néant. J’espérais seulementparvenir à faire demêmepour lui si jamais le besoin s’en faisait sentir. Je lui devais bien ça. Je luidevaistout.

Unvold’étourneauxtraçaunelargecourbedansleciel,auloin,avantdeseposerdanslesarbresenvironnants. Le silence retomba, brisé seulement par un pépiement ou un ébrouement occasionnels,commesilesoiseauxtémoignaientleurrespectàlaneigequitombaitmaintenant.

–Ilssontdrôlementnombreux,dis-jedansunmurmure,decraintedeleseffrayer.–Magnifiques,réponditCameronenlevantlesyeux.Quoiqueunpeuinquiétants.–Jenetrouvepas.Lesoiseauxnoirsportentbonheur,enfait,tusais?Ilmeregarda,unpetitsourireaucoindeslèvres.–Ahbon?–Maisoui.Ilssymbolisentlechangement.Ilssontcensésnouslieràlamagiedelavie.–C’estsentimental,maisprometteur.Jesouris,moiaussi,medélectantdesamagiepropre,dusortilègequ’ilétaitseulàpouvoirtisser

autourdemoi.–Jesuisbiend’accord.Passurlecôtésentimental,surlefaitquec’estprometteur.Jeme redressai pour l’embrasser tendrement. Lorsque jem’écartai de lui, l’émotion voilait son

regard.Sansmelaisserletempsdeluidemanderpourquoi,ilselaissatombersurungenoudevantmoiettiradelapochedesonmanteaulapetiteboîtenoirequej’avaisdéjàvueunefois.Moncœurbattaitàtout

Page 220: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

rompre.Jeluiavaisdéjàdonnémaréponseenl’implorantpresquedemedonnerlasienne,maisons’enétait tenus làcesdernières semaines.L’allianceet autres formalitésm’étaientcomplètement sortiesdel’esprit.J’étaissienneetilétaitmien,onfiniraitbienparofficialiserlachose.Jen’avaispluslemoindredoutesurcequejevoulais.

Il ouvrit le minuscule écrin, dévoilant une bague à l’éclat radieux, malgré la lumière terne del’hiver.

–MayaJacobs,commença-t-ild’unevoixassourdie,vibranted’amour,j’aiattendulongtempspourfaireleschosescorrectement,maisjeveuxquetufassespartiedemavieàtoutjamais.Acceptes-tudem’épouser?

Iln’avaitpasterminésaphrasequejehochaislatête,souriante,leslarmesauxyeux.–Oui.Oui,j’accepte.Ungrandsourireauxlèvres,ilglissalabagueàmondoigt.Celafait,jeneperdispasuneseconde

pourl’attireràmoietleserrerdetoutesmesforcesdansmesbras.–Merci!balbutiai-je.–C’estjusteunsymbole,tusais.Jeveuxtedonnertellementplus!–C’estfait.Tum’asdonnélesmeilleursmomentsdemavie,etonn’enestqu’autoutdébut.Ilm’écartaassezdeluipourm’embrasser,detendresbaiserspleinsdeconfiance.–Ettum’asdonnélesmiens.–Jet’aime,Cameron.–Jet’aimeaussi.Jesouris,des larmesdebonheurplein lesyeux,puis inspiraià fond,bouleversée,persuadéeque

personneaumonden’avaitplusdechancequemoi.Riennenoussépareraitjamais.Lesoiseauxs’envolèrentbrusquementdansdegrandsclaquementsd’ailesets’éloignèrent lesuns

derrièrelesautres.Onlessuivitdesyeuxjusqu’àcequ’ilsdisparaissentdanslecielenneigé.

Page 221: À tous les survivants - Eklablogekladata.com/oy5t1r7gSx7cgIHrG8tuvTXtM5I.pdfqu’avant, je m’en aperçus en laissant mes mains errer sur les courbes de son abdomen, ses pectoraux,

Dumêmeauteurchezlemêmeéditeur

Hacker

DangereusesAffinités,Acte1FatalesAttractions,Acte2Vertigescharnels,Acte3Liensdéfendus,Acte4UltimeTentation,Acte5

TitreoriginalOnmyKnees(TheBridgeSeries,Book1)

©2014,MeredithWild

©ÉditionsMichelLafon,2017,pourlatraductionfrançaise

Photodecouverture:©MarcosApelt/ArcangelImages

118,avenueAchille-PerettiCS70024–92521Neuilly-sur-Seine

ISBN:978-2-7499-3248-4

www.michel-lafon.com