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MÉMOIRES PUBLIÉS PAR LA FACULTÉ DE DROIT DE GENÈVE Tiré à part du volume No 16 Deuxième Journée juridique, rS octoltre r96z PIERRE LALIVE Professeur à la Faculté de droit LE NÉCTVTE MATRIMONIAL DES ÉTNEXGERS EI\ SUISSE r963

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Page 1:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

MÉMOIRES PUBLIÉS PAR LA FACULTÉ DE DROIT DE GENÈVE

Tiré à part du volume No 16

Deuxième Journée juridique, rS octoltre r96z

PIERRE LALIVEProfesseur à la Faculté de droit

LE NÉCTVTE MATRIMONIAL

DES ÉTNEXGERS EI\ SUISSE

r963

Page 2:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

Le régime matrimonialdes étrangers en Suisse

Pa.I

Pierre L¡rrvp

Professeur à la Facr:Ité de droit

I. INrnooucrror.r 7r

75

78

8o8r

8S87

9o

92

939697

989899

II. Pnrr.rcrpns cÉxÉn¡uxA.. Etrøngers øyønt I'eur þrem'ier ilornic'il.e coniwgøl' en Swisse

et L'y conseruønt

B. Etrøngers øyønt eu un ilornicile conjwgøl à. l,'étrønger øaøntile s'é;tøbl'ir en Su'isset. La distinction entre régime interne et régime externez. Mutation du régime externe et droits nés antérieure-

ment.3. Controverse sur la loi applicable au r(gime interne .

4. Sens des termes < droit étranger >; renvoi

III. Lr¡¡rrns A L'AppLrcATroN DU onorr Érner¡cER AU nÉcruBINTERNE

I2J

4

I-e régime légal extraordinaire.La liquidation après divorce.L'ord¡e public suisse

. Le caractère facultatif de l'immutabilité du régimeinternea)b)

adoption d'un autre régime interne étrângeradoption d'un régime interne suisse. .

IV. QuerBues euESTroNs RELÁ.TrvES AU coNlRrr DE M.aRracE ro2r. Contrats conclus à l'étranger, avant l'établissement

en Suisse To2z. Contrats conclus en Suisse et soumis au d¡oit suisse ro43. Contrats conclus à l'étranger ou se référant au d¡oit

r04

ro6Corr¡cr,usro¡r

étranger

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LE RÉGIME MATRIMoNIÄL DEs ÉTRÂNGERS 7f

I. INTRODUCTION

En 1884, lors d'une assemblée de la Société suisse des juristes,le juge fédéral Rott observait: <Le droit international privé desrégimes matrimoniaux est un domaine déchiré par les controverses,comme un champ de bataille labouré par les balles et les boulets ! rDepuis lors la loi fédérale du z5 juin r89r sur les rapports de droitcivil des citoyens établis ou en séjour (LRDC) 1, puis le Code civilde rgoT ont sans doute donné diverses solutions et dissipé bien desdoutes. Ces deux textes législatifs, et la jurisprudence qui les ainterprétés, ont-ils cependant résolu toutes les déIicates questionsqui se posent en cette matière, et de quelle façon? Quel est, sur cepoint, l'état actuel de notre droit? C'est ce que je voudrais essayerd'examiner aujourd'hui, sans prétendre, bien entendu, explorercomplètement ou en profondeur un domaine aussi vaste et, disons-led'emblée, aussi difrcile.

La difficulté de ce que les anciens auteurs appelaient déjà une

famosissima quøestio tient à une double cause.

En d¡oit civil interne, tout d'abord, le droit des régimes matri-moniaux - ensemble des rfules relatives aux relations pécuniairesdes époux, en tant que tels-est une matièreparticulièrement com-plexe, par sa nature même. Ce d¡oit économique de l'union conju-gale touche de près, on le sait, au droit du mariage, de la famille, en

1 Recueil systénatique des lois fédérales, vol. z, p. 727.

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'-- r

72

même temps qu'au droit des biens et des obligations. On s'expliquedès lors la grande divergence des conceptions fondamentales que

révèle, dans les divers pays, une étude de droit comparé: certainssystèmes juridiques, comme le nôtre, rangent le droit des régimes

matrimoniaux dans le droit de la famille; d'autres, comme le système

français, dans le droit des contrats. A cette divergence des concep-

tions de base correspond, ou s'ajoute, la variété des règles positives:

certaines législations optent pour la contrainte, pour un régime uni-que et impératif, immuable; d'autres choisissent Ia liberté des

conventions matrimoniales, une liberté plus ou moins large selon

les pays.En droit civil suisse, il n'est pas aisé de défi¡ir les contours de

la notion de régime matrimonial, étroitement liée qu'elle est, sou-

vent, aux effets généraux du mariage (et en particulier, à la notiond'actes juridiques entre époux, de l'art. r77 CCS), à la capacitécivile de la femme mariée, voire au droit de la poursuite et de lafaillite. La liquidation du régime matrimonial, enfin, révèle les

liens étroits de ce domaine avec le droit des successions ou celui des

divorces. Quant au contenu même de la réglementation suisse des

régimes matrimoniaux, sa complication est bien connue. Elle tientsans doute, en partie, aux circonstances de I'unification du droitcivil, en l9o7, à I'extraordinaire diffrculté qu'il y avait à fondre en

une législation cohérente une multiplicité de systèmes cantonauxfort divers, fondés chacun sur les mceurs, sur des traditions écono-

miques et sur une conception particulière de la mission de la familleet du rôle respectif des époux. En outre, cette complication tientà la nature des choses, à la nécessité oìr se trouve le législateur, ou lejuge, de concilier les intérêts, souvent contradictoires, de Ia com-

munauté conjugale, de chaque époux, considéré individuellement,et enfin des tiers qui entrent en relations économiques avec le mé-

nage.Si, en droit interne déjà, le régime matrimonial n'est pas un

sujet de tout repos, øfortiori en sera-t-il de même sur le plan inter-national; on sait que ie droit international privé, dans son ensemble,

a la réputation, d'ailleurs très exagérée, d'être une sorte d'algèbrejuridique, d'une redoutable technicité, encore qu'il soit pénétré,

autant que d'autres discþlines juridiques, de considérations sociales

rB N-ÉCTUP MATRIMONIAL OBS ÉTNENCBNS ãaIJ

et morales. A ce double titre déjà, le sujet du présent exposé appa-

raît d.onc comme risquant d'être d'une certaine aridité'

La même constatation pourrait être faite dans d'autres pays,

mais la diffrculté de la matière s'explique en outre par des laisons

qui sont propres à la Suisse:

r. La loi de r89r, la LRDC, maintenue < provisoirement I lors

de I'entrée en vigueur du Code civil, n'est pas un instrument appro-

prié à la solution des conflits internationaux de lois. c'est aujour-

ã,hoi otr lieu commun que de dénoncer sa structure vétuste et ses

obscurités. un mérite doit cependant lui être reconnu: celui d'avoir

favorisé pendant soixante-dix ans, par son ambiguïté même,

les exercices de souplesse intellectuelle des commentateurs !

z. Si le droit international privé suisse afait, ces vingt dernières

années surtout, de sérieux progrès en divers domaines, comme celui

des contrats, il n'en est pas de même en matière de régimes matri-

moniaux. La jurisprudence est pauwe; les arrêts du Tribunal

fédéral sont peu nombreux, assez anciens, et quelquefois contra-

dictoires. La pratique administrative, dénuée du reste de véritable

autorité, est relativement mal connue. La doctrine, en revanche, a

fait un utile travail d'analyse, encore que I'on ne trouve guère

de monographies, sino matrimonial

des étrangers, à Part récente' En

résumé, I'on se trouve ligé, régi Par

des textes archaTques, et imparfaitement éctairé par une juris-

prudence trop rare.L'obscurité de notre droit international ne doit pas, il est wai,

être surestimée. D',autres pays connaissent une situation encore

moins satisfaisante, semble-t-il; l'on ne pourrait pas sans quelque

injustice appliquer à notre droit la remarque mordante de Niboyet,

à propos du droit international privé français - dans lequel, pour

êtie frxés sur leurs d.roits, les époux doivent, disait-il, se faire un

procès ( avec toute i'incertitude d'un billet de loterie > 1'

sans noircir à I'excès Ie tableau, l',on doit reconnaître que l',ob-

servation du juge fédéral Rott garde, aujourd'hui encore, une part

de vérité. certes, il n'est nullement impossible aux spécialistes de

PIERRE LALIVE

l Traité, V, no 15o6.

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74 PIERRE LALIVE

décou'çrir quelles sont les règles applicables à telle ou tene questionde régime matrimonial. Mais le droit n'est pas fait pour quelquesspécialistes. Et, pour juger de la valeur et de la qualité des règles quenous allons exposer, il conviendra toujours de se demander si, d.ansles actes de la vie quotidienne, elles remplissent bien de façon satis-faisante leur fonction sociale propre qui est d'assurer un équilibreéquitable des intérêts en cause, dans la sécurité des époux et des tiers.

IJn commerçant suisse peut-il faire crédit à une femme mariéeétrangère qui habite la Suisse? Peut-il, le cas échéant, poursuiwele rnari en paiement? A quelles conditions le caissier d'une banc¡uepeut-il laisser un mari étranger retirer une somme du compte de safemme? A quoi s'engage exactement I'étranger marié qui, établien Suisse, y noue des relations d'affaires? Les fiancés étrangersqui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre auxdispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités desépoux étrangers, qui s'apprêtent à divorcer en Suisse, pourront-ils liquider leurs relations pécuniaires?

Telles sont quelques-unes des multiples questions que la viesociale pose au juriste comme au non-juriste, et auxquelles elleexige souvent une réponse rapide ou immédiate.

Il est donc superflu d'insister sur l'intérêt pratique de cettequestion. Son importance ne peut que grandir, semble-t-il, aveccelle du droit international privé dans son ensemble. A ce propos,il suffira de rappeler en passant un fait marquant de la réalitécontemporaine: l'internationalisation toujours plus poussée desproblèmes juridiques. Les causes du phénomène sont bien connues:mobilité accrue des populations, rétrécissement du monde, inter-dépendance économique grandissante, qui rendent de plus en plusfâcheuse et anachronique Ia division politique du monde en plusd'une centaine d'Etats, c'est-à-dire en plus d'une centaine d.e

souverainetés législatives. Sauf uniflcation du droit matériel -qui n'est pas pour demain, malgré la nécessaire harmonisation deslégislations européennes que stimulera, au-dedans et au-dehors, leMarché commun - on peut prédire que la fréquence et la complexitédes conflits de lois augmenteront à l'avenir, ce dont notre pays,avec sa nombreuse population étrangère, ne manquera pas de faire1'expérience.

rB nÉcruB MATRIMoNTAL DES ÉTRÄNGERS '/J

Pour ces diverses raisons, et bien qu'il n'existe, sur ce point, nilégistation nouvelle, ni jurisprudence récente - et peut-être, en partie,

à ca.wse d,e celal - il n'est peut-être pas sans intérêt d'essayer, à l'occa-

sion de cette <Journée juridique>, de afaire le point> au sujet du

régime matrimonial des étrangers en Suisse.

II. PRINCIPES GÉNÉNAUX'

Qu'entendons-nous par < étrangers en Suisse >? S'agit-il de tous

les étrangers se trouvant sur territoire helvétique, pour un simple

séjour, de plus ou moins longue durée? Non. Il s'agit seulement des

des étrangers domiciliés en Suisse. Quant aux autres, c'est-à-dire

ceux qui n'ont pas en Suisse un domicile au sens du Code civil,indiquons seulement qu'ils ne sont pas soumis au droit suisse 2,

même s'ils y accomplissent des actes juridiques, même s'ils y exer-

cent un métier (ATF 36.I.256), même si Ia femme y a un domicile

séparé (ATF 55.II.z3o).L'inøþþIicøbilité de þrinciþe d'w droit suisse,

en l'absence d'un domicile, s'étend même, semble-t-il, aux h5rpo-

thèses qui concerneraient des immeubles en Suisse (encore que le

1 Bibliographie sommeire:BBcrrr¿äi E. : Das eheliche Güteryeoht der Ausldnd.er in der Schueiz und, der

Schweizer 'it1c Ausland (thèse Zurich, r9z3).G¡urscnr W.: Über das inìernationale interne eheliche Güterrecht (1ß, SJZ,

16, rgrg-rgzo, p. 4g).MurzNBn 1>. : Zwr Flage des ehelichen Gúterrechts der Ausländer in der Schweiz

(it SJZ, 18, rgzr-rgzz, P. r33)'Scnuro È.: D¿s eheticke Güterrecht der Ausldniley in iler Sahueiz (thèse Berne,

196z)-WrBr-¡¡qó C.: Das internationale Ehegäterrecht der Ausländer in der Schv¡eiz

(ín Festschrifi jurist. Fahultàt Bøsel, rgr5' p.-47)-Voir aussi les commentaires ou traités de Beck, GmüLr, Lemp, Meili, schnitzer

et Stauffer.Abréuiations :ATF Arrêts du Tribunal fédéral suisse.

JAA Jurispruden ves de la Confédération'

JT Journal desLROC ioi féd.érale des citoyens établis ou en séjour,

du z5 juin r89r.SJ Semaine judiciaire (Genève).SiZ Schweizeiische Juriòten Zerlttrg, Rewue suisse de jurisprudence (Zurich).

¡Laur, N. 85.

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r v-

76 PIERRE LALIVELE RÉGIME M,TTRIMONI'1,L DES ÉTRJ'NGERS 77

d'intentions, d'où le vieil adage français selon lequel les époux ne

sauront sous quel régime ils s s'être fait un pro-

cès ! On conçoit que devant ns I 1, Ies praticiens

français et la plupart des incertitude de leur

droit.Quant aux pays de droit iquent un

système propre, rattachant I'absence

de contrat) Ies meubles au dro es immeu-

bles à la 1oi de leur situation. 2

Le législateur suisse, lui, a choisi de rattacher le régime matri-

monial au domicile; ceci, il est wai, à I'occasion des conflits de lois

entre cantons, antérieurs au code civil. Allant au plus pressé, il

en ce qui concerne le régime matrimonial) ? ou l'article 32 reî-voie-t-il plutôt au titre deuxième de la même loi, relatif aux

l voir à ce sujet < Les conflits de lois en matière de régimes matrimoniaux et

d.e successions ,r, tiavaux du 58e Congrès des notaires de France, r9óo' notammentle rapport de Me Collot, pp. z5-r18, ad'p. 64.

2 Gooottcn, Conflict of Laws, 3rd ed. 1949, sections r22-r24; Dpreurr¡B' inAmevican Journal of Comþaraiiue Lau, Wíntet 1955' PP' 35' 44'

Tribunal ftédéral ait jugé autrefois en sens contraire; 25.I.244). Ledroit suisse s'appliquerait cependant si la règle de conflii étrangère,par hypothèse, y renvoyait ra question (par exempre au titre d.'anciendomiciie des époux). L'ordre public suisse

"rrfio poo..ait entraîler

l'application du code civil (en particulier de |art. rBB sur ragarantie des droits des créanciers) au régime matrimonial d.,étran-gers ayant transféré leur domicile de Suisse à l,étranger.

Quel est donc le droit appricable au régime matiimoniar desétrangers domiciliés en Suisse? on sait que, théoriquement, diversrattachements sont possibles. On peut considérer, par exemple,que le régime matrimoniar - charte économique de l'associationconjugale - est une matière relevant du droit de famile, très prochedu droit régissant le mariage et ses effets personnels, et qui dåit parconséquent, dans les relations internationales, être régi- par la loipersonnelle des époux (qui est, pour beaucoup d,EtatÀ européens,la loi nationale du mari). on peut aussi penser çrue, s'agissant desintérêts économiques des époux, ces intérêts onì reur ãsiège, aulieu oìr est établie la communauté conjugale, c'est-à-dire aridomi-cile. on peut aussi envisager re régime matrimoniar comme étantfondé sur une convention matrimoniaJe, au moins tacite dans recas du régime légal, et soumettre cette question à ra roi d.'autonomie.

La vanété des conceptions fondamentales se manifeste par radiversité des localisations retenues d.ans les divers systèmes ïatio-naux de droit international privé. un coup d'æil au droit comparésuffit à nous en persuader: plusieurs des pays européens avec les_quels la Suisse a d'étroites relations - dont l'A]lemagne,l,Ita-lie, lesPays-Bas - rattachent le régime matrimoniar à ra rex þøtriae dttmari. C'est le système de la Convention no 4 de La Haye, ãu 17 juil_let r9o5, ( concernant les conflits de rois reratifs aux effàts du mariagesur les droits et les devoirs des époux d.ans leurs rapports personnelset sur les biens des époux >. cette convention tr'" pà. été signée parla Suisse et l'on sait qu'e[e a été dénoncée par dlux de sJs signa-taires, la France et la Beþque. r

La France (et, dans une certaine mesure encore, peut_être, laBelgique) s'en tient au système, peu défendable, d.e la roi d'autono-

1R. Scr¡uro, pp. tr4-tr1

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78 PIERRE LALIVE

ner

A. Erneucpns A'ANT LEUR 'REMTER

D.MI.TLB Bx Sursse ET L,yCONSERVANT

1 Sreurren, N. 13.

Dans ce cas, I oumis, à tous égards, àla loi suisse, c'est l,article rg LRõC peuts'appliquer ici et estable.

le plus souvent) propre droit le régimematrimonial des rnir i-io-o+;^-^l - ,

est rondé sur re :it"î$î'.':*t.lX:qui, d'ailleurs, qualifie seul cette notion.

rapports de droit civil des Suisses à l'étranger (c'est-à-dire àl'article 3r)?

Les solutions obtenues n'étant pas res mêmes, selon que |onlPplsue par analogie les règles relatives au régime matrlrnonialdes Suisses en Suisse, ou que I'on applique au contraire celles quiconcernent les Suisses à l'étranger, on conçoit que la plupart desauteurs suisses abordent le problème en s'interrog"rtti.oi l,objetde la référence équivoque de l'article 32.Il est pourtant douteux que ceci soit ra meilleure façon dedécouvrir, ne disons pas l'intention du législateur, mais plutôt lesens juste de la loi. Quoi qu'il en soit, constatons pour leLomentque la divergence des solutions à ce problème ctassique d'inter-prétation légale, si elle joue un rôle lorsqu'il y a transfert de domi-cile, n'en joue pas dans la þremière kyþothèse que nous arons exami-

r,e nÉcruB MATRTMoNTAT oBs Érn¡Ncens 79

ser les relations pécuniaires nées du mariage, tant entre eux qu'avec

les tiers. Dumoulin, déjà, au XVIe siècle, voyait dans le domicile

< ... n'entend pas autre chose par domicile conjugal que l'endroit

oìr les époux vivent ensemble"' I

et que

éventualité qui n'était pas réalisée en l'espèce'

Dans un arrêt Plus ancien, de rgro 3,

Tribunat fédéral avait observé déjà qu'un

sionnel> de l'un ou l'autre époux en Suisse n

l ATF. 56.II.337 :2 ATF 55.II.e3o :I ATF 36.I.252.

JTJT

r93r.I.rr5; ATF 6r.II'r5 : JT 1935'I'484'r93o.1.73.

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Bo PIERRE LAIIV.E

sse; le même arrêt relève aussi que le domi_suisse seul, sans considération de la position

B. ErneNcBRS i.rrANT EU uN DoMrcrLE coNJUGAT e l,Érn¡NcBnAvANT DE. s'ÉTABLrn Bn Surssp

lCf. WrBr.¡Np, pp. 6r-63, pour les d¡oits allemand et français.

r,B nÉcIuB MATRIMoNIAL DES ÉTRANGERS Br

du droit national des époux). Supposons que Ia femme ait eucertain droit découlant du régime matrimonial soit légal, soit con-ventionnel, par exemple le droit d'exiger des sûretés pour ses ap-ports confrés à l'administration du mari, ou celui d,exercer un pri-vilège dans l'éventuelle faillite de ce d.ernier. L'intérêt de cettefemme est que le transfert international du domicile conjugal, enentraînant l'application d'un nouveau droit (par exempre du régimematrimoniat légal du nouveau domicile) ne diminue pas res droitset garanties dont elle jouissait.

Comment le législateur de droit international privé peut-ilconcilier des intérêts aussi divergents? S'il est sensible surtout àceux des époux, au besoin de stabilité des relations économiquesdu ménage, ce législateur admettra t'imrnutøbitité du rê,g¡me matri-monial en cas de changement de domicile. Si, en revanche, il donnela préférence aux nécessités du commerce, à la certitude et à lasécurité juridiques, il imposera l'application de la roi territoriale,loi du nouveau domicile, ce qui revient à admettre ra rnutøbitité ùtrégime matrimonial par changement de domicile. (on notera ici,en passant, que la considération des mêmes intérêts peut fort bienamener, en droit civtl interne, des conclusions différentes, par exem_ple quant aux avantages respectifs de l'immutabilité ou de ra muta-bilité du régime matrimonial.)

Le législateur suisse a résolu la question au moyen d,une ingé-nieuse distinction, source toutefois de maintes difficuttés, entre lesaspects interne et externe du régime matrimonial.

t. La d,istinction entre régime interne et régime externe

Relèvent du régime matrimonialinterne tous les rapports juridi-ques d'ordre pécuniaire, nés du mariage, pour autant qu,ils n,inté-ressent que les époux eux-mêmes. Il s'agira par exemple des droits

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Bz PIERRE LAIIVE

du mari à administrer et à jouir des apports féminins, ou des droits

de la femme à obtenir la garantie de ses apports ou leur restitution

à la liquidation du régime. Quant au régime matrimonial externe,

il comprend les relations économiques des époux, en tant que tels,

avec les tiers.On a passablement critiqué cette dichotomie, qui est particu-

lière au droit suisse. utilisée d'abord sur le terrain du droit inter-

national privé, avec la loi de r8gr, cette distinction a rendu des

services, lors de l'entrée en vigueur du code civil, pour la solution

des conflits d.e lois dans le temps (voir les art. 9, ro et n du Titre

fiIlal). Elle a trouvé sa place aussi dans le code civil lui-même (voyez

à ce sujet I'art- z4B).L Cette division d'une même institution juri-

dique en ses aspects internes et ses aspects externes - selon un

procédé bien connu des juristes - a ainsi permis au législateur

suisse, sur trois plans difiérents, d'opérer un compromis équitable

entre les préoccupations souvent contradictoires que suscite le

régime matrimonial.Sur Ie plan du droit international privé, il est juste de rappeler,

en outre, que le législateur fédéral de r8gr n',avait guère le choix

des moyens: il ne pouvait pas, contrairement au législateur alle-

mand, à peu près à la même époque, recourir aux deux institutionsdu contrat de mariage et du registre des régimes matrimoniaux

(voyez à ce sujet l'art. 16 EGBGB: <le régime matrimonial légal

èttåtrg"t est assimilé à un régime matrimonial conventionnel >).

Comme l'a bien rappelé Mutzner, dans une intéressante étude de

:rgz:-.,Ia plupart des cantons suisses ignoraient I',institution du con-

tiat de mariage, ou ne I'admettaient que dans d'étroites limites. IIfaltait donc trouver autre chose. ce fut la distinction entre le régime

matrimonial interne et 1e régime rnatrimonial externe, le premier

restant (ou, mieux, þouaønt rester) soumis au droit applicable avant

le changement de domicile, dans l'intérêt d.es époux; le second étant

soumis, dans I'intérêt des tiers, au droit du nouveau domicile'

Le critère de cette distinction tout à fait fondamentale, il con-

vient de le préciser ici, n'est pas la nature de telle ou telle relationjuridique. Pour procéder à ce partage, et par conséquent pour

I Cf. MutzxBn, Pp. r33-r37.

rB nÉcrup MATRTMoNTAL DES Érn¿.xcBns 83

r Cf. Sr¡urr¡n, øit rgf zo, N. 4 ss.

Page 10:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

B4 PIERRE LALIVE

Autre exemple: quand bien même le mari n'aurait pas le droit,vis-à-vis de sa femme, de disposer seul de certains biens en vertudu régime matrimonial interne, soumis au droit étranger, il accom-

plira néanmoins vis-à-vis des tiers un acte de disposition valable,

sans l'approbation de sa femme, si le droit du nouveau domicile,

applicable au régime matrimonial externe, Ie permet.

Autre exemple encore, qui concerne celui-ci le bénéfice éventuel

à la liquidation du régime matrimonial: on sait que, dans certains

régimes matrimoniaux de droit interne, il y a lieu à répartitiondu bénéfrce entre les époux, après paiement des dettes et prélève-

ment des apports (cf. par exemple I'att' zt4 CCS). Le partage entre

époux de ce bénéfice est une question interne, soumise par consé-

quent au droit étranger. En revanche, l'existence d'un bénéfice lors

de Ia liquidation est une question de régime rnatrimonial externe,

à trancher par application du droit suisse du domicile actuel, parce

que la présence d'un bénéfice ou d'un déficit à la liquidation dépend

des prétentions des créanciers envers les deux patrimoines des

époux.

On mesure par ces quelques exemples combien les deux aspects,

interne et externe, du régime matrimonial d-emeurent liés. Une

question se présente aussitôt à l'esprit: est-il waiment possible de

séparer ainsi, en toutes circonstances, les aspects complémentaires

d'une même réalité sociale? N'est-on pas contraint, dans certains

cas, de renonceràcette chirurgie juridique? Nous verrons plus loin,

en abordant le régime légal extraordinaire (de Ia séparation de biens)

Ia réponse que la doctrine et, dans une certaine mesure, la juris-

pmdence nous proposent.

Signalons enfi.n Ia règle expresse de l'article rg, alttnéa z:

< Dans leurs rapports avec les tiers, les époux sont soumis à la

législation du lieu de leur domicile; cette iégislation fera seule

règle, en particulier, quant aux droits de la femme vis-à-vis des

créanciers du mari en cas de faillite de ce dernier ou de saisie

pratiquée contre lui. >

Certes, cette disposition dissipe toute équivoque dans le cas

précis de la faillite du møri. Mais que faut-il en conclure dans l'hypo-

rB nÉcrlro MATRTMoNTAL ons Érn¡ucens g5

thèse inverse, quant aux droits du mari vis-à-vis des créanciers d.eIa femme lo¡s de la failIite de celle-ci? L'interprétation restrictiveet a contrørio de l'article 19, alinéa z, LRDC doit être rejetée.

Un exemple illustrera les conséquences qu,aurait une telleinterprétation: des époux américains, soumis au régime de la sépara-tion de biens, transfèrent leur domicile des Etats-unis en suisse.Selon les principes qui viennent d'être indiqués, leur régime internedemeure celui de la séparation; leur régime externe, en revanche,tout au moins en l'absence d'un contrat de mariage choisissant unautre régime matrimonial, sera le régime légal ordinaire, celui del'union des biens. Supposons que Ia femme exploite, d.e manièrerégulière, un commerce, lequel tombe en faillite. L'interprétationa contrørio de l'article 19 conduirait à appriquer ie droit américainaux relations entre le mari et les créanciers, c'est-à-dire le régimede la séparation de biens. L'ensemble du patrimoine féminin tom-berait dans la masse, sans objection possible de la part du mari.Si l'on applique au contraire à ce cas le droit du dãmicile suisse(en tant que droitbiens féminins tomsomptions du Code

z. Mutøtion du régime externe et droits né,s øntérieurement

Par l'application impérative du droit suisse au régime matri_monial externe, dans le cas de l'établissement d,époux étrangersen suisse, la loi de r8gr protège les créanciers locaux et la sécuritédu commerce. Elle n'entend pas sacrifier pour autant les droitsobtenus par un époux en vertu du régime matrimonial antérieur

1Cf. ATF 36.IL6r8; ++.II'SZS.

Page 11:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

B6 PIERRE L,{LIVE

(régime étranger qui a pu, on l'a I'u, rester le régime matrimonial'

àoLoirrs interne, des époux). C'est ce qu'a bien indiqué le Tribunal

fédéral, dans un arrêt Schol'er'L

Il s,agissait d.'époux allemands venus s'établir à Bâle oìr le mari

vint à tómber en faillite. La femme ayant produit une créance

pour ses apports, la masse en faillite repoussait cette prétention pour

ie motif, notamment, que seuls auraient pu être réclamés comme

apports les biens encore existants au moment du transfert du domi-

"ilã "r Suisse; or celui-ci avait eu lieu peu avant la faillite, au mo-

ment oìr tout le patrimoine féminin était déjà presque totalement

dissipé.ia Cour d'appel de Bâle avait jugé que, lors du transfert du

domicile de I'étranger à Bâle, le régime bâtois de la communauté

universelle avait remplacé à l',égard des tiers l'union des biens exis-

tant jusque-là, mais que la prétention de la femme en restitution

de ses apports, ou sa créance pour Ia valeur des apports non repré-

sentés, "té"tr""

née du régime matrimonial antérieur (allemand)

de l,union des biens, s'était incorporée au régime matrimonial de

la communauté, en vigueur à Bàle. La créance pouvait donc être

produite dans la faillite et y être privilégiée (selon l'art' ztg de Ia

loi fédérale sur la poursuite pour dettes).

De l'avis du Tribunal fédéral, la Cour bàloise n'a pas violé le

droit fédéral en procéd.ant de cette manière, et en rejetant l'argu-

ment selon lequðt les apports avaient matériellement dispam lors

du transfert du domicile. Que I'on nous permette de citer ici au

moins un motif de l'arrêt:

<Enliantauchangementdedomiciledesépouxl'applicationdu droit du nouveau domicile, la LRDC de r8gr n'a pas voulu

par là supprimer purement et simplement les droits obtenus

p"r o.r épãux en vertu du régime matrimonial antérieur. Tout

au contraire ces droits doivent et peuvent être protégés aussi

sous I'empire du nouveau régime matrimonial, pourautantque

sa nature le permet et d'une manière correspondante' >

On voit que le droit international privé suisse des régimes matri-

moniaux, tout comme le droit interne, s'efforce de protéger, en les

1Du to d.écembre rgro; ATF 3ó.II'616'

rp nÉçrun MATRTMoNTAL DES Érn¡ucBns 87

conciliant, les divers intérêts en présence, soit, dans re cas du trans-fert du domicile d'un pays étranger en Suisse, les intérêts des épouxet les intérêts des créanciers du nouveau domicile.

" :ilj:'.:iå:lllïï:äï,':3J;:r.:nj:C lcomme ils le sont, en droit

"i..il i.rt.*",par les articles rBB et r7g, alínéa 4 CCS, et comme ils l,ont été endroit transitoire, par 1,article rr du titre final). Cette protection

(nous nous bornerons à cette indication) ne leu, est pa's "rro.¿.,comme on pourrait le croire, par l,article er de la loi de r89r. Selonla doctrine, cette disposi_tiona été remplacée par la régremántation,

meilleure, donnée pr1 l1 législateur ae igo7, cLst_à_dirã par l,articlerr, Titre final, combiné avec l,article ,ég CCS.,

3. Controuerse sur lø l,oi øþþticøbl,e øu régime interneLes couples étrangers qui transfèrent leur domicile conjugal deI'étranger en Suisse voient donc reurs rapports pécuniaires enversles tiers soumis au droit suisse, qu'ils re veuilent ou non. Si cetaspect du probrème (principe de la mutabilité du régime

""L-"¡ne prête guère à controverse, il.n,en est pas de même ãn c" qui con_cerne le régime matrimoniar inúerne, au sujet duquer ra dioctrinesuisse est fort divisée, et ia jurisprud.ence peu nette. on s'accorde àreconnaître que ce régime est soumis au droit étranger, mais duquels'agit-il? S'agit-il du droit du premier domicile con'jugar a".?poo*étrangers, ou du droit du de ierd.eux

urL u.r crenuer ger? Supposons

domi eu leur Premier

ce do -À^ ^--^r ' rh transfèrent

dans rès quelques années, s,établissentit international privé suisse, ledroit applicable à leur régime matrimoniar interne? Est-ce le droitfrançais, est-ce le droit allemand?

Que nous dit, à ce sujet, la LRDC de r8gr? On a vu que, dansle titre troisième reratif aux étrangers en suisse, elle ne contientqu'une clause d'analogie (ayt..3z). Àussi peut_on songer à appliquerdeux dispositions de cette loi:

1 Sreurnen, ad zr, N. z; Lrr-vrn, N. 7z

Page 12:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

B8 PIERRE LALIVE

ø) cel7e de l,article rg¡ alinéa premier, dans Ie titre premier (relatif

aux ressortissants suisses établis en Suisse hors de leur canton

d'origine). Cet article prévoit que

< les rapports pécuniaires des époux entre eux sont soumis'

pou, tåute la durée du mariage, à la légistation du lieu du

premie, domicile conjugal, alors même que les époux auraient

dans la suite transféré leur domicile"' >

b) L'autre d.isposition est celle de l'article 3r, au titre deuxième

(relatif aux rapports de droit civil des Suisses à l'étranger)'

article dont l'alinéa 3 disPose:

<Lesépouxsuissesquitransfèrentleurdomiciledel,étran.ger en Suisse continuent à être soumis, en ce qui concerne

Lors ,"pports entre e17x, a'w régime qui I'eur étøit aþþl'icøble

à. l'étranger--. rt

L'opinion de plusieurs auteurs, tels que Meili' Carl Wieland'

Gautschi, et plus récemment Schnitzer, est qu'il faut appliquer

par anatogi", åo* étrangers qui transfè-rent leur domicile de I'étran--g",

"r, soi..", Ies règles relatives aux Suisses établis en Suisse hors

äe leor canton d'origlne, soit celles du titre premier (art. rg.de la loi).

Il en résulte que lã régime matrimonial interne de ces époux est

régi par Ia Loi d'u premier d'omicil'e coniugø|, qui n'est pas-nécessai-

re[ent celle du pays oÌr les époux étaient domici]iés immédiatement

avant leur établissement en Suisse'

Pour une autre partie de la doctrine, qui est celle de ìVlutzner'

de Stauffer, et du iommentaire bernois de Gmür puis de Lemp,

il faut au contraire appliquer par analogie I'article 3r' alinéa 3'

LRDC.LeTégimematrimonialinternedesépouxcontinueraitdoncà être soumis au droit étranger qui lui était immédiatement applica-

ble avant le transfert du domicite en Suisse, c'est-à-dire Ie d'roit du

dernier dornicile étrønger des époux'

Dans l'exemple, cìté plus haut, d'époux étrangers domiciliés

d'abord en France, puis en Allemagne, puis enfin en Suisse' on voit

que cette seconde théorie conduitalors que la Première entraîne l'qu'il faut entendre exactement

"]lemand > en de tels cas sera précisé plus loin')

LE REGIME MATRIMONIAL DES ETRANGERS B9

Quant à la jurisprudence, et en particulier celle du Tribunalfédéral, elle semble prêter appui tout à tour aux deux opinions.Le Tribunal fédéral a certes usé à plusieurs reprises de l'expression< loi du premier domicile conjugal r, mais ceci dans des cas oìr ce

premier domicile étranger était aussi le dernier domicile étrangerdes époux avant leur établissement en Suisse. Le Tribunal fédéraln'avait donc pas à choisir entre les deux thèses et le langage de ses

décisions est par conséquent sans portée dans le débat.Dans ce débat déjà fort ancien, il nous semble que l'on peut et

que l'on doit prendre parti, sans hésitation, en faveur de la loi dudernier domicile étranger. Ceci pour les raisons suivantes:

t. La LRDC est indicutablement fondée, quant au régime matri-monial, sur le principe du domicile. Le législateur de r8gr avoulu, par la référence de l'article 32, appJiquer aux étrangersdomiciliés en Suisse des princþes analogues à ceux qui sontédictés pour les Suisses domiciliés en Suisse. Or, comme I'a fortbien démontré Mutzner, la même loi distingue, à propos durégime matrimonial interne, deux hypothèses: ø) celle des Suis-ses ayant eu et conservant leur domicile à l'intérieur de la Suisse;b) celle des Suisses ayant transféré leur domicile de l'étrangeren Suisse (qu'ils aient eu ou non auparavant leur premier domi-cile en Suisse).

L'article 19, alinêa rer, répond à la première hypothèse:application de Ia loi du premier domicile conjugal. L'article 3r,alinéa 3, répond à la seconde hypothèse: continuation du régime(interne) qui était applicable à l'étranger.

z. Dans son < Manuel > 1, M. Schnitzer considère comme erronéel'application de l'article 3r LRDC, car il ne concernerait < évi-demment r que les Suisses à l'étranger. Cet argument est peu

convaincant. I1 est wai que l'article 3r ne concerne que les Suisses

à l'étranger, mais I'article 19, lui, ne concerne que les Suisses

établis en Suisse. Ceci n'empêche nullement, étant donné l'ab-sence de règles spécifiques pour les étrangers, une applicationpar analogie, en vertu de I'article 32, de l'une ou de l'autre deces dispositions. L'objection n'est donc pas pertinente.

1 4" édition, vol. I, p. 434.

Page 13:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

9o PIERRE LALIVE

3. Selon M. Schnitzer, le rattachement at d'ernier domicile à l'étran-ger serait mal fondé pour cette raison déjà que ce domicile peut

n'être pas du tout le premier domicile conjugal (ce qui est wai);or le princþe de l'immutabilité du régime interne ne signifleraitque la continuité de ce premier domicile conjugal. Cette affir-mation nous paraît équivoque, et ne pas justifier en tout cas les

conséquences qu'on en déduit. L'immutabilité du régime matri-monial interne, voulue, ou plutôt permise, par le législateur

suisse, signifre que le transfert du domicile de l'étranger en Suisse

n'entraînera pas automatiquement, inter þartes, une mutationdu régime. Or ce but ne serait pas atteint avec le système de

Meili, Wieland et Schnitzer, dans le cas, déjà envisagé, oìr

les époux ont eu des domiciles dans deux pays étrangers avantde s'établir en Suisse et oìr (par hypothèse) le premier chan-

gement de domicile aurait entraîné déjà, selon la loi du second

pays étranger en cause, une mutation du régime matrimonialinterne.

Reprenons l'exemple déjà cité: des époux étrangers ont eu leur

premier domicile conjugal en France, domicile qu'ils ont transféré

en Allemagne, puis enfin en Suisse. Supposons que ces époux aient

été soumis, du point de r.'ue interne toujours, à la loi française en

France, et à Ia loi allemande en Allemagne. L'application par ana-

logie de l'article 19, aJinéa rer, LRDC, soit de la ioi du premier

domicile conjugal, entraînerait donc, Iors de l'établissement des

époux en Suisse, un nouveau bouleversement de leur régime interne.

Ce n'est certes pas là le sens juste de la loi ou du principe de l'immu-tabilité du régime interne.

La conclusion paraît ainsi s'imposer: les étrangers qui transfè-

rent leur domicile conjugal de l'étranger en Suisse sont soumis,

quant à leur régime matrimonial interne, au droit étranger, c'est-

à-dire au droit de leur domicile (immédiatement) antérieur.

4. Sens d,es termes << d,roit étrønger >t; renuoi

Cette règle une fois posée, il convient d'en préciser le sens. Par

< droit étranger >, faut-il entendre le droit civil interne du pays de

domicile quant aux relations pécuniaires des époux? Ou faut-il

rB nÉcruB MATRIMoNTAL DES Érn¡NcBns 9r

entendre, plus largement, tout système de droit indiqué par lesrègles de rattachement du domicile étranger? On a reconnu icil'éternelle question dtt renaoi (laquelle se pose aussi, bien entendu,dans la théorie qui préfère au domicile antérieur le premier domicileconjugal).

On connaît les objections classiques contre Ie renvoi. Dans lecas du régime matrimonial des étrangers, on voit mal pourquoi larègle de conflits suisse devrait s'interpréter différemment selon queles époux étrangers ont leur premier domicile conjugal en Suisse(cas dans lequel Ie rattachement au domicile ne peut, cela va de soi,que désigner Ie droit matériel suisse) ou selon que ces étrangers ontleur premier domicile conjugal à l'étranger (cas dans lequel ia règlede conflits suisse, rattachant au domicile, devrait aussi désigner leseul droit matériel étranger). Quelles que soient les raisons théoriquesde rejeter la fameuse Weiteruerueisung, des considérations pratiquesconduisent à laisser une certaine place au renvoi: lorsque le droitdu domicile étranger (applicable en vertu de la règIe de rattache-ment suisse) < renvoie > la question du régime matrimonial à unautre droit étranger, lequel se reconnaît compétent en l'espèce, ledroit suisse a toutes les raisons de tenir compte d'un tel fait.l Enpratique, la question se présentera d'autant plussouventpournousque plusieurs des Etats voisins de la Suisse rattachent le régimematrimonial à la loi nationale (c'est le cas des Etats parties à laConvention de La Haye de r9o5).

Un exemple illustrera ce petit problème: des Italiens se sontmariés en Allemagne. Ils s'établissent plus tard en Suisse. Selonles règles énoncées plus haut, leur régime matrimonial interne estrégi par le droit de leur domicile (domicile antérieur qui est ici, enmême temps, leur premier domicile conjugal).

En cas de litige entre ces époux, le juge suisse dewait-il leurappliquer les règles du droit matériel allemand, c'est-à-dire duBGB, alors que, selon le droit international privé allemand commeselon le droit italien, ce sont les règles du code civil italien sur lerégime matrimonial qui sont applicables?

On trouve une confrrmation de ce point de vue dans le fameux

r Cf. WrBr-¡r.rp, p. 5r.

Page 14:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

92 PIERRE LAIIVE

arrêt fendu par la Cour de justice civile de Genève1, et conûrmépar le Tribunal fédéral en r9r82, dans l'afiaire des époux d,e Uri-ba,rren, époux espagnols (ou plus exactement hispano-suisses, maiscela ne joue pas de rôle ici) mariés à Paris en r9r3 sans contrat demariage. Les époux s'étant établis à Genève, et leur séparationde corps ayant été prononcée, la liquidation de leur régime matri-monial faisait l'objet d'une instance spéciale. La liquidation matri-moniale des biens, après divorce ou séparation de corps prononcéeen Suisse, considérée par une jurisprudence constante comme rele-vant des effets du d.ivorce, est soumise au droit suisse. Selon lesarticles rB9 et r54 CCS, la liquidation après divorce se fait, on lesait, sans considération du régime matrimonial. La déterminationdu régime matrimonial interne des époux de Uribarren ne pouvaitdonc avoir d'intérêt qu'en ce qui concerne la répartition d'un éven-tuel bénéfice (art. rB9, al. z, CCS).

La Cour de justice civile, recherchant à l'instar de la jurispru-dence française la loi tacitement adoptée par les parties, avait con-sidéré que les époux étaient soumis au régime espagnol de la sociétéd'acquêts, comme le soutenait le mari, et non pas au régime légalfrançais de la communauté. Dans son ar¡êt du z7 novernbre r9r8,le Tribunal fédéral - suivant sa jurispmdence constante, de plus enplus attaquée par la doctrine contemporaine, soit dit en passant -s'est interdit de contrôler I'application faite par l'instance cantona"ledu droit étranger (c'est-à-dire en l'espèce du droit international privéfrançais). Un considérant de son arrêt mérite cependant d'être cité:

< ... Dans le cas particulier, il s'agissait ainsi de dêterrniner, enaertu du droit françøis, le régime matrimonial auquel les épouxde Uribarren étaient soumis en France; c'est ce qu'a fait l'ins-tance cantonale... >

III. LIMITES A L'APPLICATION DU DROIT ÉTNENCBR

L'application du droit étranger au régime matrimonial internedes époux venus s'établir en Suisse est soumise à diverses limites.

1 SJ r9r8, p. 42r, du zr juin r9r82 ATF 44.II.453, du z7 novembre r9r8 : JT rgrg.Lg3 : SJ rgrg, p. 8r

rB nÉcrue MATRIMoNTAT DES ÉTRÀNGERS 93

En certaines circonstances (nous y avons déjà fait allusion),régime matrimonial interne et régime matrimonial externe sont siétroitement liés que la distinction ne peut plus être maintenue sansentraîner des résultats absurdes. Tel est le cas, par exemple, lors-que intervient la séparation de biens comme régime légal extraordi-naire.

t. Le régime légø1, extraordinøire

La question, eui a été particulièrement étudiée par Carl Wie-land 1, est d'un vif intérêt et mériterait plus de développementsqu'il n'est possible de lui en donner ici. Bornons-nous à rappelerque les époux étrangers venus s'établir en Suisse sont soumis àI'égørd, des tiers, faute d'avoir fait un contrat de mariage choisis-sant un autre régime, au régime légal ordinaire suisse de l'union des

biens. Ceci quel que soit leur régime matrimonial interne. En casde faillite ou de saisie d'un des époux, les règles du Code civil s'appliquent.

Puisqu'il en est ainsi, ces époux ont droit aux sûretés et garantiesque leur ofire le régime suisse (externe); la femme peut donc exigerles sûretés prévues à l'article zo5, alttnéa z CCS (même si son régimeinterne ne le lui permettait pas). Si cette demande de sûretés estrégie par la loi du domicile actuel (la loi suisse), comment pourrait-il en être autrement de la garantie la plus eftcace de toutes, leprononcé de la séparation de biens judiciaire? Si la demande de

sûretés (de I'art. 2o5 CCS) est soumise au droit suisse du domicileactuel, il doit logiquement en être de même de la séparation de biensjudiciaire de l'article rB4, chiffre 3, CCS, requise par le mari parceque la femme a demandé ces sûretés pour ses apports. De même pourla séparation de biens prononcée par le juge à la demande de lafemrne, dans le cas de I'article rB3, chiffre z, CCS,lorsque le marine fournit pas les sûretés requises.

La même conclusion doit être admise pour la séparation de bienslégale, de l'article ¡Bz CCS, lorsque les créanciers d'un des épouxsubissent une perte dans sa faillite. Peut-on imaginer, en efiet, r:ne

I Pages 63 et ss.

Page 15:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

'- - -..T-

94 PIERRE LALIVE

séparation de biens intervenant ex l,ege en un tel cas et n'ayantd'effet que du point de vue externe?

C'est pourtant ce que le Tribunal fédêral n'a pas hésité à envi-sager, dans un arrêt assez ancien, I'arrêt Ammønn, dans un casintercantonal.r

On mesure sans peine le peu d'utilité d'une séparation de biensde ce genre, purement externe, qui laisserait au mari toute possi-bilité de disposer des apports féminins, selon le régime matrimo-nial interne, et par conséquent de les dissiper à sa guise. Ce < rap-port formel >, dit l'arrêt, < aux effets seulement extérieurs >, place-rait la femme dans une situation tout à fait inéquitable, qui n'a puêtre voulue par le législateur.

D'autres arguments encore, comme le caractère inconciliablede cette solution avec le système du registre des régimes matrimo-niaux (cf. art. z4B,alíné,a premier, CCS), ou bien l'application paranalogie du droit transitoire des règles du Titre final sur les conflitsde lois dans le temps, concourent à justifrer la solution contraire,adoptée déjà par un arrêt de la Cour d'appel de Bâle du 16 octobrer9o8, et par la plupart des auteurs suisses, dont Carl Wieland etStauffer: dans Ie cas du régime légal extraord.inaire, les circonstancesqui justifiaient le maintien du régime matrimonial interne de droitétranger ont disparu; Ia distinction entre régime interne et régimeexterne doit être abandonnée, et le droit suisse du domicile actueldoit s'appliquer exclusivement.

Ces conclusions sont confirmées, notamment, par un importantarrêt du Tribunal f.êdéral, l'arrêt Salaisberg, du z féwier tgzt.zBien que, dans cette affaire, le mari ait eu la nationalité suisse, et lafemme la nationalité française, les principes de l'arrêt ont exacte-ment la même portée pour les couples étrangers ou pour les couplessuisses, lorsque les uns et les autres ont transféré leur domicile del'étranger en Suisse et se sont soumis, quant à leur régime matri-monial interne, au droit étranger.

Le couple Salvisberg s'était marié en France où était établi lepremier domicile conjugal. Un contrat de mariage prénuptial

LE REGIME MATRIMONIAL DES ETR-A.NGERS 95

établissait entre les époux le régime français de la communautéd'acquêts (art. r49B c. civ.). Le contrat contenait l'estimation des

apports respectifs et prévoyait qu'en cas de dissolution de la com-munauté l'estimation ferait règle. Au cours du mariage, le marivendit, avec I'accord de sa femme, une usine appartenant à celle-ci,et pour un prix de zo ooo francs inférieur au prix d'estimation ûxéau contrat de mariage. Les époux ayant transféré leur domicileen Suisse, le mari intenta, en r9rg, une action en divorce. La femmedemanda alors la séparation de biens, ses apports lui paraissantcompromis.

Le Tribunal de Berne prononça la séparation de biens et ordonnaau mari de restituer les apports féminins en nature, ou à défautd'en payer le prix d'estimation fixé contractuellement. Le mari fitappel, soutenant que c'était le droit suisse, et non pas le droitfrançais ou le contrat de mariage conclu sous son empire, qui devaitrégir la liquidation (cf. art. r54 et rB9 CCS). Par conséquent, lemari prétendait n'avoir à restituer que le prix de vente effectif de

l'apport aliéné par lui, et non pas le prix d'estimation contractuel.A la suite de Ia Cour d'appel de Berne, bien que pour des

motifs légèrement différents, le Tribunal fédéral a jugé que le droitsuisse était applicable à la liquidation du régime matrimonial, nonseulement dans le cas du divorce, mais d'une manière toute géné-

rale lorsqu'intervient le régime légal extraordinaire. Le Tribunalfédéral tire argument des dispositions du Code civil, en particulierde l'article 9, Titre final, sur I'application du droit røtione temþore,

pour mettre en doute Ia possibilité, qu'il avait admise dans l'arrêtAmmønn de r9o8, d'une séparation de biens concernant les seules

relations internes entre époux et soumise au droit étranger.Le fait que les époux avaient prévu dans leur contrat un autre

mode de règlement que celui du droit suisse est sans importance,selon l'arrêt, puisque ie droit suisse, applicable à la liquidation,refuse expressément de tenir compte du régime matrimonialexistant et des accords passés entre parties (cf. art. rg{, sauf en ce

qui concerne la répartition du bénéfice). On notera à ce propos que,

dans l'arrêt de Uribørren, - affaire oh il s'agissait cependantd'époux étrangers mariés søns contrat - 7a Cour de justicede Genève avait observé que les époux n'avaient pas de droit

l ATF 34.I.735, critiqué par Wieland, p. 68.¿ ATF 47.II.6 : JT r92r.L354.

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96 PIERR-E LÁIIVE

acquis à la Jiquidation du régime matrimonial selon les règles de ce

dernier.On voit que I'arrêt Salvisberg consacre une dérogation impor-

tante au principe de l'immutabilité du régime matrimonial interne.Il nlest pas impossible d'imaginer qu'un époux étranger, soucieuxd'échapper aux règles du droit étranger de son domicile ou à cellesd'un contrat de mariage conclu à l'étranger, vienne établir en SuisseIe domicile conjugal pour y proflter de l'application du droit suisseà la séparation de biens. Hypothèse théorique, dira-t-on, qui sup-pose chez f intéressé des connaissances peu coÍrmunes de droitinternational privé ! L'exemple Salvisberg montre pourtant l'inté-rêt pratique que peut avoir l'un des époux au transfert du domicileet à l'application du droit suisse à la séparation de biens et à laliquidation du régime matrimonial. Si une manæuvre de ce genreétait établie dans un cas d'espèce, il est permis de penser que les tribu-naux sauraient y répondre en recourant àla notion de fraude à la loi.

En résumé, l'application du droit étranger aux relations pécu-niairesinternes des épouxvenus s'établir en Suisse est limitéed'abordpar l'impossibilité qui existe, dans certains cas, d'un point de vuepratique et théorique, de maintenir la distinction entre le régimematrimonial interne et le régime matrimonial externe. Ainsi dansle cas du régime légal extraordinaire, auquel la doctrine ajoute(en se fondant surtout sur l'application de I'art. g du Titre fnal,par analogie r) le cas des biens réserves et certaines questions decontrat de mariage.

z. Lø liquidøtion øþrès d,iaorce

Rappelons de plus, en passant, que le droit suisse, droit dudu nouveau domicile, s'applique exclusivement à la liquidationdu régime matrimonial après un divorce þrononcé en Suisse, cetteliquidation étant considérée comme un effet accessoire du divorce.Il en résulte entre autres que le juge suisse ne serait pas compétentpour statuer sur la liquidation du régime matrimonial d'épouxétrangers domiciliés en Suisse mais divorcés à l'étranger.2

rCf. Sr¡urrsn, N. rz; Murzrrrnn, das intertemp. eheliche Güterrecht, Revuede Droit suisse, ZSR 34, rgr1.

¡ Cf. Bncx ad, aúicle 7 h, ñ. gz.

r.B nÉcrrvrp MATRTMoNTAL DES ÉTRANGERS 97

Cependant, même en cas de liquidation du régime matrimonialaprès divorce ou séparation de corps, ce n'est pas le droit suisse,

mais bien Ie droit étranger applicable au régime matrimonialinterne qui régira la reprise des biens entre des conjoints étrangers

mariés sous le régime de la séþøration. Dans un intéressant arrêtTreskou 1, confrrmé dans un anêt Col'|,ø 2, le Tribunal fédéral a

précisé que l'article r54 CCS < n'institue Ia reprise des biens que pour

autant qu'il s'agit de biens matrimoniøwx, ce qui n'est pas Ie cas

dans le régime matrimonial de la séparation de biens >.

3. L'ord.re þubli'c suisse

Ces dérogations au principe de l'immutabilité du régime matri-monial interne ou, si I'on préfère s'exprimer autrement, I'applica-tion exceptionnelle du droit suisse même aux relations pécuniaires

internes des époux étrangers venus s'établir en Suisse sont justiûées

aussi, dans quelques ar¡êts et dans la doctrine, par l'ord,re þubl'icsuisse.

Staufier, par exemple, consid.ères que les articles du Code civilsur le régime légal extraordinaire et les biens réservés, en tout cas

(voire aussi quant au contrat de mariage), sont des règles < devantlesquelles le droit étranger doit s'écarter, ou tout au' moins être

appliqué très étroitementr. L'ordre public, ou, selon l'excellenteappellation de Schnitzer, la < réserve d'incompatibilité >, intervien-drait pour imposer I'application du Code civil dans ces domaines,

même aux relations pécuniaires internes.Il est douteux qu'une justifrcation aussi sommaire puisse encore

être maintenue aujourd'hui. Comme le rappelait le Tribunal fédéral

au mois de mars derniera, la notion de I'ordre public s'est beaucoup

précisée en un demi-siècle, en particulier dans ces dix dernières

années. Depuis l'arrêt Ha.øker6 et la dernière édition du remar-

quable commentaire de M. Schönenberger (N. rro), la théorie ditede I'efet þosittf de l'ordre public peut être considérée comme dépas-

LTreshou, ATF 38.II.48 : JT r9r3.I.455.2 Aoila, -LTI' 4o.II.3o8 : JT r9r4.I.5oo.s ad rglzo, N. rz, 49; cf. Leue, N. 65, 78.a Gølti.er contre Fi.nh : ATF 88.II.r, SJ 1962, p. 3536 ATF 84.I.rr9 : JT r959.I.2r5.

Page 17:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

98 PIERRE LAIIVE

sée, et les tribunaux ne manqueront pas d'être plus réservés qu'àl'époque de Stauffer dans le recours à la notion d'ordre public.

A notre avis, cette dernière justification n'ajoute rien aux motifspour lesquels régime matrimonial interne et régime matrimonialexterne des époux étrangers doivent être soumis, dans certainscas, au même droit, lequel ne peut être que celui du nouveau domi-cile, c'est-à-dire le droit suisse. L'ordre public doit être strictementcantonné dans son rôle propre, celui d'une réserve d'incompatibilité,exceptionnellement nécessaire lorsque la norme de droit étrangerapplicable en vertu des règles de conflits suisses produirait en l'es-pèce un résultat inconciliable avec notre ordre juridique.

4. Le ca.ractère føcwltøt'íf d,e l,'immutabil,ité d,u régime interne

Les observations qui précèdent seraient incomplètes si l'onn'ajoutait que le principe de l'immutabilité des rapports internesn'a rien d'obligatoire. Consacré dans I'intérêt des époux et de lastabilité du statut matrimonial, ce principe est même, peut-ondire, doublement facultatif.

a) Ad.oþtion il'un øutre régime interne étrønger

La première possibilité de changement est assez peu connue et,sans doute, fort peu utilisée: les époux peuvent adopter, toujoursen ce qui concerne leurs relations pécuniaires internes, un autrerégime étranger. Ils peuvent donc, par un contrat de mariage,choisir d'être soumis à un autre régime matrimonial; ceci, bienentendu, pour autant que le droit du dernier domicile étranger leleur permet, et dans les limites de l'ordre public suisse. 1 Ce contratde mariage, par définition postnuptial, sera donc soumis, quant àson admissibilité de principe, quant à son contenu, à ses effets, etmême à sa forme, au droit étranger (du dernier domicile étranger);mais I'approbation de l'autorité tutélaire suisse est nécessaire mêmedans ce cas, selon une doctrine unanime, qui se réfère en général,brièvement, à l'ordre public. La nécessité de cette approbationen un tel cas ne nous paraît pas démontrée, quelle que soit l'opinionque l'on ait sur l'efficacité de la protection ofierte aux époux, endroit interne, par l'article r8r, alinéa z, CCS.

1Cf. Sreurrae ail tg-zo, N.+7, +g; Lrur, N. 78.

r,B nÉcruB MATRIMoNIAT oBs Érn¿'uepns 99

Une question délicate et plus théorique que pratique pourraitse poser ici, qu'il est superflu d'examiner dans le cadre de cetteconférence, celle de savoir si, et à quelles conditions, les épouxétrangers peuvent, non seulement adopter un autre régime matri-monial interne prévu par le même droit étranger, mais aussi adopterpar exemple un régime matrimonial de droit allemand après avoirété jusqu'alors soumis à un régime matrimonia-lde droit français.

b) Ad,oþtion d'un régime interne suisse

La deuxième possibilité de changement est bien connue: l'arti-cte zo LRDC, confirmé du reste par l'article 3r, alinéa 3, ofire auxépoux qui changent de domicile la faculté, avec I'assentiment del'autorité compétente, d'adopter < également pour leurs rapportsentre eux la législation du nouveau domicile, moyennant une décla-ration commune faite en ce sens à l'office cantonal compétent r.(On sait que, à Genève, aucune loi ne désþe cet < oftce cantonalcompétent >; en l'absence d'une telle législation, la Chambre des

tutelles peut sans doute être considérée comme tenant lieu d'offi.cecompétent en cette matière, le registre des régimes matrimoniauxn'ayant pas pour mission de s'occuper de questions de régime matri-monial interne.)

Les époux peuvent ainsi réaliser une sorte d'uniûcation des régi-mes matrimoniaux inte¡ne et externe, soit par la déclaration com-mune prévue à l'article zo, soit aussi par un contrat de mariage(lequel est possible même au cas otr le droit étranger régissant leurrégime matrimonial interne n'admettrait pas un contrat de mariagepostnuptial).

Le législateur suisse a donc voulu, on le voit, en matière de

conflits de lois dans l'espace comme en matière de conflits de loisdans le temps (cf. l'art. g, aL.3, Titre final), favoriser la suppression

de cette curieuse divergence de statuts juridiques des relationspécuniaires de l'union conjugale. En poursuivant ce but, ce légis-lateur ne se soucie pas, et ne peut guère se soucier, de savoir si les

effets de la déclaration commure de l'article 20, c'est-à-dire d'unesoumission du régime matrimonial interne au droit suisse, serontreconnus ou non dans le pays d'origine des époux. Il est clairque si ce pays soumet le regime matrimonial de ses ressor-

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7-

roo PIERRE LALIVE

tissants à ia loi nationale du mari, et s'il ignore d'autre part lamutabilité du régime matrimonial et Ia possibilité de contrat demariage postnuptial, il ne reconnaîtra point la situation créée enSuisse par ses ressortissants. Pour fâcheuses qu'elles soient, des

conséquences de ce genre ne peuvent être toujours évitées, dansl'état actuel du monde; au demeurant, la fréquence et la gravité detelles hy¡rothèses, dans la pratique, ne doivent pas être suresti-mées.

Un point doit être souligné: cette harmonisation des deux aspectsdu régime matrimonial, ou plutôt des deux droits applicables à l'unet à l'autre - harmonisation qui produit des effets rétroactifs - nepeut intervenir qu'à sens unique. Expliquons-nous: la LRDC der8gr permet aux époux étrangers qui ont pris domicile en Suissed'étendre à leur régime matrimonial interne le droit applicableau régime matrimonial externe, c'est-à-dire le droit suisse. Elle neles øutorise þøs à føire l,'inaerse, soit à étendre aux relations pécu-niaires avec les tiers, au régime matrimonial externe, le champd'application du droit étranger auquel leurs relations internes sontsoumises en vertu du principe de l'immutabilité.

Cette vérité peut paraître d'une aveuglante évidence à celui quisonge à Ia ratio l,egis de l'article 19, alinéa z, LRDC, aux exigencesde protection du crédit, de sécurité des transactions qui justifientle principe de l'application de la loi du nouveau domicile au régimematrimonial externe. Ii a fallu pourtant que le Tribunal fédéralrappelât cette évidence à des plaideurs, notamment dans un arrêtassez ancien, mais curieux, du tz mai r9ro, dans une affaireLa'rnþ'l L.

Les faits étaient les suivants: les époux Lamp'I, des peintresde nationalité allemande, se prétendant domiciliés à Berlin et àZttnch, s'étaient adressés à la justice pour obtenir l'inscription, auregistre des régimes matrimoniaux du canton de Zunc}a, d'un con-trat de mariage conclu par eux en Allemagne, inscrit au registrede Berlin, et instituant entre ies époux un régime matrimonialsubstantiellement différent du régime légal alors en vigueur àZu;rich (avant le CCS). Les demandeurs soulignaient que l'inscrip-

rB NÉCUTTB MATRIMONIÁ,L DES ÉTRANGERS TOI

tion requise était dans I'intérêt des tiers et ils se fondaient aussi sur le

principã de h réciprocité, reconnu par le droit zurichois comme par '

ie droit allemand en la matière, et sur la situation faite par le droit

international privé allema¡rd aux époux suisses domiciliés en Alle-

magne.

LeTribunalfédératajugéquel'inscriptionsollicitéeparlesépoux Lamp'l visait un but non admis par la loi, soit à opposer aux

cié"rrci"rs Ie droit étranger au lieu du droit local. Commentant les

articles 19, alinéa z, et zo LRDC,I'arrêt rappelle que f inscription

d,un contrat de mariage dans un registre des régimes matrimoniaux,

par sa raison d'être même (avertissement aux tiers, publicité) relève

ãxclusivement du régime matrimonial externe. Elle est donc sou-

mise au droit du domicile actuel. Etant donné cette règle de ratta-

chement suisse, seule applicable, les dispositions du droit internatio-

nal privé étranger sont sans importance. Il est impossible de sou-

tenii, conclut I'arrêt, que des Allemands en Suisse pourraient' par

une inscription, rendre leur régime matrimonial interne opposable

aux tiers. Si les recourants veulent que leur régime matrimonial

interne ait des effets à Zurich aussi à l'égard des tiers, ils n'ont d'autre

solution que de se soumettre aux dispositions du code civil de

Zunc]n.

Le même arrêt fonde te rejet de la d.emande d'inscription sur

deux autres motifs, indépendants, et qui méritent d'être cités en

passant: le Tribunal fédéral observe en outre que la demalde et

i" t".oorc doivent de toute façon être rejetés, parce que les époux

n'ont pas de domicile en Suisse, au sen's du droit suisse' Enfin, un

dernier considérant conclut l',arrêt Lamp',l sul une note d'humour,

peut-être involontaire: en demandant aux tribunaux zurichois

i'inscription de leur contrat de mariage au registre des régimes

matrimoniaux,

< Les époux Lamp'I demandent... quelque chose de juridique-

ment impossible car... il n',existe pas de registre des régimes

mat¡imoniaux dans le canton de Zurich. > 1

r ATF 36.I.252.

l La publicité des mutations matrimoniales était assurée, dans l'ancien droitzurichois, par la feuille ofñcielle et d'autres journaux'

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rro2 PIERRE LALIVE

IV. SUELgUES OUESTIONS DE CONTRAT DE MARIAGE

t. Contrøts conclus à l,'étrønger, øaønt l'établissement en Suisse

Sur la foi de l'ar¡êt Lamp'I, on serait peut-être tenté de croireque la seule possibilité offerte aux époux, à cet égard, est l'abandontotal du droit étranger et l'adoption d'un régime de droit suisse.Cette conclusion ne serait pas exacte. Les contrats de mariageconclus à l'étranger avant l'établissement des époux en Suisseþeuaent être rendus opposables aux tiers en Suisse, si certaines con-ditions sont remplies: il faut bien entendu f inscription au registredes régimes matrimoniaux et sa publication. Cela implique, outrele respect des diverses conditions posées à i'article ro de I'Ordon-nance sur le registre des régimes matrimoniaux, que le contrat ainsiconclu selon le droit étranger n'est pas contraire au système duCode civil. Il y a lieu d'appliquer ici. par analogie, l'article 39 deI'Ordonnance sur Ie registre des régimes matrimoniaux, du 27 sep-tembre tgro, et même, selon certains, I'articl.e ro du Titre final duCode civil (bien que cela paraisse tout à fait inutile). Cet article 39prévoit:

a Lorsque des époux suisses ont passé à l'étrangeruncontratde mariage valable d'après le droit qui y est en vigueur, cecontrat est opposable aux tiers en conformité des dispositionsde la loi étrangère.

Si les époux, lors de leur retour en Suisse, désirent faire ins-crire leur contrat au registre des régimes matrimoniaux de leurnouveau domicile, l'inscription doit être autorisée pourvu que lesconditions prér,rres à I'article ro soient remplies et que le contratde mariage passé en conformité de la loi étrangère ne soit pascontraire aux dispositions du Code civil relatives aux régimesmatrimoniaux. >

La condition de l'inscription au registre n'est pas, notons-le,que le contrat de mariage conclu selon le droit étranger soit à touségards conforme au Code civil ! Par exemple ce contrat peut fortbien avoir été conclu, à l'étranger, en une forme non authentique.Quant à son contenu, il suffit que le régime conventionnel étranger

LE RÉGIME MATRIMONIAI DES ÉTRANGERS ro3

soit compatible avec le système suisse. IJne certaine transpositiondevrait donc être admise, et il paraît trop restrictif d'affirmer,comme on le fait parfois, que seuls peuvent être inscrits les régimes

matrimoniaux < pré'urrs > par le Code civil. IJne fois I'inscription etla publication faites, ce sera du reste le Code civil, et non pas le

droit étranger, qui fera règle envers les tiers, c'est-à-dire, plus pré-

cisément, les dispositions du code qui correspondent Ie mieux au

régime matrimonial conventionnel adopté par les époux avant leurétablissement en Suisse.

La pratique administrative, reflétée par exemple par d'assez

nombreux avis de la Division fédérale de justice, a fait application à

plusieurs reprises de ces principes. Ainsi, des contrats de mariage

conclus par des Allemands et prévoyant la séparation de biens duBGB ont pu être inscrits au registre des régimes matrimoniauxsans difftcultés. Le préposé au registre des régimes matrimoniauxa dû d'abord s'assurer que le contrat était valable entre les époux,

ceci à la lumière du droit étranger (allemand). Cette validité une

fois établie, l'inscription du régime matrimonial de ia séparationde biens, tout court, et non pas de la séparation de biens du droitétranger, a pu être faite, les conditions de l'article 39,alinéa z,deI'Ordonnance sur le registre des régimes matrimoniaux étant rem-plies.

L'inscription du régime matrimonial conventionnel, ou plutôtdu régime matrimonial suisse correspondant le mieux au régime

matrimonial conventionnel étranger, n'implique d'ailleurs pas celle

de toutes les clauses du contrat. Certaines d'entre elles peuvent se

trouver incompatibles avec le Code civil, et leur inscription se révéler

par conséquent impossible. Ainsi d'une clause excluant par exemple

I'inscription et la publication du contrat. Dans un avis de rg32L,

la Division de justice a considéré qu'une clause de ce genre devaitêtre annulée (sic), ce qui supposait, selon elle, une modification ducontrat suivant I'article r8r et le respect des formes prér,'ues pour

la conclusion d'un contrat de mariage. Plutôt que de conseiller,

comme la Division de justice, la conclusion par les époux d'unenouveau contrat de mariage stipulant cette fois la séparation de

1 JAA 1932, fascicule 6, no 84.

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f94 PIERRE LATN'E

biens du droit suisse, on aurait pu, semble-t-il, se contenter de consi-dérer les clauses litigieuses comme nulles, par application analogiquede l'article zo, alinéa z, du Code des obligations.

z. Contrats conclus en Suisse et soumis øu droit suisse

Si les époux étiangers qui ont transféré leur domicile en Suissepeuvent donc faire produire des effets externes enSuisseàleurcon-trat de mariage conclu à I'étranger, ils peuvent aussi, rappelons-le,conclure un contrat de mariage sur la base de la loi suisse. Peuimporte ici que la loi étrangère, la loi du régime matrimonial étran-ger auquel ils sont soumis du point de vue interne, leur refuse Iafaculté de conclure un contrat de mariage postnuptial. Il a étéadmis par exemple que des époux italiens domiciliés en Suisse pou-vaient conclure un contrat de mariage instituant la séparation debiens. I

Cette règle est facile à justiûer: selon l'article zo LRDC, les

époux étrangers peuvent de toute façon se soumettre au droit suisse,

du point de vue interne aussi, par une < déclaration commune >. IJnefois soumis au droit suisse, ils pourront donc conclure un contratde mariage postnuptial aux conditions du Code civil. On ne voitévidemment pas pourquoi les époux étrangers dewaient être obligésde procéder ainsi de façon détournée, en deux étapes, au lieu d'êtreadmis à choisir directement, par un contrat de mariage de droitsuisse, un régime matrimonial différent de leur régime antérieur(étranger).

3. Contrøts concl,us à l'étranger ou se référant øu droit étrønger

Les contrats de mariage des étrangers en Suisse suscitent des

problèmes du même ordre dans une autre hypothèse encore, quenous voudrions évoquer brièvement pour terminer.

Cette hypothèse n'est plus celle des étrangers qui ont transféréIeur domicile de l'étranger en Suisse; elle est celle des éþoux dont le

þremier domicile coniugatr est en Suisse et qui sont soumis, au doublepoint de vue interne et externe, au droit suisse.

rB nÉcrup MATRTMoNTÀL DES ÉTRANGERS r05

En dépit de la règle très claire du droit international privé

suisse, qui soumet ces époux au d.roit du domicile, sans considération

de leur nationalité, on conçoit que, dans la pratique, certains de ces

époux soient tentés d'insérer dans Ie contrat de mariage une réfé-

rence à leur loi nationale, ou même d'aller conclure dans leur pays

d'origine un contrat de mariage soumis à ce droit. De même que

des flancés étrangers domiciliés en Suisse seront peut-être enclins

à aller célébrer leur mariage dans leur patrie, demêmesongeront-ils

peut-être à y conclure leur contrat de mariage.

Pour apprécier des situations de ce genre, et pour décider de la

possibilité d'inscrire en Suisse, au registre du domicile, un régime

conventionnel étranger ou un contrat de mariage contenant des

références exp esses au droit étranger, on pourrait être tenté d'appli-

quer les mêmes principes que ceux que nous venons de voir concer-

nant I'opposabilité en Suisse d'un contrat de mariage conclu par des

étrangers domiciliés alors à l'étranger.Or la situation est profondément différente. Dans l'hypothèse

précédente, il s'agissait de régimes conventionnels étrangers, éta-

blis par des étrangers alors domiciliés hors de Suisse, donc d'un

régime matrimonial soumis au droit étranger conformément aux

règles suisses de rattachement. Dans Ie cas présent, au contraite,

selon la règle suisse de conflits de lois, l,es éþoux sont soumis au droit

suisse au moment où, il,s concl,uent I,e contrøt d,e møriøge; la possibilité

de conclure ce contrat, tout comme son contenu, est régie par le

d.roit suisse, c'est-à-dire par le Code civil' Le législateur suisse a

voulu rattacher Ie régime matrimonial au droit du domicile; pas

plus qu'it n'a retenu le critère de la nationalité des époux, iI n'a

attaché d'importance au lieu de conclusion du contrat de mariage.

Par conséquent, il ne paraît pas possible, danò l'hypothèse envi-

sagée, d'admettre que les époux étrangers soumettent leur contrat,

otr qu'il soit conclu 1, à leur loi d'origine, ou même se réfèrent

expressément à celle-ci dans le contrat. Telle est la solution, fortstricte, qui a été adoptée à Genève par le registre des régimes matri-moniaux et par l'autorité de surveillance. 2 Toutefois, on peut sou-

1 L'article r79 CCS ne presuppose pas, en effet, que le contrat de mariage

soit conclu en Suisse; cf. Wrpr.¡¡ro, p. 54; Guun, a¿l r79'rro 29.2 par exemple dans les affai¡es Chamorel, lSseptembre 1959, etTardy, l8 ma¡s 1955.1Cf. Division de la justice, JAA, fascicule 6, to 95, 4 n:ai rg3z.

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rc,6 PIERRE LAIIVE

tenir, croyons-nous, qu'une référence au droit étranger dans lecontrat doit être, autant que possible, réputée nulle et non écrite,dans la mesure oÌr le régime adopté par les époux est conforme audroit suisse et, cette fois, pas simplement < compatible ) avec le Codecivil.

Si l'on se souvient que le pays d'origine des étrangers en cause,suivant par exemple le rattachement (consacré par la Conventionde La Haye de r9o5) à la loi nationale du mari, tiendra peut-êtrepour nulle une convention matrimoniale conforme aux lois suisses,

alors que le droit suisse considère, lui, comme inadmissible que lamême convention soit soumise au droit étranger, on mesure ledilemme dans lequel bien des époux étrangers risquent de se trouver.

Il est vrai que Ie Code civil suisse offre aux fi.ancés ou épouxétrangers de larges possibilités de choisir et de combiner des régimesdivers, en utilisant en outre l'institution des biens réservés; cecileur permettra souvent, en pratique, de se rapprocher du régimeétranger de leur loi d'origine.

CONCLUSION

Le droit international privé suisse des régimes matrimoniaux,dont nous venons d'esquisser les grandes lignes en ce qui concerneles étrangers en Suisse, répond-il waiment aux exigences de la viemoderne? Il serait audacieux de l'affirmer.

Son principal défaut est sans doute sa relative complication, etla difficulté, voire f imprévisibilité, de trop nombreuses solutions.Il faut donc souhaiter qu'une codification moderne vienne enfinremplacer la loi fédérale du zJ juin r8gr et qu'elle apporte plus decertitude aux justiciables, sans perdre si possible toute la souplessequ'une jurisprudence casuistique sait apporter aux problèmes deplus en plus complexes des conflits de lois.

Une telle codification, ffrt-elle parfaite, ne serait d'ailleurs qu'uneétape. Il ne dépend pas du seul législateur suisse de soustraire lespersonnes domiciliées en Suisse à tous les inconvénients pratiquesnés de la diversité des législations.

ElIe apporterait cependant un peu plus de sécurité juridiquedans un domaine dont Ia difficulté - la rareté de la jurisprudence

LE RÉGIME MATRIMONIAI DES ÉTRANGERS ro7

en témoigne - décourage aujourd'hui les plaideurs et entraîne

selon toute waisemblance des désagréments et des injustices.

Cette codiflcation, d'autre part, ne dewait point sacrifler à un

souci de certitude, de simplicité, ou de perfection technique le

déticat équilibre qui semble s'être établi après trois-quarts de siècle

d'élaboration juridique.En effet, le droit international privé suisse des régimes matri-

moniaux ne nous paraît pas mériter, dans sa substairce, un totalbouleversement. Si une réforme est urgente, c'est plus dans le droitinterne des régimes matrimoniaux (comme I'ont montré les travauxde Ia Société suisse des juristes erL rg57 t) qo" dans celui des con-

flits de lois, oìr le principe du domicile et Ia distinction entre régime

interne et régime externe méritent tous deux d'être maintenus.

Dans leurs résultats, tout au moins, nos règles de rattachement

accordent aux étrangers domiciliés en suisse, dans l'égalité avec les

citoyens, une large liberté de régler eux-mêmes, par un contrat

de mariage, leurs rapports d'ordre pécuniaire.

Dans un souci de stabilité, ces règles laissent une part appréciable

- par la reconnaissance d'un régime interne - au droit étranger qui

régissait les relations patrimoniales des époux avant leur établisse-

ment en Suisse.

Enfn, pour sauvegarder la sécurité des transactions, le droit

international privé suisse, comme tout système juridique, est obligé

de faire prévaloir la loi territoriale dans plusieurs cas, tel celui du

régime légal extraordinaire. Toutefois, s'il protège ainsi (par exem-

ple par l,institution du registre des régimes matrimoniaux) tous les

habitants du pays, étrangers comme nationaux, il n'impose pas

l'application de la loi suisse, en général, au-delà de limites raison-

nables.En cela les règles suisses de conflits obéissent à la vocation inter-

nationale du droit international privé, qui est d'assurer, dans un

juste équilibre des intérêts en cause, l'articulation, l'ajustement des

systèmes juridiques nationaux.

1Cf. les rapports de MM. H. Deschenaux et W. Stocker

Page 22:  · qui concluent un contrat de mariage peuvent-ils se soumettre aux dispositions de leur pays d'origine? Selon quelles modalités des époux étrangers,

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Imprimé en Suisse