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DU JEUDI 31 OCTOBRE AU JEUDI 7 NOVEMBRE 2013 – N O 65 France métropolitaine - 3 www.latribune.fr Tout comprendre sur la compétition mondiale des métropoles pour attirer et faire grandir les start-up, au moment où Criteo, la pépite française du Net, vient d’entrer au Nasdaq. PAGES 4 à 7 Luc de Brabandere « Les bonnes idées existent, mais nous ne les voyons pas. » PAGE 26 Le Senior Advisor du Boston Consulting Group publie un livre de conseils aux dirigeants d’entreprise. ENTREPRISES LES TROIS PRIORITÉS DU NOUVEAU PLAN INNOVATION P. 9 TERRITOIRES ROTTERDAM, MODÈLE D’INTÉGRATION MULTICULTURELLE P. 21 INNOVATION LE BUSINESS DES LANGUES SE DÉLIE SUR LE WEB P. 16-17 L 15174 - 65 - F: 3,00 Hyundai reste à flot grâce à la techno PAGES 14-15 ENQUÊTE © JOSHUA HAVIV - SHCHIPKOVA ELENA - S.BORISOV /SHUTTERSTOCK.COM « LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. » @ NEW YORK, LONDRES, PARIS LA BATAILLE DES NOUVELLES SILICON VALLEY

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DU JEUDI 31 OCTOBRE AU JEUDI 7 NOVEMBRE 2013 – NO 65 France métropolitaine - 3 €www.latribune.fr

Tout comprendre sur la compétition mondiale des métropoles pour attirer et faire grandir les start-up, au moment où Criteo, la pépite française du Net, vient d’entrer au Nasdaq.

PAGES 4 à 7

Luc de Brabandere« Les bonnes idées existent, mais nous ne les voyons pas. » PAGE 26

Le Senior Advisor du Boston Consulting Group publie un livre de conseils aux dirigeants d’entreprise.

ENTREPRISES

LES TROIS PRIORITÉS DU NOUVEAU PLAN INNOVATION P. 9

TERRITOIRES

ROTTERDAM, MODÈLE D’INTÉGRATION MULTICULTURELLE P. 21

INNOVATION

LE BUSINESS DES LANGUES SE DÉLIE SUR LE WEB P. 16-17

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@ NEW YORK, LONDRES, PARIS

LA BATAILLE DES NOUVELLES SILICON VALLEY

LE PARTENAIREQUI AGIT AVEC VOUS

VIENT DEPARAÎTRE

COULISSES 3JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

La Métropole de Paris à gauche en 2016!?

52 à 48 : ce sont les probables pourcentages des voix de gauche et de droite au sein de l’assemblée qui élira le président de la future métropole parisienne. La loi sur le Grand Paris sera adoptée en novembre à l’Assemblée, mais les politiques ont déjà fait leurs calculs sur les maires des 128 communes concernées (Paris + la petite couronne + 4 communes de la grande couronne) qui, en 2016, éliront le premier président de la

métropole. Et, à moins de surprise majeure aux municipales de 2014, l’heureux titulaire devrait donc être socialiste. Ensuite, pour 2020, l’année où les « Grands Parisiens » seront pour la première fois appelés aux urnes pour élire ce président, il va falloir trouver la juste pondération entre les communes pour que le pouvoir alors en place ne perde pas. Ce que, le ministère de l’Intérieur saura parfaitement faire…

Le FSI, l’anti-chinois de PSA!? Qui portera la participation que prendrait l’État au capital de PSA pour contrebalancer l’arrivée du chinois Dongfeng!? Le sujet est à la fois complexe sur le plan technique et vertigineux sur le plan financier, puisque cela porterait sur 1,5 milliard d’euros. Le fonds stratégique d’investis-sement pourrait être l’instrument idéal. On assure néanmoins du côté du fonds, désormais sous contrôle de la BPI, ne pas être dans la boucle de la négociation. En attendant d’être mis devant le fait accompli par l’État!?

PIERRE BLAYAU SOUTIENT LA NOTATION ENVIRONNEMENTALE Président du conseil de surveillance d’Areva, et président de la branche transport et logistique de la SNCF, Pierre Blayau prend la présidence du conseil de surveillance de l’agence de notation environnementale TK’Blue. Dirigée par Philippe Mangeard, elle mesure la qualité écologique du transport et a déjà 20 notes sollicitées en cours depuis son lancement en juin, tandis que quelques centaines de transporteurs européens sont en cours de labellisation.

BERCY SATURE FACE AU RETOUR DES EXILÉS 3"808 demandes de régularisation fiscale ont été déposées en quatre mois, a indiqué Bernard Cazeneuve au JDD. Si d’ici la fin de l’année, 6"000 dossiers sont escomptés, ce qui rapportera 1 milliard d’euros au budget de l’État, au moins 50"000 personnes pourraient être candidates au retour. Vingt-cinq ans seraient nécessaires pour que les 20 agents de la « cellule de régularisation fiscale » puissent les traiter, a persiflé l’avocat fiscaliste Éric Ginter, l’un des plus réputés de la place.

Anne Lauvergeon, sherpa économique de Hollande Le président de la République a demandé à l’ancienne présidente d’Areva, qui vient de remettre le rapport de sa commission Innovation 2030, de rédiger un autre rapport identifiant tout ce qui verrouille en France le fait de réussir collectivement dans le domaine économique. Et à l’opposé, « ce rapport doit aussi dresser la liste de tout ce qui peut nous permettre de réussir ensemble » a précisé « Atomic Anne », confortée dans un rôle de sherpa économique qui n’a pas échappé à ses adversaires, alors que la seule femme ex-présidente du CAC 40 espère toujours revenir à la tête d’une grande entreprise.

Eurocopter va bien En dépit des rumeurs, selon nos informations, la filiale « hélicoptères » d’EADS a dégagé un EBIT de 128 millions d’euros au 1er semestre 2013.

Le « Doudou » des entreprises. C’est le surnom mi-moqueur, mi-a"ectueux, donné par ses visiteurs à Emmanuel Macron, l’ex-banquier d’a"aires devenu secrétaire général adjoint de l’Élysée en charge de l’économie. Son problème : il cajole bien les patrons, mais vu les couacs à répétition notamment sur la fiscalité, visiblement, il est peu écouté.

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Le fisc veut coincer « quelques contribuables très connus »L’administration fiscale veut mettre en

place un fichier répertoriant les contrats d’assurance-vie, comme il en

existe pour les comptes bancaires (fichier Ficoba).

Le fisc tient à cette mesure, comme le montre l’audition de son patron, Bruno Bézard, par la commission d’enquête sénatoriale sur le rôle des banques dans l’évasion des capitaux. « L’as-surance-vie peut être un moyen de paiement dont les contrats sont rachetables. J’ai en tête quelques contribuables très connus qui orga-nisent leur insolvabilité en plaçant leurs liqui-dités dans des contrats d’assurance-vie, tout aussi liquides qu’autre chose », a-t-il déclaré aux sénateurs de cette commission.

Un projet à rapprocher de la réforme fiscale de l’assurance-vie annoncée par Pierre Mos-covici lundi 28 octobre, et qui pourrait conduire dans le prochain collectif budgétaire à créer un troisième pilier, le contrat « euro-croissance », à côté des contrats en euros et en unités de comptes.

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Bercy s’en prend à l’assurance-vie, utilisée par certains pour se rendre insolvables…

Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des Finances, lors d’une récente intervention à l’Assemblée nationale.

Pierre Blayau.

COULISSES3 Le fisc veut coincer « quelques contribuables très connus ». L’ÉVÉNEMENT4-7 La course aux start-up des métropoles > À New York, la Silicon Alley décolle. > À Londres, la Tech City gâte les investisseurs. > À Berlin, la « Silicon Allee » dans les starting-blocks. > À Paris, la Halle Freyssinet en étendard.

LE BUZZ8 L’ŒIL DE PHILIPPE MABILLE

Hollande et l’impôt : stop ou encore!! Web TV de latribune.fr9 Compétitivité : le gouvernement

sur le pont, l’innovation à la proue.10 Le phénomène Line part à l’assaut

des ados français et européens. >Le code des marchés publics bientôt réformé.11 Le think tank de Matignon tacle la loi Duflot. 12 Faut-il lâcher Nespresso pour ses concurrents!?

L’ENQUÊTE14-15 Hyundai reste à flot grâce à la techno.

ENTREPRISES & INNOVATION16-17 Sur le Web, le business des langues se délie.19 Après PayPal et Paylib, Amazon

aussi mise sur le paiement en ligne.

TERRITOIRES / FRANCE20 Nantes, un théâtre

à ciel ouvert pour tous les acteurs du design.

TERRITOIRES / INTERNATIONAL21 Rotterdam, un modèle inattendu d’intégration

multiculturelle.

LES IDÉES / LES CHRONIQUES22 Et si l’entreprise avait les solutions!?

Par Jacques Huybrechts, fondateur du réseau et du Parlement des entrepreneurs d’avenir.

24 La martingale de la RSE au cœur des assises de la fiscalité. Par Patrick d’Humières, président de l’institut RSE management.

25 Des applications dédiées à la participation citoyenne. Par Francis Pisani.

> LE CARNET DE FLORENCE AUTRET À BRUXELLES, Dans le cochon allemand, tout n’est pas bon.

L’INTERVIEW26 Luc de Brabandere, Senior Advisor

du Boston Consulting Group : « Les bonnes idées existent, mais nous ne les voyons pas. »

LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

L’ÉVÉNEMENT4

À NEW YORK, LA SILICON ALLEY DÉCOLLESon petit drone fait main et

rempli de technologie a du mal à décoller, sur la scène

d’un amphithéâtre de la New York University, et toute l’assis-tance – près de 1!000 personnes – s’en amuse gentiment. « Je n’ai chargé que la moitié des piles, comme d’habitude », soupire le jeune homme. C’est l’un des « techies » invités à la réunion mensuelle du NY Tech Meetup.

« Avec 35 !000  membres, nous sommes le plus grand groupe de “techies” du monde », clame d’en-trée de jeu la présentatrice de la soirée. L’ambiance est au rendez-vous. On applaudit, on parle avec son voisin. On vient ici pour découvrir, grâce à une démons-tration rapide, un nouveau pro-duit, une application qui va faci-liter la vie, une innovation qui va la révolutionner.

Ce soir, c’est Cover, un système pour payer électroniquement – et rapidement – dans un restaurant de la ville!; Zady, un site Web équipé d’une carte du monde, pour savoir où et comment les vête-ments achetés sont fabriqués!; Yplan, une appli pour réserver une place de théâtre ou de concert à la dernière minute, à Londres ou à New York, ainsi que des nouveaux logiciels pour raconter sa vie en ligne ou prendre rendez-vous dans une boutique. Le Meetup trans-met également des informations sur les activités des membres, comme, ce soir, celles d’une orga-nisation caritative qui enseigne à des adultes en di#culté comment coder, ou sur les démarches néces-saires pour déposer un brevet, sans oublier, évidemment, la pos-sibilité que les jeunes innovateurs rencontrent des investisseurs. En somme, le Meetup informe sur tout ce qui se passe ou peut être utile dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « Silicon Alley », à New York.

À l’origine, c’est-à-dire il y a quatre ou cinq ans seulement, il s’agissait, grosso modo, d’un quar-tier situé autour du Flat Iron, le bâtiment en forme de fer à repas-

LA COURSE AUX START-UP DE

1,7 milliard de dollarsC’est la valorisation de la société française Criteo, entrée sur le Nasdaq le 30 octobre. L’entreprise spécia-lisée dans le reciblage publicitaire personnalisé est née au sein de l’incubateur parisien Agoranov en 2005. New York, le plus grand marché du financement des start-up, lui o!re une visibilité mondiale alors que la France peine à relancer sa Bourse des PME, EnterNext.

The red carpet day« Je suis très content d’accueillir les Français talentueux à Londres, s’ils viennent alimenter notre économie. » Le maire travailliste de la ville, Boris Johnson, a"che la couleur. Le 10 octobre, des Français de Londres ont même organisé à Paris le « red carpet day » pour inciter les créa-teurs de start-up à traverser la Manche.

«L’objectif de Paris Capitale Numérique est d’accroître

la visibilité internationale du secteur numérique français et de stimuler son développement. »FLEUR PELLERIN, MINISTRE DÉLÉGUÉE À L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

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LES FAITS New York concurrence la Californie. Sa « Silicon Alley » se situe, entre autres, dans le quartier de Flat Iron, en plein cœur de Manhattan. Une nouvelle génération de start-up y profite des talents typiquement new-yorkais dans la publicité, la finance et le marketing. Et les Français y sont très reconnus.LES ENJEUX En Europe, à Londres, à Berlin ou à Paris, on bataille aussi pour dérouler le tapis rouge aux start-up. Un enjeu clé pour l’emploi et le dynamisme de ces métropoles mondiales.

LYSIANE J. BAUDU, À NEW YORK, TRISTAN DE BOURBON, À LONDRES, PAULINE HOUÉDÉ, À BERLIN, DELPHINE CUNY ET PERRINE CRÉQUY, À PARIS

L es jeunes entrepreneurs français du Net, sou-tenus par l’e$et Xavier Niel, croient au potentiel de Paris pour attirer les start-up. Le fondateur de Free – qui voit la France comme un « paradis fiscal pour entrepreneurs », crée une école d’in-

formatique et veut, avec la ville de Paris, installer 1!000 start-up dans la Halle Freyssinet (13e ardt) – est un exemple reconnu à l’étranger. Du coup, Paris Tech City est de plus en plus prise au sérieux. Et si le pays des 35 heures, mais aussi des ingénieurs, réussissait à faire sa Silicon Alley…

Conscient du potentiel des jeunes diplômés français, qu’on s’arrachait hier dans la finance et aujourd’hui dans les start-up de sa « Tech City », le maire travailliste de Londres, Boris Johnson, a lancé en octobre une opération « red carpet » pour dérouler le tapis rouge aux entrepre-neurs qu’il invite à quitter la France, ce pays de « sans-culottes » selon lui, où la fiscalité des personnes physiques jouerait un rôle de repoussoir.

L’ATTRACTIVITÉ NE SE JUGE POURTANT PAS SUR LA SEULE QUESTION FISCALE, même si celle-ci est prise au sérieux depuis le revirement de François Hollande sur les plus-values de cession. C’est aussi et surtout une a$aire d’écosystème, de qualité de vie et de possibilité de faire grandir les jeunes pousses du Web sur un marché mondial où l’anglais est la langue naturelle. Une start-up, c’est avant tout de l’énergie, de la matière grise et de l’inno-vation. Paris n’est de ce point de vue pas mal placé, en tant que métropole monde, face à Londres ou à Berlin, même si rien n’est gagné d’avance. Avec Fleur Pellerin à Bercy, les « start-uppers » français ont en tout cas trouvé une alliée.

Ce que l’on voit se dessiner, c’est une nouvelle répartition des cartes. Beaucoup de Français partis hier travailler dans la Silicon Valley vont désormais vers New York, pour pro-fiter de l’environnement créatif de la « ville qui ne dort jamais » et de l’une des plus grandes places financières du monde, qui vient d’accueillir sur le Nasdaq Criteo, la pépite française de la publicité en ligne. Paris et sa région ne peuvent la concurrencer dans ce domaine, mais ont d’autres atouts pour être au cœur de cette compétition. Le principal défi est sans doute moins l’impôt que la législation du tra-vail, dans un univers où la flexibilité est le maître mot.

Le NY Tech Meetup, « the place to be » pour tout savoir sur les innovations de la Silicon Alley. [LYSIANE J. BAUDU]

JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

L’ÉVÉNEMENT 5

ser emblématique de Manhattan, au carrefour de la 23e rue, Broad-way et la 5e avenue. « Mais c’est déjà fini », assure Andrew McLau-ghlin, l’un des associés de Betaworks, un studio tech qui lance des start-up, généralement en relation avec les médias sociaux. La Silicon Alley n’a pas capoté – bien au contraire"! « Elle a essaimé jusque dans le Meatpacking dis-trict, au sud-ouest de Manhattan, et à Dumbo [pour Down Under the Manhattan Bridge Overpass, ndlr], ou ailleurs dans Brooklyn », explique ce « techie », ancien conseiller de Barack Obama. Aujourd’hui, chacun de ces quar-tiers a#che une entreprise phare de la tech. Dans le Flat Iron, c’est Tumb1r, racheté par Yahoo, et Gilt, la société de Kevin Ryan, spéciali-sée dans l’e-commerce et avec laquelle tout aurait commencé ici… Dans le Meatpacking district, c’est Google, rien de moins, installé au coin de la 16e rue et de la 9e avenue. À Brooklyn, c’est MakerBot, star de l’impression 3D, et Etsy, un site de vente d’objets artisanaux, symbole d’un nouvel art de vivre, plus « slow », moins « hype »…

Plus fort encore que la Silicon Valley, lancée grâce aux contrats publics et notamment militaires, « la Silicon Alley new-yorkaise a émergé ex nihilo », explique Sébas-tien Laye, dont la société, Laye Holdings, conseille des fonds d’in-vestissement. Un tour de force, puisqu’à première vue – à première vue seulement – les conditions d’un tel phénomène n’étaient guère réunies. Pas d’université spé-cialisée dans la technologie ici, à l’opposé de Stanford, près de San Francisco. Pas de tradition de busi-ness angels bien ancrée : c’est Wall Street qui domine. Et enfin, pas de coup de pouce des autorités fédé-rales, pas de surfaces de bureaux bon marché, pas de poids lourds du secteur qui auraient pu créer un appel d’air. Et pourtant…

DES INGÉNIEURS DE WALL STREET PASSÉS À LA TECHNOLe Web a mûri. C’est désormais le

2.0 dont il s’agit, un système ne requérant plus de réelles percées

techniques, mais visant un meil-leur confort d’utilisation, une meilleure expérience d’achat.

Et on le sait depuis la série Mad Men (ou même avant), New York

est la ville de la publicité, des créa-tifs, des spécialistes du marketing, du design, de la mode, des médias. « C’est l’ADN de New York. C’est sur cela que se sont appuyés les entre-preneurs de la Silicon Alley », pour-suit Sébastien Laye. À ces compé-t e n c e s n é c e s s a i r e s p o u r l’émergence de start-up nouvelle génération se sont ajoutées celles d’ingénieurs et de « techies » aspi-rés d’abord par Wall Street – et reje-tés ensuite. La crise financière de 2008 a libéré ces talents. Ils s’expri-ment désormais dans la tech.

Autre condition nécessaire :

l’argent. Au-delà de celui des fonds d’investissement généralistes ou spécialisés comme Union Square Ventures, ou de certains individus ayant fait fortune dans la finance, la manne, dans la Silicon Alley, vient surtout de quelques pion-niers du Web, qui, une fois leur affaire vendue, ont réinvesti sur place. Dans la grande tradition américaine, il s’agit de redonner à la société lorsque la chance a souri, et, dans le cas de la tech, à cet éco-système, afin de le faire prospérer. C’est ce qu’a fait Kevin Ryan, actuel PDG de Gilt, portail spécialisé dans la vente en ligne, et ancien patron de DoubleClick, un site ges-tionnaire de publicités Internet. Selon certains, c’est le lancement de Gilt qui a tout déclenché à New York. Kevin Ryan, lui, reste modeste : « Je n’ai investi qu’1 mil-lion de dollars de mon propre argent, avoue-t-il, dans un français parfait, mais j’ai pu lever 500 mil-

lions. » DoubleClick, l’une des rares start-up de l’ère dot.com à avoir survécu à l’éclatement de la bulle Internet, avait été vendue en 2005 à des investisseurs, puis rachetée par Google en 2008 – pour plus de 3 milliards de dollars. Autant dire que Kevin Ryan jouit d’une certaine crédibilité auprès des investisseurs… Avec l’argent qu’il lève, cet élégant francophile, diplômé de l’Insead, ne cesse de lancer des entreprises. Il a créé Business Insider, un magazine en ligne digne du Wall Street Journal, et sa « petite dernière », lancée le matin même, s’appelle Zola et se concentre sur… des listes de mariage en ligne.

Enfin, dernier élément du cock-tail, « l’art de faire rêver », propre à New York et à son maire, Michael Bloomberg, un homme de média, relève Frédéric Montagnon, le patron français de Ebuzzing, une

société qui distribue des vidéos publicitaires sur le Web. Bloom-berg a construit le « made in New York » et a quasiment inventé la « tech scene ». Bien lui en a pris. Les prophéties ont tendance à s’auto-réaliser et la Silicon Alley a bel et bien pris forme à New York. Cela dit, le maire, qui prend bien-tôt sa retraite, n’a pas fait que du « storytelling ». Il cherche, concrè-tement, à dynamiser l’entrepre-neuriat dans le secteur, en instal-lant un « tech campus » sur Roosevelt Island, une petite île qui s’allonge dans l’East River, au bord de Manhattan, avec l’aide de Cor-nell, une prestigieuse université de l’État de New York. Le premier coup de pioche devrait être donné en 2014. Mais d’ici là, la « tech scene » new-yor-kaise aura sans doute encore évolué… Déjà, la Silicon Alley, pourtant arrivée sur le tard dans le paysage tech, dépasse par son dynamisme ses concurrents tels que Boston, Los Angeles, Chicago, Dallas et Austin. Seule la Silicon Valley lui résiste… Depuis le début de cette année, les start-up new-yorkaises ont récolté près de 2 milliards de dollars d’in-vestissements. Et au troisième tri-mestre, sur un total national de 3,6 milliards, elles ont engrangé 697 millions, un bond de 35"% par rapport au troisième trimestre 2012, selon MoneyTree, qui sur-veille ce secteur.

Aujourd’hui, d’ailleurs, New York paie la rançon de ce succès. Di#-cile, pour une start-up, de trouver des « talents » pour croître. Les grosses sociétés comme Google et autres se les disputent. « Il y a pénurie de programmeurs, ici », remarque Fabrice Grinda, un serial – et génial – « tech-entrepreneur » français installé à New York. « Et quand on en a trouvé un, il s’en va au bout de six mois"! » « Du coup, on fait de “l’acqui-hire”, autrement dit, on acquiert une start-up, de préférence en mauvaise posture, non pas pour son idée ou son innovation, mais pour s’emparer de son équipe », explique de son côté Frédéric Mon-

tagnon, dans les locaux qu’il partage (pour 500 dollars par mois et par table) avec d’autres entrepreneurs, chez 500 Startups, en plein quartier de Flat Iron.

On aurait pu penser que l’immobilier, si cher à New York, freinerait l’éclosion d’une Silicon Alley. En fait, ici, on par-tage les bureaux – et on frotte ainsi son cerveau

contre celui d’autres spécialistes. Ce coworking est l’une des clés du succès. « Et puis, aujourd’hui, on peut lancer une start-up sans avoir besoin de serveurs, qui utilisaient beaucoup d’espace. On se sert du cloud, ou on travaille avec des plates-formes existantes, comme Facebook », explique Shai Gold-

LA COURSE AUX START-UP DES MÉTROPOLES

«Condition nécessaire

[à l’émergence des start-up] : l’argent. (…) La manne vient surtout de quelques pionniers du Web. »

«À Paris, il y a un écosystème, une énergie positive, c’est simple, c’est possible de créer

son entreprise, avec seulement 1 centime d’euro. Et il y a une perception fausse sur la fiscalité : la France est un paradis fiscal. »XAVIER NIEL, LORS DE SA MASTERCLASS À SCIENCES PO SUR LA CRÉATION DE START-UP, LE 11 OCTOBRE 2013.

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VISIONNAIREDès février 2009, sentant le vent tourner en défaveur de la finance après la chute de Lehman Brothers, le maire de New York a lancé un plan de 45 millions de dollars pour encourager les quelque 65!000 ex-salariés des banques licenciés par Wall Street à lancer leur start-up. « Nous pouvons être certains que les grandes métropoles mondiales vont se battre pour attirer les emplois que le futur renouveau de l’économie va créer », a"rmait déjà Michael Bloomberg.©

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Kevin Ryan, PDG fondateur de Gilt, portail spécialisé dans la vente en ligne, grâce à qui tout aurait commencé à Flat Iron. [BRIAN ACH/GETTY IMAGES FOR TECHCRUNCH/AFP]

2 milliards de dollars. C’est le montant des investissements dans les start-up new-yorkaises depuis le début de 2013.

La Silicon Alley est née à Manhattan, il y a quatre ou cinq ans, autour du Flat Iron Building. [© RUSSEL KORD/AFP]

LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

L’ÉVÉNEMENT6

man. Ce Californien d’origine israélienne est venu de la Silicon Valley pour gérer les investisse-ments de 500  Startups à New York. La société a une double acti-vité, celle « d’accélérateur », pour des petites start-up qu’il faut conseiller, aider, coacher afin qu’elles prospèrent, et d’investis-sement en capital-risque dans le secteur. « Les fonds, en Californie, ont tendance à ne s’intéresser qu’aux start-up alentours , explique ce grand gaillard. Nous nous intéressons aux États-Unis et au reste du monde, ainsi qu’aux sociétés fondées par des femmes et des minorités », poursuit-il. Sur les trois dernières années, 500 Star-tups a déjà réalisé 50 investisse-ments à New York. Elle n’est pas la seule. Les « accélérateurs » s’y multiplient également. On en compte 15 actuellement – le double de ce qui existe dans la Valley. De quoi permettre au moteur new-yorkais de tourner à plein régime, quitte à ce que – rançon de la gloire une fois de plus – les start-up se fassent acheter, à prix d’or, par de grosses sociétés plus établies… et partent en Californie.

CE QUI ATTIRE ICI : LA VIE SOCIALE ET CULTURELLEC’est ce qui est arrivé à Ilan Abe-

hassera. Ce Français, arrivé en 2004 à New York, a monté Produc-teev, une start-up dont le logiciel vise à améliorer la productivité des équipes grâce à une meilleure organisation. Il a vécu la naissance et l’essor de la Silicon Alley, puis est parti pour Palo Alto rejoindre Jive, la société qui a acheté Pro-ducteev en 2012. « New York me faisait rêver depuis toujours », dit-il. Il n’est pas le seul. C’est sans doute là l’ultime clé du succès new-yorkais. La ville qui ne dort jamais, qui o"re une vie sociale et cultu-relle sans égal en Californie, ne cesse de drainer de nouveaux arri-vants, jeunes, dynamiques et entre-prenants. Dans le monde de la tech, on trouve aussi bien des Baltes, des Israéliens, des Indiens, des Chinois que des Français, et bien d’autres. « Les Français sont très respectés ici », déclare d’ail-leurs Frédéric Montagnon. Bien formés dans les écoles d’ingénieurs ou de commerce, les Frenchies se distinguent par leurs idées, sub-tiles. Et si certains restent attachés à leur pays d’origine, c’est aux États-Unis qu’ils ont parfois connu des échecs, qui sont, à l’inverse de la France, autant d’expériences positives, et qu’ils y ont souvent réussi. Et c’est à New York, ou en Californie, qu’ils font fleurir le talent hexagonal. L.J.B.

À NEW YORK, LA SILICON ALLEY DÉCOLLE

À LONDRES, LA TECH CITY GÂTE LES INVESTISSEURSDepuis les Jeux olympiques de 2012, Londres se vante d’être le centre européen des start-up. Pourtant, concrètement, rien ou presque n’est fait pour aider les jeunes entrepreneurs… à part cajoler leurs investisseurs.

«Un dimanche, de passage à Paris, j’ai discuté avec un de mes clients

de la possibilité d’ouvrir ma propre société sur Londres, se souvient Clémence de Crécy, 34 ans. Qua-rante-huit heures plus tard, j’avais déposé les statuts de Clémentine Communications, en une semaine j’avais un site Internet, en quinze jours ma première employée et en trois semaines des locaux. » Un processus éclair qui allait contras-ter avec sa future expérience fran-çaise : huit mois pour obtenir un numéro de TVA (quatre semaines en Angleterre), une demande de paiement du fisc au bout de trois semaines alors que le premier versement s’effectue outre-Manche neuf mois après la fin de la première année comptable, et la nécessité d’employer un comp-table en raison de la complexité des requêtes de l’administration.

La simplicité administrative outre-Manche n’explique pour-tant pas, à elle seule, la renommée relativement récente de Londres en termes d’attractivité pour les start-up. Tout est en fait parti d’une déclaration de David Came-

ron. « Les fondateurs de Google ont dit qu’ils n’auraient jamais pu lan-cer leur société en Grande-Bre-tagne, avait lancé le Premier ministre en novembre 2010. Nous voulons changer cela afin que, si vous avez une bonne idée commer-ciale et que vous réunissez des investissements importants, vous soyez les bienvenus dans ce pays pour y lancer votre affaire. » Le coup de projecteur médiatique donné à Londres par l’organisa-tion des JO et les communicants du Premier ministre ont fait le reste. Ils ont en e"et mis en avant le succès d’un quartier de start-up

technologiques non loin de la City, après l’avoir intelligemment bap-tisé « Tech City ».

Cette récupération a bien fait sourire les start-up qui y étaient installées depuis quelques années. Mais Matthew Evans, cofonda-teur en 2009 du Hoxton Mix, une société de location d’espaces de travail, reconnaît les avantages de cet environnement : « Les jeunes entrepreneurs sont ici basés à proximité de milliers de profession-nels à l’activité proche de la leur, ce qui leur permet de se faire des réseaux, au final d’accélérer le développement de leur a!aire. »

Matthew Evans organise aussi des événements, une mine pour des créateurs de start-up souvent isolés, mais aussi pour les investis-seurs, qui se voient faciliter l’accès à des projets à leur stade initial. « Cette concentration dans un mile carré de tant d’entrepreneurs déci-dés à partager leurs idées, leurs soucis et leurs investisseurs me fait penser à la Silicon Valley », assure ainsi Adam Valkin, partenaire chez Accel Partners, l’un des plus gros fonds de capital-risque mondiaux avec 8,8 milliards de dollars d’ac-tifs. « Londres dispose d’un réel avantage, aussi bien grâce à la pra-tique de l’anglais que par la législa-tion développée par les autorités en matière d’investissement. »

CE QUI ATTIRE ICI : LE TRAVAIL À PETIT PRIXLes investisseurs se voient o"rir

des réductions et parfois des exemptions d’impôts, ainsi que l’attribution rapide d’un visa com-mercial. Pour les entrepreneurs, en revanche, il n’existe ni avan-tages en termes d’imposition, ni subvention publique pour les jeunes entreprises, politique d’austérité extrême oblige. Comme l’expliquait Clémence de Crécy, c’est plus l’absence de contraintes qui attire les fonda-teurs de start-up, contents de pro-fiter d’un marché du travail ultra-flexible et guère protecteur des salariés : le coût du travail y est peu élevé et il leur est possible de s’adapter rapidement à une crois-sance rapide d’activité. T.D.B.

À BERLIN, LA « SILICON ALLEE » DANS LES STARTING-BLOCKSAvec ses faibles loyers et son vivier de jeunes créatifs, la capitale des start-up en Allemagne a encore besoin de temps pour s’imposer à l’international.

F aire pousser des start-up sur le tarmac d’un ancien aéroport#? L’idée a germé à

Berlin : créer un campus consacré aux jeunes entreprises dans l’aéro-port de Tempelhof, fermé en 2008 et transformé en parc. Le projet, annoncé par le maire de Berlin, Klaus Wowereit, fait partie des principales propositions du cabi-net McKinsey dans une étude présentée début octobre à laquelle le Sénat berlinois a étroitement collaboré. L’objectif : faire de Ber-lin la première métropole du sec-teur en Europe. Selon McKinsey, la capitale se classe aujourd’hui à la cinquième place, derrière Tel Aviv, Londres, Paris et Moscou. À la clé, le cabinet promet la créa-tion de plus de 100#000 emplois d’ici à 2020. Un chiffre qui fait rêver Berlin, dépourvue d’indus-tries et de grands sièges sociaux, où le taux de chômage est d’envi-ron 12#%. La ville cherche à encou-

rager le développement du sec-teur, initié depuis environ dix ans et en pleine accélération. Quatre cent soixante-neuf start-up y ont été fondées en 2012 dans l’écono-mie numérique, qui emploie plus de 62#000 salariés. Parmi les poids lourds, la plate-forme musicale SoundCloud, ou le site de vente de chaussures en ligne Zalando.

CE QUI ATTIRE ICI : LE FAIBLE COÛT DE LA VIE Loin devant Munich ou Ham-

bourg, Berlin s’est imposée comme la capitale des start-up en Alle-magne. On la surnomme « Silicon Allee », en référence à Schönhau-ser Allee, quartier où sont instal-lées nombre de ces jeunes entre-prises. Faible coût de la vie, bonnes infrastructures et vastes espaces disponibles, les conditions sont avantageuses pour ces petites entreprises qui recrutent sur place les talents internationaux. « Tou-

jours plus de têtes créatives et bien formées s’installent à Berlin, qui attire grâce à ses bonnes universi-tés, sa grande o!re culturelle et ses faibles loyers », résume Jan Pörk-sen, en charge des créations d’en-treprises à la CCI (IHK) de Berlin. Chez Wooga, start-up spécialisée dans les jeux sur mobiles, on se pâme devant « l’incroyable dyna-misme » de la ville. Ses plus de 250  employés occupent des bureaux d’environ 3#000 m2 au cœur de Berlin, près d’Alexander-platz. « Des conditions inimagi-nables à Londres ou à Paris », sou-ligne Fabian Heuser, porte-parole de l’entreprise fondée en 2009.

Outre la plate-forme en ligne « gruenden-in-berlin.de », qui coordonne les di"érentes aides, les pouvoirs publics locaux sou-tiennent principalement les start-up via la banque d’investissement du Land (IBB). Du microcrédit de quelques milliers d’euros jusqu’aux

participations de plusieurs mil-lions d’euros, la banque a ainsi investi 37 millions d’euros en pro-grammes d’aide et 12,1 millions d’euros en participations en 2012. La CCI contribue aussi à mettre les entreprises en relation avec les banques ou les universités et leur o"re des conseils en anglais, quand les administrations parlent encore souvent uniquement l’allemand.

Parmi les pistes lancées par McKinsey figure la création d’un fonds de 100 millions d’euros de capitaux privés. Car si les start-up berlinoises sont plutôt bien finan-cées à leur lancement, les capitaux manquent pour leur développe-ment. Ils commencent bien à affluer (133 millions d’euros en capital-risque investis en 2012, 34,2 millions en 2009), mais les volumes restent insu$sants. En cause : la frilosité des investisseurs allemands et le jeune âge de la scène berlinoise. « Berlin a surtout besoin de temps », analyse Sascha Schubert, de la fédération alle-mande des start-up. P.H.

En juin 2012, le Premier ministre britannique, David Cameron, se disait prêt à « dérouler le tapis rouge » aux entreprises fuyant l’impôt en France. [© WPA POOL/AFP]

JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

L’ÉVÉNEMENT 7

À PARIS, LA HALLE FREYSSINET EN ÉTENDARDLa mairie veut faire du projet de méga-incubateur numérique de Xavier Niel la vitrine de son aspiration à devenir la « ville la plus innovante d’Europe ».

«Le plus grand incubateur du monde!! » Avec son sens habituel de l’emphase,

Xavier Niel, le fondateur de Free, a dévoilé à la fin de septembre son projet de méga-incubateur, baptisé « 1!000 start-ups », qui s’installera en 2016 dans le 13e arrondissement de Paris, à la Halle Freyssinet, sur plus de 30!000 m2. Un projet privé, en partenariat avec la mairie de Paris, qui a usé de son droit de pré-emption pour acheter ce bâtiment classé monument historique, une ancienne halle de messagerie de la SNCF, avant de le revendre pour 70 millions d’euros à un consortium financé à 90!% (voire plus) par le milliardaire du Net et à 5 ou 10!% par la Caisse des dépôts. Ce projet « unique, inédit », qui coûtera 60 millions d’euros de plus en réno-vation, sous la direction de l’archi-tecte de renom Jean-Michel Wil-motte, a vocation à devenir une vitrine et « faire de Paris, ville numé-rique, la capitale la plus innovante d’Europe », selon la mairie.

1 MILLIARD D’EUROS D’AIDES DE LA VILLE AUX START-UPNé à Créteil, à quelques kilo-

mètres de la capitale, Xavier Niel se fait volontiers le VRP de luxe de Paris. « C’est la plus belle ville du monde. Il y a de petits défauts, mais c’est la ville fantastique pour créer son entreprise. En province, c’est un peu plus complexe, on trouve moins cette énergie positive », a-t-il lancé lors d’une Masterclass à Sciences Po sur la création de start-up. L’en-trepreneur et business angel, qui a investi dans 800 jeunes pousses, vante la qualité de l’écosystème existant dans la capitale, où est ins-tallé le siège de Free, et où il a créé sa propre école de programmation informatique, 42. Mais les locaux y sont chers, d’où son projet.

La future Halle sera deux fois plus vaste que le plus grand des incuba-teurs de la ville (16!000 m2 en construction boulevard MacDonald, dans le 19e arrondissement), mais la capitale compte quasi doubler la sur-

face disponible pour les start-up d’ici à 2016, passant de 73!000 à 140!000 m2 d’incubateurs publics et privés. « Paris est une machine à pro-duire de la start-up!! » fait valoir Jean-Louis Missika, l’adjoint au maire chargé de l’innovation. « Ce qui caractérise le projet de la Halle Freyssinet, ce n’est pas sa taille, mais la personnalité de Xavier Niel, qui lui donne une visibilité internationale, le bâtiment d’exception, qui deviendra un lieu emblématique comme la Tour Ei"el, et la capacité d’attraction de la ville, qui est le fruit d’années d’actions de la mairie. »

Depuis 2008, la ville de Paris a en effet apporté 1 milliard d’euros d’aides aux start-up, selon Anne Hildago, candidate socialiste à la mairie et première adjointe de Ber-trand Delanoë. « Nous sommes devant Londres en termes de créa-tion de start-up », s’enorgueillit-elle, avançant le nombre de 1!800 jeunes

pousses parisiennes, contre 1!200 à Londres. Une longueur d’avance qui sou#re d’un manque de communi-cation publique. Se revendiquant proche de la ville, Stéphane Distin-guin, le président du pôle de com-pétitivité dédié au numérique Cap Digital, estime ainsi que « Londres a fait un travail extraordinaire de communication et de marketing. C’est une bonne leçon pour nous, ça appuie là où ça fait mal : nous ne sommes pas capables de dire com-bien de start-up technologiques sont installées à Paris ». Jean-Louis Mis-sika précise que son recensement s’appuie sur les déclarations des directeurs d’incubateurs, mais reconnaît qu’un comptage précis est ardu, une partie des jeunes pousses disparaissant dans leurs premières années. En outre, la définition de l’innovation fait débat. Et puis, se défend-il, « nous avons la démarche inverse de celle de Tech City à

Londres, dont le budget com’ est supérieur au budget d’investisse-ment, et seulement 10!% d’entre-prises sont high-tech ».

CE QUI ATTIRE ICI : LA FORMATION D’EXCELLENCEL’écosystème parisien ne manque

certes pas d’arguments. À la tête du fonds d’investissement Isai, Jean-David Chamboredon insiste sur « la qualité et la créativité des projets parisiens, qui s’expliquent par l’ex-cellence de la formation dans les grandes écoles de commerce et d’in-génieurs, et dans les universités ». Paris veut renforcer sa stratégie d’implantation des incubateurs à proximité des centres de recherche universitaires de même spécialité. « La Halle Freyssinet sera entourée de sept centres universitaires : l’Ins-titut Pierre et Marie Curie, la Sor-bonne, l’ESPCI Paris-Tech, l’École Normale supérieure, le Collège de

France, Chimie Paris Tech et les Mines », relève Jean-Louis Missika.

Bien formés, les ingénieurs, cher-cheurs et développeurs parisiens sont aussi réputés pour être moins chers et fidèles à leur entreprise – une qualité précieuse dans un uni-vers où la compétition pour recru-ter est mondiale. La Halle Freyssinet doit permettre d’attirer des talents étrangers, mais aussi des investisseurs de toute nationalité, car la faiblesse du capital-dévelop-pement en France constitue, avec l’instabilité fiscale, le principal frein à l’essor des start-up. Jean-Louis Missika cite l’exemple de « Criteo, née et incubée dans un de nos incu-bateurs, qui n’a pas trouvé l’argent en France, mais a désormais un pied à Paris, un autre dans la Silicon Val-ley et s’est fait coter sur le Nasdaq : c’est un modèle qui nous va très bien!! Notre ambition est de voir éclore de nouveaux Criteo ». D. C ET P. C.

PRETTY SIMPLE VANTE LES MÉRITES DU « WORK IN FRANCE » S ur son site Internet, entiè-

rement en anglais, la start-up parisienne Pretty

Simple Games invite les déve-loppeurs, artistes, testeurs et autres graphistes à consulter ses offres d’emploi : « Rejoignez l’équipe qui a fait Criminal Case. » Ce n’est pas le nom d’une série américaine, mais celui du « deuxième jeu Facebook le plus joué dans le monde », soit 9 mil-lions de joueurs par jour à la fin de 2012. Devant ceux du califor-nien Zynga!! « Nous sommes ins-tallés dans la plus belle ville du monde, cool, non!? », fait valoir l’équipe, qui a dédié une rubrique à « la vie à Paris ». Tout y passe, du Louvre à la gastronomie et aux bons vins : « La ville des amou-reux et des artistes » est aussi une capitale moderne et cosmopolite,

à la vie nocturne animée et dotée « d’infrastructures formidables et de transports publics e#caces ». Sans oublier les cinq semaines de congés payés, « un excellent sys-tème de santé gratuit », et même les 35 heures.

« QUAND VOUS VOULEZ DES FONDS, VOUS EN TROUVEZ »Retournant les clichés en avan-

tages concurrentiels sur le thème de l’équilibre vies professionnelle et personnelle, les fondateurs de Pretty Simple, Bastien Cazenave et Corentin Raux, sont d’ardents défenseurs du « work in France. » Installés dans le 20e arrondisse-ment, à Belleville, dans le même immeuble que l’incubateur Créa-nova, ils emploient près de 50 personnes et comptent en embaucher 100 autres dans les

deux à trois ans, tout en restant coûte que coûte à Paris. Ces deux gamers de 35 et 36 ans, au look de geeks assumé, diplômés l’un de Centrale l’autre de Telecom Paris Tech, n’ont pas l’intention d’aller s’installer dans la Silicon Valley. « On a tout ici à Paris!! Je suis très surpris du discours ambiant sur les difficultés d’entreprendre en France. Si vous avez un projet, vous allez voir un incubateur. Quand vous voulez lever des fonds à Paris, vous en trouvez!! » fait valoir Corentin Raux. Pretty Simple a levé 2,5 millions d’euros en 2011 auprès du fonds français Idinvest (ex-AGF Private Equity), qui avait financé son tour d’amorçage.

Ironie de leur success story phé-noménale, leur premier jeu sur Facebook, My Shops, est la

coqueluche des ménagères amé-ricaines!! Trois ans après sa créa-tion, Pretty Simple devrait réali-ser un chiffre d’affaires « très nettement supérieur à 10 millions d’euros » cette année, contre 1,1 million en 2011, uniquement en microtransactions sur le réseau social. « On n’a jamais vu une start-up en France à la crois-sance aussi rapide, c’est plus que Kelkoo, Criteo ou Dailymotion », s’enflamme Julien Codorniou, le directeur des partenariats en Europe chez Facebook. Rentable, avec des marges de plus de 60!%, la jeune société va devoir payer cette année un IS à taux plein, « ce qui n’est pas forcément adapté quand on est en phase d’investis-sement », concède Corentin Raux, mais cela fait partie de ce système « formidable » D. C.

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D’ici à 2016, les 30!000 m2 de la Halle Freyssinet, bâtiment classé monument historique, seront entièrement réhabilités par un des plus grands architectes français pour y accueillir 1!000 start-up. 140!000 M2 D’INCUBATEURS D’ICI À 2016

« Alors que les autres pays occidentaux résistent au changement, ce gouvernement l’embrasse. » GEORGE OSBORNE, CHANCELIER DE L’ÉCHIQUIER BRITANNIQUE, LUNDI 28 OCTOBRE,

AU LANCEMENT DE LA PREMIÈRE OBLIGATION SOUVERAINE ISLAMIQUE ET « CHARIA-COMPATIBLE ».

Hollande et l’impôt : Stop ou Encore!!S top ou Encore » est une célèbre émission créée

par une radio populaire et toujours aussi appréciée en 2013 que lors de sa création au tout début des années 1970. On y propose plu-sieurs chansons d’un artiste, et les auditeurs

appellent le standard pour encourager ou éliminer l’inter-prète en cours de di!usion. Au-delà de 50"% d’encore, on di!use une chanson supplémentaire. En dessous, on en reste là et on passe à un autre chanteur.

Ironie mise à part, comment mieux illustrer la séquence terrible qui vient de se dérouler sur la scène politique depuis la rentrée"? Sur le mode : Un, je taxe"! Deux, ça craque"! Trois, je recule (ou je fais un pas en avant, et deux pas en arrière, et un autre sur le côté), François Hollande multiplie les volte-face depuis dix-huit mois : Pigeons, patrons, allocations familiales, autoentrepreneurs, taxe EBE, épargne, et maintenant écotaxe poids lourds, cela commence à faire beaucoup.

REPRENONS LE FIL DEPUIS LA RENTRÉE. Taxe sur l’excédent brut d’exploitation des entreprises"? Stop, mais, encore quand même avec la création d’une surtaxe d’impôt sur les sociétés en portant le taux facial réel à 38"%. Appli-cation rétroactive d’un taux de contribution sociale de 15,5"% sur tous les produits d’épargne longue"? Stop, pour les PEA, PEL et l’épargne salariale, mais encore pour les contrats d’assurance-vie en unité de comptes, ceux qui financent les entreprises en fonds propres.

Stop ou Encore pour l’écotaxe poids lourds"? Votée par la droite dans un relatif consensus avec la gauche lors du Grenelle de l’Environnement en octobre 2008, en appli-cation étendue du projet d’eurovignette, elle a mis le feu à la Bretagne, et l’incendie menaçait de s’étendre à d’autres régions en sou!rance économique et sociale. Elle est SUS-

PEN-DUE. Sans limite de temps et dans tout le pays. Pour ramener la paix civile, François Hollande doit s’asseoir sur 1 milliard d’euros destinés aux travaux d’amélioration du réseau routier, notamment en Bretagne…

LA FRANCE EST-ELLE AU BORD D’UNE NOUVELLE JACQUERIE FISCALE, comme l’a$rme l’opposition de droite, qui dénonce la paralysie du pouvoir"? Même le syn-dicat majoritaire des Impôts, Solidaires Finances Publiques (ex-SNUI) le constate : « Le consentement à l’impôt, pilier de la démocratie, s’a!aiblit. »

Amorcée par les « Pigeons » à l’automne 2012, la contes-tation fiscale est devenue la règle. Nous sommes en train d’assister à la naissance d’une sorte de « Tea Party » à la française, comme aux États-Unis. Cette situation est dangereuse pour le pacte républicain. Nos ministres des Finances et du Budget doivent savoir qu’ils manient de la dynamite.

Ainsi de l’épargne : la révolte vient non pas du fond de l’a!aire (après tout, il ne s’agissait pas d’une hausse d’impôt, mais d’une extension de son assiette), mais du fait que les contribuables ont eu le sentiment pas illégitime de se retrouver pris au piège, sans échappa-toire possible. Or, les Français ont une vision particulière de leur « bas de laine ». Il est là pour préparer les coups durs ou la retraite. Voir l’État taxer ainsi des gains déjà constitués a été une énorme erreur d’appréciation. Même si elle a été vite corrigée, preuve que Bercy « écoute », cela ne préjuge en rien des pro-chains mauvais coups que prépare le ministère des Finances sur l’assurance-vie. Le risque, c’est ni plus ni

moins que de tuer la poule aux œufs d’or, car ces 1"400 milliards d’euros financent avant tout les emprunts du Trésor, avant de participer aux fonds propres des entreprises. La confiance de l’épargnant est donc un tré-sor à préserver…

Surtout, il y a un réel danger pour la démocratie à laisser se propager cette fronde fiscale. Car, en dépit de la cala-miteuse mise en œuvre technique de l’écotaxe, avec des portiques ressemblant aux octrois du Moyen Âge, o!rant des cibles faciles pour les manifestants, comment ne pas s’inquiéter de voir ainsi mise à bas toute idée de fiscalité environnementale. Alors que chacun comprend bien que c’est le seul moyen de changer les comportements et

d’inciter les camions à devenir moins polluants. En rejetant le bébé avec l’eau du bain au fin fond de l’océan, les Bre-tons en colère ont fait plus que faire reculer François Hollande. Ils ont aussi fait régresser la raison économique.

QUANT AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, qui vient de franchir les frontières de l’inconnu en termes d’impo-pularité, il est désormais pris au piège de l’impôt et de sa pause fiscale. À tel point qu’une majorité de Français lui disent aujourd’hui « STOP ». Pour qu’il espère à

nouveau les voir lui dire « ENCORE », il va devoir changer rapidement de chanson, et probablement, d’interprètes.

Car la rumeur du remaniement, voire de la dissolution, au cas où le semblant de majorité au Parlement éclaterait en vol devient chaque jour ENCORE plus forte.

Twitter : @phmabille

«Il y a un réel danger

pour la démocratie à laisser se propager cette fronde fiscale. »

L’ŒIL DE PHILIPPE MABILLE

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IL A OSÉ LE DIRE>>

À combien d’entreprises Bpi-france est-elle à ce jour venue en aide!?À travers le préfinancement du CICE, que nous avons mis en place en février, nous avons soutenu environ 10"000  entre-prises, qui emploient 1 million de per-sonnes, et ont reçu environ 1 milliard d’euros. Sans cette aide, de nombreux emplois auraient été certainement mena-cés. Beaucoup de demandes émanaient en e!et de petites entreprises qui avaient besoin de 2"000 ou 3"000 euros pour bou-cler une fin de mois. La trésorerie est aujourd’hui le grand stress de l’économie française.

Les banques traditionnelles ne jouent pas leur rôle à ce sujet!?Revenons aux chi!res, pour « recadrer » les on-dit alarmistes : les crédits d’inves-tissement des banques aux PME sont toujours en croissance, d’environ 0,5"%. On est loin du « credit crunch » massif annoncé par certains.Mais il est vrai que sur la trésorerie, on observe un recul de 4 à 7"%. C’est consi-dérable. Sur cette question, Bpifrance peut avoir un impact : il nous est recon-nu une vraie culture PME, et l’on constate que lorsqu’on décide de soute-nir une entreprise en difficulté, les banques suivent.

Que vous inspire le « french bashing » ambiant!?L’envergure que prend ce phénomène est grave. Cette maladie doit être traitée par tous et en particulier par les chefs d’en-treprise. C’est le rôle de l’élite d’absorber le stress du pays et de di!user un mini-mum de sérénité. On oublie trop souvent la quantité d’atouts dont nous disposons. Prenez l’activité « fonds de fonds » de la Bpifrance : c’est aujourd’hui la deuxième au monde. Nous sommes aussi le seul pays à proposer un crédit d’impôt re-cherche, le CIR, doté de 6 milliards d’eu-ros qui, de facto, finance les charges so-ciales des ingénieurs français.  

À propos du CIR, certains dé-noncent un e"et d’aubaine pour les grands groupes…Le CIR est sanctuarisé et le restera jusqu’à 2017. Les grands groupes n’en abusent pas, et l’allouent précisément à des contrats de R&D. Il ne faut pas croire que les gros ont plus de moyens que les petits : ils se demandent toujours quel est le meilleur endroit pour installer leurs centres de recherche, et le CIR doit pou-voir les convaincre de choisir la France. Et pourquoi pas convaincre des entre-prises étrangères de faire de même…

Interview réalisée par Thomas Blard et Éric Walther

« C’est le rôle de l’élite d’absorber le stress du pays » WEB TV / LA TRIBUNE DES DÉCIDEURS en partenariat avec

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Interrogé dans le cadre de l’émission de latribune.fr, Nicolas Dufourcq, directeur général de la BPI, a répondu aux questions des internautes.

LE BUZZ8LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

LE BUZZ 9

À l’occasion du premier anniversaire du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, le gouvernement présentera, lundi 4 novembre, un nouveau plan pour la compétitivité des entreprises, avec une priorité : développer l’innovation.

Compétitivité : le gouvernement sur le pont, l’innovation à la proue

IL Y A UN AN DÉJÀ, LE RAP-PORT GALLOIS avait symbolisé le tournant du gouvernement vers une politique de l’o!re. La mesure emblématique du pacte compéti-tivité croissance qui en a découlé, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) et ses 20 milliards d’allégement de charges sociales

via l’impôt sur les sociétés, doit maintenant être complétée par d’autres. Le gouvernement est bien décidé à ne pas laisser passer l’occasion de cet anniversaire pour convaincre l’opinion et les entre-prises que le gouvernement a tou-jours ce cap en tête.

La plupart des membres du gou-vernement sont sur le pont, sur-tout les sept logés à Bercy ainsi que Michel Sapin, le ministre du Travail et Geneviève Fioraso, la ministre de l’Enseignement supé-rieur et de la Recherche. La semaine dernière, une réunion à l’Élysée a été organisée ex abrupto pour préparer le premier anniversaire du Pacte national pour la croissance, la compétiti-vité et l’emploi, présenté le 6 novembre 2012 par Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre.

Lors de cet événement, le gou-vernement reviendra sur les mesures marquantes décidées depuis un an. Mais c’est surtout l’occasion pour l’exécutif de pas-ser à la prochaine étape. Parallè-lement au plan Big Data que la France souhaite pousser à Bruxelles, Jean-Marc Ayrault va présenter, lundi 4 novembre, un nouveau plan pour la compétiti-

vité des entreprises françaises, concocté par Fleur Pellerin, la ministre des PME, de l’Innova-tion et de l’Économie numérique.

Austérité oblige, ce plan ne contiendra pas de mesures onéreuses pour les finances publiques. Il n’y aura pas de CICE bis#! Selon nos informations, les

m e s u r e s q u i seront annon-cées par le Pre-mier ministre auront une prio-

rité : favoriser le développement de l’innovation en France.

Trois axes ont été retenus par Fleur Pellerin, qui a été fortement influencée par le rapport réalisé par Jean-Luc Beylat, le président d’Alcatel-Lucent Bell Labs, et Pierre Tambourin, chercheur à l’Inserm, et présenté en avril 2013, «  L’innovation un enjeu majeur pour la France ».

1. DÉVELOPPER LA CULTURE DE L’INNOVATIONLa culture de l’innovation en

France va de pair avec le dévelop-pement de la culture économique prévu par le projet de refondation de l’école porté par Vincent Peil-lon, le ministre de l’Éducation nationale. Initié par les Assises de l’entrepreneuriat en avril, ce chantier s’est accéléré la semaine dernière avec la création du Comité national éducation écono-mie (CNEE) et le lancement du statut d’étudiant entrepreneur.

Sur ce point, le rapport Beylat-Tambourin recommande notam-ment de réviser les méthodes pédagogiques de l’enseignement primaire et secondaire pour déve-lopper les initiatives innovantes, notamment à travers la création

de mini-entreprises à l’école, l’ap-prentissage de la programmation informatique dès le primaire et le secondaire.

2. SOUTENIR LES ÉCOSYSTÈMES INNOVANTSLe rapport Beylat-Tambourin

demande à l’État de décloisonner les e!orts en faveur de l’innova-tion de tous les acteurs, publics et privés pour que les résultats de la recherche se traduisent en gain de compétitivité et d’emplois dans le futur. Parmi les nom-breuses recommandations for-mulées dans ce rapport, le gou-ve r n e m e n t s ’ i n t é r e s s e r a i t particulièrement à l’essaimage à partir des grands groupes dans le secteur privé. L’idée est de don-ner leur chance à des « innova-tions potentielles qui, si elles ne trouvent pas leur place au sein du groupe, sont tuées en interne pour des raisons d’allocation des res-sources, de marché potentiel mar-ginal par rapport à l’activité du groupe, ou tout simplement de non-alignement avec la stratégie du groupe », indique le rapport.

Dans le public, refonder le transfert, c’est-à-dire le processus qui permet de passer d’une inven-tion, issue de la recherche publique ou de la recherche industrielle, à l’innovation, pour-rait être retenu, notamment en prenant en compte le transfert dans l’évaluation des carrières des chercheurs et en favorisant les transferts à destination des PME-ETI. Le décloisonnement doit également être géogra-phique, le rapport souhaitant le soutien des initiatives locales en renforçant le pouvoir d’animation des régions.

« Il n’y a pas d’écosystème perfor-mant sans un partage global des travaux de recherche, sans une flui-dité des échanges, des informa-tions. Il faut que tous les acteurs parviennent à travailler ensemble, qu’ils soient issus du public ou du privé, qu’ils soient installés à Paris ou dans les métropoles régio-nales », a martelé Jean-Luc Beylat mercredi, lors de la présentation de la nouvelle plate-forme de coordination des écosystèmes de l’innovation en France.

3. REFONDER LA POLITIQUE PUBLIQUE EN FAVEUR DE L’INNOVATIONEnfin, le rapport Beylat-Tam-

bourin suggère de clarifier les rôles et les relations de l’en-semble des acteurs publics, nationaux, régionaux et locaux pour permettre de définir enfin une véritable stratégie de l’inno-vation qui puisse être évaluée. La création d’une nouvelle structure ne serait pas à l’ordre du jour. La BPI, via sa branche Innovation,

pourrait devenir l’interface unique du financement de l’inno-vation en France

Le gouvernement réfléchit aussi aux moyens de permettre à la commande publique de promou-voir l’innovation. Pour l’instant, elle n’y parvient pas, les acheteurs publics n’étant absolument pas encouragés à le faire. En outre, ils

ne sont pas autorisés à acheter des biens et service qui n’ont pas de concurrent sur le marché#!

Ce nouveau plan d’action ne sera pas superflu. Une étude dévoilée ce jeudi par COE-Rexe-code constate certes que la com-pétitivité se redresse après une chute ininterrompue depuis le début des années 2000. Beau-coup d’indicateurs sont en e!et passés dans le vert. Ainsi, les parts de marché de la France à l’exportation dans la zone euro ne reculent plus depuis 2011, sta-bilisées à 12,8#%. En outre, le taux de pénétration du marché inté-rieur par les importations s’ef-frite et la part de la valeur ajoutée de l’industrie en France dans la valeur ajoutée industrielle euro-péenne progresse. « Les poli-tiques de renforcement de la com-pétitivité menées depuis dix ans en France, avec entre autres la mise en place des pôles de compétitivité et du crédit impôt recherche, com-mencent aussi à porter leurs fruits », constate Michel Didier,

le président de l’insti-tut. Même les résultats d’exploitation des entreprises indus-trielles ont récemment augmenté. « Mais ils restent proches de leur point bas », relativise Denis Ferrand, le

directeur général de COE-Rexe-code. « Si les politiques engagées depuis plusieurs années ont enrayé le recul de la compétitivité de notre économie, mais pour regagner tout ou partie du terrain perdu, l’e!ort d’innovation et de recherche doit être poursuivi et amplifié », poursuit-il. FABIEN PILIU

LA CÉLÉBRATION>>

Le 5 novembre 2012, Louis Gallois remettait au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, son rapport sur la compétitivité, dont a découlé le Pacte national. [PIERRE VERDY / AFP]

Les marchés publics, qui excluent les biens sans concurrent sur le marché, ne favorisent pas l’innovation.

LE BUZZ10LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

Cette application de messagerie enrichie, lancée il y a deux ans au Japon après le tsunami, compte 230 millions d’utilisateurs et échange 7 milliards de messages par jour. Prisée des jeunes pour ses autocollants virtuels, des icônes reflétant leurs humeurs, Line arrive maintenant en Europe.

Le phénomène Line part à l’assaut des ados français et européens

DÉJÀ LASSÉ D’INSTAGRAM!? Alors vous connaissez peut-être Line, l’application mobile sociale qui monte. Lancé en juillet 2011 au Japon après la catastrophe de Fukushima qui avait endommagé les infrastructures télécoms du pays, ce service de messagerie ins-tantanée sur smartphone fonction-nant initialement via WiFi, connaît une croissance spectaculaire depuis deux ans.

La jeune société, filiale du groupe Internet sud-coréen NHN (rebap-tisé Naver), éditeur de portails et de jeux en ligne, revendique 230 mil-lions d’utilisateurs aujourd’hui dans une cinquantaine de pays, après avoir franchi les 100 millions en janvier. Les Japonais sont accros (47 millions), les Thaïlandais et les Taïwanais aussi (respectivement 18 et 17 millions) et depuis peu les Espagnols également : 15 millions d’utilisateurs dans un pays où l’ap-plication de voix sur IP WhatsApp Messenger avait déjà fait des ravages.

Line vise désormais la France et devrait annoncer des partenariats avec des marques locales : en Espagne, la société s’est par exemple alliée aux clubs de foot du Real Madrid et du Barça.

Derrière les services « clas-siques » de voix sur IP mobile (appels et messages gratuits), la marque de fabrique de Line est les

« stickers », des milliers de vignettes virtuelles qui rappellent les émoticônes des messageries instantanées en plus aboutis et plus « kawaï » (« mignon » en japonais), pour exprimer ses humeurs : ils sont très prisés des jeunes, notam-ment les filles, qui représenteraient 60"% des utilisateurs.

Sept milliards de messages seraient ainsi envoyés en moyenne par jour"! L’application est gratuite

pour le grand public, ce qui a fait son succès à l’heure où WhatsApp devenait payante. Mais Line fait payer les marques, les

entreprises qui veulent créer leur compte officiel auquel peuvent s’abonner les utilisateurs afin de leur envoyer des informations, des promotions personnalisées, etc.

UNE PLATE-FORME NÉE ET PENSÉE POUR LE MOBILELine se décline aussi en applica-

tions spécifiques de jeux et de photo avec des filtres, des pinceaux, des cadres, etc., pour personnaliser son cliché à la manière d’un dessin. Et ça rapporte : Line a été classée l’ap-plication rapportant le plus de recettes sur la boutique Google Play pour appareils Android en juillet ( jeux mis à part). La société a généré un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros au deuxième trimestre (+77"% par rapport au tri-mestre précédent) et devrait atteindre les 100 millions au troi-sième trimestre.

« La moitié des recettes provient des jeux, 30!% des stickers et 20!%

des entreprises qui ouvrent des comptes o"ciels et o#rent des stic-kers sponsorisés », explique Sunny Kim, la directrice du développe-ment Europe-Amérique de Line.

En phase d’investissements mar-keting important, dont des cam-pagnes TV, pour soutenir son expansion internationale, la société vise la rentabilité l’an prochain. « En deux ans, nous avons évolué pour devenir une plate-forme de commu-nication en temps réel plus sociale. Mais Line est très différent d’un réseau social Web comme Facebook : nous sommes nés et pensés pour le mobile, nous ne stockons pas votre historique, nous ne partageons pas vos données ni ne révélons votre numéro de téléphone, tout se fait entre personnes qui ont échangé leur numéro. Et les contacts de votre répertoire téléphonique ne sont pas les mêmes que vos amis Facebook », relève la jeune femme. « Nous

créons de nouveaux marchés, c’est ce qui fait peur à Facebook, qui a essayé de lancer aussi des stickers dans son service de messagerie », s’amuse Sunny Kim, qui relève que « jamais nous n’aurions pensé devenir concur-rent de Facebook il y a deux ans. »

BIENTÔT UN MAGASIN EN LIGNE ET DES « LINE COINS »Line a néanmoins un peu copié

Facebook pour sa « Timeline » et Instagram (racheté par le réseau de Mark Zuckerberg) pour la photo. Line communique sur le nombre de téléchargements mais pas sur le nombre d’utilisateurs actifs qui est sans doute inférieur aux 230 mil-lions annoncés. La croissance est cependant exponentielle : avec la version espagnole, l’application vient de conquérir des millions d’adeptes au Mexique, en Argen-tine, et séduit les hispanophones aux États-Unis.

Installée à Los Angeles, près des décideurs marketing et des grands groupes de divertissement, Sunny Kim prépare avec prudence le lan-cement de Line d’ici à la fin de l’année sur les terres de Facebook et WhatsApp, « un marché très concurrentiel ». L’objectif est d’atteindre 300 millions d’utilisa-teurs avant la fin de l’année. Line lancera bientôt un service d’appels vidéo, à la Skype ou FaceTime, et ne craint pas de s’aliéner les opé-rateurs pour autant.

« Nous sommes l’application la plus aimée des opérateurs télécoms, se targue Sunny Kim, parce que nous favorisons la consommation de données. Nous avons besoin des opérateurs, d’un service optimisé. Nous avons des partenariats en Asie et nous en aurons bientôt en Europe. Nous allons aussi lancer un magasin en ligne où les achats avec notre monnaie virtuelle “Line coins” pourront passer par la facture des opérateurs. »

Si en Corée du Sud, le marché domestique de la maison mère, Line n’a pas encore détrôné le pion-nier de la voix sur IP, Kakao Talk, ce dernier avait dû batailler ferme contre les opérateurs qui avaient dégradé le débit pour bloquer ses services qui venaient rogner leurs recettes, relançant le débat sur la Net neutralité.

Depuis, les opérateurs dans le monde ont mûri sur le sujet de la voix sur IP et ont même lancé leurs propres applications de messagerie, comme Libon d’Orange.

DELPHINE CUNY

Une réforme d’envergure du code des marchés publics pourrait être intégrée au plan Innovation que Jean-Marc Ayrault dévoilera dans les prochains jours. Pour les entreprises, 200 milliards d’euros de commandes par an seraient à partager.

Le code des marchés publics bientôt réforméPOUR SOUTENIR LE DÉVE-

LOPPEMENT DES PME et leur permettre de devenir des ETI, voire des grands groupes, capables d’em-baucher, d’innover et d’exporter, le gouvernement a le choix. Soit il continue à multiplier les dispositifs fiscaux, les exemptions fiscales et réglementaires, les structures publiques, brouillant davantage un environnement déjà complexe, soit il dépoussière et modernise quelques leviers essentiels actuel-lement sous-utilisés. Le code des marchés publics fait partie de ceux-là. Le gouvernement a fait ce second choix. Selon nos informations, une

réforme d’envergure du code des marchés publics sera intégrée au plan Innovation que prépare Bercy (lire page 9). L’idée sous-jacente est de permettre à la commande publique de gonfler plus qu’elle ne le fait aujourd’hui les carnets de commandes des TPE et des PME. Selon les estimations basses, les achats publics représentent chaque année 200 milliards d’euros, soit 10"% du PIB environ.

Les entreprises innovantes seront particulièrement visées par cette réforme. Actuellement, elles ne peuvent répondre aux marchés publics si leur produit, parce qu’il

est trop innovant, n’a pas de concurrent. Absurde. Cette réforme aura aussi pour objectif de desserrer la contrainte qui pèse actuellement sur les acheteurs

publics. Le code des marchés publics prévoit qu’ils sont respon-sables pénalement trois ans après leurs décisions d’achats. Une épée de Damoclès qui explique l’ex-trême frilosité des acheteurs publics lorsqu’il s’agit de changer

de fournisseurs et leur inclination à choisir le mieux disant au niveau des tarifs. En cas de problème, le prix est en e#et un critère inatta-quable aux yeux du législateur"!

En procédant ainsi, le g ouvernement espère supprimer cer-taines aberrations. Un exemple"? Mis au

point par la société lyonnaise Eye Tech Care, le procédé révolution-naire pour détecter les glaucomes n’est pas utilisé par les hôpitaux publics car il n’a pas de concur-rent "! Heureusement pour la société, et les patients, les cli-

niques privées sont moins fri-leuses. Il a fallu l’intervention de la Médiation des marchés publics, qui présente ce vendredi son guide « Chefs d’entreprise, osez la commande publique », pour que certains hôpitaux publics à Lyon et à Paris, dont l’hôpital des Quinze-Vingt, acceptent de tester la solution d’Eye Tech Care.

Dans ce dossier, la prochaine réforme, permettra au gouverne-ment de faire une pierre deux coups : il permettra de soutenir le développement d’une PME inno-vante et d’alléger les comptes de la Sécurité sociale. FABIEN PILU

RÉSAUTEUR>>

En deux ans, Line est devenu un concurrent redouté de Facebook qui a riposté avec des stickers sur son service de messagerie. [LINE]

RECODEUR>>

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INE

LE BUZZ 11JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

Alors que le texte de Cécile Duflot est examiné en première lecture au Sénat, une note du Conseil d’analyse économique estime que l’encadrement et la garantie des loyers doivent être aménagés. Car en l’état, ces mesures seront peu e!caces et coûteuses, selon le CAE.

Le think tank de Matignon tacle la loi DuflotNOUVELLES CRITIQUES

ENVERS LE PROJET DE LOI pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) de la ministre Cécile Duflot. Mais cette fois-ci, elles viennent de son propre camp : le Conseil d’analyse économique (CAE), think tank du gouvernement, a publié une note sur la politique du logement locatif qui estime que la garantie universelle des loyers (GUL) est à revoir et que l’encadre-ment des loyers sera ine!cace. Ces deux mesures phares de la loi Alur viennent en parallèle d’être votées au Sénat en première lecture. Pour les économistes Alain Trannoy et Étienne Wasmer, qui ont rédigé la note, « l’encadrement des loyers n’est en général pas considéré comme un instrument adéquat car il entre en conflit avec l’objectif d’efficacité ». Selon les deux économistes, cette mesure va réduire la qualité du parc locatif privé. Car les propriétaires de logements dont les loyers trop éle-vés devront être rabaissés seront incités à les retirer du marché, faute de rentabilité locative su!sante.

L’IMPRÉCISE DÉFINITION DU « LOYER MÉDIAN »Pour maintenir ces logements

dans le parc locatif privé, l’État sera ensuite incité à accorder des avan-tages fiscaux aux bailleurs pour qu’ils retrouvent leur rentabilité locative d’antan, ce qui entraînera un coût supplémentaire pour les finances publiques. En outre, la détermination du loyer médian, qui fixe le niveau de loyer à ne pas dépasser par quartier et par habita-tion, risque de ne pas être assez pré-cise. « La taille des échantillons envi-sagés ne permet pas de tenir compte du grand nombre de caractéristiques pertinentes au sein d’un même quar-tier », jugent les auteurs de la note.

La note du CAE égratigne égale-ment l’autre mesure phare de la loi Alur : la garantie universelle des loyers (GUL). « Pour que cette réforme porte ses fruits en termes d’accès au logement locatif privé, tout en évitant une augmentation des impayés qui rendrait le système ins-table financièrement, elle doit aller jusqu’au bout de la logique en ins-taurant une véritable flexisécurité du logement », indique la note du CAE.

Ce tournant est régulièrement réclamé par les associations de pro-priétaires. La flexisécurité du loge-ment aurait pour but d’assouplir des règles en matière de baux, ce qui permettrait aux propriétaires de récupérer plus facilement leur bien. Ce, tout en renforçant en parallèle le droit au logement opposable (Dalo) qui permet à toute personne qui a e"ectué une demande de loge-

ment et qui n’a pas reçu de proposi-tion adaptée à sa demande d’exercer un recours devant le tribunal admi-nistratif. Pour le CAE, il est aussi

impératif de limiter le risque d’im-payé. Or, en l’état, la GUL n’incite pas l’État à se presser pour gérer les conflits et indemniser les proprié-

taires victimes d’impayés. « Cette situation renforce les craintes des bailleurs », indiquent les deux éco-nomistes.

En conséquence, le risque est que « l’o"re de logement se contracte, ce qui fait augmenter les loyers et ren-force le problème des impayés », ajoutent-ils. Les deux experts jugent cependant « qu’il faut aller jusqu’au bout de la logique de socia-lisation en faisant en sorte que la puissance publique internalise le

coût lié aux impayés ». Ils prônent de s’appuyer sur une Régie du loge-ment qui se chargerait de la résolu-tion des conflits entre locataires et propriétaires, tout en continuant à assurer le paiement des loyers. En s’appuyant sur les cotisations de la GUL, l’État refinancerait pour sa part la Régie, avec une décote pour le service rendu. Créancier en der-nier recours, il aura donc tout inté-rêt à ce que les impayés soient les plus faibles possibles, et à agir vite.

Pour le moins incisive, cette note du CAE arrive bien tard, alors que les discussions parlementaires sur le projet Duflot sont déjà bien entamées… Reste à voir s’il s’agit d’une volonté du gouvernement de faire marche arrière en deuxième lecture du texte ou bien d’un simple coup d’épée dans l’eau, alors que la loi Alur suscite une levée de boucliers de la part des profession-nels de l’immobilier.

MATHIAS THÉPOT

TANKGUEUR>>

LE BUZZ12LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

Nestlé a lancé la mode de l’expresso en capsules. Depuis, ce marché explose et la concurrence grossit. Dernier arrivé : Carte Noire (groupe Mondelez). L’occasion de faire un tri dans la multiplicité des o!res et des prix… où il apparaît que certaines o!res permettent d’économiser quelque centaines d’euros par an, à condition de s’armer de patience et d’huile de coude.

Café : faut-il lâcher Nespresso pour ses concurrents ?

La boutique Nespresso de Saint-Pétersbourg.

NESPRESSO : PLUS CHER, PLUS RARE, MAIS BIENTÔT DANS LE DICTIONNAIRE!?Alors, certes, vous faites partie du « club Nespresso »,

la maison finit par connaître vos goûts – à force d’enre-gistrer tous vos achats –, à chaque déplacement dans une boutique de la chaîne, un café vous est o!ert et une fois vos emplettes e!ectuées, vous avez l’impression de repartir avec un sac de bijoux… Mais, comme pour tout produit de « luxe », ces services ont un prix. En l’occur-rence, quelque 70 euros le kilo de café"!

« Personne ne fait ce calcul », relève Pierre-Louis Des-prez directeur général de Kaos Consulting, spécialiste des stratégies de marque et de l’innovation. De fait, Nestlé a su faire de son « système » un produit de haut de gamme, embauchant même une égérie « comme pour les parfums et les produits de luxe ».

Et embaucher George Clooney pour faire vibrer la ménagère, visiblement, ça fonctionne, puisque le groupe est parvenu à faire entrer dans des millions de cuisines les machines compatibles au design très étu-dié. D’ailleurs, ce ne sont plus de vulgaires « cafetières » pointe le spécialiste du marketing. Et parfois même, elles sont exposées dans le salon.

Plus encore que l’image, c’est tout le modèle qui fait désormais figure de cas d’école. Ses points forts"? Le « co-branding » avec Krups et Magimix plutôt qu’une simple sous-traitance pour la fabrication des machines. Surtout, le fait même de ne pas être dis-ponible en grande surface « évite toute comparaison » de prix avec les autres produits, pointe le communi-cant. Une stratégie implacable qui donne le senti-ment de « vivre une expérience unique tous les jours chez soi ».

Résultat : la marque et le produit sont aujourd’hui vécus comme incontournables au point que « prendre un Nespresso » est devenu une expression du langage courant qui « entrera bientôt dans le dic-tionnaire, au même titre que Kleenex », relève Pierre-Louis Desprez.

Prix : entre 0,35 et 0,42 euro la capsule. Distribution : unique-ment en boutiques Nespresso ou sur Internet.

CARTE NOIRE DÉSIRE… SA PART DU GÂTEAULe luxe, la volupté, l’exception…

Mondelez compte sortir de sa manche un jeu similaire à celui de Nestlé pour ses capsules compa-tibles Carte Noire lancées en octobre. Le deuxième acteur mondial du secteur et premier en France vend déjà des capsules pour son propre système Tassimo. Le groupe américain compte concurrencer son adversaire suisse sur son propre terrain pour un prix de revient par capsule à

peine moins cher, mais dis-ponible dans les circuits classiques.

Prix : 0,33 euro la capsule. Distribution : supermarchés.

L’OR ESPRESSO : SARA LEE S’EST MISE AU PASMaison du Café (groupe Sara

Lee) a développé depuis 2010 sa propre collection, vendue en supermarché. Le groupe propose pourtant lui aussi son propre sys-tème avec la machine Senseo. Mais, avec une croissance de 30"% par an, selon l’institut Nielsen cité par LSA-Conso, le marché de la capsule compatible Nespresso explose, même s’il ne représente que 10"% du total des recettes générées par la vente de café monodosé.

Au total, les ventes de dosettes toutes marques confondues en grandes surfaces et sites d’e-com-merce en France représentent un chi!re d’a!aires de 793,7 millions d’euros en 2013. Un chi!re trans-mis pour La Tribune par le cabinet IRI, spécialisé dans la distribution. En tout, 41,2 milliers de tonnes de dosettes ont été vendues dans ce circuit classique en France depuis le début de l’année.

Prix : 0,29 euro la capsule en gamme la moins chère. Distribution : supermarchés.

CAFÉ ETHICAL COFFEE COMPANY OU LA REVANCHE DE JEAN-PIERRE GAILLARDLe bébé de Jean-Pierre Gaillard, l’homme

qui a « inventé » le concept du « Club Nes-presso » cible la même population que Nestlé – des portefeuilles bien garnis – avec un « truc » en plus : il en appelle à la corde écolo. Contrairement aux capsules du géant suisse, les siennes sont biodégradables, même si Nestlé tente de « verdir » son image en promettant de recycler ses cap-

sules. Si certaines machines se bloquent lorsqu’elles sont utilisées avec les dosettes ECC, c’est, à en croire la compagnie de Jean-Pierre Gaillard, parce que son concur-rent « aigri » (sic) a fait concevoir des machines qui les rejettent.

Prix : 0,29 euro la capsule. Distribution : supermarchés.

LES « PETITS TORRÉFACTEURS » SE PRENNENT AU JUSLes distributeurs com-

mencent eux aussi à propo-ser leurs capsules compa-tibles. Casino sous-traite les siennes à Ethical Coffee Company et les commercia-lise 0,25 euro l’unité par boîte de dix. Mais il existe aussi des solutions alternatives et moins chères. Des torréfacteurs plus confiden-tiels comme Cap’Mundo ou Terres de Café encap-sulent leurs propres mélanges pour les systèmes Nes-presso et les commercialisent sur Internet ou chez des indépendants. Leurs prix, dégressifs en fonction du nombre de dosettes, peuvent descendent à 27 centimes la capsule. Des pros du café équitable s’y sont égale-ment mis. Le torréfacteur breton Lobodis, labellisé Max Havelaar, par exemple, propose dans plusieurs enseignes de la grande distribution sa gamme à partir de 0,29 euro la capsule.

Prix : entre 0,25 et 0,27 euro. Distribution : supermarchés ou revendeurs agréés, sites d’e-commerce spécialisés.

CAPSUL-IN ET NE-CAP : LES CAPSULES JETABLES À REMPLIR SOI-MÊMEUn peu d’huile de coude, une

once de patience et cette solution vous permettra d’économiser quelques centaines d’euros par an. Pour 9,95 euros le sachet de 100 capsules vides et 3,04 euros en moyenne le sachet de 250 gram-mes de café arabica moulu (prix constaté dans le commerce relevé en août 2013 par l’Insee), cette solution permet de s’o!rir n’im-porte quel café torréfié sous forme d’expresso pour 0,16 euro la tasse en moyenne (il faut compter 5 grammes par capsule). Ces cap-sules jetables à remplir soi-même peuvent être achetées par paquet de 100 sur des sites Internet spé-cialisés ou chez des vendeurs de café indépendants.

Prix : 0,16 centime la capsule. Distribu-tion : Internet et brûleries indépendantes.

SOLUTION PETIT BUDGET : LA CAPSULE RECHARGEABLELa marque Co!eeDuck commercialise des

capsules en plastique réutilisables, vendues sur Internet pour 14,95 euros les quatre dosettes, plus 3,50 euros de frais de port. À raison de deux tasses de café par jour, soit la consommation annuelle moyenne des Fran-çais, et sans compter le prix de la machine, cette méthode coûte en tout 62,85 euros la première année. Les irréductibles du « Club Nespresso », eux, acceptent de débourser 199,65 euros de plus chaque année – s’ils n’optent que pour les nectars les moins chers…

Mais là encore, il faut avoir la patience de remplir sa petite capsule et bien tasser. Les plus économes pourront tester le système D (prendre une veille capsule, découper l’oper-

cule, nettoyer, remettre du café moulu, tasser, fermer avec du papier aluminium). À leurs risques et périls : un tel « piratage » risque de bloquer l’appareil. Or, les conditions de garantie des machines sont plutôt restric-tives. Alors, qui tirera le meilleur jus de ce marché en pleine expansion"? Nespresso semble encore avoir une longueur d’avance et « peut désormais tenter de conquérir de nou-veaux marchés comme les États-Unis », où la marque est encore peu présente, rappelle Pierre-Louis Desprez. Alors, George, prêt à reprendre du service"? MARINA TORRE

Prix : un peu plus de 0,06 euro par tasse (une fois la capsule amortie). Distribution : en ligne.

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WHAT ELSE!? Des capsules de café compatibles avec le système Nespresso, il en existe désormais une profusion… L’Or Espresso chez Sara Lee, Ethical Co!ee Company, les dosettes biodégradables ima-ginées par le concepteur de Nespresso devenu concurrent de son ancien employeur et, plus récemment, Carte Noire pour le groupe américain Mondelez… sans parler des marques distributeurs et des

indépendants. À cela, il faudrait ajouter les autres machines avec « car-touches » ad hoc comme celle de Starbucks, et bien sûr Dolce Gusto de Nestlé ou encore Senseo chez Sara Lee et Tassimo de Mondelez qui concurrencent Nespresso à plus d’un titre. Face à une telle abondance, nul besoin d’abuser du café pour avoir le tournis. Pour s’y retrouver, voici un passage en revue des principales o!res du marché.

L’ENQUÊTELA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

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Fin de crise en vue pour les entreprises sud-coréennes de construction navale. Le premier constructeur de bateaux au monde, Hyundai Heavy Industries, accumule les commandes et compte maintenir son avance en se concentrant sur les navires et plates-formes à haute valeur technologique.

FRÉDÉRIC OJARDIAS, À ULSAN (CORÉE DU SUD)

A près des années 2000 fastes por-tées par la forte c r o i s s a n c e chinoise, la crise

financière de 2008 a durement frappé le secteur de la construc-tion navale : entre 2008 et 2012, les commandes mondiales ont chuté de moitié. En mai 2013, les commandes cumulées des chan-tiers chinois ont ainsi chuté de 23!% par rapport à l’année précé-dente, selon l’Association chinoise de l’industrie navale. Début octobre, le sud-coréen STX, écrasé de dettes monumentales (14 milliards d’euros), a annoncé la mise en vente prochaine de son unité STX Europe, qui contrôle notamment les chantiers de l’At-lantique à Saint Nazaire.

Aujourd’hui cependant, le plus dur semble passé. En tout cas pour les trois principaux constructeurs du pays du Matin calme, Hyundai Heavy Industries (HHI), Samsung Heavy Indus-tries et Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering, qui ont de nouveau le vent en poupe.

En septembre, par exemple, les commandes de la division navires de HHI ont augmenté de 36!% en année glissante, tandis que celles de sa division o"shore ont bondi de 284!%. « Entre janvier et fin septembre, nous avons enregistré pour 25,8 milliards de dollars de commandes au total. Cela su!rait pour maintenir nos chantiers occupés pendant au moins deux

ans"! », se félicite Lee Jin, repré-sentant de HHI.

« La clé du succès des construc-teurs sud-coréens, c’est la techno-logie », martèle Kim Hyun, ana-lyste à Shinhan Investment Securities à Séoul. En dépit du coût de la main-d’œuvre qui a beaucoup augmenté en trois décennies, Hyundai a réussi à maintenir sa compétitivité sur ses concurrents chinois en proposant des navires complexes à haute valeur technologique : des porte-conteneurs géants, des métha-niers, des navires de forage, ainsi que des unités flottantes de pro-

duction, de stockage et de traite-ment des hydrocarbures. « Les armateurs demandent aussi des navires plus économes en carbu-

rant, qui respectent les nouvelles régulations de protection de l’envi-ronnement. Pour toutes ces techno-logies, la Corée du Sud est très bien placée », souligne Kim Hyun.

Signe de cette avance, après huit années sans décrocher une seule commande de client chinois, Hyundai a signé en mai un contrat avec le transporteur China Ship-ping Container Lines pour la construction de cinq porte- conteneurs d’une capacité de 18!400 unités chacun. Sachant qu’un conteneur a un standard d’un EVP (équivalent vingt pieds), soit 2,591 mètres (8,5 pieds) de

haut sur 2,438 m de large (8   pieds) et 6,096 m (20 pieds) de long… ce seront les plus grands navires de ce type au monde. D’une longueur de 400 mètres et d’une largeur de 58 mètres, ces mastodontes seront équi-pés d’un système de bal-

last écologique, exigé à partir de 2014 par les autorités portuaires américaines. Leur moteur pourra automatiquement contrôler leur

consommation de carburant en fonction de la vitesse et des condi-tions en mer.

« Hyundai a énormément investi dans la recherche et le développe-ment à partir des années 2000 », explique Kim Hyun. L’entreprise fabrique aussi des moteurs et des hélices sur le site de son chantier d’Ulsan : « Cela nous permet de faire des économies de logistique et de diversifier nos activités. Aujourd’hui, un moteur de bateau sur trois vendus dans le monde sort de nos usines. Nous cherchons aussi à produire le plus possible au niveau local : 80"% de nos compo-sants sont fabriqués en Corée », a$rme Lee Jin, représentant du constructeur.

DES CHAMPIONS DE LA GESTION DE CHANTIERAutre exemple de bâtiment

nécessitant des technologies avancées : les navires de forage. Ce type de bateau, essentielle-ment destiné à la prospection d’hydrocarbures, est équipé de matériel capable de forer des puits dans des eaux de plus de

3!000 mètres de profondeur. Il nécessite un système perfectionné de positionnement pour rester toujours parfaitement à la verti-cale du puits. Un navire coûte la bagatelle de 650 millions de dol-lars. HHI en a livré quatre cette année, et en construit douze autres. En raison de la hausse des prix du pétrole, le développement de forages en pleine mer devient de plus en plus attractif, et la demande pour ce type d’installa-tion augmente.

Hyundai fabrique aussi des FSRU (Floating Storage and Regasification Unit), qui sont de véritables terminaux gaziers flot-tants : ancrés au large des côtes du pays client, ils stockent du gaz naturel liquéfié (GNL) et le distri-buent directement sous forme gazeuse. Ils intéressent particu-lièrement les pays émergents désireux d’importer du GNL : HHI livrera ainsi au début de 2014 une unité destinée à l’Indo-nésie. La division offshore de l’entreprise représente désormais 17,5!% de son chi"re d’a"aires (la division bateau et la division moteurs représentant respective-ment 39!% et 11,8!% du CA).

LE RETOUR DU TIGRE Un temps a!aiblis par la concurrence chinoise, les Sud-C

HYUNDAI RESTE À FLO T GRÂCE À LA TEC

Ulsan, principal chantier de Hyundai, dans le sud-est de la Corée du Sud, dispose de quais de 4 km de long. [FRÉDÉRIC OJARDIAS]

Innovation et diversification, clés du succès retrouvé par le n°1 mondial des chantiers navals.

Le Thalassa Patris, l’un des nombreux porte-conteneurs actuellement en cours d’assemblage sur le site d’Ulsan. [FRÉDÉRIC OJARDIAS]

L’ENQUÊTE 15JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

Hyundai est aussi la première entreprise à avoir construit des bateaux sur terre ferme (sans cale sèche), ce qui permet d’ac-cepter davantage de commandes, même quand toutes les cales sèches sont déjà occupées par des navires en chantier. La méthode est aussi utilisée pour les plates-formes o!shore : le bâtiment est entièrement assemblé sur quai puis glisse sur un système de coussins d’air, poussé par d’énormes vérins hydrauliques.

« Les Sud-Coréens n’ont pas peur de faire des investissements gigan-tesques. S’il le faut, ils raseront des montagnes pour construire des chantiers », s’enthousiasme un expatrié français employé sur le chantier d’Ulsan, qui préfère garder l’anonymat. « Ils ne cherchent pas nécessairement la révolution industrielle, mais la gestion des projets est e!cace : les informations sur le chantier circulent bien, ce qui permet en permanence des petites améliora-tions en temps et en argent. Et pour faire baisser les coûts, ils fabriquent des séries et essaient de standardiser au maximum la production. »

D’où un processus de fabri-cation par « mégablocs » : d’énormes tranches de bateau, t u y a u t e r i e i n c l u s e , s o n t construites séparément dans des hangars protégés des intempé-ries, puis sont soulevées par d’énormes grues et soudées les unes aux autres en cale sèche. Chaque navire est ainsi assemblé tel un Lego géant, constitué de 90 à 120 blocs selon sa taille, autour desquels s’a!aire une armée de soudeurs vêtus d’une veste grise, la même que celle portée par le fondateur de l’entreprise, Chung Ju-yung (1915-2001).

À ULSAN, ON PRODUIT UN NAVIRE TOUS LES 5 JOURSLe principal chantier de Hyun-

dai se trouve à Ulsan, dans le sud-est de la Corée du Sud, le cœur industriel du pays. Un navire en sort tous les 5 jours en moyenne. C’est le royaume de la démesure : le long de ses 4 km de quais, face à la mer du Japon, se déploient des dizaines de monstres d’aciers en cours d’as-semblage. Sous des portiques colossaux capables de soulever des blocs de 1#600  tonnes, des

morceaux de coques de la taille d’un immeuble sont empilés sur les quais, pièces d’un puzzle de titans qui attendent leur tour pour être assemblées. Quand 80#% du bateau est achevé, la cale sèche est inondée, le navire est mis à l’eau… et un nouvel assem-blage est lancé.

À bord du Thalassa Patris, un porte-conteneurs géant d’une capacité de 13 #800   EVP, les ouvriers s’activent avant le pre-mier essai en mer, prévu dans une semaine. « Nous testerons l’infor-matique embarquée la semaine prochaine. La livraison est prévue en novembre, et le temps presse. Entre la signature du contrat et la livraison, il nous a fallu dix-huit mois », explique Seo Gwang-ryeol, chef de projet. Il est de bonne humeur : « En ce moment, le moral est bon chez les ouvriers. Le marché va mieux. » Hyundai compte 25#000 employés, aux-quels s’ajoutent 30#000 ouvriers travaillant pour ses nombreux sous-traitants.

Il y a quarante ans, Ulsan n’était qu’un petit port de pêche. C’est aujourd’hui une grande ville industrielle de 1,1 million d’habi-

tants, où s’étendent à perte de vue des barres d’immeubles blanches, des usines et les immenses par-kings où des milliers de voitures, estampillées Hyundai elles aussi (les deux entités sont formelle-ment séparées depuis 1997), attendent d’embarquer pour inon-der les marchés du monde entier. « À Ulsan, 60#% de la population est liée directement ou indirecte-ment aux diverses industries Hyundai », note Lee Jin.

UN EMPIRE BÂTI À PARTIR DE RIEN…La réussite éclatante de l’entre-

prise est indissociable de l’histoire industrielle de la Corée du Sud, pays ruiné et déchiré à la fin de la Guerre de Corée (1950-1953), devenu en quelques décennies la 15e économie de la planète. Le fondateur de Hyundai, Chung Ju-yung, né en 1915 dans l’actuelle Corée du Nord, fonde le conglo-mérat en 1950, puis sa filiale HHI en 1972. Cette année-là, il avait convaincu un armateur grec de lui acheter deux pétroliers de 260#000 tonnes… alors que son entreprise ne possédait aucune expérience en la matière, ni même

de chantier naval. Parti de rien, mais décidé à prendre exemple sur le voisin japonais qui était alors numéro un du secteur, il réussit en deux ans à bâtir un chantier complet et à livrer son premier bateau en novembre 1974.

Une réussite aidée par les poli-tiques industrielles volontaristes et exportatrices du régime très autoritaire alors en place à Séoul, et par la capacité remarquable des Coréens à s’unir derrière leurs grands capitaines d’industries, érigés en héros du développement du pays. La Corée du Sud se déve-loppe au pas de course, et ses géants de la construction navale surpassent leurs concurrents japonais dans les années 1990.

Les chantiers navals chinois, entrés sur le marché au début des années 2000, pourront-ils à leur tour dépasser les constructeurs coréens#? Yu Jae-hoon, de la banque d’investissement Woori à Séoul, est optimiste : « Les grands constructeurs coréens maintiennent leur avance grâce à leur technolo-gie. Les Chinois sont devenus com-pétitifs sur les porte-conteneurs de taille moyenne, les vraquiers et les tankers. Mais ils ont des di!cultés pour produire des navires de très grande taille, des méthaniers et des équipements o$shore. »

De son côté, le sud-coréen STX avait choisi une autre stratégie, celle de l’expansion : « Quand STX a gagné beaucoup d’argent lors de la période de croissance, il a décidé de croître en multipliant les acqui-sitions. Il a notamment construit une filiale à Dalian, en Chine, qui a coûté une fortune », explique Song Bu-yong, du centre de recherche et développement de la région Gyeongnam. « Quand la demande a chuté en 2008, il s’est trouvé inca-pable de fabriquer les bateaux spécialisés et complexes qui ont per-mis aux autres de s’en sortir. » STX devrait bientôt se séparer de sa division européenne pour rem-bourser une partie de ses dettes, même si aucun calendrier ni mon-tant pour cette vente n’ont encore été annoncés.

LE RETOUR DU TIGRE Un temps a!aiblis par la concurrence chinoise, les Sud-Coréens regagnent des parts de marché grâce à leurs navires « intelligents ».

HYUNDAI RESTE À FLO T GRÂCE À LA TECHNO

«S’il le faut, ils raseront

des montagnes pour construire des chantiers. »UN EXPATRIÉ FRANÇAIS, EMPLOYÉ AU CHANTIER D’ULSAN

ENTREPRISES & INNOVATION16LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

Sur le Web, le business des langues se délie E-NICHES Reconnaissance et synthèse vocales, recherches sémantiques, analyses automatiques de contenus… avec l’explosion du Web 2.0 et du Big Data, les spécialistes des technologies linguistiques multiplient les marchés où se développer.

ERICK HAEHNSEN

P our des milliards d’internautes qui les utilisent librement au quotidien, sans dépenser un cen-

time, la reconnaissance vocale, la recherche de contenu et la tra-duction automatique sont deve-nues des outils naturels et indis-pensables. Conséquence : le marché des technologies linguis-tiques pèserait 8,6 milliards d’eu-ros en Europe en 2015.

« Il s’agit d’un secteur très frag-menté, constitué de petites entre-prises », observe Philippe Wacker, secrétaire général de l’association LT-Innovate. Créée en Belgique en 2012, l’association regroupe 170  acteurs évoluant dans les technologies linguistiques. Dont un grand nombre d’éditeurs de logiciels spécialisés dans l’interac-tion vocale, la traduction ou le traitement intelligent de conte-nus. Des domaines largement

investis par les géants du Web comme Google et Microsoft pour la traduction et le moteur de recherche. Ou Apple pour l’inte-raction vocale via les mobiles notamment.

Exemple typique de ces nou-veaux business : Translate Your World. Forte de 49 salariés, cette start-up basée à Atlanta, aux États-Unis, a mis au point une solution capable de traduire simultanément en 78 langues des discours ou des échanges oraux. « Notre logiciel baptisé TYWI-Live permet d’organiser des confé-rences internationales ou d’o!rir la possibilité à deux ou plusieurs personnes de dialoguer entre elles, chacune dans sa langue respec-tive », a"rme Sue Reager, la pré-sidente de la jeune entreprise, qui parle elle-même dix langues cou-ramment. Point fort de son logi-ciel, les échanges sont traduits simultanément et automatique-ment en temps réel sur les ordina-teurs. « La traduction s’effectue soit par une voix de synthèse que l’on peut choisir, soit à l’aide de sous-titres qui s’affichent sur l’écran », souligne Sue Reager. L’entreprise propose ce service distant moyennant 18 euros par mois.

En matière de traduction auto-matique, l’Europe n’est pas en reste, comme en témoigne le fran-çais Systran, ténor de la traduc-tion automatique de textes écrits. La société a lancé cette année une nouvelle version, Systran Links, qui rend la traduction des sites Web accessible aux PME et sites d’e-commerce. « Avec notre logi-ciel, le créateur d’un site peut invi-ter des personnes à traduire ses

pages de manière collabora-tive, ce qui permet d’avoir rapidement des sites multi-lingues à moindre coût », indique Jean Senellart, le direc-teur scientifique de l’entreprise. Laquelle réalise 10 millions d’eu-ros de chiffre d’affaires avec 70 salariés (chercheurs, linguistes et ingénieurs), dont 50 à Paris et 20 à San Diego, en Californie.

LE BIG DATA DÉMULTIPLIE LES CAPACITÉS DES APPLISCréé il y a quarante-cinq ans,

Systran est un des pionniers de la traduction automatique qui sert à trois applications. Pour le grand public, il s’agit de comprendre grosso modo le sens d’un texte. Côté professionnel, elle permet de prétraduire un texte avant l’inter-vention d’un traducteur profes-sionnel. D’autres l’utilisent comme « un filtre pour rechercher dans un très grand volume d’infor-mations des données pertinentes et les extraire », observe le directeur scientifique de Systran. Ce der-

nier lance cette année une librai-rie d’analyse multilingue qui s’intègre aux applications du Big Data. « Notre logiciel intervient en amont pour analyser et filtrer les données dont seront extraites des phrases clés qui contribueront à réduire le volume d’informations à traiter. »

Car le Big Data constitue en e#et désormais un puissant moteur de développement pour les techno-logies linguistiques. « Avec le Web 2.0, chaque utilisateur pro-duit de très grandes quantités de données qui constituent, pour les entreprises, un formidable gise-ment d’informations à valoriser. Dans ce contexte, grâce à la préci-sion et à la puissance de leurs algo-rithmes, les logiciels d’analyse et de recherche de contenu vont forte-ment se développer », analyse le secrétaire général de LT-Inno-

vate. Cette association a primé cette année trois entreprises dont Systran ainsi que deux start-up, Syllabs et Dictanova. Cette der-nière est spécialisée dans l’analyse qualitative des discussions entre internautes. « Nous avons déve-loppé des outils qui réconcilient les entreprises avec leurs clients », résume Fabien Poulard, président et cofondateur de l’entreprise nantaise Dictanova. Celle-ci compte, parmi ses six salariés, deux docteurs en traitement auto-matique des langues et un spécia-liste du Big Data. La start-up vient d’ailleurs de sortir un nouveau logiciel, Le lab du Web Social, qui décrypte les discussions sur les réseaux sociaux. « Notre solution intéresse les entreprises françaises et étrangères qui veulent savoir comment leur marque est perçue par les francophones. »

L’américain Translate Your World propose une application sur PC et smartphone de traduction simultanée capable de gérer 78 langues. [TRANSLATE YOUR WORLD]

MONTRE À RECONNAISSANCE VOCALE Nuance, l’un des leaders mondiaux en reconnaissance vocale, a noué un partenariat avec Samsung pour embarquer sa technologie sur le smartphone Galaxy Note 3 et la nouvelle montre connectée Galaxy Gear. Une première sur le marché.

La montre connectée de Samsung, pilotable à la voix. [SAMSUNG]

LE MARCHÉ MONDIAL DES LOGICIELS DE TRADUCTION devrait passer de 1,6 milliard de dollars à la fin de 2012 à 6,9 milliards en 2019, selon le cabinet d’études américain WinterGreen Research. Parmi les leaders du marché, sont cités Google et IBM, le britannique SDL et le français Systran.

Commande gestuelle Intel prépare l’ordinateur pilotable par les cinq sens. En témoignent l’acquisition d’Omek Interactive, spécialisée dans la reconnaissance de mouvements et celle d’Indisys, dans l’apprentissage automatique.

Avec Systran Link, le français Systran rend la traduction de sites Web accessible aux PME. [SYSTRAN]

ENTREPRISES & INNOVATION 17JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

Créée il y a sept ans, Syllabs s’apprête pour sa part à lancer ses premiers logiciels de génération automatique de contenus desti-nés, entre autres, au secteur du e-commerce. L’entreprise, qui compte six informaticiens et six linguistes, a développé des tech-nologies dans le domaine de l’analyse sémantique, du Web Mining (processus d’extraction d’informations stockées dans les serveurs Web), et dans la généra-tion automatique de contenus.

DES TEXTES AUTOMATIQUES ET « AGRÉABLES À LIRE »En se fondant sur des caractéris-

tiques techniques fournies par un fabricant de produits, le logiciel de Syllabs va produire des fiches d’information agréables à lire.

« Notre solution intéresse les places de marché électroniques qui ont des catalogues produits à créer », précise Claude de Loupy, dirigeant et cofondateur de cette entreprise parisienne. « Notre force, c’est d’être capable, pour une même famille d’articles, de pro-duire des fiches techniques di!é-renciées de manière qu’elles soient bien référencées par les moteurs de recherche comme Google », sou-ligne le dirigeant. Syllabs prépare d’ailleurs d’autres logiciels, notamment pour produire des rapports d’analyse financière ou catégoriser des flux d’informa-tions en vue de construire des flux RSS spécialisés.

Savoir exploiter les données et les échanges avec les clients est devenu un nouveau facteur de compétitivité. C’est du moins ce que démontre Exalead, le moteur de recherche français. L’entre-prise, qui compte 150 personnes, a été rachetée il y a trois ans par Dassault Systèmes. Cette année, elle prend une longueur d’avance sur le marché avec son logiciel

Exalead OneCall, destiné aux centres d’appels. « Notre solution donne à leurs agents une vision unifiée des informations sur le client », décrit Grégory Gre-fenstette, directeur scientifique.

Disponible depuis le début de 2013, OneCall indexe les informa-tions dispersées dans les diffé-rentes applications internes de l’entreprise (logiciels de gestion, de relation clients, e-mails, etc.) et sur le Web. Le but"? Les agréger, les analyser puis les restituer aux équipes qui sont ainsi plus e#-caces dans leur interaction avec le client. Parallèlement, Exalead s’adresse aux concepteurs et ingé-nieurs avec sa solution Exalead OnePart, qui agrège l’information existante concernant les pièces et

composants de produits com-plexes, issus des logiciels de CAO 2D/3D (conception assistée par ordinateur), mais aussi dans toutes les applications connexes. « Les industriels peuvent ainsi réu-tiliser l’existant, réduire la produc-tion de nouvelles pièces et mieux gérer les stocks. »

1 MILLION D’HEURES ÉCONOMISÉES…Aux internautes que nous

sommes, les technologies linguis-tiques font aussi gagner un temps considérable. C’est l’objet de Kwaga, une start-up parisienne de dix personnes dont trois lin-guistes. Lancé il y a deux ans, son service Evercontact actualise les

bases de données clients des entreprises ainsi que le carnet d’adresses électronique de ses 50"000 abonnés, principalement américains. « Sur 1 milliard de courriels traités, nous avons mis à jour 400 millions d’adresses. Soit une économie de temps estimée à 1 million d’heures », précise Phi-lippe Laval, le DG de Kwaga.

Pour développer son service commercialisé entre 4 et 12 euros par mois, l’entreprise a levé près de 3 millions d’euros auprès notamment de Kima Ventures (le fond de Xavier Niel), Seedcamp et Financière fonds privés. Loin de s’arrêter là, Kwaga vient de sortir une nouvelle version de son pro-duit qui permet de détecter auto-matiquement les coordonnées

professionnelles sur les pages Web.

Quant à Xbrainsoft, il s’agit d’une start-up très prometteuse basée à la fois à Lille et dans la Sil icon Valley. Xbrainsoft se range au service des utilisateurs finaux grâce à une plate-forme qui aide et

configure des assistants person-nels. « À la différence des aides traditionnelles, les nôtres sont capables d’interpréter et de com-prendre le sens d’une requête en fonction de la situation dans laquelle elle est émise, précise Emmanuel Mouclier, directeur commercial de l’entreprise entrée en phase d’industrialisation avan-cée. Les premières démonstrations vont arriver l’an prochain et concerner notamment l’éducation, la santé, la domotique ou encore l’automobile. » Un exemple"? Les automobilistes pourront être avertis de manière proactive de toute anomalie de leur véhicule ou des meilleurs prix d’essence possibles sur leur itinéraire.

Grâce à la puissance de calcul et à l’expertise accumulée, on peut déjà parler en français et être entendu en chinois…

La traduction à la portée des sourds et malentendantsEn France, il y aurait entre 100!000 et 150!000 personnes actives sou"rant de problèmes auditifs. Avec le recul de l’âge du départ à la retraite, ce nombre va augmenter. D’où l’intérêt des services lancés par le français Delta Process. « Nous proposons aux entreprises une plate-forme sur Internet très sécurisée qui permet à leurs salariés sourds ou malentendants de suivre des réunions ou de converser par téléphone ou encore d’accéder à des services publics », explique Hervé Allart, le PDG de l’entreprise. Créée il y a vingt ans, la PME réalise environ 5 millions d’euros de chi"re d’a"aires avec 80 collaborateurs. Ses interprètes sont formés à la langue des signes et à la sténo pour les salariés qui préfèrent communiquer par écrit. « En 2014, nous enrichirons la traduction écrite avec des sym-boles qui identifieront les formes paraverbales [intonations de la voix, ndlr] des conversations orales. » Ce qui aidera les salariés à mieux apprécier les tendances d’une négociation en cours. Autre amélioration prévue, le recours à des lunettes de type Google Glass qui permettront aux salariés de lire les traductions tout en regardant leur interlocuteur ou leur présentation écrite.

FOCUS

La plate-forme de Delta Process permet aux salariés malentendants de suivre une réunion grâce au langage des signes. [DELTA PROCESS]

« Notre proposition de valeur, c’est de garantir la performance des applications sur les réseaux longues distances (WAN) permettant une circulation toujours fl uide des données, à l’image des trains sur les voies ferrées », compare Thierry Grenot, le directeur général d’Ipanema Technologies, qui compte près de 200 salariés et vise 35 à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013, dont 70% réalisés à l’export. « Notre croissance va s’accélérer dans les deux années à venir, portée par les nombreuses transformations IT dans les entreprises (communications unifi ées, cloud, réseaux hybrides, etc.). » Dès sa création en 1999, Ipanema a misé sur l’innovation. « Pendant les premières années, l’innovation mobilisait 98% du temps de

nos ingénieurs. Bpifrance nous a beaucoup accompagnés dès nos débuts, avec des relations simples et directes, et en participant au fi nancement de nos études à hauteur de nos fonds propres. Sans cette aide fi nancière, nous n’aurions pas pu faire nos premières maquettes. Bpifrance nous a aussi accordé des avances remboursables dans le cadre de son programme d’aide à l’innovation, nous permettant d’accroître de 20% nos équipes de développeurs .» D’ici à trois ans, Ipanema veut se hisser parmi les trois premiers acteurs de son marché très concurrentiel. « Nous sommes encore plus petits que nos concurrents américains, mais nous avons une longueur d’avance dans la technologie de nos produits. »

IPANEMA TECHNOLOGIES, « CHEF DE GARE » DE L’INTERNET

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n’aurions pas pu faire nos premières maquettes. Bpifrance nous a aussi accordé des avances remboursables dans le cadre de

permettant D’ici à

trois ans, Ipanema veut se hisser parmi les trois premiers Nous sommes

encore plus petits que nos concurrents américains, mais nous avons une longueur d’avance dans la technologie de

Thierry Grenot, directeur général

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ENTREPRISES & INNOVATION 19JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

Le site d’e-commerce va lancer « Login and Pay », un moyen de paiement en ligne grâce auquel ses membres pourront acheter sur des sites tiers sans communiquer leurs coordonnées bancaires. Un deal à double tranchant pour les e-commerçants : du trafic supplémentaire, certes, mais ils perdent la connaissance de leurs clients.

Après PayPal et Paylib, Amazon aussi mise sur le paiement en ligneADELINE RAYNAL

N on content d’être le site d’e-commerce le  plus consulté en  France, avec quelque 14,5 mil-

lions de visiteurs uniques par mois en moyenne, le géant américain Amazon lance sa propre solution de paiement sur un site tiers et vient concurrencer directement PayPal, filiale d’eBay. Les détenteurs d’un compte Amazon – ils sont 215 mil-lions à travers le monde – vont pou-voir régler leurs achats via ce compte, sans avoir à communiquer leurs données bancaires au site tiers sur lequel ils commandent. Une solution de paiement en ligne ana-logue à Paylib, lancée à la mi-sep-tembre par trois banques françaises BNP Paribas, Société générale et la Banque postale.

Le système d’Amazon, baptisé « Login and Pay with Amazon » (« authentification et paiement par Amazon ») sera proposé à l’inter-naute à la fin de sa commande, aux côtés des traditionnels paiements par carte bancaire ou autres moyens de paiement en ligne. Le service sera gratuit pour les consommateurs et disponible aussi bien sur ordinateur que sur termi-nal mobile (tablettes et smart-phones). Côté e-commerçants, ceux qui se laisseront convaincre seront prélevés à chaque achat réglé par ce biais : ils verseront à Amazon l’équi-valent de 0,3 dollar plus 2,9"% du montant de la transaction.

Un tarif relativement élevé, mais exactement identique à celui de PayPal. « Ce nouveau service va changer la donne, estime Jean-Phi-lippe Wozniak, directeur associé du cabinet de conseil en e-commerce CoJT. Il va faciliter l’acte d’achat pour les consommateurs. » Ce qui pourrait permettre aux e-commer-çants d’améliorer leur « taux de transformation », c’est-à-dire la

part des visiteurs de leur site qui décident d’acheter.

« Login and Pay s’insère dans la stratégie de diversification mise en place par Amazon, elle va leur per-mettre d’augmenter encore leur puis-sance », complète François Ziser-man, fondateur de la société qui commercialise le moteur de per-sonnalisation pour site d’e-com-merce Target2Sell. Amazon, qui dispose d’une expertise technique solide, va proposer aux e-commer-çants une solution clés en main couvrant le paiement, bien sûr, mais aussi toute la gestion qui s’y rat-tache : système antifraudes, gestion des remboursements, etc. En fait, toute une palette de services de ges-tion de la relation client.

UNE AUBAINE POUR LES PETITS SITESPour les petites entreprises, Login

and Pay pourrait donc bien appa-raître comme une aubaine. Certes, sauf que… « Ce nouveau service risque d’être à double tranchant », prévient Jean-Philippe Wozniak. « Le bémol, c’est qu’il y a un risque de problèmes avec la confidentia-lité », pointe Frédéric Durand, fon-dateur de Diabolocom, créateur et opérateur de solutions de gestion des interactions client. Car Amazon aura ainsi la possibilité de collecter des données sur le comportement d’achat des clients, afin de leur pro-poser par la suite des services et produits adaptés à leur profil et intentions d’achat supposées… générant ainsi plus de recettes. « Amazon va savoir quels sont les produits, les marchés, les secteurs qui marchent bien chez d’autres e-commerçants », précise Frédéric

Durand. Pour le groupe américain, il s’agit d’un pas de plus dans la logique du Big Data, enjeu crucial du marketing notamment.

Chaque e-commerçant devra donc lire en détail les conditions d’utilisation du service et évaluer son intérêt si Amazon se réserve le droit d’utiliser les données collec-tées sur leurs propres clients. Il est

probable que les sites n’ayant pas les moyens d’exploiter à grande échelle ces données soient séduits par les 10 à 15"% de ventes supplémentaires que laisse miroiter la possibilité pour les internautes de pouvoir régler via un portefeuille électro-nique. En revanche, «  les grosses plates-formes risquent fort d’être réticentes à l’idée de confier leurs données clients à un tiers », confirme le directeur associé de CoJT.

UNE CROISSANCE À 15!% QUI ATTISE LES APPÉTITSL’initiative d’Amazon de cet

automne s’inscrit en tout cas dans une tendance générale. C’est même l’un des enjeux principaux dans le secteur du commerce en ligne. À côté de la carte bancaire, utilisée par environ 80"% des e-acheteurs, selon les données 2013 de la fédé-ration du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), les solutions de portefeuilles électroniques veulent avoir leur part du gâteau. Ce qui attire des acteurs comme Facebook. Le leader des réseaux sociaux a

commencé à tester en août un sys-tème permettant à ses membres de payer des achats depuis leur appa-reil mobile en utilisant leurs don-nées de connexion à son réseau. De son côté, eBay s’est renforcé en rachetant la plate-forme de paie-ment Braintree. Google, avec son portefeuille électronique Google Wallet, et Bouygues, avec le service Buyster, sont aussi déjà présents sur le secteur du paiement via le mobile. Mais pour l’instant, le lea-der incontestable, c’est Apple. Avec iTunes, l’entreprise fondée par Steeve Jobs a déjà constitué une base de 575 millions de comptes utilisateurs. Une mine précieuse"!

Pas étonnant que de jour en jour les appétits s’affichent, surtout quand on sait que, selon une étude Xerfi-Precepta dévoilée en avril 2012, le secteur du e-com-merce ne cesse de croître (+15"% par an) et qu’il représentera au moins 66,7 milliards d’euros de chiffre d’a#aires et 5,4"% de la consomma-tion des ménages en 2015, rien qu’en France"!

L’o!re de paiement en ligne d’Amazon, « Login and Pay », pourrait lui permettre de collecter d’innombrables informations sur les consommateurs des sites l’ayant adoptée. [LIONEL BONAVENTURE/AFP]

«Le bémol, c’est qu’il y

a un risque de problèmes avec la confidentialité. »JEAN-PHILIPPE WOZNIAK, DIRECTEUR ASSOCIÉ DE COJT

LE ZOOM DE LA SEMAINE

LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

TERRITOIRES / FRANCE20

FRÉDÉRIC THUAL À NANTES

Il faut bien l’avouer, sans la décision, il y a une quinzaine d’années, de la CCI de Nantes Saint-Nazaire de soutenir la création d’une école de

design, la métropole nantaise n’au-rait peut-être pas aujourd’hui cette physionomie et cet appétit créatif. Il faut bien reconnaître aussi que sous l’appellation « design », on empile allègrement designers, architectes, plasticiens, décora-teurs, urbanistes, agenceurs, scé-nographes, graphistes et autres artistes. Et au diable les puristes!! « C’est plutôt un état d’esprit », concède, comme pour apaiser les querelles de chapelles, Jean-Luc Charles (ancien directeur de cabi-net de Jean-Marc Ayrault), direc-teur général de la Samoa (Société d’aménagement de la métropole ouest Atlantique), en charge de la refonte de l’île de Nantes. Une aire de jeu de 337 hectares étalée sur 5 kilomètres de long, ouverte aux aménageurs, aux constructeurs et aux designers. Au cœur de ce vaste chantier de réhabilitation, le clus-ter du « Quartier de la création » où ont émergé les surprenants bâtiments de l’île Rouge, l’im-meuble Manny, ou encore le bâti-ment  B, tout en bois, cherche aujourd’hui à concentrer le monde de la communication, des arts gra-phiques, du numérique, du design…

UN ÉLAN CULTUREL NÉ DU FESTIVAL DES ALLUMÉS« Il y a quinze ans, aucune agence

de design n’existait dans la ville », remarque Christian Guellerin, qui dirige l’École de design Nantes Atlantique (EDNA) depuis sa créa-tion en 1995. Aujourd’hui, Nantes compte trois établissements de formation dédiés au design, une école d’architecture, une école des beaux-arts. « Il y a à Nantes une conjonction de volontés politiques

départementales et régionales qui favorisent le design, la création et l’innovation. Mais au-delà de ces volontés, c’est parce que le design est essentiel à une réflexion sur les mutations socio-économiques qu’il se développe. Il est devenu straté-gique pour toutes les entreprises et en particulier pour celles qui, sou-mises à la concurrence, sont dans l’obligation d’évoluer », analyse-t-il.

Le design a, aussi, profité de l’élan culturel orchestré par Jean Blaise, depuis les Festivals des Allumés (de 1990 à 1995) jusqu’aux plus récentes biennales d’art contempo-rain, Estuaire. Dernièrement, encore, le directeur du Voyage à Nantes faisait appel aux « électrons libres » de l’agence de design Meta-lobil pour revisiter le siège social de cette structure de promotion tou-ristico-culturelle de la ville.

LE BEAU DOIT RIMER AVEC CROISSANCE ET EMPLOIEn moins de dix ans, l’agence de

design nantaise, créée par Matthieu Lebot et Freddy Bernard, a réha-billé la métropole nantaise à coup de scénographies, de mobiliers design et d’ingénieries graphiques. Ici, pour la scène nationale du Lieu Unique!; là, au centre hospitalier vétérinaire Atlantia ou bien dans le showroom du distributeur de mobilier design IDM!; là encore, avec le bâtiment Manny, coi#é « de 3 "000  lames d’aluminium de manière à reproduire les mouve-ments fluides du pelage du mam-mouth de l’âge de glace », dans le bâtiment Eureka, siège social du quartier de la création!; ou ailleurs, comme au Nid, établissement de restauration panoramique perché au 36e étage de la tour Bretagne dominant la ville… « Le design ne se limite pas à une question de mobilier, c’est davantage une réflexion sur la manière d’habiter les espaces. Cette réflexion a mué avec la densification de la ville. L’arrivée de nouveaux

publics et de regards neufs constitue le véritable levier de croissance de demain », estime Patrick Gyger, directeur du Lieu Unique.

Ainsi, en attendant d’accueillir un lieu dédié à l’économie sociale et solidaire, un ancien site de karting a été transformé, en janvier dernier, en un espace modulable qui accueille une quarantaine de TPE dans des bureaux en bois de 12 à 96 m2. Mis en œuvre par l’architecte Jean-Louis Berthomieu, le concept NOW (New O$ce Workshop) est conçu à partir de conteneurs recy-clés, aménagés et superposés. Une architecture qui permet d’optimiser les coûts de construction et de limi-ter les loyers à 150 €/m2 par an, Internet, sécurité et électricité compris. De son côté, l’agence Fal-tazi a travaillé sur l’économie circu-laire pour rendre les villes plus rési-lientes. Ou comment créer des quartiers fermiers en ville autour de problématiques alimentaires. Car il ne s’agit plus seulement de

faire « joli ». Le beau doit rimer avec ergonomie, environnement, déve-loppement durable, compétitivité, croissance et… emploi.

ACCOMPAGNER LES APPRENTIS DESIGNERSLa ville compterait aujourd’hui

une centaine de designers indépen-dants. À elle seule, l’école de design forme chaque année un millier d’étudiants dont 300 apprentis. Prise en 2006, « cette orientation vers l’apprentissage a permis de sen-sibiliser les PME au design et d’o#rir des évolutions de carrières aux desi-gners », explique Jean-Luc Baras-sard, directeur du service Stratégies aux entreprises à l’EDNA, et fonda-teur, en 2008, de l’Association des designers intégrés. Une structure récemment sollicitée par le minis-tère du Redressement productif en vue de constituer un référentiel des métiers du design.

Face à un métier relativement neuf et à des compétences dissémi-

nées, le conseil régional vient d’im-planter le siège de la plate-forme régionale d’innovation Design’In Pays de la Loire, au cœur de l’île de Nantes. Un outil collaboratif voulu pour accompagner le développe-ment du design sur le territoire. « Les stratégies d’innovation cen-trées sur l’observation de l’utilisateur seront décisives pour la conception de nouveaux produits et services. C’est un relais de croissance capital pour les entreprises », a$rme Chris-tophe Clergeau, premier vice-pré-sident de la région. Signe de cette attractivité naissante, en septembre dernier, la Cité des congrès de Nantes accueillait les premières Rencontres internationales de l’industrie et du design. Et pour sa deuxième édition, le parcours itiné-rant du Design Tour (Bordeaux, Lyon, Montpellier, Marseille), orga-nisé de la mi-octobre à la fin novembre, avait décidé de faire étape à Nantes du 23 au 27 octobre. Comme une cerise sur le gâteau.

En une quinzaine d’années, depuis la création de l’école de design Nantes Atlantique, la métropole nantaise s’est forgé une culture « design ». À tel point, qu’aujourd’hui, les créateurs s’emparent de la ville, la redessinent et investissent les entreprises.

Nantes, un théâtre à ciel ouvert pour tous les acteurs du design

LA BONNE OPÉRATION

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L’innovation des PME : l’arme anti criseVendredi 15 novembre de 8h30 à 10h00

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Le Mètre à ruban, œuvre pérenne de Lilian Bourgeat, conçue pour Le Voyage à Nantes 2013. [FRÉDÉRIC THUAL]

TERRITOIRES / INTERNATIONAL 21JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

Aux Pays-Bas, certains quartiers sont des modèles d’intégration « inversée » : ce sont des Néerlandais qui trouvent leur place dans des lieux où habitent beaucoup d’immigrés. C’est le cas à Rotterdam, où « Medi », un quartier de facture méditerranéenne – mi-riad, mi-maison de canal – attire les « bobos » néerlandais.

Rotterdam, un modèle inattendu d’intégration multicuturelle

SABINE CESSOU, À AMSTERDAM

L a résidence « Medi » –  un raccourci pour « Méditerranée » – a été construite en 2007 à Bospolder, une ban-

lieue à proximité du terminal fruits et légumes du plus grand port d’Europe. Les lieux tranchent avec l’alignement de maisons de briques du reste du quartier, et de ses HLM cubiques aux balcons bleus héris-sés d’antennes paraboliques. La résidence s’organise autour d’un grand patio avec fontaine, comme dans les riads du Maroc. Ses portes, sous de longues arches, sont fermées la nuit pour des rai-sons de sécurité.

De style mi-andalou, mi-hollan-dais, avec ses maisons mitoyennes de trois étages, cet ensemble était surtout destiné aux classes moyennes et supérieures d’immi-grants marocains.

Medi a cependant attiré aussi une clientèle inattendue de « bobos » néerlandais. Des «  bourgeois

bohèmes » intéressés par le rap-port qualité/prix de ces logements certes, mais également par l’exo-tisme du quartier. Ils représentent la moitié des 100 habitants de la résidence, tous propriétaires. Au final, ce projet marque une sorte d’intégration à l’envers : celle des Néerlandais dans leur propre société multiculturelle, dans une ville dirigée par Ahmed Aboutaleb, un maire travailliste d’origine marocaine. Une réalité qui n’em-pêche pas les immigrés de trouver aussi leur place dans des quartiers néerlandais.

À Amsterdam, les nouvelles extensions de la ville peuvent di"-cilement passer pour des « ban-lieues », compte tenu de leur proxi-mité du centre grâce aux transports en commun, mais aussi de leur mixité sociale et de leur audace architecturale. Les îles de Borneo, Java, Sporenburg et KNSM, à l’est de la gare centrale, étaient jusqu’en

1998 d’anciennes friches indus-trielles. Elles ont été transformées en vaste laboratoire architectural. Des grands bourgeois s’y arrachent à prix d’or des maisons qui riva-lisent d’originalité. Quelques rues plus loin, un vaste immeuble

dénommé « la baleine » à cause de sa forme et de sa taille comprend des logements « normaux » et des logements sociaux.

UNE INGÉNIERIE SOCIALE EN PERPÉTUELLE ÉVOLUTIONIl en va de même à Ijburg, un

nouveau quartier édifié à partir de 2002 pour loger 45#000 personnes sur six îles artificielles, à l’est d’Amsterdam. À quinze minutes de tramway de la gare centrale, il o$re à ses habitants, d’origines très diverses, une vie urbaine futuriste : chaque immeuble porte la gri$e d’un architecte di$érent. Les HLM ne se distinguent pas par leur éven-tuelle laideur : ils sont au contraire di"ciles à repérer dans ce quartier ultramoderne, mais permettent aux plus bas revenus d’y accéder.

Le Medi, quant à lui, a fait des émules. À Slotervaart, un quartier ouest d’Amsterdam, une société publique de HLM a proposé en

2012 des logements « halal ». Leur particu-larité#? Un robinet en plus dans l’apparte-ment pour faire ses ablutions avant la prière et un placard à c h a u s s u r e s… Un e controverse a suivi, sans vraiment porter

sur le cœur du sujet : le modèle d’ingénierie sociale est en perpé-tuelle évolution aux Pays-Bas.

Car jusqu’en 2011, le tiers de l’ha-bitat correspondait à des HLM qui n’étaient pas réservés aux plus défavorisés. Mais pour ne pas faus-

ser la concurrence vis-à-vis du sec-teur privé, la Commission euro-péenne avait demandé que cette possibilité soit restreinte. Depuis 2011, seuls les ménages touchant moins de 33#000 euros par an peuvent y prétendre. Sur les 2,6 millions de ménages qui sont déjà locataires, 82#% louent des HLM. Des appartements où des jeunes cadres aiment habiter, à côté d’étudiants et d’immigrés. Seulement 335#000  personnes sont locataires dans le « secteur privé », où la demande est large-ment supérieure à l’o$re. Le mode d’habitat le plus répandu reste la propriété (59#% des ménages), grâce à une politique de déductibi-lité fiscale des intérêts versés sur les emprunts immobiliers. Une particularité aussi remise en cause par la Commission européenne, mais très di"cile à faire réformer.

LE GÂCHIS MONUMENTAL DE LA MOSQUÉE DE L’OUESTLes sociétés HLM, qui jouissent

d ’u n e g r a n d e a u t o n o m i e , construisent partout, y compris dans les quartiers huppés du centre-ville d’Amsterdam. La capi-tale économique compte 50#% de logements sociaux. Leur présence partout, même dans les quartiers les plus cotés de la ville, comme le Pijp ou le Jordaan, a permis d’éviter la création de ghettos. Ils corres-pondent à un impératif très prag-matique : la cité la plus cosmopolite d’Europe, avec 740#000 personnes et 170 nationalités, compte 45#% d’habitants d’origine étrangère.

Elle ne peut pas se permettre de mettre à l’écart ses « allochtones ». La seule banlieue digne de ce nom dans la ville fait d’ailleurs figure d’exception, et gêne par sa mau-vaise réputation : Bijlmermeer est devenu le quartier « noir » d’Ams-terdam, après l’indépendance du Surinam, ex-colonie néerlandaise, en 1975. Ses hautes tours et loge-ments sociaux ont attiré des Suri-namais, mais aussi des Antillais et des immigrés africains, Ghanéens notamment. Depuis, la mixité sociale n’en reste pas moins recherchée, avec la transformation du quartier. Une zone de loisirs adjacente a émergé ces dix der-nières années, autour du stade Arena, avec grands magasins et complexes de cinémas.

Comme Rotterdam, qui a construit une grande mosquée en 2006 dans l’une de ses « ban-lieues », Amsterdam a voulu elle aussi sa grande mosquée. La ville a mis 2 millions d’euros dans le pro-jet de « Westermoskee » ou « mos-quée de l’Ouest ». Sa construction, confiée à une société de logement social, Stadgenoot, a viré à un gâchis monumental, en raison de l’orientation intégriste du parte-naire turc choisi pour gérer le pro-jet : Milli Görüs, une organisation classée « terroriste » en Allemagne. Mais pas aux Pays-Bas, nettement plus tolérants. Du coup, le minaret de 42 mètres de cette grande mos-quée qui devait être l’un des plus hauts édifices de la ville ne sortira probablement jamais de terre… Au grand dam de la municipalité#! 

La résidence Medi, à proximité du plus grand port d’Europe, mêle architectures andalouse et hollandaise. Elle était, à l’origine, destinée aux classes moyennes d’immigrés marocains. [G&S ARCH 2009]

LE GRAND CHANTIER

Ici, les sociétés HLM constuisent aussi dans les quartiers huppés. Cela a permis d’éviter la création de ghettos.

ROTTERDAM ( 607 000 habitants, 47 % d’étrangers, 36 % de « non-Occidentaux ».

AMSTERDAM ( 740 000 habitants, 45 % d’étrangers, 32 % de « non-Occidentaux ».

35 % ( C’est la proportion de logements sociaux aux Pays-Bas.

600 EUROS ( Coût moyen d’un loyer en HLM.

Repères

LES IDÉES22LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

Lors de son uni-v e r s i t é d ’é t é 2 01 3, P i e r r e G a t t a z , p r é -sident du Medef, a déclaré : « L’en-treprise est la

solution. » Dans notre pays où la défiance vis-à-vis des entrepre-neurs semble culturelle, il est important de souligner que les solutions économiques passeront nécessairement par l’entreprise et sa capacité à générer de l’emploi.

Mais M.  Gattaz, de quelles entreprises parle-t-on"? Pour des solutions à quels enjeux"? Savez-vous que, chaque jour, une personne se suicide en France à cause de son travail"? Plus personne ne peut nier la responsabilité des entre-prises dans la dégradation des conditions psycho-logiques de travail. Savez-vous que, selon l’OMS, la pollution atmosphérique est un cancérogène désor-mais avéré"? Plus personne ne peut nier la respon-sabilité de notre développement économique sur notre santé…

Notre monde est aux prises avec un défi historique inédit par la nature et la conjonction des enjeux et des crises : économique, industrielle, sociale et éco-logique. Considérer l’entreprise uniquement comme solution à l’impasse économique est une erreur d’appréciation de la complexité des défis à relever. Où sont les solutions pour entrer, confiants, dans ce nouveau monde qui saura conjuguer tran-sition énergétique, partage équitable des richesses créées, équilibre alimentaire, progrès social et démocratique"?

L’ÉMERGENCE D’ENTREPRISES D’AVENIR RESPONSABLES Nous constatons qu’un mouvement profond et

transformateur est en marche dans l’économie capitaliste. Celui de « l’entreprise d’avenir » ou « entreprise responsable » qui fait émerger des agents majoritairement issus de l’économie de mar-ché dont la contribution sociale, environnementale et sociétale est forte et intégrée à la performance globale. Sondés en 2013 dans le cadre du baromètre « CSA-Generali : Les décideurs face aux nouveaux défis de société », les dirigeants d’entreprise sont 25"% à avoir mis en place un reporting sociétal et environnemental et lancé une démarche d’évalua-tion ou de certification extra-financière.

Ce mouvement s’incarne parfaitement dans la dynamique d’un réseau comme Entrepreneurs d’avenir, lancé en 2009 en France, qui réunit déjà près de 700 entreprises (www.entrepreneursdave-nir.com), ou dans le développement d’un mouve-ment et d’un label américain, BCorporation (www.bcorporation.net), auquel plusieurs centaines d’entreprises dans le monde ont déjà adhéré.

Le succès de cette entreprise de demain passe par la reconnaissance sociale de ses actions et sa capa-cité à partager avec la société sa vision, ses projets

et sa valeur. C’est le sens que se donne le Parlement des entrepreneurs d’avenir. Il réunit tous les deux ans les dirigeants de ces entreprises qui, sans relâche, travaillent dans ce sens. Des solutions émergent, en réponse aux changements du monde d’aujourd’hui. Certes, elles sont parfois embryon-naires, partielles ou imparfaites, mais elles sont mises en œuvre par des entrepreneurs et autres artisans du changement résolus à construire un avenir meilleur et souhaitable pour tous.

DES SOLUTIONS LOCALES CONTRE LE DÉSORDRE MONDIALIl est aujourd’hui indispensable de s’inspirer de

modèles vertueux de croissance pour relever les défis sociétaux majeurs tels que réduire le chômage, agir sur les causes de l’exclusion et créer les condi-tions d’insertion de tous.

Exemple"? Christophe Cheva-lier, directeur général du Groupe Archer, a réussi à mobiliser et faire coopérer une diversité d’ac-teurs du territoire de Romans-sur-Isère. « En 2005, explique-t-il dans L’économie qu’on aime!! Relocalisations, création d’em-plois, croissance : de nouvelles solutions face à la crise (Rue de l’échiquier, 2013.), on a compris qu’il valait mieux créer nous-mêmes les emplois dont les habi-tants avaient besoin plutôt que d ’a t t e n d re d ’ hy p o t h é t i q u e s embauches par les entreprises en place. » Le groupe d’insertion se transforme alors en entreprise de développement de territoire. Chaque année le groupe Archer emploie 1"200 personnes dans des

activités très diversifiées : bâtiment, travaux publics, transport, services à la personne, etc. Il favorise également le regroupement des entrepre-neurs locaux qui peuvent ainsi plus facilement remporter des marchés ou développer de nouvelles activités. En outre, il a lui-même créé une coopé-rative mettant en réseau des artisans locaux et a réuni au sein du collectif « Pôle Sud » entrepre-neurs, associations et services publics dans les mêmes locaux.

LIBÉRER L’ENTREPRISE POUR FAIRE GRANDIR LE CAPITAL HUMAINComme le rappellent Gaël Giraud et Cécile

Renouard (Vingt propositions pour réformer le capi-talisme, Flammarion, Champs essais, publié en 2009 et réédité en 2012), « la place première prise par le

profit occulte les autres finalités de l’activité économique, démobilise ses employés, dévalorise l’acte d’entreprendre, isole la société de son environnement et détruit les structures sociales en appréhen-dant la personne comme un indi-vidu égoïste ».

Bien entendu, dans les discours, on voudrait mettre l’homme au cœur du projet. Mais souvent, dans les faits, les politiques sociales sont plus des variables d’ajustements courtermistes que des leviers de développement collectif. L’entreprise d’avenir

fait le pari que les hommes et les femmes qui la composent sont son plus grand capital. L’évaluer, le faire grandir et le promouvoir est essentiel. Le « diagnostic social d’avenir », nouveau référentiel

JACQUES HUYBRECHTS FONDATEUR DU RÉSEAU ET DU PARLEMENT DES ENTREPRENEURS D’AVENIR.

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ET SI L’ENTREPRISE AVAIT LES SOLUTIONS!?Pourquoi venir au Parlement des entrepreneurs d’avenir"? Les 5 et 6 novembre au Conseil économique, social et environnemental (CESE), 75 personnalités du monde de l’entreprise, patrons de grands groupes (Generali, Bouygues…), patrons de PME et de start-up, ainsi que des entrepreneurs sociaux, partageront les solutions qui leur semblent les meilleures pour apporter des réponses aux nouveaux défis de l’avenir. La Tribune est partenaire de cet événement qui veut démontrer que sous les pavés de la crise, de nouveaux modèles économiques sont en train de naître.

Pierre Gattaz, président du Medef, est de ceux qui a!rment que « l’entreprise est la solution »… [ERIC PIERMONT/AFP]

«L’entreprise d’avenir

fait le pari que les hommes et les femmes qui la composent sont son plus grand capital. »JACQUES HUYBRECHTS

LES IDÉES 23JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

lancé en 2013, o!re aux dirigeants d’entreprise un outil simple leur permettant d’évaluer leur progrès social et leur engagement sociétal.

Des dirigeants visionnaires ont su libérer leur entreprise de la bureaucratie hiérarchique et construire un environnement organisationnel qui rétablisse le respect et la confiance en l’intelligence des salariés. En parallèle, une démarche de déve-loppement personnel renforcée doit être mise en place pour révéler et faire se réaliser le potentiel humain et ainsi gagner en agilité, en capacité à innover et faire résistance à la crise. Citons comme exemple d’entreprises libérées FAVI, entreprise industrielle picarde et Lippi, entreprise poitevine, exemples développés par Isaac Getz dans son ouvrage Liberté et Cie (Flammarion, 2013).

Faire émerger un nouveau leadership dans les entreprises est à notre portée : Michel Hervé, pré-sident fondateur du groupe Hervé l’a mis en pra-tique avec succès depuis quarante ans. Sa philoso-phie est la suivante : s’il est urgent de posséder des savoir-faire de pointe, il est essentiel d’avoir des savoir-être aussi performants. Elle se réalise sui-vant trois modalités : intra-entrepreneuriat, déhié-rarchisation du pouvoir, organisation en réseaux. « Pour y parvenir, le management et l’organisation doivent être focalisés non plus sur le contrôle et la directivité, mais sur la libre initiative et la confiance », précise Michel Hervé dans Le Pouvoir au-delà du pouvoir. L’exigence de démocratie dans toute organisation (François Bourin, 2012). Cette façon di!érente de vivre l’entreprise engendre une meilleure participation de chacun et donc une meil-leure réactivité aux dysfonctionnements internes comme aux évolutions du marché.

« L’ÉCOLONOMIE », C’EST MAINTENANT!!Les dernières conclusions du GIEC sont alar-

mantes. Face à l’urgence, des entreprises mettent en place des solutions écolonomiques, c’est-à-dire conjuguant écologie et économie.

En 1997, Emmanuel Druon a repris l’entreprise Pocheco, fabricant d’enveloppes de mise sous pli automatique, qu’il développe aujourd’hui avec une centaine de collaborateurs grâce aux principes de l’« écolonomie ». Chaque investissement de Pocheco

doit répondre à trois critères : produire une réduction mesurable de l’impact sur l’environne-ment, mais aussi de la péni-bilité et/ou de la dangerosité des postes et permettre de gagner de la productivité. « Pour nos enveloppes, les fabricants de papier coupent 6 0 !0 0 0   a rb re s e t e n replantent 200!000 par an, dans le respect de la biodiver-sité des espèces et des espaces », décrit Emmanuel Druon dans son ouvrage Écolonomies. Entreprendre et produire autrement (Pearson, 2012).

Dans la même dynamique écolonomique, Pocheco a rénové ses toitures en solaire PV et en toitures végétalisées afin d’optimiser la gestion des flux d’eau de ruissellement et d’améliorer l’isolation phonique et thermique. 80#% de l’eau employée dans l’usine est de l’eau de pluie et les économies d’énergie sont

évaluées à 10 K€ par an, soit un retour sur investis-sement de dix ans au maximum. Récemment, une bambouseraie, « station d’épuration » naturelle, a été créée à l’entrée du site pour le retraitement des eaux usées.

SOUTENONS CES ENTREPRISES POUR FAIRE GRANDIR LEURS SOLUTIONSCertains acteurs économiques ont compris l’inté-

rêt d’encourager ces entreprises d’avenir.L’assureur Generali incite et aide ses entreprises

clientes à relever le défi du développement durable tout en réduisant leur vulnérabilité. Il a intégré des critères de performance environnementale et sociale dans un audit de performance globale proposé aux PME. La moitié des 60 critères analysés relève du management humain et de la réduction de l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement. À l’issue de ce diagnostic, les entreprises les plus matures se voient décerner un label et o!rir des conditions préférentielles d’assurance.

Des fonds d’investissement comme Citizen Capital privilégient l’investissement dans des entreprises à fort engagement sociétal.

Des recherches sont également menées par la Fon-dation 2019, présidée par Romain Ferrari, DG du Groupe Serge Ferrari, sur la mise en place d’une TVA circulaire dégressive prenant en compte les exter-nalités négatives (coût des préjudices écologiques non assumés) afin d’encourager les e!orts d’écocon-ception des produits. D’autres acteurs tels que les banques et les pouvoirs publics ne pourront que

suivre ce mouve-ment visant à encourager ces entreprises pion-nières. L’impact social, environne-mental et la per-formance écono-mique, en plus d ’êt r e c o m p a -tibles, se ren-forcent.

N ’a l l o n s p a s chercher dans les é t o i l e s d e s

réponses. Ces entrepreneurs d’avenir ont et sont une partie des solutions. À la fois pionniers et artisans du changement, ils ont su créer une vision holistique de leur activité, liant biodiversité économique et sauvegarde de l’humanité. Ces entrepreneurs conçoivent leurs projets comme une aventure humaine collective au service d’une cause qui dépasse les individus qui la composent. Dans ces conditions, l’entreprise est, alors, la solution.

Un think tank qui passe à l’action Selon le baromètre Generali-CSA, qui sera publié à l’occasion du 3e Parlement des entrepreneurs d’avenir, la crise économique reste très présente dans l’esprit des entrepreneurs en France (67!% disent qu’elle est devant eux). Et elle a"ecte, pour 68!% d’entre eux, leur capacité d’engagement sur les enjeux de développement durable. Pour autant, 50!% des entrepreneurs interrogés déclarent que, concernant l’engagement sur ce secteur, les facteurs privilégiés sont ceux qui permettent de réduire les coûts de structure : gestion des déchets (81!%), réduction des consommables (80!%), réduction des consommations d’énergie (68!%). C’est donc qu’il est possible d’agir concrètement pour la planète, malgré les di#cultés, ou plutôt à cause des di#cultés. Être res-ponsable est-il rentable!? Ce sera l’une des 15 tables rondes organisées, les 5 et 6 novembre, au Conseil éco-

nomique social et environnemental. Les candidates PS et UMP aux municipales à Paris s’y croiseront, Anne Hidalgo en ouverture, Nathalie Kosciusko-Morizet en clôture. Plusieurs grands patrons sont attendus : Martin Bouygues (Groupe Bouygues), Françoise Gri (Pierre&Vacances), Claude Tendil (Generali France).Au programme : entreprendre avec la société!; la révolu-tion énergétique!; le développement du capital humain!; les solutions locales face à un désordre mondial. L’objectif est de faire de ce Parlement des entrepreneurs d’avenir à la fois un think tank et un « do tank ». De nombreux entrepreneurs sociaux y présenteront leurs expériences, alors que débute en novembre le mois de l’Économie sociale et solidaire. La Tribune, partenaire de l’événe-ment, animera le 6 novembre un débat sur le thème : « Quelle croissance et quel avenir pour nos start-up!? »

FOCUS

La toiture végétalisée et solaire des locaux de Pocheco, entreprise « écolonomique », au printemps 2012. [POCHECO]

«Pour nos enveloppes,

les papetiers coupent 60!000 arbres par an mais en replantent 200!000. » EMMANUEL DRUON, DIRIGEANT DE POCHECO

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LES IDÉES24LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

LA MARTINGALE DE LA RSE AU CŒUR DES ASSISES DE LA FISCALITÉComment réconcilier fiscalité d’entreprise et intérêt général!? Et si, à l’occasion de la réflexion en cours sur l’impôt sur les sociétés, on faisait un pas de côté en intégrant les dépenses des sociétés en faveur de la responsabilité sociale et environnementale (RSE). Ce ne serait pas une niche de plus, mais une puissante incitation à ce que les entreprises, qui paient un impôt national et local, investissent directement dans la RSE. Reste à apprendre à mesurer ces dépenses et leur réel impact.

La fiscalité directe des entreprises est une problématique française, du fait de son niveau et de son instabilité, mais elle se pose aussi de façon cru-ciale dans tous les pays. Les États doivent trouver désormais un meil-leur équilibre que le dumping des der-

nières décennies pour sécuriser la ressource publique d’une part, et rester attractifs à l’investissement, d’autre part. Cette exigence peut être atteinte à deux condi-tions qui sont admises par les acteurs publics et privés.

Il faut globaliser le prélèvement pour que l’entre-prise ne voie pas un niveau facial d’impôt sur les socié-tés « rattrapé » sur le plan local par les multiples taxes qui s’y ajoutent (contribution économique territo-riale, ex-taxe professionnelle)!; il faut situer ce prélè-vement global direct au plus près du niveau moyen de celui en vigueur dans la zone commerciale principale, soit l’Europe nous concernant.

L’IDÉE : TENIR COMPTE DE L’APPORT GLOBAL DE L’ENTREPRISE À LA COLLECTIVITÉÉvoluer vers cette simplification peut se faire par

étapes et dans un cadre contractuel, dès lors que l’État sait comment il va gérer la perte de recettes induite par ce rééquilibrage raisonnable. C’est là que la RSE ou « responsabilité sociétale d’entreprise » peut intervenir comme l’outil de réglage du bon niveau de rapport souhaitable, économique et poli-tique, entre l’entreprise et la société.

En e"et, l’État doit mettre dans la balance de son rapport à l’entreprise, au-delà de ce qu’elle lui rap-porte déjà en impôts – contribution décevante et bien critiquable aujourd’hui quand on regarde qui paye quoi – la part non fiscale de l’apport de l’entre-prise au développement territo-rial, tant sur le plan social, envi-ronnemental que sociétal.

C’est le fameux débat écono-mique ancien dit des externalités, positives et négatives, que l’on apprend à mesurer et à monétiser de plus en plus et qui a une importance politique considé-rable car il traduit la position de l’entreprise au regard de l’intérêt général, là où elle agit. L’idée qui fait son chemin consiste à tenir compte de cette contribution sociale, environne-mentale et sociétale dans une négociation fiscale pluri-annuelle qui encourage le cheminement vers le niveau de prélèvement moyen consensuel, en tenant compte de l’apport global de l’entreprise à la collectivité nationale.

Le raisonnement bénéficie d’une légitimité incon-testable en termes de justice sociale et d’e#cacité économique. À tel point qu’il existe déjà en France, dans le cas des entreprises pharmaceutiques, dont l’obligation de maîtrise du chi"re d’a"aires est sou-mise à une négociation a posteriori en fonction de

leur contribution à la recherche et à l’emploi. De grands pays, dont l’Inde, ont acté cela et proposent aux entreprises qui investissent volontairement dans leur communauté locale de déduire ces mon-tants de l’IS, à hauteur d’un plafond limité à quelques pourcents.

Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt, tant « le deal » est évident. Ce serait une formidable incitation au développement de la RSE. En fait, la di#culté pour ouvrir une telle négociation, outre la question sen-sible à Bercy du rendement de l’impôt sur les socié-tés, est l’impératif d’objectivité. Comment définir des éléments de mesure fiables pour vérifier quelles

entreprises satisfont vraiment ou non aux exigences sociétales en matière d’emploi, d’environne-ment et d’intégration locale!? Or, depuis la mise en place en 2001 en France d’un reporting extrafinan-cier, il existe une « comptabilité RSE », outil largement utilisé dans le monde entier, fondé sur l’expertise des « investisseurs éclairés ». Au point que la Com-mission européenne a décidé de l’inclure dans la nouvelle directive

comptable, s’appuyant sur un consensus technique qui ne fait plus guère de problème.

UN MOYEN DE PÉNALISER LES STRATÉGIES « PRÉDATRICES »Dès lors qu’on sait mesurer de façon reconnue

cette contribution RSE, pourquoi ne pas en faire le moyen de di"érencier l’entreprise contributive de celle qui ne l’est pas, pour alléger sa charge fiscale globale, considérant qu’elle l’a déjà satisfaite volon-tairement ou contractuellement de façon significa-tive!? L’avantage serait évident pour les entreprises intégrées à leur territoire et a contrario cela péna-liserait les stratégies de « comptoir » ou prédatrices.

Reste à poser les indicateurs fondamentaux que l’État prend en compte, au nom de sa stratégie de développement durable, pour faire se rejoindre intérêt privé et intérêt général. On donnerait ainsi tout son sens à la promotion de la responsabilité sociétale d’entreprise dont la finalité est de régler, par le contrat entre les parties, les avancées au-delà de la loi de base, pour créer une valeur partagée, dans l’intérêt de l’entreprise et de la société. Ce concept du « contrat RSE » est le meilleur outil qu’on puisse trouver pour gérer l’évolution de la fiscalité directe d’entreprise de façon juste et e#-cace, sorte de bonus-malus qui tirerait le consensus vers le haut. Il faudrait l’expérimenter et inscrire sa discussion dans les prochaines Assises de la fis-calité. Ouvrons cette réflexion qui prend tout son sens aujourd’hui.

PATRICK D’HUMIÈRES PRÉSIDENT DE L’INSTITUT RSE MANAGEMENT,directeur du programme exécutif Entreprise durable de l’école Centrale de Paris, président d’ADD, association des sociétés conseil en développement durable et RSE.

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«Pourquoi ne pas faire

de la RSE le moyen de di!érencier l’entreprise contributive de celle qui ne l’est pas"? »

La Tribune 2, rue de Châteaudun - 75009 ParisTéléphone : 01 76 21 73 00. Pour joindre directement votre correspondant, composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres mentionnés entre parenthèses.

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Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, et le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, lors d’une rencontre dédiée à la RSE, à l’hôtel Matignon, le 17 juin 2013. [BERTRAND GUAY/AFP]

LES CHRONIQUES 25JEUDI 31 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE

DES APPLICATIONS DÉDIÉES À LA PARTICIPATION CITOYENNE

En cette période de plus en plus individualiste, comment faire participer les citoyens à la vie de la cité!? Une mission ardue sauf s’il s’agit de sécurité ou d’entraide dans des situations di"ciles.

Le problème le plus délicat des smart cities est probablement celui de la participation citoyenne. Installer l’infrastructure, o#rir des services, propager des informations via la population, tout cela est relative-ment facile à concevoir et à mettre

en place. Mais faire participer activement la popu-lation est incomparablement plus compliqué. Sauf, peut-être, quand il s’agit de sa sécurité.

La première fois que j’ai entendu parler de cette idée, c’était il y a deux ans, à Accra, au Ghana, dans la bouche de Hernan Chinery-Hesse, connu comme le « Bill Gates africain ». À côté de ses projets majeurs comme ShopAfrica53.com, une sorte d’eBay continental destiné à aider les petits commerçants et artisans à vendre dans le monde entier, il avait l’idée d’une application antivol. Il su"rait, m’avait-il expliqué, de pouvoir communiquer d’un clic avec ses voisins en cas d’attaque. La solidarité et la peur d’être à leur tour victimes seraient su"sants pour qu’ils se mobilisent instantanément.

À Beyrouth, Jouwar.com s’en prend à un autre pro-blème – terrible localement –, celui des nids-de-poule. Le fondateur, Elie Abou Saad s’était rendu compte qu’ils étaient la source d’un grand nombre

d’accidents en travaillant comme volontaire pour la Croix-Rouge. Son site invite passants et automobi-listes à prendre en photo ceux qu’ils trouvent et à les mettre en ligne. Leur objectif est de prévenir leurs concitoyens de ce qui les attend sur certains itiné-raires et de faciliter – sans trop d’illusions – l’inter-vention et la réparation.

UNE TECHNOLOGIE CAPABLE D’AIDER LES GENS À S’ENTRAIDERMais comme il n’est pas rare dans ce pays d’avoir à

a#ronter des dangers encore plus redoutables, les Libanais ont même mis au point des apps – Ma2too3a ou WayToSafety – pour se signaler les manifestations, coups de filet ou autres a#ronte-ments armés et, ainsi, les éviter. Elles sont essentiel-lement alimentées par les gens eux-mêmes.

La participation semble moins intéresser les États-Uniens. En tout cas elle n’est pas au cœur de certaines applications populaires. CiviGuard.com est une plate-forme très techno qui permet aux institutions reconnues (municipalités, écoles, stades ayant besoin d’évacuer, etc.) d’envoyer des SMS de façon e"cace en cas de crise.

L’application iWitness permet d’enregistrer ce qui se passe dès qu’on est confronté à une situation

potentiellement dangereuse, et de se connecter au 911, le service national d’urgence.

Lancée par trois Boliviens installés au Chili, CityHero.es présente un mélange de hard, de soft et de crowd particulièrement intéressant. Comme certaines des autres applications mentionnées, il s’agit d’o#rir une technologie capable d’aider les gens à s’entraider pour faire face à des situations particulièrement di"ciles.

Mais l’astuce, expliquée lors d’un entretien réalisé sur Skype avec David Ponce, l’un des trois fonda-teurs, consiste à intégrer la participation de volon-taires liés à des organisations existantes. Ils sont ainsi 47!000 qui aident les pompiers de Santiago du Chili. Et ceux qui veulent contribuer au bon fonc-tionnement de la Coupe du monde de foot au Brésil pourraient être encore plus nombreux. « Les gens sont impliqués avec des organisations locales de ce type. Ils voient un intérêt à ce qu’ils peuvent faire avec elles », m’a expliqué David Ponce. « Ils peuvent infor-mer sur ce qui leur paraît important. C’est comme un jeu qui ne serait pas un jeu », précise-t-il. Ils parti-cipent au moyen d’une application spécifique mais aussi de Twitter, de Facebook, de SMS.

L’idée, selon David Ponce, est de « transformer chaque téléphone mobile en outil de soutien et de pré-vention ». Et comme il s’agit d’une start-up qui veut « inspirer les gens sans oublier l’aspect économique », CityHero.es vend les métriques et l’analyse des don-nées aux institutions en s’appuyant sur tout le Big Data recueilli grâce à la participation.

FRANCIS PISANICHRONIQUEUR, AUTEUR, EXPERT INTERNATIONAL EN INNOVATION, CONFÉRENCIER. SON BLOG : FRANCISPISANI.NET

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AU CŒUR DE L’INNOVATION

Dans le cochon allemand, tout n’est pas bon«S i nos abattoirs ferment les uns après

les autres, c’est aussi parce que l’Allemagne embauche des salariés payés à 400 euros par mois », a lancé le ministre du Redressement

productif. Pour une fois, Arnaud Montebourg a rai-son… mais probablement plus pour longtemps.

L’a#aire des travailleurs roumains et bulgares parqués dans les abattoirs des Tönnies, Vion et autres géants allemands n’est pas nouvelle. En 2011, déjà, un collectif d’industriels belges et français avait porté plainte contre les pratiques « déloyales » de leurs concurrents alle-mands qui découpaient les carcasses de porc pour des prix défiant toute concurrence. Un professionnel belge se souvient avec embarras d’une visite faite à l’époque dans un site d’outre-Rhin. « Les gars étaient logés dans des baraques de chantier où ils n’avaient qu’un seul lit pour trois. Ils dormaient à tour de rôle », raconte-t-il. Avant d’ajouter en baissant les yeux : « Cela avait tout d’un camp. » Récemment la télévision belge a immor-talisé les grillages entourant ces hauts lieux de la pro-duction des pittoresques « Würze » et autres « Schwein-filets ». On dira que les abattoirs ne sont pas les seuls sites industriels « sécurisés ».

L’équation est simple. Au moyen de sociétés boîtes aux lettres basées en Europe centrale, les usines font

venir pour des durées variables une main-d’œuvre prétendue « détachée », autrement dit sans autre assu-rance sociale que celle de leur pays, et payée de « 3 à 7 euros » de l’heure, en absence de salaire minimum. À cela s’ajoutent, selon cette source belge, des charges n’excédant pas les 3!% de la prime d’assurance cou-vrant l’employeur contre les accidents du travail. En Belgique, un salaire d’équarisseur « coûte » plus de 20 euros par heure une fois l’assurance sociale, le trei-zième mois, les chèques-repas et les frais de transport ajoutés au salaire de la branche.

Rien d’étonnant à ce que ces dernières années les abat-toirs belges et français aient vu leur demande chuter et aient fini par tourner à la moitié de leurs capacités. Leurs concurrents allemands fonctionnent 20 heures par jour, les quatre restantes étant mises à profit pour nettoyer.

RAREMENT CAS DE DUMPING SOCIAL aura été aussi flagrant. Au point que les autorités fédérales à Berlin ont fini par s’en émouvoir et par convoquer les dirigeants de ces antichambres de nos réfrigérateurs. En septembre, les quatre géants de la filière ont annoncé qu’ils allaient mettre en place un salaire minimum de branche de 8,50 euros. Exactement le taux horaire du salaire minimum que Sigmar Gabriel, le chef de file des sociaux-démocrates allemands,

demande à Angela Merkel d’inscrire dans l’accord de coalition en négociation.

Le syndicat de l’alimentation allemand a déjà annoncé l’ouverture de négociations à la fois sur les salaires et sur les conditions de travail. D’ici quelques mois, ce scandale des abattoirs outre-Rhin devrait donc connaître son épilogue, même s’il n’éliminera pas toutes les causes du surcroît de compétitivité allemande.

Or, comme souvent dans ces a#aires de concurrence faussée, personne n’est totalement blanc. Les plai-gnants qui ont dénoncé un détournement des lois sur le détachement des travailleurs par l’Allemagne reconnaissent qu’ils n’avaient aucune envie que la Commission européenne tranche leur cas. Non qu’ils estiment leurs griefs infondés, mais parce qu’ils savaient que Bruxelles devrait renvoyer l’affaire devant un juge allemand… ce qui leur donnait peu de chance de gagner. En Bretagne, certains s’interrogent sur les raisons de la fermeture de l’abattoir GAD de Lampaul (Finistère) qui était l’un des plus compétitifs de la région. On parle d’obscures luttes de pouvoir dans la filière, alors que la guerre sociale menace. Parallèlement le site de Josselin, où va être transféré le reste de la production de Lampaul s’apprête à embaucher… une centaine de Roumains, aux mêmes conditions que les salariés français, assure-t-on…

LE CARNET DE NOTRE CORRESPONDANTE, FLORENCE AUTRET

ON EN PARLE À BRUXELLES

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L’INTERVIEW26LA TRIBUNE JEUDI 31 OCTOBRE 2013

LUC DE BRABANDERE SENIOR ADVISOR DU BOSTON CONSULTING GROUP (BCG)

« Les bonnes idées existent, mais nous ne les voyons pas »À la fois philosophe de la créativité, mathématicien passionné de nouvelles technologies, professeur à l’École Centrale Paris et senior advisor au cabinet international de conseil en stratégie BCG, Luc de Brabandere publie un livre de conseils aux dirigeants d’entreprise*. La conviction de cet intellectuel au parcours atypique : « La bonne idée existe », mais il faut apprendre à penser autrement pour la chercher et parfois la trouver.

PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE

( LA TRIBUNE – Dans votre livre, vous faites la di!érence entre l’innovation et la créativité. Quelle est-elle"?LUC DE BRABANDERE – Quand on parle du changement, la première chose à faire est de distinguer deux concepts : la perception du monde et la réalité. L’innovation, dans ma vision, c’est le processus par lequel une entreprise change la réalité. La créativité, c’est comment un individu change sa perception des choses. On dit créer ou innover, mais « créa-tiver », cela n’existe pas. La créativité, ce n’est pas une action, mais une pensée. On peut faire de l’innovation sans créati-vité : souvent, on innove en copiant les autres, en s’inspirant de ce qui a déjà été fait. On peut avoir de la créativité sans innovation. Par exemple, Xerox a inventé la souris d’ordina-teur, mais ne l’a pas exploitée, ce qui a permis à d’autres de bénéficier de cette innovation. Ma conviction, c’est qu’il nous est impossible de penser sans un cadre prédéfini, sans un modèle mental. L’art de la créativité, c’est de sortir de ce cadre et de créer une nouvelle structure mentale permettant aux idées nouvelles de trouver leur sens.

( Dans une économie de la connaissance, il y a donc une prime à ceux qui ont des idées nouvelles"?Exactement. Le titre anglais de mon livre, Thinking in New Boxes, est assez intraduisible en français. Ce n’est pas seule-ment « penser dans un nouveau cadre ». Le mot important, c’est boxes. Penser out of the box, que l’on traduit imparfaite-ment par « penser en dehors du cadre », cela ne veut pas dire penser à l’extérieur de là où je suis, par exemple, mon entre-prise, mon secteur. Cela signifie changer la vision que j’en ai.

( On dit pourtant, avec l’économiste Schumpeter, que l’innova-tion est le moteur de la croissance.C’est là que la philosophie est utile parce qu’elle apporte aux mots la rigueur que les mathématiques réclament des chi!res. Albert Camus a dit que « mal nommer les choses, c’est contri-buer au malheur du monde ». Quand Bic passe du stylo une couleur au stylo quatre couleurs, c’est une innovation sur le marché de l’écriture, mais qui ne change pas fondamentale-ment le modèle sous-jacent de l’entreprise Bic. La vraie inno-vation, celle qui nourrit la croissance, est venue d’une nouvelle vision du monde. Lorsque Bic a décidé que son métier n’était pas seulement les stylos jetables, mais l’univers des objets en plastique jetables. Cela a tout changé : Bic s’est alors mis à produire des briquets et des rasoirs. C’est cela la créativité.

( Ce que vous dites, c’est qu’on a tort de mettre le mot « innova-tion » à toutes les sauces…Il y a un laisser-aller dans le vocabulaire. Une rupture de modèle passe par la créativité, ou plutôt l’innovation se fait dans la créativité. En plaisantant, je dirais qu’à chaque chute des ventes, Gillette ajoute une lame à ses rasoirs jetables"! Cela améliore sans doute le service rendu aux hommes, mais

ce n’est pas une rupture. L’innovation, c’est faire mieux en restant dans le même business model"; la créativité, c’est quand on se met à penser un système neuf, un nouveau modèle. Dans le mot business model, c’est le deuxième terme le plus important.

( Comment penser un modèle di!érent alors qu’en apparence, tout va bien pour l’entreprise"?Prenons un exemple : si Philips avait continué à fabriquer des lampes, des machines à café ou des télévisions, cela aurait conduit cette entreprise à l’échec. Ce qui a sauvé Philips de la concurrence chinoise, c’est d’avoir décidé d’ouvrir son marché au secteur de la santé où les moniteurs et l’électronique sont devenus très importants. Lorsque le patron de Philips a donné cette inflexion stratégique à son entreprise, il a fait de la créa-tivité. Il a pensé Philips différemment. C’est la nouvelle manière dont Philips s’est pensé et projeté dans l’avenir qui a permis de mobiliser les équipes pour lancer un processus d’innovation dans le domaine de la santé.

( Vous incitez aussi les dirigeants à penser les extrêmes. Est-ce parce que le monde est devenu imprévisible"?Nous avons besoin de nouveaux modèles. Mon métier n’est pas de dire quoi penser, mais comment penser. Les dirigeants que je vois ont des interrogations sur l’avenir de leur modèle économique et se rendent bien compte que le véritable enjeu est de faire la bonne hypothèse sur le futur.Il y a des incertitudes de niveau 1 : ce que nous savons que nous ne savons pas. La vraie incertitude est de niveau 2. C’est le fameux « cygne noir » de Nassim Taleb : ce sont les igno-rances que nous ignorons qui sont dangereuses. Car alors, aucune prévision n’est possible. Le danger pour un chef d’entreprise, c’est alors de ne rien faire, d’appliquer l’adage populaire qui dit « dans le doute, abstiens-toi ». Non"! Dans le doute, il faut agir et se confronter à des scénarios extrêmes, inimagi-nables même.J’ai travaillé avec les dirigeants d’une grande entreprise belge. Je leur ai posé deux questions. « Imaginez qu’en 2025, votre entreprise devienne chinoise… » La réaction immédiate et unanime est alors : « C’est une blague, c’est impossible!! » Si la question est : « Imaginez qu’en 2025, votre entreprise soit devenue chinoise », l’attitude change, car on se met à chercher les raisons qui ont pu conduire à cette situation. Et on trouve alors plein de bons arguments ren-dant un tel scénario possible"! Cela montre qu’il faut apprendre à casser les certitudes. C’est ce principe que je mets tout en haut de mon système, résumé dans une phrase de Francis Bacon : « Il faut obéir aux forces aux-quelles on veut commander »…

( Vous citez aussi Walt Disney, qui disait « si on peut le rêver, on peut le faire ». C’est un peu optimiste.Je suis optimiste de raison et de convictions. Comme j’essaie de l’expliquer, les bonnes idées existent, mais souvent nous ne les voyons pas parce que nous ne chaussons pas les bonnes lunettes. Comment se fait-il que Sony, qui a inventé le Walk-man, n’ait pas inventé l’iPod et dominé l’industrie numérique comme a su le faire Apple"? C’est parce que Sony n’a pas su penser d’une autre manière le monde de la musique. De même, aucun des grands acteurs de l’Internet actuel, Google, Amazon, Facebook, n’est né dans de grandes entreprises. Pourtant Wal-Mart avait tout pour inventer l’e-commerce. Les grands acteurs de la télévision, comme TF1, auraient pu lancer YouTube. Les technologies étaient connues. Mais ce qui a manqué aux grands groupes, c’est la capacité de recon-naître une idée nouvelle et d’en saisir l’importance.

( Les grands groupes sont donc conservateurs"?Le vrai problème n’est pas de survivre à un échec, mais de sur-vivre à son succès. C’est pourquoi certains numéros un finissent par tomber de leur piédestal, par arrogance ou aveuglement. Cela arrive encore de nos jours. Google, créé il y a quinze ans, n’a pas vu venir Facebook il y a dix ans. BlackBerry connaît des di$cultés, en partie parce que les dirigeants ont parié sur le clavier alors que le monde du mobile passait au tactile.

( Que pensez-vous du courant de l’innovation pessimism aux États-Unis, qui dit que l’innovation a cessé de soutenir la croissance"?L’innovation est parfois phagocytée par les grands groupes, qui empêchent les jeunes pousses créatives de se développer. Il y a un moment ou la taille devient un problème. Mais il y a des solutions. Il y a trente ans, IBM, voyant arriver Apple et son ordinateur individuel, a créé une pseudo PME en Floride en donnant à cette équipe l’ordre de ne respecter aucune des règles d’IBM mais de sortir le PC le plus vite possible. L’erreur est la condition du succès. Personne ne dresse la liste des échecs d’Apple avant l’iPhone. Pourtant, elle est longue.

( L’Europe a-t-elle encore une chance alors que les États-Unis dominent l’innovation mondiale"?La créativité et l’innovation ne se résument pas à la technolo-gie, mais existent aussi dans le marketing. L’Europe a des

atouts considérables. Le Cap-puccino vient d’Italie";

pourtant, c’est l’améri-cain Starbucks qui en vend le plus. Walt Disney, Hollywood, se sont inspirés de la culture européenne. Il y a en Europe plein de bonnes idées. Ce

qui manque, ce sont des représentations du

monde afin de les réaliser. 

*LA BONNE IDÉE EXISTE ! CINQ ÉTAPES ESSENTIELLES POUR LA TROUVER De Luc de Brabandere et Alan Iny. Éditions Eyrolles, octobre 2013. Version française de Thinking in New Boxes, a New Paradigm for Business Creativity, Éditions Random House, septembre 2013.

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