À mes lecteurs, des sages et des...

116

Upload: others

Post on 17-Mar-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure
Page 2: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Àmeslecteurs,dessagesetdesbraves.

Page 3: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

INTRODUCTION

J’AI COMMENCÉÀÉCRIREDIVERGENCE du point de vue de Tobias Eaton, ungarçonnéchezlesAltruistes,maltraitéparsonpère,etquirêvaitdes’émanciperdesafaction.J’aiaboutiàuneimpasseauboutdetrentepages,parcequesavoixn’étaitpastout à fait labonnepour raconter l’histoireque j’avais en tête.En reprenant ce récitquatreansplustard,j’aitrouvélanarratricequiconvenait,enlapersonned’unejeuneAltruiste qui voulait découvrir qui elle était réellement.Mais Tobias n’a pas disparupourautant; ilestentrédansl’histoiredanslapeaudeQuatre,instructeur,ami,petitami et égal de Tris. J’ai toujours eu une motivation particulière à creuser cepersonnage,àcausedelafaçondontilprenaitviepourmoidèsqu’ilapparaissaitdansunepage.Ilm’évoquelapuissance,avanttoutparsacapacitéàsurmonterl’adversité,etmême,parcertainscôtés,às’yépanouir.

Les trois premiers récits,Le Transfert,LeNovice etLe Fils, se déroulent avant la rencontre deQuatreavecTris.OnysuitsonparcoursdelafactiondesAltruistesàcelledesAudacieux,àmesurequ’ilseconstruit.Trisapparaîtdansladernièrenouvelle,LeTraître,quisesituechronologiquementaumilieudupremier tomede la série. J’avais très envied’y inclure lemomentde leur rencontre,maisiln’avaitmalheureusementpassaplacedanslefildel’histoire.Vousletrouverezdoncàlafindecelivre.Latrilogies’attacheàTrisàpartirdumomentoùelleprendlesrênesdesaproprevieetdeson

identité. Les histoires du présent tome font de même avec Tobias. Le reste, comme on dit, on leconnaît.

VERONICAROTH

Page 4: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

LETRANSFERTJ’ÉMERGEDELASIMULATIONenhurlant.Ma lèvre inférieuremepique et j’ai du sang sur lesdoigtsaprèsl’avoirtouchée;jemesuismordu.L’Audacieusequisupervisemontestd’aptitudes–elles’appelleTori–mejetteundrôledecoup

d’œilennouantsescheveuxnoirsenchignon.Ellealesbrasentièrementrecouvertsdetatouagesdeflammes,derayonsdesoleiletd’ailesdefaucon.—Pendant la simulation…tuétais conscientquecen’étaitpas la réalité?medemande-t-elleen

éteignantlamachine.Son ton et ses gestes sont décontractés, mais c’est une décontraction étudiée, résultat d’années

d’entraînement.Jesaisfaireladifférence.Etjenemetrompejamais.Toutàcoup,jemerendscomptequemoncœurbattrèsvite.Monpèrem’avaitprévenuqu’onme

poseraitcettequestionetilm’abienprécisécequejedevaisrépondre.—Non,dis-je.Sic’étaitlecas,jenemeseraispasmordujusqu’ausang.Torim’observequelquessecondesenmordillantl’anneauquiluipercelalèvreetm’annonce:—Félicitations.TesrésultatssonttypiquementAltruistes.J’approuve d’un hochement de tête,mais lemot «Altruiste »me fait l’effet d’un nœud coulant

glisséautourdemoncou.—Cen’estpascequetuvoulais?medemande-t-elle.—C’estcequeveulentlesmembresdemafaction.—Iln’estpasquestiond’eux,maisdetoi.Onauraitditquedespoidspesaientsursesyeuxetauxcoinsdesabouche.Commesimaréponse

l’attristait.—Tupeuxparlerentoutesécurité,tesparolesnesortirontpasd’ici.Avant même d’arriver ce matin, je savais comment les choix que je ferais au cours du test

d’aptitudesseraientinterprétés.J’aiprislanourritureplutôtquel’arme.Jemesuisjetéentraversduchemin du chien pour sauver la petite fille. Je savais que ces choix aboutiraient à un résultat «Altruiste».Etj’ignoresimesréponsesauraientétédifférentessimonpèrenem’avaitpascoaché,s’iln’avaitpascontrôléàdistancechaqueétapedemon test.Àquoiest-ceque jem’attendais?Quellefactionaurais-jevoulue?N’importelaquelle.SaufAltruistes.—C’estaussicequejevoulais,déclaré-jed’untonferme.Elleabeaudire,jenesuispasplusensécuritéiciqu’ailleurs.Lesendroitssûrs,çan’existepas.Pas

plusquelesvéritéssûresoulesoreillessuffisammentsûrespouraccueillirdessecrets.Jesensencorelesmâchoiresduchienquiseresserrentsurmonbras,sescrocsquimelacèrentla

peau.JesalueTorid’unsignedetêteenmedirigeantverslaporte,maisaumomentoùjevaissortir,ellemeretientparlebras.—Tudevrasvivreavectonchoix,medit-elle.Quoiquetudécides,lesautress’enremettront,ils

passerontàautrechose.Toi,jamais.J’ouvrelaporteetjesors.

+++

Je retournem’asseoir à la table desAltruistes à la cafétéria, parmi des gens quime connaissent àpeine.Monpèrem’interditd’assisterà laplupartdes rassemblementsde lacommunauté. Ilprétend

Page 5: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

quejecréeraisdesproblèmes,quejefiniraisparfairequelquechosequinuiraitàsaréputation.Çam’estégal.Jesuismieuxdansmachambre,dans lesilencede lamaison,qu’aumilieud’Altruistesdéférentsetcontrits.Enrevanche,cetteabsenceconstanteafiniparsusciterdelaméfiance.LesAltruistessontpersuadés

quequelquechosenevapaschezmoi,quejesuismalade,dépravéoubizarre.Mêmeceuxquifontl’effortdemesaluernemeregardentjamaisdanslesyeux.Enattendantquelesautresaientpasséleurtest,jeresteassis,lesmainsserréessurmesgenoux,à

regarderlesgensdanslasalle.LatabledesÉruditsestrecouvertededocuments,maislaplupartfontsemblantd’étudier,plusoccupésàbavarderqu’àéchangerdesidées,ramenantvivementlesyeuxsurlespagesdèsqu’ils se sententobservés.LesSincèresparlent fort, comme toujours.LesFraternelssourientetrientensepassantdelanourriturequ’ilssortentdeleurspoches.LesAudacieux,étaléssurlestablesetleschaises,chahutent,s’affalentlesunssurlesautres,selancentdespiquesetdescoupsdecoude.J’auraisvoulun’importequelleautre faction.N’importe laquelleplutôtque lamienne,où tout le

mondeadécrétéquejen’étaispasdignequ’ons’intéresseàmoi.Enfin,uneÉruditeentredanslacafétériaetlèvelamainpourréclamerlecalme.LesAltruisteset

les Érudits se taisent, mais elle doit crier « silence ! » pour que les autres s’aperçoivent de saprésence.—Lestestsd’aptitudessontterminés,déclare-t-elle.Jevousrappellequ’ilestinterditdediscuterde

vos résultatsavecquiconque,pasmêmeavecvotre familleetvosamis.LacérémonieduChoixsetiendrademainàlaRuche.Prévoyezd’yêtredixminutesàl’avance.Vouspouvezpartir.Toutlemondeseprécipiteverslaporte,saufnotretable,oùpasunneselèveavantquelerestede

la salle ne soit vide. Je connais par cœur le chemin que ceux dema faction vont emprunter pourrejoindrel’arrêtdebus.Çapeutleurprendreplusd’uneheure,àlaissertouslesautrespasserdevanteux.Jenecroispasquejepourraissupportercesilencepluslongtemps.Aulieudelessuivre,jesorsdiscrètementparuneportelatéralepourgagnerunealléequilongele

lycée.Cen’estpaslapremièrefoisquejelaprends,maisd’habitude,jem’ydéplacelentement,pouréviterd’êtrevuouentendu.Aujourd’hui,jen’aiqu’uneenvie:courir.Jedévalel’alléeettournedanslaruelledéserteensautantpar-dessusuntroudanslachaussée.Les

pansdemonamplevested’Altruisteclaquentdansleventetjel’enlèvepourlalaisserflotterderrièremoicommeundrapeau,avantdelalâcher.Jeremontelesmanchesdemachemiseau-dessusdemescoudes.Quandmoncorpsrenâcle,jeralentis.Ondiraitquelavilleentièredéfiledansunbrouillardoù tous les immeubles se confondent. J’entends le claquement de mes semelles sur la chaussée,commeunbruitextérieur.Enfin, labrûluredemesmusclesm’obligeàm’arrêter.Jesuisarrivédansunezoneà l’abandon

livréeaux sans-faction,bordéed’uncôtépar le secteurdesAltruistes et le siègedesÉrudits et, del’autre,parlesiègedesSincèresetlesespacescollectifs.Àchaquerassemblement,noschefs,parlantgénéralementparlavoixdemonpère,nousincitentànepasavoirpeurdessans-faction,àlestraitercommedesêtreshumainsetnoncommedescréaturesbriséesetperdues.Ilnem’estjamaisvenuàl’idéedelescraindre.Jemontesurletrottoirpourregarderàtraverslesfenêtres.Danslaplupartdesimmeubles,jene

voisquedespiècesvides jonchéesdedétritus,oùpourrissentdevieuxmeubles.Quand lamajoritédeshabitants sont partis – cequi est l’hypothèse la plusvraisemblable, la population actuelle étantloind’occupertousleslogements–,ilsn’ontpasdûlefairedanslaprécipitation,carilsn’ontrienlaissé.Riend’intéressant,entoutcas.

Page 6: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Cependant,jeremarquequelquechose.Lapiècequej’aperçoisestaussividequelesautresmaisaufond,derrièreuneporteouverte,jevoisluireuneuniquebraise,unmorceaudecharbonrougeoyant.Intrigué,jem’arrêteetj’essaied’ouvrirlafenêtre.Audébut,ellerestecoincée,maisjelasecoueun

peuetellesesoulèvedansunmouvementderessort.J’ypasseletorse,puislesjambes,etjeretombeàl’intérieurdansunroulé-bouléenmeraclantlescoudessurleparquet.Çasentlafumée,lasueuretlesodeursdecuisine.Jem’approchepasàpasdelabraise,àl’affûtde

voixquim’avertiraientdelaprésencedesans-faction.Maistoutestsilencieux.Lesfenêtresdelapiècedufondsontobscurciesparunmélangedepeintureetdecrasse,maisdans

lepeude jourqui filtreau travers, jedistinguedespaletteschargéesdevieillesboîtesdeconserveouvertes.Aumilieu, il y a un petit barbecue. Presque tout le charbon est réduit à l’état de cendreblanchie, sauf lemorceau embrasé, ce qui laisse supposer que les derniers occupants ne sont paspartisdepuislongtemps.Etàenjugerparl’odeuretparlaquantitédevieillesboîtesdeconserveetdecouvertures,ilsétaientuncertainnombre.On dit toujours que les sans-faction vivent en dehors de toute communauté, isolés les uns des

autres.Là,enregardantautourdemoi,jemedemandecommentj’aipucroireça.Qu’est-cequi lesempêcheraitdeseregrouper,commenous?C’estdanslanaturehumaine.—Qu’est-cequetufaislà?medemandesoudainunevoixquimetraversecommeunélectrochoc.Jeme retourne et je découvre, sur le seuil d’une autre porte, un homme au visage crasseux qui

s’essuielesmainssuruntorchontroué.—Je…Mesyeuxseposentsurlebarbecue.—J’aivuquelquechosequibrûlait.—Oh.Ilfourrelecoindutorchondanssapochearrière.IlporteunpantalonnoirdeSincère,rapiécéavec

dutissubleud’Érudit,etunechemisegrised’Altruisteidentiqueàlamienne.Ilestmaigrecommeunclou,maisdégageuneimpressiondeforce.Ilestassezcostaudpourmebattre,maisilnemeparaîtpasmenaçant.—Ben,merci,alors,reprend-il.Maisiln’yarienquibrûleici.—Oui,jevoisça,dis-je.C’estquoi,cetendroit?—C’estchezmoi,répond-ilavecunsouriresansjoieauquelilmanqueunedent.Jen’attendaispas

devisite,désolé,jen’aipasfaitleménage.Monregardsedétachedeluipourseposersurlesboîtesdeconserve.—Vousdevezbeaucoupbougerlanuit,pouravoirbesoindetoutescescouvertures.—JamaisvuunPète-secsemêlerautantdesaffairesdesautres.Ils’approcheenfronçantlessourcils.—Tatêtemeditquelquechose.Jesaisquejenepeuxpasl’avoirdéjàrencontré;paslàoùjevis,danslequartierleplusmornede

laville, oùdesgensauxcoupesdecheveuxet auxvêtements touspareilsviventdansdesmaisonstoutespareilles.Puisjecomprends:malgrétousleseffortsdéployésparmonpèrepourmeteniràl’écart,iln’en

estpasmoinsunchefduconseil,l’unedespersonnalitéslesplusenvuedelaville,etjeluiressemble.—Désolédevousavoirdérangé,dis-jedemontonleplusAltruiste.Jevaisvouslaisser.—Jesais!s’exclamel’homme.Tuneseraispaslefilsd’EvelynEaton?Jemeraidisàlamentiondecenom.Jenel’avaispasentendudepuisdesannées,parcequemon

pèrerefusedeleprononcer,qu’ilrefusemêmederéagirquandill’entend.Çamefaitundrôled’effet

Page 7: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

de me retrouver soudain associé à elle, ne serait-ce que parce que je lui ressemble ; comme sij’enfilaisunvieuxvêtementquinem’allaitplus.—Commentvouslaconnaissiez?demandé-je.Etiladûbienlaconnaître,pourretrouversonvisagematauxyeuxnoirsdanslemien,pâleaux

yeux bleus. La plupart des gens ne nous regardaient pas assez pour voir tout ce qui nous étaitcommun:leslongsdoigts,lenezbusqué,lessourcilsnaturellementfroncés.Ilhésiteunpeu.—Chez lesAltruistes, elle se portait parfois volontaire pour les distributions de nourriture, de

vêtements,decouvertures.Elleavaitunetêtequ’onn’oubliepasetelleétait lafemmed’unchefduconseil.Toutlemondelaconnaissait,non?Quelquefois, jesaisquelesgensmententrienqu’àlafaçondontleursparolesrésonnentenmoi,

avec cette espèce de grincement que doit entendre un Érudit quand quelqu’un fait une faute degrammaire.Sicethommeaconnumamère,cen’estsûrementpasjusteparcequ’elleluiatenduunjourunboldesoupe.Maisjesuissiavidequ’onmeparled’ellequejenecherchepasplusloin.—Elleestmorte,dis-je.Depuisdesannées.Lescoinsdesaboucheretombentunpeu.—Jenesavaispas.Jesuisdésolédel’apprendre.Çamefaitdrôledemetrouverdanscetappartementhumidequisentlasueuretlafumée,aumilieu

decesboîtesdeconservesuggérantlapauvretéetl’impossibilitédes’ensortir.Maisl’endroitdégageaussiquelquechosed’attirant,uneliberté,unrefusd’apparteniràcescatégoriesarbitrairesquenousnoussommesfabriquées.—TonChoixdoitavoir lieudemain,pourque tuaies l’airaussi tendu,medit l’homme.Quelle

factionas-tuobtenue?—Jenedoisledireàpersonne,répliqué-jemécaniquement.—Justement,jenesuispersonne.C’estça,êtreunsans-faction.Jenerépondspaspourautant.L’interdictiondepartagerlerésultatdutestd’aptitudes,commetous

mesautressecrets,estprofondémentincrustédanslemoulequimeconstruitetmereconstruitjouraprèsjour.Jenepeuxpluslechanger.—Ah,unlégaliste,fait-ild’untondéçu.Tamèrem’aditunjourqu’àsonavis,c’étaitlapassivité

qui l’avait conduite chez les Altruistes. C’était le chemin de la moindre résistance. (Il hausse lesépaules.)Tupeuxmecroirequandjetedisqueçavautlapeinederésister,jeuneEaton.Jesenslacolèremonter.Iln’apasàmeparlerdemamèrecommesielleluiappartenait,àluiet

nonàmoi,niàmefaireremettreenquestiontouslessouvenirsquej’aid’ellesousprétextequ’elleluiauraitserviunjourunboldesoupe.Iln’apasàmedirequoiquecesoit;iln’estpersonne,unsans-faction,unhors-caste,rien.—Ahouais?Benregardezoùçamène.Àvivredansdesimmeublesdélabrésensenourrissantde

boîtesdeconserve.Jemedirigeverslaporteparlaquellel’hommeestapparu.Jetrouveraibienuneissueàl’arrière,

etpeuimporteoùelledébouchetantqueçamepermetdefilerd’ici.Jemefrayeuncheminentrelescouvertures.Quandj’atteinslecouloir,l’hommelancedansmon

dos:—Jepréfèremangerdesrestesquevivreasphyxiéparunefaction.Jeparssansmeretourner.

+++

Page 8: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

De retour chez moi, je reste assis quelques minutes sur les marches du perron, en inspirant degrandesgouléesd’airprintanier.C’estmamèrequim’aapprisàvolerdespetitsmomentscommeceux-là,desmomentsdeliberté,

même si elle l’ignorait. Je la regardais en prendre elle-même, se glisser la nuit par la porte dederrièreunefoisquemonpèredormaitetrevenirsurlapointedespiedsquandlesoleilapparaissaitderrièrelesimmeubles.Elles’évadaitmêmequandelleétaitavecnous,penchéeau-dessusdel’évier,lesyeuxfermés,siloindel’instantprésentqu’ellenem’entendaitmêmepasquandjeluiparlais.Maisj’aiaussiapprisautrechoseenl’observant,c’estquelesmomentsdelibertéonttoujoursune

fin.Jemelèveenessuyantlapoussièredecimentsurmonpantalonàpincesgrisetjepousselaporte

d’entrée.Monpèreestassisdanslefauteuildusalon,entourédepapiers.Jemeredressedetoutemahauteurpourqu’il nepuissepasme reprocherdeme tenirvoûté. Jemedirigevers l’escalier. J’aipeut-êtreunechancederéussiràmonterdansmachambresansqu’ilremarquemaprésence.—Parle-moidetontestd’aptitudes,melance-t-ilenmemontrantlecanapé.Je traverse la pièce en enjambant prudemment une pile de feuilles posée sur la moquette et je

m’assoisàl’endroitdésigné,toutaubordducoussin,pourpouvoirmereleverleplusvitepossible.—Alors?Monpère retire ses lunettes etme regarded’unair remplid’attente. J’entends la tensiondans sa

voix,cellequin’yestqu’aprèsunelourdejournéedetravail.J’aiintérêtàmeméfier.—Tuaseuquelrésultat?Jenesongemêmepasàrefuserdeluirépondre.—Altruiste.—Etriend’autre?Jefroncelessourcils.—Non,évidemment.—Nemeregardepascommeça.J’effacemonfroncementdesourcils.—Ilnes’estrienpassédebizarreaucoursdutest?En fait, si, pendant le test, je savais où j’étais. Tout en me retrouvant soudain projeté dans la

cafétéria de mon lycée, je savais qu’en réalité, j’étais prostré sur une chaise de la salle du testd’aptitudes,reliéàunemachinepartoutunréseaudefils.Ça,c’étaitbizarre.Maisjen’aipasenviedeluienparlermaintenant,alorsquejevoislatensionmonterenluicommeunouragan.—Non,dis-je.—Nememenspas.Ilmesaisitlebrasdansl’étaudesesdoigts.Jefuissonregard.—Jenemenspas.J’aiobtenu«Altruiste»,commeprévu.C’est tout justesi l’examinatricem’a

regardésortirdelasalle.Jetejure.Ilmelâche.Jesenslesangbattredansmesveineslàoùilaserré.—Bien.Jesupposequetuasbesoinderéfléchirunpeuàtoutça.Montedanstachambre.—Oui,père.Jemelèveetretraverselesalon,soulagé.—Oh,ajoute-t-il,descollèguesmembresduconseilpassentmevoircesoir.Tudevrasdînertôt.—Oui,père.

+++

Page 9: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Avantlecoucherdusoleil,jevaischercherdequoimangerdanslacuisine:deuxpetitspainsetdescarottes crues avec leurs fanes, un morceau de fromage et une pomme, un reste de poulet, sansassaisonnement.Touta lemêmegoût,ungoûtdepoussièrepâteuse. Jegarde lesyeux rivés sur laportepournepastombersurlescollèguesdemonpère.Iln’apprécieraitpasquejesoisencoreenbasàleurarrivée.Jesuisentraindeboireunverred’eauquandlepremierseprésenteàlaporte,etjemedépêchede

traverserlesalonpourregagnermachambre.Monpèreattend,lamainsurlapoignée.Ilmeregardecontourner la rampe d’escalier en haussant les sourcils et me désigne les marches d’un coup dementon.Jemonteencouranttandisqu’ilouvre.—Bonjour,Marcus.Jereconnaislavoixd’AndrewPrior.C’estl’undesplusprochescollèguesdemonpère;cequin’a

pasdesens,parcequepersonnen’estvraimentprochedemonpère.Pasmêmemoi.J’observeAndrewdepuislepalier.Ils’essuielespiedssurlepaillasson.Jelesvoisparfois,luietsa

famille : l’image parfaite de la familleAltruiste,Natalie etAndrew, leur fils et leur fille – l’un etl’autredeuxclassesaprèsmoiaulycée,bienqu’ilsaientunand’écart–quimarchenttouslesquatreposément sur le trottoir en saluant les passants d’un signe de tête. Natalie supervise toutes lesopérationsdebénévolatdesAltruistesauprèsdessans-faction.Mamèreadûlaconnaître,mêmesielleparticipait rarement à lavie socialede la communauté, préférantgarder ses secrets comme jegardelesmiens,cachésderrièrelesmursdecettemaison.Leregardd’Andrewcroiselemienetjefiledansmachambreenrefermantlaportederrièremoi.A priori, ma chambre paraît aussi nue et propre que n’importe quelle pièce d’un logement

d’Altruiste.Mesdrapsetmescouverturesgrisessontsoigneusement tiréssur lemincematelas,mapiledelivresformeunetourparfaitesurmonbureauencontreplaqué.Mesvêtements,dontchaquepièceexisteenplusieursexemplairesidentiques,sontrangésdansunemodestecommodeprèsdelapetitefenêtre,quinelaissepasserqu’unmaigrerayondesoleilenfindejournée.Cettefenêtredonnesurlamaisondesvoisins,copieconformedelanôtre,troismètresplusloin.JecomprendscommentlapassivitéapuconduiremamèrechezlesAltruistes,dumoinssilesans-

faction n’a pasmenti. Jeme vois vivre lamême chose, demain, lorsque jeme tiendrai devant lescoupesdesfactions,uncouteauàlamain.Parmilescinqfactions,ilyenaquatreauxquellesjenemefieraispas,quejeconnaismaletdontje

necomprendspaslesusages,etuneseulequimesoitfamilière,prévisible,décodable.Silechoixdela factionAltruiste neme promet pas une vie de bonheur extatique, aumoins, elleme garantit lafacilité.Jeréfléchis,assisauborddemonlit.«Non,c’estfaux.»Jeravalecettepensée,parcequ’ellevient

de l’enfant enmoi qui a peur de l’hommeassis enbas, dans le salon.Cet hommedont je connaismieuxlespoingsquelescaresses.Jem’assureque laporte estbien ferméeet je cale la chaisedemonbureau sous lapoignéepar

sécurité.Puisjem’accroupisàcôtédemonlitpourtirerlecoffrequejegardesouslesommier.Mamèremel’adonnéquandj’étaispetit,endisantàmonpèrequ’ellel’avaittrouvédanslarueet

quec’étaitpouryrangerlescouverturesderechange.Maisquandellel’aapportédansmachambre,cen’étaitpaspouryrangerdescouvertures.Elleafermélaporte,misunindexsurseslèvresetposélecoffresurmonlitpourl’ouvrir.Danslecoffresetrouvaitunepetitesculptureenverrebleuquireprésentaitunesortedecascade,

limpide,polie,sansdéfaut.—Çasertàquoi?luiavais-jedemandé.

Page 10: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Enapparence,àrien,m’avait-elleréponduavecunsourire,maisunsourirecrispé,commesielleavaitpeurdequelquechose.Maisçapeutpeut-êtrefairequelquechoselà.Etelleavaitposélamainsursoncœur.—Lesbelleschosesontparfoiscepouvoir.Depuis,j’airemplicecoffred’objetsqued’autresjugeraientinutiles:unevieillepairedelunettes

sansverres,desfragmentsdecartesmères,desbougiesd’allumage,desfilsdénudés,legoulotcasséd’unebouteille,unelamedecouteaurouillée.Jenesaispassimamèrelesauraittrouvésbeaux,nimêmesi,moi,jelestrouvebeaux.Maistous,commelastatuette,mesemblentprécieuxetporteursdesecrets,neserait-cequeparcequ’ilsn’intéressentpersonne.Aulieudepenserauxrésultatsdutestd’aptitudes,jeprendsunàunchacundecesobjetsetjeles

retournedansmamainjusqu’àenavoirmémoriséchaquemillimètrecarré.+++

Je suis réveillé en sursautpar lebruitdespasdeMarcusdans lecouloir.Lecontenuducoffreestéparpillé sur le drap autour de moi. Ses pas s’approchent, ralentissent. À la hâte, je ramasse lesbougiesd’allumage,lesmorceauxdecartesmèresetlesfilsélectriques,jelesjettedanslecoffre,jelerefermeetjerangelaclédansmapoche.Àladernièreseconde,alorsquelapoignéedelaportecommenceàtourner,jemerendscomptequej’aioubliélastatuetteetjelafourresousmonoreillertoutenglissantlecoffresousmonlit.Puisjeplongeverslachaisepourdégagerlaporteetouvriràmonpère.Ilentreenjetantuncoupd’œilsoupçonneuxsurlachaisequejetiensdanslesmains.—Qu’est-cequetufaisavecça?Tuvoulaism’empêcherd’entrer?—Non,père.— C’est la deuxième fois que tu me mens aujourd’hui. Je n’ai pas élevé mon fils pour qu’il

devienneunmenteur.—Je…Commejenetrouvestrictementrienàrépondre,jerefermelaboucheetjevaisreposerlachaiseà

saplacedevantmonbureau,justederrièrelatourimpeccablequeformentmeslivresdecours.—Qu’est-cequetufabriquaisici,encachette?Jecrispelesdoigtssurledossierdelachaise,leregardfixésurmeslivres.—Rien,dis-jeàvoixbasse.—Çafaittroismensonges,réplique-t-ild’unevoixsourde,durecommedusilex.Il faitunpasversmoiet je recule instinctivement.Maisau lieudem’attraper, il tire lecoffrede

sousmonlitetessaiedesouleverlecouvercle,sanssuccès.Lapeurmevrillelestripescommeunelame.Jepincel’ourletdemachemise,maisjenesensplus

mesdoigts.—Tamèreprétendaitqu’elleyrangeaitdescouvertures.Soi-disantparcequetuavaisfroidlanuit.

Laquestionque jemesuis toujoursposée,c’est : s’ilnecontientquedescouvertures,pourquoi lefermeràclé?Iltendsamainouverteetmefixeenhaussantlessourcils.Ilveutlaclé.Etjesuisobligédelalui

donner,parcequ’ilpeutvoirquandjemens.Ilpeuttoutvoirdemoi.Jelaprendsetladéposedanssamain.Maintenant,jenesensplusmespaumesetmarespirationsefaithachée,commetoujoursquandjesaisqu’ilestsurlepointd’exploser.Jefermelesyeuxtandisqu’ilouvrelecoffre.—Qu’est-cequec’estqueça?

Page 11: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Samainfouillesansménagementdansmestrésors,lesdispersantdetouscôtés.Illesprendunàunpourlesjetersurmoi.—Àquoiçasert,ça,hein?Etça?Jetressailleàchaqueobjetqu’ilmejette,etjerestesansréponse.Çanesertàrien.Aucundeces

objetsnesertàrien.—Çaempestel’égoïsmeetlafutilité!crie-t-il.Jenetelaisseraipascorromprecettemaison!Ilpousselecoffreettoutsoncontenusedéverseparterre.Jenesensplusmonvisagenonplus.Sesmainsheurtentmapoitrineet jevaismecognerlesreinscontrelacommode.Il lèvelamain

pourmefrapperetjeparviensàarticuler,lagorgeserréeparlapeur:—LacérémonieduChoix,papa!Ilsuspendsongesteetjetrembledevantlui,recroquevillécontrelacommode,lavisionbrouillée

par les larmes. Il essaie généralement de ne pas m’abîmer le visage, en particulier la veille desjournéescommecellededemain,oùjeseraiaucentredesregardsaumomentdefairemonchoix.Ilabaisselamainet,l’espaced’uneseconde,jecroisquelaviolenceestpassée,sacolèreapaisée.

Puisilmedit:—Trèsbien.Attends-moiici.Jem’appuiecontrelacommode.Jeleconnaistropbienpourespérerqu’ilvamelaisser,qu’ilest

partisecalmeretqu’ilvarevenirens’excusant.Ilnelefaitjamais.Ilvareveniravecuneceintureetlessillonsqu’ellegraveradansmondosresterontcachéssousma

chemise,sousmadocileexpressiond’Altruiste.Jemeretourne,lecorpssecouéparunfrisson.Jem’agrippeàlacommodeetj’attends.

+++

Cette nuit-là, je dors sur le ventre, la douleur mordant sur chacune de mes pensées, toutes mespossessionsbriséesetéparpilléesparterre.Aprèsm’avoirfrappéàmefairemordremonpoingpourmeretenirdehurler,ilapiétinéchaqueobjetjusqu’àleréduireenmiettesetprojetélecoffrecontrelemur.Lescharnièresducouverclesesontbrisées.Unepenséesurgitdansmatête:«SituchoisislesAltruistes,tuneluiéchapperasjamais.»J’enfoncelevisagedansmonoreiller.Maisjen’aipaslaforcedeluttercontrecettepassivitéd’Altruiste,cettepeurquimepoussesurla

voiequemonpèreatracéepourmoi.+++

Le lendemain matin, je prends une douche froide, non pour économiser l’énergie comme lepréconisent lesAltruistes,maisparcequeçam’anesthésie ledos. J’enfile lentementmesvêtementsternesd’Altruisteetjemecampedevantlemiroirdupalierpourmecouperlescheveux.—Laisse-moifaire,meditmonpèreduboutducouloir.C’estlejourduGrandChoix,aprèstout.Je pose la tondeuse sur le reborddupanneau coulissant et j’essaie deme tenir droit. Il se place

derrièremoi,etjedétournelesyeuxtandisquel’appareilsemetàbourdonner.Leréglagedusabotestfixe;iln’existequ’unelongueurdecheveuxacceptablepourunAltruiste.Jemecrispequandilposelesdoigtssurmatêtepourlastabiliseretjepriepourqu’ilnel’aitpasremarqué,qu’iln’aitpasvuquelemoindrecontactavecluimeterrifie.—Tuterappellescommentçavasepasser?medemande-t-il.Ilcouvrelehautdemonoreilled’unemainenpassantlatondeuseautour.Aujourd’hui,ilsesoucie

Page 12: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

deprotégermonoreille,alorsqu’hier,ilestalléchercheruneceinturepourmefrapper.Cettepenséefaitsoncheminenmoicommedupoison.C’estpresquedrôle.J’auraispresqueenvied’enrire.—Tu resteras à ta place jusqu’à ce qu’on t’appelle. Là, tu t’avanceras pour prendre le couteau.

Ensuite,tut’entailleraslamainettuferascoulertonsangdanslabonnecoupe.Nos regards se croisent dans lemiroir et sa bouche se fige dans un demi-sourire. Ilme touche

l’épaule,etjemerendscomptequ’onestpresquedelamêmetaille,maintenant,bienquejemesenteencorebienpluspetitquelui.Ilajoutedoucement:—Ladouleurnedureraqu’uninstant.Ensuite,tonchoixserafaitetceserafini.Jemedemandes’ilserappelleseulementl’épisoded’hier,ous’ill’adéjàremisédansuntiroirde

sonesprit,enséparantsoigneusementsonvisagedemonstredesonvisagedepère.Moiquin’aipasces tiroirs, je vois toutes ces couches d’identité qui se superposent chez lui : lemonstre, le père,l’homme,leveuf,lechefduconseil.Ettoutàcoup,moncœurbatsifort,mesjouessontsibrûlantesquec’enestpresqueintolérable.—Net’enfaispaspourladouleur,dis-je.Jesuisrodé.L’espace d’une seconde, ses yeux me lancent des éclairs dans le miroir et mon accès de rage

s’évanouit, laissant place à la peur.Mais il se contente d’éteindre la tondeuse avant de descendrel’escalierenmelaissantlesoindebalayerlesmèchesdecheveuxtombéesparterre,debrossermoncouetmesépaulesetderangerlatondeusedanssontiroir,danslasalledebain.Je retourne dansma chambre, où je regarde les objets cassés qui jonchent toujours le parquet.

Précautionneusement,j’enfaisunpetittasquejedéposedanslacorbeilleàcôtédemonbureau.Jemerelèveavecunegrimacededouleur.J’ailesjambesquitremblent.Àcetteminute,faceauvidedemavieetauxdébrisdupeuquejepossédais,jemedisqu’ilfautque

jemesortedelà.Jesensrésonnercettepenséeenmoiaveclapuissanced’unecloche,etjelarépète:il fautqueje

mesortedelà.Jem’approchedulitetjeglisselamainsousmonoreiller,oùlastatuettedemamèreestrestéeà

l’abri,intacte,etluitmaintenantdanslalumièredumatin.Jelaposesurlebureauàcôtédelapiledelivresetjequittemachambreenrefermantlaportederrièremoi.Unefoisenbas,jesuistropnerveuxpourmanger,maisj’avaleunboutdepainpourquemonpère

nemeposepasdequestions.Jen’aipasàm’inquiéter;ilfaitcommesijen’existaispas,commes’ilnemevoyaitpasgrimacerchaquefoisquejedoisfaireunmouvementpourprendrequelquechose.Ilfautquejemesortedelà.C’estdevenuunmantra,laseulechoseàlaquellejepuisseencoreme

raccrocher.MonpèreterminedelirelesnouvellespubliéesparlesÉruditspendantquejefinislavaisselle,et

onquitte lamaisonensemble, sansunmot.Sur le trottoir, il salue lesvoisinsensouriant.ToutesttoujoursparfaitementenordredanslaviedeMarcusEaton,àpartsonfils.Àpartmoi.Jenesuispasenordre,jesuisdanslaconfusionpermanente.Maisaujourd’hui,jem’enréjouis.Onmontedans lebus,où l’on restedeboutpour laisser les siègesauxautres,enbonsAltruistes

pleinsd’égardsquenoussommes.Jeregardelespassagersmonter,desSincèresquiparlentfort,desÉruditsàl’airconcentré.Jevoisd’autresAltruistesseleverpourcéderleurplace.Toutlemondeserendaumêmeendroitaujourd’hui:àlaRuche,dontlepiliernoirsedresseauloin,transperçantlecieldesesdeuxpiques.Tandisqu’onsedirigeversl’entréeaprèsêtredescendusdubus,monpèregardeunemainposée

Page 13: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

surmonépaule,provoquantdesélancementsdedouleurdanstoutmoncorps.Ilfautquejemesortedelà.C’estunepenséedésespérée,etladouleurquimelanceàchaquemarchedel’escalierquimèneàla

salledelacérémonieduChoixnefaitquel’aiguillonner.Jemebatspourrespirer,maiscen’estpasàcausede l’effortde lamontée.C’estàcausedemoncœur,moncœurfaiblequidevientplusfortàchaquesecondequipasse.Àcôtédemoi,MarcusessuiesonfrontensueurettouslesautresAltruistesserrentleslèvrespournepasrespirertropbruyamment,depeurd’avoirl’airdeseplaindre.Je lève lesyeuxvers lesmarchesdevantmoiet jesuisembraséparcettepensée,cebesoin,cette

chancedem’échapper.Onarriveenhautettoutlemondes’arrêtepourreprendresonsouffleavantd’entrer.Lasalleest

sombre,avecdes fenêtresobscurcies,et leschaisessontdisposéesencercleautourdescoupesquicontiennentrespectivementduverre,del’eau,desgalets,descharbonsardentsetdelaterre.Jeprendsmaplace,entreuneAltruisteetunFraternel.Marcussetientenfacedemoi.—Tusaiscequetudoisfaire,medit-il,pluscommes’ilseparlaitàlui-mêmequ’àmoi.Tusais

quelestlebonchoix,j’ensuissûr.Jefixeleregardquelquepartendessousdesesyeux.—Àtoutàl’heure,ajoute-t-il.Il se dirige vers la section des Altruistes et s’installe au premier rang, avec d’autres chefs du

conseil.Peuàpeu,lasalleseremplit.Ceuxquivontfaireleurchoixrestentdeboutenborduredelapièce,tandisquelepublics’assoitautourducercleforméparlescinqcoupes.Onfermelesportes.Unmoment de silence s’ensuit tandis que le représentant au conseil desAudacieux s’approche del’estrade.Ils’appelleMax.Ilreplielesdoigtssurleborddupodiumetjevois,mêmedufonddelapièce,qu’ilssontécorchés.Apprend-onàsebattrechezlesAudacieux?Sûrement.—BienvenueàlacérémonieduChoix,déclareMax,emplissantlasalledesavoixgrave.Iln’a pas besoin demicro. Il parle assez fort pour que ses paroles pénètrent dansmon crâne et

s’enroulentautourdemoncerveau.—Aujourd’hui,vousallezchoisirvotrefaction.Jusqu’ici,vousavezsuivilecheminquevousont

tracévosparents,etlesrèglesdevosparents.Aujourd’hui,vousalleztrouvervotreproprechemin,établirvospropresrègles.Jepeuxpresquevoirmonpèreserrerleslèvresavecdédaindevantundiscoursaussitypiquement

Audacieux.Jeconnaissibienses réactionsque jepourrais l’imiter,bienque jenepartagepassonsentiment.Jen’aipasd’opinionpréconçuesurlesAudacieux.—Ilyatrèslongtemps,nosancêtresontcomprisquechacund’entrenous,chaqueindividu,était

responsabledumalquiexistedanslemonde.Maisilsn’étaientpasd’accordsurlacausedecemal.Selonlesuns,c’étaitlamalhonnêteté.Jesongeauxmensongesquej’aidits,annéeaprèsannée,surtelleoutelledemescontusionsoude

mescoupures,àtouslesmensongesparomissionquej’aiditspourprotégerlesecretdeMarcus.—Selond’autres,c’étaitl’ignorance,oul’agressivité…JesongeàlapaixdesvergersdesFraternels,àlalibertéquej’ytrouverais,loindelaviolenceetde

lacruauté.—Pourd’autresencore,lasourcedumalétaitl’égoïsme.«C’estpourtonbien.»C’estcequemeditMarcusavantchaquecoup.Commesimefrapperétait

unsacrifice.Commesiçaluicoûtait.Entoutcas,jenel’aipasvu,lui,marcherenboitantcematindanslacuisine.

Page 14: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Etlederniergroupeincriminaitlalâcheté.Quelquescrisd’approbationsuivisderiresfusentdugroupedesAudacieux.Jerepenseàlapeur

quim’aengloutilaveilleausoir,aupointdeparalysermessensationsetdebloquermarespiration.Jerepenseauxannéesquim’ontréduitàuntasdepoussièresousletalondemonpère.— C’est ce qui nous a amenés à créer les factions : Sincères, Érudits, Fraternels, Altruistes et

Audacieux, conclut Max avec un sourire. Elles produisent des gestionnaires, des enseignants, desconseillers, des chefs et des protecteurs. Elles nous donnent un sentiment d’appartenance, unsentimentdecommunauté,etmodèlentnosvies.(Maxs’éclaircitlagorge.)Maisassezparlé.Passonsaux choses sérieuses. Avancez-vous, prenez votre couteau et faites votre choix. J’appelle Zellner,Gregory.Ilmeparaîtappropriéqueladouleuraccompagnelepassagedemonancienneàmanouvellevie,

quandlalameducouteaus’enfonceradansmapaume.Maisj’ignoretoujoursquellefactionjevaischoisircommerefuge.GregoryZellnertendsamainensanglantéeau-dessusdelacouperempliedeterredesFraternels.Les Fraternels semblent être le choix le plus logique, avec leur vie paisible, leurs vergers

parfumés,leurcommunautésouriante.Chezeux,jetrouveraislegenred’acceptationquimemanquedepuissilongtemps,etpeut-êtrequ’avecletemps,ilsm’apprendraientàtrouvermonéquilibre,àmesentiràl’aiseavecmoi-même.Mais en les regardant, dans leurs tenues rouges et jaunes, je vois des individus sains, complets,

capablesdes’encourageretdesesoutenirlesunslesautres.Ilssonttropparfaits,tropgentilspourquequelqu’uncommemoisoitprécipitédansleursbrasparlarageetlapeur.Lacérémonieavancetropvite.—Rogers,Helena.EllechoisitlesSincères.Jesaiscequisepassedurantl’initiationdesSincères.Jel’aientendumurmurerunjouraulycée.Je

serais obligé d’exposer tous mes secrets en les déterrant avec mes ongles. Je serais obligé dem’écorchervifpourintégrerleurfaction.Non,jenepeuxpasfaireça.—Lovelace,Frederick.FrederickLovelace,toutdebleuvêtu,s’entaillelapaumeetlaissecoulersonsangdansl’eaudes

Érudits,qui rougit. J’ai lescapacitésd’apprentissage requisespour lesÉrudits,mais jemeconnaisassezpoursavoirquejesuistropinstable,tropémotifpourvivreparmieux.J’yétoufferais;cequejecherche,c’estlaliberté,pasunenouvelleprison.Enunclind’œil,c’estletourdemavoisineAltruiste:—Erasmus,Anne.Anne–encoreunequin’ajamaistrouvéplusdequelquesmotsàmedire–selèveentrébuchantet

avancedansl’alléejusqu’àl’estrade.Elleprendlecouteaud’unemaintremblante,secoupelegrasdelapaumeet tendlamainau-dessusdelacoupedesAltruistes.C’estfacilepourelle.Ellen’arienàfuir, juste une communauté bienveillante à retrouver. D’ailleurs, cela fait des années qu’aucunAltruisten’achoisidequittersacommunauté.C’estlafactionlaplusfidèle,entermesdestatistiquesdecérémonieduChoix.—Eaton,Tobias.Jemesenscalmetandisquejeremontel’alléejusqu’auxcoupes,bienquejen’aietoujourspasfait

monchoix.Maxmetendlecouteauetjereplielesdoigtsautourdumanche.Ilestlisseetfrais,etlalameestpropre.Unnouveaucouteaupourchacun,etunnouveauchoix.Enme dirigeant vers le centre de la pièce, je passe devant Tori, celle qui a supervisémon test

Page 15: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

d’aptitudes.«Tudevrasvivreavectonchoix»,m’a-t-elledithier.Sescheveuxattachésdévoilentuntatouagequisinuedesaclaviculejusqu’àsoncou.Sesyeuxs’attardentsurmoiavecinsistanceetjelafixeenretour,sansciller,enm’arrêtantaumilieudescoupes.Avecquelchoixpuis-jevivre?PaslesÉrudits,nilesSincères.NilesAltruistes,quejechercheà

fuir.PasmêmelesFraternels,auxquelsjesuistropabîmépourappartenir.Lavérité,c’estquejeveuxquemonchoixpoignardemonpèreenpleincœur,qu’illetransperceaveclapiresouffrance,lapirehonte,lapiredéceptionpossible.Unseulchoixpeutaccomplircela.Jeleregardeetilhochelatête.J’enfoncelalamedansmapaume,siprofondémentqueladou-leur

mefaitmonterleslarmesauxyeux.Jefermemonpoingpourlaisserlesangs’yaccumuler.Ilalesmêmesyeuxquemoi,d’unbleusisombrequedans lami-ombre,commeici, ilssemblentpresquenoirs,commedestrousdanssoncrâne.Mondosmelance,letissudemachemiserâpemapeauàvif,mapeauqu’ilalabouréeàcoupsdeceinture.J’ouvremapaumeau-dessusdescharbons.J’ailasensationqu’ilsbrûlentdansmonventre,qu’ils

meremplissentàrasborddefeuetdefumée.Jesuislibre.

+++

Jen’aipasentendulesacclamationsdesAudacieux.Seulementlebourdonnementdemesoreilles.Ma nouvelle faction s’avance vers moi en s’étirant, car elle est comme une créature aux bras

multiples.Jem’enapproche,sansosermeretournerpourvoirlevisagedemonpère.Jereçoisdestapesamicalesetjeprendsplacedanslegroupeensentantmonpoulsbattreauboutdemesdoigts.J’attendsaveclesautresnovices,àcôtéd’unÉruditauxcheveuxbrunsquimetoiseetmerenvoie

d’unsimplecoupd’œilàmoninsignifiance.Jenedoispasavoirfièrealluredansmesvêtementsgrisd’Altruiste,amaigriparmapousséedecroissancedel’andernier.Lesangcontinuedecoulerdemonentaille,dégoulinelelongdemonpoignetetgoutteparterre.J’ysuisalléunpeufortaveclecouteau.Pendantqueledernierdelalistefaitsonchoix,jedéchirel’ourletdemachemisepourl’enrouler

autourdemamainetarrêterlesaignement.Jen’auraiplusbesoindecesvêtements.C’estfini.LesAudacieuxassisdevantnousselèventetseprécipitentverslasortieenm’emportant

aveceux.Jenepeuxpasm’empêcherdemeretournerjusteavantdefranchirlaporte,etjevoismonpèretoujoursassisaupremierrang,entouréparunpetitnoyaud’Altruistes.Ilal’airsonné.Jem’autorise un petit sourire satisfait. J’ai réussi ;moi, j’ai fait naître cette expression sur son

visage.JenesuispasleparfaitfilsAltruiste,vouéàêtregobétoutcruparlesystèmeetàsedissoudredanslamasse.JesuislepremiertransfertAltruiste-Audacieuxdepuisplusdedixans.Je cours pour rattraper les autres.En chemin, je déboutonnema chemisedéchirée et je la laisse

tomberparterre.Letee-shirtgrisquejeporteendessousesttropgrandluiaussi,maisplussombre,etsefondmieuxaveclenoirdesAudacieux.Ilsdévalentlesescaliers,poussentlesportesàtoutevolée,rient,crient.Mondos,mesépaules,mes

poumons,mesjambesmebrûlent,etsou-dainjedouteduchoixquej’aifait,decesgensauxquelsjemesuislié,sibruyants,sisauvages!Est-cequejepourraivraimenttrouvermaplaceparmieux?Jen’ensaisrien.J’imaginequejen’aipluslechoix.Jemefrayeunpassageàtraverslafouleàlarecherchedesautresnovices,maisilssemblentavoir

disparu.Jemedéportesurlecôtéenespé-rantapercevoirladirectionqu’onprend,etjevoislesrailsdelavoieferréesuspendusau-dessusdelaruedevantnous,dansunecageàclaire-voieenboiseten

Page 16: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

métal.LesAudacieuxmontentlesescaliersetsedéversentsurlequai.Aubasdesmarches,lacohueesttellequejenepeuxplusavancer,maisj’aipeurderaterletrainsijenemedépêchepasetjemedécideàpousser.Jeserrelesdentspournepasm’excuserenécartantlesgensàcoupsdecoude,etlemouvementgénéralmepousseverslehautdel’escalier.—Tunet’entirespassimal,meditTorienseglissantàcôtédemoisurlequai.Entoutcaspour

unAltruiste.—Merci.—Tusaiscequivasepassermaintenant,non?Ellesetournepourmedésignerunelumièreauloin,fixéeàl’avantd’untrainquiarrive.—Ilnes’arrêtepas. Il ralentit justeunpeu.Si tun’arrivespasàgrimper,c’est finipour toi.Tu

deviensunsans-faction.Çasuffitpoursefaireéjecter.Je hoche la tête. Je ne suis pas étonné que l’épreuve d’initiation ait déjà commencé, qu’elle ait

commencéàlasecondeoùonaquittélacérémonieduChoix.EtjenesuispasnonplusétonnéquelesAudacieuxmedemandentdefairemespreuves.Jeregardeletrainquiserapproche–onl’entendmaintenantquigrincesurlesrails.Torimeregardeavecungrandsourire.—Tuvastesentircommeunpoissondansl’eau,toi,ici.—Qu’est-cequitefaitdireça?Ellehausselesépaules.—Oh,justelefaitquetuesvisiblementprêtàtebattre.LetrainfoncesurnousdansunbruitdetonnerreetlesAudacieuxcommencentàsejeterdedans.

Tori court en bordure du quai et je la suis, copiant sa position et ses mouvements quand elle seprépare à sauter. Elle saisit la poignée d’une portière et se propulse à l’intérieur. Je l’imite, encafouillantunpeuavantd’assurermapriseetdemehisserd’uncoupsecdanslewagon.Maisjenen’aipasanticipélevirage,quim’envoiemecognerlafigurecontrelaparoimétallique.

Jeplaqueunemainsurmonnezendolori.—Ilfautyallerendouceur,merecommandeunAudacieux.PlusjeunequeTori,ilaleteintmatetunsouriredétendu.—Cegenredesubtilité,c’estbonpourcesfrimeursd’Érudits,rétorqueTori.Ilaréussiàmonter,

Amar,c’estleprincipal.—N’empêchequ’ildevraitêtredansl’autrewagon,aveclesnovices,signaleAmar.Ilm’examine,mais pas comme l’a fait le transfert Érudit tout à l’heure. Il paraît plutôt intrigué

qu’autrechose,commesij’étaisunecuriositéqu’ildevaitétudierattentivementpourlacomprendre.—Enfin,sic’estunamiàtoi,ondiraquec’estbon.C’estquoi,tonnom,lePète-sec?Jem’apprêteàluidire,commejel’aifaittoutemavie,quejem’appelleTobiasEaton.Çadevrait

sortirtoutseul.Maisàcetinstant,ilm’estinsupportabledeprononcermonnomàvoixhaute.Pasici,parmidesgensdontj’espèrequ’ilspeuventdevenirmesnouveauxamis,manouvellefamille.Jenepeuxplus–jeneveuxplus–êtrelefilsdeMarcusEaton.—Appelle-moiPète-sec si ça t’amuse,dis-je, cherchant à imiter le tonbravachedesAudacieux,

quejen’aientendujusqu’iciquedanslescouloirsdulycée.Letrainaccélèreetleventquis’engouffredanslewagonrugitdansmesoreillesavecunbruitde

tonnerre.Torimeregarded’undrôled’airet,pendantquelquessecondes, j’aipeurqu’ellenediseàAmar

commentjem’appelle.Maisellesecontentedehocherlatête.Soulagé,jemetourneversl’extérieurdevantlaportièreouverte,sanslâcherlapoignée.

Page 17: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Ilnem’était jamaisvenuàl’espritquejepourraisrefuserdedonnermonnom,ouendonnerunautre,meforgerunenouvelleidentité.Ici,jesuislibre,libred’envoyerlesgensbalader,libredeleurdirenon,etmêmedementir.Sousmespieds,jedistinguelaruequelquesmètresendessousdenous,entrelespoutrellesenbois

quisoutiennent lesrails.Maisdevant, lesanciensrailssont remplacéspardenouveauxet lesquaiss’élèventets’enroulentautourdestoitsdesimmeubles.Lapenteestprogressiveetm’auraitéchappésijen’avaispasétéentraindefixerlesoltandisqu’ons’enélève,deplusenplushautversleciel.Lapeurmeliquéfielesjambesetjem’éloignedelaportièrepourallerm’accroupircontrel’une

desparois,enattendantd’arriveràmadestinationinconnue.+++

Jesuistoujoursdanslamêmeposition–accroupicontrelaparoi,latêteenfouieentremesmains–,quandAmarattiremonattentiond’unlégercoupdepieddanslacheville.—Debout,Pète-sec,medit-il,sansméchanceté.C’estbientôtlemomentdesauter.—Desauter?—C’estça,confirme-t-ilavecunsourireunpeunarquois.Cetrainnes’arrêtepas.Jemerelèved’unepousséesurlesjambes.Leboutdetissuquej’aienrouléautourdemamainest

trempédesang.Torisepostederrièremoietmepousseverslaportière.—Laissezlenovicesauterenpremier!crie-t-elle.—Qu’est-cequetufais?luidemandé-jeentremesdents.—Jeterendsservice!meréplique-t-elleavecunenouvellepoussée.LesautresAudacieuxs’écartentensouriant,sedélectantparavancedecequivasuivre,commesi

j’étaisleurpetitdéjeuner.Jegagnelaportièreentraînantlespiedsetjeserrelapoignéesifortquemesdoigtscommencentà

s’engourdir.Jerepèrel’endroitoùjesuiscensésauter:unpeuplusloin,lavoieferréelongeletoitd’unimmeubleavantdeprendreunvirage.L’espacequilesséparesemblerelativementétroit,maisne faitque s’élargir àmesurequ’on se rapproche, et je vois augmenter laprobabilité demamortimminente.Je suis pris de tremblements en voyant les Audacieux des wagons de tête se jeter dans le vide.

Aucun nemanque son but,mais ça ne veut pas dire que je ne serai pas le premier. Jeme force àdesserrermaprisesurlapoignée,jefixeletoitetjemepropulseàl’extérieurdetoutesmesforces.L’impact envoie une onde de choc dans tout mon corps. Je tombe à quatre pattes et le gravier

s’enfonce dansma paume blessée. Je regarde fixementmes doigts. J’ai l’impression que le tempsvientdefaireunbondenavant,etquelaréalitédusautnes’estimpriméenisurmarétine,nidansmamémoire.—Dommage,lancequelqu’undansmondos.Çam’auraitpludevoirunebellecrêpedePète-sec

étaléesurlegravier.Jemeredresseenpositionaccroupie,sansleverlatête.Letoittanguesousmespieds.Jenesavais

pasquelapeurpouvaitréellementdonnerletounis.Quoiqu’ilensoit,jeviensderéussirdeuxépreuvesdel’initiation:sauterdansuntrainenmarche,

puisd’untrainsuruntoit.Resteunequestion:commentlesAudacieuxdescendent-ilsdutoit?Uneminuteplustard,Amargrimpesurlerebordetj’ailaréponse:ilssautent.Je ferme lesyeuxetmepersuadeque jenesuispas là,àgenouxsur legravieraumilieudeces

dingues couverts de tatouages. J’ai fait ce choix pourm’échapper, et c’est raté. Je ne trouverai iciqu’unenouvelleformedetorture,etilesttroptardpourfairemarchearrière.Leseulespoirqu’ilme

Page 18: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

resteestdesurvivre.—BienvenuechezlesAudacieux!nouslanceAmar.Soitvousyaffrontezvospeursentâchantde

nepasmourirenroute,soitvouslesquittezenayantfaitlapreuvedevotrelâcheté.Sanssur-prise,letauxdetransfertn’estpastrèsélevécetteannée.LesAudacieuxquil’entourentlèventlepoingavecdescrisdejoie,semblantconsidérercommeun

motifd’orgueillefaitquepersonneneveuilleintégrerleurfaction.—Leseulmoyend’entrerdansl’enceintedesAudacieuxdepuiscetoitestdepasserparlà,reprend

Amarenécartantlesbraspourembrasserlevideautourdelui.Ilportesonpoidssursestalonsetdécritdesmoulinetsaveclesbrascommes’ilperdaitl’équilibre,

avant de se rétablir avec un sourire. J’inspire profondément par le nez et garde l’air dans mespoumons.—Commed’habitude,jelaisseauxnovicesl’occasiondesauterlespremiers,qu’ilssoientnatifs

outransferts.Ildescenddurebordetdésignelevideenhaussantlessourcilsd’unaird’invite.Le petit groupe de novices natifs desAudacieux amassé non loin du rebord échange des coups

d’œil.Unpeuplusloinsetiennentl’Éruditdetoutà l’heure,uneFraternelleet troisSincères,deuxgarçonsetunefille.Nousnesommesquesixtransferts.L’undesnatifsfaitunpasenavant;ungarçonàlapeausombrequiappellelesacclamationsdeses

amisenlevantlesbras.—Vas-y,Zeke!crieunefille.Ilsautesurlerebord,maisilamalcalculésonélan.Ilperdl’équilibreetbasculeenavant.Ilhurle

quelquechosed’inintelligibleetdisparaît.LaSincère,lesyeuxécarquillés,étouffeuncrienplaquantunemainsursabouche,maislesamisAudacieuxdeZekeéclatentderire.Apriori,iln’aurapaseul’heuredegloirequ’ilescomptait.Amar,lesourireauxlèvres,désignedenouveaulerebord.Lesnatifssemettentenrang,ainsique

l’Érudit et laFraternelle. Je saisque jedoisen faireautant,que jedois sauter,malgrémapeur. Jem’approchedelaqueue,aussiraidequesimesarticulationsétaientdesboulonsrouillés.Lesyeuxsursamontre,Amarlancelesignaldessautsàtrentesecondesd’intervalle.Laqueuediminue,sedissout.Soudain,plusdequeue,ilnerestequemoi.Jemontesurlerebordetj’attendslesignald’Amar.Au

loin, le soleil se couche derrière les immeubles, qui, d’ici, dessinent un panorama que je neconnaissaispas.Unelumièredoréebrilleenborduredel’horizon,etleventquiremontelelongdel’immeublesoulèvemesvêtements.—Vas-y,meditAmar.Jefermelesyeux,tétanisé.Jenepeuxpassauter.Àdéfaut,jemepencheetmelaissetomber.Mon

estomac descend d’un cran et mes bras et mes jambes brassent l’air à la recherche d’une prise,n’importequoi;maisiln’yarien,rienquelachute,levide,laquêtedésespéréedelaterreferme.Puisjeheurteunfilet.Ilsereplieautourdemoi,m’enveloppantdanssonmaillagesolide.Desmainsmefontsignesurle

côté.Jerampeversellesenm’accrochantaufilet.J’atterrissurmespiedssuruneplateformeenbois,etunhommeàlapeausombreetauxjointuresécorchéesmesourit.C’estMax.—LePète-sec!s’exclame-t-ilenm’assénantunetapedansledosquimefaittressaillir.Raviquetu

soisarrivéjusque-là.Varejoindrelesautres,Amarnedevraitpastarder.Derrière lui s’ouvre la bouche d’un tunnel aux parois en pierre. L’enceinte des Audacieux est

souterraine;jemeseraisplutôtattenduàcequ’ellesoitsuspendueàunehautetourparunréseaude

Page 19: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

cordagesfragiles;unevisiondignedemespirescauchemars.Je descends lesmarches laborieusement pour rejoindre les autres novices.Mes jambes semblent

s’êtreremisesàfonctionner.LaFraternellemesourit.—Jenepensaispasqueceseraitaussimarrant.Moi,c’estMia.Çava?—Ondiraitqu’ilessaiedenepasvomir,commentel’undesSincères.—Teretienspas,mec,ditsoncopain.Çamettraitunpeud’ambiance.Maréactionsortdenullepart:—Laferme.Etàmasurprise,ilsobtempèrent.Ilsnedoiventpasavoirl’habitudequ’unAltruisteleurparlesur

ceton.Quelquessecondesplustard,jevoisAmarselaisserroulerenbasdufilet.Ildescendlesmarches,

l’airexcitéetébouriffé,prêtpouruneprochainecascadedepsychopathe.Ilfaitsigneauxnovicesdes’approcheretonserassembleendemi-cercleàl’entréedutunnelavantderamenersesmainsdevantlui.—Jem’appelleAmar.Jeseraivotre instruc-teuraucoursdel’initiation.J’aigrandi iciet, ilya

troisans,j’airéussil’initiationhautlamain.Jesuisdoncbienplacépourm’occuperdesnouveaux.Bandedepetitsveinards.»Globalement,lesnatifsetlestransfertssuiventunentraînementphysiqueséparé,histoired’éviter

quelesnatifsdémolissentlesautresdèslepremierjour.Cetteremarqueestaccueillieparunsouriredesnatifs,quisetiennentàl’autreextrémitédudemi-

cercle.—Maiscetteannée,onvaexpérimenterquelquechosedenouveau.LeschefsAudacieuxetmoi-

même,ons’estdemandésilefaitdeconnaîtrevospeursdèsledébutpouvaitvousaideràmieuxvouspréparer durant l’initiation. Donc, avant qu’il soit question de dîner, vous allez faire quelquesdécouvertessurvous-mêmes.—Etsiçanem’intéressepasdefairedesdécouvertessurmoi-même?demandeZeke.Uncoupd’œild’Amarsuffitàlefairerentrerdanslegroupedesnatifs.Jen’ai jamaisrencontré

quelqu’uncommecetAmar,quipassed’unesecondeàl’autredel’affabilitéàlasévérité,etréussitmêmeparfoisàexprimerlesdeuxenmêmetemps.Prenantletunnel,ilnousconduitjusqu’àuneporteetlapoussed’uncoupd’épaule.Onlesuitdans

unepiècehumidedontlemurdufondestpercéd’uneimmensebaievitrée.Souslalumièrevacillantedesnéons,Amars’affaireautourd’unemachineassezsemblableàcelledutestd’aptitudes.J’entendsunbruitdegoutte-à-goutte–del’eautombeduplafondpourformeruneflaquedansuncoin.Del’autrecôtédelavitres’étendunedeuxièmegrandesallevide,dontlesanglessontéquipésde

caméras–ya-t-ildescaméraspartoutdansl’enceintedesAudacieux?—Nous sommes dans la salle du paysage des peurs, nous informeAmar sans interrompre son

activité. Le paysage des peurs est une simula-tion dans laquelle vous devez affronter vos pirescauchemars.Surunetableàcôtédelamachine,ilyaunerangéedeseringues,quimeparaissentsinistressous

l’éclairageclignotantdesnéonsetmefontunpeupenseràdesinstrumentsdetorture,descouteaux,desfersrouges.—Commentc’estpossible?demandel’Érudit.Vousnelesconnaissezpas.—Eric,c’estça?ditAmar.C’estexact,jeneconnaispastespirescraintes,maislesérumqueje

vais t’injectervastimuler leszonesdetoncerveauqui traitent lapeur,et turecréeras toi-mêmelesobstaclesdelasimulation,sil’onpeutdire.Contrairementàcequisepassedansletestd’aptitudes,tu

Page 20: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

resterasconscientquecequetuvoisn’estpasréel.Demoncôté,jecontrôlerailasimulationdepuiscette pièce-ci, et je commanderai auprogrammedepasser à l’obstacle suivant dèsque ton rythmecardiaqueserarevenuàunniveaunormal–autrementdit,unefoisquetuteserascalmé,ouquetuaurassurmontétapeur.Leprogrammeprendrafinquandilauraépuisétespeurs,ettulesconnaîtrasmieuxenteréveillant.IlprenduneseringueetfaitsigneàEricd’approcher.—Permets-moidesatisfairetacuriositéd’Érudit.Àtoil’honneur.—Mais…—Jesuistoninstructeur,poursuitfroidementAmar.Jeteconseilledesuivremesordres.Ericresteimmobilequelquessecondes,puisretiresavestebleue,laplieendeuxetlaposesurle

dossierd’unechaise.Sesmouvementssontlentsetdélibérés,probablementpouragacerAmarlepluspossible.Ils’approchedecedernier,quiluiplantel’aiguillepresqueférocementdanslecouavantdeleconduiredanslapiècevoisine.Une foisqu’Ericestaumilieude lapièce,de l’autrecôtéde lavitre,Amar revient, se relieà la

machinepardesélectrodesetappuiesurl’écranquisetrouvederrièrepourlancerleprogramme.Ericrestedeboutsansbouger,lesbraslelongducorps.Ilnousfixeàtraverslavitre,maistoutà

coup, sans qu’il ait fait un geste, on dirait qu’il voit autre chose, comme si la simulation avaitcommencé. Il ne criepas, ne sedébatpas, contrairement à ceque j’aurais attendude lapart d’unepersonneconfrontéeàsespirescauchemars.SurlemoniteurdevantlequelsetientAmar,sonrythmecardiaquedécritunetrajectoireascendante,commeunoiseauquiprendraitsonenvol.Ilapeur.Ilapeur,maisilnebougepas.—Qu’est-cequisepasse?mechuchoteMia.Çamarche,là?J’acquiesced’unsignedetête.Je regarde Eric respirer profondément par le ventre et expulser l’air par le nez. Son corps est

parcourudetremblementsetdefrémissements,commesilaterrebougeaitsoussespieds,maissonsoufflerestestable.Sesmusclessecrispentetsedétendentàintervallesdequelquessecondes,commes’il se contractait involontairement avant de se maîtriser. Sur le moniteur, je vois son rythmecardiaque ralentir de plus en plus, jusqu’à ce qu’Amar touche l’écran pour faire avancer leprogrammeàl’étapesuivante.Le même scénario se reproduit pour chaque nouvelle peur. Je les compte dans ma tête : dix…

onze… douze. Puis Amar touche l’écran une dernière fois et le corps d’Eric se détend. Il clignelentementdespaupièresetsetourneverslavitreavecunsouriresuffisant.Lesnatifs,d’habitudesipromptsà toutcommenter,restentmuets.Çaconfirmemonimpression:

Ericestquelqu’unàsurveiller.Voireàredouter.+++

Pendantplusd’uneheure, je regarde les autres affronter leurspeurs, courir, sauter, viser avecdesarmes invisibles et, pour quelques-uns, s’allonger sur le ventre en pleurant. J’arrive parfois àmefaireuneidéedecequ’ilsvoient,àpercevoirlespeursrampantesquilestourmentent,maislaplupartdutemps,lesobjetsdeleurterreurrestentunsecretentreeuxetAmar.Planquéverslefonddelapièce,jerentrelesépauleschaquefoisqu’Amars’apprêteàappelerle

suivant.Cettefoisencore,jesuisledernier.Miaestentraindes’extirperdesonpaysagedespeurs,recroquevilléelelongdumurdufond,levisageentrelesmains.Elleserelève,l’airépuisé,etsortdela salle d’un pas traînant sans attendre le signal d’Amar. Il jette un coup d’œil sur la dernièreseringue,puissurmoi.

Page 21: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Ilneresteplusquetoietmoi,lePète-sec.Allez,qu’onenfinisse.Jesensàpeine l’aiguilles’enfoncerdansmoncou. Jenecrainspas lespiqûres, contrairementà

certainsnovicesdontlesyeuxsesontembuésaumomentdel’injection.J’entredanslasallecontiguëetmetourneverslavitre,qui,dececôté-ci,estunmiroir.Dansl’instantquiprécèdelasimulation,jemevois telque lesautresdoiventmevoir,grand,osseux, lamainensang, lesépaulesvoûtées, lesvêtementstropgrands.J’essaiedemetenirdroitetjesuissurprisparladifférencequecelafait,parlapromessedeforcequejevoissedégagerdemoijusteavantquelapiècenedisparaisse.Desfragmentsd’imagessurgissent:laligned’horizondesimmeublesdelaville,untroudansle

trottoirseptétagesplusbas,laborduredutoitsousmespieds.Leventremonteenfusantlelongdel’immeuble,plusviolentqu’ilnel’étaittoutàl’heuredanslaréalité.Ilfaitclaquermesvêtementsetsapressionmepoussede touscôtés.Soudainl’immeublegranditsousmoi,m’élevant très loinau-dessusdusol.Letroudansletrottoirsereferme,recouvertdebitume.Instinctivement, j’essaiedereculer,mais laforceduventm’enempêche.Moncœurbatplusvite,

plusfort,tandisquej’affrontelaréalitédecequejedoisfaire:sauterunedeuxièmefois,etlà,sanslacertitudequ’ilnem’arriverarienquandjepercuterailesol.UnebellecrêpedePète-sec.Jesecouelesmains,jefermelesyeuxenserrantlespaupièresetjelâcheunhurlementétouffé.Puis

jecèdeàlapressionduventetjetombe,vite.Jefrappelesol.Letempsd’unéclair,unedouleurcuisante,incandescentemetransperce.Jemerelèveenessuyantlaterresurmajoueetj’attendsl’obstaclesuivant,sansavoirlamoindre

idéedecequeçavaêtre.Jen’aijamaisprisbeaucoupletempsdemepenchersurmespeurs,nisurlapossibilité deme libérer de la peur, de la conquérir. Jeme dis tout à coup que sans cette peur, jepourraisêtrefort,puissant,impossibleàarrêter.L’idéemeséduitunefractiondeseconde,avantquequelquechosenemeheurteviolemmentledos.Unnouveauchocsurmoncôtégauche,puissurledroit,etjemeretrouveenfermédansunecaisse

justeassezgrandepourmecontenir.Surlecoup,lasurprisem’empêchedepaniquer,maisjerespirel’airconfiné,jefixel’obscuritéetmesboyauxseserrentdeplusenplus.Jenepeuxplusrespirer.Jenepeuxpasrespirer.Jememordslalèvrepourretenirunsanglot.Jeneveuxpasqu’Amarmevoiepleurer,jeneveux

pasqu’ildiseauxAudacieuxquejesuisunlâche.Jedoisréfléchir,maisjenepeuxpas,jesuffoquedans cette boîte. Lemur plaqué contremon dos est lemême que dansmon enfance, quand j’étaisenfermédansl’obscuritéducagibidel’étageenguisedepunition.Jenesavaisjamaistrèsbienquandças’arrêterait,combiend’heuresj’allaisresterlà,avecdesmonstresimaginairesquirampaientsurmoidanslenoir,aveclespleursdemamèrequifiltraientàtraverslesmurs.Jefrappeduplatdelamainlaparoiquisetrouvedevantmoi,encoreetencore,puisjelagriffe,

mêmesideséclatsdeboiss’enfoncentcommedesaiguillonssousmesongles.Jereplielesbrasetjecognesurlacaissedetoutmonpoids,encoreetencore,lesyeuxferméspourpouvoirmedirequejene suis pas là, je ne suis pas là.Laissez-moi sortir laissez-moi sortir laissez-moi sortir laissez-moisortir.«Réfléchis,Pète-sec !»mecrieunevoix.Jem’immobilise. Jemerappelleque jesuisdansune

simulation.Réfléchis.Dequoiai-jebesoinpoursortirdecettecaisse?J’aibesoind’unoutil,dequelquechose

de plus puissant quemoi. La pointe dema chaussure rencontre un objet et je me penche pour leramasser. Mais quand je bouge, le haut de la caisse suit mon mouvement et je ne peux plus meredresser. Je ravale un cri, etmes doigts touchent le bout pointu d’un levier. Je l’insère entre les

Page 22: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

planchesàl’angledelacaisseetjepoussedetoutesmesforces.Toutes les planches se détachent comme sous l’effet d’un ressort et tombent par terre autour de

moi.Jerespirel’airfrais,soulagé.Unefemmeapparaîtenfacedemoi.Jenelaconnaispas.Jesuissurprisparsesvêtementsblancs,

quinecorrespondentàaucunefaction.Jem’avanceverselleetunetablesurgitentrenous.Ilyaunpistoletetuneballedessus.Jelesfixe,perplexe.C’estunepeur,ça?—Quiêtes-vous?luidemandé-je.Ellenerépondpas.Cequejesuiscenséfaireestassezclair:chargerlepistoletettirer.Unsentimentdeterreurmonte

enmoi,aussipuissantquen’importequellepeur.J’ailabouchesèche,mesdoigtscherchentàtâtonsla balle et l’arme. Je n’ai jamais tenu un pistolet, et il me faut quelques secondes pour trouvercommentouvrir lebarillet.Aucoursdeces secondes, jepenseà sesyeuxen trainde s’éteindre, àcettefemmequejeneconnaispas,pasassezpourmesoucierd’elle.J’aipeur–peurdecequ’onvaexigerdemoichezlesAudacieux,etdecequejevaisaccepterde

faire.Peurdejenesaisquelleviolenceenfouieenmoi,forgéeparmonpèreetparlesannéesdesilence

quemafactionm’aimposées.Je serre le pistolet à deuxmains, relançant la douleurdemonentaille à la paume. Je regarde le

visagedelafemme.Salèvretrembleetsesyeuxseremplissentdelarmes.—Pardon,dis-jeavantd’appuyersurlagâchette.Jevoisletrounoirquelaballecréedanssoncorps,puiselletombeetdisparaîtdansunnuagede

poussièreentouchantlesol.Mais la terreurnes’envapas.Jesaisqu’unenouvelleépreuvearrive, je lesens.Marcusn’apas

encore fait son apparition, et il va venir, aussi sûrement que jem’appelle Eaton. Qu’on s’appelleEaton.Uncercledelumièrem’enveloppe,etjedistinguesursonpourtourunepairedechaussuresgrises

etuséesquis’avancent.MarcusEatonentredanslepérimètredelalumière.MaispasleMarcusEatonquejeconnais.Celui-ciadestrousnoirsàlaplacedesyeuxetunegueulenoireetbéanteenguisedebouche.UnautreMarcusEatonapparaîtàcôtédeluiet,peuàpeu,toutautourducercle,d’autresversions

demonpères’avancentpourm’entourer,deplusenplusmonstrueuses,avecuneboucheédentéeetgrandeouverte,latêtebizarrementpenchéesurlecôté.Jeserrelespoings.Cen’estpaslaréalité.Jesaisquecen’estpaslaréalité.LepremierMarcusdébouclesaceintureetlafaitglisserhorsdespassantsdesonpantalon,unàun,

imitéparlesautresMarcus.Aufuretàmesure,lesceinturessechangentencordesmétalliquesauxextrémités barbelées. Puis ils traînent leurs ceintures par terre derrière eux, en passant une languenoireetgrasseautourde leursbouches sombres.Soudain, ilsbrandissent lescordesdemétalet jehurledetoutesmesforcesenrepliantlesbrasautourdematête.—C’estpourtonbien,medisentlesMarcusàl’unisson,dansunchœurdevoixmétalliques.Ladouleurmelacère,medéchire,medépèceetjetombeàgenouxenpressantlesmainssurmes

oreilles,commesicelapouvaitmeprotéger,maisriennepeutmeprotéger,rien,jehurleencoreetencore,maisladouleurnes’arrêtepas,etsavoixnonplus.«Jenetoléreraipasdecomportementégocentriquechezmoi!»,«Jen’aipasélevémonfilspour

qu’ildevienneunmenteur!»

Page 23: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jenepeuxplus,jeneveuxplusl’entendre.Sanscriergare,une imagede la statuettequem’adonnéemamèresurgitdansmonesprit. Je la

voislàoùjel’aiposée,surmonbureau,etladouleurcommenceàs’atténuer.Jeconcentretoutesmespenséessurcettestatuette,surlesautresobjetsdispersésdansmachambre,cassés,surlecouvercledéboîté demon coffre. Je revois lesmains demamère, ses longs doigts effilés qui referment lecoffre,leverrouillentetmetendentlaclé.Uneparune,lesvoixsetaisent,jusqu’àcequelesilencesoitrevenu.Àgenoux, je laisse retombermesbrasenattendant l’épreuvesuivante.Mesdoigts frôlent le sol,

froid et rugueux. J’entends des pas et je me blinde pour affronter la suite, puis j’entends la voixd’Amar:—C’esttout?Iln’yariend’autre?Lavache,lePète-sec…Ils’arrêtedevantmoietmetendlamainpourm’aideràmerelever.Jemelaissefaire.J’évitedele

regarder pour ne pas voir son expression. Je ne veux pas qu’il sache ce qu’il sait, je ne veux pasdevenirlepauvrenoviceàl’enfancebousillée.—Onvadevoir te trouverunautresurnom,medit-ild’untondétaché.Untrucpluscostaudque

Pète-sec.Dugenre«Killer»…Là,jeleregarde.Ilaunpetitsourire,danslequeljediscernebienunpeudepitié,maispasautant

quejel’auraiscru.—Moinonplus,àtaplace,jen’auraispasenviedediremonnomauxautres,conclut-il.Allez,àla

bouffe.+++

Danslacafétéria,Amarmeconduitàlatabledesnovices.QuelquesAudacieuxsontdéjàinstallésauxautrestables,surveillantducoindel’œillefonddelasalle,oùdescuisinierscouvertsdepiercingsetde tatouages finissent de préparer le repas. La cafétéria est une sorte de caverne, éclairée par endessouspardeslampesàlalumièrebleutéequidonneàl’ensembleuneatmosphèrelugubre.Jem’assois.—Alors, le Pète-sec, on dirait que tu vas tomber dans les pommes ! observe Eric, ce qui fait

sourirel’undesSincères.—Félicitations, tout lemondeenest sortivivant,ditAmar.Vousavez tous surmonté lepremier

jourdel’initiation.Enfin,plusoumoins.Puis,enregardantEric:—Bienqu’aucund’entrevousn’aitfaitaussibienqueQuatreiciprésent.Ilm’adésignéenparlant.Jefroncelessourcils.«Quatre»?Ilfaitallusionàmespeurs?—Hé,Tori ! lance-t-ilpar-dessussonépaule.T’asdéjàentenduparlerdequelqu’unquin’aque

quatrepeursdanssonpaysagedespeurs?—Impossible.Àmaconnaissance,ledernierrecordestdeseptouhuit,répond-elle.Pourquoi?—J’aiunnoviceiciquin’enaquequatre.Torimedésigned’unairinterrogateuretAmarconfirmed’unhochementdetête.—OK,recordbattu,ditTori.—Bravo,meditAmaravantd’allerlarejoindreàsatable.Tous lesnovicesmedévisagentensilence.Avant lepaysagedespeurs, jen’étaispoureuxqu’un

concurrent inoffensifàbalayer sur leurcheminvers l’intégrationchez lesAudacieux.Etvoilàquetoutàcoup,jesuiscommeEric:quelqu’unàsurveillerdeprès,peut-êtremêmeàcraindre.Amarvientdemedonnerplusqu’unnouveaunom.Ilm’adonnédupouvoir.

Page 24: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Comment tu t’appelles, déjà, le Pète-sec ? Ça commence par un E…?me demande Eric enplissantlesyeux.Jevoisbienqu’ilsait,maisiln’apasl’airsûrdubontimingpourlerévéler.Lesautresserappellentpeut-êtrevaguementmonnomgrâceàlacérémonieduChoix,commeje

me rappelle les leurs – comme de simples lettres de l’alphabet, perdues dans le brouillard de latension, tandisque jem’interrogeais surmonpropre choix.Si je frappe leur espritmaintenant, detoutesmesforces,sij’arriveàdevenirassezmémorabledansmonidentitéd’Audacieux,jesaisquej’aiunechancedem’ensortir.Après un instant d’hésitation, je pose les coudes sur la table et je regarde Eric en haussant les

sourcils.—Jem’appelleQuatre.Appelle-moiencoreunefois«Pète-sec»etonvaavoirunproblème,toiet

moi.Il lève les yeux au plafond,mais je sais que lemessage est passé. J’ai un nouveau nom, ce qui

signifiequejepeuxdevenirquelqu’und’autre.Quelqu’unquin’apasàsubirdesvannesd’Éruditsje-sais-tout.Quelqu’unquipeutriposter.Quelqu’unquiestenfinprêtàsebattre.Quatre.

Page 25: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

LENOVICELA SALLE D’ENTRAÎNEMENT SENT L’EFFORT : un mélange de sueur, de poussière et de

chaussures.Chaquefoisquemespoingsfrappentlesac,çamebrûlelesjointures,écorchéesparunesemainedecombats.—Tuasvuletableau,ondirait,melanceAmarens’appuyantcontrel’encadrementdelaporte,les

brascroisés.Ettusaisquetut’opposesàEricdemain.Sinon,tuseraisdanslasalledupaysagedespeurs,commed’habitude.—Çam’arriveaussidevenirici,rectifié-je.Jem’écartedusacdesableensecouantlesmains.Quelquefois,jelesserresifortquejefinispar

neplussentirleboutdemesdoigts.J’ai failli perdremon premier combat, contreMia, la Fraternelle. Je ne voyais pas comment la

vaincre sans la frapper, et ça, impossible–dumoins jusqu’à ce qu’ellem’immobilise par une cléd’étranglementetquemavisioncommenceàs’obscurcir.Là,moninstinctaprisledessusetjel’aineutralisée d’un bon coup de coude dans la mâchoire. Il suffit que j’y repense pour sentir laculpabilitépointersonnez.J’aiaussifailliperdremondeuxièmecombat,contreSean,lepluscostauddesSincères.Jel’aieuà

l’usure,enmeforçantàmereleverchaquefoisqu’ilmecroyaitfini.Ilnepouvaitpassavoirquelacapacitéàencaisserladouleurestunevieillehabitudechezmoi,prisetoutpetit,commedemerongerl’ongledupouceoudetenirmafourchettedelamaingaucheaulieudeladroite.Maintenant,j’ailevisagecouvertdebleusetd’entailles,maisj’aifaitmespreuves.Demain,donc,jemebatscontreEric.Ilmefaudraplusquedel’enduranceouuncoupbienplacé

pourlevaincre.Ilmefaudraunetechniquequejenemaîtrisepas,uneforcequ’ilmeresteencoreàacquérir.—Ouais, je sais,me répondAmaren riant. Jepassepasmalde tempsàessayerdecomprendre

comment tu fonctionnes, figure-toi. Alors jeme renseigne. Je sais que tu passes lamoitié de tontemps libre ici, et l’autredans lepaysagedespeurs.Tun’es jamaisavec lesautres.Tues toujoursépuiséettudorsd’unsommeildeplomb.Unegouttedesueurcoulelelongdemonoreille.Jel’essuied’ungestedelamainetjemepassele

brassurlefront.—Maisintégrerunefaction,çaneselimitepasàréussirl’initiation,reprendAmarentirantsurla

chaîne du sac pour tester sa solidité. Globalement, c’est pendant cette phase que les Audacieuxrencontrent leursmeilleursamis,voire leursamoureux.Leursennemis,aussi.Mais tuas l’airbiendécidéàtepriverdetoutça.Les autres novices vont ensemble au studio de piercing et débarquent ensuite à la salle

d’entraînementlenez,leslèvresetlesoreillesenflammésetornésdeclous,ous’amusentàformerdes pyramides de nourriture à la cafétéria avec les restes du petit déjeuner. Il nem’est pas venu àl’espritunesecondedememêleràeux,nimêmequejepourraisessayer.Jehausselesépaules.—J’ail’habituded’êtreseul.—Moi,j’aiplutôtl’impressionquetunevaspastarderàpéteruncâble,etjenetienspasàêtrelà

cejour-là.Onvajoueràunjeucesoiravecunebandedecopains.Unjeud’Audacieux.Viensavecnous,ceserasympa.

Page 26: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Je triture lebandagequimeprotège lamain. Jenedevraispasaller joueràdes jeux. Jedevraisrestericiàm’entraîneretensuiteallermecoucher,pourêtreprêtpourlecombatdedemain.Maiscettevoixquimedit«tudevrais»sonnesoudainàmesoreillescommelavoixdemonpère,

exigeantquejemeconduisecorrectement,quejem’isole.Or,sijesuislà,c’estbienparcequej’étaisdécidéàneplusl’écouter.—Franchement,sijetedonneuneoccasiondefairetontrouici,c’estjusteparcequetumefaisde

lapeine,mepréciseAmar.Nesoispasstupide,profites-en.—OK,dis-je.C’estquoi,cejeu?Ilsecontentedesourire.

+++

—Ondoitreleverdesdéfis,m’expliqueuneAudacieusedunomdeLauren.Elle se tient à la poignée de la portière, mais comme elle vacille tout le temps, elle manque

régulièrementdetomber,puisserétablitenriant,commesiletrainn’étaitpassuspenduàhuitmètresau-dessusdusol,commesiellenerisquaitpasdesetuer.Elletientuneflasqueenargentdanssamainlibre.Çaexpliquebeaucoupdechoses.Ellepenchelatêtesurlecôté.—On lance un défi à quelqu’un. Il doit boire un coup, le relever et en donner un à quelqu’un

d’autre.Quandtoutlemondeestpassé,ceuxquisonttoujoursvivantssesoûlentunpeuetonrentreentitubant.—Qu’est-cequ’ondoitfairepourgagner?demandeunAudacieuxassisàl’autreboutduwagon.IlestàmoitiéaffalécontreAmar,commes’ilsétaientdevieuxamisoudesfrères.Jenesuispasleseulnoviceprésent.Enfacedemoi,ilyaZeke,celuiquiasautéenpremier,etune

fillebruneavecunpiercingàlalèvreetunefrangedroitequiluimangelefront.Lesautressonttousplusvieux.Ilssecomportententreeuxavecunesortedefamiliaritédécontractée,s’affalent lesunssurlesautres,sebalancentdescoupsdepoingdanslesbras,s’ébouriffentlescheveux.Cemélangedecamaraderie,d’amitiéetdeflirtm’esttotalementétranger.Jereplielesbrasautourdemesgenouxenessayantdemedétendre.JesuisvraimentunPète-sec.— On gagne en évitant d’être une grosse meringue, répond Lauren. Ah, et nouvelle règle, en

s’abstenantdeposerdesquestions idiotes.Bon,commec’estmoiquiai labouteille, jecommence.Amar, je temetsaudéfid’entrerdans labibliothèquedesÉruditspendantque tous lesQuat’z’yeuxsontentraind’ytravailler,etdeleurhurleruntrucbienobscène.Ellerevisselebouchondelaflasqueetlaluilance.Toutlemondepoussedescrisd’approbation

tandisqu’Amarenavaleunebonnerasade.—OK,préviens-moiquandonarriveaubonarrêt!crie-t-ilpar-dessuslesacclamations.Zekeagiteunemaindansmadirection.—Dis,t’esuntransfert,toi,non?Quatre,c’estça?—Ouais,confirmé-je.Bravod’avoirsautéenpremier.Jemerendscomptetroptardquec’estpeut-êtrevexantpourlui–sontriomphegâchéparunfaux

pasetuneperted’équilibre.Maisilsecontentederire.—Ouais,pasmonmomentleplusglorieux,c’estsûr.—Lesautresnesesontpasprécipitésnonplus,signalelafilleassiseàcôtédelui.Aufait,moi,

c’estShauna.C’estvraiquetuasseulementeuquatrepeurs?—D’oùlesurnom,confirmé-je.

Page 27: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Wouah.Ellehochelatête,l’airimpressionnée,cequimepousseàmetenirplusdroit.—TudoisêtreunAudacieuxdansl’âme,alors.Jehausselesépaules,commesielleavaitpeut-êtreraison,bienquejesoiscertainducontraire.Elle

nepeutpasdevinerquejesuisicipouréchapperàlavieàlaquellej’étaisdestiné,quesijemebatsautantpourréussirl’initiation,c’estpourcacherquejenesuisqu’unimposteur.NatifdesAltruistesavecunrésultatdetestd’aptitudesAltruiste,réfugiéchezlesAudacieux.Un petit pli amer apparaît au coin de sa bouche, comme si une pensée l’attristait, mais je ne

demandepasquoi.—Çava,lescombats?medemandeZeke.—Pastropmal,dis-jeenagitantunemaindevantmonvisagecontusionné.Commetupeuxvoir.—Regardeunpeuça,dit-ilen tournant la têtepourmemontrerungrosbleusoussamâchoire.

Cadeaudecettefille,là.IlmedésigneShaunadupouce.—Ilm’abattue,précise-t-elle.Maisj’airéussiàluiencollerune,pourunefois.Jeperdstoutle

temps.—Çanetegênepasqu’ilt’aitfrappée?—Pourquoiçamegênerait?—Jenesaispas…parcequetuesunefille?Ellehausselessourcils.—Tucroisquoi?Queparcequej’aidesseins,jenepeuxpasencaissercommelesautresnovices

?Elle désigne sa poitrine et je me surprends à la fixer pendant une seconde, avant de songer à

détournerlesyeux,lesjouesenfeu.—Excuse-moi,cen’estpascequejevoulaisdire.C’estjustequejen’aipasl’habitude.Deriende

toutça.—C’estbon, jecomprends, répond-ellesansse fâcher.Mais il fautque tusachesun trucsur les

Audacieux:filleougarçon,ici,çanechangerien.Cequicompte,c’estcequ’onadansleventre.À ce moment-là, Amar se lève, met les poings sur les hanches en bombant le torse et marche

tranquillementjusqu’àlaportièreouverte.Letrainamorceunplongeonetilnesetientàrien,ilsecontentedetangueraurythmedesmouvementsduwagon.Toutlemondeselèveetilsautelepremierensejetantdanslanuit.Lesautressedéversentàsasuite,etjelaisseceuxquisontderrièremoimeporterverslasortie.Jenecrainspaslavitesse,justelevide.Etcomme,ici,letrainestauniveaudusol,jesautesansappréhension.J’atterrissurmesdeuxpiedsetjetrébuchesurquelquespasavantdem’immobiliser.—Hé,mais tucommencesàavoir le truc!commenteAmarenmedécochantuncoupdecoude.

Tiens,boisuncoup.T’enasbesoin,ondirait.Ilmetendlaflasque.Jen’aijamaisbud’alcool.LesAltruistesneboiventpas,onn’entrouvemême

pasdansnotrefaction.Maisj’aidéjàpuconstaterqueçasemblefairedubienauxgens,etmaseuleenvieestjustementdemedébarrasserdecettesensationdevivredansunepeautropétroitepourmoi.Alors,sanshésiter,jeprendslaflasqueetjebois.L’alcoolaungoûtdemédicamentetmebrûle lagorge,mais ildescendvite,enme laissantune

sensationdechaleur.—C’estbien,approuveAmar.Ils’approchedeZeke,passeunbrasautourdesoncouetattiresatêtecontresapoitrine.

Page 28: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—JevoisquetuasfaitlaconnaissancedemonjeuneamiEzekiel.—C’estpasparcequemamèrem’appellecommeçaquetudoistesentirobligédelefaire,luidit

Zekeen le repoussant.Lesgrands-parentsd’Amarétaient amisavecmesparents, ajoute-t-il àmonintention.—«Étaient»?—Monpèreestmortetlesgrands-parentsd’Amaraussi.—Ettesparents?demandé-jeàAmar.Ilhausselesépaules.—Ilssontmortsquandj’étaispetit.Unaccidentdetrain.Supertriste.Sonsouriresembledémentirsesparoles.— Et mes grands-parents ont fait le saut un peu après que je suis devenu officiellement un

Audacieux.Ilfaitungesteplongeantaveclamain.—Quelsaut?—Oh,attendsquejesoispartipourluiexpliquer,lanceZeke.Jeneveuxpasvoirlatêtequ’ilva

faire.Amarnel’écoutepas.—Arrivés à un certain âge, certainsAudacieux choisissent de se jeter dans le gouffre, dans la

Fosse.C’est soit ça, soit devenir sans-faction.Etmon grand-père était trèsmalade.Un cancer.Magrand-mèrenesevoyaitpascontinuersanslui.Il lèvela têtevers lecielet leclairde lunesereflètedanssesyeux.L’espaced’uninstant, j’ai le

sentimentqu’ilmelaissevoirlevéritableAmar,celuiqu’ilcachesoigneusementsoussescouchesdecharme, d’humour et de bravade d’Audacieux. Et çame terrifie, parce que cetAmar-là est dur, etfroid,ettriste.—Jesuisdésolé,dis-je.—Aumoins,commeça,j’aipuleurdireaurevoir.Laplupartdutemps,lamortarrivesanscrier

gare,qu’onaitditaurevoiroupas.L’Amar secret se volatilise dans l’éclair d’un sourire et il court rejoindre le reste dugroupe, la

flasqueàlamain.JeresteenarrièreavecZeke.Ilavanceenbondissantcommeunchienfou,àlafoisgracieuxetmaladroit.—Ettoi?medemande-t-il.Tuastoujourstesparents?—Unseul.Mamèreestmorteilyalongtemps.Jeme souviens de son enterrement, de tous les Altruistes restés avec nous pour partager notre

chagrin,emplissant lamaisonde leursmurmures. Ilsnousavaientapportédes repas recouvertsdepapieraluminiumsurdesplateauxmétalliques,ilsavaientnettoyélacuisineetmistouteslesaffairesdemamèredansdescartons,desortequ’ilnerestaitplusaucunetraced’elle.Jemesouviensdelesavoir entendus chuchoter qu’elle était morte de complications liées à un accouchement. Je merappelaispourtant l’avoirsurprise,unoudeuxmoisplus tôt,en traindeboutonnersachemiseau-dessusdesonmaillotdecorpsmoulantdevantsacommode,etsonventreétaitplat.Jesecouelatêtepourchassercesouvenir.Elleestmorte.C’estlesouvenird’unenfant,quimanquedefiabilité.—Ettonpère,reprendZeke,ilestd’accordavectonchoix?C’estbientôtlejourdesVisites.—Non,dis-jed’untondistant.Iln’estpasd’accorddutout.Mon père ne viendra pas le jour des Visites. J’en suis certain. Il nem’adressera plus jamais la

parole.LesecteurdesÉruditsestlapartielamieuxentretenuedelaville.Pasundébrisniuneordurene

Page 29: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

traînesur les trottoirs, toutes les fissuresde lachausséeontétécombléesavecdugoudron.Jesuispresque gêné demarcher ici, de peur d’abîmer le trottoir avecmes baskets. Les autres, eux, s’enfichent,etleurssemellesclaquentsurlebitumeaveclebruitd’uneaversequicrépite.Àpartirdeminuit, lesfactionspeuventgarderlalumièrealluméedanslehalldeleursiègemais

toutlerestedoitêtreéteint.Ici,danslesecteurdesÉrudits,touslesbâtimentsquiconstituentlesiègeressemblentàdespiliersdelumière.Ilssontlàderrièrelesfenêtres,assisautourdelonguestables,lenezdansdes livresousurdesécrans,ouplongésdansdesdiscussionschuchotées.Àchaque table,jeunes et vieux semélangent, dans leurs impeccables tenuesbleues, avec leurs coiffures lissées et,pourplusdelamoitiéd’entreeux,deslunettesauxmonturesluisantes.Monpèrediraitquec’estdelapurevanité,qu’ilsfonttellementd’effortspourparaîtreintelligentsqueçaendevientdelabêtise.Jem’arrêtepourlesobserver.Ilsnem’ontpasl’airsivaniteuxqueça.Ilsontl’airdegensquifont

tout ce qu’ils peuvent pour se sentir aussi intelligents qu’ils sont censés l’être. Si ça implique deporterdeslunettessansenavoirbesoin,ilnem’appartientpasdelesjuger.Ilsreprésententunrefugequej’auraispuchoisir.Aulieudequoij’aichoisiceuxquisemoquentd’euxderrièrelesfenêtres,etquienvoientAmarfairedelaprovocationdanslehalldeleursiège.Amar franchit les portes du bâtiment central. On reste juste derrière, à l’observer en ricanant.

Accrochésur lemurdufonddans l’entrée, jedistingueungrandportraitdeJeanineMatthews.Sescheveux blonds pris dans un chignon strict dégagent son visage et sa veste bleue est boutonnéejusqu’au cou. Elle est jolie, mais ce n’est pas ce que je remarque en premier. Ce qui me frapped’abordchezelleestsoncôtéacéré.Et,enfiligrane–maisc’estpeut-êtrel’effetdemonimagination–,quelquechosequiressembleà

delapeur.Amarfoncedansl’entréeenignorantlesprotestationsdupersonneldel’accueiletbraille:—Hé,lesQuat’z’yeux!Visezunpeuça!TousrelèventlatêteetlesAudacieuxéclatentderiretandisqu’Amarbaissesonpantalonpourleur

montrerses fesses.Leresponsablede l’accueil fait le tourducomptoirpour l’attraper,maisAmarremontesonpantalonetrevientversnousencourant.Toutlegroupeprendlafuite.C’estplusfortquemoi,jerisaussi,àenavoirmalauventre,etj’ensuistoutsurpris.Zekecourtà

côtédemoi.Onsedirigeverslavoieferrée,parcequec’estleseulendroitauquelonaitpensé.LesÉruditsquinouspoursuiventrenoncentauboutd’unpâtédemaisonsetons’arrêtetousdansunealléepourreprendrehaleine,adossésàunmur.Amar arrive le dernier, les mains levées en signe de victoire, et se fait acclamer. Il brandit la

flasquecommeuntrophéeetdésigneShauna.—Toi,lapetite,jetedéfied’escaladerlastatuequisetrouvedevantlelycée.Elleattrapelaflasqueauvoletboitunegorgée.—Çalefait,répond-elleensouriant.

+++

Quandmon tourarrive,onestpresque tous ivres, titubant à chaquepas, riant auxblagues lesplusbêtes.Jenesenspas lefroid,malgrélafraîcheurdel’air,maismonespritresteaiguiséetabsorbetouteslesinformationsdelanuit,lesricheseffluvesdumarais,leséclatsderirequimontentcommedesbulles,lebleunoirducieletlasilhouettesombredechaqueimmeublequisedétachesurlui.J’aimalauxjambesàforced’avoircouru,marchéetescaladé,etonnem’atoujourspaslancédedéfi.OnestpresquederetourausiègedesAudacieux.Autourdenous,lesbâtimentssontdélabrés.—Ilrestequi?demandeLauren.

Page 30: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Sonregardtroubléparl’alcoolpassesurchaquevisageavantdes’arrêtersurlemien.—Ah,lenoviceAltruisteavecunnomdechiffre.Quatre,c’estça?—Ouais,dis-je.—UnPète-sec?bredouilled’unevoixavinéelegarçonquiétaitassisfamilièrementàcôtéd’Amar

danslewagon.Ilmeregarde.C’estluiquitientlaflasque,àluiqu’ilrevientdefixerleprochaingage.Cesoir,j’ai

vu des gens escalader des immeubles, sauter dans des trous noirs, s’aventurer dans des bâtimentsvidespourenrapporterunrobinetouunechaisedebureau,j’enaivucourirnusdansdesalléesetseplanter des aiguilles à vif dans le lobe de l’oreille. Si je devais inventer un défi, j’en serais bienincapable.Unechancequejesoisledernier.Jesenscommeunfrémissementdansmapoitrine.Unetension.Queva-t-ilmedemanderdefaire?—LesPète-secsontdescoincés,déclareplatement legarçon,commes’il énonçait un fait. Pour

prouverquetuesdevenuunvraiAudacieux…jetemetsaudéfidetefairetatouer.Je vois les volutes d’encre qui s’enroulent autour de leurs poignets, leurs bras, leur cou, leurs

épaules.Lespiercingsquileurtranspercentlesoreilles,lenez,leslèvresetlessourcils.Mapeauestréparée,vierge.Maisellenereflètepasquijesuis;jedevraisêtrescarifié,marqué,commeeux,maispardescicatricesdeblessures,parceàquoij’aisurvécu.Jehausseuneépaule.—OK.Ilmelance laflasqueet je lavide,mêmesiçamepique les lèvreset lagorgeetque legoûtest

amercommedupoison.OnseremetenmarcheverslaFlèche.

+++

Toriouvrelaportevêtued’uncaleçond’hommeetd’untee-shirt,lescheveuxdanslesyeux.Ellemeregardeenlevantunsourcil.Onl’aclairementtiréed’unsommeilprofond,maisellen’apasl’airdenousenvouloir–elleesttoutauplusunpeugrognon.—S’teplaît…luiditAmar.C’estpourundéfi.—Tutiensvraimentàtefairetatouerparquelqu’und’endormi,Quatre?medemande-t-elle.Çane

s’effacepas,tusais.—Jetefaisconfiance.Pasquestionquejemedéfile,aprèsavoirvutouslesautresassurer.—OK,faitTorienbâillant.Qu’est-cequejeferaispaspourentretenir lesrituelsdesAudacieux.

J’arrive,jevaism’habiller.Ellerepousselaporte.Enchemin,jemesuiscreusélatêtepourtrouverquoimefairetatouer,et

où.Pasmoyendedécider,j’avaisl’esprittropembrouillé.Ill’esttoujours.Quelquessecondesplustard,Toriresurgitenpantalon,toujourspiedsnus.—Jevouspréviens,sionmefaitdeshistoirespouravoirallumélalumièreàcetteheure-ci,jedis

quej’aieuaffaireàdesvandalesetjecitedesnoms.—Çalefait,dis-je.—Entrez.Onvapasserparlaportedufond,précise-t-elleennousfaisantsignedelasuivre.Jetraverseunsalonobscur,parfaitementrangéàpartunetablebassecouvertedefeuillesdepapier

portant chacuneunmotif de tatouage.Certains sont simples et rudimentaires, comme laplupart deceuxque j’aiobservés,d’autres sontplusdétaillés,pluscomplexes.Toridoit êtrecequi se faitdeplusproched’unartistechezlesAudacieux.

Page 31: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jem’arrêtedevantlatable.L’undesdessinsreprésentelessymbolesdetouteslesfactions,sanslescerclesquilesrelientd’habitude.Enbas,l’arbredesFraternels,quiformeunsystèmederacinespourl’œildesÉrudits et labalancedesSincères.Au-dessus, lesmainsencoupedesAltruistes semblenttenirlesflammesdesAudacieux.Ettouslessymbolessontétroitementimbriqués.Lesautresontprisdel’avance.Jelesrattrapeaupasdecourseenpassantparlacuisine–toutaussi

immaculéequelesalon,bienquel’équipementsoitdépassé, lerobinet, rouilléet laportedefrigo,maintenueparunegrossepince.Laportedederrière,ouverte,donnesurunpetitcouloirhumidequidébouchedanslestudiodetatouage.Jesuisdéjàpassédevant,mais jen’ysuis jamaisentré,persuadéque jene trouverais jamaisune

bonne raison d’agresser mon corps avec des aiguilles. Je suppose que j’en ai trouvé une – cesaiguilles sont unmoyen de rompre avecmon passé, non seulement vis-à-vis demes compagnonsAudacieux,maisaussiàmespropresyeux,chaquefoisquejemeregarderaidansunmiroir.Les murs du studio sont couverts de dessins. Celui de la porte est entièrement consacré aux

symbolesAudacieux, les uns tout noirs et simples, d’autres, en couleurs, à peine reconnaissables.Toriallumelalumièreau-dessusd’unfauteuiletdisposesesaiguillessurunplateaujusteàcôté.Lesautress’installentsurdeschaisesetdesbancsautourdenouscommepourassisteràunspectacle.Jesenslerougememonterauxjoues.—Principesdebasedutatouage,m’informeTori:moinsonaderéservesdegraissesouslapeau,

ouplusunezoneestosseuse,plusletatouageseradouloureux.Pourlepremier, tuferaismieuxdechoisir,jenesaispas,unbras,ou…—…tafesse,suggèreZekeavecunpetithennissementderire.Torihausselesépaules.—Ceneseraitpaslapremièrefois.Niladernière.Jeregardelegarçonquim’alancéledéfi.Ilmeretournemonregardenlevantlessourcils.Jesais

cequ’ilpense,cequ’ilspensenttous:quejevaischoisirunpetittatouage,surlebrasoulajambe,untrucfacileàcacher.Je jetteuncoupd’œilsur lessymbolesaffichésaumur.L’undesdessinsattiremonattention,unereprésentationartis-tiquedesflammes.—Celui-là,dis-jeenlemontrantdudoigt.—OK,ditTori.Uneidéedel’emplacement?J’aiunecicatrice,unlégercreuxdanslegenou,dûàunechutesurletrottoirquandj’étaispetit.J’ai

toujourstrouvéabsurdequelessouffrancesquej’aisubiesn’aientlaisséaucunemarquevisible.Enl’absencedepreuve,aveclessouvenirsquis’embrouillaientpeuàpeu,j’ensuisparfoisvenuàdouterd’avoirvécutoutça.Jeveuxgarderunesortedetémoignagedufaitque,silesblessuresguérissent,ellesnedisparaissentjamaistotalement.Jelesporteavecmoi,partout,toujours;ilenvaainsiaveclavie,etaveclescicatrices.C’estcequecetatouagesymboliserapourmoi:unecicatrice.Etilparaîtlogiquequ’elleattestede

monpiresouvenirdesouffrance.Jeposeunemainsurmescôtesensongeantauxecchymosesquilesmarquaientjusteaprèslamort

demamère,etàlapeurdemourirquej’aiéprouvée.Monpèreapasséquelquesmauvaisesnuitsàl’époque.—Tuessûr?medemandeTori.C’estundesendroitslesplusdouloureux.—Alorsc’estparfait,dis-jeenm’asseyantdanslefauteuil.Legrouped’Audacieuxm’acclameetcommenceàsepasserunenouvelleflasque,plusgrandeque

lapremière,etenbronze,celle-là.—Bien,j’aidoncunmasochistecommeclientcettenuit.Super.

Page 32: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Tori s’installe sur un tabouret à côté demoi et enfile une paire de gants en caoutchouc. Jemecambreensoulevantmontee-shirtetellemefrottelesvertèbresavecuncotonimbibéd’alcool.Alorsqu’elleseredresse,ellefroncelessourcils,sepenchesurmondosetétireunezonedepeauentresesdoigtstachésd’alcool.Samorsuresurmonépidermeencoreàvifm’arracheunegrimace.—Commenttut’esfaitça,Quatre?medemandeTori.Enrelevantlatête,jeremarquequ’Amarmefixe,lefrontplissé.—C’estunnovice,dit-il.Ilsonttousdescoupsetdesentailles,àcestadedel’initiation.Tudevrais

lesvoirsebaladertousensembleenboitillant,ilsfontpitié.—J’aiunbleusupermocheaugenou,confirmeZeke.Ilestdelacouleurlaplusdégueu…Il roule lebasde sonpantalonpourexhiber sacontusionet ils semettent tousàcomparer leurs

blessures et leurs cicatrices respectives : «Celui-là, c’est quandquelqu’unm’a lâché en bas de latyrolienne»,«Ouais,benj’aitoujourslamarquedelafoisoùtamainadéviéaulancerdecouteau,jecroisqu’onestquittes».Torim’observequelquessecondes,etjesuissûrequ’ellenecroitpasunmotde l’explicationd’Amar,mais ellen’insistepas.Ellese contente debrancher son aiguille, quiemplitl’airdesonbourdonnement.Amarmelancelaflasque.L’alcoolmebrûleencorelagorgequandl’aiguillemetouchelescôtes.Jeserrelesdents,maisla

douleurnemegênepas.Jelasavoure.

+++

Lelendemain,àmonréveil,j’aimalpartout.Surtoutàlatête.Ohbonsang,matête.Ericestentraindenouerseslacets,assisauborddesonmatelas,àcôtédumien.Sapeauestrouge

autourdesanneauxqu’ilportesurlalèvre–iladûselafairepercerrécemment.Jen’avaispasfaitattention.—Tuasl’airdansunsaleétat,medit-il.Jem’assois,etlemouvementbrusquemevrillelecrâne.—Espéronsqueçaneteservirapasd’excusequandjet’auraimisuneraclée,ajoute-t-ilavecun

petitricanement.Parcequejet’auraisquandmêIlselève,s’étireetquitteledortoir.Jemetienslatêteentrelesmainspendantquelquessecondes

avantd’allermedoucher.Jedoisgarderlamoitiéducorpsendehorsdujetpournepasmouillerlepansementquirecouvremontatouage.LesAudacieuxontattenduavecmoipendantdesheuresqueTori ait terminé et, à la fin, toutes les flasques étaient vides.Ellem’a félicité en levant les poucesquandjesuissortienvacillantdustudio,etZekeapasséunbrasautourdemesépaulesendéclarant:—Cettefois,çayest,jecroisquet’esunvraiAudacieux.Hier, j’aisavourécettepetitephrase.Aujourd’hui, jedonneraischerpouravoirmatêtenormale,

cellequiestconcentrée,déterminée,quinemesemblepaspeupléedepetitsbonshommesarmésdemarteaux.Jepasseencorequelquesminutessous le jetd’eaufraîche,avantderegarder l’heuresurl’horlogedelasalledebain.Plusquedixminutesavantlecombat.Jesuisenretard.EtEricaraison:jevaisperdre.Jecoursàlasalled’entraînement,unemainpresséesurlefront,lespiedsglissésàlahâtedansmes

chaussures.Quandjedébouledanslasalle,lestransfertssetiennentlelongdesmurs,avecquelques-unsdesnatifs.Amar,campéaumilieudel’arène,consultesamontreetmedévisage.—C’estgentildepassernousvoir.Sesyeuxmedisentclairementquelacamaraderied’hiersoirn’apassaplaceici.

Page 33: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Noueteslacetsetdépêche-toi,j’aiperduassezdetempscommeça.De l’autrecôtéde l’arène,Eric faitcraquersesdoigtsunàun,enmefixant.Je faismes lacetsà

toutevitesse,enfourrantlesboutsdansmeschaussurespournepasmarcherdessus.CampéfaceàEric,jenesensquemoncœurquibatlachamade,lemartèlementdansmatêteetmes

côtesquibrûlent.Amars’écarte,Ericsejetteenavant,vite,etsonpoingm’atteintenpleinemâchoire.Jereculeentitubant,lamainsurlevisage.Unblocdedouleurmetraverselecerveau.Jelèveles

poingspourparerlecoupsuivant.Matêtemelance.Jevoissajambebougeretjemedéportepouréviter son coup de pied, mais je le prends de plein fouet dans les côtes. Je ressens comme unélectrochocdanstoutlecôtégauche.—C’estencoreplusfacilequejenepensais,commenteEric.Lahontememonteauxjoues.Profitantdel’ouverturequ’ilmelaisseavecarrogance,jeluibalance

unuppercutdansleventre.Leplatdesamains’abatsurmonoreille,quitinte.Jeperdsl’équilibreetmerattrapeenposantles

doigtsparterre.—Tusaisquoi?meditEricàmi-voix.Jecroisquejemesouviensdetonvrainom,maintenant.Unedemi-douzainededouleursdifférentesmebrouillent lavue.Jenesavaispasqu’ilyenavait

autant,commelesgoûts:décharge,martèlement,élancement,piqûre,morsure,brûlure…Ilme frappede nouveau, à la clavicule, bien qu’ilm’ait visé au visage, et ajoute en secouant la

main:—Tucroisquejedevraisleurdire?Jouerlatransparence?Ilamonnomentresesdents,Eaton,unearmebienplusredoutablequesespieds,sescoudesouses

poings.LesAltruistesdisentàvoixbassequeleproblèmeendémiquedesÉruditsest leurégoïsme,maisjepensequec’estplutôtleurarrogance,lafiertéqu’ilstirentdesavoirdeschosesquelesautresignorent.Etàcetinstant,submergéparlapeur,jecomprendsquec’estlepointfaibled’Eric.Ilnemecroitpascapabledeleblessercommeilpeutmeblesser.Ilcroitquejemerésumeàcequ’ilavudemoiàmonarrivée:ungarçonpleind’abnégation,humbleetpassif.Jesensladouleursechangerenrageetjel’immobiliseenluitordantlebrastoutenluiassenant

coupaprèscoup,encoreetencore.Jenevoismêmepasoùjelefrappe;jenevoisrien,jeneressensrien,jen’entendsrien.Jesuisseul,vide,jenesuisrien.Enfin, j’entends ses cris et je le vois se tenir le visage à deuxmains.Du sang lui coule dans la

boucheetdégoulinesursonmenton.Iltentedem’échapper,maisjem’agrippeàsonbrascommesimavieendépendait.Je luibalanceuncoupdepieddans lescôteset il s’effondre.Derrièresesdoigts, j’aperçois son

regard,vitreux,hagard.Sonsangestrougevifsursapeaupâle.Jemerendscomptetoutàcoupquec’estmoiquiaifaitça,moi,etlapeurrevients’insinuerenmoi,maisunnouveaugenredepeur.Lapeurdecequejesuis,decequejepourraisdevenir.Mespoingsmefontmal.Jesorsdel’arènesansattendrelesignaldel’arrêtducombat.

+++

L’enceintedesAudacieuxestunbonendroitpourrécupérer,sombre,pleinderecoinstranquillesetsecrets.Je déniche un couloir non loin de la Fosse, jem’assois par terre contre lemur et jeme laisse

gagner par le froid de la pierre.Mamigraine est de retour, outre les douleurs diverses des coupsreçus aucombat,mais c’est tout juste simoncerveau les enregistre.Mes jointures sont tachéesdesang,celuid’Eric.J’essaiedel’essuyer,maisiladéjàeuletempsdesécher.J’aigagné,etj’aigagné

Page 34: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

ma place chez les Audacieux. Je devrais me réjouir au lieu d’avoir peur. Je pourrais même êtreheureuxd’avoirenfintrouvémaplacequelquepart,devivreparmidesgensdont leregardnefuitpas lemienà la tabledudéjeuner.Mais jesaisquechaquebonnechosequiseprésenteasonprix.QuelestleprixàpayerpourêtreunAudacieux?—Toctoc.Enlevantlesyeux,jedécouvreShauna,quifrappelemurdesonindexreplié.—Jemeseraisattendueàmieux,commedansedelavictoire,mefait-elleavecungrandsourire.—Jenesaispasdanser.—Jenem’enseraispasdoutée.Elles’assoitcontrelemurd’enfaceetramènesesgenouxcontresapoitrineenlesencerclantde

sesbras.Iln’yaqu’unedizainedecentimètresentrenospieds.Jenesaispaspourquoijemefaislaremarque.Enfin,si:parcequec’estunefille.Jenesaispasparlerauxfilles.EncoremoinsauxAudacieuses.Quelquechosemeditqu’onnedoit

jamaissavoiràquois’attendreavecuneAudacieuse.—Ericestàl’hôpital,m’informe-t-elled’unairravi.Onpensequetuluiascassélenez.Cequiest

sûr,c’estquetuluiaspétéunedent.Jebaisselesyeux.Moi,j’aicasséunedentàquelqu’un?—Jemedemandaissitupourraism’aider,ajoute-t-elleenpoussantmachaussureduboutdupied.Jelesavais:lesAudacieusessontvraimentimprévisibles.—Àfairequoi?—Àapprendreàmebattre.C’estpasmontruc,m’avoue-t-elleensecouantlatête.Jen’arrêtepas

demefairehumilierdansl’arène.Après-demain,jedoisaffronterunefille,unecertaineAshley,quise faitappelerAsh1. (Shauna lève lesyeuxauplafond.)Rapport aux flammesdesAudacieux ; lesflammes,lescendres, tuvois,quoi.Bref,elleestdanslesmeilleurs, j’aivraimentpeurdemefairetuer.Jeveuxdire,vraiment.—Pourquoitut’adressesàmoi?demandé-je,soudainsoupçonneux.ParcequejesuisunPète-sec

etqu’onn’estpascensésrefusernotreaide?—Quoi?N’importequoi!merépond-elled’unairdérouté.Jeteledemandeparcequec’esttoile

meilleurdetongroupe,quellequestion!Jeris.—Pasdutout.—Ericettoi,vousétiezlesseulsinvaincusettuviensdelebattre.Bon,écoute,situn’aspasenvie

dem’aider,tun’asqu’à…—OK,jet’aiderai.Maisjenevoispascommentje…—Onvatrouver,m’assure-t-elle.Demainaprès-midi?Rendez-vousdansl’arène?J’acquiesce d’un hochement de tête. Elle sourit, se lève et commence à s’éloigner. Au bout de

quelquespas,elleseretourneetpoursuitsoncheminàreculons.—Arrêtedefairelagueule,Quatre.T’asépatétoutlemonde.Vas-y,savouretavictoire.Jeregardesasilhouettedisparaîtreàl’angleducouloir.J’étaistellementperturbéparlecombatque

jen’aipaspenséunesecondeàcequeçaimpliquaitd’avoirgagnécontreEric:jesuispremierdemaclasse de novices. J’ai peut-être choisi les Audacieux pourm’y réfugier, mais je faismieux qu’ysurvivre;j’ybrille.Jeregardelesangd’Ericsurmesdoigtsetjesouris.

+++

Page 35: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Lelendemainmatin,jedécidedeprendreunrisque.Aupetitdéjeuner,jem’installeàlatabledeZekeetShauna.Elleestàmoitiéaffaléesursonassietteetnemerépondquepardesgrognements.Zekebâille,lenezdanssonboldecafé,maisfaitl’effortdememontrersafamille:sonpetitfrèreUriahest à une autre table avec Lynn, la petite sœur de Shauna. Sa mère, Hana – l’Audacieuse la plusdiscrètequej’aiejamaisvue,dontonnepeutdevinerlafactionqu’àlacouleurdesesvêtements–estencoreentraindefairelaqueueaucomptoir.J’airemarquéquelesAudacieuxontunfaiblepourlepainetlapâtisserie.Ilyatoujoursaumoins

deuxgâteauxdifférentsaudîneretunemon-tagnedemuffinsenpermanencesurlecomptoir.Quandjesuisarrivécematin,lesmeilleursétaientpartisetjemesuisretrouvéavecdesmuffinsauson.—Çatemanquedeneplusvivrecheztoi?demandé-jeàZeke.—Pasvraiment,medit-il.Ilfautdirequemafamillen’estpasloin.Mêmesionn’estpascensés

leurparleravantlejourdesVisites,jesaisqu’encasdebesoin,ilssontlà.Jehochelatête.Àcôtédelui,Shaunafermelesyeuxets’endort,lementonsurlepoing.—Ettoi?medemande-t-ilàsontour.Tafamilletemanque?JevaisrépondrenonquandlementondeShaunaglissedesamainetquesonvisagevas’écraser

sur son muffin au chocolat. Zeke rit tellement qu’il en pleure, et je ne peux pas m’empêcher desourirejusqu’auxoreillesenfinissantmonjusdefruits.

+++

Plustarddanslamatinée,jeretrouveShaunadanslasalled’entraînement.Sescheveuxsonttirésenarrièreetsesbottesd’Audacieuse,qu’elleportetoujoursnonlacées,sontbienattachéespourunefois.Elledonnedescoupsdepoingdanslevideens’arrêtantaprèschaquecouppourrectifiersaposition,etjel’observeunmomentenmedemandantparoùcommencer.Jeviensàpeined’apprendreàporterdescoups;jenemesenspasvraimentqualifiépourluienseignerquoiquecesoit.Maisenlaregardant,jeremarquepeuàpeudespetiteschoses.Lamanièredontellesetientavecles

genouxverrouillés, le fait qu’elle ne songepas à se protéger lamâchoire, sa façonde frapper enconcentrantsadétentedanslecoudeaulieudejetertoutlepoidsdesoncorpsdanschaquecoup.Elles’arrête,s’épongelefrontdudosdelamain.Ens’apercevantdemaprésence,ellebonditsurplacecommesiellevenaitdeprendreunedécharge.—Règlenumérounsituneveuxpaspasserpourunvoyeur:t’annoncerquandquelqu’unnet’a

pasvuentrer.—Désolé.J’étaisentrainderéfléchiràdespointsquetupeuxaméliorer.—Oh,fait-elleensemâchouillantlajoue.Etc’estquoi?Jeluiexpliquecequej’ainoté,puisonsecampefaceàfacedansl’arène.Ondémarrelentement,en

dosantlaforcedenoscoupspournepassefairemal.Jedoisluitaperrégulièrementlecoudepourluirappelerdemettresamaindevantsonvisage,maisaumoins,unedemi-heureplustard,ellebougemieuxqu’avant.—Cettefillequetucombatsdemain,jelafrapperaislà,àlamâchoire,dis-jeenfrôlantlamienne.

Unbonuppercutetçapourraitlefaire.Vas-y,essaie.Ellesemetenpositionet jeconstateavecsatisfactionqu’elleplie lesgenouxetqu’ilyadanssa

positionun ressort quin’y était pas avant.On se tourne autourpendantquelques instants, puis ellefrappe, en laissant tomber samain gauche de son visage. Je pare le premier coup et je lance uneattaquedansl’espacequ’elleadégagéenbaissantsagarde.Àladernièreseconde,j’arrêtemonpoingdanslevideetjelaregardeenhaussantlessourcils.—Enfait,medit-elleenseredressant,jeretiendraispeut-êtremieuxlaleçonsitumefrappaispour

Page 36: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

debon.Sonvisageestrougiparl’effortetunelignedesueurbrilleàlaracinedesescheveux.Sonregard

estvifetconcentré.Pourlapremièrefois,jemerendscomptequ’elleestjolie.Passelonmescritèreshabituels–ellen’ariendedouxnidedélicat–maisd’unebeautéquidégagedelaforceetdusérieux.—Jepréféreraiséviter,dis-je.—Cequetuprendspourunvaguerestedegalanteried’Altruisteestplutôtuneinsulte,figure-toi.

Jesuisunegrandefille,pasunechochotte.—Cen’estpasça,protesté-je.Cen’estpasparcequetuesunefille.C’estjusteque…laviolence

gratuite,c’estpasvraimentmontruc.—ScrupuledePète-sec?—Non,mêmepas.LesPète-secsontcontrelaviolence,point.MetsunPète-secchezlesAudacieux

etils’enprendrapleinlaface,dis-jeenlâchantunpetitsourire.Jen’aipasl’habituded’employerl’argotdesAudacieux,maisçafaitdubiendelerevendiquer,de

m’autoriseràmedétendreenadoptantleursexpressions.—Moi,c’estjustequejenevoispaslaviolencecommeunjeu,ajouté-je.C’estlapremièrefoisquejeformuleçadevantquelqu’un.Jesaispourquoiçanepeutpasêtreun

jeupourmoi : parcequependant très longtemps, ça a constituéma réalité, envahimavie éveilléecommemonsommeil.Ici,j’apprendsàmedéfendre,àêtreplusfort,maisunechosequejen’aipasapprise,quejerefused’apprendre,c’estàprendreplaisiràcauserdelasouffrance.SijedoisdevenirunAudacieux,jeleferaiselonmespropresrègles,quitteàcequ’unepartiedemoirestetoujoursunPète-sec.—OK,medit-elle.Bon,onreprend.Ons’entraînejusqu’àcequ’ellemaîtrisel’uppercut,enempiétantsurl’heuredudîner.Ensortantde

lasalle,ellemeremercieetpassemachinalementunbrasautourdemesépaules.Cen’estqu’ungesterapide,maiselleritenmevoyantmeraidir.—«CommentdevenirunAudacieuxendixleçons»,fait-elle.Leçonun:lesgestesd’affectionsont

autorisésentreamis.—Parcequ’onestamis?relevé-je,mi-blaguant,mi-sérieux.—Oh,çava.Etelles’éloigneàpetitesfouléesendirectiondudortoir.

+++

Le lendemain matin, Amar passe sans s’arrêter devant la salle d’entraînement et conduit tous lesnovices dans un couloir sinistre qui s’achève sur une lourde porte. Après nous avoir dit de nousasseoir le long dumur, il disparaît derrière la porte sans explications. Je regardemamontre ; lecombat de Shauna doit commencer d’uneminute à l’autre. Les natifs étant plus nombreux que lestransferts,cettepremièrephasedel’initiationprendplusdetempspoureuxquepournous.Erics’estassisleplusloinpossibledemoi,cedontjemeréjouis.Lanuitquiasuivinotrecombat,

j’aipenséqu’ilpourraitdireà tout lemondeque je suis le filsdeMarcusEaton, rienquepour sevengerdesadéfaite,maisiln’enarienfait.Jemedemandes’ilattendlebonmomentous’ilauneautreraisondesetaire.Quoiqu’ilensoit,j’aisansdouteintérêtàmaintenirunmaximumdedistanceaveclui.— Qu’est-ce qu’il y a là-dedans, à votre avis ? demande nerveusement Mia, la transfert des

Fraternels.Personneneluirépond.Jenesaispaspourquoi,jen’aipasd’appréhension.Iln’yarienderrière

Page 37: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

cetteportequipuissemefairedumal.EtquandAmarréapparaîtdanslecouloiretm’appelle,jenejettepasdecoupsd’œildésespérésversmescamarades.Jemecontentedelesuivre.Lapièce,sombreetmiteuse,necomprendqu’unordinateuretunfauteuilincliné,commeceluide

la pièce du test d’aptitudes. Sur l’écran d’ordinateur s’affiche un programme qui se résume à deslignesdetextenoirsurfondblanc.Aulycée,jemeportaistoujoursvolontairepourtravaillerdanslelaboinformatique,m’occuperdelamaintenance,voireréparerlesordinateursenpanne.Jetravaillaissous la surveillance d’une Érudite qui s’appelaitKatherine, et quim’en a appris bien plus qu’ellen’avaitàlefaire,raviedepartagersesconnaissancesavecquelqu’undemotivé.Alors,enregardantcelangagecodé,jesaisdequelgenredeprogrammeils’agit.—Unesimulation?—Moinstuensais,mieuxc’est,répliqueAmar.Assieds-toi.J’obéis,enmelaissantallerdanslefauteuil,lesbrassurlesaccoudoirs.Amarprépareuneseringue

etlabranditàlalumièrepours’assurerquelafioledeliquideestbienvissée.Ilmeplantel’aiguilledanslecousanspréveniretappuiesurlepiston.Jetressaille.—Voyons laquelle de tes quatre peurs semanifeste en premier, dit-il.C’est que je commence à

trouverçamonotone,moi.Ilseraittempsquetuterenouvelles.—Jeteprometsdefairemonpossible.Etlasimulationm’engloutit.

+++

Jesuisassissurunbancenbois,àune tabledecuisineAltruiste,devantuneassiettevide.Tous lesstoressontbaisséset laseulesourcede lumièreest lefilamentorangede l’ampoulesuspendueau-dessusdelatable.Jeregardefixementletissusombrequimecouvrelesjambes.Pourquoisuis-jehabilléennoiretnonengris?Quandjerelèvelatête,il–Marcus–setientenfacedemoi.Uninstant,jeretrouvesursonvisage

l’expressionquejeluiaivueiln’yapassilongtempsdanslasalledelacérémonieduChoix,avecsabouchecrispéeetsesyeuxbleusombre.Jeportedunoirparcequemaintenant,jesuisunAudacieux,merappelé-je.Danscecas,qu’est-ce

quejefaisassisenfacedemonpèredansunemaisond’Altruiste?Lescontoursdel’ampoulesereflètentdansmonassiette.Cen’estqu’unesimulation,pensé-je.PuislalumièresemetàclignoteretMarcusredevientlemonstreauxtraitsdéformésquejevois

toujoursdansmonpaysagedespeurs,avecdestrousàlaplacedesyeuxetunegrandebouchevide.Ilsejetteenavantpar-dessuslatable,lesmainstendues,etjevoisqu’iladeslamesderasoirenguised’ongles.Ilfouettel’airpourm’atteindreetjetombedubancenessayantdel’esquiver.Jemerelèvetantbien

quemaletjefonceausalon.J’ytrouveundeuxièmeMarcusprèsdumur,quitentedem’attraper.Jefonceverslaported’entrée,maiselleestcondamnéepardesparpaings.Jesuispiégé.Haletant, je me précipite dans l’escalier. Je trébuche en arrivant sur le palier et m’étale sur le

plancher.UnnouveauMarcusouvredel’intérieurlaporteducagibi;unautresortdelachambredemesparents;untroisièmearrivedelasalledebainengriffantlesol.Jemeplaquecontrelemur.Lamaisonestplongéedanslenoir.Iln’yaplusdefenêtres.Cetendroitestpleindelui.Brusquement, l’un desMarcus est là, en face demoi, quim’écrase contre lemur en serrant les

mainsautourdemagorge.Unautrelabouremesbrasdesesgriffes,provoquantunedouleursiaiguë

Page 38: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

qu’ellemefaitmonterleslarmesauxyeux.Jesuisparalysé,paniqué.J’avaleunegouléed’air;impossibledecrier.Jenesensqueladouleuretlesbattementsdemon

cœuretjelancedescoupsdepieddésespérés,quinefrappentqueduvide.LeMarcusquim’étranglemesoulèvede terrecontre lemur, etmesorteilsne touchentplus le sol.Mesmembres sontmouscommeceuxd’unepoupéedechiffon.Jenepeuxpasbouger.Cet endroit, cet endroit est plein de lui.Ce n’est pas la réalité, me rappelé-je.Ce n’est qu’une

simulation.Commedanslepaysagedespeurs.Ilyad’autresMarcusàmespieds,maintenant,quitendentlesmainspourm’attraper,etj’aisous

lesyeuxunemerdelamesderasoir.Leursdoigtsmesaisissentlesjambes,yfontdesentailles,etjesensunetraînéedeliquidechaudcoulerdansmoncoutandisqueleMarcusquim’étouffe resserresonemprise.Une simulation,me répété-je. J’essaie de réinsuffler de la vie dans chacun demesmembres. Je

visualisemonsangquibouillonne,quicourtdansmesveines.Jefrappelemurduplatdelamain,etjetâtonneàlarecherched’unearme.L’undesMarcuslèvelesdoigtsàlahauteurdemesyeuxetjehurleenmedébattanttandisqueleslamess’enfoncentdansmespaupières.Àdéfautd’une arme,mesmains trouventunepoignéedeporte. Je la tourned’uncoup sec et je

tombe dans un deuxième cagibi. J’échappe auxMarcus, qui ont lâché leur prise surmoi. Dans lecagibi, ilyaune fenêtre, justeassezgrandepourque jem’y faufile.Tandisqu’ilsmepoursuiventdanslenoir,jebriselavitred’uncoupd’épaule.L’airfraism’emplitlespoumons.Jemeredressedanslefauteuilencherchantmonsouffle.Jemetâtelagorge,lesbras,lesjambes,àlarecherchedeplaiesquin’ysontpas.Jesensencoreles

coupuresetlesangquis’écouledemesveines,etpourtantmapeauestintacte.Marespirations’apaise,etmespenséesavecelle.Assisdevantl’ordinateur,reliéàlasimulation,Amarmedévisage.—Quoi?dis-je,essoufflé.—Çaadurécinqminutes.—C’estbeaucoup?—Non,répond-il,lessourcilsfroncés.Aucontraire.C’estexcellent.Jepose lespiedspar terre,puis jeprendsma tête entremesmains.Mêmesi jen’aipaspaniqué

longtempsau coursde la simulation, l’imagemonstrueusedemonpère essayantdemecrever lesyeuxàcoupsdelamesderasoirn’arrêtepasderessurgirdansmonesprit,etmonrythmecardiaqueremonteenflècheàchaquefois.—Lesérumagittoujours?demandé-jeenserrantlesdents.C’estpourçaquejepanique?—Non,ças’arrêteàlafindelasimulation.Pourquoi?Jesecouelesmainspourchassermesfourmisdanslesdoigts.Jesecouelatête.Cen’étaitpas la

réalité,medis-je.Oublie.—Parfois,lapaniqueinduiteparlasim’peutperdurerunpeu,seloncequetuasvu,préciseAmar.

Jeteramèneaudortoir.—Paslapeine.Çavaaller.Ilmeregardedurement.—Çan’étaitpasunesuggestion.Il se lève pour aller ouvrir une porte qui se trouve derrière le fauteuil. Je le suis dans un petit

couloirsombre,puisdanslesgaleriesauxparoisdepierrequimènentaudortoirdestransferts.L’airiciestfraisethumide.Lesseulsbruitsquej’entendssontceluidemaproprerespirationetl’échode

Page 39: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

nospas.Ilmesembledistinguerquelquechose–unmouvementsurmagauche–quimefaittressaillir,etje

raselemuropposé.Amarm’arrêteenposantlesmainssurmesépaulespourmeforceràleregarder.—Hé,reprends-toi,Quatre.Jehochelatêteensentantlerougememonterauxjoues.Unprofondsentimentdehontemenoue

l’estomac. Je suis censé être un Audacieux. Je ne suis pas censé avoir peur que des Marcusmonstrueuxmepoursuiventdanslenoir.Jem’appuiecontrelemurdepierreenprenantunegrandeinspiration.—Jepeuxteposerunequestion?medemandeAmar.Jemeraidis,croyantqu’ilvam’interrogersurmonpère,maisnon.—Commentes-tusortidececouloirdanslasimulation?—J’aiouvertuneporte.—Ilyavaituneportederrièretoipendanttoutcetemps?Ilyenavaitunecheztoi?Jefaisnondelatête.Levisagehabituellementjoviald’Amardevientgrave.—Donc,tul’ascrééeàpartirderien?—Ouais.Lessimulations,çan’existequedansnostêtes.Matêteàmoiaconstruituneportepour

melibérer.Ilsuffisaitquejemeconcentre.—Bizarre.—Quoi?Pourquoi?—Engénéral,m’explique-t-il, lesnovicesn’arriventpasàcréerdesobjetsdetoutespiècesdans

ces simulations, parce que contrairement aux paysages des peurs, ils ne sont pas conscients d’êtredansunesimulation.Enconséquence,ilsmettentbeaucoupplusdetempsquetoiàensortir.J’aiunepalpitationdanslagorge.Jen’avaispascomprisque leprincipedecessimulationsétait

différentdeceluidupaysagedespeurs;jepensaisquetoutlemonderestaitconscientdelaréalité,làaussi. Mais apparemment, ce serait plutôt comme dans le test d’aptitudes, pour lequel mon pèrem’avait mis en garde et poussé à cacher ma lucidité sous simulation. Je me rappelle encore soninsistance,latensiondanssavoixetlafaçondontilm’aserrélebrasunpeutropfort.Sur le coup, j’ai songé qu’il neme parlerait jamais de cettemanière s’il n’était pas réellement

inquietpourmoi.Pourmasécurité.Était-ce simplement de la paranoïa de sa part, ou le fait d’être conscient lors des simulations

présente-t-ilvraimentundanger?—J’étais comme toi, reprendAmar plus bas. Je pouvais intervenir sur les simulations.Mais je

croyaisêtreleseul.J’ai enviede lui conseillerdegarderçapour lui,deprotéger sonsecret.Mais lesAudacieuxne

cultiventpas lesensdusecretcommelesAltruistes,avecleurssourirescontraintset leursmaisonstoutessemblablesetbienordonnées.Amarmeregarded’undrôled’air–unpeuavide,commes’ilattendaitquelquechosedemoi.Je

medandined’unpiedsurl’autre,gêné.— À ta place, j’éviterais de m’en vanter, me recommande-t-il. Les Audacieux sont tout aussi

conformistesquelesautresfactions.C’estjustemoinsflagrantcheznous.J’acquiesced’unhochementdetête.— À mon avis, c’est juste de la chance, dis-je. Je n’ai pas réussi à faire ça pendant le test

d’aptitudes.Laprochainefois,çasepasserasansdouteplusnormalement.—Bon, fait-il,dubitatif.En toutcas,essaiedene rien faired’impossible,OK?Affronte tapeur

Page 40: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

d’unemanière rationnelle, quiparaisse toujours logique,que tu sois conscientde la simulationoupas.—OK.—Çavaaller,là?Tupeuxretourneraudortoirtoutseul?J’ai envie de lui dire que j’aurais pu le faire dès le début ; je n’ai jamais eu besoin qu’il

m’accompagne.Mais jemecontentedehocher la têteànouveau. Ilmedonneune tapeamicalesurl’épauleetrepartverslasalledesimulation.Jenepeuxpasm’empêcherdepenserquemonpèrenem’apasdissuadéde révélermonétatde

consciencelorsdessimulationssimplementparsoucidesnormes.Iln’arrêtaitpasdemereprocherdeluifairehontedevant lesAltruistes,mais jamaisauparavant ilnem’avaitchuchotédesmisesengarde,niexpliquéconcrètementcommentéviterunfauxpas.Jamaisilnem’avaitfixéainsi,lesyeuxécarquillés,jusqu’àcequejepromettedesuivresesinstructions.Çamefaitbizarre,demedirequ’iladûessayerdemeprotéger.Commes’iln’étaitpaslemonstre

quej’imagine,celuiquejevoisdansmespirescauchemars.Enmeremettantenrouteversledortoir,j’entendsunbruitderrièremoiaufondducouloir–un

bruitténu,commeunfrottementdesemelles,quis’éloignedansl’autresens.+++

Quandj’entredanslacafétériapourledîner,Shaunamefoncedessusetm’accueilleparunviolentcoup de poing dans le bras, et un sourire si large qu’il lui coupe le visage en deux. Elle a unrenflementjustesousl’œildroit–elleseprépareunbelœilaubeurrenoir.— J’ai gagné ! J’ai fait comme tu m’avais dit, je l’ai chopée à la mâchoire dans les soixante

premièressecondes,çal’a totalementdéstabilisée.Ellem’aquandmêmetouchéeà l’œil,parcequej’aibaissémagarde,maisjel’aidémontéejusteaprès.Jeluiaimislenezensang.C’étaittropcool.Jesourisfièrement.Jen’auraispascruquec’étaitaussigratifiantd’apprendreàquelqu’unàfaire

quelquechose,etdedécouvrirensuitequeçaamarché.—Bienjoué.—Jen’yseraispasarrivéesanstoi.Sonsourires’estadoucietsamineeuphoriquesefaitplussérieuse.Ellesehissesurlapointedespiedsetm’embrassesurlajoue.Jelaregardefixement.Elleritenm’entraînantverslatableoùZekeestassisavecd’autresnatifs.Je

me rends compte quemonproblèmen’est pas d’être unPète-sec,mais de ne pas savoir quel sensattribuer à ces gestes d’affection qu’ils ont ici. Shauna est jolie, et drôle.Chez lesAltruistes, si jem’intéressaisàelle,j’iraisdînerchezsesparents,jedécouvriraisàquelprojetbénévoleelleparticipeet je m’arrangerais pour en faire partie. Chez les Audacieux, je n’ai pas la moindre idée desprocéduresàsuivre.Jenesaismêmepascommentdéterminersiellemeplaîtassezpourça.Je décide de ne pas me laisser distraire, du moins pour l’instant. Je prends une assiette et je

m’assoispourmanger,enécoutantlesautresparleretrireensemble.ToutlemondeféliciteShaunapoursavictoire,et ilsmontrentdudoigt la fillequ’elleabattue,assiseàuneautre table, levisagetuméfié. À la fin du repas, alors que je donne des petits coups de fourchette dansmon gâteau auchocolat,deuxÉruditesentrentdanslasalle.IlenfautbeaucouppourfairetairelesAudacieux,etmêmecettearrivéesoudainen’yparvientpas

totalement–ilyaencoredesmurmurespartout,quifontcommeunbruitdegensquicourentauloin.Maiscommeelless’assoientàcôtédeMaxetquerienneseproduit,lesconversationsnetardentpasàreprendre.Jenem’ymêlepas.JegardeunœilsurlatabledeMaxencontinuantàtranspercermon

Page 41: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

gâteauàcoupsdefourchette.MaxselèveetsedirigeversAmar.Ilsdiscutentd’unairtendu,puissemettentàmarcherdansma

direction.Versmoi.Amarmefaitsigne.Jelaissemonplateaupresquevidesurlatable.—Onaétéappeléspouruneévaluation,m’annonce-t-il.Sa bouche toujours souriante n’est plus qu’une ligne droite, sa voix toujours modulée soudain

monocorde.—Uneévaluation?Maxm’adresseunsourirediscret.—Lesrésultatsdetasimulationsontunpeusurprenants.NosamiesÉruditesquevoici…Je regarde les deux femmes par-dessus mon épaule. Avec un sursaut, je reconnais Jeanine

Matthews,laporte-paroledesÉrudits.Elleestvêtued’untailleurbleuimpeccableetporteunepairede lunettes accrochée à une chaîne autour de son cou, symbole de vanité Érudite qui m’apparaîtsoudaincaricaturaljusqu’àl’absurde.Maxpoursuit:—…nosamiesvontt’observerdansunenouvellesimulationpours’assurerquel’anomaliedeces

résultatsneprovientpasd’uneerreurdansleprogramme.Amarvateconduiredanslasalle.Je sens les doigts de mon père serrés comme un étau autour de mon bras, j’entends sa voix

sifflante,m’avertissantdenerienfaired’étrangeaucoursdelasimulation.J’aidesfourmisdanslespaumes, signal que je suis au bord de la panique. Je ne peux plus parler.Alors jeme contente dehocherlatêteenregardantMax,puisAmar.J’ignorecequesignifielefaitderesterlucideaucoursd’unesimulation,maisçanedoitpasêtrebon. JeanineMatthewsne sedéplacerait jamais jusqu’icirienquepourassisteràmasimulations’iln’yavaitpasunsérieuxproblème.Onserendàlasalledesimulationsanséchangerunmot,suivisdeJeanineetdesonassistante–je

suppose–quichuchotentderrièrenous.Amarouvrelaporteetattendquetoutlemondesoitentré.—Jevaischercherlematérielpourvouspermettredesuivre,leurdit-il.Jereviens.Jeaninearpentelasalled’unairpensif.Jeneluifaispasconfiance;commetouslesAltruistes,on

m’aappris àmeméfierde lavanité etde l’aviditédesÉrudits.Mais en la regardant, jeme fais laréflexionque ce qu’onm’a inculqué n’est pas forcément vrai.L’Érudite quim’amontré commentdémonter un ordinateur quand j’étais bénévole au labo informatique du lycée n’était ni avide nivaniteuse;ilsepeutqueJeanineMatthewsnelesoitpasnonplus.—TuesenregistrédanslesystèmesouslenomdeQuatre,medit-elleauboutdequelquesinstants.Ellearrêtedemarcheretcroiselesbras.—Celamesurprend.Pourquoinetefais-tupasappelerTobias?Elle sait qui je suis.Évidemment.Elle sait tout, non ? J’ai la sensationque tousmes organes se

rétractent,s’effondrentlesunssurlesautres.Elleconnaîtmonnom,elleconnaîtmonpère,etsielleavumon paysage des peurs, elle connaît aussi l’aspect le plus sombre dema vie. Ses yeux clairs,presqueaqueux,frôlentlesmiensetjedétourneleregard.—Jevoulaisrepartirdezéro,dis-je.Ellehochelatête.—C’estunechosequejepeuxcomprendre.Surtoutcomptetenudecequetuastraversé.Elleparlepresqueavec…douceur.Sontonmehérisseetjelafixedroitdanslesyeux.—Toutvatrèsbien,répliqué-jefroidement.—J’ensuiscertaine,merépond-elleavecunlégersourire.Amarrevientenpoussantunchariotchargédefils,d’électrodesetdemoniteurs.Jesaiscequeje

doisfaire;jem’assoisdanslefauteuilinclinableetjeposelesbrassurlesaccoudoirstandisqueles

Page 42: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

autressebranchentsurlasimulation.Amars’approchedemoiavecuneaiguilleetjeresteimmobiletandisqu’elleseplantedansmoncou.Jefermelesyeux,etlemondebasculedenouveau.

+++

Quand je rouvre les yeux, je suis au sommet d’une tour, à une hauteur vertigineuse, tout près durebord.Toutenbas,jedistinguel’asphalte,lesruesdésertes,personnepourm’aider.Leventmegifledetoutespartsetjemelaissetomberàlarenversesurletoitcouvertdegraviers.Jen’éprouveaucunplaisiràêtrelà-haut,àcontemplerl’immensitéducielquim’entoure,àmedire

quejemetrouveaupointleplushautdelaville.JemerappellequeJeanineMatthewsm’observe;jemejettecontrelaported’accèsautoitpouressayerdel’ouvrir,toutenréfléchissantàunestratégie.Jepourraisaffrontermapeurensautant,sachantquecen’estqu’unesimulationetquejenepeuxpasmourir.Maispersonneneferaitça;n’importequichercheraitunmoyendedescendresansrisquersavie.Jepasseenrevuetouteslessolutions.Jenedisposed’aucunoutilpourouvrircetteporte;iln’ya

riend’autreautourdemoiqueletoit,laporteetleciel.Jenepeuxpascréercetoutil,parcequec’estprécisément le genre demanipulation de simulation que Jeanine attend. Je recule pour donner deviolentscoupsdetalondanslaporte,maisellenebougepasd’unpouce.Lepoulsbattantjusquedansmagorge,jeretourneenborduredutoit.Aulieudemepencherpour

regarderletrottoirminusculetoutenbas,j’observelatour.Endessousdemoi,ilyadescentainesdefenêtres,avecdesrebords.Lecheminleplusrapide,leplusAudacieux,estdedescendrelafaçadeenvarappe.J’enfouismonvisagedansmesmains.Jesaisquec’estunesimulation,maisçasemble tellement

réel : la fraîcheur du vent qui siffle dans mes oreilles, le béton rugueux sous mes paumes, lecrissementdugravierdisperséparmessemelles.Jepasseunejambedanslevideavecunfrissonetjeme retourne face à la tour enm’abaissant, une jambe après l’autre, jusqu’à ce que jeme retrouvesuspenduaurebordparlesmains.Lapaniquemonteenmoietjelâcheuncrisourd,lesmâchoiresserrées.Bonsang.Jehaislevide–

jelehais.Jeclignedesyeuxpourchasserleslarmes,quejemetssurlecompteduvent,etmesorteilstâtonnentàlarecherchedureborddefenêtreleplusproche.Unefoismespiedsbiencalés,jecherched’unemainlehautdelafenêtre,etjeprendsappuisurmestalonspourmerétablird’unepousséeenavantcontrelavitre.Jemanquedebasculerenarrièreetjecriedenouveau,enserrantlesdentssifortqu’ellesgrincent.Jevaisdevoirrecommencer.Encoreetencore.Jemeplie,unemainagrippéeenhautdelafenêtreetl’autreenbas.Unefoismapriseassurée,je

laisseglissermespiedslelongdelafaçade,enlesentendantraclercontrelapierre,etjemesuspendsdenouveau.Cette fois,enme laissantglisservers le rebordde l’étaged’endessous, jeneme tienspasassez

fermement. Et quand mon pied dérape, je pars en arrière. Je griffe la façade en béton pour merattraper,mais trop tard ; je tombe à pic et un nouveau cri fuse enmoi,me déchire la gorge. Jepourrais créer un filet en bas ; ou une corde pourme sauver…Non, je ne dois rien créer ou ilssaurontcequejefais.Jemelaissetomber.Jemelaissemourir.Jemeréveille, lavuebrouilléeparlaterreuretleslarmes,chaquerecoindemoncorpstraversé

par ladouleur,unedouleurhurlante,crééeparmonesprit. Jemeprojetteenavantdansunviolent

Page 43: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

sursaut,àcourtd’oxygène.Toutmoncorpstremble.J’aihontedemecomporterainsienpublic,maisaumoins,c’estpour labonnecause.Ça leurmontreraque jen’ai riendedifférent ;que jenesuisqu’unAudacieuxdeplusquis’estcrucapablededescendrelelongd’unetouràmainsnues,etquiaéchoué.—Intéressant, commente Jeanine,d’unevoixque j’aidumal à entendrepar-dessusmon souffle

rauque.Jenemelasseraijamaisd’observerlecerveaudesgens.Chaquedétailestsirévélateur.Jetournelesjambes–quitremblenttoujours–etjeposelespiedsparterre.—Tut’enesbiensorti,meditAmar.Testalentsd’escaladelaissentunpeuàdésirer,maistuasmis

finàlasimulationtrèsvite,commeladernièrefois.Ilmesourit.J’aidûréussiràfairesemblantd’êtrenormal,parcequ’iln’aplusdutoutl’airinquiet.Jehochelatête.—Ondiraitbienquel’anomaliedurésultatdetontestétaitcauséeparuneerreurdanslesystème,

déclare Jeanine.Onvadevoirpasseren revue leprogrammedesimulationpour trouver ledéfaut.Bon,Amar,maintenant,j’aimeraisbienvoirl’unedevossimulationsdepeur,sicelanevousennuiepas.—Lesmiennes?Maispourquoi?Jeaninenesedépartitpasdesondouxsourire.—Nos informations suggèrent que l’anomalie du résultat de Tobias ne vous a pas alerté – en

d’autres termes, qu’il ne vous a pas surpris. J’aimerais donc m’assurer que ce n’est pas votreexpériencepersonnellequiexpliquecetteabsencedesurprise.—Vosinformations?répèteAmar.Desinformationsprovenantdequellesource?—Unnovice s’estprésentépournous fairepartde ses inquiétudesconcernantvotrebien-êtreet

celui de Tobias. Je préférerais respecter son anonymat. Tobias, tu peux partir. Merci pour tacoopération.JeregardeAmar,quimefaitunpetitsignedetête.Jemelève,encoreunpeuchancelant,etjesors

en laissant la porte entrouverte pour pouvoir écouter. Mais à peine suis-je dans le couloir quel’assistantedeJeaninelarefermeetjen’entendsplusrien,mêmeenycollantl’oreille.Unnovices’estprésentépourfairepartdesesinquiétudes–jen’aipasdemalàdevinerlequel.Le

seulnovicevenantdechezlesÉrudits:Eric.+++

Pendant une semaine, il semble que la visite de Jeanine Matthews n’aura pas de suites. Tous lesnovices, les natifs comme les transferts, subissent quotidiennement des simulations de peur, etquotidiennement,jemelaisseconsumerparmespropresterreurs:peurduvide,claustrophobie,peurdelaviolenceetdeMarcus.Parfois,ellessemélangent:Marcusenhautd’unetour,laviolencedansdesespacesconfinés.Jemeréveilletou-joursdansundemi-délire,tremblant,honteuxquemêmeenn’ayant que quatre peurs, je sois pourtant le seul qui n’arrive pas à s’en débarrasser une fois lasimulationterminée.Elless’insinuentenmoiquandjem’yattendslemoins,peuplantmesjournéesdefrissonsviolentsetdeparanoïaetmonsommeildecauchemars.Jegrincedesdents, jesursauteaumoindrebruit,mesmains s’engourdissent sans criergare. Je crainsdedevenir fouavant la findel’initiation.—Çava?s’inquièteZekeunmatinaupetitdéjeuner.Tuasl’air…épuisé.—Çavatrèsbien,répliqué-je,plussèchementquejenel’auraisvoulu.—Oui,çacrèvelesyeux,merépond-ilavecungrandsourire.Onaledroitdenepasallerbien,je

tesignale.

Page 44: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Ouais, c’est ça, fais-je enme forçant à finirmon assiette, bien que tout ce que jemange cesjours-ciaitungoûtdeplâtre.Sij’ail’impressiondeperdrelatête,enrevanche,jeprendsdupoids;principalementdumuscle.

C’est curieux d’occuper autant d’espace rien qu’en existant, pour moi qui devenais si facilementinvisibleavant.Çamedonnelesentimentd’êtreunpeuplusfort,unpeuplusstable.Zekeetmoiallons rapporternosplateaux.Alorsqu’onsedirigevers laFosse, sonpetit frère –

Uriah–nousrejointencourant.IlestdéjàplusgrandqueZeke,etunpansementderrièresonoreilleprotège un tatouage tout neuf. Il n’a pas son expression habituelle, qui lui donne toujours l’air depréparerunboncoup.Là,ilsemblejustesonné.—Amar…commence-t-il,unpeuessoufflé.Amarest…Amarestmort,achève-t-ilensecouantla

tête.Jelâcheunpetitrire.Confusément,jesaisquecen’estpaslaréactionappropriée,maisjenepeux

pasm’enempêcher.—Quoi?Commentça,ilestmort?dis-je.—UneAudacieuseatrouvéuncorpsprèsdelaFlèchetôtcematin.Ilsviennentdel’identifier.Il…

Iladû…—Sauter?achèveZeke.—Outomber,onnesaitpas.Jem’engagesur lecheminquimonte le longde laFosse.D’habitude, jegrimpepresqueplaqué

contrelemuràcauseduvertige,maiscettefois,jenesongemêmepasàcequ’ilyaenbas.Jecroisesanslesvoirdesenfantsquicourentencriant,desgensquientrentetsortentdesboutiques.Jemontel’escaliersuspenduauplafonddeverre.Des gens se sont amassés dans le hall de la Flèche. Jem’y fraye un passage à coups de coude.

Certainsm’injurientoumerendentmescoupsdecoude,maisjem’enfiche.Jemefaufilejusqu’auboutdelasalle,jusqu’auxparoisdeverresurplombantlarue.Là,dehors,ilyaunezonedélimitéepardurubanadhésif,etunetacherougesombresurletrottoir.Jerestelongtempsàlafixer,jusqu’àcequej’arriveàintégrerl’idéequecettetachevientdusang

d’Amar,duchocdesoncorpsaveclesol.Puisjem’envais.

+++

JeneconnaissaispasassezAmarpouravoirduchagrinausensoùj’aiapprisàledéfinir.Lechagrin,c’estcequej’aiéprouvéaprèslamortdemamère,unpoidsquej’essayaisdesurmonterjouraprèsjour sansyparvenir. Jeme souviensque jedevaism’arrêter aumilieude simples tâchespourmereposer, en oubliant de les reprendre, ou que jeme réveillais aumilieu de la nuit avec le visagetrempédelarmes.Laperted’Amarn’estpascomparable.Detempsentemps,jemesurprendsàlaressentir,quandje

merappellequec’estluiquim’adonnémonsurnom,qu’ilm’aprotégéalorsqu’ilnemeconnaissaitpas. Mais la plupart du temps, je suis en colère. Sa mort a un rapport avec l’évaluation de sasimulationdepeuretavecJeanineMatthews.Jelesais.Etçasignifiequecequiestarrivéestdelafauted’Eric,parcequ’ilaépiénotreconversationetqu’ilestallélarépéterauchefdesonanciennefaction.LesÉruditsontassassinéAmar.Ettoutlemondepensequ’ilasauté,ouqu’ilesttombé.Parceque

cesontdeschosesquiarriventchezlesAudacieux.Cesoir-là,ilyaunecérémoniedusouvenirensonhonneur.LesAudacieuxsonttousivresdèsla

Page 45: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

findel’après-midi.OnserassembleprèsdugouffreetZekemepasseungobeletdeliquidesombre,quej’avalesansréfléchir.Jeluirendslegobeletenvacillantlégèrement,tandisquel’alcooldiffusedansmoncorpsunesensationd’apaisement.—Pasmal,approuveZekeenregardantlegobeletvide.Jevaist’enchercherunautre.J’approuved’unhochementdetête,enécoutantlerugissementdugouffre.JeanineMatthewsaparu

admettrequel’anomaliedemesrésultatsn’étaitqu’uneerreurdansleprogramme,maissicen’étaitqu’uneruse?Sielles’enprenaitàmoicommeelles’enestpriseàAmar?J’essaiederepoussercettepenséedanslestréfondsdemonesprit,làoùjenepourraipaslaretrouver.Unemainàlapeausombre,couturéedecicatrices,s’abatsurmonépaule,etMaxsedressedevant

moi.—Çava,Quatre?—Ouais.Et c’est vrai, je vais bien. Je vais bien parce que je tiens encore surmes jambes et que j’arrive

toujoursàarticuler.—Jesaisqu’Amars’intéressaitparticulièrementàtoi.Jecroisqu’ilavaitdétectéunfortpotentiel

cheztoi,meditMaxenesquissantunsourire.—Jeneleconnaissaispasbien.—Ilatoujoursétéunpeuperturbé,unpeuinstable.Différentdesautresnovicesdesongroupe.Je

crois que la perte de ses grands-parents a été un grand choc pour lui. Ou c’était peut-être plusprofond…jenesaispas.Ilestpeut-êtremieuxlàoùilest.—Mieuxmortquevivant?fais-je,choqué.— Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai voulu dire, rectifie Max. Mais nous, les Audacieux, on

encouragenosmembresàchoisirleurproprechemin.Sic’estcequ’ilachoisi…c’estdéjàça.Ilposedenouveauunemainsurmonépaule.— En fonction des résultats de ton examen final demain, on devrait parler de l’avenir que tu

souhaiteraisavoirici.Malgrétesorigines,tuesdeloinnotrenoviceleplusprometteur.Je le dévisage. Je ne comprends même pas de quoi il parle, ni pourquoi il me dit ça ici, à la

cérémoniedu souvenir en l’honneurd’Amar.Est-il en traind’essayerdemerecruter ? Pour fairequoi?Zeke revientavecdeuxgobeletsetMaxdisparaîtdans la foulecommeside rienn’était.Unami

d’Amar grimpe sur une chaise et crie un truc absurde vantant son courage pour s’être « jeté dansl’inconnu».Toutlemondelèvesonverreetmartèle:«Amar,Amar,Amar»…Ilslerépètenttantdefoisquele

motenperdsonsens,sefonddansungrondementimplacable,continu,quiemportetout.Ensuite,toutlemondeboit.C’estcommeçaquelesAudacieuxfontleurdeuil:ennoyantlechagrin

dansl’oublidel’alcooletenl’ylaissant.Trèsbien.Parfait.Moiaussi,jepeuxfaireça.

+++

Lepaysagedespeursdemonexamen final est superviséparTori sous l’œildes chefsAudacieux,dontMax.Jepasseàpeuprèsenmilieudeliste,etpourlapremièrefois,jen’éprouvepasuneoncedenervosité.Danslepaysagedespeurs,toutlemonderestelucidependantlasimulation;jen’airienàcacher.Jem’enfoncel’aiguilledanslecouetjelaisselaréalitédisparaître.J’aifaitçadesdizainesdefois.Jemeretrouveausommetd’unetouretjesautedutoitencourant.

Jesuisenfermédansunecaisse,oùjemelaissepaniquerbrièvementavantdetrouverlebonangleet

Page 46: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

dedéfoncerleboisd’uncoupd’épaule,d’unemanièrequin’arienderéaliste.Jeprendsunpistoletpourtirerdanslatêted’uninnocent–unhommesansvisagevêtudunoirdesAudacieux,cettefois–,sansmêmeypenser.Cettefois-ci,quandlesMarcusmecernent,ilsressemblentplusauvraiMarcusqueprécédemment.

Leurboucheestsabouche,bienquesesyeuxrestentdestrousnoirs.Etquandilslèventlebraspourmefrapper,c’estuneceinturequ’ilstiennentetnonunechaînebarbeléeoutouteautrearmecapabledemedéchiqueter.Jeprendsquelquescoups,avantdeplongersurleMarcusleplusprocheenserrantlesmainsautourdesagorge.Jelefrappeauvisagecommeunebrute,etj’aijusteletempsdetirerdecetteviolenceunéclairdesatisfactionavantdemeréveiller,accroupisurleplancherdelasalledupaysagedespeurs.Danslasallecontiguë,séparéeparuneparoivitrée,leslumièress’allumentetmerévèlentceuxqui

s’ytrouvent.Jevoisdeuxrangéesdenovicesquiattendent,dontEric,quiamaintenanttellementdepiercingssurlalèvrequejerêvetouslesjoursdelesluiarracherunparun.AupremierrangsontassistroischefsAudacieux,quihochentlatêteensouriantd’unairapprobateur.Torimeregardeenlevantlespouces.Je suis arrivé à l’examen en me disant que ça n’avait plus d’importance, que je me fichais de

l’avoir,d’obtenirunbonscore,dedevenirunAudacieux.MaislegestedeTorimeremplitdefierté,et je m’autorise un petit sourire en sortant. Même si Amar est mort, il a toujours voulu que jeréussisse.Jen’iraispasjusqu’àdirequejel’aifaitpourlui–aufond,jenel’aifaitpourpersonne,pasmêmepourmoi.Maisaumoins,jeneluiaipasfaithonte.Touslesnovicesquiontfini,ycomprislesnatifs,vontattendreleursrésultatsdansledor-toirdes

transferts.ZekeetShaunam’yaccueillentavecdescrisdejoie.Jem’assoissurmonlit.—Alors,commentças’estpassé?medemandeZeke.—Bien.Sanssurprise.Etvous?—Horrible,maisj’ensuissortivivant,merépond-ilenhaussantlesépaules.EtShaunaaeudroità

denouvellespeurs.—Bah,j’aigéré,commente-t-elleavecunefaussenonchalance.Elleaunoreillersurlesgenoux,celuid’Eric.Ilnevapasêtrecontent.Ellearrêtesonnuméroetunsourireradieuxluifendlevisage.—J’aiassuréàmort.—Ouais,ouais,faitZeke.Ellelefrappeenpleinefigureavecl’oreiller.Illeluiarrache.—Qu’est-cequetuveuxquejedise?OK,t’asassuré.OK,t’eslameilleureAudacieusedetousles

temps.Çateva,commeça?Elleseprenduncoupd’oreillersurl’épaule.—Ellen’apasarrêtédefrimerdepuisledébutdessim’parcequ’elles’ensortmieuxquemoi.Elle

m’énerve!—Tun’avaisqu’àpastevanterpendantl’entraînementaucombat,rétorque-t-elle.«T’asvuça,ce

couptroptopquejeluiaicollédèslespremièressecondes!»Etgnagnagna…Ellelebousculeetilluiattrapelespoignets.Elleselibère,luibalanceunetapesurl’oreilleetils

continuentàsebattreenriant.J’aibeauavoirdumalàinterpréterlesmanifestationsd’affectionchezlesAudacieux,ilsembleque

jesoiscapabledereconnaîtreunflirtquandj’envoisun.Jesouris.OndiraitquelaquestionShaunaestrésolue.Nonqu’ellem’aitbeaucouptorturé.Cequiestdéjàuneréponseensoi.On attend ainsi encore une heure, tandis que les autres entrent au compte-gouttes. Le dernier à

Page 47: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

arriverestEric,quirestedeboutsurleseuiletnousregarded’unairsatisfait:—C’estl’heuredesrésultats.Tout lemonde se lève et passedevant lui pour sortir.Certains semblent nerveux ; d’autres, sûrs

d’eux,roulentdesmécaniques.J’attendsqu’ilssoient touspartispourbouger.Jem’arrêtedevant laporteencroisantlesbras,etjefixeEricpen-dantquelquessecondes.—T’asuntrucàmedire?medemande-t-il.—Jesaisquec’esttoi.C’esttoiquiasparléauxÉruditspourAmar.—Jenevoispasdutoutdequoituparles.Ilestclairqu’ilment.—C’estàcausedetoiqu’ilestmort.Jesuissurprisparlavitesseàlaquellemacolèremonte.J’entremble,levisageenfeu.— Tu as reçu un coup sur la tête pendant ton exam’, Pète-sec ? me dit Eric avec un sourire

narquois.Tudélires.Jelepousseenarrière,brutalement,contrelaporte.Puisjelebloqueenluitenantunbras–surpris,

unefractiondeseconde,d’êtredevenuaussifort–etj’approchemonvisagedusien.—Jesaisquec’esttoi.Jefouillesesyeuxnoirsà larecherched’unsentiment,n’importe lequel.Jen’y trouverien,rien

qu’unregarddepoissonmort,impénétrable.—C’estàcausedetoiqu’ilestmort,ettunet’entireraspascommeça.Jelelâcheetjeparsdanslecouloirendirectiondelacafétéria.

+++

La cafétéria est bourrée à craquer de gens habillés sur leur trente et un – version Audacieuse :piercings partout, rehaussés de bagues tape-à-l’œil, tous tatouages dehors, quitte à se promener leventreàl’air.Ducoup,jenaviguedanscettemerdegensenessayantdegarderlesyeuxauniveaudesvisages. Les arômes de pain, de gâteau, d’épices et de viande rôtie qui flottent dans l’airme fontsaliver.J’aioubliédedéjeuner.Arrivéàmatablehabituelle,jeprofitedecequeZekealedostournépourvolerdupaindansson

assietteet j’attendsdeboutavec lesautres l’annoncedes résultats.Espéronsqu’ilsnevontpasnouslaissermarinertroplongtemps.Mespenséespartentdanstouslessens,mesmainssontagitéesdetics;j’ail’impressiond’avoirlesdoigtsdansuneprise.ZekeetShaunaessaientdemeparler,maisaucundenousn’arriveàcrierassezfortpourcouvrirletintamarreetonserésigneàattendresansriendire.Maxmontesurunetableetlèvelesmainspourréclamerlesilence.Ill’obtientenpartie,mêmes’il

estimpossibledefairetairecomplètementlesAudacieux,dontquelques-unscontinuentàparleretàblaguercommesiderienn’était.J’arriveàentendresondiscours,c’estl’essentiel.—Ilyaquelquessemaines,dit-il,ungroupedenovicesmaigrichonsetterrifiésontfaitcoulerleur

sangsurlescharbonseteffectuélegrandsautchezlesAudacieux.Pourêtrefranc,jeneleurdonnaispasunechancedetenirjusqu’àlafindelapremièrejournée.Ils’arrêtepourlaisserfuserlesrires,quieffectivementfusent,mêmesisablaguen’étaitpastrès

bonne.—Mais je suis heureux d’annoncer que cette année, tous les novices ont obtenu le score requis

pourdevenirdesAudacieux!Toutlemondeapplaudit.Malgrél’assurancequ’ilsserontacceptés,ZekeetShaunaéchangentdes

coupsd’œil inquiets ; reste àdécouvrir le classement, qui détermine legenrede travail auquel onpourraprétendre.ZekepasseunbrasdansledosdeShaunaetluipressel’épaule.

Page 48: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jemesensdenouveauseul,toutàcoup.—Mais vous avez assez attendu, reprend Max. Je sais que nos novices sont sur des charbons

ardents.Voicidoncnosdouzenouveauxmembres!Lesnomsdesnovicesapparaissentderrièreluisurungrandécran,écritsassezgrospourquetoute

lasallepuisseleslire.Parréflexe,jechercheaussitôtleursnoms:6.Zeke7.Ash8.Shauna

Aussitôt,ma tensiondisparaît. Je remonte la listevers lespremierset lapaniquemesaisit l’espaced’uneseconde,ennetrouvantpasmonnom.Enfin,ilestlà,toutenhaut.1.Quatre2.Eric

ShaunalaisseéchapperunhurlementdejoieetZekeetellem’étouffentdansuneétreintemaladroite,manquantmefairetombersousleurpoids.Jerisenlevantlesbraspourlesserreràmontourcontremoi.Quelquepartdansletohu-bohu,j’ailaissétombermonmorceaudepain,quejepiétineallègrement

sousmasemelle.Jesouristandisquetoutlemondem’entoure,desgensquejeneconnaismêmepas,quimetapentdans ledosavecdesgrandssouriresenrépétantmonnom.Monnomquiestdevenusimplement«Quatre»,touslessoupçonssurmonorigineetmonidentitéoubliésmaintenantquejesuisl’undesleurs,maintenantquejesuisunAudacieux.JenesuispasTobiasEaton,plusmaintenant,plusjamais.JesuisunAudacieux.

+++

Cettenuit-là, ivred’excitationetgavécommeuneoie, jequittediscrètement la fête et jeprends lecheminquimènetoutenhautdelaFosse,àl’entréedelaFlèche.Jefranchislesportesetj’inspireàfondl’airdelanuit,vifetrafraîchissant,contrastantaveclachaleurmoitedelacafétéria.Tropsurvoltépourtenirenplace,jemedirigeverslavoieferrée.Untrainarrive,signaléparla

lumière clignotante de sa locomotive. Il passe en chargeant dans un bruit de tonnerre, plein depuissanceetd’énergie.Jemepencheenavantetjesavourepourlapremièrefoislefrissondepeurquimeprendauventre,demeteniraussiprèsdudanger.Puis je vois une forme sombre, humaine, debout dans l’un des derniers wagons, une longue

silhouettequisepencheàl’extérieurensetenantàlapoignée.Pendantuneseconde,alorsqueletrainpassedevantmoidansunbrouillard,jedistinguedescheveuxbrunsetbouclésetunnezbusqué.Ondiraitunpeumamère.Puiselleadisparu,partieavecletrain.

1.Ashsignifie«cendre»enanglais.

Page 49: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

LEFILSLEPETITAPPARTEMENTESTNU,etonvoitencoreparterrelatracedescoupsdebalaidonnés

dans les coins. Pour remplir cet espace, j’ai pour seules possessions mes vêtements d’Altruiste,fourrésaufonddusacquejeporteàl’épaule.Jelejettesurlematelasetjecherchedesdrapsdanslestiroirssouslelit.LaloteriedesAudacieuxaétégénéreuseavecmoi,parcequejesuissortipremierduclassementet

que,contrairementàmescamarades,j’aisouhaitévivreseul.Lesautres,commeZekeetShauna,ontgrandiauseinde lacommunautédesAudacieuxetnesupporteraientni lesilenceni lecalmede lasolitude.Je faismon lit rapidement, en tirant bien le drapduhaut, presque au carré.Le linge est usé par

endroits,par lesmitesoupar l’usage.Lacouettebleuesent lecèdreet lapoussière.Je tiensdevantmoimachemised’Altruiste–celledont j’aidéchiré l’ourletpourbandermablessureà lamain lejour de mon arrivée. Elle me paraît petite – je ne suis même pas sûr qu’elle m’irait encore sij’essayaisdelamettre.Jen’essaiepas,jemecontentedelaplieretdelarangerdansuntiroir.Onfrappeàlaporteetjedis«Entrez!»enpensantquec’estZekeouShauna.Maisc’estunhomme

grandà lapeausombrequientredansmonappartement.Max. Il inspecte lapièced’uncoupd’œilcirculaire,encroisantdevantluisesmainsmeurtriesparlescoups,etaunemouedégoûtéedevantlepantalonàpincesgrispliésurmonlit.Saréactionmesurprendunpeu–raressontceuxdanscetteville qui choisiraient la faction desAltruistes,mais encore plus rares sont ceux qui la détestent. Ilsembleraitquej’enaitrouvéun.Je reste planté en face de lui, sans trop savoir quoi dire. Il y a un chef de faction dans mon

appartement.—Salut,fais-je.—Excuse-moidetedéranger.Jesuissurprisquetun’aiespaschoisidevivreavectescamarades.

Tut’esfaitdesamis,pourtant,non?—Ouais,maisbon…Cettevie-cimeparaîtplusnormale.— Je suppose qu’il va te falloir un peu de temps pour te défaire des habitudes de ton ancienne

faction.Maxpassel’indexsurlecomptoirdemapetitecuisineetregardesondoigtcouvertdepoussière

avantdel’essuyersursonpantalon.Ilmelanceuncoupd’œilcritique–quimesuggèredemedéfairedemeshabitudesd’Altruisteen

accéléré.Sij’étaisencoreunnovice,cecoupd’œilm’inquiéterait,maisjefaisdésormaispartiedesAudacieuxetilnepeutpasm’enleverça,aussiPète-secquej’aiel’air.Àmoinsque.—Cetaprès-midi,tuvaschoisirtontravail,medit-il.Tuasdesidées?—Çadépenddespossibilités,jesuppose.Jemeverraisbiendansl’enseignementoulaformation.

UnpeucommecequefaisaitAmar,parexemple.—Jepensequelenovicearrivépremierauclassementpeutespérerunpeumieuxqu’instructeur,

pastoi?Ilhausselessourcils,etjeremarquequel’unnemontepasaussihautquel’autreetqu’ilestbarré

d’unecicatrice.—Jesuisvenutevoirparcequ’uneopportunitéseprésente,poursuit-il.

Page 50: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Iltireunechaisedesouslapetitetablequisetrouveprèsdelacuisine,laretourneets’assoitdessusà califourchon. Ses bottes noires sont couvertes de glaise ocre, ses lacets sont pleins de nœuds eteffrangés.Ildoitêtrel’Audacieuxleplusâgéquej’aiejamaisvu,maisilpourraitaussibienêtreenacier.Jem’assoisauborddemonlit.—Pourêtrefranc, l’undemescollègueschefsdevientunpeuâgépourcettefonction,medit-il.

Moietlestroisautresestimonsqueçaneferaitpasdemald’injecterunpeudesangneufauseindeladirection. Des idées nouvelles, pour les nouveaux membres de la faction et pour l’initiation, enparticulier.Comme,enplus,cettetâcheestgénéralementconfiéeauchefleplusjeune,çatomberaitbien.Onaeul’idéedeproposeruneformationàunesélectionissuedesclassesdenoviceslesplusrécentes,pouressayerderepérerlecandidatidéal.Tuyauraisclairementtaplace.J’ai un léger vertige.Suggère-t-il sérieusement que je pourrais être apte à faire partie des chefs

Audacieuxàseizeans?—Cetteformationdureraaumoinsunan.Elleserarigoureuseetexigeradescompétencesdansde

nombreuxdomaines.Onsaittouslesdeuxquetun’aspasdesouciàtefaireconcernantlepaysagedespeurs.J’acquiesced’unhochementde tête,sansréfléchir. Il fautcroirequemonassurancenelechoque

pas,puisqu’ilaunpetitsourire.— Tu es dispensé de la réunion de choix professionnel prévue cet après-midi, ajoute-t-il. La

formationdémarretrèsvite–demain,enfait.—Attendez,dis-je,unepenséesurgissantdanslebrouillarddemoncerveau.Jen’aipaslechoix?—Biensûrquesi,tuaslechoix,merépond-il,l’airsurpris.Jepensaisjustequequelqu’uncomme

toipréférerait suivreune formationdechefquedepasser ses journéesdevantuneclôtureavecunfusil à l’épaule, ou à expliquer à des novices comment se battre correctement.Mais si jeme suistrompé…Jenesaispascequimefaithésiter.Eneffet,jen’aiaucuneenviedepassermesjournéesàgarder

uneclôture,àpatrouillerdanslavillenimêmeàarpenterleplancherdelasalled’entraînement.Cen’estpasparcequej’aidebonnesaptitudesaucombatquej’aienviedefaireçatoutelajournée,jouraprèsjour.L’occasiondechangerleschoseschezlesAudacieuxestséduisantepourl’Altruistequ’ilyaenmoi,uncôtéquiperdureetquidemandeparfoisàêtreentendu.Jecroisquec’estjustel’impressiondenepasavoirlechoixquimechiffonne.—Non,vousnevousêtespastrompé,dis-jeenfin.Jem’éclaircislagorgepourpoursuivred’unevoixplusferme,plusdéterminée:—Jeveuxlefaire.Merci.—Parfait.Max se lève en faisant craquer ses doigtsmachinalement, comme si c’était un tic bien ancré. Je

serre la main qu’il me tend, bien que ce geste me soit encore étranger – les Altruistes ne setoucheraientjamaisavecautantdedésinvolture.—Présente-toi demain à huit heures à la salle de conférence, à côté demon bureau.Neuvième

étage,danslaFlèche.Ils’enva,ensemantdelaboueséchéederrièrelui.Jelaramasseaveclebalaiappuyécontrelemur

près de la porte. Ce n’est qu’en replaçant la chaise sous la table que je prends conscience de cequ’impliqueunetellenomination:sijedeviensunchefAudacieux,unreprésentantdemafaction,jemeretrouveraidenouveaufaceàfaceavecmonpère.Etpasunefoismaisrégulièrement,jusqu’àcequ’ilfinisseparretourneràl’anonymat.

Page 51: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Aussitôt,mesdoigtss’engourdissent.Malgrélenombredefoisoùj’aiaffrontémespeursdansdessimulations,jenesuispasencoreprêtàlesaffronterdanslaréalité.

+++

—Hé,mec,t’asratélaréunion!melanceZeke,lesyeuxagrandisparl’inquiétude.Lesseulspostesquirestaientàlafin,c’étaitdesboulotsdégueudustylecorvéedechiottes!Oùt’étaispassé?—Toutvabien,lerassuré-jeenallantportermonplateauànotretableprèsdel’entrée.ShaunayestdéjàinstalléeavecsapetitesœurLynnetuneamiedecelle-ci,Marlene.Lapremière

foisquejelesaitrouvéeslà,j’aifaillitournerlestalons.Marleneestquelqu’undebientropjovialpourmoi,mêmedansmesbonsjours.Maisc’étaittroptard,Zekem’avaitvu.Uriahnousrejointaupasdecourse,sonplateauchargédeplusdenourriturequesonestomacnepeutencontenir.—Jen’airienraté,ajouté-je.Maxestpassémevoirtoutàl’heure.Ons’assoitsouslalumièrebleuvifd’uneappliquemuraleetjeluirésumelapropositiondeMax,

en prenant soin d’en minimiser un peu l’importance. Je viens enfin de me faire des amis, je nevoudraispas créerde jalousie stupide entrenous.Quand j’ai terminé,Shaunacale sa joue surunemainetdéclareàZeke:—Onauraitpeut-êtredûbosserpluspendantl’initiation,hein?—Oubienletueravantl’épreuvefinale.—Oulesdeux.Shaunam’adresseungrandsourire:—Félicitations,Quatre.Tul’asmérité.Jesenstouslesregardssurmoi,commeautantderayonsdechaleur,etjemedépêchedechanger

desujet:—Etvous,qu’est-cequevousavezeu?—Lasalledecontrôle,merépondZeke.Mamèreatravaillélà-bas,ellem’aapprisàpeuprèstout

cequej’auraibesoindesavoir.—Moi,jesuisdansletrucde…programmedechefdepatrouilles,ditShauna.Paslejobleplus

palpitant,maisaumoins,jeneseraipasenfermée.—Ouais, tunousrépéterasçaenpleinhiver,quand tubarboterasdans laneigeet leverglas, lui

balance Lynn d’un ton acide en transperçant sonmonticule de purée d’un coup de fourchette. J’aiintérêtànepasmeplanteràl’initiation.JenetienspasàmeretrouveràsurveillerlaClôture.—Onn’apasdéjàparléde ça ? intervientUriah. «L’initiation, encore et toujours»Attends au

moinsd’êtredeuxsemainesavantlejourJpourfairedesgrandsprojets.Rienqued’ypenser,çamedonnedéjàenviedevomir.Jejetteunregardsursonplateausurchargé:—Maistebâfrer,ça,enrevanche,pasdutout?Illèvelesyeuxauplafondetsepenchesursonassiettepourcontinueràs’empiffrer.Demoncôté,

je joue avecma nourriture.Depuis cematin, la perspective de demain et l’inquiétude qui va avecm’ontcoupél’appétit.Zekerepèrequelqu’unàl’autreboutdelacafétéria.—Jerevienstoutdesuite,nousdit-ilenselevant.Shauna le regarde traverser la salle pour aller saluer un groupe d’Audacieux, principalement

constituédefilles.Ellesn’ontpasl’airbeaucoupplusâgéesquenous,maiscommejenelesaijamaisvuesparmilesnovices,ellesdoiventavoirunoudeuxansdeplus.Zekeleurditquelquechosequilesfaithurlerderireetilenfonceledoigtdanslescôtesd’unedesfilles,quipousseunpetitcriaigu.Les

Page 52: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

yeuxdeShaunalancentdeséclairsetsafourchetteatterritàcôtédesabouche,luibarbouillantlajouede jus de poulet. Lynn ricane, le nez dans son assiette, etMarlene lui balance un coup de pied –nettementaudible–souslatable.—Bon,ditcettedernièrebienfort.Ettuenconnaisd’autresquivontsuivrecetteformation,Quatre

?—Maintenantquetuledis,jen’aipasvuEric,aujourd’hui,signaleShauna.J’espéraisunpeuqu’il

avaitbasculédanslegouffre,mais…Jeme force à avaler une bouchée de purée. L’éclairageme fait lesmains bleues, desmains de

cadavre.JepréféreraisnepaspenseràEric.Jeneluiaipasadressélaparoledepuisquejel’aiaccuséd’avoir causé indirectement la mort d’Amar. Quelqu’un a informé Jeanine Matthews, chef desÉrudits,qu’Amarrestaitlucidependantlessimulations,etentantqu’ex-Érudit,Ericestlesuspectleplusprobable.Jen’aipasencoredécidécequejeferailaprochainefoisquejedevrailuiparler.Cen’estpasenluicassantlafigureunedeuxièmefoisquejeprouveraiqu’ilatrahisafaction.JevaisdevoirtrouverunmoyendereliersesactivitésrécentesaveclesÉrudits,etensuite,prévenirl’undeschefsAudacieux–Max,apriori,puisquec’estceluiquejeconnaislemieux.Zekevientserasseoir.—Qu’est-cequetufaisdemainsoir,Quatre?—Jenesaispas.Rien?—Nechercheplus.Onaunrencard.Jem’étouffesurmapurée.—Quoi?—Euh,désolédetedireça,grandfrère,ditUriah,maisquandonaunrencard,enprincipe,ony

vatoutseul,pasavecunpote.—C’estundouble rencard, idiot. J’ai invitéMaria,maisellem’ademandési jenepourraispas

trouverquelqu’unpourNicole,sacopine.J’aiditquetuseraisintéressé.—C’estlaquelle,Nicole?demandeLynnensetordantlecoupourregarderlegroupedefilles.—Larousse,ditZeke.Donc,vingtheures.C’estdécidé,jetedemandepastonavis.—Jene…commencé-je.J’observelarousseàl’autreboutdelasalle.Ellealeteintpâle,degrandsyeuxsoulignésd’untrait

noir,etelleporteuntee-shirtmoulantquidessinelacourbedeseshancheset…d’autrescourbesquemavoixintérieured’Altruistem’intimedenepasregarder.Cequejefaisquandmême.Jen’aijamaiseude«rencard»,enraisondesrituelsstrictementréglementésdemonex-factionen

lamatière,quiconsistentàparticiperàdesactivitésdebénévolatensembleet,pourlespluschanceux,àsefaireinviteràdînerchezl’autre,avecpartagedecorvéedevaisselleensuite.Jenemesuismêmejamaisposélaquestiondesavoirsij’auraisenvied’avoirun«rencard»,tellementc’étaitexclu.—Zeke,jen’aijamais…Uriah,lessourcilsfroncés,meplantesèchementl’indexdanslebras.—Quoi?fais-je.—Oh,rien,medit-ilgaiement.T’avaisuntonencoreplusPète-secqued’habitude,jevoulaisjuste

vérifier…Marleneéclatederire:—N’importequoi!J’échange un coup d’œil avec Zeke. On n’a jamais explicitement décidé de ne pas révéler ma

faction d’origine, mais à ma connaissance, il ne l’a jamais mentionnée à personne. Uriah est aucourant,maismalgré son côté grande gueule, il semble savoir quand se taire.Çam’étonne quand

Page 53: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

mêmequeMarlenen’aitpasencorecompris–ellen’estpeut-êtrepastrèsobservatrice.—Pasdequoienfaireunplat,Quatre,meditZekeenavalantsadernièrebouchée.Tuviens,tului

parlescommeàunêtrehumainnormal–cequ’elleest–,etpeut-êtrequ’elletelaissera–ouhlàlà–luitenirlamain…Shaunaselèvebrusquementenfaisantcrissersachaise.Ellerabatunemèchederrièreuneoreilleet

varapportersonplateau,lesyeuxsurlecarrelage.LynnfoudroieZekeduregard–cequinechangepasbeaucoupdesonexpressionhabituelle–et

traverselacafétériadanslesillagedesasœur.—Bon,pasbesoindesetenirlamain,reprendZekecommesiderienn’était.Toutcequet’asà

faire,c’estdevenir.Jeterevaudraiça,OK?J’observeNicole,assiseàunetabledufond.Elleestencoreentrainderireàuneblague.Zekea

peut-êtreraison–peut-êtrequ’iln’yapasdequoienfaireunplat,queceseraitunmoyencommeunautred’oubliermonpasséd’Altruisteetd’apprendreàm’ouvriràmonavenird’Audacieux.Enplus,elleestjolie.—D’accord,dis-je.Jeviens.Maisjetepréviens,sijamaistusorsuneblaguesurlefaitdesetenir

lamain,jetecasselenez.+++

Ce soir-là, quand je regagnemon appartement, il sent encore la poussière et une légère odeur demoisi.J’allumeunelampe,dontl’éclatsereflètesurlecomptoir.Enpassantlamainsursasurface,jemeplanteuneéchardedeverredansledoigt,quisemetàsaigner.Jevaislajeterdanslapoubelle,quej’aidoubléed’unsacenplastiquecematin.Maisaufonddusac,jetrouved’autrestessons:lesdébrisd’unverrecassé.Jenemesuispasencoreservidesverres.Unfrissonmeparcourtledos,etj’inspectelerestedel’appartementàlarecherched’autresindices.

Lesdrapsnesontpasfroissés,lestiroirssontbienfermés,toutesleschaisessemblentàleurplace.Jelesaurais,quandmême,sij’avaiscasséunverrecematin.Alors,quiestvenuchezmoi?

+++

Je ne sais pas pourquoi, la première chose sur laquelle ma main se pose quand j’entre à moitiéendormi dans la salle de bain, c’est la tondeuse que j’ai reçue en cadeau hier avec mon argentd’Audacieux.Toutenclignantencoredespaupièrespourchasserlesommeil,jel’allume,commejel’aifaittouslesjoursdepuismonenfance.Jerepliemonoreillepourlaprotégerdeslames.Jesaisexactementcommenttourneretpencherlatêtepourvoirlaplusgrandesurfacepossibleàl’arrièredemoncrâne.Cerituelm’apaise,m’aideàmeconcentreretàmestabiliser.Jem’essuielesépaulesetlecoupourlesdébarrasserdescheveuxquejejettedanslacorbeille.C’estunmatinAltruiste.Unedoucherapide,unpetitdéjeunerfrugal,unappartementnettoyé.Sice

n’est que je suis vêtu du noir desAudacieux, des bottes à la veste en passant par le tee-shirt et lepantalon.J’aiencoredumalàcroisermonrefletdans lemiroir,etçamefaitgrincerdesdentsdeconstater combien ces racines Pète-sec sont profondément ancrées, combien c’est difficile de lesextirper dema tête, tellement elles sont inextricablementmêlées à tout le reste.C’est la peur et ladéfiancequim’ontfaitquitterlesAltruistes,etçavamerendreleschosesplusduresàassimilerquepersonnenepeutlesoupçonner,bienplusquesij’avaischoisilesAudacieuxpourlesbonnesraisons.Jemediriged’unpasrapideverslaFosse,émergeantparunevoûteàmi-hauteurdelaparoi.Jeme

Page 54: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

tiensprudemmentàl’écartduprécipice,bienquelespetitsAudacieuxpassentsouventtoutaubordencourantavecdesriresaigusetquejesoiscenséêtrepluscourageuxqu’eux.Jenesuispascertainquelecourages’acquièreavecl’âge,contrairementàlasagesse.Maispeut-êtrequ’ici,lecourageestlaplushauteformedelasagesse,l’affirmationquelaviepeutetdoitêtrevécuesanscrainte.C’estlapremièrefoisquejemesurprendsàréfléchirauxvaleursdesAudacieux,etjecreusemes

penséesenmontantlelongduchemindelaFosse.J’atteinsl’escaliersuspenduauplafonddeverreetjegarde lesyeuxvers lehaut,évitantde regarder levidequi s’ouvresousmespieds,pournepaspaniquer.Mais le temps d’arriver,mon cœur cogne dansma poitrine ; je le sens jusque dansmagorge. Je prends l’ascenseur avec un groupe d’Audacieux qui vont au travail. Contrairement auxAltruistes, ilsnesemblentpas tousseconnaître– ilsn’attachentpas lamêmeimportanceaufaitderetenirlesnoms,lesvisages,lesbesoinsdesautres.Peut-êtrequ’ilss’entiennentàleurfamilleetàleurs amis, et qu’ils forment au sein de leur faction des petits groupes unis, mais indépendants.Commeceluiquej’aiformé,moi.Arrivéauneuvièmeétage, jemedemandequelledirectionprendre, jusqu’àceque je repèreune

têtebrunequitourneàl’angled’uncouloir.Eric.Jelesuis,enpartieparcequ’ildoitsavoiroùilva,etaucasoùceneseraitpasaumêmeendroitquemoi,pourmefaireuneidéedecequ’il trafique.Maisaprèsletournant,jevoisMaxdansunesalledeconférenceauxparoisvitrées,entourédejeunesAudacieux.Ilm’aperçoitàtraverslavitreetmefaitsigned’entrer.Erics’assoitnonloindelui–«lèche-botte»,medis-je–etjem’installeàl’autreboutdelatable,entreunefillequiporteunanneaudanslenezetungarçonauxcheveuxvertfluoquimefontcarrémentmalauxyeux.Jemesensbanalàcôtéd’eux–d’accord, jemesuis fait tatouerdes flammessur lescôtespendant l’initiation,maispourcequ’onlesvoit…—Jepensequetoutlemondeestlà,nouspouvonsdonccommencer,déclareMaxenrefermantla

porteetensecampantdevantnous.Iln’apasl’airàsaplacedanscetyped’environnement,commes’ilétaitfaitpourtoutcasserplutôt

quepourdirigeruneréunion.—Sivousêtesici,c’estd’abordparcequevousavezdupotentiel,maisaussiparcequevousavez

manifestédel’enthousiasmepourvotrefactionetsonavenir.Jemedemandecommentj’aifaitça.— Notre ville change, plus vite qu’elle ne l’a jamais fait par le passé, et afin de suivre cette

évolution,ilnousfautchanger,nousaussi.Ilnousfautdevenirplusforts,pluscourageux,meilleurs.Et il se trouve parmi vous des gens qui peuvent nous y aider,mais il nous reste encore à trouverlesquels.Aucoursdesprochainsmois,nousallonsvousfairesuivreunmélangedecoursetdetestsdecompétencespourvousapprendrecequevousaurezbesoindesavoiràl’issuedeceprogramme,maisaussipourévaluervoscapacitésd’apprentissage.Bizarre;voilàquiressembleplusàundiscoursd’Éruditqued’Audacieux.—Vousallezcommencerparremplircettefiched’informations,poursuitMax.Jedoismeretenirderire.IlyaquelquechosederidiculeàvoirunguerrierAudacieuxbrandirune

piledefeuillesqu’ilappelledes«fichesd’informations».Maisbon,ilfautaussisavoirpasserpardesprocéduresordinairesparsoucid’efficacité.Ildistribuelesfeuillesainsiquedesstylos.—Ellesvontsimplementnousaideràmieuxvousconnaîtreetnousfournirunpointdedépartpour

mesurervosprogrès. Il estdoncdansvotre intérêtd’êtrehonnêtes, sanschercheràvousprésentersousunjourfavorable.Jefixemafeuille,malàl’aise.J’écrismonnom–lapremièrequestion–etmonâge–ladeuxième.

La troisième me demande ma faction d’origine et la quatrième, le nombre de mes peurs. La

Page 55: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

cinquièmemedemandedelesdéfinir.Comment lesdécrire?Lesdeuxpremièressont faciles–peurduvide, claustrophobie–mais la

suivante?Etqu’est-cequejepourraisbienmettreàproposdemonpère?Quej’aipeurdeMarcusEaton?Finalement,j’écris«pertedemaîtrise»pourmatroisièmepeuret«menacesphysiquesdansunespacefermé»pourlaquatrième,sachantquejesuisloindelavérité.Maislesquestionssuivantessontbizarres,déroutantes.Cesontdesaffirmations,àlaformulation

ambiguë,qu’onest censésapprouveroudésapprouver.«Cen’estpasgravedevoler si c’estpouraiderquelqu’un.»Bon,ça,çava.D’accord.«Certainespersonnesméritentplusd’êtrerécompenséesqued’autres.»Possible.Çadépenddesrécompenses.«Lepouvoirnedevraitrevenirqu’àceuxquil’ont gagné. » « Les circonstances difficiles forment des hommes plus forts. » « On ne peut pasconnaître la forcedequelqu’un tantqu’ellen’apasétémiseà l’épreuve.»Je jettedescoupsd’œilautourdemoi.Certainsontl’airperplexes,maispersonnenesembleéprouverlemêmesentimentquemoi:lemalaise,presquelapeurd’entoureruneréponsesouschaqueaffirmation.Commejenesaispasquoifaire,j’entoure«D’accord»partoutavantderendremafeuilleavecles

autres.+++

ZekeetMaria,lafilleavecquiilarencard,sontcolléscontrelemurd’uncouloirpartantdelaFosse.Jedistingueleurssilhouettesd’ici.Ondiraitqu’ilsnesesontpasdécollésl’undel’autredepuiscinqminutes, depuis qu’ils sont entrés là-dedans en gloussant bêtement. Jeme retourne versNicole encroisantlesbras.—Bon,dis-je.—Oui,dit-elleensebalançantsursestalons.Lasituationestunpeugênante.—Ouais,fais-je,soulagé.J’avoue.—ÇafaitcombiendetempsquetuesamiavecZeke?Jenet’aipascroisétrèssouvent.—Quelquessemaines.Jel’airencontréàl’initiation.—Oh.Tuesuntransfert?—Euh…JeneveuxpasdirequejeviensdechezlesAltruistes,d’unepartparceque,dèsqu’ilslesavent,les

genssemettentàmetrouvercoincé,d’autrepart,parcequejenetienspasàfournird’indicessurmafamillesijepeuxl’éviter.Jechoisisdementir:—Non,c’estjusteque…j’aitendanceàresterdansmoncoin,quoi.Elleplisseunpeulesyeux.—Oh.Tudoisêtredouépourça,alors.—C’estundemespointsforts.Ettoi,tuconnaisMariadepuislongtemps?—Depuisqu’onest petites.Elle est capablede tomber surunbeaumec rienqu’en se cassant la

figure.Toutlemonden’apascetalent.—C’estclair,approuvé-jeensecouantlatête.Zekeadûunpeumeforcerlamain.Nicolehausseunsourcil.—Ahbon?Ilt’amontréàquoitut’exposais,aumoins?demande-t-elleensedésignantdudoigt.—Euh,ouais.Jen’étaispastropsûrquetuétaismongenre,maisjemesuisditque…—«Pastongenre»,reprend-elled’untonsoudainglacial.Jetentedefairemachinearrière.—Non,jeveuxdirequeçan’apasbeaucoupd’importance.Lapersonnalité,çacomptebienplus

que…

Page 56: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Quemonphysiqueingrat?achève-t-elleenlevantl’autresourcil.—J’aipasditça,protesté-je.Je…jesuisvraimentnulàcetruc.—Ça,onpeutledire.Elleprendlepetitsacnoirposéàsespiedsetlefourresoussonbras.—TudirasàMariaquej’avaisuntrucàfaire.Elles’éloigneàgrandspasetdisparaîtsurl’undescheminsquientourentlaFosse.Avecunsoupir,

jemeretourneversZekeetMaria.Auxvaguesmouvementsquejeparviensàdiscerner,jevoisqu’ilsn’ontpasdutoutralenti.Jepianotedesdoigtssurlarambarde.Maintenantquenotredoublerencards’estchangéenrencardbancalenformedetriangle,jemedisqu’ilsnem’envoudrontpassijem’envais.JerepèreShaunaentraindesortirdelacafétériaetjeluifaissigne.—C’étaitpascesoir,lesrencardsd’Ezekiel?medemande-t-elle.—Ezekiel,répété-jeenmeraidissant.J’avaisoubliéqueZekes’appelaitcommeça.Ouais,benmon

rencardvientdesefairelamalle.—Bravo,medit-elleenriant.Tuastenuquoi,dixminutes?—Cinq,rectifié-jeenmemettantàrireaussi.Ilsembleraitquejemanquedesensibilité.—Non?fait-elleenmimantl’étonnement.Toi,sidoux,sisentimental…—Trèsdrôle.OùestLynn?—ElleacommencéàsedisputeravecHector,notrepetitfrère.Jelesécoutefaireçadepuis,quoi,

depuisquejesuisnée.Alorsjesuispartie.Jepensaisallerunpeuensalled’entraînement.Tuveuxvenir?—Ouais.Allons-y.Oncommenceàsedirigerverslasalled’entraînement,quandjemerendscomptequ’onvadevoir

passerparlecouloirqu’occupentactuellementZekeetMaria.JeposeunemainsurlebrasdeShaunapourl’arrêter,maistroptard;elleadéjàvuleursdeuxsilhouettespresséesl’unecontrel’autre.Lesyeuxécarquillés,ellesefigeuninstantetj’entendsdesbruitsdesucciondontjemeseraisbienpassé.Puiselleseremetenmarche,sivitequejedoiscourirpourlarattraper.—Shauna…—Ensalled’entraînement,mecoupe-t-elle.Quandonentre,ellefoncesurunsacetsemetàcognerdedanscommeunebrute.

+++

— Bien que cela puisse vous surprendre, nous expliqueMax, il est important que les Audacieuxoccupant des positions élevées comprennent le fonctionnement de certains programmes. Leprogrammedesurveillancedelasalledecontrôleestunexempleévident.Unchefpeutêtreamenéàcontrôlercequisepassedanslafaction.Ilyaaussilesprogrammesdesimulation,quevousdevrezmaîtriser afind’évaluer lesnovices.Et également leprogrammede suividesdevises,quigarantit,entre autres, la bonnemarchedes échanges commerciaux au seindenotre faction.Certainsde cesprogrammes sont assez sophistiqués, ce qui va vous demander d’acquérir rapidement des notionsd’informatiquesivousnelespossédezpas.C’estcequenousallonsaborderaujourd’hui.Ildésignelajeunefemmequisetientàcôtédelui,etquej’aidéjàrencontréelesoirdesdéfisavec

Amar. Elle a desmèches de cheveux violettes et tellement de piercings que je ne pourrais pas lescompter.—Laurenvavousenseignerquelquesnotionsdebase,sur lesquellesvousserezensuiteévalués.

Laurenestl’unedenosinstructrices,maisendehorsdespériodesd’initiation,elletravailleausiège

Page 57: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

commeinformaticienne.C’estsonpetitcôtéÉrudit,qu’onluipardonneparcequeçanousrendbienservice.Illuidécocheunclind’œiletellesourit.—Bien,jevouslaissetravailler,jereviensdansuneheure.Ils’enva,etLaurenfrappedanssesmains.— Alors, dit-elle, aujourd’hui, nous allons aborder le fonctionnement d’un programme. Ceux

d’entrevousquiontdéjàunpeud’expériencesurlesujetnesontpasobligésdesuivre.Lesautres,jevous conseille de rester concentrés, parce que je ne me répéterai pas. C’est un apprentissage quis’apparente un peu à celui d’une langue ; il ne suffit pas de connaître le vocabulaire. Il faut aussicomprendrelesrèglesetpourquoiellesfonctionnentd’unemanièreplutôtqued’uneautre.Plus jeune, j’étais volontaire dans les labos informatiques du lycée pour remplir mon quota

d’heuresdebénévolat–etsortirdechezmoi–etj’aiapprisàdémonteretàremonterunordinateur.Maisjenesuispasunexpertenprogrammation.L’heuresuivantepassedansunbrouillarddetermestechniquesquimedépassentunpeu.J’essaiedeprendrequelquesnotessurunboutdepapierquej’aitrouvéparterre,maisLaurenvasivitequemamainn’arrivepasàsuivremesoreilles,etjelaissetomber au bout de quelques minutes pour me contenter d’écouter. Des exemples de ce qu’elleexpliquesontillustréssurunécranplacédevantlafenêtre,etj’aidumalànepasmelaisserdistraireparlavuesurl’extérieur.Demaplace,onvoitlestoitsdelaville,lesdeuxantennesdelaRuchequitranspercentlecieletauloin,derrièrelestoursétincelantes,desboutsmorcelésdumarais.Jenesuispasleseulàêtreperdu–lesautrescandidatssepenchentlesunsverslesautrespourse

demanderàvoixbassedesdéfinitionsquileurontéchappé.Eric, lui,dessinesurledosdesamaindansuneposedécontractée,l’aircontentdelui.Jeconnaiscetair.Évidemment,ilsaitdéjàtoutça.Iladû l’apprendre chez les Érudits, sans doute il y a des années, ou il n’aurait pas un sourire aussisatisfait.Sansquej’aievuletempspasser,Laurenappuiesurunboutonetl’écranremonteenroulantversle

plafond.—Surlebureaudevotreordinateur,voustrouverezunfichierintitulé«Testdeprogrammation».

Ouvrez-le, il s’agitd’unexamenàacheverdansun temps limité.Vousallezdécouvrirunesériedeprogrammesetsignalerleserreursqui,selonvous,sontresponsablesdedysfonctionnements.Ilpeuts’agiraussibiend’erreursflagrantes,commel’ordredecodage,quedebricolescommeunmotouunebalisemalplacés.Onnevousdemandepasdelescorrigerdansl’immédiat;enrevanche,vousdevezlesidentifier.Ilyauneerreurparprogramme.C’estparti.Toutlemondesemetàfrapperfrénétiquementsursonclavier.Ericsepencheversmoipourme

glisser:—Est-cequ’ilyavaitunordinateur,aumoins,danstamaisondePète-sec,Quatre?—Non.—Attends, je te montre : pour ouvrir un fichier, il suffit de cliquer dessus, m’explique-t-il en

joignantlegesteàlaparoleavecostentationsursonordinateur.Tuvois,c’estpareilqu’unefeuilledepapier,saufquec’estuneimagesurl’écran.Tusaiscequec’estqu’unécran,quandmême?—Ferme-la,dis-jeenouvrantmonfichier.Je regarde fixement lepremierprogramme.«C’est commeapprendreune langue,me répété-je.

Toutdoitcommencerdanslebonordreetfinirdanslesensinverse.Ilfautjustevérifierquetoutestàlabonneplace.»Aulieudecommencerparledébutducodeetdetoutdescendre,jecherchelenoyaudecodequise

trouveaucœurdechaqueconteneur.Etjem’aperçoisquelalignedecodefinitaumauvaisendroit.Je

Page 58: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

marquel’emplacementetjecliquesurlaflèchequimepermetdepoursuivresij’aieubon.L’écransemodifie,meprésentantunnouveauprogramme.Jehausselessourcils.Finalement,j’aidûassimilerplusdenotionsquejenecroyais.J’attaque l’exercice suivant en appliquant la même technique : je vais du centre du code vers

l’extérieur,jecomparelehautduprogrammeaveclebas,jevérifielesguillemets,lesvirgulesetlesbarres obliques inverses. Bizarrement, le fait de chercher des erreurs de code m’apaise, un peucommesijem’assuraisquelemondeestbienordonné,avecl’idéequetantqueceseralecas,toutirabien.J’oublie l’existencedesgensautourdemoi, lavuesur lavillederrière les fenêtres,et jusqu’aux

répercussionsdecetexamen.Jemecontentedemeconcentrersurcequisetrouvedevantmoi,surl’enchevêtrementdemotsinscritssurl’écran.Jeremarquequ’Ericadéjàfinialorsquetouslesautressemblent encoreplongésdans leurs exercices, et j’essaiedenepasm’en inquiéter.Mêmequand ildécidedevenirsepencherpar-dessusmonépaulepourregardercequejefais.Enfin,j’appuiesurlatouchedelaflècheetl’imagequiapparaîtmedit:FINDEL’EXAMEN.—C’estbien,approuveLaurenenvenantvoirmonécran.Tuasfinitroisième.JemetourneversEric.—Attends,luidis-je.Tunevoulaispasm’expliquercequec’estqu’unécran?Jesuisarchi-nulen

informatique,j’auraisvraimentbesoindetonaide.Ilmefoudroieduregardetjememarre.

+++

Enrentrantchezmoi,jetrouvelaportedemonappartementouverte.D’unoudeuxcentimètrestoutauplus,maisjesuissûrdel’avoirferméeenpartant.Jelapousseduboutdupiedetj’entre,lecœurbattant,m’attendantàtombersurunintrusentraindefouillerdansmesaffaires.Jemedemandequi–un acolyte de Jeanine, peut-être, en quête de preuves que je suis différent, commeAmar, ou alorsEric,àlarecherched’indicesquiluipermettraientdemenuire?Tout est à sa place, pas de changement… à part la feuille de papier posée sur la table. Je

m’approchelentement,commesiellerisquaitdes’enflammeroudesedissoudredansl’air.Dessus,ilyaunmessage,rédigéd’unepetiteécriturepenchée.LejourquetudétestesleplusÀl’heureoùelleestmorteÀl’endroitdetonpremiersaut.

Au début, lesmots n’ont aucun sens pourmoi et je pense à un canular, un truc laissé là pourmedéstabiliser,etçamarche,parcequej’ailesgenouxquiflageolent.Jemelaissetomberd’unblocsurl’unedemeschaisesbancales,sansdétacherlesyeuxdelafeuille.Jelarelisencoreetencore,etunsenscommenceàsefairejourdansmatête.À l’endroit de ton premier saut. Ça doit faire allusion au quai de la voie ferrée où je me suis

retrouvéjusteaprèsavoirintégrélafactiondesAudacieux.Àl’heureoùelleestmorte.Ilnepeuts’agirqued’unepersonne:mamère.Mamèreestmorteau

milieudelanuitetlelendemain,àmonréveil,monpèreetsesamisAltruistesavaientdéjàemportésoncorps.Iladitquel’heuredesondécèsétaitestiméeàdeuxheuresdumatin.Le jour que tu détestes le plus. Celui-là est le plus dur. Je cherche une date particulière,

correspondant à un anniversaire, à des vacances…Ça neme dit rien, et je ne vois pas pourquoiquelqu’unme laisserait unmessageévoquantunedatequine tomberapeut-êtrequedansplusieursmois.Ildoitplutôts’agird’unjourdelasemaine.Maisquelestceluiquejedétesteleplus?Facile:

Page 59: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

lesjoursderéunionduconseil,oùmonpèrerentraittardetd’unehumeurmassacrante.Lemercredi.Mercredi,deuxheuresdumatin, sur lequaide lavoie ferrée.C’est cettenuit.Et iln’yaqu’une

personneaumondequipuisseconnaîtretoutescesinformationssurmoi:Marcus.+++

Je serre la feuilledepapierpliéedansmonpoing, sans la sentir. J’ai des fourmisdans lesdoigts,presqueprivésdesensationsdepuisquelenomdemonpèreasurgidansmatête.Je n’ai pas pris la peine de refermer la porte de chezmoi ni de nouermes lacets. Je gravis le

cheminquimonte le longde laFossesansmêmemepréoccuperduvideque je frôle,et jeprendsl’escalierdelaFlècheencourant,sansavoirlatentationderegarderenbas.Ilyadeuxoutroisjours,Zekeamentionnéaupassagel’emplacementdelasalledecontrôle.Jen’aiplusqu’àespérerqu’ilysoit,parcequej’aibesoindeluipouraccéderauximagesfilméesdel’entréedemonimmeuble.Jesaisoùsetrouvelacaméra,cachéedansunangleoùilss’imaginentquepersonnenelaremarquera.Ehbienmoi,jel’airemarquée.Mamère aussi remarquait ce genre de choses. Quand on traversait le secteur Altruiste tous les

deux,ellememontraitlescaméras,cachéesdansdesglobesenverresombreoufixéesauxanglesdesbâtiments.Ellenefaisaitjamaisdecommentaireetnesemblaitpasnonpluss’eninquiéter,maisellesavait toujours où elles se trouvaient, et en passant devant, elle se faisait un point d’honneur detoujourslesregarderenface,commepourdire:«Moiaussi,jevousvois.»Ducoup,j’aigrandienouvrantlesyeux,ennotantlesdétailsdemonenvironnement.Jemonteautroisièmeétageetjesuislefléchagedelasalledecontrôle.Ellesetrouveauboutd’un

petit couloir, derrière un tournant, porte grande ouverte. Je tombe sur un mur d’écrans en facedesquelssontinstalléesquelquespersonnesassisesàdesbureaux.D’autresbureauxsontcaléslelongdesmurs,oùd’autresgenstravaillentsurdesécransindividuels.Lesimageschangenttouteslescinqsecondes,passantd’unsecteurdelavilleàl’autre:leschampsdesFraternels,lesruesquientourentlaRuche,l’enceintedesAudacieux,sansoublierleMarchédesMédisantsetsavasteentrée.J’observeuninstantlesimagesdel’écranquimontrelesecteurAltruisteavantdem’arracheràmafascinationpourrepérerZeke.Ilestàunbureaucontrelemurdedroite,entraindetaperquelquechosedansuneboîte de dialogue tandis que des images de la Fosse défilent sur l’autremoitié de l’écran. Tout lemondeestéquipéd’uncasque–pouravoirlesonquivaaveclesimages,jesuppose.—Zeke,chuchoté-je.Quelquespersonnesmeregardentavecl’airdemereprochermonintrusion,maispersonnenedit

rien.—Hé,salut!melance-t-il.T’asbienfaitdevenir,jem’ennuiecommeun…Qu’est-cequinevapas

?Sesyeuxpassentdemonvisageàmonpoing,toujourscrispésurlafeuilledepapier.Nevoyantpas

commentluiexpliquer,jen’essaiemêmepas.—J’aibesoindevoirlesimagesducouloirdechezmoi.Desquatreoucinqdernièresheures,je

dirais.Tupeuxm’aider?—Pourquoi?Qu’est-cequis’estpassé?—Quelqu’unestentréchezmoi.Jeveuxsavoirquic’est.Ilregardeautourdeluipours’assurerquepersonnenefaitattentionànous.—Écoute,medit-il, jepeuxpasfaireça.Mêmenous,onn’apasledroitderepasserdesimages

précises,saufsionarepéréuntrucbizarre.Onneregardequeledirect…—Tumedoisunservice,jeterappelle.Jenetedemanderaispasçasicen’étaitpasimportant.

Page 60: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Ouais,jesais…Il jetteunnouveaucoupd’œilautourde lui,puis ferme laboîtededialoguepourenouvrirune

autre. Je regarde la formulequ’il entrepour fairemonter la séquence concernée, et jem’aperçoisavec surprise que j’en comprends une partie, grâce au cours d’informatique d’aujourd’hui. Uneimageapparaîtsurl’écran,montrantl’undescouloirsprochesdelacafétéria.Zekecliquedessusetuneautreimagevientlaremplacer,cettefoisdel’intérieurdelacafétéria;puisuneautre,dustudiodetatouage,etunedel’hôpital.Zekecontinueàfairedéfilerdesvuesdel’enceinte.Enlesobservant,jesurprendsaupassagedes

instantsvolésdelavieordinairedesAudacieux:desgensquijouentavecleurspiercingsenfaisantlaqueuepouravoirdesvêtementsneufs,quis’exercentàfrapperdansdessacsensalled’entraînement.JevoispasseruneimageéclairdeMaxdanscequidoitêtresonbureau,assisenfaced’unefemme.Uneblondeauxcheveuxnouésdansunchignonserré.Jeposeunemainsurl’épauledeZeke.—Attends.Reviensenarrière.Lepapierdansmonpoingmesemblesoudainavoirperduunpeudesonurgence.Ils’exécute,cequimepermetdeconfirmermessoupçons:JeanineMatthewsestdanslebureaude

Max, bien droite, dans une tenue parfaitement repassée, une chemise plastifiée sur les genoux. Jem’empareducasquedeZeke,sansmesoucierduregardnoirqu’ilmejette.MaxetJeanineneparlentpastrèsfort,maisquandmêmeassezpourquejelesentende.—J’airéduitlenombreàsix,ditMax.Pastropmal,auboutdedeuxjours.—C’estunepertedetemps,objecteJeanine.Onadéjànotrecandidat.J’aifaitlenécessairepour

cela.Onétaitd’accord.—Tunem’asjamaisdemandémonavis,etc’estmafaction,répliquesèchementMax.Jen’aime

pascetype,etjeneveuxpaspassermesjournéesàtravailleravecquelqu’unquejenen’aimepas.Leminimumestdemelaisserchoisirquelqu’unquiremplissetouslescritères…Jeanineselèveenserrantsachemiseplastifiéecontreelle.—Très bien.Mais quand tu auras échoué, j’espère que tu auras l’honnêteté de l’admettre. Je ne

supportepasl’orgueildesAudacieux.—J’oubliaisquelesÉruditssontl’imagemêmedel’humilité,rétorqueMaxavecaigreur.—Hé,mesiffleZeke,monsupérieurnousregarde.Rends-moicecasque.Ilmel’arracheducrâneenlefaisantclaquercontremesoreilles,quitintent.—Va-t’enoujevaisperdremonboulot,ajoute-t-il.Ila l’airsérieux,et inquiet.Jen’insistepas,mêmesi jen’aipaslaréponseàlaquestionquim’a

amené ici. Mais c’est ma faute si je me suis laissé distraire. Je ressors discrètement, le cerveaubouillonnant,à lafois terrifiéà l’idéequemonpèreestvenudansmonappartement,qu’ilveutmevoirseulenpleinenuitdansunerueabandonnée,etperturbéparcequejeviensd’entendre.«Onadéjà notre candidat. J’ai fait le nécessaire pour cela. » Il doit s’agir du candidat à la direction desAudacieux.Maisenquoil’identitéd’unfuturchefdesAudacieuxregarderait-elleJeanineMatthews?J’accomplis tout le chemin du retour sansm’en apercevoir.Une fois chezmoi, jem’assieds au

borddemonlitetjefixelemurd’enface:PourquoiMarcusveut-ilmevoir?;PourquoilesÉruditssont-ils impliqués dans la politique des Audacieux ? ; Marcus a-t-il décidé de m’éliminer sanstémoins, ou veut-il m’avertir de quelque chose, ou me menacer… ? ; Qui est le candidat dont ilsparlaient?Unemainplaquéesur le front, j’essaiedemecalmer,bienquechacunedecespenséesme lance

dansl’arrièreducrânecommeunepiqûre.Jenepeuxrienfairedansl’immédiatconcernantMaxet

Page 61: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jeanine.Pourl’instant,ilmefautdécidersi,ouiounon,jevaisàcerendez-vous.Lejourquetudétestesleplus.Jen’auraisjamaispenséqueMarcusfaisaitattentionàmoi,qu’ilsavaitcequej’aimaisoupas.Il

semblait justemeconsidérercommeunegêne,unmotifd’énervement.Maisn’ai-jepasappris,pasplustardqu’ilyaquelquessemaines,qu’ilsavaitquelessimulationsnefonctionneraientpassurmoietqu’ilavaitessayédemeprotéger?Malgrétoutesleshorreursqu’ilapumedireoumefaire,peut-êtrequequelquepartaufondde lui, ilestcapabledesevoircommemonpère.Peut-êtrequec’estcette lueurd’instinctpaternelquimedonnecerendez-vous,etqu’ilessaiedemelemontrerenmedisantqu’ilmeconnaît,qu’ilsaitcequej’aime,cequejedéteste,cequejecrains.Jenesaispastroppourquoicettepenséemeremplittellementd’espoir,alorsquejelehaisdepuis

silongtemps.Maispeut-êtreque,toutcommeunepartdeluipeutréagirenpère,ilexisteaussiunepartdemoiquipeutencoreréagirenfils?

+++

Quandjesorsdel’enceintedesAudacieuxàuneheureetdemiedumatin,lebitumeexhaleencorelachaleuremmagasinéependantlajournée.Laluneestvoiléepardesnuagesetlesruessontplongéesdansl’obscurité,maisjen’aipaspeurdunoirnidesrues,plusmaintenant.Unefoisqu’onacassélafigureàquelquesnovices,onaaumoinsacquisça.J’inspirel’odeurdel’asphaltechaudetjememetsàcourir,enfaisantclaquermesbaskets.Toutest

désertautourde l’enceintedesAudacieux ;ceuxdemafactionviventpelotonnés lesunscontre lesautres,commeunemeutedechiensendormis.JecomprendstoutàcouppourquoiMaxs’inquiètedemevoirvivreseul.SijesuisunvraiAudacieux,nedevrais-jepaschercheràmêlerlepluspossiblemavieàlaleur,àmefondredansmafactionjusqu’ànepluspouvoirmedifférencierdesautres?J’y réfléchis tout en courant. Il a peut-être raison.Peut-être que je ne fais pas ce qu’il faut pour

m’intégrer;peut-êtrequejeneprendspasassezsurmoi-même.Jetrouveunrythmedecroisière,enjetant un œil au passage sur les panneaux pour ne pas me perdre. Quand j’atteins le noyaud’immeubles occupés par les sans-faction, je le reconnais aux ombres qui bougent derrière lesfenêtres obstruées. Jeme cale sous la voie ferrée, dont les traverses en bois décrivent une longuecourbequis’écartedelarue.LaRuchegrossitàvued’œil.J’ailecœurbattantmaislacoursen’yestpourrien.Jepileaupied

desmarchesduquaipourreprendremonsouffle,etjerepenseàlapremièrefoisoùjelesaigravies,dansunemaréed’Audacieuxhurlantsquimepoussaitenavant.Ce jour-là,c’était facile, jen’ai euqu’àme laisserporterpar leur élan. Jemonte l’escalierdans l’échodemespas sur lemétal, et jeregardel’heureenarrivantenhaut.Deuxheuresdumatin.Lequaiestvide.Je l’arpentede longen largepourm’assurerquepersonnenesecachedansuncoinsombre.En

entendant le grondement d’un train au loin, jem’arrête pour chercher des yeux la lumière fixée àl’avant.Jenesavaispasqu’ilsroulaientencoreàcetteheure-ci;lecourantestcenséêtrecoupédanstoute la ville après minuit pour économiser l’énergie. Je me demande si Marcus a demandé unefaveurauxsans-faction.Maispourquoiprendrait-illetrain?Etpuis,leMarcusEatonquejeconnaisne s’abaisserait jamais à négocier ainsi avec lesAudacieux. Il préférerait encore traverser la villepiedsnus.La lumière du train clignote, une seule fois, tandis qu’il charge le long du quai. Il ralentit en

trépidantdansunbruitdepilon,sanss’arrêter,etjevoisunemincesilhouettesautersouplementde

Page 62: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

l’avant-dernierwagon.Cen’estpasMarcus.C’estunefemme.Jeserresifortlafeuilledepapierdansmonpoingquemesongless’enfoncentdansmespaumes.Ellevientversmoiàgrandesenjambées.Quandellen’estplusqu’àquelquesmètres, jedistingue

ses traits. De longs cheveux bouclés. Un nez fort, busqué. Un pantalon noir d’Audacieuse, unechemise grise d’Altruiste, des bottesmarron de Fraternelle. Son visage est ridé,marqué, amaigri.Maisjelareconnais,jen’oublieraisjamaislevisagedemamère,EvelynEaton.—Tobias,souffle-t-elle,lesyeuxécarquillés,commesielleétaitaussiméduséeparmaprésence

quemoiparlasienne.Maisc’estimpossible,parcequ’ellesavaitquej’étaisenvie,alorsquejerevoisl’urnequicontenait

sescendresposéesurlacheminée,portantencorelestracesdedoigtsdemonpère.Jemerappellelematinoù,àmoitiéendormi,jesuistombésurungrouped’Altruistesauxmines

gravesdanslacuisine,lafaçondontilsontlevélesyeuxpourmeregarderetcommentMarcusm’aexpliqué,avecunecompassionfeinte,quemamèreétaitmortependantlanuitdessuitesd’unefaussecouche.Jemesouviensd’avoirdemandé:«Elleattendaitunbébé?»«Biensûr,fils.»Ils’étaittournéverslesautrespourajouter:«Cen’estrien,sûrementl’effetdu

choc.C’estnormal,vulescirconstances.»Jeme revoisassisdans le salondevantuneassiettepleine,entouréd’Altruistes qui chuchotaient,

dansunemaisonenvahieparlesvoisins,sansquepersonnenemediseuneseulechosequiaitdusenspourmoi.—Jesaisqueçadoit…tefaireunchoc,medit-elle.J’aidumalàreconnaîtresavoix,plusbasse,plusaffirmée,plusdurequedansmonsouvenir,etje

comprends que les années l’ont changée. Je ressens trop de choses, trop fort, puis soudain je neressensplusrien.—Tuescenséeêtremorte,rappelé-jeplatement.C’estunephraseabsurde.Uneremarqueparfaitementabsurdeàdireàsamèrealorsqu’ellerevient

d’entrelesmorts.Maislasituationestabsurde.—Jesais.Jenesuispasmorte.Ilmesemblequ’ilyadeslarmesdanssesyeux,maisjen’ensuispassûrdansl’obscurité.—Jevoisça.Est-cequetuétaisvraimentenceinte,aumoins?C’estsortid’unevoixsarcastique,désinvolte.—Enceinte?C’estcequ’ont’araconté?Quej’étaismorteenaccouchant?(Ellesecouelatête.)

Pasdutout.Jepréparaismondépartdepuisdesmois–ilfallaitquejedisparaisse.Jemedisaisqu’ilt’auraitpeut-êtreexpliqué,quandtuseraisassezgrand.Jelâcheunrirebref,unesorted’aboiement.—TucroyaisqueMarcusEatonadmettraitquesafemmel’aquitté?Etqu’ilmelediraitàmoi?—Tuessonfils,merépond-elleenfronçantlessourcils.Ilt’aime.Àcetinstant,toutelatensiondesdernièresheures,desdernièressemaines,desdernièresannéesse

concentreenmoietmesubmerge,etjerisouvertement,maisd’undrôlederire,mécanique.Unrirequim’effraiemoi-même.—Tuasledroitd’êtreencolèrequ’ont’aitmenti,dit-elle.Jeleseraisaussi.Mais,Tobias,ilfallait

quejeparte,jesaisquetucomprendspourquoi…Elleaungesteversmoietjeluisaisislepoignetpourlarepousser.—Nemetouchepas.—D’accord,d’accord.

Page 63: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Ellelèvelesmains,paumesversl’extérieur,etrecule.—Maistucomprends,jesaisquetucomprends.—Cequejecomprends,c’estquetum’aslaissétoutseulavecunfousadique.Toutàcoup,c’estcommesiquelquechoseenelles’effondrait.Sesmainsretombentlourdement,

commedesenclumes.Sesépauless’affaissent.Mêmesonvisagesedéfait,commesiellesaisissaitdequoijeparle.Jecroiselesbrasenrejetantlesépaulesenarrière,afindeparaîtreleplusgrand,leplusfort,leplusdurpossible.C’estplusfacilemaintenant,danslesvêtementsnoirsdesAudacieux,queçanel’ajamaisétédanslegrisdesAltruistes,etc’estpeut-êtrepourçaquej’aichoisidemeréfugierici. Peut-être pas tant pourme venger, pour blesserMarcus, que parce que je savais que cette viem’apprendraitàêtreplusfort.—Je…commence-t-elle.—Arrêtedemefaireperdremontemps.Qu’est-cequ’onfaitlà?Jejettelafeuillefroisséeparterreentrenousetjefixemamèreenhaussantlessourcils.—Depuisseptansquetuesmorte,tun’asjamaissongéàmefairecetterévélationspectaculaire.

Qu’est-cequiachangé,brusquement?Ellenerépondpastoutdesuite.Puis,visiblement,elleseressaisitetmedit:—Nous,lessans-faction,onaimeseteniraucourantdecequisepasse.Desévénementscommela

cérémonieduChoix,parexemple.Cequim’apermisd’apprendrequetuavaischoisilesAudacieux.J’yauraisbienassistémoi-même,maisjenevoulaispastombersurlui.Jesuisdevenue…uneespècedechefchezlessans-faction,jedoiséviterdem’exposer.J’aiungoûtacidedanslabouche.—Disdonc,j’enai,desparentsimportants.Quellechance.—Cetteréactionneteressemblepas.Tun’esmêmepasuntoutpetitpeuheureuxdemevoir?—Heureuxdetevoir?C’esttoutjustesijemesouviensdetoi,Evelyn.J’aivécupresqueautant

d’annéessanstoiqu’avectoi.Sonvisages’altère.Jel’aiblessée.Parfait.—QuandtuaschoisilesAudacieux,reprend-ellelentement,j’aisuquelemomentétaitvenudete

contacter.J’aitoujourseul’intentionderenoueravectoi,unefoisquetuauraisfaittonchoixetquetuvivraisseul,pourpouvoirteproposerdenousrejoindre.—Vousrejoindre.Devenirunsans-faction?Pourquoiaurais-jeenviedefaireça?—Notrevillechange,Tobias.Lessans-factionserassemblent,lesAudacieuxetlesÉruditsaussi.

D’ici peu, tout le monde devra choisir son camp, et je sais quel sera ton choix. Je pense que taprésenceànoscôtéspeutvraimentfaireladifférence.—Toi,tusaisquelseramonchoix.Vraiment.Jenesuispasuntraîtreàmafaction.J’aichoisiles

Audacieux;c’estlàqu’estmaplace.—Tun’asrienàvoiraveccescrétinssanscervelletoujoursprêtsàrisquerleurpeaupourrien,me

réplique-t-ellesèchement.Pasplusquetun’étaisunpetitPète-secdocileetinhibé.Tupeuxêtrebienplusquetoutcela,bienplusquen’importequellecaricaturemodeléeparlesfactions.—Tun’aspaslamoindreidéedecequejesuisnidecequejepeuxdevenir.Jesuissortipremier

del’initiation.Leschefsmeproposentdemejoindreàeux.—Nesoispasnaïf,dit-elleenplissantlesyeux.Cen’estpasunnouveauchefqu’ilsveulent,mais

unpionqu’ilspourrontmanipuler.C’estpourçaqueJeanineMatthewstraîneausiègedesAudacieux,qu’ellen’arrêtepasdeplacerdansvotrefactiondenouveauxvaletsquiluifontdesrapports.Tun’aspasremarquéqu’ellesembleaucourantdechosesqu’ellen’estpascenséesavoir?Qu’ilsn’arrêtentpasdemodifierl’entraînementdesnovicespourexpérimentercecioucela?CommesilesAudacieux

Page 64: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

allaienteffectuercegenredechangementdeleurpropreinitiative.Amarnousaditeneffetquetraditionnellement,laformationn’accordaitpasautantd’importance

aupaysagedespeurs,maisqu’ilsessayaientquelquechosedenouveau.Uneexpérience.EtEvelynaraison, les Audacieux ne font pas d’expériences. S’ils privilégiaient vraiment l’aspect pratique etl’efficacité,ilsnes’amuseraientpasànousapprendreàlancerdescouteaux.EtpuisilyaAmar.Retrouvémortunbeaumatin.Est-cequejen’aipasmoi-mêmeaccuséEricde

jouerlesinformateurs?Est-cequejenelesoupçonnepasdepuisdessemainesd’êtreenliaisonaveclesÉrudits?— Même si tu as raison sur les Audacieux, dis-je en m’approchant d’elle, vidé de toute mon

énergieagressive,jamaisjenemejoindraiàvous.Etj’ajoute,enm’efforçantd’empêchermavoixdetrembler:—Jeneveuxplusjamaisterevoir.—Jenetecroispas,medit-elletoutbas.—Peuimportequetumecroiesoupas.Et,passantàcôtéd’elle,jereparsversl’escalierparlequeljesuisarrivé.— Si tu changes d’avis, lance-t-elle dans mon dos, tout message confié à un sans-faction me

parviendra!Jedévalelesescalierssansmeretourneretjem’élanceencourantdanslarue.Jenesaismêmepas

sijevaisdanslabonnedirection;jesaisjustequejeveuxêtreleplusloinpossibled’elle.+++

Pasmoyendedormir.J’arpentefiévreusementmonappartement.Jesorsdemestiroirslesvestigesdemavied’Altruiste

pour les jeterà lapoubelle :machemisedéchirée,monpantalon,meschaussures,meschaussettes,mêmemamontre.Jefinisparlancermatondeuseélectriquecontrelemurdeladouche,oùellesecasseenplusieursmorceaux.Àlapremièreheure,jemerendsaustudiodetatouage.Toriestdéjàlà–mêmesi«là»estpeut-

être un grandmot, parce qu’elle a les yeux gonflés de sommeil, le regard perdu dans le vide, etqu’ellen’apasencorefinisoncafé.—Unproblème?medemande-t-elle.Enfait,jenedevraispasêtrelà.JevaiscouriravecBud,ce

malade.—Avecunpeudechance,tuferasuneexception.—Jevoisrarementdesgensdébarquericiavecdesdemandesdetatouageurgentes,commente-t-

elle.—Ilyaunepremièrefoispourtout.Elleseredresse,unpeuplusréveillée.—OK.Tusaiscequetuveux?—Ilyavaitundessincheztoiquandonestpassésilyaquelquessemaines.Celuiquireprésentait

touslessymbolesdesfactionsensemble.Tul’astoujours?Elleseraidit.—Tun’étaispascensévoirça.Jesaispourquoielleréagitcommeça,pour-quoiellenetientpasàfairedepublicitéautourdece

dessin :parcequ’il suggèreune inclinationpourd’autres factionsau lieud’affirmer la suprématiedesAudacieux,commesontcenséslefairesestatouages.Mêmelesmembresreconnusdelafactionsont soucieuxde semontrer leplusAudacieuxpossible. Jene saispaspourquoi, ni quelgenrede

Page 65: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

menace on brandit face à ceux qu’on pourrait appeler des « traîtres à la faction » ; mais c’estprécisémentcequim’amène.—C’estunpeul’idée,confirmé-je.Jeveuxcetatouage.J’yaipenséenrentrantchezmoicettenuit, tandisquejerepassaisenboucledansmatêteceque

m’avaitditmamère.«Tupeuxêtrebienplusquetoutcela,bienplusquen’importequellecaricaturemodeléeparlesfactions.»Ellepensequepourdépasserleslimitesd’unefaction,jedevraispartir,quitter lesgensquim’ontaccueilli comme l’undes leurs ;que jedevrais luipardonneretadopteraveuglémentsonpointdevueetsonmodedevieàelle.Maisjen’aipasbesoindepartir,nidefairequoiquecesoitquejen’aipasenviedefaire.Jepeuxdépasserleslimitesd’unefactionenrestantici,chezlesAudacieux.Peut-êtremêmequec’estdéjàlecas,etqu’ilesttempsquejelemontre.Toriregardeautourd’elleetsesyeuxbondissentverslacamérafixéedansl’angledelapièce,que

j’avaisdéjàremarquéeenentrant.Elleaussi,elleestdeceuxquiremarquentlescaméras.—C’étaitjusteundessinidiot,dit-elled’unevoixbienaudible.Viens,çan’apasl’aird’aller,toi.

Onpeutenparler,trouverquelquechosequiteconviennemieux.Ellemefaitsignedelasuivreetmefaitpasserparlapetiteréservequisetrouvederrièrelestudio

pourm’amener chezelle.On traverse la cuisinedélabrée etonentre au salon,où sesdessins sonttoujoursenpilesurlatablebasse.Elle les feuillette jusqu’à ce qu’elle trouve celui dont je parlais, les flammes des Audacieux

enveloppéespar lesmainsdesAltruistes, les racinesd’arbredesFraternelsquipoussentsous l’œildes Érudits, lui-même suspendu sous la balance des Sincères. Les symboles enchevêtrés des cinqfactions.Ellemelemontreetjehochelatête.—Jenepeuxpastetatouerçaaustudio,àlavuedetoutlemonde,meprévient-elle.Çaferaitdetoi

uneciblevivante.Ontesoupçonneraitd’êtreuntraîtreàlafaction.—Jeveuxquetumelefassesdansledos,précisé-je.Lelongdelacolonne.Lestracesdescoupsdemadernièresoiréeavecmonpèresontcicatrisées,maintenant,maisjeveux

pouvoir me rappeler où elles étaient. Je veux pouvoir me rappeler jusqu’à la fin de mes jourspourquoijemesuisenfui.—Tunefaisrienàmoitié,toi,hein?ditToriavecunsoupir.Çavaprendredutemps.Plusieurs

séances.Onvadevoircalerçaici,endehorsdesheuresnormales,parcequejeneferaipasçadevantlescaméras,mêmes’ilss’intéressentrarementàcequisepasseaustudio.—Çamarche.— Tu sais, quelqu’un qui se fait faire ce tatouage aura sans doute intérêt à ne pas s’en vanter,

ajoute-t-elle en me regardant du coin de l’œil. Ou certains pourraient finir par se dire qu’il estDivergent.—Qu’ilestquoi?—C’estun termequidésigneceuxqui restent lucidespendant les simulationsetqui refusent les

catégories,m’explique-t-elle.Un termequ’onutiliseavecprudence,parcequecesgens-làmeurentsouventdansdescirconstancesassezobscures.Ellecontinueàreproduire le tatouagesurunefeuilledepapier transfertd’unairdécontracté, les

coudessurlesgenoux.Nosregardssecroisentetjecomprends:Amar.Ilrestaitlucidependantlessimulations,ettoutàcoupilmeurt.AmarétaitDivergent.Etjelesuisaussi.—Mercipourlecoursdevocabulaire,dis-je.— Pas de quoi, fait-elle en reprenant son dessin. Tu sais, je commence à croire que plus tu en

Page 66: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

baves,plustuescontent.—Et?Elleesquisseunsourire.— Rien. C’est juste un comportement très Audacieux, pour quelqu’un qui a obtenu un résultat

Altruiste.Allez,ons’ymet.JevaislaisserunmotàBud,iln’auraqu’àcourirtoutseul,pourunefois.+++

Tori a peut-être raison. Peut-être bien que ça me plaît d’en « baver ». Peut-être que j’ai un fondmasochistequiexploitelasouffrancepouraffronterlasouffrance.Entoutcas,lalégèresensationdebrûlurequim’accompagnejusqu’aulendemain,deuxièmejournéedemaformationdechef,m’aideàmeconcentrersurcequejem’apprêteàfaireetàoublierlavoixsourdeetfroidedemamèreetlafaçondontjel’airepousséequandelleavoulumeréconforter.Danslesannéesquiontsuivisa«mort»,jerêvaissouventqu’ellerevenaitàlavieetqu’elleme

passaitlamaindanslescheveuxavecdesformulesrassurantesmaisabsurdes,comme«çavaaller»ou « ça finira par s’arranger ». Jusqu’à ce que jem’interdise de rêver, parce que c’était plus durd’espérer des choses qui n’arriveraient jamais quede faire face à la réalité.Même aujourd’hui, jerefused’imaginer ce que ce serait deme réconcilier avec elle. Je suis tropgrandpourme laisserbercerpardesparolesderéconfort.Tropgrandpourcroirequetoutvas’arranger.Je vérifie que le coin du pansement qui dépasse demon col est bien en place.Cematin, Tori a

dessinélescontoursdesdeuxpremierssymboles,AudacieuxetAltruiste,quiserontplusgrosquelesautresparcequece sont, l’une, la factionque j’ai choisieet l’autre, cellepour laquelle j’avaisdesaptitudes.Dumoinsjecroisquej’aidesaptitudespourlesAltruistes,maisdifficiled’enêtresûr.Ellem’aditdelesprotéger.LaflammedesAudacieuxestleseulsymbolevisiblequandjeporteuntee-shirt,etcommej’airarementl’occasiondememontrertorsenuenpublic,çanedevraitpasmeposerdeproblèmes.TouslesautressontdéjàdanslasalledeconférenceetMaxestentraindeparler.Jevaism’asseoir,

soudainprisd’unesortedelassitudeje-m’en-foutiste.Evelynatortsuruncertainnombredepoints,maispassurcettehistoiredechef–JeanineetMaxveulentjusteunpion,raisonpourlaquelleilslecherchentparmilesplusjeunes,plusfacilesàmodeleretàmanipuler.JenemelaisseraipasmodeleretmanipulerparJeanineMatthews.Jeneseraipasunpion,nipoureux,nipourmamère,nipourmonpère.Jen’appartiendraiàpersonned’autrequ’àmoi-même.—Mercidenoushonorerde taprésence,me lanceMax. J’espèreque tune t’espas levéexprès

pournous.Lesautresricanent,etilreprend:—Jedisaisdoncqu’aujourd’hui,j’aimeraisentendrevospropositionssurlamanièred’améliorer

notre faction– lavisionquevousavezpourelledans lesannéesàvenir. Jevaisvousprendreparpetits groupes, classés par âge, en commen-çant par les plus vieux. Les autres, pendant ce temps,réfléchissezàcequevouspourriezsuggérer.Ilsortavectroiscandidats.Ericestassisenfacedemoi,etjeremarquequ’iladeplusenplusde

piercingssurlevisage.Ilenaaussisurl’arcadesourcilière,maintenant.Ilvafinirparressembleràunepeloted’épingles.C’estpeut-êtrelebut,d’ailleurs,unestratégie.Enleregardant,personneneleprendraitpourunÉrudit.—Jemetrompeoutuesenretardparcequetuétaisentraindetefairetatouer?medemande-t-il

endésignantleborddupansementvisibleàlabasedemoncou.—Jen’aipasfaitattentionàl’heure.Disdonc,tuasremarquétouscesboutsdemétalsurtafigure

Page 67: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

?Tudevraispeut-êtreallervoirunmédecin.—Trèsdrôle.C’estrassurantdevoirquequelqu’unquiaeutonéducationestcapabledefairede

l’humour.Tonpèren’apasl’aird’êtreunrigolo.Lapeurmefrappecommeuncoupdepoignard.Ilestàdeuxdoigtsdeprononcermonnomdans

unesallerempliedemonde,etiltientàcequejelesache–ilmerappellequ’ilsaitquijesuis,etqu’ilpeuts’enservircontremoiàtoutmoment.Jenepeuxpas faire semblantqueçam’estégal.Le rapportde forces s’estdéséquilibré,et jene

peuxpasfairecommesiderienn’était.—Jecroisquejesaisd’oùtutienscetteinformation,déclaré-je.JeanineMatthewsmeconnaîtàlafoisparmonnometparmonsurnom.Elleadûleluidire.— J’ai toujours eu de sérieux soupçons, me répond-il en baissant la voix. Mais ils ont été

confirmés par une source fiable, en effet. Tu n’es pas aussi fort que tu le crois pour protéger tessecrets,Quatre.Jepourrais lemenacer, lui direque s’il révèlemonnomauxAudacieux,moi, je révélerai qu’il

reste en contact avec lesÉrudits.Mais je n’ai pas de preuves, et de toute façon lesAudacieux ontencoremoinsdesympathiepourlesAltruistesquepourlesÉrudits.Jemecontentedemeradosseràmachaisepourattendrenotretour.Lesautressortentaufuretàmesurequ’onlesappelleetilnerestebientôtplusquenousdeux.Puis

Maxnousfaitsignesansunmot.Onlesuitdanssonbureau,celuiquej’aivuhiersurlesimagesdevidéosurveillance. Je repasse dans ma tête la conversation que j’ai surprise entre lui et JeanineMatthewspourm’armerdecourageetaffronterlasuite.Max croise lesmains sur son bureau, et une fois de plus, je suis frappé par l’incongruité de sa

présencedansunenvironnementaussiaseptisé.Saplaceestdansunesalled’entraînement,àfrapperdansunsac,ouaccoudéàlarambardedelaFosse.Pasderrièreunbureauencombrédedossiers.JeregardelesecteurAudacieuxparlafenêtre.Àquelquesmètres,jedistingueletoitoùjemesuis

tenujusteaprèsavoirfaitmonchoixetlerebordduquelj’aisauté.«J’aichoisilesAudacieux,ai-jeaffirméàmamèrehier.C’estlàqu’estmaplace.»Maisest-cequec’estvrai?— Bien, dit Max. Eric, tu commences. As-tu des idées sur ce qui pourrait être bon pour les

Audacieux,lesfaireavancer?Ericseredressesursachaise.—Oui.Jecroisqu’ilfaudraitopérercertainschangements,etceladèsl’initiation.—Àquoipenses-tu?—LesAudacieuxonttoujoursentretenul’espritdecompétition.Lacompétitionnousstimule.Elle

faitressortircequ’ilyademeilleur,deplusfortennous.Jepensequel’initiationdevraitintensifiercet esprit, pourproduire lesmeilleursnovicespossibles.Actuellement, ils ne fontque sebattre ensuivant les règles du système, pour obtenir lemeilleur score et passer à l’étape suivante. Je pensequ’ilsdevraientsebattrelesunscontrelesautrespourfranchirdeséliminatoires.Avantd’avoirpumeretenir,jemetourneversluipourledévisager.Deséliminatoires?Auboutde

quinzejoursd’initiation?—Etceuxquiéchouent?—Ilsquittentlafaction,ditEric.Jeravaleunricanement.Ilcontinue:— Si on pense vraiment que notre faction est supérieure aux autres, que ses objectifs sont

prioritaires,alors,devenirl’undesnôtresdevraitêtreunhonneuretunprivilège,etnonsimplement

Page 68: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

undroit.—C’est uneblague ?dis-je, incapabledeme contenir plus longtemps.Lesgens choisissent une

factionparcequ’ilspartagentsesvaleurs,pasparcequ’ilsontdéjàlescompétencesqu’elleenseigne.CequetuproposesrevientàvirerdesgensdechezlesAudacieuxjusteparcequ’ilsnesontpasassezfortspoursauterdansuntrainenmarcheougagneruncombat.Çaprivilégielesplusgrands,lesplusfortsetlesplusintrépidesaudétrimentdeceuxquisontplusfrêles,mêmes’ilssontplusintelligentsetpluscourageux.Jenevoispasenquoiçaamélioreraitlafaction.— Je suis sûr que ceux qui sont plus frêles et plus intelligents seraient parfaitement dans leur

élémentchezlesÉrudits,ouenpetitsPète-sectoutengris,merépliqueEricavecunsourireironique.Etilmesemblequetun’accordespasassezdecréditànosnouveauxmembrespotentiels,Quatre.Cesystèmeneferaitqu’avantagerlesplusmotivés.Je jette un coupd’œil versMax,m’attendant à le trouverdubitatif face à cetteproposition,mais

mêmepas. Il est penché en avant, concentré sur le visage trouéde piercings d’Eric comme si sondiscoursl’avaitinspiré.—Voilàundébatintéressant,dit-il.Quatre,commentaméliorerais-tunotrefaction,sionnepasse

pasparlacompétition?Jesecouelatêteenmetournantdenouveauverslafenêtre.«Tun’asrienàvoiraveccescrétins

sanscervelletoujoursprêtsàrisquerleurpeaupourrien»,m’aditmamère.Cesontcescrétins-làqu’EricveutvoirchezlesAudacieux.Maiss’ilesteffectivementàlasoldedeJeanineMatthews,quelintérêta-t-elleàfavoriserça?Oh.Biensûr.Lescrétinsprêtsàrisquerleurpeaupourriensontplusfacilesàmanipuler.—Jel’amélioreraisenprivilégiantlevraicourageàlabêtiseetàlabrutalité,dis-je.Ensupprimant

lelancerdecouteaux.Enpréparantlesgensphysiquementetmentalementàdéfendrelesplusfaiblescontrelesplusforts.C’estcequeprônenotremanifeste–labravoureauquotidien.Jepensequ’ondevraitreveniràcefondement.—Etaprès,toutlemondechanteensetenantlamain?faitEricenlevantlesyeuxauplafond.C’est

desFraternelsquetuveux,pasdesAudacieux.—Non.Cequejeveux,c’estqu’onsedonnelesmoyensdecontinueràréfléchirparsoi-même,à

penser au-delà de la prochainepoussée d’adrénaline.Ou tout simplement à penser, point.Et onnerisquerapasdesefaireévincerou…manipulerdel’extérieur.—C’estunpeuÉrudit,toutça,remarqueEric.— La capacité de penser n’est pas l’apanage des Érudits, riposté-je. La capacité de penser en

situationdestressestprécisémentcequelessimulationsdepeurssontcenséesdévelopper.—OK,OK, intervientMax en levant lesmains, l’air perturbé.Quatre, excuse-moi,mais tout ça

sembleunpeuparanoïaque.Quiveux-tuquichercheànousévincerouànousmanipuler?Tun’étaispasnéquelesdifférentesfactionscohabitaientdéjàpacifiquement,iln’yaaucuneraisonpourqueçachange.J’ouvrelabouchepourluidirequ’ilsetrompe,qu’àlaminuteoùilalaisséJeanineMatthewsse

mêlerdesaffairesdenotrefaction,oùil l’a laissée infiltrerdansnotreprogrammed’initiationdestransfertsloyauxauxÉruditscommeEric,ilamisenpérillesystèmequinousapermisdecohabiterenpaixjusqu’ici.Puisjemerendscomptequeluidiretoutçareviendraitàl’accuserdetrahison,etrévéleraittoutcequejesais.Maxmeregarde,etjelisdeladéceptionsursonvisage.Jesaisqu’ilm’aimebien–plusqu’Eric,

entoutcas.Maismamèreavaitraisonhier:ilneveutpasdequelqu’uncommemoi,quelqu’unquiréfléchitparlui-même,prenddesinitiatives.Ilveutquelqu’uncommeEric,quil’aideraàinstaurerle

Page 69: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

nouveauprogrammedesAudacieux,quiserafacileàmanipuler,toutbêtementparcequ’ilestsouslacoupedeJeanineMatthews,quelqu’unquiseravraimentdumêmebordquelui.Hier,mamèreaévoquédeuxvoiespossibles:êtreunpionpourlesAudacieuxoudevenirunsans-

faction.Maisilenexisteunetroisième:n’êtred’aucunbord.Vivresousleradar,librement.Voilàceque jeveux,au fond :m’émanciperde tousceuxquiveulentmefaçonner, lesunsaprès lesautres,pourapprendreàmefaçonnertoutseul.—Pourêtrefranc,monsieur,déclaré-jecalmement,jenecroispasquemaplacesoitici.Quandon

enadiscuté, jevousaiditque j’aimeraisdevenir instructeur,et jecroisqueplusçava,plus jemerendscomptequec’estcequimeconviendrait.—Eric,tupeuxnouslaisseruninstant,s’ilteplaît?demandeMax.Ericacquiesced’unsignedetêteetselèveenmasquantdifficilementsajubilation.Mêmesansle

voir, je serais prêt à parier ma première paye qu’il s’éloigne dans le couloir avec un petitsautillement.Maxselèvepourvenirs’asseoiràcôtédemoi,surlachaised’Eric.—J’espèrequetunedispasçaparcequejet’aireprochéd’êtreparanoïaque,medit-il.Si jeme

suispermiscette remarque,c’estparceque jem’inquiètepour toi. J’aieupeurque tune réagissessous l’effet de la pression, qu’elle t’empêche d’avoir les idées claires. Je pense toujours que tureprésentesuncandidatsérieux.Tuaslebonprofil,tuasdémontrédesaptitudespourtoutcequ’ont’a appris – et au-delà de ça, pour être franc, tu es plus sympathique que certains de nos autrescandidats les plus prometteurs, ce qui a aussi son importance dans le cadre d’une prochecollaboration.—Merci,dis-je.Maisvousavezraison,j’aidumalàsupporterlapression.Etelleseraitbienplus

fortesijedevenaisunchef.Maxhochelatêtetristement.—Bien…Nouveauhochementdetête.— Si tu préfères devenir instructeur, je vais arranger ça. Mais c’est un travail ponctuel. Où

voudrais-tutravaillerlerestedel’année?—Pourquoipasdanslasalledecontrôle?Jemesuisrenducomptequej’aimaisbientravaillersur

lesordinateurs.Enrevanche,jenesaispassij’apprécieraisautantlespatrouilles.—Entendu,meditMax.C’estcommesic’étaitfait.Mercid’avoirétéfrancavecmoi.Jemelève,passablementsoulagé.Luiparaîtinquiet,compatissant.Sansdouterunesecondedemes

raisonsnidemaparanoïa.—Maissiunjourtuchangesd’avis,ajoute-t-il,n’hésitepasàm’enparler.Ontrouveratoujoursà

employerutilementquelqu’uncommetoi.—Merci,répété-je.Etmêmes’ilestlepiretraîtreàsafactionquej’aiejamaisrencontréetqu’ilasansdoutesapartde

responsabilitédanslamortd’Amar,jenepeuxpasm’empêcherdeluiêtreunpeureconnaissantdemelaisserpartiraussifacilement.

+++

Ericm’attendderrièrel’angleducouloiretm’attrapeparlebrasaumomentoùjepassedevantlui.—Faisgaffe,Eaton,marmonne-t-il.Si tu laissessortir lapluspetite remarquesurmesrelations

aveclesÉrudits,ilvat’arriveruntrucdésagréable.—Pareilpourtoisitum’appellescommeçaencoreunefois.

Page 70: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Jeseraibientôtl’undeteschefs,mesignale-t-ild’unairsatisfait.Etcrois-moi, jesurveilleraitrès attentivement ce que tu fais et la façon dont tu mets en œuvre mes nouvelles méthodesd’entraînement.—Tu sais qu’il ne t’aime pas ? Je parle deMax. Il préférerait se retrouver avec n’importe qui

plutôtquetoi.Bonnechancepourtirersurtalaisseparcequ’ilnetelaisserapasuncentimètredemoudansunsensouunautre.Jedégagemonbrasetjem’éloigneverslesascenseurs.

+++

—Pff…grogneShauna,tuparlesd’unejournée.—Ouais.On est assis au-dessus du gouffre, les pieds dans le vide. Le front contre la rambarde qui nous

protège de la chute, je sens l’écumeme chatouiller les chevilles chaque fois qu’une grosse vaguefrappelemur.Jeluiairacontémondépartdelaformationetlamenaced’Eric,maisjeneluiaipasparlédema

mère.Commentexpliqueràquelqu’unquesapropremèreestmorteetqu’elleestrevenueparmilesvivants?Toutemavie,onaessayédememanipuler.Marcusétaitletyrandenotrefoyeretriennesefaisait

sanssapermission.PuisMaxavoulumerecrutercommelarbindesAudacieux.Mêmemamèreavaitunplan pourmoi, celui deme rallier à elle pour que jem’oppose au systèmedes factions contrelequelelleestentréeenlutte,allezsavoirpourquoi.Etpilequandjepensaisavoiréchappéàtoutça,Ericmetombedessuspourmerappelerques’ildevientchefchezlesAudacieux,ilseralàpourmeteniràl’œil.Toutcequej’ai,enfait,cesontlespetitsmomentsderébellionquej’arriveàvoler,commequand

jecollectionnaisdestrucsramassésdanslaruechezlesAltruistes.LetatouagequeTorigravedansmon dos, celui qui pourrait m’identifier à un Divergent, n’en est qu’un nouvel exemple. Je vaisdevoirm’atteleràentrouverd’autres,d’autrespetitsmomentsdelibertédansunmondequimelesrefuse.—OùestZeke?demandé-je.—Jenesaispas.Jen’aipastropenviedetraîneravecluicestemps-ci.Jeluicouleunregardenbiais.—Tupourraissimplementluidirequ’ilteplaît,tusais.Jesuissûrqu’ilnes’endoutemêmepas.—Ça,c’estclair,ricane-t-elle.Maispeut-êtrequecequ’ilcherche,c’estuniquementpapillonnerde

filleenfille?Jenetienspasàcequ’ilmetraitecommeelles.—Çam’étonneraitbeaucoup,maisjecomprends.Onrestesilencieuxunmoment,àcontemplerl’eauquibouillonneànospieds.—Tuferasunboninstructeur,reprend-elleauboutdequelquesminutes.Tuasfaitdubonboulot

avecmoi.—Merci.—Vousêteslà!faitsoudainlavoixdeZekederrièrenous.Iltientparlegoulotunegrossebouteillepleined’unliquidebrun.—Venezvoir,j’aidécouvertuntruc!Shauna etmoi, on se regarde, on hausse les épaules et on se lève, et il nous conduit jusqu’aux

portesqui se trouventà l’autreboutde laFosse, cellesqu’ona empruntées juste après avoir sautédans le filet.Maisau lieudecontinuer toutdroit,Zekenous fait franchiruneautreporte–dont la

Page 71: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

serrure tient grâce à du ruban adhésif –, prend un couloir plongé dans le noir total et monte unescalier.—Ondevraitarriverà…Aïe!—Pardon,jen’aipasvuquetut’arrêtais,ditShauna.—Uneminute,j’ysuispresque…Ilouvreuneporte,etleraidelumièrequifiltrenouspermetdedécouvriroùonest:del’autrecôté

dugouffre,àquelquesmètresau-dessusdel’eau.Au-dessusdenostêtes,laFosseparaîtseprolongerindéfinimentet lesgensquipassentprèsdelarambardesontminuscules, impossiblesàidentifieràcettedistance.Jeris.Zeke,probablementsanslevouloir,vientdenousoffrirunautredecespetitsmomentsde

rébellion.—Commentas-tudénichécetendroit?luidemandeShauna,visiblementstupéfaite,ensautantsur

unrocherunpeuplusbas.D’ici, on découvre un escalier qui monte jusqu’en haut de la paroi, et par lequel on pourrait

traverserlegouffred’unboutàl’autre.—Lafilleavecquijesuissorti,Maria,samèretravailleàlamaintenancedugouffre.Jenesavais

mêmepasqueçaexistait,ceboulot-là.Maisilfautcroirequesi.—Tunelavoisplus?demandeShaunaens’efforçantdeprendrel’airindifférent.—Nan,faitZeke.Quandjesuisavecelle,j’aijusteenviedevoird’autrescopains.Avouezquec’est

pasbonsigne.—Non,confirmeShaunad’untonplusenjoué.Jemelaisseglisserprudemmentsurlemêmerocherqu’elle.Zekes’assoitàcôtédenousetouvre

labouteille.—J’aiapprisquet’étaisplusdanslacourse,medit-ilenmelatendant.J’mesuisditquet’aurais

besoindeboireuncoup.—Ouais,fais-jeavantdeprendreunegorgée.—Considèrecetactedebeuverieenpubliccommeungros…(il faitungesteobscèneavecson

doigtendirectionduplafonddeverredelaFosse)enfin,tuvois,quoi,àMaxetEric.«EtàEvelyn»,ajouté-jepourmoi-mêmeenprenantunedeuxièmegorgée.—Endehorsdespériodesd’initiationoù je formerai lesnovices, je travailleraidans la sallede

contrôle,l’informé-je.—Génial!s’exclameZeke.Çavamefairedubiend’avoirunpote,là-bas.Iln’yenapasunqui

m’adresselaparole.— On dirait moi dans mon ancienne faction, dis-je en riant. Imagine que tu prennes tous tes

déjeunerssansquepersonnenet’accordejamaisunregard.—Ouch,faitZeke.Jepariequetuneregrettespasd’êtreici.Jeluireprendslabouteille, j’avaleunenouvellerasadedecetalcoolquimepiquelagorgeet je

m’essuielabouchesurledosdelamain.—Ouais,c’estclair,confirmé-je.Si les factions sedéchirent, commemamère semble le croire, je n’ai pas choisi le pire endroit

pour les regarder se détruire. Au moins ici, j’ai des amis pour me tenir compagnie quand ça seproduira.

+++

Lanuitvientde tomber.Levisagecachésousmacapuche, je traverseencourant lazonedessans-

Page 72: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

faction, le longde sa frontièreavec le secteurAltruiste. J’aidûpasserpar le lycéepour retrouvermonchemin,maismaintenant,jesaisoùjesuis,jemesouviensdelaroutequej’aipriselejouroùjesuistombésurlesans-factiondansl’immeubleoùbrûlaitunmorceaudecharbon.J’arrivedevantlaporteparlaquellej’étaisressortietjefrappe.J’entendsdesvoixàl’intérieur,et

une fenêtre ouverte laisse échapper des odeurs de cuisine et la fumée d’un feu qui flotte dansl’impasse.Despas;quelqu’unvientvoirquiafrappé.Cettefois,lesans-factionporteuntee-shirtrougedeFraterneletunpantalonnoird’Audacieux.Ila

toujourssontorchonquipenddesapochearrière,lemêmequeladernièrefois.Ilentrouvrelaportejusteassezpourmevoir,pasdavantage.—Tiens,tiens,maisc’estqu’onachangé!fait-ileninspectantmatenued’Audacieux.Àquoidois-

jel’honneurdecettevisite?Macharmantecompagniet’aurait-ellemanqué?—Quandons’estvus,voussaviezdéjàquemamèreétaitenvie,dis-je.C’estpourçaquevous

m’avezreconnu,parcequevouslavoyezdetempsentemps.Etc’estcommeçaquevoussaviezcequ’elleaditsurla«passivité»quil’aamenéeàchoisirlesAltruistes.—Exact,confirme-t-il.Mais jemesuisditqueçan’étaitpasàmoide te l’apprendre.T’esvenu

exigerdesexcuses?—Non.Jesuisvenuluidéposerunmessage.Vousleluidonnerez?—Ouais,pasdeproblème.Jedoislavoirdansdeuxoutroisjours.Jesorsdemapocheunefeuilledepapierpliéequejeluitends.—Allez-y,lisezsivousvoulez,çanemegênepas.Etmerci.—Pasdequoi.Tuveuxentrer?Tucommencesànousressemblerplusqu’àeux,Eaton.Jedéclinel’invitationd’unsignedetête.Jereprendsl’allée,etentournantaucoin,jelevoisquidéplielafeuillepourlalire.

Evelyn,Unjour.Pastoutdesuite.4P.S.:Jesuisheureuxquetunesoispasmorte.

Page 73: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

LETRAÎTREUNENOUVELLEANNÉE,unnouveaujourdesVisites.Ilyadeuxans,alorsquej’étaisnovice,j’aipassécettejournéeterrédanslasalled’entraînement

avecunsac,aprèsm’êtrepersuadéquelejourdesVisitesn’existaitpas.J’ysuisrestési longtempsquel’odeurdesueuretdepoussièrem’acolléàlapeaupendantdesjours.L’andernier,mapremièreannéed’instructeur,j’aifaitpareil,bienqueZekeetShaunam’aienttouslesdeuxinvitéàmejoindreàleursfamilles.Cetteannée,j’aimieuxàfairequetaperdansunsacenmelamentantsurmafamillepourrie.Jeme

rendsdanslasalledecontrôle.Je traverse la Fosse en esquivant les retrouvailles larmoyantes et les rires. Les familles peuvent

toujours se réunir le jour desVisites,même entremembres de différentes factions ;mais avec letemps,ellescessentsouventdelefaire.«Lafactionavantlesliensdusang»,onenrevienttoujourslà.Les familles de transferts se reconnaissent à leursmélangesvestimentaires.La sœurÉrudite deWillestenbleuclair,lesparentsSincèresdePeterportentdunoiretblanc.Jelesobservequelquesinstants,enmedemandantsicesonteuxquiontfaitdeluilapersonnequ’ilest.Maisjepensequ’engénéral,lapersonnalitédequelqu’unnes’expliquepasaussisimplement.Bien que je me sois fixé une mission, je prends le temps de m’arrêter au-dessus du gouffre,

accoudéàlarambarde.Desboutsdepapierflottentsurl’eau.Depuisquejesaisqu’ilyaunescaliertaillédanslapierredanslaparoid’enface,jelerepèretoutdesuite,ainsiquelaportedérobéequidébouchedessus.Jelâcheunpetitsourireenpensantauxnuitsquej’aipasséessurlesrochersavecZekeouShauna,parfoisàparler,parfoisjusteàécouterensilencelebruitdel’eau.J’entendsdespasquis’approchentetjeregardepar-dessusmonépaule.Trisarriveversmoi,bras

dessusbrasdessousavecuneAltruistevêtuedegris.NataliePrior.Jemeraidis,luttantcontrel’enviedeprendremesjambesàmoncou.Nataliesaitquijesuis,d’oùjeviens.Etsiellegaffait,ici,devanttoutlemonde?Non, elle ne peut pas me reconnaître. Je n’ai plus rien à voir avec le garçon qu’elle a connu,

efflanqué,voûté,perdudansdesvêtementstropgrands.Ellemetendlamainenarrivantàmonniveau.—Bonjour.Jem’appelleNatalie.JesuislamèredeBeatrice.Beatrice.Cenomneluivatellementpas.Jeluiserrelamain.Jen’aijamaisbeaucoupappréciéceriteAudacieux.Lesrèglessonttropfloues

;onnesaitjamaisàquelpointserrernipendantcombiendetemps.—Quatre,dis-je.Ravidevousrencontrer.—Quatre…répète-t-elleavecunsourire.C’estunsurnom?—Oui.(Jechangedesujet.)Votrefilles’ensortbien.Jesupervisesonentraînement.— Je me réjouis de l’apprendre. Je sais plus ou moins comment se passe l’initiation chez les

Audacieuxetj’étaisunpeuinquiète.JeregardeTrisducoindel’œil.Ellealesjouesroses,l’airheureux,commesilefaitdevoirsa

mèreluifaisaitdubien.Pourlapremièrefois,jevoisvraimentcombienelleachangédepuislejouroù elle est arrivée, tombant en roulé-boulé sur la plateforme en bois, si fragile qu’on pouvait sedemandercommentl’impactdesachutedanslefiletnel’avaitpasbrisée.Elleneparaîtplusdutoutfragile,aveclesdernièrestracesdecoupsqu’elleportesurlevisageetcettenouvelleassurancequ’il

Page 74: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

yadanssafaçondesetenir,commesielleétaitprêteàaffrontern’importequoi.—Vousn’avezpasàvousinquiéter,dis-jeàsamère.Tris détourne les yeux. Je crois qu’ellem’en veut encore de lui avoir éraflé l’oreille avecmon

couteau.Cequisecomprend.—Votrevisagemerappellequelquechose,Quatre.Sa phrase pourrait passer pour une remarque en l’air si elle ne me regardait pas avec autant

d’insistance.—Jenevoisvraimentpaspourquoi,répliqué-je,avectoutelafroideurdontjesuiscapable.J’évite

autantquepossibledefréquenterlesAltruistes.Elleneréagitpascommejem’yattendais,parlasurprise,lapeuroulacolère.Ellesecontentede

rire.—Vousn’êtespasleseul,cesdernierstemps.Jeneleprendspaspersonnellement.Siellem’areconnu,ellenesemblepasdécidéeàledire.J’essaiedemedétendre.—Bon,jevouslaisseàvosretrouvailles.

+++

LesimagesdescamérasdesécuritéquidéfilentsurmonécranpassentduhalldelaFlècheaupuitsnoirdélimitéparquatretours,parlequellesnovicesfontleurentréechezlesAudacieux.Ungroupequis’estassembléautours’amuseàmontersur le filetetàsauterdessus,sansdoutepour testersasolidité.— Alors, c’est pas ton truc, le jour des Visites ? Je ne pensais pas te voir ici avant la fin de

l’initiation.Gus,monsuperviseur, a surgiderrièremonépaule,une tassedecaféà lamain. Iln’estpas très

vieuxmaislehautdesoncrâneestdéjàdégarni.Ilportelescheveuxtrèscourts,encorepluscourtsquelesmiens.Leslobesdesesoreillessontdéformés,élargispardesdisquesmétalliques.—Jemesuisditquejeferaisaussibiendem’occuperutilement.Surl’écran,jevoistoutlemondesehisserhorsdupuitsetseplacersurlecôté,lelongdestours.

Toutenhaut,unesilhouettes’approchelentementduborddutoit,courtsurquelquespasetsaute.Jesensmonestomactomberd’uncran,commesic’étaitmoiquimejetaisdanslevide,etlasilhouettedisparaîtdansletrou.Jenem’habitueraijamaisàregarderça.—Ilsontl’airdebiens’éclater,remarqueGusensirotantsoncafé.Bon,tuestoujourslebienvenu

icimêmeendehorsdetesheures,maiscen’estpasnonplusuncrimedes’amuserbêtement,Quatre.—Ilparaît,marmonné-jetandisqu’ils’éloigne.J’inspectelasalleduregard.Elleestpresquevide.LejourdesVisites,toutfonctionneenéquipes

réduites,généralement forméesdesplusâgés.Gusestvoûté sur sonécran, encadrédedeuxautresgarsquiobserventlesimages,lecasqueposédeguingoissuruneoreille.Etpuisilyamoi.Jetapesurunetouchepourfaireapparaîtrelesimagesquej’aimisesdecôtélasemainedernière.

OnyvoitMaxdanssonbureau,devantsonordinateur.Iltapeavecunseuldoigt,encherchantchaquetouche. Iln’yapasgrandmondechez lesAudacieuxqui sache tapercorrectement surunclavier ;Maxencoremoinsque lamoyenne,aprèsavoirpassébonnombred’années, àcequ’onm’adit, àpatrouiller le secteurdes sans-faction avecune arme. Il n’avait pasdûprévoir qu’il aurait un jourbesoindeseservird’unordinateur. Jemepenchevers l’écranpourvérifierque j’ainoté lesbonschiffres.Sic’estlecas,j’ailemotdepassedeMaxsurunboutdepapierdansmapoche.DepuislejouroùjemesuisaperçuqueMaxtravaillaitmaindanslamainavecJeanineMatthews,et

oùj’aicommencéàsoupçonnerqu’ilsétaientimpliquésdanslamortd’Amar,jechercheunmoyen

Page 75: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

d’enquêterdeplusprès.J’enaitrouvéunenlevoyantentrersonmotdepassel’autrejour.084628.Çaal’airdecoller.Jeretournesurlesimagesdescamérasdesécurité,quejefaisdéfiler

jusqu’à celles du bureau deMax, avec le hall d’entrée dans le fond. Puis je tape sur la touche quiextrait ces images-là du défilement, pour que Gus et les autres ne les voient pas puisqu’ellesn’apparaîtront que sur mon écran. L’ensemble des images filmées est toujours partagé entre lespersonnesprésentesensalledecontrôle,desortequechacunobservequelquechosededifférent.Enprincipe,onn’aledroitd’enextrairequependantquelquessecondes,pourvérifierquelquechosedeprécis.Maisavecunpeudechance,çairavite.Jequittelasalleendirectiondesascenseurs.Les couloirs de la Flèche sont presque déserts. Ça va me simplifier les choses. Une fois au

neuvièmeétage,jemarched’unpassûrverslebureaudeMax.J’aicomprisquequandonfouine,ilvautmieuxéviterd’avoirl’airdefouiner.JetapotelacléUSBdansmapocheetjetourneàl’angleducouloir.Jepousse la portedupied–plus tôt dans la journée, une fois sûr queMaxétait parti lancer les

préparatifsdujourdesVisites, jesuispassédiscrètementmettredurubanadhésifsur laserrure.Jereferme la porte sans bruit et je gagne sonbureau enmebaissant, sans allumer la lumière. Jemedispenseaussidem’asseoirsursachaise,histoired’éviterqu’ils’aperçoivequ’ilaeudelavisite.L’écranmeréclameunmotdepasse.J’ai labouchesèche.Jesors lepapierdemapocheet je le

poseàplatsurlebureau.Jetape084628.L’écranréagit.Jen’arrivepasàcroirequeçamarche.Vite.SiGuss’aperçoitquej’aidisparu,quejesuisdanslebureaudeMax,jenesaispascequeje

dirai,quelleexcusecrédiblejedevraiinventer.J’insèrelacléUSBpourtransférersurl’ordinateurleprogrammequej’aicopiédessus.SousprétextedefaireuneblagueàZeke,j’aidemandéàLauren–l’instructricedesnovicesnatifs,quitravaillelerestedutempsdansl’équipetechnique–unlogicielquibasculelecontenud’unordinateursurunautre.Ellenes’estpasfaitprier–uneautrechosequej’aiappriseici,c’estquelesAudacieuxsonttoujourspartantspouruneblague,etqu’ilssoupçonnentrarementlesautresdementir.Quelquesmanipulations et le logiciel est installé, suffisamment enfoui dans l’ordinateur deMax

pourqu’iln’aitaucunechancedetomberdessus.JerempochelacléUSBavecleboutdepapiersurlequel j’aiécrit lemotdepasse,et je ressorsenveillantànepas laisserde tracesdedoigts sur laportevitrée.Tropfacile,medis-jeenretournantverslesascenseurs.D’aprèsmamontre,çanem’aprisquecinq

minutes.Sionmeposedesquestions,jepourraitoujoursdirequej’étaisauxtoilettes.Mais quand j’entre dans la salle de contrôle,Gus est devantmon ordinateur, les yeux rivés sur

l’écran.Jemefige.Depuiscombiendetempsest-illà?Est-cequ’ilm’avuentrerdanslebureaudeMax?—Quatre,me dit-il d’un ton sévère, pourquoi as-tu isolé ces images ? On n’est pas censés en

extrairedudéfilement,tulesaistrèsbien.—Je…(Mens!Maintenant!)J’aicruvoirquelquechose,lâché-je,sansconviction.Onaledroit,

quandonrepèrequelquechosed’anormal,non?Ils’approchedemoi.—Etpeux-tum’expliquerpourquoijeviensdetevoirsortirdecemêmecouloir?medemande-t-il

enmedésignantlefameuxcouloirsurmonordinateur.Magorgesenoue.—J’aicruvoiruntrucetjesuismontévérifier.Désolé,j’avouequej’avaisunpeubesoindeme

dégourdirlesjambes.

Page 76: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Ilm’observeensemordillantlajoue.Immobile,jesoutienssonregard.—Sijamaisturevoisquelquechosed’anormal,respecteleprotocole.Signale-leàtonsuperviseur,

quiest…qui,déjà?—Vous,complété-jeavecunpetitsoupir.Jedétestequ’onmeprennedehaut.—Gagné.Tuvois,quandtuveux…Franchement,Quatre,depuisplusd’unanquetutravaillesici,

ilnedevraitplusyavoirautantd’irrégularitésdanstonboulot.Nosrèglessonttrèsclaires,ilsuffitdelessuivre.C’estledernieravertissement.OK?—OK.Jemesuisfaitplusieursfoisremonterlesbretellesaprèsavoirsortidesséquencesdudéfilement,

pour suivre des rendez-vous deMax avec JeanineMatthews, ou avecEric. Jeme suis fait prendrepresqueàchaquefoisetçanem’ajamaisfournid’informationsutiles.— Bien, conclut-il d’un ton plus léger. Bonne chance avec les novices. Tu prends encore les

transferts,cetteannée?—Ouais,c’estLaurenquis’occupedesnatifs.—Dommage,me ditGus, tu aurais eumapetite sœur.À ta place, j’irais faire un truc pourme

détendre.C’esttranquille,aujourd’hui,ici.Etn’oubliepasderemettrecesimagesdanslecircuitavantdepartir.Ilretourneàsonordinateuret jedesserrelesdents.Jenem’étaismêmepasrenducomptequeje

crispaislesmâchoires.Lebasduvisagedouloureux,j’éteinsmonordinateuretjesors.J’aieudelachancedem’entirer.Maintenant que j’ai installé ce logiciel sur l’ordinateur deMax, je peux consulter chacunde ses

fichiersdansl’intimitérelativedelasalledecontrôle.Jepeuxenfindécouvrircequ’ilmijoteavecJeanineMatthews.

+++

Cettenuit-là,jerêvequejemarchedanslescouloirsdelaFlèche,seul,etqu’ilsn’enfinissentpas.Lavue des fenêtres est toujours lamême : des rails de voie ferrée surélevés qui serpentent entre dehautestours,sousunsoleilvoiléparlesnuages.Ilmesemblequejemarchependantdesheures,etquandjemeréveilleensursaut,j’ail’impressiondenepasavoirfermél’œildelanuit.Puisj’entendsfrapperàlaporte,etunevoixquicrie:«Ouvrez!»Cettescèneressembleplusàuncauchemarqueceluidontjeviensdem’échapper–jesuissûrque

cesontdessoldatsAudacieuxvenusmechercherparcequ’onadécouvertquej’étaisDivergent,quej’épieMax ou que je suis en contact avecmamère sans-faction depuis un an. Choses qui disent,chacuneàleurmanière:«traîtreàsafaction».Des soldats Audacieux venus pourme tuer…Mais en allant ouvrir, jeme rends compte que si

c’étaitlecas,ilsneferaientpasautantdebruit.EtjereconnaislavoixdeZeke.—Zeke,dis-jeenouvrant.C’estquoi,leproblème?T’asvul’heure?Ilesthorsd’haleineetdelasueurperlesursonfront.Ilavisiblementcouru.—J’étaisdegardedenuitensalledecontrôle,merépond-il.Ils’estpasséuntrucdansledortoir

destransferts.Jenesaispaspourquoi,mapremièrepenséeestpourelle,quimefixedesesgrandsyeuxdansun

recoindematête.—Ils’estpasséquoi?—Jet’expliqueraienroute.

Page 77: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

J’enfilemeschaussuresetmavesteetjelesuis.—C’estl’Érudit.Leblond,meditZeke.Jeréprimeunsoupirdesoulagement.Cen’estpaselle.—Will?—Non,l’autre.—Edward.—C’estça,Edward.Ils’estfaitagresser.Aucouteau.—Ilestmort?—Non,maisilaunœilcrevé.Jem’arrête.—Quoi?Zekeconfirmed’unsignedetête.—Tuasprévenuqui?—Lesuperviseurdenuit.IlestalléinformerEric,quiaditqu’ils’enoccupait.—Benvoyons.Jeviresurladroite,àl’opposédudortoirdestransferts.—Oùtuvas?s’étonneZeke.—Edwardestdéjààl’infirmerie?demandé-jeenmeretournantpourm’éloigneràreculons.Zekefaitouidelatête.—AlorsjevaisvoirMax.

+++

L’enceintedesAudacieuxestassezcompactepourquejesacheoùviventlesgens.L’appartementdeMax est enfoui dans les couloirs du premier niveau, près d’une porte de service qui donnedirectement dehors, sur la voie ferrée. Jem’y rends d’un pas décidé, en suivant la lueur bleue del’éclairagedesécuritéalimentéparlegénérateursolaire.Jemartèlelaportemétalliqueàcoupsdepoing,réveillantMaxtoutcommeZekem’aréveillé.Au

boutdequelquessecondes,ilouvrebrusquementlaporte,piedsnus,lesyeuxhagards.—Qu’est-cequisepasse?—L’undemesnovicess’estfaitpoignarder.—Etc’esticiquetuviens?Personnen’aprévenuEric?—Si.C’estdeçaquejeveuxvousparler.Jepeuxentrer?Je lui passe sous le nez sans attendre sa réponse et j’entre dans son salon. Il allume la lumière,

révélantlebazarlepluseffrayantquej’aiejamaisvu:destassesetdesassiettessalesquitraînentsurlatablebasse,lescoussinsdusalonéparpillésdanstouslescoins,lesolgrisdepoussière.— Je veux que l’initiation redevienne ce qu’elle était avant qu’Eric n’en fasse une compétition,

déclaré-je,etjeneveuxpluslevoirdansmasalled’entraînement.—Tun’estimespassérieusementquec’estlafauted’Ericsiunnovices’estfaitattaquer?medit-il

encroisantlesbras.Niêtreenpositiond’exigerquoiquecesoit?—Si,c’estsafaute,biensûrquec’estsafaute!répliqué-je,plusfortquejen’enavaisl’intention.

S’ils n’étaient pas tous en train de se battre pour un nombre de places limité, ils ne seraient pasdésespérésaupointdes’enprendrelesunsauxautres!Àcrancommeilssont,pasétonnantqu’ilsexplosentàunmomentouàunautre!Maxgardelesilence.Ilal’airirritémaisnerejettepasd’officemonargument,cequiestundébut.—Alorsd’aprèstoi,cen’estpasl’agresseurquidevraitêtreconsidérécommecoupable?Cen’est

Page 78: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

passafauteàlui,ouàelle,plutôtquecelled’Eric?—Si,biensûrqu’ilouelleestcoupable.MaisçaneseseraitjamaisproduitsiEric…—Tunepeuxpasenêtresûr.—Autantqu’onpeutl’êtrequandonaunpeudebonsens.—Parcequemoi,jen’enaipas?gronde-t-ild’unevoixsourde.ÇamerappellesoudainqueMaxn’estpasjustelechefAudacieuxquim’apprécie,pourdesraisons

quim’échappent,maisaussi le chefAudacieuxqui collaboreavec JeanineMatthews,qui anomméEricetquiasansdouteunrapportaveclamortd’Amar.—Cen’estpascequejevoulaisdire,l’assuré-jeenessayantdemecalmer.—Tudevraisprendresoindet’exprimeravecplusdeprécision,medit-ilens’approchantdemoi.

Ouquelqu’unpourraitfinirparcroirequetutepermetsd’insultertessupérieurs.Jenerépondspas.Ilserapprocheencore.—Ouqueturemetsencauselesvaleursdetafaction.Son œil injecté de sang se pose sur mon épaule, où les flammes des Audacieux dépassent de

l’encoluredemontee-shirt.Jefaisbienattentionàcacherlessymbolesdescinqfactionsquejemesuisfaittatouer,maissoudain,demanièretotalementirrationnelle,jesuisterrifiéàl’idéequ’ilpuisseêtreaucourant.Qu’ilsachecequeçaimplique:quejenesuispasunAudacieuxmodèle,quejenecroispasàlaprédominanced’unevertu,quejesuisunDivergent.—Ont’adonnéunechancedefairepartiedeschefs,reprendMax.Tuauraispeut-êtrepuéviterce

malheureux événement si tu ne t’étais pas dégonflé comme un lâche. Mais tu t’es dégonflé !Maintenant,c’estàtoid’enassumerlesconséquences.Sonâgeselitsursonvisage.Iladesridesquin’étaientpaslàl’andernieretsapeaumateapris

uneteintegrisâtre.—EtsiEricestaussiimpliquédansl’initiation,c’estparcequeturefusaisd’appliquersesordres

l’annéedernière.C’est vrai. L’an dernier, dans la salle d’entraînement, je stoppais tous les combats avant que les

blessuresnedeviennenttropsérieuses,malgrél’ordred’Ericstipulantqu’ilsnedevaientcesserquequand l’un des adversaires n’était plus en état de continuer. Ça a failli me coûter mon posted’instructeur.Jenel’aiconservéquegrâceàl’interventiondeMax.—Etjet’aidonnél’occasiondeterattraper,sousunesupervisionrapprochée,maisc’estencoreun

échec,conclutMax.Tuesallétroploin.J’ai transpiré en courantpourvenir, et cette sueur est soudainglacée. Il fait unpas en arrière et

rouvrelaporte.—Sorsdechezmoietdébrouille-toiavectesnovices.Tun’asplusdroitaumoindrefauxpas.—Oui,monsieur,marmonné-je.Etjerepars.

+++

Lelendemainàl’aube,alorsquelesoleillevantenvoiesespremiersrayonsàtraversleplafonddeverredelaFosse,jevaisvoirEdwardàl’infirmerie.Latêtebandéeauniveaudel’œil,iln’aniungeste ni une parole. Je reste assis près de lui sans rien dire, à regarder lesminutes s’égrener surl’horlogemurale.J’aiagicommeunimbécile.Jemesuiscruinvincible,convaincuqueledésirdeMaxdemefaire

nommer chef ne faiblirait jamais, que fondamentalement, il me faisait confiance. J’ai manqué delucidité.Maxn’ajamaisrecherchéautrechosequ’unpion;mamèrem’avaitprévenu.

Page 79: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jenepeuxpasêtreunpion.Maisjenesaispastropcequejedoisêtreàlaplace.+++

LedécorplantéparTrisPriorauneespècedebeautésinistre,avecsonsoleiljaunetirantverslevertetdel’herbejaunequis’étendàpertedevue.C’est étranged’assister à la simulationdepeurdequelqu’und’autre.Çamemetmal à l’aisede

forcerquelqu’unàs’exposerenpositiondevulnérabilité,mêmequandc’estquelqu’unquejen’aimepas.Chaqueêtrehumainadroitàsessecrets.Observerlespeursdemesnoviceslesunesaprèslesautresmemetàvif,commesimapeauavaitétépasséeaupapierdeverre.DanslasimulationdeTris,pasunbrind’herbenebouge.Onpourraitcroirequ’ils’agitd’unrêve

etnond’uncauchemarsil’airn’étaitpasaussiimmobile–maispourmoi,cettefixiténepeutvouloirdirequ’unechose:lecalmeavantlatempête.Uneombreremuesurl’herbeetungrosoiseaunoirseposesursonépauleenplantantsesserres

danssontee-shirt.J’aidespicotementsdanslesdoigtsenrepensantàlamainquej’aiposéesurcetteépaulequandelleestentréetoutàl’heure,augestequej’aieupourécartersescheveuxdesoncouavantdeluifairel’injection.Ridicule.Irréfléchi.Elle frappe l’oiseauplusieurs foiset toutexplose : le tonnerregronde, leciel s’assombrit,pasà

cause de nuagesmais d’unenuéede corbeauxqui s’abattent telle une avalanche, volant de concertcommelesélémentsd’unmêmeesprit.Lebruitdesescrisestlepirebruitaumonde–elleappelledésespérémentàl’aide,etjevoudrais

désespérémentl’aider,mêmesijesaisquelasituationn’estpasréelle.Jelesais!Les corbeaux continuent d’affluer, ils l’encerclent et l’enterrent vivante sous leurs plumes. Elle

hurleà l’aideet jenepeuxpas l’aideret jeneveuxplus regarderça, jeneveuxpas regarderunesecondedeplus.Soudain,ellecessedesedébattre,s’allongedansl’herbe,sedétend.Sielleamal,ellenelemontre

pas,elleselaisseallerenfermantlesyeux,etquelquepart,c’estencorepirequesescris.Puisc’estfini.Elle se projette en avant dans le fauteuil métallique, se frappe partout pour chasser les oiseaux

fantômes.Puiselleserouleenbouleetsecachelevisage.Jetendslamainpourlaposersursonépaule,larassurer,etellemefrappeavecviolence.—Nemetouchepas.—C’estfini,dis-jeavecunegrimacededouleur.Ellen’apasdûserendrecomptedesaforce.Jeluicaresselescheveux,parcequejesuisstupide,etlourd,etstupide…—Tris.Ellesecontentedesebercerd’avantenarrière.—Tris,jevaisterameneraudortoir,OK?—Non!Jeneveuxpasqu’ilsmevoient…Pascommeça…Voilàcequecréelenouveausystèmed’Eric:unefillecourageusevientdesurmonterl’unedeses

pirespeursenmoinsdecinqminutes,uneépreuvequiexigeenmoyenneplusdudoubledetemps,etelle est terrifiée à l’idée de sortir dans les couloirs et de dévoiler une once de faiblesse ou devulnérabilité.TrisestuneAudacieusepureetdure,danscettefactionqui,elle,nel’estplusvraiment.—Oh,onsecalme…dis-jeavecplusd’impatiencequejen’enressens.Jetefaispasserparlaporte

dederrière,çateva?—Jen’aipasbesoinquetu…

Page 80: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Sesmainstremblentalorsmêmequ’ellerepoussemonoffreavecunhaussementd’épaules.—Nesoispasridicule.Jeluiprendslebraspourl’aideràselever.Elles’essuielesyeuxtandisquejel’entraîneversla

porte du fond.Un jour, c’est Amar quim’a fait passer par cette porte pourme raccompagner audortoircontremongré,commec’estsansdoutelecasdeTrisaujourd’hui.Commentpeut-onvivredeuxfoislamêmescène,dansdeuxpositionsdifférentes?Danslecouloir,elleretirevivementsonbrasetmeregardedroitdanslesyeux.—Pourquoitum’asfaitça?Àquoiçat’avance?Onnem’avaitpasprévenuequ’enchoisissantles

Audacieux,jesignaispourdessemainesdetorture!Si elle était n’importe quel autre de mes novices, je l’aurais déjà remise à sa place une bonne

dizainedefoispourinsubordination.Jemeseraissentimenacéparsesattaquespermanentessurmapersonnalité,etj’auraisessayédematerbrutalementsesrévoltes,commeavecChristinalepremierjourdel’initiation.MaisTrisagagnémonrespectensautantlapremièredanslefilet,enmedéfiantdès son premier repas ici, en ne se laissant pas démonter par la sécheresse demes réponses auxquestions,enprenantladéfensed’Aletenmefixantdanslesyeuxalorsquejelançaisdescouteauxsurelle.Ellen’estpasmasubordonnée,enrien.—Tucroyaisquesurmonterlalâcheté,ceseraitfacile?demandé-je.—Cen’estpasça,surmontersalâcheté!Lalâcheté,çaconcerneleschoixqu’onfaitdanslavraie

vie,etdanslavraievie,jenemefaispasboufferpardescorbeaux,Quatre!Elleseremetàpleurer,maisjesuistropfrappéparsesparolespourêtregênéparseslarmes.Elle

n’apprendpaslesleçonsqu’Ericveutluienseigner,maisd’autres,plussages.—Jeveuxrentrerchezmoi.Jesaisoùsontsituéeslescamérasdanscecouloir,etj’espèrequ’aucunen’aenregistrécequ’elle

vientdedire.—Êtreenmesuredepenserquandonest terrifié,dis-je, c’estune leçonque tout lemondedoit

apprendre,mêmetafamilledePète-sec.Je nourris des doutes sur de nombreux aspects de l’initiation des Audacieux, mais pas sur les

simulations;c’estlemoyenleplusefficaced’affronterlessiennesetdelessurmonter,bienplusquelelancerdecouteauoulescombats.—C’estçaqu’ontentedet’inculquer.Situn’yarrivespas,tunepourraspasresterici,parcequ’on

nevoudrapasdetoi.Jeneprendspasdegants,parcequejesaisqu’ellepeutencaisser.Etaussiparcequejenesaispas

faireautrement.—J’essaie!Maisjen’aipaspu.Jenepeuxpas.J’aipresqueenviederire.—Combiendetempscrois-tuquetuaspassédanscettehallucination,Tris?—Jenesaispas.Unedemi-heure?—Troisminutes.Tuasmistroisfoismoinsdetempsquelesautresnovices.C’esttoutsaufnul.«TupourraisbienêtreuneDivergente»,pensé-je.Maiscommeellen’arienfaitpourmodifierla

simulation,jen’aipasdecertitude.Sansdouteest-ellesimplementextrêmementcourageuse.Jeluisouris.—Tuverras,demain,tuserasmeilleure.—Demain?Elle s’est un peu calmée. Je pose unemain dans son dos, juste sous l’épaule, et on se remet en

marche.

Page 81: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—C’étaitquoi,tapremièrehallucination?medemande-t-elle.—Çan’étaitpas«quoi»,mais«qui».Avantd’avoirachevémaphrase,jesongequej’auraispuluiindiquermonpremierobstacledans

monpaysagedespeurs,levertige,mêmesiçanerépondpasexactementàsaquestion.Maisavecelle,jen’arrivepasàdosercequejediscommeaveclesautres.Àdéfautdesavoirmetaire,jeterminesurunebanalité,l’espritembrouilléparlecontactdesondos:—Çan’apasd’importance.—Ettuassurmontécettepeur-là?—Toujourspas.Onestarrivésdevant ledortoir.Lecheminnem’a jamaisparuaussi rapide. Je fourre lesmains

dansmespochespourm’empêcherderefairejenesaisqueltrucidiotavec.—Jen’yarriveraipeut-êtrejamais.—Alors,ellesnes’envontpas?—Quelquefois,si.Etquelquefois,ellessont remplacéespard’autres.Mais lebutn’estpasdese

débarrasserdetoutessespeurs.C’estuneillusion.Lebutestdelescontrôler,d’apprendreànepluslessubir.C’estçaquiestimportant.Elle hoche la tête. Je ne sais pas ce qui l’a poussée à choisir les Audacieux, mais si je devais

deviner, jediraisquec’est la liberté.LesAltruistes auraient étouffécette étincellequ’ily a enellejusqu’àl’éteindre.LesAudacieux,avectousleursdéfauts,l’ontattiséeetchangéeenflamme.— Cela dit, ajouté-je, nos vraies peurs sont rarement telles qu’elles apparaissent dans les

simulations.—Commentça?—Tuasvraimentlatrouilledescorbeaux?Quandtuenvoisun,tutesauvesenhurlant?—Non.Tuasraison.Elle s’approche de moi. J’étais plus tranquille quand il y avait davantage d’espace entre nous.

Encoreunpeuplusprèsetjenepensequ’àlatoucher.J’ailabouchesèche.Ilnem’arrivequasimentjamaisdepenserauxgens,auxfillesplusexactement,souscetangle-là.—Alorsdequoij’aipeur,envrai?demande-t-elle.—Jenesaispas.Iln’yaquetoiquipuissesledécouvrir.—Jen’imaginaispasqueceseraitsidifficilededeveniruneAudacieuse.Jemeréjouisqu’ellemefournisseunnouveausujet;çamedistrairadel’idéequ’ilseraitsifacile

decalermamainaucreuxdesesreins.—Ilparaîtqueçan’apastoujoursétécommeça.Jeveuxdire,d’êtreunAudacieux.—Qu’est-cequiachangé?—Leschefs.LesrèglesdecomportementchezlesAudacieuxsontétabliesparceuxquicontrôlent

la formation. Il y a six ans,Maxet les autres chefsontmodifié lesméthodespour les rendrepluscompétitives,plusbrutales.Avant,lescombatsn’occupaientqu’unepartnégligeabledel’entraînement,etiln’étaitpasquestion

desebattreàmainsnues.Lesnovicesportaientdesprotectionsrembourrées.L’accentétaitmissurlaforcephysiqueetlatechnique,etsurl’espritdefraternitéentrenovices.Plusrécemment,quandj’étaisnovice,çasepassait tou-joursmieuxqu’aujourd’hui ;pasd’éliminatoires, tous lesnovices avaientleurplaceàlafindel’initiation,etlescombatscessaientsursimpledemandedel’undesadversaires.—L’objectifétaitsoi-disantdemettreàl’épreuvelaforcedesgens.Etçaachangél’ensembledes

prioritésdesAudacieux.Devinequiestlenouveauprotégédeschefs.Elledevinetoutdesuite,biensûr.

Page 82: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Situesarrivépremier,Ericestarrivéàquelleplacedansleclassement?—Deuxième.—Donciln’auraitpasdûêtredésignéchef.Iln’étaitqu’undeuxièmechoix.C’esttoiquiauraisdû

l’être.Maligne.Jenesaispassij’étaisvraimentlechoixinitial,maisj’auraisclairementfaitunmeilleur

chefqu’Eric.—Qu’est-cequitefaitpenserça?—Sonattitudelepremiersoiraudîner.Ilsecomportaitcommequelqu’undejaloux,alorsmême

qu’ilaeucequ’ilvoulait.Jen’avais jamaisenvisagé leschosessouscetangle.Eric, jaloux?Dequoi?Jene luiai jamais

rienpris,jen’aijamaisreprésentéunevraiemenacepourlui.C’estluiquinousaremplacés,Amaretmoi.Maispeut-êtrequ’ellearaison,quejen’aipasmesurésafrustrationd’arriverdeuxièmederrièreunPète-sec,aprèstoutlemalqu’ils’étaitdonné,oudufaitqueMaxmeprivilégiepourunpostepourlequelilétaittoutdésigné.Triss’essuielevisage.—Çasevoitquej’aipleuré?Laquestionmeparaîtpresquedrôle.Ses larmesontdisparuquasimentaussivitequ’ellesétaient

venueset ellea retrouvé son teintclair, sesyeux limpideset sescheveux lisses.Commesi riennes’étaitpassé–commesiellenevenaitpasdepassertroisminutessubmergéeparlaterreur.Elleestplusfortequejel’étais.—Voyons…Jemepencheversellepourl’examiner,commepourplaisanter,saufquejeneplaisantepasetque

jemetienstoutprèsd’elle,respirantlemêmeairqu’elle.—Non,Tris.Tuasl’air…(j’emprunteuneexpressiond’Audacieux)d’unedureàcuire.Elleaunpetitsourire,etmoiaussi.

+++

—Salut,me fait Zeke d’un ton endormi, la tête appuyée sur son poing.Tume remplaces ? Ilmefaudraitdelacollepourgarderlesyeuxouverts.— Désolé, mais j’ai juste besoin d’un ordinateur. T’es au courant qu’il n’est que vingt et une

heures,j’imagine?Ilbâille.—Çamefaitceteffet-làquandjem’ennuiecommeunratmort.Bonnenouvelle,j’aibientôtfini.J’adorel’ambiancedelasalledecontrôlelanuit.Iln’yaquetroiscontrôleurs,etleseulbruitestle

ronronnementdesordinateurs.Jenevoisqu’unmincecroissantdeluneparlafenêtre,toutleresteestplongédanslenoir.Cen’estpasévidentdetrouveruncointranquilledansl’enceintedesAudacieux,etc’estdanslasalledecontrôlequej’yparviensleplussouvent.Zekeseretourneverssonécran.Jem’assoisquelquesplacesplusloinetjetourneunpeul’écran

versmoi.J’ouvreunesession,enmeservantdufauxnomd’utilisateurquej’utilisedepuisplusieursmoispourquepersonnenepuisseremonterjusqu’àmoi.Une fois connecté, j’ouvre le programme qui me permet de consulter les fichiers de Max à

distance.Ilmetunesecondeàs’activer,puisc’estcommesij’étaisassisàsonbureau.Je travaille vite, méthodiquement. Comme il nomme ses fichiers avec des nombres, je dois les

ouvrir tous, fautedepouvoirdéduirecequ’ilscontiennent.Laplupart sontanecdotiques,des listesd’Audacieuxetdescalendriersd’événements.Jelesrefermeaussitôt.

Page 83: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jem’enfonce dans les dossiers, fichier par fichier, et je finis par tomber sur quelque chose debizarre.Une listedefournitures,maisquineconcerneni lanourriture,ni l’habillement,ni rienenrapport avec le quotidien des Audacieux. Il s’agit d’armes. De seringues. Et d’un mystérieux «sérumD2».Jenepeuximaginerqu’unechosequinécessitequelesAudacieuxs’équipentd’autantd’armes:une

attaque.Maiscontrequi?Lestempesbattantes,jebalaielapièceduregard.Zekejoueàunpetitjeuvidéoqu’ilaconçului-

même. Le deuxième opérateur est affalé sur le côté, les yeux mi-clos. Le troisième tournedistraitementsapailledanssonverreenregardantparlafenêtre.Personnenes’occupedemoi.J’ouvrelesfichierssuivants.Aprèsquelquesessaisinfructueux,jetombesurunecarte.Lesseules

indicationsqu’elleporteétantdeschiffresetdeslettres,jenecomprendspastoutdesuitecequ’ellereprésente.J’ouvreunecartede laville tiréede labasededonnéespourcomparer lesdeux,et jeme laisse

allerenarrièrecontremondossierendécouvrantsurquellesruesestcentréelacartedeMax.LesecteurdesAltruistes.L’attaqueseradirigéecontrelesAltruistes.

+++

Biensûr.C’estuneévidence.Quid’autreMaxetJeanineprendraient-ilslapeined’attaquer?C’estauxAltruistesqu’ilsenveulent,etcen’estpasnouveau.J’auraisdûlecomprendrequandlesÉruditsontrendupubliquel’histoiresurmonpère,marietpèredénaturé.Laseulechosevraiequ’ilsaientécrite,àmaconnaissance.Zekemetapotelajambeduboutdupied.—J’aifini.Onvasecoucher?—Non,dis-je.J’aibesoind’unverre.Ça le réveille. Ce n’est pas tous les soirs que je décide d’abandonnerma vie d’ermite pourme

laisserallerauxvicesdesAudacieux.—Jesuistonhomme!s’exclame-t-il.Jefermeleprogramme,moncompte,tout.J’essaiedelaisserl’informationsurl’attaquederrière

moiaveclereste,letempsdetrouverquoienfaire,maisellemepoursuitdansl’ascenseurettoutlelongducheminjusqu’aubasdelaFosse.

+++

J’émergedelasimulationavecunpoidssurl’estomac.J’enlèvelesélectrodescolléessurmonfrontet jeme lève.Haletante, lesmains tremblantes, elle sedébat encoreavec la sensationqu’elle va senoyer.Jel’observeunmomentencherchantmesmots.—Quoi?medemande-t-elle.—Commentas-tufaitça?—Quoi?—Briserleverre?—J’ensaisrien.Jeluitendslamainenhochantlatête.Elleselèvesansdifficulté,maisenfuyantmonregard.Ilya

unecamérajusteenfacedenousdanslasalle.Unemainautourdesoncoude,jel’entraînedehors,dansunanglemortoùjesaisqu’onnerisquerapasd’êtreobservés.—Qu’est-cequ’ilya?s’énerve-t-elle.

Page 84: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—TuesuneDivergente.Jen’aipasété trèssympaavecelleaujour-d’hui.Hier soir, je l’aicroiséeavecsesamisprèsdu

gouffre,etsous l’effetd’uncoupdefoliepassager–oude l’alcool–, jemesuispenché tropprèspour lui dire qu’elle était jolie. J’ai peur d’être allé un peu loin. Et je suis encore plus inquietmaintenant,maispourd’autresraisons.Elleabriséleverre.C’estuneDivergente.Elleestendanger.Ellemedévisage.Puiselles’adosseaumur,dansuneposenonchalantepresquecrédible.—C’estquoi,unDivergent?—Nefaispasl’idiote.J’aidéjàeudesdoutesladernièrefois,maislà,c’estclair.Tuasmanipuléla

simulation; tuesuneDivergente.Jevaiseffacerl’enregistrement,maissi tunetienspasàfiniraufond du gouffre, tu as intérêt à le cacher pendant les exercices. Maintenant, si tu veux bienm’excuser…Je retournedans la sallede simulationen refermant laportederrièremoi.Enunclind’œil, j’ai

effacé les images – il suffit d’appuyer sur quelques touches et hop, tout est propre. Je vérifie sondossierpourm’assurerqu’ilnerestequelesdonnéesdelapremièresimulation.Ilnemeresteplusqu’àexpliqueroùsontpasséescellesdecettesession-ci.ÀtrouverunmensongeplausiblepourMaxetEric.Envitesse,jesorsmoncanifetjel’insèreentrelespanneauxquirecouvrentlacartemèrepourles

écarter.Puisjevaisàlafontaineàeauetjemeremplislabouche.Deretourdanslasalle,jerecrachedoucementunpeud’eaudansl’intersticeentrelespanneaux,je

reprendsmoncanifetj’attends.Uneminute plus tard, l’écran s’assombrit.Le siège desAudacieux est unegrotte humide– c’est

dingue,çafuitdepartout,ici.+++

J’étaisàboutderessources.J’aicontactémamèreparlebiaisdusans-factionquim’adéjàservidemessagerladernièrefois.

Je lui ai donné rendez-vous dans le dernier wagon du train qui passe à vingt-deux heures quinzedevantlesiègedesAudacieux.Jesupposequ’ellesaurametrouver.Assisdosàlaparoiduwagon,jeregardedéfilerlaville.Lestrainsdenuitsontpluslentsqueceux

dejour;onvoitmieuxlafaçondontl’architecturesemodifieàmesurequ’onapprocheducentre-ville,oùlesimmeublesdeviennentplushauts,plusétroits,oùlestoursdeverresemêlentauxbâtissesenpierrepluspetitesetplusanciennes.Commesiplusieursvilless’étaientsuperposées,coucheaprèscouche.Quandletrainatteintlesquartiersnord,jevoisquelqu’uncourirlelongduquai.Jemelèveenme

tenant à la poignée et Evelyn déboule dans lewagon, vêtue d’une veste d’Audacieuse, d’une robed’ÉruditeetdebottesdeFraternelle.Sescheveuxattachésaccentuentencorelasévéritédesonvisage.—Salut,medit-elle.—Salut.—Chaquefoisquejetevois,tuesplusgrandquelafoisd’avant.Jesupposequeçanesertàrien

detedemandersitumangescorrectement.—Jepourraisteposerlamêmequestion,répliqué-je,maispourd’autresraisons.Jesaisqu’ellenesenourritpasbien.C’estunesans-faction,etlesAltruistes,soumisàlapression

desÉrudits,neleurapportentpluslemêmesoutienqued’habitude.

Page 85: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jeluitendsmonsacàdos,bourrédeboîtesdeconservequejesuisallépiocherdansnosréserves.—C’estjustedelasoupeetdeslégumes,maisc’estmieuxquerien,précisé-je.—Quiaditquej’avaisbesoindetonaide?medemandeprudemmentEvelyn.Jemedébrouilletrès

bientouteseule,figure-toi.— C’est pas pour toi, c’est pour tes gringalets d’amis. À ta place, je ne refuserais pas de la

nourriture.—Jenelarefusepas,dit-elleenprenantlesac.Jen’aipasl’habitudequetutesouciesdemoi,c’est

tout.C’estunpeudéroutant.—Jeconnaisça,rétorqué-jefroidement.Tuasmiscombiendetempsavantdetedemanderceque

jedevenais?Septans,c’estça?Ellesoupire.—Situm’asdemandédevenirpourrepartirlà-dessus,jecroisquejenevaispasm’attarder.—Non,cen’estpaspourça.Enfait,jen’avaisaucuneintentiondelacontacter,maisjesavaisquejenepouvaispasparleràun

Audacieux du projet d’attaque contre lesAltruistes – je nemesure pas bien leur degré de loyautéenversleurfactionetsapolitique.Pourtant,ilfallaitquejelediseàquelqu’un.Ladernièrefoisquej’ai parlé à Evelyn, elle semblait être au courant de choses que j’ignorais. Je me suis dit qu’ellesauraitpeut-êtrecommentm’aider,avantqu’ilnesoittroptard.Çacomporteunrisque,maisjenevoispasquoifaired’autre.—J’aigardéunœilsurlesfaitsetgestesdeMax,cesdernierstemps,dis-je.Tum’avaisditqueles

ÉruditsétaientenrelationaveclesAudacieux,ettuavaisraison.Ilstrafiquentquelquechose.MaxetJeanine,etjenesaisquid’autre.Je luiexpliqueceque j’ai trouvédans l’ordinateurdeMax.Je lui raconteceque j’aiobservé, le

comportementdesÉruditsvis-à-visdesAltruistes,lesrapportsécritsqu’ilsfontsureux,lafaçondontilsempoisonnentlecerveaudesAudacieuxcontrenotreanciennefaction.Quand j’ai terminé, elle ne manifeste aucune surprise, ni même de l’inquiétude. Je ne sais pas

commentinterprétersonexpression.Aprèsunsilence,ellemedemande:—Tusaisquandçaauralieu?—Non.—Tuasdeschiffres?Surlenombredepersonnesqu’ilscomptentenvoyer,parexemple?Tusais

oùilspensentlesrecruter?—Non,aucuneidée,avoué-je,unpeuirrité.Etàvraidire,jem’enfiche.Quelquesoitlenombre

derecrues,lesAltruistesseferontécraserenquelquessecondes.Ilssonttotalementincapablesdesedéfendre.Mêmes’ilslepouvaient,ilsn’essaieraientmêmepas,enplus.— Je savais que quelque chose se préparait, dit Evelyn, le front plissé. Les lumières restent

allumées en permanence au siège des Érudits, maintenant. Ça montre qu’ils ne craignent plus des’attirerdesennuisauprèsdeschefsducon-seil…etqu’ilssontdeplusenplusdanslacontestation.—Bon,commentonlesprévient?—Quiça?—LesAltruistes!m’emporté-je.CommentonprévientlesAltruistesqu’ilsvontsefairetuer,etles

Audacieuxqueleurschefsconspirentcontreleconseil,etles…Jem’interromps.Evelynresteimmobile,lesbraslelongducorps,levisageneutre.«Notreville

change, Tobias. »Voilà ce qu’ellem’a dit la première fois qu’on s’est revus. «D’ici peu, tout lemondedevrachoisirsoncamp.»— Tu le savais, articulé-je lentement, en m’efforçant de digérer la vérité. Tu savais qu’ils

Page 86: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

projetaientquelquechosedecegenre,etdepuisunmoment.Tul’attendais.Tul’espérais.—Jen’aiaucuneaffectionpour lesAltruistes.Jenetienspasàcequ’ilscontinuentàgérercette

ville et ceuxquiyvivent.Ni eux,ni aucuneautre faction.Siquelqu’un seproposed’éliminermesennemis,cen’estpasmoiquivaisl’enempêcher.—Jen’arrivepasàycroire.IlsnesontpastouscommeMarcus,Evelyn!Ilssontsansdéfense!—Situlescroissiinnocents,c’estquetunelesconnaispas,réplique-t-elle.Moi,jelesconnais.

J’aivuleurvraivisage.Elleaparléd’unevoixbasse,gutturale.—Commentcrois-tuquetonpèreaputementirtoutescesannées?EtlesautresAltruistes,ilsne

l’ontpasaidé?Ilsn’ontpasentretenucemensonge?Ilssavaientquejen’étaispasenceinte,quelemédecinn’avaitpasétéappelé,qu’iln’yavaitpasdecorps.Est-cequeça lesaempêchésde tedirequej’étaismorte?Jen’yavaisjamaisréfléchi.Iln’yavaitpasdecorps.Etpourtant,touscesgensassischezmonpère

cematin-là, et le lendemain soir à l’enterrement, ont joué le jeu pourmoi et pour le reste de lacommunauté,affirmantparleursilence:«Personnenepartiraitdecheznousdesonpleingré.Quiferaitunechosepareille?»Jenedevraispasêtreaussisurprisdedécouvrirqu’unefactionpeutêtrepleinedementeurs.Ilfaut

croirequeparcertainscôtés,j’aigardémanaïvetéd’enfant.Maislà,ellevoleenéclats.—Réfléchis,poursuitEvelyn.As-tuvraimentenvied’aiderdesgenscapablesdedireàunenfant

quesamèreestmorterienquepoursauverlaface?Oupréférerais-tuqu’ilsperdentleurpouvoir?Ces innocents Altruistes, toujours dévoués, toujours à hocher poliment la tête, je pensais qu’il

fallaitlessauver.Maiscesmenteurs,quim’ontplongédanslapeine,quim’ontabandonnéauxmainsd’unhomme

quimefaisaitdumal,doivent-ilsl’être?Jen’arrivepasàlaregarderdanslesyeux.Jeprofitequ’untrainpasselelongduquaipourysauter

sansmeretourner.+++

—Neleprendspasmal,maistuasvraimentunesaletête,aujourd’hui.Shaunaposesonplateausurlatableets’affalesurunechaiseàcôtédemoi.J’ailasensationquela

conversationd’hieravecmamèreaprovoquéunesorted’explosionassourdissante,etdepuis, tousles autres bruits sont étouffés. J’ai toujours su quemon père était cruel.Mais j’ai toujours cru àl’innocencedesautresAltruistes;aufond,jemesuistoujoursjugéfaibled’êtreparti,unpeucommesij’avaistrahimespropresvaleurs.Maintenant,ondiraitquequoiquejedécide,jetrahiraiquelqu’un.SijeprévienslesAltruistes,je

trahislesAudacieux.Sijenelesprévienspas,jetrahismonanciennefaction,pourladeuxièmefois,et bienplusgravementque lapremière. Jevais êtreobligédeprendreunedécision et çame rendmalade.J’aiaffrontéla journéed’aujourd’huidelaseulemanièrequejeconnaisse : jemesuis levéet je

suisallétravailler.J’aiaffichélesclassements–quiontétéunesourcedeconflit,Ericprivilégiantlarégularitéetmoi, lesprogrès.Jesuisvenuàlacafétéria.J’aiaccomplitouslesgestesduquotidienparpurautomatismemusculaire.—Alors,tumangesoupas?medemandeShaunaenmontrantmonassiettepleine.Jehausselesépaules.

Page 87: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Chaispas.Voyantqu’ellevamedemandercequinevapas,jechangedesujet:—EtpourLynn,commentçasepasse?—Tuesmieuxplacéquemoipourlesavoir.C’esttoiquivoissespeursettoutça.Jemedécideàmanger,ensilence.—Queleffetçafait?medemande-t-elleprudemmentenhaussantunsourcil.Devoirlespeursdes

autres,jeveuxdire.—Tusaisquejen’aipasledroitd’enparler.—C’estunerègledesAudacieuxouunerègleàtoi?—Qu’est-cequeçachange?Ellesoupire.—C’estjustequeparmoments,j’ail’impressiondenepasconnaîtremasœur.Onterminenotrerepasensilence.C’estcequej’aimelepluschezShauna:ellen’éprouvepasle

besoinderemplirlesvides.Alorsqu’onsortdelacafétéria,Zekenoushèledepuisl’autreboutdelaFosse:—Hé!Çavousditd’allercognersuruntruc?Ilfaittournoyerunrouleaudebandageautourdesonindex.—Oui!répond-onenchœur.Onprendladirectiondelasalled’entraînement,etShaunaenprofitepourluifaireunrapportsur

sasemaineàlaClôture:—Avant-hier, lecrétinquipatrouillaitavecmoiapétéuncâbleets’estmisà tirerdans tous les

sens.Ilétaitsûrd’avoirvuuntruc.Aufinal,c’étaitunfoutusacenplastique!ZekeaglissésonbrasautourdesépaulesdeShauna,etjetâchedemeteniràl’écartpournepasles

déranger.Quandonapprochedelasalle,ilmesembleentendredesvoixàl’intérieur.Perplexe,jepoussela

porteduboutdupiedaumomentoùretentituncoupdefeu,etjetombesurLynn,Uriah,Marlene…etTris.Cettecollisionentredeuxuniversmeprendunpeudecourt.—Ilmesemblaitbienavoirentendudubruitici,dis-je.Uriah vient de tirer sur une cible avec l’un des pistolets à balles en plastique avec lesquels les

Audacieuxaimentbiens’amuser–commejesaisqu’iln’enapas,jesupposequec’estceluideZeke.Marlene m’accueille avec un grand sourire et un signe de la main, tout en mâchouillant quelquechose.—Surprise,c’estmoncrétindefrère,ditZeke.Hélesnovices,vousn’avezpasledroitdevenirici

toutseuls.Faitesgaffe,siQuatrevaledireàEric,vousêtesmorts.Uriah remise l’arme dans sa ceinture sans remettre le cran de sécurité. Il a des chances de se

retrouver avec un hématome sur la fesse quand la balle en caoutchouc filera dans son pantalon.J’ometsvolontairementdeleluisignaler.Jeleurtienslaporte.Aumomentdesortir,Lynns’arrête:—Dis,tunevaspasnousbalanceràEric?—Non,soupiré-je,jenevaispasvousbalancer.AlorsqueTrispassedevantmoi,mamaintrouvesaplacespontanémentaucreuxdesondos,entre

sesomoplates.Jenepourraismêmepasdiresijel’aifaitexprès.Etaufond,jem’enfiche.Lesautress’éloignentdanslecouloiretnotreprojetdeséanceensalled’entraînementestoublié,

tandisqueZekesemetàsechamailleravecUriahetqueShaunaetMarlenesepartagentlerested’unmuffin.

Page 88: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Attendsuneminute,dis-jeàTris.Ellesetourneversmoid’unairinquietetj’essaiedelarassurerparunsourire–mêmesij’aiun

peudemalàsourireaujourd’hui.J’aisentiunecertaine tensiondans lasalled’entraînement,enaffichant leclassement. Ilnem’est

pas venu à l’esprit une seconde, en fai-sant les comptes, que je pourrais la sous-noter pour laprotéger.Lamettreplusbasdanslalisteauraitétéfaireinjureàsescompétencesensimulation;maiselleauraitpeut-êtrepréférécelaaufosséquisecreuseentreelleetlesautrestransferts.Au fond, je sais que non, malgré sa pâleur et son air épuisé, ses ongles rongés et son regard

hésitant.Jamaiscettefillenesouhaiteraitsefondretranquillementdanslamasse;jamais.—Tuastaplaceici, tulesais,ça,luidis-je.Tuastaplacecheznous.Ceserabientôtfini.Alors

accroche-toi,OK?J’ai un coup de chaud dans la nuque, tout à coup, et je me mets à me gratter nerveusement,

incapabledecroisersonregard,bienquejelesentesurmoitandisquelesilenceseprolonge.Soudain,ellemeprendlamainetjelafixe,surpris.Jeglissemesdoigtsentrelessiensetjeserre

samain,doucement.Malgrémafatigueetmonémoi,jeprendsconsciencequesijel’aidéjàtouchéeunedemi-douzainedefois–àchaquefoisdansunélanirréfléchi–c’estlatoutepremièrefoisqueçavientd’elle.Auboutd’unlongmoment,elleretiresamainetpartencourantrejoindrelesautres.Etjerestedanslecouloir,àsouriretoutseulcommeunimbécile.

+++

Pendantpresqueuneheure,j’essaiedetrouverlesommeilenmeretournantsousmescouverturesàla recherche de la bonne position.Mais on dirait que monmatelas a été remplacé par un sac decailloux.Oubienc’estmatêtequibouillonnetroppourquejem’endorme.Jefinisparrenoncer.Jem’habilleetjeprendsladirectiondelaFosse,commetoujoursquandj’ai

une insomnie. J’envisage un instant de repasser dansmon paysage des peurs, mais j’ai oublié derenouvelermonstockdesérumdansl’après-midietceseraitcompliquéd’enobteniràcetteheure-ci.Alors je me rends à la salle de contrôle, où Gus me salue par un grognement. Les deux autresmembresdel’équipeprésentsnes’aperçoiventmêmepasdemonarrivée.Jen’essaiepasderouvrirlesfichiersdeMax–jesaisdéjàquequelquechosedegraveseprépareetquejenesuispasfichudedécidersijevaistenterdel’empêcher;jenevoispascequej’entireraisdeplus.J’aibesoindequelqu’unavecquipartagerça,quimedisequoifaire.Maisjenetrouvepersonneà

quiconfierunsujetpareilparmimesamis.IlssontnésetontétéélevéschezlesAudacieux;qu’est-cequimeditqu’ilsneferaientpasconfianced’officeàleurschefs?Jen’aiaucunegarantie.Allezsavoirpourquoi,levisagedeTrism’apparaît,àlafoisouvertetgrave,tandisqu’ellepresse

mamaindanslecouloir.Jefaisdéfilersurmonécranlesimagesdesruesdelavilleavantdereveniràcellesdel’enceinte.

Laplupartdescouloirssontsisombresquejen’yverraisriendetoutefaçon.Dansmoncasque,jen’entends que le grondement de l’eau dans le gouffre et le sifflement du vent dans les allées. Lementoncalédansunemain,jesoupireenregardantpasserlesimageslesunesaprèslesautres,etjefinisparm’assoupir.—Vatecoucher,Quatre,meditGusàl’autreboutdelasalle.Jemeréveilleensursautetj’acquiesce.Sicen’estpaspourobserverlesimages,çanesertàrien

derester ici.Jemedéconnecteet jeprendslecouloirverslesascenseursenclignantdespaupièrespourmeréveiller.

Page 89: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

En traversant l’entrée, j’entends un cri venant d’en bas de la Fosse. Ce n’est pas le cri d’unAudacieuxenjoué,nidequelqu’unquisedélecteraitd’unfrissondepeur,maisbienleton,l’accentimmanquablesd’uncrideterreur.Jecoursjusqu’enbasde laFosseendispersantdesgravierssousmessemelles, lesouffle lourd,

rapide,maisstable.Trois hautes silhouettes vêtues de sombre se tiennent en bas près de la rambarde au-dessus du

gouffre, encerclant quelqu’un de plus petit. Même si je ne distingue pas grand-chose, je saisreconnaîtreunebagarrequandj’envoisune.Oucequipourraits’appelerainsis’ilsn’étaientpasàtroiscontreun.L’undesagresseursfaitvolte-face,merepèreetdétale.Enm’approchant, jem’aperçoisque l’un

desdeuxautressoulèvesavictimeparlagorgeau-dessusdelarambardeetjecrie:—Hé!Jevoisunemassedecheveuxblonds,etjenevoisplusriend’autre.Jepercutel’undesassaillants–

Drew,que je reconnaisparcequ’ilest roux–et je lepousseviolemmentcontre la rambarde. Je lefrappe, une, deux, trois fois au visage, il s’effondre et je continue à coups de pied, incapable depenser.—Quatre.Elleaparléd’unevoixbasse, rauque,etc’est laseulechosequiavaitunechancedem’atteindre.

Elle est suspendue à la rambarde, au-dessus du gouffre, comme un appât au bout d’un hameçon.L’autre,ledernieragresseur,afilé.Je coursvers elle, je l’attrape sous les aisselles et je lahissepar-dessus la rambarde. Je la tiens

contremoietellepressesonvisagesurmonépaule,agrippéeàmontee-shirt.J’entendsDrewgeindre,toujoursrecroquevilléparterre,tandisquejeparsenlaportantdansmes

bras–pasàl’infirmerie,oùceuxquis’ensontprisàelleviendraientlachercherenpremier,maischezmoi,dansmapetitealléeretirée.J’ouvremaported’uncoupd’épauleetjeladéposesurmonlit.Jepasselamaindoucementsursonnezetsespommettespourvérifierqu’ellen’ariendecassé,jeluiprends le pouls et jeme penche pour écouter sa respiration. Les deux semblent calmes, réguliers.Mêmelagrossebosseérafléequ’elleaderrièrelatêtesemblebénigne.Ellen’ariendegrave.Maiselleauraitpu.Je recule, lesmains tremblantes.Elle n’a rien de grave,maisDrew, peut-être que si. Je ne sais

mêmepascombiendefoisjel’aifrappéavantqu’ellenemesortedematranseenprononçantmonnom.Lerestedemoncorpssemetàtrembleraussi,etaprèsavoircalémonoreillersoussatête,jereparsàlaFosse.Enchemin,j’essaiedemerepassercesminutes,demerappeleroùetavecquelleforcej’aifrappé,maistouts’estdissousdansmonaccèsderageaveugle.« Jeme demande si ça lui faisait lemême effet, à lui », songé-je en revoyant le regard fou de

Marcuschaquefoisqu’ilperdaitlamaîtrise.Quandj’arriveàlarambarde,Drewyesttoujours,repliésurlui-mêmedansunedrôledeposition

fœtale. Je le soulève en passant l’un de ses bras autour de mes épaules et je le traîne jusqu’àl’infirmerie.

+++

Enregagnantmonappartement,jefiledirectementàlasalledebainpourlavermesmainspleinesdesang–jemesuisécorchélesarticulationsenfrappant.AvecDrew,ilyavaitforcémentPeter.Maisquiétaitletroisième?PasMolly;c’étaitquelqu’undeplusgrand,depluscostaud.Enfait,iln’yaqu’unnovicedecettetaille.

Page 90: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Al.Jem’examine dans lemiroir, comme si des petits bouts deMarcus allaientm’y renvoyer mon

regard.J’aiunecoupureaucoindelabouche–Drewa-t-ilripostéàunmomentouunautre?Peuimporte.Etpeuimportemontroudemémoire.L’essentiel,c’estqueTrisrespire.Je laissemesmains sous l’eaudu robinet jusqu’à cequ’elle soit limpide, je les essuie et jevais

chercherunpackdeglacedansleréfrigérateur.Enmeretournant,jem’aperçoisqu’elleestréveillée.—Tesmains,dit-elle.C’estvraimentunréflexeridicule, idiot,des’inquiéterpourmesmainsalorsqu’ilyaunedemi-

heure,elleétaitpriseàlagorge,suspendueau-dessusdugouffre.—Net’occupepasdemesmains,répliqué-jesèchement.Jeme penche sur elle pour glisser le pack de glace sous sa tête, là où j’ai senti la bosse tout à

l’heure.Ellelèvelamainetm’effleurelaboucheduboutdesdoigts.Jen’auraisjamaiscruqu’unsimplecontactphysiquepouvaitavoirceteffet-là,celuid’unesecousse

électrique.Sesdoigtssontdoux,emplisdecuriosité.—Tris,dis-je,sesdoigtstoujourssurmabouche.Jen’airien.—Qu’est-cequetufaisaislà-bas?—Jerentraisdelasalledecontrôle.J’aientenducrier.—Qu’est-cequetuleurasfait?—J’aidéposéDrewàl’infirmerieilyaunedemi-heure.PeteretAlsesontenfuis.Drewaprétendu

qu’ilsvoulaientjustetefairepeur.Jecroisquec’estcequ’ilessayaitdedire,entoutcas.—Tul’asamoché?—Ils’enremettra.Onverrabiendansquelétat.Jenedevraispasluilaisservoircettefacettedemoi,cellequitireunplaisirférocedeladouleurde

Drew.Jenedevraismêmepasavoircettefacette.Ellerefermeunemainsurmonbrasetserre.—Bienfaitpourlui.Je la dévisage.Elle aussi, elle a cette facette-là, forcément. J’ai vu son expression quand elle se

battait avecMolly, son air déterminé à continuer de frapper quel que soit l’état de son adversaire.Peut-êtrequ’onestpareils,touslesdeux.Sonvisages’altère,sabouchesetordetellesemetàpleurer.D’habitude,voirquelqu’unpleurer

m’oppresse,commesijedevaisfuirpourtrouverdel’oxygène.Avecelle,jeneressenspascela.Jen’ai pas peur qu’elle attende trop de moi, ni qu’elle ait besoin que je fasse quoi que ce soit enparticulier.Jem’agenouillepourmemettreàsonniveauetjel’observeattentivement.Puisjeposemamain sur sa joue,doucement,pournepasappuyer sur sescontusionsqui continuentd’enfler.Monpouceeffleuresapommette.Sapeauesttiède.Àcet instant, j’accepte lecaractère inéluctabledeceque j’éprouve,mêmesicelanemeprocure

aucunejoie.J’aibesoindequelqu’unàquiparler,àquifaireconfiance.Etquellequesoitlaraison,jesaisquec’estelle.Jevaisdevoircommencerparluidiremonvrainom.

+++

Dans laqueuedupetitdéjeuner, jemeglisseavecmonplateauderrièreEric,quiesten traindeseservirdesœufsbrouillés.— Si je te disais qu’un novice s’est fait attaquer cette nuit par plusieurs autres, dis-je, ça

t’intéresserait,oumêmepas?

Page 91: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Ilpoussesesœufssurleborddesonassietteenhaussantuneépaule.— Ce qui pourrait m’intéresser, c’est qu’un instructeur soit incapable de contenir ses novices,

réplique-t-iltandisquejemesersunboldecéréales.Ilregardemesjointuresécorchées.—Ce qui pourraitm’intéresser, reprend-il, c’est que cette attaque hypothétique soit ladeuxième

soussaresponsabilité…alorsquelesnatifsn’ontpasl’aird’avoirdeproblèmes.—C’est logiquequ’ilyaitplusde tensionsentre les transferts– ilsneseconnaissentpas, ilsne

connaissentpaslafactionetilsviennentd’horizonstrèsdifférents.Etentantquechef,cen’estpastonrôledeles«contrôler»?Ildéposeunetranchedepaingrilléàcôtédesesœufs,sepencheàmonoreilleetsiffleentreses

dents:—Tuessurlamauvaisepente,Tobias.Tutedisputesavecmoienpublic.Tu«perds»desrésultats

de simulation. Tu favorises très clairement les plus faibles dans les classements. Même Max estd’accord avecmoi,maintenant. Si un novice s’était fait attaquer, je doute qu’il te féliciterait, et ilpourraitbienm’écoutersijeluisuggéraisdetedémettredetesfonctions.—Auquelcasilvousmanqueraituninstructeurhuitjoursavantlafindel’initiation.—Jemedébrouilleraistrèsbiensanstoi.—Jevoisçad’ici,dis-jeenplissantlesyeux.Entrelesmortsetlesabandons,iln’yauraitmême

plusbesoindeprocéderàdeséliminatoires.Ericsetourneversmoiavantdequitterlafiled’attente.— Tu devrais faire attention à toi ou tu n’auras plus l’occasion de voir grand-chose. Un

environnementcompétitifprovoqueforcémentdestensions,Quatre.Ilfautbienqu’elless’évacuent.Sonpetitsouriretiresursapeauautourdesespiercings.—D’ailleurs,uncombatensituationréelleauraitl’avantagedenousfairedistinguerlesplusforts

desplusfaibles,non?Mêmeplusbesoindes’enremettreàdesrésultatsdetestscommemaintenant.Onpourraitdéterminerdemanièreplusfiablequin’apassaplacecheznous.Enfin…siagressionilyavait.Lesous-entenduestclair:entantquevictime,Trisseraitperçuecommeplusfaiblequelesautres

novices et ferait une cible de choix pour l’élimination. Et loin de voler à son secours, Eric enprofiteraitpourdemandersonexpulsiondechezlesAudacieux,commeill’afaitpourEdwardavantquecelui-cinedécidedepartirdelui-même.JeneveuxpasqueTrisdevienneunesans-faction.— Absolument, fais-je d’un ton léger. Enfin, une chance qu’aucune agression n’ait eu lieu

récemment.Jeversedu lait surmescéréaleset jemedirigeversma table.Ericneprendrapasde sanctions

contrePeter,DrewetAlet,demoncôté,jenepeuxrienfairesansoutrepassermesfonctionsetensubirlesconséquences.Celadit,jepeuxpeut-êtretrouverdel’aidesurcecoup-là.—J’aibesoindevouspouruntruc,dis-jeenm’asseyantentreZekeetShauna.

+++

Unefoislesnovicesinstruitssurlepaysagedespeursetexpédiésàlacafétériapourledéjeuner,jeprendsPeteràpartdanslasalled’observationcontiguëàlasalledesimulation.Outrelesrangéesdechaisesdestinéesauxnovicesquiattendentdepasserleurtestfinal,s’ytrouventdéjàZekeetShauna.—Ilfautqu’onaitunepetiteconversation,dis-je.ZekesejettesurPeterenleprojetantcontrelemurenbétonavecuneviolencedemauvaisaugure.

Petersecognelatêteavecunegrimacededouleur.

Page 92: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Salut,monpote,faitZeketandisqueShaunas’approcheenfaisanttourneruncouteauentresesdoigts.—Vousfaitesquoi,là?demandePeterenricanant.Vousessayezdemefairepeurouquoi?Iln’apas l’air inquiet une seule seconde,mêmequandShauna appuie la lamedu couteau sur sa

joue,assezfortpourycreuserunefossette.—Onveutjustefairepasserunmessage,rectifié-je.Tun’espasleseulàavoirdesamis.—Çam’étonneraitquelesinstructeurssoientcensésmenacerdesnovices.Jemetrompe?Ilmeregarded’unairquejepourraiscroireinnocentsijeneleconnaissaispas.—Maisjepeuxmetromper,reprend-il,jedemanderaiàEricpourêtresûr.— Je ne t’ai pas menacé. Je ne t’ai même pas touché. Et d’après les images de cette pièce

enregistréessurlesordinateursdelasalledecontrôle,onn’yamêmepasmislespieds.Zekeaunsourirefanfaron.L’idéevientdelui.— C’est moi qui te menace, intervient Shauna d’une voix grondante. Encore une tentative de

violenceetjevaist’apprendrecequec’estquelajustice.Elle tient la pointe du couteau juste au-dessus de l’œil de Peter et l’abaisse lentement, jusqu’à

l’appuyersursapaupière.Ilsefige,osantàpeinerespirer.—Œilpourœil…—Ericsefichepeut-êtrequetut’enprennesauxautresnovices,enchaîneZeke,maispasnous,etil

yaunpaquetd’Audacieuxdansnotrecas.Quinetrouventpasnormalqu’undesleursportelamainsurdesmembresdeleurfaction.Quiécoutentcequiseditsurlesgensetquilefontsavoir.Tusais,chezlesAudacieux,uneréputation,çatecolleàlapeau.Dèsquetoutlemondesauraquetuesunverdeterre,laviedeviendraimpossiblepourtoi.— On va commencer par tes employeurs potentiels, précise Shauna. Zeke peut se charger des

superviseurs de la salle de contrôle ; les chefs de patrouille à laClôture, c’est pourmoi. Et ToriconnaîttoutlemondedanslaFosse.C’estbienuneamieàtoi,Quatre?—Toutàfait.Jem’approchedePetereninclinantlatêtesurlecôté.—Tuesplutôtdouépourfairedumalauxautres,lenovice…Maisnous,onpeutfairedetavie

entièreunenfer.—Réfléchis-y,luiditShaunaenécartantlecouteaudesonœil.Sanscesserdesourire,ZekelâchelachemisedePeteretladéfroisse.LaférocitédeShaunaetla

gaieté de Zeke forment une combinaison juste assez bizarre pour être glaçante. Zeke fait un petitsigned’aurevoiràPeteretons’envatouslestrois.—Tuveuxqu’onparleauxgensquandmême?medemandeZeke.—Ohqueoui.EtnonseulementdePetermaisaussideDrewetd’Al.—S’ilsurvitàl’initiation,imaginezunpeuquejelebousculeparinadvertancepilequandilpasse

au-dessusdugouffre ;onne sait jamais, faitZeked’un tonpleind’espoirenmimantunplongeonaveclamain.

+++

Lelendemainmatin,malgrélesarômesdebaconquiémanentdelacafétéria,ilyaunattroupementprèsdugouffre,immobileetsilencieux.Jen’aipasbesoindedemanderauxgenscequ’ilsfontlà.Ilparaîtqueçaarrivepresquetouslesans.Unemort.Commecelled’Amar,soudaine, terribleet

gratuite.Uncorpstirédugouffrecommeunpoissonauboutd’unhameçon.Généralementquelqu’undejeune–unaccident,àcaused’uneacrobatiequiadérapé,ouunepersonnalitéfragilequin’apas

Page 93: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

supportélapressionetlasouffrancequifontpartiedelavied’ici.Jenesaispasquoienpenser.Jedevraissansdoutemesentircoupabledenepasm’êtreaperçud’un

teldésespoir.Triste,aussi,quecertainsnetrouventpasd’autreissue.J’entendslenomdelavictimelancéquelquepartdevantmoi,etilmefrappecommeunegifle.Al.Al.Al.Monnovice…sousma responsabilité.Jen’aipassu leprotéger, tropoccupéàsurveillerMaxet

Jeanine,àrejetertouteslesfautessurEricetàhésitersurlefaitd’avertiroupaslesAltruistes.Etj’aiuntortencoreplusgrand:j’aigardémesdistancesaveclesnovicespourmeprotéger,moi,aulieude les tirerdeszonessombresvers lesplusclaires.Rireavecdesamissur les rochersdugouffre.Allerse faire tatouer tard lesoiraprèsundéfi.Taperdans ledosde tout lemondeà l’annonceduclassement. Voilà ce que j’aurais dûmontrer à Al. Ça n’aurait peut-être pas suffi, mais aumoinsj’auraisessayé.Unechoseestsûre:aprèsl’initiationdecetteannée,çanecoûterapasbeaucoupd’effortsàEricde

m’évincerdemonposted’instructeur.Jel’aidéjàperdu.+++

Al.Al.Al.Pourquoi tous ces morts deviennent-ils des héros chez les Audacieux ? Pourquoi avons-nous

besoindeça?Peut-êtreparcequ’onn’entrouvepasd’autresdansunefactiondechefscorrompus,decamarades rivaux et d’instructeurs cyniques. Lesmorts peuvent devenir nos héros parce qu’ils nerisquentpasdenousdécevoir.Ilsnepeuventques’amélioreravecletemps,àmesurequ’onoublieleursdéfauts.Al,ungarçonsensibleetpeusûrde lui, s’estmuéenquelqu’unde jalouxetdeviolent,avantde

disparaître.Despersonnesplusfragilesqueluiontsurvécu,d’autresplusfortessontmortes,etiln’yapasd’explication.MaisTrisenchercheune,désespérément,jelevoisàl’espècedefaimquiselitsursonvisage.À

moinsquecenesoitdelacolère.Oulesdeux.Çanedoitpasêtrefaciled’apprécierquelqu’un,puisde le haïr, pour ensuite le perdre avant d’avoir pu résoudre le conflit entre ces sentiments. Elles’éloignedugroupedesAudacieuxetdeleurlitanie,etjelasuisparcequej’ail’orgueildepenserquejepeuxlaréconforter.Maisbiensûr.Àmoinsquejenelasuiveparcequej’enaiassezdevivrecoupédesautres,etqueje

nesuisplussisûrquecesoitlebonchoix.—Tris.—Qu’est-ceque tufais là?medemande-t-elled’untonamer.Tunedevraispasêtreen trainde

rendreundernierhommageàAl?—Ettoi?Jem’approched’elle.—Onnepeutpasrendrehommageàquelqu’unpourquionn’avaitpasderespect,melance-t-elle.Sur lecoup, jesuissurprisd’unetellefroideur.Ellepeutsemontersèche,maisellen’estpasdu

toutcynique.Auboutd’àpeineuneseconde,ellerectifieensecouantlatête:—Cen’estpascequejevoulaisdire.—Oh…—C’estn’importequoi!s’enflamme-t-elle.Alsejetteduhautd’unefalaiseetEricappelleçaun

actecourageux?Eric,quit’ademandédelancerdescouteauxàlatêted’Al?(Unrictusdecolèreluidéformelevisage.)Ilétaitsurtoutdéprimé,oui.Etcen’étaitqu’unlâchequiafaillimetuer.C’estça,

Page 94: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

legenredechosesqu’onrespecteici?—Queveux-tuqu’ilsfassent?dis-jeavecleplusdedouceurpossible–cequinememènepastrès

loin.Qu’ilslecondamnent?Alestdéjàmort.C’estunpeutardpourluifairelaleçon.—Ilnes’agitpasdelui.Jeteparledetouscesgensquisontlà!Àquionexpliquequesejeterdans

le vide est un choix louable ! Franchement, pourquoi hésiter puisque ensuite tout le monde parled’euxcommedehéros?Pourquoihésiterpuisquetoutlemondeserappellerad’eux?Biensûrqu’ils’agitd’Al,etellelesait.—C’est…Ellecherchesesmots,sebatavecelle-même.—Ah,jenepeuxpas…ÇaneseraitjamaisarrivéchezlesAltruistes!Riendetoutça,jamais!Cet

endroitl’apervertietabîmé,etjem’enfoussij’ail’aird’unePète-secendisantça,JE-M’EN-FOUS!Maparanoestsienracinéequeje tourneaussitôt lesyeuxverslacaméracachéedanslemurau-

dessusdelafontaineàeau,derrièreuneappliquemurale.Lesgensdelasalledecontrôlepourraientnousvoir,etmême,sionmanquedechance,choisircemomentprécispournousécouter.Soudain,j’imagineEricaccusantTrisdetraîtrise,lecadavredeTrissurletrottoirprèsdelavoieferrée…—Faisattention,Tris,dis-je.Ellemejetteunregardnoir.—C’esttoutcequetusaisdire?«Faisattention,Tris,faisattention…»Je comprends quema réaction ne soit pas à la hauteur de ses attentes,mais elle qui, il y a une

seconde,fulminaitcontrel’inconsciencedesAudacieux,secomporteexactementcommeeux.—Tusaisquetuespirequ’uneSincère?dis-je.LesSincèresparlenttoujourssansréfléchiraux

conséquences.Je l’entraîne à l’écart de la fontaine à eau, et mon visage est soudain tout proche du sien. Je

l’imagineentraindeflottersouslasurfacedelarivière,lesyeuxéteints,etc’esttroppourmoi,alorsqu’ellevientjustedesefaireagresseretqu’ilauraitpusepassern’importequoisijenel’avaispasentenduecrier.—Écoute-moibien,parcequejenelerépéteraipasdeuxfois,dis-jeenposant lesmainssurses

épaules.Ilstesurveillent.Toi,enparticulier.JemerappellelafaçondontEricl’aregardéeaprèslelancerdecouteaux.Lesquestionsqu’ilm’a

posées après l’effacement de ses données de simulation. J’ai allégué une fuite d’eau. Il a trouvé «intéressant » qu’elle se soit produite à peine cinq minutes après la fin de la simulation de Tris.Intéressant.—Lâche-moi.J’obtempèreaussitôt.Jen’aimepasquandelleacettevoix-là,commesijeluifaisaispeur.—Toiaussi,ilstesurveillent?demande-t-elleenchuchotant.Depuisledébut,etçan’estpasprèsdechanger.J’éludesaquestion:—Jen’arrêtepasd’essayerdet’aider,maistuneveuxrienentendre.—Benvoyons.Parcequemepoignarderl’oreille,merailleretmehurlerdessusplusquesurtous

lesautres,tuappellesçam’aider!—Te railler ?Tu parles de la fois où j’ai lancé les couteaux ? (Je secoue la tête.) Tout ce que

j’essayaisdefaire,c’étaitterappelerquesituéchouais,quelqu’undevraitprendretaplace.Sur lecoup,çam’aparu assez évident.Commeelle avait l’air deme comprendremieuxque la

plupartdesgens,j’aisupposéqu’ellecomprendraitçaaussi.C’étaitidiot.Ellen’estpastélépathe.—Pourquoi?medemande-t-elle.

Page 95: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—ParcequetuviensdelafactiondesAltruistes,etquetun’asjamaisautantdecouragequequandtuagispourlesautres.Àtaplace,jelaisseraiscroirequecetélanaltruisteestentraindedisparaître.Parcequesilesmauvaisespersonness’enaperçoivent…disonsqueturisquesgros.—Maispourquoi?Qu’est-cequ’ilsenontàfaire,demesmotivations?—Lesmotivations,c’esttoutcequicomptepoureux.Ilsveulentnousfairecroirequel’important,

c’estcequ’onfait,maiscen’estpasvrai.Ilssemoquentdenosactes.Ilsveulent justequ’onpensed’unecertainemanière.Pourpouvoirnouscernerfacilement.Pourêtresûrsqu’onnereprésentepasunemenace.Jeprendsappuisurlemur,prèsdesatête,etjemepencheverselle,enpensantauxtatouagesqui

montentlelongdemacolonnevertébrale.Cenesontpascestatouagesquiontfaitdemoiuntraîtreàsafaction,maiscequ’ilssymbolisentàmesyeux :unmoyend’échapperà l’étroitessed’espritdesfactions,àleurmodedepenséequidécoupeentrancheschacundesaspectsdemapersonnalitépourmeréduireàunseuletuniqueaspectdemoi-même.—Jenecomprendspas,dit-elle.Qu’est-cequeçachange,cequejepense,tantquej’agiscommeça

leurconvient?—Pourlemoment,tuagiscommeçaleurconvient.Maisquesepassera-t-illejouroùtoncerveau

calibréparlesAltruistestediradefaireunechosequineleurconviendrapas?Avec toute l’affection que j’ai pour lui, Zeke est la parfaite illustration de ce système. Né

Audacieux, élevé par lesAudacieux, ayant choisi lesAudacieux. Je peux toujours compter sur luipour tout aborder sous le même angle. On l’y a conditionné depuis sa naissance. Il ne peut pasenvisagerd’autresmanièresdevoir.—Ettunet’esjamaisditquejen’avaispasbesoindetonaide?medemande-t-elle.Jenesuispas

unepetitenature,jetesignale.Jesaismedébrouillertouteseule.J’aienviederire.Évidemmentqu’ellen’apasbesoindemoi.Quanda-t-ilétéquestiondeça?—Tupensesquemapremièreimpulsionestdeteprotéger.(Jemerapprocheencore.)Parcequetu

espetite,ouunefille,ouunePète-sec.Maiscen’estpasçadutout.Encore plus près. J’effleure sonmenton, et pendant un instant, je songe à effacer complètement

l’espacequiresteentrenous.—Mapremièreimpulsionestdetepousseràboutjusqu’àcequeçacasse,pourvoirjusqu’oùtu

peuxaller.C’est un aveu étrange, et dangereux. Je ne lui ai jamais voulu aucun mal, et j’espère qu’elle

comprendquecen’estpascequejeveuxdire.—Saufquejen’ycèdepas.—Pourquoi…pourquoic’esttapremièreimpulsion?—Lapeurnetefaitpasreculer;ellet’aiguillonne.Çasevoit.C’estfascinant.Sesyeuxdanschaque simulationdepeur : unmélangedeglace,d’acier et de flammebleue.Un

corpsmenumais toutenmuscles.Unecontradictionvivante.Mamainsuit la lignedesamâchoire,descendlelongdesoncou.—Etquelquefois,j’aienviederevoircesmoments-là.Ceuxoùtut’enflammes.Jesenssesmainssurmataille.Elles’appuiecontremoi,oum’attireàelle,jenesaispas.Sesmains

glissentlelongdemondosetj’aienvied’elle,d’unemanièrequejen’avaisjamaisressentie,mûnonparuninstinctpurementphysiquemaisparunvraidésir,pourelleenparticulier.Jeluicaresseledos,lescheveux.Etdansl’immédiat,çamesuffit.—Tunecroispasquejedevraisêtreentraindepleurer?medemande-t-elle.Qu’ilyauntrucqui

clochechezmoi?

Page 96: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jemetsquelquessecondesàcomprendrequ’ellemeparledenouveaud’Al.Tantmieux,parcequesi cette étreinte lui donnait envie de pleurer, je serais obligé de lui répondre que je n’y connaisabsolumentrienenhistoiresd’amour.—Situcroisquej’yconnaisquelquechoseauxlarmes…Lesmiennesmontentsanscriergareetdisparaissentenquelquessecondes.—Sijeluiavaispardonné,tucroisqu’ilseraitencorevivant?—Jenesaispas.Je pose la main sur sa joue, et le bout de mes doigts touche son oreille. C’est vrai qu’elle est

vraimentpetite.Çanemedérangepas.—J’ailesentimentquec’estmafaute,murmure-t-elle.Etmoidonc.—Cen’estpastafaute,dis-jeenappuyantmonfrontsurlesien.Jesenssonsouffletièdesurmonvisage.J’avaisraison,c’estmieuxquedetenirsesdistances,c’est

bienmieux.—Maisj’auraisdûluipardonner.—Peut-être. Peut-être qu’on aurait tous pu l’aider davantage, acquiescé-je, avant de lâcher sans

réfléchirunebanalitéAltruiste:maistoutcequ’onpeutfaire,maintenant,c’estnousservirdecetteculpabilitépournousaméliorer.Elle s’écarte aussitôt, et je résiste au réflexe familier de lui sortir une vacherie pour lui faire

oubliercequejeviensdedireetesquiversesquestions.—Dequellefactiontuviens,Quatre?Jecroisquetulesaisdéjà.—Peuimporte.Maintenant,c’esticiquejesuis.Ettuferaisbienderaisonnerdelamêmefaçon.Jeveuxm’éloignerd’elle;etenmêmetemps,c’estladernièrechosedontj’aieenvie.J’aienviedel’embrasser,maiscen’estpaslebonmoment.J’effleuresonfrontavecmeslèvresetonresteimmobiles.Plusquestiondefairemarchearrière,

maintenant;paspourmoi,entoutcas.+++

Quelquechosequ’elleaditmetrottedanslatêtetoutelajournée.CeneseraitjamaisarrivéchezlesAltruistes.Audébut,jesongesimplementqu’ellenesaitpasquiilssontvraiment.Mais j’ai tort,etc’estellequia raison.Chez lesAltruistes,Alneseraitpasmortet ilne l’aurait

jamaisagressée. Ilsne sontpeut-êtrepasaussibonsetpursque je lecroyaisautrefois–ouque jevoulaislecroire–maisilsnesontpasmauvaispourautant.Quandjefermelesyeux,lacartedusecteurdesAltruistesquej’aitrouvéesurl’ordinateurdeMax

s’imprimesurmespaupières.Quejelesprévienneounon,jesuisuntraître,pourlesunsoupourlesautres.Sijenepeuxpasmefixerlaloyautécommecritèrededécision,àquelleautrevaleurdois-jemeraccrocher?

+++

Ilmefautunmomentpourdéterminercommentm’yprendre.Sij’étaisungarçonAudacieuxnormal,ayant affaire à une fille Audacieuse normale, je lui proposerais de sortir et on irait au bord dugouffre,etjepourraisfrimeravecmaconnaissancedusiègedesAudacieux.Maisçameparaîttropbanal, après tout ce qu’on s’est dit, maintenant que j’ai regardé dans les recoins sombres de son

Page 97: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

esprit.C’estpeut-être làqu’est leproblème–c’estdéséquilibré,parceque je laconnais, jesaisdequoi

elleapeur,cequ’elleaimeetcequ’elledéteste,alorsqu’ellenesaitdemoiquecequejeluiaidit.Etcommejen’aimepasentrerdanslesdétails,lesvaguesinformationsquejeluiaidonnéesnerisquentpasdelamenertrèsloin.Jesaiscequ’ilmeresteàfaire;laseuledifficultévaêtredelemettreenœuvre.J’allumel’ordinateurdelasalledupaysagedespeurspoursuivremonprogramme.Jeprendsdeux

seringuesdesérumdesimulationdanslaréserveetjelesrangedanslapetiteboîtequejegardepourcetusage.Puisjemedirigeversledortoirdestransferts,sanstropsavoircommentjevaisréussiràl’isolerpourluidemanderdeveniravecmoi.Jusqu’àcequejelavoieavecWilletChristinaprèsdelarambarde.Jedevraisl’appeler,maisjene

peuxpas.Jenesuispasunpeudingue,desongeràlalaisserentrerdansmatête?DelalaisservoirMarcus,apprendremonnom,ettoutcequejemesuisdonnétantdemalàcacher?JereprendslecheminquigrimpelelongdelaFosse,l’estomacnoué.J’arrivedansl’entréealors

queleslumièresdelavillecommencentàs’éteindretoutautourdenous.J’entendsdespasderrièremoidansl’escalier.Ellem’asuivi.Jeretournelaboîtenoiredansmamain.—Aupointoùtuenes,dis-jed’untondétachéparfaitementridicule,tun’asqu’àveniravecmoi.—Danstonpaysagedespeurs?—Oui.—C’estpossible,ça?—Le sérumpermet de se connecter auprogramme informatique,mais c’est le programme lui-

mêmequidéterminelepaysagedanslequelonvaévoluer.Là,ilestréglésurlemien.—Ettumelaisseraislevoir?J’aidumalàlaregarder.—Qu’est-cequejefaislà,àtonavis?J’aideplusenplusmalauventre.—Ilyadestrucsquejevoudraistemontrer.J’ouvre la boîte et j’en sors la première seringue.Elle incline la tête et je lui injecte le produit,

commeon fait toujourspour les simulations.Maisau lieudeme l’injectermoi-mêmeavec l’autreseringue,jeluitendslaboîte.Jesuiscensérééquilibrerleschoses,ouiounon?—Jen’aijamaisfaitça,medit-elle.—Là.Jetoucheunpointdansmoncou.Elletrembleunpeuenenfonçantl’aiguille,etjesensunepiqûre

aiguë,maisj’aitropl’habitudepourqueçamedérange.J’observesonvisage.Troptardpourfairedemi-tour,troptard.Ilesttempsdedécouvrirdequoionestfaits,l’unetl’autre.Jeluiprendslamain,ouelleprendlamienne,etonentreensembledanslasalledupaysagedes

peurs.—Onvavoirsitutrouvespourquoionm’aappeléQuatre.Laporteserefermederrièrenous,etonestplongésdanslenoir.—C’estquoi,tonvrainom?medemande-t-elleenserapprochant.—Onvavoirsitutrouvesçaaussi.Lasimulationcommence.Lasalles’ouvresurungrandcielbleu.Onestsurletoitd’unetourquiluitausoleil,aumilieude

laville.J’aiquelquessecondespouradmirerlabeautédelavueavantqueleventneselève,féroceet

Page 98: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

puissant.Jemetsunbrasautourdesonépauleparcequejesaisqu’ici,elleestplusstablequemoi.J’ai du mal à respirer, ce qui est normal pour moi dans ce contexte. La poussée de l’air me

suffoque,etlevertigemedonneenviedemeroulerenbouleetdemecacher.—Ondoitsauter,c’estça?medemande-t-elle.Çamerappellequejenepeuxpasmeroulerenbouleetmecacher.Jedoisfaireface.Jehochelatête.—Àtrois,d’accord?Nouveauhochementdetêtedemapart.Toutcequej’aiàfaire,c’estlasuivre.Paspluscompliqué

queça.Ellecomptejusqu’àtroisets’élanceenm’entraînantderrièreelle,commesielleétaitunevoileet

moiuneancrequinoustiraitverslefond.Ontombe,etjemetstoutemonénergieànepascéderàlaterreurquifaitgrincerchacundemesnerfs,etjemeretrouveausol,unemainpresséesurlapoitrine.Ellem’aideàmerelever.Jemesensidiotquandjerepenseàlafaçondontelleaescaladélagrande

rouesansunehésitation.—Qu’est-cequivientaprèsça?Jevoudrais luidirequecen’estpasunjeu,quemespeursnesontpasdesmontagnesrussessur

lesquellesjel’aiinvitée.Maisjesupposequecen’estpascequ’ellevoulaitdire.—C’est…Lemursurgitdenullepart,percutantsondosetlemien,etnosflancs.Nousforçantànouscoller

l’uncontrel’autre,plusprèsqu’onnel’ajamaisété.—L’enfermement,dis-je.C’est encorepirequed’habitude, avec elle à côtédemoiquimeprend lamoitiédemonair. Je

laisseéchapperunpetitgeignementenmerepliantsurelle.Jehaiscetendroit.Jelehais.—Hé,medit-elle.Toutvabien!Attends…Ellepassemesbrasautourd’elle.Jel’aitoujoursvuecommequelqu’undesec,sansuneoncede

graisseentrop,maissatailleestdouce.—C’estbienlapremièrefoisquejesuiscontented’êtrepetite,ajoute-t-elle.Ellepasseenrevuelesmoyensdesortir.Ellefaitdelastratégiedupaysagedespeurs.Moi,jeme

forceàrespirercalmement.Puisellenousfaitaccroupirpourréduirelatailledelaboîteetsetournedoscontremontorse,desortequejel’enveloppecomplètement.—Ah,c’estencorepire,c’estclair…dis-je.Parcequ’enajoutantlatensionducontactavecelleàcelledelaclaustrophobie,jen’arrivemême

plusàpenser.—Chut.Metstesbrasautourdemoi.Jereplielesbrasautourdesatailleetj’enfouislevisageaucreuxdesonépaule.Ellesentlesavon

desAudacieux,etquelquechosededoux,commedelapomme.J’oublieoùjesuis.Ellerecommenceàparlerdupaysagedespeursetjel’écoute,enmêmetempsquejemeconcentre

surlasensationdesoncorpscontrelemien.—…Essaied’oublierqu’onestlà,conclut-elle.—Ahouais?Aussisimplequeça,hein?J’ailabouchetoutprèsdesonoreille,exprès,cettefois-ci,pouravoirquelquechosesurquoime

concentrer.Etaussiparcequej’ail’impressionquejenesuispasleseulàmelaisserdistraire.—Tusaisquelaplupartdesgarçonsseréjouiraientd’êtreenfermésavecunefilledansunendroit

aussirestreint?

Page 99: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Sauflesclaustrophobes,Tris.—D’accord,d’accord.Elleguidemamainjusqu’àsontorse,justeau-dessusdesapoitrine.Jen’arriveplusàpenserqu’à

monenvie,quin’aplusrienàvoiraveclefaitdesortirdecetteboîte.—Tusensmoncœurquibat?—Oui.—Tusenscommeilestrégulier?Jesouris,latêteaucreuxdesoncou.—Ilestrapide.—Ouais.Peut-être,maisçan’aaucunrapportaveclaboîte.Ahnon?— Voilà ce qu’on va faire : chaque fois que tu me sens respirer, tu respires, reprend-elle.

Concentre-toilà-dessus.—OK.Onrespireaumêmerythme.Unefois,deuxfois.—Etsi tumeracontaisd’oùvientcettepeur?Enparler,çapeutparfoisaiderà…débloquerles

choses.Ilmesemblequecepaysagedepeurdevraitavoirdisparu,maintenant.Maisaulieudem’aiderà

m’en débarrasser, tout ce que tente Tris ne fait qu’accroîtremon degré de nervosité et prolongerl’épreuve.J’essaiedemeconcentrersurl’originedecettehistoiredeboîte.— Euh…OK (Allez, vas-y, dis juste un truc vrai.) Celle-là, ça vient de mon enfance de rêve.

Punitions.Lecagibisurlepalier.Enfermé dans le noir pourméditer surmesméfaits. C’était toujoursmieux que certaines autres

punitions,maisparfois,quandj’yrestaistroplongtemps,jefinissaisparmanquerd’air.—Cheznous,mamèrerangeaitnosmanteauxd’hiverdanslecagibi,m’informe-t-elle.Uneremarqueidioteaprèscequejeviensdeluiconfier,maisilestvisiblequ’ellenetrouverien

d’autreàdire.Elle ne sait pas quoi dire parce que personne ne peut trouver les bonsmots, qu’il n’y a pas de

réactionadéquatefaceaupoidsdessouffrancesdemonenfance.Monrythmecardiaques’emballedenouveau.—Jen’ai…Jepréféreraisparlerd’autrechose,dis-jeaprèsavoiravaléunegouléed’air.—D’accord.Alors…àmontour.Demande-moiuntruc.—OK.Jerelèvelatête.Jusqu’ici,çamarchaitbiendemeconcentrersurelle.Lesbattementsdesoncœur,

son corps contre le mien. Deux solides charpentes enveloppées de muscles, entremêlées ; deuxtransfertsdesAltruistesessayantdes’affranchirdestimidesritesamoureuxdeleurfactiond’origine.—Pourquoitoncœurbataussivite,Tris?—Ben,jeteconnaisàpeine…(Jel’imagineprenantunairindigné.)Jeteconnaisàpeineetjeme

retrouvecolléeàtoidansuneboîte.Qu’est-cequetucrois?—Sionétaitdanstonpaysagedespeurs,jeseraisdedans?—Jen’aipaspeurdetoi.—Non,ça,c’estsûr.Cen’étaitpasmaquestion.Jenevoulaispasdire:«As-tupeurdemoi?»mais:«Est-cequejecompteassezpourtoipour

êtreprésentdanstonpaysagedespeurs?»

Page 100: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Probablement pas. Elle a raison ; elleme connaît à peine.N’empêche que son cœur bat à toutevitesse.Je ris, et les parois s’effondrent comme sous l’effet de mes éclats de rire, et l’air frais emplit

l’espace tout autour de nous. Je prends de profondes goulées et nous nous désemboîtons l’un del’autre.Ellemeregarded’unairsoupçonneux.—T’auraispeut-êtreeutaplacechezlesSincères,dis-je,parcequetumenssupermal.—Jecroisquemontestd’aptitudesaclairementexclucetteoption.—Letestd’aptitudesneveutriendire.—Comment ça ? s’étonne-t-elle.Ce n’est pas le résultat de ton test qui t’a fait atterrir chez les

Audacieux?Jehausselesépaules.—Pasvraiment,non.Je…Je distingue quelque chose du coin de l’œil et jeme retourne pour y faire face.Une femme au

visageordinaire,sansriendenotable,setientseuleàl’autreboutdelapièce.Entreelleetnous,ilyaunetableavecunpistoletposédessus.—Tudoislatuer,devineTris.—Àchaquefois.—Ellen’estpasréelle.—Elleal’airréelle.Çaal’airréel.—Siellel’était,tuseraisdéjàmort.—Çava.Jevaislefaire.Cepaysage-cin’estpassiterrible.Pasaussipaniquant.Jem’approchedelatable.Mais lapaniqueet la terreurne sontpas les seules sortesdepeursquiexistent. Ilyenadeplus

profondes,deplushorribles.L’angoisseetl’appréhension,écrasante,decequivaseproduire.Je charge l’arme mécaniquement, je tends le bras et je regarde le visage de cette femme. Son

expressionestneutre,commesielleacceptaitsonsort.Elleneportepaslesvêtementsd’unefactionenparticulier,maisellepourraitbienêtreuneAltruiste,àlafaçondontelleattendpassivementquejelatue.C’estcequ’ilsferaient.C’estcequ’ilsferont,siMaxetJeanine,etEvelyn,arriventàleursfins.Jefermeunœilpourviseretjetire.La femme s’écroule, et je repense au moment où j’ai frappé Drew jusqu’à ce qu’il soit quasi

inconscient.LamaindeTrisserefermesurmonbras.—Viens.Ons’enva.Paslapeinederesterlà.Onpassedevant la tableet j’aiunfrissondepeur.L’attentedemondernierobstacleestdéjàune

peurensoi.—C’estparti,dis-je.Onsetrouvemaintenantdansuncercledelumièreautourduquelglisseunesilhouettesombre,dont

onnevoitqueleboutdeschaussures.Soudain,ilfaitunpasversnous.Marcus,avecsesyeuxnoirscommedelapoix,sesvêtementsgris,sescheveuxrasquirévèlentlescontoursdesoncrâne.—Marcus,murmure-t-elle.J’observemonpère,attendantquetombelepremiercoup.—C’estmaintenantquetudevinescommentjem’appelle,signalé-jeàTris.—C’est…Çayest ;elle lesait.Elle lesaura toujours.Jenepourraiplus le lui faireoubliermêmesi je le

Page 101: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

voulais.—Tobias.Çafaittrèslongtempsquepersonnen’aprononcémonnomsurceton-là,commeunerévélationet

noncommeunemenace.Marcusdévidelaceintureenrouléeautourdesonpoing.—C’estpourtonbien,medit-il.J’aienviedehurler.Enunefractiondeseconde,ilsedémultiplieetnousencercle,lesceinturestraînantsurlecarrelage

blanc.Jemerepliesurmoi-même,ledoscourbé,etj’attends,j’attends.UnpremierMarcuss’avance.Sa ceinture fouette l’air d’avant en arrière et je tressaille avant qu’elle neme frappe,mais elle nefrappepas.Tris se tient devantmoi, le bras levé, tous sesmuscles tendus. Le bout de la ceinture s’enroule

autourdesonbras.Lesdentsserrées,ellel’arracheàMarcusentirantd’uncoupsecetlalanceàsontour.JerestestupéfaitparlapuissancedesonmouvementetparlaviolenceaveclaquellelaceintureclaquesurMarcus.Ilsejettesurelleetjem’interpose.Cettefois,jesuisprêt,prêtàriposter.Maisl’occasionneseprésentepas.Leslumièressedéplacentetlepaysagedespeursadisparu.—C’est fini ?demande-t-ellealorsque jegarde lesyeux fixés sur lepointoù se tenaitMarcus.

C’étaitça,tespirescraintes?Maistun’enasquequatre…Oh!Ellemeregarde.—C’estpourçaqu’ont’appelle…Jecraignaisqu’une fois au courantpourMarcus, ellenemeconsidère avecpitié, qu’elleneme

donnelesentimentd’êtrequelqu’undefaible,depetitetdevide.Maisellel’aregardé,aveccolère,sanspeur.Ellem’afaitmesentirnonpasfaible,maispuissant.

Assezfortpourmedéfendre.Jelaprendsparlecoudepourl’attireràmoietjedéposeunbaisersursajoue,sentantaupassage

labrûluredesapeau.Jemelaisseallercontreelleenlaserrantfort.—Hé,murmure-t-elledansunsoupir.Onaréussi.Jeglissemesdoigtsdanssescheveux.—Grâceàtoi.

+++

Jel’emmènesurlesrochersoùjeviensparfoistardlesoiravecZekeetShauna.Ons’assoitsurunepierreplateensurplombdel’eauetmeschaussuressontbientôttrempéesparl’écume,maiscen’estpasgrave,ilnefaitpastrèsfroid.Commetouslesnovices,elleestobnubiléeparletestd’aptitudes,etjedoismebattrepourlaconvaincrequ’elleatort.Jem’étaisimaginéqu’aprèsluiavoirlâchél’undemessecrets,touslesautressuivraient,maisjesuisentraindedécouvrirqueselivrerestunehabitudequi ne s’acquiert qu’avec le temps, que ça ne se déclenche pas sur commande en appuyant sur unbouton.—Tusais,cestrucs-là,jen’enparlepasauxautres.Mêmepasàmesamis.Je contemple l’eau sombre et boueuse et les objets qu’elle charrie – détritus, vieux vêtements,

bouteillesquiflottentcommedespetitsbateauxquivoguentverslelarge.—J’aieuunrésultatsanssurprise.Altruiste.—Oh…EttuasquandmêmechoisilesAudacieux?—Parnécessité.

Page 102: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Qu’est-cequit’obligeaitàpartir?Jedétournelesyeux,hésitantàformulermesraisons,parcequeçarevientàmedéclarertraîtreà

mafactionetqueçamedonnelesentimentd’êtreunlâche.—Tudevaist’éloignerdetonpère…devine-t-elle.C’estpourçaquetuneveuxpasêtreunchef

Audacieux?Pournepluslerevoir?Jehausselesépaules.—Pourça,etparcequejenemesuisjamaissentitotalementàmaplacechezlesAudacieux.Pas

telsqu’ilssontdevenus,entoutcas.Cen’estpastoutàfaitvrai.Jenesuispassûrquelemomentsoitbienchoisipourluidireceque

j’aiapprissurMaxetJeanineetsurl’attaque.Égoïstement,jepréféreraisgardercetinstantrienquepourmoi,aumoinsunpetitpeu.—N’empêchequetues…incroyable.Jeluijetteuncoupd’œilinterrogateur.Elleal’airgênée.— Je veux dire, c’est dingue, d’après les critères des Audacieux, quatre peurs, c’est une

plaisanterie.Taplaceétaitforcémentici.J’aiunemouedubitative.Plusletempspasse,plusjetrouveétrangedenepasenavoirdestonnes,

commelesautres.Ilyadestasdechosesquimerendentnerveux,quim’angoissent,meperturbent…maisquand j’ysuisconfronté, je restecapabled’agir. Jenesuis jamais impuissant.Alorsquemesquatrepeurs,sijen’yprendspasgarde,finirontparmeparalyser.C’esttoutcequilesdistingue.—Jenevoispasunegrandedifférenceentrel’altruismeetlecourage,dis-je.JelèvelesyeuxverslaFossequis’élèvehautau-dessusdenous.D’ici, j’entrevois tout justeune

finetranchedecieldenuit.—Quandont’apprenddepuistoujoursàt’oublier toi-même,çadevientunréflexe,développé-je.

Le jour où tu te trouves en danger, tu le fais sans y penser. Je pourrais aussi bien appartenir auxAltruistes.—Sionveut.J’aiquittélesAltruistesparcequejen’étaispasassezaltruiste,etcen’estpasfaute

d’avoiressayé.—Cen’estpasentièrementvrai,répliqué-jeavecunsourire.Cettefillequisetientsansbroncher

faceàunlanceurdecouteauxpourépargnerunami,quifrappemonpèreavecuneceinturepourmedéfendre…cen’estpastoi?Danscettelumière,elleparaîtvenird’unautremonde,sonregardestsiclairqu’ilsemblepresque

luiredanslenoir.—T’aspaslesyeuxdanstapoche,Quatre,dit-elle,commesiellevenaitdeliredansmespensées.Maisellenefaitpasallusionàl’instantprésent.—J’aimebienobserverlesgens,marmonné-jepournoyerlepoisson.—Peut-êtreque,toiaussi,tuauraisdûfairepartiedesSincères,tunesaispasmentir.Jemepencheverselleenposantmamaintoutprèsdelasienne.Sonlongnezfinetsaboucheont

dégonflédepuissonagression.Elleaunejoliebouche.—D’accord.—C’estparcequetumeplais.Etnem’appellepasQuatre.Çafaitdubiend’entendremonnom.Elleal’airperdue,toutàcoup.—Mais…Tobias…tuesplusvieuxquemoi…C’esttellementbonquandelleledit.Commes’iln’yavaitpasàenavoirhonte.—C’estvraiquecefossédedeuxansesttotalementinsurmontable.—Jen’essaiepasdemedévaloriser,insiste-t-elle.C’estjustequej’aidumalàcomprendre.Jesuis

Page 103: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

plusjeunequetoi,jenesuispasjolie,je…Jerisetjel’embrassesurlatempe.—Quoi,soyonshonnêtes,reprend-elle,lesouffleunpeucourt.Jenesuispasmoche,maisonne

peutpasdirequejesoisjolie.Lemot« jolie», avec tout cequ’il représente,me semble tellementdérisoireque jenevaispas

tergiverser.—Admettons.Tun’espasjolie.Etalors?J’essaiederassemblermoncouragetandisquemeslèvresglissentverssajoue.— Tu me plais comme tu es. (Je m’écarte.) Tu es super intelligente. Tu as du cran. Et même

maintenantquetusaispourMarcus…tunemeregardespascommeunchienbattu.—Parcequetun’enespasun,réplique-t-elle.Moninstinctnem’avaitpas trompé.Jepeuxmefieràelle.Luiconfiermessecrets,mahonte, le

nomquej’aiabandonné.Toutelavérité,avecsesbeautésetseslaideurs.Maboucheeffleurelasienne.Nosregardssecroisent,jesourisetjel’embrassedenouveau,avec

plusd’assurance.Ça neme suffit pas. Je la serre contremoi et je l’embrasse avec plus d’intensité. Elle s’anime,

refermesesbrasderrièremoietsecollecontremoi,etc’estfou,maisçanesuffittoujourspas.+++

Jelaraccompagneaudortoirdestransferts,leschaussuresencorehumidesdel’écumedutorrent,etelle me sourit en se glissant par la porte. Puis je rentre chez moi, et le malaise ne tarde pas àreprendrelepassurlevertigedusoulagement.Quelquepartentrelemomentoùj’aivucetteceintures’enroulerautourdubrasdeTrisetceluioùjeluiaiditquel’altruismeetlecourageétaientsouventsynonymes,j’aiprisunedécision.Je tourne au croisement suivant, non vers mon appartement mais vers l’escalier qui donne à

l’extérieur, juste à côté de chez Max. Je ralentis en passant devant sa porte, pris d’une peurirrationnelledeleréveilleraveclebruitdemespas.Moncœurcognedansmapoitrinequandj’arriveenhautdesmarches.Untrainpasseenreflétantle

clairde lunesur son flancmétallique.Enmarchantsous les rails, jeprends ladirectiondusecteurAltruiste.

+++

TrisvientdechezlesAltruistes.Unepartiedesonpouvoirinnéluivientd’eux,chaquefoisqu’elleestappeléeàprendreladéfensedeplusfaiblequ’elle.Etjenesupportepasl’idéequedeshommesetdesfemmescommeelletombentsouslesballesdesÉrudits.C’estvrai,ilsm’ontmenti,etj’aienquelquesorte trahi leur confiance en choisissant les Audacieux, et je trahis peut-être celle des Audacieuxaujourd’hui ; mais rien ne m’oblige à me trahir moi-même. Et quelle que soit ma faction, maconscienceestlàpourmedictermaconduite.LesecteurAltruisteestimpeccable;pasunpapierparterre,nidanslesrues,nisurlestrottoirs,ni

surlespelouses.Lesruessontbordéesdemodestesmaisonsgrisestoutessemblables.Certainessontabîmées par endroits, délaissées par des Altruistes qui ont refusé de les réparer pour donner lesmatériauxauxsans-factiondanslebesoin,maistoutessontbienentretenues.On peut vite se perdre dans le labyrinthe des rues d’ici, mais je ne suis pas parti depuis assez

longtempspouravoiroubliélechemindelamaisondeMarcus.Bizarrecomme,dansmonesprit,cettemaisonestdevenuelasienneetpluslamienne.

Page 104: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jen’aipeut-êtrepasbesoindem’adresseràlui;jepourraisparleràunautrechefAltruiste.Maisilestleplusinfluent,etquelquepart,ilrestemonpère,celuiquiatentédemeprotégeràcausedemaDivergence. J’essaie de me remémorer la sensa-tion de puissance que j’ai éprouvée dans monpaysage des peurs quandTrism’amontré qu’il n’était qu’un homme et pas unmonstre, et que jepouvaisl’affronter.Maisellen’estpaslà,avecmoi,etjemesensfragile.Je remonte l’allée du perron avec des jambes raides. Je ne frappe pas, pour ne pas réveiller les

voisins.Jeprendslaclésouslepaillassonetj’ouvrelaporte.Ilesttard,maislalumièreestencorealluméedanslacuisine.Letempsquejefranchisseleseuil,il

estdéjàdansmonchampdevision.Derrièrelui,latabledelacuisineestrecouvertedepapiers.Ilestdebout,piedsnus,etsesyeuxs’enfon-centdanslesmêmesombresquedansmescauchemars.—Qu’est-cequetufaisici?medemande-t-il.Il me détaille de la tête aux pieds. Je me demande pourquoi il me regarde ainsi, avant de me

rappelerquejeportedelourdesbottesetunevestenoiresd’Audacieux,etqu’untatouagedépassedemontee-shirt.Ils’approcheunpeuetjem’aperçoisquejesuisdésormaisaussigrand,etsurtoutpluscostaudquelui.Iln’auraitplusledessusaujourd’hui.—Tun’espluslebienvenudanscettemaison.—Je…Jemeredressedetoutemahauteur,etpasparcequelesposturesvoûtéesl’exaspèrent.—Jem’enfous.Ilhausselessourcils.Ilnes’attendaitpasàunetelleréponse.—Moinonplus.— Je suis venu pour te prévenir. J’ai découvert quelque chose. Max et Jeanine organisent une

attaquecontrelesAltruistes.Jenesaisnioùnicomment.Ilm’observeuninstant,d’unairquimedonnel’impressiond’êtresoupesé,puissonexpressionse

chargedemépris.—Maxet Jeaninevontnous attaquer, répète-t-il.Àdeux, armésde seringuesde simulation? (Il

plisselesyeux.)C’estMaxquit’envoie?Tuesdevenusonlarbin?Quoi,ilespèrem’effrayer?Quand j’ai décidéd’avertir lesAltruistes, j’étais sûrque leplusdurpourmoi serait de franchir

cetteporte.Jen’avaispasenvisagéunesecondequ’ilnemecroiraitpas.—Nesoispasstupide.Jamaisjeneluiauraisparléainsitantquejevivaisdanscettemaisonmais,àforcedem’évertuerà

adopterlafaçondeparlerdesAudacieux,c’estsortitoutseul.—SituteméfiesdeMax,cen’estpaspourrien,etjevienstedirequetuasraison.Tuasraisonde

teméfierdelui.Vousêtesendanger–tous.—Tu oses venir chezmoi après avoir trahi ta faction et ta famille…etm’insulter, en prime ?

répond-ilsourdement.(Ilsecouelatête.)JerefusedemeplieraubonvouloirdeMaxetJeanineencédantàl’intimidation,afortiorisouslapressiondemonfils.—Tusaisquoi?Laissetomber.J’auraisdûallervoirquelqu’und’autre.Jemeretourneverslaporte.—Nemetournepasledos,m’intime-t-il.Ilme serre le bras, fort. Je fixe samain, pris d’un étourdissement, comme si je sortais demon

corps,quejemedistanciaisdéjàdecetinstantpourparveniràysurvivre.«Tuesdetailleàtebattrecontrelui»,songé-jeenrevoyantTrislancerlaceintureau-dessusdesa

têtepourlefrapperdansmonpaysagedespeurs.

Page 105: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Jedégagemonbras,assezvivementpourluifairelâcherprise.Maisilmerestetoutjusteassezdeforcepourm’éloigner.Iln’osepasmecrierdessusdepeurd’alerterlesvoisins.J’enfoncemesmainstremblantesdansmespoches.Jen’entendspaslaporteserefermerderrièremoi,etjesaisqu’ilmeregardepartir.Cen’estpasleretourtriomphantquejem’étaisimaginé.

+++

JemesenscoupableenfranchissantlaportedelaFlèche,commesidesdizainesd’yeuxd’Audacieuxétaientlàpourm’observeretjugercequejeviensdefaire.J’aiagiàl’encontredenoschefs,ettoutçapourquoi?Pourunhommequejehaisetquinemecroitmêmepas?Jen’aipaslesentimentqueçaenvalaitlapeine,queçavalaitlapeinedepasserpouruntraître.Àtraverslaportevitrée, jecontemplelegouffreloinendessousdemoi, l’eaucalmeetsombre,

tropencaisséepourpouvoirrefléterleclairdelune.Ilyaquelquesheures,jemetenaisprécisémentlà,surlepointderévéleràunefillequejeconnaisàpeinetouslessecretsquej’aimistantd’énergieàcacher.ContrairementàMarcus,elle,aumoins,s’estmontréedignedemaconfiance.Elle,etsamère,etle

restedelafactionenlaquelleellecroit,valenttoujourslapeinequ’onlesprotège.Etc’estcequejevaisfaire.

ENBONUSTROISSCÈNESDELATRILOGIE

DIVERGENCERACONTÉESPARQUATRE

“PREMIERSAUT:TRIS!”+++

“ATTENTION,TRIS!”+++

“ÇATEVABIEN,TONNOUVEAULOOK,TRIS.”

Page 106: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

«PREMIERSAUT:TRIS!»

JEREGARDEMAMONTRE.Lespremiersnovicesdevraientsauterd’uneminuteàl’autre.Lefilets’étaledevantmoi,large,solide,éclairéd’enhautparlesoleil.Ladernièrefoisquejesuis

venu ici, c’était pour le jourduChoixde l’andernier ; et celled’avant, le jouroù j’ai sautémoi-même.Jen’aimepasmerappelerceque j’aiéprouvéce jour-làenm’avançant jusqu’aureborddutoit,centimètreparcentimètre,lecorpsetl’espritpétrifiésdeterreur,l’atrocechutelibre,mesbrasetmesjambesquibrassaientl’airenvain,lagifledesfibresdufiletsurmesbrasetmanuque.—Etcetteblague,çaamarché?medemandeLauren.Jemetsunesecondeàcomprendredequoielleparle:lelogicielespionquejeluiaidemandéen

luifaisantcroirequec’étaitpourfaireuneblagueàZeke.—Paseuletemps.Jel’aiàpeinecroisécesjours-ci,auboulot.— Tu sais que si tu faisais l’effort d’étudier sérieusement, tu nous serais bien utile au service

technique?—Sivousrecrutez,tudevraisenparleràZeke.Ilestbienmeilleurquemoi.—Ouais,maisZeke est unmoulin à paroles.Vu le temps qu’on passe à travailler ensemble, la

compatibilitéestuncritèreencoreplusimportantpournousquelescompétences.Je rigole. C’est vrai que Zeke n’arrête jamais de parler.Moi, ça neme gêne pas. C’est parfois

pratiquedenepasavoiràchercherdesujetdeconversation.Onattend.Lauren triture l’undesesanneauxausourcil tandisque j’essaiede tendre lecoupour

apercevoirletoitdel’immeuble,maisjenevoisriend’autrequeleciel.—Onpariequelepremierseraunnatif?medit-elle.—C’esttoujoursunnatif.Sijeparieavectoi,jesuissûrdeperdre.Ils sont favorisés, les natifs.Engénéral, ils savent déjàqu’il y a un filet tout enbas.Le jourdu

Choix est la seule occasion où on utilise cette entrée, on fait ce qu’on peut pour leur cacher sonexistence,maislesAudacieuxétantcurieux, ilsexplorent l’enceintedèsqu’ilscroientquepersonnenesurveille.Etpuisilsontgrandiencultivantl’extrémisme,ledésirdefrimer,desejeteràfonddansuneactionune foisqu’ilsontdécidéd’yaller. Il faudraitun transfertdotéd’un sacré tempéramentpourenfaireautantsansyavoirétééduqué.C’estlàquejelavois.Unetraînée,nonpasnoirecommejem’yattendais,maisgrise,quidébouledanslesairs.J’entends

leclaquementdufiletquitiresursonsupportmétalliqueetsecourbepourl’accueillir.Pendantuneseconde,jefixeavecstupeursesvêtements,quejeconnaissibien,avantdeluitendreunemainpar-dessuslefilet.Ellerepliesesdoigtsautourdesmiensetjelatireversmoi.Puiselleselaissetombersurlecôtéet

jelatiensparlesbraspourlastabiliser.Elleestpetite,d’apparencefrêle,aupointquejemedisquel’impactauraitdûlacasserendeux.Ellealesyeuxgrandsouverts,bleupâle.—Merci,medit-elle.Sielleal’airfragile,savoix,elle,estassurée.—J’ycroispas,ditLauren,avecplusdecabotinageAudacieuxqu’àsonhabitude.UnePète-secqui

sautelapremière.Ça,c’estunscoop.Elle a raison. C’est déjà un scoop qu’une Pète-sec choisisse les Audacieux. Il n’y a eu aucun

transfertAltruistel’annéedernière,etilyadeuxans,j’étaislepremierdepuisbienlongtemps.

Page 107: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

—Cen’estpaspourrienqu’ellelesaquittés,Lauren,signalé-je.Je me sens brusquement projeté dans mon passé. Puis je me ressaisis et je me tourne vers la

novice:—Commenttut’appelles?—Euh…Elle hésite, et pendant un bref instant, j’ai la sensation étrange de la connaître. Pas pour l’avoir

croiséeautrefoischezlesAltruistes,niaulycée,maisàunniveauplusenfoui,envoyantsonregardetsa bouche qui cherchent un nom, insatisfaite de celui qui lui vient, tout comme je l’ai été dans lamêmesituation.Moninstructeurm’apermisd’échapperàmonancienneidentité.Jepeuxluidonnercettechance,moiaussi.—Réfléchis,dis-jeavecunpetitsourire.Après,tunepourraspluschanger.—Tris,déclare-t-elled’untondécidé.—Tris,répèteLauren.Faisl’annonce,Quatre!C’estvraiquec’estmanovice,cettetransfertdesAltruistes.Par-dessusmonépaule, je lanceaugrouped’Audacieuxquis’est rassemblépour regardersauter

lesnovices:—Premiersaut:Tris!Comme ça, ils se souviendront d’elle non par ses vêtements grismais par son premier acte de

bravoure.Oudefolie.Cequiestparfoislamêmechose.Ils l’acclament et, tandis que la grotte résonnede leur tumulte, un deuxièmenovice tombe à pic

danslefiletavecuncriàglacerlesang.UneSincèrevêtuedenoiretblanc.Cettefois,c’estLaurenquitendlebraspourl’aider.JeposemamainsurledosdeTrispourlaguiderversl’escalier,aucasoùelleneseraitpasaussistablequ’elleenal’air.—BienvenuechezlesAudacieux,luidis-jeavantqu’ellemontelapremièremarche.

Page 108: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

«ATTENTION,TRIS»

UNEALTRUISTE,CINQSINCÈRES,DEUXÉRUDITS.Voilàmesnovices.Ilparaîtque le tauxde transfertsréciproquesentreSincèresetAudacieuxestassezélevé–onen

perd globalement autant qu’on en gagne de chaque côté. J’estime qu’il relève de mon travaild’amener ces huit novices aumoins jusqu’aux premières éliminations.L’an dernier, quandMax etEricontinsistépourinstaurercesystèmed’expulsion,jem’ysuisopposéautantquej’aipu.Maisondiraitqu’ilestlàpourdebon–toutçapourdéfendreleprofild’AudacieuxqueMaxetEricveulentcréer:unefactiondebrutessanscervelle.JecomptebienquitterlesAudacieuxdèsquej’auraidécouvertcequemijotentMaxetJeanine,etsi

çadoitarriverenpleinmilieudel’initiation,parfait.Unefoisquetouslesnatifsnousontrejoints–dontUriah,LynnetMarlene–,jem’engagedansle

tunnelenfaisantsigneauxnovicesdemesuivre.OnsedirigedanslenoirverslesportesdelaFosse.—C’est ici qu’on se sépare, annonce Lauren devant les portes. Les natifs des Audacieux, vous

restezavecmoi.Vousn’avezpasbesoinqu’onvousfassevisiterleslieux,j’imagine.Ellesourit,etilss’éloignentdanslecouloirquicontournelaFossejusqu’àlacafétéria.Jelessuis

desyeux jusqu’àcequ’ilsaientdisparu,et jemeredresse.J’aicompris l’andernierque,pourêtrepris au sérieux, jedevaismemontrerdurdès ledépart. Jen’ai pas le charmenatureld’Amar,quigagnait la loyautédesgens rienqu’avecunsourireouuneblague. Jedoiscompenserpard’autresmoyens.—En général, je travaille dans la salle de contrôle informatique, expliqué-je,mais pendant les

prochainessemaines,jeseraivotreinstructeur.Jem’appelleQuatre.L’unedesSincères,grande,lapeaumate,untonénergique,intervient:—Quatrecommelechiffre?Jepressensundébutdechahut.Ceuxquineconnaissentpas le sensdemonsurnomont souvent

tendanceàenrire,etjen’appréciepasbeaucoupqu’onsemoquedemoi,surtoutpasungroupedenovicesdébarquantdelacérémonieduChoixsanslamoindreidéedecequilesattend.—Oui,dis-jefroidement.Çateposeunproblème?—Non.—Parfait.NousallonsentrerdanslaFosse,quevousenviendrezunjouràaimer.C’est…NouvelleinterruptionironiquedelaSincère:—LaFosse?Sympa,commenom.Ellecommenceàm’énerveretjemetourneverselleparréflexe.Jenevaispaslaisserquelqu’un

ricaner à tout ce que je dis, encoremoins dès le début de l’initiation, où les comportements sontencoreaussimalléables.Jevaisdevoirleurmontrerqu’onnerigolepasavecmoi,ettoutdesuite.Jemepencheàquelquescentimètresdesonvisageetjelafixejusqu’àcequesonsourirevacille.—Commenttut’appelles?demandé-jesanshausserlavoix.—Christina.— Eh bien, Christina, si j’avais voulu me cogner les remarques de petits malins des Sincères,

j’auraischoisileurfaction.Tapremièreleçon,çavaêtred’apprendreàlafermer.Pigé?Ellefaitouidelatêteetjemedétourne,lestempesbattantes.Jecroisqueçaamarché,maisjen’en

serai vraiment sûr que quand l’initiation aura commencé. Je pousse les portes qui donnent sur laFosseet,pendantun instant, je ladécouvrecommesic’était lapremièrefois :unespace immense,

Page 109: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

bouillonnantdevie et d’énergie, l’eaudugouffrequipulse en allant s’écraser sur les rochers, leséchosdesconversationsquirésonnentdanstouslescoins.Laplupartdutemps,jefuiscetendroitàcausedesoneffervescence,maisaujourd’hui,ilm’enchante.C’estplusfortquemoi.—Suivez-moi,dis-je,jevaisvousmontrerlegouffre.

+++

LatransfertdesAltruistess’assiedàmatable.Surlecoup,jemedemandesiellesaitquijesuis,ousic’est moi qui l’aimante par je ne sais quelle force Pète-sec invisible. Mais rien dans son regardn’indiquequ’ellemeconnaisse.Etellen’ajamaisvuunhamburger.—Tun’asjamaismangédehamburger?luidemandeChristina,incrédule.LesSincèressonttoujourscommeça,sidérésparlefaitquetoutlemondenevitpascommeeux.

C’estunedesraisonspourquoi jene lesaimepas.C’estcommesi le restedumonden’existaitpaspoureux.AlorsquepourlesAltruistes,iln’yaquelerestedumondequiexiste,remplidebesoinsinsatiables.—Non,ditTris.Ças’appellecommeça?Elleaunevoixgravepourquelqu’und’aussipetit.Sontonesttoujourssérieux,quoiqu’elledise.—LesPète-secnemangentquedelanourrituresimple,expliqué-jeauxautres.J’ai employé délibérément le terme d’argot des Audacieux, mais appliqué à elle, il me paraît

grossier, commesi je luidevais les égardsdus à toute femmedansmonancienne faction, faitsdedéférence,deregardsdétournésetd’échangespolis.JedoismesecouerpourmerappelerquejenesuispluschezlesAltruistes.Etellenonplus.—Pourquoi?demandeChristina.—Leluxeestperçucommeunplaisirégoïsteetfutile.Trisdébiteçacommeuneformuleappriseparcœur,cequiestsansdoutelecas.—Jecomprendsquetutesoistirée,commenteChristina.—Ouais,faitTrisenroulantdesyeux.T’asraison,labouffe,c’estdusérieux.J’essaiedenepassourire.Jenesuispascertaind’yarriver.Ericentredanslacafétériaetlesilencetombe.Sanominationaupostedechefaétéaccueillieavecperplexité,parfoisaveccolère.LesAudacieux

n’ontjamaiseudechefaussijeune,etbeaucoupdegenssesontélevéscontrecettedécision,inquietsdesonmanqued’expérienceetdesesoriginesd’Érudit.Maxs’estemployéàfairetairecescraintes.Ericaussi.Ceuxquiexprimaientdesgriefsàvoixhauteunjourréapparaissaientlelendemainmuetset tendus, comme si on les avaitmenacés. Connaissant Eric, c’est sans doute ce qu’il faisait, à samanièretordue,enleurglissantd’unevoixposéedesmotssavammentcalculéspourinspirerlapeur.—C’estqui?medemandeChristina.—Eric,unchefAudacieux.—C’estvrai?Ilal’airsuperjeune.Jeserrelesdents.—Cen’estpasl’âgequicompteici.PlutôtlesrelationsavecJeanineMatthews.Erics’approcheetselaissetombersurunechaiseàcôtédemoi.Jefixemonassiette.—Tunenousprésentespas?medit-ild’untonfamilier,commesionétaitamis.—Christina,Tris.—Tiens,unePète-sec,commente-t-ild’unairnarquois.Pendantuneseconde,j’aipeurqu’ilneluiprécised’oùjeviens,etjecrispelamainsurmongenou

Page 110: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

pournepasêtretentédelefrapper.Maisilsecontentedeluidire:—Onverrabiencombiendetempstuvastenir.J’aiquandmêmeenviedelefrapper.Oudeluirappelerquelederniertransfertvenudechezles

Altruistes, qui est assis juste à côtéde lui, a quandmême réussi à lui casserunedent.Alors, allezsavoirdequoicelle-ciseracapable.Maisaveclesnouvellespratiques–lescombatsjusqu’auKO,leséliminationsauboutdelapremièresemaine–,ilaraison,vusongabarit,ilestpeuprobablequ’elletiennelongtemps.Çanemeplaîtpas,maisc’estcommeça.Ilsetourneversmoi:—Quoideneuf,Quatre?Surlecoup,jefrémis,craignantqu’iln’aitdécouvertquejelessurveille,Maxetlui.Jehausseles

épaules.—Riendespécial.—Maxaessayéplusieursfoisdetevoir,maisapparemment,tunet’esjamaismanifesté.Ilsepose

desquestions.Jen’aipasdemalàignorerlesmessagesdeMax,commes’ils’agissaitdedétritusportésparle

vent. Les réactions violentes suscitées par la nomination d’Eric laissent peut-être indifférent leprincipalintéressé,maispasMax,quin’ajamaisappréciésonprotégéautantqu’illedevrait.Moi,ilm’appréciait,bienquejenecomprennepastroppourquoi,étantunsolitairealorsquelesAudacieuxviventcolléslesunsauxautres.—Dis-luiquemapositionmeconvienttrèsbien,répliqué-je.—Ah,ilt’aproposéunboulot.Toujours cette inquisition méfiante qui suinte de sa bouche, comme le pus qui s’écoule d’un

nouveaupiercing.—Ilsemblerait.—Etçanet’intéressepas.—Çafaitdeuxansquejelerépète.—Bon,alorsespéronsqu’ilfiniraparcomprendre.Il me donne une tape sur l’épaule, censée être nonchalante, mais assez forte pour me projeter

brusquementenavant.Jelefusilleduregardtandisqu’ils’éloigne.Jen’aimepasêtresecoué,encoremoinsparuntraîtreàlasoldedesÉrudits.—Vousêtes…amis,touslesdeux?medemandeTris.—Onétaitdanslemêmegroupedenovices.Jedécidedefrapperàtitrepréventif,delesmontercontreEricavantqu’ilnelesmontecontremoi,

etjeprécise:—IlvenaitdechezlesÉrudits.Christinahausselessourcils,maisTrisneréagitpas,nemanifesteriendeladéfiancequidevrait

êtregravéeenelle,aprèsavoirgrandichezlesAltruistes.—Toiaussi,tuesuntransfert?medemande-t-elle.—Jepensaisqu’iln’yauraitquelesSincèrespourmecasserlespiedsavecleursquestions.Voilà

quelesPète-secs’ymettentaussi?CommeavecChristina tout à l’heure,ma rudesseapourbutde fermer laporte avantqu’ellene

s’ouvre trop.MaisTrisgrimacecommesiellevenaitdemordredansquelquechosed’ameretmerétorque:—C’estsûrementàcausedetoncôtéchaleureux.Genreportedeprison.Ellerougitsousmonregard,maisnedétournepaslesyeux.Cettefillemesemblefamilière,mais

Page 111: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

jejurequejemeseraisrappeléd’unefilleAltruisteavecunetellepersonnalitésijel’avaisrencontréemêmejustequelquessecondes.—Attention,Tris.Attentionàcequetumedis,àcequetudisauxautres,danscettefactionauxvaleursfaussées,qui

ne comprend pas que quand on vient de chez lesAltruistes, refuser de s’écraser est le sommet ducourage.Endisantsonnom,jesaisisd’oùjelaconnais.C’estlafilled’AndrewPrior.Beatrice.Tris.

Page 112: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

«ÇATEVABIEN,TONNOUVEAULOOK,TRIS»

JENESAISPLUSBIENPOURQUOIJ’AIRI,saufquec’étaitàcaused’untructropdrôlequ’aditZeke.Autourdemoi, laFosseoscillecommesi j’étaissurunebalançoire.Agrippéà la rambarde,j’avalelefonddubreuvagenonidentifiéquirestaitdansmonverre.UneattaquecontrelesAltruistes?QuelleattaquecontrelesAltruistes?Mesouvienspas.D’accord,c’estfaux,maisiln’estjamaistroptardpours’habitueràvivreaveclessaladesqu’onse

raconte.Jevoisunetêteblondedanserdanslafouleetmonregarddescendjusqu’auvisagedeTris.Pour

unefois,ellen’estpasnoyéesousdescouchesdevêtementsetsoncoln’estpasboutonnéjusqu’aucou.Jedistinguesesformes–«Arrête»,merabroueunevoixdansmatêteavantquemapenséenepuisseallerplusloin.—Tris!C’estsortisansquejepuisseleretenir,etjen’aimêmepasessayé.Jemedirigeversellesansme

préoccuperdesregardsmédusésdeWill,AletChristina.Çan’estpasdifficile–jen’aiqu’àsuivresesyeux,quiparaissentpluslumineux,plusperçantsqued’habitude.—Tuasquelquechosedechangé,dis-je.Jeveuxdire«Tuparaisplusâgée»,maisjenevoudraispasqu’ellecroiequejeluitrouvaisune

têtedegamineavant.Ellen’apeut-êtrepasdescourbesdefemme,maispersonneenregardantsonvisagenepourraitvoirceluid’uneenfant.Unenfantn’apascetteférocité.—Toiaussi,meréplique-t-elle.Qu’est-cequetufais?«Jebois»,pensé-je.Maisça,elleadûs’enapercevoir.—Jeflirteaveclamort,dis-jeenriant.Jeboisprèsdugouffre.Peut-êtrepasl’idéedusiècle.—Effectivement.Elleneritpas.Elleaunairméfiant.Maisdequoiseméfierait-elle?Demoi?—Jenesavaispasquetuavaisuntatouage,fais-jeenposantlesyeuxsursaclavicule.Ilreprésentetroisoiseauxnoirs,toutsimples,maisilssemblentvolersursapeau.—Hm.Lescorbeaux,ajouté-je.J’aienviedeluidemandercequiapulapousseràsefairetatouerl’undesespirescauchemars,à

porterlesignedesapeuraulieudel’enfouir,d’enavoirhonte.Maiscen’estpasparcequej’aihontedemespeursqu’elledoitavoirhontedessiennes.JemeretourneversZekeetShauna,quisetiennentaccoudésàlarambarde,épaulecontreépaule.—Jeteproposeraisbiendeveniravecnous,maistun’espascenséemevoircommeça.—Commeçacomment?Soûl?—Ouais…enfin,non.(Çanem’amuseplustantqueça,toutàcoup.)Envrai,jedirais.—Jeferaicommesijen’avaisrienvu.—C’estsympa.Jemepenche,plusprèsquejenedevrais,etjesensl’odeurdesescheveux,jesenslapeaudélicate,

lisseet fraîchedesa jouecontre lamienne.Sielleavaitneserait-cequ’esquisséunmouvementderecul,j’auraishontedemecomporterd’unemanièreaussistupide,aussieffrontée,maisellen’apasbougé.J’aimêmel’impressionqu’elles’estlégèrementrapprochée.—Ça te va bien, ton nouveau look,Tris, dis-je, parce que je ne suis pas sûr qu’elle le sache et

qu’elledevraitlesavoir.

Page 113: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

Cettefois,ellerit.—Rends-moiservice,tiens-toiàl’écartdecetterambarde,d’accord?—Promis.Ellemesourit.Et,pourlapremièrefois,jemedemandesijeluiplais.Siellearriveencoreàme

sourireenmevoyantdanscetétat…hmm,cen’estpasexclu.Mais je sais une chose : pour ce qui est de m’aider à oublier la mocheté de ce monde, je la

choisirais,elle,plutôtquel’alcool.

Page 114: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

REMERCIEMENTS

MERCI,MERCI,MERCI:Àmonmari,àmafamille(lesRoth-Rydz-Ross,Fitch,Krauss,Paquette,Johnsonettouslesautres)

etàmesamis(écrivainsetnonécrivainsdeparlemonde),pourleursoutien,leurgénérositéetleurtolérance,sanslesquelsj’auraiseumalàsurvivre.Sérieusement.ÀJoannaVolpe,agentetamie,poursagentillesseetsasagesseet toutes les (Bonnes)Choses.À

KatherineTegen,éditriceet amie,pour sa sagesseéditorialeet sondur labeur.À toute l’équipedeHarperCollinspoursesexploitsdetoutessortes:JoelTippie,AmyRyan,BarbFitzsimmons,BrennaFranzitta, JoshWeiss,MarkRifkin,ValerieShea,ChristineCox, JoanGiurdanella,LaurenFlower,Alison Lisnow, Sandee Roston, Diane Naughton, Colleen O’Connell, Aubry Parks-Fried, MargotWood, Patty Rosati,Molly Thomas, Onalee Smith, Andrea Pappenheimer, KerryMoynagh, KathyFaber, Liz Frew,HeatherDoss, Jenny Sheridan, FranOlson,DebMurphy, JessicaAbel, SamanthaHagerbaumer,AndreaRosen,DavidWolfson, JeanMcGinley,AlphaWong,ShealaHowley,RuikoTokunaga, Caitlin Garing, Beth Ives, Katie Bignell, Karen Dziekonski, Sean McManus, RandyRosema, PamMoore, Rosanne Romanello, MelindaWeigel, GwenMorton, Lillian Sun, RosanneLauer,EricaFergusonetbiensûrKateJackson,SusanKatzetBrianMurray.Jen’auraispaspurêverunemeilleuremaisond’édition.À Danielle Barthel pour sa patience et ses encouragements, concernant ces histoires-ci en

particulier.À Pouya Shahbazian, pourm’avoirmontré comment rester calme dans la tempête (j’yœuvre).À toute l’équipedeNewLeafLiterarypour tout le travail accompli, et avecbrio.ÀSteveYounger,autantpoursonhumourquepoursesprouessesjuridiques.Et,enfinmaissurtout,surtout :à tous les lecteursdeDivergence (lesnovices !)dumondeentier.

Votre enthousiasmepour cespersonnagesm’aportéedans l’écriturede ceshistoires etm’adonnél’élanpoursurmonterlesdifficultés.Laconclusionlaplusappropriéemesembleêtreun

Page 115: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure

L’AUTEURE

VERONICAROTHA22anslorsqu’ellepublielepremiertomedeDivergence.C’estsonpremierroman, qu’elle a écrit pendant ses études à laNorthwesternUniversity.Alors étudiante enÉcriturecréative,ellepréféraitseplongerdanslesaventuresdeTrisplutôtquefairesesdevoirs…Elleestaujourd’huiécrivaineetvitdanslesenvironsdeChicago.SasérieDivergencefaitpartiede

lalistedesbest-sellersduNewYorkTimes.

Page 116: À mes lecteurs, des sages et des braves.ekladata.com/gThKcckgn9iMagXpGg1s8lwBKVw/Divergente...VERONICA ROTH LE TRANSFERT J’ÉMERGE DE LA SIMULATION en hurlant. Ma lèvre inférieure