« Éléments de définition pour une sociologie politique du

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1 « Éléments de définition pour une sociologie politique du droit », Droit et Société. Revue internationale de théorie et de sociologie juridique, (Paris), 1998, n°2, pp. 347-370. L’expression de « sociologie politique du droit » a récemment fait son apparition dans le langage scientifique. En 1994, Jacques Commaille publiait « L’esprit sociologique des lois. Essai de sociologie politique du droit », ouvrage dans lequel il développait une analyse originale de l’évolution de la législation française du droit de la famille 1 . Une recherche comparative menée dans plusieurs pays s’est développée sur cette base, aboutissant à la publication d’une étude consacrée à la « Politique des lois en Europe » 2 . A Bruxelles, en 1995, les Facultés universitaires Saint-Louis ont créé un « Centre de sociologie politique du droit », dénomination inédite à notre connaissance. Cet intérêt pour la politique n’est pas, en soi, fondamentalement nouveau en sociologie du droit. Dans son ouvrage de référence, Renato Treves introduit un chapitre consacré à l’ « apport des théories politiques » en relevant « le lien indissoluble qui unit la sociologie et la politique » 3 , et en citant un autre auteur italien pour qui « les rapports avec la sociologie politique […] constituent l’un des points de passage obligés pour une sociologie du droit qui voudrait vraiment remplir une fonction critique à l’égard de la culture juridique traditionnelle » 4 . Dans une autre perspective, et même si l’auteur est généralement soucieux de séparer politique et droit, Jean Carbonnier évoque la sociologie politique comme une « science dont les recherches peuvent se recouper avec la sociologie du droit » 5 . Il faut en revanche relever que l’intérêt suscité par cette discipline n’a pas mené, dans l’état actuel de nos connaissances, à une véritable définition. L’ouvrage précité de Jacques Commaille, sans doute le plus abouti en la matière, constitue un apport théorique de dimension, mais ne contient aucune définition explicite de la discipline, et encore moins des limites qui la sépareraient d’autres sciences qui ont le droit comme objet 6 . On ne trouvera pas non plus une définition consacrée à la sociologie politique du droit dans le « Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit » qui fait autorité en langue française 7 , ni dans les manuels classiques de sociologie du droit 8 . Un examen des principaux ouvrages 1 Paris, P.U.F., coll. « Droit, éthique et société ». 2 Politique des lois en Europe, Paris, L.G.D.J., coll. « Droit et sociétés », 1995. 3 Sociologie du droit, Paris, P.U.F., 1995, p. 73. 4 Il s’agit de A. Frebbrajo, « Per una sociologia del diritto critica », cité dans ibid., note 1. 5 Sociologie juridique, Paris, P.U.F., éd. Quadrige, 1994, p. 54; v. aussi la réponse donnée à une question concernant certaines "nouvelles catégories conceptuelles » en sociologie du droit, dont la politique dans J. Carbonnier, R. Treves et la sociologie du droit. Archéologie d’une discipline, Paris, L.G.D.J., 1995, pp. 55 et ss. 6 V. en particulier l’introduction de l’ouvrage, pp. 7 et ss. 7 A.J. Arnaud (dir.), Paris, L.G.D.J., Bruxelles, Story-Sciencia, 1988. 8 Outre les ouvrages précités de R. Treves et de J. Carbonnier, on consultera par exemple les études de Gurvitch, Weber, Pound, Lévy-Bruhl, citées dans les lignes qui suivent.

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« Éléments de définition pour une sociologie politique du droit », Droit et Société. Revue

internationale de théorie et de sociologie juridique, (Paris), 1998, n°2, pp. 347-370.

L’expression de « sociologie politique du droit » a récemment fait son apparition dans

le langage scientifique. En 1994, Jacques Commaille publiait « L’esprit sociologique des lois.

Essai de sociologie politique du droit », ouvrage dans lequel il développait une analyse

originale de l’évolution de la législation française du droit de la famille 1. Une recherche

comparative menée dans plusieurs pays s’est développée sur cette base, aboutissant à la

publication d’une étude consacrée à la « Politique des lois en Europe » 2. A Bruxelles, en

1995, les Facultés universitaires Saint-Louis ont créé un « Centre de sociologie politique du

droit », dénomination inédite à notre connaissance.

Cet intérêt pour la politique n’est pas, en soi, fondamentalement nouveau en sociologie

du droit. Dans son ouvrage de référence, Renato Treves introduit un chapitre consacré à

l’ « apport des théories politiques » en relevant « le lien indissoluble qui unit la sociologie et

la politique » 3, et en citant un autre auteur italien pour qui « les rapports avec la sociologie

politique […] constituent l’un des points de passage obligés pour une sociologie du droit qui

voudrait vraiment remplir une fonction critique à l’égard de la culture juridique

traditionnelle » 4. Dans une autre perspective, et même si l’auteur est généralement soucieux

de séparer politique et droit, Jean Carbonnier évoque la sociologie politique comme une

« science dont les recherches peuvent se recouper avec la sociologie du droit » 5.

Il faut en revanche relever que l’intérêt suscité par cette discipline n’a pas mené, dans

l’état actuel de nos connaissances, à une véritable définition. L’ouvrage précité de Jacques

Commaille, sans doute le plus abouti en la matière, constitue un apport théorique de

dimension, mais ne contient aucune définition explicite de la discipline, et encore moins des

limites qui la sépareraient d’autres sciences qui ont le droit comme objet 6. On ne trouvera

pas non plus une définition consacrée à la sociologie politique du droit dans le « Dictionnaire

encyclopédique de théorie et de sociologie du droit » qui fait autorité en langue française 7, ni

dans les manuels classiques de sociologie du droit 8. Un examen des principaux ouvrages

1 Paris, P.U.F., coll. « Droit, éthique et société ». 2 Politique des lois en Europe, Paris, L.G.D.J., coll. « Droit et sociétés », 1995. 3 Sociologie du droit, Paris, P.U.F., 1995, p. 73. 4 Il s’agit de A. Frebbrajo, « Per una sociologia del diritto critica », cité dans ibid., note 1. 5 Sociologie juridique, Paris, P.U.F., éd. Quadrige, 1994, p. 54; v. aussi la réponse donnée à une question concernant

certaines "nouvelles catégories conceptuelles » en sociologie du droit, dont la politique dans J. Carbonnier, R. Treves et la sociologie du droit. Archéologie d’une discipline, Paris, L.G.D.J., 1995, pp. 55 et ss.

6 V. en particulier l’introduction de l’ouvrage, pp. 7 et ss. 7 A.J. Arnaud (dir.), Paris, L.G.D.J., Bruxelles, Story-Sciencia, 1988. 8 Outre les ouvrages précités de R. Treves et de J. Carbonnier, on consultera par exemple les études de Gurvitch, Weber,

Pound, Lévy-Bruhl, citées dans les lignes qui suivent.

2

consacrés à la sociologie politique aboutit à la même conclusion. On peut en effet considérer

que soit le droit n’est tout simplement pas 9, ou très peu 10, abordé, soit il est envisagé dans le

cadre de chapitres consacrés aux phénomènes de légitimation, mais sans aucune définition, ni

même référence, à une sociologie politique du droit 11. Le même constat ressort d’une

analyse des grands traités de science politique 12.

Quant aux définitions données à la sociologie du droit elle-même, elles mettent surtout

l’accent sur les relations étroites, et difficiles à maîtriser, qu’elle entretient avec d’autres

sciences voisines, comme la philosophie ou la théorie du droit 13. Pour Jean Carbonnier,

l’histoire de la discipline, « ramenée à la période contemporaine, laisse apparaître un trait dominant : c’est une certaine impuissance de la sociologie juridique à décoller de la philosophie du droit » 14.

André-Jean Arnaud, dans sa préface au Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, admet que

« S’agissant de la délimitation des champs disciplinaires propres de la théorie du droit et de la sociologie juridique, l’équipe de travail s’est rendue compte, dès le stade de la collecte des items […] qu’il n’était pas simple d’en tracer les frontières » 15.

Selon Paul Foriers, « La distinction tranchée entre ‘science du droit’, ‘sociologie du droit’ et ‘philosophie du droit’ est, en effet, artificielle et stérile, car elle conduit à l’impuissance de ces trois disciplines » 16.

On pourrait multiplier les exemples 17. La terminologie utilisée par différents auteurs

ne manque d’ailleurs pas de compliquer singulièrement la réflexion 18. Henri Lévy-Bruhl

9 V. p. ex. B. Badie et J. Gertslé, Lexique. Sociologie politique, Paris, P.U.F., 1979 (on ne retrouve aucun verbo consacré au droit); P. Birnbaum et F. Chazel, Sociologie politique, Paris, Armand Colin, 2 tomes, 1971; J.P. Cot et J.P. Mounier, Pour une sociologie politique, Paris, Seuil, 1974, 2 volumes.

10 V. p. ex. M. Duberger, Sociologie politique, Paris, P.U.F., coll. Thémis, 1966, pp. 110 et 312; C. Rouvier, Sociologie politique, Paris, litec, 1995, p. 209.

11 V. not. J. Lagroye, Sociologie politique, Paris, Dalloz, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1ère éd., 1991, pp. 123 et ss.

12 V. M. Grawitz et J. Leca, Traité de science politique, Paris, P.U.F., 1ère éd., 1985, pp. 382 et ss. (passage de la contribution de Ph. Braud, « Du pouvoir en général au pouvoir politique »); G. Burdeau, Traité de sciences politiques, Paris, L.G.D.J., 1ère éd., 1949. Relevons enfin que les ouvrages d’anthropologie politique ne nous donnent pas davantage d’indications; v. p. ex. G. Balandier, Anthropologie politique, Paris, P.U.F., 1967, 237 p; M. Abélès, Anthropologie de l’Etat, Paris, Armand Colin, 1990, 184 p.

13 V. déjà G. Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, Paris, Aubier, 1940, p. 1. 14 Sociologie juridique, op.cit., p. 147. 15 Ouvrage précité, p. XV; v. aussi, du même auteur, « Droit et Société : du constat à la construction d’un champ commun »,

Droit et Société, N°20-21, 1992, pp. 18 et ss. 16 « Actualité du droit naturel et libre recherche scientifique » in La pensée juridique de Paul Foriers, Bruxelles, Bruylant,

1982, vol. I, p. 66. ,

3

associe par exemple la sociologie du droit à une « juristique » 19, Henri Rolin à une « science

du droit » 20, Hubert Rottleuthner évoque une « théorie sociologique du droit » 21, … Quant

aux clivages généralement évoqués (sociologie juridique/du droit, empirique/théorique,

matérielle/formelle, dans le droit/sur le droit, …), ils suscitent plus qu’ils ne clôturent le débat

épistémologique 22.

Sans prétendre nullement épuiser ces controverses, la présente étude se veut une

tentative d’apporter des éléments de définition d’une sociologie spécifiquement politique du

droit, de manière à la distinguer non seulement des disciplines voisines, mais aussi de ce

qu’on a pu appeler de manière très générale « les sociologies juridiques » 23.

L’optique étant précisée, deux précautions méthodologiques s’imposent. D’abord, il

ne s’agira évidemment pas de présenter la sociologie politique du droit comme la

« meilleure » discipline, celle qui serait la mieux apte à expliquer le phénomène juridique. Le

choix d’une approche, qu’elle soit philosophique ou sociologique ne se justifie pas

scientifiquement, mais résulte d’une option personnelle elle-même fondée sur des motifs les

plus variés 24. En revanche, nous tenterons de démontrer que, si l’on opte pour la sociologie

politique comme stratégie d’approche, on est amené à assumer un certain nombre de prises de

position qui jalonnent la recherche et qui, comme nous le verrons, sont loin d’être neutres ou

simplement « techniques ». Ensuite, l’étude vise à apporter des éléments de définition, mais

ne prétend pas apporter des réponses infaillibles et définitives. Les éléments sont autant

d’ouvertures à la discussion non seulement auprès de ceux qui mènent des recherches

empiriques, mais aussi des théoriciens spécialistes des autres sciences que nous serons amené

à aborder.

17 Voy. J. Commaille et J.F. Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », Droit et société, N°1, août 1985, p. 96;

R. Treves, « La sociologie du droit : un débat » in J. Carbonnier, R. Treves et la sociologie du droit. Archéologie d’une discipline, op.cit., pp. 165 et ss.; E. Jorion, De la sociologie juridique. Etudes de sociologie juridique, Bruxelles, U.L.B., Ed. de l’Institut de sociologie, 1967, pp. 10 et ss. et, du même auteur, « Nouveaux commentaires d’une conception originale de la sociologie juridique », Revue de l’Institut de sociologie, 1971, pp. 650 et 657.

18 Voy. p. ex. l’ouvrage de D. Touret, Introduction à la sociologie et à la philosophie du droit. La bio-logique du droit, Paris, litec, 1995. Les différences entre les deux disciplines ne sont pas distinguées dans le cours de l’étude.

19 Sociologie du droit, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je ?, 7ème éd., 1990, pp. 87 et ss. 20 Prolégomènes à la science du droit. Esquisse d’une sociologie juridique, Bruxelles, Bruylant, Paris, Félix Alcan, 1911, p.

1. 21 « Le concept sociologique de droit », R.I.E.J., 1992.29, p. 69. 22 R. Pound, « Sociologie du droit » in G. Gurvitch et W.E. Moore (dir.), La sociologie au XXème siècle. Les grands

problèmes de la sociologie, tome I, Paris, P.U.F., 1947, p. 317. Pour une exposé de l’ensemble de ces distinctions, v. p. ex. R. Treves, Sociologie du droit, op.cit.

23 J. Commaille, « Esquisse d’analyse des rapports entre droit et sociologie. Les sociologies juridiques », R.I.E.J., 1982-8, pp. 9 et ss.

24 V. F. Ost et M. van de Kerchove, "De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? » in F. Chazel et J. Commaille (éds.), Normes juridiques et relations sociales, Paris, L.G.D.J., coll. "Droit et société », 1991, p. 68 et A.J. Arnaud, "Sociologie et droit. Rapports savants, rapports politiques », même ouvrage, p. 81.

4

L’étude sera divisée en deux parties. Dans un premier temps, nous tenterons de

séparer autant que possible les sciences voisines, que nous érigerons en idéal-types ; la

perspective sera multidisciplinaire 25. Cette séparation, quelque peu artificielle, nous

permettra néanmoins de mieux distinguer les frontières entre les différentes sciences du droit.

Dans un second temps, les spécificités de la sociologie politique du droit seront envisagées

dans une perspective interdisciplinaire; il s’agira d’assumer le passage d’une science à l’autre

(et en même temps de confronter les sciences qui avaient été artificiellement séparées), mais

en indiquant quelle est l’articulation propre à notre science de référence.

I. LA SOCIOLOGIE POLITIQUE DU DROIT DANS UNE PERSPECTIVE MULTIDISCIPLINAIRE

La science du droit peut se définir comme une « activité cognitive visant à donner une

représentation du phénomène juridique conforme au paradigme scientifique adopté » 26.

Deux sciences du droit sont dès lors différentes si elles se réfèrent à des paradigmes différents

27. Pour ce qui concerne la sociologie politique du droit, on peut considérer que :

- elle ne constitue pas une science distincte de la sociologie du droit, avec qui elle partage des

paradigmes que l’on ne retrouve pas dans d’autres sciences du droit;

- elle présente cependant des caractéristiques propres qui permettent de la considérer comme

une discipline spécialisée de sociologie du droit.

Nous verrons dès lors, dans un premier temps quelles différences la sociologie du droit

(y compris dans ses aspects politiques) entretient avec d’autres sciences (A), dans un second

quelles sont les spécificités de la sociologie politique du droit par rapport aux autres

sociologies juridiques (B).

A. Sociologie (politique) du droit et autres sciences du droit

25 Sur la distinction entre multidisciplinarité (que l’on peut assimiler à une utilisation successive de différentes disciplines, sans toutefois que ne se dégage une articulation cohérente entre ces disciplines) et interdisciplinarité (qui suppose cette fois que les différentes disciplines soient articulées en fonction d’une approche d’ensemble), v. F. Ost et M. van de Kerchove, « De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? », loc.cit., p. 77 ainsi que F. Ost, « Questions méthodologiques à propos de la recherche interdisciplinaire en droit », R.I.E.J., 1981-6, p. 5.

26 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., p. 363. 27 V. J. Van Houtte et G. Dierickx, « La sociologie juridique : une science globalisante ? », Revue de l’Institut de sociologie,

1971-4, p. 630 et N. Kralyevitch, La portée théorique du glissement du droit vers la sociologie. La doctrine juridique au point de vue de la connaissance et de la sociologie, Paris, Sirey, 1939, p. 228.

5

La perspective multidisciplinaire supposant de faire, autant que possible, abstraction

des interactions entre les disciplines voisines, nous avons établi un tableau 28 reprenant, pour

chacune des sciences retenues, des caractéristiques traduites sous la forme d’idéaltypes 29. Le

tableau a donc une fonction essentiellement heuristique; il ne prétend pas refléter fidèlement

la réalité et encore moins les nuances qui la composent, nuances volontairement et

artificiellement gommées. Particulièrement pour la sociologie du droit, dont la définition

reste à l’heure actuelle largement ouverte 30, on a privilégié les critères qui permettaient le

mieux de la distinguer des autres disciplines 31. La terminologie employée est elle aussi

intentionnellement simplifiée, et ne suscite guère de problèmes, tant elle reprend des notions

reconnues dans les sciences du droit.

Un certain nombre de commentaires doivent toutefois être apportés à propos des choix

opérés.

Tout d’abord, la sélection même des sciences du droit (lignes A à D) a été guidée par

le souci de préserver les clivages les plus marqués possibles. Ainsi, la théorie critique du

droit a été écartée dans la mesure où, contrairement à une théorie analytique ou « pure’, elle

vise précisément à transcender les clivages traditionnels 32. On aurait aussi pu s’attendre à

retrouver la linguistique juridique, mais cette science se prête peu à la catégorisation

proposée, surtout si l’on veut prendre en compte ses diverses disciplines spécialisées, comme

la sémantique ou la pragmatique 33. Par contre, la « dogmatique juridique », la théorie pure

du droit, la philosophie du droit et la sociologie du droit peuvent être distinguées clairement

en tant qu’idéaltypes.

En ce qui concerne les définitions sélectionnées (colonne 1), c’est le même critère qui

prévaut. On remarquera en particulier le caractère traditionnel de la définition de la

philosophie du droit, la « validité » à laquelle il est fait allusion s’entendant très largement

comme la conformité à un étalon 34. La définition de la sociologie du droit elle-même est la

plus large que nous avons rencontrée; on la retrouve notamment sous la plume de Renato

Treves 35. 28 V. le tableau n°1 reproduit ci-dessous. 29 L’appellation, d’inspiration weberienne, désigne très généralement « un modèle abstrait construit à partir de traits

caractéristiques et singuliers » (G. Ferréol, Vocabulaire de la sociologie, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je ?, 1995, p. 60). 30 J. Commaille et J.F. Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », loc.cit., p. 95. 31 Sont dès lors exclues les conceptions de la sociologie du droit qui la rattachent plus ou moins directement à d’autres

disciplines, et en particulier à la philosophie; v. p. ex. le concept de sociologie juridique normologique de E. Jorion, De la sociologie juridique, op.cit., not. pp. 113 et ss.

32 V. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., v° théorie générale du droit, p. 418. 33 V. M. Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1993, 9ème éd., pp. 271 et ss. 34 V. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., v° validité. 35 Sociologie du droit, op.cit., p. 21; v. aussi J. Commaille et J.F. Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit »,

loc.cit., p. 96.

6

La deuxième colonne reprend des modèles « de référence » c’est-à-dire par rapport

auxquels les spécialistes de la science concernée sont tenus de se positionner, que ce soit de

manière positive ou négative. Il est inutile de détailler ici ces paradigmes bien connus 36. Il

faut cependant ajouter que, pour la philosophie et la sociologie du droit, les modèles sont plus

nombreux, et nous avons donc dû choisir ceux qui, à notre sens, restent dominants dans le

champ scientifique actuel.

La troisième colonne comprend un premier clivage binaire fondé sur le critère de

validité, c’est-à-dire celui qui va permettre de fonder l’énoncé qui clôturera le raisonnement

scientifique. Par exemple, une interprétation en dogmatique ou une proposition en théorie

pure du droit seront valides si elles correspondent à des éléments (fait juridique, comme une

loi, ou concept juridique, comme l’absence de lacunes ou de contradictions) qui sont

intérieurs au système juridique considéré 37. Le constat reflète le positivisme formaliste et le

normativisme qui dominent les deux disciplines. En revanche, un énoncé en philosophie ou

en sociologie du droit tirera sa validité de la conformité à des critères par définition extérieurs

au système juridique, que celui-ci soit appréhendé « par le haut » (concepts métaphysiques)

ou « par le bas » (réalité sociale) 38. Ce clivage ne recoupe pas exactement l’opposition

interne/externe souvent évoquée en épistémologie juridique 39, le caractère externe supposant

seulement une rupture par rapport à l’objet d’études (ce qui n’implique pas de se référer à un

critère extérieur de validité), que l’on retrouve par exemple en théorie pure du droit 40.

La quatrième colonne renvoie à la vocation privilégiée de la science concernée :

l’énoncé qui clôture le raisonnement peut être d’ordre prescriptif (ou normatif) ou descriptif

(ou constatif). Il s’agit encore d’un clivage de type binaire, mais qui, par rapport au

précédent, aboutit à un découpage différent entre les disciplines. Ainsi, la dogmatique

juridique et la philosophie du droit visent à déterminer ce qui est conforme à une norme, dans

le seul cadre du droit positif dans le premier cas (et à cet égard, la vocation reste relative), de

36 Pour la plupart d’entre eux, on se reportera au Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, précité. 37 Pour la théorie pure du droit, le constat résulte directement de la "pureté » comme critère de référence; v. H. Kelsen,

Théorie pure du droit, op.cit., p. 25 et pp. 54-55. 38 V. not. G. Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, op.cit., p. 262. 39 La distinction provient de Herbert Hart, et est reprise et exposée notamment par F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons

pour une théorie critique du droit, Bruxelles, F.U.S.L., 1987, pp. 27 et ss. et F. Ost, « Questions méthodologiques à propos de la recherche interdisciplinaire en droit », loc.cit., pp. 23-24. Le clivage a été tantôt évoqué (R. Treves, « La sociologie du droit : un débat », loc.cit., pp. 167-168), tantôt critiqué pour son application à la sociologie du droit (J. Commaille et J.F. Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », loc.cit., p. 100 et note 19; A.J. Arnaud, « La valeur heuristique de la distinction interne / externe comme grande dichotomie pour la connaissance du droit : éléments d’une démystification », Droit et Société, n°2, 1986, p. 141 et, du même auteur, « Regards croisés » in J. Carbonnier, R. Treves et la sociologie du droit. Archéologie d’une discipline, op.cit., pp. 113-114).

40 Cette discipline suppose en effet d’envisager les règles comme un observateur scientifique (ce qui n’est pas le cas de la dogmatique juridique), et traduit en ce sens un point de vue externe, mais formule des propositions dont la validité renvoie, par définition, au système juridique épuré de tout élément extérieur.

7

manière plus large par rapport à des critères (variables) de justice dans le second (la vocation

est donc fondamentale) 41. Par contre, la théorie pure du droit comme la sociologie du droit

s’attachent non à rechercher ce qui doit être, mais établir ce qui est; dans le premier cas, il

s’agit d’élaborer des propositions sur les normes caractérisant le droit positif (vocation

relative) 42, dans le second, de considérer ces normes comme des choses et de les expliquer en

les confrontant à la réalité sociale (vocation fondamentale) 43. Encore convient-il de préciser

que le terme « fondamentale » qui caractérise la sociologie du droit se distingue de celui qui

caractérise parfois la philosophie du droit : l’énoncé ne sera en effet en principe valide que

dans le cadre d’une société donnée, voire pour un droit donné, et non de manière absolue 44.

Ce clivage prête au demeurant davantage à discussion, dans la mesure où la frontière

entre descriptif et prescriptif est souvent difficile à déterminer 45. Le principe subsiste

néanmoins : si le sociologue formule lui-même un avis de type prescriptif, cet avis ne sera

émis qu’à partir de son énoncé scientifique, mais ne se confondra pas avec lui 46. En d’autres

termes, cet avis sera présenté comme une prise de position qui fait suite au résultat

scientifique, mais qui ne peut, lui-même, être fondé scientifiquement (en tout cas sur les

mêmes critères). Pour éviter tout équivoque sur le caractère non normatif de la sociologie du

droit, on a complété le tableau en reprenant, dans l’ordre pour les quatre sciences présentées,

les termes « détermination » (du contenu du droit), « compréhension » (de l’état du droit) 47,

« évaluation » (par rapport aux fins du droit) 48 et « explication » (par rapport aux fonctions

du droit) qui rendent mieux compte des nuances qui les séparent, même dans le cadre d’un

clivage binaire.

41 V. p. ex. A. Renaut et L. Sosoe, Philosophie du droit, Paris, P.U.F., 1991, pp. 15 et ss. 42 H. Kelsen, Théorie pure du droit, Neuchâtel, éd. de la Braconnière, 1988, pp. 51 et ss., Théorie générale des normes,

Paris, P.U.F., 1996, pp. 217-219 et « Qu’est-ce que la théorie pure du droit ? », Droit et Société, N°20-21, 1992, pp. 552-554; v. aussi V. Villa, « La science juridique entre descriptivisme et constructivisme » in P. Amselek (éd.),Théorie du droit et science, Paris, P.U.F., 1994, pp. 289-290.

43 V. M. Weber, Économie et société. Tome 2. L’organisation et les puissances de la société dans leur rapport avec l’économie, Paris, Plon, coll. Agora, 1995, p. 11; v. aussi les réflexions de J.F. Perrin, « Quelles vérités pour une théorie de la pratique judiciaire ? », R.I.E.J., 1982-8, p. 55 et de G.G. Granger, « A quoi sert l’épistémologie ? », Droit et Société, N°20-21, 1992, p. 43.

44 L. M. Friedman, « La sociologie du droit est-elle vraiment une science ? », Droit et Société, n°2, janvier 1986, pp. 91 et ss. 45 V. p. ex. D. Black, « The Boundaries of Legal Sociology » in Ch. E. Reasons & Robert M. Rich (eds.), The Sociology of

Law. A Conflict Perspective, Toronto, Butterworths, 1978, p. 97 et les réflexions de A.J. Arnaud, Critique de la raison juridique. 1. Où va la sociologie du droit ?, Paris, L.G.D.J., 1981, pp. 431 et ss.

46 En ce sens, ; J. Van Houtte, « La sociologie du droit, les problèmes sociaux et la politique en Belgique », Droit et Société, N°20-21, 1992, p. 439; v. aussi E. Jorion, « Nouveaux commentaires d’une conception originale de la sociologie juridique », loc.cit., p. 658; R. Treves, « Préface » in S.V. Versele (dir.), Sociologie du droit et de la justice, Bruxelles, U.L.B., éd. de l’Institut de sociologie, 1970, p. 5, et L. M. Friedman, « La sociologie du droit est-elle vraiment une science ? », loc.cit., pp. 92-93.

47 V. la définition de « comprendre » en rapport avec une perspective interne dans F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., pp. 80-81.

48 V. p. ex. M. Villey, Philosophie du droit, Tome I. Définition et fins du droit, Paris, Dalloz, 2ème éd., 1978, not. p. 189.

8

Nous venons en même temps de présenter la cinquième colonne, qui doit être

comprise comme reprenant des points d’appui privilégiés mais, bien entendu, nullement

exclusifs 49. C’est plutôt l’accent mis par chaque discipline sur l’un des aspects du droit qui

est souligné, mais l’objet reste bien, dans chaque cas (sauf peut-être pour ce qui concerne la

dogmatique juridique), le droit dans son ensemble. On ne saurait dès lors réduire la

sociologie du droit à une analyse des fonctions, la discipline supposant aussi des recherches

relatives au contenu, à l’état et aux fins du droit 50.

La dernière colonne vise à tirer les conséquences de l’ensemble des critères précédents

sur le plan, particulièrement significatif, de l’interprétation. On peut illustrer le propos par le

cas d’une règle de droit positif prescrivant le droit à un « procès équitable ». L’utilisation des

différentes sciences présentées peut s’articuler comme suit, toujours dans une perspective

multidisciplinaire :

- sur le plan de la dogmatique juridique, l’interprète recherchera d’éventuels critères aptes à

préciser l’expression dans le texte de loi (opération déductive inspirée de la doctrine de

l’exégèse) ou dans des précédents jurisprudentiels comparables (induction de critères,

élaboration d’une norme et confrontation avec le cas d’espèce en suivant les étapes du «

syllogisme judiciaire ») 51;

- sur le plan de la théorie du droit, le modèle du « législateur rationnel », censé avoir prévu le

cas en examen et avoir donné des indications permettant de le résoudre, guidera l’interprète

qui se mettra donc virtuellement « à la place » du législateur pour donner une (absence de

lacune) et une seule (absence d’antinomie) solution 52;

- sur le plan de la philosophie du droit, l’interprétation de ce que représente un procès

équitable dans un cas donné sera valable si, par exemple, elle est conforme à la « nature des

choses », entendue notamment comme ce qui reflète les valeurs qui font l’objet d’un

consensus dans la société 53 ou si, autre possibilité, elle clôture une procédure dans laquelle

49 V. p. ex. les réflexions de R. Treves sur les rapports entre fonctions et fins du droit; Sociologie du droit, op.cit., pp. 256 et

ss. 50 On touche ici à la vocation essentiellement interdisciplinaire de la sociologie du droit;v. ci-dessous, IIème partie. 51 Pour une exemple de ce type de démarche, voy. les commentaires de l’article 6 de la Convention européenne des droits de

l’homme donnés par J. Velu et R. Ergec, La Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1990, pp. 327 et ss.

52 Le concept, que l’on retrouve déjà chez Aristote, est discuté par M. Weber (sans que l’expression elle-même soit utilisée); Sociologie du droit, op.cit. pp. 43 et 226-227; v. J. Lenoble et F. Ost, Droit, mythe et raison, Bruxelles, F.U.S.L., 1980, pp. 89 et 138 et ss.; F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., pp. 100 et ss.

53 On se référera en particulier aux travaux de P. Foriers, « Morale et droit », La pensée juridique…, op.cit., vol. I, p. 432; "Actualité du droit naturel et libre recherche scientifique", ibid., pp. 77 et ss.; « Règles de droit. Essai d’une problématique », id., vol. II, pp. 568 et ss.; « Les relations des sources écrites et non écrites du droit », id., vol. II, p. 684 et « L’interprétation juridique, ses méthodes et l’activité du juge », id., vol. II, pp. 714 et ss..

9

chacun aura pu présenter ses arguments sans contraintes et dans le seul souci d’établir la

vérité ou d’atteindre la justice (on pense à certaines théories qui se rattachent à l’« éthique de

la discussion ») 54;

- en sociologie du droit, on peut considérer que la notion de « procès équitable » reproduite

dans la règle permet au texte, par définition rigide, de s’adapter à l’évolution de la vie sociale

ou, dans une perspective plus conflictualiste, que ce type d’expression permettra à l’interprète

de légitimer une position politique qui lui est propre sous le couvert d’une notion juridique

qui prétend à la neutralité axiologique 55.

Cet exemple montre la variété des approches rendues possibles par le choix de l’une

ou l’autre science du droit. Il montre aussi que, en pratique, les interactions entre paradigmes

et les dépassements de clivages sont inévitables. Nous y reviendrons dans la deuxième partie

de la présente étude. Il nous reste, avant cela, à préciser dans quelle mesure la sociologie

politique du droit se démarque de la sociologie du droit puisque, à ce stade, nous avons

regroupé les deux expressions pour mieux les opposer aux autres sciences du droit.

B. Sociologie politique du droit et sociologies juridiques

Rappelons tout d’abord que tout ce que nous venons d’écrire vaut à la fois pour la

sociologie du droit au sens large et pour la sociologie politique du droit : les mêmes

paradigmes sont applicables, et c’est bien pourquoi on ne peut pas considérer qu’il y a là des

sciences distinctes. Quel est, alors, la spécificité de la sociologie politique du droit ? On ne la

retrouve ni dans la science de référence (la sociologie) ni dans l’objet de l’étude (les rapports

entre le droit et la société, ce qui suppose d’appréhender non seulement les règles juridiques

mais aussi les processus d’élaboration et d’application de ces règles) mais dans la notion de

politique qui les relie et qui ne se retrouve pas nécessairement dans toute étude de sociologie

juridique. En analysant la doctrine, on peut formuler trois remarques qui fournissent autant

d’indications sur la spécificité de cette discipline.

1. Politique et Etat

54 Parmi l’abondante littérature consacrée au sujet, v. not. J. Lenoble, Droit et communication. La transformation du droit contemporain, Paris, Ed. du Cerf, coll. « humanités », 1994.

55 Nous avons développé le même type de point de vue dans notre thèse de doctorat à propos de la notion de « raisonnable »; v. L’utilisation du "raisonnable" par le juge international. Discours juridique, raison et contradictions, Bruxelles, Bruylant, 1997.

10

Les manuels de sociologie politique se réfèrent, en premier lieu, à la notion d’Etat

pour caractériser leur discipline 56. L’un des domaines privilégiés d’une sociologie politique

du droit devrait donc être l’analyse des rapports entre le droit et l’Etat 57.

A cet égard, il n’est pas sans intérêt de relever les définitions croisées qui recoupent

ces deux concepts dans les divers champs scientifiques. Les positivistes juridiques définissent

ainsi le droit par référence à l’Etat, tout comme le font certains sociologues 58, plus ou moins

directement inspirés des théories marxistes associant droit, Etat et classe dominante 59.

Parallèlement, la définition wébérienne de l’Etat comme titulaire du monopole de la violence

légitime renvoie au droit, dans la mesure où la légitimité dont il est question équivaut

largement à une notion de légalité, la violence étant institutionnalisée par l’intermédiaire de

formes légales posées par les autorités étatiques 60.

Bien entendu, la notion de politique est loin de s’épuiser dans le concept d’Etat. L’une

des approches les plus suivies actuellement (en sociologie notamment) renvoie au contraire à

une relativisation de l’institution étatique comme concept historiquement et culturellement

situé, au demeurant de moins en moins adapté à l’évolution de la réalité sociale 61. En se

limitant à l’Etat, la sociologie politique se priverait d’une analyse de phénomènes essentiels,

que ce soit sur le plan national ou international. C’est pourquoi la définition du politique

s’étend à la notion de pouvoir.

2. Politique et pouvoir

La sociologie politique s’attache à l’étude des phénomènes de pouvoir, étatiques ou

non 62. Le Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques reprend la

définition du « pouvoir » donnée par Max Weber, laquelle nous semble particulièrement

édifiante 63. Trois dimensions sont ainsi distinguées :

56 J.P. Cot et J.P. Mounier, Pour une sociologie politique, op.cit., pp. 14-15. 57 R. E. Dowse et J. A. Hughes, Political Sociology, second ed., Chichester, New York Brisbana, Toronto, Singapore, John

Wiley & sons, 1986, p. 5. 58 V. not. D. Black, « The Boundaries of Legal Sociology », loc.cit., p. 104; M. Duverger, Sociologie politique, op.cit., pp.

110 et 312. 59 V. p. ex. V.I. Lénine, L’Etat et la révolution, Pékin, Ed. en langues étrangères, 1976, p. 8; A. Gramsci, Textes, Paris, Ed.

sociales, 1983, pp. 288 et ss.; E.B. Pasukanis, La théorie générale du droit et le marxisme, Paris, E.D.I., 1970, p. 134. 60 M. Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, coll. 10/18, 1963, pp. 125 et ss. 61 La doctrine est très fournie; l’un des ouvrages de référence reste celui de B. Badie et P. Birnbaum, Sociologie de l’Etat,

Paris, Grasset, coll. Pluriel, 1982. 62 V. e.a. R. E. Dowse et J. A. Hughes, Political Sociology, op.cit., p. 5. V. cependant les réflexions sceptiques de J.P. Cot et

J.P. Mounier, qui semblent considérer que la sociologie politique ne se limite pas à l’étude des phénomènes de pouvoir, mais sans lui substituer une autre critère bien déterminé (Pour une sociologie politique, op.cit., pp. 16 et ss.).

63 Pour un tableau d’ensemble des définitions données à la notion, v. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., v° pouvoir, et la bibliographie fournie ainsi que Ph. Braud, « Du pouvoir en général au pouvoir politique », loc.cit., pp. 335 et ss.

11

« - Dans une perspective substantialiste (‘avoir du pouvoir’), le pouvoir est assimilé à une sorte de capital (au sens monétaire du terme) que l’on acquiert, accumule, dilapide… qui produit des bénéfices ou procure des avantages […]. - Dans une perspective institutionnaliste, le pouvoir est une expression qui sert à désigner soit l’Etat par opposition aux citoyens ou à la société civile, soit les gouvernants dans le couple pouvoir/opposition, soit l’ensemble des institutions constitutionnelles dans l’expression : pouvoirs publics. Les études de sociologie historique vont plus loin et tendent à distinguer diverses formes de pouvoir politique dont l’Etat ne constitue qu’une modalité, à la fois la plus moderne et la plus achevée du point de vue institutionnel […]. - Dans une perspective interactionniste enfin, particulièrement féconde en sociologie politique, le pouvoir se caractérise par la mobilisation de ressources pour obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement auquel il ne se serait pas résolu en dehors de cette relation. C’est ce qu’exprime Max Weber lorsqu’il en propose la définition suivante : ‘Toute chance de faire triompher, au sein d’une relation sociale, sa propre volonté, même contre des résistances’ » 64.

Cette longue définition montre la richesse de la notion de pouvoir et la fécondité des

recherches qu’elle induit en sociologie politique, particulièrement par rapport au droit 65. Le

rôle du droit apparaît en effet central : dans quelle mesure confère-t-il du pouvoir à certains

acteurs sociaux (perspective substantialiste) ? Dans quelle mesure contribue-t-il à une

institutionnalisation de ce pouvoir, tant auprès des entités étatiques qu’auprès d’autres

groupes sociaux (perspective institutionnaliste) ? Dans quelle mesure le droit est-il utilisé

comme un instrument permettant de faire triompher un point de vue dans le cadre d’une

relation sociale déterminée (perspective interactionniste) ? Autant de questions qui

fournissent des terrains de recherche encore largement en friche 66, et auxquels peut (et même

doit) s’atteler une discipline comme la sociologie politique du droit 67. Bien entendu, la

perspective s’étend à l’analyse des processus d’élaboration et d’application des règles

juridiques, au cours desquels les rapports de pouvoir sont particulièrement décisifs.

La notion de pouvoir apparaît ainsi plus opérationnelle que la notion d’Etat, qu’elle

recouvre et élargit de manière à pouvoir régir tout groupe organisé de manière stable 68. On

pense en premier lieu aux partis, aux syndicats, aux groupes de pression et à leur rôle dans la

64 G. Hermet, B. Badie, P. Birnbaum et Ph. Braud, Paris, Armand Colin, 1994; nous soulignons, p. 221. 65 V. les réflexions de G. Rocher, v°pouvoir in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., pp.

310-311. Les relations entre droit et pouvoir ont par ailleurs été l’objet d’études en philosophie du droit; v. p. ex. F. Rigaux et G. Haarscher (dir.), Droit et pouvoir, Centre interuniversitaire de philosophie du droit, Bruxelles, Story-Sciencia, 1987.

66 G. Rocher, Etudes de sociologie du droit et de l’éthique, Montréal, Thémis, 1996, p. 29. 67 On a évidemment souligné depuis longtemps l’importance du pouvoir dans l’étude sociologique du droit; v. p. ex. N.S.

Timasheff, « What is ‘Sociology of Law’ ? », American Journal of Sociology, 1937, pp. 230 et ss. On se reportera aussi à l’ouvrage précité de G. Rocher, Etudes de sociologie du droit et de l’éthique, op.cit., pp. XI-XIV et pp. 235 et ss.

68 G. Rocher, v°pouvoir in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., p. 310; R. E. Dowse et J. A. Hughes, Political Sociology, op.cit., pp. 6 et ss. On pourrait à cet égard renvoyer à l’expression de « cadres sociaux structurés » de G. Gurvitch, Traité de sociologie, Paris, P.U.F., 1968, tome II, p. 189.

12

prise de décision, terrain privilégié de la sociologie politique traditionnelle qui, cependant,

sous-estime souvent le rôle du droit en tant qu’ordre normatif présentant des spécificités

sociales fondamentales. Mais plus largement, on peut penser aux « mouvements » qui

présentent un minimum de structures comme le « mouvement étudiant », le « mouvement

pour la paix », le « mouvement féministe », etc., et qui traduisant eux aussi le plus souvent

leurs revendications en termes de droits (subjectifs), voire de droit (objectif).

En bref, une sociologie politique du droit est amenée à appréhender un phénomène en

déterminant le rôle du droit dans les relations entre l’Etat (s’il existe, ce qui n’est pas toujours

le cas) et les autres acteurs sociaux, ou entre différents acteurs sociaux qui peuvent être

qualifiés de groupes structurés (perspective institutionnelle au sens large). Une étude

sociologique qui négligeait le rôle de l’Etat ou des phénomènes de pouvoir pourrait le cas

échéant être qualifié de sociologie juridique (dans la mesure où son objet d’étude présenterait

un rapport avec le droit), mais certainement pas de sociologie politique du droit 69. De même,

une étude négligeant le conflit se détacherait à notre sens radicalement de la sociologie

politique.

3. Politique et conflits

Comme le relève Jean Carbonnier, « la politique, c’est surtout un ensemble de tactiques et de stratégies en vue de remporter la victoire dans un conflit d’intérêts, de partis, de nations; et le droit peut être un instrument, parmi d’autres, de la politique ainsi conçue […] » 70.

On retrouve la prégnance d’une perspective interactionniste du pouvoir dans laquelle

le droit ne peut être négligé en tant qu’instrument à la disposition d’acteurs sociaux qui

poursuivent des objectifs différents 71. La nécessité d’une prise en compte du conflit 72 laisse,

dans ce cadre, la place à des approches différentes qui peuvent s’articuler autour de deux

pôles :

69 V. les définitions reproduites ci-dessous, IIème partie, B. 70 Sociologie juridique, op.cit., p. 59; v. par ailleurs la perspective brossée par D. Lochak, « Présentation » in Les usages

sociaux du droit, Paris, P.U.F., Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, 1989, p. 6. 71 V. K. Stoyanovitch, Le domaine du droit, Paris, L.G.D.J., 1967, p. 117. 72 On peut assimiler le conflit à la "lutte" telle que définie par M. Weber comme « une relation sociale pour autant que

l’activité est orientée d’après l’intention de faire triompher sa propre volonté contre la résistance du ou des partenaires » (Économie et société. Tome 1. Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, coll. Agora, 1995, p. 74); v. par ailleurs Ph. Braud, « Du pouvoir en général au pouvoir politique », loc.cit., pp. 338-341.

13

- l’approche « conflictualiste » 73 considère le conflit comme un phénomène normal, voire

bénéfique pour l’évolution de la société. On la retrouve chez des auteurs aussi différents que

Marx, pour qui le droit est confisqué par la classe dominante qui vise à occulter les rapports

de force sous le couvert d’idéologie 74, Gumplowicz, qui insiste sur l’inégalité comme

condition essentielle à la naissance du droit 75, et Jhering, pour qui le droit n’existe que

comme résultat ou comme objet de luttes 76. Max Weber insiste quant à lui sur les

phénomènes de légitimation par le droit (avec en particulier son modèle « rationnel-légal ») et

définit la domination en se référant à l’institutionnalisation du pouvoir, réalisée

essentiellement par des mécanismes d’ordre juridique 77;

- l’approche « régulatrice » 78 considère le conflit comme un phénomène pathologique, à ce

titre nuisible pour la société. Le droit est destiné à prévenir ou empêcher le conflit, et se

développe au fur et à mesure que se complexifie la division du travail social (Durkheim) ou

les systèmes normatifs 79. Les systémistes insistent dans ce contexte sur la nécessité

d’analyser les phénomènes de « régulation », terme que l’on peut définir comme

l’institutionnalisation du maintien ou de la restauration de l’équilibre, le tout dans une

perspective d’inspiration homéostatique 80.

Quelle que soit l’approche choisie, la sociologie politique du droit paraît

particulièrement attentive aux rapports entre droit et légitimité. A l’heure actuelle, l’accent

est placé sur les crises de légitimation de l’Etat et du droit ainsi que sur les modes alternatifs

ou parallèles de légitimation 81.

Finalement, on constate que la sociologie politique du droit, si elle reste fondée sur des

paradigmes communs avec la sociologie du droit conçue au sens large qui la distinguent

d’autres sciences du droit, présente des spécificités qui permettent de l’identifier comme une

73 Le terme est repris not. par R. Treves, Sociologie du droit, op.cit., p. 66 et R. Treves, "La sociologie du droit : un débat",

loc.cit., pp. 165-166. 74 V. les références reproduites infra, note 143. 75 L. Gumplowicz, Précis de sociologie, trad. Charles Baye, Paris, Léon Chailley, 1896, pp. 308 et ss. 76 R. von Jhering, La lutte pour le droit, trad. all. O. de Meulenaere, Paris, Librairie Maresq Aîne, 1890, partic.

l’introduction, pp. 1 et ss.; v. aussi, dans le même sens, C.O. Bunge, Le droit, c’est la force. Théorie scientifique du droit et de la Morale, trad. de l’espagnol Emile Desplanque, Paris, Librairie Schleicher Frères, non daté, not. pp. 213 et ss., et p. 251. V. encore, dans une autre perspective K. Stoyanovitch, Le domaine du droit, op.cit., p. 2 et W.J. Chambliss et R.B. Seidman, « Law and Conflict » in C. Campbell et P. Wiles (eds.), Law and Society. Readings in the Sociology of Law, Oxford, Martin Robertson, 1979, resp. pp. 112-120 et 121-125.

77 V. e.a. M. Weber, Sociologie du droit, Paris, P.U.F., 1986, not. p. 217 et Économie et société. Tome 1. Les catégories de la sociologie, op.cit., pp. 285-286; v. aussi M. Abélès, Anthropologie de l’Etat, op.cit., pp. 73 et ss.

78 Selon la terminologie reprise par v. aussi G. Rocher, Etudes de sociologie du droit et de l’éthique, op.cit., p. 31. 79 E. Durkheim, De la division du travail social, Paris, PU.F.-Quadrige, 3ème éd., 1994, not. pp. 356 et ss.; cette conception

semble partagée par G. Gurvitch, Traité de sociologie, tome II, op.cit., p. 173. 80 V. e.a. M. Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op.cit., pp. 378 et ss. et Ph. Braud, La science politique, Paris, P.U.F.,

coll. Que sais-je ?, 3ème éd., 1993, p. 103 81 A.J. Arnaud, « Droit et Société : du constat à la construction d’un champ commun », loc.cit., pp. 28 et ss.

14

discipline spécialisée. Il reste à vérifier si la conclusion peut encore être tirée si l’on passe à

une analyse en termes d’interdisciplinarité, c’est-à-dire qui assume (et non plus qui ignore,

comme nous avons tenté de le faire dans les lignes qui précèdent) les passages constants

d’une science à l’autre.

II. LA SOCIOLOGIE POLITIQUE DU DROIT DANS UNE PERSPECTIVE INTERDISCIPLINAIRE

Une simple lecture du tableau que nous avons reproduit ci-dessus montre que, dans la

réalité, l’interdisciplinarité s’impose à tout chercheur soucieux de mener à bien une étude de

sociologie du droit. On imagine mal en effet étudier les rapports entre le droit et la société

sous l’angle des phénomènes de légitimation sans être amené à interpréter les normes

juridiques directement invoquées par les acteurs sociaux, et appréhender dans ce cadre les

modèles de référence du système juridique auquel il est fait appel 82. Le positivisme juridique

apparaît, par exemple, comme un mode particulier de légitimation qui fait appel à un discours

et à des critères de validité que l’on ne peut ignorer 83. Plus généralement, une étude des

fonctions du droit suppose la prise en compte et l’articulation de divers aspects qui renvoient

à son contenu, à son état et à ses fins 84. Bref, dans le cadre de ce tableau, la recherche ne se

déploie pas seulement horizontalement, mais requiert un certain nombre de mouvements

verticaux.

Comment, dans cette perspective, maintenir la spécificité de la discipline ? Nous

répondrons à cette interrogation en distinguant, comme dans la première partie de l’étude, la

spécificité de la sociologie politique du droit, d’une part avec les autres sciences du droit (A),

d’autre part par rapport aux autres sociologies juridiques (B).

A. Sociologie (politique) du droit et autres sciences du droit

Rappelons que la sociologie politique du droit s’appuie sur les mêmes paradigmes que

la sociologie du droit; les lignes qui suivent valent dès lors pour la science de base comme

pour sa discipline spécialisée.

82 En ces sens, G. Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, op.cit., pp. 21 et ss. 83 V. not. F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., pp. 65 et ss., Danièle LOCHAK et

M. Troper, « La neutralité de la dogmatique juridique : mythe ou réalité ? » in Théorie du droit et science, op.cit., p. 294; M. Miaille, Une introduction critique au droit, Paris, Maspero, 1976, p. 372 et, par ailleurs, F. Ost, « Le droit comme pur système » in P. Bouretz (dir.), La force du droit. Panorama des débats contemporains, Paris, Esprit, 1991, p. 148..

84 R. Treves, Sociologie du droit, op.cit., pp. 232 et ss.

15

De manière générale, les mouvements verticaux éventuels ne peuvent remettre en

cause la ligne qui, dans le tableau, correspond à la sociologie du droit. Ainsi, l’objet qui

encadre l’étude doit se ramener aux rapports entre le droit et la société même si, pour la mener

à bien, il peut être nécessaire de passer par certaines phases impliquant un « saut de ligne »

intermédiaire. De même, en définitive, l’énoncé scientifique doit être basé sur des critères

extérieurs au droit que l’on situe dans la réalité sociale. Il doit aussi rester explicatif, et non

normatif. La sociologie du droit suppose donc le respect de ses paradigmes essentiels, et

n’autorise le passage par d’autres paradigmes scientifiques que de manière auxiliaire ou

subordonnée.

Cela étant, le passage d’une discipline à l’autre ne va pas sans soulever certains

risques de confusion voire de dilution qui peuvent mener à obscurcir les frontières entre les

diverses sciences ou disciplines. A notre sens, ces risques peuvent concerner les trois

affirmations suivantes pour ce qui concerne la sociologie (politique) du droit :

- la recherche doit être véritablement interdisciplinaire;

- le droit doit rester l’objet de la recherche;

- la discipline maîtresse doit rester la sociologie.

1. Une véritable interdisciplinarité

Il est non seulement possible mais indispensable de passer par d’autres disciplines

pour réaliser une étude de sociologie du droit. L’affirmation ne fait guère l’objet de

contestation 85. Elle consacre le concept wébérien d’« explication compréhensive », qui

amène le sociologue étudiant un phénomène social à pénétrer lui-même le discours des

acteurs sociaux concernés ce qui, en sociologie du droit, revient à passer par certaines étapes

qui relèvent de la dogmatique juridique et de la théorie du droit 86. L’enseignement est

particulièrement pertinent pour les travaux de Max Weber sur la légitimation 87. Les liens

entre le droit existant dans une société et les modèles respectivement désignés comme

charismatique, traditionnel ou rationnel ne peuvent être établis que moyennant une analyse du

85 V. e.a. J. Commaille, « Esquisse d’analyse des rapports entre droit et sociologie. Les sociologies juridiques », loc.cit., p.

26; J. Commaille et J.F. Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », loc.cit., pp. 97 et 102; R. Treves, « Préface » in Sociologie du droit et de la justice, op.cit., p. 6; E. Jorion, « Nouveaux commentaires d’une conception originale de la sociologie juridique », loc.cit., pp. 647-648; N.S. Timasheff, « What is ‘Sociology of law’ ? », loc.cit., p. 235; v. aussi G. Rocher, Etudes de sociologie du droit et de l’éthique, op.cit., p. 30.

86 D. Beyleveld et R. Bronsword, « Les implications de la théorie du droit naturel en sociologie du droit », Droit et Société, n°13, 1989, p. 396.

87 V. en particulier M. Weber, Économie et société. Tome 1. Les catégories de la sociologie, op.cit., pp. 289 et ss.

16

discours juridique lui-même 88, et en particulier de celui des juristes 89. En d’autres termes, il

ne suffit pas —même si cela s’avère nécessaire, comme nous l’avons déjà mentionné—

d’étudier des phénomènes en amont (processus de création de la norme) ou en aval (processus

d’application de la norme) du droit; il importe d’intégrer le droit en tant que tel dans l’analyse

ce qui suppose de se placer, dans une étape intermédiaire de la recherche, à l’intérieur du

système juridique 90.

Deux exemples permettront de montrer les risques d’une sous-estimation de cette

dimension interdisciplinaire.

Prenons d’abord un énoncé relevant du matérialisme historique, selon lequel le droit

relève de la superstructure et est, à ce titre, déterminé par l’infrastructure, c’est-à-dire le

développement des moyens et des rapports de production. Dans sa version vulgaire, cette

théorie peut aboutir à sous-estimer largement —voire complètement— le droit comme outil

de légitimation dans une société, dans la mesure où on considère l’instance juridique comme

superficielle, ou à tout le moins périphérique 91. Le manque d’intérêt consacré généralement

au droit dans les manuels de sociologie politique peut sans doute être interprété comme le

fruit d’une survivance de cette vision marxiste traditionnelle 92.

On peut par contre tenter de démontrer que l’évolution de la société capitaliste, avec

l’émergence d’une bourgeoisie soucieuse d’assurer une sécurité et une prévisibilité des

échanges, s’est reflétée dans le droit, qui s’est caractérisé au XIXème siècle par une

positivisation (autonomie par rapport aux modes éthiques ou moraux de légitimation) et par

une rationalisation croissantes 93. L’entreprise suppose alors non pas d’écarter le droit mais

de l’analyser de l’intérieur, de le « comprendre », avant de, en dernière instance,

l’« expliquer » par rapport à la réalité sociale 94. La sociologie (politique) du droit s’attache

88 Voy. J. Commaille, « Normes juridiques et relations sociales. Retour à la sociologie générale » in Normes juridiques et relations sociales, op.cit., p. 13.

89 M. Weber, Sociologie du droit, op.cit., not. p. 217; G. Gurvitch, Traité de sociologie, tome II, op.cit., p. 191; G. Rocher, v°pouvoir in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., p. 311; v. aussi J. Lagroye, Sociologie politique, op.cit., pp. 400 et ss. et B. Lacroix, « Ordre politique et ordre social » in Traité de science politique, op.cit., pp. 539 et ss.

90 V. F. Ost et M. van de Kerchove, « De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? », p. 75; F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., pp. 86 et ss.; v. aussi G. Rocher, Etudes de sociologie du droit et de l’éthique, op.cit., p. 30.

91 V. E. B. Pasukanis, La théorie générale du droit et le marxisme, op.cit., pp. 42 et ss.; F. Ost et M. van de Kerchove, « De la scène au balcon. D’où vient la science du droit ? », loc.cit., p. 73; F. Zenati, « Le droit et l’économie au-delà de Marx », A.P.D., 1992, tome 37, Droit et économie, pp. 122 et ss.

92 Voy. les références reproduites ci-dessus, en introduction de cette étude. 93 M. Weber, Sociologie du droit, op.cit., not. pp. 46 et ss., p. 141, pp. 163 et ss., sp. p. 168; J. Freund, « La rationalisation

du droit selon M. Weber », A.P.D., 1978, pp. 69-92; J. Carbonnier, Sociologie juridique, op.cit., p. 121; D. Touret, Introduction à la sociologie et à la philosophie du droit, op.cit., pp. 216 et ss.; F. Rigaux, Introduction à la science du droit, Bruxelles, Vie ouvrière, 1974, pp. 375 et ss.

94 Sur la différence entre compréhension et explication, v. not. R. Boudon, Les méthodes en sociologie, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je ?, 10ème éd., 1995, pp. 17 et ss.

17

ainsi à étudier les interactions entre le droit et la réalité sociale dans une perspective

dialectique 95.

Un autre exemple de démarche à éviter si l’on souhaite maintenir l’aspect

interdisciplinaire renvoie au courant « réaliste américain », selon lequel le droit ne peut être

ramené à un système formel de règles mais se confond avec des comportements observables,

eux-mêmes situés dans un contexte social 96. En conséquence, une norme n’existe que

lorsqu’elle acquiert une signification donnée dans un cas particulier par le juge. Ainsi

présentée, cette théorie du droit néglige les phénomènes de légitimation qui renvoient bien à

des règles formelles qui n’ont pas (et qui ne trouveront peut-être jamais) d’application

concrète. Ici encore, si la démarche s’inscrit dans le cadre d’une étude des rapports entre le

droit et la société, elle aboutit à négliger les spécificités du droit sous l’angle des paradigmes

de la sociologie du droit, et en particulier sous celui des modèles de légitimation 97.

On pourrait multiplier les exemples. Une sociologie (politique) du droit suppose de

déterminer dans quelle mesure une réalité sociale se reflète à l’intérieur du droit, ou /et dans

quelle mesure le droit recouvre des normes, des modèles ou des valeurs qui ont des

répercussions dans la réalité sociale. L’interdisciplinarité, en particulier le passage par une

étape qui relève de la dogmatique juridique et de la théorie du droit, s’avère dans ce contexte

indispensable, pourvu que le droit reste bien l’objet de l’analyse…

2. Le droit comme objet de l’analyse sociologique

L’interdisciplinarité n’est évidemment pas une démarche propre à la sociologie

(politique) du droit 98. Même la dogmatique juridique, à première vue la plus cloisonnée des

disciplines que nous avons décrites, suppose le cas échéant l’utilisation d’autres sciences

humaines. Ainsi, la recherche du sens ou de la signification d’une loi peut mener non

seulement à une analyse qui relève de la théorie du droit (par exemple pour affirmer la

nécessité d’une cohérence par rapport au sens d’autres dispositions légales) mais aussi de la

sémantique (méthodes textuelles d’interprétation), de l’histoire (étude des travaux

préparatoires) de la philosophie (interprétation de termes connotés philosophiquement,

95 V. les réflexions de J. Commaille, « Normes juridiques et relations sociales. Retour à la sociologie générale », loc.cit., pp. 15 et ss., de A.J. Arnaud, « Droit et Société : du constat à la construction d’un champ commun », loc.cit., p. 34, et de L. Assier-Andrieu et J. Commaille, « Introduction. Le sens d’une présentation. La filiation et la famille comme objets exemplaires » in Politique des lois en Europe, op.cit., p. 14.

96 Voy. p. ex. F. Michaut, « L’approche scientifique du droit chez les réalistes américains » in Théorie du droit et science, op.cit., pp. 265-280.

97 V. F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., p. 10 ainsi que F. Ost, « Questions méthodologiques à propos de la recherche interdisciplinaire en droit », loc.cit., p. 12.

98 Elle est poursuivie en tant qu’objectif scientifique par ce qu’on pourrait appeler de manière générique les théories contemporaines du droit; v. not. F. Ost et M. van de Kerchove, « Avant-propos : pour une épistémologie de la recherche interdisciplinaire en droit », R.I.E.J., 1982-8, p. 3.

18

comme « raisonnable », « équitable », etc.) ou même, dans certains cas de la sociologie

(accent sur le contexte social ayant présidé à l’adoption de la loi comme moyen

complémentaire d’interprétation) 99. Mais, en tout état de cause, l’étude reste dogmatique

puisque, en dernière instance, il s’agira bien de déterminer le sens ou la signification de la loi

(contenu du droit), par rapport à des critères situés à l’intérieur du système juridique (volonté

du législateur…) et qui aboutissent à un énoncé de type normatif (la loi oblige à, ou permet

de …).

Une étude de sociologie du droit adopte la démarche inverse : le choix comme les

modalités de l’utilisation des autres sciences sont guidés par des prescrits qui relèvent de la

sociologie. Le sociologue n’est pas lié par les représentations propres au système juridique

(ou à telle ou telle doctrine philosophique); il ne les décrit de l’intérieur (compréhension) que

pour, ensuite, les remettre en perspective dans le cadre plus large de la réalité sociale

(explication) 100. Il s’agit dès lors d’éviter l’écueil du « surcodage » que le droit peut générer

à l’égard du chercheur101. Par exemple, la doctrine de la séparation des pouvoirs ne concerne

que certains acteurs du système juridique, mais est inopposable au sociologue qui reste libre

—et même tenu— de critiquer une décision judiciaire en la replaçant dans son contexte

social. Cette doctrine est donc normative sur le plan de la dogmatique juridique mais,

sociologiquement, elle constitue un simple fait, lui-même objet potentiel d’analyse (quel est le

rôle de la référence à la séparation des pouvoirs dans le débat politique ? quel est le modèle

de légitimité charrié par cette doctrine ? …).

On aura par ailleurs compris que, en tant qu’objet d’analyse, le « droit » s’envisage

non seulement comme un système formel de règles, mais aussi comme à la fois un produit

(processus d’élaboration, législative notamment) et un déterminant (processus d’application

dans des milieux sociaux diversément réceptifs à l’institution juridique) de rapports sociaux

plus ou moins conflictuels.

3. La sociologie comme discipline maîtresse

Tout cela implique que la sociologie encadre l’ensemble de l’étude et soit, à ce titre,

désignée comme la discipline maîtresse 102. Le risque peut, à ce stade, consister en le

99 V. p. ex. K Stoyanovitch, Le domaine du droit, op.cit., p. 115; J. Carbonnier, Sociologie juridique, op.cit., p. 16. 100 Ibid., pp. 16-17; J. Commaille et J.F. Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », loc.cit., p. 97. 101 Ibid., p. 98; A. Lagneau-Devillé, « A propos du dialogue entre le droit et les sciences humaines… Quelques réflexions

de sociologie », R.I.E.J., 1982-8, p. 89; B. Lacroix, « Ordre politique et ordre social », loc.cit., pp. 540-541 et L. Assier-Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines, Paris, Nathan, 1996, pp. 7-8.

102 Un parallèle avec le droit international privé permet d’éclaircir le propos (le parallèle a déjà été brossé par J. Carbonnier pour appréhender les phénomènes d’internormativité (« Les phénomènes d’internormativité » in B.M. Blegvad, C.M. Campbell & C.S. Schuyt (eds.), European Yearbook in Law and Sociology, The Hague, Martinus Nijhoff, 1977, p. 42). Le droit international privé permet l’application d’une autre loi seulement dans la mesure où la loi du for le permet,

19

maintien d’une certaine indétermination pesant sur les paradigmes qui doivent, en dernière

instance, conditionner la validité de l’énoncé scientifique.

Le cas de la « science politique » est caractéristique à cet égard : pour certains, la

science maîtresse reste le droit, dans son aspect constitutionnel ; pour d’autres il s’agit de la

sociologie ; pour d’autres encore la philosophie 103. De même, la théorie critique du droit

vise, par définition, à transcender les clivages et à s’émanciper de la « pureté » dans laquelle

la doctrine kelsénienne prétend confiner la discipline 104. Ainsi, certains des développements

de ces théoriciens se rapprochent souvent de la philosophie, de la sémiotique, de

l’épistémologie, de la psychologie, de l’histoire et, à l’occasion, de la sociologie 105. Dans de

telles hypothèses il n’est pas toujours facile de déterminer quelle est la science dont relèvent

les paradigmes déterminants 106.

Le problème ne concerne cependant pas la sociologie du droit elle-même, qui fournit,

comme nous espérons l’avoir démontré, un certain nombre de critères déterminés qui peuvent

la distinguer des autres sciences du droit. Si une « théorie critique » veut se référer à ces

critères comme paradigmes déterminants, il s’agira en réalité de sociologie du droit; dans le

cas inverse, il s’agira d’autre chose. Dans tous les cas, le problème concerne l’autonomie non

de la sociologie mais de la théorie critique du droit (ou d’une éventuelle science politique du

droit)… Ces réflexions mènent cependant le sociologue à prendre ses précautions par rapport

à une interdisciplinarité qui aboutirait à effacer les paradigmes d’une science qui doit rester

clairement déterminée en tant que science maîtresse.

Ces précisions apportées, il importe de se demander dans quelle mesure la sociologie

politique du droit garde, dans une perspective interdisciplinaire, des spécificités par rapport à

la sociologie du droit en général.

B. Sociologie politique du droit et sociologies juridiques

Tout d’abord, le respect des caractéristiques que nous venons d’évoquer amène à

désigner la discipline comme une sociologie « du droit » et non une sociologie « juridique ».

l’énoncé clôturant le raisonnement relevant en définitive de la loi du for également. De la même manière, la sociologie du droit peut impliquer l’application d’autres sciences seulement si cela s’avère nécessaire à la réalisation de la recherche et si l’énoncé qui clôture le raisonnement répond aux prescrits de la sociologie du droit.

103 V. not. P. Favre, « Histoire de la science politique » in Traité de science politique, op.cit., pp. 3 et ss. 104 F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., pp. 7 et ss. 105 Voy. à cet égard l’ouvrage précité de J. Lenoble et F. Ost, Droit, mythe et raison, et F. Ost, « Questions méthodologiques

à propos de la recherche interdisciplinaire en droit », loc.cit., p. 15. 106 L’accent mis sur la « traduction des jeux de langage » (v. F. Ost et M. van de Kerchove, « De la scène au balcon. D’où

vient la science du droit ? », loc.cit., p. 78 et Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., p. 93) ne nous paraît pas à cet égard fournir de réponse claire; il est du reste repris par certains sociologues du droit (J. Commaille et J.F. Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », loc.cit., p. 101).

20

Ce dernier terme peut en effet porter à confusion. Dans son sens courant, il signifie « ce qui

relève » ou « ce qui est conforme » au droit 107, acceptation qui n’a guère de sens, sauf à

considérer que la sociologie juridique n’est que l’un des aspects de la dogmatique juridique, le

droit étant, étymologiquement, présenté comme science maîtresse. D’autres définitions

renvoient à ce qui a « rapport au droit » 108. La sociologie juridique s’attacherait ainsi à

étudier des phénomènes en rapport avec le droit 109. Le problème est que, à tout le moins

dans nos sociétés occidentales contemporaines, tout phénomène présente, de près ou de loin,

un certain rapport avec le droit 110. La sociologie juridique se confondrait ainsi avec la

sociologie générale. Par contre, l’expression de sociologie « du droit » marque bien la

relation entre la science maîtresse et l’objet de l’étude, en même temps qu’elle suggère la

nécessité d’envisager celui-ci de l’intérieur et de l’extérieur.

Qu’en est-il, cependant, de la dimension politique de la discipline ? Nous ne

reviendrons plus sur les précisions apportées dans la première partie de l’étude, qui restent

valables, mais tenterons de dégager les spécificités qui concernent la dimension

interdisciplinaire et qui aboutissent à prendre des précautions par rapport à certains courants

comme la « sociologie législative » (1), l’« école pluraliste » (2) ou l’« école sociologique »

(3).

1. Sociologie politique du droit et « sociologie législative »

On se rappellera que l’étude des relations entre le droit et les phénomènes de pouvoir

suppose de ne pas négliger les conflits et que, dans cette perspective, le phénomène de la

légitimation constitue l’un des problèmes centraux de la discipline. C’est bien pourquoi les

remarques relatives à la nécessaire interdisciplinarité sont particulièrement pertinentes pour

une sociologie du droit qui se veut spécifiquement politique : l’explication (perspective

externe) d’une légitimation par le droit suppose bien une compréhension (perspective interne)

du discours juridique lui-même 111.

La sociologie politique du droit se distingue ainsi de certaines approches que l’on

pourrait rattacher éventuellement à de la « sociologie juridique », mais qui s’abstiennent de

toute analyse interne. Ainsi, des études portant sur les femmes divorcées, ou sur les

problèmes de délinquance, de prostitution, … concernent toutes des phénomènes en rapport

107 Le Petit Larousse, éd. 1991. 108 Le Petit Robert, éd. 1987. 109 J. Carbonnier, Sociologie juridique, op.cit., pp. 13-14. 110 V. à ce sujet les exemples variés donnés par J. Carbonnier, Sociologie juridique, op.cit., pp. 332 et ss.; v. aussi L. Assier-

Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines, op.cit., p. 29. 111 E. B. Pasukanis, La théorie générale du droit et le marxisme, op.cit., pp. 44 et ss.

21

avec le droit, mais n’appréhendent pas nécessairement le droit en tant qu’ordre normatif

spécifique sur le plan de la légitimation 112.

L’exemple de ce qu’on a appelé la « sociologie législative » est caractéristique à cet

égard 113. Particulièrement en France 114, les pouvoirs publics ont fait appel à des sociologues

afin qu’ils évaluent l’efficacité de certaines mesures projetées, ou de dispositions légales

existantes 115. Il s’est donc agi de vérifier si telle ou telle norme était (ou pourrait être)

appliquée dans tel ou tel corps social 116. La démarche est sociologique 117; elle relève même

de la sociologie politique, puisqu’elle est éminemment liée à la notion de pouvoir, le cas

échéant étatique; elle concerne aussi des phénomènes qui ont un certain rapport avec le droit.

Mais le droit lui-même n’est pas l’objet spécifique de l’étude 118. Celle-ci reste centrée sur la

réceptivité de « mesures », que celles-ci soient déjà juridicisées ou non, et ne s’attelle pas à

une analyse des spécificités du discours juridique en tant que tel 119. Tout autre serait une

analyse qui s’attellerait à démontrer que tel arsenal législatif renferme tel modèle de

légitimation (par exemple rationnel) qui s’avère, à l’analyse, difficilement réceptif dans tel

corps social pour lequel d’autres modes de légitimation prédominent (par exemple un mode

traditionnel). C’est ce type de démarche que Jacques Commaille a suivi dans son ouvrage

précité. C’est elle qui conditionne à notre sens la qualification d’une étude de sociologie

politique du droit.

2. Sociologie politique du droit et « école pluraliste »

Comme on l’a déjà indiqué, la sociologie politique du droit s’attache à analyser la

spécificité des rapports entre le droit et les pouvoirs, et en particulier l’Etat. Cela implique de

maintenir une distinction claire entre le droit « positif » —posé par le pouvoir étatique— et

les autres ordres normatifs (éthique, religion, « droits naturels », …) 120. En ce sens, la

112 V. J. Commaille et J.F. Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », loc.cit., p. 99. 113 V. de manière générale Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., v° sociologie

législative. 114 La même conception s’est trouvée dans d’autres pays, notamment en Belgique, v. Sociologie du droit et de la justice,

op.cit., la présentation des recherches par pays. 115 Voy. l’entrevue de J. Carbonnier dans J. Carbonnier, R. Treves et la sociologie du droit. Archéologie d’une discipline,

op.cit., not. pp. 33 et ss. 116 V. p. ex. J. Commaille, « Esquisse d’analyse des rapports entre droit et sociologie. Les sociologies juridiques », loc.cit.,

pp. 14 et ss. 117 On a même occasionnellement défini la sociologie du droit par référence à ce type de recherche; v. Ch. Atias,

Épistémologie du droit, Paris, P.U.F., Que sais-je ?, 1994, p. 48. 118 V; les réflexions de J. Commaille, « Esquisse d’analyse des rapports entre droit et sociologie. Les sociologies

juridiques », loc.cit., p. 25. 119 On se trouve plus dans le cadre ce que R. Treves a appelé une sociologie des juristes ou « dans » le droit, que dans celui

d’une sociologie des sociologues ou « sur » le droit; v. « Two Sociologies of Law » in European Yearbook in Law and Sociology, 1977, op.cit., pp. 121 et ss.

120 V. J. Van Houtte, « La sociologie du droit ou les limites d’une science », Droit et Société, 1986, pp. 174 et 175.

22

discipline implique une prise de distance par rapport à ce qu’on désigne de manière très

générale comme l’« école pluraliste », en tout cas dans la version donnée par Jean

Carbonnier 121.

Selon cet auteur, l’un des postulats de la sociologie juridique est que le droit ne

s’épuise pas dans le produit des sources formelles 122. En d’autres termes, il existerait, à côté,

au-delà, voire à l’encontre du droit positif, d’autres « droits », tantôt infranationaux, tantôt

supranationaux 123. Le Doyen Carbonnier prend l’exemple de sociétés de pays du Tiers-

monde, dans lesquelles le colonisateur a greffé le modèle étatique avec un succès tout relatif,

le droit formel (ou positif) coexistant avec le maintien de droits dits traditionnels. Dans ce

contexte, « si l’un des deux ordres a pour lui la positivité, le point peut bien avoir des conséquences aux yeux d’un juriste, il ne saurait en avoir aux yeux d’un sociologue. Sociologiquement, les deux ordres sont dans le même plan » 124.

L’affirmation nous semble incompatible avec la poursuite des ambitions qui sont

celles de la sociologie politique du droit. Dans une perspective interactionniste, la

circonstance que l’on invoque un droit positif a en effet des conséquences fondamentales,

puisque ce droit est garanti par l’Etat, c’est-à-dire par des appareils non seulement coercitifs

mais aussi idéologiques, appareils qui charrient des modèles de légitimation particuliers.

Ainsi, le droit étatique renvoie généralement à un modèle rationnel de légitimation tandis que

les « droits traditionnels » en renvoient à d’autres, le plus souvent traditionnels ou

charismatiques. Ces différents droits ne sont à cet égard nullement « dans le même plan »,

pour reprendre l’expression de Jean Carbonnier 125. Sociologie politique du droit et école

pluraliste ne sont pas totalement incompatibles; mais la qualification d’autres ordres normatifs

que le droit positif de « droit » ne peut pas mener à une confusion entre le droit étatique et les

autres formes ou systèmes de régulation sociale126.

121 V. e.a. Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, L.G.D.J., 1969, pp. 12 et ss. et Sociologie juridique, op.cit., pp. 356 et ss. V. aussi Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., v° pluralisme juridique.

122 Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, op.cit., p. 16. 123 Ibid., pp. 14 et ss. et Sociologie juridique, op.cit., pp. 365 et ss.; v. aussi A.J. Arnaud, Critique de la raison juridique. 1.

Où va la sociologie du droit ?, op.cit., pp. 23 et ss.; H. Lévy-Bruhl, Sociologie du droit, op.cit., pp. 26 et ss.

124 Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, op.cit., p. 15. 125 V. à ce sujet M. Weber, Économie et société. Tome 1. Les catégories de la sociologie, op.cit., pp. 73-74. 126 J. Van Houtte et G. Dierickx, « La sociologie juridique : une science globalisante ? », loc.cit., pp. 627-628 et H.

Rottleuthner, « Le concept sociologique de droit », loc.cit., pp. 78-79. Il est dès lors à notre sens préférable d’évoquer non une pluralité de « droits », mais une pluralité de « systèmes normatifs » (comme le fait à l’occasion J. Carbonnier lui-même, en précisant que cela n’implique pas l’option du « pluralisme juridique »; « Les phénomènes d’internormativité », loc.cit., pp. 42 et p. 43, note 2) ou, le cas échéant, de « systèmes juridiques » (v. p. ex. A.J. Arnaud, « Droit et Société : du constat à la construction d’un champ commun », loc.cit. pp. 36-37).

23

Le choix d’une option pluraliste soulève par ailleurs un problème d’ordre

épistémologique lié à la nécessité d’envisager le droit dans une perspective à la fois interne

(compréhension) et externe (explication) 127.

Si on limite le droit au droit positif, les choses sont relativement simples. Sur un plan

interne, le droit est défini comme le produit des sources formelles. Sur un plan externe, il

l’est comme ce qui est posé (ou imposé) par le pouvoir étatique. Les deux définitions sont

formulées à partir de deux angles différents, mais correspondent à la même frontière de

juridicité : c’est le même « droit » qui reste l’objet de la recherche, quel que soit le stade de

son avancement 128. Certes, cet objet sera interprété différemment non seulement selon que

l’on soit juriste ou sociologue (dans la mesure où seront utlisées deux grilles de lecture

fondamentalement différentes), mais encore selon chaque juriste ou chaque sociologue

(chacun ayant sa propre interprétation des grilles de lecture existantes). En ce sens, et dans

une optique herméneutique relativiste, le droit aura autant de définitions (et donc de

significations) que d’interprètes. Mais, à moins de tomber dans un relativisme absolu et par

conséquent réfractaire à toute entreprise scientifique, l’objet d’étude est présumé présenter des

limites intersubjectivement (et en ce sens provisoirement) définissables. C’est bien au sujet

de ces limites que juristes et sociologues sont amenés, sous peine de renoncer à toute

perspective interdisciplinaire cohérente, à faire correspondre leurs points de vues distincts

mais compatibles.

Une option pluraliste peut en revanche mener à une distorsion entre une définition

interne (qui renvoie bien aux sources formelles) et une définition externe qui élargit l’objet

au-delà du droit positif : il n’y a plus seulement deux angles mais aussi deux frontières

différentes : ce n’est pas le même « droit » qui est d’abord compris et ensuite expliqué 129. Si

l’on adopte une position pluraliste dans le cadre d’une étude de sociologie politique du droit,

il importe dès lors, à notre sens, de procéder en plusieurs étapes. On peut faire une sociologie

du droit positif (avec une définition qui préserve sa spécificité) et, par ailleurs, une sociologie

d’un autre droit, qu’il importe alors de définir à la fois de l’intérieur (dans le chef des acteurs

sociaux concernés) et de l’extérieur (point de vue du chercheur) pourvu que ce soit la même

ligne de partage qui soit décrite 130.

127 V. à ce sujet les réflexions parallèles menées par J.F. Perrin, « Quelles vérités pour une théorie de la pratique judiciaire ? », loc.cit.., 1982-8, pp. 47-48.

128 J. Van Houtte, « La sociologie du droit ou les limites d’une science », loc.cit., p. 174; « La sociologie du droit, les problèmes sociaux et la politique en Belgique », loc.cit., pp. 437-438; J. Van Houtte et G. Dierickx, « La sociologie juridique : une science globalisante ? », loc.cit., pp. 626-628.

129 Par exemple, si on a constaté la prégnance d’un modèle rationnel-légal à l’intérieur du droit positif, l’explication de cette prégnance ne peut se développer sur base d’une définition du droit qui ne correspondrait plus au droit positif, mais à un droit plus large dans lequel on ne trouvera pas nécessairement un modèle dominant de type rationnel-légal.

130 V. J. Van Houtte et G. Dierickx, « La sociologie juridique : une science globalisante ? », loc.cit., p. 628.

24

Le choix de la sociologie politique du droit implique, dans cette optique, un certain

nombre de précautions par rapport aux postulats de l’école pluraliste. Fort logiquement, la

même conclusion s’applique par rapport à une autre tendance qui a entretenu certains liens

avec le pluralisme juridique, l’« école sociologique ».

3. Sociologie politique du droit et « école sociologique »

L’« école sociologique » peut être désignée comme le courant qui, à partir de

l’influence de l’« école historique », s’attache à découvrir, au-delà du droit formel, le droit qui

correspondrait réellement aux aspirations du corps social, ou à l’état de la société 131. Les

dénominations ont varié dans le temps, puisqu’on a évoqué le « droit libre », le « droit vivant

», le « droit intuitif » 132, etc., mais il s’est toujours agi d’opposer au droit positif un autre

droit, établi sur la base d’une méthode sociologique 133. Ainsi définie, l’école peut être

considérée comme une version contemporaine de la doctrine du droit naturel, parenté au

demeurant assumée plus ou moins explicitement par certains des auteurs concernés 134.

Pareille démarche semble à première vue totalement étrangère à la sociologie politique

du droit. Celle-ci ne vise en effet pas à découvrir quel serait le « véritable » droit dans une

société donnée, mais à expliquer les rapports entretenus entre le droit, l’Etat et les pouvoirs,

dans le cadre de cette société. On retrouve le clivage normatif-évaluatif/descriptif-explicatif

qui sépare philosophie du droit et sociologie du droit. La « découverte » d’un « droit libre »

apparaît davantage comme une participation à des phénomènes de légitimation par le droit

que comme une analyse de ces phénomènes 135. La démarche suivie par l’ « école

sociologique » contribue indéniablement à la légitimité du « droit », même s’il s’agit d’un

droit différent du droit formel 136. Dans ce cadre, la dimension conflictuelle de la réalité

sociale et les phénomènes d’instrumentalisation du droit qui en résultent sont sous-estimés.

L’ « école sociologique » pose par ailleurs les mêmes problèmes, épistémologiques

notamment, que l’école pluraliste, et en particulier la difficulté de définir un « droit » différent

131 V. e.a. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., v° sociologie du droit; K. Stoyanovitch, Le domaine du droit, op.cit., pp. 113 et ss.

132 Voy. p. ex. les extraits de L. Petrazycki, « Intuitive Law » et de E. Ehrlich, « Living Law » dans Law and Society. Readings in the Sociology of Law, op.cit., resp. pp. 112-120 et 121-125; v. aussi, parmi de nombreux auteurs, N. Kralyevitch, La portée théorique du glissement du droit vers la sociologie. La doctrine juridique au point de vue de la connaissance et de la sociologie, op.cit., p. 248.

133 G. Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, op.cit., p. 6. 134 V. G. Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, op.cit., pp. 9-10 et Traité de sociologie, tome II, op.cit., p. 180 et N.

Kralyevitch, La portée théorique du glissement du droit vers la sociologie. La doctrine juridique au point de vue de la connaissance et de la sociologie, op.cit., p. 318; v. aussi R. Pound, « Sociologie du droit », loc.cit., p. 310.

135 Voy. A.J. Arnaud, « Sociologie et droit. Rapports savants, rapports politiques », loc.cit., p. 81. 136 Voy. not. K. Stoyanovitch, Le domaine du droit, op.cit., p. 136.

25

du droit positif, de le distinguer des autres ordres normatifs (comme l’éthique) 137, et de

garder la même frontière de l’objet de l’étude à tous les stades de son développement.

Ces réflexions nous amènent cependant à insister sur la relativité de la distinction

tranchée entre normatif et descriptif. Il est évident, que, d’un point de vue sociologique,

l’établissement d’un énoncé scientifique à vocation théorique explicative sera parfois utilisé

par certains acteurs sociaux, et plus particulièrement par certains pouvoirs, dans une

perspective évaluative ou normative 138. L’affirmation de la neutralité axiologique d’un

raisonnement scientifique sera même, en termes de légitimation, souvent plus efficace que des

prises de position expressément affirmées 139. Le sociologue ne peut donc, en dépit de

l’affirmation de principe de sa neutralité, s’émanciper de la dimension normative de son

travail, dans la mesure où il travaille lui-même dans le cadre d’une société conflictuelle où

non seulement le droit mais aussi les sciences dans leur ensemble sont utilisées de manière à

légitimer certaines positions 140. A notre sens, l’attitude la plus respectueuse d’un postulat

méthodologique a-normatif consiste non à nier mais à prendre en compte le contexte social

dans le cadre duquel se déroule le travail scientifique. Par exemple, la sociologie législative

telle que définie plus haut implique un lien avec les pouvoirs publics articulé autour d’un

mode de légitimité propre au droit 141, ce qui peut être, en soi, l’objet d’une recherche de

sociologie politique du droit.

En définitive, le précédent de l’ « école sociologique » montre les dangers d’une

perspective qui nierait la dimension normative de tout énoncé scientifique. Le scientifique ne

peut donc éviter, s’il souhaite garder autant que possible ses distances avec cette dimension,

une sorte de sociologie politique de sa propre activité. Il peut aussi appréhender de la sorte

les travaux des autres sciences du droit, et critiquer par exemple des théories ou des

philosophies particulières du droit sous l’angle des phénomènes de légitimation 142. Bien

entendu, cette forme de sociologie de la connaissance sera elle-même susceptible d’une

137 V. p. ex. H. Lévy-Bruhl, Sociologie du droit, op.cit., pp. 35-38 et J. Carbonnier, « Les phénomènes d’internormativité », loc.cit.

138 V. J. Van Houtte, « La sociologie du droit ou les limites d’une science », loc.cit., p. 179; G. Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, op.cit., p. 267; J. Commaille, « Esquisse d’analyse des rapports entre droit et sociologie. Les sociologies juridiques », loc.cit., pp. 16 et ss.; K. Stoyanovitch, Le domaine du droit, op.cit., p. 128; R. Treves, « Préface » in Sociologie du droit et de la justice, op.cit., p. 5.

139 On se trouve dans le cadre de ce qu’on a appelé « la science et la technique comme idéologie » (v. l’ouvrage de J. Habermas, Paris, Gallimard-tel, 1973).

140 V. M. Cain, « Philosophie, science et politique », Droit et Société, 1986, pp. 187 et ss.; D. Black, « The Boundaries of Legal Sociology », loc.cit., pp. 100 et ss.; J. Commaille, « Esquisse d’analyse des rapports entre droit et sociologie. Les sociologies juridiques », loc.cit., pp. 18 et ss.; J. Van Houtte, « La sociologie du droit, les problèmes sociaux et la politique en Belgique », loc.cit., p. 436; R. Treves, « La sociologie du droit : un débat », loc.cit., pp. 172-173.

141 F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., pp. 94-95. 142 On considère depuis longtemps que l’un des domaines de la sociologie du droit est l’étude des doctrines et des théories

du droit; v. G. Gurvitch, Traité de sociologie, tome II, op.cit., p. 191.

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instrumentalisation et d’une utilisation de type normatif. Il reste que, à notre sens, elle reste

un passage privilégié, si pas obligé, dans une perspective explicative.

CONCLUSION

La sociologie politique du droit est une discipline que l’on peut caractériser par

certains éléments de définition qui la distinguent à la fois des autres sciences du droit (qui se

développent sur la base de paradigmes différents) et des autres sociologies juridiques (qui

utilisent les mêmes paradigmes, tout en ne centrant pas nécessairement leur raisonnement sur

les phénomènes de pouvoir). La prise en compte de la dimension interdisciplinaire de la

recherche ne remet nullement en cause ces distinctions, mais les affine en mettant l’accent sur

certains dangers qui concernent l’interdisciplinarité elle-même, le maintien d’un objet

définissable —le droit— ainsi que d’une science maîtresse —la sociologie— devant encadrer

l’ensemble du raisonnement scientifique. Le choix d’une approche de sociologie politique du

droit impose dans ce contexte des précautions par rapport à certaines tendances qui se sont

manifestée en sociologie juridique, comme la « sociologie législative », l’ « école pluraliste »

ou l’ « école sociologique ».

On aura relevé que le choix de la discipline n’est pas sans impliquer des prises de

position qui paraîtront à beaucoup idéologiquement marquées. L’impression se renforce si

l’on évoque les conséquences d’une approche socio-politique sur la définition du droit lui-

même. Ainsi, l’accent mis sur les phénomènes de légitimation au sein d’une société traversée

par différents pouvoirs peut avoir plusieurs implications, que l’on exposera pour conclure

comme autant de pistes de réflexion.

- Le droit peut être assimilé à une idéologie, au sens large d’« un système (possédant sa

logique et sa rigueur propres) de représentations (images, mythes, idées ou concepts selon les

cas) doué d’une existence et d’un rôle historique au sein d’une société donnée » 143. Le

système juridique « traduit » des phénomènes sociaux, leur donne un sens dans un langage

propre, ce sens ayant à son tour vocation à influencer la réalité sociale 144.

143 L. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspero, 1975, pp. 238-239; la définition se distingue des acceptions péjoratives que l’on retrouve notamment chez Marx (F. Engels et K. Marx, L’idéologie allemande, Paris, Nathan, 1989, pp. 38 et ss., sp. p. 44); v. à ce sujet R. Boudon, L’idéologie, ou l’origine des idées reçues, Paris, Fayard, coll. "points", 1986, not. pp. 29 et ss

144 V. p. ex. A.J. Arnaud, Critique de la raison juridique. 1. Où va la sociologie du droit ?, op.cit., p. 431.

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- Le droit est un système formel non pas détaché mais greffé sur une réalité sociale qu’il a

vocation à régir 145. Nous venons en effet de constater qu’il consistait en des représentations

particulières de cette réalité. Le droit peut donc théoriquement renfermer n’importe quel

contenu, contrairement à ce que postulent généralement les philosophes du droit 146. Le droit

existe aussi indépendamment de son application effective, contrairement à certaines

affirmations souvent posées par des sociologues du droit 147. En termes de légitimation, la

circonstance qu’une norme ne soit pas appliquée ne remet pas en cause son existence en tant

que norme mais révèle un problème de légitimation qui doit être lui-même un objet

d’analyse 148.

- Le droit est un fait. La particularité de ce fait est qu’il se donne pour obligatoire, ce qui

présente son intérêt principal dans une perspective interactionniste des phénomènes de

pouvoir 149. Son caractère obligatoire ne lie donc pas le sociologue, mais lui fournit son objet

privilégié d’analyse 150.

- Le droit est un argument. Dans la même perspective, tout pouvoir peut faire appel au droit

pour légitimer sa position. Il ne s’agira que d’un argument auquel tout autre pouvoir pourra

en opposer un autre, soit basé sur une interprétation différente du même droit, soit davantage

basée sur les rapports de force et sur des mécanismes de coercition.

Ces hypothèses s’opposent à une vision réifiée du droit en tant que corps de règles

reflétant la « nature des choses », expression qui renvoie le cas échant à un type particulier de

société (on ne peut ici encore que se référer à l’« école sociologique » ou à certains courants

pluralistes). Elles privilégient en revanche une conception dynamique dans laquelle le « droit

» est un type particulier de discours susceptible, lors de son élaboration comme lors de son

application, de refléter ou générer des rapports sociaux dans lesquels les rapports de pouvoir

sont cruciaux. A notre sens, ce type de conception, tout en dénotant un caractère idéologique

marqué, imprègne, sur un plan scientifique, la sociologie politique du droit comme discipline

autonome. Ici encore, il s’agit bien entendu d’une interprétation —et donc d’une prise de

position— que nous livrons comme des objets supplémentaires de réflexion…

145 V. p. ex. W. Friedmann, Théorie générale du droit, Paris, L.G.D.J., 1965, p. 16; F. Ost et M. van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, op.cit., p. 10.

146 V. p. ex. Henri Lévy-Bruhl, Sociologie du droit, op.cit., pp. 31 et ss. et p. 94. 147 V. à ce sujet Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.cit., v° validité, p. 433. 148 V. la définition de M. Weber, pour qui les normes juridiques sont « une disposition humaine prise dans des formes valant

comme légitimes en vertu d’une constitution -octroyée ou régulière- d’un groupement »; Sociologie du droit, op.cit., p. 44. V. p. ailleurs H. Rottleuthner, « Le concept sociologique de droit », loc.cit., loc.cit., p. 77.

149 V. p. ex. D. Black, « The Boundaries of Legal Sociology », loc.cit., p. 101 et M. Miaille, Une introduction critique au droit, op.cit., p. 327.

150 H. Rottleuthner, « Le concept sociologique de droit », loc.cit., pp. 81 et ss.