« l’accompagnement en fin de vie, · diplôme universitaire d’accompagnement et fin de vie...
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Diplôme Universitaire d’Accompagnement et Fin de Vie
Paris VI – Pierre et Marie Curie
Année 2010-2011
« L’ACCOMPAGNEMENT EN FIN DE VIE,
Enjeu et devoir de société »
Dominique LOSCUL-NOCTURE
INTRODUCTION
« Notre plus douce existence est relative et collective, et notre vrai moi n’est pas tout
entier en nous. Enfin telle est la constitution de l’homme en cette vie qu’on y parvient
jamais à bien jouir de soi sans le concours d’autrui ».1
Dans son essai : « L’Esprit des Lumières », Tzvetan TODOROV 2analyse les idées
humanistes du siècle des « Lumières » qui ont engendré la Révolution française et
fondé notre société contemporaine. Il consacre notamment un chapitre à l’autonomie.
Selon la conception de Rousseau, l’homme doit son humanité au besoin qu’il a des
autres pour naître, vivre et mourir. L’homme ne peut se suffire à lui-même.
« Le sentiment même d’exister provient de l’interaction avec les autres. Tout être
humain est frappé d’une insuffisance congénitale, d’une incomplétude qu’il cherche à
combler en s’attachant aux êtres qui l’entourent et en sollicitant leur attachement»
C’est donc selon Rousseau, le besoin de l’autre qui est à la base de notre humanité. Il
nous semble que c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque l’on veut traiter de
l’accompagnement en fin de vie.
L’étude MAHO3, appelée « Mort à l’hôpital » menée en 2008 a révélé que seul 52%
des patients sont morts accompagnés de leurs proches et qu’un patient sur cinq est
mort seul.
Le mouvement des soins palliatifs associe depuis sa création l’accompagnement aux
soins médicaux, paramédicaux, et psycho-sociaux. Selon les principes du « non-
abandon » et de la considération de la personne dans toutes ses dimensions –
1 J.J. Rousseau, Dialogues, œuvres complètes, T.1, 1959, cité dans L’Esprit des Lumières de T. TODOROV2 Tzvetan TODOROV, L’Esprit des Lumières - Livre de Poche, 2007)3 Edouard Ferrand, « la mort à l’hôpital »in Face aux fins de vie et à la mort, dir Emmanuel Hirsch, Ed. Vuibert. 2009
physiques, psychologiques, sociales et spirituelles – il s’agit de rechercher pour le
patient en fin de vie la qualité de vie plus que la quantité de vie qui lui reste à vivre.
Cette vie doit pouvoir avoir un sens et rester inscrite dans la vie communautaire.
La culture palliative développe donc compétences et savoir-faire, quant au
soulagement de la douleur physique ou psychique, elle associe également
l’accompagnement d’une part dans la réalisation même des soins et d’autre part en
ouvrant les structures médicalisées aux proches et aux associations de bénévoles
d’accompagnement représentant de la société civile.
L’accompagnement ne relève donc pas uniquement du seul devoir de la médecine ou
de la religion. Il semblerait donc que la société tout entière soit concernée par la fin de
vie. Pourrait on alors envisager l’accompagnement en fin de vie comme un enjeu voire
un devoir de société ?
Pour envisager cette problématique nous emploierons la méthode de la revue de
littérature.
Avant de considérer l’accompagnement contemporain nous ferons une analyse
historique des attitudes de nos ancêtres face à la mort (I). Nous nous intéresserons
ensuite aux rituels funéraires propres à notre humanité, fondant notre culture (II).
Nous dresserons un portrait de notre socialité moderne dans laquelle s’inscrivent nos
attitudes face à la mort (III). C’est alors que nous pourrons envisager les différentes
dimensions des soins palliatifs et de l’accompagnement (IV). Nous terminerons en
proposant une approche de l’accompagnement en tant que témoignage et enjeu
sociétal (V).
LA MORT EN OCCIDENT DU MOYEN-ÂGE A NOS JOURS
« Hier encore, la famille et les proches affluaient dans la maison du mourant pour vivre
avec lui ses derniers instants en le veillant. Le rituel de l’enterrement marquait l’adieu,
le deuil solidarisait la famille et les proches. La mort était familière et familiale. En
revanche, la mort médicalisée en institution est devenue paradoxalement
inhospitalière… pourtant, tout n’était pas idyllique dans la mort d’antan. La souffrance,
la douleur étaient bien là, dans une agonie entourée de tâtonnements médicaux mal
codifiés et peu efficaces ».4
La mort, aujourd’hui, n’a généralement pas encore le droit de cité. Mais il n’en a pas
été toujours ainsi. Afin d’envisager notre comportement actuel face à la mort, il est
nécessaire de le considérer dans l’histoire, du Moyen Âge à nos jours. Nous pourrons
ainsi dégager les grands traits de l’attitude commune devant l’ultime expérience
existentielle de ceux qui nous ont précédés. Nous nous intéresserons plus
particulièrement à la façon dont nos ancêtres accompagnaient les mourants et leurs
proches, les morts et les endeuillés.
Ce sont principalement les ouvrages de Philippe ARIES et de Louis-Vincent THOMAS,
Essais sur la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours 5 et Rites de mort pour la paix
des vivants 6 qui ont retenu notre attention pour analyser les pratiques sociales autour
de la mort qui ont construit notre culture.
Philippe ARIES partage l’évolution des comportements sociaux du Moyen Âge à nos
jours en trois grands courants majeurs au terme desquels naîtra, d’après lui, la
conscience individuelle : la « mort apprivoisée », « la mort de soi », la « mort de toi ».
Notre époque connaîtra, quant à elle, « la mort ensauvagée ».
4 Jean LEONETTI, A la lumière du crépuscule, Essai Michalon 20085 Philippe ARIÈS, Essais sur la mort en Occident, du Moyen Âge à nos jours, Ed. du Seuil 19776 Louis Vincent THOMAS, Rites de mort pour la paix des vivants, Fayard 2007
La mort apprivoisée
Au Moyen Âge, selon Philippe ARIES, les hommes sont « avertis » en ce sens qu’ils
vivent avec la conscience d’être mortels.
Sans vouloir précipiter l’issue fatale, ils attendaient la mort « en chrétiens », gisant.
Cette attente était vécue collectivement, accompagnée des proches et des amis. Ce
cérémonial que l’on retrouve illustré dans la Chanson de Rolland, consiste en quatre
événements majeurs : le regret de la vie passée, le pardon aux compagnons qui
entourent le mourant que celui-ci recommande à Dieu, le pardon à Dieu (futur
Confiteor) et l’absolution par le prêtre (libérame) – absolution répétée sur le corps du
défunt. Plus tard, le Corpus Christi sera donné aux mourants (l’extrême onction étant
réservée aux clercs et aux moines). A la suite de ce cérémonial, on attend, ensemble,
la mort en silence. Cette cérémonie est publique et le mourant en connaît le protocole.
Les rites de mort sont acceptés et simplement accomplis sans dramatisation ni
manifestation émotionnelle.
Après quoi, les défunts étaient confiés à l’église. Il fallait que les corps soient le plus
près possible des églises (ad sanctus), près des reliques saintes. D’où les aîtres
(charniers devenant des galeries) qui étaient surmontées d’ossuaires (les ossements
provenaient des fosses communes). Le cimetière et l’église étaient à cette période
moyenâgeuse des lieux publics ayant fonction d’asile et de refuge (azylus circum
ecclesiam) où l’on construisit même des maisons d’habitation (jusqu’au XVème siècle on
y dansait, jouait, …).
Les vivants cohabitaient donc au sens propre avec les morts sans que cela ne leur pose
de problème particulier (pas plus que leur propre mort d’ailleurs). La mort est
familière. Elle est dans l’ordre des choses de la nature et l’homme s’y soumet.
A partir du Haut Moyen Âge, on assiste à une progressive et discrète dramatisation et
à la privatisation de la mort.
La familiarité traditionnelle de l’homme avec la mort qui allait de pair avec une
« conception collective de la destinée », se transforme petit à petit.
« Le souci de la particularité de chaque individu » apparaît et s’introduit dans l’idée du
« destin collectif de l’espèce »7.
Philippe ARIES appelle le mouvement suivant la mort apprivoisée : la mort de soi.
La mort de soi
Dès la fin du XIe siècle, apparaissent des changements discrets quant à la familiarité de
l’homme avec la mort. Ils contribuent à dramatiser et à personnaliser le rapport à la
mort. Auparavant, l’homme et la société, l’homme et la nature ne faisaient qu’un. La
mort était acceptée car considérée « dans l’ordre des choses ». Il n’était pas pensable
de chercher à l’éviter, pas plus qu’à lui donner une importance particulière. Mais on
assiste donc pendant le second Moyen-âge à l’émergence « à l’intérieur de la vieille
idée du destin collectif de l‘espèce » du « souci de la particularité de chaque individu »8.
La notion de jugement dernier devient présente : les âmes sont pesées et les hommes
sont jugés en fonction de leurs actions bonnes et mauvaises, à la fin des temps tout
d’abord, puis à partir du XVème siècle, le jugement a lieu au moment de la mort, le
mourant assistant au combat des forces du bien et du mal. Le comportement du
mourant à ce moment-là déterminera son sort pour l’éternité. Il y a donc passage
entre un jugement dernier collectif à la fin des temps à un jugement individuel au
moment de la mort. En corollaire, la « sécurité du rite collectif » devient « inquiétude
d’une interrogation personnelle »9.
La mort devient plus dramatique, plus émotionnelle. Le mourant est acteur de sa
propre mort. L’homme prend conscience de lui-même dans cette deuxième moitié du
Moyen Âge.
Citons à ce propos Le commentaire du philosophe Luc FERRY 10: « Considérons un
instant cette indifférence relative à l’égard du trépas. Plus encore que les consolations
tirées de la religion ou de l’entourage, ce qui semble avoir suscité la placidité de nos
ancêtres, c’est leur implicite refus de la notion moderne d’individualité conçue comme
7 Philippe ARIÈS, Essais sur la mort en Occident, du Moyen Âge à nos jours, Ed. du Seuil, 1977.8 Idem, p. 339Idem, p. 3710 Luc FERRY, L’homme-Dieu, Ed. Grasset, 1997.
atome, monade séparée de son ascendance et de sa descendance par une coupure
absolue…On se définissait comme membre d’une lignée indivisible…La naissance du
sujet maître de lui, auto défini par ses engagements, ses choix, impliquait au contraire
qu’il cessât de se considérer au premier chef comme l’élément solidaire d’une totalité
organique. Dès lors, la mort devait changer de sens et l’indifférence faire place à
l’angoisse : elle prit l’allure terrifiante d’un anéantissement complet au lieu de n’être,
pour ainsi dire qu’une péripétie de la vie elle-même.» La mort est vécue différemment.
La mort de toi
A partir du XVIIIème, en Occident, la mort prend un sens nouveau. C’est la mort
romantique : la mort de l’autre, la mort de toi. La mort devient une rupture. Elle est
d’abord fantasmée érotiquement puis les caractères érotiques sont sublimés par la
représentation de la beauté de la mort. Il y a une esthétisation de la mort. La mort
perd son caractère coutumier. Les manifestations émotionnelles sont importantes
dans la douleur de la séparation mais la mort est aussi une porte ouverte sur
l’immortalité et on en arrive à désirer la mort comme un bonheur, il y a comme une
complaisance envers l’idée de la mort à la fin du XVIIIème siècle. Philippe ARIES note
l’influence de la religion catholique émotive et protestante (pieuse), mais aussi la
« sublimation des fantasmes érotico-macabres de la période précédente. »
C’est aussi la période d’un changement dans la relation entre le mourant et sa famille.
Ce changement est illustré par les nouvelles teneurs des testaments qui, avant le
XVIIIème, étaient exhaustifs quant aux volontés des mourants (clauses pieuses,
patrimoniales, …) et qui dorénavant ne revêtent plus qu’un côté juridique (héritage), le
reste des volontés du mourant étant transmis oralement sur la base de la confiance du
mourant envers sa famille. Pour Michel VOVELLE11, ce serait là un signe de laïcisation
de la société occidentale. Pour Philippe ARIES, il s’agit d’une transformation des
relations intrafamiliales : les sentiments, l’affection deviennent évidents.
11 Michel VOVELLE, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Ed. Gallimard, 2000.
L’attitude du mourant présidant à la cérémonie de ses adieux perdure jusqu’au
premier tiers du XXème siècle. Mais, en revanche, le comportement des assistants
change. De plus, les règles de vie sociale imposées jusqu’au XVIIIème siècle pour la
période de deuil se modifient et l’expression du deuil devient très ostentatoire.
D’autre part, à la fin du XVIIIème siècle, on ne supporte plus la cohabitation des morts et
des vivants. On ne supporte plus l’insalubrité qui règne autour des églises, due à la
grande quantité de corps en décomposition. Les morts sont enterrés chez eux (on a de
plus en plus de mal à accepter la séparation de ceux qu’on a aimés), en dehors des
cimetières publics où l’on va se recueillir. Le culte du souvenir est donc à la fois privé et
public.
Avec le positivisme au XIXème siècle, on estime que les morts « sont les signes visibles
de la pérennité de la cité » et qu’il faut leur redonner leur droit de cité. Les cimetières
sont réintroduits dans les villes. On doit au positivisme un culte des morts très exalté.
Les mourants et les morts étaient donc toujours accompagnés des leurs et/ou de
pénitents.
A partir de la deuxième moitié du XXème siècle, un changement brutal s’opère : la mort
devient honteuse, « interdite » et ne relève que des sphères privées et médicales. Elle
ne regarde plus la collectivité.
La mort interdite
Le malade, à qui l’on tait la vérité sur son état, est même privé de sa propre mort. On
cherche à éviter à la société autant qu’à la personne mourante la souffrance de la
confrontation à l’agonie et à la finitude. La vie se doit avant tout d’être heureuse. La
mort est évincée du champ social. On meurt à l’hôpital par arrêt des soins. La
confiance autrefois passée du mourant à sa famille au XVIIIème siècle, passe aux
praticiens hospitaliers. Quand la mort survient, elle est cachée le plus possible à
l’entourage (enfants, voisins, collègues) ; même le vêtement de deuil n’est plus de
mise. Il faut éviter toute expression et contagion émotionnelle. Le deuil se vit solitaire,
sans témoins. Les visites au cimetière sont rares et, dans les pays anglo-saxons,
l’incinération est de plus en plus pratiquée.
Philippe ARIES note à ce propos que l’on suppose probable que l’impossibilité de
partager sa souffrance due à la perte d’un être cher aggrave le traumatisme subi ; ce
que confirme le psychiatre Christophe FAURE12. L’interdit de la mort est donc mis en
place.
Geoffrey GORER, sociologue anglais cité par Philippe ARIES, a montré que, selon lui,
le tabou sexuel a été remplacé par celui de la mort et que les signes de tristesse
affichés remettent en cause la raison d’être de la société. Il faut avoir l’air heureux
pour contribuer au bonheur des autres. Le deuil est devenu un état morbide
(mouvement qui serait né aux Etats-Unis au début du XXème siècle). L’embaumement de
plus en plus en vogue aux Etats-Unis signifie, par ailleurs, le refus d’admettre la mort
comme fin familière, à laquelle on se résigne et qu’elle soit vécue comme un drame
par les survivants (elle est, par ailleurs, objet de commerce).
La société, donc, ne donne plus sa place à la mort. L’interdit de la mort sidère
l’entourage médical et familial du mourant. Les mourants meurent seuls.
En conclusion de son histoire de la mort en Occident, Philippe ARIES affirme que la
résignation, la confiance, la notion de destin, l’acceptation par le mourant de sa fin au
cours d’une cérémonie publique réglée par le rite, traduisaient une familiarité avec la
mort dans une société où l’individu ne se démarquait pas de son contexte social et
familial. Les morts et les vivants étaient en présence les uns des autres jusqu’à la
période romantique (XIXème). Dans le Haut Moyen Âge, du XIIème au XIVème siècle, la
civilisation moderne jette ses bases avec un sentiment plus individuel et plus intérieur
de la mort. C’est la mort de soi dont la prise de conscience donne plus de prix à la vie.
Ce que montre l’iconographie macabre du XIVème siècle.
12Christophe FAURE, Vivre le deuil au jour le jour, Ed. Albin Michel, 2001
Puis, à l’époque moderne, la mort, malgré les us et les coutumes qui continuent à
l’entourer, la mort perd de sa familiarité. La mort est liée à l’érotisme lui donnant un
sens de rupture dans l’ordre des choses. Elle reflète également le néant. Dans la
famille, même en croyant à la vie après la mort, la séparation d’avec l’être cher devient
insupportable. C’est la mort de toi, inadmissible.
Au XIXème siècle, la mort est omniprésente et très représentée, ce qui traduit déjà
qu’elle est moins familière. Cette représentation n’est plus de nos jours car la mort est
devenue interdite, « innommable ». Comme si nous voulions oublier notre condition
de mortels. Et Philippe ARIES de s’étonner en constatant que « notre vie n’est pas pour
autant dilatée ». Il en déduit que si, comme au second Moyen Âge, nous savions nous
abandonner en confiance dans le Destin, notre volonté d’être s’en trouverait
préservée. Pour être en vie, on ne peut ignorer la mort. L’étude de Philippe ARIES
concerne donc plus le comportement de nos ancêtres face à la mort elle-même que
leurs attitudes collectives et individuelles même s’il aborde ce thème de façon
récurrente. En fait, la privatisation de la mort semble être donc très récente.
Cependant, depuis le XIIème siècle, lorsque l’on considère qu’à la mort, l’âme quitte le
corps et subit aussitôt un jugement particulier, Philippe ARIES écrit : « la solitude de
l’homme devant la mort est l’espace où celui-ci prend conscience de son
individualité ». Alors qu’aujourd’hui, notre société voue un culte à l’individu, pouvons-
nous alors imaginer autre chose que cette solitude vécue et subie à l’heure de la
mort ?
L’accompagnement des mourants et des morts
Il nous semble intéressant également de considérer les propos de Philippe ARIES dans
son article intitulé « Itinéraires 1966-1975 ». Philippe ARIES13 y traite plus
particulièrement du comportement collectif après la mort. Même s’il ne s’agit pas de
l’accompagnement du mourant proprement dit, il nous semble cependant intéressant
de noter qu’à travers les différents rites durant les funérailles, le défunt faisait encore
13 In « Essai sur la mort en occident ».
partie de la société dont il était issu. Pendant le Haut Moyen Âge, il s’agissait de
commémorer le défunt (plus que de son inhumation). Seules les personnes illustres
étaient concernées, les autres restaient anonymes.
Avant le XIVème siècle, les messes et les prières se déroulent en dehors des funérailles
par un clergé quasi spécialisé, recevant des dons des défunts.
Puis, les funérailles deviennent plus religieuses. Les prêtres et les moines sont payés
pour leur présence durant les heures et les jours qui suivent la mort. Mais d’autres
participants s’ajoutent : ce sont les pauvres qu’il était de bon ton pour le salut de son
âme, de convier moyennant des aumônes (des dons également étaient faits aux
œuvres de charité). « La présence des pauvres étant recherchée pour elle-même
comme celle des moines » nous dit Philippe ARIES. Le convoi faisait alors aussi fonction
de deuil. Les vêtements sont spécifiques (le noir est généralisé au XVIème siècle, grande
robe à capuchon, …). Jusqu’au XVIIIème siècle, plus le mort était riche, plus les pauvres
et les moines (des ordres mendiants) étaient nombreux. La pauvreté devait donc être
représentée aux funérailles pour compenser la richesse du défunt (obstacle au salut
éternel ?). Depuis le XVIIIème siècle, il y a donc les obsèques des riches et celles des
pauvres.
A la campagne, les convois des pauvres sont accompagnés par les voisins et amis. Mais
dans les villes qui s’étendent au second Moyen Âge, les pauvres ne sont plus
accompagnés vers leur dernière demeure ni par l’Eglise ni par les proches. Ils sont
seuls. C’est pourquoi à la fin du Moyen Âge naît un mouvement de charité pour
l’enterrement des pauvres. On considère que l’on doit accompagner les défunts quelle
que soit leur condition au même titre que l’on doit « donner du pain à ceux qui n’en
ont pas » et visiter les malades.
Les confréries qui doivent pratiquer les œuvres de charité, aux XVème et XVIème siècles,
considèrent comme l’une de leurs fonctions principales d’assister par les prières les
défunts indigents.
Philippe ARIES conclut son article par la remarque fondamentale suivante: les rites
élémentaires et laïcs des très anciennes funérailles traduisaient l’appartenance de tous
à un destin collectif. Puis, au second Moyen Âge, la richesse temporelle et spirituelle
donnait à la vie un prix nouveau. La mort devient alors « objet de crainte et
d’horreur ». Car la mort est devenue un condensé de la vie tout entière. Les hommes
aussi prennent conscience de la particularité de leur propre vie et ainsi, d’eux-mêmes.
Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
C’est le propos de Philippe ARIES dans son article intitulé: « La vie et la mort chez les
Français aujourd’hui. »
La mort dans la société occidentale contemporaine
Jusqu’en 1930, la mort était une cérémonie publique que le mourant, puis le mort,
présidait. Le mourant se préparait et attendait la mort au lit. La famille, les amis, les
voisins assistaient à l’agonie. Le prêtre portait la Corpus Christi et donnait l’extrême
onction au mourant. Après la mort, tous venaient rendre un dernier hommage au
défunt.
Puis, le mourant fut exclu de la scène de sa propre mort, la vérité sur la gravité de son
état lui étant savamment cachée par les médecins et la famille.
A partir de ce moment, ce n’est plus le mourant qui retient l’attention mais les
survivants éprouvés. Ce qu’illustre la liturgie moderne des funérailles adressée plus
aux survivants qu’au défunt. Les survivants en deuil, en revanche, n’ont plus le droit
d’exprimer leur peine car parler de la mort est devenu inconvenant. Philippe ARIES
remarque que les sciences humaines n’ont pas plus abordé le thème de la mort que les
hommes en général dans notre civilisation du XXème siècle, même si Edgar MORIN écrit
en 1950 : l’homme et la mort.
La littérature s’est beaucoup servie du thème de la mort alors qu’un silence honteux
planait sur la mort réelle. Silence qui, cependant, depuis quelques années commence
à interroger la sociologie, semblant menacer le tabou de la mort.
En fait, on a donc privé le mourant de sa propre mort. Avec l’évolution de la société,
l’urbanisation, l’homme ressent de moins en moins l’approche de la mort et dépend de
plus en plus de son entourage pour s’y préparer. Les mourants auparavant qui avaient
maintes fois assisté à la mort de leurs contemporains savaient comment « se tenir » et
étaient « investis d’une autorité souveraine » surtout aux XVIIIème et XIXème siècles.
Cependant, il est devenu moral, bienveillant et usité de faire en sorte que le malade
meure sans le savoir.
Philippe ARIES s’interroge sur ce qui a pu causer une telle inversion des
comportements au XXème siècle. La cause tient selon lui aux relations intrafamiliales.
La famille qui a pris de plus en plus de place dans la société sépare le mourant du
monde dans un but de protection et lui confère aussi un statut de mineur en prenant
tout en charge à sa place.
Les progrès de la médecine également ont substitué la conscience de la mort à celle de
la maladie dès la seconde moitié du XIXème siècle. En cas de maladie incurable (cancer),
le comportement social admis est de garder le silence pour diminuer l’angoisse due à
l’association de la maladie à la mort. Pour les sociologues du XXème siècle, la discrétion
qui est de mise quand vient la mort est aussi la « forme moderne de dignité ».
Le malade doit mourir de façon acceptable par les survivants sans provoquer trop
d’émotion autour de lui. Il est à noter que le malade qui « s’abandonne » à la mort est
devenu contrariant pour la déontologie médicale qu’il met à mal en diminuant sa
capacité de résistance.
L’autre fait social contemporain notoire autour de la mort consiste au refus du deuil.
L’interdiction du deuil après un millénaire de nécessité du deuil pourrait, selon
Geoffrey GORER aboutir à un désespoir pathologique dû à la privation du rituel de
deuil. Le développement de l’incinération (surtout dans les pays anglo-saxons)
témoigne aussi d’une « volonté de faire disparaître au plus vite et radicalement les
morts ». Il y a finalement une diminution sensible du culte des morts, ce qui selon
Geoffrey GORER est loin d’apporter plus de paix aux vivants14.
Philippe ARIES conclut : « On en vient à se demander alors avec GORER si une grande
partie de la pathologie sociale d’aujourd’hui n’a pas sa source dans l’évacuation de la
14 Nous verrons à ce sujet l’analyse de Louis Vincent THOMAS
mort hors de la vie quotidienne, dans l’interdiction du deuil et du droit de pleurer ses
morts ».
Michel VOVELLE dans « La mort et l’Occident de 1300 à nos jours » 15 conclut, quant à
lui, dans son ouvrage, que la mort est devenue le révélateur d’un « malaise de la
civilisation » pour reprendre les termes de FREUD. Elle nous invite à changer le monde,
nous amène à prendre conscience de la nécessité « d’un humanisme pour notre
temps ».
Pour Edgar MORIN, on assiste au retour de la mort (après que, comme le sexe, elle a
été classée tabou). Cela implique un changement pour la vie personnelle et collective.
« Une fois encore, le chemin de la mort doit nous conduire plus profond dans la vie,
comme le chemin de la vie doit nous conduire plus profond dans la mort. » « Une
réforme de la mort ne peut être que l’autre face d’une réforme de la vie. »
Nous aborderons plus loin dans notre travail la conception d’Edgar MORIN sur le
changement, selon lui nécessaire, de notre société désolidarisée.
LES RITUELS FUNERAIRES
Louis Vincent THOMAS dans son livre « Rites de mort pour la paix des vivants », affirme
quant à lui que ce sont les rites qui assurent la cohésion sociale car ils sont « la forme
indispensable pour exprimer et entretenir les liens. » Ils ont une dimension universelle.
Donc, le rituel funéraire en particulier permet la mise en scène de l’ultime relation
entre le mort et les survivants, et les liens nouveaux qui survivront entre ceux-ci. Les
rites ont pour fonction d’apaiser, de structurer, de sécuriser. Ils marquent les temps
forts de la vie qu’ils soient profanes ou religieux et prennent appui sur des archétypes
fondateurs.
Le rite permet de vivre une appartenance à la communauté. Il présente une efficacité
symbolique, c’est-à-dire qu’il permet de donner du sens.
15 Michel VOVELLE, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Ed. Gallimard, 2000.
Ainsi pour Louis Vincent THOMAS 16: « La ritualisation qui implique la socialisation est
une thérapie efficace de l’angoisse de la mort. »
II. A. Les rites d’oblation
L’accompagnement du mourant et la « retenue du mort » appelant sollicitude et
prévenance, sont des conduites oblatives.
Le mourant est universellement sujet de comportements codifiés. Son
accompagnement est une partie de l’ensemble du rituel de la mort.
L’accompagnement du mourant est d’autant plus sujet de réflexion que l’on prend la
mesure de la solitude des mourants qui, bien souvent est de mise dans nos institutions
médicalisées.
Selon Louis Vincent THOMAS, le mourant cherche à retrouver la « diade mère-enfant »
de ses premiers instants de vie. Cela réveille chez les accompagnants des peurs
archaïques qui font que peu de gens se sentent prêts à côtoyer les mourants.
Autrefois, les proches et les prêtres aidés par le rituel chrétien, assuraient cette
présence aux derniers instants. De nos jours, ce sont les équipes soignantes qui sont
appelées à entourer les personnes en fin de vie afin qu’elles puissent réaliser leur
« travail de trépas ». La rencontre, la communion symbolique, la sollicitude sont autant
de facettes d’une pratique oblative. Cette pratique, le support de rite, sert à encadrer
toutes les angoisses générées par l’approche de la mort.
La retenue du mort
Louis Vincent THOMAS considère que le rituel funéraire symbolise la « présence-
absence », ce qui est capital pour le travail de deuil des proches. L’absence de corps du
défunt pose un réel problème aux survivants qui, lorsque c’est le cas, trouvent des
solutions pour symboliser la présence du corps (rites bretons des disparus en mer,
monuments aux morts, …). Par ces symboles de présence malgré l’absence, le défunt
reste inscrit dans sa communauté d’origine et en est honoré.
16 Louis Vincent THOMAS, Rites de mort pour la paix des vivants, Fayard page 213
L’absence de toute référence à celui qui est mort équivaut à lui « voler sa mort ». Les
proches restent dans le doute de la réalité de la mort et ne peuvent accomplir leur
travail de deuil.
Le rituel de purification
Dans le rituel funéraire, une part est faite à la symbolique de purification (toilette
mortuaire) et de maternage (ce sont en général dans le rite traditionnel des femmes
qui accomplissent ce rite et souvent ce sont les mêmes femmes qui aident à la
naissance). Avec le maternage, on peut donc faire le parallèle naissance / mort mais
aussi constater le besoin de sécuriser. Mourir seul « comme un chien » ou accoucher
seule « comme une mauvaise bête » révèle que le symbole de renaissance donné à la
toilette mortuaire qui, de plus, est accomplie de plus par des femmes, est très
important. Quant à l’aspect purification de ce rituel, il conditionnerait notre ultime
relation à nos défunts.
Le rituel de présentification
Le rituel de la toilette mortuaire est suivi de celui de la présentification qui constitue
un hommage au défunt et réaffirme la place qu’il a eue dans la communauté. Le fait
d’honorer cette personne réaffirme l’identité et la cohésion du groupe dont il est issu.
C’est aussi le moment reconnu de l’expression des émotions qui participe au travail de
deuil. La veillée funèbre qui a disparu de nos jours, donnait l’occasion d’une dernière
relation avec le défunt et sa disparition nuirait aussi, selon Christophe FAURE au travail
de deuil en apaisant les survivants.
Le rituel du repas funéraire
Le rituel du repas funéraire est aussi une façon d’exprimer notre sollicitude vis-à-vis du
mort et d’être en relation avec lui. Façon aussi de retenir le mort qui constitue la
première phase du deuil.
Le second aspect des rituels funéraires consiste dans les rituels de passage : séparation
et intégration.
II-B Les rituels de passage
L’inhumation scelle le caractère effectif de la séparation entre les morts et les vivants
avec sa mise à l’écart.
La séparation puis l’intégration dans l’imaginaire collectif du défunt ainsi que des
endeuillés dans la société sont les phases indissociables et indispensables des rituels
funéraires. C’est finalement aux survivants que bénéficie ce rite. Le rituel funéraire
cherche avant tout à éviter le non-sens de la mort.
L’importance de l’entourage qui est prévenu du décès dans toutes les cultures est
manifeste. Le rite, religieux ou laïque, qui accompagne cette dernière étape de la
séparation physique tend à apaiser la douleur de cette séparation. Lors des éloges
funèbres, il est réaffirmé que le mort appartient bien au groupe. Ce rituel d’adieu
permet de maintenir la relation.
Lors de ces rituels, se manifeste la « chaleur de la rencontre » autour du cercueil.
Puis, la communauté traditionnelle dicte aux endeuillés la conduite à tenir par d’autres
rites en les maintenant à distance et en « canalisant » leurs émotions. La communauté
se protège en protégeant les endeuillés.
Cela n’est plus le cas dans les sociétés urbaines. Les endeuillés se fondent dans le
groupe sans signes distinctifs. On ne porte plus le deuil. Ils n’ont pas le loisir non plus
d’exprimer la douleur de la perte d’un être cher que notre société a rendue
inconvenante et qui est donc à refouler dans la solitude. Or, ignorer ou feindre
d’ignorer la rupture que la perte peut provoquer, complique et rend plus douloureux le
travail de deuil car il est alors accompli seul.
Les rituels de séparation
En ce qui concerne l’inhumation proprement dite, le fantasme quasi universel de la
terre-mère féconde permet d’accéder à une symbolique de transformation. La terre
est aussi le siège des ancêtres et garantit le repos.
Louis Vincent THOMAS remarque aussi qu’actuellement la mise à l’écart des cimetières
visant à cacher la mort concrétise notre volonté de fuir la mort. Cependant que le
cimetière avait pour fonction « d’exalter la solidité des liens, de donner l’illusion de la
permanence, d’affirmer l’immortalité » en pérennisant le souvenir.
L’incinération et l’épandage des cendres risquent de supprimer ce rituel d’inhumation
dont le sens a été démontré.
On peut cependant considérer le feu comme symbole associé à celui de l’eau, dans
différents rites funéraires orientaux par exemple (bouddhistes). Louis Vincent
THOMAS note pourtant que dans notre société occidentale, l’incinération ne porte pas
la symbolique associée au feu dans les civilisations orientales (purification,
transfiguration du défunt, libération de l’âme, …). L’incinération a pour nous une
valeur uniquement destructrice. Pour les partisans de la crémation, la tombe des
morts est le cœur des vivants. Il y a donc l’idée de retrouvailles mais la radicalité de la
crémation imposerait une compensation par de nouveaux rituels.
Louis Vincent THOMAS conclut sur les rituels de passage par ces mots : « Qu’il s’agisse
d’inhumation ou d’incinération, le rituel de séparation, institutionnalisé ou non, fournit
les moyens symboliques de régler le traitement du cadavre en ménageant aux
survivants des échappatoires qui annulent la rupture. Tant il est vrai que, pour être en
paix avec les morts, on ne peut les éliminer qu’en les conservant. »
Les rites d’intégration et la levée du deuil
Pour ce qui est des rites d’intégration du mort et de levée du deuil, ils ont pour but de
conférer au défunt un « statut positif » qui assure la cohésion du groupe et les
endeuillés consolés peuvent revenir parmi les vivants. Ces rites, qui prenaient par
exemple la forme de retrouvailles un an après les obsèques, signalent la fin du deuil et
la « réintégration de l’ancêtre dans l’espace domestique ». La communauté en était
« revitalisée ». C’était un rituel de « renaissance » à la vie.
Louis Vincent THOMAS ajoute que selon lui, « la ritualisation qui implique la
socialisation est une thérapie efficace de l’angoisse de mort. »
C’est aussi la place donnée aux morts qui est toujours « gage d’un surplus de vie. » Le
rite a une fonction thérapeutique. Les rites funéraires permettent de retrouver la paix
en soi après la perte d’un être cher et dans la communauté. Il s’agit de sortir de la
culpabilité inhérente au décès d’un proche et la douleur de la séparation avec les
autres, ce qui resserre les liens communautaires.
En désocialisant le deuil, en le privatisant, au risque de compromettre l’équilibre de
l’individu, cela peut aboutir au deuil pathologique qui consiste à continuer sur le long
terme à nier la réalité de la mort et de l’absence du défunt. Ce qui laisse l’endeuillé
dans une « mort symbolique ».
Pour Louis Vincent THOMAS donc, l’apaisement apporté par les conduites symboliques
universelles qui ont toutes en commun la sollicitude et la retenue du mort, l’évitement
et les retrouvailles, passe par la déculpabilisation, la chaleur des relations humaines et
l’espérance de la survie.
II-C Nécessité des rituels funéraires
Avant d’entreprendre l’étude des rites d’accompagnement s’inscrivant dans le collectif
dont traite l’ouvrage de Louis Vincent THOMAS - « Rites de mort pour la paix des
vivants », il nous semble important de relater les propos du sociologue Tanguy CHATEL
tenus dans un article d’un supplément du magazine La Vie (29 octobre 2009). Pour lui,
la cérémonie funéraire a valeur de message : 50% des Français se déclarent croyants
alors que 8% seulement des catholiques sont pratiquants. Les rituels étant l’expression
la plus structurante de la religion sont amenés néanmoins à changer par ce constat. De
plus, la société individualiste amène chacun à une quête de sens pour soi-même et à
délaisser les pratiques collectives.
La volonté du défunt prime et d’une cérémonie qui concernerait la communauté dans
son ensemble, garantissant une identité collective réaffirmées, on arrive à une
cérémonie individuelle, les personnes qui y assistent n’étant pas reliées par les mêmes
croyances ou appartenances religieuses. Pour Tanguy CHÂTEL, le rituel funéraire est
sacré et en honorant le défunt, il est affirmé que sa vie a eu du sens. De plus, le rituel
relie les membres de la famille entre eux et à leur histoire commune.
N’oublions pas que dans l’histoire de l’humanité, les premiers rituels sont funéraires,
les religions sont apparues après. « Ils correspondent (les rituels funéraires) au besoin
de l’homme de s’affirmer comme un être civilisé. Une personne n’existe pas seulement
pour ses proches mais pour le genre humain. » C’est aussi pourquoi il existe des
bénévoles accompagnant les morts anonymes de la rue au cimetière. Ces bénévoles de
l’association « Les morts de la rue », créée en 2003, accompagnent au cimetière de
Thiais, près de Paris, les personnes isolées décédées pour lesquelles personne ne s’est
manifesté. L’être humain ne doit pas mourir dans la clandestinité. En supprimant les
rituels, c’est l’humanité que nous rejetons.
Pour le monde judaïque ou musulman, où les traditions et la cohésion du groupe
demeurent, les rituels funéraires sont moins menacés. Nous sommes, dans notre
société, écartelés entre le souhait de faire comme on le souhaite et le besoin d’insérer
à notre histoire personnelle à celle de notre communauté. De plus, rejeter le religieux
et en même temps affronter la peur de notre finitude est un difficile exercice.
Après avoir nié la mort, comme nous l’a montré Philippe ARIES, nous assistons selon
Tanguy CHÂTEL à une volonté de ré-apprivoiser la mort avec l’accompagnement des
mourants. Ce serait pour lui une nouvelle ritualisation permettant de passer de la mort
privatisée, ou au mieux idéalisée, à la mort inscrite de nouveau dans le collectif, dans
la société. On ré-apprivoise aussi la mort en rapprochant dans le rituel chrétien le
baptême et les funérailles. Cela se retrouve constamment dans les cultures
traditionnelles et symbolise le lien entre les vivants et les morts, source d’espérance et
de paix.
Pour Louis Vincent THOMAS, il existe peu de variantes dans les croyances ou rituels au
cours de l’histoire. Les sociétés, les cultures reprennent donc toujours des rites
anciens.
Les facteurs de dé-ritualisation
Louis Vincent THOMAS propose que la mise à l’écart de la mort, des mourants et des
vieillards remette en question notre rapport à l’autre et au monde. L’industrialisation,
l’urbanisation, le profit, l’individualisme seraient en relation avec la « crise du rituel ».
Les progrès des sciences et des techniques, en mettant l’accent sur les causalités de la
mort, nous laissent croire que celle-ci peut être évitée, d’où le déploiement de
toujours plus de techniques destinées à en retarder l’échéance. Cela a conduit à
l’acharnement thérapeutique d’une part, et à la volonté de retrouver la maîtrise
individuelle du moment de la mort. (ADMD17) Tout cela étant bien loin du rituel
d’agonie que Philippe ARIES décrivait.
Cependant, même si les techniques médicales visent à prolonger la vie le plus possible,
elles ont aussi leurs rites (avec ses acteurs, sa mise en scène) qui donnent pouvoir et
légitimité aux soignants. Ce sont des rituels qui ne prennent pas en compte l’aspect
essentiel des rites qui est le lien chaleureux entre les vivants et le mort et les vivants
entre eux. Louis Vincent THOMAS considère que la science et la technique sont
impérialistes pour notre civilisation.
Nous pouvons à ce propos, reprendre ce que disait Ivan Illich , Pour lui, le
médecin « sert de rituel pour conjurer la mort »car le patient a peur de la mort et de la
souffrance. Or, selon Illich : « le courage de se soigner n’appartient qu’ à l’homme qui
a le courage de faire face à la mort ». Il nous mettait en garde contre l’industrialisation
des systèmes de santé et même des rites(pompes funèbres)qui lèsent les hommes de
leur vie sociale et individuelle(au sens de l’autonomie et de la créativité) . Citons ses
17 Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité.
mots : « Un mort dans la famille créait des obligations sociales qui pouvaient être
prises en charges par les proches. La veillée funèbre, les obsèques et le repas avaient
pour fonction d’harmoniser les disputes, de laisser libre cours à la douleur, de célébrer
la vie et la fatalité de la mort ». Il ajoute que l’industrialisation du système de santé
pour plus de rentabilité, en augmentera le prestige et le pouvoir arbitraire. « Placé
dans les mains d’une minorité, un tel pouvoir augmentera la souffrance humaine et
diminuera l’initiative de la personne », « les hommes ont la capacité innée de soigner,
de réconforter, de se déplacer…et d’enterrer leurs morts ». Illich nous invite donc à
prendre conscience de la dépossession de notre humanité même et de notre vie
sociale au profit de l’industrialisation de la société, de la croissance infinie au dépend
de la convivialité qui nous relie aux autres et à nous même. Il considérait que nous
devions « reconstruire la société »de façon à ce que nous retrouvions
notre « dimension personnelle et communautaire ». Cela implique que l’homme tende
vers « une austérité libératrice » pour retrouver la joie, en acceptant et en réapprenant
à avoir besoin de l’autre.
L’urbanisation dans notre société est aussi facteur de dé-ritualisation. « L’homme
itinérant » et « L’éclatement des lieux du mourir » sont des conséquences de
l’urbanisation en défaveur de la possibilité des rites funéraires. Les mourants ne
peuvent rester à domicile faute de place dans les logements et la veillée funéraire y
devient impossible. « Le rythme trépidant, ajouté à l’anonymat qui résulte de la
concentration des individus, contribue à ruiner le sens de la solidarité ? La solitude du
mourant et la participation dérisoire aux funérailles en sont le résultat. »18
Comme le déplore également Edgar MORIN19, « l’industrialisation est le corollaire de
l’anonymat et de la « dé-liaison ». L’individualisation est à la fois cause et effet des
autonomies, libertés et responsabilités personnelles, mais elle a pour envers la
dégradation des anciennes solidarités, l’atomisation des personnes, l’affaiblissement
du sens de la responsabilité envers autrui, … « Il y a crise dans la relation fondamentale
entre l’individu et la société, l’individu et sa famille, l’individu et lui-même. » Pour
18 Louis- Vincent THOMAS , Rites de mort pour la paix des vivants, Fayard 200719 Edgar MORIN, Pour une politique de civilisation, Ed. Arléa, 2008.
Edgar MORIN, ce constat est aussi la conséquence de l’industrialisation, la
bureaucratie, l’urbanisation, la marchandisation généralisée.
Le calcul d’intérêt privilégié par le marché nuit à la solidarité, au service gratuit au don.
L’esprit communautaire semble néanmoins subsister dans les sociétés rurales.
L’individualisme dans notre société urbaine et l’esprit communautaire dans les
sociétés rurales conduisent, selon Louis Vincent THOMAS, à des comportements
opposés par rapport à la mort. La mort vécue collectivement dans les sociétés
traditionnelles n’est pas vécue comme un « mal suprême » ni comme un scandale.
(« Rites de la mort ») « Elle se réduit à une perte fragmentaire et provisoire … un
accident de parcours pour le groupe. » Les rites et la solidarité qui accompagnent les
vivants et les morts fondent la continuité du groupe en réglementant le deuil pour les
vivants et en replaçant le défunt dans la lignée de ses ancêtres. La vie et la mort sont
ainsi reliées qu’il existe un esprit communautaire. En revanche, dans une société
individualiste, la mort est vécue comme effrayante et n’est plus l’occasion de
manifestations de solidarité avec la famille et le voisinage. Cela expliquerait le déclin
des rituels funéraires. En fait, selon Louis Vincent THOMAS, l’hédonisme des sociétés
individualistes tend à l’institutionnalisation de la prise en charge des morts, voue à la
négation de la mort. En témoigne la recherche d’une mort la plus indolore, la plus
inconsciente et la plus « propre » possible. Autrefois, ne pas se sentir mourir était
considéré comme une mauvaise mort. D’où le succès des mouvements tels que
l’ADMD qui revendiquent le droit à l’euthanasie. Les soins post mortem visant à
conserver au mort une apparence quasi vivante, sont aussi une façon d’éviter le
traumatisme de la mort. Le deuil n’est plus porté et les condoléances sont de moins en
moins courantes.
Pour Louis Vincent THOMAS, ce comportement face à la mort s’inscrit donc dans une
logique sociétale individuelle, faisant de l’AVOIR, une idéologie au détriment de l’ETRE
(cf. page suivante Dossier Sciences Humaines).
La solidarité du groupe n’est donc plus sollicitée pour accompagner celui qui est en
train de mourir ou les endeuillés.
Le déclin du rituel funéraire est donc comme Ivan Illich l’avait suggéré, en rapport avec
la notion de rentabilité, primordiale dans notre société. Ne Laisser que les
professionnels s’occuper des morts conduit à une banalisation de la mort,
les conduites symboliques ayant disparu. Pour les endeuillés, de même, le recours aux
médecins délivrant des psychotropes est une solution adoptée pour trouver
l’apaisement que pouvaient apporter, la plupart du temps, les rituels du deuil. Ainsi :
« Il n’y a plus de place dans cet univers mécanisé pour la chaleur de la vie relationnelle
et l’épanouissement des consciences. »
UNE SOCIETE DE DE-LIAISON
L’individualisme
En ce qui concerne cette « dérive » individualiste de la société, dans un dossier paru
dans la revue « Sciences Humaines 20 : Le retour de la solidarité, le sociologue Jacques
ION traite de ce problème. Il s’interroge sur le paradoxe d’une société d’individus qui
témoigne néanmoins de l’émergence de nouvelles solidarités, manière de se relier de
nouveau les uns aux autres. Il remarque que les pratiques d’aide s’avèrent de plus en
plus déconnectées des systèmes de croyances, que les engagements visent l’entraide,
la solidarité sans l’attente d’un changement politique. Il fait également remarquer que
la personne singulière est mise au centre des pratiques d’aide (voir par exemple les
textes relatifs aux pratiques du travail social).
La société holiste où le tout s’impose sur les parties qui la composent, fait place à une
société d’individus. Depuis une trentaine d’années, on remarque donc que les êtres
sont valorisés dans leurs particularités et plus seulement par leur place, rôle et statut
social. « Leurs affects deviennent partie intégrante de leur être social. », cette plus
grande autonomie étant garantie par des droits nouveaux.
François de Singly 21 dans son ouvrage montre qu’il y a passage de « l’individu
anonyme » à « l’individu singulier », ce qui modifie le rapport de l’homme (individu
singulier) à la société. Cette autonomie revendiquée implique en conséquence, le
besoin d’appartenance au collectif, dont l’émergence des nouvelles solidarités sous
forme d’engagements humanitaires est la preuve.
Il est à noter également que dans cette nouvelle configuration sociologique, l’individu
en tant que personne singulière, mis au centre des préoccupations, devient de ce fait
plus vulnérable car il doit sans cesse réaffirmer son identité et sa légitimité dans le
monde social. Les plus démunis sont donc les plus en danger.
20 Sciences Humaines, Le retour de la solidarité, n° 223, février 2011.21 François de SINGLY, L’individualisme est un humanisme, Ed. L’Aube, 2005.
L’émancipation de l’individu qui se construit depuis plus de deux siècles n’est pas à
rejeter en bloc car les droits de l’homme en sont l’expression la plus marquante. Il
s’agit cependant de « redéfinir l’Etat social, fondé hier sur la conception de l’individu
anonyme sur la base de l’individu singulier, telle devrait être la tâche aujourd’hui».
Cela revient à engager sur un long terme une nouvelle façon d’être reliés les uns aux
autres. »
Le rapport au temps et à l’espace
Michel BILLÉ22, sociologue, propose lui aussi une analyse de notre société
contemporaine que nous souhaitons présenter ici.
Son article paru dans la revue JALMALV n°99 s’intitule : « Dans quel monde mourrons-
nous et comment vivons-nous la mort dans notre société contemporaine ? »
Pour ce sociologue, notre société tendrait à nous inviter à ne plus vivre la mort. Nos
relations sociales sont différentes. Nous avons changé de rapport au temps et à
l’espace. De plus, le virtuel se mêle à notre réel. Tout cela induit un nouveau rapport à
la mort.
Les structures familiales sur lesquelles reposaient les rapports sociaux et la
transmission de la culture, se sont modifiées : divorces, familles recomposées,
vieillissement de la population, … Il existe fréquemment des conflits et des séparations
qui fractionnent le tissu social. Cela est cause d’une plus grande solitude pour les
mourants comme pour les endeuillés. Notre socialité a changé et a modifié notre
relation à la mort sur le plan individuel et collectif (comportements, croyances, etc.
Notre rapport au temps s’est transformé, voire inversé.
Nous sommes à l’heure du jetable, de l’éphémère et on ne peut plus attendre car nous
vivons dans l’instantané, le « temps réel ». Le temps revêt une valeur marchande.
Nous ne supportons plus le délai et l’on nie la notion de durée. Nous vivons dans
l’illusion de la maîtrise du temps et, en conséquence, nous croyons également
maîtriser la vie, la mort … Nous ne pouvons plus accepter que la mort choisisse son
heure et qu’il faille l’attendre. Nous préférons alors décider nous-mêmes de l’heure de
22 Michel BILLÉ, « Dans quel monde mourons-nous ? » in Quelles attitudes face à la mort dans la société post moderne ? JALMALV n°99, déc. 2009.
notre mort en prenant les devants, considérant cela comme l’ultime liberté. « Nous
vivons dans une société qui a aboli la durée, qui retarde la mort ou qui l’anticipe,
perturbation du rapport au temps, fantasme de maîtrise. Une vie que l’on prétend
abréger pour les uns et qui s’étire, qui s’éternise artificiellement pour d’autres, dans
une société qui ne veut plus entendre parler d’éternité ( JALMALV n°99) ».
Selon Michel BILLÉ, il en est de même pour notre rapport à l’espace : « L’espace
se noue désormais sur le registre d’un nomadisme moderne. » Le téléphone,
l’ordinateur portable, le GPS, les transports très rapides nous donnent l’illusion d’un
espace illimité où l’on se projette instantanément. Nous sommes partout et nulle-part,
de partout et de nulle part, puisque nous pouvons rencontrer en tous lieux de la
planète les mêmes standards. Nous ne pouvons plus percevoir ce qui fait les
différences, l’identité, l’appartenance. « Ce rapport à l’espace marque la déréalisation
du territoire, l’effacement du terroir, de la culture, des racines. » (JALMALV n°99)
Michel BILLÉ en vient à penser que la symbolique de la dispersion des cendres dont
l’usage se répand, traduirait la « déréalisation du lieu des morts » alors que le
cimetière représentait un espace clos, fini. Le cimetière était le lieu des morts et avait
une place dans la société des vivants. Les cendres dispersées, les morts sont partout et
nulle part.
L’Internet porte aussi cette immatérialité dans laquelle nous vivons. Nous confondons
communication, connexion et relation. Ce modèle relationnel influence nos relations
familiales. Les relations qui sont devenues connexions sont facilement provisoires.
Aujourd’hui, nous souhaitons mourir sans nous en apercevoir. Ainsi, nous tendons à
rechercher une mort « en douce », « dématérialisée », une mort virtuelle, évacuant le
sacré (après avoir confondu religieux et sacré), en ne gardant des rituels que
l’apparence alors qu’ils permettaient de donner du sens à la mort, reliaient les vivants
et soutenaient les endeuillés.
Notre société qui est celle de l’individu et non de la personne tente de refaire du lien
social à travers les nouveaux réseaux sociaux portés par Internet. Il devient alors
possible de mourir « en se plaçant au cœur du monde », confusion là encore du rituel
et du spectacle. Michel BILLÉ nomme alors notre société : « société de dé-liaison ».
« Une société de dé-liaison caractérisée par la rupture ou la fragilisation du lien social,
dans laquelle le rituel perd son sens et ne peut plus relier des « hommes individus » qui
vivent un rapport éclaté au temps et à l’espace. Voilà le risque dans lequel nous
entraîne cette « société désocialisée. »
Michel BILLÉ termine son article en ouvrant une voie de sortie à cette impasse
sociétale dans laquelle nous sommes. Cette issue est « l’accompagnement proche »
qui, en toute modestie, peut créer de vraies relations nécessaires pour vivre, pour
mourir et fonder notre humanité.
« Au-delà de la maladie chronique, du handicap, du grand âge et de la souffrance
ultime, demeurent une femme, un homme, un enfant qui assument leur part de notre
destinée collective dans l’aventure et la mémoire d’une vie portée à ses confins. Ne
serait-ce qu’à ce titre, nous leur sommes redevables d’une considération sociale. Ils ne
cessent jamais d’être nos frères en humanité».23
23 Emmanuel HIRSCH, Accompagner la vie jusqu’à son terme, in Face aux fins de vie et à la mort, dir E.HIRSCH, Espace éthique, Vuibert, 2009.
SOINS PALLIATIFS ET ACCOMPAGNEMENT DE FIN DE VIE
Les soins palliatifs ont pour objectif de favoriser le meilleur déroulement possible du
processus naturel de la mort, tant pour le malade que pour son entourage familial et
social.
Grâce à la pluridisciplinarité de l’équipe des soignants et l’implication des bénévoles
d’accompagnement, pourraient-ils aussi faire fonction de rituels dont le bénéfice irait à
la fois à la personne en fin de vie (niveau individuel) et à la société ?
Redonner une place au mourant dans la société, inscrire de nouveau la mort dans une
dimension collective, alors que, comme l’ont montré Philippe ARIES et Louis Vincent
THOMAS, elle n’a cessé d’être privatisée dans toutes ses dimensions. Tel peut être l’un
des enjeux des soins palliatifs desquels l’accompagnement est indissociable, forts des
mises en garde du psychanalyste R.W.HIGGINS.
Le mouvement des soins palliatifs, constitue une sorte de « révolution copernicienne »
de la médecine, tant la façon d’envisager le malade et celle d’exercer la médecine sont
différemment conceptualisées.
Le Docteur J.M. LASSAUNIÈRE 24, pionnier des soins palliatifs, énonce sa conception de
l’exercice des soins palliatifs ainsi : « Exercer les soins palliatifs oblige le médecin à
déconstruire en partie le modèle transmis en faculté de médecine pour s’investir dans
une clinique qui tient sur trois registres : partager l’expérience de la personne malade
par sa subjectivité, développer les compétences techniques pour traiter la maladie et
ses conséquences, faire participer la personne malade aux décisions qui la
concernent. »
Pour lui, la clinique des soins palliatifs commence par la rencontre entre le soignant, la
personne qui souffre et son entourage. Il s’agit dans un seul temps « d’oublier son
24 Jean-Marie LASSAUNIÈRE, Revue du Praticien, octobre 2010.
savoir pour entrer dans l’espace intersubjectif où l’éprouvé de l’autre se révèle. » Cette
relation implique personnellement le soignant en respectant une juste distance.
Cet exercice de la médecine ne peut se faire que dans l’interdisciplinarité d’un projet
commun au centre duquel est le malade dans toutes ses dimensions.
Le malade n’est donc plus considéré sous l’angle unique de sa maladie et de ses
symptômes, mais dans sa globalité physico-psycho-sociale, spirituelle et existentielle.
La médecine restant certes une science, forte de ses compétences et connaissances
acquises et toujours réactualisées, décide de s’ouvrir aux questionnements et aux
doutes, inhérents au respect de la singularité et de la subjectivité du patient.
Cependant, le centre des préoccupations en fin de vie, c’est la qualité de la vie pendant
le temps qu’il reste. C’est donc la douleur qu’il s’agira de traiter et la souffrance de
soulager, d’accompagner.
Nous reprendrons la définition de la souffrance de Paul RICOEUR 25 « La souffrance
n’est pas uniquement définie par la douleur physique ni même par la douleur mentale,
mais par la diminution, voire la destruction de la capacité d’agir, du pouvoir faire,
ressenties comme une atteinte à l’intégrité de soi».
Pour accompagner cette souffrance en fin de vie, quelles sont donc les valeurs
éthiques et philosophiques mises en jeu par les soins palliatifs ?
IV.A. Ethique de l’accompagnement
Elle est envisagée par Marie-Sylvie RICHARD26 sous l’angle de vue de Paul RICOEUR,
dont nous citerons des passages tirés de « Soi-même comme un autre ».
Il s’agit dans la relation soignant/soigné de considérer le malade dans sa situation
singulière mais en même temps, d’avoir le souci de la collectivité. Il s’agit d’exercer
25Paul RICOEUR, Soi-même comme un autre, Ed. Seuil, 199626 Marie-Sylvie RICHARD, Soigner la relation en fin de vie, Ed. Dunod, 2004
notre discernement dans les pratiques afin de respecter la « vie bonne » d’autrui et les
« institutions justes » dans lesquelles il s’inscrit.
« Précellence » d’autrui, responsabilité
Pour Paul RICOEUR, l’autre est préexistant à nous puisqu’il nous désigne. Le « il »
précède le « tu » qui précède le « je ». C’est par l’acquisition du langage que nous
pouvons répondre « je » en tant que sujet.
Dans le cadre des soins palliatifs, selon Marie-Sylvie RICHARD, il s’agit que chaque
membre de l’équipe pluridisciplinaire puisse, par l’écoute, faire émerger la parole du
malade, sujet. L’écoute est fondamentale et implique, hormis le respect de l’autre, la
bienveillance (sans jugement), la juste distance (pour éviter projections,
identifications), la discussion, l’humilité et enfin l’acceptation que ce soit l’autre qui ait
l’initiative. Il s’agit pour le soignant d’écouter le malade, sachant que « c’est celui qui
parle qui sait » même s’il dit ne pas savoir.
Selon Marie-Sylvie RICHARD, la parole est liée au désir, car elle n’est possible qu’entre
« deux sujets désirants ». Mais la parole d’autrui nous précède ; c’est aussi le visage de
l’autre dans son dénuement et sa vulnérabilité qui nous convoque et nous incombe,
selon Emmanuel LEVINAS. « Pas de soi sans un autre qui me convoque à la
responsabilité », dit-il. Regarder le visage c’est entendre le « tu ne tueras point ». C’est
à deux que nous sommes invités (responsables) à tout faire pour que l’autre vive.
Paul RICOEUR ajoute que pour Emmanuel LEVINAS : « ce visage est celui d’un maître
de justice, d’un maître qui instruit et n’instruit que sur le mode éthique : il interdit
le meurtre et commande la justice »27. Marie-Sylvie RICHARD ajoute que ce « Tu ne
tueras point » fait parfois durement écho à l’expression de la souffrance du malade
dont nous souhaitons qu’elle soit abrégée par la mort.
Pour Marie-Sylvie RICHARD : « Le sens ultime de la responsabilité éthique est la
substitution à l’autre, aux autres. Le moi devenu otage d’autrui s’ouvre à l’immensité
de la misère humaine. L’avènement de l’humain est irruption de l’être par la bonté. Le
champ de cette responsabilité est illimité ; il ne suffit pas d’opposer à l’absurdité et à la
27 Paul RICOEUR, Soi-même comme un autre - page 221
violence du monde, l’exigence de responsabilité individuelle qui habite chacun malgré
lui, le vouant au prochain comme un sens le plus vif de sa liberté. »
L’autre qui est en moi implique le souci de soi comme le souci de l’autre (« Tu aimeras
ton prochain comme toi-même »).
Emmanuel LEVINAS 28nous incite au désintéressement et à accepter la « requête
impérative d’autrui afin de consentir à cette insondable responsabilité à l’égard de
l’autre. »
Sollicitude
Pour Paul RICOEUR, lorsqu’il s’agit de compatir, de partager la peine d’autrui, ne
condamne-t-on pas l’autre à seulement recevoir ? Pour lui, à l’inégalité de puissance
doit répondre « une authentique réciprocité dans l’échange ». C’est ce qu’il nomme
« l’épreuve suprême de la sollicitude. » Sollicitude qu’il définit ainsi : « Ce que la
souffrance de l’autre autant que l’injonction morale issue de l’autre descelle dans le
soi, ce sont les sentiments spontanément dirigés vers autrui. C’est cette union intime
entre la visée éthique de la sollicitude et la chair affective des sentiments qui m’a paru
justifier le choix du terme sollicitude. » Il ajoute un peu plus loin : « Ce que la
sollicitude ajoute, c’est la dimension de la valeur qui fait que chaque personne est
irremplaçable dans notre affection et dans notre estime. » C’est se reconnaître et
reconnaître l’autre. « L’estime de l’autre comme un soi-même et l’estime de soi-même
comme un autre ».
Paul RICOEUR considère la notion de sollicitude comme « un échange mutuel des
estimes de soi ». Elle affirme le refus de l’indignité pour autrui. Cette sollicitude est
érigée par Paul RICOEUR comme principe d’humanité universel relié au principe
d’autonomie car les personnes, fins en elles-mêmes, sont reconnues dans leur
singularité, leur liberté, leur altérité. Cela rejoint l’impératif kantien selon le quel la
personne doit être considérée comme une fin et jamais un moyen.
La réciprocité vraie dans l’échange est établie par la sollicitude. Elle seule peut
compenser l’asymétrie de la relation.
28 In Marie-Sylvie RICHARD, Soigner la relation en fin de vie.
Les soignants sont donc responsables de respecter chacun dans sa singularité, de
reconnaître sa dignité ontologique quelles que soient ses atteintes physiques ou
psychologiques ainsi que d’affirmer sa liberté. La personne reste un sujet libre même si
elle ne dispose pas de toutes ses facultés.
Justice IL
Il faut replacer cette relation dans une dimension plus universelle. Dans
des institutions justes. Tous les êtres humains doivent donc pouvoir être concernés.
« La justice ajoute à la sollicitude dans la mesure où le champ d’application de l’égalité
est l’humanité tout entière ». Paul RICOEUR évoque le concept de justice distributive
développé par John RAWLS. La justice distributive permet « l’égalité proportionnelle »,
celle qui respecte les différences et la singularité de chacun. « Il ne fallait pas qu’un
mur s’élève entre l’individu et la société, empêchant toute transition du plan
interpersonnel au plan sociétal. Une interprétation distributive de l’institution
contribue à abattre ce mur et assure la cohésion entre trois composantes individuelles,
interpersonnelles et sociétales de notre concept de visée éthique ».
Ce principe de justice distributive s’oppose à l’utilitarisme dont Marie-Sylvie RICHARD
nous dit combien il est malheureusement présent en médecine. Or, si nous souhaitons
être justes au sens de Paul RICOEUR et de John RAWLS, nous n’avons le choix que de
privilégier la sollicitude car choisir de s’intéresser aux plus vulnérables, aux plus
fragiles, suppose un discernement et une vigilance éthique permanente.
Il est si facile de succomber aux pressions sociales, familiales, économiques,
institutionnelles qui peuvent influencer les critères d’admission dans les services de
soins palliatifs selon des motifs discriminatoires. Il est important d’avoir aussi en tête
nos propres souffrances qui peuvent être ravivées par tel ou tel patient.
Ethique de la « reliance »
Pour suivre cette ligne d’impératif moral de l’éthique dans le sens d’Emmanuel KANT
puis de Paul RICOEUR, nous nous intéresserons aux propos d’Edgar MORIN. L’auteur
de la pensée complexe et du concept de reliance donne dans son ouvrage « Ethique »29 une vision complémentaire de ce que nous venons de développer.
Pour lui, cette « humaine reliance » à un ancêtre commun pour chaque communauté,
s’exprime par les cultes, les rituels, les religions, la fraternité, …, et naît de la
responsabilité, l’intelligence, l’initiative, la solidarité et l’amour... . L’éthique est, selon
Edgar MORIN, « pour les individus autonomes et responsables l’expression de
l’impératif de reliance avec autrui, reliance avec les siens, reliance avec la
communauté, reliance avec l’humanité et en dernière instance, insertion dans la
reliance cosmique. »
Il ajoute que la reliance est amour. « Assumer notre destin cosmique, physique,
biologique et assumer la mort tout en la combattant. Il n’y a pas de réfutation à la
mort. Tout destin vivant est tragique. Mais nous savons, nous expérimentons qu’il y a
une affirmation humaine de vivre qui est dans la poésie, la reliance et l’amour.
L’éthique est reliance et la reliance est éthique ».
Le développement des sciences (biologie, médecine, …) fait naître des contradictions
éthiques, contradiction entre quantité de vie et qualité de vie, obligeant à redéfinir la
notion de personne humaine. La bioéthique, par exemple, pose le problème suivant :
« Faudra-t-il éliminer les anormaux potentiels alors que nous savons que l’invention et
la créativité viennent d’individus hors normes ? ». Il nous semble opportun de faire le
parallèle entre les problèmes éthiques soulevés en bioéthique et ceux que soulève la
médecine par rapport au sort réservé aux plus vulnérables, malades, « incurables »,
personnes en fin de vie, … (acharnement thérapeutique, euthanasie, …).
Selon Edgar MORIN, c’est la séparation des savoirs qui ne nous permet pas d’imaginer
que les différents éléments sont associés à un tout. Cela conduit à diminuer la
29 Edgar MORIN,La Méthode 6 , « Ethique » ,Ed. Seuil, 2004
connaissance des solidarités et « la conscience de la solidarité ». « L’incapacité de voir
le tout, de se relier au tout désolidarise et irresponsabilise ».
Edgar MORIN part du principe que l’homme est potentiellement un frère pour son
semblable, à la fois différent et semblable à lui. Cela le conduit à dire que personne ne
doit être rejeté de l’humanité, selon l’axiome de Robert ANTELME lui même victime
des nazis, pas même les bourreaux.
C’est, à son avis, le principe éthique premier. « L’éthique pour autrui s’oppose à toutes
les mises en quarantaine par un groupe, à toutes les mises à l’index, à tous les
anathèmes, à l’excommunication qui exclut le déviant de la communauté et enfin au
mépris qui exclut autrui de l’espèce humaine».
Nous pouvons donc considérer l’accompagnement comme étant « éthique pour
autrui »
IV-B : La relation d’accompagnement
Afin d’envisager la relation d’accompagnement dans notre temporalité
contemporaine, il nous faut tout d’abord en définir les différentes composantes.
Avec le sociologue Tanguy CHÂTEL 30, nous verrons en quoi l’accompagnement s’inscrit
dans la dimension plus globale du « prendre soin »dont l’éthique comprend la
sollicitude, le « care »et l’accompagnement.
Pour Tanguy CHÂTEL : « La fragilité n’est pas un manque de force ni de grandeur, mais
une plongée rude et noble au cœur de la condition humaine. Une exploration intime et
personnelle dans la quelle il n’est cependant pas exclu d’être entouré. »
Trois voies sont alors possibles, dont chacune possède sa propre éthique, qui nous
engagent de plus en plus profondément dans la relation : la sollicitude, le « care »,
l’accompagnement.
La sollicitude, l’empathie
30 Tanguy CHÂTEL, « Ethique du « prendre soin » :Sollicitude, care, accompagnement. » in Traité de bioéthique, E. HIRSCH, dir, T1,Ed. Eres, 2011,p 84-94
Dans notre société, comme nous avons pu le voir au chapitre III, il est mal venu voire
provoquant d’avoir besoin d’un autre, de ne pas se suffire à soi même. Pourtant, c’est
la fragilité qui engendre la sollicitude.
La sollicitude, suppose en premier lieu, d’être touché par l’autre. Cela implique d’une
part d’être disponible et d’autre part de ne pas se « confondre » avec l’autre, ce qui
exige de se connaître soi même.
C’est donc l’empathie qui est la principale dimension éthique de la sollicitude :
« L’empathie, définie comme la capacité à entendre la souffrance de l’autre et à la
laisser résonner en soi tout en se gardant de la confusion (in « Ethique du prendre
soin »)
La vulnérabilité permet donc l’émergence d’une dynamique allant d’un appel à un
« attendrissement » qui met en mouvement. Pour le sociologue, la sollicitude est une
conscience qui transforme l’être. Elle ouvre sur une autre manière d’être en relation.
« La sollicitude est donc à ce titre la pierre angulaire d’une autre anthropologie et
d’une autre socialité fondées non sur le calcul mais sur la sensibilité, non sur l’intérêt
mais sur la responsabilité » (in Ethique du prendre soin).
Cependant, la sollicitude s’avère insuffisante quand des gestes soignants sont
nécessaires. Elle doit donc s’incarner dans des gestes ; c’est ce que Tanguy CHÂTEL
nomme le « care »ou le « prendre soin ».
Le « care »
Ce concept anglo-saxon dont l’origine latine est « carus » qui signifie valeur, cher, nous
rappelle que le sujet du soin est un « être de valeur ». Selon le sociologue, prendre soin
est à rapprocher de la notion chrétienne de charité. Il nous rappelle que le
« prochain » dans l’Evangile de Saint Luc est celui qui prend soin de l’homme blessé : le
« Bon Samaritain » c’est donc celui qui fait preuve de charité en signifiant par le
« prendre soin » dont il fait preuve, la valeur de celui qui est fragilisé par ses blessures.
Il ne s’est pas contenté de sollicitude, il a posé des actes pour soulager le blessé
abandonné sur la route.
Le concept de « care » recouvre donc à la fois les gestes soignants et la sollicitude avec
la quelle ils s’accomplissent.
Aujourd’hui, tout malade doit pouvoir recevoir les soins qui lui sont dus. Mais
le « prendre soin » reste une exigence éthique et non juridique. C’est donc un don.
Or le don peut devenir violence s’il n’y a pas possibilité d’un « contre don ». C’est
pourquoi il y a nécessité d’accompagnement dans le sens de la philosophie des soins
palliatifs.
L’accompagnement
Le « prendre soin » comporte donc les limites d’une absence de retour du don
possible. Cela peut donc devenir blessure.
Pour le sociologue Tanguy CHÂTEL : « L’accompagnement vient alors animer le
« care »en lui donnant un souffle plus ample que la seule sollicitude. »
Il nous rappelle l’étymologie du mot provenant du préfixe ad (vers) de cum (avec) et de
panem (pain).Au préfixe ad peut-être associée l’idée du mouvement vers un but or il
précise qu’ « accompagner n’est pas guider » mais plutôt accueillir ce que le patient
exprime (émotions, silences, colères…) sans projet pour lui.
Le radical panem nous laisse entendre la notion de pain partagé, de nourriture et de
compagnonnage. Il s’agit donc de nourriture pour le corps et pour l’esprit dans le
respect du rythme de l’autre.
Quant au cum, c’est selon Tanguy CHÂTEL, l’essence du mot accompagner.
Être avec, être ensemble, à la juste distance, d’égal à égal. Cela implique une ouverture
mutuelle de l’un à l’autre. Dans cette relation de partage de quelque chose de soi avec
ce que l’autre a lui aussi à offrir de lui-même, il ne peut y avoir de dette de l’un envers
l’autre. Il y a un équilibre possible même si les situations de l’un et de l’autre sont
différentes.
Cependant, on ne peut envisager « être avec » qu’à la condition d’une présence
véritable : « oser être présent, se rendre pleinement attentif et pleinement accessible,
ce qui est une posture délicate mais autrement bienfaisante. L’accompagnement se
donne alors à voir comme un « triple art du présent » : art d’être présent (à soi et à
l’autre), art d’être au présent (ici et maintenant sans projection) mais aussi art du
présent (au sens cadeau, don de soi mutuel) » (in Ethique du prendre soin).
Accompagner c’est aussi ne pas avoir d’autre intention que cette présence. Présence
qui peut constituer la seule réponse vraiment réconfortante alors que l’on doit
accepter de ne pas en avoir.
Cette présence permet la rencontre vraie, qui est un lien de qualité. Ce lien qui induit
l’importance que l’autre a pour soi. Cet autre, fragilisé, condamné à la solitude et à la
passivité peut de nouveau avoir lui aussi la possibilité de donner et de recevoir. Il n’y a
pas un accompagné et un accompagnant mais une rencontre entre deux personnes qui
s’accompagnent mutuellement. « L’accompagnement se situe au-delà de la relation
d’aide et de son accablante unilatéralité pour augurer la transformation de chacun à
travers la joie d’une rencontre et les horizons insoupçonnés de la mutualité. En cela,
l’accompagnement ne tient pas tant du don que du partage et de la vitalité qu’il
engendre. »
Pour Tanguy CHÂTEL, l’éthique de l’accompagnement est une « éthique de l’alliance »,
une relation respectueuse. Il n’est pas question d’avoir un projet pour l’autre, il s’agit
de « tendre vers l’autre, d’espérer l’autre ».
La fragilisation de l’autre nous conduit donc par l’accompagnement à éprouver
l’altérité.
En conclusion, Tanguy CHÂTEL qui nous a montré en quoi sollicitude, care et
accompagnement étaient complémentaires, nous dit : « le soin véritable est donc le
chaînage des trois : une émotion qui saisit ( sollicitude), une compétence qui
soulage(care),une présence qui réconforte(accompagnement) et inaugure un autre
lien, chaque maillon possédant ses exigences éthiques propres » (in Ethique et
accompagnement). Soigner en accompagnant revient alors à habiter ses gestes.
L’accompagnement selon Paul RICOEUR.
Le handicap, le grand âge, la maladie surtout quand l’issue fatale est « programmée »,
la souffrance et la mort condamnent beaucoup de nos « semblables » à l’isolement, à
la solitude de la « quarantaine ».
Seule, la relation permet de rompre cet isolement. C’est, selon Marie-Sylvie RICHARD31,
l’un des objectifs de l’accompagnement en fin de vie. Relation éthique qui respecte
31 Marie-Sylvie RICHARD, Soigner la relation en fin de vie
l’altérité, la singularité comme l’ont développé Paul RICOEUR et Emmanuel LEVINAS.32
« La relation éthique nous fait sortir de la solitude de l’être».
L’accompagnement jusqu’à la mort est le sujet de l’ouvrage de Paul RICOEUR33 . Tout
d’abord, il tient à ce que soient distinguées « l’anticipation du mourir » et l’agonie.
C’est-à-dire que le regard de l’autre porte sur le vivant qu’il est et non sur le mort qu’il
sera.
« Ce qui occupe la capacité de pensée encore préservée, ce n’est pas le souci de ce qu’il
y a après la mort, mais la mobilisation des ressources les plus profondes de la vie à
s’affirmer encore. » Paul RICOEUR reprend la force et le fond du témoignage du
médecin d’une Unité de Soins Palliatifs qui est que « la grâce intérieure qui distingue
l’agonisant du moribond consiste dans l’émergence de l’Essentiel, dans la trame même
du temps de l’agonie ». Paul RICOEUR reprend le thème d’Essentiel en tant que
« religieux commun », c’est-à-dire au-delà du religieux confessionnel.
Le moment de grâce qui fait émerger, advenir « l’Essentiel » est transconfessionnel et
transculturel.
Nous pouvons, à la lumière de cet éclairage de Paul RICOEUR, faire remarquer que
cette émergence revêt un sens particulièrement intense vécu pour les proches
accompagnants comme pour les accompagnés. Et peut-être que c’est par la qualité de
présence des accompagnants et un regard de compassion que cela est rendu possible
et peut advenir.
Mais ceci n’est rendu possible, insiste Paul RICOEUR, qu’à la condition que « le regard
qui voit l’agonisant comme encore vivant, comme appelant aux ressources les plus
profondes de la vie, comme porté par l’émergence de l’Essentiel dans son vécu de
vivant, encore, est un autre regard. C’est le regard de compassion et non de spectateur
devançant le déjà mort ».
Paul RICOEUR définit la compassion comme étant distincte de la pitié. Pour lui, c’est un
« lutter avec », un accompagnement qui respecte la « juste distance », la règle de
l’amitié et de la justice.
32 Emmanuel LEVINAS, Ethique et infini, Ed. Fayard / France culture, 1984 33 Paul RICOEUR, Vivants jusqu’à la mort, Ed. Seuil, 2000
Paul RICOEUR remarque que ce regard peut être celui des professionnels de
l’accompagnement, formés pour ne pas « tomber » dans le fusionnel, suivant le code
de déontologie. Mais il s’interroge sur le fait que la dimension éthique d’une relation
capable d’accompagner les derniers instants de vie d’une personne, n’est peut-être
pas la seule responsabilité (au sens de RICOEUR) des professionnels.
Paul RICOEUR, dans son ouvrage, prend pour exemple l’accompagnement de Maurice
HALBWACHS par Jorge SEMPRUN à Buchenwald. L’accompagnement comme
« irréductible lien d’humanité », regard fraternel, « donner-recevoir » et une parole ni
médicale ni confessionnelle qui s’est révélée poétique en l’occurrence avec quelques
vers de BAUDELAIRE. « Maurice HALBWACHS est en cet instant seul à mourir, mais il ne
meurt pas seul ».
Pour RICOEUR, ne pas accompagner une personne qui va mourir la confond avec la
mort elle-même qui devient ainsi personnifiée. La réelle compassion alors du « donner-
recevoir » porte en elle « l’extériorité » dont parle LEVINAS. Nous rapprocherons le
propos de cette phrase d’Emmanuel LEVINAS dans « Ethique et infini ». « La socialité
sera une façon de sortir de l’être autrement que par la connaissance. »
Paul RICOEUR nous dit que l’instant d’accompagnement du mourant se « conjugue » à
« l’éternel présent », temps de l’émergence de l’essentiel, de détachement de soi, du
transfert qui est détachement dans sa dimension de générosité ». « La survie, c’est les
autres. » dit-il pour paraphraser la phrase de J.P. SARTRE.
« On n’insistera jamais assez sur la corrélation dans la catégorie du service de
« détachement » (de soi-même) et du « transfert sur l’autre » de l’efficacité du
détachement, ce que j’ai appelé plus haut l’éthique positive du détachement ».
Paul RICOEUR, dans cet ouvrage, démontre donc l’absolue nécessité (et responsabilité)
de la présence d’un témoin, professionnel ou non, lors de l’ultime expérience
existentielle qu’est la mort.
Les soins palliatifs, ont associé l’accompagnement aux soins de fins de vie et même
comme fin en soi mais cela a pu générer des effets pervers que le psychanalyste
R.W.HIGGINS a dénoncés.
L’exclusion des mourants
Nous avons vu que, dans l’histoire, les mourants étaient toujours accompagnés par
leurs proches.
Dans notre société, cependant, malgré l’émergence depuis une trentaine d’années des
soins palliatifs nés de la volonté de lutter contre l’abandon des mourants à leur sort de
souffrants dans la solitude, nous constatons que la prise en charge par la médecine de
la ne peut constituer la seule réponse à cette nécessité profondément humaine de
l’accompagnement en fin de vie. La médicalisation de la mort comporte même des
effets pervers que le psychanalyste Robert William HIGGINS dénonce dans son article
paru dans la revue Esprit 34: Pour lui, les deux mouvements opposés, l’un pour les soins
palliatifs, l’autre pour l’euthanasie, ont tous les deux pour corollaires la médicalisation
de la mort, sa psychologisation et surtout, son exclusion, par ce qu’ils confèrent au
mourant un « statut de mourant », un statut qui l’isole du monde des vivants.
Citons ce propos du philosophe Eric FIAT 35: « L’invention du mourant, violence de la
mort pacifiée, nous a réveillé de notre sommeil dogmatique. Dogmatisme ? Oui, celui
qui nous faisait trop vite opposer à cette prétendue « bonne mort » que serait
l’euthanasie, cette « mort bonne » que serait la mort naturelle, sereine, apaisée, les
unités de soins palliatifs. Ce que nous appris cet auteur rigoureux et que l’expérience a
souvent confirmé, c’est que, même accompagnés par des vigiles respectueux,
empathiques, toutes les fins de vie ne sont pas apaisées, sereines, « naturelles ». La
révolte, l’angoisse, le tragique y ont place. »
R.W. HIGGINS dénonce donc la psychologisation de la mort qui n’engage pas une
réflexion sur les rapports de notre société avec la mort. Le mourant dont le statut est
« commandé par sa fin » est écarté des vivants par les institutions médicales, quand
bien même l’objectif des soins palliatifs est le « non abandon ». Séparer les mourants
des malades et des vivants revient à séparer les vivants de leur finitude, de leur
condition de mortels.
34 Robert William HIGGINS, L’invention du mourant. Violence de la mort pacifiée - revue Esprit, janvier200335 Eric FIAT, « L’âge critique ou le bel âge des soins palliatifs » in Accompagnement et soins palliatifs : l’âge de la maturité. Revue JALMALV n°100, mars 2010
Pour lui, exprimer la fin de vie en termes de « vivants jusqu’à la mort » peut aussi être
une façon de nier la mort, donc de l’exclure de nos vies. Cette nouvelle façon d’exercer
la médecine en Unités de Soins Palliatifs ne contribue t’elle pas malgré ses tentatives
louables à faire des malades en fin de vie des malades « à part » ?
Dans le film de Frédéric CHAUDIER « Les yeux ouverts », un des patients en USP
s’interroge : « Ils n’en font pas un peu trop ? »
Les soins palliatifs sont donc finalement amenés à prendre officiellement soin des
individus dont la société se désolidarise.
En enfermant la mort dans des institutions spécialisées, nous évitons de nous
questionner sur la place qui est faite à la mort dans notre société.
La « psychologisation » de la mort contribue aussi, selon R.W. HIGGINS, à cet
enfermement : « le sujet mourant est considéré avant tout comme une « victime
psychologique » de son sort, de sa maladie, de sa solitude et de ses angoisses devant
ce qui l’attend ». C’est, selon lui, faire le lit de la privatisation de la mort en en faisant
un « problème psychologique » et une « affaire privée ». Le mouvement pour la
législation de l’euthanasie se place aussi sur ce plan.
Mais c’est ignorer « qu’elle (la mort) soit pour toutes les sociétés humaines le point
central qui provoque à la culture » selon les mots de P. LEGENDRE et P. BAUDRY. Car,
pour eux, la métaphorisation de la mort est le centre des représentations abritant la
question de « l’ultime pourquoi ». Le mourant en institutions médicalisées spécialisées
étant sujet à de douces attentions, n’en est pas moins coupé de ses appartenances
généalogiques, culturelles, sociales, … Il ne peut alors trouver ce que R.W. HIGGINS
nomme sa « vraie place symbolique. »
On attend du mourant qu’il consente de bonne grâce à sa mort et cela pose problème
quand ce n’est pas le cas. Pour le psychanalyste, cette « acceptation de la mort » est
impossible si, culturellement et collectivement, la mort est refusée.
Citons de nouveau Eric FIAT ( JALMALVn°100) : « La pratique palliative devait respecter
le tragique et l’angoisse, ne pas les considérer comme ce qui doit être à toute force
supprimé mais ce avec quoi il faut composer, au sens musical si l’on veut du terme. »
Il serait vain de croire que l’on pourrait lever le tabou de la mort en conviant le
mourant « à un rapport direct avec la mort » au lieu de le mettre en situation de
relation, verbale ou non. Le mourant doit donc « porter » seul sa mort. Il n’a pas la
possibilité de donner du sens à cette « mort de soi » parce qu’elle ne s’inscrit pas dans
une « construction collective » (comme c’était le cas pour la « mort de toi » dont les
travaux de Philippe ARIES témoignent).
R.W.HIGGINS note que l’on peut aussi souvent confondre le déni de la mort avec sa
symbolisation lorsque les mourants et leurs proches refusent d’employer la langue
médicale pour mettre en mots leur mort ou la mort des leurs.
Pourtant, il existe des enjeux culturels de la mort qui seraient à l’origine du langage
(d’après Marcel MAUSS). Langage, véhicule de la relation, qui permet la symbolisation
de la mort, lui découvre du sens, dans et pour la collectivité. La mort fait donc advenir
la culture. Citons encore R.W. HIGGINS : « La transformation de la mort en maladie
spécifique terminale isole plus profondément la mort dans la société, la coupe de son
pouvoir d’appel à une nécessaire symbolisation en même temps que de la constitution
de procédures de représentation, de symbolisation collective et ajoutons publique, par
les paroles, les discours, mais aussi par les mises en scène, les gestes et les chants. Il ne
reste que le privé (entendu au sens où Hannah ARENDT le définissait comme privé de
…). »
C’est le sens de la mort interdite ou ensauvagée que Philippe ARIES donnait dans
l’ouvrage que nous avons étudié.
Les rituels funéraires, dorénavant, cherchent plus à donner une présence au mort qu’à
l’évoquer. Cela contribue à entretenir une sorte de confusion, de flou sur la réalité de
la mort. Les soins palliatifs seraient même envisagés comme étant un nouveau rituel
de mort. Quand d’autres penseraient que ce pourrait être le cas pour l’euthanasie.
C’est donc le mourant qui occupe le rôle principal dans cette façon d’aborder la mort
alors que, dans toutes les cultures, c’est la collectivité qui accepte de perdre : temps,
apparence, offrandes pour le mourant. Le deuil également est privatisé et médicalisé
pour pallier l’absence de symbolisation et de rituels qui relient les vivants aux morts et
les vivants aux vivants, comme nous l’avons vu dans l’œuvre de Louis Vincent
THOMAS. Le deuil devient donc lui aussi une affaire privée et une maladie par le non
sens qu’il véhicule et la solitude dans laquelle il est vécu.
Nous en arrivons à l’extrême d’une présentation de la mort comme pouvant être
désirable, traduisant la « dépression contemporaine » et l’ignorance de l’appartenance
des individus à la chaîne de l’humanité.
Pour le philosophe Marcel GAUCHET cité par Alain EHRENBERG36 , « L’individu
contemporain aurait en propre d’être le premier individu à vivre en ignorant qu’il est en
société. »
Il nous semble que les propos d’Alain EHRENBERG traduisent également ce malaise de
notre société contemporaine. Pour lui, les valeurs de l’autonomie généralisées portent
atteinte à la société et abandonnent l’individu à lui-même. « L’un des changements
majeurs est le déplacement de toutes nos valeurs vers l’activité et l’entrée dans un type
de socialité où chacun doit être agent de son propre changement ». Et il ajoute plus
loin : « On oublie, je crois, que l’autonomie est quelque chose que l’on subit ». Il y a,
selon lui, aujourd’hui, une tension entre l’individualisme qui consiste aussi à donner
une égale valeur à chacun et qui, en même temps, brise les liens sociaux de
dépendance au nom de la liberté, et la société. « Il y a donc une inquiétude
individualiste qui est celle de la dissolution du lien commun ».
Pour R.W. HIGGINS, enfin, la métaphorisation de la mort est possible. La mort devient
une préoccupation majeure pour notre société ; c’est pourquoi, en excluant le
mourant, nous voulons par là-même, exclure la mort.
Or, « seule la métaphorisation de la mort peut instituer une vie en commun. »
Cela permettrait-il alors de diminuer la tension dont parlait Alain ENRENBERG entre
l’individu et la société ?
36 Alain EHRENBERG, Entretien avec A. EHRENBERG , France/Etats Unis, deux conceptions de l’autonomie, Sciences humaines n°220, nov . 2010
SOINS PALLIATIFS et ACCOMPAGNEMENT: UN ENJEU DE SOCIETE
En décembre 2009, un autre article de R.W. HIGGINS 37paru dans la revue JALMALV
n°99 et intitulé « Soins palliatifs et société : un enjeu culturel », permet d’avoir une
autre approche des soins palliatifs.
Il les aborde par le biais du « prendre soin » qui reconnaît la vulnérabilité et la mort.
Cette façon d’envisager la fin de vie engage, selon lui, la société tout entière et non pas
les seules institutions qui relèguent les mourants au rang d’exclus, comme il l’avait
démontré précédemment, et contribuent à entretenir le concept de la mort interdite
(Philippe ARIES).
Etendre la culture palliative pourrait donc être aussi l’occasion de véhiculer une autre
image de la mort : la mort nécessaire à la vie. Il retient des soins palliatifs la notion de
soins à laquelle il va s’attacher dans cet article. Il pose la question de savoir si les soins
palliatifs sont particuliers parce qu’ils touchent à la mort, ou parce qu’ils sont avant
tout soin.
R.W.HIGGINS remarque qu’en plaçant le malade au centre de la démarche médicale,
du projet de soins, nous retrouvons la dimension primitive de la médecine qui est la
relation de soins, incluant la possibilité de la mort, en pratique pluridisciplinaire.
Pour lui, le mot soins des Soins Palliatifs est fondamental car c’est par ce biais qu’une
métaphorisation de la mort est possible. La mort peut ainsi retrouver sa place dans la
culture. C’est donc « le soin qui métaphorise la mort ». La culture du soin portée
particulièrement par les Soins Palliatifs revêt une dimension politique très importante
pour lui (et pour la société).
Les Soins Palliatifs peuvent offrir un modèle, une référence pour la création et le
développement d’une politique de sollicitude et de solidarité à l’égard des plus
vulnérables.
37 Robert William HIGGINS, « soins palliatifs et société :un enjeu culturel » ,JALMALV n°99, déc. 2009
R.W.HIGGINS nous dit que, de nos jours, « le soin est social et culturel ». Soigner, c’est
mettre en acte la compassion. C’est donc à la base de notre socialité.
Pour ce qui est de la place de la mort dans notre société, il ne s’agit pas de rêver de
retrouver celle qu’elle avait dans les sociétés traditionnelles pétries de religion. Notre
société contemporaine sécularisée ne peut que lui donner une place juste parmi les
vivants sans l’exclure. (cf son article : l’invention du mourant).
L’exemple des « cafés mortels », créés en 2004, illustre le besoin de parler de la mort
de nos contemporains et les tentatives d’y répondre. Dans le même registre, le Salon
de la Mort (Le Salon de la Mort – Vivre et mourir – 8-9-10 avril 2011 – Carrousel du
Louvre – des professionnels, des associations et des organismes officiels peuvent
répondre aux questions des visiteurs concernant leur fin ou celle de leurs proches)
nous montre d’une part que, point à point, le tabou de la mort semble se lever dans
notre société, et que, d’autre part, parler de la mort permet de partager et d’accepter
notre vulnérabilité, avec nos semblables. Est-ce une façon d’accueillir la mort ?
De même que nous sommes des individus inscrits dans une généalogie par laquelle
nous est transmise notre humanité, de même nous devons la vie à la transmission
d’une génération à l’autre des soins et du prendre soin dont nous avons pu bénéficier.
La culture palliative va donc à l’encontre d’une société de la « toute puissance », en
affirmant que c’est en acceptant notre vulnérabilité et notre dépendance aux autres
par ce fait, et en prenant soin des plus fragiles, que nous sommes intégrés à
l’humanité.
La solidarité contemporaine seule peut changer notre rapport à la mort qui est notre
rapport à la vulnérabilité et à la finitude. La réintroduction de la mort dans notre
société sur le plan culturel passe donc par le soin et le prendre soin qui accueille la
fragilité plus qu’elle ne la combat (acharnement thérapeutique) ou cherche à la
maîtriser ou à la fuir (euthanasie).
La transmission de soins de génération en génération n’est pas uniquement due à la
relation de maternage, mais elle est inscrite dans l’histoire de notre espèce, dans la
mémoire de notre humanité qui fonde notre appartenance à celle-ci. Pour HIGGINS,
notre attitude avec les morts est aussi à considérer comme un soin. Au même titre que
celle que nous avons avec les malades et les mourants.
R.W.HIGGINS, en conclusion de son article, nous dit combien la société a à gagner en
pensant changer les comportements par rapport à la mort, grâce à l’influence des
Soins Palliatifs. Notre société « qui exalte l’autonomie stigmatise la dépendance et
oublie la mort, mais a besoin de l’euthanasie pour supporter de vivre. »
Il ne s’agit pas de s’opposer à cette façon de répondre à l’expression de la souffrance,
mais de développer cette culture du soin qui, seule, peut répondre en profondeur et
en douceur au « malaise dans la civilisation ». Pour cela, R.W.HIGGINS pense qu’il
serait nécessaire que les Soins Palliatifs se dotent d’un « principe » universel qui en
assurerait la pérennité.
Janine PILLOT 38 considérait également que « la mort est une affaire de solidarité
sociale et concerne donc la société tout entière ». Elle montrait en quoi il fallait
dépasser le « duo de la relation aux mourants » pour redonner à l’accompagnement sa
dimension communautaire. Les accompagnants ayant aussi le rôle de témoins vis-à-vis
de la société.
La filière palliative concerne l’ensemble du corps social. Ainsi, nous considérons que
l’accompagnement de fin de vie est nécessité pour notre civilisation. Il est aussi pour
de nombreux auteurs dont le Pr. Régis. AUBRY, considéré comme vital pour la
pérennité de cette solidarité ultime que l’accompagnement de fin de vie ne soit pas
que porté par les seuls Soins Palliatifs, les institutions médicalisées, mais par toute la
société. C’est pourquoi il parle volontiers de culture palliative. Il nous semble
important dans cette optique de considérer la place des bénévoles d’accompagnement
qui, avec les proches, quand ils sont présents, contribuent à maintenir ce lien social
des personnes en fin de vie.
Les mots d’Emmanuel HIRSCH 39 résonnent ainsi : « Les soins palliatifs relèvent de
pratiques pluridisciplinaires qui peuvent décloisonner les fonctions et susciter de
nouvelles dynamiques, en associant le bénévolat qui implique directement le corps
social dans une mission avec laquelle il peut ainsi renouer ».
Michèle-Hélène SALAMAGNE 40dans un article intitulé « Témoignage – Une expérience
humaine mise en commun », nous dit que, pour elle, les soins palliatifs doivent38 Janine PILLOT, Faire évoluer les mentalités et les attitudes, JALMALV n°18 sept.1989)39 Emmanuel HIRSCH, « Présence humaine et justesse du soin », Revue de la fédération JALMALV n°100,mars 2010
s’inscrire dans toutes les dimensions de l’humain : physiques, psychologiques, sociales
et spirituelles, les unes et les autres étant en résonnance. Elle insiste notamment sur la
dimension spirituelle des soins, si bénins soient-ils. La précarité devant la mort étant
notre lot à tous, il est nécessaire qu’elle soit accompagnée de parole, de regard, de
geste.« Nul autre besoin n’est enviable à cette heure-là».
Michèle Hélène SALAMANGNE ajoute que, pour elle, cet enjeu des soins palliatifs et de
l’accompagnement est peut-être « en fait l’enjeu de l’unité du corps social tout entier».
L’étude MAHO de 2008, qui concernait la « Mort à l’hôpital » effectuée dans le cadre
du projet de la Direction des hôpitaux, et dont le but était d’évaluer les circonstances
du décès des patients à l’hôpital et la façon dont ils étaient accompagnés ainsi que
leurs proches, était très éloquente : elle révélait notamment « que seuls, 25% des
patients sont morts accompagnés de leurs proches et qu’un patient sur cinq est mort
sans personne auprès de lui. Egalement, seuls, 9% ont bénéficié de la présence d’un
représentant du culte avant le décès »41.
Cette situation est évidemment intolérable et nous sommes tous concernés, soignants
ou non, d’autant plus que la population vieillissante augmente et que les malades
atteints de maladies chroniques on une espérance de vie de plus en plus élevée.
Citons, à ce titre, les propos du Pr. Régis AUBRY dans la préface de « Soins palliatifs,
réflexions et pratiques » :
« La politique de développement des soins palliatifs poursuit un objectif original : viser
l’intégration d’une culture palliative dans la pratique de tous les acteurs de santé d’une
part, et chez les citoyens d’autre part». Sachant que, pour lui, le terme culture employé
à dessein signifie que, non seulement les personnes malades sont concernées mais
aussi les personnes qui ne le sont pas, car nous sommes tous un jour ou l’autre
confrontés à la mort. Pour lui, il importe de ne pas enclore les soins palliatifs et
l’accompagnement dans le champ strictement médical.
« Il s’agit certes d’une question de santé mais surtout d’une question de société, d’une
question humaine ».
40 Michèle-Hélène SALAMAGNE , « Témoignage-Une expérience humaine mise en commun »,in Face aux fins de vie et à la mort , sous la direction de E. HIRSCH, Vuibert –200941 Edouard FERRAND, »la mort à l’hôpital » in Face aux Fins de vie et à la mort
La loi française donne un cadre juridique à la protection des droits des malades et aux
devoirs des soignants et de la société à leur égard ;loi du 20/08/86, loi du 9/06/99,
2002, loi du 22/04/05 dite LEONETTI, code de déontologie médicale, etc.)
Cela confirme que l’une des fonctions régalienne de l’Etat (démocratique) est de
protéger les plus vulnérables dans un cadre éthique, si tant est qu’il y ait un suivi de
l’application de la loi, ce que cherche à analyser L’observatoire national des conditions
de fin de vie, dont les travaux ont démarré en février 2010 .
Citons à ce propos l’article de Henri DELBECQUE 42 intitulé « Le droit des malades,
reconnaissance de la place centrale du malade incurable ». Il nous rappelle que le
premier texte législatif sur ce sujet est la circulaire du 20 septembre 1947 comportant
une « charte du malade hospitalisé », réactualisée en 1995. Le Conseil Economique et
Social faisait une synthèse des droits du citoyen et de l’usager face aux systèmes de
soins ; la circulaire LAROQUE en 1986 (20 août) relative quant à elle à « l’organisation
des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale ». Le texte était le
premier texte législatif dans ce domaine, mais il ne comportait aucune contrainte, que
ce soit pour les institutions, les médecines en l’état, et ne prévoyait pas de
financement particulier. Elle ne fut donc que très partiellement appliquée.
C’est la loi du 31 juillet 1991 sur la réforme hospitalière qui a fait des soins palliatifs un
droit pour les malades car les soins palliatifs faisaient partie des missions de l’hôpital
public. Les sciences humaines étaient enseignées en faculté de médecine et dans les
écoles d’infirmiers(es).
En janvier 1995 : création par Lucien NEUVIRTH d’une loi instituant le droit au
soulagement de la douleur, imposant des centres antidouleur dans les hôpitaux, ainsi
que l’enseignement et la recherche dans ce domaine.
En septembre 1995, paraît une nouvelle version du Code de Déontologie Médicale. Il y
est précisé que les médecins doivent informer les patients de façon « claire, loyale et
appropriée » et recueillir son consentement. « Dans tous les cas, soulager les
souffrances en toutes circonstances », se garder de « toute obstination
déraisonnable », « accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments », « assurer
42 Henri DELBECQUE, « Le droit des malades, reconnaissance de la place centrale du malade incurable », JALMALV n°100, mars 2010
la qualité d’une vie qui prend fin », réconforter l’entourage. Dans ce texte, il est affirmé
de nouveau que le médecin « n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »
La loi du 9 juillet 1999 « vise à garantir à ceux dont l’état le requiert l’accès aux soins
palliatifs et à l’accompagnement ».
C’est une reconnaissance des droits des malades dits « incurables ». Outre les schémas
d’organisation sanitaires, elle institue l’enseignement et la recherche des soins
palliatifs dans les unités de soins palliatifs et le congé d’accompagnement par les
proches.
L’intervention des bénévoles d’accompagnement dépendant d’une association y est
officiellement reconnue.
Nous pouvons ajouter au sujet de cette loi qu’elle introduit le droit au congé
d’accompagnement pour les proches (art.11 et 12)-voir annexe n°2-
La loi KOUCHNER du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité de
l’organisation du système de santé » donne la possibilité au malade de refuser les
soins. Elle institue la personne de confiance et crée les réseaux de santé.
En février 2002, la circulaire LAROQUE est réécrite. Les soins palliatifs peuvent être
dispensés à domicile et les lits identifiés sont créés dans les unités de soins
traditionnelles.
Le 22 avril 2005 : loi LEONETTI, « relative aux droits des malades en fin de vie ». Cette
loi réaffirme la primauté du consentement des malades aux soins ; l’obstination
déraisonnable y est condamnée ; le « double effet » est admis ; les décisions médicales
doivent être prises en collégialité et en transparence. La place de la personne de
confiance et les directives anticipées est réaffirmée. Le bénéfice des soins palliatifs doit
s’étendre aux secteurs médicosociaux et sociaux. Le droit pénal n’est pas modifié,
quant à la sanction réservée aux auteurs d’actes d’euthanasie sans exception.
Le troisième programme (2008-2012) de développement des soins palliatifs crée
l’observatoire national de la fin de vie et d’une filière universitaire pour
l’enseignement des soins palliatifs. L’observatoire, dont les travaux ont débuté le 19
février 2010 sous la présidence du Professeur Régis AUBRY, vise à faire le point sur
l’état des lieux, des conditions de fin de vie en France, sur l’évolution des pratiques
notamment.
Les associations et leurs fédérations sont rassemblées depuis 1990 au sein de la SFAP
(Société Française d’Accompagnement et Soins Palliatifs) qui regroupe soignants,
bénévoles, enseignants et représentants des sciences humaines et sociales. La SFAP
mène une réflexion éthique et spirituelle visant à améliorer la qualité des soins, la
qualité de vie et leur organisation (« coordonnée et interdisciplinaire »), le droit et
l’éthique. Les biotechnologies participent à ces progrès.
Il est à noter que le mouvement associatif est aux côtés des professionnels depuis la
naissance des soins palliatifs et a contribué à faire évoluer le droit et les pratiques. Les
associations de bénévolat d’accompagnement et celles qui militent pour la légalisation
de l’euthanasie, même si les solutions proposées sont radicalement différentes,
s’accordent toutes pour témoigner d’une attente sociale pour répondre à l’abandon
des plus fragiles en général et des mourants en particulier.
Selon Patrick VERSPIEREN 43: « L’originalité du mode de développement des soins
palliatifs tient aussi au rôle central joué par les associations qui s’efforcent de
promouvoir cette nouvelle conception de la fin de vie dans la société . La discipline peut
ainsi s’engager sur le terrain de l’action collective et participer au débat social en
dénonçant une possible légalisation de l’euthanasie volontaire. C’est notamment en
s’opposant aux revendications portées par un mouvement associatif concurrent
(ADMD : Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité) que les acteurs des soins
palliatifs s’affirment progressivement aux yeux des pouvoirs publics comme les
dépositaires d’une expertise dans la prise en charge des malades en fin de vie. Cette
stratégie favorisera l’intervention de l’Etat qui devient le promoteur d’une gestion
palliative de mourir ».
Il ajoute que c’est la qualité de la vie qui mobilise l’action collective au niveau de la
santé, ainsi que la subjectivité du malade. Il a été démontré la violence sociale de la
mort lorsque le mourant est exclu parce « qu’il n’y a plus rien à faire ». La volonté de la
culture palliative est au contraire en prenant en compte la dimension notamment
sociale et spirituelle du malade de lui redonner une place de citoyen, d’humain. La
relation au « vivre, c’est être la relation », dit E. HIRSCH.
43 Patrick VERSPIEREN, « Soins palliatifs : une approche globale de la personne », in Face aux fins de vieet à la mort, Vuibert
Soulager la douleur en tenant compte de la singularité et de la subjectivité de la
personne reste néanmoins l’objectif malheur des soins palliatifs, sachant que cela
conditionne non seulement la qualité de la vie de la personne mais aussi sa possibilité
de rester en relation. Et cela, seuls les professionnels de santé en restent garants.
Les soins palliatifs constituent d’ailleurs, selon le sociologue Tanguy CHÂTEL 44,
sociologue chercheur à l’observatoire national de la fin de vie, une rupture à la fois
anthropologique et sociologique .
Rupture anthropologique, car ils sont porteurs d’une autre vision de l’homme à qui
l’on accorde une dimension spirituelle. De plus on lui donne aussi le droit d’être fragile
et vulnérable, ce qui est contraire aux injonctions sociétales d’autonomie, de
performance et d’utilitarisme qui valorisent le fort, le beau, le maîtrisé, le « suffisant »
qui se suffit à lui-même. La personne reste sujet, capable de pouvoir continuer d’être
« fécond » jusqu’à la fin de sa vie, simplement parce qu’il est un « être d’esprit » selon
les mots du philosophe Eric FIAT. C’est ainsi que l’expérience humaine prend sons
sens, dépassant le matérialisme ambiant dans lequel nous sommes plongés.
Accompagner en soins palliatifs, c’est donc reconnaître une dimension spirituelle à
l’homme, cela même constitue une rupture anthropologique car cette dimension
n’était, jusqu’à présent, réservée qu’à la religion.
Rupture sociologique, dans le sens où la culture palliative promeut un changement
dans le lien social.
L’accompagnement qui implique sollicitude, partage, reconnaissance de l’autre, de sa
dignité et de sa liberté, et qui dépasse les notions de charité, d’altruisme unilatéral,
nous ouvre un chemin vers une véritable fraternité. Il semble que cela constitue pour
Tanguy CHÂTEL une « véritable insurrection culturelle », voire spirituelle.
Cela aussi implique un nouveau rapport au temps, au faire, « au culte de la
performance ». Pour le sociologue, cet esprit de résistance et de subversion positive
caractérise les soins palliatifs et nous entraîne avec « une longueur d’avance » à « la
pointe de la modernité », plus qu’à un simple retour aux traditions d’accompagnement
44 Tanguy CHÂTEL, « Les soins palliatifs, toujours une longueur d’avance ? » , in JALMALV n°100,mars 2010
ancestrales, car sont tissées ensemble performance et humanité, car à un « surcroît
d’efficacité » est associé un « surcroît de sens ».
Mais l’objet de notre travail étant plus précisément l’accompagnement de la fin de vie,
en tant qu’il peut être un enjeu voire un devoir de société, il nous apparaît nécessaire
de chercher à comprendre de quoi l’accompagnement en fin de vie peut-il témoigner.
L’exclusion et l’abandon des mourants sont à l’origine du mouvement de résistance qui
donna naissance aux soins palliatifs. Nous nous interrogerons alors sur le sens que
revêt aujourd’hui l’engagement dans l’accompagnement des personnes en fin de vie
dans le champ des soins palliatifs.
Nous envisagerons l’accompagnement en termes de témoignages car il nous semble
que cette notion soit indissociable de celle de l’accompagnement.
Nous verrons avec le philosophe Eric FIAT l’accompagnement comme témoignage « de
la dignité ontologique de tout être humain », témoignage de « la nécessité du don », et
enfin avec Tanguy CHÂTEL, témoignage du lien social qui nous unit, que nous soyons
malades, handicapés, âgés ou en fin de vie, ce dont les bénévoles d’accompagnement
sont porteurs, témoignage du lien familial également mais que nous n’aborderons pas
ici.
V. A. L’accompagnement comme témoignage de la dignité de l’homme
Le thème de la dignité est traité par Eric FIAT (Revue JALMALV– n°94) dans un article
intitulé « S’engager dans l’accompagnement des personnes en fin de vie aujourd’hui :
quel sens ? »
Le mot dignité qu’il développe retiendra notre attention. Selon lui, c’est la conception
kantienne de la dignité qui inspire la pratique palliative. A savoir : « les choses ont un
prix mais l’homme, lui, a une dignité, laquelle est sans degrés ni parties ». « Tous les
hommes sont dignes et le sont également », disait KANT. La dignité est absolue par le
seul fait d’être un homme. Elle ne peut pas être relativisée par quoi que ce soit :
vulnérabilité, dépendance, maladie, … L’homme ne peut être plus ou moins digne, il
est digne par essence, ontologiquement.
Selon Eric FIAT, la conception bourgeoise de la dignité (du latin dignus qui signifie
valeur) reliait la valeur d’un homme à sa conduite. L’opposé de la dignité selon cette
conception bourgeoise, serait donc l’indignité signifiant la bassesse, le laisser aller, la
vulgarité, … Etre digne serait alors « prendre contenance », c’est-à-dire garder pour
soi ; la dignité, ou l’art de maîtriser ce qui en soi pourrait être sujet d’indignation pour
les autres, comme la manifestation d’émotions, l’exposition de ce qui est considéré
comme de l’ordre de l’intime, … voire l’expression de sa propre souffrance ?
Cette conception bourgeoise de la dignité est pour le philosophe « discriminante et
hiérarchisante, et qui fait dépendre la dignité d’un être de l’adéquation de sa conduite
aux normes du bourg ». Ne sommes-nous pas encore sous le joug de cette conception
de la dignité lorsque des malades demandent qu’on les « aide » à mourir parce qu’ils
se sentent indignes, c’est-à-dire que leur état psychique, physique, ou leur incapacité à
« être utiles » conduit à penser qu’ils n’ont plus de valeurs ? Ne sommes-nous pas
responsables collectivement de ce que certaines personnes puissent se sentir
indignes ? Les soins palliatifs et l’accompagnement des plus fragiles tentent de battre
en brèche cette notion de dignité bourgeoise en affirmant la dignité ontologique de
tout être humain parce qu’il est humain.
Pourtant, selon Eric FIAT, notre héritage judéo-chrétien pourrait nous rappeler que
chaque personne est unique, irremplaçable et n’est jamais un simple moyen utile à la
société à laquelle il appartient. Il est une fin en soi (comme l’affirme KANT). Il est en
outre « créé à l’image de Dieu », ce qui confère à tout homme une dignité intrinsèque.
C’est ainsi que l’on trouve dans l’histoire un engagement des religieux au service des
plus vulnérables (hospices, hôpitaux, Hôtels Dieu, …). Notre époque laïcisée peut
néanmoins se baser sur la conception kantienne pour continuer de considérer la
dignité ontologique de l’homme. KANT a permis de laïciser le concept chrétien de
dignité. Eric FIAT s’interroge sur l’origine de cette dignité inaliénable et intrinsèque et
dont témoigne la culture palliative (c’est pour cela qu’il nous semble nécessaire de
développer avec Eric FIAT cette notion). Pour KANT, tout homme est digne parce qu’il
porte en lui la loi morale qui « habite toute conscience ».
« Les hommes ne sont certes pas des saints, mais l’humanité en eux l’est car c’est du
respect dû à la loi morale que KANT déduit le respect dû à tout homme 45».
Cela étant, les hommes pour KANT ne sont pas tous « également dignes de leur
dignité ». Mais toute personne, même la plus fragilisée, est habitée de cette loi
morale. On lui doit donc un respect inconditionnel. On ne saurait réduire une personne
à l’image qu’elle offre d’elle-même.
Eric FIAT ajoute que ce respect que l’on doit à toute personne est aussi la
reconnaissance non seulement de ce qu’elle est mais aussi de ce qu’elle a été. Nous
pouvons, pour illustrer ce propos, faire allusion à cette phrase de Stéphane,
lourdement handicapé, dans le film de Frédéric CHAUDIER : « Les yeux ouverts »,
disant à son interlocuteur : « je n’ai pas changé », sous-entendant que, malgré ses
atteintes physiques, l’homme qu’il était demeure avec ou sans la maladie, porteur
d’une humanité inaliénable, et singulière.
« Le respect, c’est précisément l’acte qui consiste à porter regard sur cette part
inaltérable, impeccable de dignité qui se trouve en tout homme ».
Si l’on applique le respect au soin, nous pouvons ajouter la phrase d’Emmanuel HIRSCH46: « Les missions de soin relèvent d’une double exigence : préserver l’humanité d’une
relation et ne pas renoncer à reconnaître l’autre en ce qu’il demeure jusqu’au terme de
son existence ».
Ce respect, d’inspiration kantienne a selon Eric. FIAT, des limites dans la mesure où il
ne tient pas compte de singularité de chacun et ne met pas en lumière l’importance du
regard de l’autre. HEGEL avait montré en quoi il est nécessaire pour se sentir digne de
bénéficier de la reconnaissance de l’autre. « Le secret de ma dignité se trouve dans le
regard qu’autrui porte sur moi ». C’est cette reconnaissance qui garantit la pérennité
de notre humanité et est à son origine.
Un regard respectueux est un regard qui reconnaît l’autre comme sujet et lui donne
une existence : « Le moi s’éveille par la grâce du toi », disait Gaston BACHELARD, cité
par Eric FIAT.
45 E. HIRSCH, Apprendre à mourir, Ed. Grasset, 200846 Idem 46
Eric FIAT ajoute dans son ouvrage « Grandeurs et misères des hommes » 47que ce qui
est en jeu pour l’homme, c’est plus que sa dignité, en soi inaliénable car
consubstantielle à son humanité : c’est ce qui peut être mis en péril, à savoir « le
sentiment qu’il en a ». C’est là que l’autre intervient. C’est par l’autre que l’on devient
sujet au début de la vie et c’est l’autre qui veille sur cette subjectivité à la fin de la vie.
C’est donc à la vigilance qu’Eric FIAT nous convie. Nous devons être des veilleurs. C’est
ce qui fonde l’accompagnement. « L’accompagnement ne peut pas ne pas être inspiré
par la reconnaissance de l’impeccable dignité que possède tout homme. »( Grandeurs
et misères des hommes – Petit traité de dignité)
Selon le philosophe, c’est la vigilance (veille) qui peut, en assurant la relation, redonner
à la personne en fin de vie qui en doute « le sentiment de son inaltérable dignité ».
Cette reconnaissance de l’autre étant dans le regard que l’on porte sur lui. E. FIAT
précise ce qu’il entend par vigilance. Pour lui, il s’agit d’une présence, d’une écoute,
« ouvrir un vide de bonne qualité à l’intérieur duquel il puisse s’exprimer, une chambre
d’écho à la meilleure acoustique possible, y compris pour que sa révolte et son angoisse
s’expriment. » (JALMALVn°94)
Veiller sur les malades, les mourants et les morts était d’usage dans les sociétés
traditionnelles qui nous ont précédés. Cette vigilance n’est pas, selon lui, la sollicitude
développée par Paul RICOEUR qui comporterait le risque « d’étouffer » l’autre. Il prend
l’image de la main qui protège une flamme vacillante (la fin de vie d’un homme) dont il
faut garantir qu’elle puisse briller jusqu’à la fin.
Accompagner, c’est donc se faire témoin, y compris de la révolte, de la colère du
mourant. Car la mort reste une tragédie.
Accompagner, c’est témoigner que jusqu’à la fin de sa vie, et même après, que cette
personne « fût un être d’esprit ».
C’est notre responsabilité : « C’est en faisant ce travail de mémoire, en veillant sur le
mourant et sur le mort que les vivants existent comme êtres vraiment humains, et non
pas comme bêtes amnésiques. » Cela rejoint ce que nous avons retenu des
comportements passés autour de la mort et qui ont fondé notre culture en réalisant
47 Eric FIAT, Grandeurs et misères des hommes , Petit traité de dignité, Ed. Philosopher– Larousse, 2010
des pratiques qui garantissaient la transmission, la mémoire pour les individus insérés
dans une communauté.
C’est, selon E. FIAT, au prix de cet accompagnement ultime que nous méritons le titre
de civilisation. Nous pouvons alors citer les mots de Marcel Louis VIALLARD (Espace
Ethique – AP HP 20/11/1997) qui s’exprimait au sujet de la mort périnatale : « Un
corps mort est comme un mausolée, c’est le souvenir d’un être, d’un sujet d’amour et
d’un sens. Il est mausolée de ce qu’il a réellement été ou de qui il a été dans un idéal,
dans un désir, dans un imaginaire qui pouvait être en cours de réalisation. »
L’accompagnement, c’est donc aussi témoigner du lien social qui nous relie à ceux
dont on sait l’imminence de la mort et la fragilité.
« La notion d’homme seul est une absurdité : c’est un être social sensible à l’empreinte
mentale laissée par ses contacts avec autrui. Sans les autres, l’individu ne peut profiter
des potentialités cognitives que lui confèrent ses gènes que s’il est intégré à une société
humaine engendrant sa culture propre. Sans les autres, l’individu ne peut pas de venir
le sujet de sa propre vie »48 . Le médecin généticien Axel KAHN tient ces propos afin de
montrer que le génome humain ne suffit pas à définir un homme. L’humanisation est
indispensable, impliquant l’interaction avec au moins un autre. La reconnaissance de la
valeur de l’autre est le fondement ontologique de la personne (cf. Eric. FIAT)
V.B. Le bénévolat d’accompagnement, témoignage de lien social
Le bénévolat d’accompagnement en soins palliatifs et à domicile : que représente-t-il
pour l’accompagnement en tant qu’enjeu et devoir de société? Quelle est sa place
dans la culture palliative, son rôle auprès des personnes en fin de vie et quelles
peuvent être les répercussions de sa fonction sur le plan sociétal ?
Tout d’abord, nous chercherons à donner un aperçu de l’accompagnement par les
bénévoles et de leur rôle en partant de l’éthique spécifique de ce type
d’accompagnement que nous expose Tanguy CHÂTEL dans un article de la revue
48 Axel KAHN , Un type bien ne fait pas ça , Ed. NIL , 2010
Gérontologie49. Il annonce que même si l’accompagnement a été pensé dans le même
esprit, que ce soit pour les soignants ou les associations de bénévolat
d’accompagnement, il existe cependant des exigences différentes bien que
complémentaires en terme d’éthique.
L’article de Tanguy CHATEL expose l’éthique spécifique de l’accompagnement que
nous avons déjà développée, puis l’éthique spécifique du bénévolat que nous
développons maintenant.
Pour lui, il est important de préciser que le bénévole n’est pas un soignant. Il est dénué
de tout pouvoir conféré par un statut professionnel. Il est une personne que l’on ne
peut pas confondre avec sa fonction car rien de spécifique ne le distingue.
Le bénévole est un « amateur » dans le sens où amateur signifie aimer (ce n’est pas
l’amateurisme). Le bénévole est un amateur compétent, qui a reçu une formation par
l’association dont il dépend et qui se porte garante contractuellement (par une charte
signée lors de son engagement) de son activité (sa présence est par ailleurs légitimée
par la loi du 9 avril 1999, la Circulaire DHOS du 25 mars 2008 relative à l’organisation
des soins palliatifs et l’article L1110-11 modifié par ordonnance n°2010-177 du 23
févier 2010-art.7.(voir annexe n° 3)
Les bénévoles évoluent donc dans un cadre légal, institutionnel et associatif. Cela n’en
fait pas pour autant des professionnels.
Les Bénévoles d’accompagnement
Tanguy CHÂTEL nous invite à retrouver l’étymologie du mot bénévole, qui vient du latin
bene volens, qui signifie « bonne volonté ». Laquelle « bonne volonté » devant être
associée au sens de la responsabilité.
Elle implique également la notion d’intention qui prend forme dans une action à
« visée bonne » pour reprendre les termes dus à Paul RICOEUR. Il s’agit aussi d’agir en
conscience. Les trois termes : intention, action et conscience, sont donc indispensables
et indissociables pour le respect de l’éthique du bénévolat.
49 Tanguy CHÂTEL, Ethique de l’accompagnement bénévole des personnes en fin de vie ,Gérontologien°148,15 octobre 2008
Il est aussi un terme associé à la bonne volonté, c’est celui de bénéfice – bene facere –
qui signifie « bien faire ».
Le bénévole doit donc être bienveillant et bienfaisant. Cependant, comme nous avons
pu le voir avec E. FIAT dans son article sur la gratuité, le bénéfice n’est bien sûr pas
cherché, ce sui ne serait pas éthique car contraire au respect de la dignité de l’autre en
l’instrumentalisant pour soi.
Il s’agit plutôt d’un « bénéfice incident » qui est avant tout relationnel. Ce bénéfice
incident étant pour le sociologue hautement souhaitable car il équilibre la relation.
C’est donc la gratitude comme nous l’a montré E. FIAT qui permet ce rééquilibrage
dans la relation.
Tanguy CHÂTEL emploie, lui, les termes de gracieux : « qui est accordé dans être dû,
sans que rien ne soit exigé en retour ». Le gracieux renvoie à la notion d’intérêt
désintéressé.
Ethiquement, « le bénévolat doit donc se penser en termes de souhait plutôt de que
volonté, en termes d’attente plutôt que de projet, en termes de détente plutôt que de
tension, en termes d’attention plutôt que d’intentions, en termes de vigilance plutôt
de contrôle … dans un équilibre subtil entre attraction et distanciation. »
Pour les patients, un bénévole est un anonyme avant tout. Ce qui peut permettre une
relation sans entraves. Il est comme un « voisin » ordinaire dont ils pourront se sentir
proches. Le bénévole n’est pas non plus porteur d’une histoire familiale dont il faudrait
se protéger ou qu’il conviendrait de protéger comme c’est le cas pour les familles ou
les « aidants naturels » en général.
C’est un anonyme qui peut permettre au patient en toute liberté de partager ce qui lui
appartient. Il est néanmoins la distance qui crée les limites de la relation par le fait que
le bénévole est bien portant, ce qui n’est pas le cas de la personne en fin de vie
accompagnée.
Ce sont donc deux êtres humains qui se rencontrent sur la base de leur humanité
commune.
De plus, le malade peut ou non refuser la présence du bénévole et peut choisir « le
degré de proximité » de la rencontre. Celui lui octroie donc la possibilité d’exercer son
autonomie encore.
Pour Tanguy CHÂTEL, l’éthique spécifique du bénévolat sera donc « l’éthique de la
reconnaissance » qui est basée sur la gratitude et la fécondité.
La gratitude permet au malade de ne pas se sentir en « dette » par rapport à celui qui
l’a accompagné. Nous pouvons au sujet de la gratitude, considérer les propos d’Eric
FIAT50. Le philosophe écrit dans un article intitulé : « S’engager dans
l’accompagnement des personnes en fin de vie aujourd’hui : quel sens ? » que la
générosité émanant de la gratitude est ce qui motive en premier lieu l’engagement
dans l’accompagnement bénévole en particulier. Selon lui, la vie dans un monde où la
gratuité n’existe pas est impossible et inhumaine. Ce dont témoigne l’émergence des
nouvelles solidarités que nous avons évoquées précédemment. Quoi de plus précieux
que le don de soi ? Echapper à l’injonction mercantile de l’avoir érigé en maître serait-
il possible par la voie du don ? « On s’augmente des dons qu’on fait », dit Eric FIAT Cela
inverse la logique marchande du donnant-donnant. Pour le philosophe, on ne peut
vivre pour soi car on « ne s’accomplit qu’en se communiquant, en se diffusant et en se
prodiguant, c’est dans le détachement et le dévouement que toute existence éprouve
sa liberté. » Il ne s’agit donc pas d’oubli de soi. Selon Eric FIAT, entre la logique
marchande et la gratuité, se loge la gratitude. « Il y a d’une part le plan horizontal de la
relation mercenaire, de la relation donnant-donnant, et d’autre part le plan vertical de
la relation gracieuse. » En effet, la gratuité totale, c’est-à-dire un don sans contre-don,
est impossible à l’homme. Et Eric FIAT de citer LA ROCHEFOUCAULD : « Nos vertus ne
sont le plus souvent que des vices déguisés. » Nous sommes toujours à la recherche
d’un intérêt (même si l’on est bénévole ! dirons-nous). Pour Eric FIAT, reprenant la
pensée de KANT, « le plaisir moral, c’est celui qui surgit du fait qu’il n’a pas été
cherché. Il arrive comme une sorte de grâce, comme la beauté. » Il serait donc immoral
de donner de soi en ayant pour but d’y trouver un intérêt, mais le plaisir est reçu de
surcroît comme une grâce, qui est donnée sans être cherchée.
Nous arrivons à cela par la gratitude qui est cadeau, qui va toujours au-delà de ce qui
est donné et qui comble celui qui le reçoit de reconnaissance. Là encore, la culture
50 Eric FIAT, « s’engager dans l’accompagnement en fin de vie aujourd’hui : quel sens ? »In JALMALV n°94.
palliative nous amène à repenser les valeurs qui ont cours dans notre société, à les
inverser à trouver un chemin d’humanité vécue.
La fécondité selon Tanguy CHÂTEL, c’est cette reconnaissance d’un « être qui
s’inquiète de ne plus exister », reconnaissance de son humanité qui reste pleine et
entière malgré la maladie, la fatigue.
Le bénévole, en tant que représentant de la société, lui témoigne de sa place dans
l’humanité et de son humanité reconnue. « Se reconnaître, c’est alors « naître
ensemble » (re-co-naître). Une telle fécondité n’est possible que dans l’intensité et la
fugacité d’une rencontre de « presque pareils, d’alter ego qui découvrent que le chemin
de l’altération à la des-altération passe nécessairement par l’altérité ? »
Ethique d’accompagnement et éthique de bénévolat ont donc toutes deux en commun
la présence, la reconnaissance, l’alliance et la fécondité. Il s’agit, dans les deux cas,
d’éthique de la communion qui rejoint la notion de fraternité, lien social par
excellence.
Nous avons donc vu avec Tanguy CHÂTEL que le bénévole témoigne de la présence de
la société auprès des plus vulnérables d’entre nous. IL est citoyen, réaffirmant la place
de citoyen de celui qui se sent bien souvent exclu par sa maladie, son grand âge ou sa
fin proche. Il est l’expression d’une solidarité de la société.
Le psychologue Alain BERCOVITZ51, disait lors de la séance de clôture des premières
journées nationales des bénévoles d’accompagnement en mai 2003 : « Les soins
palliatifs ne sont pas seulement une activité médicale, le bénévolat d’accompagnement
n’est pas simplement charitable. Il y a un projet citoyen, on l’a beaucoup dit, l’idée
d’une société plus humaniste ». Emmanuel HIRSCH parle d’une « éthique en action ». Et
je crois effectivement que c’est ce que font les bénévoles : mettre des valeurs en
actes. » L’on pourrait ajouter les propos de Maris Sylvie RICHARD 52lors de ces
premières journées nationales des bénévoles d’accompagnement : « Du fait de
51 Alain Bercovitz, Séance de clôture : perspectives d’avenir, Premières journées nationales des bénévoles d’accompagnement, mai 2003 52 Marie Sylvie RICHARD, « L’intervention des bénévoles d’accompagnement peut- t’elle contribuer à valoriser et faire évoluer les pratiques soignantes ? » idem 52
l’hyperspécialisation de la médecine, le malade fait souvent l’expérience d’être
morcelé et de ne pas être pris en compte dans son ensemble. A l’inverse, l’approche
globale de la personne malade est l’un des fondements des soins palliatifs. Cicely
SAUNDERS entend bien, au cœur de la demande et de l’attente du malade, ce désir
d’être pris en compte dans ses différentes dimensions et en particulier dans sa
dimension relationnelle. Le soulagement des douleurs et de toute forme d’inconfort
aussi primordial soit-il ne suffit pas, l’accompagnement en est indissociable. Ce n’est
pas parce que les soignants ne pouvaient suffire à la tâche, qu’elle a souhaité
l’intervention des bénévoles mais parce qu’elle estimait indispensable que la société
civile soit présente auprès des personnes confrontées à la fin de leur vie et à la
proximité de leur mort. »
Cicely SAUNDERS considérait donc les missions des soignants et des bénévoles
complémentaires. Pour elle, prendre soin c’est permettre que ceux qui en sont privés
puissent reprendre la parole, que ce soit les malades ou leur familles, leurs proches et
« communiquer avec les gens de l’extérieur, pas seulement des professionnels mais
avec le monde en général. »
Il s’agit donc selon les termes de Marie.Sylvie RICHARD en conclusion de son article, de
bâtir ensemble une société qui respecte l’être humain, qui prenne soin des plus
fragiles au lieu de les exclure. Le lien social est à reconstruire car « nous avons besoin
les uns des autres. »
« Nous souhaitons être proches et solidaires des personnes qui nous sont confiées
mais aussi les uns des autres en réalisant un vrai partenariat où chacun a sa place dans
une profonde interdépendance. »
Voilà qui va bien à l’encontre des valeurs de notre société aujourd’hui qui prône la
valeur suprême de l’indépendance et propose régulièrement la réponse à la
dépendance, à la souffrance de « la solitude des mourants » (N. ELIAS – La solitude des
mourants – Paris, C. Bourgeois – 1987) la solution radicale de l’euthanasie.
L’accompagnement en fin de vie et l’engagement de la société civile dans cet
accompagnement est donc pour nous un enjeu de civilisation majeur.
Il nous semble important donc, avec Tanguy CHÂTEL53, de considérer l’importance que
peuvent jouer les bénévoles dans ce « combat de fond pour l’évolution des
représentations et des comportements à l’égard de la maladie, de la souffrance, de
l’exclusion et de la mort. »
Dans l’article « Etre accompagnant bénévole en soins palliatifs aujourd’hui : posture et
enjeux » il nous montre le rôle important que peuvent avoir les bénévoles
d’accompagnement dans le changement de société face à la mort et à la souffrance.
Pour lui, il est nécessaire que leur rôle modeste et engagé auprès des malades
s’étende à un accompagnement auprès de notre société elle aussi malade.
Leur témoignage pour diffuser la culture palliative ne serait-il pas plus efficace que les
« beaux discours » ? Les équipes mobiles de soins palliatifs ont cette fonction de
diffusion de la culture palliative auprès de tous les soignants mais elles ne semblent
pas toucher l’ensemble de la société.
Le Professeur René SCHAERRER rappelait que « les grandes avancées des soins
palliatifs ont été portées par le mouvement associatif ». Le mouvement associatif doit
donc persister à assurer sa double fonction : la présence auprès des malades et la
promotion d’une nouvelle solidarité, « d’un vivre ensemble solidaire, sensible et
responsable, depuis la naissance jusqu’à la mort. »
Les bénévoles sont donc témoins de cette solidarité en refusant l’exclusion des
mourants par leur présence à leurs côtés, mais ils doivent aussi l’être par leur parole.
Ils se doivent de transmettre ce qu’ils ont vécu auprès des malades (sans trahir la
confidentialité), témoigner ainsi que le malade est vivant jusqu’à sa mort, témoigner
du retentissement que ce parcours commun avec les mourants ou les plus fragiles a eu
sur leur vie personnelle et leur entourage. Les bénévoles doivent prendre le risque de
s’exposer pour témoigner car ce sera une parole vécue, donc percutante. Selon Tanguy
CHÂTEL, ce témoignage peut amener à provoquer un changement de fond dans notre
société où la solitude règne avec toutes les conséquences que cela entraîne.
53 Tanguy CHÂTEL, « Être accompagnant bénévole en soins palliatifs aujourd’hui : posture et enjeux », ASP Liaisons, juin 2010
Citons le sociologue: « Bien soutenus par leurs associations, les bénévoles me semblent
donc être les ambassadeurs les plus modestes, mais aussi les plus décisifs, de la
propagation de la culture palliative dans la société. » (Ethique et fins de vie – page 327)
Il nous semble important, pour soutenir ces propos, de citer quelques passages du
discours du Pr. Régis. AUBRY54, président de l’observatoire national de la fin de la vie, à
l’occasion des vingt ans de l’association des bénévoles d’accompagnement, RIVAGE, le
9 octobre 2010 : Pour lui, l’accompagnement porte en soi des enjeux majeurs pour
notre société : « Les sociétés qui sont capables de témoigner, dans leur fonctionnement
et dans leurs engagements politiques, de leur capacité à accompagner les personnes
les plus fragilisées, que ce soit sur le plan social ou sur le plan médical, sont des
sociétés qui ont de l’avenir. »
Il ajoute qu’il existe un grand retard dans le développement des services qui
accueillent et accompagnent les plus fragiles d’entre nous. « On peut même, parfois,
culpabiliser les proches ; comme s’il n’était pas du devoir de la société et de la
solidarité de se matérialiser autour des patients. »
Il est nécessaire de résister à la « dérive utilitariste » qui nous caractérise pour que les
valeurs essentielles qui caractérisent l’humain soient conservées.
« Consubstantiellement, l’Homme sert à quelque chose. Il sert à être Homme.
Consubstantiellement, l’homme vulnérable témoigne de la vulnérabilité intrinsèque de
l’Homme et de sa finitude, il sert à autrui, il lui permet de se rendre compte de sa
propre vulnérabilité. »
La loi Leonetti du 22 avril 2005 semble, selon Emmanuel HIRSCH55, répondre, au-delà
d’un cadre législatif du droit des malades et des obligations de la médecine à leur
égard, à une « prise de conscience et une mobilisation », dépassant le cadre hospitalier
et médical. Le malade y est considéré comme citoyen. Bien que malade, en fin de vie, il
conserve sa place, son rôle, confirmant son sentiment d’appartenance, son estime de
soi.
L’esprit de cette loi, selon E. HIRSCH, n’est pas de véhiculer l’idée d’une « bonne
mort », d’une mort idéale. « Ce qui importe, c’est de pouvoir vivre une existence
54 Professeur Régis AUBRY, Un Observatoire de la fin de la vie, revue Rivage , décembre 201055 Emmanuel HIRSCH, « Fin de vie :une liberté digne de d’être vécue »in Face aux fins de vie et à la mort
accompagnée et soutenue jusqu’à ces derniers instants. Une mort en société et non à
ses marges, anticipée, reléguée, ignorée, abandonnée. »
Cette loi est « une expression manifeste des droits de l’homme », votée à l’unanimité
par le Parlement, « d’une portée humaine et sociale évidente. »
Car, selon E. HIRSCH, c’est la « mort sociale » qui conduit aux demandes d’euthanasie.
En respectant l’autonomie de la personne, sa liberté malgré les altérations de la
maladie et de la dépendance, la loi respecte le principe d’humanité. « La loi permet
aujourd’hui de renouer avec l’humanité, l’humilité, la retenue que sollicite de notre
part la mort d’un autre homme. »
Ce texte qui dépasse le champ de la médecine change notre regard, et nous rend
responsables (non pas coupables) à l’endroit du mourant et de ses proches.
E. HIRSCH 56développe ce propos dans son livre « Apprendre à mourir » dans lequel il
montre à quel point l’accompagnement est déterminant et doit se concrétiser par un
effort et une volonté de solidarité à tous les niveaux de la société. »
« Reconnaître et préserver la dignité, les droits et donc la citoyenneté lorsque le lien
social semble altéré par la maladie, relève d’une obligation. » Il nous paraît donc
opportun de pouvoir oser les termes de « devoir de société» pour qualifier
l’accompagnement en fin de vie, ainsi que de tous ceux dont nous reconnaissons qu’ils
gardent, quelles que soient les atteintes de l’âge, de la maladie ou du handicap,
l’ imprescriptible dignité d’homme.
V. C. L’euthanasie : Un accompagnement?
Le film de Denys ARCAND « Les invasions barbares » nous donne une image idyllique
d’une mort, certes programmée, mais par ce fait en douceur et dans la sérénité.
Cependant, ce qui résonne en nous de plus humain est certes que le malade ne semble
pas souffrir mais surtout qu’il est entouré des siens jusqu’à son dernier souffle, que ces
derniers sont tous là pour accueillir. Cela donne à penser que la mort programmée,
lorsqu’elle est souhaitée par le patient, est douce et paisible, ce que met en avant
56 Emmanuel HIRSCH, Apprendre à mourir, Ed. Grasset, 2008
l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité. L’amalgame entre mort délivrée
par compassion et mort apaisée est fait. Nous pouvons nous poser cependant la
question de ce qu’il en est d’une mort « délivrée » intentionnellement dans la solitude
d’une chambre d’hôpital, même si elle relève d’une demande de la personne. Nous
savons que la plupart des demandes d’euthanasie cèdent lorsque la personne est prise
en charge dans sa souffrance physique et qu’elle est accompagnée, reconnue comme
ayant sa place dans la société, quelle que soit sa pathologie ou son handicap.
La revendication de l’ultime liberté afin de pouvoir se faire administrer la mort de
façon médicalement assistée (et assumée), nous semble ignorer les raisons les plus
fréquentes de demande d’euthanasie. Le généticien Axel KAHN 57nous dit ceci : « Est-il
libre, le sujet en proie à un syndrome dépressif sévère qui tente de se suicider, voire
qui demande à bénéficier de l’euthanasie, comme le cas s’en est présenté aux Pays-
Bas ? L’exemple de la Grande-Bretagne, berceau des soins palliatifs, où le nombre de
bénévoles engagée dans l’accompagnement est très important, montre bien à quel
point la demande d’euthanasie devient très faible lorsque la lutte contre la souffrance
et l’accompagnement sont mis en pratique. »
Une étude contrôlée a été menée sur le thème aux Etats-Unis : elle confirme
complètement la notion selon laquelle l’immense majorité des demandes d’euthanasie
disparaît lorsqu’un effort important est fait dans le domaine des soins palliatifs. Selon
le Dr Véronique BLANCHET58, les vraies demandes d’euthanasie, à savoir celles qui
regroupent les trois conditions – « absence de symptômes physiques mal soulagés
persistants, répétition de la demande de provoquer la mort, et persistance dans le
temps » – représentent, selon son étude portant sur 629 patients suivis, 0,8%, c’est-à-
dire 5 « vraies demandes ». Pour elle, dans plus de 60% des cas étudiés (389/629), on
pouvait recenser à un moment ou à un autre de la prise en charge, une expression de
souffrance morale sous la forme de souhait de mort.
Pour les 5 demandes persistantes, Véronique BLANCHET interprète les demandes
comme révélant « une impossibilité de donner du sens à ce qu’ils étaient en train de
vivre. »57 Axel KAHN, Un type bien ne fait pas ça, Ed. Nil,201058 Véronique BLANCHET, Soins palliatifs : réflexions et pratiques, Ed. Formation et Développement,
2011
Pour elle, chez ces 5 patients, on pouvait diagnostiquer un syndrome anxio-dépressif
(soulagé par un traitement anxiolytique pour 3 d’entre eux ; pour les 2 autres, les
effets des antidépresseurs n’ont pas pu être mesurés pour cause d’un délai d’action
trop long).
Véronique BLANCHET note « qu’aucun patient n’a fait de tentative de suicide » bien
que cela eût été possible (à domicile pour 3 d’entre eux, les dépassements de doses
d’antalgiques étaient possibles).
Pour elle : « L’écoute du patient est primordiale. C’est à travers le dialogue et par
l’attitude d’ouverture aux motifs qui suscitent la demande de mort que nous pouvons
aider le patient à traverser l’épreuve qu’il est en train de vivre. Admettre son point de
vue n’est pas y adhérer et encore moins y répondre. »
Il s’agit aussi d’écouter l’entourage « qui se débat dans l’ambivalence de sa propre
souffrance » : partagé entre l’angoisse de la séparation de celui qui est cher et le
« souhait » que la mort vienne mettre fin à ses souffrances.
« L’écoute de cette ambivalence aide parfois l’entourage à s’autoriser à la vivre. Il est
néanmoins fondamental que les proches pour leur travail de deuil à venir ne se sentent
pas responsables du décès. »
La demande d’injection létale pourrait aussi émaner de la part du patient du sentiment
de faire souffrir ses proches, ce qui est aussi à rechercher et à entendre dans une
relation de confiance et d’empathie, d’accompagnement.
Nous pouvons donc conclure que là encore, dans ces cas extrêmes, l’accompagnement
reste fondamental tant pour les patients que pour leurs proches et que l’euthanasie ne
semble pas être une solution répondant à la réalité essentielle de la souffrance.
Les soins palliatifs et l’accompagnement, quant à eux, constituent donc un
engagement de solidarité de la société.
Le Dr Jean LEONETTI auteur de la loi du 22 avril 2005, nous livre ces mots dans son
livre -A la lumière du crépuscule : « Les soins palliatifs sont portés par une philosophie
collective de solidarité alors que l’euthanasie s’appuie sur une démarche de choix
individuel. Les soins palliatifs cherchent derrière la demande de mort à remédier à la
souffrance et à l’abandon. »
Il ajoute que, dans les pays où soins palliatifs et légalisation de l’euthanasie sont
présents, le nombre de demandes d’euthanasie diminue.
Il nous semble donc que notre société ait le devoir d’étendre la culture palliative et
l’accompagnement dans toutes les institutions médicales, à domicile et dans
l’ensemble du corps social, afin que tous ceux qui en ont besoin et le souhaitent
puissent bénéficier de soins palliatifs et d’un accompagnement en fin de vie.
Mais si certains attendent pour mourir l’accompagnement d’un proche, d’autres
meurent pendant l’instant de l’absence de celui ou celle qui veillait à leur chevet. Peut-
on en déduire que la solitude puisse être recherchée au moment de l’ultime
« passage» ?
La solitude ne pourrait-elle pas être aussi vécue comme une sagesse du détachement
permettant de quitter librement le monde ?
La solitude choisie et non subie n’est plus alors l’abandon, l’exclusion, l’isolement, elle
peut devenir ultime liberté, grâce.
L’accompagnement ne consiste t’il pas alors à être suffisamment aimant pour laisser
l’autre partir seul ?
Seul ou intimement relié, car : « Pour vivre, il faut avoir été regardé au moins une fois,
avoir été aimé au moins une fois, avoir été porté au moins une fois. Et après quand
cette chose a été donnée, vous pouvez être seul (Christian BOBIN)»59.
59 Marie de SOLLEMNE, La grâce de la solitude, Ed. Albin Michel, 2006
CONCLUSION
Nous avons donc constaté que l’apparition du tabou de la mort correspondait à
l’apparition de la conscience de soi. En corollaire apparaît le déclin des rituels
funéraires qui inscrivait la mort dans sa dimension collective et trans-générationnelle.
Les mourants et les morts ont été séparés des vivants. Néanmoins si nous cherchons à
éluder la question de notre finitude, celle-ci nous rattrape un jour ou l’autre créant
d’autant plus d’angoisses que nous avons cherché par tous les moyens à l’éviter- que
ce soit pour nos proches ou pour nous-mêmes.
Les sciences humaines nous ont amené à prendre conscience des conséquences
de la primauté de l’individu sur le collectif. L’une d’elle, étant celle de la solitude dans
laquelle nous vivons cette ultime expérience existentielle que constitue le mourir. Les
différentes facettes historiques et contemporaines de l’accompagnement de la fin de
vie nous forcent à constater que c’est l’une des dimensions fondamentales de notre
existence qui se joue à ce niveau. L’accompagnement permet de donner du sens, de
symboliser ce qui se vit. L’accompagnement, qu’il soit geste, parole ou silence, est
donc cet échange de vulnérabilités, de « désappropriation » - selon le mot de Maurice
ZUNDEL60 : « Ce qui est vrai de la matière l’est encore plus de la personne. Elle ne
subsiste et ne se vérifie que par sa relation à l’autre. Et elle tend en ultime analyse pour
accéder à la plénitude de l’être à une identification par échange de désappropriation . »
Il est aussi partage du doute. Le doute est en effet en fin de vie particulièrement ce qui
est commun à tous : soignants, proches, bénévoles, mourants et endeuillés. Lorsqu’il
est assumé, il ouvre à la rencontre. Ce lien dans l’accompagnement qui nous relie à
l’autre et relie l’autre à lui-même permet l’expression de la souffrance quelle qu’elle
soit. Dans notre société, si prompte à la faire taire, cette possibilité offerte est un
prendre-soin essentiel. C’est la qualité de vie qui est en jeu, d’autant plus quand le
temps qui reste à vivre est compté. Pour paraphraser Thérèse VANIER : Y aurait-il tout
à ETRE « (…) lorsqu’il n’y plus rien à faire » ?
60 Maurice ZUNDEL, Le silence de l’amour, Ed. Parole et Silence, 2008
La culture palliative ouverte sur la société par l’accompagnement peut à ce titre
être considérée comme « ferment dans la pâte » de notre civilisation. Elle invite
chacun à prendre conscience de la responsabilité (au sens d’Emmanuel LEVINAS) qui
lui incombe face à la vulnérabilité. Il s’agit pour elle maintenant d’être divulguée,
entendue à tous les niveaux de la société. Cela implique une volonté politique et que
soit mise en œuvre des moyens institutionnels et associatifs. Si ce n’est le cas, les
solutions radicales individuelles et déshumanisantes renvoyant l’homme à sa solitude
devant la mort risquent fort de dénaturer ce que l’on appelle liberté et dignité de
l’homme et que l’on tient pour valeurs essentielles de notre humanité. Nous pouvons
donc conclure que l’accompagnement en fin de vie est un devoir de civilisation dont la
portée sociétale est majeure.
REMERCIEMENTS
Je remercie tout particulièrement toutes celles et ceux qui sont engagés depuis parfois
plus de trente ans dans le mouvement des soins palliatifs ; ce D.U. « Accompagnement
et Fin de Vie » aura pour moi été l’occasion d’une rencontre avec certains d’entre eux,
dont Véronique Blanchet et Yolaine Raffray, qui nous ont transmis beaucoup plus
qu’un savoir.
Merci également à Tanguy Châtel qui m’a donné de son précieux temps et m’a
encouragée, ainsi qu’à Julie dont l’assistance technique m’a été précieuse.
Je ne saurais oublier les bénévoles avec lesquels je chemine depuis trois ans au sein de
l’association « Rivage » et surtout toutes les personnes arrivées à la fin de leur vie que
j’ai accompagnées et qui m’ont accompagnée : M. L., Mme K., Mme D., Sœur M. … et
tant d’autres.
Nous avons ensemble parcouru un bout de chemin d’humanité.
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