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©ÉditionsduRocher,2012.

ISBN:978-2-268-07482-5

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo

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*

Au-delàdesportes-fenêtres, le jardinouplutôt leparc.Nulautre horizon que des arbres et des bosquets, la magnifiqueverrière du Grand Palais, et bien que l’on se trouve à troisminutesde laplacede laConcordeetdesChamps-Élysées,onn’entendquasimentpaslesbruitsdelaville…Aupremierplan,la pelouse, des parterres de roses. Ce domaine conservequelques perspectives de sa lointaine origine de jardin à lafrançaise,marquépar la suitepar legoûtanglais,pourdevenirendéfinitiveunjardind’agrémententrelesfrondaisonsduparc;il existait, au centre, une petite pièce d’eau que le général deGaulledécidade faire assécher dans les années soixante, pouréliminer lesmoustiques.FrançoisMitterrand en regrettait sansdoute la disparitionpuisqu’il fit construire, au fonddu jardin,unbassincirculaireavecsonjetd’eauetsurtout,sescanards!

Surladroitedeceparcde2hectaressetenaitunmarronnierrayonnant,majestueux,immense,dontonpensaitqu’ildataitdela marquise de Pompadour. Quelques mois après la violentetempêtedumoisdedécembre1999,ildutêtreabattu,augrandregret des Chirac, parce qu’il était dévoré par une maladie,l’armillaire, qui menaçait de le faire tomber. Outre cemarronnier,lesdeuxplusvieuxarbresdatentdeladuchessedeBourbon. On y compte des platanes, des chênes, des érables,unerangéedetilleulsplantésparValéryGiscardd’Estaing,desfrênesetdeshêtresdutempsdeFrançoisMitterrand.Latempêtede1999enafaittomberneuf.Depuis,onzeespècesdifférentesontétéplantées,unplatane,untilleul,unchêne,unérable,unpinjaponais(unepenséepourJacquesChirac),etdespeupliers.

Au fond du parc se trouvent deux petits pavillons, dont laconstruction en pisé et en bois datait du XVIIIe siècle, avantd’êtrecomplètementrestauréssousLouisNapoléonBonaparte,

président de la République, pour y loger des sentinelles. Ilsdevaient servir pour différents usages, de resserres pour lesjardiniers,maissurtoutdelogementspourlesgardesquiveillentsur la sécurité extérieure du palais. Or les murs de ces petitsbâtiments étaient rongés. Il fut décidé de les raser pour lesreconstruire, avec l’accord et l’appui de Catherine Tasca,ministre de la Culture de Lionel Jospin. Leurs vitres sontblindées, ils disposent de chambres individuelles, et sontidentiquesàl’original.

Chaque année, ces jardins étaient labourés par une sorted’orage, le jour de la garden-party du 14 Juillet, tradition dupalaisdel’Élysée,puisquelapremièreeutlieuàlademandedela marquise de Pompadour ! La tradition fut entretenue parNapoléonIII,puisparlesprésidentsdelaRépublique.Quatreàcinqmilleinvitésenvahissaientlespelousesetlasalledesfêtes,seprécipitaient sur les buffets préparéspar degrands traiteursdansunevastekermesseaniméepar lesmusiciensdelaGarde.Lespluschanceuxpouvaientyapercevoir,cernéparsesgardesducorps,leprésidentdelaRépublique.

François Mitterrand et Jacques Chirac saisirent cetteoccasion pour donner un entretien à la télévision, lequel étaitorganisésoitdansunsalonsoitdansunpetitjardinattenantàlaruedel’Élysée,àl’abridelafoule.NicolasSarkozyamisfinàcette coutume,d’abord à l’entretien télévisé, puis à lagarden-partyelle-même,tropcoûteuseencestempsd’austérité.

Les jardiniers formentunpersonnel très compétent, souventoriginaire des Parcs et Jardins de la Ville de Paris ou duministère de la Culture. Il existe, comme pour les arbres,beaucoup de variétés de fleurs et de plantes fleuries selon lessaisons. On y voit au mois de juin des altéas mauves, desglycines couvertes de fleurs. C’est un grand paysagiste dejardins, Louis Bénech, qui a redessiné les jardins sous les

Chirac. Il a élargi les plates-bandes afin de pouvoir planterbeaucoup de variétés différentes de rosiers, ainsi que despelouses, ne laissant à l’allée gravillonnée que l’espacenécessairepourlacirculationdesvoituresquiviennentchercherleshôtesétrangerslorsdesdînersd’État.

*

LavisitesepoursuitparlesalondesAidesdecamp,oùl’onremarque,ausol, lesouvenirdeNapoléonIeretceluideLouisXVIII.LetapisesteneffetunfragmentrescapédesTuileriesoùilmeublaitlasalledutrône.Ilaconservésesabeillesimpériales,maisl’aiglefigurantenmédaillonaétéremplacéeparlesfleursdelysetlechiffredeLouisXVIII;l’Histoireaainsiréunicôteàcôte l’empire et la monarchie restaurée… C’est entre deuxboiseries de ce salon que se camouflaient des installations detransmission codées qui servirent jusqu’à l’arrivée de ValéryGiscardd’Estaing,quandlePCJupitern’existaitpasencore6.

Et voici le salon Murat, grand salon de réception,spectaculaire par ses lustres, ses colonnes corinthiennes, sespilastres à chapiteau… Nous sommes chez « son altesseimpérialemonseigneurleprinceJoachim,grandducdeClèvesetde Berg », maréchal d’empire, beau-frère de l’empereur. À sademande,CarleVernetpeignitdeuxtoilesquiimmortalisentsesfaitsd’armes,lepassageduTibreparlaGrandeArméedurantlacampagne d’Italie, la vue du château de Benrath, proche duRhin, en 1806, où il siégea au sommet de sa gloire. Entre lesdeuxportes-fenêtresdonnant sur leparc,unepeinture rappellelacolonnedelaGrandeArméeetlesouvenirdel’empereur.

Murat avait aussi commandé une console Empire d’unefactureexceptionnelle,décoréepardespanneauxdeporcelaine

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Bienquefortendetté,celui-cicompritqu’ilavaittoutàgagneràsefaireapprécieràlacourenconstruisantunhôteldeprestigeàParis.

Lachanceveutque lechantierde l’hôtel fût lancéen1718,quand la banque Law était au faîte de son rayonnement. Lecomted’Évreuxencommanda lesplansà l’architecteArmand-Claude Mollet, de l’Académie royale d’architecture, bientôtcontrôleurgénéraldesbâtimentsdeSaMajesté.Onnepouvaitmieux choisir. Sur un terrain de quelque douze mille mètrescarrésdanslagrand-rueduFaubourg-Saint-Honoré,il traçalesplans d’une demeure d’apparat donnant sur des jardins à lafrançaise,avecdeuxailesdecommuns,lesunspourlescuisines,les autres pour les écuries. Le tout fut jugé par lescontemporainsd’unacadémismeparfait.

Legrosœuvrefutterminéen1720;enjanvierdecetteannée-là, John Law était parvenu au sommet de sa carrière, en étantnommécontrôleurgénéraldesfinancesduroyaume,enquelquesorte ministre des Finances, avant de devoir partir, ruiné, aumois de novembre, sous les cris de colère de milliersd’épargnantsescroqués.Mais l’hôteld’Évreux, lui,étaitsauvé.Restait toutefois à achever le principal, c’est-à-dire lesapparences, le décor, la finition des murs, les tentures, leslambris, les boiseries, même si ces « ornements, dorures etdécorations»marquaientdéjàla«magnificenceenrapportaveclerangetladignité»dupropriétairedeslieux1.Restaitaussiàlemeubler et à l’habiller avec peintures et tapisseries. Évreuxaccrochaauxmurslesportraitsdesgloiresfamiliales,ceuxdesgrands de son temps, de Jean Sobieski, roi de Pologne, deCharlesXII, roideSuède,du tsarPierre leGrand,etpuis ilyajoutalesbataillesdumaréchaldeTurenneausiècleprécédent,etquelquessouvenirsdeguerre.Ilaccrochaégalementdestoiles

représentantlesFablesdeLaFontaineainsiquedestapisseriesdesGobelinsrappelantVénusetl’Amour…

Ledécorfutachevéen1722.LesannéesfollesdelaRégenceavaientpris fin.La chronique rapporteque le comted’Évreux,quiavaitconservésonhôtelfamilialplaceVendôme,invitaalorssonépouseàdécouvrir lepalais construitpour elle.Ce futunmomentde rêve,maisunmomentseulement. Ilyavaitbienaurez-de-chaussée un somptueux appartement « considérable parsonétendue»etsusceptibled’accueillir«uneprincessedesangroyal », mais pas de chambres leur permettant d’y demeurer.Devant une telle déception, qui n’était que le témoignagemanifeste d’un mariage raté, la jeune femme s’effondra enlarmes;leménageseséparapeuaprès,Marie-Anneretournant,humiliée, vivre chez son père, son mari, resté seul, se fitaménagerunappartementavecsalledebainsdemarbreblancetbaignoiresdecuivre.Sa femmemouruten1729,sans luiavoirdonné d’enfant. Il lui survécut vingt-quatre ans dans cettemaison. Personne, jamais, n’y demeurerait plus longtemps quelui.

Le comte d’Évreux s’éteignit le 20 janvier 1753. Son corpsfut placé dans un cercueil de plomb.Les obsèques eurent lieules jours suivants en l’église de la Madeleine de la Villel’Évêque, paroisse de l’hôtel d’Évreux. Il avait donné lesinstructionsnécessaires:leconvoiquittasarésidencedelarueduFaubourg-Saint-Honorésuivipardixprêtresetcentfigurantstout de noir vêtus, payés pour l’occasion 3 livres chacun.Commeiln’avaitpasd’héritierdirect, lepetit-neveufitdresserl’inventaireetmitl’hôtelenventeaprèsunenouvelleexpertise.

QuandlamarquisedePompadourvintlevisiter,le1erjuilletsuivant, le bâtiment se trouvait exactement dans l’état de saconstruction. Mais trente ans avaient passé. Si l’entretien

laissait à désirer, le cadre n’avait pas changé.Ni la dimensiondespièces,nileurharmonie.L’ensembleconservaitsonéléganceintacte. L’appartement du premier étage n’était pas terminé ?Belleaffaire !Elle l’achèverait.Elleavaitdéjà toutes les idéesen tête d’une nouvelle distribution, ici les réceptions, là lessalonset leschambres, ailleurs lescabinets.Elle savait tout lepartiqu’ellepouvaitentirer.

–Monsieur,jel’achète,dit-elle,aprèsenavoirfaitletour,eten attendant la signature, pour ne pas perdre de temps, je leloue!

ElleavaitquittéParishuitansplustôt,enpleinegloire.

*

NéeJeanne-AntoinettePoisson,le29décembre17212,ruedeCléryàParis,baptiséeà l’égliseSaint-Eustache,ellesuivitsesparents rue Réaumur puis rue Saint-Marc. Ses racinesplongeaient dans ce quartier, le carré d’or de l’époque, où labourgeoisie argentée avait trouvé ses marques. Ses parentsn’étaientguèredifférentsdesCrozat : fortunerécente,mélangedegrandcommerceetdefinance;toutcemondeseconnaissait.Onrencontraitchezeuxfermiersgénérauxetcréanciersduroi.

EdmondetJulesdeGoncourtontmerveilleusementcampéleportraitdecettebourgeoisiequi,derègneenrègne,n’acessédegrandir:«Qu’estlanoblesseavecsesbiens,lesterresetl’épée,avecseshonneursetsesprivilèges,auprèsdecegrandpartidelafinancequialesolidedelapuissance,quitientl’argentdelasociétéetl’argentdel’État,quimariesesfillesauxplusgrandsnoms et qui, dans le métier même de la noblesse à la guerre,commandeauxplansdesgénéraux?Cetiersétatdesfermesetdes recettes est véritablement au cœur de la monarchie une

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française défaite à Rossbach, et la marquise dicte sontestament…

Ilest6heuresdusoiràVersailles,le5janvier,quandleroiquitte les appartements des gardes pour prendre la voiture quidoit le conduire à Trianon. Entouré par le dauphin, le duc deRichelieuetleducd’Ayen,ilestprotégéparunehaiedegardesducorps.Mais,del’ombre,surgitunhommequisejettesurluiet le frappe violemment. « Je suis blessé », dit le roi quis’effondre.«Leroiestblessé!»s’exclamentlesministres.Puis,commeilperdbeaucoupdesang,ilsouffle:«Jen’enreviendraipas…»Unchirurgienseprécipite,examinelablessure,rassureleroietl’entourage:lablessuren’estpasprofonde.«Ellel’estplusquevousnecroyez,répliqueleroi,ellevajusqu’aucœur.»Lefanatiquequil’apoignardé,Damiens,n’estpasl’instrumentd’uncomplot,maisilressembleàunsignedudestin:leroineserapluslemêmehomme.L’opinionpubliqueesttroublée.

Lamarquise,aussitôtinformée,maisquin’estpasautoriséeàvoir le roi, est au désespoir. Pour elle, c’est la fin. « Sonappartement, raconteMmeduHausset, était commeune égliseoùtoutlemondecroyaitavoirledroitd’entrer.Onvenaitvoirlamine qu’elle faisait – et madame ne faisait que pleurer ets’évanouir.LedocteurQuesnaynelaquittaitpas…»

Le lendemain, le garde des Sceaux,Machault d’Arnouville,vientlavoir,s’enfermeavecelleunedemi-heure.Àsasortie,safemmedechambrelatrouveunefoisdeplusenlarmes.

–Cettefois,ilfautquejem’enaille,dit-elleàBernis.«Jeluifisprendredel’eaudefleurd’orangedansungobelet

d’argent, rapporte Mme du Hausset, ses dents claquaient.Ensuite, elle me dit d’appeler son écuyer ; il entra et elle luidonnatranquillementsesordres:

–FaitestoutprépareràmonhôteldeParis.Ditesànosgensd’êtreprêtsàpartir,àmescochersdenepass’écarter…»

Son amie Mme de Mirepoix, femme du gouverneur duLanguedoc,entreàsontour:

–Qu’est-cedoncquetoutescesmalles?Vosgensmedisentquevouspartez?

–Hélas,machèreamie,lemaîtreleveut,àcequem’aditM.deMachault…

–Maisqu’enpense-t-illui-même?–Quejedoispartirsansdifférer!– Voulez-vous mon avis ? Il vous trahit, votre garde des

Sceaux:celuiquiquittelapartielaperd!MmedePompadourselaisseconvaincreparsonfrère:«On

va faire comme si on partait, tout en ne partant pas.Quant aupetitgardedesSceaux,illepaiera!»

Ainsi l’hôtel de Paris a bien joué son rôle : il était prêt àservirdemaisondesecours,derefuge,sileschosesavaientmaltourné.Certes,letraîtreMachaultestrenvoyéparleroiquiestrevenu voir sa confidente, mais le limogeage du garde desSceaux fait les affaires d’un autre ennemi, d’Argenson, qui sedresse à son tour. Cette fois, Mme de Pompadour veut uneexplicationenfaceàfaceavecluietlacolèremonte:

–Monsieur,dit-elle,ilyalongtempsquejeconnaissaisvosdispositions pourmoi. J’ignore comment tout ceci finira,maiscequ’ilyadecertain,c’estqu’ilfaudraquevousoumoi,nousnousenallions.

Ce sera lui. Le 31 janvier 1757, le roi signe une lettre decachetqu’ilfaitporteràsonministre:«Monsieurd’Argenson,votreservicenem’étantplusnécessaire,jevousordonnedemeremettre la démission de votre charge de secrétaire d’État à laGuerre et devos autres emplois et devous retirer àvotre terredesOrmes.»

Les deux adversaires écartés, l’autorité rendue au roi,Mmede Pompadour peut-elle enfin respirer ? Le second coup de

poignard lui vient de l’étranger. L’année précédente, en 1756,elle a beaucoup poussé au renversement des alliances, àabandonner les Prussiens de Frédéric pour rallier lesAutrichiens de Marie-Thérèse. Cette année, les Prussiens sevengent, lesvoilàqui, avec lesAnglais, rouvrent leshostilités.Les armées françaises pénètrent sur le champ de bataille endéfaisant leurs ennemis. Mais les Prussiens se ressaisissent,poursuivent les Français et les battent sévèrementle 7 novembre 1757 àRossbach.Lemaréchal de Soubise, quiétaitàleurtête,perddixmillehommesettoussesofficiers.Undésastre. On en fera une méchante chanson qui traversera lessiècles:«Soubisedit,lalanterneàlamain:j’aibeauchercher,oùdiableestmonarmée?»MaisSoubiseaéténomméàlatêtedes armées sur l’insistance de la marquise, laquelle estaccablée : « Il vautmieux vousmêler des affaires de fermiersgénéraux,luidit-on,quedegénérauxd’armées!»

Déprimée etmalade, elle rédige en secret son testament dixjours plus tard, le 17 novembre, faisant de Soubise sonexécuteur testamentaire.Testamentdans lequel elle écrit : « Jesupplieleroid’accepterledonquejeluifaisdemonhôteldeParis, étant susceptible de faire le palais d’un de ses petits-enfants…»Le30mars1761,elleajoute,enmarge,desamain:«JedésirequecesoitàMgrlecomtedeProvence.»

Unàun,elleperdaussisesamis:sonfidèleLazareDuvauxs’éteintaumoisdenovembre1758,l’abbédeBernisdoitquitterses fonctions et s’éloigner en devenant cardinal ; il reste lecomtedeStainville,ducdeChoiseul.Détailpiquant,celui-ciaépousé en 1750 une demoiselle Crozat, comme le marquis deGontaut lui-même, et comme, cinquante ans plus tôt, le comted’Évreuxquiavaitpubâtir l’Élyséegrâceà la fortunedecettefamille éclairée. Décidément, les Crozat savaient marier leursfilles!

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delui,l’embrasse,leserrecontresapoitrine,passeledoigtsurlepoignard:

–VoilàdequoiarrêterMurat,dit-elle,sijamaisilfrappeàlaporte!

Puis on bascule du romantique au tragi-comique : Junotassiste,impassible,àunegrandecrisededépitdeCaroline:

–Vousnevousattendiezpasàcequej’aielecouragedevousvoircettenuit!Vousêtesretournéàvotrefemme,cetteimbéciletoujoursgrossed’unenfant!Apprenezquejenevousaijamaisaimé ! J’avais seulement besoin de vous !Mais siMurat nousentendait(ellecrie),jevoudraisqu’ilvoustueavantquevousnefuyiez!Comediante, tragediante, cris et fureurs… La maîtresse

abandonnéefinitparseroulerauxpiedsdesonamantdansundernieraccèsdefièvre,amoureuse, tandisqueMuratdortdanssachambreaupremierétageetn’entendrien.

Maisdequitient-oncerécit?DeJunot,pasdeCaroline.Desbobards sans doute mais si amusants, rapportés par la jeuneLaurettedanssonjournalintime;onimaginesanspeinequ’ellecherche à déconsidérer sa rivale, à la faire passer pour uneenvieuseemportéeparsesdéliressentimentaux.

C’est finalement l’empereurchefdefamillequi,unefoisdeplus,faittomberlerideausurcesintriguesdeboulevard.AprèsavoiréloignéJunot,ildemandeàsasœurdesecalmer(mêmesil’onévoqueuneliaisonentreelleetMetternich),derentrerdansle rang et de faire oublier tout cela par une grande fête àl’Élysée. Ce sera à l’occasion du mariage de Jérôme, le plusjeunedesfrèresBonaparte.

Celui-civienteneffetd’épouser,àvingt-deuxans,le23août1807,danslachapelledesTuileries,CatherinedeWurtemberg,filledeFrédéric, grandélecteur et futur roi de l’État dont elleportelenom.Ellealesyeuxbleus,lestraitsfinsetlatailleun

peularge.Maisilnes’agitpasdecela:cettealliancepolitiqueestunealliancedeprestigepour laquelleJérômeadûsacrifiersonpremiermariageavecuneAméricaine,ElizabethPatterson,épouséequandilavaitdix-neufans.

Legrand-ducet lagrande-duchessedeBerg reçoiventdonc,le dimanche 20 septembre 1807, chez eux, pour célébrer cetteunion;leséchosdécrirontuneréceptionsuperbe.«Lessalonset lesvestibulesoùunpeupledelaquaisfaisait lahaie,étaientgarnisd’arbustesetdefleursvenusdeMalmaisonetdeNeuillyqui se reflétaient dans les glaces entourées de verdure et demousse.L’orchestreétait celuide l’Académiedemusiquedontlesdanseursexécutèrentunballetsurlapelouse.UnvaudevilledecirconstancefutdonnéparChazet.Lejardinétaitilluminéenlampionsdecouleur6…»

Les décorateurs du palais ontmême imaginé demeubler lejardin avec un villageminiature de Souabe où la jeunemariéepeut reconnaître sa maison, ses vaches, sa biche, et lire cettelégendeimpriméeavecsesarmes:Allmächtig istdieLiebe,zudir, ô Vaterland7 ! Elle est émerveillée, comme le sont lesambassadeurs,lesdignitairesdelacouretlesgénéraux,conviésavecleursépousesdanslestenueslesplusélégantes;onleurapréparé un service somptueux présenté sur vingt-cinq tablesdisposéesdanslesgrandssalons.Placesassisespourlesdames,buffet debout pour les messieurs. On a réuni là, selon lesgazettesdulendemain,«toutcequelaFranceadeplusauguste,toutcequelesartsontdeplusmagnifique»…

Enquelquesmois, lesMuratont transformécepalais et luiontrenduunéclatquedesannéesdevicissitudesetdedésordresluiavaientfaitperdre.

À la mort de la marquise de Pompadour, le palais étaitdevenu,selonlesvolontésdelafavorite,propriétéduroi.Mais

au terme d’une dizaine d’années, ne sachant qu’en faire, letrouvant trop coûteux à entretenir, le roi l’avait cédé,le 2 octobre 1773, à son banquier,NicolasBeaujon, qui avaitfait fortune dans le commerce des grains àBordeaux avant deveniràParisetd’yépouserlafilleduvaletdechambreduroi.Néen1718,l’annéemêmeoùlecomted’Évreuxfitentreprendrelaconstructiondecethôtel,Beaujonavaitdonccinquante-cinqans quand il en devint propriétaire ; il appela son architecte,Étienne-LouisBoullée,etluiconfiacebâtimentqu’ilvenaitdepayerunmilliondelivres.

L’architecte reprit le vestibule, déplaça des cloisons et lescuisines, créades bibliothèquesdans l’aile est qu’il prolongeaparunboudoir,unesalleàmangeretunesalledebillarddanslecorpscentralet il réaménagea l’aileouest ; surtout, il renforçal’éclairage avec des lustres et des candélabres, multiplia lesglaces,refitlesboiseries,fitvenirdestapisseriesetdumobilierdeprix,cartoutcequiexistaitdutempsdeMmedePompadouravaitétédisperséenventepubliqueparsonfrère,lemarquisdeMarigny.MmeVigée-Lebrun,appeléeàvenirbrosserleportraitdu nouveau propriétaire, fut éblouie et tentée, a-t-elle raconté,par labaignoiredesasalledebainstantelleétaitsomptueuse,avecsamousselineàpetitsbouquets,doubléederose.

Beaujonétaitplutôtlaid,perclusderhumatismes,affectépardesmaladiesdelacirculationquiluiimposaientuntristerégimealimentaire de légumes bouillis. Comme il avait beaucoupd’argent, il invitait souvent à sa table quelques femmes dumonde, histoire de se faire raconter les potins de la ville ; enmême temps, il accueillait dans ses appartements du premierétagedeuxjoliesfemmesavecleursmaris,MmedeLysetMmede Cangé, l’époux de la première étant auteur dramatique,l’autrefonctionnaire.Ellesavaientsibienprisleurrôleàcœur

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le 20 février 1808, il est nommé lieutenant de l’empereur enEspagne, avec ordre de départ immédiat. La tragique aventureespagnole commence. Il va commander la charge de cavalerieréprimantlarévoltedesMadrilènes,leterribleDosdeMayodeGoya.Puis ilquitte l’EspagnepourNaples,avec le titrederoitantespéréquiluiestdécernéparNapoléonle15juillet.Cettenomination le couvre d’honneurs, mais les contreparties sontmoinsglorieuses:ildoiteneffetabandonnersespropriétésdeFrance,avecleurmobilier…L’ÉlyséerevientàNapoléon.

Le 10 septembre 1808, le procès-verbal de la prise depossession du palais au nom de l’empereur est établi parl’inspecteurdelacomptabilitéduMobilieretdesBâtimentsdelacouronne,enprésencedel’architectedesPalaisimpériauxetdusecrétairedelaprincesseCarolinedevenuereinedeNaplesetdesDeux-Siciles.

Le matin du jeudi 27 octobre, Napoléon retourne dans cetÉlyséequesasœuraquittépourlevisiterdefondencomble.Ilen fera, dit-il, sa «maison de santé ». En rentrant àmidi auxTuileriesoùl’attendunedélégationparlementaire,ilpeutsedirequ’ilabientournélapagedesBourbons.

1-LaureJunot,duchessed’Abrantès,Mémoires,tome11,Paris,Ladvocat,1831.

2-Duchessed’Abrantès,Mémoires,tome9,op.cit.

3-JeanTulard,NouvelleBibliographiecritiquedesmémoiressurl’époquenapoléonienne,Genève,Droz,1991.

4-MémoiresdelareineHortense,Paris,Plon,1927.

5-Duchessed’Abrantès,Mémoires,op.cit.

6-C.Leroux-Cesbron,LePalaisdel’Élysée,Paris,Perrin,1925.

7-Toutpuissantestmonamour,ômapatrie!

8-LeMémoiredeFranzAntonMesmeraétépubliéàParisen1779.

9-ClaudePasteur,L’Élysée,desoriginesànosjours,Paris,Tallandier,1995.

10-Lecontratdemariage,signéle30nivôseanVIII(20janvier1800),stipulequ’«iln’yaaucunecommunautédebiensentrelesfutursépouxqui,àceteffet,dérogentàtouteslesloisetusagesétablissantlacommunauté».(BibliothèqueThiers,carton57,pièce151.)

11-Duchessed’Abrantès,Mémoires,tome8,op.cit,1831.

12-StevenEnglund,Napoléon,Paris,Fallois,2004.

13-JeanTulard,Murat,Paris,Fayard,1999.

14-Chateaubriand,Mémoiresd’outre-tombe,Paris,Flammarion,1982.

15-MauriceSchumann,Quiatuéleducd’Enghien,Paris,Perrin,1983.

16-AnatoleFrance.

17-CitéparClaudePasteur,L’Élysée,op.cit.

18-StevenEnglund,Napoléon,op.cit.

19- Livré en 1725, l’hôtel avait appartenu à la famille deCharost jusqu’à laRévolution ; il futmis aux enchèresen1795.Devenu«palaisBorghèse»,venduparPaulineen1814,ildevintl’ambassadedeGrande-Bretagne.

20-BibliothèqueThiers,archivesMurat.

3Élysée,1814-1815L’hôteldutsar

LesCosaquesetlesTartares,lespillardsetlesbarbares,sontentrésdansParisauxpremièresheuresdujour.Pardizainesdemilliers, lesRussessesontengouffrésdans lavilleenarrivantparPantin.IlsdescendentlefaubourgSaint-Martin,débouchentsur les grands boulevards. Un mouvement formidable, unelourde cavalcade de chevaux au son des tambours et destrompettes,précédéepar lesmonarques,desmilliersd’officiersretenant un fleuve de fantassins en uniformes de toutes lescouleurs qui se répand devant des maisons vides, des voletsfermés, dans une ville terrifiée qui n’en croit pas ses yeux.Étrangejeudimatin,parcetempsmagnifique.

À pied ou à cheval, ses hommes portent au bras gauche unlargebrassardblanc.Pasunnesortdesrangs.Etàmesurequ’ilsavancent,ceuxquilesregardent,del’embrasuredesportesetducoin des fenêtres, constatent qu’ils ne tirent pas, qu’ils nepillentpas,qu’ilsneviolentpas.L’empereur,leroietleprincesaluent,ensouriant.Alors,peuàpeu,lavilletransiedepeuretde crainte, peut-être honteuse d’avoir ainsi laissé passerl’ennemisansrésistance,sortdesesruelles,desesimpasses,de

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plus qu’on ne pense communément13. » Louise de Prusse, labelle reine Louise, qui faisait toute l’admiration du tsar, dînamêmechezNapoléon,le6juillet,encompagniedesdeuxautressouverains.L’empereurenparlaittouslesjours,ladisant«fortaimable»,« réellementcharmante»,«pleinedecoquetterie».Maisderrièrelespectacleetlefaste,chaquecampétaitanimédeméfianceetdedissimulationàl’égarddel’autre.

Les deux empereurs se revirent donc de nouveau, l’annéesuivanteàErfurt,àlafindumoisdeseptembre.NapoléondiraàMetternich:«Onnesauraitavoirplusd’espritquel’empereurAlexandre ;mais je trouve que, dans son caractère, ilmanqueunepièce,mais jene sauraisdeviner laquelle. »Alexandre estun sentimental, influençable. Talleyrand, que l’empereur avaitenvoyéàl’avanceàErfurtpourpréparerlarencontre,devinalapièce quimanquait au caractère du tsar. Ilmultiplia les tête-à-tête et parvint à le convaincredu rôlequ’il pouvait jouerpour«lapaixdel’Europe»enflattantsonorgueil.

–Sire,luidit-il,c’estàvousdesauverl’Europeetvousn’yparviendrezqu’entenanttêteàNapoléon.Lepeuplefrançaisestcivilisé,sonsouverainnel’estpas;lesouveraindelaRussieestcivilisé,sonpeuplene l’estpas.C’estdoncausouverainde laRussied’êtrel’alliédupeuplefrançais.

Six ans plus tard, dans le salon désert de leur entretien deTroyes, le17mars1814, lebarondeVitrollesneditpasautrechose au tsar. Il lui répète lesmots deTalleyrand.Mais entre-temps, l’irréparable a été commis ; Napoléon est entré enRussie.«Ceseraluioumoi,Napoléonoumoi!»s’estexclaméAlexandre.

Avant de s’engager àmarcher sur Paris, il reste un point àsoulever.Celuidel’autoritéquipeutgarantirquetoutsepasseradansl’ordreaumomentdel’arrivéedesalliés.Nesselrodepose

laquestionàl’envoyéspécialdescomploteurs:quiexerceralepouvoir?FouchéouTalleyrand?

–Talleyrand,répondVitrolles,commeprévu.Lesdésroulentsurletapisdel’Histoire.Le24mars, tandisqueVitrolles rejoint le comted’Artois à

Nancy, les alliés, informés des intentions de Napoléon quichercheàlescouperdeleursarrières,décidentdepresserlepas.Le28,ilssontàMeaux.LemêmejourseréunitauxTuileriesunConseil de régence extraordinaire. Les chances d’unretournement de la situation sont épuisées.Conformément auxordres de l’empereur, son frère Joseph Bonaparte organise ledépart : le gouvernement doit prendre sous sa garde Marie-Louise et le petit roi deRome et se diriger versBlois. TandisqueSavarybrûlesespapiers,Talleyrandreçoit,commelesautresdignitaires du régime, consigne de partir. « Haute prévoyance,grande habileté », comme toujours, Talleyrand boucle sesmalles, faitmine de quitter son hôtel, se fait interpeller à uneporte de Paris, et comme ses papiers ne sont pas en règle, laGardelefaitrentrerchezlui.Bienjoué,ilreste.

Lemardisoir29mars,letsar,leprincedeSchwartzenbergetle roi Frédéric-Guillaume de Prusse s’arrêtent, sur la route deMeaux à Paris, au château de Bondy – un bâtiment de deuxétages achevé au début du siècle précédent – où les deuxsouverainsetleprinceautrichienoccupentlestroischambresdupremier étage. C’est là que se déroulent le lendemain lesnégociations préparant la reddition de Paris, en présence desmaréchaux Marmont et Mortier, tandis que, pour sauverl’honneur, la bataille se poursuit aux portes de la capitale. Lecanon tonne. « Dans les palais ou sur les ruines, l’EuropecoucheracesoiràParis»,prévientletsar.

Lanuitmême,ilestinformédelaconclusiondespourparlersavec la délégation venue de la capitale : « Sire, voici la

capitulationdeParis…»«JeprendsParissousmaprotection»,dit Alexandre, avant de franchir quelques heures plus tard lafameuse barrière de Pantin. Paris n’avait pas vu de troupesétrangères fouler son pavé depuis quatre siècles, depuis le roiCharlesVII.

*

LetsaranommécommandantdeParisunofficierfrançaisdeson état-major, le général comte de Rochechouart, né dans lacapitale en 1788, un an avant la Révolution. Un Parisien quiconnaît Paris. Il l’a placé sous l’autorité du gouverneur, legénéralbarondeSacken,quidistribuelesconsignes:

– Vous prenez le commandement des trois bataillons desgardes russes. Vous irez à l’Hôtel de Ville dont vous prenezpossessionaunomdel’empereurdeRussie.Vousylaissezdeuxbataillons.Puis,avecletroisième,vousvousrendezaupalaisdel’Élysée,quidevrarecevoirl’empereurAlexandre,sasuiteetsachancellerie. Vous vous entendrez ensuite avec le préfet depolice et la municipalité pour préparer des logements, desrationsdevivres etde fourrages, ainsiquedesplacesdans leshôpitauxpournosblessésetnosmalades.Etvousmechoisirezun logement convenable assez rapproché de l’Élysée et vousviendrezmel’indiquer.Allez:prudenceetrésolution14.

À la suitedustratagèmedeTalleyrand,commeon l’avu, letsarn’irapasàl’Élysée,ilylaissesonétat-major,enattendantquelasécuritésoittoutàfaitassurée.IlestdoncprovisoirementinstallérueSaint-Florentin.Alexandreconvieàuneconférenceceux avec qui il est arrivé lematin et ceuxqu’il a trouvés surplace auprès de Talleyrand : le roi de Prusse, le prince deSchwartzenberg, le comte de Nesselrode, le général Pozzo di

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4ÉlyséeNapoléon,1815

Lesquatrejoursdel’empereur

Neufjoursd’absence,troisjoursdebataille,etledrame.Lemercredi 21 juin 1815, la cour d’honneur de l’Élysée paraîtoccupée par un camp militaire. Chevaux, voitures, soldats,caissonsetfaisceauxd’armes;deshommesvontetviennent,lestenues couvertes de poussière et de boue séchée, on dirait dessomnambules.À8heuresdumatin,unroulementd’attelagessefaitentendresurlepavédufaubourgSaint-Honoré:unconvoide berlines se dirige vers le palais. La première, de couleurbrune, pénètre dans la cour, traverse le désordre et s’arrêtedevantleperron.

Caulaincourt, le fidèle, le dévoué, à quiNapoléon a intimél’ordrederesteràParisdurantsonabsencepourêtresûrd’avoirsur place un ministre de confiance, l’attend depuis un bonmoment. Il a étéprévenude l’arrivéede l’empereurparMaret,duc de Bassano, qui l’a quitté la veille au relais de poste deLaon et l’a précédé à Paris, porteur de la terrible nouvelle.Joseph,lieutenantgénéraldel’Empire,alui-mêmereçulemêmejour une lettre dans laquelle son frère l’empereur lui donneinstruction de convoquer le Conseil des ministres pour ce

mercredià10heures.Lesunsetlesautresviennentd’apprendrequeledrameapournom«Waterloo».

Le généralDrouot, le gouverneur de l’île d’Elbe, ancien deWagrametdelaMoskova,estlepremieràdescendredevoiture.Quelques jours plus tôt, le dimanche 18 juin, il commandaitencore la garde impériale à Waterloo. Il ouvre la porte àl’empereur. L’homme qui apparaît n’est plus que le spectre deNapoléon, il a le regardabsentet le teint jaune.Unaigledontles ailes seraient brisées et repliées sur la redingote grise decampagne.Caulaincourts’élanceversluipourleprendreparlebras.

–Ah!Caulaincourt…soufflel’empereur.Le compagnon des jours de gloire et des jours de détresse

l’entraîne jusqu’à son cabinet de travail, ce salon qu’il avaitquittéauxpremièresheuresdulundi12juinpourpartirverslabataille duNord.Napoléon désigne laméridienne couverte desoieverteets’affale,lestraitstirés,levisagehagard,épuiséparcettenuitderoutequisuivaittroisnuitssanssommeil.Unecrisede cystite et de méchantes douleurs à l’estomac ajoutent à lafatigue.

– Eh bien, Caulaincourt, voilà un grand événement ! Unebatailleperdue !Lanationva-t-elle le supporter, lesChambresvont-ellesmeseconder?

LeministredesAffairesétrangèresestaccablé.–Tout lematérielestperdu,poursuit l’empereurd’unevoix

essoufflée. C’est le pire. Et pourtant, l’affaire était gagnée.L’arméeavaitfaitdesprodiges.L’ennemiétaitbattusurtouslesfronts.Iln’yaquelesAnglaisquitenaientaucentre.Etpuis,àla fin du jour, l’armée a été prise de panique ! Pourquoi ?Inexplicable!

Quatrejoursavantlabataillefinale,ilétaitpourtantsisûrdelui.«Jeconnaismonmétier,confiait-il, jevais lefaire…»Le

14juin,iladressaituneproclamationàsessoldatsquirappelaitles temps glorieux : « C’est aujourd’hui l’anniversaire deMarengo et de Friedland, qui décida deux fois du destin del’Europe, leur disait-il. Soldats, à Iéna, contre ces mêmesPrussiens,aujourd’huisiarrogants,vousétiezàuncontretrois;à Montmirail, un contre six ! Les insensés ! Avec de laconstance, lavictoireestànous…Pour toutFrançaisquiaducœur,lemomentestarrivédevaincreoudepérir!»

Entredeuxquintesdetoux,ils’exclameencore:–Neys’estconduitcommeunfou!Ilsontfaitmassacrerma

cavalerie au moment où j’en avais le plus besoin… Maisj’étouffe!Qu’onmedonneunbain!J’aibesoindedeuxheuresderepos!

Tandisquel’onpréparesonbainetundéjeuner,iltentedesereprendre:

–Que dit-on à Paris, Caulaincourt ? Et les Chambres ? Jevaislesréunir,jevaisleurparler…Toutn’estpasperdu!Jeleurpeindrailesmalheursdel’armée;jeleurdemanderailesmoyensdesauverlapatrie…Jetrouveraideshommesetdesfusils,toutpeutseréparer…

Caulaincourtvoudraitlecroire.Napoléonselève,sortdesonbureau, traverse les antichambres, quitte ses vêtements pourentrerdanssabaignoire,danscettesalledebainsaménagéeparCaroline etqu’il n’apas touchée.L’eau très chaude ledétend.OnluiannonceDavout.«Qu’ilentre!»Envoyantarriversonministre, il lève les bras au ciel et puis, d’un mouvementbrusque,lesfaitretomberdansl’eau,éclaboussantlevisiteur:

–Ehbien!Davout,ehbien!Maréchal d’Empire à trente-quatre ans, Davout en a

maintenant quarante-cinq, un an demoins que l’empereur quiavaitfaitdeluiuncommandantenchefdelagardeimpériale,ungouverneurdugrandduchédeVarsovie. Ils étaient ensemble à

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Maisc’estFouchéquiécritdéjàsuruncoindetableunenoteàl’undeseshommes,etNapoléons’interromptensetournantverslui:

–Oui,écrivezdoncàcesbonnesgensdesetenirtranquilles,ilsvontêtresatisfaits!

Revenant à Lucien, il commence à lui dicter son acted’abdication. Il estmidi et demi.Dehorsmontent les clameursde la foule : « Vive l’empereur ! » et aussi : « Abdication,trahison!»

Luciense redresse, regardeson frère, lui lanceun regarddefureur,repousselatable.«Restez!»luicommandeNapoléon,agacé,cen’estpluslemomentdesétatsd’âme,etilreprendsadictée:«…Jem’offreensacrificeàlahainedesennemisdelaFrance…Maviepolitiqueestterminée,etjeproclamemonfils,sousletitredeNapoléonII,empereurdesFrançais…»

On copie aussitôt le texte en un deuxième exemplaire :Napoléon charge Carnot de le lire à la Chambre des pairs etFouché de faire demême devant les députés. Unemanière demontrerauministredelaPolicequ’iln’ajamaisétédupedesesmanigances.

Ce n’est pas tout à fait fini. Il reste à sauver quelquesapparences. On annonce bientôt dans la cour de l’Élyséel’arrivée de deux délégations de parlementaires. Les deuxChambres ont en effet désigné chacune une délégation avecmandat de se présenter devant le souverain déchu pour luiexprimer leur« reconnaissance»pour son«patriotisme».Enréalité,ceshommesviennent,souslecouvertdecespalinodies,constaterquel’Aigleestbienàterre.

–Vousverserezbientôtdeslarmesdesang,leurditNapoléonavantdelesrenvoyerd’oùilsviennentetdes’enfermerdanssesappartements.

Dans les rues alentour, la foule continue de grossir et degronder contre la « trahison ». Hortense passe sa journée àl’Élysée,auprèsdesunsetdesautres.Ellesesouviendradecesmoments intenses :«Unpeupleentourait sanscesse le jardin,aussi avide de voir son souverain malheureux que d’autresétaient empressés de le fuir. Ses acclamations continuellesavaient quelque chose qui serrait le cœur. » C’est cette fouledont Fouché redoute la colère, parce qu’elle représentel’éventualité d’un mouvement séditieux qui va finalementprécipiterledépartdel’empereur.

Comment pourrait-il rester à l’Élysée tandis qu’ungouvernement provisoire s’installe aux Tuileries ? Levendredi 24 juin, Hortense prend son courage à deux mains,surprendNapoléon dans le salon d’Argent avec l’intention dedonner des conseils « à celui qui n’en avait jamais reçu depersonne».

– Sire, mettez-vous en sûreté, lui dit-elle ; après avoirénumérédiverseshypothèses,ledépartenAmérique,l’appelàlaprotectionde l’Autriche,ellesehasardeàajouter :L’empereurdeRussieestleseulàquivouspuissiezvousfier.Cefutvotreancien ami, il est loyal et généreux. Écrivez-lui, il y serasensible.

L’empereurdeRussie,Alexandre,toujourslui!Napoléonnerépond plus, si ce n’est par un : « Et vous, qu’allez-vousfaire?»

Le samedi 24, le toujours courageuxFouché envoieDavouten mission à l’Élysée afin d’y convaincre Napoléon des’éloignerdeParis.Sonfrèred’arme,sonministredelaGuerre,celuiqu’ilavait reçudansson intimité,danssonbain,vient levoirpourunedernièrehumiliation.

–Vous entendez ces cris,Davout ! lui ditNapoléon en luifaisantécouterlafouledesouvriersdesfaubourgs.Ehbien,sije

voulaismemettreàlatêtedecepeuple,j’enauraisbientôtfiniavectouscesgensquin’ontdecouragecontremoiqu’unefoisqu’ilsm’ontvusansdéfense!

Les deux hommes se quittent sur un terrible : « Allez,Davout…»

Napoléon sait bien que c’est fini. Il prend la maind’Hortense:«LaMalmaisonvousappartient;j’aimeraisyalleretvousmeferiezplaisird’yresteravecmoi.Jepartiraidemainde l’Élysée. Je ne désire pas occuper l’appartement del’impératrice.»

Dernièrenuitàl’Élysée.Toutelamaisonpréparesesmalles.Pour s’assurer sur place des préparatifs du départ, Fouchéappelle un homme aussi solide que Davout, Carnot. Celui-civient voir Napoléon le dimanche matin, 25 juin, et le trouve«occupéàbrûlerleslettres,mémoiresetpétitionsquipouvaientcompromettre leursauteurs4».« Il reçutCarnotavecamitiéet,sans discuter, sans récriminer, il l’assura qu’il partirait le jourmême…»Carnot lui suggèred’éviter lesAnglais etd’aller enAmérique.

L’heuredudépartestfixéeàmidi.Lafoulen’apasdiminué.Ellesemasse,aucontraire,rueduFaubourg-Saint-Honoré,poursaluersonempereur:«Nenousabandonnezpas!»Napoléonafaitpréparersavoitureofficielleàsixchevaux;ellevasortirparlagrandeporte,avecsesaidesdecampetsonescorte,sousunegrande clameur. Mais lui-même n’y est pas. Il a redoutél’émotion. Il choisit de passer par le salon d’Argent et detraverser le jardin afin de rejoindre la berline du généralBertrand.Ils’échappedansl’anonymat.Uneheureplustard, ilestàlaMalmaison.

Là,cen’estpasseulementHortensequil’accueille,maissessouvenirsquil’assaillentetluiserrentlagorge.Lesmeublesetles étoffes, les parfums et les roses, Joséphine est partout.

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bouche, rien n’est joli ; tout est charmant. » La comtesse deBoigne sera plus diserte : « Sa taille, quoique petite, étaitagréable ; ses bras, ses mains, son cou, ses épaules d’uneblancheuréclatanteetd’uneformegracieuse;sonteintbeauetsa tête ornée d’une forêt de cheveux blond cendré admirables.Tout cela était porté par les deux plus petits pieds qu’on pûtvoir.Lorsqu’elle s’amusait etque saphysionomie s’animait, ledéfaut de ses yeux [un léger strabisme] était peu sensible ; jel’auraisàpeineremarquésijen’enavaisétéprévenue4.»

Lemariagedoitêtrecélébrélelundi17juin,lendemaindelaFête-Dieu, àNotre-Dame-de-Paris.La cathédrale a été décoréeavec un faste qu’elle n’a plus connu depuis le sacre deNapoléon.Lechœur,drapédevioletetgarnid’oriflammes,estéclairé par une multitude de lumières, de girandoles, deguirlandesde fleurs,de lustresdecristal.Lacérémoniedébuteà11heuresetdemiepar la lenteprocessiondes invitésduroi.Arrivent en premier dans la nef les magistrats de la Cour decassation et ceux de la Cour des comptes ; suivent les douzemairesdeParis,lespairs,lesducs,lesmaréchaux,etlerestedelacour.

Àmidi et demi, le tambour batAux champs et le public, àl’extérieurcommeàl’intérieurdelacathédrale,ovationneleroi,marchantsousundais,enuniformebrodéd’or,précédéparsonfrère,«Monsieur»,sonneveu,leducd’Angoulêmeentenuedegrandamiral,leprincedeCondé,danscelledecolonelgénéraldel’infanteriefrançaise,etleducdeBerryenhabitdedrapd’oravecmanteau.Toute lavieillemonarchiedéfilesous lesvoûtesdel’antiquecathédrale.

Voici que se présente enfin la jeune et gracieuse princessequeleducdeBerryconduitàl’autel;elleportelesbijouxdelacouronne sur une robe de satin blanc recouverte de tulled’argent.Elleparaît très intimidéeet ivredebonheur.Lafoule

admire.Lemariageproprementditpeutcommencer : leducdeBerrydemande leurconsentementauroietàsonproprepère ;Marie-Carolinefaitdemême,s’adresseauroietaupèredesonmari. Puis chacun reprend sa place. On chante la messe enmusique,onsignelesregistresetlecortègesereforme.«Jamaiscérémonie plus pompeuse n’a été célébrée dans un plus belordre5 », écrit le journal du lendemain. Vingt-deux voitures àhuitchevauxprécèdentcelleduroi,douzeautreslasuivent.OnregagnelesTuileries.Toujourslafoule,detouscôtés.

La duchesse ne retourne pas au pavillon de Marsan ; onl’emmènefaireladécouvertedecetÉlyséequeleroiluidestine.La duchesse de Bourbon, la vieille Bathilde, mère du ducd’Enghien,quin’yestpasrevenuedepuisdix-neufans,adécidéde l’accompagner, curieuse de voir comment les lieux ont étérénovés.Sejoignentàellesladuchessed’Angoulême,ainsiqueladuchessedeReggio,épousedumaréchalOudinot,elleaussipasséedesfastesdel’Empireàceuxdelamonarchie;elleseraladamedecompagniedelajeuneduchesse,laquelleenagrandbesoin;onadéjàremarquéqu’elleignoraittoutdusavoir-vivreàlacour.

Aupremierétagedupalais,lachambrerefaitedeladuchessedeBerry est à dominante bleu tendre, les tentures comportantdesborduresbleuesàliseréblanc.Mais,encejourdemariage,cen’estpascettechambre-làquiretientl’attentiondelamariéeetdesasuite,c’estla«chambredeparade»durez-de-chausséequifutoccupéeparlamarquisedePompadour,lagrandepièceavec ses quatre colonnes en hémicycle, ouverte au rez-de-chausséesurlaterrasseetlejardin.L’ensembleaétérenouveléavecleplusgrandsoin:leblancdomine,celuidesrideauxdesfenêtresetdudécorde l’alcôve,àcôtédudamasbleuet jaunedesautresétoffes.«Chambredeparade»,ellen’ajamaismieux

porté son nom : c’est là, le soir même, que se déroulera lacérémonienuptiale.

Cen’estpasencorel’heure.Lesoleiln’estpascouchéquandestservilebanquetroyaloffertparleroiauthéâtredesTuileries–dansunesymphoniedelumièresetdemusique.Latableestàelle seule un spectacle : service de vermeil, plateaux ornés debouquetsimmensesetdetoutessortesdecompositionsflorales,piècesenargentmassif,alléedecandélabres…Lerois’assiedà21heures;leprotocoleplacesonfrèreàsadroite,suiviparleduc d’Angoulême, lamariée et la duchesse deBourbon ; à sagauche s’assoient la duchesse d’Angoulême, le marié, et laduchessed’Orléans.Les invitésdu roi se tiennentautourde latable.Le service dure une heure.À 22 heures,LouisXVIII selève et, malgré ses pauvres jambes qui le tiennent sidouloureusement, il salue les invités et se retire dans sesappartements en entraînant sa famille. Et puis ?Quand va-t-ilréapparaître?Ilnesefaitpasattendre.Unedemi-heuretoutauplus:ildemandesacalècheetdécide,tandisquel’ondanseauxTuileries,qu’ilest tempsd’accompagner lesépouxchezeux,àl’Élysée. Il reviendra par les Champs-Élysées pour y admirerParisetsesilluminations.

Le duc et la duchesse de Berry n’ont eu que le temps deprécéderleroiàl’Élysée.Lepersonnels’estpréparé.Lepalaisaussiestéclairédemillelumières.Leroi,lesaltessesroyalesetlesprincesseprésententàlanuittombée;leslieuxfrissonnentnon de fraîcheur mais d’allégresse. Bourbons et Orléans sedirigentensembleverslesgrandssalons.Leducetladuchesse,héros du jour, servis par ses valets pour l’un, ses femmes dechambre pour l’autre, se défont de leurs habits de cérémoniepourrevêtirleurschemisesdedentelle.

L’alcôvedelachambrenuptialeaétédécoréeaveclesarmesdelacouronneetdiverspanaches.Lelitbrodéaétéouvert,les

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du 11 septembre 1830 confirmerait l’exil des Bonaparte.«Affligéeetétonnéeaudernierpoint»,Hortensefutfrappéeaucœur. La déception était à la dimension de l’espérance.Décidément, les Orléans ne valaient pas mieux que lesBourbons.

HortensequittelaSuissepourRomeoùiln’estquestionquede soulèvement contre les Autrichiens qui occupent laPéninsule. « Chimère que tout cela ! » dit-elle. À la fin del’hiver 1831, pourtant, Louis Napoléon et son frère aînéNapoléonLouisserangentducôtédes insurgésenToscaneenleur apportant la caution de leur nom. Peine perdue, lesAutrichiens écrasent la rébellion et recherchent ces Bonapartehonnis, menaçant de les fusiller. Mais Napoléon Louis meurtd’uneviolenterougeolele17mars1831.Arrivéeaprèssamort,Hortense se lance alors à la poursuite de son dernier fils, lerejoint, échappe aux Autrichiens, se procure un passeport aunomd’unedameanglaisepartantpourLondresentraversant laFrance. Hortense entre effectivement en France avec son fils,décide de faire un détour par Fontainebleau pour montrer àLouisNapoléoncettechapelleoùilaétébaptiséle4novembre1810 ; elle revient discrètement avec lui à Paris et ne peuts’empêcherdepasserpar laMalmaison,seizeansaprès…Elleachèvera son périple en retournant à Arenenberg, la propriétéqu’elleaacquiseenSuisse.

L’annéesuivantemeurtl’Aiglon,leducdeReichstadt,filsdeNapoléonetdeMarie-Louise ;LouisNapoléon se sent investipar le destin d’une charge nouvelle. L’héritier impérial,désormais,c’estlui.Chateaubriandleluiécritdansunelettre:«SiDieu,danssesimpénétrablesconseils,avaitrejetélaracedesaint Louis, si lesmœurs de notre patrie ne lui rendaient pasl’étatrépublicainpossible,iln’yapasdenomquiaillemieuxàlagloiredelaFrancequelevôtre…»

Le30octobre1836,coiffédubicornelégendaire,ledrapeaud’Austerlitz à bout de bras, Louis Napoléon croit son heurearrivée : il a vingt-huit ans, il veut soulever les garnisons deStrasbourg et marcher sur Paris, comme son oncle avaitdébarqué à Golfe-Juan pour reprendre les Tuileries. Maisl’affaire,biencommencée,setermineparunpiteuxéchecquineluiapporterarien,sicen’estlafidélitéd’unancienmaréchaldeslogis du 4e régiment de hussards, rayé des cadres de l’arméepour complot républicain, Victor Fialin, dit Persigny. Uncomploteur dans l’âme, du même âge que lui, avec qui il apréparécettepéripétiedeStrasbourgetdontilfaitsonsecrétaireaidedecamp.

Pendant ces mêmes années, Morny a « appris le monde »,comme il dit, en ayant été assidu « à l’école de natation,d’équitation, de la femme, de la fille » ; après avoir passé unexamenàl’Écolepolytechnique,ilaétéadmisàl’Écoled’état-major,puisaffectéau1errégimentdelanciers,oùils’estfaitdescamarades,avantdepartirsebattreenAfrique,etnotammentenAlgérie.SaconduiteaétéremarquéeàConstantine,cequiluiavalulaLégiond’honneur.

De son côté, après ses déboires strasbourgeois, LouisNapoléon s’est embarqué pour New York, laissant Persigny àLondres,oùcelui-cirêvedenouveauxcomplotsetd’unpuissantparti bonapartiste.Mais LouisNapoléon apprend àNewYorkque samère est auplusmal.Viveblessure. Il embarque sur lepremiernavirepourl’Europeetparvientaumoisd’août1837àArenenberg, où il comprend qu’elle est atteinte d’un cancerirrémédiable.

Hortense lui a laissé une ultime lettre qu’il portera sur luitoutesavie,dansunpetitportefeuilledecuirjaune:«Celaseraune consolation pour toi de penser que, par tes soins, tu as

rendu ta mère heureuse autant qu’elle pouvait l’être. Pensequ’onatoujoursunœilclairvoyantetbienveillantsurcequ’onlaisseici-bas;maisbiensûronseretrouve.Croisàcettedouceidée;elleesttropnécessairepournepasêtrevraie.Jetepressesurmoncœur,moncherami,jesuisbiencalme,bienrésignée,etj’espèreencorequenousnousreverronsdanscemonde-ci.»

Le5octobre1837,aupetitmatin,Hortenserendl’âmedanslesbrasdesonfils.Onlaporteenterre,le11,entouréeparunefoule considérable, tandis que l’on interprète pour elle leRequiem deMozart. Son souhait a toujours été de reposer enFrance, auprès de sa mère, Joséphine, à Rueil-Malmaison.Quand la famille recevra de Louis-Philippe cette autorisation,c’est l’homme de sa vie, le comte de Flahaut, qui assistera,le 8 janvier 1838, perdu dans la foule, à la cérémonie detransfertde la sépulture, accompagnépar son fils,Auguste [deMorny], l’enfant de l’amour. Ainsi, tour à tour, les deux filsaurontpupriersurladépouilledeleurmère.

Hortenseestmorteà l’automnedesescinquante-quatreans.ÀLouisNapoléon,ellelaissesafortune;auxdeuxdemi-frèreselle confie, parmi d’autres souvenirs, cette romance qu’ellechantait aux beaux jours, et aux moins beaux, ens’accompagnantaupiano:«Oui,vousplairezetvousvaincrezsanscesse,Marsetl’Amoursuiventtousvospas;decessuccès,gardez la douce ivresse, soyez heureux, mais ne m’oubliezpas…» Ils ne l’oublieront pas, gardant pour eux la plus joliedesdevises,laplusbelledeslignesdevie:plaireetsebattre.

*

Troisansplus tard, le6août1840, leprince revientsur lescôtes françaises pour y prendre la tête d’un débarquement, à

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Et que répond Louis Napoléon ? Tocqueville est perplexe.«Riendeplusdifficilequedeplongerdanscetespritàtraverslasurfaceimmobiledesonvisage,note-t-ildanssonrapport,onne peut jamais rapporter d’une conversation avec lui que desimpressions.»Alors?Son impressionest«qu’ilaàpeuprèsrenoncé à arriver à son but par l’Assemblée », qu’il est loin«d’avoirrenoncéàfaireuncoupd’Étatàluiseul»,maisqu’ilpréféreraitun«coupd’Étatpopulaire»,celuidesaréélection.Quoiqu’ilensoit,ilestbiendécidéàbriserlaloidu31mai– la réforme du code électoral –, mais ne veut le faire qu’audernier moment « comme une espèce d’appel au peuple etcommeuncoupportéàl’Assemblée».

Tels sont les ressorts de l’action. Louis Napoléon laisse àl’Assemblée une dernière chance de cohabiter avec lui ; il luisoumet un projet de réforme de la Constitution qui puissepermettresaréélectionen1852,contrairementautextede1848qui ne le prévoit pas. Les députés se séparent au mois dejuillet1851enayantrejetéceprojet.Ilsn’ontpascomprisqu’ilsvenaientdecommettrel’irréparable;lesdésroulentsurletapis.Cet été-là, dans les jardins de l’Élysée, le prince rumine déjàavecsondemi-frèrelaperspectiveducoupd’État…

–Ah enfin ! répèteMorny, enchanté.Mais comment allez-vousfaire?

–J’aibientâtéleshommesdepuisquejesuisici,monpauvreMorny,iln’yapasgrand-choseàfaireaveccemonde-là…

– Vous ne m’étonnez pas. En tout cas, si vous ne trouvezpersonne,vouspourrezcomptersurmoi.

–Iln’yapersonneenquij’aiplusconfiancequevous.Lespréparatifsducomplotsetiennentdurantlemoisd’août.

Leprincefaitappelerlestrèsrarespersonnesqu’ilamisesdanslesecretpourlesinviteràlachasseauchâteaudeSaint-Cloud.

«Noustireronsquelqueslapinsavantledîner,aprèsquoinousconcerteronsdéfinitivementtouteslesmesuresàprendre.»

Ilsseretrouventàsixautourdelatable:LouisNapoléonetsondemi-frère,Morny,ainsiquePersigny, legénéraldeSaint-Arnaud, tout nouveau général de division, Rouher, avocatd’affaires devenu ministre de la Justice, et Carlier, préfet depolice.Chargédepréparertextes,proclamations,projetsdelois,et surtout listes de suspects à arrêter, le préfet a enregistré lesnomsdequatrecentspersonnes.

– Et le secret ? Comment allez-vous garder le secret ?demande Morny. Que ferez-vous de celui-ci et de celui-là ?Commentvousyprendrez-vouspourfairetoutçaenunenuit?Sil’onveutqu’ilréussisse,lecoupd’Étatdoits’accomplirsansun cheveu arraché, sans une égratignure. C’estmême cela quim’afaitpréférerlecoupd’Étatàunconflit!

Carlier est certes un homme de police aux convictionsbonapartistesindiscutables,sondossierestcomplet,maisilestà refaire, les textes sontmal rédigés et les noms des suspectstropnombreuxetmalchoisis.Méfiantsdevantunepréparationqu’ils jugent hâtive, les militaires impliqués, Saint-Arnaud etMagnan (le général qui a remplacé Changarnier à Paris),menacentdeseretirer.Ilfautretarderlecoup.

Le samedi 15 novembre 1851, Le Siècle publie uncommentaire dans lequel se lit la rumeur de Paris : « Nousl’avons, en dormant, madame, échappé belle… La fameusereprésentation du coup d’État, cette représentation sans cesseannoncéeettoujoursajournée,devaitavoirlieulanuitdernièreentre1heureet2heuresdumatin…Quandlesoleilseleva,lecoupd’Étatn’avaitpasencoreparu.Depuisdeuxmois,iln’estquestion que de coup d’État. Unmot deM. Louis Bonaparterassurerait…»

Rumeur certes, mais derrière ce brouillard s’organisent lesconjurés. Le 25 novembre, le même journal observe : « Lepouvoirparlementaire s’est isolédeplus enplus et lemomentparaît favorable pour lui porter un coup décisif… » Loin derassurer la presse et les députés par un mot, Louis Napoléonprononce,cejour-là,undiscoursauCirqued’hiverdanslequelil déclare : «D’un côté les idées démagogiques, de l’autre leshallucinations monarchiques empêchent tout progrès et touteindustrie sérieuse. Je vous promets le calme et la prospérité àl’avenir.»

Lesecretducomplotestbiengardé.LeprinceprésidentafaitvenirMorny à l’Élysée pour une sorte de répétition générale.« Nous nous présentâmes à l’esprit toutes les minutes de lajournée,touteslesopérationslesplusminutieuses,diraledemi-frère. Il fallait d’abord préparer les publications, l’appel aupeuple, s’assurer de l’imprimerie sans que personne n’en fûtaverti,dissoudrel’Assemblée,s’emparerdesgénérauxmembresdelaChambre…»

L’action ne peut plus être différée, les derniers détails sontarrêtés le 27 novembre. Le 1er décembre est un lundi. Il y aréception à l’Élysée, comme tous les lundis, et ce soir-là, lafouleestplusdensequed’habitude;leprésidentafaitvenirunorchestredechambre,ondanse.Quisedouteraitquelepréfetdepolice, legénéralenchef, legouverneurdeParis, sont làpourautrechosequeleplaisird’unebelleréception?

Louis Napoléon, toujours célibataire, a demandé à sacousine, la princesse Mathilde, fille du plus jeune frère del’empereur, Jérôme, et de Catherine de Wurtemberg14, d’être,comme d’habitude, lamaîtresse demaison. Elle a trente et unans,futsafiancéequandelleenavaitquinze;depuis,elles’estmariée, mais son union a été un ratage, elle est donc revenue

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C’estenrevenantd’ungranddéfiléorganiséensonhonneur,le 6 juin, et auquel assiste également l’empereur Frédéric-GuillaumedePrusse,qu’Alexandreestattaqué,surlaroutequilereconduitàl’Élysée,parunterroristequitireaupistoletdanssa direction, mais l’arme, trop chargée, éclate et le manque.QuelleémotiondansParis!

Autre rite et autre protocole, quand, trois semaines après ledépart du tsar, lui succèdent au palais et dans les mêmesappartements,lesultandeConstantinopleAbdulAzizKhan,sasuite,sesgardesducorps.Mais«ilnesecontentepascommel’empereurdeRussied’unsimple litdecampenfer :onadû,surlesindicationsdel’ambassadeottomane,faireconfectionnerspécialement un matelas de la plume la plus fine, sorted’édredon spécial, recouvert de satin blanc richementbrodé5…».Quantauxrepas,c’estencorepluscompliqué:«Ilmangeaitabsolumentseuldanslapièceavoisinantsachambreàcoucheroù l’onaurait pu levoirdéchiquetant avec sesdoigts,les coudes sur la table, lemoutonpréparé pour lui suivant lesrites consacrés. On avait dû, à cet effet, installer une tueriespécialedanslessous-solsd’unemaisondelaruedel’Élysée.»Le reporter ajoute d’autres précisions à propos du visiteurottoman :«AbdulAziz,saufdans lesoccasionsofficielles,nesortaitpasdesesappartementsoùilnereçutjamaispersonne.Ilnedescenditmêmepas au jardin.Une fois seulement, troisouquatrejoursavantsondépart,ilallayfairedesprières,unesorted’invocation, peut-être une prise de possession par lecommandeur des croyants de cette terre nouvelle, jusqu’icirebelle aux doctrines du prophète6… » D’autant plus rebelleprécisémentqueNapoléonavaitfaitaménagersouslesvoûtesdupalais,danssonaileest,unechapelledestylebyzantin,décoréepardesfresquesreprésentant«lespremierssaintsvulgarisateursdelafoichrétiennedanslesGaules».

L’Exposition universelle va attirer à Paris bien d’autres

visiteurs illustres : l’empereur d’Autriche, François-Joseph, lekhédived’Égypte, le roideSuèdeCharlesXV, lareineSophiedesPays-Bas, qui, tous, furent les hôtes de l’Élysée. Il y auraencoreunetrèsbellefêtel’été1868,enl’honneurdelafilledutsar, et c’est la première fois que l’on emploiera l’électricitépourilluminerlaréception.«LeslampesàarcdusystèmeSerrinproduisirent un effet merveilleux pour l’époque, et ce nouveléclairage fut vivement admiré des hôtes de l’empereur et de lafouleaccouruedansl’avenueGabrielpourvoirl’illuminationetentendreleschœursduconservatoirecachésdanslesmassifsdujardin7.»

Puis les lampionsvonts’éteindreunàun.La fête impérialequi durait depuis si longtemps épuise ses charmes. Le dernierministre de l’Intérieur du cabinet d’Émile Ollivier, JeanChevandier de Valdrôme, nommé par l’empereur au mois dejanvier 1870, réputé pour sa fermeté, transforme les cours del’Élysée en campements pour ses réserves d’infanterie et depolice, dans la crainte de troubles (il avait dû réprimer lesmanifestationsqui avaient entouré lesobsèquesdu républicainVictor Noir). Ses précautions ne sont pas inutiles : le secondEmpire trébuche dans une guerre absurde et mal conduite ;NapoléonIIIestmalade.Sesreinslefonthorriblementsouffrir.Le 4 septembre 1870, au lendemain de la défaite devant lesPrussiens à Sedan suivie par la capture de l’empereur, laRépubliqueestproclamée.

Ledernier commandantmilitaire de l’Élysée étant parti auxarmées,lepalaisresteinhabité.Lesemblèmesnapoléoniens,lesaiglesetautresNetE(pourEugénie),sontdémontésoueffacés.Aujourdelacapitulation,lesPrussiensentrentdansParis,pourlatroisièmefoisdepuis1814;commelesRussesetlesAnglais

avanteux,ilss’installentàleurtouràl’Élysée,maisenpassantpar les jardins – car le faubourg Saint-Honoré et la courd’honneur ne font pas partie de leur zone d’occupation ! Legénéral von Werder, qui les commande, arrive avec undétachementàcheval:

– Maintenant que la paix est faite, vous pouvez bien medonner la main ! dit-il au vieux soldat chargé de la garde dupalais.

Maislevieuxsoldatrefuse.Le19mars1871,lesgardesdefactionaupalaisvoientarriver

une bande d’une dizaine d’hommes entièrement habillés derouge.Des«communards»!Pariss’étaitinsurgélaveille.L’undeshommestireuncoupderevolverenl’airpoursefaireouvrirla grille d’honneur. Le détachement d’infanterie qui assure laprotectiondupalaisseprésenteàlaporteetlabandes’éloigne.Maisunpeuplustarddanslajournée,deuxbataillonsdegardesnationauxauxordresde laCommune seprésentent à l’Élysée.Onhisse le drapeau rouge sur lemat d’honneur et l’ondressedes cuisines dans la cour. Avant de s’avouer vaincue, laCommune incendie l’Hôtel de Ville, la Cour des comptes, lachancellerie de la Légion d’honneur, les Tuileries, mais elleépargnel’Élysée.Audernierjourdecette«semainesanglante»,le dimanche 28 mai 1871, les troupes régulières venues deVersailless’emparentdupalais.Sansuncoupdefeu.

1-Confession.Souvenirsd’undemi-siècle,tome4,op.cit.

2-Antoined’Arjuzon,VictoriaetNapoléonIII,Paris,Atlantica,2007.

3-JournaldelareineVictoria.

4-LeSiècle,17janvier1889.EnquêtedeRenédeGas.

5-Ibid,22janvier1889.

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prisonniersdestinésaubagne…»Ainsi, écritThierryBillard7,« le 17 janvier 1895, sans le savoir, le capitaine condamnépénètredanslaviedupremiermagistratdupaysetleprésidentdelaRépubliqueentreencollisionavecl’Affaire».

Le capitaine a été condamné par un conseil de guerre, àl’unanimitédesjugesmilitaires:ceux-cil’ontreconnucoupablede trahison, sur la foi de ressemblance d’écritures, pour avoirtransmisàl’ambassaded’Allemagneun«bordereau»annonçantla livraison de plans relevant de la Défense nationale. MaisDreyfus n’a jamais reconnu les faits et se proclame innocent.Devantlaminceurdespreuvesdel’accusation,PéguyetJaurèsont pris son parti. Pourtant, l’opinion, dans son immensemajorité,etFélixFaureavecelle,accordesaconfianceàl’arméeetàsesmagistrats.Etpuis,sicen’étaitpasDreyfus,quiseraitcoupable ? Un officier d’infanterie, le commandant Esterhazy,est à son tour suspecté, traduit en conseil de guerre, puisinnocentéfauted’élémentsconvaincants.

C’est alors que, le 13 janvier 1898, Georges ClemenceaupubliedanssonjournalL’Aurore,surtoutesapremièrepage,leterrible « J’accuse » d’Émile Zola, une lettre destinée auprésident de la République : « Votre étoile, si heureusejusqu’ici,estmenacéedelaplushonteuse,delaplusineffaçabledes taches… Vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose decettefêtepatriotiquequel’alliancerusseaétépourlaFrance–maisquelletachedebouesurvotrenom–j’allaisdiresurvotrerègne–quecetteabominableaffaireDreyfus!»Zolaaccuselesjuges militaires d’avoir condamné un innocent (Dreyfus) etinnocentéuncoupable(Esterhazy).Orcelui-civabientôtlaisserentendrequ’ilestl’auteurdu«bordereau»–maissansprendrele moindre risque, puisqu’ayant été acquitté, il ne peut ànouveauêtrepoursuivipourlemêmemotif.

L’affaire est sortie du champ judiciaire pour devenir unebataillepolitique.Quevafairelechefdel’État?Lesélectionsdu mois de mai 1898 ne changent pas la majorité radicale etmodérée de la Chambre, mais Félix Faure en profite pourremanier le gouvernement : celui-ci prend le parti deDreyfus.Nouveau rebondissement, un officier des services derenseignements,lecolonelHenry,sedonnelamortàlasuitedela découverte de la falsification par ses soins d’une pièce del’accusation contre le capitaine Dreyfus. À mesure quel’innocence du condamné devient plus flagrante, en raison del’accumulation de documents apocryphes ou fabriqués,l’exaspération de l’opinion divisée en deux camps atteint sonparoxysme.D’uncôtélaLiguedesdroitsdel’homme,del’autrecelledelapatriefrançaise.

Et Félix Faure ?Convaincu à l’origine de la culpabilité ducapitaine,ilestdésormaisgagnéparledouteetlanécessitédelarévisiondesonprocès.Maisl’opinionl’ignore.Auseindesonpropre cabinet, Le Gall, « révisionniste » donc dreyfusard,s’oppose au général Bailloud, antidreyfusard. Nomméle3novembre1898,lenouveauchefdugouvernement,CharlesDupuy, est clairement partisan de la révision.Mais comme lachambrecriminelledelaCourdecassationsesaisitdudossier,le président du Conseil commet un faux pas. Le révisionnistequ’il est, cherchant à l’impartialité, décide de réunir les troischambres de la cour, dessaisissant ainsi la seule chambrecriminelledesespouvoirs.Bravo!crieladroite,persuadéequeles troischambres serontmoins« révisionnistes»que la seulechambrecriminelle.Coupd’Étatjudiciaire!répliquelagauche.Etl’Affairerepartdeplusbelle.

Proclamant que « sa neutralité est celle de la loi », FélixFaure se laisse entraîner par les imprudences de son présidentdu Conseil. Le voilà accusé. « Déni de justice ! » Le sujet

revient à chaque Conseil des ministres, jusqu’à celui dujeudi16février1899,etmêmejusqu’àsonentretiendel’après-mididecemêmejouravecleprinceAlbertIerdeMonacovenului aussi lui parler de ce « qui ne le regarde pas » : del’innocencedu capitaineDreyfus.Terrassé le soirmême,FélixFaurenepourradoncjamaisselaverdela«tacheineffaçable».

*

Émile Loubet, installé à l’Élysée, nomme un préfet, AbelCombarieu,commedirecteurdesoncabinetcivil,fonctionsqueLeGalloccupaitauprèsdeFélixFaure.Combarieuarrivele1ermars 1899 au palais et en visite aussitôt les lieux. Son guiden’estautrequelemaîtred’hôtelClerc,entréà l’ÉlyséesouslemaréchaldeMac-Mahonetquis’ytrouvetoujours.«Ilm’afaitvisiterl’uneaprèsl’autretouteslespiècesetchambresdupalaisetindiquéleuraffectation8,raconteCombarieu.Arrivésausalond’Argentdonnantsurlejardin,Clercaprisunairmystérieux:“C’estlàqu’étaitdescendumonsieurlePrésidentaprèsdîneretque nous l’avons trouvé mort, avec…” J’ai coupé court, ditCombarieu, à une narration du drame et aux commentaires del’office.»

Dèslamortduprésident,diversesrumeursavaientcouruàcesujet.Maisraressontcellesquel’ontrouveimprimées.Pourtantunefeuillelibertaireàfaibletirage,LeJournalduPeupleavaitinsinué,dès le22 février,veilledesobsèques,queFélixFaureétait mort « pour avoir trop sacrifié à Vénus en marge duCode»,précisant:«Nousconnaissonslenometl’adressedelajeunepersonnequijouissaitdesfaveursprésidentielles.Nousladésignerons par l’initiale peu transparente deMme S. » Cela

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enfoncédanssesarcadesetdontlamoustachemangelamoitiédu visage ? Qui croirait que Clemenceau est né sous Louis-Philippe et Poincaré sous Napoléon III, que le premier asoixante-seize ans et le second cinquante-sept ? Ah, certes,Poincaré observe que l’autre a pris du poids, que sa surdité aaugmenté,maischezluilecaractèreetlavolontésontintacts.

*

Ils se sont retrouvés l’un et l’autre dans le mêmegouvernement,aumoisdemars1906.Clemenceauàl’Intérieur,PoincaréauxFinances.Lepremierentamaitsavieministérielleà l’âgeoùd’autresprennent leur retraite, tandisque le secondétaitministre pour la quatrième fois ; il n’avait que quarante-cinqans.Ilss’étaientpourtantengagésl’uncommel’autredansla vie politique avant trente ans ; Poincaré était alors jeuneavocat et Clemenceau jeunemédecin. L’un comme républicainlibéral, la droite, en Meuse, l’autre comme radical, la gauchenonsocialiste,àParis.

Mais là où Poincaré, studieux et opiniâtre, occupe aussitôtdes fonctions de responsabilité, au Budget d’abord, puis àl’InstructionpubliqueetauxBeaux-Artsavantd’êtrenommé,àtrente-trois ans, ministre des Finances (on lui doit lasuppressiondel’impôtsurlesportesetfenêtresaprèsqu’ileutconstaté que celui-ci n’avait d’autre effet que de défigurer lesmaisons),ClemenceaubâtitsaréputationdeVendéenausangvifen démolissant par ses diatribes incendiaires lesgouvernements – et notamment ceux de Gambetta et de JulesFerry,quiappartiennentpourtantàlamêmefamilleradicalequelui.«Ilestterribleetcharmant,ilattireetileffare»,ditdeluiAnatoleFrance.Onredoutesesarticlesautantquesesjournaux.

C’est lui, on l’a vu, qui publie Zola dans L’Aurore pour ladéfenseducapitaineDreyfus.

RiendeteldanslecomportementdurigoureuxPoincaré.«Iln’estpasdefauteplusgrave,ditcelui-ci,dupointdevuedelapaixmoraleetdelasécuritédesintérêts,quecetartdétestabledemenacertoutlemondeetdenesatisfairepersonne.»Tempêtedel’un,vertudel’autre.

En les prenant l’un et l’autre dans la composition de songouvernement, Ferdinand Sarrien, dont l’Histoire ne retiendramême pas le nom bien qu’il aura joué un rôle apaisant dansl’affaireDreyfuscommeministredelaJustice,nesaitpasqu’ilcrée ainsi les conditions d’une formidable compétitionpolitique.ArmandFallières,le«modérédenature»,atoutjusteétééluprésidentdelaRépublique,le18février1906.CharmantprésidentFallièresquiaimeratantoffrirdesdînersetdesbalsàl’Élysée. La cohabitation de Clemenceau à l’Intérieur et dePoincaréauxFinancesnedépassepasseptmois.Àlasortie,leministre de l’Intérieur l’emporte, laissant son concurrent àl’écartpoursixans.

Clemenceau s’installe alors pour l’un des plus longsgouvernementsdelaIIIeRépublique,trente-troismois,cumulantla présidence du Conseil à laquelle Fallières l’a nommé et leministèredel’Intérieurqu’ilaexigédeconserver.Etmêmes’ilcréepourlapremièrefoisunministèreduTravail(enynommantle socialisteViviani),mêmes’il limitepar la loi laduréede lajournée de travail à 10 heures, c’est en ministre de la Policequ’il marque son temps : il est non seulement le briseurimplacable des grèves de 1906 et 1907 sans le moindre étatd’âme,maisaussil’inventeurdes«BrigadesduTigre»etdelafuture police judiciaire. Son gouvernement ne tombe, commebiend’autres,queparaccident,aumoisdejuillet1909.

AristideBriandd’abord, puis JosephCaillaux, en1911, luisuccèdent. Il a rejoint l’opposition. Une fois l’Alliance russeconsolidée, Briand, mais surtout Caillaux, cherchent às’arranger avec l’Allemagne. Ce que Daladier fera à Munich,Caillaux le fait après le « coup d’Agadir » (une canonnièreallemande est venue provoquer les Français) : il plie devantl’intimidationdel’empereurGuillaume.PoincaréetClemenceauserejoignentpourledénoncer.Lapresseamplifielemouvement.« Les sentiments qu’inspire le ministère Caillaux ne sont pasfaciles à démêler, écrit Le Figaro libéral ; ils vont del’indignation à une sorte de pitié ironique. » « Le cabinetCaillaux est condamné », enchaîne L’Action françaisemonarchiste. Et lorsque ce gouvernement démissionneeffectivement le11 janvier1912, JaurèsécritdansL’Humanitésocialistequ’une«dentgâtéevientdetomber».

Au Sénat, Clemenceau plaide pour un gouvernementPoincaré. L’heure des retrouvailles entre les deux adversairesde1906a-t-elle sonné?AppeléparFallières, leLorrainne sedérobepas, il formeuneallianceentre lagauche radicaleet ladroite nationale, prenant lui-même, outre la présidence duConseil, la responsabilité des Affaires étrangères. Depuis laprésidence Thiers en 1871, c’est le cinquante-deuxièmegouvernement ! Serait-ce la dernière carte avant la crise derégime?Peut-être.MaisClemenceaun’en est pas.Ondit quePoincaréaeupeurdesesfureursetdesescoupsdecolère.Maisenayantainsiévitédel’entendredanssesconseilsdecabinet,ilvalesubirauSénat.

Au moment où vient en discussion le traité négocié parCaillaux avec l’Allemagne, le Tigre enflamme ses collègues :«Lepapierqu’onproposeauSénatderatifieraéténégociésouslecanond’Agadir,lance-t-il.Nousavonsétévaincus[en1870],mais nous ne nous sommes pas soumis. Les vivants seront

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àledéjouer.Ilfaudraitpourtantlemettreenœuvreparcequeletempspresseetlemoraldécline.

«De tous côtés, l’argent allemand cherche à pénétrer notrepresse », écrit Poincaré pour expliquer les campagnes qui sedéveloppent.Lui-mêmeacommisune folle imprudencedont ilfinit par comprendre les conséquences empoisonnées.Le6 juillet1916, ila reçudanssonbureaude l’Élysée, toutàfait officiellement, et recommandé par un ami commun, unétrangepersonnage,BoloPacha,qu’ilarevuunesecondefois,le7novembre.«Quelestcetindividu?Ilseflatted’êtrel’amideCaillaux.Maiscommentvit-il?Quecherche-t-il?»Chacunsedemandesurtoutcommentcepersonnageapuavoiraccèsauprésident de laRépublique, car ceBoloPacha se répanddansles journaux et notamment dans l’un d’entre eux, réputé poursonpacifismeetsesarticlesenflamméspourledésarmement.

Une enquête sur son cas est confiée aux services derenseignements.Leurchef, lecolonelGoubet,vientenexposerlesrésultatsencomitédeguerre,le6février1917.BoloPacha,dit-il,reçoitsonargentdukhédiveduCaire,lui-mêmealimentéparl’Allemagne,etcetargentvaauJournaldeCharlesHumbertqui « publie des articles très dangereux pour la défensenationale » ; les petites annonces anodines de ce quotidienpermettant aux agents allemands de communiquer avec leurscorrespondants… On pourrait penser que le Journal seraitsuspenduetBoloPacha interpellé.Parmanquedepreuves,ontemporise.Vexéd’avoirprêtélamainàl’honorabilitédeceBoloPacha,Poincarécontinued’attaquerparlaparolelapénétrationallemande dans l’édition française. Il y revient le 11 mars aucongrès du Livre en Sorbonne : « Par le livre comme par lecommerce et la finance, nos ennemis nous ont fait la guerreavantdenousladéclarer.Lelivreallemandaétéleporte-parolede l’orgueil allemand, de la science allemande, de la culture

allemande.Tantôtilnousaenvahisavecunebrutalitétapageuse,tantôtils’estcoulécheznousavecdesairshypocrites.»

Deuxcoupsde tonnerreviennent bouleverser le coursde laguerre, regonflant lesuns,démoralisantunpeuplus lesautres.Côtémauvaisesnouvelles,àl’Est,larévolutionrussedefévrierconduit à l’abdication du tsar : l’armée russe se désagrège, lefront oriental contre l’Allemagne cède, Kerenski prend lepouvoir.Côtébonnesnouvelles,à l’Ouest, leprésidentWilsonfaitapprouver,le2avril,parleCongrèsdesÉtats-Unis,l’entréeen guerre de son pays contre les empires centraux. « Cetteguerre,télégraphieaussitôtPoincaréàWilson,n’auraitpaseusasignificationfatalesilesÉtats-Unisn’avaientpasétéamenésparl’ennemilui-mêmeàyprendrepart.»(Poincaréfaiticiallusionà la guerre conduite par les sous-marins de la Kriegsmarinecontrelesnaviresaméricains.)Signequechaquecampaimeraitenfinir, leprinceSixtedeBourbon-Parmeestreçuàplusieursreprisesàl’Élyséepouryprésenterlespropositionsdepaixdel’empereur Charles d’Autriche, son beau-frère, mari del’impératriceZita.MaiscommeilyaNivelleaujourd’huietlesAméricainsdemain,laréponsenepressepas.

Le vendredi 6 avril, après avoir adressé son télégramme àWilson, Poincaré convoque le comité de guerre (président duConseil,ministresetétat-major)dansletrainprésidentielquileconduitàCompiègne,auquartiergénéraldeNivelle.Celui-ciatoujours pleine confiance dans son offensive,même si, depuistrois mois qu’il l’a présentée, elle a pris du retard.Mais ellen’en sera que plus efficace, pense-t-il. Pourtant, le comité deguerre s’interroge, quelques-uns des chefs présents hésitent ;finalement, accord est donné à l’exécution du plan prévu.Nivelledistribuesesinstructions.

On suit le déroulement de la bataille jour par jour dans lesnotesdePoincaré.9avril,«succèscomplet,excellentdébut»,

selonNivelle.17avril,retournement:«Malheureusement,écritle chef de l’État, il est certain qu’une grande partie desespérances conçues au grand quartier général ont avorté. »18 avril, le chef du gouvernement rapporte au président de laRépublique « qu’à la Chambre, le désordre des esprits estincroyable ». « Les députés prétendent que les opérations ontcomplètement échoué, que Nivelle est menacé. » 24 avril,Painlevé(ministrede laGuerre)àPoincaré :«Nivelleaperduson autorité sur l’armée. » Le 25, Clemenceau, à propos dePoincaré : « Le sort du pays est entre les mains d’unirresponsable. » 13 mai, Nivelle ne commande plus, lesopérationssont interrompues.15mai,Pétain remplaceNivelle.24mai,Briandmanœuvrecontrelegouvernement.29mai,«lecolonel Herbillon (cabinet militaire du président) m’apprendqu’ilyadessymptômesd’indisciplinedansl’armée.Lemoralsegâte.L’année1917s’assombritdéjà».

Deux jours plus tard, Pétain rend compte pour la premièrefois en comité de guerre de deux rapports sur lesmutineries :celles-ci ne concernent alors que les 36e et 129e régimentsd’infanterie.Lessoldatssesontemparésdetrainspourréclamerla paix immédiate. Mais le mouvement prend de l’ampleur ethuitdivisionssontcontaminées.

PoincaréinterrogePétain:–S’ilyauncongrèsinternationalistesocialisteàStockholm,

etsidesFrançaisyrencontrentdesAllemandspourdiscuterdesconditions de paix, tiendriez-vous votre armée en main ?Obtiendriez-vousqu’ellecontinueàsebattre?

–Non,ditPétain.Alors, il n’y aura pas de socialistes français à Stockholm,

mais cela ne saurait suffire. Des condamnations à mort sontprononcées, des organisations pacifistes et révolutionnaires

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PaulReynaudtélégraphieàWinstonChurchillunmessageenforme de SOS : « Hier soir, nous avons perdu la bataille.Envoyez toutes les troupes et toute l’aviation que vouspourrez. » Il en a adressé un autre au généralWeygand, alorsretiréàBeyrouth,pourlefairerentrerd’urgence.Gamelinestaubout du rouleau. Mais Reynaud sait aussi que ses jours sontcomptés s’il ne réagit pas. Il en appelle alors à Lebrun : cegouvernement doit être remanié. Comment conduire la guerreavecunministre,Daladier,aveclequelilnes’entendpasetquiincarne toujours l’esprit deMunich ?Reynaud réclame l’unitéducommandement,ilcumuleralaprésidenceduConseilaveclaDéfense nationale ; Daladier n’a qu’à prendre les Affairesétrangères.Àl’Intérieur,ilfaitvenirGeorgesMandel,undurquiaété lecollaborateurdeClemenceau. Ilveutaussi lemaréchalPétainauprèsdeluietWeygandàlaplacedeGamelin.

Pétain etWeygand ? Les chefs de l’armée d’autrefois pourrésisteràlatornadeallemande?Oui,persisteReynaud:«Ilfautaujourd’hui un grand effort pour faire revivre l’image que lesFrançaissefaisaientdecesdeuxchefsmilitaires,enmai1940.Lepremier,Pétain,avaitquittélecommandementdel’armée,ilyavaitneufans,etlesecond,Weygand,ilyavaitcinqans.Maisles Français aiment les vieillards et, quoiqu’ils détestent laguerre,ilsadorentlesmilitairesglorieux.Aufuretàmesurequedisparaissaient lesmaréchauxqui avaientdonnéà laFrance lavictoire de 1918, on voyait grandir la figure de celui que l’onappelait le “vainqueur deVerdun”, lemaréchal de France à latêtemarmoréennequis’entouraitdesilence.[…]NoussommestousresponsablesdeladivinisationdumaréchalPétainavantlaguerre, mais ce sont les hommes de gauche qui y ont le pluscontribué.Ilapparaissaitcommelechefquisaitménagerlesangdes soldats qu’il avait défendus contre la “folle théorie” del’offensiveàoutrance2.»

Lesoirdusamedi18mai,PaulReynaudcommenteàlaradioles décisions qu’il vient de faire approuver par Lebrun : «Cequelepaysattenddugouvernement,cenesontpasdesparoles;iln’enaquetropentendudepuisdesannées.Cesontdesactesqu’il veut. Le vainqueur de Verdun, celui grâce à qui lesassaillantsde1916n’ontpaspassé,celuigrâceàquilemoraldel’armée française, en 1917, s’est ressaisi pour la victoire, lemaréchalPétainestrevenucematindeMadrid.Ilestdésormaisàmescôtés,commeministred’État,vice-présidentduConseil,mettant toute sa sagesse et sa force au service du pays. Il yresterajusqu’àlavictoire.»

Ainsisurgidel’iconographienationale,lemaréchalPétainaquatre-vingt-quatre ans : il est né quatre ans après laproclamation du second Empire. LaGrandeGuerre etVerdun,pourluitouts’arrêtelà:«Àpartirdelaguerre1914-1918,c’estfini,moncerveaumilitaireestfermé3»,dira-t-il.Ilestl’hommedelaligneMaginot;ilenadessinélepremiertracé.MinistredelaGuerredanslecabinetDoumerguedurantneufmoisen1934,il a laissé se poursuivre la baisse des crédits militaires, sansestimer nécessaire la rénovation de l’outil de défense. Lacampagne allemande en Pologne, en septembre 1939, l’atragiquement impressionné : « J’ai pu avoir une conversationavecunofficierpolonais.Ilm’adéveloppétoutel’affaire.CefutuneattaquebrutaledesAllemandsquiaprislaPologneparunboutetaconduittouteslesarméespolonaisesàl’autreboutdupays. Cet officier m’avait dit que la Pologne avait été battue,piétinéeetcomplètementmiseàmortdanscettebourrasque4.»Leproposrésumesonétatd’esprit:mieuxvauts’effacersouslabourrasquequevouloirluirésister.

Quant à Weygand, lui aussi né sous Napoléon III, tout enrestant«extrêmementjeune»,ilatoutdemêmesoixante-treizeans. « Élégant, soigné et bien sanglé, direct, aimable, mais

souvent bref et facilement cassant, il dégageait une énergieintérieure intense, en même temps qu’une souplesse physiqueétonnante»,ditde lui le futurgénéralBeaufre.«Lesatteintesdu tempsn’ont pas effleuré son corpsd’acier », écritEdmondDelagedansLeTemps. « Il était auréolé de la gloire deFoch,dontilavaitétélebrasdroit,etonluiattribuaitl’honneurdelavictoire polonaise sur l’armée russe en 1920, rappelle PaulReynaud.Ilavaitétélecommandantenchefdel’arméefrançaisede1931à1935etilapparaissaitàl’arméecommeledéfenseurdestraditionsetdesdroitsducorpsdesofficiers.Ilpassaitpourréactionnaire,maisFochnel’était-ilpas?Enfacedudésastre,ilmeparut avoir seul l’autoriténécessaire surnotrearméeet surcellesdenosalliéspourredresserlasituationdanslamesureoùellepouvaitl’être.»

AlbertLebrunsignedoncle19mailesdécretsdenominationdePétain etWeygand.On dit des prières solennelles àNotre-Dame. Les journaux se rassurent : enfin une bonne nouvelle.Wladimird’OrmessondansLeFigaro,écrit :«Pétain,c’est larésistance sublime et victorieuse de Verdun, la France enéprouveuneimmenseimpressiondesécurité»;FrancisqueGaydansL’Aube:«Pétain,lehérosdeVerdun,Weygand,l’hommedeFoch,fontfaceàlasituation.»LaChambredesdéputésetleSénat acclament ces nominations. Pétain et Weygand vont-ilssauverlaFrancedudésastrecommeThiersetClemenceau?Le22mai, quarante-huit heures après queWeygand eut pris soncommandement et fait le tour des quartiers généraux de sesforces,PaulReynaudmonteàlatribuneduSénat:

« La vérité est que notre conception classique de la guerres’est heurtée à une conception nouvelle… Par suite de fautesincroyables et qui seront punies, des ponts sur la Meusen’avaientpasétédétruits.Surcespontsontpassélesdivisionsde panzers précédées d’avions de combat venant attaquer des

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pour lui, cette guerre éclair, cette « bourrasque » justifiait sesthèses. Malgré ses critiques à l’endroit du commandement,Gamelinluiavaitquandmêmeconfiécette4edivisioncuirassée,laquelle n’aura été formée que le 15 mai, à la veille del’affolementgénéralquandlespanzerss’approchaientdeParis.Le31mai,sescombatspourdégagerAbbevilleluiontvaluunebelle citation de Weygand : « Officier admirable de cran etd’énergie.Aattaquéavecsadivisionlatêtedepontd’Abbeville,très solidement tenue par l’ennemi. A rompu la résistanceallemande et progressé de quatorze kilomètres à travers leslignes ennemies, faisant des centaines de prisonniers etcapturantunmatérielconsidérable8.»

Et pourtant, quand ils apprennent sa nomination augouvernement, Pétain etWeygand sont furieux. «Quels griefsavez-vouscontredeGaulle?» leurdemandeReynaud.«C’estun enfant », répondWeygand. «Un orgueilleux, un ingrat, unaigri», ronchonnePétain.Levieuxchefnepouvait-iladmettrede voir surgir un jeune ? Quand Paul Reynaud avait voulunommer le général de Lattre de Tassigny comme gouverneurmilitairedeParis,Weygandluiavaitfaitlamêmeobjection:«Ilest trop jeune. » Choqué, Reynaud dira : « C’est une arméeexclusivement commandée par des vieillards, comme celle queles successeursdugrandFrédéricmenèrent audésastred’Iéna,que voulaient Pétain et Weygand. » Le 3 juin, le tout récentgénéral de Gaulle lui avait écrit dans une lettre personnelle :«Sortezduconformismedessituationsacquises.SoyezCarnotoubiennouspérirons.CarnotfitHoche,Marceau,Moreau.»

DeGaullearrivedu frontàParis le jeudi6 juin, jourde sanomination comme sous-secrétaire d’État ; il s’installe lelendemain dans un bureau du rez-de-chaussée de l’hôtel de

Brienne,rueSaint-Dominique.IlfaitdéposerlebustedeCarnotsur sa cheminée. Le même jour à 17 heures, Paul Reynaudemmène son nouveau gouvernement à l’Élysée. Photo sous laverrière de la cour d’honneur. Avant-dernier Conseil desministres.CepourraitêtrelepremierpourdeGaulle:assisàlamême table que le maréchal, sur la même photo que lemaréchal;lemaréchaldevantetluiderrière?Àl’ordredujourdesdébats :partir.Pouroù?Brest,Bordeaux?Résister,maisavec quels moyens ? Ou alors déposer les armes, comme lesPolonais, lesHollandais, lesBelges?PaulReynaudenvoiedeGaulle à Londres : peut-on transférer en Afrique du Nord lescent trente mille soldats français sauvés à Dunkerque pourcontinuer le combat ?À son retour, deGaulle seposedans lasoiréedudimanche9juinàl’aérodromeduBourget,bombardé,trop tard pour assister au dernier Conseil des ministres réunià21heuresparAlbertLebrunàl’Élysée.Laquestionàl’ordredu jour, le transfert en Afrique du Nord, était devenue sansobjet.

«Grandeimpressiondetristesse»,sesouvientLebrun,aprèsletableaudelasituationunefoisdeplusexposéparWeygand.La10e armée, qui tenait le front sur la Somme, est coupée endeux, la 6e rejetée sur la Marne, deux divisions britanniquesévacuent, une division française est faite prisonnière. « Lemaréchal Pétain ne dit rien. Il est comme endormi, prostré. Ilsemble que dès ce moment, il considère la défaite commeacquise et qu’il n’y a plus rien à faire… » Le Conseil desministres décide le départ du gouvernement et son repli sur laLoireauxendroitsdésignésd’avance.

AlbertLebrunresteéveillétoutelanuit.À5heuresdumatin,lelundi10,sonvaletdechambrevientleprévenir:«MonsieurlePrésident, il fautpartir.»Parisseradéclaréevilleouverte le

lendemain,puislesAllemandsarriveront,lacapitaleseraenleurpouvoir.

L’évacuation du mobilier de l’Élysée a commencé depuisplusieurs mois. Le Mobilier national a bouclé les dernièrescaisses de vaisselle et d’argenterie ; elles seront transférées àAubusson,en sécurité.Leprésidentde laRépubliqueprend ladirection de Tours sur des routes encombrées. Derrière lui, leconcierge, les huissiers, et le personnel de maison ferment lepalais.AlbertLebrunn’aurapascapituléàl’Élysée.C’estdansla confusion de Bordeaux qu’il va s’incliner, à Vichy qu’ildisparaîtra, le 10 juillet 1940, en même temps que laRépublique.L’abriantiaérienqu’ilavaitfaitconstruireen1937,sous la cour intérieure proche de ses bureaux, afin de résisteraux combats et aux bombardements, restera vide. Comme labouéeinutiled’unimmensenaufrage.

1-PaulBaudouin,NeufMoisaugouvernement,Paris,LaTableronde,1948.

2-PaulReynaud,LaFranceasauvél’Europe,tome2,Paris,Flammarion,1947.

3-Auditiondu10 juillet1947,commissiond’enquêteparlementaire sur lesévénements survenusenFrance,1933-1945,Assembléenationale,1951.

4-Auditiondu10juillet1947,devantlacommissiond’enquêteparlementaire.

5-AlbertLebrun,Témoignage,Paris,Plon,1945.

6-ReproduitdansLaFranceasauvél’Europe,op.cit.

7-Churchill,Mémoires,Paris,Plon,1949.

8- Le général Weygand signera néanmoins la condamnation à mort par contumace du général de Gaullele2août1940,pouravoirquittéleterritoiresansautorisation.

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garderépublicaineàchevalaprissoncortègeenescortedepuisla porte Dauphine jusqu’au palais de l’Élysée où il entraitcomme élu pour la première fois. Dans la cour d’honneur, ilavait embrassé le drapeau de la Garde avant que le généralDassault, frère de l’avionneur, et grandmaître de l’ordre de laLégiond’honneur,neluipassâtlegrandcordon.

Quand il préside son premier Conseil des ministres, le29 janvier, Jules Moch croit pouvoir le tutoyer : « Tu sais,Vincent,jepenseque…»ÀquoiVincentAuriolrépond:«Jeme permettrai de faire observer à monsieur le ministre desTravauxpublicsque…»LaRépubliqueasonétiquette.

*

Le29mai1947,unmoisaprèslacrise,ilserendenvoyageofficielauplateaudesGlières,cœurdelaRésistanceenHaute-Savoie où quelque cinq cents hommes se sont battusl’hiver 1944 contre la milice française et une division alpineallemande.Hommage aumaquis, à ses chefs, puis le présidentde la République s’incline au cimetière deMorette devant lescent vingt tombes des tués au combat. « Cent vingt fois, sasilhouette s’inclina, rapporte Jacques Dumaine. Il avait leslunettes embuées de larmes ; en s’éloignant il pouvait à peinearticuler “Vive la France”… » Dans les rues d’Annecy, desgroupes de jeunes gens massés sur son passage se mettent àcrier:«VivedeGaulle!»

– Je l’ai crié avant vous, mes amis ! leur réplique VincentAurioldutacautac.

Nonseulementc’estvraipuisqu’ill’acriéen1943,maisdèssonarrivéeà l’Élysée,unanquasiment jourpour jouraprès ledépartduGénéral (20 janvier1946), il a rêvéde réconcilier le

chefdelaFrancelibreaveclenouveaurégime.«C’estunfichucaractère,maisjel’aimebien.»IlenvoiedoncàColombeysonsecrétaire général, Jean Forgeot, et son directeur de cabinet,JacquesKosciusko-Morizet6,porteursd’unelettred’invitationàvenirà l’Élysée.LeGénéral lui répondparune lettrecourtoisequ’il ne pourra pas s’y rendre. Ce dernier refuse de même lamédaille militaire (accepté par Churchill) que lui propose legouvernement(quipourraitbienledécorer?)avantdedéclinerunenouvellefoisune invitationàdînerà l’Élyséeà l’occasionde lavisiteàParisduprince régentdeBelgique, le26 février,premièrevisiteroyaleaupalaisdepuiscelleduroietdelareined’Angleterre,aumoisdejuillet1939.

De Gaulle ne peut pas transiger avec son « non » à laConstitutiondelaIVeRépublique.Le30mars,àBruneval,enNormandie, il donne une explication publique à ses refus.Profitant de la commémoration de l’exploit d’un commandoallié sur le territoire françaisen1942, il sortde sonsilenceetdéclare : « Le jour va venir où, rejetant les jeux stériles etréformantlecadremalbâtioùs’égarelanationetsedisqualifiel’État, la masse immense des Français se rassemblera avec laFrance. » À son fils Philippe, le Général confie : « Noussommesbonspourlaguerre.Guerremondiale.Guerrecivile7.»D’où ce Rassemblement du peuple français (RPF) dont ilannonce la création le dimanche suivant, 7 avril, àStrasbourg.Autermed’unelongueallocution,ilconclut:«LaRépubliqueque nous avons fait sortir du tombeau où l’avait d’abordensevelie le désespoir national, laRépublique que nous avonsrêvée tandisquenous luttionspourelle, laRépubliquedont ilfautqu’elleseconfondemaintenantavecnotrerénovation,seral’efficience, la concorde et la liberté, ou bien elle ne seraqu’impuissance et désillusion, en attendant soit de disparaître,

denoyautageennoyautage,sousunecertainedictature,soitdeperdre,dansl’anarchie,jusqu’àl’indépendancedelaFrance.»

C’est samanière à lui de rompre avec le régimequi vient àpeine de naître. Vexé par son échec dans sa tentative deréconciliation, Vincent Auriol tranche : « Il n’y a plus rien àfaire avec lui ! » Ramadier va donc voir le Général, quasiclandestinement, de nuit, à Colombey, pour lui indiquer qu’ilsera désormais considéré comme un homme politique à l’égald’unautre etque sesdiscoursne serontplus retransmispar laradio. Six ans plus tard, au cours d’une conférence de pressetenueàl’hôtelIntercontinental,deGaulleexpliqueracommentilavaitvularupturedugouvernementaveclescommunistes:

« Au-dehors, le système communiste liquidait alors touteforce qui ne lui était pas soumise, faisait saisir laTchécoslovaquie, tâchait de s’emparerde laGrèce, poussait enavant Mao Tsé-toung, dressait Hô Chi Minh contre nous,excitaitl’Afriqueàlarévolte.

«À l’intérieur, les communistes que j’avais utilisés pour laguerre d’abord, puis pour un début de redressementéconomique,maissansleurpermettrejamaisdemegagnerà lamain,nid’accéderauxpostesessentiels,setrouvaientaprèsmondépart, sur le point de prendre la tête du pouvoir… Uncommuniste devenait ministre de la Défense nationale. Lessyndicats, qui encadraient alors toute la masse ouvrière etmaintesautresprofessions,étaientpratiquementauxordresdescommunistes. C’est alors que j’ai fondé le Rassemblement dupeuplefrançais.Lepaysseressaisit.Lescommunistesreculèrentpartout, spécialement là où ils étaient le plus à craindre. Lesgouvernants de l’époque se virent contraints de leur ôter leursportefeuilles.Dès lors, les communistes, diminués et relégués,nepouvaientplussaisirlepouvoir8.»

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vétuste que vermoulu, menace de s’effondrer à tout momentlorsqu’unenationpleinedejeunessedébordedevitalité,d’enviedebougeretd’entreprendre,qu’elleestcapabledefabriqueruntauxdecroissanceexceptionnel,doublantlepouvoird’achatendix ans, le parc automobile en quatre ans. Ce contraste, RenéCoty l’avait pressenti le jour de son élection à la présidence,le23décembre1953àVersailles:«LaRépubliquenesaurasedéfendrequesiellesaitseréformer.»Ellenel’apassu.

Son élection même avait été une caricature. Il avait fallutrente-six jours àVincentAuriol pour trouver un président duConseil (Joseph Laniel) au mois de juin de cette année-là, ilavaitfallu treizetoursdescrutinpouréliresonsuccesseurà laprésidencedelaRépublique.«CetteélectionfaitdelaFrancelariséedel’univers»,disaitGeorgesBidaultquidirigeaitencorelesAffairesétrangères.«Elledéshonoreladémocratie»,écrivaitlechroniqueuretpolémisteJean-AndréFaucher.« Ilya fortàparier que René Coty sera le dernier président de la IVeRépublique, prévoyait-il à l’issue du scrutin. La machine dusystèmenerésisterapasseptansdeplusaurégimequ’onluifaitsubirdepuisdixansdéjà.Quandlesclownsnefontplusrire,ildevienturgentdefermerlecirque2.»

Le rituel avait été respecté. Le nouvel élu avait été escortédepuis Versailles par des motocyclistes en grande tenuetricolore, suivis par un escadron à cheval de la garderépublicaine jusqu’au palais de l’Élysée où l’attendaient àdéjeuner Vincent Auriol et sa femme. L’investiture elle-mêmedevait se dérouler trois semaines plus tard, au terme précis duseptennat, le 16 janvier 1954, quand le général Dassault,toujoursgrandchancelierdel’Ordre,luiremettraitlecollierde

grand maître de la Légion d’honneur, dans le salon desAmbassadeurs.

RenéCotyavaitalorssoixanteetonzeans,unelongueviededéputépuisdesénateur,«honnêtehommeethommedebien»,digne représentant de ces dynasties bourgeoises de la IIIeRépublique,famillecatholique,avocat,indépendantetmodéré– ce qui voulait dire de droite. Il avait épousé une femme quiressemblait à toutes les grands-mères de France : travailleuse,affectueuseet attentiveauxautres,qu’ilperdrait, emportéeparunecrisecardiaquele12novembre1955,etceseraitunmomentde chagrin national, à Rambouillet, puis à laMadeleine où lemonde politique, toutes origines confondues, viendrait luirendreundernierhommage.

En 1940, René Coty avait voté les pleins pouvoirs aumaréchalPétain,ilavaitété«blanchi»desonvoteen1945etRobert Schuman avait fait de lui un ministre de laReconstructionetdel’Urbanismeen1947.CommelegénéraldeGaulle,ilavaitvotécontrelaConstitutionde1946qu’ilestimaitinadaptéeàlanécessitéd’unexécutiffort.«SileParlementnese hâte pas d’y porter remède, l’État sera bientôt en danger »,avait-ilexpliqué;leParlementn’enfitrien–etl’Étatsetrouvaendanger.

Lorsdesaprisedefonctions,lesdéputésétaienttrèsdivisésparleprojetdeconstitutiond’uneCommunautéeuropéennededéfense (CED), symbole d’intégration européenne mais aussid’affaissement des frontières et des nations ; CED qui devaitêtre finalement rejetée par l’hostilité des communistes et desgaullistes.LeRPFvenaitd’êtredissous,aumoisdemai1953,par le général de Gaulle, à la suite de son échec électoralde1951quiavaitentraînéuneffritementdanssesrangs:«Ceuxquinevoulaientpascombattresontallésàlasoupe»,disait-il.

Aumomentdeladissolution,ilavaitannoncé:«Voicivenirlafaillitedesillusions.Ilfautpréparerlerecours.»

RenéCotyvit,le7mai1954,ladéfaitedeDiênBiênPhuenIndochine,premièredéfaitemilitairedel’arméefrançaisedepuis1940,puisl’explosiondelarébellionalgérienneàlaToussaintdecettemêmeannée.Malédiction,fatalité,impuissance:laIVeRépublique seramortellement frappée par la guerre d’Algérie.Quand René Coty soumet le jeune et brillant radical FélixGaillard,trente-huitans,inspecteurdesfinances,àl’investiturede la Chambre le 6 novembre 1957, celui-ci est le seizièmeprésidentduConseild’uneRépubliquequiadéjàépuisévingt-deuxgouvernements.Lesdernièresélections,quidatentdumoisdejanvier1956,ontamenéunemajoritédegauchemaispasunepolitique de rechange. L’Algérie, écrit le général de Gaulle,« c’était trop pour des ministères chancelants ». Chacun sentque le système, ankylosé, est en train de céder. Il se produitcomme un « glissement de terrain », dit Guichard. Algériefrançaisecontreabandondel’Algérie,leshuissiersnepourrontpasrésisterauxparas.

*

RenéCoty a rouvert à l’Élysée la petite chapelle construitepar Napoléon III dans l’aile est du palais que Vincent Auriolavait fermée, il a maintenu les Conseils desministres dans lesalondel’hémicyclequifutlachambredeMmedePompadour.IlprésideunetableenU,faceauxtroisfenêtresquidonnentsurle jardin.À sa droite, le président duConseil, FélixGaillard,lui-mêmeassisauprèsdeChristianPineau,ministredesAffairesétrangères, et de Jacques Chaban-Delmas, ministre de la

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–Alors?Enfait,Cotysaitdéjàparuncoupdetéléphonequelerendez-vouss’estmalpassé.

– Il exige les pleins pouvoirs ! rapporteLeTroquer.C’étaitinacceptable–jem’ysuisopposé.Etvoussavezcequ’ilnousadit?«Ehbien,vousvousexpliquerezaveclesparachutistes.»

René Coty décide de s’adresser au Parlement. Aucunprésident ne l’a fait avant lui.Raison de plus, la gravité de lasituation l’impose. Lui aussi peut dramatiser. Les ordres auxavionsdel’opération«Résurrection»sontentraindepartir.Lejeudi29mai,enmilieudematinée,sonmessageestprêt:ilfaitannoncersa lectureà15heuresà l’AssembléeetauSénat.Unmessage dans lequel il prend ses responsabilités devantl’Histoire. Ou bien le Parlement le suit, ou bien il fait sesvalises.Sionlesuit,celainterrompral’opérationaéroportée.

Au même moment, Le Troquer invite Naegelen, ancienministre socialiste, ancien concurrent de Coty à l’électionprésidentielle de 1953, à venir le voir dans son bureau.Naegelen,quiestunhommesensé,n’encroitpassesoreilles:

–L’AssembléevavotercontredeGaulle, luiditLeTroquer.DucoupCotyvadémissionner.Alorsce sera l’heureduFrontpopulaire.Cotyseretirant,c’estmoiquiassuresonintérim.Jem’installeàl’Élysée.Jetechargedeformerlegouvernement.

–L’Élysée !Mais tun’y resteraspasunquartd’heuredanstonÉlysée!luirépondNaegelen,interloqué.

Cela n’empêche pas le même Le Troquer de lireconsciencieusement lemessage du président de la République(car le chef de l’État n’est pas autorisé par la Constitution às’exprimer lui-même devant le Parlement), exprimant unepositionexactementcontraireàlasienne,danslesilenceglacialde l’hémicycle. « Le choix qui m’incombe est donc lourd deconséquences. Il fait peser sur moi une exceptionnelleresponsabilité… Je demande au général de Gaulle de bien

vouloirconféreraveclechefdel’Étatetd’examineravecluicequi est immédiatement nécessaire à un gouvernement de salutnationaletcequipourraitêtrefaitpouruneréformeprofondedenosinstitutions.»

Le texte est lu au téléphone par le secrétaire général de laprésidence, Charles Merveilleux du Vignaux, au général deGaullequi,cettefois,prendlaroutepourl’Élysée.IlarrivedanssaCitroën noire par l’avenueGabriel.Grille duCoq ou portecochèresituéeàl’angledel’avenueMarigny?Lestémoignagesdivergent.Entoutcas,leGénéralentreàl’Élyséeparlesjardins,lejeudi29mai,à19h24selonlesnotesdespoliciersdesRG.Ilsouhaitaitéviterlesphotographesmassésàl’entréedelacourd’honneur.Ilneleurfautpastropdetempspoursedéplacerdel’autrecôté.

René Coty l’attend sur le perron, devant la pelouse et lesparterres de roses, où il salue les souverains pour les dînersd’État. Deux hommes grands par la taille, un peu plus d’unmètre quatre-vingt-dix pour le Général, un peu moins pour leprésident, et qui ont conscience à cet instant précis de l’êtreaussipourl’Histoire.Voicivenuel’heuredeCoty,«cevieuxetbon Français », dira de Gaulle, qui « bien qu’il soit depuislongtempsincorporéauxritesetcoutumesenusage,veutavanttout servir la patrie», en facede celui qu’il vient dedésigner,dans son message au Parlement, comme « le plus illustre desFrançais », « celui qui, aux années les plus sombres de notreHistoire,futnotrechefpourlareconquêtedelaliberté».

–Mongénéral…articuleCoty,lavoixhachéeparl’émotion.Lesdeuxhommesontentêtelemêmesentimentdel’urgence

delasituation,lamêmevolontédesortirdel’épreuve,lemêmesouhait de réformer les institutions. Coty entraîne le Généraldans l’aile du palais. Ils restent seul à seul dans son bureau.Sanstémoin.DeGaulledemanderalespleinspouvoirspoursix

mois,ilmettraencongéleParlementetprépareraunenouvelleConstitution.«Nousnousentendonsaussitôt»,notedeGaulle.

Après lesentretiens«rituels»auxquelsconsent leGénéral,le gouvernement est prêt le dimanchematin, 1er juin, pour unscrutind’investiturel’après-midi.Ilnecompteencorequeseizeministres dont quatre ministres d’État représentant lesprincipales familles politiques, sans négliger la franc-maçonnerie ; en font partie, Pierre Pflimlin, le président duConseil sacrifié,GuyMollet, socialiste rallié,LouisJacquinot,indépendant,etFélixHouphouët-Boignypourlecentregauche,mais il compte aussi Antoine Pinay, aux Finances, MichelDebré,àlaJustice,etMauriceCouvedeMurvilleauxAffairesétrangères. Malraux, qui entre comme ministre délégué à laprésidenceduConseil,ditdrôlement:«Curieuxgouvernement;c’est fabriqué pour moitié d’un cimetière, pour moitié d’uneadministration.»Rienquipuisseangoisserles«républicains».Le scrutin d’investiture est ouvert en fin d’après-midi et sesrésultatssontproclaméspar lemêmeLeTroquerquiannonçaitl’avant-veille que l’Assemblée voterait contre de Gaulle :329voixpourlebénévolat,224contre.«VivelaRépublique!»crieuncommunistequinecroitpassibiendire.

À peine la proclamation faite, le général de Gaulle et sesministresrejoignentenquelquesminutesl’ÉlyséeoùRenéCotyles attend. Pour la première fois depuis 1940, le Généralempruntel’entréedu55Faubourg-Saint-Honoré.Historique.Lacourd’honneurestencombréedecameramenetdejournalistes.Le Conseil des ministres dure quarante-cinq minutes : troistextesexaminés,débatsramenésàleurplussimpleexpression;d’unjouràl’autre,toutachangé;aprèsquoileprésidentdelaRépubliqueoffreunverredechampagnepuisl’onsesépare.

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son retour de Kaboul, cette phrase jusque-là inimaginable etinsensée:«LeGénéral?Iln’existeplus.Ilestmort7.»

Il est encore là. À sa gauche, Michel Debré, la statue ducommandeur, le rédacteur de la Constitution, prédécesseur dePompidou, même âge que lui, « gaulliste souffrant »,intransigeant.À sa droite, sa place immuable,AndréMalraux,ministre d’État, son « ami génial », son « témoin des hautessphères».

Quand Georges Pompidou a formé ce gouvernement un anplustôt,le6avril1967,aprèslesélectionsratées,ilaprocédéàun savant dosage entre gaullistes historiques, Michelet,SchumannouGuichard,etquelques-unsdessiens,républicainsindépendants fidèles comme Raymond Marcellin ou AndréBettencourt, pour avoir sa liberté demouvement. Auprès d’unautre gaulliste patenté, Jean-Marcel Jeanneney, ministre desAffaires sociales, il a nommé son poulain, celui qu’il a vutravaillerà soncabinetavantqu’il ailleconquérir sonsiègeenCorrèze, le cadet assis enboutde table, côté fenêtre : JacquesChirac, trente-cinq ans, secrétaire d’État à l’Emploi, un postecréépourlui.

Convoqué dans des circonstances exceptionnelles, pourtraiterd’unesituationdramatique,ceConseilcommencecommes’ilnesepassait rien :unecommunicationsur lerégimefiscalde la Nouvelle-Calédonie, une autre sur l’aménagement de larégionNord,avantqueMauriceCouvedeMurvillenefasseunpointsur lasituationinternationale…Toutdemême,ChristianFouchet dresse un panorama des désordres, et Jeanneneycomplète par ses propres remarques : « Dans les centreshospitaliers, l’anarchie est totale : lespatronsontdémissionnéetlesjeunessesontsoulevés.»

Aprèsun instantdesilence, legénéraldeGaulledemandeàchacundesministresdes’exprimeraprèsqu’ilauralui-mêmedit

ce qu’il pensait de la situation et ce qu’il entend faire.Un teltourde table estun faitquasimentuniquedans les annalesduConseil.MichelDebré,lamémoiredecegouvernement,n’enaretenu que deux jusque-là : en 1958, pour choisir lemode descrutin des députés, en 1962, après la conclusion des accordsd’Évian. C’est assez dire l’importance capitale que le Généralaccordeàlaquestionqu’ilvaposeretl’enviequ’iladesavoircequesesministresontdansleventreenpleinetempête.

« Notre pays, notre société sont emportés par unetransformation, avec une étendue et sur un rythme jamaisconnus,dit-ild’entrée.C’estunpaysquin’apeurnidelaguerrenide lamisère ;mais il assiste àunmouvement, àunprogrèsqui le dépassent et qui tiennent en un mot : la civilisationtechnique et mécanique. Alors il est troublé dans tous seséléments,etnotammentdanssajeunesse.

«Toutcelaacommencédansl’universitéquiétaitdéjàdepuislongtempsdanslapagaille.Onauraitpuagirplusvite.Maisonalaisséfaire.Désormais,lasituationnepeutplusdurer.L’Étatdisposedelaforcenécessaireàconditiondelevouloir.

« Mais il y a des causes. Je ressens un grand désird’amélioration de la condition de chacun, un grand désir departiciper aux décisions, de ne pas être entraîné par lamécanique, les organisations industrielles, les administrations.Mais il y a aussi les obligations de l’État, celle de maintenirl’ordrepublic,d’assurerleravitaillementdelapopulationetdeveilleràsasanté,denégocieraveclessyndicats.

« Il faut donc que l’État agisse, et d’abord moi-même. Lepays doit nous donner unmandat : pour réformer l’université,pour aménager l’économie, pour développer la formation etl’emploi,pourdéfinirl’organisationrégionale…Cemandatdoitnousêtredonnéparunréférendum.Sic’est“non”,alorsjem’en

vais ; si c’est “oui”, alors les pouvoirs publics le feront.Vousallezmaintenantmedirecequevousenpensez8.»

Le Général commence son tour de table par Edgar Faure,ministre de l’Agriculture depuis deux ans. Sa réputation estbrillante, mais cette fois il n’a rien à dire. Suit RaymondMarcellin, leBreton chargé duPlan, l’ancien secrétaire d’Étatplacé auprès de JulesMoch lors des émeutes de 1947 : « Lepréalable pour que le référendum puisse avoir lieu est quel’ordre soit rétabli », dit-il sans surprise. Quelques minutesavant la réunion duConseil, il a, se rappelleAlain Peyrefitte,sévèrement critiqué devant ses collègues la faiblesse dugouvernement devant les « agitateurs professionnels » : « Onrépliqueaucoupparcoupettoujoursenreculant!»

PierreMessmer,compagnondelaLibération,leministredesArmées(ill’estdepuisneufans):«Leréférendumestuneissuenécessaire, est-elle suffisante ? À l’université, tout est àreconstruire. Ce qui est en cause, c’est bien l’autorité del’État.»

DeGaulle:«Leréférendumn’exclutpaslesélections.»AndréBettencourt,l’undesbenjamins,secrétaired’Étataux

Affaires étrangères : « J’approuve l’organisation de ceréférendum.Carsinousavonssuéviterlaréactionenchaîne,lasituation est très sérieuse dans le pays ; l’immensemajorité abesoind’êtrerassurée;ilfautluiredonnerconfiance.»

JacquesChirac : «Mon général, le référendum est la seuleréponse possible à la situation. D’autre part, il faut éviter lepourrissement ; des négociations pourraient être rapidemententreprises avec les organisations syndicales. Naturellement,celles-civontnousdemander la lune–maisnouspourrionsneleuraccorderqu’unquartierdelune.»DéjàdupurChirac!

AlainPeyrefitte,jeuneministredel’Éducationnationale(ilaquarante-deuxans)depuisunan,aprèsavoirétéàl’Information

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majorité introuvable des élections législatives, une réaction desoutien à sa personne, mais un besoin de retour à l’ordre. Salégitimitéestatteinte.

Le référendum a été fixé au 27 avril. Le dimanche 20, leneveuduGénéral, lepèreFrançoisdeGaulle,célèbre lamessedans lapetite chapellede l’Élysée remiseenétat.Audéjeunerquisuit,ilconfieàsesenfantsqu’iln’aplusdedoutesquantaurésultatduscrutin:labatailleestperdue18.

Le mercredi 23, Conseil des ministres. Ce sera donc ledernier. De Gaulle fait le tour de la table du Conseil, saluechacun de sesministres.Ordre du jour de routine.À la fin, ildit:«Nousnousréunironsenprincipemercrediprochain.S’iln’enétaitpasainsi,ceseraitunchapitredel’histoiredeFrancequi serait terminé. » Après le Conseil, il retient à déjeunerquelques ministres et collaborateurs. Dans une atmosphèrechargéede tristesse, ildemeure« impassible,courtois,aimablecommeà l’accoutumée19 ».Après-midi d’audiences. Puis avantledîner,ilfaitvenirsonsecrétairegénéral,Tricot,sondirecteurde cabinet, LaChevalerie, son chef d’état-major particulier, legénéralLalande,etsonfidèleFoccart.

– Si c’est « non », dit le Général à Foccart, je resterai àColombey.Voussavez,devousàmoi,si le«non» l’emporte,j’en serai heureux et soulagé.Ce serait une fin, j’aurai fait ceque j’auraipupourmonpays.L’Histoirediraque lesFrançaisnem’ontpassuivietl’Histoirejugera.

–Mais,mongénéral, il fautquenousnousbattions, il fautquenousgagnions,tenteencoreFoccart.

–Écoutez-moibien,n’est-cepas,jenerentreraipas20.Lelendemain,jeudi,ilreçoitMichelDebréetluiditlamême

chose:«Jen’aiplusd’illusions;lesdéssontjetés.Jen’aiplusqu’à m’en aller. » Puis ce sera au tour du Premier ministre,Maurice Couve de Murville. Il a déjà donné, en secret, ses

instructionspour ledéménagementdesesaffairespersonnellesetdesesarchives.

À 8 heures du matin, le vendredi 25 avril, son valet dechambre le réveille comme à son habitude.Mme deGaulle leremercie.Lepetitdéjeunerestservisurunplateaudanslapetitesalle à manger. On lui sert un café au lait, accompagné decroissants,debriochesetdeconfiture,aveclesjournaux.Ilfaitensuite longuement sa toilette.Et comme il doit enregistrer enfin de matinée sa dernière allocution télévisée pour leréférendum,ilenrépèteletextetouthautdanssasalledebains.Puis il consulte les dossiers du jour comme si de rien n’était.À 11 heures, il se rend à la salle des fêtes du palais où a étéaménagé le « plateau » entouré de caméras pour sonintervention.Toujours impassible.Le voilàmaquillé, prêt pourcederniermessage:«Votreréponsevaengager ledestindelaFrance,parceque, si je suisdésavouéparunemajoritéd’entrevous[…],jecesseraiaussitôtd’exercermesfonctions.»

–Toutcelaneserviraàrien,dit-ildesonappelausecrétaired’État à l’Information, Joël Le Theule, qui assiste àl’enregistrement21.

Ilquitte lasalledes fêtes, remercie les techniciens,puissescollaborateurs. Et reprend le chemin qui le conduit, par unascenseur,àsesappartementsprivés.Ildéjeunebrièvementavecsonépouse.Lesbagagessontprêts.L’aidedecampduGénéralaprévenuJacquesFoccart:«Attendez-ledanslesalond’Argent,c’est par là qu’il va passer. » « Curieuse impression » pourFoccart que d’attendre son héros dans ce salon où l’empereuravaitabdiquéen1815.Maiscesalond’Argentsetrouveaupieddel’escalierquimèneauxappartementsprivés.Etildonnesurle jardinoùattendlaDSnoire,moteurallumé,conduitepar lechauffeurduGénéral,PaulFontenil.

–Alors,qu’ya-t-il?demandedeGaulleàFoccart.

Celui-cialesdernierssondages:celuidel’IFOPdonneunemajorité de « non », mais plus faible, et celui desRenseignementsgénérauxconclutàunemajoritéde«oui».DeGaulle n’en croit rien, laisse paraître un sourire las, serrechaleureusementlamaindesonfidèleetsuitsonépouseverslavoiture. Celle-ci va emprunter le même parcours côté avenueMarigny qui avait été le sien au matin dumercredi 29 mai 1968 quand le Général avait subrepticementdisparu.Mais,cettefois,ilneprendrapasl’hélicoptère;tropdevent.Ilirachezluiparlaroute.

Le commandantmilitaire du palais fait amener les couleursquiflottaientsurletoitdel’Élysée.

1-MauriceGrimaud,Enmaifaiscequ’ilteplaît,Paris,Stock,1977.

2-ChristianFouchet,AuservicedugénéraldeGaulle,Paris,Plon,1971.

3-JacquesChirac,Chaquepasdoitêtreunbut.Mémoires,tome1,Paris,Nil,2009.

4-AlainPeyrefitte,C’étaitdeGaulle,Paris,Fallois/Fayard,2000.

5-Enmaifaiscequ’ilteplaît,op.cit.

6-JacquesFoccart,LeGénéralenmai,Paris,Fayard,1998.

7-Témoignaged’ÉricRousseldanssabiographie,Pompidou,Paris,JCLattès,1994.

8-VerbatimduConseildesministres.Archivesnationales.

9-MichelDebré,EntretiensaveclegénéraldeGaulle,Paris,AlbinMichel,1993.

10-DeGaulle,monpère,op.cit.

11-GeorgesSéguy,LeMaidelaCGT,Paris,Julliard,1972.

12-EntretienàValeursactuelles,16juin1990.

13-DeGaulle,monpère,op.cit.

14- Témoignage du général de Boissieu à Jean-Louis Guillaud pour son filmL’Étrange Voyage du général deGaulle.

15-SelonlegénéralMassu,c’estaussiàcemoment-làquedeGaulleadécidédeprocéderàuneamnistiepourlesofficiersimpliquésdanslesévénementsd’Algérie.

16-JeanMauriac,LeGénéraletlejournaliste,Paris,Fayard,2008.

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Etpourtant,malgrécettequerelle,PompidouetChabanvontgouverner ensemble.D’abordparceque leurs choix enmatièreéconomique et financière sont identiques (notamment ladévaluation du franc qui solde, en août 1969, les hausses desalaires négociées enmai 1968), ensuite parce que le chef del’État entend faire la démonstration de la stabilité desinstitutions.Sansoublierquel’ombresilencieusedugénéraldeGaulle,retiréàColombey,continuedeplaner.

Jusqu’aumatindu10novembre1970oùGeorgesPompidouapprend par son chef d’état-major particulier que le Générals’estéteintlaveilleausoir.Nouvelleblessure,iln’aétéinforméparaucunmembredelafamille–bienqu’ilaitensapossessionle testamentpolitiquepersonnelduGénéral.À la télévision, iladressealorsauxFrançaiscemessage:«LegénéraldeGaulleestmort,laFranceestveuve…PromettonsàlaFrancedenepasêtreindignedesleçonsquinousontétédispensées.Etquedansl’âmenationaledeGaulleviveéternellement.»

Avec Chaban, il part pour Colombey s’incliner devant ladépouilledeceluiquifutsonchefetsonhéros.MmedeGaullefait refermer le cercueil avant que Georges Pompidou n’arrivepour se recueillirdevant ladépouilleduGénéral. Iln’aurapasété admis à voir le Général sur son lit de mort. Le 18 juinprécédent,iln’avaitpasétéautoriséàpénétrerdanslacrypteduMont-Valérien,hautlieudelaRésistance.

Quelques mois plus tard paraîtra le second tome desMémoiresd’espoirdont leGénéralapuacheverdeuxdesseptchapitres prévus. Au début de ce deuxième chapitre figure enune page ce que Pompidou interprétera, selon son biographeÉric Roussel, comme sa propre « exécution » ; le Généralraconte comment il a fait sortir de l’ombre, le 14 avril 1962,celui qu’il a nommé Premier ministre : « Voilà donc que cenéophyte du forum, inconnu de l’opinion jusque dans la

cinquantaine, se voit soudain, de mon fait et sans l’avoircherché, investi d’une charge illimitée, jeté au centre de la viepublique,cribléparlesprojecteursconcentrésdel’information.Mais, pour sa chance, il trouve au sommet de l’État un appuicordial et vigoureux, au gouvernement des ministres qui,dévoués à la même cause que lui, ne lui ménagent pas leurconcours,auParlementunemajoritécompacte,danslepaysunegrandemassedegensdisposésàapprouverdeGaulle.»

CequisignifiequeGeorgesPompidoun’aexistéqu’àtraversle Général. Celui-ci disparu, il doit exister par lui-même. Ilréagit : « L’horloge mondiale ne s’est pas arrêtée au moisd’avril1969.»

*

L’année1971seral’apogéedesaprésidence.Sonbut:«fairede la France un véritable pays industriel, donner à l’économiefrançaiseunedimensioninternationale».Ill’avaitannoncéavecéléganceenarrivantàl’Élysée:«Lespeuplesheureuxn’ayantpas d’histoire, je souhaiterais qu’on lise dans les manuelsd’histoirequede1969à1976[termenormaldesonseptennat],laFrance a connuunepérioded’expansion, demodernisation,d’élévationduniveaudevie;quegrâceauprogrèséconomiqueet social, elle a connu la paix extérieure, que l’étranger l’arespectée parce qu’il voyait en elle un pays transformé,économiquementfort,politiquementtournéverslapaix…»

Il se concentre entièrement sur l’expansion industrielle,condition de l’indépendance nationale, et la constructioneuropéenne. Il multiplie les Conseils restreints consacrés àl’industrie, développe l’investissement et la recherche, veutdoubler, tripler le réseau des télécommunications, le parc

automobileetleréseaudesautoroutes,lanceleparcdecentralesnucléaires et la fabrication de l’Airbus, atteint des records enmatière de construction de logements… Taux de croissanceannuel : entre 4 et 6 % ; croissance de l’investissementindustriel:7,5%enmoyenne!

Puisqu’il s’agit de rendre nos industries à la foisexportatricesetplusperformantes,ungrandespaceéconomiqueeuropéen est indispensable : d’où la négociation qu’il conclutavec le Premier ministre britannique, Edward Heath,conservateur proeuropéen, en vue de faire adhérer la Grande-Bretagne auMarché commun.Enmettant fin à la politiquede«blocuscontinental»dontlesAnglaiss’estimentlesvictimes,il se donne l’ambition de bâtir une « Europe des pays unis »indépendante des deux grandes puissances ; il voit loin :l’exécutif européen commun, le Parlement, la monnaiecommune. Il s’en explique auprès de Richard Nixon et deLéonidBrejnev.

La tâche accomplie paraît si brillante qu’il en oublie samaladie.Maisà la finde l’année1971, lavoiciqui réapparaît.Le 6 décembre, conformément à la tradition, six cents enfantssontinvitésàl’arbredeNoëldel’ÉlyséeoùlesattendentHenriSalvadoretMireilleMathieu–etleprésidentdelaRépubliqueaccompagnépar sa femme.Mais trèsvite, leprésidentdoit lesquitter. « Si le travail, c’est la santé, dit-il tout sourire auxenfants,ilfautcroirequejenetravaillepasbeaucoupcarjesuisgrippéetfatigué.»

Une grippe, ce n’est rien – mais cela peut camouflerbeaucoupdechoses,unegrippe.Certainschuchotent. Ildonnelechangeentravaillant.«Jefaismonmétier»,dit-ilàPhilippede Saint Robert7. Croyant pouvoir tirer profit de cetteannée 1971 si positive, il décide d’organiser, au printempssuivant,unréférendumsurl’adhésiondelaGrande-Bretagneau

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est absurde.On entre par les chambres ; on sort par la salle àmanger.On ne peut y êtremalade. Si on l’est, il faut se fairehospitaliser. JecouchequaideBéthune.J’étudiemesdossiers,je reçois mes collaborateurs et je tiens mes engagements. Jelimitemescontactsàcequiestnécessaire…»

Comme pour corriger des propos trop graves par une noted’ironiequi lui convientmieux, il termine ces«deuxou troismots » en insistant : « Soyez tranquilles, si j’ose dire :comprenez que c’est peu agréable. Si je vais me reposerquelquesjours,ceneserapasnouveau.Alors,onverrabien.J’ailefermeespoird’embêterencoretoutlemonde15!»

Il se lève, avec beaucoup de mal. Salue du regard sesministres auxquels il n’a plus la force de serrer lamain. Il seretire.Derrière laporte, leshuissiers sont làpour l’aider. Ilvarentrer quai de Béthune, chez lui. Le surlendemain, vendrediaprès-midi, il a maintenu son entretien hebdomadaire avec leministre des Affaires étrangères, Michel Jobert. Celui-cin’assistait pas au Conseil du mercredi, il prenait part à uneconférenceàCaracas.Leprésidentnese lèvepasdesonsiègepour l’accueillir comme il le faisait toujours. Jobert remarquesonimmensefatigue,mêmes’ilresteattentifàtout.

–Voilà,ditGeorgesPompidou,àlafindeleurdiscussion,jevaispartirpourtrois jours.Trois jours,n’est-cepas.Etcommecela,jeverraisijevaismieux.

Iladittroisjours.Lesamedi30mars,ilpartsereposerdanssamaisond’Orvilliers, àunpeuplusd’uneheuredeParis.Lasouffrance devient insupportable. La nuit a été dure ; il est àpeine capable de se lever le dimanche ; il est obligé de serecoucher avant le déjeuner. Le soir, il est foudroyé par unesepticémie.Le lundimatin 1er avril, ÉdouardBalladur appellePierreMessmerpourluidirequeleprésidentestauplusmalet

que son audience est annulée. Au début de l’après-midi, uneambulancevientchercherleprésidentpourlereconduirequaideBéthune ; il est quasiment inconscient. Au cours d’une brèvepériode de lucidité, il reçoit Pierre Juillet. Le président de laRépubliquea-t-ilalorsconvenuavecsonplusprocheconseillerqu’iln’étaitplusenmesured’exercersachargeetqu’ildevraits’adresser au pays ? Pierre Messmer, à Matignon, JacquesChirac,auministèredel’Intérieur,setiennentenalerte.ChiracserendquaideBéthunepouryinterrogerlesmédecinsetrentreplaceBeauvau.Riennefiltreencore.À4heuresdumatin,dansla nuit du mardi 2, Pierre Juillet appelle Pierre Messmer del’Élysée : « Il n’y a plus d’espoir », dit-il. Son téléphoneraccroché,ilrejointMatignonoùl’attendentMessmeretChirac.Lestroishommesconfèrent;ilest4h15;ilssaventqu’ilfautseprépareràl’inévitable.

Leur président va mourir ; il va falloir quitter l’Élysée envingt-quatreheures,laisserlaplaceauprésidentduSénat,AlainPoher, qui va assurer l’intérim avec son cabinet, Poherl’adversaire du président en 1969. Et puis, il y aura l’électionprésidentielle–commentempêcherChaban?Avanttoutechose,mettreàl’abrilesarchivesdelaprésidence.Onnelaisserienàl’intérimaire. Juillet va charger Jobert au Quai d’Orsayd’organiser le déménagement, et notamment celui des papiersdiplomatiques.Dèsquepossible,Juillettenteradefairedésignerparleprésident,dansunmomentdelucidité,sonsuccesseurenlapersonnedePierreMessmer.

MaisJuilletn’yarrivepas.C’esttroptard.LeprésidentdelaRépublique se meurt. Il n’y a plus qu’à accélérer ledéménagement des archives.Aucune trace du« cabinet noir ».Aussitôtaprèslecommuniquéannonçantledécèsduprésident,Juillet et Foccart s’affairent autour de l’embarquement descaisses tout juste fermées.Tandisqu’une foulede reportersde

radioetdetélévisionenvahitlacourd’honneurdel’Élysée,àlarecherched’informations,Juillet,àl’écartdecetteagitation,n’aplusqu’unsouciimmédiatàcetteheure-làdelasoirée,joindrele patron des services de Renseignements, Alexandre deMarenches.

Georges Pompidou l’avait nommé à la tête du SDECE,quelques mois après son élection. C’est un géant, un mètrequatre-vingt-dix, cent kilos, surnommé Porthos, officier decavalerie pendant la guerre, aide de camp du maréchal Juin,chargé de toutes sortes de missions après guerre du côté desAméricains,quePompidouaengagéafinderemettredeboutdesservices démolis par l’affaire Ben Barka (l’enlèvement et ladisparitionde l’opposantmarocain).Pensait-il aussi à l’affaireMarkovic ? « Je n’y ai jamais été mêlé, jamais », diraMarenches.

Juillet est soncorrespondant à l’Élysée. Il l’appelle sur sonradiotéléphone:

– J’ai besoin de vous pour une mission tout à faitconfidentielle:ilfaudraitouvrirsoncoffre-fortprivédontonabien entendu perdu la clef. Seuls les services spéciaux saventouvrirlescoffres-fortsentoutediscrétion.

Marenchesaccourtdoncàl’Élyséeavecson«serrurier».Savoitureseprésenteàl’angledel’avenueGabrieletdelaruedel’Élysée:quelquesappelsdephares;lesgendarmes,prévenus,ouvrent la grille de la porte.La voiture pénètre discrètement àtravers les bosquets et les pelouses. Marenches descend,accompagnéparsonspécialiste,sedirigeverslesalond’Argentoù il est attendu, traverse la pièce, entre dans un petit bureausitué à l’arrière, et emprunte l’escalier dérobé qui le conduitdansl’appartementduprésidentd’oùilsedirigeverssasalledebains.C’est làqu’a été scellé le coffrepersonnel duprésidentdéfunt.

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interrompusdansnosproposparunéclatderiredemafemme.Je lève la tête et je vois leGénéral visiblement gêné, donnantdeuxoutroiscoupsdementonenl’air.

«Lorsque ledîner terminé,nousavons regagné lepalaisduLuxembourg, j’ai demandé à ma femme ce qui avait puprovoquersonhilaritéetlacontrariétévisibleduGénéral.

– C’est simple, dit-elle, au cours de la conversation, nousavons évoqué quelques personnalités de l’Union française etnotamment Léopold Senghor, à propos de son récentmariage.C’estalorsqu’ilm’adéclaré :“Jen’aipascompriscemariagede Senghor avec une Normande…” Sur le moment, j’ai étésuffoquée,puisjeluiairéponduenéclatantderire:“Tiens!Etpourquoidonc?Personnellement,jesuismariéeàunhommedecouleuret jenem’enportepasplusmal…”C’estalorsqu’ilacompris qu’il venait de faire une gaffe. Cela prouverait, apoursuivi mon épouse, qu’il ne te considère pas comme unNoir!

«Jesuispersuadé,ajouteMonnerville,quesij’avaisencoreétéauSénat lorsduréférendum[de1969],sachantquej’allaisoccuper l’Élysée, le général de Gaulle n’aurait pasdémissionné.»

Vraie ou arrangée, l’anecdote ne vaut que par celui qui avoulularappeler.Onnesaitjamaislerôlequepeuventjouerdepetites blessures intimes dans de grandes décisions. Toujoursest-il qu’après le vote de la censure par l’Assemblée,le5octobre1962,laquelleentraîneraipsofactoladémissiondugouvernement de Georges Pompidou, le chef de l’État doit,conformément à la Constitution, consulter les présidents desdeuxAssemblées,ChambreetSénat,avantdeprendreledécretdedissolution.IlreçoitdoncMonnervilleàl’Élysée–maissanslui serrer la main et pour un entretien qui n’excédera pas

quelquesminutes.Dece jour, leprésidentduSénatestmisenquarantaine.Ilnereviendraplusàl’Élysée.

L’après-midi du vendredi 7 décembre suivant, legouvernementPompidou,issudelavictoireélectorale,estréunien Conseil. À l’issue, Alain Peyrefitte, ministre del’Information,reçoitlesconsignesetconfidencesduGénéral:

–IlfautquejelaissederrièremoiunÉtatquisoitsolidesurses jambes, lui dit-il. Le Sénat est un talon d’Achille. J’avaispensé à l’opérer plus tôt.Mais, cette année, avec la fin de laguerre d’Algérie et le référendum sur l’élection présidentielle,nous avons eu assez d’agitation comme ça. Laissons cicatriserun peu. Puis il faudra détruire ce Sénat ou en tout cas letransformer.

GeorgesPompidouditàsontouràPeyrefitte:– Laissez donc filtrer que les rapports avec le Sénat

s’améliorerontdès lorsque leSénat liquideraitMonnerville. Ilfaut tenirpersonnellementMonnervilleàboutdegaffeet fairecourirlebruitqueleSénatvaêtresupprimés’ilnes’envapas5.

DeGaulleetPompidoun’endémordentpas:tantqueGastonMonnervilleresterasonprésident,leSénatseraaupiquet.Celadurera pendant six longues années, jusqu’en 1968. Lesévénements de mai conduiront le Général à différer leréférendum qu’il avait annoncé, il n’y a pas renoncé. Il veuttoujoursorganiserladécentralisationettransformerleSénatenchambredesrégions:ilvafinirparlefaire.Etpuis,lemandatdu président du Sénat arrive à son terme à la fin dumois deseptembre 1968. Son renouvellement doit intervenirle2octobre.Monnervilleprésidecetteassembléedepuisvingtetunans;àsoixanteetonzeans,ilestimeletempsvenudepasserla main, sans omettre de définir les critères d’un « bonprésident» : non seulementun sénateurde« compromis»,desensibilité « européenne », mais aussi quelqu’un qui puisse

résisterauGénéral…PourquoipasAlainPoher,alorsprésidentduParlementeuropéenquel’Élyséeignoreavecsuperbe?

–Vousavezétérésistant,ditMonnervilleàPoher,aumoinsdeGaullevousécoutera.Vousnepouvezpasvoussoustraireàcettemission.

Jean Lecanuet, le candidat du centre contre de Gaulle àl’électionprésidentiellede1965, tente luiaussidedécidersonamiPohermaisenluiexpliquantaucontraire:

–Situesélu,tuneparviendraspasàconvaincredeGaulledechangerd’avis.Sonréférendumauradonclieu.

–C’estàcraindre,eneffet,glissePoher.– La suite, je peux te la décrire : de Gaulle perdra son

référendumetilpartira.«Comme je le regardais avec surprise, écritPoherdans ses

souvenirs, Lecanuet poursuivit calmement : “Tu assurerasl’intérimettuserasobligéd’êtrecandidatàlaprésidentielle.”»Le destin était tracé ! Poher est élu président du Sénat dès lepremier tour de scrutin à la fin du mois de septembre 1968.PuisqueMonnerville a cédé laplace,unepartiede la sanctionprise à l’Élysée est levée : avant de décider de la date duréférendum, le Général reçoit, dans son bureau, le nouveauprésident,AlainPoher,le17janvier1969.

LeGénéraladevantluil’héritierdeSchumanetlesuccesseurdeMonnerville, ses deux bêtes noires. « Ilm’impressionne »,diraPoheravecsimplicité.UnPoherquichercheà«placerunmot»detempsentemps:

–Ilseraitbon,dit-ilparexemple,qu’ilyaitunechambrederéflexionpour contrebalancer dansun sensoudans l’autre lesdécisionsdel’Assembléenationale.

– Mais vous en serez président, de ce nouveau Sénat,rétorquedeGaulle,vousenferezcequevousvoudrez!

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estcoupée, l’identificationnepeutplusêtreassuréequepar lavoix,ouparunmessage.Nil’uneni l’autrenesonttotalementfiables. D’où la nécessité de recourir à un coded’identification.»

C’estle«moded’emploi»atomique,l’enveloppescellée,lemédaillonquelechefdel’Étatportesurluiouàproximité,quipermetd’authentifierceluiqui,seul,ausommetdelachaînedecommandement, peut « donner l’ordre de déclencher le feunucléaire».C’estbien Jupiter, dieudesdieux,détenteurde lafoudreduciel.Unpouvoirintimidant.ValéryGiscardd’Estainga exercé tous les autres, les Finances, le Budget, l’Économie,l’autoritésurleshommes,maiscelui-là,malgrédix-huitannéesdecarrièrepolitique,dontneufpasséesaugouvernement,neluiest pas familier. Il y a encore là bien des secrets, desraisonnements,unlangagequ’ilneconnaîtpasouqu’iln’apasacquis.

En arrivant à l’Élysée ce lundi matin, Valéry Giscardd’Estaingaétéaccueilli,àsademande,parleChantdudépart,la République nous appelle, symbole de la filiationrévolutionnaire de nos institutions ; officiellement investi, ils’est rendu dans les jardins, et là c’est laMarche consulaire,souvenirimpérialinterprétéparlamusiquedelaGarde,quil’aaccompagné,avantqu’ilnepasseenrevueledétachementd’unescadron du 2e régiment de dragons, son régiment, au seinduquelils’estbattuenAlsace,l’hiver1944-1945,quandilavaitdix-neufans.Puis,commetouslesprésidentsdelaRépublique,ilestpartis’inclinersouslavoûtedel’Arcdetriomphe,élevéàla gloire de l’armée française. Si l’Élysée est une maisonmilitaire, la France est aussi une nation militaire. Et de touttemps, le président de laRépublique a été le chef des armées.Soninitiationvientdecommencer.

Lepremiervisiteurétrangerqu’ilappelleàvenirlevoirsansperdreuninstantc’estl’AllemandHelmutSchmidt,sonaînédehuit ans (il est né à Hambourg un mois après l’armistice du11novembre1918),sonamipresqueintime,celuiavecquiilsesentleplusenconfiance.Orcelui-civientd’êtreéluàlatêtedel’exécutiffédéral,lachancellerieallemande,quasimentenmêmetemps queVGE enFrance : le 16mai.Certes Schmidt est unsocial-démocrate,maisilsedéfendd’êtreun«socialiste»àlafrançaise,ets’ilestconnupoursa«grandegueule»,sonentréeaugouvernementdeWillyBrandt,aumoisd’octobre1969,luiaappris à modérer ses expressions et à devenir un pragmatiquedansl’action.

En passant près de trois ans au ministère de la Défense,Schmidtaacquisune forteexpertisedans ledomainemilitairetout en se constituant un puissant réseau de relations dans lemonde ; puis il a succédé à Karl Schiller au ministère desFinances,enjuillet1972,etc’estlàqu’ilsontfaitconnaissance,Giscard et lui. En particulier au sein de ce club très fermé, leclubdes cinqministresdesFinancesdespremièrespuissancesdelaplanète(États-Unis,Japon,Grande-Bretagne,AllemagneetFrance) réunis à l’initiative du secrétaire au Trésor américain,George Schultz, dans la bibliothèque de laMaisonBlanche –d’oùsonnomde«LibraryGroup».

Lesdeuxhommesvontsedécouvrirbiendesaffinités,tantenpolitiqueéconomiquequ’endiplomatie:unmondialismeavantla lettre où les échanges commerciaux jouent le premier rôlepour assurer la stabilité des relations internationales. Ilssiégerontcôteàcôteauseinducomitéd’actionpourlesÉtats-Unis d’Europe sous l’inspiration de JeanMonnet. Durant cesannées 1972-1974, ils vont devoir affronter ensemble le chocpétrolier, l’affaissement américain au Vietnam, la perte de

confiance des États-Unis, et en sens opposé, le rebond de lapuissanceetdesprétentionssoviétiques.

–Nousnoustéléphononssouvent,ditGiscard.Ilsseparlentenanglais,sanspasserparletruchementd’interprètes.

Quatre jours tout juste après son installation à l’Élysée, levendredi 31 mai, le tout nouveau président de la RépubliqueentraînedoncsonamiHelmutSchmidtet lui fait leshonneursdelamaisonavantdeleconduireàsonbureaudupremierétage.Il n’a pas voulu du salon doré du Général, pas question des’asseoir dans le fauteuil qui fut celui de De Gaulle : « Actesacrilège ! » Il a choisi le salon d’angle, à l’est, inondé delumièregrâceàsesquatrefenêtresdonnantsurleparcetsurlaroseraie, ancien bureau tantôt du directeur de cabinet de laprésidence,tantôtdesonsecrétairegénéraladjoint.Ilvienttoutjuste d’y faire installer, dos à la cheminée demarbre blanc, lebureauplatXVIIIeenacajou,signéRiesener,quiétaitlesienauministère des Finances. Il a posé dessus son « fétiche », lapenduledesonarrière-grand-pèreAgénorBardoux,ministredel’InstructionpubliqueetdesBeaux-Arts,souslaprésidencedeMac-Mahon2.

Au moment où débute ce premier entretien entre les deuxchefsdesexécutifsfrançaisetallemand,leprésidentdesÉtats-Unis,RichardNixon,n’apasencoredémissionné,maisilvacillesouslescoupsduscandaledesécoutesduWatergate,tandisquel’Union soviétique prépare le déploiement, à partir de sonterritoire, d’un nouveau missile stratégique de quatre millekilomètres de portée – donc destiné au champ de batailleeuropéen – le SS 20, à trois têtes nucléaires. Une étroitecoordination franco-allemande n’en est que plus nécessaire enfacedudanger.Et là,enfindeconversation,selonlerécitque

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question:«Contrequilesarmesnucléairesfrançaisessont-ellesdirigées ?»Et il avait répondu sans se laisser impressionner :«Notredéfense restenationale. »Malgré sa claustrophobie, ilest descenduàbordd’un sous-marinnucléaire,Le Terrible, laveilledu jouroù ilestallésymboliquementse recueillir sur latombedugénéraldeGaulle,pourlequatrièmeanniversairedesamort.«Chaquedétaildesmoteurs,de lacoqueetdesmissilesdecessous-marins,aétéconçuetfabriquéparnosingénieursetnos techniciens,dira-t-il fièrement.Dans lamiseaupointet ledéploiement de sa force de dissuasion stratégique, latechnologiefrançaiseadémontréunecapacitéexceptionnelle.»

*

L’armée,c’estd’abordl’arméedeterre.Giscardsavaitqu’ilyavait de l’agitation dans ses rangs, que quelques rescapésde 1968 avaient lancé un « appel des cent » contre le servicenational. Le tout premier défilé du 14 juillet 1974 étaitl’occasiond’apporter des changements dans l’ordre de l’imageet de souligner son attachement aux armées. Fête nationale etfêtemilitaireseconfondaientdepuisladécisionprisepardécret,le6juillet1880,souslaprésidencedeJulesGrévy.Lestroupesdéfilaient alors à Longchamp et cela dura jusqu’en 1914.En1919,ledéfilédelavictoirefutdéplacéauxChamps-Élyséesoù il demeura pendant vingt ans ; interrompu par la SecondeGuerre mondiale, il reprit en 1945 sur la même avenue. Lenouveau président de laRépublique voulait le déplacer sur unautreparcours : de laBastille à laRépublique, parcequ’aprèstout,lafêtenationale,c’étaitlaprisedelaBastille,le«BastilleDay»commedisent lesAméricains.Changerde lieuune telle

organisation avec un préavis d’un mois relevait quasiment del’improvisation.

Lagauchetrouvalechoixheureux(pourL’Humanité,lafêtenationale prenait une « nouvelle jeunesse »), la droite futcirconspecte. LaMarseillaise changea de rythme. Le chef del’Étatdéposaunegerbe,nonplussousl’Arcdetriomphe,maisdevantla«colonnedeJuillet»,érigéeaucentredelaplacedelaBastille,pourcommémorerlesmortsdes«troisGlorieuses»quiavaient chassé Charles X et installé Louis-Philippe. « Netremblons pas dans la crainte de bousculer les habitudesde 1860 », dit le président. Ce devait être, selon son vœu, ledéfilédetroupesàpiedleplusnombreux,treizemillehommes,depuislaLibération.

Mais ces changements n’atténuent pas le « malaise », lepremier mouvement de contestation depuis la fin de la guerred’Algérie.Celavamêmeloin:le10septembre,danslesruesdeDraguignan, deux cents appelés du 10e régiment d’artilleriemanifestent en levant le poing. Le lendemain, ce sont leschasseursdu22eBCA.Descomitésdesoldats secréent icietlà.Danger.

Le10octobre,lechefdel’ÉtatréunitunConseildedéfensedanslesalondesaidesdecamp,neufhautsresponsablescivilsetmilitaires,ministresdesAffairesétrangères,delaDéfense,etchefs d’état-major. Il est décidé de transférer 400 millions defrancsdescréditsd’armementauxsoldesdespersonnels.Àcôtédelaforcenucléaire,onreconstitueradesunitésd’interventionclassiques.

Le24,enconférencedepresse,Giscarddit:«Nousdevonsnousprépareràgérerl’imprévisible.»

L’imprévisible:enOrientouàl’Est.Maiscommentlegéreravec une crise au sein des armées ? Trois mois plus tard, en

janvier1975,devantsixcentsofficiersderéservequil’ontinvitéà Niort, Bigeard, le général para, commandant la 4e régionmilitairedeBordeaux,sefaitovationnerlorsqu’illance:«C’estlebordel !Qu’attend legouvernementpour réagir?Quefait-ilpourl’armée?Noussommesinjuriés,calomniés,traînésdanslaboueetnousn’avonsqueledroitdenoustaire!Onenarriveàinviter les soldats, les sous-officiers, les officiers, à éviter deporter l’uniforme hors des casernes ! Pour ceux qui nousdirigent,l’arméeestuneforcedetroisièmecatégorie,derrièrelesCRSetlagendarmerie.»

Le«bordel»faitdubruitjusqu’àl’Élysée.LegénéralMéryadresse à l’auteur de la diatribe un télégramme le priant de seprésenterle30janvierchezleprésidentdelaRépublique.

« Prépare les cantines, le président va me dégager », ditBigeardàsafemmeenprenantletrainpourParis.

Giscard le reçoit en tête à tête. Un grand baroudeur toutintimidé devant le chef de l’État. Parachuté avec la premièrevague sur Diên Biên Phu, colonel en tenue léopard dans ledjebel algérien, soldat de légende et colonial dans l’âme,cinquante-neuf ans, quatre étoiles, Bigeard se demande si sacarrière n’est pas déjà derrière lui… Surprise : entré généraldanslebureaudeGiscard,ilensortsecrétaired’ÉtatauxForcesarmées!

–Lemoraletladisciplinedanslesarmées,vousconnaissez,allez-y, mon général, redonnez-leur confiance, vous aurez cequ’ilfaut,luiditleprésident.

–Vousme redonnez un coup de jeune ! s’exclameBigeardqui,«àdemiK.-O.»,aeubesoindereprendresonsouffleavantderépondre.

«Jen’aipasencoreconsciencequ’onvientdemeparachuterenpleinejungle11»,écrira-t-il.

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il était chez lui. Au terme de trente-quatre années de carrièreparlementaire, il venait d’atteindre la « plus haute charge » del’État. Cet aboutissement n’était pourtant qu’un début. « J’aiabordé cette journée avecun riendepréciosité1, pour un autreanniversaire,cesvingt-cinqansdeParlement.Jen’aimepasqueles sentiments se paient de mots et m’émeus aux symbolescommesij’avaisbesoinplusquenaguèredepercevoirunreflet,aussi ténusoit-il,de la facecachéedeschoses.C’estpeut-êtrepourquoi jem’accordeavec leMorvan, terreprofondedont lesflancs portent les eaux de cent rivières. » Ce n’était pas unejournéecomme lesautres,maisunedecelles«où l’on touchedudoigtsaproprevérité».

Ilredescendit,sachemisechangée,gardantlemêmecostume.Ensemble, les fidèles et lui échangèrent des sentiments,partagèrentdesémotions;l’und’eux,plushardiquelesautres,selança:

– Alors, Président, dit-il comme il en avait jusque-làl’habitude,onpeutsavoircequ’ilvousaditcematin?

«Il»,c’étaitGiscard.Laquestionportaitsurleurentretienentête à tête du début dematinée.Ces quarante-cinqminutes oùs’étaitfaitl’échangedes«secretsd’État».FrançoisMitterrandseredressadanssonfauteuilavecl’œilgourmanddeceluiqui,investidupouvoir,savaitdéjàcequelesautresnesavaientpas.Ildétachanéanmoinsquelquessujetsdecetentretien:Giscardlui avait décliné quelques informations de nos services derenseignements prévoyant la mort prochaine de Brejnev, lesprojetsdel’ÉgyptienSadatepourdémolirsonvoisinKadhafi;ilévoquaaussiledossierdegrâced’uncondamné,lacoopérationnucléairesecrèteaveclesÉtats-Unis.Etlà,FrançoisMitterrands’interrompit:

–Aufait,oùai-jemisl’enveloppe?

Il passa sesmains dans ses poches, intérieures, extérieures,fouillantlesunesetlesautres.Ilserassura:elleétaitbiendanssonveston,à laplaceduportefeuille,et il la tiradelapoche:c’était une enveloppe blanche carrée, un peu jaunie, comme sielle avait vieilli dans un tiroir ou dans un coffre ; elle étaitferméepardesbandesdepapieradhésifcroisées.

–Ah!C’estça,dit-il:lescodesnucléaires.Ilm’adonnélescodes.

Ilfitalorsunautremouvementsursapoitrine:carilportaitaussisurluilemédaillon.Ill’enlevaenlepassantautourdesatête et montra aux novices ce totem qu’il avait porté toute lajournée : cette petite boule creuse pendue au collier. Il n’avaitpas passé le collier de grand maître de la Légion d’honneurdurantlacérémonied’investiture,maisilavaitacceptécelui-là:lechefdel’état-majorparticulierdeGiscardluiavaitconfiéquece médaillon contenait son identification pour pouvoirtransmettre un ordre d’engagement aux forces nucléaires. Cemédaillon contenait donc la preuve de son pouvoir suprême,celuiduchefdel’État,chefdesarmées.

Encorefallait-ilpouvoirl’ouvrir.Illepritentresesdoigtsettentadeledévisser.N’yparvenant

pas,illecoinçaentresesdents.Lapetiteboulerésistait.Celafitrireautourdelui.Ilappelaunhuissier:

–Voulez-vousmetrouverunepince,s’ilvousplaît.On pouvait tout demander à un huissier de l’Élysée. Mais

c’était bien lapremière fois que leprésidentde laRépubliquedemandaitque l’onveuille lui apporterunoutil dansun salondupalais.

Ilfallutunmoment.L’huissier revint, portant la pince demandée. François

Mitterrand le remercia,prit l’outild’unemain, etde l’autrece

petitsceptredel’autoritémoderne.Ilfittournerlecouvercledelacapsuleetl’ouvrit,enfin.

Lemédaillonétaitvide.Leprésident sortant le savait-il ?Avait-il eu la curiosité lui

aussidel’ouvrir?Avait-onomisdemodifier l’identificationetderechargerlemédaillon?Pensait-onqu’illeferaitlui-même?Nul ne le sut.Mais lui qui était si sensible aux symboles nepouvait pas ne pas interpréter cela comme un signe : laRépublique lui laissait un pouvoir vacant ; cette chaise videabandonnée parValéryGiscard d’Estaing l’avant-veille au soirdans une mise en scène filmée par la télévision. Le dernierprésident de la République socialiste, Vincent Auriol, avaitquitté l’Élyséevingt-septansavant ; aucunministredegauchen’yétaitentrépourunConseildesministresdepuisvingt-troisans.Aveclui,lagaucherentraitd’exil.Toutrestaitàfaire.

*

« Nous avons tant à faire ensemble, tant à dire aussi… »C’est à Château-Chinon qu’il l’a déclaré, le soirdu10mai1981.PourquoiChâteau-Chinon?Parcequec’estsacirconscriptionetsamairie;maispourquoicelieu-ci,luiquiestné en Charente et habite Paris ? C’est qu’il n’a guère eu lechoix;onluioffraitlaNièvreoulaVienne,NeversouPoitiers.C’était en 1946 ; l’année précédente, il avait été battu auxélectionsde l’Assemblée constituantedansune circonscriptionparisienne. Il s’était alors adressé à Henri Queuille, le radicalsocialiste corrézien, vingt-trois fois ministre sous la IIIeRépublique,ànouveauministredugénéraldeGaulle,«quiavaitfait de la modestie, de la discrétion et de l’immobilisme desarmespolitiquesredoutables2».Queuilleluiavaitdoncsuggéré

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Lematinmême,danslasalledesfêtesdel’Élysée,legénéralAndréBiard,grandchancelierdelaLégiond’honneur,luiavaitprésenté le collier de grandmaître18. Puis FrançoisMitterrandavait prononcé ses premières paroles de président de laRépublique devant ses trois cents invités tandis que l’on tiraitvingtetuncoupsdecanonlelongdesbergesdelaSeine:«Lamajoritésocialevientdes’identifieràlamajoritépolitique…LaFrancepeutéclairerlamarchedel’humanité.»

Parmitoutescespersonnalitésamies,ilyavaitPierreMendèsFrance, assis au premier rang, courbé en deux, les larmes auxyeux.Enleserrantdanssesbras,Mitterrandluiavaitglissécesmots:«Sansvous,rienn’eûtétépossible.»C’étaitbienl’heuredes hommages. Avec lui, les relations n’avaient jamais étésimples.Lesdeuxhommesavaientpourtantétécommefascinésl’unpar l’autre audébut de leur carrièrepolitique ; ils étaientd’accordsurtout,etMendès,présidentduConseil,avaitfaitdeluisonministredel’Intérieur,le19juin1954.Maisunaccidents’était produit le 10 juillet, l’« affaire des fuites » : on avaitretrouvédes informationsrelevantde ladéfensenationaledanslespapiersduparticommuniste.D’oùvenaientces fuites?Lenom de François Mitterrand avait été cité. Mendès avait-ilaccordé foi à ces accusations ? Bizarrement, il n’avait pasinformé son ministre des « révélations » dont il avait euconnaissance ni de l’enquête discrète qu’il avait demandée ;sans doute voulait-il garder le secret pour protéger songouvernement, mais Mitterrand l’apprit et il en fut blessé.« Certes, dira-t-il, quand il eut connaissance de cette terriblecharge, il tarda àme prévenir. Il préféramettre ce rapport quim’incriminait de côté plutôt que de m’en donnerconnaissance19.»

Leurs routes s’étaient à nouveau croisées durant lesévénementsdemai1968,maisl’unetl’autrenefaisaientplusla

mêmeanalysedelasituation;ensuite,Mitterrands’étaitplongédansl’actionpourrefairel’unitédupartietallerausommetdupouvoir, tandis queMendès s’était réfugié dans son statut de«grandeconscience»degauche.

Maintenant,ilfallaitentrerdanslevifdusujet.Leprésidentde la République venait de nommer Pierre Mauroy Premierministre ; il l’avait pris sous le bras et ils avaient ensembleremonté lesChamps-Élyséesvers l’Arcde triomphe.Ledéputémaire de Lille et celui de Château-Chinon avaient scellé leurallianceexactementdixannéesplustôt,aumoisdejuin1971,àcecongrèssocialisted’Épinay,quiavaitmarquéledébutdel’èremoderne… Il était grand, rassurant et réaliste le patron de lafédération du Nord, l’enfant de la SFIO, cet enseignant filsd’instituteur.

En redescendant de la cérémonie de l’Arc de triomphe versl’Élyséeoùsepréparait,à13heures,undéjeunerdedeuxcentscouverts avec les grands de l’Internationale socialiste,l’AllemandWillyBrandt, le SuédoisOlof Palme, l’AutrichienBrunoKreisky, le PortugaisMario Soarès, laGrecqueMélinaMercouri, etquelques écrivains amis,GabrielGarcíaMárquez,Carlos Fuentès, William Styron, Elie Wiesel, Pierre Mauroytentade retenir l’attentiondeFrançoisMitterrandun instant–aumoins,personnenelesécoutait–pourluiparlerdufrancquiétait en train de filer. « Non, pas maintenant… » coupa leprésident.Cen’était pas décent.La gauchen’arrivait pas pourdévaluer.

*

Déserté par la présidence précédente, le palais n’était plustenuquepardeuxpersonnesquands’organisalapassationdes

pouvoirs, le secrétaire général, Jacques Wahl, et un préfet,Michel Mosser. « Les bureaux étaient vides20, se souvientMichelCharasse:iln’yavaitpersonne,plusrien,nipapier,nigomme, ni crayon, ni trombone ! » Valéry Giscard d’Estaingn’avaitlaisséqu’unechemisevertesursonbureaucontenantunelettre pour son successeur dans laquelle il expliquait que,comptetenudescirconstances,ilnesesentaitplusenmesuredestatuer sur le sort du condamné à mort PhilippeMaurice quiavaitsollicitésagrâce.Celui-ciseragraciéquelquesjoursplustard,enpréfaceàl’abolitiondelapeinecapitale.

FrançoisMitterrand procède aux premières nominations del’équipe présidentielle : Pierre Bérégovoy comme secrétairegénéral de la présidence,AndréRousselet commedirecteur decabinet, Jean Glavany comme chef de cabinet, Jacques Attalicomme conseiller spécial, et, sur le conseil de son frère legénéral JacquesMitterrand, il désigne legénéral JeanSaulnierpourêtresonchefd’état-majorparticulier.

–On ira ensemble auPC Jupiter, ditMitterrand au généralSaulnier. Mais est-ce urgent ? Puis-je prendre deux ou troisjours?

–Non,ditSaulnier,cen’estpasurgent.Encasdenécessité,toutestprévu.

François Mitterrand laisse le bureau de Giscard à sondirecteur de cabinet, Rousselet ; lui-même reprend celui duGénéral. Trop heureux de prendre la place de celui qu’il auracombattududébutàlafin?«Cebureau21,explique-t-il,estplusbeau, plus central et, à mon avis, plus commode quoique aupremierétage.Cebureauestdans l’axedupalais etdu jardin,dans un style très achevé.N’y voyez pas autre chose. J’auraispréférém’installeraurez-de-chausséepourcommuniqueraveclejardin.Mais rienn’étaitprévupourcela.»Bienqu’ilne faillepasyvoirautrechose,cesalondorérestelebureaudupouvoir.

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déjeuner, ou au dîner, selon les récits. Celui qui en a prisl’initiative n’a rien d’un homme du Renseignement puisqu’ils’agitdePierreMendèsFrance,maisilenaamenéunaveclui,ce François de Grossouvre, médecin, industriel, ancien dumaquis de la Chartreuse et accessoirement honorablecorrespondantde«cesmessieurs».

Aviateurpendantlaguerre,Mendèsl’aconnuparsesamitiésde la Résistance et l’a fait affecter en 1944 comme médecinmilitaire dans l’armée de l’air. Depuis quelques années,Grossouvre, qui est issu d’une famille de l’Allier, a reprisl’affaire sucrière de son beau-père. Mendès veut lui faireconnaîtreMitterrandences tempsoù labourrasquegaullisteatoutemportéetoù lesénateurde laNièvrechercheàrenforcerdesréseauxpolitiquesquelquepeuclairseméspourlejouroùilsera possible d’affronter leGénéral avec une chance d’obtenirun résultat. Grossouvre a quarante et un ans et FrançoisMitterrand représente exactement le genre d’homme etd’aventurequ’ilrecherche.

Les deux François se découvrent et s’apprécient. Mêmesorigines provinciales, catholiques et droitières, mêmeengagement dans la Résistance de droite, passage par VichypourMitterrand,par leServiced’ordre légionnairedeDarnandpour Grossouvre… pour le reste, les goûts diffèrent, mais cen’est pas l’essentiel. Comme dans tout roman, le hasard descirconstancesfaitlereste.

Quelque tempsplus tardeneffet, le jeudi15octobre1959,après avoir dîné chez son vieux camarade Georges Dayan,FrançoisMitterrandpasseparlabrasserieLippavantderentrerchez lui, rueGuynemer.Se sentant suivi, il évitedeprendre lechemin le plus direct. Parvenue avenue de l’Observatoire, prèsducarrefourdelarueAuguste-Comte,saPeugeot403estpriseenchasseparuneautrevoiture.Etvoilàqu’ondéchargesurson

véhiculeunerafaledemitraillette!Onrelèveraseptimpactsdeballesdeneufmillimètressursacarrosserie.Pouréchapperauxtirs, il a eu la présence d’esprit de sauter dans les jardins del’Observatoire.Attentat!Émotiongénérale,grostitresdanslesjournaux ; la police enquête. Huit jours après, un députépoujadiste ex-RPF, Robert Pesquet5, révèle, relayé par Jean-MarieLePenetJean-LouisTixier-Vignancour,qu’ils’agitd’unattentatfactice,montéaveclacomplicitédelavictime.Trucage!À nouveau les gros titres pour dénoncer le falsificateur ; legouvernementfaitrapidementouvriruneenquêtepouroutrageàmagistrat. En fait, FrançoisMitterrand est tombé, lui l’ancienministre de l’Intérieur, dans une provocation grossière (voulueparqui?onnelesaurajamaisvraiment)afindeledéconsidéreretdeluifaireperdresonimmunitéparlementaire.Lemécanismefonctionneàlaperfection.

Son immunité est levée au Sénat, à la fin du mois denovembre1959,par175voixcontre27et88abstentions:bonnombredesénateurssocialistesl’ontabandonné.Sesamisnesecomptent plus que sur les doigts de la main, écrit FrançoiseGiroud dans L’Express. Il ne reste que les fidèles, Dayan,Dumas, Estier, Rousselet… Est-ce la fin de sa carrièrepolitique ? « Je suis las de toutes ces attaques », confie-t-il.«C’estlaseulefoisoùjel’aivuprêtàsesuicider»,ditGeorgesDayan.Pourune«conspiration»,c’enestune.Grossouvre,quiaimel’aventure,estservi.

Le 24 janvier 1961, le sénateur de la Nièvre part pour laChine à la découverte de Mao, voyage organisé par RolandDumasauquelGrossouvreestconvié.Sansdoute,dira-t-on,avecunordre demissionde la «Boutique»qui aimerait en savoirplus sur la révolution maoïste. FrançoisMitterrand en revientaveclesujetd’unlivre,LaChineaudéfi,etlacomplicitédesonnouvelami.L’étédecettemêmeannée1961,Mitterrandfait,à

Hossegor, la connaissance de la famille Pingeot, originaire del’Allier,etiltombesurleregardvertetlesourireeffrontéd’unejoliefillededix-huitans.Elles’appelleAnneetellealemêmeâgequeDanielleen1943.Mais lui,dececôté-là,n’apasprisuneride.Coupdefoudre.

François de Grossouvre ignore que son destin auprès del’autreFrançoisvientdesedéciderentrecesdeuxrencontres,lapolitiqueavecMao,lasentimentaleavecAnnePingeot:ilserason homme de l’ombre et le gardien de ses secrets. « Pâle deteintetbrundepoil», lamoustacheéléganteet labarbicheaumenton,portantlacapesurlesépaules,levoilàmousquetaire;ilatrouvésoncapitainedeTréville.

Enattendantdelevoirmaréchal,ilveillesurlaboursedesonhéros,lemetengarde,sebatauprèsdeluicontreleGénéral,luisert de chauffeur, de confesseur, de chef d’orchestre ; il secharge de parer les mauvais coups et de préparer les bons.«Muet,aveugle,sourdetd’unefidélitéà touteépreuve6…»Ilfrôleavecluilavictoireàlaprésidentiellede1974,lamanqueànouveauauxlégislativesde1978,maisestimeson«cardinal»imbattable quand il faut préparer sa troisième candidatureen1980.Entre-temps,le18décembre1974,septmoisaprèsladéfaite,unbonheur,unepetiteMazarineestnéedontilestlui,Grossouvre – témoignage de confiance – le parrain.Mazarine,tienscommelecardinal,prénomunique,filledel’amour.

Partout, il ménage des relais, abrite les rendez-vous de lafamille secrète, François, Anne et Mazarine, dans un petitpavillon chez lui à Lusigny, dans l’Allier. Grossouvre a aussiprêté son nom pour l’acquisition d’une maison à Gordes, enProvence, offrant un refuge de vacances à sa filleule et à sesparents.Pourautant,iln’enn’oubliepaslachosemilitaireetlerenseignement,continuantàcollectionnerlesfusils,àmonteràcheval,àchasser.

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guerre duGolfe,mauvaise année pour l’immobilier.Galambertestimequ’illuifautunpartenairepourreprendrel’hôteldontilestimelavaleurà70millionsdefrancs(10,6millionsd’euros).Mais qui ?Grossouvre peut-il lui en trouver un ? Sans doute.Mais il faudra rémunérer les intermédiaires. À hauteurde 3,5 millions de francs (530 000 euros). En espèces.Comment?Grâceàunsystèmede facturation transitantpar lasociétéMaillardetDuclos,justement.

Or celle-ci est une filiale du groupe Lyonnaise des EauxDumez. Comme l’entreprise ne va pas bien, la maison mèreenvoie ses auditeurs ouvrir les comptes de sa filiale ; ilsdécouvrentdegrossespertes,s’interrogentsurcertainesd’entreelles et décident de déposer le bilan le 13 avril 1993 – enadressant au juge d’instruction de Bourg-en-Bresse une lettredans laquelle ils lui demandent d’ouvrir une instruction pourdétournementdefonds.Lejugechargédel’affaire,Jean-PatrickPéjut, relève bientôt un gros paquet de fausses facturations…Dont celles de Galambert impliquant son ami Grossouvre. Del’argent,diraGalambertauprocès18, destinéà couvrir certainesdépenses«réservées».

Le juge Jean-Pierre d’un côté, le juge Péjut de l’autre. Lemousquetaire se voit cerné par l’ennemi, au fond de sonimpasse, tirant l’épée seul contre tous, sans lamoindrechanced’ensortirvivant.Misenexamen,gardéàvue,incarcéré?Toutluiparaîtpossible.Sansavoirrienfaitpourlui-même,maispourleseulservicedesonpatron,va-t-ilmouriràpetit feudansuncul-de-basse-fosse,oubliécommeunproscrit,condamnécommeun voleur ? Abandonné ? Ses visiteurs le trouvent dépressif,inquiet,obsédépar les trahisonsou lescomplotsourdiscontrelui par certains amis du président. Il cherche des micros, desespions.PhilippeMassoni,lepréfetdepolice,quidéjeuneavec

lui, garde le souvenir d’un homme « abattu », déchiré par laméfiancequeluiporteleprésidentdelaRépublique19.

Une semaine avant le jour fatal, le jeudi 31 mars 1994, ilserredanssesbraspourladernièrefoissonamiGalambert:

–MonpetitAntoine,nousallonsavoirdegrossoucis,luidit-il,lesyeuxpleinsdelarmes.

Le7avril, ildéjeuneavec son fils aîné,Patrick, avecqui ilparle famille, chasse et chevaux, sans rien trahir de sesémotions. Il rentre chez lui, quai Branly, repart en milieud’après-midi pour l’Élysée. Il a donc passé un holster pouremmener avec lui son revolver Manurhin personnel. « Adieu,mon petit », dit-il à son chauffeur, qui ne relèvera ces motsqu’aprèscoup.

Ilarendez-vousdanssonbureauavecunamivenuduMidi,unmédecin et un chasseur, le docteur Soubielle. Pourquoi semet-il à luiposer cettequestion insolite : «Bérégovoyn’a-t-ilpasfaillisemanqueravecsonarme?»Pourquoil’interroge-t-ilsurlestechniquesdusuicidepararmesàfeu?Aveccemédecin,il parle une fois de plus de chasse et de mort, puis les deuxhommessequittentchaleureusement.

Laportedesonbureau refermée, il resteraseul.Pendantdelongues,detrèslonguesminutes,seulavecsonrevolver,chargéde cinq cartouches. Laissant le destin décider pour lui, aumoment d’accomplir le geste fatal, en plaçant l’arme sous lamâchoire.

Sesderniersmotsàsonultimevisiteurfurentpourlachasse,la passion de sa vie. François de Grossouvre avait aimé LeGuetteur d’ombres, de Pierre Moinot, récit de la traque d’uncerfparlechasseur,maisaussi«récitd’unequêteintérieure».«Cettepassionn’estpasunsport,maisunrituelsacrétouchantau plus profond de la vie et de la mort. Le dernier rite sacré

même,dans lesdécombresd’unecivilisationquimeurtd’avoirétoufféenelletoutesourcedesensetdereligiosité20…»

Dansleritedesamortvolontaire,ilauramissonhonneurenjeu : le refus de l’indignité. Plutôt le sacrifice que lacondamnation.«Àl’époquedelaguerrecivileentreMariusetSylla,leconsulaireCorneliusMercula,nevoulantpasservirdejouet à des vainqueurs insolents, s’ouvre les veines dans lesanctuairemêmedeJupiter21.»Iciaussi,ilsedonnelamortdanslesanctuairedeceluiqu’ilaautantaiméqu’admiréetparquiilsejugetrahi.

A-t-ilagiparvengeance?«Lavengeanceestlefaitd’attenterà sa vie pour provoquer le remords d’autrui, ou lui infligerl’opprobre de la communauté22. » Punir celui qui, après avoirremplitrente-cinqannéesdesavie,enauragâchélafin?Mais,écritaussilephilosophedel’histoire,lapersonneviséedispose« d’une parade immédiate et efficace », celle qui consiste àaffirmer que « le sujet était fou ». C’est ce que certains, ycompris dans le comité des chasses présidentielles, vonts’employer à répéter : l’homme était atteint de « démencesénile»…Cequecontreditformellementletémoignagedesonmédecinpersonnel.

Son fils aîné Patrick comme ses autres fils, sa fille, sonépouse,safamille,neveulentpascroireàlaréalitédusuicide.Aprèsavoirconsultélesprocès-verbauxdel’identitéjudiciaire,Patrick a relevé certains points qui l’ont troublé23 : « Aucuneexpertise balistique n’a été effectuée et l’on ne sait pas si laballequis’est logéedansleplafondabienététiréepar l’armedemonpère.Deplus,lerapportd’autopsieprécisequelecorpsprésentait une “luxation avant de l’épaule gauche et uneecchymoseàlaface”.Ormonpèren’estpastombéàterre.Ilaétéretrouvéassisdanssonfauteuil.Pourtant,lerapportprécisequelaluxationdoitêtrelaconséquencedutir.Quantàmoi,je

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professionnelaguerridepuisvingt-cinqans.Ilssesontpourtantfait avoir comme des bleus ; c’est que les Serbes ont étéparticulièrementvicieux.

Devant une telle gifle, jusqu’à la semaine précédente, onaurait tergiversé, tenté d’étouffer l’affaire, parlementé même.Maintenant,Gobilliard est libéré.Cinquante-trois ans, cavalierparachutiste chaleureux et carré, ancien chef de corps du 1er

régiment de hussards parachutistes, il était le patron de la 11edivision parachutiste quand il a été envoyé à Sarajevol’été 1994. Depuis, il en a vu de toutes les couleurs. Desprovocationsetdesembuscades,auxquellesonnerépondaitpas.Quarantesoldatsfrançaistuésenmoinsd’unanetlesilencedel’impuissance!Leposte«SierraVictor»auxmainsdesSerbes,Gobilliard alerteParis. Il apprendpar un autreparachutiste, legénéralGermanos, sous-chef opérations à l’état-major, le coupdecolèredeChiracàl’Élysée.Lesdernièresinstructionsreçuesluiprécisaientformellementquel’usagedufeuluiétaitinterdit.Ilestimequ’ilestmaintenantcouvertpar laplushauteautoritéde l’État.Mandat desNations unies ou pas, les consignes duprésident de la République sont claires : « Le temps deshumiliations est terminé. » Il prend sur lui d’ordonner lareconquêtedelaposition.

Unesectiondela1recompagniedurégimentd’infanteriedemarine est chargée de lancer l’assaut contre les Serbes, avecl’appuideblindés.Leshommess’élancentpeuavant9heures.Vingtminutesplustard,leposteetlepontsontrepris,sousunfeutrèsviolent.LesFrançaisontdeuxtuésetplusd’unedizainedeblessés,fauchésparlestirsdesfusils-mitrailleursserbes.Ilsontripostéaucanonde20etàlamitrailleuse.Lesmiliciensontquatre tués, plusieurs blessés, les autres sont capturés.C’est à13 h 52 – Gobilliard n’oubliera pas l’heure du télégramme

chiffré–,c’est-à-direquatreheuresaprèslafindescombats,queparvientdeParis l’ordredemener àbien,par tous lesmoyensappropriés,lareprisedupont.Chiracdiraquel’opérationaétéeffectuée « selon mes instructions13 ». Gobilliard n’a faitqu’anticiper!

C’est la première fois que des Occidentaux réagissent enrépliquant au coup de main par un coup de main plus brutalencore14.Lanouvellefaitletourdumonde.LachaîneaméricaineCNN salue « the activist French President ». Ce sera untournantdecetteguerre.

Le jeudi 1er juin, le président de la République voyage àVannesaveclegénéralQuesnotetCharlesMillon,ministredelaDéfense, pour rendre hommage aux familles et aux deuxmarsouins tombés dans l’opération du pont deVerbanja. « LaFrancenetoléreraplusquesessoldatssoienthumiliés,blessésou tués impunément », confirme-t-il. Étonnant raccourci del’histoire:ce3e régimentd’infanteriedemarinedont l’insignecomporte l’AigledusecondEmpire,a reçuuneplaque frappéedel’AigleserbeetunrubanauxtroiscouleursoffertparleroiPierreIerdeSerbie,entémoignagedelamagnifiqueconduitedu«3»(3erégimentd’infanteriecolonialeàl’époque)pendantlaGrande Guerre, lors des combats dans les Balkans où il avaitperdu4700hommespourdéfendrelaSerbiealliéedesFrançais.

Dans le vol de retour, un énormeplateau de charcuterie estservi à bord : « Alors, monsieur le Président, le régime avraimentchangé!»plaisanteQuesnot.

*

« J’ai dû prendre les affaires en main15 », résume JacquesChirac. Depuis qu’il est président, la situation ne lui a laissé

aucunrépit:lefrancestattaqué,lacroissanceflanche,ledéficitlaissé«sousletapis»parlegouvernementprécédentdéborde16,ildoitaugmenterlaTVAdedeuxpoints.Enplusdureste,ilfautcourir sur le front diplomatique afin de convaincre lesAméricains de soutenir aux Nations unies le vote d’unerésolutionpermettantdecréeruneforcederéactionrapide,dixmille hommes dotés de moyens lourds, pour ne pas laisser laguerrecivilesedéchaînerdanslesBalkans.

Le Premier ministre britannique, John Major, appuiefermement le point de vue français. Manque l’accord de BillClinton.Surl’agendadeJacquesChiracfigureunsommeteuro-américain à Washington, lequel doit être suivi par le sommetannuel du G7 à Halifax, au Canada, du 15 au 17 juin. Uneoccasionàsaisir.D’autantqu’àlaMaisonBlanche,onseposeaussidesquestionsaprèsqu’unchasseurF-16aétéabattuparles Serbes. Madeleine Albright, alors ambassadeur des États-Unisàl’ONU,enconvient:«Quefairedescasquesbleus?LegénéralRupertSmith,commandantlaForpronu,étaitd’avisquenous devions décider de combattre ou pas, mais que nous nepouvions pas continuer à prétendre qu’il existait un moyenterme.»

Les dossiers de Jacques Chirac sont préparés par desdiplomates de carrière qui suivent l’évolution de la situationdans les Balkans depuis deux ans : Dominique de Villepin,secrétairegénéraldelaprésidence,était ledirecteurducabinetd’AlainJuppéauQuaid’Orsay,CatherineColonna,porte-parolede la présidence, exerçait les fonctionsdeporte-parole adjointaux Affaires étrangères, et Jean-David Levitte, « sherpa » etconseillerdiplomatiquedunouveauprésident,estunanciendela cellule diplomatique de l’Élysée sous Valéry Giscardd’Estaing.Lechefdel’Étatluiavaitdemandédesetenirprêtà

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ce rhinocéros en bois sculpté d’après un dessin de Dürer quiremonteauXVesiècle…

Chacune de ces pièces rares lui raconte une histoire ou luirappelleune légende ;elles luiapportentunpeudesérénitéetleurpartdemystère.Làaussi,ilestvraimentchezlui.

1-NomméeministredesAffaireseuropéennesen2005.Entretienavecl’auteur.

2-Entretienavecl’auteur.

3-Celui-ciseranomméultérieurementprésidentd’AéroportsdeParis.

4-Entretienavecl’auteur.

5-JacquesLanxade,Quandlemondeabasculé,Paris,Nil,2001.

6-Entretienavecl’auteur.

7-DenisTillinac,ChiracleGaulois,Paris,LaTableronde,2002.

8-Paris-Match,24février1978.

9-Franz-OlivierGiesbert,JacquesChirac,op.cit.

10-Paris-Match,24février1978.

11- Dédicacée au mois de mai 2005, cette photo est restée dans l’antichambre du général chef de l’état-majorparticulier.

12-Assembléenationale,5juin1974.

13-JacquesChirac,Mémoires,letempsprésidentiel,tome2,Paris,Nil,2011.

14-VoirFrédéricPons,LesFrançaisàSarajevo,Paris,PressesdelaCité,1995.

15-Entretienavecl’auteur.

16-Ledéficitbudgétaireatteint,autotal,371milliardsdefrancs,56,7milliardsd’euros,soit5,8%duPIB.

17-MadeleineAlbright,Madamelesecrétaired’État,Paris,AlbinMichel,2003.

18-TémoignagedeJean-DavidLevitte.

19-Dès le lendemainde son investiture, le 18mai,Chirac avait déjà invitéKohl, qu’il connaît depuis vingt ans, àStrasbourg ; ils avaient eu deux séries d’entretiens sur la monnaie (Kohl lui expliquant la réticence des Allemands àabandonnerledeutschemark)etsurlaBosnie(Chiracinsistantsurlanécessitédelafermeté)etpuisilsavaientdînéprèsdelacathédrale,chezYvonne,partagéescargots,cervelas,têtedeveauettarteauxquetsches,arrosésdevinblanc,depinotnoiretdebière.

20- La France rejoint le comité militaire de l’OTAN le 5 décembre 1995, première étape vers la réintégrationcomplètedécidéeen2009parNicolasSarkozy.

21-JacquesChirac,Mémoires,tome2,op.cit.

22-Lesiteestferméle22février1996.

23-Conférencedepresse,Strasbourg,11juillet1995.

24-JacquesChirac,Mémoires,tome2,op.cit.

25-PhilippeMassoni,HistoiressecrètesdelaRépublique,op.cit.

26-Ibid.

27-TémoignagedePhilippeMassoni.Kelkalfuttuélorsdesonarrestation,prèsdeLyon,le29septembre1995,pardeshommesduGIGN.

28-JacquesChirac,Mémoires,tome2,op.cit.

20Élysée,2007-2012

Mariagesurfonddecrises

Ce fut longtemps le salon des dames sous la Républiqueaprès avoir été celui des chambellans sous les princes. LegénéraldeGaulleenfitlesalondesesaidesdecamp,parcequecette pièce, située au premier étage du palais, était voisine desonbureau.Souslesprésidencessuivantes,elledevintlebureaudusecrétairegénéraladjointoule lieudesconseilsdecabinet.Entre les dorures des boiseries et les bouquets de fleurs despanneaux,lacouleurdesmursetcelledutaffetasdesrideauxluiavaientdonnésonnomde«salonvert».

C’est le souvenir le plus ancien de Nicolas Sarkozy àl’Élysée. Car c’est en commençant par ce salon qu’il devait,pourlapremièrefois,découvrirlepalais.Àl’époque,c’étaitunbureau occupé par l’irremplaçable conseiller spécial duprésident de la République, Jacques Attali, qui s’était ainsiinstallé à un endroit stratégique de la présidence : entre sonpatron,FrançoisMitterrand,etlesecrétairegénéraldel’Élysée,Jean-Louis Bianco ; rien ne lui échappait. Au début del’année1982,sasecrétairereçutunappeltéléphoniquedontelleconserverait la traceécrite.Lemessagedisait :« Jeuneavocat,gaulliste, souhaite devenir président de la République, a

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Mais ils’estaussi faitsurprendre. Iln’apassenti,audébutdesaprésidence, la réactionqu’allaientprovoquer lasoiréeduFouquet’s, en compagnie de stars du « show-biz » et grandspatronsduCAC40,sesvacancesenyachtouenAmérique,sesdémêlés avec Cécilia, ses débuts avec Carla, ses apostrophesdans la rue, et même l’arrivée de son fils à la tête d’unétablissementdegestionduquartierdelaDéfense.Celadevaitdéfigurersonimagedechefdel’État.

Enrevanche,lechoixqu’ilafaitdenommerFrançoisFillonàMatignon, est judicieux ; les deux hommes se complètent àmerveille, à l’un l’imagination, à l’autre la gestion ; ce choixaccusenéanmoinslecontrasted’imageentre luietsonPremierministre, comme s’ils n’étaient pas vraiment à leur place. OrNicolas Sarkozy a un autre complice au gouvernement,quelqu’un qui, d’une certainemanière, lui ressemble ; avocatstous deux et étrangers à l’ENA, ils ont le même goût desurprendre, de déconcerter, de n’avoir pas de tabous et devouloirséduire:c’estJean-LouisBorloo.

Quand,audébutdumoisde juillet2010, leprésidentde laRépublique confirme aux élus de l’UMP qu’il a décidé de«changer legouvernement»une foispromulguée la loi sur laréforme des retraites, c’est à lui qu’il pense pour Matignon.«BorlooàMatignon,dit-on,“vieillirait”Sarkozyà l’Élysée.»Non parce que le premier a quatre ans de plus que le second,mais parce que la fantaisie ferait son entrée rue de Varennetandis que la rigueur reprendrait ses droits rue du Faubourg-Saint-Honoré.

En2007déjà,SarkozyvoulaitBorloodanssonéquipe.Maiscelui-ci s’y refusait. « Dans les banlieues qui occupent mapolitique11,il[Nicolas]étaitleprocureur,j’étaisleuravocat12.»Pourtant,àsixsemainesdupremiertourdelaprésidentielleen2007,BorlooavaitdécidédesoutenirSarkozypour luidonner

un coup demain décisif dans la dernière ligne droite. « Je nepouvais pas rester à l’écart. » Et il était entré dans legouvernementdeFillon.Sarkozyet luicontinuaientdesevoir.«Nicolas,jel’aivupartout,chezluicommedanssonbureauàl’Élysée.»

La défaite des régionales du printemps 2010 précipite leschoses.Sarkozyluiannoncequ’ilvaprofiterdel’été«pourtoutchanger»,qu’ilfauts’occuperducentre,c’est-à-diredeBayrou,etdeMorin,quirêved’êtrecandidaten2012,etqu’ilabesoindelui.

Survient, dans les premiers jours de juillet 2010, l’affaireBettencourt13 et l’implication d’Éric Woerth, ministre duBudget. Les juges, les avocats, les médias s’enflamment :« l’affaire d’État », « l’affaire qui menace Sarkozy », « lescandale qui fait trembler la République », etc. Comment leprésident de laRépublique, directement visé, peut-il reprendreleschosesenmain?

– Il faut remanier le gouvernement, suggèreGuéant enpetitcomité.

–Ceseraitunaveudefaiblesse,réagitSarkozy.IlenparleavecBorloo.Pasderemaniementdanslatempête,

mais plus tard, à l’automne, durant la session budgétaire. Ceseraitlemoment«Borloo».

– Mais, Nicolas, dit celui-ci au président, ça ne marcherapas… Ça ne peut pas marcher à cause de la disparition duPremierministre.Aucunministre ne s’adresseplus auPremierministre.Queferais-je?CequefaitFillon?

Borlooavaitobtenuleprixdel’humourpolitique2008pouravoirdit:«Sarkozy,c’estleseulquiaitétéobligédepasserparl’ÉlyséepourdevenirPremierministre!»Sarkozyinsistepour2012 : Jean-Louis Borloo à Matignon maintenant, c’est lesuccès dans deux ans. Sur ce point, les deux hommes sont

d’accord:«Aveclequinquennat,toutseramèneàuneélection,laprésidentielle.»«Nicolasestunhypermnésique,ditBorloo,ravidesatrouvaille:ilatropd’idéesentête,ilenfaitletrienparlant ; il est constamment en train de réfléchir à toutes lessolutionspossibles,auxconséquenceséventuelles.»

Orprécisément,cette idée-là,BorlooàMatignon,nevapasmarcher. François Fillon révèle ses talents politiques et sonautoritédanslabatailledesretraites(l’allongementdeladuréedu travail) alors que Jean-Louis Borloo rate son entrée aumoment même où le secrétaire général de l’Élysée, ClaudeGuéant, lui donne l’onction suprême, le 16 octobre, en pleinemobilisation contre la réforme. Après avoir dit de FrançoisFillon, qui n’est pas encore reconduit, qu’il était « fidèle,populaire » et qu’il a « une très bonne relation avec leParlement»,ilemploiedesmotschoisisàl’endroitdeBorloo:«Ilnefautpasoublierqu’ilaétéministreduTravail;ilapourlui deux qualités : c’est un orfèvre en matière sociale, et il al’oreilledessyndicats.»

Cette quasi-officialisation par le secrétaire général de laprésidence du rôle à venir deBorloo crée le désarroi dans lesrangs de l’UMP, pour toutes sortes de motifs. D’abord parcequ’iln’estpasdelafamille–c’estunradicalunpeu«anar»,pas un gaulliste –, ensuite, parce que bon nombre d’élusparisiens veulent garder Fillon le plus longtemps possible àMatignonpourqu’ilpuisseensuiteseprépareràlabataillepourlareconquêtedeParis.

NicolasSarkozyserendvitecomptequel’hypothèseBorloone peut plus tenir.Retour à Fillon.Encore faut-il que celui-cidise qu’il en a envie. « Qu’il sorte du bois. »Le 3 novembre 2010, deux semaines après les déclarations deGuéant surBorloo,Fillonannonce finalementqu’ilestpartantpourla«continuité».SarkozyappelleBorloo:rendez-vousle

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Remerciements

Aux remerciements que j’avais adressés pour les deuxpremières éditions duRoman de l’Élysée, qu’on me permetted’ajouter ceux que je dois, pour la présente édition revue etenrichie,àChantalGastinel-Coural,poursonaidesiprécieuse,sa connaissance encyclopédique de l’histoire et du décor del’Élysée,commepoursesarchives,àFranckLouvrier,conseillerpour l’information du président Nicolas Sarkozy, au généralBenoîtPuga,chefde l’état-majorparticulierduprésidentde laRépublique depuis 2010, à Jean-David Levitte, conseillerdiplomatique du président de la République et membre del’Institut, à Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet puisconseillère du président de la République (2007-2009), àChristian Frémont, directeur de cabinet du président de laRépublique,ainsiqu’àBernardSchotter,administrateurgénéralduMobiliernational.MesremerciementsvontaussiàVladimirFédorovski, attentif directeur de collection, à Marion Salortpoursaprécieuserelecture,àSabineLarivé,monéditrice.

«Leromandeslieuxetdestinsmagiques»CollectiondirigéeparVladimirFédorovski

Déjàparus:

LeRomandelaRussieinsolite,VladimirFédorovski.LeRomandeSaint-Pétersbourg,VladimirFédorovski,prixdel’Europe.LeRomanduKremlin,VladimirFédorovski,prixduMeilleurDocumentdel’année,prixLouis-Pauwels.LeRomand’Athènes,Marie-ThérèseVernet-Straggiotti.LeRomandeConstantinople,GillesMartin-Chauffier,prixRenaudotessai.Le Roman de Shanghai, Bernard Debré, prix de l’Académie des sciencesmoralesetpolitiques.LeRomandeBerlin,DanielVernet.LeRomand’Odessa,MichelGurfinkiel.LeRomandeSéville,MichèleKahn,prixBenveniste.LeRomandeVienne,JeandesCars.LaFabuleuseHistoiredel’icône,TaniaVelmans.Dieuest-ilgascon?,ChristianMillau.LeRomandeSaxe,PatriciaBouchenot-Déchin.LaFabuleuseHistoiredeMalte,DidierDestremau.LeRomandeHollywood,JacquelineMonsignyetEdwardMeeks.LeRomandeChambord,XavierPatier,prixduPatrimoine.LeRomandel’Orient-Express,VladimirFédorovski,prixAndré-Castelot.LeRomandeBudapest,ChristianCombaz.Jeserailaprincesseduchâteau,JanineBoissard.Mescheminssecrets,JacquesPradel.LeRomandePrague,HervéBentégeat.

LeRomandel’Élysée,Françoisd’Orcival.LeRomandeTolède,BernardBrigouleuxetMichèleGayral.LeRomandel’Italieinsolite,JacquesdeSaint-Victor.LeRomanduFestivaldeCannes,JacquelineMonsignyetEdwardMeeks.LeRomandesamoursd’Elvis,PatrickMahé.LeRomandelaBourgogne,FrançoisCéséra.LeRomandeRio,AxelGyldén.LeRomandelaPologne,BeatadeRobien.LesFabuleusesHistoiresdestrainsmythiques,Jean-PaulCaracalla.LesRomansdeVenise,GonzagueSaintBris.LeMystèredesTuileries,BernardSpindler.LeRomandelaVictoire,BertranddeSaint-Vincent.LeRomandeQuébec,DanielVernet.LeRomandeMai68,Jean-LucHees.LeRomand’Israël,MichelGurfinkiel.LeRomandeBruxelles,José-AlainFralon.LeRomandePékin,BernardBrizay.Obama,LeRomandelanouvelleAmérique,AudreyClaire.LeRomandemescheminsbuissonniers,Jean-PierreFleury.LeRomandudésert,PhilippeFrey.LeRomand’unpianiste,MikhaïlRudy.LeRomandeBretagne,GillesMartin-Chauffier.LeRomandeMadrid,PhilippeNourry.LeRomandeCuba,Louis-PhilippeDalembert.LeRomandeMarrakech,Anne-MarieCorre.LeRomanduMexique,BabetteStern.LeRomanduVaticansecret,BaudouinBoallertetBrunoBartoloni.LeRomandeNice,JeanSiccardi.LeRomandeSaint-Tropez,NicolasCharbonneau.LesAmoursdeHollywood,PierreLunel.LaGrandeÉpopéedelatraverséedelaManche,AlbéricdePalmaert.

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