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MAGAZINE polka #9 PÉRIER C’EST FOU L’HOMME QUI A FAIT PÉTILLER LA MODE PAKISTAN DANSES DU VOILE MONDIAL 1975: LE MATCH ANTI-APARTHEID RIVAGES DANGER VUE SUR MER LE TRÉSOR CACHÉ D’EUGENE SMITH JAZZ LOFT PROJECT DEAUVILLE 150 ANS JANE EVELYN ATWOOD SUR LES PLANCHES La peur des autres Editorial d’Alain Genestar PSYCHOSE DES ATTENTATS ARLES LATINO VIVA MARCOS LOPEZ NYPD NO PHOTO ÉTÉ 2010 / DOM 5.80 / ALL 6.50 / BEL 5.80 / CH 10 FS /CDN $ 9.75 / ESP 5.80 / GR 5.80 / ITA 5.80 / JPY 2000 / LUX 5.80 /PORT 5.80 / USA $9.75 PHOTO: ETHAN LEVITAS (DÉTAIL)

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MAGAZINEpolka#9

PÉRIERC’EST FOUL’HOMME QUI A FAIT PÉTILLER LA MODEPAKISTANDANSES DU VOILE

MONDIAL1975: LE MATCHANTI-APARTHEIDRIVAGESDANGER VUE SUR MER

LE TRÉSOR CACHÉD’EUGENE SMITHJAZZ LOFT PROJECTDEAUVILLE 150 ANSJANE EVELYN ATWOODSUR LES PLANCHES

La peur des autresEditorial d’Alain Genestar

PSYCHOSE DES ATTENTATS

ARLES LATINOVIVA MARCOS LOPEZ

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été 2010 I 3

polkaMAGAZINE

ÉTÉ 2010#9

Ont aussi participé à ce numéroJérôme Baboulène, Louis Baguenault de Puchesse, Kishanthi Bandara, Géraldine Baritussio, Karyn Bauer,Clément Béraud, Annie Boulat, Emmanuel de Brantes, Laurent Chmiel, Julie Derache, Marie Ducasse,Elodie Dufour, Lorène Durret, Ferit Duziol, Victoire Garnier, Valérie-Anne Giscard d’Estaing, John Van Hasselt,Eliane Laffont, Marion Lemaire, Elisa Mignot, Elsa Palito, Bernadette Pelletier, Devrig Plichon, MylènePrieur, Muriel Simottel, Claire Tomasella, Dominique Viger.Agences: Cosmos, Gamma/Eyedea, Getty Images, ICP, Magnum Photos, Polaris Images, Sipa Press, VII Agency, W. Eugene Smith & Heirs of Eugene Smith, Transit, Picturetank, VU’, EPA/MaxPPP.Laboratoires de photographie: Central Color, Dupon, Picto, Toroslab .Fabrication: Le Révérend Imprimeur – Valognes, Manche (50) – Tél. : 0145364000 et SNN Poligrafia,Varsovie, Pologne, www.snn.com.pl, imprimé en U.E.Gestion des ventes au numéro: «A juste Titres», 67, avenue du Prado, 13006 Marseille, tél.: 0488 15 12 44 – [email protected] paritaire: 1210K89693. Dépôt légal: 2e trimestre 2010. ISSN: 1962 - 3488. Droits de reproduction textes et photos réservés pour tous pays.«Polka Magazine» est une publication de Polka Image. Siège social : 27, rue Jasmin 75016 Paris. SARL au capital de 284000 euros, RCS de Paris 497659094.

ABONNEZ-VOUS A POLKA MAGAZINE

au sommaireLe mur...........................................9LES PHOTOGRAPHES DE POLKA #9

Polka écran GERDA TARO par Didier Rapaud...........13

Evénement L’EXPO UFÉRAS par Joëlle Ody..............................14

Parlez-moi d’images JEAN-MARIE PÉRIER par Adélie de Ipanema....................20

L’éditorial d’Alain Genestar ........................29VIOLENCE… ET DÉRISION .................................30par Emilie Musset et François Miguet

Ethan Levitas ................................34911 NEW YORK ALERTEpar Jean-Kenta Gauthier et Dimitri Beck

Eugene Smith................................44JAZZ AROUND THE CORNERpar Brigitte Bragstone

Bastien Defives.............................56DANGER, VUE SUR LA MERpar Claude-Marie Vadrot

William Dupuy...............................621975, MATCH CONTRE L’APARTHEIDpar Mathieu Ropitault

Cédric Gerbehaye..........................68LES DAMNÉS DE L’OR ROUGEpar Raf Custers

Marcos Lopez ...............................74“BUENOS ARLES”par Marie Desbois et Alejandro Castellote

Carlos Cazalis ...............................84DUEL AU SOLEILpar Jean-Marcel Bouguereau

Sarah Caron ..................................92QUAND LES FEMMES DANSENT AVEC LA LIBERTÉ

Aline Coquelle..............................102LE PLUS HAUT TERRAIN DE POLO DU MONDE

Jane Evelyn Atwood .....................110DEAUVILLE : 1860-PÂQUES 2010par Yves Simon

Jaime Ocampo-Rangel ..................116TERRE DES HOMMES par Joëlle Ody

Polka rubriquesHistoire HIROSHIMA, LA PREMIÈRE PHOTO .............126

Hommage LES MÉPRISÉS DE LA RÉPUBLIQUE..........130

Livres BURTYNSKY, VALLI, ETC. .......................137

Rencontre “VU”, NOTRE ANCÊTRE À TOUS............141

Expo GOKSIN SIPAHIOGLU ...........................143

Festival LA GACILLY ..............................145

Art PHILIPPE VAYSSETTES par Edouard Genestar ............147

Naissance d’une photo HUPPERT DANS L’ŒIL DE WITKIN par Virginie Luc...............149

Balade BOULEVARD DU CLICHÉ.......................151

Prise de vue ANNA FAROVA par Christian Caujolle ....154

LE TRIMESTRIEL DU PHOTOJOURNALISME«Polka Magazine» Cour de Venise, 12, rue Saint-Gilles 75003 Paris. Tél. : 0171205497.Directeur de la publication : Alain Genestar. [email protected] Editeur : Edouard Genestar. [email protected] Directrice éditoriale : Adélie de Ipanema. [email protected]édacteur en chef : Dimitri Beck. [email protected] Secrétaire générale : Brigitte Bragstone. [email protected]ère éditoriale : Joëlle Ody. [email protected]éveloppement : Alban Denoyel. [email protected] et Jean-Kenta Gauthier. [email protected] artistique : Michel Maïquez assisté de Ludovic Bourgeois.Edition : Tania Gaster, Pascale Sarfati, Samia Adouane. Comité éditorial : Christian Caujolle, Jean Cavé, Hervé Chabalier, Robert Delpire, Jean-Jacques Naudet (à New York), Didier Rapaud, Reza, Marc Riboud, Sebastião Salgado. Opérations spéciales : Victor Genestar et Gwendoline de Spéville. La Petite Régie: 6, rue Alfred-Roll 75017 Paris. Tél.: 01 42 27 12 83.Stéphane Limousin de Neuvic. [email protected] Bennegent. [email protected]

[email protected]

Prochain numéro : automne 2010, en vente le 1er septembre

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Tous les détails en page153.

LE “MUR” DE POLKA MAGAZINE #9 EST EXPOSÉCOUR DE VENISE, 12, RUE SAINT-GILLES, PARIS IIIe“Chaque photo a son histoire”De 11 heures à 19h30, du mardi au samedi.Renseignements : [email protected]

MERCREDI 12 MAI 17H05Le «mur» inachevé se compose des sujets des photographes de Polka #9présentés ci-dessous et page 11.

été 2010 I 9

MARCOS LOPEZ«C’était comme de vouloir être le mannequin blondde la publicité pour les cigarettes Camel. » AinsiMarcos Lopez décrit-il son sentiment, en 1978, lorsde la Coupe du monde de football quand il côtoiedes photographes pour la première fois et décided’en faire son métier. Né en Argentine en 1958, ilpoursuit des études d’ingénieur avant d’apprendrela photographie en autodidacte. Il s’émancipe rapi-dement du milieu provincial moraliste dans lequelil a été élevé et obtient en 1993 le premier prix dela fondation Andy Goldstein avec ses portraits ennoir et blanc. Dès lors, il commence à travailler encouleur et exprime avec force sa vision de l’Amé-rique latine à travers de fresques hautes en couleur,acidulées et fantasques. Sa série «Pop Latino» il-lustre sa conception originale et surréaliste dumonde qui l’entoure. Sa critique amusée de la so-ciété de consommation rappelle les photographiesultra- saturées de Martin Parr.

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WILLIAM DUPUY ET MATHIEU ROPITAULTCes deux-là se sont bien trouvés. Le premier estphotoreporter. Le second journaliste. Si leurs che-mins respectifs se sont croisés par hasard dans unemaison d’édition parisienne, un point commun les avite rapprochés : très tôt dans leur carrière ils ontévolué sur le continent noir. Tous deux partagent unevision contemporaine de l’Afrique, tournée versl’avenir. Ils travaillent en synergie sur des histoiresoù les Africains représentent un espoir et un exem-ple pour le reste du monde. Pour eux, « la Coupe dumonde 2010 en Afrique du Sud est l’occasion de

montrer un footballpratiqué dans une logique de dévelop -pement social et humain, loin des pail-lettes habituelles. Ta-per le ballon est plusqu’un simple jeu enAfrique, c’est aussi unmoyen de faire bougerles choses».

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BASTIEN DEFIVESA l’instar de Marc Riboud, Bastien Defives a com-mencé par des études d’ingénieur pour finir par tom-ber dans la photographie. Poussé par l’envie de po-ser un regard sur le monde, il s’interroge sur les liensqu’entretient l’homme avec la nature. Son diplômeobtenu, il part au Brésil pendant trois ans et décidede faire de l’image son métier. Il devient étudiant enart du spectacle à l’Université fédérale de Bahia. Puisil travaille comme photographe de scène et réaliseses premiers reportages en 2002. Le «PhénomèneLula » qui regroupe interviews et portraits de Brési-liens ou «Le São Francisco coule encore» sur les res-sources hydriques du fleuve. En 2002, il revient enFrance. Il est aujourd’hui membre du collectif Tran-sit, de l’agence Picturetank et de PulX.

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Le nouvel E-PL1.Qualité refl ex et vidéo HD.Si simple à utiliser.www.olympus.fr/olympuspen

Faire de belles photos n’a jamais été aussi facile.

« Mon talent : révéler la beauté invisible des êtres et des choses. »

Eline Spanjaart, directrice artistique, Pays-Bas

printemps 2010 I 11

POLKA MAGAZINE EST INTERACTIF AVECComme dans le numéro précédent, votre Polka Magazine est interactif, grâce à la technologie hy.pr pour la majo-rité des sujets de cette édition.Hy.pr vous permet de partager facilement avec vos amis des photos de Polka sur les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter… ou simplement par email, à partir de votre ordinateur ou de votre smartphone, en quelquesclics. Voici comment:• Chaque photo des sujets concernés est associée à un code hy.pr, composé d’un court préfixe invariable(polka.hy.pr/), et d’un mot selon la photo, souligné dans la légende, par exemple: indien• Saisissez juste cette adresse (ici : polka.hy.pr/indien) dans lenavigateur Internet de votre ordinateur ou de votre smartphone.• Une page s’ouvre, avec différentes options de partage par emailou via les réseaux sociaux.Cliquez sur l’icône de votre choix, et suivez les instructions.C’est tout. C’est simple. C’est immédiat.Et c’est évidemment gratuit!

ALINE COQUELLE« J’ai photographié les clans et les individualités,partageant leur passion et leur sens de la fraternité.L’amour peut être irrationnel lorsqu’il s’agit de choi-sir un sujet à photographier.» Aline Coquelle est unephotographe nomade et instinctive. Cette jeune Parisienne s’est imprégnée de la pratique photo -graphique lors de ses nombreux voyages. Elle vit aurythme des découvertes et de sa curiosité, lorsqueses envies la mènent à suivre des populations, destribus en perpétuel mouvement. Diplômée en his-toire de l’art et en anthropologie, elle a collaboré àde nombreuses publications. Elle s’est rendue enAfrique, en Asie et en Amérique du Sud où elle aréalisé des reportages au sein des communautés indigènes. Après six années passées à rencontrerles différentes « tribus » du polo, son travail s’est

poursuivi à Zanzibar, enInde ainsi qu’autour deprojets ethnographiques.Elle a participé à l’élabo-ration de plusieurs ou-vrages et expositionsd’art primitif. Et, commeelle le dit si bien, « le fu-tur [lui] réserve encoreplus d’aventures à décou-vrir et à partager».©

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JANE EVELYN ATWOOD«J’ai besoin de pénétrer moi-même les univers fer-més, j’ai besoin de comprendre, de montrer, d’ouvrirles yeux des gens. Je suis fascinée par les mondesclos, par la condition humaine. » Jane Evelyn Atwood, née à New York et vivant à Paris depuis1971 s’est toujours engagée du côté des personnesqui souffrent. Des conditions de vie des prostituéesà celles des aveugles, en passant par les mutilés deschamps de mines et les femmes incarcérées, la pho-tographe saisit l’instant de grâce, et réussit l’exploitde montrer sans complaisance mais avec une infiniesensibilité une réalité terrible. Sans jamais tomberdans le misérabilisme, Jane Evelyn Atwood dévoiledes fragments de vies brisées. Elle a reçu de nombreuses récompenses, dont le premier prix W. Eugene Smith en 1980, pour son sujet sur lesaveugles. La spécificité d’Atwood est le travail en profondeur mais elle est aussi intervenue sur l’actualité : le tremblement de terre de Kobe, le 11-Septembre… Elle a publié 9 livres et ses sujetsont été accueillis par les plus grands magazines.

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JAIME OCAMPO-RANGEL«Tout est couleur. Cela m’a toujours fasciné et avecmon métier j’en ai compris la force. » Franco- colombien, né à Cali d’un père pharmacien et d’unemère chanteuse, Jaime Ocampo-Rangel a toujoursbeaucoup voyagé grâce à sa grand-mère, danseuse.Il maîtrise plusieurs langues dont le portugais, l’ita-lien et le suédois, parle parfaitement l’anglais, lefrançais et, bien sûr, l’espagnol. Après une enfanceen Colombie, une adolescence à Miami, aux Etats-Unis, et des études secondaires en Espagne, il ob-tient un diplôme de communication visuelle et deproduction audio visuelle à New York. Il ouvre un stu-dio à Manhattan et y travaille pendant trois ansavant de s’installer à Paris où il poursuit son activitédans la mode et la publicité. Parallèlement se meten place son grand projet, «Mémoire des couleurs»,que son client, Valeo,enthousiasmé, spon -sorise pendant plu-sieurs années. Jaime aépousé en 2004 unejeune Brésilienne, Lia,aujourd’hui vidéaste,qui l’accompagne à larencontre des mino -rités culturelles. ©

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LE CHOIX DE LAPHOTO D’ACTUALITÉ– FRANCE INFO«Buenos Arles»

par Marcos Lopez page 74A retrouver dans la chronique PHOTOSPHOTOGRAPHES de Pascal Delannoytous les samedis 5 h 12 - 6 h 42 - 10 h 13 -22 h 43 - 0 h 43 et sur france-info.com

PHILIPPE GUIONIE«L’Afrique m’a appris l’homme que je suis.» PhilippeGuionie, historien de formation, revendique une pho-tographie sociale et documentaire autour desthèmes de la mémoire partagée et des constructionsidentitaires. Les habitants des cités lacustres du Bé-nin où il a réalisé son premier travail intitulé «Gensde lagune» l’ont surnommé «le Blanc qui revient tou-jours». Willy Ronis a appuyé ce reportage afin qu’ilsoit publié dans un numéro spécial de « Réponsesphoto» en 2001. Ce fut le début de son engagementen photographie. Il a également réalisé une longuesérie sur la «Force noire», les tirailleurs sénégalais«porteurs d’une francophonie originale et inédite,témoins privilégiés des relations entre la France etl’Afrique». Né en 1972, le photographe est lauréatde plusieurs bourses et prix photographiques dontle prix Roger Pic en 2008. Il a récemment intégrél’agence Myop.

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Nous vous avions déjà présenté dans un numéro précédent:

Gérard Uféras #5Jean-Marie Périer #1

Ethan Levitas #3Cédric Gerbehaye #4

Carlos Cazalis #7Sarah Caron #4

polkalesphotographes

été 2010 I 13

polkaécran

ctobre 2009. Michael Manndécouvre le livre de SusanaFortes. Le metteur enscène du « Dernier desMohicans » ou de« Ali » a toujours su repérer une bonne his-

toire. Là, il s’agit d’amour, sur fond deguerre d’Espagne et de Front populaire. Leshéros ont tout pour eux : ils sont jeunes,beaux, courageux et bourrés de talent. Toutle monde aujourd’hui connaît leurs noms,au moins celui de l’homme : c’est RobertCapa, amoureux fou de Gerda Taro. Mann,quand il referme « En attendant Capa »(1),pense très vite à Eva Green: la fille de Mar-lène Jobert, révélée par Ridley Scott dans«Kingdom of Heaven» a des yeux à dam-ner tous les photographes de la terre. Clairscomme ceux de Gerda. Eva pourrait fairerevivre cette héroïne qui écrivait en septem-bre 1934: «Je m’appelle Gerda Pohorylle,je suis née à Stuttgart mais je suis juive avecun passeport polonais. Je viens d’arriver àParis, j’ai 24 ans et je suis vivante.»

Quelques semaines après ces lignesextraites de son journal intime, Gerda ren-contre un jeune photographe de 21 ans quise fait appeler André. Très vite, elle vaconquérir cet André, qui en réalité s’appelleEndre Friedmann, réfugié juif hongrois. Adéfaut d’être très belle, Gerda est sédui-sante avec ses yeux verts. Les Espagnolsvont la surnommer «la pequeña rubia» (lapetite blonde). Réfléchie, organisée, très se-crète, elle ne laisse aucun homme indiffé-rent. André, lui, est extraverti, grand roman-tique et joueur. Leur passion, sexuelle etintellectuelle, devient très vite dévorante.Mais sur l’échelle amoureuse graduée de1 à 7, André se situe à 7 et Gerda à 5. Ellene se contente pas d’être sa maîtresse, elle devient son agent. Elle tape les légendes deses images et lui, en retour, enseigne la pho-tographie à sa «secrétaire». Au bout d’unan, Gerda commence à travailler pourl’agence Alliance Photo, fondée par MariaEisner, comme assistante. Très vite, dans

le Paris de 1936, avec l’arrivée du Front po-pulaire, les commandes se font rares pourAndré. Gerda a alors un trait de génie: elleinvente la légende d’un photographe amé-ricain très célèbre, appelé Robert Capa, etattribue le rôle à André. Quant à elle, ellese choisit aussi un pseudonyme, GerdaTaro, qui fait penser à Greta Garbo.

Le subterfuge marche si bien que Lucien Vogel, patron du magazine«VU»(2), envoie le couple en Espagne cou-vrir les combats. Armés lui d’un Leica, elled’un Rolleiflex, ils arrivent à Barcelone

pour mettre leurs images au service de lacause républicaine. Et, lors de ce premiervoyage, Capa prend la photo mythique etcontroversée du milicien frappé par uneballe.

En mars 1937, Gerda et Capa décidentde travailler pour «Ce soir», un périodiquedu Front populaire, ayant pour rédacteur enchef Louis Aragon. Fin mai, de retour àMadrid, ils s’installent à l’hôtel Florida,rendez-vous des journalistes et des intel-lectuels. Parmi eux un journaliste-écrivainaméricain, baroudeur, grande gueule, ama-teur de filles et d’alcools forts : Ernest Hemingway qui, trois ans plus tard, publiera «Pour qui sonne le glas» qu’il auraécrit en s’inspirant des photos de Capa. Là,dans l’atmosphère enfiévrée de la guerrecivile, Capa, toujours très amoureux, de-mande Gerda en mariage. La réponse estnon. Gerda qui supporte de moins en moinsde voir ses photos signées du nom de sonamant au côté du sien, voire à la place dusien, veut voler de ses propres ailes. Tandisque Capa rentre à Paris, elle reste à Madridpour couvrir, à 25 kilomètres à l’ouest dela capitale, la bataille de Brunete qui s’an-nonce décisive et sanglante : elle fera25000 morts. Mais Gerda n’en verra pas ledénouement. Le 25 juin 1937, elle est juchée sur le marchepied d’une auto pour rejoindre le front lorsqu’un char loyalistefait une fausse manœuvre et percute la voi-ture à laquelle elle s’est accrochée. Griève-ment blessée, la jeune femme est transpor-tée à l’hôpital de l’Escorial où elle meurtquelques heures plus tard. Elle aurait eu27 ans le 26 juillet. Ce jour-là, on conduitson cercueil au Père Lachaise. Aragon raconte : «Le peuple de Paris fit à la petiteTaro un enterrement extraordinaire oùtoutes les fleurs du monde s’étaient donnérendez-vous. Capa, à mes côtés, pleurait et,aux haltes du cortège, cachait ses yeuxcontre mon épaule.» •(1) «Waiting for Capa», de Susana Fortes, éd. Planeta,

Etats-Unis, 2009.

(2) Voir page 141.

OUN AMOUR JUSTE UN PEU FOU

Eva Green est pressentie pour le rôle de Gerda Taro, la grande passion de Capapar D i d i e r R a p a u d

FRED STEIN (COLL. : ICP) PARIS, 1936Gerda Taro et Robert Capa au Dôme, à Montparnasse,

avant leur départ pour Barcelone.ELLEN VON UNWERTH (H&K) PARIS, 2003

Eva Green, hôtel Chalgrin.

GÉRARD UFÉRASPARIS, FÉVRIER 2009A la mairie du XXe, ce jeune invité du mariage de Marianne et Xavier parcourt à quatre pattes, avant que les mariés n’entrent, toutela longueur de la salle, sous l’allégorie de la République.

L’AMOUR EN VOIT DETOUTES LES COULEURS

expoévénement

ils d’immigrés d’Europe centrale,le photographe a composé avec« Paris d’amour » une ode à lalaïcité, à la République qui ac-cepte les hommes et les femmesdans la variété de leurs origines.Il y voit une réponse au dé-

bat sur l’identité nationale. Son pigeonniermansardé, charpenté comme la coque ren-versée d’un bateau, s’ancre dans le ciel duXVIIIe arrondissement – un quartier foi-sonnant, riche d’une population mélangée,où Gérard Uféras s’est toujours senti bien.Mais il s’indigne en rappelant que, cesdix dernières années, les élections se sontdéterminées sur des problèmes d’immi-gration, de repli sur soi. Son constat, à tra-vers 70 unions: quelles que soient la reli-gion ou la culture, tout le monde fait lemême rêve de connaître l’amour, fonderune famille, avoir des enfants, voir ces en-fants à leur tour vivre dans l’harmonie etla liberté.

Toutes sortes de chemins y mènent.On l’apprend dans les confidences desjeunes mariés à leur photographe.

Premier contact. « Je lui ai écrit unmessage : “Aïe ! J’ai une fracture nette del’œil droit !” Ça voulait dire : “Tu es telle-ment belle que tu m’as fait mal auxyeux !”», raconte Jonathan. Et Aurélie depoursuivre: «Il avait écrit : “Activité : fleu-riste. Profession : je suis une jonquille.”J’ai pensé que c’était un dragueur... » Ba-car a croisé Adjouza dans un aéroport.«Elle m’avait donné un coup de foudre. Al’aide de mon cousin, je l’ai enfin retrou-vée. Maintenant, comme on dit aux Co-mores, nous nous aimons comme les pre-miers anges sur terre ! » Antoine a fait sa demande en vacances à Bali : « J’avais préparé un document

F

>>sui te page 17

«

En deux ans de reportage sur le thème du mariage, le photographe a brossé un portraitde la capitale, ou plutôt du futur Grand Paris, qui souligne la diversité de sa population.Jusqu’au 31 juillet, «Paris d’amour», l’exposition de Gérard Uféras à l’Hôtel de Ville,célèbre aussi la tolérance et la liberté. par J o ë l l e O d y

été 2010 I 15

20 I polka magazine #9

Parlez-moi d’imagesJEAN-MARIE

PÉRIER

“Les couturiers ont le talent,

l’intelligence, lafantaisie et

l’argent. Finalement, ce

sont eux les nouveaux

Rolling Stones”

rencontre avec

A d é l i e d e I p a n e m a

JEAN-MARIE PÉRIER PARIS, 1998

«La scène se passe dans les bureaux d’Yves Saint Laurent, c’est l’une des dernières séances

photo qu’il ait faites, je m’entendais très bien avec lui. C’était également un plaisir de travailler avec

Carla, elle est très cultivée et n’a pas ce mépris qui peut caractériser certains mannequins.»

été 2010 I 21

911NEW YORK

Depuis le 11-Septembre, la psychose des attentats, aggravée par la tentative deTimes Square le 1er mai, durcit l’attitude des policiers. Ethan Levitas, par un long travail de deux ans, démontreque, dans un tel contexte, lephotographe, à New York, est devenu un « public enemy ».ETHAN LEVITAS NEW YORKINCIDENT REPORT N° 129 Ici, la police a un surnom: «New York’s finest»,le meilleur de New York. Sur cette photo prise àFoley Square, le périmètre des tribunaux de l’Etat, trois policiers aux aguets. Depuis 2001,l’amplification des moyens de surveillance révèle la hantise du quotidien. ALE

RTE

MANHATTAN, 821, 6e AVENUEUne grande agitation régnait à l’angle de la 28e rue et de l’avenue des Amériques, aupied de l’immeuble où vivait le photographe.Eté comme hiver, les journées étaientrythmées par les allées venues des marchands de fleurs, des habitants duquartier et autres passants.

JAZZ AROUND THE CORNER

EUGENE SMITHIl est au sommet de sa carrière. Mais, lassé de la guerre,blessé sur un champ de bataille et abîmé par la vie, le légendaire photographe de «Life», plaque tout en 1957.Pendant plusieurs années, réfugié au 4e étage d’un loftau cœur de Manhattan, il photographie de sa fenêtre larue, les gens, la vie. Et le soir, les musiciens de jazz quirépètent dans son building. Cet épisode peu connu estrévélé dans un livre et une exposition, « Jazz Loft Project» qui, après New York, se tient cet été à Chicago.Polka vous présente la face cachée d’Eugene Smith.

Courtesy of th W. Eugene Smith Archive, Center for Creative Photography, the University of Arizona and © Heirs of W. Eugene Smith.

BASTIEN DEFIVESPLAGE DE LION-SUR-MER, CALVADOS,POSTE DE SECOURS,OCTOBRE 2007Alerte à Lion-sur-Mer. A quelques pas de l’eau,ce poste permet auxsecouristes de scruter laplage. Erigée pouraccueillir et soigner lesblessures causées par lescoquillages et les rochers,cette constructionbétonnée, fière, surélevéeface à la mer, observe etaffronte ses humeurs, samenace, ses accalmies et ses tempêtes.

VUE SUR MERCet hiver, en Vendée et en Charente-Maritime, la mer a tué.A qui la faute ? Aux maires, aux agents immobiliers, à tousceux qui ont autorisé des constructions dans ces zones inondables… Pourtant l’alerte est lancée depuis des annéespar les agents du Conservatoire du littoral. Leur mission : acheter des terrains et protéger les quelque 5 533 kilomè-tres de nos côtes. Mais les moyens financiers manquent. L’enquête de notre envoyé spécial Claude-Marie Vadrot.

62 I polka magazine #9

LE CAP, HARTLEYVALE STADIUM, ARCHIVES, 8 AVRIL 1975Petrus Nzimande, capitaine des Kaizer Chiefs, salue Bobby Bell, capitaine du Hellenic FC, avant la finale aller du Chevrolet Champion of Champions au Cap. En arrière-plan, Jack Taylor, l’arbitre anglais de la finale de la Coupe du monde 1974. Plus tard, dans la presse sud-africaine, celui-ci avouera que le match retour, le 12 avril, au Rand Stadium, à Johannesburg, aura été le plus difficile de toute sa carrière.

été 2010 I 63

Jo’burg, 1975 MATCH CONTREL’APARTHEIDLe 11 juin 2010, la Coupe du monde s’ouvre

en Afrique du Sud. Pour la première fois sur la

planète foot, un pays d’Afrique devient, un

mois durant, capitale mondiale du ballon rond.

Ce rendez-vous universel est une occasion

unique d’ouverture sur cette terre du bout du

monde où la théorie raciste du « développe-

ment séparé» était, il y a peu de temps encore,

érigée en système politique. Trente-cinq ans

plus tôt, un match précurseur a contribué à ce

rendez-vous d’aujourd’hui. En 1975, l’équipe

noire des Kaizer Chiefs de Soweto bat sa rivale

blanche du Hellenic FC du Cap. Nous avons

retrouvé des acteurs de cette victoire sportive

qui fut aussi une victoire contre l’apartheid.

ARCHIVES, MAI 1975«Sharpshoot Soccer» fut le premier mensuel à s’intéresser à tousles championnats sud-africains, sans considération raciale.

68 I polka magazine #9

CÉDRIC GERBEHAYE RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO, 2010

La Compagnie Minière du Sud Katanga (CMSK), partenariat entre le groupe Forrest et laGécamines, à Kipushi à proximité de la frontière avec la Zambie, traite le minerai decobalt et de cuivre 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ici les ouvriers ouvrent les fûts de

sulfhydrate de sodium qui permet la flottation du minerai oxydé.

AU CONGO, LES DAMNÉS DE L’OR ROUGE

été 2010 I 69

C’est grâce à la richesse du sous-sol congolais que la Belgique est devenue une puissance industrielle. Cinquante ans après, alors que le pays célèbre en juin

l’anniversaire de l’indépendance, les entreprises minières ont proliféré au Katanga, certaines se sont dégradées, développant le prolétariat des « creuseurs », ces milliers d’hommes qui fouillent la terre rouge comme le cuivre.

Un reportage de Cédric Gerbehaye (VU’) pour Polka Magazine.

BUENOSARLES

Marcos Lopez, la révélation des

41e Rencontres d’Arles,présente ses mises en scène

pop. Un voyage extraordinaireen Argentine et dans toute

l’Amérique latine.

MARCOS LOPEZ«IL PICCOLO VAPORE,

LA BOCA, BS AS»,ARGENTINE, 2007

Série «Sub-realismo criollo»

74 I polka magazine #9

été 2010 I 75

CORRIDADUEL AU SOLEILCARLOS CAZALIS BARCELONE, CATALOGNE, 27 SEPTEMBRE 2009Ce jour-là, le matador espagnol Jose Tomas sortira en triomphe après avoir coupé quatre oreilles pour ses deux combats. Mais, le 24 avril dernier, il a étégrièvement blessé lors d’une corrida au Mexique; il ne devraitpas pouvoir toréer avant de longs mois.

Les ferias d’Arles et de Nîmes attirenttoujours des millions d’aficionados. Pour-tant, en pleine vague du naturellementcorrect, la corrida n’est-elle pas mena-cée? En Espagne, à Madrid, des manifes-tants ont demandé son abolition. A Barcelone, le Parlement catalan a évoquéune possible interdiction. Jean- MarcelBouguereau revient sur ce débat en brisant les préjugés : «Décrire la corridacomme un “massacre étudié”, c’est décrirela musique comme un tapage nocturne».

L’imagination au pouvoir : la capacité des stylistes pakistanais à décliner en toute fantaisie le concept du pantalon bouffant et de lachemise longue inscrit leurs défilés dans un conte des « Mille et unenuits ». Dès novembre dernier, la première fashion week – semainede la mode – du Pakistan a révélé au monde entier le talent et l’ex-travagance des créateurs de Lahore ou de Karachi. Mais c’est aussiune sorte de pied de nez aux talibans, une façon de montrer que lesrègles austères peuvent être contournées : un espoir de liberté.

SARAH CARON LAHORE, PAKISTAN,MARS 2010«Pour ce shooting demodèles du styliste AtherAli, raconte la photographe,je me suis appuyée sur mes références visuellesdans les zones tribales.J’ai demandé aux modèlesde me regarder aussi farouchement que les regards que j’ai croisés là-bas.»

QUAND LES FEMMES DANSENT AVEC

LA LIBERTÉUn reportage

de Sarah Caron pour Polka Magazine.

LE PLUS HAUT TERRAIN DE POLO DU MONDEAu plus près du ciel, s’affrontent les cavaliers del’Hindu Kush. Chaque année en juillet les meilleureséquipes de Chitral et de Gilgit se mesurent ici. L’hon-neur de chacune des deux vallées du nord du Pakistan,

à la frontière de l’Afghanistan, est mis en jeu sur le ter-rain. On y pratique le polo le plus primitif, le plus extrême, celui des origines: le sport roi, le roi des sportsest né quelque part dans cette région d’Asie centrale.

ALINE COQUELLEPAKISTAN, SHANDUR, JUILLET 2009La passe de Shandur se situe dans une zone dangereuse, sous la menacedes talibans. Des hommes lourdementarmés protègent le terrain où le polo sejoue à près de 3800 mètres d’altitude.Mais la paix et la passion du sportauront dominé le tournoi.

JANE EVELYN ATWOODDEAUVILLE, WEEK-END DE PÂQUES 2010«On rencontre toujours des amoureux sur les planches. Là, assez tôt le matin, ils sont presque seuls, en grande conversation.»

110 I polka magazine #9

DEAUVILLE : 1860 - PÂQUES 2010

« J’ai beaucoup aimé faire ce sujet impromptu.D’autant qu’on ne medemande jamais ce type de travail. » A l’occasiondes 150 ans de la fondationde Deauville, Jane EvelynAtwood est allée enreportage pour Polka surles Planches, le temps d’un week-end, à Pâquesdernier. Photographeengagée, elle est connuepour avoir exploré lesmondes clos, témoin de la souffrance et de l’enfermement. Ici aussi, dans le contexte pourtant plus léger d’une balade au bord de la plage la plus célèbre de la côte normande, on retrouve la« atwoodian touch ».

Le regarddécalé deJane EvelynAtwoodet les motsromantiquesd’Yves Simon

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JOHN VAN HASSELT HIROSHIMA, MUSÉE DU MÉMORIAL POUR LA PAIX, 2005Portrait de Yoshito Matsushige devant le premier des cinq clichés qu’il a pris à Hiroshima. Ce jour-là, le 6 août 1945, à 8h15,

le bombardier américain B-29 «Enola Gay» piloté par le colonel Paul Tibbets, largue Little Boy et sa puissance atomique destructrice de 15 kilotonnes. La destruction d’Hiroshima, puis celle de Nagasaki trois jours plus tard mettent un terrifiant point final à la Seconde Guerre mondiale.

Yoshito tient à la main un Mamiya-6, l’appareil qu’il a utilisé pour prendre ces photos. Il avait, à l’époque, 32 ans.

Hiroshima, 6 août 1945, 11heures

LA PREMIERE PHOTOpolkahistoire

126 I polka magazine #9

Yoshito Matsushige (1913-2005), photo -

reporter au journal «Chugoku», était chez

lui à Midori-cho, à 2,7kilo mètres de l’épi-

centre, quand la bombe A est tombée. Il a

parcouru la ville juste après et a pris

cinq clichés qui sont aujourd’hui des docu-

ments historiques. Voici son témoignage.’avais fini mon petit déjeuner, et m’apprêtais à al-ler au journal, quand c’est arrivé. Il y a eu un éclairprovenant des câbles électriques, comme si la fou-dre avait frappé. Je n’entendais plus rien, lemonde autour de moi est devenu d’unblanc éclatant. Sur le coup, j’ai été aveu-glé, comme si de la magnésite venait

d’éclater sous mes yeux. L’explosion a eu lieu im-médiatement après. Je me suis retrouvé torse nu, lesouffle a été si intense que c’était comme si d’un seulcoup des milliers d’épingles me rentraient dans lapeau. L’explosion a creusé des trous béants dans lesmurs du premier et du deuxième étage. Je pouvais àpeine voir la pièce à cause de la poussière. J’ai retirédes débris mon appareil et les vêtements fournis parl’armée, et je me suis habillé. Je pensais aller soit aujournal, soit au QG militaire. C’était environ qua-rante minutes après l’explosion.

Près du pont Miyuki, il y avait un bureau de police. La plupart des victimes qui s’étaient rassem-blées là étaient des étudiantes de la première école decommerce d’Hiroshima. Elles avaient dû évacuer lesbâtiments et étaient à l’extérieur lorsque la bombe esttombée. Ayant été directement exposées aux rayonsde chaleur, elles étaient couvertes de cloques grossescomme des balles, sur le dos, le visage, les épaules etles bras. Les cloques commençaient à percer et leurpeau pendait lamentablement. Certains enfants avaientmême des brûlures sur la plante des pieds. Ils avaientperdu leurs chaussures et avaient couru pieds nus dansla fournaise. Quand j’ai vu ça, j’ai voulu faire unephoto et j’ai pris mon appareil. Mais je ne pouvais pas appuyer sur le déclencheur, le spectacle était trop mi-sérable. J’étais moi aussi victime de cette bombe maisje n’avais que des blessures mineures causées par desfragments de verre, alors que les gens autour de moiétaient mourants. C’était un spectacle si cruel que jene pouvais me résoudre à appuyer. Il m’a falluvingt minutes pour avoir le courage de prendre unepremière photo. Puis j’ai avancé de 4 ou 5 mètres pourprendre la deuxième. Je me rappelle encore au-jourd’hui que le viseur était embué par mes larmes.J’avais l’impression que tout le monde pensait, en meregardant : “Il nous prend en photo mais ne nous serad’aucun secours.” Je devais malgré tout appuyer sur ledéclencheur, j’ai donc affermi mon cœur et j’ai finalement pris le deuxième cliché

JYOSHITO MATSUSHIGE

HIROSHIMA, QUARTIER DE SENDA, 6 AOÛT 1945, PEU APRÈS 11 HEURES«La première image que j’ai prise ce jour-là.

Nous sommes à 2,3 kilomètres de l’épicentre, à l’extrémité ouest du pont Miyuki. La place devant le poste de police

du quartier a été transformée en hôpital de campagne improvisé. J’y ai trouvé de nombreux élèves de l’école supérieure de commerce

pour filles et de la First Middle school d’Hiroshima. La bombe les a frappés alors qu’ils travaillaient à des projets de

démolition de bâtiments. Des policiers et des soldats soignent les blessés. Tout ce qu’ils peuvent faire c’est leur

appliquer de l’huile alimentaire sur les plaies.»

été 2010 I 127

>>sui te page 128

«

polkahommage

LES MÉPRISÉS DE LA

RÉPUBLIQUECe 14 Juillet, des troupes africaines d’anciens combattants

ouvrent le défilé sur les Champs-Elysées. Un « diplôme

d’honneur» pour services rendus à la nation est inscrit au

protocole. La reconnaissance est si tardive que certains

pays ont décliné l’invitation. Leur patrie d’antan leur est

devenue de plus en plus étrangère au fil des années. La

France tarde encore à rendre officiellement honneur à ces

«indigènes». Si médailles et diplômes décorent, ils ne font

pas vivre. Et la France ne traite pas équitablement ses vé-

térans selon qu’ils sont français ou ressortissants d’Etats

devenus indépendants, il y a cinquante ans. Pour cette fête

nationale, les « oubliés de la République », attendent

comme ultime honneur l’égalité de traitement de leur

pension pour les quelques années qui leur restent à vivre.PHILIPPE GUIONIE

SAINT-LOUIS DU SÉNÉGAL, 2008Alioune Sow a décroché du mur de son salon la photo où il pose en uniforme

de tirailleur. C’était il y a soixante-dix ans.

130 I polka magazine #9

été 2010 I 149

ans la douceur d’uneaprès-midi de mai,deux «monuments» serencontrent pour la pre-mière fois : l’actricefrançaise Isabelle Hup-pert et l’artiste photo-

graphe américain Joel-Peter Witkin. Je de-vrais dire: se reconnaissent. Je parle d’unereconnaissance souterraine, implicite entredeux personnes qui ont, si ce n’est le mêmeprojet de vie, du moins une perception par-tagée de ce qu’elle peut être : un clair-obs-cur qui unit les contraires, des nuances degris, comme ses photos, plutôt qu’un noir etblanc tranché.

Il m’avait parlé de son désir de photo-graphier « la plus grande actrice justementparce qu’elle ne semble pas jouer », devi-nant sans doute quelque chose en elle quila rendait proche de son univers marginal.

De son côté, Isabelle Huppert connais-sait le travail «obsédant» du photographequi explore les confins de la normalité. Desportraits de noir et de blanc mêlés, parfoisrehaussés de peinture à la cire, qui mettenten scène des gens hors norme, trop en vieou déjà morts, «en marge» des canons dela beauté ou de la réussite.

Partout dans un beau désordre, il y ades anges et des monstres, des pierres et desviscères, du silence et du bruit. Les corpsdifformes et les âmes souillées sont dénu-dés, les uns maquillés de craie blanchecomme des statues de pierre, les autres délivrées de leurs fantasmes et de leurs ter-reurs. Souvent ses photographies sont abî-mées, il griffe, biffe, lacère ses originaux.

«Notre époque parle à l’œil en hurlant,avec des lumières violentes, des couleurscriardes. Les images qui nous entourentsont inconsolables à force d’être gaies, ellessont sales à force d’être propres, vidées detoute ombre comme de tout chagrin. Je necherche pas à flatter l’œil, ni à l’éblouir. Jen’ai pas de certitudes et pour moi, iln’existe de vérités que suspectes », dit leconspirateur scandaleux.

Isabelle Huppert accepte la rencontresur un dessin esquissé par Witkin. Il fautune bonne dose de courage et de libertépour s’y risquer. L’action se déroule dansl’appartement parisien de Baudoin Lebon,son galeriste en France. Le dispositif est enplace : les flashs de lumière, la chambrephotographique et une curieuse sculptureque Witkin a confectionnée dans du cartonnoir et suspendue à hauteur d’homme, faceà l’objectif. Drôle d’installation qui n’a rienà voir avec le dessin initial proposé à

Isabelle. Je redoutais qu’elle n’apprécieguère les changements de dernière minute.Mais non. Elle accepte : glisse sa tête dansle « Calder » de Witkin, son corps maculéde blanc dans un corsage conçu pour l’oc-casion. Elle se laissera traverser par l’œil.

Pourtant elle s’impatiente. Elle est en-core tendue. Elle cherche à se concentrer.Peu à peu, elle s’absente à elle-même pour

n’être plus qu’à lui. Witkin a photographiéet peint Isabelle Huppert telle qu’il l’a devinée : un être de lumière et d’ombre,tout à la fois grave et sereine, sacrée et pro-fane, comblée et perdue. Isabelle surgithors du temps, elle est de toutes les éterni-tés, pareille à une icône. Immortels soncorps et son visage poudrés de blanc, sur-réaliste son âme qui s’échappe du moduleet du troisième œil épinglé au corpscomme un bijou. Par endroits, il a recou-vert l’image de peinture. Des tons denses,épais, sourds: vert émeraude pour la robeet carmin pour ses lèvres. L’image en devenant un tableau s’est éloignée et im-pose une distance. Isabelle a rejoint lesidoles. L’éloignement la protège. En retrait,dans cet écart solitaire, elle se supprime ets’affirme dans le même mouvement. Onest devant une image sainte*.

Elle n’avait qu’une heure. Nous de-vions «faire vite». Pourtant, après la séancephoto, elle n’est pas partie. Witkin non plus.Sans savoir qui des deux était devenu lechasseur ou la proie, ils ont déposé lesarmes. Plus personne ne cherche à convain-cre ni à vaincre.

Elle parle de Mondrian et de Miró,l’interroge sur sa vie à Albuquerque. Ilcontinue à l’appeler «Elisabeth» pourtantil la connaît déjà mieux que quiconque.«Ce qu’on sait de quelqu’un empêche dele connaître, dit Witkin. Je préfère ne pasen savoir trop. Très peu de vraies paroless’échangent chaque jour. Peut-être que jene fais des photographies que pour com-mencer à voir, pour enfin commencer àparler». Cette après-midi qui ne devait pass’éterniser s’est doucement «perdue». Enréalité, chacun a gagné un moment degrâce. Dehors, sur le trottoir de la rue Béranger, chacun s’apprête à être rendu au-dehors, riche d’un secret indicible. Le bruitde la ville peut reprendre, le temps peut re-commencer. •* A retrouver dans le livre «Isabelle Huppert, la femme

aux portraits», par Ariel Ronald Chammah et Jeanne

Fouchet, éd. Seuil.

D

PORTRAIT D’ISABELLE H.Depuis plus de trente ans, Joel-Peter Witkin poursuit sa quête obsessionnelle

d’une beauté différente, qui renvoie le spectateur à sa propre étrangeté... Isabelle Huppert

s’est risquée à poser pour lui et s’est reconnue dans sa vision.

JOEL-PETER WITKINPORTRAIT D’ISABELLE H., PARIS 2004Né en 1939 à Brooklyn, le photographe vit et travailleà Albuquerque au Nouveau-Mexique. En France, il estreprésenté par Baudoin Lebon.«Chaque photo, disait Isabelle Huppert dans Polka auprintemps 2009, est un point d’interrogation. J’aimealler à la rencontre de ce mystère».

polkanaissanced’unephoto

par V i r g i n i e L u c

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Info

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1860 Edouard Heuer fonde son atelier dans le Jura Suisse.

1916 Premier compteur mécanique précis au 1/100ème de seconde.

1969 Premier chronographe automatique.

2010 TAG Heuer Grand CARRERA Calibre 17 RS.

* Pionniers de l’horlogerie suisse depuis 150 ans.