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XIe UNIVERSITÉ D’ÉTÉ en Histoire, Philosophie et Pensée Économiques Théories de la décision individuelle : Histoire et méthodes Paris, 1-5 septembre 2008 L’interprétation épistémologique de la causalité en économie chez J. S. Mill : L’action combinée des causes et le statut scientifique des « causes perturbatrices » Çınla Akdere PHARE, Université Paris I, Panthéon Sorbonne * Pour J.S.Mill, les lois économiques sont des lois tendancielles qui n’admettent pas d’exception. Néanmoins, il précise que les conditions individuelles propres à certains cas peuvent empêcher l’application de ces lois. Mill appelle ces conditions individuelles des « causes perturbatrices », dont la science économique refuse d’analyser les actions. L’objectif de cet article est de démontrer que le statut scientifique des « causes perturbatrices » doit être expliqué à travers l’idée d’émergence comprise dans la « causalité hétéropathique » que Mill définit dans System of Logic (1843). * E-Mail: [email protected] . Adresse: PHARE, Université Paris I, Panthéon-Sorbonne. 106-112 boulevard de l'Hôpital. 75013. Paris, France. Tel.: +33 (0) 144 07 82 40. 1

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XIe UNIVERSITÉ D’ÉTÉ

en Histoire, Philosophie et Pensée Économiques

Théories de la décision individuelle : Histoire et méthodes

Paris, 1-5 septembre 2008

L’interprétation épistémologique de la causalité en économie chez J. S. Mill :

L’action combinée des causes et le statut scientifique des « causes perturbatrices »

Çınla AkderePHARE, Université Paris I, Panthéon Sorbonne*

Pour J.S.Mill, les lois économiques sont des lois tendancielles qui n’admettent pas

d’exception. Néanmoins, il précise que les conditions individuelles propres à certains cas

peuvent empêcher l’application de ces lois. Mill appelle ces conditions individuelles des

« causes perturbatrices », dont la science économique refuse d’analyser les actions.

L’objectif de cet article est de démontrer que le statut scientifique des « causes

perturbatrices » doit être expliqué à travers l’idée d’émergence comprise dans la « causalité

hétéropathique » que Mill définit dans System of Logic (1843).

Mots clés: John Stuart Mill, épistémologie, causalité, hétéropathique, émergence.

Classification JEL : B12, B31, B41.

Introduction* E-Mail: [email protected]. Adresse: PHARE, Université Paris I, Panthéon-Sorbonne. 106-112 boulevard de l'Hôpital. 75013. Paris, France. Tel.: +33 (0) 144 07 82 40.

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John Stuart Mill (1806-1873), économiste anglais, a marqué l’apogée de la

méthodologie économique de l’école classique. L’ampleur des récents débats relatifs aux

questions qu’il traite, et leur pertinence dans la définition de l’analogie entre la science

économique et les sciences physiques, révèle, à certains égards, la modernité de la pensée

millienne. Les travaux secondaires présentent généralement Mill comme celui qui apporte

une réponse structurée à la genèse du caractère hypothético-déductif des lois économiques.

Le terme hétéropathique (heteropatic)1 apparaît pour la première fois dans l’histoire

de la philosophie des sciences dans son étude sur l’induction, développée dans System of

Logic (1843). Mill définit les lois hétéropathiques comme des lois « d'une action combinée,

qui ne se composent pas des lois des actions séparées » 2 (Logic, p. 375) pourtant elles sont

issues de ces lois des actions séparées « au moins dans quelques cas, suivant un principe

déterminé »3 (Logic, p.375). Elles peuvent être étudiées soit expérimentalement, soit

déductivement. Comme il est possible d’appréhender l’étude de l’action combinée des

« causes générales » (disturbing causes) et des « causes perturbatrices » (general causes) en

économie, nous pensons que l’adjectif « hétéropathico-déductif » convient également à la

nature des lois économiques. Puisque la notion d’hétéropathie fonde l’idée d’émergence, qui

est née à l’intérieur de la science de la complexité, la méthodologie économique de Mill

présente un fondement intéressant pour une mise à jour de l’analogie entre la science

économique et les sciences physiques.

L’objectif de cet article est donc de développer le caractère hétéropathico-déductif

qu’attribue Mill aux lois économiques, tout en soulignant les leçons que peut en tirer

l’épistémologie économique contemporaine. Cette réflexion s’inscrit dans le cadre d’une

relecture de « On the Definition of Political Economy; and on the Method of Investigation

Proper to it »4 (1836) publié dans Essay on Some Unsettled Questions of Political Economy

(1844), et des livres III et VI de System of Logic5 (1843), respectivement intitulés « Of

Induction » et « On the Logic of Moral Sciences ». Ces deux oeuvres, écrites simultanément,

1 Mill utilise ce terme à trois reprises dans le livre III, « Of Induction », de System of Logic (1848) : dans le chapitre VI, « Of the Composition of Causes » et dans le chapitre X, « Of Plurality of Causes; and of the Intermixture of Effects ».2 « laws of combined agency as are not compounded of the laws of the separate agencies ». 3 « at least in some eases, derived from them according to a fixed principle ». 4 Désormais Essai et Essay (Nous donnons, à chaque fois, le texte original de la citation). Cet essai a d’abord été écrit à l’automne 1831 puis réécrit pendant l’été 1833. Il a été publié en 1836 dans London and Westminster Review, (IV et XXVI Oct. 1836, 1-29) puis dans Essay on Some Unsettled Questions of Political Economy (1844). 5 Désormais Logic (Nous donnons, à chaque fois, le texte original de la citation).

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sont considérés comme complémentaires. Ensemble, elles offrent une présentation complète

de l’épistémologie de Mill. Comme l’affirme Hands, « although there are minor changes from

his early ‘On the Definition’ essay, the main argument remains the same from 1830 and 1831

to the eighth edition of Logic » (Hands 2001, p.16).

Dans un premier temps, nous présenterons l’« expérimentation spécifique » décrite par

Mill comme l’unique méthode de validation des théories économiques de Ricardo. Selon

Mill, l’« expérimentation spécifique » n’est pas antérieure mais bien postérieure à la

construction de la théorie. Elle désigne l’application de la théorie économique à un cas

particulier. Dans un deuxième temps, nous examinerons la nature de cette « expérimentation

spécifique ». Mill estime que cette phase de la théorie est censée analyser la réalité

économique dans toute sa complexité. C’est pourquoi elle y intègre non seulement les

« causes générales », que Mill appelle les « causes communes à toute la classe des cas

considérés »6 (Essai, p.74), mais aussi les « causes perturbatrices ». On assiste, alors, à une

étude générale de l’action combinée des causes en économie : la causalité7 hétéropathique.

Dans un troisième temps, nous allons enfin situer la causalité hétéropathique dans la

philosophie contemporaine des sciences, en soulignant le lien qui unit cette dernière à la

notion d’émergence.

1. Les causes perturbatrices et l’« expérimentation spécifique » chez J. S. Mill  

1.1. L’« expérimentation spécifique » pour une théorie économique concrète

Selon J.S. Mill, en économie, comme en politique, « bien que nous n’ayons pas les

moyens de disposer d’une base suffisamment stable […], pour une induction satisfaisante par

la comparaison des effets, les causes, en tout cas,  peuvent être l’objet d’expérimentations

spécifiques »8 (Essai, p.78). « L’expérimentation spécifique » mentionnée ici, propose une

façon bien particulière de valider la théorie économique. Rappelons que dans le discours de

Mill, l’« expérimentation spécifique » est postérieure à la construction de la théorie. Il accepte

l’idée que « l’économie politique […] raisonne sur la base de prémisses supposées -qui

pourraient être totalement non fondées dans les faits, et dont personne n’affirme qu’elles

6 « causes common to the whole class of cases under consideration---are taken into the account » (Essay, p.326). 7 Nous traduisons « causation » et « causality » par « causalité » car Mill utilise les deux termes comme synonyme. 8 « Although sufficiently ample grounds are not afforded […], for a satisfactory induction by a comparison of the effects, the causes may, in all cases, be made the subject of specific experiment (Essay, p.329).

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soient universellement en accord avec eux » 9 (Essai, p.74). C’est pourquoi Mill accorde une

grande importance à l’ « expérimentation spécifique ». Il l’envisage comme l’unique épreuve

empirique censée valider la capacité d’une théorie économique en donnant une explication

propre à un phénomène particulier.

Au vue de cette méthodologie, certains commentateurs de Mill l’inscrivent dans les

habitudes épistémologiques de la tradition ricardienne10 selon laquelle « l’explication propre

d’un phénomène particulier vient seulement après l’établissement des lois » (Zouboulakis,

1993, p. 119). Or, l’économie politique ricardienne est une science abstraite (Akdere, 2005;

Hands 2001; Zouboulakis, 1993) qui propose des lois déduites des hypothèses

expérimentalement non validées11. En effet, Mill précise que « les conclusions de l’Economie

Politique, en conséquence, comme ceux de la géométrie, ne sont vraies, selon l’expression

habituelle, que dans l’abstrait »12 (Essai, p.74). Autrement dit, « elles sont vraies uniquement

si l’on accepte certaines suppositions, dans lesquelles les causes générales –causes communes

à toute la classe des cas considérés –à l’exclusion des autres, sont prises en compte »13 (Essai,

p.74) :En tant qu'on sait, ou qu'on peut présumer, que la conduite des hommes dans la poursuite de la richesse est sous l'influence collatérale de quelque mobile autre que le désir d'acquérir la plus grande quantité de richesse avec le moins de travail possible les conclusions de l'économie politique feront défaut à l'explication ou à la prédiction des événements réels, jusqu'à ce qu'on les ait modifiées en tenant exactement compte du degré d'influence de l'autre Cause14 (Logic, p. 903).

9 « Political Economy […] reasons from assumed premises---from premises which might be totally without foundation in fact, and which are not pretended to be universally in accordance with it » (Essay, p.326)10 Selon Zouboulakis (1993), parmi les auteurs fidèles à la tradition épistémologique ricardienne (1826-1891) on compte : David Ricardo, Nassau William Senior, Richard Whately, John Stuart Mill, John Elliot Cairnes, Walter Bagehot, Henry Sidgwick, John Neville Keynes. Bien que consciente de nonsimilarité absolue entre Mill et la tradition ricardienne, nous intégrerons également Mill à ce groupe à chaque fois que nous utiliserons l’expression « ricardien ». 11 D’après les ricardiens, dans une étape purement déductive, l’économie politique cherche à expliquer un énoncé singulier (le phénomène particulier dont on cherche la cause) à partir de certains énoncés universels (les hypothèses fondatrices) et à l’aide des énoncés universels nouveaux (les lois économiques) (Zouboulakis, 1993, pp. 116-117).12 « The conclusions of Political Economy, 'consequently', like those of geometry, are only true, as the common phrase is, in the abstract » (Essay, p.326). 13 « that is, they are only true under certain suppositions, in which none but general causes--causes common to the whole class of cases under consideration---are taken into the account » (Essay, p.326).14 « So far as it is known, or may be presumed, that the conduct of mankind in the pursuit of wealth is under the collateral influence of any other of the properties of our nature, than the desire of obtaining the greatest quantity of wealth with the least labour and self-denial, the conclusions of political economy will so far fail of being applicable to the explanation or prediction of real events, until they are modified by a correct allowance for the degree of influence exercised by the other cause ». Mill ajoute à la fin de ce passage une note de bas de page précisant qu’il aborde ce sujet entre les pages 137-140 de Essays on some Unsettled Questions of Political Economy. Il s’agit des pages 321-3 du vol. IV de Collected Works.

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Toutefois, il serait faux de dire que l’épistémologie des ricardiens et celle de Mill sont

similaires. D’ailleurs, la fidélité de Mill à l’épistémologie ricardienne est un sujet controversé

qui s’insère dans un débat plus général, portant sur l’appartenance de Mill à l’école

classique15. Selon Blaug, « Mill resta un fidèle avocat de l’économie ricardienne non par

ignorance de l’écart entre sa théorie et les faits, mais en adoptant divers ‘stratagèmes

immunisateurs’, le principal consistait à vider de tout le contenu spécifique qu’elles

auraient pu avoir les clauses ceteris paribus appropriées » (Blaug, 1982, p. 63)16. Mill

tend à libérer l’analyse économique de l’usage de la clause ceteris paribus, qui se justifie

à travers une analogie entre la science économique et la mécanique classique que nous

évoquerons plus tard.

C’est par le biais de l’« expérience spécifique » que Mill propose les ‘stratagèmes

immunisateurs’ évoqué par Blaug. Ainsi, on peut considérer cette phase

d’«expérimentation spécifique » comme le prisme à travers lequel il est possible de saisir les

différences entre la position épistémologique des auteurs ricardiens et celle de Mill.

L’importance que Mill accorde à cette épreuve prouve son intention de provoquer une

autre manière de penser l’analogie entre la science économique et les sciences physiques,

et par conséquent, le caractère scientifique de la théorie économique. Nous y

reviendrons plus en détail dans les sections 1.4 et 2.1.

L’« expérimentation spécifique » concerne l’étape d’application d’une théorie au cas

particulier. Mill constate qu’avant d’appliquer la théorie au cas particulier, « il est alors

nécessaire de prendre en compte toutes les conditions individuelles de ce cas » »17 (Essai, p.

79). Il recommande ici d’étudier non seulement les conditions mentionnées par la théorie

ricardienne, mais aussi d’examiner les « autres conditions [qui] peuvent exister dans le cas »18

(Essai, p. 79). Il est conscient du fait que ces conditions propres au cas particulier sont celles

que l’économie politique n’associera pas forcément à son explication. En outre, elles

dépasseront probablement le cadre de l’économie politique. Mill appelle ces conditions des

« causes perturbatrices » : Quand les principes de l’Economie Politique doivent être appliqués à un cas particulier, il est alors nécessaire de prendre en compte toutes les conditions individuelles de ce cas ; en examinant non seulement à quelle catégorie de conditions étudiées par la science abstraite correspondent celles du cas en question, mais également quelles autres

15 Cf. Maricic 1992. 16 Zouboulakis s’oppose au fait de justifier l’épistémologie ricardienne en utilisant une terminologie uniquement popperienne comme la référence aux « stratagèmes immunisateurs » (Zouboulakis, 1993, p. 128). Au fond, il est en désaccord avec le « vérificationnisme avancé » que Blaug associe à la position des ricardiens. Il rattache le mode d’explication ricardien au modèle de Popper-Hempel-Opppenheim (Zouboulakis, 1993, pp.117-121). 17 « then it is necessary to take into account all the individual circumstances of that case » (Essay, p.330). 18 « other circumstances may exist in that case » (Essay, p.330).

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conditions peuvent exister dans le cas, qui ne lui seraient pas ordinairement associées dans une large catégorie bien définie d’autres cas, et qui ne sont pas tombées sous la connaissance de la science. Ces conditions sont appelées causes perturbatrices19 (Essai, p.79).

Cette démarche pourrait définir le vérificationnisme millien. Mais chez les autres

auteurs ricardiens, le vérificationnisme comporte deux conditions. Citons Zouboulakis :

« une théorie économique est donc vraie à deux conditions » (1993, p. 127). Première

condition : « il faut que les prémisses et les postulats décrivent, respectivement, les

forces dominantes du champ économique et les conditions économiques et sociales les

plus caractéristiques » (Zouboulakis, 1993, p. 127).  Deuxième condition : « il faut que le

raisonnement ne contienne pas d’incohérence logique, et que les causes éliminées à

l’aide de la clause ceteris paribus soient réellement d’une importance secondaire »

(Zouboulakis, 1993, pp. 127-128).

Soulignons que cela ne signifie pas que Mill ne rejette pas la clause ceteris paribus

de l’explication économique lors de la construction de la théorie. Nous estimons que

l’usage de ce terme chez les économistes dépend d’une angoisse, liée à une ignorance du

statut scientifique des « causes perturbatrices ». Membre de l’école ricardienne, Carines

affirme que l’usage de la clause ceteris paribus dans l’analyse économique indique

qu’« une loi économique exprime une vérité hypothétique et non positive, elle présente

non ce qui a lieu réellement, mais ce qui tend à avoir lieu en l’absence de causes

perturbatrices » (Carines, 1875, p.119 dans Zouboulakis, 1993, p. 122). Zouboulakis,

après une étude des autres auteurs ricardiens, résume ainsi : « la clause ceteris paribus

est utilisée à deux reprises dans l’explication d’un phénomène particulier : d’abord pour

neutraliser l’action des causes perturbatrices pendant l’établissement des lois

économiques, et ensuite quand on rapporte le phénomène en question à la loi dont il

dépend, toujours sans que la nature ou le nombre des causes perturbatrices soient

spécifiés » (Zouboulakis, 1993, p. 122-123).

Quelles peuvent être ces causes éliminées à l’aide de la clause ceteris paribus de la

théorie ricardienne ? Quel est leur statut quand on les intègre dans l’analyse ? L’adjectif 19 « When the principles of Political Economy are to be applied to a particular case, then it is necessary to take into account all the individual circumstances of that case; not only examining to which of the sets of circumstances contemplated by the abstract science the circumstances of the case in question correspond, but likewise what other circumstances may exist in that case, which not being common to it with any large and strongly-marked class of cases, have not fallen under the cognizance of the science. These circumstances have been called disturbing causes. And here only it is that an element of uncertainty enters into the process —an uncertainty inherent in the nature of these complex phenomena, and arising from the impossibility of being quite sure that all the circumstances of the particular case are known to us sufficiently in detail, and that our attention is not unduly diverted from any of them » (Essay, p.330).

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« secondaire » souligne leur moindre importance. C’est ainsi que pour l’école ricardienne, on

neutralise leurs effets en utilisant la clause ceteris paribus et on construit la théorie sans tenir

compte de leurs existences. Blaug affirme que le fait d’éluder les causes perturbatrices

constitue « un moyen facile de protection des théories ricardiennes contre leur réfutation »

(Blaug cité par Zouboulakis, 1993, p. 128). L’ignorance des causes perturbatrices sert

uniquement à « persuader de la légitimité de la clause ceteris paribus » (Zouboulakis, 1993,

p. 122). Zouboulakis insiste sur le fait que « les ricardiens, très avertis des risques liés à

l’usage de cette clause, se montrent particulièrement prompts à reconnaître que tout écart

entre les conclusions théoriques et la réalité provient de la négligence d’une cause

perturbatrice qui s’est avérée plus active que prévu » (Zouboulakis, 1993, p. 128). Mill est

l’un de ces ricardiens « très avertis ».

Il s’agit ici de tirer une sonnette d’alarme : Mill a en effet conscience des risques

d’insuffisance de prédiction dans le système ricardien. Pour lui « l’écart entre nos prédictions

et le fait réel constitue souvent la seule condition qui aurait pu attirer notre attention sur

quelque importante cause perturbatrice que nous aurions négligée »20 (Essai, p. 82). En quoi,

le fait de tenir compte des « causes perturbatrices », appelées « causes secondaires » par

Zouboulakis, risque-t-il de changer la direction des conclusions et des prédictions

ricardiennes ? Ricardo n’a jamais offert d’œuvre de nature épistémologique où il aurait défini

le statut et montré l’importance qu’il attribue à ces causes secondaires. Comme l’exprime

Blaug, « il est toujours difficile de savoir si Ricardo considérait les prédictions de son

système […] comme l’établissement de tendances purement conditionnelles, ou comme des

prévisions historiques et inconditionnelles, dans la mesure où la caractéristique de ses écrits

est de minimiser la discussion entre les conclusions abstraites et les applications concrètes »

(Blaug, 1982, p.51). Contrairement aux ricardiens, Mill mène une réflexion analytique sur le

statut et la méthode d’investigation scientifique des « causes perturbatrices ». Il y consacre de

longs développements dans ses oeuvres épistémologiques.

1. 2. Les causes perturbatrices sont indéterminées voire inconnues

Pour Mill, ces causes provoquent des effets qui empêcheront d’obtenir les prédictions

de la théorie ricardienne. La théorie abstraite se heurte aux faits concrets, et une épreuve de

vérification, de réification ou de réfutation de la théorie s’impose21. 20 « The discrepancy between our anticipations and the actual fact is often the only circumstance which would have drawn our attention to some important disturbing cause which we had overlooked » (Essay, p.332). 21 Pour la vérification, rectification et réfutation de la théorie ricardienne, cf. Zouboulakis, 1993, pp. 125-145.

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Pour Mill, ces causes perturbatrices désignent les « conditions caractéristiques d’un

cas particulier ou d’une époque particulière [qui] jouent un plus grand rôle dans l’explication

de ce cas bien précis »22 (Essai, p. 83). Cependant « les causes perturbatrices sont, de manière

générale, indéterminées ou même ‘inconnues’ » (Zouboulakis, 1993, p.123). C’est pourquoi

dès qu’on les intègre dans l’analyse économique, on obtient des éléments qui engendreront

des incertitudes dans cette même analyse, effet « inhérent à la nature de ces phénomènes

complexes » (Essai, p.79). Si « Ricardo est l’auteur du premier modèle économique abstrait »

(Zouboulakis, 1993, p.1), peut-t-on considérer Mill comme celui du modèle économique

complexe ?Et ce n’est qu’à ce moment qu’entre dans le processus un élément d’incertitude - inhérent à la nature de ces phénomènes complexes, et provenant de l’impossibilité d’être complètement sur que l’on connaît toutes les circonstances du cas particulier d’une façon suffisamment détaillée, et que notre attention n’est pas indûment détournée de l’une d’entre elles » 23 (Essai, p. 79).

Zouboulakis distingue deux types de causes perturbatrices. D’une part, celles qui

dérivent des « facteurs extra-économiques, isolés pendant la construction du champ

économique […] qui risquent de contrarier les lois économiques ». De l’autre, celles qui

ressortent des « facteurs purement économiques » (Zouboulakis, 1993, pp.123-124). Les

premières sont considérées comme des « comportements non-économiques, [des] contraintes

morales, [des] facteurs sociopolitiques, etc. » (Zouboulakis, 1993, p. 120).

Nous trouvons la première catégorie des causes perturbatrices, qui ne sont pas

quantifiables, chez Cairnes et Senior. Cairnes évoque « l’amour du sol natal » car il existe des

« facteurs qui pourraient contrarier l’échange de deux marchandises équivalentes par leurs

coûts de production ». Senior, pour sa part, « fait appel à des motifs non-économiques (la

réputation) pour expliquer comment la recherche de profit peut être contrariée » (Cairnes,

1875, p.103 ; Mill, 1848, p. 140, 414 ; Senior, 1966, p. 61 dans Zouboulakis, 1993, p. 123).

Mill se soucie non seulement de nature économique et non économique des causes

perturbatrices mais aussi le fait qu’elles sont quantifiables ou non quantifiables. Peut-on

parler d’une mesure des causes perturbatrices ? Chez Mill, les causes perturbatrices sont

parfois quantifiables:

22 « qualities, and tendencies, which are common to large classes of cases, and which belong to all place and all time; while it often happens--- that circumstances almost peculiar to the particular case or era have a far greater share in governing that one case » (Essay, p.333). 23 « And here only" it is that an element of uncertainty enters into the process—an uncertainty inherent in the nature of these complex phenomena, and arising from the impossibility of being quite sure that all the circumstances of the particular case are known to us sufficiently in detail, and that our attention is not unduly diverted from any of them » (Essay p.330).

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Les conclusions qui sont correctement déduites de la supposition constituent une vérité abstraite ; et une fois complétées en ajoutant ou soustrayant l’effet des conditions non calculées, elles sont vraies dans le concret, et peuvent être appliquées en pratique. (Essai, pp. 78-79).

Dans le cas des augmentations de salaires, qui relève de la première catégorie, les causes

perturbatrices non économiques, Mill envisage « l’amélioration du niveau de vie et de

l’éducation chez les travailleurs ». Elle est une cause perturbatrice qui n’a pas été prise en

considération dans l’analyse ; Mill note : la « hausse des salaires n’a pas été suivie par une

augmentation proportionnelle des naissances ». De plus, on peut examiner comme une cause

perturbatrice « l’effet de la demande sur les prix des biens différents du point de vue de

l’élasticité de leur offre » (Zouboulakis, 1993, p.123). On trouve aussi chez l’auteur un

deuxième type de causes perturbatrices. « L’aversion pour le travail et le désir de la

jouissance immédiate des plaisirs coûteux »24 (Logic, p. 902), soit deux motifs qui

représentent des freins au désir de la richesse, et constituent l’exemple le plus fameux de Mill.

Ici, la terminologie de Mill définit le désir de la richesse comme la « cause générale » tandis

que les deux autres motifs sont des « causes perturbatrices » du comportement économique de

l’individu. D’après lui, ce sont des passions et des mobiles qui orientent le comportement

humain et « accompagnent toujours [la recherche de la richesse] comme un frein ou comme

un obstacle, et sont perpétuellement en vue dans l’étude des faits économiques »25 (Logic, p.

902). Et Mill d’affirmer : «la cause perturbatrice est quelque autre loi de la nature humaine » 26 (Essai, p. 80).

Néanmoins, nous rejoignons Mill sur le fait que l’économie politique est censée

étudier et examiner l’effet des conditions non calculées, afin de les soustraire ou de les ajouter

à l’analyse. Ainsi, la vérification pour Mill ne désigne pas la mise en preuve historique de la

théorie, comme dans le cas du principe de population. Elle est plus proche de l’« expérience

spécifique ». Cette dernière exige selon lui de mesurer « l’impact réel de l’action des causes

perturbatrices […] c’est donc vers l’influence d’une cause perturbatrice négligée pendant

l’explication, ou même vers le raisonnement économique lui-même qu’il faut se tourner pour

localiser l’erreur, jamais vers les hypothèses de départ » (Zouboulakis, 1995, p. 976).

1.3. Les causes perturbatrices : les conditions ignorées d’un phénomène complexe

24 « aversion to labour, and desire of the present enjoyment of costly indulgences ». 25 « these do not merely, like our other desires, occasionally conflict with the pursuit of wealth, but accompany it always as a drag or impediment, and are therefore inseparably mixed up in the consideration of it ». 26 « the disturbing cause is some other law of human nature » (Essay, p.330).

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La réflexion de Mill sur les lois universelles de causalité s’inscrit dans son étude sur

l’induction. Il présente ses conclusions dans le chapitre VI, intitulé « Composition of

Causes »27 du livre III de System of Logic (1848). Le paragraphe ci-dessous nous donne la

mesure de l’importance qu’il attribue à cette étude : Les remarques générales sur la Causation, qui semblaient nécessaires comme introduction à la théorie du procédé inductif. Ce procédé est essentiellement une recherche des cas de causation. Toutes les uniformités dans la succession des phénomènes et la plupart des uniformités dans leur coexistence sont elles-mêmes, comme on l'a vu, ou des lois de causation, ou des conséquences et des corollaires de ces lois. Si nous pouvions déterminer exactement à quelles causes sont attribuables tels effets, ou à quels effets telles causes, nous posséderions virtuellement la connaissance de tout le cours de la nature. Toutes ces uniformités, qui sont de simples résultats de causation, seraient alors mises à nu et expliquées; et chaque fait, chaque évènement individuel pourrait être prévu, pourvu que nous eussions les données nécessaires, c'est-à-dire la connaissance des circonstances qui, dans le cas particulier, l'ont précédé. Ainsi, donc, déterminer quelles sont les lois de causation existant dans la nature; déterminer les effets de chaque cause et les causes de tous les effets; c'est la principale affaire de l'Induction; et montrer comment cela se fait est l'objet capital de la Logique Inductive28 (Logic, pp.377-378).

27 Composition of causes : La causalité mécanique et la causalité chimique : Mill explique qu’« en mécanique, une force n'est pas autre chose qu'une cause de mouvement ». Le fait que « la somme des effets de deux causes de mouvement peut être le repos » n’efface pas cet aspect. Dans le niveau mécanique, « chacune des forces a produit pendant chaque instant tout son effet » et « l'influence modificatrice que l'une des causes concourantes est censée exercer sur l'autre peut être considérée, non comme exercée sur l'action de la cause même, mais sur son effet complètement produit ». Mill clarifie : « pour la prévision, pour le calcul ou l'explication de leur résultat collectif, les causes composantes doivent être traitées comme si elles produisaient, chacune son effet propre simultanément, et comme si tous ces effets coexistaient visiblement » (Logic, p.444). Pour la mécanique « l'effet réuni des causes est la somme de leurs effets séparés » (Logic, p.373). Soit C1, C2 et C3 trois causes différentes en opération. Les effets qu’elles produisent indépendamment l’une et l’autre sont EEetE. La composition mécanique des forces où la résultante est l’addition des effets des diverses causes séparées peut être vue comme un exemple de ce type de causalité mécanique. (Boss, 1990, p. 70). On l’explique ainsi :

C1 E

C2 E => C1 + C2 + C3 E+E +E E

C3 E

Pourtant ce n’est guère le cas au niveau chimique. Les lois chimiques sont restreintes aux études de cas-par-cas. La chimie est censée examiner des relations causales beaucoup plus complexes. Mill explique cette complexité ainsi : « ce qu'on appelle l'analyse chimique est le procédé pour chercher les causes d'un phénomène dans ses effets ou plutôt dans les effets produits par l'action exercée sur lui par quelques autres causes  » (Logic, p.441). Il affirme que « dans l'action chimique, les effets séparés cessent complètement et sont remplacés par des phénomènes entièrement différents et régis par des lois différentes » (Logic, p.440). Le niveau de la causalité chimique permet donc d’expliquer les effets lorsque les causes C1, C2 et C3, qui produisent indépendamment les effets EEetE, se mêlent et produisent un nouvel effet E. Nous pouvons parler d’une synthèse chimique lorsque les qualités de la nouvelle substance ne se réduisent pas à celles des éléments. (Boss, 1990, p. 70). Nous pouvons représenter cela ainsi :

C1 E

C2 E => C1 + C2 + C3 E ≠ E

C3 E

En effet, la causalité chimique explique les phénomènes qui confirment l’idée de « the sum is more than its elements ». La somme des effets séparés n’est pas la somme de leurs effets communs. 28 « The general remarks on causation, which seemed necessary as an introduction to the theory of the inductive process, may here terminate. That process is essentially an inquiry into cases of causation. All the uniformities which exist in the succession of phenomena, and most of the uniformities in their co-existence, are either, as we have seen, themselves laws of causation, or consequences resulting from, and corollaries capable of being deduced from, such laws. If we could determine what causes are correctly assigned to what effects, and what effects to what causes, we should be virtually acquainted with the whole course of nature. All those uniformities which are mere results of causation might then be explained and accounted for; and every individual fact or

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Mill définit d’abord la loi de la causalité par la succession : Deux et deux font quatre est également vrai, soit que le second deux suive le premier deux, soit qu'il l'accompagne. C'est aussi vrai des jours et des années que des pieds et des pouces 29 (Logic, p.323).

Cependant, il affirme que « rarement, si même jamais, cette invariable succession a

lieu entre un conséquent et un seul antécédent. Elle est communément entre un conséquent et

la totalité de plusieurs antécédents, dont le concours est nécessaire pour produire le

conséquent, c'est-à-dire pour que le conséquent le suive certainement »30 (Logic, p.327). « La

coexistence » apparaît alors à Mill comme une loi universelle de la causalité. En effet, il

souligne que la cause d’un phénomène n’est pas le seul antécédent qui précède

invariablement le phénomène : Au contraire, les lois d'étendue et de figure (en d'autres termes les théorèmes de la géométrie dans toutes ses branches, des plus basses aux plus hautes) ne se rapportent qu'aux phénomènes simultanés. Les portions d'espace et les objets qui sont dits remplir un espace coexistent, et les lois invariables qui constituent le sujet de la science géométrique sont l'expression du mode de leur coexistence31 (Logic, p.323).

Mill précise ainsi la loi universelle de la causalité : « tout phénomène est

uniformément en rapport avec des phénomènes qui coexistent avec lui et avec des

phénomènes qui l'ont précédé et le suivront »32(Logic, p. 323). Ce qui lui permet d’affirmer

que ce n'est pas l'antécédent invariable33 qui est la cause, mais l'antécédent invariable

inconditionnel.

Intégrer la « coexistence » aux lois universelles de la causalité est une critique de la

philosophie du sens commun de T. Reid qui, selon Dépoortère (2004), a influencé

l’épistémologie ricardienne. Pour Mill, dire que « l'antécédent à la suite duquel cette chose

arrive invariablement » est la cause d’un phénomène et de dire que « l'antécédent à la suite

event might be predicted, provided we had the requisite data, that is, the requisite knowledge of the circumstances which, in the particular instance, preceded it. To ascertain, therefore, what are the laws of causation which exist in nature; to determine the 1effectI of every cause, and the causes of all effects, is the main business of Induction; and to point out how this is done is the chief object of Inductive Logic ».29 « That two and two make four is equally true whether the second two follow the first two or accompany them. It is as true of days and years as of feet and inches ».30 « It is seldom, if ever, between a consequent and a single antecedent, that this invariable sequence subsists. It is usually between a consequent and the sum of several antecedents; the concurrence of ball of them b being requisite to produce, that is, to be certain of being followed by, the consequent. In such ca ses it is very common to single out one only of the antecedents under ».31 « The laws of extension and figure (in other words, the theorems of geometry, from its lowest to its highest branches) are, on the contrary, laws of simultaneous phenomena only. The various parts of space, and of the objects which are said to fill space, coexist; and the unvarying laws which are the subject of the science of geometry, are an expression of the mode of their coexistence ».32 « Every phenomenon is related, in an uniform manner, to some phenomena that coexist with it, and to some that have preceded and will follow it ».33 Pour Mill « The invariable antecedent is termed the cause; the invariable consequent, the effect » (Logic, p. 327).

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duquel la chose est arrivée invariablement dans l'expérience passée »34 (Logic, p. 338) ne sont

pas synonyme. Mill déplore que « cette manière de concevoir la causalité serait exposée à

cette objection très plausible de Reid, qu'à ce compte la nuit serait la cause du jour et le jour

la cause de la nuit; puisque ces phénomènes se sont invariablement, succédés depuis le

commencement du monde. Mais pour que le mot cause soit applicable, il est nécessaire de

croire, non seulement que l'antécédent a toujours été suivi du conséquent »35 (Logic, p. 338).

Mill ajoute que « la cause d'un phénomène peut donc être définie : l'antécédent ou la réunion

d'antécédents dont le phénomène est invariablement et inconditionnellement le conséquent »36

(Logic, p. 340). Mill de renforcer cette critique avec l’exemple suivant : Si une personne mange d'un certain mets et meurt en conséquence, - c'est-à-dire ne serait pas morte si elle n'en avait pas mangé, - des gens diront que la cause de sa mort est d'avoir mangé de ce plat. Il n'y a pas, cependant, de connexion invariable entre manger de ce mets et la mort; mais il existe certainement, parmi les circonstances de l'événement, quelque combinaison dont la mort est toujours la suite, par exemple, l'action de manger ce mets, combiné avec une constitution particulière du corps, un état de santé particulier, et peut-être même un certain état de l'atmosphère ; circonstances dont la réunion constituait dans ce cas les conditions du phénomène, ou, en d'autres termes, le groupe d'antécédents qui l'ont déterminé et sans lesquels il n'aurait pas eu lieu37 (Logic, p. 328).

Mill souligne ici que la cause d'un phénomène constitue non seulement l'assemblage

de la cause immédiate qui semble provoquer l’effet, mais aussi les conditions dans lesquelles

il est produit : « la cause réelle est le concours de tous ces antécédents »38 (Logic, p. 327).

Ainsi, « on n'a pas le droit, philosophiquement parlant, de donner le nom de cause à l'un d'eux

à l'exclusion des autres »39(Logic, p. 328). Néanmoins, on a plutôt tendance à rapprocher la

cause à l’antécédent dont la liaison avec le phénomène paraît plus immédiate et plus étroite

que sa connexion avec les autres conditions. Cet antécédent, « n'a pas, en réalité, de relation 34 « ‘the antecedent which it invariably follows’ we do not use this phrase as exactly synonymous with "the antecedent which it invariably has followed in our past experience" ». 35 « Such a mode of conceiving causation would be liable to the objection very plausibly urged by Dr. Reid, namely, that according to this doctrine night must be the cause of day, and day the cause of night; since these phenomena have invariably succeeded one another from the beginning of the world. But it is necessary to our using the word cause, that we should believe not only that the antecedent always has been followed by the consequent »36 « the cause of a phenomenon, to be the antecedent, or the concurrence of antecedents, on which it is invariably and unconditionally consequent ». 37 « if a person eats of a particular dish, and dies in consequence, that is, would not have died if he had not eaten of it, people would be apt to say that eating of that dish was the cause of his death. There needs not, however, be any ink- variable connexion between eating of the dish and death; but there certainly is, among the circumstances which took place, some combination or other on which death is invariably consequent: as, for instance, the act of eating of the dish, combined with a particular bodily constitution, a particular state of present health, and perhaps even a certain state of the atmosphere; the whole of which circumstances perhaps constituted in this particular case the conditions of the phenomenon, or, in other words, the set of antecedents which determined it, and but for which it would not have happened ». 38 « The cause of a phenomenon is the assemblage of its conditions ». 39 « we have, philosophically speaking, no right to give the name of cause to one of them, exclusively of theothers ».

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plus étroite avec l'effet que telle ou telle des autres conditions »40 (Logic, p.328) mais sa

production « exige qu'elles existent toutes ensemble »41 (Logic, p.328) avec les autres causes,

« et non qu'elles aient toutes commencé d'exister immédiatement avant » elles. Mill insiste :

« l'indication de la cause est incomplète si, sous une forme ou sous une autre, toutes les

conditions ne sont pas posées »42 (Logic, p.328)43.

Reprenons l’exemple cité ci-dessus : dans cette logique, la cause de la mort ne résulte

pas uniquement de l'action de manger un mets. Il existe aussi des « événements (c'est-à-dire

des changements ou des successions de changements instantanés), mais des états plus ou

moins permanents et qui pouvaient, par conséquent, précéder l'effet pendant un temps indéfini

faute de l'événement qu'il fallait pour compléter l'ensemble de conditions requis »44 (Logic,

p.328). Mill renforce cette idée avec cet autre exemple : Un homme prend du mercure, il sort et il s'enrhume. On dira peut-être que la cause de son rhume est qu'il s'est exposé à l'air. Il est clair pourtant que le mercure qu'il a pris peut avoir été une condition nécessaire de l'accident; et bien qu'il soit conforme à l'usage de dire que la cause de sa maladie était l'exposition à l'air, il faudrait, pour être exact, dire que la cause était l'exposition à l'air pendant qu'il était sous l'influence du mercure45 (Logic, p.328).

40 « has really no closer relation to the effect than any of the other conditions has ». 41 « All the conditions were equally indispensable to the production of the consequent ». 42 « statement of the cause is incomplete, unless in some shape or other we introduce them all  ». Le fait de lier la cause du phénomène à l’antécédent - dont la liaison avec le phénomène paraît plus immédiate et plus étroite que sa connexion avec les autres conditions- dénote un malaise épistémologique dont la nature diffère de celle présentée auparavant, à travers la phase d’application de la théorie. Tandis que, nous avons évoqué précédemment l’ignorance des causes pendant la phase de l’application de la théorie, ici, nous voyons un malaise lors de la représentation de la relation cause-effet dans le modèle abstrait. Force est de constater que, ces deux points réunis prouvent une défaillance de la causalité en économie. Par ailleurs, ces deux problèmes de causalité se font écho.43 Nous voudrions attirer la ressemblance entre ces explications et celles d’un auteur contemporain. Loth affirme que « Dans la recherche d’un travail causal pour les propriétés de nos contenues mentaux, Dretske introduit deux genres de causes : la cause déclenchante et la cause structurante. Une Cause est la cause immédiate d’un certain événement. La cause structurante, quant à elle, est un ensemble d’événements qui causent une cause déclenchante à produire son effet. Bouger la souris de mon ordinateur est la cause déclanchante du mouvement du curseur sur l’écran alors que le hardware et le programme de l’ordinateur forment la cause structurante. Une cause déclanchante de la production du mouvement M par l’état interne C, c’est-à-dire du comportement consistant dans le fait que C cause M, n’est rien d’autre qu’une cause de C qui est extérieur au système considéré. En effet, Dtrestke utilise la distinction structurante/déclenchante pour montrer comment les faits représentationnels, dont les propriétés sémantiques sont des propriétés externes aux individus, peuvent être des causes structurantes du comportement. La stratégie que poursuit Dtretske consiste à séparer deux types d’explications : les propriétés sémantiques de nos états intentionnels expliquent une chose et les propriétés physiques (neurophysiologiques ) en expliquent une autre. Pour Dtretske (2004, p.167), les explications sont sensibles aux contextes, la sélection d’une cause dépend de nos intérêts et d’une grande variété d’événements  » (Loth, 2008). 44 « events (that is, instantaneous changes, or successions of instantaneous changes) but states, possessing more or less of permanency; and might therefore have preceded the effect by an indefinite length of duration, for want of the event which was requisite to complete the required concurrence of conditions ». 45 « A man takes mercury, goes out of doors, and catches cold. We say, perhaps, that the cause of his taking cold was exposure to the air. It is clear, however, that his having taken mercury may have been a necessary condition of his catching cold; and though it might consist with usage to say that the cause of his attack was exposure to the air, to be accurate we ought to say that the cause was exposure to the air while under the effect of mercury ».

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Mill nous montre que la « cause » d’un phénomène dépend à la fois de « la cause

antécédente » et à la fois des « causes » ignorées.

Nous défendons l’idée que la nature des « causes perturbatrices » évoquées

précédemment, relèvent du deuxième type de causes ignorées, parce qu’elles sont des

« conditions qui peuvent exister dans le cas » mais « qui ne sont pas tombées sous la

connaissance de la science » (Essai, p. 79). Elles représentent le seul élément d’incertitude

propre aux phénomènes complexes. Or la science du XIXe siècle ne sait pas comment

construire la théorie de la complexité, n’ayant pas encore établi les découvertes relatives aux

« self-organisation systems » (cellules, neurones) autrement dit, aux comportements des

systèmes biologiques46.

1.4. Un statut scientifique insatisfaisant pour les forces perturbatrices : des exceptions

Nous rejoignons les auteurs qui insistent sur le fait que le statut des causes

perturbatrices justifie le caractère tendanciel des lois économiques. Pour eux, la science

économique, à cause de ce caractère tendanciel de ces lois, est une science inexacte.

(Hausman 1992). C’est pourquoi en économie, il ne faut pas parler des « résultat[s]

concret[s] là où l’on aurait dû annoncer seulement une tendance à un tel résultat » 47 (Essai,

p. 89).

Ce constat s’inscrit dans une analogie entre la mécanique classique et la science

économique. Comme Galilée exclue le frottement de l’air en analysant la chute des corps, les

économistes veulent exclure certains effets en analysant les phénomènes économiques. Par

conséquent « malgré l’action des forces contraires qui peuvent intervenir temporairement, la

tendance annoncée par cette loi reste absolument vraie » (Keynes, 1955, p.219-220 dans

Zouboulakis, 1993, p. 123). Ci-dessous, l’exemple de Mill : Si l'on établissait comme loi de la nature que tous les corps pesants tombent sur la terre, on dirait probablement qu'un ballon, que la résistance de l'air empêche de tomber, est une exception à cette loi. Mais la loi réelle est que les corps tendent à tomber; et à cette loi il n'y a pas d'exception, pas même pour le soleil et la lune, car ces corps, comme tout astronome le sait, tendent vers la terre avec une force précisément égale à celle avec laquelle la terre tend vers eux. Dans le cas du ballon, on pourrait, par une mauvaise interprétation de la loi de la gravitation, dire que la résistance de l'air domine la loi; mais son effet perturbateur est tout aussi réel dans tous les autres cas, puisque si elle n'empêche pas tout à fait la chute des corps, elle la

46 Pour plus d’information cf. Krugman (1996). 47 « The error, when there is error, does not arise from generalizing too extensively; that is, from including too wide a range of particular cases in a single proposition. Doubtless, a man often asserts of an entire class what is only true of a part of it; but his error generally consists not in making too wide an assertion, but in making the wrong kind of assertion: he predicated an actual result, when he should only have predicated a tendency to that result--a power acting with a certain intensity in that direction » (Essay, p.337)

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retarde. La règle et la prétendue exception ne se partagent pas les cas; elles sont l'une et l'autre une règle qui s'étend à tous. Appeler un des principes en présence une exception de l'autre, est une manière de parler superficielle et contraire aux vrais principes de nomenclature et de classification. Un effet exactement de même espèce et produit par la même cause, ne devrait pas être placé dans deux catégories différentes simplement parce qu'il peut y avoir ou n'y avoir pas une autre cause qui le domine48 (Logic, p.446) :

Néanmoins, Mill conteste l’importance que la mécanique classique attribue aux

exceptions. C’est réducteur, simpliste et indéterministe. Mill affirme qu’« en ce qui concerne

les exceptions, dans toute science quelque peu avancée, il n’en existe à proprement parler

aucune. Ce que l’on pense être une exception à un principe est toujours dû à l’empiètement

d’un autre principe distinct sur le premier : quelque autre force qui contrarie la première et la

dévie de sa direction. Il ne s’agit pas d’une loi et d’une exception à cette loi agissant dans

quatre-vingt-dix-neuf cas et l’exception dans un » (Essai, p. 89). L’exception est le résultat

des causes perturbatrices que Mill appelle des « forces perturbatrices »49.

En se basant sur les résultats de son analyse des lois universelles de la causalité, Mill

lance un appel au problème équivalent de la multiplicité des causes dans les sciences exactes.

Il constate qu’en cas d’exception ou de loi tendancielle, on peut parler d’une « règle » et de

la « soi-disant exception ». Nous pouvons envisager la première comme une loi plus visible,

l’autre comme une loi moins visible. Selon Mill, elles « ne se répartissent pas les cas entre

elles, chacune est une règle générale qui couvre tous les cas » 50 (Essai, p. 90). Ces deux lois

« agissant chacune vraisemblablement dans la totalité des cent cas, et produisant un effet 48 « if it were stated to be a law of nature that all heavy bodies fall to the ground, it would probably be said that the resistance of the atmosphere, which prevents a balloon from falling, constitutes the balloon an exception to that pretended law of nature. But the real law is, that all heavy bodies tend to fall; and to this there is no exception, not even the sun and moon; for even they, as every astronomer knows, tend towards the earth, with a force exactly equal to that with which the earth tends towards them. The resistance of the atmosphere might, in the particular case of the balloon, from a misapprehension of what the law of gravitation is, be said to prevail over the law; but its disturbing effect is quite as real in every other case, since though it does not prevent, it retards the fall of all bodies whatever. The rule, and the so-called exception, do not divide the cases between them; each of them is a comprehensive rule extending to all cases. To call one of these concurrent principles an exception to the other, is superficial, and contrary to the correct principles of nomenclature and arrangement. An effect of precisely the same kind, and arising from the same cause, ought not to be placed in two different categories, merely as there does or does not exist another cause preponderating over it ». 49 De là vient sa critique la plus pertinence contre la vision scientifique de son époque. Mill conteste la causalité de ) et la philosophie utilitariste de Bentham. D’une part Mill critique Hume car ce dernier donne deux définitions équivalentes de la causalité. Pour Hume, le fait de dire que « we may define a cause to be an object followed by another, and where all the objects, similar to the first, are followed by objects similar to the second » revient à dire que « where, if the fist object had not been, the second never had existed » (Hume, 1748) D’autre part, Mill s’oppose à la logique scientifique réductiviste du principe de l’utilité de Bentham. Il critique la façon dont le felcific calculus définit le bonheur social : à travers the sum des peines et des plaisirs. Mill distingue les plaisirs en deux catégories : les plaisirs supérieurs et les plaisirs inférieurs. Il propose une diversification du principe en ajoutant la dimension complexe et relativiste du bonheur. De plus, dans la morale utilitariste millienne, ce n’est pas un juge suprême mais les individus eux-mêmes qui jugent de la supériorité et de l’infériorité des plaisirs. La dimension relativiste au principe d’utilité s’en trouve renforcée, en contraste avec le déterminisme de Bentham.

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commun en s’appliquant conjointement. Si la force que l’on appelle perturbatrice, qui est la

moins visible des deux, prévaut suffisamment sur l’autre dans un cas pour que celui-ci

constitue ce que l’on appelle communément une exception, la même force perturbatrice agit

probablement comme un facteur dans de nombreux autres cas que personne n’appellera des

exceptions » 51 (Essai, p. 89, nos italiques). Mill l’explique ainsi : Si la force qui, parce qu’elle est la moins manifeste, est appelée force perturbatrices, prend le dessus dans un cas particulier pour constituer ce qui est généralement appelé une exception, il est probable que cette même force perturbatrice agit également de même dans de nombreux autres cas que personne ne songerait à qualifier d’exception52 (Essai, p. 89).

Les effets de ces causes perturbatrices « ont leurs lois [lois perturbatrices], tout

comme les causes qu’elles perturbent ont les leurs » 53 (Essai, p. 80). C’est « à partir des lois

des causes perturbatrices, [que l’]on peut prévoir a priori la nature et l’ampleur de la

perturbation, commun pour le fonctionnement de lois plus générales dont on dit qu’elles sont

modifiées ou perturbées, mais dont il serait plus juste de dire qu’elles sont associées »54

(Essai, p. 80). Nous pouvons donc considérer ces deux types de loi, la visible et la moins

visible, comme expliquant deux modes de l'action combinée des causes : générales et

perturbatrices. Mill confirme : « l’effet de ces causes spéciales doit alors être ajouté ou

soustrait des effets des causes générales » 55 (Essai, p. 80).[La composition des causes est la règle générale ; l'inverse est l'exception] Cette différence entre le cas où l'effet réuni des causes est la somme de leurs effets séparés, et le cas où il leur est hétérogène, entre les lois qui fonctionnent ensemble sans altération et les lois qui fonctionnent ensemble cessent et l'ont place à d'autres, est une distinction fondamentale dans l'ordre de la nature. Le premier cas, celui de la Composition des Causes, est le fait général; l'autre est toujours spécial et exceptionnel56 (Logic, p.373).

50 « do not divide the cases between them; each of them is a comprehensive rule extending to all cases » (Essay, p.338). 51 « What is thought to be an exception to a principle always some other and distinct principle cutting into the former: some other force which impinges against the first force, and deflects it from its direction. There are not law and an exception to that law—the law acting in ninety-nine cases, and the exception in one » (Essay, p.338). 52 « If the force which, being the less conspicuous of the two, is called the "disturbing" force, prevails sufficiently over the other force in some one case, to constitute that case what is commonly called an exception°, the same disturbing force probably acts as a modifying cause in many other cases which no one will call exceptions » (Essay, p.338). 53 « The disturbing causes have their laws, as the causes which are thereby disturbed have theirs » (Essay, p. 330). 54 « from the laws of the disturbing causes, the nature and amount of the disturbance may be predicted à priori, like the operation of the/more general1laws which they are said to modify or disturb, but with which they might more properly be said to be concurrent » (Essay, p. 330).55 « The effect of the special causes is then to be added to, or subtracted from, the effect of the general ones » (Essay, p. 330).56 « [The composition of causes the general rule; the other case exceptional] This difference between the case in which the joint effect of causes is the sum of their separate effects, and the case in which it is heterogeneous to

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2. Les causes perturbatrices et la « causalité hétéropathique » chez J. S. Mill

2.1. Deux modes de l'action combinée des causes, le mécanique et le chimique57

Les règles de l'investigation expérimentale de la nature sont également analysées dans

le chapitre VI, intitulé « Composition of Causes » du livre III de System of Logic (1848). Mill

questionne ici deux modes de l'action combinée des causes, le mode mécanique et le mode

chimique.

Il constate l’existence de plusieurs niveaux de complexité causale : la causalité

mécanique et la causalité chimique sont apparemment irréconciliables. Ne pouvant expliquer

les réactions chimiques par les lois de la mécanique, il prétend que c’est par l’expérience que

l’on sera amené à construire les lois qui régissent les phénomènes chimiques. Il creuse ainsi

un fossé entre le « monde chimique » et le « monde mécanique » car « nous sommes hors

d'état, du moins dans l'état actuel de la science, de prévoir, avant une expérimentation directe,

le résultat d'une combinaison [chimique] nouvelle »58 (Logic, p. 371). Il n’émet donc pas

l’idée d’une naissance de la chimie à partir des lois mécaniques. Au contraire, il nous invite à

considérer un « nouveau monde » régi par ses propres lois.

Ce fossé se révèle d’abord dans l’idée d’exception. L’application des résultats

mécaniques au phénomène chimique identifie une situation inexplicable pour la science. La

mécanique parle d’une « exception ». Les lois mécaniques ne s’expliquant pas le phénomène,

ce cas est accepté comme un « cas particulier » et annonce la présence des « causes

perturbatrices » qui empêchent les lois mécaniques de s’appliquer au cas. Mill répète, sans

changer aucun mot, cette phrase d’Essai : Il n’y a pas une loi et une exception à cette loi – la

loi agissant dans 99 cas et l’exception dans le dernier »59 (Logic, p. 445). Par conséquent, il

n’y a pas d’exception aux lois mécaniques.

Avec la découverte des lois chimiques, le phénomène en question se comprend par la

collaboration des lois mécaniques et chimiques. Mill l’affirme : « il y a deux lois, chacune

them; between laws which work together without alteration, and laws which, when called upon to work together, cease and give place to others; is one of the fundamental distinctions in nature. The former case, that of the Composition of Causes, is the general one; the other is always special and exceptional ». 57 « Two modes of the conjunct action of causes, the mechanical and the chemical ». 58 « we are not, at least in the present state of our knowledge, able to foresee what result will follow from any new combination, until we have tried °the° specific experiment ». 59 « There are not a law and an exception to that law, the law acting in ninety-nine cases, and the exception in one ».

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pouvant expliquer les cent cas et avoir un effet commun lorsqu’elles agissent ensemble »60

(Logic, p. 445). Ici, lois mécaniques et lois chimiques agissent ensemble. Elles représentent

deux modes de l'action combinée des causes.

De la sorte, Mill défend l’idée théorique d’un lien entre les deux mondes, mécanique

et chimique, qu’il laisse le soin de découvrir aux scientifiques des générations futures. Les

connaissances modernes ont effectivement réunifié les sciences mécaniques et chimiques.

L’évolution de la science a prouvé ce propos de Mill.

Ces lois une fois réunifiées, on continue néanmoins de traiter séparément les

disciplines mécaniques et chimiques : au lieu de qualifier les lois chimiques de « lois

mecanico-chimiques », on les appelle tout simplement des lois chimiques. Dans cette logique,

les propriétés chimiques sont « émergentes », dans la mesure où, issues de lois plus simples

de la mécanique, elles expliquent des phénomènes complexes qu’il n’est pas judicieux de

traiter au niveau mécanique. De même pour le lien qui relie la chimie avec la physiologie : on

peut déchiffrer chaque phénomène du vivant à l’aide de réaction physico-chimique. En outre,

nous n’appelons plus ces lois, lois physico-chimiques mais, lois des sciences de la vie. On

constate là une sorte d’interdisciplinarité ou pluridisciplinarité61, pouvant être définies comme

une meta-méthode scientifique.

2.2. La causalité hétéropathique : undiscovered laws of dependence

Terme propre à Mill, la causalité hétéropathique désigne cette combinaison entre la

mécanique et la chimie. Les lois de causalité que Mill nomme "hétéropathiques" sont des lois

nouvelles, que l'on ne peut déduire des lois existantes. Les lois chimiques sont

hétéropathiques par rapport à la mécanique car elles ne peuvent pas émaner d’une étude,

même approfondie, de la mécanique. Rappelons que pour Mill, il existait entre la science

60 « There are two laws, each possibly acting in the whole hundred cases, and bringing about a common effect by their conjunct operation ». 61 La pluridisciplinarité définit le regroupement de plusieurs disciplines scientifiques où chaque discipline examine le même sujet, tout en gardant son autonomie. Chacune met en évidence une dimension du problème, en traçant les limites de son propre champ d’étude et en restant fidèle à ses méthodes d’investigation scientifique. Les discours de diverses disciplines se conjuguent également dans l’interdisciplinarité, mais les limites de chaque discipline se fondent alors en un seul et même discours, répondant aux problématiques posées par le sujet en question. Par conséquent, le champ des disciplines s’élargit et de surcroît, de nouvelles disciplines se créent. L’interdisciplinarité est donc une étape surpassant la pluridisciplinarité. Deux exemples d’application illustrent ces deux pratiques : la « sociologie économique » pour la pluridisciplinarité et le « socio-économics » -dont la traduction française n’existe pas-, pour l’interdisciplinarité. Ces disciplines actuelles qui réunissent l’économie et la sociologie construisent deux communications différentes entre ces deux disciplines sociales. La différence entre la « socio-économie » et la « socio-economics » c’est que, tandis que le premier se construise dans une logique plutôt pluridisciplinaire, la deuxième applique plutôt l’interdisciplinarité.

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mécanique et la science chimique un écart impossible à combler. Certains phénomènes

particuliers (phénomènes chimiques) étaient donc inexplicables pour la mécanique.

S’éloignant des lois générales mécaniques, ils étaient donc soumis à des lois nouvelles, qu'il

fallait établir : les lois chimiques. C'est en chimie qu'on a le moins réussi à réduire les lois particulières à des lois générales dont elles découleraient et seraient déductibles. Mais il y a, même en chimie, des circonstances qui permettent d'espérer qu'on découvrira un jour ces lois. Sans doute, les propriétés diverses d'un composé chimique ne représenteront jamais la somme des propriétés des éléments séparés; mais il peut y avoir entre les propriétés du composé et celles des éléments, quelque rapport constant, qui, une fois constaté par une induction suffisante, nous mettrait à même de prévoir, avant l'expérience, quelle espèce de composé résultera d'une combinaison nouvelle, et de déterminer, avant de l'avoir analysée, la nature des éléments dont une substance nouvelle est composée62 (Logic, p.375).

Mill s’explique dans la citation suivante où il utilise pour la première fois le mot

« heteropathic » : En somme, lorsque a lieu un concours de causes qui met en jeu des lois nouvelles, n'ayant d'analogie avec aucune de celles qui se. manifestent dans l'action des causes séparées, les lois nouvelles, tout en suspendant une partie des autres, peuvent coexister avec une autre partie et même. combiner l'effet de ces lois avec le leur propre. En outre, des lois engendrées dans le second mode peuvent en engendrer d'autres dans le premier. En effet, bien qu'il y ait des lois qui, comme celles de la chimie et de la physiologie, doivent leur existence à une infraction du principe de la Composition des Causes, il ne s'ensuit pas que ces lois particulières ou, comme on pourrait les appeler, hétéropathiques ne sont pas susceptibles de combinaison avec d'autres (Logic, 364).

Les lois hétéropathiques sont donc des lois « d'une action combinée, qui ne se

composent pas des lois des actions séparées »63 (Logic, p. 375) pourtant elles sont issues de

ces lois des actions séparées « au moins dans quelques cas, suivant un principe déterminé »64

(Logic, p.375). On voit ainsi que, même des lois hétéropathiques, ces lois d'une action combinée, qui ne se composent pas des lois des actions séparées, en dérivent pourtant, au moins dans quelques cas, suivant un principe déterminé. La génération de certaines lois par d'autres lois dissemblables aurait donc aussi sa loi; et, en chimie, ces lois non encore découvertes de la dépendance des propriétés du composé relativement aux propriétés de ses éléments peuvent, réunies aux lois des éléments mêmes, fournir les prémisses à l'aide desquelles la science est destinée peut-être à devenir un jour déductive 65. (Logic, p. 375).

62 « It is in the case of chemical phenomena that the least progress has yet been made in bringing the special laws under general ones from which they may be deduced; but there are even in chemistry many circumstances to encourage the hope that such general laws will hereafter be discovered. The different actions of a chemical compound will never, undoubtedly, be found to be the sums of the actions of its separate elements; but there may exist, between the properties of the compound and those of its elements, some constant relation, which, if discoverable by a sufficient induction, would enable us to foresee the sort of compound which will result from a new combination before we have actually tried it, and to judge of what sort of elements some new substance is compounded before we have analysed it ». 63 « laws of combined agency as are not compounded of the laws of the separate agencies ». 64 « at least in some eases, derived from them according to a fixed principle ».

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Relevons deux difficultés particulières à la « composition des causes » : l’Interférence

(intermixture) des Effets »66 et « Pluralité des Causes »67 que Mill résume dans la citation

suivante : Lorsqu'un effet dépend d'un concours de causes, ces causes doivent être étudiées une à une, et leurs lois cherchées séparément, si l'on veut, au moyen des causes, acquérir le pouvoir de prédire ou de contrôler l'effet; car la loi de l'effet est composée des lois de toutes les causes qui le déterminent (Essai, pp.62-63).

Quant à la causalité hétéropathique: Il semblerait donc qu'il n'y a pas de classe de phénomènes où ne se rencontre la Composition des Causes; qu'en règle générale, les causes combinées produisent les mêmes effets que séparées; mais que cette règle, quoique générale, n'est pas universelle; que, dans quelques cas, à certains moments particuliers de la transition de l'action séparée à l'action combinée, les lois changent, et qu'un groupe entièrement nouveau d'effets est ajouté ou substitué aux effets de l'action séparée des mêmes causes; les lois de ces nouveaux effets étant encore indéfiniment susceptibles de composition comme les lois qu'elles ont annulées68 (Logic, p. 376).

Pour mieux appréhender les lois hétéropathiques, il s’avère nécessaire d’accentuer

davantage la différence entre la causalité chimique et la causalité hétéropathique. Nous

avons énoncé qu’une loi chimique est une loi hétéropathique. Les lois hétéropathiques

proviennent « de certaines lois par d'autres lois dissemblables »69 (Logic, p.375). Les lois

dissemblables sont pressenties, bien que les lois hétéropathiques restent encore inconnues de

la science : « ces lois non encore découvertes de la dépendance des propriétés du

composé […] à l'aide desquelles la science est destinée peut-être à devenir un jour déductive

»70 (Logic, pp.375-376).

65 « Thus it appears that even heteropathic laws, such laws of combined agency as are not compounded of the laws of the separate agencies, are yet, at least in some eases, derived from them according to a fixed principle. There may, therefore, be laws of the generation of laws from others dissimilar to them; and in chemistry, these undiscovered laws of the dependence of the properties of the compound on the properties of its elements, may, together with the laws of the elements themselves, furnish the premises by which the science is perhaps destined one day to be rendered deductive ».66 L’« Interférence (intermixture) des Effets » est la raison pour laquelle « l'effet a peut quelquefois provenir de A, quelquefois de B » (Logic, p.434) même si « le même phénomène est toujours produit par la même cause » (Logic, p.434). 67 La « Pluralité des Causes » identifie les raisons pour lesquelles « A et B peuvent ne pas produire a et b, mais des parties différentes d'un effet a » (Logic, p.434) même si « les effets de causes différentes peuvent souvent n'être pas dissemblables, être homogènes et non discernables l'un de l'autre par des limites assignables » (Logic, p.434).68 « It would seem, therefore, that there is no class of phenomena in which the Composition of Causes does not obtain: that as a general rule, causes in combination produce exactly the same effects as when acting singly: but that this rule, though general, is not universal: that in some instances, at some particular Points in the transition from separate to united action, the laws change, and an entirely new set of effects are either added to, or take the place of, those which arise from the separate agency of the same causes: the laws of these new effects being again susceptible of composition, to an indefinite extent, like the laws which they superseded ».69 « be laws of the generation of laws from others dissimilar to them ».

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En outre, les lois hétéropathiques «  bien que décomposables, ne peuvent être

recomposées par aucun moyen artificiel connu »71 (Logic, pp.375-376) car il s’agit d’une

transformation. Selon Mill, « l'effet hétéropathique (comme nous l'avons appelé) n'est qu'une

transformation de sa cause ; en d'autres termes, où l'effet et sa cause sont tour à tour cause et

effet l'un de l'autre et réciproquement convertibles »72 (Logic, p. 442). Il explique ainsi cette

idée de transformation : Lorsque deux phénomènes, dont les lois ou propriétés considérées en elles-mêmes n'ont entre elles aucune connexion assignable, sont ainsi réciproquement cause et effet, chacun pouvant tour à tour être produit par l'autre, et chacun, dès qu'il a produit l'autre, cessant lui-même d'exister (comme l'eau est produite par l'oxygène et l'hydrogène, lesquels sont reproduits par l'eau), cette causation mutuelle des phénomènes, dont chacun est engendré par la destruction de l'autre, est proprement une Transformation73. (Logic, p. 441).

Mill regrette que la composition chimique implique l'idée de transformation. Une

transformation incomplète puisque nous admettons que « l'hydrogène et l'oxygène sont

présents dans l'eau comme oxygène et hydrogène, et qu'ils seraient perceptibles si nos sens

étaient assez fins; supposition (car ce n'est rien de plus) fondée uniquement sur ce fait que le

poids de l'eau est la somme des poids des deux ingrédients »74 (Logic, pp. 441-442).

Dans ce sens, nous devons envisager que, tandis que la causalité chimique représente

un niveau déterministe, la causalité hétéropathique représente un niveau indéterministe de la

science. L’examen habituel des causes et des effets n’est pas possible dans la dimension

hétéropathique car les multiples causes opèrent ensemble « sous un certain nombre de

conditions collatérales »75 (Logic, p.370). L’effet qu’elles produisent est enchevêtré, c’est à

dire qu’il n’est pas la somme de leurs effets séparés. Le phénomène ne s’explicite pas par

70 « undiscovered laws of the dependence of the properties of the compound on the properties of its elements, may, together with the laws of the elements themselves, furnish the premises by which the science is perhaps destined one day to be rendered deductive ». 71 « though they can be analysed, cannot by any known artificial means be recompounded ». 72 « the heteropathic effect (as we called it in a former chapter) is but a transformation of its cause, or in other words, where k the effect and its cause are reciprocally such, and mutually convertible into each other ». 73 « Where two phenomena, between the laws or properties of which considered in themselves no connexion can be traced, are thus reciprocally cause and effect, each capable in its turn of being produced from the other, and each, when it produces the other, ceasing itself to exist (as water is produced from oxygen and hydrogen, and oxygen and hydrogen are reproduced from water); this causation of the two phenomena by one another, each o being generated by the other's destruction, is properly transformation ».74 « the oxygen and hydrogen to be present in the water as oxygen and hydrogen, and capable of being discovered in it if our senses were sufficiently keen: a supposition (for it is no more) grounded solely on the fact, that the weight of the water is the sum of the separate weights of the two ingredients » (Logic, pp.441-442). « les effets du nouveau phénomène (les propriétés de l'eau, par exemple), l'expérimentation les découvre aussi facilement que les effets de toute autre cause. Mais la détermination de sa cause c'est-à-dire de la combinaison particulière des agents dont il résulte, est souvent assez difficile ». 75 « under a certain set of collateral conditions ».

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l’analyse des éléments qui le construisent. En d’autres termes, une explication macro de ce

phénomène ne dépend pas des explications micros.

Nous pouvons observer, entre autres exemples76, cette situation dans la nature de

l’eau77 et du sucre78 car « lorsque les lois des agents primitifs cessent complètement et qu'il se

manifeste un phénomène tout à fait hétérogène » (Logic, p.440). Dans ces deux exemples, les

éléments de l’eau et du précipité rouge se décomposent « sous certaines conditions » (Logic,

p. 441, nos italiques). L’eau, « sous certaines conditions, redonnera l'hydrogène et

l'oxygène » (Logic, p. 441, nos italiques). De même, le précipité rouge se transformera sous

« certaines conditions ». Sous certaines conditions, « les nouvelles lois seront brusquement

suspendues, et les agents reparaîtront séparés, chacun avec ses propriétés primitives » (Logic,

p. 441). Mill affirme que : Dans ces cas où l'effet hétéropathique (comme nous l'avons appelé) n'est qu'une transformation de sa cause ; en d'autres termes, où l'effet et sa cause sont tour à tour cause et effet l'un de l'autre et réciproquement convertibles, le problème de la découverte de la cause se résout en celui, plus facile, de trouver un effet, recherche qui admet l'emploi de l'expérimentation directe79 (Logic, p. 442).

L’eau et le sucre sont des phénomènes produits par des causes et des effets pouvant

faire l’objet d’une investigation expérimentale. Lors même que nous aurions constaté, par la Méthode de Concordance, que l'hydrogène et l'oxygène étaient présents quand l'eau s'est produite, aucune expérience sur l'oxygène et sur l'hydrogène séparés, ni rien de ce qu'on sait de leurs

76 Mill donne un autre exemple expliquant cette idée de transformation à travers l’expérience faite par Lavoisier. Il s’agit du précipité rouge produit par le mercure et le gaz. Mill explique que « les agents, le mercure et le gaz, qui, par leur combinaison, produisaient le précipité rouge reparaissaient comme des effets résultant de ce précipité influencé par la chaleur ». La condition de cette transformation et de « chauff[er] le mercure à une très haute température dans un vase clos contenant de l'air trouva que le mercure augmentait de poids et devenait ce qu'on appelait alors du précipité rouge » (Logic, p. 441, nos italiques). 77 Mill explique que dans le cas de l’eau s’établie une causalité chimique où « (par exemple, deux substances gazeuses, l'hydrogène et l'oxygène, mises ensemble, perdent leurs propriétés originelles et produisent la substance appelée eau) » (Logic, p.440). Autrement dit, « les lois des agents primitifs cessent complètement et qu'il se manifeste un phénomène tout à fait hétérogène ». Ainsi, « deux substances gazeuses, l'hydrogène et l'oxygène, mises ensemble, perdent leurs propriétés originelles produisent la substance appelée eau ». L’eau est donc considéré comme fait nouveau qui « peut, dans ces cas, être soumis à l'expérimentation comme tout autre phénomène; et les éléments qu'on dit ses composants peuvent être considérés simplement comme les agents de sa production, comme des conditions de sa manifestation, comme des faits qui complètent sa cause  » (Logic, p.440). Il ajoute que « si l'on décompose l'eau au moyen de la limaille de fer, on obtient deux effets, rouille et hydrogène; or on sait déjà, par des expériences sur les substances composantes, que la rouille est un effet de l'union du fer avec l'oxygène. Le fer, nous le mettons nous-mêmes; mais l'oxygène doit être produit par l'eau. Le résultat donc est que l'eau a disparu et a été remplacée par l'hydrogène et l'oxygène, ou, en d'autres termes, que les lois primitives de ces agents gazeux, qui avaient été suspendues par l'introduction des lois nouvelles appelées les propriétés de l'eau, ont repris vigueur, et qu'on retrouve ainsi les causes de l'eau parmi ses effets » (Logic, p. 441, nos italiques).78 De même, le goût du sucre n’est pas la somme des goûts de ses composants, c’est un goût très différent.79 « In these cases, here the heteropathic effect (as we called it in a former chapter) is but a transformation of its cause, or in other words, where the effect and its cause are reciprocally such, and mutually convertible into each other; the problem of finding the cause resolves itself into the far easier one of finding an effect, which is the kind of inquiry that admits of being prosecuted by direct experiment ».

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lois, ne nous eût conduit à inférer déductivement qu'ils produiraient de l'eau. Il nous faut une expérience spécifique sur les deux agents combinés80 (Logic, p.440).

Mill affirme : « but there are other cases of heteropathic effects to which this mode of

investigation is not applicable »81 (Logic, p. 442). Ces cas de la composition des causes sont «

sujette[s], en tant qu'il s'agit de l'induction directe, à part de la déduction, à des difficultés

infiniment plus grandes »82 (Logic, p.443). Pourtant cela ne rend pas impossible

l’investigation de ces problèmes. Car, les « conditions d’un phénomène dépendant d’une

composition des causes peuvent être cherchées, ou déductivement, ou expérimentalement »83

(Logic, p.446).

De là, nous dissocions les lois hétéropathiques en deux catégories : lois

hétéropathiques expérimentales et lois hétéropathiques déductives. Pour les premières, « le

problème de la découverte de la cause se résout en celui, plus facile, de trouver un effet,

recherche qui admet l'emploi de l'expérimentation directe». Comme l’eau. Quant au

deuxième type de lois hétéropathiques, nous pouvons tenir compte des phénomènes mentaux,

sociaux et économiques. Aujourd’hui, on peut aussi classer les comportements des êtres

vivants comme les neurones, les cellules, qu’examinent les sciences de la vie. Ce sont des

phénomènes dont « l'origine et la production actuelle sont le plus souvent inaccessibles à

l'observation »84 (Logic, p.440). L’impossibilité d’appliquer la méthode de différence et la

méthode des concordances85 reflète bien les raisons pour lesquelles on ne peut pas utiliser la

méthode expérimentale. La « composition des causes » qui produit les phénomènes doit être

analysée déductivement.

Mill se concentre sur les phénomènes mentaux. Il s’appuie sur les lois de l’esprit  : « il n'est

pas possible de déterminer de quels sentiments simples résultent les états complexes de 80 « Further, even if we could have ascertained, by the Method of Agreement, that oxygen and hydrogen were both present when water is produced, no experimentation on oxygen and hydrogen separately, no knowledge of their laws, could have enabled us deductively to infer that they would produce water. We require a specific experiment on the two combined ». 81 « but there are other cases of heteropathic effects to which this mode of investigation is not applicable ». 82 « It presents, however, so far as direct induction apart from deduction is concerned, infinitely greater difficulties ». 83 « The conditions of a phenomenon which arises from a composition of causes, may be investigated either deductively or experimentally ». 84 « the origin and actual production of the phenomenon care most frequently inaccessible to our observation ». 85 Ces deux méthodes sont parmi les 4 méthodes expériementales que Mill définit dans le cadre de son étude sur l’induction : « Les modes les plus simples et les plus familiers de détacher du groupe des circonstances qui précèdent ou suivent un phénomène celles auxquelles il est réellement lié par une loi invariable sont au nombre de deux. L'un consiste à comparer les différents cas dans lesquels le phénomène se présente ; l'autre à comparer les cas où le phénomène a lieu avec des cas semblables sous d'autres rapports, mais dans lesquels il n'a pas lieu. On peut appeler ces deux méthodes, l'une Méthode de Concordance, l'autre Méthode de Différence » (Logic, p.388).

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l'esprit comme on détermine les ingrédients d’un composé chimique, en les faisant à leur tour

sortir du composé »86 (Logic, p.442). Et Mill de demander: « serait fatale à toute tentative de

traiter la conduite humaine comme un sujet scientifique. Les actions des hommes sont-elles,

comme tous les autres événements naturels, soumises à des lois invariables ? Y trouve-t-on

positivement cette constance de causalité qui est le fondement de toute théorie scientifique

des phénomènes successifs? »87 (Logic, p.835). Ces questions sont aujourd’hui les questions

fondamentales posées par la neuroscience. Prenons, par exemple, les lois hétéropathiques de l'esprit, de cette partie des phénomènes naturels qui ont plus d'analogie avec les faits chimiques qu'avec les faits dynamiques, comme les cas où une passion complexe se forme par l'association de plusieurs impulsions élémentaires, ou une émotion complexe par la réunion de plusieurs impressions simples de plaisir ou de peine, dont elle est le résultat, sans en être l'agrégat et sans leur être, sous aucun rapport, homogène. Dans ces cas, le produit est engendré par divers facteurs, mais ces facteurs ne peuvent pas être retrouvés dans le produit. Ainsi le jeune homme peut devenir un vieillard, mais le vieillard ne peut pas redevenir le homme. Il n'est pas possible de déterminer de quels sentiments simples résultent les états complexes de l'esprit comme on détermine les ingrédients (l'un composé chimique, en les faisant à leur tour sortir du composé. On ne peut donc découvrir ces lois que par une longue étude des sentiments simples mêmes, et en constatant synthétiquement, par l'observation des combinaisons diverses dont ils sont susceptibles, ce qui peut résulter de l'action mutuelle des uns sur les autres88 (Logic, p.442).

3. Les causes perturbatrices et l’idée d’émergence

3.1. L’idée d’émergence et J. S. Mill

L’« émergence » désigne un concept récent qui intervient fréquemment dans

l’explication des phénomènes physiques et sociaux. Pourtant, en économie, il n’attire pas

86 « We cannot ascertain from what simple feelings any of our complex states of mind are generated, as we ascertain the ingredients of a chemical compound, by making it, in its turn, generate them ». 87 « Would it be fatal to the attempt to treat human conduct as a subject of science? Are the actions of human being, like other natural events, subject to invariable laws? Does that constancy of causation, which is the foundation of every scientific theory of successive phenomena, really obtain among them? ». 88 « Take, for instance, the heteropathic laws of mind; that portion of the phenomena of our mental nature which are analogous to chemical rather than to dynamical phenomena; as when a complex passion is formed by the coalition of several elementary impulses, or a complex emotion by several simple pleasures or pains, of which it is the result without being the aggregate, or in any respect homogeneous with them. The product, in these cases, is generated by its various factors; but the factors cannot be reproduced from the product; just as a youth can grow into an old man, but an old man cannot grow into a youth. We cannot ascertain from what simple feelings any of our complex states of mind are generated, as we ascertain the ingredients of a chemical compound, by making it, in its turn, generate them. We can only, therefore, discover these laws by the slow process of studying the simple feelings themselves, and ascertaining synthetically, by experimenting on the various combinations of which they are susceptible, what they, by their mutual action upon one another, are capable of generating ».

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encore l’attention du plus grand nombre. Dans notre discipline, l’émergence est une notion non

seulement méconnue, mais aussi confuse. La confusion vient d’abord de l’emploi de plusieurs

termes équivalents dans leur contenu : « émergence », « les propriétés émergentes », « le

concept d’émergence », « la théorie de l’émergence », « le principe d’émergence »,

« l’émergent », « systèmes émergents », « le mécanisme d’émergence » etc. Ensuite, la

transitivité de l’usage parmi diverses disciplines comme la philosophie, la biologie, la

physique, la sociologie, les sciences de la vie et les sciences artificielles, rend difficile

l’adaptation de son usage à l’économie.

Paradoxalement, l’idée d’émergence est projetée pour la première fois par un

économiste : J.S.Mill. Plusieurs auteurs89 ont fait le lien entre la genèse de l’idée de

l’émergence et la causalité hétéropathique. Parmi eux, Hodgson énonce dans l’entrée

« emergence » de Handbook of Economic Methodology (1998) que l’idée d’émergence a été

premièrement évoquée implicitement90 par Mill dans le cadre de l’étude de la causalité

hétéropathique (Hodgson, 1998, p.157).

On trouve aussi ce rapprochement entre émergence et causalité hétéropathique

chez les contemporains de Mill. Après lui, George Henry Lewes91 est le premier à l’évoquer

dans Problems of Life and Mind92 (1875, ch. 3, p. 412) (Hodgson, 1998, p.157 ; Sawyer,

2001, p.553 ; Morgan, 1929, p.23). Pour critiquer la théorie de la causalité de Hume, ce

biologiste et philosophe du XIXe siècle souscrit à une distinction entre deux types d’effets :

« resultant » [resultant] et « emergent » [emergent] (Sawyer, 2001, p.553). Morgan reprend

cette distinction, sans la retirer du contexte humien, et l’adapte à la relation entre la force et

la cause93. Chez ces deux auteurs, Lewes et Morgan, l’« émergent » est employé comme un

contre-sens du terme « résultant ». D’ailleurs, E.Morgan regrette que G.H. Lewes, dans son

texte, n’ait fait que remplacer le terme « effet hétéropathique » [heteropathic effects] de Mill

par « émergente ». Il insiste que dans ce texte « here was nothing new save in the adoption

89 Duffin, 1980, p.276; Morgan, 1925, p.74; Bergmann, 1944, p.216; Dotterer, 1938, p.66; Morgan, 1929, p.23; Ablowitz, 1939, p.57 et p.61; Whitelaw, 1998, p.378; Lévy, 2004, p.42.90 « the idea of emergence was hinted at by J.S.Mill »91 (1817-1878). 92 The Problems of Life and Mind de Lewes comprend trois volumes. Le premier volume comporte les deux parties suivantes: First Series : The Fondations of a Creed vol I (1875), The The Fondations of a Creed vol II (1875), Second Series: The Physical Basis of Mind (1877) et Third Series: Mind as a Function of Organism (1879). 93 Morgan affirme : « all that Lewes had to say on the matter is comprised within half a dozen, or at most eleven, pages, at the close of a long-winded, but at that time not negligible, discussion of Force and Cause, and is preceded by a section on Hume's Theory of Causation. This leads up to the statement: "There are two classes of effects markedly distinguishable as resultants and emergents" » (Morgan, 1929, p.23).

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and adaptation of the word "emergent" in place, let us say, of John Stuart Mill's "heteropathic

effects" » (Morgan, 1929, p.23).

L’émergence est définie d’une façon diamétralement opposée par certains penseurs.

Sawyer affirme que selon Kim (1993)94 et Wimsatt (1997)95 l’émergence est tout à fait

compatible avec le réductivisme scientifique (Sawyer, 2001, p. 554). Par exemple, en

sociologie, la notion est particulièrement usitée pour expliquer les dimensions macro et micro

de l’analyse du social.

En effet, la situation est plus complexe en sociologie car deux groupes de penseurs

aux arguments opposés appréhendent la notion. Les premiers sont les « collectivist

emergentists »96. Ils pensent que « collective phenomena are collaboratively created by

individuals yet are not reducible to individual action » car, « collectives possess emergent

properties that cannot be reduced to individuals properties » (Sawyer, 2001, p. 552). Ils

s’appuient sur la position philosophique de Davidson (1970)97 et Fodor (1974)98 qui

revendiquent l’idée que « mental properties are not reductible to physical ones » (Sawyer,

2001, p. 554). À l’inverse, les « individual emergentists », défendent l’idée que « macrosocial

properties and laws can be explained in terms of properties and laws about individuals and

their relations » car ils acceptent que « such [macrosocial] properties can be reduced to

explanations in terms of individuals and their relationships » (Sawyer, 2001, p. 552). En

économie, l’usage le plus récent de la notion d’émergence remonte aux travaux de Hayek

(1942, 1943, 1944)99 et Menger ([1883] 1963)100. Ils font partie des « individual

emergentists » (Sawyer, 2001, p. 552) car ils ont recours aux propriétés psychologiques pour

démontrer les propriétés sociales qui émergent de l’action individuelle en suivant la vision

scientifique réductiviste (Kim 1992 dans Sawyer, 2001, p. 552). En résumé, comme

l’indiquent les « individual emergentists », l’idée d’émergence montre que les phénomènes 94 KIM Jaegwon (1993), « The Non-Reductivist's Troubles with Mental Causation », pp. 189-210 in Mental Causation, (ed.) John Heil et Alfred Mele. Oxford, Clarendon Press. 95 WIMSATT William C. (1997), « Aggregativity: Reductive Heuristics for Finding Emergence », Philosophy of Science, 64 (proceedings), pp. 372-84.96 Sawyer liste les auteurs suivants : Archer 1995, Bhaskar [1979] 1998, 1982 ; Blau 1981 ; Edel 1959, Kontopoulos 1993; Mihata 1997; Parsons 1937; Porpora 1993; Smith 1997; Sztompka 1991; Whitmeyer 1994, Wisdom 1970. 97 DAVIDSON, Donald (1970), « Mental Events », pp. 79-101 in (ed. ), Lawrence Foster and J. W. Swanson. Experience and Theory, Amherst, University of Massachusetts Press.98 FODOR, Jerry A. (1974), « Special Sciences (Or: The Disunity of Science as a Working Hypothesis) », Synthese, 28:97-115. 99 HAYEK F.A. von (1942), « Scientism and the Study of Society », part 1, Economica, 9, pp.267-91, (1943), « Scientism and the Study of Society », part 2, Economica, 10, pp.34-63. (1944), « Scientism and the Study of Society », part 3, Economica, 11, pp. 27-37.100 MENGER Carl [(1883) 1963], Problems of Economics and Sociology. Urbana, University of Illinois Press.

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macrosociaux sont nés des comportements des individus et doivent être expliqués à travers

eux.

La position de Mill se rapproche plutôt de celle des « collectivist emergentists » et

implique un nouvel esprit scientifique décrit par Bachelard. Dans cette nouvelle approche, il

trouve une place au « possible », « un possible qui n’aurait jamais pu être envisagé à partir de

la connaissance immédiate, qui transcende l’expérience immédiate » (Jallais, 1992, p. 64). Le

physicien Bohr affirme au contraire que « la description (…) [est] fondée sur des images et

des idées qui (…) [ont] pris corps dans le langage ordinaire, adapté à notre orientation dans

les événements de la vie quotidienne » (Bohr, 1953, p. 386101 dans Jallais, 1992, p. 62).

Ainsi l’émergence offre une approche inédite par rapport à l’objet de la physique

classique. C’est pourquoi Gotshalk présente l’émergence comme un principe scientifique

opposé au principe de causalité102. Une question bien précise articule sa réflexion: « pourquoi

le but de toute connaissance doit-t-il être combiné avec les limites étroites de la réduction

causale ? »103 (Gotshalk, 1942, p.399).

3.2. De la science réductrice à la représentation de sa complexité du réel

Hodgson affirme que l’émergence apporte aujourd’hui la critique la plus remarquable

au réductivisme scientifique, défendant l’idée que « all aspects of a complex phenomenon

must be explained in terms of one level, or type of unit » (Hodgson, 1998, p.156). Il est donc

possible de dire qu’en opposition avec une vision réductrice de la science, l’idée d’émergence

implique l’analyse de phénomènes complexes, représentés, justement, dans toute leur

complexité.

Force est de constater que l’idée d’émergence est née à l’intérieur du paradigme de la

complexité104. Ce dernier apparaît sur la scène de la philosophie des sciences en même temps

101 BOHR Niels, « Physical Science and the Study of Religions », Studia Orientalia Ioanni Pedersen Septuagenarion A.D. VII id. Nov. Anno MCMLIII, Copenhagen, Ginar Mimles-Gaard, 1953, p. 386. Cité par Cathérine Hevally, in “Introduction”, Niels Bohr, Physique atomique et connaissance humaine, op. cit., p. 91. 102 Il distingue deux types de causalité avec le principe général de la causalité et le principe scientifique de la causalité. Le premier explique selon lui la cause par ses antécédents ainsi que «  E est compris en terme de C » (Gotshalk, 1942, p.397). Le deuxième apporte une explication beaucoup plus étroite car il remplace les éléments qualitatifs des phénomènes par les éléments quantitatifs. D’après Gotshalk, ce deuxième type de causalité « interprets these quantities as redistributions according to law of other, usually of prior existing, quantities. Quality is replaced by quantity, then interpreted as the expression of quantity at another, usually at a prior, moment ». Il ajoute : « on the scientific causal analysis carried to its ideal fulfilment, the cosmos becomes an energy-tautology, and cosmic order becomes A is A » (Russell, 1912-13, p.15 dans Gotshalk, 1942, p.397). 103 « why should the goal of all knowledge be confined with the narrow limits of causal reduction? »104 Le terme « complexe » ne désigne pas ici ce qui est « compliqué ». Morin affirme que « la complexité n’est pas la complication : ce qui est compliqué peut se réduire à un principe simple comme un écheveau embrouillé en un nœud de marin ». Il ajoute que « certes, le monde est très compliqué, mais s’il n’était pas compliqué, il

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que les paradigmes cybernétiques105 et structuralistes106. Le paradigme de la complexité

propose une nouvelle méthode qui, en quelque sorte, comble les lacunes réductrices du

paradigme structuraliste et les lacunes monocritéristes du paradigme cybernétique. (Le

Moigne, 1995, p. 165). Il révolutionne les débats qui agitent la philosophie des sciences,

mettant fin à la domination de deux notions, rationalité et probabilité107, et les remplaçant par

celles de complexité et d’imprévisibilité. Comme l’affirme E.Ploman : « la rationalité n’est

plus synonyme de certitude, ni la probabilité d’ignorance. Complexité et imprévisibilité

deviennent des caractéristiques intrinsèques des systèmes » (Ploman, 1986, p. 12). Ainsi, la

complexité du phénomène vient du fait que le phénomène « tient pour certain l’imprévisibilité

potentielle des comportements » (Le Moigne, 1995, p.3). La logique de l’imprévisible prend

la place de la logique du probable. Le Moigne appelle ce paradigme le « paradigme

systémique » (Le Moigne, 1995, p. 165). D’autres parlent de « science de la complexité ».

L’usage du mot « système » mérite d’être examiné de près.

Dans le paradigme systémique, un phénomène perçu comme complexe désigne un

phénomène « irréductible à un modèle déterminant la prévision certaine de ses

comportements » (Le Moigne, 1995, p. 165). À partir de la représentation, on considère le

phénomène comme un « système complexe » qui, par définition,est « un système que l’on

tient pour irréductible à un modèle fini, aussi compliqué, stochastique, sophistiqué que soit ce

suffirait d’opérer les réductions bien connues : jeu entre quelques types de particules dans les atomes, jeu entre types d’atomes dans les molécules, etc. » Il déplore que « le vrai problème n’est donc pas de ramener la complication des développements à des règles de base simple. La complexité est à la base » (Morin, 1977, p. 377). 105 « Le paradigme cybernétique […] naquit dans un contexte nord américain […], émergera avec une curieuse soudaineté dès la parution en 1948 de l’ouvrage de N.Wiener portant ce nom. Fédérant l’expérience modélisatrice des paradigmes de la régulation et de la régulation et de la mécanique statistique (en stratifiant pourtant ces acquis en une ‘première » et une « seconde » cybernétique), il va introduire les concepts de boite noire, de feed-beck, de comportement téléologique, d’information aléatoire (perturbation) et de commande, concepts qui vont s’avérer d’une grande commodité instrumentale et d’une réelle portabilité. De la biologie moléculaire à l’économie politique, toutes les disciplines s’approprieront la méthodologie de la modélisation cybernétique en moins de vingt ans… Cette large diffusion du paradigme ne compense sans doute pas les contraintes modélisatrices de fermeture des modèles qu’il implique : mais il introduit les concepts de finalité et d’environnement que le paradigme systémique saura bientôt assimiler » (Le Moigne, 1995, p. 164). 106 J.Piaget présente présente le structuralisme comme une « conjonction du fonctionnement, de la transformation et de la régulation d’un système (il écrit : d’une structure !) ». (Piaget 1968 cité par Le Moigne, 1995, p.165). Il ajoute également que «  [Le paradigme Structuraliste] se construit par l’intégration (tardive ?) des deux paradigmes de la mécanique rationnelle et de la mécanique statistique, intégration que suscite la forte demande de méthodes de modélisation des sciences sociales puis des sciences du comportement (et, dans une moindre mesure, des sciences de l’ingénierie, les quelles assimilaient déjà le paradigme cybernétique). Cette intégration n’était sans doute pas demandée avec la même exigence par les sciences de la matière qui se satisfaisaient de ces deux registres indépendants de modélisation. […] Ne peut-on modéliser des phénomènes que l’on perçoit, à la fois en fonctionnement et en transformation : le modèle stable susceptible de permettre quelque interprétation ne doit-t-il pas être une sorte de méta modèle, de procédure par laquelle le phénomène sera à la fois perçu et décrit dans ses transformations structurelles » (Le Moigne, 1995, p.165). 107 Le « déterminisme latent qui permettrait à une ‘intelligence assez puissante’ (celle du ‘démon de Laplace’), de prédire par le calcul l’avenir de ce phénomène, fût-ce en probabilité » (Le Moigne, 1995, p.3).

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modèle, quelle que soit sa taille, le nombre de ses composants, l’intensité de leurs

interactions… » (La Moigne, 1995, p.3). Remplacer en rhétorique, un « phénomène perçu

complexe » par un « système complexe » ne revient pas à s’inscrire dans la vision réductiviste

de la science. Il s’agit plutôt d’une perception complexe du réel. La réduction consiste, elle,

en une représentation symbolique. Cependant, dans la perception d’un phénomène complexe,

« le vrai problème n’est donc pas de ramener la complication des développements à des règles

de base simple. La complexité est à la base » (Morin, 1977, p. 377). Par conséquent, ce

paradigme change la façon dont on perçoit la réalité, dorénavant représentée dans toute sa

complexité. Alors, « la notion de complexité implique celle d’imprévisible possible,

d’émergence plausible du nouveau et du sens au sein du phénomène que l’on tient pour

complexe » (Le Moigne, 1995, p. 3, nos italiques).

3.3. Une propriété émergente : la forme en V des oiseaux migrateurs

Identifions les caractéristiques de l’émergence à l’aide d’un exemple : la forme en V

des oiseaux migrateurs108. Cette forme, contrairement à une idée reçue, n’est pas due à un

oiseau qui jouerait le rôle du leader dans le groupe, les autres oiseaux se contentant de

s’aligner derrière lui. En fait, chaque oiseau suit son intérêt personnel et cherche uniquement

à se placer par rapport à ses voisins (Sawyer, 2001, p. 555). Cette forme ne résulte donc pas

d’un plan communément conçu d’avance par les oiseaux. Elle est imprévisible, pour eux et

pour la science. Ainsi, à travers cette observation immédiate, on remarque que de ce

placement des oiseux naît une propriété émergente : une forme de placement en V. Sawyer

affirme que cette forme « emerges out of simple pair-interaction rules ». La règle simple en

question est la suivante : l’objectif de chaque oiseau est de se placer à côté d’un autre oiseau.

Nous comprenons dès lors l’idée d’émergence selon laquelle « higher-level regularities », la

forme en V des oiseaux migrateurs, « are often the result of quite simple rules and local

interactions at lower level », résulte du placement de chaque oiseau par rapport à ses voisins.

Néanmoins, cet exemple ne dissipe pas la confusion mentionnée plus haut sur l’usage

de l’émergence observée chez les sociologues. En outre, recourir à l’intérêt de chaque oiseau

revient à s’inscrire dans une méthodologie individualiste. Savoir que l’intérêt de chaque

oiseau consiste à se placer à côté d’un autre oiseau, n’apporte aucune explication au pourquoi

de cette forme en V. Pourquoi prennent-ils la forme d’un V et non d’un X ou un T ?

108 Sawyer donne également d’autres exemples d’émergence comme les embouteillages, les colonies d’insectes. (Sawyer, 2001, p. 555).

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L’étude de l’usage du concept d’émergence nous permet de constater que la science,

depuis les années soixante-dix, s’appuie sur un nouveau paradigme, le paradigme de

complexité, qui propose un nouveau programme de recherche. Celui-ci relève que, dans

certains cas, la chaîne causale d’explication du phénomène est perturbée par la présence des

propriétés qui sont considérées inexplicables selon la vision scientifique de l’époque de Mill.

Conclusion

En économie politique, Mill associe l’étude de l’action combinée des causes à une

épreuve de validation à travers une « expérience spécifique ». Cette phase marque une

nouvelle compréhension de la nature des lois économiques : les lois économistes sont

hétéropathico-déductives.

A fin d’identifier cette nature, Mill recommande aux économistes de se concentrer sur

un type particulier de causes dont ils ne tiennent pas compte lors de la construction de la

théorie : les causes perturbatrices. Nous avons montré que quand la science économique

intégrera dans son analyse ces « causes perturbatrices », combinées avec les « causes

générales », les lois économiques gagneront leur nature hétéropathique. Ainsi, les lois

économiques seront considérées non seulement hypothético-déductives, mais aussi

hétéropathico-déductives.

L’épistémologie économique contemporaine peut tirer plusieurs leçons de ce constat.

Il s’agit ici de repenser la nature de l’action combinée des causes qui produisent les

phénomènes économiques. Ces recherches sont censées identifier les propriétés qui émergent

de cette complexité. Cela ne veut pas dire que la science économique s’éloigne de son objet

d’étude, au contraire, elle la rapproche. Car cela permet de développer des recherches initiées

à l’explication de la causalité économique dans toute sa complexité.

Pourtant cette approche n’est pas en analogie avec le paradigme scientifique de

l’époque de Mill. Mill a de l’avance sur son époque. Il conteste la représentation réductiviste

des sciences, voulant aller au-delà d'une simple analogie entre la mécanique classique et la

science économique. Il critique la façon dont les économistes excluent de l'analyse

économique les « causes perturbatrices » comme Galilée exclue le frottement de l'air, lorsqu'il

analyse la chute des corps. Il explique, par le biais de cette analogie existante entre la

mécanique classique et la science économique., que si elle tient compte des causes

perturbatrices, la science de la mécanique sera plus consciente de certaines régularités,

ignorées jusque là par l'analyse de la chute des corps. Ces régularités, qui sont inexplicables

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par la mécanique classique dite "naïve" (qui néglige le frottement), sont appelées par la

science de la complexité des « propriétés émergentes ». Elles feront peut-être l’objet d'une

étude scientifique plus poussée, englobant la mécanique sans frottements, et y ajoutant les lois

du frottement. Si une plume, par exemple, tombe avec un mouvement de balancier,

l'explication réside à la fois dans la loi générale de la gravitation (une force constante dirigée

vers le bas) et dans les forces perturbatrices du frottement de l'air (sur les côtés, vers le haut).

Quand ces deux causes seront prises ensemble, les mouvements réguliers que faits le plume

s’apparaisse comme une régularité quantifiable que la science de complexité appelle

« propriété émergente ».

Dans l’étude des propriétés émergentes un apport aux connaissances acquises par

d’autres disciplines sur la nature de ces causes  est nécessaire : « tout économiste politique

peut fournir des nombreux exemples de perturbations correspondant à ces descriptions » mais

« elle[s] appartient à une autre science ; et là le pur économiste politique, celui qui n’a étudié

d’autre science que l’Economie Politique, s’il tente d’appliquer sa science à la pratique, court

à l’échec » (Essai, p. 80).

On voit l'intérêt d'une approche scientifique pluridisciplinaire ou interdisciplinaire

grâce à la substitution de la mécanique classique par la science de complexité dans l’œuvre de

Mill. Si des causes nouvelles ou hétéropathiques s'appliquent, elles s'y additionnent. On

constate alors l'intérêt d'une approche scientifique pluridisciplinaire ou interdisciplinaire : les

connaissances se complètent pour mieux expliquer les phénomènes. Dans notre exemple, la

prise en compte de données issues de la climatologie permet de compléter la mécanique

classique pour expliquer la chute d'un corps particulier dans des conditions particulières, qui

resterait, sinon, inexplicable. En économie, la prise en compte de données issues de la

psychologie et la sociologie permet de compléter la connaissance économiques pour

expliquer les comportements des individus dans des cas particuliers, qui resteraient, sinon,

inexplicable.

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