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WITHYOU

DarkRomance

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Amheliie&Maryrhage

WITHYOU

ISBN:978-1544219646

©2017Amheliie&MaryrhageTousdroitsréservés,ycomprisdroitsdereproductiontotaleoupartielle,soustoutessesformes.

CopyrightCouverture:©stryjek–Fotolia.com

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NotedesAuteurs

Attention,cettehistoireestuneDarkRomancequicontientdesscènespouvantheurterlasensibilitédulecteur.

UneplaylistdulivreestdisponiblesurSPOTIFYetYOUTUBEsouslenom«WITHYOU».Elleest

listéeenfindelivre.

Voustrouverezégalementquatredessinsissusdel’universdeWITHYOUàlafindel’ouvrage.

Bonnelecture.

Amheliie&Maryrhage

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Chapitre1Reagan

4Avril2016,Lancaster,Pennsylvanie.Jen’aipasfermél’œildelanuit.Jen’aipaspu.Monsubconscientm’atenuéveillédurantdesheures,m’empêchantdeplongerdansunsommeildontj’aipourtantcruellementbesoin.Lajournéed’hieraétélongue,etcellequim’attendleseratoutautant.Etjesaisquecen’estpaspourrien,sijesuisrestéimmobiledurantdesheures,dansmonlit,àfixerleplafond.Jesavaistrèsbienquesijefermaislesyeux,lescauchemarsviendraient,etpersonnen’aenviedeça.Jen’avaispasenviedeça.Aujourd’huisembleêtreunjourcommeunautre,etpourtant,chaquejourestuncombatcontremoi-même.Uncombatcontretout,contrecesdémonsquipourraientmefairedescendredansunenfersansfinmaiscontrelesquelsjerésiste.Contrelesautresquisontdevraisvautours,contreletempsquiaavancéàunevitessefulgurante.Jepensaiscettejournéeloin,maiselleestarrivéeplusvitequejenel’auraiscru.Commetout.Bax,monMalinois remuecontremoi, il s’étirede tout son longavantdevenirposer sa têtede chienmalheureuxsurmontorse.Ilmejetteceregardquienditbeaucoup,jesoupireenluicaressantlatête.Jejetteuncoupd’œilàlaboiteorangesurmatabledechevet,monnomestinscritdessus,ellecontientcequireprésentelafacilitéàmesyeux.Celafaitdesmoisquejen’aipasmismonnezdedans,preuvequetoutsemblaitbienaller.Enfincommeonpeutprétendreallerbiendansmoncas.Maisfinalement,commed’habitude, j’attrapemonpaquetdeclopes,etmelèvepourallerm’engrillerune. J’allume la télévision pour avoir un bruit de fond, je n’aime pas ce silence. Le silence amène àpenser,etjen’aipasenviedeçanonplus.Baxmesuitvers lafenêtredemachambre.Jevisaudernierétaged’unimmeubleenpleincœurdelaville.C’estassezloindelanature,maisavecmonboulot,jen’aipaslechoix.Jedoisêtreaucœurdelaviecitadine.Ceseraitdommagedepasseràcôtédel’airpollué.J’ouvre la fenêtre, un courant d’air frais vient me filer les frissons. D’un geste tremblant, j’arrive àallumer une cigarette que je fume les minutes suivantes en essayant de faire le vide dans ma tête.Difficile,quandjevoislecostumesombreaccrochédevantlaportedemondressingouvert.C’estaujourd’hui.Commesiçanesuffisaitpas,monportablesonnemais jen’aipasenviededécrocher.Jeneveuxpasentendremamèreouquiquecesoitd’autremeparler.Lesgensn’ontrienàdire,ilsnesaventpasquoidiredepuisdixans,cen’estpasmaintenantqu’uneidéedegénievalesfrapper.Jecontinuedefumertranquillement,Baxrestesagementcouchéàmespieds,commelefidèlecompagnon

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qu’ilest.Jeterminedebousillermasanté,refermelafenêtreetparsensuiteverslasalledebain.Baxcontinuesonjobensefaisantdiscret.Malheureusementaujourd’hui,ilneviendrapasavecmoi.Jelelaisseentrerdanslasalledebains,ilgrimpesurlacuvettedestoilettesbaisséeetmeregardefaire.Commetouslesmatins.Lalumièreestdéjàallumée,àvraidire,jeneleséteinsjamais.Jedoisavoirlafactureenélectricitélaplusélevéedetoutelaville.Etsincèrement?Jem’enfous.Jefrottemabarbededeuxjoursquiassombritmesjoues,descernesnoirescreusentmesyeuxverts,j’ail’impressiond’avoirlagueuled’untypequiafaitlafête.Jem’appuiecontrelereborddulavabolorsquelestremblementsdemesmainsreprennent.C’estdingue,ceputaindestressquimegagnedeplusenplusdepuisquelquessemaines.—Çavaaller,Reag,çavaaller,jememurmureàmoi-même.Jesuisavec toi, restedansma têtecependant.Caraujourd’hui, jesuisseuldevantcetteglace.Jen’aipersonnepourmedireça.Aujourd’huij’aivingt-huitans,jenesuispluscegaminetpourtant,mêmeenmeregardantdanslemiroir,mêmeenvoyantl’hommeimposantquejesuisdevenu,jevoistoujourscegossequin’apaseudechance.

***Onm’avaitdonnérendez-vousàhuitheuresdevantlepalaisdejustice,jesuisarrivéuneheureenretard.J’ailonguementtraînésousladouche,cequiafaitrâlerBax,avantdeprendretoutautantmontempspourlesortir.C’étaitplusfortquemoi.Jen’aipasenvied’êtreaujourd’hui.Lorsquejesuisarrivé,ilyavaitunmondefou.Desjournalistes,descurieux,despoliciersetmêmedesmanifestantsentoutgenre.J’aibienfaitdemerendreàpiedetnonenvoiture,jamaisjen’auraispumegarersansattirerl’attention.Sur le chemin j’ai écouté lesmessagesdemonportable.Mamèrem’a rappeléqu’elle serait présenteavecmasœur.Commesiellesavaientbesoindeça.Monmeilleurpoteaussi.Ilssesententobligésd’unquelconquedevoirdesoutien,maissiçanetenaitqu’àmoi,jeleurdiraisderester loin de tout ça. Ils n’ont pas besoin d’apprendre certaines choses. Malheureusement ce seraitcommeparleràdessourds:profondémentinutiledesebattrecontrelabrigadeanti-déprime.Ilsdoiventm’attendremais je continuedeprendremon temps. J’ai réussi àpasser lebarragede flicsgrâceàmacartepresse,etceluidesjournalistesgrâceàWendy,lasecrétaireduProcureurTraversetdesonadjointeAndrews.Cettedernièreesthabituéeàmesretards,ellen’arienditets’estcontentéed’unsimple«allons-y,MonsieurKane»,cequiadéclenchédanslafouleunéland’hystériecollectivequej’auraispréférééviter.Jedétesteça.Pourtant,jevaisdevoirm’yfaire,jem’apprêteàentrerdansunelongueroutine,quivadurerdelonguessemaines,sicen’estdesmois.Dansmamalchance,onnem’apasdemandéd’êtresympathiqueenpublic.D’unpasrapide,nousmontonslatrentainedemarchesdupalaisdejustice,jusqu’àl’entréeavecenbruitde fond, les flashs des photographes et les cris des journalistes, mélangés à ceux des manifestantscatholiquesetextrêmesconcernantnotrecas.CooperTruman.

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Son nomne cesse de résonner autour demoi, et enmoi.Commeun écho blessant qui ravive certainsdémonsetrouvrecertainesblessures.Jetentedefaireabstraction,d’ignorerlesregardsdansmadirectionlorsquenouspénétronsdanslegrandbâtiment surpeuplé de personnes, de témoins, de chanceux qui vont pouvoir assister en direct àl’audience. Je vois des politiques, des flics, des hommes importants, des avocats, mais surtout leprocureuretsonassistante.Jenecherchepasvraimentquelqu’undanscettefouledense,non,jecherchesurtoutà ignorercepoidsquigranditdansmapoitrinealorsque jem’avancedans ladirectionque jerêveraisdefuir.Maistuhaisl’injustice.Ouijehaisl’injustice,jelahaisquandonnelarendpaspourlesautres,jedevraislahaïrdanscecas-ciégalement.Saufquetoutestdifférentaujourd’hui.Wendyarriveenfinànousconduirejusqu’augroupedepersonnesquim’attend,jetentedefairecommesiderienn’étaitalorsqu’ilssonttouslà.Tous.Sansexception.Mamère,masœur,mesamis,maiségalementleprocureuretsonassistante.—Ahlevoilà!Jereconnaislavoixdemamère,JoyceKaneestunefemmed’unecinquantained’années,quelavien’apas épargnée non plus. C’est une grande femme, elle est toujours impeccable. Son ancien boulot deprofesseur dans un lycée privé catholique a laissé des traces. Ses cheveux noirs ont pris une légèrecouleurgrisedepuisquelquesmois.Mamèreresteenretraitetn’essaiepasdemetoucher.Elleattendquejeviennedemonproprechoixlasaluer,etsijenelefaispas,jesaisqu’ellenem’envoudrapas.Etquandbienmêmecelalacontrarierait,aujourd’hui je m’en contrefous. Je n’ai pas envie de m’occuper des problèmes des autres, j’en aisuffisammentaveclesmiens.Dix paires d’yeux me scrutent avec attention, je refoule l’agacement qui me gagne et tente de meconvaincreques’ilssontlà,c’estpourunebonneraison.Etilyenadesraisons,mec!—Monchéri,tuauraispumettreunecravate,mefaitremarquerlafemmequim’amiseaumonde.Jesoupireenignorantsoncommentaire.Elleoublievitequ’ilyadeschosesquejenesupportepaspourdetrèsbonnesraisons.J’aidéjàfaitl’effortd’enfilercecostumequimedonnel’impressiond’êtremonpère,etquimefaittranspirer.Jelasaluerapidementenl’embrassantsurlajoueavantdem’écarteretdesaluerlesautres.—Salut,qu’est-cequevousfaitesici?Jevousavaisditdenepasvenir,jelanced’unevoixrauquemaistoujoursaussifroide.Unrirerésonnedanslepetitgroupe,etseulunhommesepermetdemerembarrer.—Bonjouràtoi,Reag,toujoursaussichaleureux,merépondmonmeilleurami,Parker.AvecParker, nousnous connaissonsdepuis toujours.Nous avonsgrandi ensemble. Il est l’ami leplusfidèleauposte.Celuiquisait,maisquifaitcommesiderienn’était.Etj’appréciecettequalitéquifaitcruellementdéfautàcertains:savoiretfairecommesionavaitoubliécequ’onsait.

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Legrandbrunmelanceunclind’œilavantdemetendresoncafé.Jeleremercied’unsignedetêteetleterminedanslafoulée.J’aioubliédefumeruneclopesurlechemin,etjecommenceàressentirleseffetssecondairesd’unenuitsanssommeildoubléed’unstressquejetentedenepasmontrer.Etjesaisqueçamarche.ReaganKaneestréputépourêtredeglace.Jenelaissejamaisfiltrerlamoindreémotionsurmonvisage,cequiatendanceàagacerlesautres.Jenelaissepasserquecequej’aienviequelesautressachent.Ma sœur me lance un sourire chaleureux que je lui rends furtivement, j’aurais aimé qu’elle reste àl’Universitéaujourd’hui,j’aimeraislapréserverdecequivasuivre.Jepeuxgérernotremère,maisgérerRebeccac’estuneautrehistoire.FarrelletKonnorsontplusdiscrets,etjen’aipasletempsdem’épanchersureux,qu’unevoixféminineetfamilièremesortdemespensées.—Reagan,vousêtesprêt?Jedévisagel’adjointeduprocureur,DellaAndrews,unefemmed’unecinquantained’années,sescheveuxbrunssonttirésenarrièredansunchignonimpeccable,elleportetoujourssontailleur,ellemesuitdepuisdes années avec Bennet Travers. Ils m’ont vu changer, prendre des années, encaisser, me battre.Aujourd’huiestungrandjourpoureuxégalement.—Quipourraitêtreprêtàaffronterça?jel’interrogeàmontouravecsarcasme.Quellequestionstupide.Elle se contente de sourire tristement sans répondre.Cequimedécroche un soupir.Derrière nous, leprocureurterminesaconversationautéléphoneetnousrejoint.C’estuntypeàlunettesd’unesoixantained’annéesetauxcheveuxgris,réputédanslaprofession,ilnelâchejamaisrien,etilnem’apaslâché.Aufildesannées,ilestdevenuplusqu’unsimplemembredelajusticeavaleurdepouvoir.—Mongarçon,tunechangespas,constateBennet.Enretard,ettoujoursaussiaimable.Ilmetendlamain,jelesalued’unepoigneferme.—Vousêteshabitué,jen’aiplusbesoindemeforceràêtresympathique,jepoursuisd’untonneutre.Bennetsecontentedesourirependantqu’autourdenous,lesgenss’activent.Jevaism’asseoirsurlebancàmagauche,àcôtédesdossiersquicontiennentlesdétailsdel’affaire.AFFAIREKANE-KRISTENSEN-TRUMAN.Je frissonne en voyantmon nom écrit en noir. Je fouille dans les poches demon costume, retiremeslunettesdesoleildontjenemesouciaisplus,etsorsmonpaquetdeclopes.—Reag,onnefumepas!lancemasœur.—Jen’allaispasl’allumer,jerépondsfroidementenjouantavecmacigarette.Faitesquecettejournéesetermine.Merde,j’aivingt-huitans,j’entendslediscourssurletabacdepuismesdouzepiges,aujourd’hui,sij’aienviedem’engrillerune,personneneviendras’interposer.

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—Àquelleheureçacommence?jedemandeàl’und’euxpouréviterunsermon.—Quandlesforcesdel’ordreaurontdégagél’accès,ilsnesonttoujourspasarrivés,soupireBennet.Jemeretiensderire,c’estlameilleure,ondoitenplusattendrelesdivas.Jen’ai pas envied’être là et ça se confirme. Il n’y aque les autresqui sont« ravis»d’être ici.Lesavocats, les juges, les jurés, les journalistes et les curieux.Après tout, c’est le procès de l’année, leprocèsquelavilledeLancasterattenddepuisdixans.L’AffaireCooperTrumanachamboulétouteunecommunautéenplusdechangerdesvies.Nerveux,jenetienspasenplace.Jemelève,etcommenceàmarcher.Jesensdesregardssurmoi,celanefaitqu’augmentermonétatdenerfs,personnedansmonentouragenevient,et je lesenremercie.Jepense à mes dossiers qui m’attendent sur mon bureau, à toutes ces autres affaires qui ont besoin dequelqu’un,jepenseàn’importequoi,saufàcelle-ci.Puis,sanscomprendrepourquoi,monregardtraverse lafoule,et lechocm’envahitquandil tombesurunepersonneenparticulier.C’estcommesiledestinouuneforcesupérieureauqueljenecroisplusdepuislongtempsavaitdécidédecetinstant.Jemefigeenpleinmilieudumondequimarcheetparle,moncorpsenentiersebloque,absorbéparlaprésencedecetêtrequialaisséunvideenmoi.Dixans.Dixlonguesannéesquejen’aipascroisécettesilhouettefamilièreauxcheveuxbruns,quejenel’aipasserréecontremoi.Dixansquejen’aipassentisonodeuretressenti lachaleurdesoncorpscontrelemien.Dixputainsdelonguesannées.Jeserrelespoingssanslevouloiralorsqu’unsentimentfamilieretangoissantnaîtenmoi.Jenesuispasencoreassissurcettechaise, jen’aipasencoreentenducequejeneveuxpasentendre,etpourtant, jesuisdenouveauderetourlà-baslorsquejelaregarde.Elleachangésansêtredevenueuneinconnue.Elledevraitêtreuneinconnue,maiscen’estpaslecas,etelleneleserajamais.Pasaveccequinouslie.Et comme si elle sentaitmon regard, elle se tournepourme faire face et son regardbleu accroche lemien.Moncœurrateunbattement,etjeréalisel’espaced’unefractiondeseconde,quetoutcequej’aiessayéd’enfouirpoursurvivreàcetteexistence,ressort.Aujourd’huiestsansdoutel’undesjourslesplusdursdemavie,etlafemmequiestenfacedemoi,quipossède ce visage marqué par la méfiance et l’inquiétude au milieu de cette foule, me rappelle uneépoquequejem’appliquaisàoublier.Elleesttoutcequimefaitreplongerdanscepassésombre,toutenreprésentantcequim’amanquédepuiscesdixdernièresannées.

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Chapitre2Vic

4Avril2016Lancaster,PennsylvanieJe jureenfermantmavalise, jen’aurais jamaisdû laissermamères’occuperdemetrouverune tenuepouraujourd’hui.Aveccetterobe,jevaisressembleràunenonne,elleesthideuse.Jemelaissetombersurlelitquigrincesousmonpoids.Mesyeuxrivéssurleplafond,j’essayedegardermoncalme,denepas paniquer, de ne pasme dire que dans quelques heures je vais faire face à ce passé que je veuxoublier.Jelèvelesbrasau-dessusdematêteettournelebraceletdeforceàmonpoignetenlaissantapparaîtrel’encrequ’ilcache.Jevaislerevoir,luietaussimonpirecauchemar.Commentjesuiscenséegérercetteétape?Mamèren’arrêtepasdemedirequeçavaaller,qu’elleestlà,quetoutvabiensepasser,maisjen’aiplusl’âged’entendredesmensongesauxquelsjen’aijamaiscru.Çanevapasaller,c’estimpossibleautrement.Jeveuxseulementlimiterlesdégâts,nepasressortirdeceprocèsavecl’impressiond’avoirrevécucecalvaire.—Tun’espasprête?Jesursautesurlelit,cequifaitriremonfrèreàl’entréedemachambre.Àsaplace,mamèreseseraitdéjàconfondueenexcuse,monpèreauraitaccouruversmoiavantdes’arrêterenvoyantqu’ilmefaitpluspeurqu’ilnem’aide,maisElijah,lui,commeunepersonnenormalequivientd’ensurprendreuneautre,ricane.Jemeredresse,luijetteunregardnoir,maisaufond,j’aimequ’ilsecomportenormalementavecmoi,c’estleseuldanscettefamillequiacomprisqu’aprèsdixans,jen’aibesoinderiend’autre.Jetiremavaliseetensorslarobehideusequemamèreapenséquejeporteraisauprocès.Jelamontreàmonfrèrequientredansmachambrelesmainsenfoncéesdanssonpantalondecostume.—Maman?ildemande.Jehochelatêteenreposantlarobeavecl’enviederiredecettesituationgrotesque.Jesuislavictime,jen’aipasàfairebonneimpressionouàmecacherderrièredesvêtementsd’unautresiècle,cen’estpasmoiquidoisconvaincreunjurydemoninnocence.Elijahs’assoitsurlelit,assezprochedemoi,maisavecunecertainedistancetoutdemême.J’observemonfrère,ilavingtansaujourd’huietjemerappellelejouroùjel’airevuaprèsquatreansd’absence.Jel’aiquittéc’étaitunenfantcapricieuxquipassaitsontempsàfouinerdansmachambreetquandjel’ai

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revu,j’avaisdevantmoiunpréadoquiamûribientropviteetdouloureusement.—Grand-mèrevientavecnous?jedemandeàmonfrère.—Non,papapensequ’ellenelesupporterapas.Jedétourneleregardsurmavalise,biendécidéeàmettreunedemestenueshabituelles,soit,unjeanetunsweat.Mesvêtementsenmain jemedirigevers lasalledebain.Petite j’aimaisbiencettemaison,j’adoraisyvenirenweekend,dormirdanscettechambresouslestoitsquiavaitdesalluresdecachettesecrète.Aujourd’hui,lamaisondemagrand-mèremerappellejustequejenesuispluscettejeunefillepleinedevie,quipouvaitpasserdesheuresàjoueràcache-cacheavecElijah.Je n’y avais pas remis les piedsdepuis qu’on a déménagédeLancaster il y a dix ans, pour fuir dansl’Oregonàl’autreboutdupays.Monpèreasoi-disanteulapromotionqu’ilattendaitdepuislongtemps,celledegérerunefilialedel’assurancepourlaquelleiltravaille.Maislavraieraisononlaconnaîttous,il fallait m’éloigner de ce qui risquerait deme rappeler ce qu’il s’était passé. Comme si mettre deskilomètresallaitmefaireoublier.J’entredanslasalledebain,monfrères’allongesurmonlitenmetournant ledos.Jenefermepaslaporte,jenefermeaucuneporteàpartcelled’entréedechezmoi.Jemedéshabilleenévitantlemiroir,devant lequel je pouvais passer des heures avant. Celui dans lequel je me regardais sous toutes lescouturesavantd’alleràunrendez-vousavecJohnMcArthur,legarçonquifaisaitchavirermoncœurà14ans. Aujourd’hui, tout ce que je verrais dans ce miroir, c’est une jeune femme au regard vide, à lachevelurebruneemmêléeetaucorpsabimé.Jem’habillerapidementenquestionnantmonfrèresursasortied’hiersoir.Ilarevud’anciensamis,qu’ilavait ici.Elijahmeraconte leschangementsdans laville, l’épicierducoinquiafermé, lapizzeriaoùnousemmenaientnosparentsquin’apasbougéd’uniotaetlebowlingquiafaitpeauneuve.J’écouteenmelavantlesdents.—DesnouvellesdeTracy?jedemandeensortantdelasalledebain.Elijah rit en se levant, soncostume luivaà ravir, il a lesépaules largesd’un joueurde football et lecorpsd’unsportif.Onseressemblephysiquement,onalesmêmesyeuxbleushéritésdenotrepère,plusfoncésqueceuxdenotremèreetlescheveuxbrunsdelalignéeKristensen.Cequ’onademamère?Sapeaupâlepourmapart,etpourElijah,sonsourireinsistantquandilveutquelquechose.—Ouais,dit-ilenpassantunemainsursanuque,tusaisavecquielleestmariée?—John.Elijahsecouelatête.—Commentt’asdeviné?—Parce leprocureurm’a informéqu’elleneviendraitpas témoignerauprocès,puisqu’ellehabiteenAustralieavecJohnetqu’elleestenceintedeseptmois.Elijahmejetteunregardsombre,quiestcensévouloirdire:«pourquoitumedemandessitusaisdéjà».Pourl’embêtervoilàtout!

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—Bon,allonsaffronterl’armadadegardesducorpsenbas.Elijahmefaitunclind‘œilettendsamainendirectiondelaportepourquejeleprécède.Jesorsdanslecouloir puis descend les escaliers,mon frère surmes talons.On arrive dans la salle àmanger demagrand-mère,lagrandebaievitréelaisseentrerlesoleildecedébutdematinéeetmesparentssontdéjàinstallésàlatabledupetitdéjeuner.—Vic…soupiremamèreàmonencontre.Monfrères’installeàsescôtés,elletendlajoueetildéposeunbaisersursapeaupâle.Monpère,alertépar la contrariétédemamère, laisse tomber son journal pourme jeter un coupd’œil. Il n’apas l’aird’appréciermatenue,maisilnedirarien.Monpèreneditrien,depuisdixansmaintenant,ilattendquecesoitmoiquiluiadresselaparoleetsecontentederépondreàmesdésirs.Parchancepourlui,jen’enaipasbeaucoup.—C’estbonmaman,c’estunprocèspassonmariage,lancemonfrère.Jememetsàrireenm’asseyantenfaced’euxetdelaportequemonpèreadûentrouvrirpourmoi.Luiestàmagaucheetjesenssonregardsurmoi.Plusjeunejerêvaisdecejour,celuioùjeseraisaubrasdemonpèreetoùjem’avanceraidansl’alléedel’églisedeLancaster-lamêmequecelleoùmesparentssesont dit oui - pour épouser John, évidemment.Aujourd’hui, lemariage est bien la dernière chose quej’envisage.Mamèredonneuneclaquesurlederrièredelatêtedemonfrèrequiadéjàunetartinedanslaboucheavantdesetournerversmoi.Jeprendslepichetdechocolatchaudetm’enverseunetasse.—CommenttutesensVic?elledemandeenm’observant.J’avalequelquesgorgéesdemonchocolatenlaregardantpar-dessusmatasse.Sesyeuxbleusnecachentplus leur inquiétude,c’est inutilede toute façon,depuisdixans jene lesaipasvuautrementqu’ainsi.Elleasortil’attiraildelabonnemèredefamille,unerobeaussimochequecellequ’ellem’avaitchoisie,avecdesfleurs,poursûrementmettreunpeudegaietéàtoutcefoutoir,lecollierenperleassortiàsesbouclesd’oreillesetlechignontiréàquatreépinglesquiluiconfèreunairstrict.—Bien,jelanceenmedétachantdematassechaude.Oùestgrand-mère?jedemande.—Elleserepose,merépondmonpère,tulaverrascesoir.J’acquiesceen reprenantma tasse,monpèreetmon frère semettentàparler footballet résultat local,pendant que ma mère m’observe. Elle ne croit pas à mon « bien » que je lui sers depuis dix ansmaintenant,maisj’ignorequoirépondreàsesquestions.Commentjevais?Mêmemoijel’ignore.Jesuislà,envie,jepensequeçaimpliqueun‘bien’,maisensuite,jenesaispas.

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Nousyvoilà. Je tentede calmermoncœur,d’éviterqu’il nem’échappe sur lesmarchesdupalaisdejustice,maisjen’yarrivepas.Onarrivedevantlesescaliers,lafouledejournalistesnousassailledirectement,lesquestions,lescris,lesflashsfusentetjecommenceàmesentirdésorientéeetasphyxiéepartropdemonde.Jeralentisetlafoule devient plus compacte, poussantmon frère contremoi alors qu’on tente de se frayer un chemin.J’essayedemeconcentrersurmarespirationetpaslebruitautourdemoialorsquel’airseraréfie,maisjen’yparvienspas.J’entendsmonpèreàcôtédemoiquim’appelle,jelèvedesyeuxlarmoyantsdanssadirection,jenevaispasyarriver,jenevaispaslesupporter.Iltentedeposersamainsurmoi,maisjecouineetilseretientleslèvrespincéesdesesentirimpuissantfaceàlasituation.Maisc’estmoiquil’accroche,moiquireprendssonbrascommesijem’apprêtaisàfoulerlesdallesd’uneégliseetnousmontonslerestedesmarchesquiconduisentaupalais.Jem’accrocheaubraspaternelcommeàmadernièrebouée,mesjambestremblentetsionn’entrepasrapidementjevaism’évanouiravantquequoiquecesoitnecommence.Lafoulesedissipealorsqu’onapprochedesportesde la salled’audienceetmonfrères’empressede lesouvrirpourqu’onentre. Jeprendsunegrande inspirationen relâchantmonpèreetmamère se jette surmoialorsque j’aibesoind’air.Ellem’encadresansmetoucheretsicen’étaitpasmamèrejel’auraissûrementpoussée,maisellecomprend d’elle-même et s’écarte enfin. Je me baisse les mains sur mes genoux et me raisonnementalement,enmedisantqueça,cen’étaitrien,queleplusdurresteàveniretqu’ilvafalloirêtreforte,lesupporteretnepasflancher.Jemeredresse,mafamillemesouritenmedisantencorequetoutvabienaller.Jem’avanceàmontouretmonregardcroiselevertdeceluiquiahantémesnuitsetmaviedepuisdixans.Ilestlà.Unepartdemoiaencoredumalàleconcevoiralorsquepourtantçanepouvaitpasêtreautrement.Jefaisunpasavantdem’arrêterdenouveau.Reaganfaitlamêmechose.Onsedévisageàn’enplusfinircommepourcherchercequ’onn’aconnuchezl’autremieuxquepersonne,cequinousaliéspendantcesquatreannées,durantlesdixdernièresquinousontchangés.C’estlui,c’esttoujourssesyeuxvertsqu’ilmedemandaitderegarderetauxquelsjem’accrochaisplusfortementqu’aubrasdemonpère.Ilestfort,bienplus fortque ladernière foisoù je l’aivuet l’aura froidequ’ildégage luidonneencoreplusdecharismeetdeforce.Dix ans… çame paraît un siècle et enmême temps c’est comme si c’était hier. Ce qu’on a traverséensemblenes’oublierajamais,commejen’oublieraijamaisl’amourquej’aipourlui.Cesdixannéesnel’ontpaseffacéetriennel’effacera,jel’interdirai,c’estlaseulechosedebelledansmavie,personnenemel’enlèvera.—Vic,chuchotemamèreàmonoreille,ilfautyaller.J’inspire sans détachermon regard deReagan, j’en suis bien incapable de toute façon puis j’avance,doucement, incertaine de la stabilité de mes jambes et avec mon cœur toujours prêt à sortir de mapoitrine.Encoreplusen reconnaissant l’hommequi l’a faitbattre si fortque les souvenirs sontencorevivaces.Reagannebougepas,ilm’observetoujoursetjereconnaisceregardquimedit,jesuisavectoi.J’arriveàsahauteur, j’ai l’impressionquetoutelasalles’est tueenattendantnotreréaction.Envéritéj’ignorequoifaire,àpartmurmurerun‘salut’stupideetbiendérisoirefaceàcequ’onesttouslesdeux.Reaganneditrienetl’huissiernoussignifiedenousmettreànosplacesavantquelaséancenedébute.Jecoupelelienvisueletretournedirectementdansleprésent,danscetteatmosphèretendueetcettepiècequi va bientôt accueillir lemonstre demes pires cauchemars et où je vais voir ces gens déballer cecalvairequejeveuxfuiraprèstoutescesannées.J’avancedansladirectionduprocureur,endépassantReagan,jesenssamainfrôlervolontairementlamienneetsijenesupportepaslecontactdesautres,lesien,jelevoudraisplusfortetplusappuyé.Jevoudraissentirsamainserrerlamienneetqu’ilmerépète

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quetoutirabien,parcequ’ilestleseulquejecroisquandcesmotssortentdesabouche.Jerejoinsrapidementleprocureuràsatable.Reaganmesuit,pours’installeravecmoietderrièrenousnosfamillesprennentplace.Le silence règne dans la salle au moment où l’accusé fait son entrée, escorté par des policiers enuniforme.Jenemeretournepas,alorsquetoutlemondealatêteversl’entréedeservice,quelesflashsetlesparolesdesjournalistesfusent.Inspirer,expirer,seconcentrersurdeschosessimplesetfairelevide…foutuvidequejen’arrivejamaisà faire, il y a toujours une pensée parasite qui vient me hanter. Je ne peux pas le regarder. Je peuxaffronterReagan,maispasnotrebourreau, c’est au-dessusdemes forceset jeme retiensdeme leverpoursortirencourant.Mamèrederrièremoimesortdesparolesrassurantes,maisjeneveuxriendeça,jeveuxêtreloind’ici,dansmoncinéma,devantunecomédiequepersonneneveutvoir.Jeneveuxpasrevivrecesmomentsdedouleuroùmourirmeparaissaitsidouxàcôtédecequ’ilnousainfligé.—Vic?JelèvelatêteversReagan,ilestdebout,unpetitsourirerassurantsursonvisage.—Ilfauttelever,lejugevarentrer.Jemelèveenm’accrochantàlatableetsurtoutsansregarderàmadroitesurtoutpas…alorspourquoimonvisagesetournepourregardermonpirecauchemar?J’ignorepourquoijelefixe,lui,droitcommeunIlesmainscroiséesdansledos,danssoncostume.Ilestdeprofil,etpourtantjesuissûrequ’ilmesourit,commeil l’a fait tantdefois,unsourirecarnassieret fierde lui.Mes jambesflanchent, le jugeentreetjemeretiensàlatabletantbienquemal.Respirer,simplementrespireretnepasleregarder.Etce foutu vide qui ne veut pas s’installer dans ma tête qui m’envoie des images à vomir, qui me faitressentirladouleur,lahonteetledésespoirdupassé.Le juge s’assoit et nous aussi. Je me laisse tomber sur ma chaise en ayant l’impression de mourird’asphyxie.Leprocèsnesedéroulerapasàhuisclos,bienquinousayonsétémineursà l’époquedesfaits, la défense a réussi à convaincre le jugequ’il n’était pas nécessaire depriver le public de cettedébâcle.Cequiarrangelesjournalistesainsiquelescurieuxquiontenvahilasalle.Àmescôtés,Reaganalesyeuxtournésversceluiquiafaitdenosviesunenfer,j’arriveàvoirlatensiondanssoncorpscachésousuncostume.Lejurys’installeàsontourpuislejugeannoncedansdestermestechniquesdontjemefouscequ’ilvasepasser au coursde l’audience.Leprocureur,MonsieurBennetTravers,m’abriefé au téléphone sur ledéroulementduprocès,jesaisdoncqu’onvapasserlajournéeàsélectionnerlejury.Reagan se redresse et s’installeplus confortablement sur sa chaise. Je l’observeducoinde l’œil, lesmainsmoitesetlepalpitantauborddel’explosion.Lesémotionssonttropfortesensipeudetemps,maisl’avoiràcôtédemoi,mêmesic’esttroublant,mêmesiçameramèneaupire,c’estrassurant.Ilestplusfortquemoi,ill’atoujoursétéetsanslui,jeseraismorte.

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Chapitre3Reagan

4Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.Ilssontlà,touslesdeux.Monpirecauchemar,etlapersonneàlaquellejetiensleplusdanscettevieaussimerdiquequ’elleaété.Ils sontprésents,prèsdemoi,dansuneproximitéquime rappelle tropcequenousavonsvécu ily aquatorzeans.Nousavonspassélajournée,côteàcôte,Vicetmoi.Celanem’étaitpasarrivédepuisdixans,desentirsonodeur,saprésence,sonaura.Cecouragequ’elleprovoqueenmoialorsquejedevraisflancher.Elleesttoujoursaussibelle,encoreplusbellequedansmessouvenirs,malgrécequ’ilnousestarrivé.Sonvisageestmarquépardesannéesdesouffrance,denuitsbien tropcourtesetdepeur,maisàmesyeux, elle est toujoursmaVic.Celle qui a partagéplusqu’unevie avecmoi, celle qui a partagémoncalvaire.Elleestcettemoitiéquejen’aiplus,ceboutdemonêtrequejeluiaidonnéetquinousaliéspourtoujours.Sanslevouloir.Jene saispascequi a été leplusdouloureux.La revoir après toutes ces années, ressentir cemanquedouloureuxaucreuxdemapoitrineenpensantàcettedécenniequinousaséparés,ourevoirl’hommequiafaitdenosviesunenferdifficileàcombattrechaquejour.Danslequellesdémonssontfidèlescommenousl’étionsl’unenversl’autre.C’estmagnétiqueentrenous.Elleétaitàmescôtés,et j’avaisplusqu’unevagueidéedel’ampleurdesséquelleslaisséesparnotrepassé,mamainmedémangeaitdesaisirlasiennepourlaserreravecforceetluidonnercecouragequiluiatoujoursunpeumanqué.Lajournéeaétélongueetépuisante,jesuisdansunétatdenerfimpressionnant,lamoindreremarquemedonne envie de péter un câble. J’aurais aimé qu’il y ait un huis clos, car c’est terrible de voir mesproches dans cette salle, terrible de les sentir derrière moi, d’avoir leur regard compatissant, maismalheureusement,nousnel’auronspas.Jeneveuxpasqu’ilssachentcequej’airefusédedire,etcequejecachedepuisbienlongtemps.Mêmesijesaisquenossecretsvontêtredévoilés,jesaisaussiquecequenousavonsenterréennousvaêtreexhuméaucoursdesprochainsmois.Etceplongeondanslepassévalaisserdesmarques.Rienqued’ypenserj’enailanausée.Jesorsuneautreclopedemonpaquet.Lajournéeestfinie,maispersonnenesemblevouloirsortirdutribunal.Dèsquelejugealevél’audience,jesuissortidirectement.J’avaisbesoind’air,dem’éloignerdu regard prédateur et fier de l’autre enfoiré. Je n’ai pas prêté attention aux détails de l’audience

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d’aujourd’hui.JeveuxvoirVic,jeveuxluiparler,maispascommeça,pasdanscettesalle.—Reagan.Jemefigeenentendantcettevoixquirésonnedansmatêtecommeunsouvenirlointainquejen’aiplusentendudepuislongtemps.Maclopeaubec,jemetourneetfaisfaceàl’hommequivientrompremontempsdedétente.—MonsieurKristensen,jesaluel’hommeencostumenoiràrayures.—Michael,Reagan,depuisletemps.Jel’observeattentivement,ilmetendunemainquejen’acceptepas.Jen’aipasenvied’êtretouché,oudelesaluer.Ilnesemblepassevexeretfaitcommesiderienn’était.—Commenttuvas?m’interrogelepèredeVic.—Commentvavotrefille?jerenchérisavecsarcasme.Je lefoudroied’unregardnoirenallumantmacigarette.Je tireplusieurs taffesenledévisageantavectoutleméprisqu’ilmérite,lui,safemme,mesparentsquandjepenseàça.Àcequ’ilsontfait.—Jeprendsnotequetun’aspasoublié.Jelaisseéchapperunrireironiqueenpassantunemainnerveusedansmescheveuxnoirs.—Non,jen’aipasoublié,monsieurKristensen.Jen’aipasoubliécequevousnousavezfait,après.Voustous.—Qu’est-cequevousvouliez?jepoursuis.—Prendredetesnouvelles.Tuasl’airenforme,j’aivutesreportagesàlatélévision,tufaisdesacréesémissionsjournalistiques,commence-t-il.Vasy,passe lapommadeconnard,maismonopinionsur toinechangerapas. J’aiunecolèrequines’estpaséteinteendixans.—Jefaismonboulot,jedéclaresimplemententirantsurmaclope.Jebossedepuiscinqanscommejournalisted’investigationpourl’émissionCRIMINALS,quimetenfilmdesmeurtresaméricains,etrelatel’enquête.Jebosseavecdesmortsetdestaréstoutelajournée,autantdirequejenesuisplusàçaprèsetqueceboulotdoitêtrefaitparquelqu’un.Autantqu’ilsoitfaitparuntypequinecraintplusrien.LepèredeVics’apprêteàmedirequelquechoselorsquemonattentionestattiréeparlemouvementdefoulequisortduPalais.

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Jereconnaistoutdesuitecettesilhouettefamilièreentouréedesafamille.—Vic!jel’interpelle.Ellecessedemarcherenentendantmavoix.J’écrasemaclopecontrelemuretlarangedansmapocheenm’approchantd’elle,maisunefemmequejereconnaistrèsbiens’interposedevantmoi.—Reagan,pasmaintenant,s’ilteplait,medemandeavecdouceurMadameKristensen.—Je…Jejure,incapablededirequoiquecesoitdeplusenlaregardant.J’ailesoufflecoupécommelorsquejel’aivuedanscettefoule.C’estcommesiunlieninvisiblesetissaitdansl’airentrenous.J’auraisenviedeluidiretellementdechoses,maisj’ensuisincapablepourlemoment,commeVicestincapabled’êtredavantagequelafilleoccupantlesiègeàmadroite.Onatellementétéplusqueça,toietmoi.Mais je suis là.C’est ce quemon regard soutient lorsque le sienm’accroche. Je suis là.Mais je nepourraipasêtreautantprésentquejelevoudrais.Àcaused’eux.On partage le même combat. Ça a toujours été, elle et moi contre les autres. Ils ne peuvent pascomprendre,etnefontquecreuserunfosséentrenousetlaraison.Onnepeutpasaiderquelqu’unquandon ignore ses secrets, surtout les nôtres, et nos familles ignorent tellement de choses. ProtégerVic nel’aiderapas,commetouteslesdécisionsqu’ilsontprisesjusque-là.Je la regarde partir avec sa famille, etmon cœur se serre, comme avant. Je pensais cette douleur-làéteinte,maisj’avaisoubliélaforcequinouslietouslesdeux.Onnepeutpass’oublier.C’estdifficiled’imaginerqu’onaeuunevieavantça.Difficiledesesouvenirdecetavant,alorsquecepassé est omniprésent.Mais pourtant, notre vie n’a jamais cessé. Pas un seul instant,malgré tout. Lamiennes’estjusteséparéeendifférentesparties;unevieavantelle,avecelle,etaprèselle.Etpourtant,jusqu’àcefameuxjour,nousétionsdeuxgaminsordinairesquineseconnaissaientpas.Puisilyaeucet«avec».Suividecet«après».Maisilyaeuun«avant».Unavantoùtoutbascule.Etilsuffitd’uninstantpourquetoutchange.Nosdestinéescomprises.

***8Mars2002,Lancaster,Pennsylvanie.Noussommesvendredi,j’aiterminél’entraînementdebaseballdepuisunebonneheure,maisjetraînepourrentrerchezmoi.Jen’aipasenviedevoirmapetitesœurquimecolleetqui tentede faire lagrande.Jen’aipasenviedemefaireengueulerparmesvieux.Onadûrecevoirlebulletinscolairedecetrimestre,etjedoutequepapasoitravienvoyantmesnotesenmathématiquesetensciences.Mesmoyennesontconsidérablementchuté.Cen’estpasquejenetravaillepas,seulement,jepréfèrefaireautrechosedemontempslibre.Commeliredeslivresquiparlentdumonde,sortiraveclespotes,etdraguerlesjoliesfillesdulycée.

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C’estcequeje faisais.BrookeCoreym’aattenduaprès l’entraînement,etnousavonsparlé.Je l’airamenéechezelle,etj’aimêmeeudroitàunbaiserdevantsaporte.Letrucdedingue!Demainj’enparleraiàParker.Cetidiotpensequejeserailedernieràmetrouverunenanaavecmagueuled’angerebelle,ilsetrompe.Jen’aijamaiseudecopineavantelle.Onnepeutpasdirequ’ellesoitvraimentmacopine,maisc’estpresqueça.Çasevoitqu’elleaenvied’êtreavecmoi.Ellerougitàchaquefoisquejeluiparle,etsesyeuxontunelueurbizarrequimefaitsourire.C’estunejoliefille,paslaplusbelledulycée,maisellemeplait.Je marche depuis plusieurs minutes, nous sommes en mars, et il commence à faire très froid.J’enchaînelesmusiquessurmonMP3,quandlesnotesarriventàmesoreilles,j’oublietout.Lemondequim’entoure,mesproblèmes,et surtoutmesresponsabilités. Jenepensepasàdemain,nimêmeàaujourd’hui.Il fait nuit depuis un moment, les rues sont presque désertes dans le centre-ville de Lancaster. Jecroisepeudepersonnessurlecheminquimemènejusqu’àlamaison.Lelycéeestàunedemi-heureàpieddechezmoi.Ensportif,j’aimebienmedégourdirlesjambeslesoiraprèslescours.Lesvoituresse font raresdanscettepartiede laville, il fautdireque jecoupepar lespetitesruesparallèlesauxgrandes,bondéesdemondeetdepollution.Jedétestel’odeurducarburantetdespotsd’échappement.Jechantonneenjouantavecunecanetteàmoitiéécraséeausol.Jen’entendspaslavoiturequiarrivederrièremoi,aveclesécouteursetleRAPquihurledansmesoreilles,jesuisplongédansmabulle,etjemarche.Jen’entendspaslaportièrequis’ouvrenilesdeuxhommesquiensortent.Jen’entendspasleurspasderrièremoi.Jesuisdansmonmonde.Etpourtant,lorsquetoutbascule,unsentimentétrangenaîtenmoi,carjemefige,prêtàmeretourner,commesimoninconscientvoulaitm’alerterd’uneprésence.Malheureusement,jen’aipasletempsdedireoufairequoiquecesoit,quedeuxhommeshabillésdenoirmesautentdessus.Toutvasivite.L’und’euxm’attrapelesbras,l’autrelesjambes.MonMP3etmoncasquetombentsurlesolgelé,toutcommemonsacàdos.Jetentedemedébattre,maisilsmetiennent avec beaucoup plus de force. La panique et la peur m’envahissent. Mon cœur bat à toutrompre,j’essaiedecrier,maisl’undeshommesmefaittaireenmecouvrantlevisaged’unmouchoirentissusbaignédansunesubstanceétrange.Jecontinuedemedébattretantquejepeuxalorsqu’ilsm’amènentverscefourgongrisquejen’aipasvuarriver.J’essayede lutteretdecrieralorsquepersonnenem’entend,etpuis, sanspouvoirmebattre,moncorpsrendlesarmes,etjem’endorsàcauseduproduitrespiré.Jemesenspartirdanslesvapesalorsquejevoudraishurler,attirerl’attention,faireensortequecequ’ilsepasseneseproduisepas.C’est là quemon trou noir commence, ainsi quema descente aux enfers.Mais ça, je ne le sauraiqu’après.Je n’ai jamais pensé qu’on puisse s’en prendre auxmecs.C’est toujours les filles qu’on kidnappe.Jamais lesgarçonsdequatorzeans.Maiscommemagrand-mèremeditsouvent« ilne faut jamaisdirejamais».Etj’aicompriscesoir-làquejem’étaistrompé.

***Jemeréveilleavecunmaldecrâneinsupportableetj’aisoif.Jeremuedanslelitoùjemetrouveavecl’impressiond’avoirfaitlafête.Mamanvametuer.J’aidûrentrertrèstarddel’entraînement,etjevaismeprendreunsavonaupetitdéjeuner.

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Lorsque j’ouvre les yeux, jeme fige. Je suis dans une pièce éclairée par une petite lampe surmagauche.Mavisionestlégèrementtrouble,etmesyeuxmepiquent.Depuisquandjedorsavecunelampedechevet?Iln’yaqueRebeccapourdormiravecuneveilleusecommeunbébé.Jemefrottelevisage,enmettantquelquesminutesàreprendremesesprits.J’observecequim’entoureetmoncœurrateunbattement:jenesuispasdansmachambreetlelitsurlequeljesuisallongén’estpaslemien.Jemeredressed’unbondenexaminantlapièceoùjemetrouve,c’estunechambreavecuneouverturedonnantsurunepetitepièce:unséjour,lesmurssontdecouleursable.Ilyaunautrelitenfacedumien.Lesdrapsnesontpasdéfaits.Ondiraitqu’ilattendquelqu’un.Jeconstatequ’iln’yapasde fenêtre, seulementuneportederrièremoiquimènesansdouteàunesalledebain.Je tente de m’asseoir, et un bruit de chaîne retient mon attention. Je baisse mon regard vers macheville,etjeremarquedeuxmenottessurmonpieddroit,reliéesàunechaînefixéeaumur.Lachaînemeparaittrèslongue.L’angoissemonteenmoialorsquejecommenceàcomprendrecequ’ilsepasse.Meschaussuresontdisparu,jesuisattaché,etlamémoiremerevient.Hiersoir,alorsquej’étaissurlecheminduretourdirectionlamaison,deuxhommesm’ontagressé.Jemesouviensdeleurforce,etdemestentativesd’échapperàleurbras,puisdecetteforteodeurcontremabouchequim’afaitplongerdanslesommeil.Les larmesmemontent aux yeux alors que la peur s’intensifie. Je les chasse,mais elles sont plusfortes.Unmecdequatorzeans,çanepleurepas,etpourtant,j’angoisse,etjesuisterrifié.C’estuncauchemar,jesuisdansuncauchemar,çanepeutpasêtrepossible.Iln’yaquedanslesfilmsàlatélévision,qu’onenlèvedesgens,çanepeutpasm’arriver.Jeperdsmonsang-froid,lapeurdevientmaîtresseenmoi.Jepenseàmesparents.Jemedemandecequ’ilsdoiventpenser. Ilsdoivent êtremortsd’inquiétude. Je rentre toujoursà lamaisonet si jenepeuxpas, jepréviens.Mais là, ils n’ontpas eudemesnouvellesdepuis lematin etmondépart aulycée.Ilsvontcroirequej’aifugué.Maisnon,jamaisjen’auraisfaitça.J’aibeauavoirunsalecaractère,jamaisçanemeviendraitàl’idée.Sijemeretrouvedanscettechambre,surcelit,attachéparunechaîneaumur,sansmoyendesortir,aveclaseulepossibilitéd’allerdanslapetitesalledebainàcôté,c’estparcequequelqu’unm’amisici.Jemedébatsinutilement,j’essaiederetirerlesdeuxmenottesàmacheville,jetiresurlemétalquicommenceàme lacérer lapeau. J’ignore labrûlurecauséeparcetteplaie, je veux justem’enlevercettechaîne.Deslarmesderageetdepeurglissentlelongdemesjoues,jecraque.Laterreurmetordlestripes.J’aiquatorzeans,jesaiscequ’onfaitauxgamins,j’aisuffisammentvudefilmsetdereportages.Onnelesenlèvepaspourjouerauxéchecs,onleurfaitdeschosesaffreuses.Deschosesauxquellesjeneveuxmêmepaspenser,aurisquedevomir.Seigneur!Qu’onm’aide.Jehurlede toutesmes forcesenpriantpourquequelqu’unm’entende. Je laisseexprimermarage,j’appelleàl’aide,j’appellemamère,jeveuxmeréveillerdececauchemar.Je tente de me lever, mais je trébuche et tombe contre le sol froid. Le chocme fait taire, je resteimmobileetsilencieuxcontrecedernier,leslarmescontinuentdecouler,alorsquemoncorpsentierestsecouépardesspasmesnerveux.Jenesuispluslegamindequatorzeansquifaitlebeaudevantsesprofesseurspourimpressionnerlespotesetlesfilles.

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Non,j’aipeur.Qu’est-cequej’aifaitpourmériterça?Pourquoimoi?Qu’est-cequejefaisici?—Hurlernet’aiderapas,lanceunevoixsombredanslapénombre.Je me fige, un élan de terreur me glace le sang alors que je cherche du regard l’homme à quiappartientcettevoixdureetimposante.Unebouteilled’eaurouledansmadirectionets’arrêtecontremesjambes.Cettevisionmerappelleàquelpoint,j’aisoif.—Quiestlà?jecried’unevoixtranchante.Maispersonnenerépond.J’entendslebruitdespasdanslenoir,suivisdugrincementd’unescalierenbois,puisd’untrousseaudeclés,etd’uneportequ’onreferme.Jesuisseul.Seul.Mais je sais qu’il est là Qu’un homme m’observait sans que je ne m’en rende compte, il m’a vucraquer,succomberàlaterreur.Iln’apasréagi,ets’estsimplementamuséduspectacle.Quifaitça?Je restecontre le sol froid, épuisépar laconstatationdemonréveil. Jen’aipas rêvé,onm’abienenlevéetjesuisquelquepart,séquestré.C’estdingue.Impossibleàencaisserpourunado.Irréel.Pourtant,c’estlavérité.—Çavaaller,Reag,çavaaller,jememurmureàmoi-même.Jeme répète cette litanie comme lorsque j’étaisgosse,que jemecachais sous lesdrapsparcequej’avaispeurdesmonstressousmonlit.Maintenant,lemonstreduplacardmesemblebiensympathiquecomparéàceluiquisecachaitdanslapénombre.Cemonstre-làn’ariend’imaginaire,ilestbienréel,etilm’effraie.MoiReaganKane,14ans,quin’estplusunenfantdepuislongtemps,j’aipeur.

***9Mars2002,Lancaster,Pennsylvanie.Il n’a riendit deplus le premier jour, il s’est seulementmontré le deuxième, et il n’était pas seul.Lorsquejel’aienfinrencontré,ilavaitaveclui,uneautrepersonne.Unefille.Elleavaitmonâge,etelleétaitendormiedanssesbras.C’estlapremièrefoisquejel’aivudeprès.L’hommequim’observaitlorsdenotre«rencontre»est

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untyped’unequarantained’années,sescheveuxsontbruns,iladesyeuxsombres,etuneexpressiondure.Ilestrasédeprès,etsedéplacecommeunfélin.Lorsquej’aientendudesvoixd’hommesprovenantdel’escalier,jemesuiscouchédanslelit,rabattumescouvertures,etfaissemblantd’êtreendormi.Jenevoulaispasaffrontersonregard,nimêmeluiparler.J’étaisencoretropdéstabiliséparcequ’ils’étaitpassé.Jesuisungaminintelligent,c’estcequ’onm’atoujoursrépété.Jesuisplusmaturequelesautres,etj’aiunecapacitéd’analysequim’asouventsortidepasmaldegalèresd’adolescent.Danslesport,onm’aapprisàgérermesémotionsavantderéfléchiretd’agir,etc’estcequejedoisfaire.Maisavant,ildoitpartir.Tout le temps durant lequel il est resté dans la chambre à s’occuper de la nouvelle arrivante,moncœurbattaitàcentàl’heure,j’aicruqu’ilallaitexplosertantj’étaisterrorisé.Jen’avaispaseupeurcommeçadepuisbienlongtemps.Il a attaché la fille commemoi, enmenottant sa cheville aumur. Puis, il a fini par partir. Je l’aientendu descendre des choses dans la pièce d’à côté,mais je n’ai pas osé regarder avant qu’il neparte.Plustard,quandjemesuislevé,j’aivuqu’ilavaitremplilepetitfrigodanslapièceetqu’ilyavaitunlavabo.Questionvaisselle,letypeétaitprudent,pasdecouteau,pasdefourchette,seulementdescuillères,etleresteétaientenplastique.Ilavaitlesoucidudétail.Ilavaitremplilapetiteétagèredenourritureemballée.Quedestrucssains.Cequiétaitétrange.Unpsychopathedanslesfilmstuecesvictimesrapidement,ilnelesengraissepasavant.Jemedemandecequ’ilfabrique.J’ai fouillé chaque recoin de cette pièce à vivre.L’endroit est dépourvude fenêtre, il n’y a qu’uneporteauboutdecesalon.Laporteestferméeàclé.Jemedemandecequ’ilyaderrière.Sinon,ilyaune table avec trois chaises le tout vissé au sol, un canapé et une grande bibliothèque remplie delivres. Pas l’ombre d’une télévision, d’une radio, rien qui nous permet de savoir quel jour noussommes, ou quelle heure il est. La décoration est plutôt étrange pour notre situation, elle estchaleureuse.Lesolestenparquet,etlalumièreestloind’êtredésagréablecommedanslessous-sols.Cariln’yaqu’ensous-solsqu’ilyal’absencetotaledefenêtres.Puis,aprèsmapremièreinspectionendehorsdelachambre,jesuisretournédanscettedernière.Lafilledormaittoujours.Ellesemblaitallerbien.Jemesuisassisfaceàelle,dansmonlit,etjel’airegardée.Elleestpluspetitequemoientaille,maissemble bien avoir mon âge, ses cheveux sont bruns, ils sont tressés. Sa peau est blanche, et sesvêtements plutôt simples. Elleme fait penser à ces filles passe-partout au lycée. Elle semble jolie,maissonvisageestcrispéparlapeur.Mêmedanscesommeilpeuréparateur,ellesemblesavoircequ’ilsepasse.Navrédetecompterdansl’équipedeskidnappés.J’ignorecombiendetemps,jesuisrestélà,àlaregarder,attendantdevoirsielleallaitseréveiller.J’ai eu le tempsdemangerunpaquetdebiscuitsbio, et feuilleterunepilede livres,avantquemanouvellecolocatairen’émerge.Plutôtviolemment.Elles’estredresséed’unbondsursonlit,terroriséeetprêteàcrier,saufquej’aiparléavant.Ilnedoitpasvenir.—Necriepas,jenevaispastefairedemal,jelanced’unevoixéraillée.Ilvadescendresinon.Mavoixl’interpelle,ellesefrottelesyeux,etsetourneversmoi.Lapeurselitdanssonregardbleu,elleestterrorisée,etaussidésorientéequejel’aiété.

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Ellemeregardeavecméfiance, elle se recroqueville contre lemur, ramenant sesgenouxcontre sonventre.—Quies-tu?medemande-t-elleauboutdelonguesminutesdeduelvisuel.Sa voix est encore endormie, et elle ne cache pas sa peur. Elle est totalement apeurée. Et je lacomprends,moi aussi, j’ai cette boule dans le ventre et ces palpitationsdansmapoitrinequand jepenseàcequiestentraindesepasser.—Reag,ReaganKaneettoi?jeréponds.—V…Vic.VicKristensen.—Vic?CommeVictoire?Victoria?jelaquestionne,curieux.Commetoujours.Ellesecouelatêteenmecorrigeantavecdouceur.—SeulementVic.Enhochant la tête, je lui tendsunemain, elleme regarde, hésiteune fractionde secondeavant deserrerlamienne.Sapoigneestfaible,c’estbienunefille.Je me réinstalle, et continue de l’observer, ses joues sont rouges, ses yeux bouffis par les larmesqu’elletentederetenir.Ellepeutpleurer,jelacomprends,j’aifaitpareil,etjerecommencerai,pleurersoulagequandonnesaitpascequel’avenirnousréserve.—Salut,seulementVic.Jeluisouris,etjen’aimêmepasbesoindemeforcer.Vicdétourneleregardetobservel’endroitoùnousnoustrouvons.Commemoi,elleserendcomptequ’elleporteunechaîneàsonpied,etlaterreurlagagnedenouveau.—Qu’est-cequ’ils’estpassé?Pourquoinoussommesici?m’interroge-t-elle,apeurée.Pas de doute, c’est bien une fille, elle pose plein de questions. Malheureusement, je n’ai pas deréponse, et lorsque je lui dis, elle semble désemparée. Vic finit par craquer, de violentes larmess’échappentdesesbeauxyeux.Soncorpsentierestsecouépardessanglots.Ellelaisseparlersapeuretsonchagrin.Etquandjelavois,sifragile,sijolie,etsitriste,unepartdemoi,unepartquejamaisungarçondequatorzeansn’avaitconnueavantça,aenviedefaireunechose:laprotéger,commeonprotègesapetitesœurdesméchants.Jene la connaispas encore,mais cettepart demoimedit que très vite, nousallonsdeveniramis.Aprèstout,noussommesdeuxdanscettesituation,autantsesoutenir.Onseraplusforts.

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***15Mars2002,Lancaster,Pennsylvanie.Unesemainequejesuisprisonnierdecettechambre,etd’unhommequejeneconnaistoujourspas.Vic, la fille qui est avec moi, ne parle pas beaucoup, elle pleure très souvent, et hurle dans sonsommeil.Elleestterrorisée.Maisdèsquenouspouvons,nousparlons.Detoutetderien.Onévitelesujetprincipal:celuidenotrecaptivité.Ellenem’apasencoreditcommentelles’étaitfaiteenlever,jepensequ’elleapeur.Ellem’adonnédes informationslaconcernant,et j’ai faitdemême, jesaisqu’elleaunpetitfrère,Elijah.Ellesaitquej’aiunepetitesœursenommantRebecca.J’aiapprisquenousétionstouslesdeuxenpremièreannéedelycéedanslemêmeétablissement,c’estdrôle,jenel’aijamaiscroisée.Elleaimelecinéma,j’aimelireetlesport.Elleestgentilleetsembletimide.J’aipeurégalement,lapeurmenouel’estomac,maislaprésencedeVicmerassureunpeu.Jenesuisplusseul.L’hommen’estpasrevenulorsquenousétionséveillés.Sijetentedenepassombrerdanslesommeil,la fatiguemerattrapeet jenepeuxpasmonter lagarde. Ildéposedesplatspréparésdans le frigosansdoutequandnousdormonspuisilrepart.Jemedemandeàquoiiljoue,quiilest,maissurtout,cequ’ilveut.Etça,jenevaispastarderàlesavoir.Aprèsavoirmangécequisemblaitêtrelerepasdumidi,Vicestpartieprendreunedouche.Elleamisdesvêtementsquenousavonstrouvésdansl’armoirefaceàsonlit–commeparhasard–unhasardquinecessedem’inquiétait.C’estcommesinotreravisseuravaitpréparénotrevenue.J’entendsdespasdansl’escalier.Jemefige,etmoncœurs’emballe,toutcommeceluideVic,nousscrutonsavecattentionl’entréedelachambre,etlemêmehommequil’aamenéeapparaît.Ildéplielachaisequ’ilaemmenéavecluiets’assoitdessusdansl’entréedelachambre.Ilestvêtud’uncostumegrisquisemblecoûteraussicherqu’uneannéedansuneécoleprivée.Nousledévisageonsavecattention,ilestimpressionnantetdégageunecertaineformede…danger.Cetypeestundanger,pasdedoute.—Bonjour,vousdeux.JemetourneversVic,elleestassisedanssonlit,contrelemur.Niellenimoinerépondons.Ilnousscruteavecattentioncommeunpsyleferait.Taré.—Qu’est-cequ’onfaitici?jel’interroge.Ilnemerépondpas,maisselanceparcontredansundiscourssoigneusementpréparé.—JesuisCooper,etdésormais,vousallezvivreici.—Pourquoi?jedemanded’unevoixtranchanteenluicoupantlaparole.

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Maisl’homme–Cooper–ignorevolontairementmesquestions.—Sachezqu’ilvousestimpossibledesortird’ici,maislestudioestàvous.Alors,écoutez-moibien,carjenerépèteraipasdeuxfoiscequivasuivre.Vousêtessousmaresponsabilité,etvousapprendrezbienasseztôt, laraisondevotreprésenceàmescôtés.Vousn’aurezaucuncontactavecl’extérieur.Troisplateauxvousserontdescendusparjouretpourchacun.Vousavezaccèsàlabibliothèque,ainsiqu’àlasalledebain.Lesdouchessontautoriséesenmonabsence,maisencequiconcernecertainsdétails de votre hygiène, nous en rediscuterons plus tard, mais sachez que ce sera fait sous masupervision.Jenecomprendspasunmotdecequ’ildit,maisj’essaied’enregistrerchacunedesesconsignes.Toutmeparaîtimportant,ilal’aird’êtreunhommededétails.—Sachezqueplusvousserezreconnaissant,plusjevousrécompenserai.Reconnaissant ? Reconnaissant envers quoi ?De nous avoir enfermés dans cette pièce comme desbêtes!Qu’ilaillecrever.Lapeurlaisseplaceàlacolère,etàcettearrogancequiagaceénormémentmesparents.—Qu’est-cequ’onfaitici?jerépètesèchement.—Toutcequejeviensdevousexpliquer,vautpourquandjeneseraipaslà,termine-t-il.Cooper cesse de dévisagerVic comme s’il allait la dévorer. Il a ce regard répugnant qu’avaitmononclelorsqu’ilregardaitlesfillesdanslarue.Unregarddeprédateur.Vicnel’affrontepas,ellesecontentederegarderlemurensebalançantd’avantenarrière.Coopersembleapprécierl’effetqu’ilasurelle.Taré.Ilmesourit,unsourirequime filedes frissons tant ilestétrange,et…malsain. Ilestremplid’unesatisfactionétrangequineprésageriendebon.Unpetitriresarcastiqueluiéchappequandilmerépondsimplement:—Tuvaslesavoirbienasseztôt,Reagan.Commentconnaît-ilmonprénom?J’ignorecettequestionquejeremettraiàplustard,macolèreparlepourmoi.—Vousvousprenezpourquiespècedetaré!Jetentedemeleververslui,maisilrecule,etmefaitsigned’arrêter.—Arrête-toi,avantdeleregretter,memenace-t-il.Jenel’écoutepas,etm’avancequandmême,quanduneautrevoix,restéesilencieusejusqu’alors,mefaitcesserlepas.—Reagan!murmuredouloureusementVic.

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Elleapeur.Elleapeurquemacolèren’énervenotreravisseur.Jefermelesyeuxensoupirant,mespoingsseserrentmaisje luiobéis.Àelle.Parcequ’ellesembleterrorisée,etjerefusequ’ellelesoitdavantagealorsqu’onignorelesintentionsdel’hommeenfacedenous.Sinousavonsunechance,mêmeinfimedenousensortirvivants,autantselajouerfine.Là,Reag,t’eslegaminintelligentquetuastoujoursété.Maréactionsembledistrairenotregeôlierquiricanedeplusbelle.Ilsefrottelesmainsenrécupérantsachaise.—Profitedesderniersinstantsavectoncôtérebelle,crois-moi,jevaisvitetefairepasserl’enviedemedéfier,meprévient-il.Si sur l’instant, je ne l’avais pas cru, plus tard, je saurais que chacune de sesmenaces, ou de sespromesses,illesmettaitàexécution.Effectivement,peudetempsaprès,ilm’aenlevél’enviedeledéfier,sansquejenelevoisarriver.

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Chapitre4Vic

4Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.Jesorsdanslejardinavecl’envied’êtreailleursqu’ici,lesconversationsconcernantlejuryetleprocèsmefatiguent.Lavieneserésumeplusqu’àcetévènementetj’aimeraisavoiraumoinsquelquesminutesdeliberté.Je rejoinsmagrand-mère,assisesur labalancelle, le regardperdusur le jardin.Ellea toujourseuunjardinfleuri,àl’anglaise,oùenfantonaimaitbiensefaufileravecmonfrère.—Vic!dit-elleenmevoyantarriver.Elle tapote la place à côté d’elle, je m’installe en souriant. J’adore ma grand-mère. Elle est calme,sourianteetdrôle,unevraieboufféed’airfrais.—Commentças’estpassé?Jehausselesépaulesenpoussantsurmespiedspournousbalancerdoucement.—Commeunprocès,jesuppose.Magrand-mèremesouritenserecalantdanslabalancelle.Lesilencerevient,troubléseulementparnotrebalancementapaisant.Jenesaispastropquoipenserdecettejournée,jecroisquej’aiencoredumalàréalisertoutcequej’aivuetentenduaujourd’hui.C’estbeaucoupdesouvenirsquiremontentalorsquejetente depuis dix ans de les enterrer.Mais comme dit mon psy, on n’enterre rien tant qu’on n’est pastranquille avec les souvenirs. Et lemoins qu’on puisse dire après aujourd’hui, c’est que je suis loind’êtretranquilleaveccepassépesantalorsqu’onn’amêmepasentamélevifdusujet.—Tul’asrevu?Je sursauteenentendant savoixpourtantdouceetcalme. Jenedemandepasdequielleparle,pasdeceluiquihantemescauchemars,maisassurémentdeceluiquihantemesrêves.Elleaétélaseule,ilyadixansàcomprendrenotrerelationetlebesoinquej’avaisd’êtreprèsdelui.Maismonpère,sonfils,lui,pensaitquejem’ensortiraismieuxloindetout.

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—Oui.—Commentest-il?Jeréfléchisàsaquestionenlevantlesyeuxsurlecielrosiparlecoucherdusoleil.JerevoislevisagefierdeReagan,sesyeuxvertssipuissantsetsacarrureimposante.—Ilest…l’hommequ’ildoitêtre.Magrand-mèretournesonvisageversmoi,appuyéesurledossierdelabalancelle.Ellesembleépuiséeetsonâgeavancéàprésent,meditquejevispeut-êtremesdernièresannéesavecelle.—Tul’aimesencore.Je baisse les yeux surmes pieds, ce n’estmêmepas une question, sûrement que je dois parler de luicommelagamineamoureusequej’étaisàl’époque.Saufquemêmesirienn’aaltérémessentiments,jen’aiplusdix-septans,maisvingt-huit.Pourtant,messentimentssontintacts,maisnosvieselles,ellesontchangé.Luiici,moiàl’autreboutdupays,chacunàessayerdesereconstruirecommesiêtreensembleétaitmalsainou risquaitdenousempêcherdesurvivre.Alorsquesans lui,durantcesquatreannéesàsubirlepire,jen’auraispassurvécu.Ilm’asauvé,aidé,onaétél’unpourl’autre,cettedernièrebouéedesauvetageàlaquelleonpouvaitseraccrocher.Alorsceskilomètresentrenous,mêmes’ilsnousontempêchés d’être ensemble, pour ma part ils n’ont pas empêché mon cœur de penser à lui. De medemanderchaquejour,cequ’il fait,avecqui,comment ilva,qu’est-cequ’ilpenseraitde telleoutellechose…iln’yapasunjouroùReagann’étaitpasdansmavie,malgrél’éloignementphysiqueilétaitlàetilleseratoujours.—Je l’aivu, ilyadeux semainesà la télé, reprendmagrand-mère, enplusd’êtrebelhomme, il esttalentueuxetpassionné.Jesourisfièrement,commesic’étaitgrâceàmoiqu’ilétaitdevenucejournalisteinvestialorsquejen’ysuispourrien.Maisjesuisfièredelui,desoncourageetdecetteobstinationàalleraufonddeschoses.Jenel’aijamaisregardéàlatélé,c’estlegenred’émissionquejefuiscommelapeste,maisj’auraispu,pourlui,pourlevoirseulement,leregarderetl’entendreargumentersurcequ’ilcroitjuste.Reaganestquelqu’und’investi,quiunefoisqu’ilamisledoigtsurunproblèmenelâcherarientantqu’ilneserapasrésolu.C’estuncombattant,intelligentetsurquionpeutcompter.Iln’enfallaitpasmoinspourfairedeluiunbonjournaliste.Labaievitrées’ouvrepourlaisserpasserElijahquiadélaissélecostumepourunsimplejeanett-shirt.Ils’avanceversnous,enjouantàfairetournersesclefsdevoituresurleboutdesondoigt.—JevaisàlapizzeriarejoindreZacetSarah,tuveuxvenir?—Mamanrisquedefaireunecrisecardiaque.Elijahsoupireenserapprochantunpeudemoi.—Jenetedemandepassimamanvalesupporter,maissit’asenviedeveniravecmoi?

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—J’aitoujourssuqu’onferaitdetoiquelqu’undebien,répondmagrand-mère,mêmequandtufaisaispétertespétardsdansmesrosiers.Onsemetà rire tous les trois, je revoismonfrèresortirdes rosiersavecmagrand-mèrederrière lui,manchederâteauenmainenlemenaçantdeluienmettreuncoupdanslederrière.—Alorstuviens?J’hésite, j’ai envie d’y aller, d’être loin de l’ambiance pesante et en même temps je n’ai pas envied’alarmermesparentsquimeverrontdirectementconfrontéeauxcomméragesetsurtoutàcequ’ils‘estpassédanslesruesdecetteville.—Vasymabelle,lancemagrand-mèreenmefaisantunclind’œil,jemecharged’avertirtesparents.Jejetteuncoupd’œilàmonfrèrequis’impatienteenfaisanttoujourstournersesclefssursondoigt.EnOregon,unefoisparmois,onsefaitunesoiréepizzafilm,rienqueluietmoi.Audébutil invitaitdespotes en essayant de me caser avec eux, mais il a fini par comprendre que la gent masculine nem’intéressepas.—OK,allons-y.On embrasse ma grand-mère et nous voilà partis. Je n’ai même pas de sac, de papier d’identité oud’argent et encore moins de téléphone et j’adore ça.Me sentir entièrement libre, sans barrière, sanspenseràquijedoisrassurersurmonétat.

***Onentredans lapizzeria, le«ding»quinousaccueillemerappelle toutesces foisoù je l’aientenduenfant.Jefermelesyeuxensentantl’odeurtypiquedepâteslevées,detomateetd’olives.C’estcommefaireunbondolfactifdansletemps.J’aibeauavoirmangédansd’autrespizzerias,àl’odeursimilaire,aucunen’acetteodeurd’enfanceetdebonheur.Ons’avancedans lerestaurant,ZacetSarahsontdéjàinstallésàunetable,entraindesebécotercommedesados.Ilsselèventennousvoyantarriver,ilssaluentmonfrèreetsecontented’unsimple«bonsoir»dansmadirection.Jesuisassezàl’aiseaveceux,ilssontvenusnousvoirplusieursfoisàPortlanddepuisqu’onestpartisdeLancaster.Jem’assoisàcôtédemonfrèreetenfacedeZaclebeaugosseblondausourire tendre.Jeregardeledécorquin’apasbougéilyatoujourslesdrapeauxitaliens,lesvieillesphotosjauniesennoiretblancdepaysages,oud’enfantssouriantsausoleil.C’estsimple,convivialetsurtoutpasétouffant.Pourtantjesensdesregardssurmoi,appuyés,unpeutropappuyésquimedisentclairementqu’onsaitquijesuisetcequej’aivécuilyaquatorzeans.Jebaisselesyeuxsurlemenu,commeàchaquefoisquequelqu’unsait,jeressenscettehontequequandonmevoit,onvoitenmoilafillecaptive.C’estunehorreurd’avoircetteétiquettecolléesurlefront,devoirsonintimité,sesblessures,danslesyeuxdesautres.Jerisenentendantmonfrèrerire,alorsquejen’aipasentenduuntraîtremotdelaconversation.J’essayede faire abstraction des regards, desmesses basses que j’arrive à distinguer d’ici, tellement ils sont

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discrets,mais je commenceàétoufferdanscetteprisonquimedonneenvied’allermecacher sous latable.Maiselledonneraitraisonàmamère,quijelesais,mediraenrentrantquejen’auraispasdûyaller,quec’étaitcourud’avanceetquejenesuispasassezfortepoursupportertoutça.La serveuse vient prendre notre commande, elle aussi a un sursaut de compréhension enme regardantquandjeluiréponds.Monfrèreluifaitclairementcomprendrequ’elleaintérêtàarrêterdemeregardercommeunspécimendefoireavecsavoixfroideetdurequandilluibalancecequ’ilveutsansqu’elleleluidemande.Ellerepartet jemelèvepouralleraux toilettesetprendreunbold’airsansregardsfixéssurmoi.Lerestaurantest en«L», il fautdonc longer toute la sallepour se rendreaux toilettesà l’autrebout. Jeregardemespiedsenavançantjusqu’àcequej’arrivedanslapartiecachéeprochedemadestinationetd’oùlesriress’arrêtentnetenremarquantmaprésence.Je lève lesyeux,surunegrande tabléeet jenemetspas longtempsàcomprendrepourquoicesilence.Toute sa famille est là, ses parents, sa sœur, ses amis certains que je connais et d’autres non et lui.Reagan.Àunboutdelatable,lesmanchesdesachemiserelevéssursesavant-brasetleregardbraquésurmoi.Jesuispétrifiée,commeunanimalprisdanslespharesd’unevoiture,incapabledebougeroudeparler.Rien.—Vic?demandeReagandesavoixgrave.J’aiunsursautenl’entendantetjememetsàrepenseraujouroùReaganamuéetqu’iln’osaitplusmeparlerparcequejenepouvaispasm’empêcherderired’entendrecettevoixtenterd’êtregrave.Jerisenleregardant,ilparaîtsurprispuisunsouriresedessinesurseslèvres.Jecroisquej’évacuelapressionainsi,grâceàsesouveniretgrâceàlui.QuandReagansourit,c’esttoutunmondequis’ouvreàmoi, c’est tellement rare de le voir sourire, tellement sincère et profond qu’on croirait assister à unerenaissance. Il illumineunepièceavecsonsourire, ilme transportedansnotrepassé,pas lesmauvaisjours,maislesbons,oùilmefaisaitrire,oùilmesouriaitcommeàcetinstantetoùj’avaisl’impressiond‘existertoutsimplement.Jeme reprends en constatant que tout lemondeme regarde et arrête de rire pour aller rejoindre lestoilettes.Ilvoulaitmeparlertoutàl’heure,àlasortiedutribunal,maismamèreaestiméquejen’étaispas en état de l’entendre. Pourtant j’en ai envie, il est une des rares personnes dont je recherche lacompagnieparcequ’aveclui,jenesuispasunevictimequ’ondoitprotégerdetout.Jesuiscertainementcequej’aivécu,maislui,ill’avécuavecmoi.Ilfaitpartiedemoitoutautantqueleresteetjeneveuxpaslefuir,mesentirincapablealorsqu’ilm’atoujourspousséeàmedépasser,àêtreplusforte.Mamèrenecomprendriendetoutça,ellechercheàmepréserver,maisellenecomprendpas,qu’aprèscequej’aivécu, il ne peut plus rien m’arriver de pire. Que c’est pour elle, que j’obéis gentiment à sesrecommandations,àsespeurs,pournepasqu’elles’inquièteparcequesij’aivéculepire,elleasouffertaussietjeneveuxpasquemafamillesepréoccupedenouveauàmonsujet.Ilsontdéjàtropdonné,àmoidefaireensortedelesépargner.MaisReagann’entrepasdanscettecatégorie,ilnemefaitpasdemal,ilnem’enferajamais.Lui,ilestcequimefaitdubien,cequimefaitencoreespérerquelaviepeutêtrebelle.

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Chapitre5Reagan

—Excusez-moi.Sansprêterattentionauxmembresautourdelatablequisesonttusàl’arrivéedeVic,jequittelatable,évitant le regard glacial demamère qui ne semble pas appréciermon comportement. Je l’ignore, etignorelemalaisequis’installe,etespèrequeParkertrouveraunsujetpourcomblercesilence.Jemarcheverslaportedestoilettes,etpénètredanscellesréservéesauxfemmesenpriantpourqu’iln’yaitqueVicàl’intérieur.La lumière au plafond m’aveugle, et l’odeur des produits ménagers agresse mon odorat. Je n’ai pasbesoindelachercher,carelleestlà,dosàmoi,appuyéecontrelemurcarrelérose.C’estcommesiellecherchaituneéchappatoire,unmoyendesortie.Jeremarquequesapoitrinesesoulèveirrégulièrement.Moiaussi,çam’afaitunchocdelavoirenfacedemoi,endehorsdutribunal,oùnosregardssefuientlaplupartdutemps.Cen’estpasfaciledel’avoiraussiprochealorsqueçafaitplusdedixansquenousn’avonsplusconnucetteproximité.Elles’habillesimplement,etjecommenceàcroirequeVicaadoptécelookpasse-partoutpournepasattirerl’attention,maiscesimplejean,etcet-shirtnoirnemefontpasoublierl’imaged’ellequej’aidegravéeenmamémoire.Jesens la tensionnaîtredans lapièce,de l’électricitéstatiquenousentoure, j’ai l’impressionquerienn’estréel.Ellenepeutpasêtreaussiprès.—Vic?jedemanded’unevoixrauqueetgrave.Ellesefige,maisnesursautepas.Elledevaitsedouterquej’allaisvenir,profiterdecemomentloindesesprochespourl’aborder.J’enmeursd’enviedepuisqu’ellem’aregardéaupalais.—Net’envapas,s’ilteplait,jepoursuisaveccalme.Jefermelaportederrièremoietenclencheleverrou.Vicseraidit,etjecomprendstoutdesuitecequecesonsibanaldéclencheenelle,moiaussi,j’aimisdutempsavantdepouvoirl’entendre.Maisjeneveuxpasquequelqu’undécidedevenirgâchercemoment.Jel’attendsdepuistroplongtemps.Pouvoirseretrouver.Lentement,jem’approched’elle.Vicinspireavantdesetournerpourmefaireface,etjemefigelorsquesesyeuxbleuscroisentlesmiens.

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—Salut,jelanceencroisantsonregard.Lerougeluimonteauxjoues,etj’aimecepetiteffetsurelledepuisquemavoixamué.D’abordellerit,puisellesemetàsourireetàrougir,commesilesondemavoixvoulaitdireplus.—Salut,Reagan,murmure-t-elle.Nousrestonsuninstantànoustoiser,commesinousétionsdeuxinconnus,alorsquetellementdechosesnouslientpourlerestantdenosvies.C’estplusfortquen’importequoi,plusfortqu’unserment,plusfortqu’unepromesse.Onestgravésl’undansl’autre,etpourtant,àcetinstant,j’ail’impressionqu’ungouffrenoussépare.Dixans,Reag,dixansquetunet’espastenuaussiprès.—Legouffreestdevenusigrandentrenous,que tun’osesmêmepasm’approcher? jedemandeaveccalme.—Tuastellement…changé,m’avoueVic.Jebaisselesyeuxsurcequejevoisdemoi.Maispasbesoin,jesaiscequ’ellevoit.Danssonsouvenir,jesuisencorelegaminquis’adapteàsavoixd’homme.Ungaminquicommenceàprendreenmuscle,àsedessiner,àdevenirautrechosequ’unadoquisedécouvre.Aujourd’hui,jesuisunhommed’1m90,malrasé, et au regard froid. Je suisunhommequi, enun seul regard,prouveauxautresqu’il a souffert etvécu.Etça,jenepeuxpaslechanger.—Enbien,j’espère,jepoursuis.—Tues…impressionnant,etimposant.Regarde-toiReagan,tues…Grand,ettaillédanslasueurdelavengeanceetdelacrainte.—Jet’effraie?Vicsecouelatête.On se dévisage un instant de plus, dans cette atmosphère étrange remplie de non-dits et dequestionnements.J’aitantdechosesàluidire,etjenesaismêmepasparoùcommencer.Alors, jemecontentede tendreunemaindans sadirection, etVic la saisit, cequime surprend.Sansréfléchirdavantage,jetiresursonbraspourl’attirercontremoi,etellesuit.Sonpetitcorpsvientsefondrecontrelemien,jelalaissefaire,jeluilaissel’opportunitéd’échapperàmaprise,maisVicglissesesbrasautourdemataillepoursepressercontremoi.Sonodeuretsachaleurenvahissentmessens.Sesmainsfroidessontcontrelefintissudemachemiseblanche.—Çafaitlongtempsquej’attendsça,jechuchoteàsonoreille.Unfrissonlaparcourt,jefermelesyeuxenrepensantàladernièrefoisquejel’aiserréedansmesbras.On n’était pas dans les chiottes publiques d’une pizzeria, mais dans un lieu aussi stérile et sanspersonnalitéquecelui-là.Maisnousétionsseuls,iln’yavaitqu’elleetmoi.Leproblèmedanslesdernièresfois,c’estqu’onnesait jamaisquec’est ladernière,cen’estquebien

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plustardqu’onlepercute.—MoiaussimurmureViccontremontorse,moiaussi.J’aurais aimé qu’on se retrouve différemment que dans des chiottes publiques diffusant unemauvaisemusiquedesannées80etàl’odeurdefleurdesynthèseetdeproduitd’entretien.—Tum’asmanqué,m’avoue-t-elledebutenblancens’écartantunpeu.Jecherchesonregard,maisellelefuit.Pourquoi?Jel’ignore,elleadumalàmeregarderdanslesyeux.Mais les rares foisoùelle l’a fait, c’était intense.Pasbesoindemotsentrenous.Elleaussi, ellem’amanquéterriblement.Jepensaiscetteblessurerefermée,maisellen’enestrien.Le silence redevientmaître dans les toilettes, alors que lamusique de fond s’enclenche sur quelquesnotesplusjazz.Lesminutespassent,etjesaisquenosfamillesvontsedemanderoùnoussommes.—Vic,jenepeuxpasm’attarderici,maisjeteprometsqu’onvaserevoirtrèsvite.Nousdevonsparler.Oùpuis-jetejoindre?jetermine.—J’ai…monportable.—Donne-lemoi,jedemande,jevaisterentrermonnuméro.Elletapotelespochesdesonjeanavantdefermerlesyeuxetlancerunpetitjuronpresqueinaudible.—Jel’ai…oubliéchezmoi.J’esquisseunlégersourire,àpeineperceptible.Jeremarquequeleschosesnechangentpas.Alors, jefouilledans lapochearrièredemonpantalondecostumeet sors lestyloque j’ai toujourssurmoi. Jesaisissamainfroide,etj’écrismonnumérodeportablesursonavant-bras,jeremarquequesapeauesttoujoursaussiblanche.—Appelle-moi,Vic.Quand tupourrasêtreunpeuseule, loinde tesparentsetde ta famille, il faudraqu’onsevoit,justenousdeux.J’aibesoindeteparler.Detevoir,seuls.Justetoietmoi.—Oui,nousavonsbeaucoupànousdire.—Turestesletempsduprocès?jel’interroge.Ellehochelatête,etjemaudiscetteconversationsibanaleetstérile.Dixansnousséparent,jenesaisplusquij’aienfacedemoi.—Ettoi?—Jenesuisjamaispartid’ici,jel’informe,avecunlégersoupçond’amusement.

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Sesyeuxbleusscrutentavecattentionl’encrenoiresursapeau.—Vic?Elle m’accorde de nouveau son attention. J’aimerais être dans sa tête comme j’ai pu si souvent lacomprendredurantcesannées.Àl’époque,iln’yavaitaucunsecretquivenaitnoustroubler.—Jesuislà.Regarde-moi,neregardequemoi.Jesuislà.Cesphrasesmehantent,ellesraisonnentsisouventenmoietsemblentfairelemêmeeffetàVic.—Jesais.—Appelle-moi,j’insiste.—Jeleferai,onsevoitauTribunal,conclut-elleenmecontournant.Aupassage,Vicmefrôle,déclenchantdel’électricitéstatique.Jeneréagispas,etlalaissepartir.J’auraibienl’occasiondelarevoir.Elleenaoubliéqu’elledevaitallerauxtoilettes.Jeluilaisseletempsdesortirdelapièce,delongerlemurenfuyantleregarddemafamillesurelle.J’évitedecroisermonrefletdanslemiroir,comptejusqu’à10,etsorsàmontourpourrejoindrelatable.Lesconversationsontreprisbontrain,jem’installeentremonpèreetParker,ilsparlentbaseball.J’attrapeunboutdemapizzaetfaissemblantdenepassentirleregardinterrogateurdemamère.Laisse-moirespirer.—Quoi?jedemandeauboutd’unmoment.—Rien,déclaremamère,froidement.Ellefaitgrincersoncouteau,faisantstoppertouteslesconversations.Jeneluiaccordeaucuneattention,lorsquejedéclared’unevoixcalmeetgrave:—Jeneveuxpasdetonavis,Maman.—Tuasraison,tuleconnaisdéjà.—Etjem’enpasse.Je lèvemonregardvertdanssadirectionpourappuyermesmots.Jeneveuxplus jamaisparlerdeçaavecelleniavecmonpère.Ilyadessujetsquisontdésormaisdevenustabousdanscettefamille,parmafaute,etparlaleur.JereprendslaconversationavecParkeretmasœursur lematchd’hiersoir,enfaisantcommes’iln’yavaitpascettetensionautourdelatable.

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Je refuse d’entendre son avis, je refuse de savoir ce qu’elle pense, car je le sais déjà. Ma mère aparticipéàmadescenteenenfer,etpourça,jenelaremerciepas.Aujourd’hui,jesuisunadulte,etaujourd’hui,jefaiscequejeveux.J’essaied’êtredanslasoirée,maismonespritn’estplusaveclesautres.Ilestavecelle,etdanscepasséquines’éloignejamais.Àl’époque,ilyavaitencoreun«nous»,aussiétrangequece«nous»était.C’étaitlenôtre.Etlorsquej’ypense,mêmedansunepetitepartiedemonesprit,j’aitoujourscepincementaucœur,carVicmemanque.

***8Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.C’estcommeçaqu’ondétruitunepersonne.C’estenluifaisantmal.Etjevaistefairemal,Reagan.Tunesaigneraspasencore,maisau fondde toi, tu sentiras laplaie s’ouvrirunpeuplusàchaqueinstant.Jevaistebriser.Etplusjamaistun’oserastesoulevercontremoi.Plusjamais.Jemeréveilleensursaut,uncrirésonnedanslachambreplongéedanslapénombre.Jemeredresseetm’assoissurmonlit.Moncorpsentiertrembledececauchemarquin’enestpasun.Mapeauestcouvertedesueur,etmoncœurbatàcentmilleàl’heure,monsouffleestdésordonné.Jemetsquelquesinstantsàpercuterquejesuischezmoi,seuldansmachambre.Ilfaitnuitàl’extérieur,maisleslumièresdechezmoimepermettentdevoir.Baxresteimperturbableaupieddemonlit,illèveàpeinelatêtedansmadirectionpourvoir si toutvabien. Je frissonne,etdéglutisavecdifficultéen tendantunemainpourcaressersatêteetletranquilliser.C’estcommeçaqu’ondétruitunepersonne.Jejureensentantlefeusurmapeaualorsqu’iln’yapersonne,etsanspouvoirmecontrôler,jemeruevers la salle de bain, et tombe à genoux près desWCpour y dégueuler ce que j’aimangé aprèsmesrecherchespourlaprochaineémission.J’ignorepourquoicesoir,plusqu’unautre,cecauchemarrevient.Jeprésumequeleprocèsfaitremonterbeaucoupdesouvenirs,etcertainementpaslesmeilleurs.Depuisquej’aiparléàVic,jesuis…perturbé.J’ignorepourquoi,maisquelquechoseenmoimerongeetj’aibesoind’enparler.Çameronge.Ilyatantdechosesquimerongent.Cessecretsquimebouffentdepuisdesannées,cequ’ils’estpassé,elleetcetteblessurequin’ajamaiscicatrisé.J’aimeraisêtrefortconstamment,maislorsquejesuisseul,lorsquejebaissemagarde,etqu’iln’yaplusaucuntémoin, jedeviensfaible.Je laisse laplaceàmesdémonsdes’installerdansmonesprit,demerameneraupire,etilsyarrivent.Jefermelesyeuxenessayantdechassercesimages,maiscesdernièresreviennentdeplusenplusvives,etdeplusenplusviolentes.Ondevientpossédéparcemal.Onessaiedefairecroireauxautresqu’avecletemps,leschosespassent,maisc’estfaux.Riennepasse,ladouleurseterrepourrevenirencoreplusforte.L’humainneseremetjamaistotalementdecegenredeplaies.Parfois,onoubliel’espaced’uninstantquionest,cequ’onnous

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afait,maisilsuffitd’unesecondepourreplonger.Je le sens encore. Je sens encore cetteprésence, sesmains surmoi, sa force et ladouleur cuisante etintense. J’aimerais oublier,mais ces impressions-là perdurent. Les plaies se sont refermées,mais lescicatricesdemeurent.Jeme laisse aller contre le rebord dema baignoire, en sueur et tremblant dans la pénombre.Baxmerejointetvients’allongercontremoi,satêtesurmescuissesetsonregardremplidetendresse.Jesaisqu’ilcomprend,quandçanevapas,ilestlà.Aumoins,sonregardestsupportablecomparéauxautres.Luiilnesaitpas.Ilnesaitpascequepersonnenesaitàpartnous.Ilnesaitpasquederrièreceregardfroid,etcetteallureimposante,demeureunhommerongépartantdechoses.Un homme qui aurait bien besoin de soulager sa conscience avec la seule personne qui pourrait lecomprendre.Vicnem’apasappelé,j’ignorequandellelefera,maisjemesurprendsàl’attendre.Jel’attends.Jerestequelquesminutescontrelecarrelagefroid,àreprendrelecontrôlesurmonêtre,àremettremesidéesenplace.—Onvacourir?jeproposeàmonchien.Baxseredresseetsemetàbondir,excité.Jemerelèvepéniblement,ignorantlafatiguedemoncorpsquidortdemoinsenmoins.Demain,pasdeprocès,demain,jepourraifairesemblantquetoutestencorecommeavant.Qu’iln’yaqueleboulot,maroutine,etl’oubli,maisaprèsdemain,onrentreradanslevifdusujet,etj’espèreêtreassez fortpouraffronter lesparolesduprocureur,quimettradesmotssurdesévénementsdont jen’aiplusparléàvoixhautedepuisbienlongtemps.

***10Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.Unprocès,c’estlong,trèslong,surtoutdansnotrecas.Dixansdeprocéduresjudiciairespourenarriverlà,àcetinstantoùonprononceraunepeineenversleresponsabledetoutcequ’ils’estproduit.Ilsviennentdesélectionnerlejurycomplet,etçaaprisunesemaine.Leprocureuraditentrequatreetcinqmois,maisàcerythme,j’ail’impressionqueçaneseterminerajamais.Commedepuisledébut,noussommesassiscôteàcôteavecVic.Aujourd’hui,elleatroquélejeanetlesweat-shirtpourquelquechosedeplussimple.Elleal’airfatiguée,etjelacomprends,c’estéprouvantdelesavoirlà,àquelquesmètresdenous.JedévisageVic,quifuitleregarddel’assistancealorsquenoussavonstrèsbienqueladescenteenenferestpourmaintenant.Aujourd’hui,leprocureurvaentamerladeuxièmephaseduprocèsavecsonintroduction.Ilvadirequiilreprésente, qui il accuse et de quelsmotifs il accuse le prévenu.La liste est tellement longue qu’elleferaitfrémirn’importequi.Nousallonsdevoirfairefaceàcepasséetauxactesquiontétécommis,etlesrevivreunesecondefois.Puis, il va démontrer clairement pourquoi il croit en la culpabilité de Truman grâce à des arguments

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irréfutables.Ensuite,ilvanousprésenternous,chacunnotretour.Onadéjàrépétéçadanssoncabinet,jesaiscequeBennetvadire,maisj’ignoresijevaispouvoirl’encaisserdevantmafamille,lafouleetlesjournalistesquisontencoreprésents.Jemesouviensparfaitementdujouroùj’aienfinposédesmotssurcequ’ils’étaitproduit.Ilm’afalludelonguesheurespourouvrirlabouche.C’étaitaprèsl’hôpital,aprèsVic.J’ai regardé la femmeduFBIquiétaitenfacedemoi,patiente,et inquièteà la foisdemevoir réagiraussicalmement.Jeluiaiditquejeneleraconteraiqu’unefois,qu’elleavaitintérêtàbientoutenregistrerouànoter,carjamaisjen’auraislecouragederéexpliquer.Ellel’afait.Elleaenclenchélacaméra,etm’aécouté,longuement,sansjamaism’interrompre.Jen’aipas pleuré une seule fois, je suis resté demarbre alors que je lui racontais en détail ce qu’il s’étaitproduit,sansjamaislaménager.Ellevoulaitlavérité,ellel’aeue.Etaujourd’hui,lesmembresdujuryetlespersonnesdanslasalledutribunallaveulentégalement,mêmesicen’estpaspourlesmêmesraisons.Revivrecequecetteordurenousafaitendureràtraverslesexposésintroductifsduprocureurmedonnefroiddansledos.Pourtant,alorsquelePrésidentdelasalleindiqueàBennetqu’ilpeutcommencer,monregardsetourneversl’hommeencostumequinecessedenousdévisager.Jesoutiensceregardfroidetremplidevices.Pasbesoindemotspoursecomprendremêmeaprèstoutcetemps. Je sais quenousnous comprenons à cet instant précis où le procureur annoncequ’il est prêt àentamerlesdeuxpremièresphrasesdesexposésintroductifs.Trumansaitque toutn’apasété révélé, il saitquenousavonsétouffécertaineschoses,qu’il restedesparts demystères et des secrets que nous seuls, c’est-à-dire,Vic, lui etmoi, savons. Il sait que noussommes restés silencieux à ces sujets pour nous protéger de lui, et des autres. Il sait que ce sont desarmescontrenous.Jesaiségalementqu’ilattendçadepuistellementlongtemps:finirsonœuvreennousachevantavecnospropresdémons.J’espèrequemêmes’iljouecescartesignobles,jeneflancheraipas,pourVicetpournous.

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Chapitre6Vic

10juin2002Lancaster,PennsylvanieLesfleurs,larose,lalavande,lapivoinec’estl’odeurquedégagentmesdrapsetquimefaitsourire.Jesuischezmagrand-mère,emmitoufléedanslachaleurréconfortantedemonlit.Jerouleenriant,heureusedesentircetendroitfamilier,jusqu’àcequejetombeparterre.Monvisageheurtelesoldurementetleschaînesquiretiennentmachevillemerappellentfroidementoù je suis. Pas chez ma grand-mère, ni chez mes parents, mais dans cet endroit dont j’ignore lalocalisation.Cettepièceoùmoncauchemardevientréalité.Je tournesurmoi-mêmeetmesyeux fixent leplafond. Il fait sombreencore,c’est sûrement lanuit,celui qui nous a enfermés là n’a pas allumé les lumières.En vérité il pourrait être trois heures del’après-midi que je n’en saurais rien. Depuis trois mois maintenant, c’est lui qui décide de notrerythmedeviecommedureste.Jecomptelesjoursàchaqueréveil,quandlalumièreestallumée.UnbruitàmadroitemefaittournerlatêteetReaganmerejointsurlesol,allongésurledosluiaussi.J’aperçoisàpeine sonvisage, jedistingue seulementdes formes,mais son image je laconnaisparcœuràprésent.—Uncauchemar?ildemande.—Non,unrêveparfait.J’étaischezmagrand-mère.Samainprend lamienne, il la serredoucementetonresteainsi,moià le regarderet luià fixer leplafond.Dansmoncalvaire et aussi égoïsteque çapuisseparaître, je suisheureusedenepas êtreseule,d’avoirquelqu’unàquiparlerquimepermetdenepasdevenirfolle.Reaganestsolide,jenel’aijamaisentendupleurer.Lanuitparfoisilfaitdesbruitsquipeuvents’assimileràdescris,maisilnepleurepas,jamais.Alorsquemoi,j’aicraquéplusd’unefois.—Qu’est-cequ’ilveutdenousReagan?Cettequestionmehante,jen’enpeuxplusdemedemanderchaquejourcequinousattendetcequ’ilattendpouragir.Qu’est-cequ’ilveut?Pourquoi ilnousaenlevés, tous lesdeux?Qu’est-cequ’on

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fait là, dans cette pièce sans jamais voir la lumièredu jour? Je vais devenir folle àmeposerdesquestions,àessayerdecomprendrel’incompréhensible,toutenmedemandantsij’aivraimentenviedecomprendre.Ça fait troismoismaintenant qu’on cohabite par la force des choses avecReagan et si son visagem’était familier, on ne fréquentait pas le même genre de cercle d’amis. Reagan fait partie desinclassables, de ceuxqui sont sportifs, rebelles, et intelligentsalorsquemoi, je suis la fillepasse-partout.Cellequ’onneremarquepas.Ilmeparledesavie,desasœur,dubaseballetdesonéquipepréférée.Jeneconnaisrienausport,maisj’écouteetparfoisjemesensailleursenfixantsonregardvert. Il réussit à me transporter dans la vie normale l’espace de quelques minutes. Reagan litbeaucoup,moi je feuillette, je n’ai jamais tropaimé lire, j’ai besoind’imagespourm’évader et desons.Alorsilmelitdeshistoiresparfois,ilenchoisittoujoursdesdrôlesetletempspassecommeça.Lematinilaprispourhabitudeavantlepetitdéjeunerdefairedesexercices,parfoisj’enfaisavecluipour détendre mes muscles qui à force de tourner en rond me réclament de l’effort et à d’autresmomentsjel’observe.Pourungarçondesonâge,ilestplutôtfort,lesportadéjàfaitsoneffetsursoncorpsd’adolescent.— J’en sais rien, dit-il en passant une main dans ses cheveux. Il joue avec nos nerfs, il fauts’accrocherVicetnepascraquer.Sonvisagesetournedansmadirection,lalumièrejaillitetnouséblouituninstant.Pourtantonresteallongéssurleparquetàtenterdeseregarder.Jenevaispastenir,psychologiquementjesuisauborddelacrisedenerfs,ledoute,lapeurcontinuelleàchaquebruitvamerendrefolle.—Ontrouveraunmoyendesortird’ici,enattendantaccroche-toi.On a fait des centaines de fois le tour de la pièce, à la recherche d’une minuscule particule quipourraitnouspermettredenousenfuir,maisonestenchaînésaumur,rienqu’aveccettechaîneonestcondamnésàresterlà,tantqueCooperl’auradécidé.Ilnevientpas,onnel’avuqu’unefoisetsonregardhantemescauchemarsdepuis.Lefrigoestremplipendantqu’ondort,lelingesaleramasséetlepropreremisdansnosarmoires.Commesideslutinsœuvraientpendantlanuitpourfairetoutescestâchespendantnotresommeil.Maismêmesijen’aique14ans,mêmesij’ailongtempscruauxcontesdefées,aujourd’huijesuiscertained’unechose,c’estquelesmonstresexistentbeletbien.Lebruitduverroudelaporteretentit.Moncœurfaitunsaltodansmapoitrine,onsedévisageavecReagan,lesyeuxbienouvertsàprésentensedemandantquoifaire.Ilmemontremonlitdumenton,jem’empressederemonterdessus,ilfaitpareildanslesienetjerabatslescouverturessurmatête.Jetremble, lapeurest tellement forteque jen’arriveplusàrespirer.Jemordsmonpoingpournepashurler en entendant des pas se rapprocher. J’ai envie de hurler comme j’ai envie de prendre moncourage,demeleveretdefrappercetenfoirépourcequ’ilnousfait.Maisjenefaisriendetoutça,tétaniséeparlapeur,jemecontentedetrembleretdesentirmoncœurcognercontremapoitrine.«Accroche-toi»,jemerépèteinlassablementcesmots,ceuxdeReagan,jedoism’accrocher,nepascraquer,nepasdésespéreretavoirconfianceenlui.On tire sur ma couverture, je m’accroche à elle de toutes mes forces, comme si elle pouvait meprotégerdeCooper.Maistropviteilréussitàlaretireretjemerecroquevillesurmoi-même.—C’estlegrandjour,dit-ildesavoixgraveetfroide,deboutprèsdemonlit.

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Jenecomprendsriendecequ’ilraconte,tropoccupéeàavoirpeur,maisReagan,lui,abienentendu.—Legrandjourpourquoi?ildemande.—Paspourtoi,pourelle.Samainseposesurmonbrasjehurlepourqu’ilmelâche,maissamainrevientfrappermajouepourmefaire taire.Jeroulesurmonlitpourm’éloignerde lui,sanscrier.Reagantentede lerepousser,maisluiaussiprenduneclaquequilefaitàpeineflancher.Jeregardemoncolocataire,laragedanssesyeuxetjemelève,lesjambestremblantesavantqu’ilnefasseuneconneriequiluivaudraitplusquedescoups.CooperfaittomberReagansursonlit,ilsortunliendeserragedesapoche,àcroirequ’ilavaitprévularéactiondeReagan.Ilattachesesmainsaulit,Reagansedébatautantqu’ilpeut,ilprendd’autrescoupsetmalgrétoutesarageiln’estpasassezfortpourbattreCooperetsacarrured’homme.—Qu’est-cequevousallezluifaire?Laissez-latranquille!Reaganhurle,sedébatettentedesedétacher,maisàpartsefairemaliln’obtiendrariend‘autre.Unesortede résignation s’emparedemoialorsque je le vois faire tout cequ’ilpeutpourmeprotéger.C’esttroptard,onnepeutrienfairecontreCooperilnoustientetmêmesijesuismortedepeur,jemedisques’ilmetueaumoinsjeserailibre.—C’estbonReagan,çavaaller.Ilarrêtedesedébattrepourmeregarder,sesyeuxvertsgrandouverts.J’essayedesourire,mais jesens une larme couler sur ma joue. Je suis morte de peur, et si j’essaye de jouer à la dure c’estseulementpourlui,pourqu’ilneluiarriverien.Coopersaisiviolemmentmonbras,mesyeuxrestentrivéssurReagan,jelevoishurlerdenouveauetsedébattre,maisjen’entendsrien,jemecontentedesonimageenmedisantquesic’estladernièrechosequejedoisvoir,c’estbien.Coopermebandelesyeux,détachelachaîneàmachevilleetsansperdredetempsilmefaitbasculersursonépaule.Lenoirquim’entouremefaitreprendrepieddanslaréalitéetjemedébatsalorsqu’ilavance.Mespieds,mespoingsfrappentsondos,sonventre,maisriennel’arrête.Jemets toutemaforceengendréeparlapeuretcetinstinctquimeditdemebattrepoursurvivre.Maisrienn’yfaitmespetitspoingsnefontriencontrecethommequejevoudraistuer.J’entendsleverrouetjecessedelefrapper,messensencoreopérationnelsàl’affutdumoindreindicequim’indiqueraitoù jesuis.J’entends leparquetgrincer, jesensàsadémarchequ’ilmonteetuneodeurdefrituresefaitressentir.Ilavancecequimesembledesheuressansriendirepuisilmeposeparterre.Sousmespiedsnusjesensunsolfroidetjesuiscomplètementdésorientée.—Tuvasm’écouterattentivement.—Laissez-moi.

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Mavoixtremble,jesuistétaniséeetc’estencorepirequandjel’entendsrireàmonoreille.—Tuvascommencerparprendreunedouche,ensuitejem’occuperaidetoi.Necherchepasàcrierouàt’enfuirçaneserviraitàrien.C‘estbienclair?Sa voix neme laisse aucune échappatoire, elle est dure etme fait bien comprendre qu’aumoindremouvementdemapartj’enpaieraileprix.J’acquiescedelatêteincapabledeparler.—Trèsbien.Ilsedéplacederrièremoietlebandeausurmesyeuxtombe.Jedécouvreunesalledebain,spacieuseenmarbrenoir,digned’ungrandhôtel.EllemerappellecellequemesparentsonteuedansleurhôteldeNewYorkpourlevoyaged’anniversairedemariagequelafamilleleuravaitpayé.—Déshabille-toi.Je sursaute, il est toujoursderrièremoi et je sens toutmoncorps se raidir en comprenant cequ’ilvientdedire.Jepenseàmesparents,àmonfrère,àmagrand-mère,àtoutescespersonnesquidoivents’inquiéterpourmoi,quidoiventsedemanderoùjesuisàprésentetpourquoijenesuispasrentréeàlamaison.J’aimerais tellementêtreà lamaison,entendremonfrèrecourirdans lecouloirunBuzzl’éclairdanslamain,mamèrequinouscriededescendrepourledineretretrouvermonpèreentraindedéfairesacravatecommetouslessoirsaprèsletravail.Jeveuxrentrerchezmoi,etretrouvermafamille.—Déshabille-toi!Jesursauteenpleurantpuisjem’exécuteentremblant.J’aidumalàenleverlet-shirtquimesertdepyjamaetsurtoutjen’enaipasenvie.Meretrouvernuedevantlui,soussonregarddégoûtant,jenepeuxpas.—Dépêche-toi,ouc’estmoiquilefais.Ilchuchotecontremonoreilleet ledégoûtquej’éprouvepour luine faitqu’augmenter.J’essayedecontenirmes tremblements,de fairecequ’ildemandeparceque jeneveuxpassentirsesmainssurmoietpetitàpetitjemedéshabille.Mont-shirt,monshortetmaculottefinissentparterre.Ilrestederrière moi alors que j’essaye de cacher ma poitrine et mon sexe avec mes mains. Je l’entendssoupirerpuis il fait le tourpourallerallumer l’eaude ladouche. Ilme tourne ledoset jeregardepartoutautourdemoipour trouverunmoyendem’enfuir,maisàpart laporte fermée il n’yapasd’issueetrienquim’indiqueraitoùjemetrouve.—Viens.Je sursaute de nouveau au son de sa voix, jeme tourne vers lui, son regard glisse surmon corpsdénudéetinstinctivementjemeretourne.

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—Vic,entredansladouche.Jecommenceàcomprendreoùtoutcemanègevamemeneretcommel’idiotequejesuis jen’avaisrienvuvenir,maismaintenantavecceregardtoutestclair.Jeneveuxpasqu’ilmetouchequ’ilme…jeneveuxpas.Sesmainssaisissentmesbras,ilmesoulèveetmedéposesouslejet.C’estunedoucheàl’italiennecomplètementouverteoù il n’yapasde vitre,oudemurpourmecacher. Il restedevantmoiàmeregardercomplètementnuedevantlui.—Nefaitespasça…s’ilvousplait,pasça.—Lave-toi,dit-ilensouriantfièrement.Je ne bouge pas, je reste stoïque sous le jet d’eau chaude à le supplier du regard, mais j’ail’impressionquec’estbiencequ’ilattenddemoi,quejesupplieetl’imploredenepasmetoucher.Jeleferais,siçapermettaitdel’arrêterjeferaistoutça.—Lave-toi,oujem’encharge.Je tombe à genoux sur lemarbre dur, je pleure, supplie, crie, implore qu’ilme laisse, qu’il nemetouchepas,quejeveuxretourneràmavie,revoirmesparents,quejeveuxrentrerchezmoietqu’ilarrêtedemetorturerainsi.Maisrienn’yfait,l’eauetmeslarmesbrouillentmavue,maisjelesenss’approcherdemoi.Ilsaisitviolemmentmescheveuxetmefaitredresserlatête.Ilestdeboutdevantmoi,monvisageàhauteurdesonentrejambeetjeremarquelabossegonfléesoussonpantalondecostumetrempéàprésent.—J’adoretevoiràgenouxmesupplieretcrois-moi,tuvaslefairesouvent,maisc’estmoiquidonnelesordresVic,faitcequejetedemandeettoutirabien.Rienn’irabien,ilvamevioler,ilva…lanauséeestderetourmonestomacsesoulève,maisilestvideetrienn’ensort.Ilritettiresurmescheveuxpourmeredresser.Jemelèvesousladouleurdemoncuirchevelu,mespleursneveulentpascesseretjecroisqu’ilsnecesserontjamais.Ilversedushampoingsurmatête,ilfrottemescheveuxalorsquejeresteinerteàcachermapoitrineavecmesbras.Sesmainsglissentensuitesurmesépauleset jem’éloigned’unbondjeneveuxpasqu’ilmetouche.Alorsjemelave,soussonregardlubriquequejefuisautantquejepeux.Jem’exécutemécaniquementenessayantdenepasperdrepied,depenseràautrechose,maisjenepeuxpas.L’eausecoupeunefoisquejesuisrincée,ilm’attireàlui,sesmainsseposentsurmoncorpsetjemedébatscommejepeux,mais làencoreçanesertàrien. Ilest trop fortpourmoi.Samainglisseentremesjambesfermées.—TuesviergeVic?Jedéglutisdedégoûtenlesentantmetoucherlà.Sondoigtentreenmoimetirantuncridedouleur.—Oui,tuesvierge…

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Çaal’airdeluifaireplaisiretjeregrettedenepasavoircouchéavectouslesgarçonsquiontcroisémaroutepeut-êtrequeçam’auraitépargnédevivreça,desentircemonstredégoûtantmetoucher.—Onvas’occuperdeça,dit-ilencaressantlespoilsdemonpubis,jeteveuxtoutelisse.Ilmerelâche,jeretombeàgenouxsurlemarbre,ladouleurdelachuten’estriencomparéeàcellequejeressensdansmonventre.Jenepeuxpassupporterça,jenepeuxpaslelaissermetoucher,jenepeuxpas.Ilrevientmefaitbasculeravecsonpiedsurmesfesses,jesuisduchiffonpourlui,manipulablecommeill’entend.Jenesuispasunêtrehumain.—Écartelesjambes.Jerelèvelatêtedanssadirection,ils’agenouilledevantmoi,unsouriresadiquesursonvisagefroid.—Fais-leVic.Ilfautquetucomprennesquesitunefaispascequejetedisjeteforceraiàlefaire.Je m’exécute en pleurant au comble de l’humiliation, j’écarte mes jambes et lui donne une vueimprenablesurcequifaitdemoiunmembredusexeféminin.Jedétourneleregardsurleplafondensentantsesmainsseposersurmoi.Ilmecaresseetmesjambesseresserrentpourl’enempêcher.Ilfrappemacuissepourquedenouveaujelesécarte.J’obéisenpleurant,dehonte,depeur,dedégoût,delui,demoi,detoutcequisepasseetquimefaitmal.Ilposedelamoussesurmonpubispuislerasoir surmapeau. J’aimerais qu’ilme coupe, qu’ilme tue plutôt que de sentir ça. Sansmême leregarder, je sens le plaisir qu’il prend à m’humilier, à me rabaisser à un simple objet pour sonamusement.Ilmeparlependantqu’il faitdisparaître lespoils. Ilparledemoncycle,qu’ilasurveilléces troisderniersmois,quejenedoispasm’inquiétersonbutn’estpasdememettreenceintequ’ilm’utiliseraquequandjenerisquerairienàceniveau.Jen’encroispasmesoreilles, toutçan’estpasréel, riendeçan’existepourdevrai.Cen’estpaspossiblecegenredechoses,jenesuispasdansunesalledebainlesjambesécartéesentraindemefaireraserparl’hommequicomptemevioler.Çanepeutpasarriver.Jeneveuxpasqueçaarrive,jeneveuxpas!Il terminepuismefaitpassersouslejet, jeresteinerteàlelaisserfaire,souslechoc.Ilmesèche,passedelacrèmesurtoutmoncorpspuisilmeremetlebandeausurlesyeux.Nue,ilm’entraîneendehorsdelasalledebain.J’avance,j’ignorecomment,monespritsedéconnectedemoncorps,jelelaissefairecequ’onattenddelui,maisjenesuispluslà,mapsychéadisparuetj’espèrequ’ellenereviendrapas,qu’ellenelelaisserapass’emparerd’elle.Ons’arrête,ilm’enlèvelebandeauetjedécouvreunechambre,avecunlitàbaldaquinauxtenturesblanches, aux draps blancs tout est blanc et pur alors que pourtant ce qui va se passer dans cettepièce est le comblede l’horreur.Monesprit semble se reconnecteravec la réalité,moncœurpulsedansmapoitrineilfrappeviolemmentpourmemontrercequivaarriversijerestelàànerienfaire.Coopers’éloignedemoietj’enprofitepourmeruersurlaporte.Elleestferméeàclef,maisjetiredessusdetoutesmesforces,jehurle,frappeetappelleàl’aidepourqu’onmesortedececauchemar.Ilm’attrapeparlesbras,qu’ilpressedansmondosl’uncontrel’autreetsoncorpsdégoûtantvientse

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frottercontremoi.—Hurle,débatstoi,j’aimeça,maistunepourraspast’enfuir.Jecessedemedébattre,jeneveuxpasluidonnersatisfaction,maisjenepeuxpasnonpluslelaisserfairesansmedéfendre.Ilmejettesurlelit,jemerelèveimmédiatement,ilmefrappe,samainclaqueviolemmentmajoueetmerenvoiesurlelit.J’entendslebruitdesesvêtementsquitombentetlapeurn’en peut plus d’inonder mon corps. Je me relève de nouveau, il est torse nu et je me retrouveprisonnièreentresesbras.Jegriffe,jemords,jefrappeetluiilrit,amusédemoncomportement.—T’esunevraietigressesoustesairsdegentillepetitefille.Ilmejettedenouveausurlelit,maiscettefoissoncorpsvientseplacersurlemien.Ilemprisonnemes poignets dans une de sesmains etme force à écarter les jambes pour venir s’y frotter. Jemedébatsdeplusbelleenhurlantenfrappantavecmesjambesetlaclaquequ’ilmedonnecettefoismesonne.—Çasuffitmaintenant,tuvastelaisserfaireettoutirabien.Sinondit-ilenramenantmonvisageenfacedusien,Reaganpaierapourtoi.Jemefigesoussonsouriresadique,Reagan…jenepeuxpaslelaisserpayerleprixdemeserreurs,jeneveuxpasqu’ils’enprennealui.Cooper relâche mes mains, elles restent à leur place, trop effrayée pour bouger, trop apeurée dedonneràCooperlemoyendefairedumalàlapersonnequipartagemoncalvaire.Jepeuxl’endurer,jepeuxlesupporter,maisfairesouffrirReaganàcausedemoi,jenepeuxpas.Cooperseredresse,laboucledesaceintures’ouvresoussesmainsetjesaisquelepireresteàvenir,maisjeseraiforte,jeseraicapabledel’encaisser,pourReaganpourqu’aumoinsl’undenousdeuxresteenvie.

***Après avoir remis ma chaîne, Cooper enlève le bandeau de mes yeux, j’entends Reagan hurler,demanderdesexplications,maisiln’obtiendrarienduperversquinousdétient.Coopers’approchedeluietdéfaitleliendeserragequimaintenaitReaganattachéàsonlit.Ilneperdpasdetemps,ilseredresseetlefrappe,maisuncoupdepoingdelapartdeCooperlemetàterre.Cooper passe à côté de moi, sa main caresse ma joue tuméfiée par ses soins, je me retiens dem’éloignerenfrissonnantdedégoût.—Àbientôt,majolie.Ilsortdelapièce,jerestedebout,inerteàfixerlevideenmedisantquepleurernesertàrien.JesensReagans’approcherdoucementdemoi,commeons‘approched’unebêteapeurée.Derrièreleslarmesquemesyeuxtententdecontenir,jevoissonvisage,rougiparl’impactdupoingdel’autredégénéré.

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Ilme parle, je n’entends rien, j’ai un bourdonnement dans les oreilles qui ne veut pas partir.MesjambesnemesoutiennentplusetReaganmerattrapepourquejenem’écroulepas.J’aiunmouvementde recul en le sentantme toucher,maisquand je sens sonodeur,douce, jeme laisseallerdans sesbras.J’ail’impressionderetourneràlamaisonenlesentantcontremoi,ensentantsesbrasmeserreretsesmotsquiarriventàsefaufilerjusqu’àmoncerveau.—JesuislàVic,jesuislà.Ouitueslà,Reagan,tueslàettun’asrien.Moijesuismorte,ilm’atoutpris,ilaprismoncorpsetmonamourpropre,ilaprismadignitéetmavirginité.Ilm’atoutpris,maistoitueslà.Reaganmeconduitjusqu’àmonlitoùilmedéposedoucement.Sesbrasmelâchent,maisjeleretiens.Sesyeuxvertsscrutent lesmiensavecintérêt, jesuis incapabledeparlerpourlemoment,maisj’aibesoindelui,besoindelesentiralorsquepourtantunhommevientdemevioler.MaisReagann’estpascethomme,ilestmonami,celuipourquicequivientdesepasseraunsens.Ils‘installeavecmoidansmonlit,sonfrontposécontrelemienetjerespire.Jeprendstoutl’airqu’ilyaentrenousetjepleure. Reaganme serre dans ses bras sans rien dire, seulement à être là et je savoure ce contacttendreaprèslaviolence,jesavouresadouceuraprèsl’horreur.J’enaibesoin,ilestvitalcecontactquimeditquejenesuispasseule,qu’ilestlàavecmoi.Les larmes se tarissent au bout d’unmoment, j’ai l’impression d’en avoir relâché des litres et deslitres.J’enaimalàlatête.Reaganmerelâcheunpeuetjemeretournedoscontrelui.Ilpenseàtortquejeneveuxplusdeluiàmescôtésettentedeselever,maisjeleretiens.Jepassesesbrasautourdemonventreetsoncorpsvientengloberlemiencommeunebarrièrecontrelemondeentier.—Lesoiroù jemesuis faitenlever, je lanced’unevoixenrouée, j’avaisunrendez-vousavecJohnMcArthur.Jem’étaisditques’ilvoulaitdemoi,jelelaisseraisfaire.Jerepenseàcettesoirée,àmonmensongeàmesparentsquicroyaientquej’allaispasserlanuitchezTracyquielledevaitmecouvrirencasd’appeldemesparents.Ilsn’ontpasdûs’inquiéteravantlelendemainaprès-midietsûrementqueTracym’imaginaitdanslesbrasdeJohn.—Jevoulaisunepremièrefoisaveclui…jevoulais…Lesmotssemeurentdansmagorgeetleslarmesdehonte,dedésespoirreviennent.Reaganmeserreplusfortcontreluietj’aimeraisêtrecapabledem’enfouirdanssoncorps,m’ycacheràvieetneplusmesentirautrementqu’ensécurité.Je sens des gouttes humides tomber dans mon cou, mes soubresauts de larmes s’arrêtent. Je meretournepourregarderReaganetcequin’étaitjamaisarrivédepuisqu’onesticiarriveenfin.Reaganpleure, doucement, sans bruit, les larmes s’écoulent de ses beaux yeux verts. Je caresse sa jouemeurtrieparlescoupsetleslarmes,ilfermelesyeux.—JesuisdésoléVic,tellementdésolé…—Chut,dis-jetoutbas.

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Cen’estpassa faute,cen’est la fauted’aucundenous,maisseulementcelledupsychopathequiadécidédefairedenoussesproies.EtjecomprendsmaintenantenvoyantReaganpleurerqu’ilaréussiàfairedenousdesdépendantsl’undel’autre.Ilnousalaissécestroismoisensemblepourqu’onseraccroche à l’autre comme à notre dernière bouée, la seule capable de nous protéger et de nousmaintenirenvie.Etsic’estnotreforce,c’estaussinotreplusgrandefaiblesse.Onnelaisserajamaisl’autresouffrirànotreplaceetçanousconduiraànouslaisserfairepourprotégerl’autre.

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Chapitre7Reagan

15Avril2016Philadelphie,Pennsylvanie.Jesoupireenvoyantlapersonnedegardeduservicedespiècesàconviction.J’aidûmanqueruntourdegarde, car jem’attendais à trouver Jerryderrière la grille d’entréede l’immensepièce regroupant lespreuvesdesaffairespolicièresdecesvingtdernièresannées.Malheureusementpourmoi,c’estNanaquiestdegardeaujourd’hui.Nanaestuneflicd’unecinquantained’année,d’originemexicainequiparletrèsfortetveuttoujoursavoirraison.Jerrym’aracontéqu’elleaélevéseulequatreenfantsetqueriennepeutl’attendrir.Mêmepasuneboitedechocolatsquimecoûtelapeauduculetquiravitl’autregardien.Jedévisagelaflicenarrivantàsahauteur.Ellenelèvemêmepaslesyeuxetdéclare:—Kane,leretour.Remballeteschocolats,jenesuispasJerry.—Salut,Nana.Jeposelaboiteàcôtédemoienladévisageant.—Turessemblesauchatd’Alice.Ondiraitquetuvasdéchirertesjouesavectonsourireforcé.—Alors,épargne-moiçaetlaisse-moientrer.Nanatournelapagedesonjournalensecouantlatête.Jejureettentederesterlepluscalmepossible,sinon,j’enaipourunebonnedemi-heuredediscussion.Jem’apprêteàouvrirlaboitedechocolatpourtenterdeséduireNanaquandlasonneriedemonportablepersonnelrésonne.Jelecherchedanslesnombreusespochesdemonjean,etfinisparletrouveravantderaterl’appel.—ReaganKane,jeréponds.—Euh…Salut?Jemetaisenreconnaissantcettevoixtimideetpresqueétouffée.L’interlocuteurestvisiblementsurpriset

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gênédemevoirdécrocher.Jem’apprêteàl’envoyerbouleravantdepercuterl’identitédelavoix.—Vic?—Oui,salut,Reagan,jetedérange?Jedoissansdoutetedéranger…—J’attendaistonappel,jelacoupe,doncnon,tunemedérangespas.Et c’estvrai,depuisquenousnous sommesvusdans les toilettesde lapizzeria, j’attendais sonappelavecimpatience.Àchaquesonnerie,j’espéraisvoirunnuméroinconnus’afficheretaumomentoùjen’ypensaisplus,elleest là,dernièresonportable,àfaire lescentpaschezelleensedemandantsielleabienfait.Lesilences’installe,etsonhésitationm’aprisdecourt.Jepasseunemainnerveusedansmescheveuxnoirsenpensantqu’uneclopemedétendrait.J’ail’impressionquecettefutureconversationestpérilleuseetprimordialequantàlasuitedesévénementsavecVic.— Je ne suis pas à Lancaster aujourd’hui, mais à mon retour, j’aimerais te voir, je lui propose denouveau.—Oùes-tu?mequestionne-t-elle.Vicsetaitavantdes’excusersubitementcommesielles’étaitmontréeindiscrète.—Désolée,çanemeregardepas,laquestionestsortietouteseule.—Iln’yariendesecret,jesuisàPhiladelphiepourleboulot,jerevienscesoir.Jesuiscontentquetuaiesappelé.Çateditdevenirdéjeuneravecmoidemain?jeproposedebutenblanc.Silenceàl’autreboutdufil,etmêmeàplusieursdizainesdekilomètresd’elle,jeperçoissondoute.Vicsembleselivrerbatailleavecelle-même,etçadepuisquejel’airevue.Elleachangé,soncomportementaveclesautresaussi.Ellen’étaitpascommeçailyadixans.Jemerappelleencoredesonregardbleuetpresqueéteintlorsquejel’aicroiséelapremièrefois,etcetéchoquidisait«j’aipeurdecettefoule».Vicestterroriséeparlavie,etjenepeuxquelacomprendre.—Undéjeuner?répète-t-elle.Unlégersouriresedessinesurmeslèvres.Ellesemblesurprisequejel’inviteaurestaurant,commesic’étaitétrange.—Tupréfèresundiner?Jeconnaisunsympathiquerestaurantfrançaisàlasortiedelaville.—Non,non,ceseratrèsbien.Nesoispassidistante,j’aienviedeluidire.Maisjem’abstiens.—Tuveuxquejeviennetecherchercheztoi?Tueschez…

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—Magrand-mère,pourlemoment.Mamèreresteraavecmoidurantletempsduprocès,quantàmonpère,ilvarentrer.Net’embêtepasàvenirmechercher,jeviendraisansdouteunpeuenavance.Tantmieux,bondébarrassisonvieuxsetire.Jen’aitoujourspasdigérénotrediscussiondeladernièrefois.Maisçaaussi,jem’abstiensdeluienparler.—Alors,onsedit11h30devantl’OrientalChineseRestaurant?C’estprèsdeColumbiaAvenue.—D’accord,11h30devantlerestaurant.Jem’apprêteàluidiredepasseruneexcellentejournée,qu’entendrelesondesavoixm’alevéunpeudepoids,maisVicmeprenddecourtenmedemandantsanspréavis:—Pourquoiveux-tuquenousnousvoyions?Jemefige,etencaisselaquestion.Elleestsiméfiantequeçamedonneraitenvied’userdemespoingspourcetteinjusticedontonfaitpreuve.C’estmoi,etellesecomporteavecdistance.—Ilmefautuneraisonpourvouloirpasserdutempsavectoi?jel’interrogeàmontour.—Non,c’estjuste…—Juste?—Tuasunevie.Jesoupire,j’adoreraissavoirquiluiamisçaentête.Commesij’étaispasséàautrechose.Jesurvismoiaussidanscemilieuhostilequ’estlavie.Mavies’adapteàcequ’ilsepasse.—Mavieestbienpluscompliquéequetunelepenses,Vic.Jesuisunadulte,maintenant,jesuislibredefairecequejeveux.Etj’aienviedepasserdutempsavectoi.Maistoi,est-ceque…—J’aimerais,oui.—Parfait,jerépondsdansunsouffle.Maistantdequestionsdemeurent,elleveutpasserdutempsavecmoimaisena-t-ellevraimentenvie?Oubienlefait-elleparpolitessepourmemontrerqu’onn’aplusrienàfaireensemble?J’ensaisrien,etçam’agace.J’arriveàcernerlesgensdésormais,parmonboulot,maisVic, jen’yarrivepasetçameronge.—Reagan?Jesorsdemespenséesenl’entendantprononcermonnom.Jemeraclelagorgeenpoursuivant:

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—Oui?—Ceserajustepasserdutempsensemble?—Tuneveuxpasparler,jedemande,sansvraimentdemander.—J’aienviedejustepasserunpeudetempsavectoi…avantça.Jenerépondspas toutdesuite, le tempsdecernersesmots.Et jecomprendsànouveau.Cen’estpasfaciledeparlerduprocèscommeça,debutenblancalorsqueçafaitdixansquenousnenoussommespascôtoyésd’aussiprès.Nousavonspeut-êtrevécucesévénements,maislavienousaséparés.Dixansontpassé,nousavonschangé,etnosblessuresn’ontsansdoutepascicatriséàlamêmeallure.Vicveutsansdoutevoiràquielleaaffaireàprésent,etçameva.—D’accord,çameva,jedéclareenpassantunemaindansmescheveuxnoirs.—Merci.—Vic?jereprends.—Oui?—Nesoispasstresséeoumalàl’aiseavecmoi.—Je…—Je l’entendsausonde tavoix, tu tedemandesencorepourquoi tuascomposémonnuméro.JesuisReag,Vic,pasuninconnu.Elleneditriendeplus,etjepensequec’estsuffisantpouraujourd’hui.—Çam’afaitplaisirderecevoirtoncoupdefil,jeluiconfie,demavoixgrave.—J’étaiscontented’entendretavoix.Àdemain.PuisVicraccrocheaussivitequ’elleaappelé,dansuncoupdevent,sansprévenir.Ellevient,frappe,ets’enva,melaissantfigé.—Àdemain,Vic,jesoupireenrangeantégalementmonportabledanslapochedemonjean.Je me tourne vers Nana, qui me snobe toujours, le nez dans son journal qu’elle ne lit même pas. Jem’accoudeaucomptoirensoupirant.—Écoute,Nana,jenesuispasd’humeuràmebattreavectoi,j’aibesoind’accéderàundossierpourmaprochaineémission.—Tun’esjamaisd’humeur,mefait-elleremarquerenhaussantunsourcil.

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OK,unpointpourelle.Maisc’estdansmanature,etdepuiscinqansquejeviensl’emmerderunefoisparsemaine,ellepourraitcessercettequerellestupidequiladivertit,certes,maisquimefaitperdreuntempsfou.—J’aiduboulot,etdelarouteàfaire,jerâleentapotantmamainsurlebois.—C’étaittacopineautéléphone?Qu’est-cequ’elleenaàfoutre.—Non,c’était…Compliqué.Jemetais,l’expressiondemonvisagesedurcit.Commentexpliquerçaàquelqu’un?Commentmettreunnomsurcette relationétrangequime lieàVic?Est-cequ’ilyaunedéfinitiondéjà touteprête?J’endoute.C’estbeaucouptropcomplexepourêtredéfinienl’espacedequelquesmots.Envoyantquejenepoursuispasmaphrase,monsilencefaitréagirlagardienne.—L’affaireTrumanadébuténon?déclareNanal’airderien.—Ouais,jelâcheamèrement.Nousn’ensommesqu’audébut,etdéjà,j’aimeraisêtreloindetoutça.Ellemetendleformulairedesignatureparlapetitefentedelagrilleendéclarantd’untonlas:—Onsebattraunautre jour, fiston.Vacherchercedont tuasbesoin,photocopie tes rapportsetsors.T’asdeuxheuresavantquejenetedégageàcoupdepiedaucul.Nana reprendson journalencontinuantdemâchersonchewing-gumtouten faisantminedenepasmeprêterattention.Jedate,inscrismesnometprénom,etsigneavantdeluiredonnerlafiche.—Tuesunange.J’attrapemonsacetattendsque lebipde laporteme l’ouvrepourpénétrerdans lesasquimèneà lapiècequim’intéresse.—Faux-cul,merépondNanavial’interphone.J’esquisseunlégerhaussementdeslèvres.—Vipère,jelanceavecamusement,enpénétrantdanslagrandesallepeuéclairée.Et étrangement, aumilieudecesdossiersqui regroupent l’horreuret le sang, jemesensbien, loindureste,maissurtout,trèsloindelaréalitéquidomineàl’extérieur.Ici, je ne suis qu’un curieux qui s’occupe des affaires des autres, en oubliant les siennes. Surtout enoubliantlessiennes.

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***16Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.Elleestlà.Enjeanett-shirtample,sescheveuxbrunsdétachés,etleregardperdudanslevidecommes’illuiétaitplussimpled’ignorerlemondealentour.Ellesembleaccaparéeparlalecturedelacartedurestaurantchinois.J’avance doucement pour ne pas l’effrayer, j’ai une demi-heure de retard, comme par hasard, monrédacteurenchefadécidédemetenirlapattepourmeparlerdeTruman.Jesaiscequecetenfoirévamedemanderetjen’aipasenviedel’entendre.—Excuse-moi,jesuisenretard,jelancederrièreelle,demavoixgrave.Vicseretourneenfaisantunbondenm’entendant.Ellem’offreunsouriretimideenfaisantminedenepasavoirétésurprise.—Cen’estpasgrave,j’aieuletempsdelirelacartedeuxfoisetdediscuteravecl’hommesushissurlesbienfaitsdupoissoncru.Ellememontrel’imbéciledéguiséenrouleaudeprintempsquidistribuedestractsauxpassants.IlssonttoujoursaussitaréscesJaponaisdanslerestaurantd’enface.—Salut,jedéclareenmepenchantversellepourembrassersajoue.LapeaudeVicestfraicheetdouce,etellefrissonneàmoncontact.Samainseposesurmonépaule,etelledéposeunbrefbaisersurmajouerâpeuse.—Salut,merépond-elleenprenantquelquescouleurs.Vics’écartel’instantd’après,commesic’étaitmieuxpourelle,unpeudedistanceentrenous.Jerespectesonchoix,carcebrefinstantaéveilléenmoiunecertaineréactionembarrassante,quimesurprend.Sonodeurféminineetsaprésencesontdeuxmixpuissantsetdangereuxpourmonself-control.L’espaced’unefractiondeseconde,j’aieul’impressiond’êtreunadolescentquidécouvrelesjoiesdecôtoyerlesexeopposé.Jemetsçasurlecomptedelafatigue,c’estplussimpleàgérer.—Onvamanger?J’ailescrocs.Tuaimeslechinois?jelanceenluiindiquantlerestaurantd’unsignedetête.—C’estunpeucommelejaponais?merépond-elleavecamusement.

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—Onvadireça,jepoursuisensouriant.Jeluiindiquedepasserlapremière.Jeluiouvrelaporteetellepénètredanslerestaurantcalmepourunmidi.Unserveurnousaccosteetnousaccompagneàunetableunpeuàl’écart.Ladécorationesttypiquede ce style de restaurant et une musique d’ambiance chinoise résonne dans les haut-parleurs. Vics’installefaceàlasalle,etjeprendslesiègededos.Ellecommandeunthéglacéetjeparssurunebière.Leserveurrepartquelquesminutesplustard,nouslaissantentêteàtête.Sonregardfuyantunpeulemien,lemiencherchantlesien.Lesilenceestaussipesantquenotreinterludedanslestoilettes.C’esttoujoursmoi,Vic.—Qu’est-cequitefaitrire?jel’interrogeenlavoyantseretenir.—Lasituation,j’ail’impressionqu’onestdevenusdeuxinconnus.Sonregardbleuaccrochelemien,etjecomprendsquederrièresonsouriregênéetadorable,ellecacheunegrandepartdevérité.—DixansontpasséVic,onaforcémentchangé.Tuesdifférente,etjesuisdifférent.Maisnousrestons,aufond,lesmêmes.Jesuistoujourslemecavecquituastraversélepire.Ettuesbeaucoupplusquetunelepenses,Vic.—J’aimetoujoursautanttavoix,meconfie-t-elle,tunesourisjamais?Jefroncelessourcils,surprisdesaquestion.—Qu’est-cequitefaitdireça?—Tuasuneexpressionsurpriseentesentantsourire,commesitun’étaispashabituéàça.Unpointpourelle.Jefrottemabarbedequelquesjoursenmedemandantdepuisquandjesuissilisible.MaisavecVic,toutestdifférent.Les autrespensentmeconnaître, et ellepenseavoir affaire àun inconnu, alorsquec’estfaux. Elle me connaît bien plus qu’elle ne le pense. La preuve, en deux minutes, elle a réussi àcomprendrequelquechosedemoi,quepeudegensontréussiàpercer.—Jenesuispashabituéàsourire,jen’aipasenviedemeforceraveclesautres,jelancenaturellement.C’estlavérité.Jenesuispaslàpourleurbonplaisir.Jen’aipasenviedefairesemblantaveccertains.Maispaselle.Leserveurrevientavecnosboissonsetnousindiquequelebuffetestdisponible.Jeleremercie,etlefaisdéguerpirrapidement.Pourlemoment,jeveuxparleravecVic.Visiblement,ellealamêmeidée.—Qu’est-cequetufaisdésormais?nousdemandonsenmêmetemps.Unrirenouséchappe,cequidétendlégèrementl’atmosphère.Ellemefaitsignedecommencer,etjemelance.

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—Tuasrepristesétudes,constateVic.—Ouais, quandça…s’est terminé, j’ai passéplusieursmois à reprendre ledessus,puismesparentsm’ontpousséàobtenirmondiplôme.Jel’aieuà20ans.Ensuite,j’aidécrochéundiplômedejournalistedans une école deux ans plus tard, et j’ai passé une autre année à me spécialiser dans les affairescriminellesenbossantauxcôtésd’agentsdeterraindanslesenquêtesnonrésolues.J’aiobtenuilyatroisans,undiplômedeprofiler.—C’estimpressionnant.—Cen’estrien.Ilmefallaituntravailpournepasdevenirfou,j’explique.—Alorstuenquêtessurdesfous,conclutVicavecunevisionfrappantedelaréalité.Je souris de nouveau, et j’ai l’impression que ça fait une éternité que je n’ai pas ressenti une tellenormalitéenmoi.Sourire,nefaispaspartiedemesqualités.Jesuisplutôtréputépourfairelagueule.—Jerelatelesfaitsd’autresfous,oui.—Ettonémission,qu’est-cequetuyfais?Jen’aijamaisregardéçaàlatélévision.—Tuvoislesdocumentaireshistoriquesqu’onpeutfairesurGeorgesWashington?—Oui.—Etbien,c’estpareil.Larédactionmeproposeplusieursaffairesetjechoisiscellequim’intéresseleplus. Après, c’est beaucoup de recherches, de retranscription des faits, et demontages pourmettre àl’écrandesdocumentsetunehistoirequin’existequedanslatêtedestémoins.—Etçateplait?—C’estuntravailcommeunautre.Jehausselesépaulesenbuvantmabière,envérité,j’avaisunbesoinpresquemaladifdetravaillerdansce milieu après ce qu’il nous était arrivé. J’ai besoin de m’occuper des autres pour ne surtout pasm’occuperdemoi.Maisjen’aipasenviedem’étalersurcesujet.—Ettoi?Tunem’aspasditdansquoitubossais,jel’interrogeàsontour.—Jetravailledansuncinéma.Jesouris,lecinémaetelle,c’estunegrandehistoired’amour.—C’estvrai,tupréféraisregarderunehistoireplutôtquedelalire.Tuesàquelposte?

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—Ouvreuse.—Etçateplait?jereprendssaphraseenprenantlemêmeairsûrdemoi.—C’estuntravailcommeunautre,merépond-elleensouriantlégèrement.Égalité.Nousnousdévisageonsplusieurs instantsetc’estcommesiun lienétrangese tissaitdenouveau,c’estcomme si cette connexion entre nous, qui avait été arrachée, se reformait.Dans nos bons jours, on setaquinaitdelasorte,etonaimaitça.J’aimaisça.Etjen’aipartagécettecomplicitéqu’avecelle.MêmeavecmasœuretParker,jen’aijamaispermisqueçaseproduise.—Ettufumes,constateVic.—C’estmieuxquelesmédocs.Ellem’offresonpetitregardcorrecteur,celuiqu’ellemefaisaitàchaquefoisquejevoulaisprendreunemauvaisedécision.Bonsang,commeceregardm’amanqué.Ressaisissais-toi.Jenelaisserienpasser,mêmeavecelle,c’esttropfrais.—Jesaiscequetuenpenses,jedéclare.—Jen’airiendit.—Maistesyeuxparlentàtaplace,jerétorque.—Tuestropbeaupourmourird’uncancerdupoumon,m’avoueVic.Unriresincèrementamusém’échappealorsqu’elleboitàlapailledesonthé.—Tupensesqu’iln’yaquelesfumeursmochesquiontledroitdemourird’uncancerdupoumon?jeplaisanteensouriantlégèrement.—Non,jepensequec’estuneraisondeplus,quec’estdugâchis.Je suis donc devenu trop beau. Mon cerveau masculin ne retient que ça. C’est pas mal pour monsubconscientderessentirçaaveccequ’ilsepassecesdernierstemps.Sansréfléchir,alorsqueVics’apprêteàseleverpourdécouvrirlacuisinechinoisedeLancaster,jeposelaquestionquimehantedepuisnosretrouvailles.—Tuasquelqu’un?jedemande.Vicserassoiefaceàmoi,elleposesonassietteetsecouelatête,sesyeuxsebaissentcommesielleavaithontealorsqu’ellem’avouedansunmurmure.—Non,personne.

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Ettoi?Ellen’osepasledemander.Alors,jelefaisàsaplace.—Iln’yaeupersonned’autredesérieux,aprèstoi,jeconfienaturellement.Maconfessionlasurprend,jelelissursonvisage,toutcommelasienne.Ilyaeudesfillesaprèselle,des coups d’un soir, des histoires sans lendemain.Des filles pour effacer son absence, pour ressentirseulement du plaisir dans les bras d’inconnues et rien d’autres. J’ai traversé ces phases loin d’êtreglorieuseavecceshistoiresdecul.J’avaisbesoindeçapourtenir.Maisjamais,jen’aiconnuetressenticequej’avaisressentiauprèsdeVic.Jamais.Visiblement,notrecaptivitéaégalementlaissédesséquelleschezellequin’ontpasétécicatrisées.Etjelacomprendsencore.—Ilyaunbutàtoutça?m’interroge-t-ellesansmeregarder.—Àcetterencontre?Aufaitquejeveuilletevoirendehorsduprocès?Vichochelatête,jetendsunemainprèsdelasiennepourlasaisir.Avecchance,ellenes’écartepas.—JenesaispasVic, jeréponds,entretoietmoi,c’est toujoursflou,mais j’aibesoindetaprésence,parcequ’onvarevivrecetenfer,etseuls, jenepensepasqu’onyarrivera.C’est toietmoicontre lesautres,commedepuisledébut.Affrontonsçaensemble,commeavant.—Et?Je sensmon cœur s’emballer face à la confession qui va suivre,mais je sais qu’au fond d’elle, ellepartagecettemêmeenvie.—Unepartégoïstedemoiaimeraitteredécouvrir,jereconnais.—Pourquoi?Jesoupire,maisnelâchepassamain,Vicserremêmelamienne,etj’ignoredepuiscombiendetemps,jen’aipasétéaussilarguéavecquelqu’un.—Parcequedixansontpassé,maiscertaineschosesn’ontpaschangé,j’avoued’unevoixrauque.—MaiscertaineschosesnousontdétruitsReagan,poursuitVicd’untontriste.—Etonenparlera,Vic,n’oubliepasquenousnesommesplusdeuxadolescentsayantvécu lespireschoses.Onavéculepire,etaujourd’hui,noussommesencorelà.Pourvivreunmomentterriblequeniellenimoi, n’aurions aimé connaître un jour.Mais j’ai appris que rien n’arrive pour rien dans la vie.Cettenouvelleépreuveenfaitpartie.

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—Tunesaisplusquijesuis,souffle-t-elle,d’unevoixdouloureuse.Monpoucecaressesamainfroide,luiattirantdesfrissonsquandjerenchérisd’unevoixplusgravequelanormale.—Alors,aide-moiàréapprendreàteconnaître.Faisonsquecesprochainsmoisnesoientpasseulementautourdeceprocès.Donne-nousunechanced’apprendreànousreconnaître,mêmeentantqu’amis.

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Chapitre8Vic

16Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.J’observe ma main dans celle de Reagan, sa grande main d’homme qui ne m’effraie même pas.Évidemmentquej’aienviedeleredécouvrir,detoutsavoirsurlui,qu’ilmedisecequ’ilafaitcesdixdernièresannées,commentils’enestsortiettoutcequifaitsavieaujourd’hui.J’aienviedetoutça,maisj’aiaussipeur.Oùçavanousmener?Je soupire en caressant samain àmon tour,ma vie est une répétition de routines sans surprises, sansdébordementetdepuisquejesuisderetouràLancastertoutestbouleversé.LeprocèsetReagan.L’unnevapassansl’autreetsijeveuxsurvivre,jesaisquej’aibesoindelui.Jelèvemonregardsursonvisage,Reaganmetendunsouriresincère,unquifaitbattremoncœuràunrythmeeffréné.J’enlèvemamaindelasienneetmeconcentresurmonassiettevide.—Cen’estpastoiquiavaislescrocs?jedemande.—Si,dit-ilamusé,allons-y.Onse lève,Reaganpassedevant et je le suis jusqu’aubuffet.Le restaurant estplutôt sympa, calmeettranquille,exactementcequ’ilnousfallait. J’observeReaganavancer, lapuissancequ’ildégageetquipourtantnem’effraiepas.Ilsuffitqu’ilmeregardepourquejesachequececorps,mêmes’ilachangéestcapabledelaplusgrandedesdouceursetqu’ilnemeferajamaisdemal.—Bon,illance,unefoisdevantlebuffet,t’asuneidéedecequet’aimeraismanger?Jeregardelebuffet,dessushis,desbeignetsdecrevettes,d‘autreschosesaussi,dupoulet,dubœuf,dupoissonettellementdechoixquejenesaispasparoùcommencer.Reagancommenceàmeparlerdesdifférentsplats, ilm’expliquelacompositionet legoûtqueçapeutavoir. Je pioche au fur et àmesure pendant que son assiette déborde puis on finit par rejoindre notretable.—J’aiprisdixkilosunanaprèsnotresortie,jelance,j’aicommencéàmangertoutcequejepouvais,commesijeredécouvraislegoûtdetout.

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Et c’est vrai en quelques sortes, ce qu’onmangeait pendant notre captivité n’avait rien de bon c’étaitseulementdequoinousmaintenirenvie.Reaganm’observe,sesbaguettesàlamainprêteàattaquersesnems.—Jeme suis fait des soiréesdécouvertes dugoût avecRebecca, on s’empiffrait de tout et n’importequoi.Jesourisenattrapantunbeignetavecmesdoigts, jen’utilise jamaisdecouvert j’aimesentiravecmesdoigtsceque jem’apprêteàavaler.Reagansuitchacundemesgestesunsourireencoincollésurseslèvres.—Certaineschosesnechangentpas,dit-iltoutbas.—Commentvatasœur?Jene la connaispas réellement,maisquandonétait ensemble ilm’ena tellementparléquec’est toutcomme.Ildoitressentirlamêmechosevisàvisd’Elijah,jel’aisouventbassinéavecmonchiantdepetitfrère,maiseuxaussiontgrandiàprésent,etilsnesontpluslespetitsqu’onnousaforcésàabandonner.Reagansemetàrire,puisilmeparledesasœurtoutenmangeantouplutôtdévorantsonassiettepleine.Il m’explique qu’elle a 23 ans maintenant, qu’elle est toujours aussi adorable et que comme lui elletravailledanslejournalisme.Ildittoutçaavecdesyeuxbrillantquimemontrentàquelpointilaimesasœur.—EtElijah?C’estunhommemaintenant.Jesourisengrignotantmonnemauxcrevettes,sacrémentbon.—Oui,ilestàlafacdedroit,ilveutdevenirprocureur.Mon frère veut devenir le défenseur des victimes et je ne cherche pas à savoir d’où lui vient cettevocationsubitealorsqu’enfantilrêvaitd’êtrepompier.Touslesweek-endsilpassaitàlacaserneavecmonpèrepourallervoirlescamionsetavecunpeudechancemonterdansl’und’eux.Maisleschosesontchangé,cequenousavonsvécuavecReaganaaussieuunimpactsurnosfamilles.—Ettoilesétudes?Jebaisselesyeuxsurmonassiette,gênéed’êtrelaratéedeserviceaumilieudetoutescespersonnesquiontfaitdesétudes,quiontunemploiquiaunimpactsurlasociétéalorsquejemecontented’indiquerlasalleàdesgensquiviennentvoirunfilm.—Vic,chuchoteReaganenpressantmamainàplatsurlatable,jenevoulaispas…—Cen’estrien,c’estjustequejemerendscomptequemesrêvessontmortsetenterréset…Jesoupire,jenevaispascommenceràpleurerici,aumilieudurestaurantalorsqu’onseretrouveàpeineavec Reagan. Ce n’est ni l’endroit ni le moment. La main de Reagan joue avec mon bracelet et jem’empressedelaretirer.Ilsembleperplexedemongeste,normalementjenefuispasquandilmetouche,

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maisjeneveuxpasqu’ilvoiemapeautatouée.Jeneveuxpasqu’ilvoitqu’ilestgravésurmoicommedansmon cœur, qu’ilme voit comme la pauvre fille incapable d’avancer alors que déjàma situationprofessionnelleledémontreassez.—Ilsnesontnimortsnienterrés,ilssontseulementensommeil.Je relève lesyeux, ilmesouritdoucement,àchacundesessourires je sensmoncœurseserrerparcequ’ilssontrares,commedescadeauxprécieuxqu’iln’offrequ’àceuxquicomptent.Alorsjecomptepourlui.Jesuisquelqu’unquiaeuunimpactdanssavie,commeilenaeuundanslamienne.Jesuisbienavec lui, ici, à l’aisemême si jeme sens relativement nulle en regardant l’homme accompli qu’il estdevenu, jeme sensàmaplace sous son regard. Il neme jugepas,mêmeavant il nem’a jamais jugé,quandj’aicraquéquandc’étaittropduretqu’ilétaitleseulàpouvoirmesoutenir,ilnem’ajamaisjugée.—Ilsattendentsûrementleurprincecharmant,jecontinueenjouantavecmanourriture.—Ilarrive.Jedéglutisenentendantlesérieuxdesesparoles,cen’estpasdel’amusement,c’estunepromesse,unefaçondemedirequ’ilestlà,etquesijeluilaisselaplaceilentreradenouveaudansmavie.

***Onsortdurestaurant,Reaganneperdpasuneminuteetallumeunecigarette.Jen’aimepaslevoirfumeretsedétruirelasanté.Lerepass’estplutôtbienpassé,onaparlédetoutetn’importequoimaissurtoutpasdupasséquinouslieetçafaitdubien,dedéconnecterduprocèsquelquesinstants.Chezmagrand-mèrec’esttoujourslesujetd’actualité,quoiqu’ondiseonenrevientàça,etjesature.MonpèreetmonfrèresontrepartiscematinpourPortland,monfrèreasesétudesquil’attendentetmonpèresontravail.Ne resteplusquemoietmamère.Heureusementmagrand-mère sera làpourcompenser les excèsdesécuritédecellequim’amiseaumonde.—Turentres?demandeReaganentirantsursacigarette.—Non,jevaisallermefaireuncinéma.On reste à se dévisager devant le resto avec derrière Reagan, l’homme sushis qui tente d’appâter leclient.—Tuveuxveniravecmoi?jefinispardemander.—J’aicruquetun’allaisjamaismeleproposer.Jen’osaispasparpeurdurefus.Onavancedans la rue, lecinéman’estpas loinet jemerendscomptequ’onn’a jamaisétéaucinémaensemble.Lemonderéel,onnel’ajamaisconnuàdeux,onétaitdansnotrebullequandonétaitensembleetcebonheurqu’onavaitmalgrél’horreurn’apassurvécuànotresortie.Onn’ajamaispartagéunresto,

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unciné,unesimplesortieenville,cegenredechosesquetouslescouplesfontquandilssontensemble.Nous,onapartagéladouleuretlacruautéd’unhomme.—Jevaisdevoirpasserquelquescoupsdefilavant,melanceReaganensortantsontéléphone.J’acquiesce,oncontinued’avancerpendantqu’iltéléphoneàsonpatron,jepense.On arrive rapidement devant le cinéma, Reagan est toujours au téléphone on s’arrête le temps qu’iltermine.Jemetourneverslekiosqueenface,etlesgrostitresdesjournauxmerefilentlanausée.Onneparlequedenous,deceprocèsquin’enfinitpasetquicommenceàm’épuiser.Revivrelecauchemar,lesjournalistesneserendentpascomptedecequec’estpourunevictimederevivrechaquejourladouleurenduréependantdesannées.Onnousdemandedeguérir,d’apprendreàvivreaveccepassé,maisquandonnouslebalanceà lafiguresansaucuneautreformedeprotectionc’estdifficile.Déjà ilyadixansquandilafalluparler,raconter,encoreetencore,relaterdesdétailssordidesetréapprendreàvivrej’aicrumourir.Unemainseposesurmonépaule,jesursautetellementprisedansmespensées,maiscen’estqueReagan.—Alorsonsefaitquoi?Unecomédieromantique?Jerisenregardantlesfilmsàl’affiche,iln’yapasénormémentdechoix.—Pourquetut’endormes?Horsdequestions,unbonfilmd’actionceseraparfait.Reaganprendmamaincommes’ilavaitpeurquejechanged’avisetquejel’obligeàvoiruneromance.Jerisalorsqu’ilmetraînederrièrelui,jemesenstellementbienavecsamaindanslamienne,avecpourhorizonsesépauleslargesetsoncorpsimposantcapabledemeprotégerdetout.Onentredanslecinéma,ilprendnosplacesets’adresseàlacaissièreavecuntonfroidetsansappel.Unquidit«nem’adressepas laparole».Onpasseensuiteprendredupopcornetdesboissonsetnousvoilàdans lenoirde lagrandesalledecinémaquasidéserte.J’adoreça,avoirunesalledecinémaentièrepourmoitouteseule,mesentirseuleavecl’œuvrediffuséedevantmoi.Jecroisquesij’étaisrichelapremièrechosequejeferaisdansmagrandevillaceseraitunesalledecinéma.Lespubscommencent,Reaganposesachevilledroitesursajambegaucheetpiochedanslepopcornsurmesgenoux.—J’avaisprévudefaireça,dit-il.Jemetourneversluiennecomprenantpastropdequoiilparle.Ilmelanceunregardpresquetimidequifaitpalpitermoncœur,parcequ’ilmerenvoieàcejeunehommequej’aiconnuilyasilongtempsetquiavaitpresquedisparusouscettemontagnedemusclesetdecolèrequ’ilestàprésent.—Quoi?—T’emmeneraucinéma,ilreprend,jemedisaisàchaquefoisquejetelisaisunehistoire,qu’unjourjet’emmèneraiaucinémaetjen’auraipasàlire,maisjusteàteregarder.Jedéglutisenavalantdifficilementlepopcorndansmabouche.J’adoraisl’écoutermeliredeshistoires,lesrendrevivantesjustepourmoietsimplemententendresavoix.Parfoisjenecomprenaispasuntraître

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mot, trop occupée à écouter les sonorités qui sortaient de sa bouche et à me demander comment çasonneraits’ildisaittelsoutelsmots.Lefilmcommenceetjedétourneleregardsurl’écrangéant.JeprendslamaindeReagandanslamienneen la serrant. Jene saispas si on s'en est sortis, si cequ’ona traversé cesdixdernières années sansl’autrenousachangé.Ilestavecmoiaujourd’huietc’estcommesionétaitdenouveauseulsaumonde,maislibres.

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Chapitre9Reagan

25décembre2002Lancaster,PennsylvanieNeufmoisontpassédepuisnotreenlèvement,etnousn’avonsaucunenouvelledel’extérieur.Pasdetélévision,pasd’internet,nideradio.Rien.Seulementdeslivres,maispasdejournaux.Nouspouvonsavoirtouslesrécitsquenousvoulons,etjen’aipashésitéàluienréclamerendressantuneliste.Labibliothèquedéborded’ouvragesentoutgenre.Uneroutines’estinstalléeentreVicetmoi.Onapprendencoreàseconnaître,maisj’ail’impressiond’avoirauprèsdemoiuneamiedetoujours.Onparlesouventdenosfamilles,elledesonfrèreainé,moidemapetitesœur.Onaborderarementlesujetdenotreenlèvementparcequeçalafaitpleurer,etjen’aimepaslavoirpleurer.Vicadetropbeauxyeuxpourlesnoyerdelarmes.Onparledecequ’onaimaitfaireavant.Jeluiracontemesexploitsaubaseball,leslivresquej’ailus.Ellemeparledesnombreux filmsqu’elle a vus, et je peuxdirequeVic est une vraie cinéphile.Latélévision lui manque plus à elle qu’àmoi. On passe nos journées à nous occuper comme nous lepouvons.Vicàdessiner,elledessinebien.Mieuxquemoi.Etpendantcetemps,jeluifaislalecture.Jelisunlivreparjourquasiment.Onjoueauxcartesetauxéchecs,etjenesaispaslequeldenousdeuxestleplusdoué.Et on parle, beaucoup. De ce qu’on aimerait faire plus tard, quand on sortira d’ici. On parle deprojets,d’envies,denourriture,devoyages.Onespère,onnesedécouragepas,sinonc’estlamort.Jerefusedebaisserlesbras.Jenesaispascombiendetempsonvaresterlà,maisrienn’estperdutantqu’onn’estpasaupieddumur.Pourlemoment,onestcaptifs,pourlemoment,nousavonstoujoursnoschaînes,nousnecôtoyonspasl’extérieuretlalumièrenaturellememanque.Maispourl’instant,noussommesenvie,etjepriepourqu’unjourproche,onnouslibère.Enattendant, il fautcontinuerdevivre.C’estcequenous faisons,ondevient la forcede l’autre, lepilier.Vicestmonpilier,etjesuissaforce.Neufmoisontdoncpasséetnousneconnaissonsriendenotreagresseur.Ilnelaisserienpasser,ilnenousdonneaucuneinformationsurlui,rienneluiéchappe.IlestjusteCooper,cethommeimposantauregardsauvageetausourirediaboliquequiattiredes frissons. Ilest toujoursaussimenaçantetdupe.J’aitentéd’observerdurantceslongsmois,j’aisurprisplusieursfoisunefemmeetunhommevenirnousdescendreàmanger,ouchangernotrelinge.Ilssemontrent toujourslanuit lorsqu’ilspensentquenousdormonsàpoingsfermés.Ilsnenousregardentpasetsecontententd’agir.C’estcommesinousn’existionspas.

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Lesmoisontpassé,sixdeplus,etlesvisitesdeCoopersesontfaitesplusrégulières,plusnombreuses.Iln’yavaitquelorsqueVicétaitindisposéequ’ils’abstenaitdevenir.Toutcommelorsqu’ildevaitêtreoccupéparsonemploidutempspersonnel.Ils’enestprisàVicdenombreusesfois,etàchaquefoisqu’ilvenait,jemedemandaispourquoielleetpasmoi.Qu’est-cequejefaislà?Jemeledemande,ilnem’ajamais…touchécommeVic.Ilmedévisage simplement avec cette impatience dans son regard. Comme une promesse silencieuse quebientôt,montourviendrait.Maismontournevientjamais.Ils’enprendtoujoursàelle.Àchaquefois,j’essaied’intervenir,jem’enprendsuneetVicmeditd’arrêter.Nousavonsessayéd’enparler,maisàchaque fois, elle est au plus mal. Ses larmes parlent pour elle, et je sais qu’elle est détruiteintérieurement.Jen’osemêmepasimaginercequ’illuifait,etsonregardparlepourelle.Ill’aviolée,encoreetencore.Ilprendsonplaisirtoutcommeilluiprendsoninnocence,saféminité,savie.Il l’éteintunpeuplusà chaque foisqu’elle revient, la têtebaissée, les yeux rougis.Elle s’enfermedanslasalledebains,etenressortlongtempsaprès.Ensuite,elles’allongedosàmoi,etjeparslarejoindrepourlaconsoler.Jelaprendsdansmesbrasenluimurmurantdesparolesrassurantesquejamaisjen’auraiscrupouvoirsortirunjour.Jeluidisqueçavaaller,quejesuislà,quetoutirabien.Maisest-cequeçairabienpourelle?C’estunmensongequejeluifais,maisunmensongeplusquenécessaire.Etmalgrétout,j’aimelatenircontremoi,j’aimesaprésence,j’aimeêtresaforcequandVicestfaible.Nous commençons à changer aussi. Physiquement d’abord, car l’adolescence ne s’est pas arrêtéederrièrecetteporte.Je présume que je deviens un « homme ». À bientôt 15 ans, mon corps, semble avoir pris cettedirection.Mavoixachangé,elleestplusrauque,pluscasséeetplusgrave.Jen’aiplusletond’ungamin.Jeprendsenmusclesaussi.Jetravaillemoncorpstouslesjoursenfaisantdesexercicesdansla mesure du possible. Je ne veux pas être faible face à l’autre taré, je veux être son adversaire,pouvoirluifaireface,pascommelapremièrefoisqu’ilestvenuprendreVic.Etbordel,j’aidespoils!Letrucquejerêvaisd’avoirpourcrânerdevantlescopainsmaintenantj’enai.Souslesbras,trèsausud,surlesjambes,etunelignes’esttracéedemonnombriljusqu’àmonaine.C’est…bizarre.J’ail’impressiondeneplusmereconnaître,j’ail’impressiond’êtredevenugauche,maladroit.Maiscen’estpastout.MonregardsurViccommenceàchanger,etdesenviessefontdeplusenplusfréquenteslorsquejelaregarde.Elle aussi a changé, son corps se transforme et je sens que ça lametmal à l’aise. Sa poitrine estdevenueplusgrosse,soncorpsaprisdesformesaucoursdecesderniersmois,desformesquifontdresserlachosequej’aidansmoncaleçonàchaquefoisquejelavoisdebout.Vicestvraimentbelle.Plusqu’avant.Avant,quandnousnoussommesrencontrés,jenelaregardaispasainsi,jevoyaisenelleunefille,unejoliefille.J’avaisdéjàdel’attirancepourlesnanas,maispascommeavecVicdepuisplusieurssemaines.JelaregardecommeCooperpeutlaregarderetçam’effraie.Jeneveuxpasladévisagerainsi,maismoncorps,etcefrissonquimegagnelorsquejelavois,estincontrôlable.L’excitationquimegagnemetrouble.Jenedevraispasressentirça,maisjeleressens.Vicestbellemêmeaveccettetristessequiluitachelevisage.Vicneméritepasdevivreuntelmalheur,elleesttropinnocenteetdouce.C’estladouceurincarnée,ellemerappellemamèreparfois,lorsqu’elleprendsonairronchonquandjedisquelquechosequineluiplaitpas.J’aimesonrirequandmesmotsl’amusentdemavoixquimue.—Tiens.

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LavoixdeVicmesortdemespensées.Ellemetendmabouteilled’eau,quej’acceptevolontiers,jenesaispaspourquoi,maisaujourd’hui,labouffebiodégueulasseaplusdemalàpasserqued’habitude.J’avaleplusieursgorgéespourfairepassermaquintedetoux.—Merci,jelanceunefoismagorgedénouée.Vicmesouritenreprenantsonassiette.Elleréduitendepetitsboutslesteakdelégumesetlemangedoucement.Visiblement,çanelagênepasdemangeraveclesdoigts,moiparcontre,çam’exaspère,jem’enfouspartoutàchaquefois.Jen’aipasfaimpourlemoment,maisjeresteavecVic,enfin,physiquement,mentalement,jesuisloin.Cematinc’étaitNoël.Nousavonstrouvésurlatabledeuxpaquetscadeaux.J’auraisvoulul’envoyersefairefoutre,maisenvoyantlajoiechezVic,jen’airiendit.Nouslesavonsouvertspourdécouvrirlesprésentsquecetenfoirénousaofferts.Unlivrepourmoi,ledernierHarryPotterendate,soitlequatrième,etdescrayonsetfeutresdemarquepourVic.D’ailleurs,jesuisplongédedansdepuisnotreréveiletVicabiendumalàsefaireàmonsoudainsilence.—J’aimeraistedessiner,melance-t-elleenmedévisageant.J’acquiesce sansquitter des yeuxmon livre,malgréma colère, je n’ai paspu résister à l’appel dulivre, j’attendais la suite avec une telle impatience,mais ça y est, il est sorti visiblement. Et je ledévore.Vicpourraitmedemanderlalune,quejediraisouisansmêmem’enrendrecompte.—Reag?—Hum?—Tum’écoutes?Je secoue la tête en souriant, elle sait que je ne l’écoute pas, elle est commemamère, les femmesdevinentceschoses-là.Jetournemapagepouraccéderàlasuivante.SacréPotter!—Lis-moiunpassage.—OK.Jeterminemaphrase,raclemagorgequisembletoujoursaussinouéeavantdelanceràvoixhaute.—«…parunétrangephénomène,plusonredouteunévénement,plusletempsquinousensépareprendunmalinplaisiràpasserleplusrapidementpossible,alorsqu’ondonneraitn’importequoipourqu’ilralentisse…»[1].Jemetaisencomprenantcesmots,monregardcroiseceluideVic,jesaiscequisepasseenelle.Uneatmosphèrepesantenaîtdanslepetitsalon,etunventdetristesses’emparedenous.PardonVic.—Désolé,je…

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Vicsecouelatête,commepourmefairetaire.—Tunepouvaispassavoirquelaphrasesuivanteallaitdireça.Maisjedoisavouerqueledestinaunsensdel’humourparticulieravecnous.Ill’afait.Jefermele livre, je lepoursuivraiplus tard,cesquelquesmotsm’ontglacélesang.J’examinemonassiettequej’aiàpeinetouchée.J’aiseulementmangélesteak,maislerestenemefaitpasenvie.Jejoue avec le restant de bouffe sans grande conviction. Un vertige me gagne, j’essaie de resterconcentré, mais ma vue devient floue. Sans m’en rendre compte, je commence à tanguer et moncomportementinquièteVic,jel’entendsdanssavoix.—Reag?—Je…jenemesenspasbien.Matêtetournedeplusenplus.J’essaiedemelever,maismoncorpssemblepeserunetonne.Jetented’attrapermabouteilled’eau,maisellemesemblesiloin.—Vic,je…Maisjen’aipasletempsdefinir.Moncorpss’engourdit,j’entendslecrideVicdansunécholointain,etjesombre.Jesombredanscemêmenéantquelorsdemonenlèvement.Mesmainsnetiennentplusrien,jelâchetoutcequej’ai,mabouteilleenplastique,monlivre,etjetombe.Mesyeuxseferment,etmonespritsemetenveille…pourjenesaiscombiendetemps.

***J’aiétédrogué.C’estlaconstatationquejefaislorsquej’arriveàouvrirmesyeux.Jenesuispasdansmachambreavec Vic, mais dans une autre pièce plus étrange. Les murs sont rouges et noirs, et recouvertsd’étagèresrempliesd’objetsde…torture,jen’aiquecemotquimevientàl’espritenlesvoyant.Jeremueettrèsvite,jecomprendsquejesuisallongédansunlit.Lesdrapssonttrèsdoux,et…mesmainsetchevillessont liées.Jemesecouepourvoirsi toutcelaestsolide,etça l’est,meschaînessontaussitenacesquelesautres.L’inquiétude commence à m’envahir, je pense à Vic, où est-elle ? Qu’est-ce qu’il va m’arriver ?Pourquoijesuisici,attaché,commeunevulgaireoffrande?Mais le pire, c’est lorsque je sens que rien ne m’habille. Je suis totalement nu. Et l’angoisse megagne.Çanesentpasbondutout.Jen’aipasletempsdemefairedavantagedefilms,qu’unevoixfamilièreetglaçanterésonnedanslapièce.—Aujourd’huiestunjourbienspécial,Reagan.

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Monregardcherchenotregeôlierdans lapénombrede lapièce, j’entendssespas,et le froissementdesvêtementsqu’ilenlèveaufuretàmesurequ’ilserapproche.—Jet’aiobservé,longtemps,j’aiprisletempsdevenirverstoi,etjesaiscommentlefaireàprésent.Ilapparaîtdevantmoi,nu,etlagênemegagnedevoirunhommeàpoil.Sonsexedressé,visiblementtrèsexcitéparcequ’ilvoit.—Je joueavecVicdepuisdesmoismaintenant,et j’adoreça.Sadétresse,etcetabandonchezellelorsqu’elles’allongesurcelitetselaissefaire.Ohbiensûr,parfoisellemerésiste,etj’aimeencoreplus.Coopermedévisageavecceregardquimerépugne.—EttoiReagan,jusqu’àquelpointes-tuprêtàjouer?—Vousêtescomplètementtaré,jelâcheavecamertume.Unrires’échappedeCooperalorsqu’ilmontesurlelit,etvientseplaceràmespieds.—Jenevaispasprendreencomptepournepasgâchermoncadeau.Jesenslapeurmenouerl’estomac,qu’entend-ilparcadeau?Qu’est-cequecelaveutdire?Çaveutdirequejevais…Bordel!Jemedébatssanslevouloir,prisdansunélandepaniquealorsquelaréalitémefrappe.LamaindeCooperseposesurmongenouetremontetrèsviteversmonentrejambeexposé.—Dis-moi,Reagan,touslesgarçonsdetonâgefontça,ettoi?Est-cequetutetouches?Jecontinuedemedébattrealorsquesamainlaisseunetracepiquantesurmapeau.Ilnevapasfaireça?—Biensûrquetutebranles.Etsi,aujourd’hui,c’étaitmoiquitefaisaisdubien?Depuisquandtun’aspasfaitça?Est-cequetul’asfaitenpensantàVic?Àsamainquipourraittefaire…ça.Jetentedenier,maisilmeprendparsurprise.Unhoquetm’échappelorsquesesdoigtssaisissentmonsexe,etqu’ilcommenceàle fairecoulisserdanssapoigneferme, faisantnaîtreenmoi, le feuet lahonte.—Arrêtez,jegrogne.—PenseàVic,souffleCooper.Jesecouelatête,jeneveuxpaspenseràça,pasàellealorsqu’ilmefaitça.Maisc’estpeineperdue,moncerveaufait leresteet lesconséquencesdesesdoigtsremuantsurcettepartiesisensiblechezmoime fontréagir.Monsexedurcitdavantageetbientôt,unhalètementm’échappe lorsqueCooper

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accélèrelacadence.Sapriseestferme,sesgestesappuyésetexperts.Lerythmedecescaressesaffreuses,maissibonnesmerendent fou, je tentede résisterà l’appelduplaisiralorsque sonpouce touche leboutdemonsexe,maisjenesuisqu’ungossequin’ajamaistenutrèslongtempslorsqu’ilsebranlaitdevantdesmagazinesdecul.Jetentedechasserlavaguedechaleurquimegagne,jetentederepousserceplaisir,parcequejenedevrais pas ressentir ça, je ne devrais pas être… excité par un homme qui me touche, je tented’échapperàsaprise, toujours,maisrieny fait.Le taréme touche,etarrivemêmeàmepousseràbout,àl’extrême,etj’ysuccombe.Commeunfaible,jemelaisseemporterparleplaisirdecettemainexperteetmalveillante.Jejouisenétouffantungémissementdehonte.J’ignoremêmesicen’estpasunsanglot.Ilmerependdanssamainetilcontinue,ilcontinuemêmelorsquejen’enpeuxplus,quesesdoigtssurmonmembremefontmal.Ilmefaitmaljusteaprèsm’avoirarrachéceplaisirinterdit.Jefermelesyeux,prisparlahonte,jeneveuxpaslevoir.Lesilencedevientlemaîtredanslapiècealorsquemarespirationestlaborieuse,signedemarécenteexcitation.J’aihonte,putaincommej’aihonte.Cooper finit par me lâcher et j’en pleurerais presque de soulagement tant ça fait du bien cettedistance.J’aihonte.— La prochaine fois, Reagan, je te baiserai comme je baise Vic. Sais-tu comment on fait ? Entrehommes?m’avoue-t-ilauboutd’unmoment.Etilrevientàl’assaut.Samainglissesousmonsexe,jesenssesdoigtsàunendroitoùpersonnen’aimeraitlessentir,jetentedemedébattre,maisilarrivequandmêmeàmetoucher.Àtouchercettezone.Ilmedégoûte.Jeveuxluiéchapper,jeneveuxpasdeça.Bordelc’estinjuste.—Ici,tuvois.Jeteplaqueraicontrelematelas,etjem’enfonceraientoi.Maqueueviendrabaisercepetit cul insolent. Je le baiserai si fort que tu auras dumal à t’asseoir pendant plusieurs jours, àchaquefoisquetubougeras,tumesentiras.Seigneur,Reagan,commej’attendsça.Coopermeditçasuruntonremplidepromesseetd’excitation,cequinemanquepasdemedégoûter.—Etsijetebaisaismaintenant?Sijepunissaiscepetitculinsolent.Qu’endis-tu?Sesdoigtssefontpluspressantetlapeurcontinuedemerongerdel’intérieur.Pitiépasça.—T’aimes ça hein ?Comme tu as aimémamain sur ta queue ?Regarde comme ton corps réagitmalgrétoi.Pourungamin,tuesplutôtchanceux,dis-moi.J’essayedechasserlachaleurmalheureusequimegagnealorsqu’ilmetouche.Jefermelesyeuxettented’occupermonespritpournepasmefaireréagirunesecondefois,lorsquesoudain,sansraison,Coopers’arrête.

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—MercipourmoncadeaudeNoël,lance-t-il,j’attendaiscemomentdepuisledébut.Ilserelèvedulit,mettantuntermeàcetteproximitédésastreuse.Moncœurbattoujoursaussivite,etlapeurme tord les tripes.J’aihonted’avoir…réagiàsescaresses,honted’avoir…aiméça.Maisc’étaitplusfortquemoi,jen’arrivaispasàlecontrôler.Etsonregardlorsquej’ai…ilmerépugne.—Lesautresn’ontpasdegarçons,maismoi,tuesmonplaisirinterditReagan.Tuescetrophéebrutquepeudegenspeuvents’offrir.Je fronce les sourcils en entendant ça. Qu’est-ce qu’il raconte ?Qu’est-ce que ça veut dire… cesautres?—Enplus,j’aidécouvertquetuyprenaisuncertainplaisiretçam’excited’autantplus,poursuit-ilavecarrogance.Jemedébatsdansmeschaînesenhurlant:—Jenesuispascommeça!—Commequoi?Jen’aimepasça.Jen’aimepassamaind’hommesurmoi,jen’aimepas…cetteintimité.Cooper éclate de rire, mais très vite, son visage se ferme et sa voix est sans appel lorsqu’il memenace:— On s’en tape de savoir ce que tu es ou pas, tu es à moi. Et ton cul, ta queue ou ta viem’appartiennent,j’enfaiscequejeveux.Sijedécidedebaisertabouche,jelabaise,sij’aidécidédetetoucherpourjouirdetadétressedeprendreplaisiràcequejetefais,jelefais.Tun’esplusrien,maistum’appartiens.Denouveau,ilrevientversmoi,cettefois-ci,ilgrimpesurmontorseets’yassoitlourdement,sonsexeest à quelque centimètre de ma bouche. Cooper saisit mes cheveux et tire avec violence enm’ordonnant:—Suce-moi.Jesecoue la têteen le foudroyantduregard. Ilm’apiquéàvif, ila faitnaître lahontesurmoi,etm’accusedechosesfausses.—Jevaistelamordre,connard!jedéclare,fouderage.Coopermetireunenouvellefoislescheveuxenm’attirantverssonsexequejemerefusederegardersinon,jevaispaniquer.Sonregardestglaciallorsqu’ilm’annonce:—Mors-moi, et je lui feraimal. Je feraimal à Vic, tum’entends ? Je la donnerai aux autres. Ilspasseronttoussurelle,etjelabaiseraiencoreetencore.Jebaiseraisonpetitculetsapetitechatte

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toute chaude avec tellement de violence qu’elle en gémira de douleur. Je lui ferai tellement malqu’ellenes’enrelèverapas.Sajoliepeaublanchedeviendraaussirougequelesdraps,tum’entends?Menace-moiencoreune fois, et je te ferai terriblementmalReagan.Je feraiplusque t’humilierentouchanttapauvrepetitequeue!Jeledévisageavectoutelarancœuretl’insolencedontjepeuxfairepart.Ilm’ablesséaujourd’hui,ilm’ablesséetjenem’enremetspas,j’aibesoindemevenger.Delepousseràboutcommeilm’afaitmalenmetouchantsansmonautorisation.Maistrèsvite,jecomprendsqu’àforcedejoueraveclefeu,onfinitparsebrûler.—D’ailleurs,c’estcequejevaisfaire,conclutmonbourreau.Ilselève,jeleregardefaire,enpanique.Coopervachercherdansl’unedesesétagères,unobjetquiressembleàun…fouet.C’estl’explosiondeterreurchezmoi.Jetentepartouslesmoyensdecassercesliens,maismisàpartmefairemal,jen’arriveàrien.Lesminutes qui suivent sont affreuses. Cooper semble perdu dans sa colère, il a dans samain unmartinetetn’hésitepasàs’enservir.La première fois que les lanières fouettent ma peau, une brûlure méconnue jusqu’alors me gagne,m’arrachant un râle de douleur. Au second, les larmes me montent, ça brûle, ça pique, c’estdouloureux.Maisilcontinue,troisfois,quatrefois,leslanièresfontunbruitterrifiantdansl’air,ellesmeglacentlesang,etmefonttremblerlorsqu’ellesarriventsurmapeau.J’ignorecombiendefois,ilrépètecemouvement,combiendefois,Coopermefouetteaveccesliensencuir, combien de fois, des gémissements étouffés m’échappent, mais avant que ma peau saigne, ils’arrête.J’ailesoufflecourt,moncorpstrembleetmoncœurbatàviveallurelorsqu’ilrevientprèsdemoi.Delasueurperlesurmonfront,jetrembledescoupssurmontorsemeurtriparsessoins.—Maintenant,faisexactementcequejetedis.Etsituymetslesdents,jeluiferailamêmechose,OK?Jefermelesyeuxenhochantlatête.—Bien,bongarçon,tuvois,toutlemondepeutdompterlabête.Jetel’avaisditquejetecalmerais.Cooperseréinstallecommetoutà l’heure, ilmeprésentesonhorreurprèsdemabouche,maismeslèvresrestentcloses.—Ouvrelabouche!exige-t-il.Jesensleboutdesonsexecontremeslèvres,etl’odeurdesonexcitation,jesensledégoûtmemordre.Ilmedégoûteetmefoutencoreplusencolère.Malgréladouleurdescoupsdemartinetsurmontorse,jerésiste.—Tuneveuxpasobéir?Trèsbien.Vicpaiera,maistoiaussi.Cooper s’écarte, et sans que jem’y attende, ilme fait rouler surmoi-même, jeme retrouve sur le

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ventre,lesbrascroisés,mesépaulesmefontterriblementmalàcausedesliensquisesontemmêlés,jen’arrivepasàbouger,etjecomprendsqueleschosesvontdégénérer.—Lâchez-moienfoiré!jehurled’unevoixcassée.Maisilnem’écoutepas.Jetentederemuer,maismesliensautourdespoignetsmemaintiennentdansunepositiondésagréablequim’empêchepratiquementtoutmouvement.Lesmenottesm’entaillentlapeaualorsquej’essaied’échapperàsaprise.Maisilestplusfort.Cooper écartemes jambes que j’essaie demaintenir fermer. Je résiste autant que je peux,mais cedernier sait y faire. Il relève mes hanches brusquement, me mettant dans une position plusqu’humiliante.Jemesensexposé,etterriblementvulnérable.—Prépare-toi,Reagan,çavafaireunmaldechien.Maisaprèstout,c’estcommeçaqu’onlesdresse,dansladouleur.Jel’entendscracherdanssamain,etlanauséemegagne.Ilnevapasfaireça…Cooper force surmes jambes pour que je les ouvre davantage, je sens son sexe bandé contremesfesses,etlapeurmegagne.Ilvalefaire,vraiment.— J’aurais aimé baiser ce petit cul autrement,mais tu neme laisses pas le choix. À vrai dire, çam’excitemêmetoutecetteinsolence.Sesdoigtss’enfoncentdanscettepartiedemoncorps jusqu’àprésent intacte.Mapeauserecouvred’unfrisson.Jecontinuedemedébattredanslesilence,jeneveuxpaslesupplier.Jenepeuxpas.Monpèrem’atoujoursapprisàêtrefort,etunhommenesuppliepas,ilsebat,etc’estcequejetentedefaire.Jetented’échapperàsesdoigtsquiremuentenmoi,jetented’échapperàlahontequimegagne.Bonsang,commejemesenshonteuxàcetinstant,etterrifié.Jesuisterrifiédecequisepasse.— Dis-moi Reagan, fais-tu partie de ces types au lycée qui baisent toutes les petites chattesinnocentes?Oubienfaisais-tupartiedecesstarspopulairessisagesetpuceauxquetoutlemonderespectait?Jen’aipasletempsdedirequoiquecesoit,qu’ilsemetàl’œuvre.Sonsexeseplaceàl’entréedemoncorps,etd’unmouvementbrutaletsec,ils’enfonceenmoid’uncoupdereins.Jemordsledrappournepashurler,maisjehurleraisbienpourtant,tantçafaitmal.J’ail’impressiond’êtreempalésuruntisonnierbrûlant.Moncorpsestenfeu,lazoneoùilopèreestenfeu.Jesenslabrûlures’étendredansmesreins,aufuretàmesure.J’ai tellementmal.Mes entrailles sont à vif, etmon corps tremble sous ce choc de sentir quelquechosed’étrangerici…sansaccord.Cooperhalète, et poussedeshanchespourbienme faire sentir saprésence. Je tremble commeunefeuille,victimedespicsdedouleursquiserependentdanstoutmonêtre.Seigneur.

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—Finalement,jediraisquetufaispartieduclubdespuceauxmignons.Queldommagequ’unefillenesoitpaspasséesurcettequeueavantmoi,lâche-t-ildansunrâledeplaisir.Etilcontinue.Sonsexepoursuitsonagression,sansménagement.Coopermepunitdemoninsolenceetiln’ymetpasdegant.Ilsedéchaîne,etmefaitautantmalqu’ilétaitencolère.Jesouffre,ladouleurestterrassante,tellementquejen’arriveplusauboutd’unmomentàcontrôlermavoix,etdescrisdedouleurrésonnentdanslapièce.J’ai l’impressionqu’ilenfonceunpoignarddansmoncorpsquimelacèredel’intérieur.Jen’enpeuxplusd’entendresesgémissementsdeplaisir,soncorpsensueurcontrelemienetsonsexeenmoi.Ilnedevraitpasêtrelà,normalement,çanesepassepascommeça.Jesuisquedalle.Jesuisunesousmerdequ’onbaisecommeunchien,bordel.Jamaisjen’auraiscruqu’onpuissefaireça…àquelqu’un.J’avaisdéjàvucette…pratiquedanslesfilmsdeculsurlenet,maisdanslespornos,çanesemblaitpasfairemal,etc’étaitavecunefemmequ’onfaisaitça.Unefemme,oubienentredeuxhommesgays,maisjenesuispasgay.Etjen’aimepascequ’ilmefait.J’aimal,maisluinon,luiilprendsonpied.Deslarmessilencieusesglissentlelongdemesjouesalorsqu’ils’activeàobtenircequ’ilcherchedemoncorpsmaintenupardesliens.Cooperaccélèrelacadence,entretenantdavantagelefeudansmesentrailles.Jepriepourquecelas’arrête,pourqueladouleurs’enailleetqu’ilquittecettepartiedemoi.Jepriepourquececauchemarcesse,pourquetoutcesse.Comment je vais pouvoir regarderVic en faceaprès ça?Comment je vais pouvoirme regarder ensachantqu’onm’a…qu’ilm’a…Je pleure en silence, des gémissements à peine audibles sortent de ma bouche alors que Coopers’enfonceunedernièrefoisenmoi,brutalement,commedepuisledébut.Lafrictiondesonsexedansmon corps abusé déclenche des vagues de douleur étouffante. Un râle répugnant résonne à mesoreillesetjesensquelquechosedechaudsedéverserenmoi.Jefermelesyeuxenlaissantcoulerd’autreslarmessilencieuses,jevaisvomir,jecrois,jesuisàdeuxdoigtsdelefaire,maisuneinfimepartiedelafiertéquimerestem’enempêche,quisaitcequ’ilmeferaitsijedégueulaisdanssesputainsdedrapsrouges.JeresteinertealorsqueCooperrestefigé,àsavourerjenesaisquoi.Ilmetunmomentavantdesortirde mon corps meurtri, et lorsqu’il le fait, je m’effondre sur les draps rouges, témoins de monhumiliation.Lanauséemefaittournerlatête.J’aimeraismieuxcreverquederessentircequejeressensàcetinstant.—Tun’imaginespasàquelpointc’estbandantdevoirmonfoutres’échapperdetonculserré.Je ferme les yeux en étouffant un sanglot, ses paroles sont pires que tout, agressives, tranchantes,blessantes,maissurtout,humiliantes.Pasbesoindemots,jesensdéjàquelquechosedeliquideglisserlelongdemescuissesetjedoutequeçanesoitquesonsperme.Le sexe, tout ça, je ne connaissais qu’à travers les films, pornos la plupart du temps, et nosconversationsaveclescopains,quieux-mêmesavaiententenduleursfrèresainésenparler.Onavaitmêmeréussiàpiquerunmagazinedeculpourleregarderencours.Papam’enavaitparléune fois, ilm’avaitprisàpartunsoir,pourparler«entrehommes», ilm’avaitdit« le jouroù tuvoudrasvraimentaimerquelqu’unautrementqu’avecdesmots,ilfaudraêtresûrquecettepersonne-làledésireautantquetoi,maissurtout,tudevrasfairecequ’ilyaàfaireavecrespect,carlesexen’estpasunjeu,onpeutblesserquelqu’undel’intérieur…».Le sexe devait être une découverte magnifique, quoi qu’un peu désastreuse, comme toutes les

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premières fois, ça devrait être un moment de bien-être, réconfortant, enivrant, plaisant… pas unehorreurcommecelle-ci.Cooperamêmeprislerestantdemonenfance.Ilm’avolécequesymbolisecejoursispécialdanslaviedechaquegamin,ils’estoffertmoninsoucianceetyamisfinenmefaisantça,lejourdeNoël.Maismaintenant jesaispourquoi jesuis là,pourassouvirsesbesoinssalesetdingues.Sesbesoinstabousetdégueulasses.Jedéglutisavecdifficulté,magorgeestnouée,jen’arrivepasàbouger,jeneveuxsurtoutpasqu’ilvoielesdégâtssurmonvisage.J’entendssespasdansmondos,jefrissonne.Ilsaisitmatêtepourquejeleregarde,etc’estcequejefais, je l’affrontemême si çame tue de voir ses yeux sombres.Çame tue de voir cette fierté et ceplaisirdégoûtantsdanssesyeux.Maisjeneveuxpasluidonnerraison.Tum’asbrisé,maistunem’aurasjamaisentièrement.—J’aimeraistedirequelaprochainefois,jeseraidoux,quejeprendrailetempsdeprendresoindececul serré,mais j’ai tellementaimé te lamettreainsi et sentir ladétresse t’envahir,que jepenserecommencer,m’avoueCooper.Jefermelesyeuxenserranttrèsfortmespaupièrespournepaschialer.Plusjamaisdelarmespourtoi, sale rat. Pourtant j’aurais envie de pleurer encore, car la peur est toujours là, mais la hontesurtout,seigneur,jen’aijamaiseuaussihontedemaviequ’àcetinstant.Quisuis-jesicen’estunvulgairesacdeviande?Carjesaisquemoncauchemarnefaitquecommencer.Unrirerésonneàmesoreilles,jesenslamaindeCoopercaressermonvisagelorsqu’ilmedemande,amusé:—AlorsReagan,oùestpasséetoninsolence?Jenet’entendsplus.Elleestpartieaumêmemomentquemoninnocence,enfoiré.

***—Reag?demandeladoucevoixdeVic.Jel’ignore.J’attendsjusted’êtrecertainqu’ilsoitparti,loindeVic,pourm’enfermerdanslasalledebain.Monespritestdéconnecté,jen’arrivepasàréfléchir.J’avanceseulementversmonbut.Cooperm’adétachéetm’a raccompagné jusquedans le salon,alors j’ai comprisque j’étaisdans lapiècederrièrecetteportetoutletempsclose.Il n’a riendit etmoi nonplus. J’ai juste vuVic sur son lit et son regard rempli depanique enmevoyantseulementvêtud’uncaleçon.Maintenant,jeretirelentementcecaleçon,cartoutmouvementmefaitunmaldechien.Bordelcommej’aimal,maisjeveuxsurtoutenlevercettesensationrépugnanteentremesjambes.Jefoncesousladouche,etallumel’eauchaude,ellen’estpasbrûlante,maisc’estcequ’ilfaudraitaumoinspourl’effacerlui.Saufqueriennesoulageramapeine.Jemeglissesouslejet,jesuisgrelottant,etj’exploseunefoissûrquemeslarmesserontnoyéesdansl’eautiède.Jepleuremondésespoir,jepleuremahonte,etmacolère.Jepleurefaceàcetteinjustice

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etfaceàladouleur.Jepleurepourmonarrogancequim’atantcoûté.Jepleurecommeuneâmeenpeine,sanstémoin,sanspersonnepourmejuger,carjedevraiêtreunrocaprès,pourVic.Est-cequej’enailaforce?Jen’ensaisrien.C’esttellement…injuste.J’aimalàlapoitrinequandj’ypense,enplusd’avoirmalphysiquementdescoupsetdecequ’ilm’afait,monâmesaignedeceshorreurs.—Reagan?murmureunevoixdouceetinquiète.Jemefigesousladoucheetsècherapidementmeslarmes.Jesensdéjàquel’eauafaitsonjobentremesjambes.Alorsjemeretournepourfairefaceàmaseuleamie,cellequejecomprendsmieuxquepersonnedésormais.JelislapeurdanssonregardlorsqueVicvoitl’étenduedesdégâts.—Qu’est-cequ’ilt’afait?chuchote-t-elle,paniquée.—RienVic,jesouffle.C’esttellementhumiliant,tellementdouloureuxàavaler.Bordel,j’ailanauséedesentirsesmainssebaladersurmoncorps,sesdoigtssaisirmon…etlecaresser.Sesdoigtss’enfonçaientlà…enmoietlepire…c’estqu’ilaraison.J’aidumalàmarcher,labrûlureesttoujoursaussiprésente,àchaquefoisquejeremue,elleseréveilleetjelesens,ici,entremescuisses.Jesenslesblessuresqu’ilm’acauséesetpasseulementdansmonêtre,maissurtoutdansmonâme.Je sens ses yeux sur les stries violettes sur mon torse, traces dumartinet. Bien sûr qu’il m’a faitquelquechose,elleenalapreuvesouslesyeux.Sansréfléchir,Vicpénètredansladouchetoutehabillée,jesuisàpoil,maisellenesemblepass’ensoucier.Moinonplusàvraidire,jen’aipluscettehonteduregarddesautres,pasaprèsça.Elleneditrien,etmoinonplus.Elleessaiedemeprendredanssesbras,maisjelarepousse.Jeneveuxpaslatoucheravecsonodeuràluisurmoi.Ellemedévisageuninstant,surprise, jevois lapeurdanssonregard,etellen’apasbesoindeça.Jefermelesyeux,jel’attirecontremoi,etlaserredansmesbras.L’eaucouleautourdenous,surnous,maintenantVicnevoitplusmeslarmes.Elleest justelàcontremoi,àvivreceNoëldésastreux.Jeneseraiplusjamaislemême.—Çavaaller,memurmure-t-elle.Vicmeréconfortecommemoi,jel’aifaitladernièrefois.—Oui,jeréponds.Ilm’abrisé,danscettechambre,danscelit,ilm’abrisé.MaispasdevantVic.Ellenesaitpas,ellen’arienvu,jesuistoujourslemêmepourelle,mêmesiunepartdemoisait,qu’ellesaitdéjàcequ’ils’estpassé.Jefermelesyeux,l’eauchaudefaitminedebalayerlestracesdeCoopersurnous.Lesparolesdemaprécédentelecturemehantentetrésonnentenmoicommeunéchoterrible.«Plusonredouteunévénement,plusletempsquinousensépareprendunmalinplaisiràpasserleplus

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rapidementpossible.»J’auraisaiméresterdanscesursisetnepasavoiràentrerdanscettecondamnationquecetarém’aimposée.J’auraisaiméquejamaisçan’arrive,maisledestinenadécidéautrement.Bienvenuedanscemondedefou,Reagan,etl’immersionestterriblementdouloureuse.

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Chapitre10Vic

17Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.Mamèredémarre, je soupire enmecalantdansmon siège.Onpartpouruneautre journéedeprocès,aujourd’huionauradroitauréquisitoireduprocureur.Jemepenchepourallumer lepostesur lastationpréféréedemagrand-mère,cellequipassedevieuxtubesdecountry.Jesourisenmecalantcontrelafenêtrepourregarderlepaysagedéfiler.—Alors,commencemamère,qu’est-cequetuasfaithier?Jemetourneverselle,j’attendaiscettequestiondepuisquejesuisrentréeaprèslecinéma.Hierellenem’ariendemandé,elles’estcontentéedem’observerensilenceetilnefallaitpascomptersurmoipourparler.Maisvoilà,elleestenfinarrivéeàsonmaximumdepatienceetelleabesoindesavoir.Elle tente de garder son calme, dememontrer que c’est une question banale en tapotant le volant aurythmedelamusique,maisjevoisparfaitementsespetitscoupsd’œilquiinsistent.—J’aidéjeunéavecReaganetensuiteonestallésaucinéma.Ellearrêtedetapoterenrythme,etencaissemaréponsependantquejerepenseàcettejournéeaveclui.C’étaitbien,étrangeparcertainscôtés,maisagréable.—Vic,tuessûrequec’estunebonnechosedelefréquenterpendantleprocès?Elle s’arrête àun feu et se tourneversmoi, le regard réprobateurqu’on accorderait à un enfantqui afauté.—Enquoiest-cemal?—Tulesaistrèsbien,dit-elleenprenantmamain.Jeladévisage,toujourségaleàelle-mêmeparfaitementprésentable,unefemmequiinspirelaconfianceetlabienséance.Jesaiscequ’ellesous-entendetqu’elleneditpas,quenotrerelationétrangepourraitjouerennotredéfaveurdansleprocès,maisjemedemandebiencequipourraitempêcherqueCooper

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soitcondamné.Rien,dumoinsjel’espère,queReaganetmoiayonsétéplusquedesimplesamisdurantcecalvairenedoitpasentreren lignedecompte.Mais je saisaussiquece sera lecas,qu’ilva s’enservird’unefaçonoud’uneautre,j’espèreseulementqu’iltairacequinedoitpasremonteràlasurface.—Onestamismaman,etaprèscequ’ils’estpasséc’estnormalnon?Elleredémarreunefoislefeupasséauvertetseconcentresurlaroutequelquessecondesavantdemerépondre.—Jesaismachérieetjesaisaussiqu’iltefaitdubien,maisj’aipeurpourtoiqu’onseservedecebienpourletransformerenmal.—Tucroisvraimentqu’onpourraitmefaireplusdemalqu’onm’enadéjàfait?jerétorque.— Oui, dit-elle en prenant de nouveau ma main pour caresser mon poignet là où j’ai fait tatouerl’importancedeReagan,parceque,cequevousavezvécuensemblecomptepourtoietqu’iln’yapasgrand-chosed’autrequiaitautantd’importance.Jedéglutisendétournantleregard.Mesdoigtsenserrentmonpoignetcommesijepouvaisnousprotégerainsi.Jesaisqu’onserasalis,quenotrerelationneserapascomprise,maisilyaunechosequepersonnenesait,unechosequepourrienaumondejeneveuxvoirsortiretêtreentendudetoutlemondeetjepriechaquejourpourquecesecretendemeureun.Jeneveuxpaslerevivre,jeneveuxpasquemafamillel’apprenne etme regarde encore différemment. J’ai déjà trop souffert, je demande juste à être un peuépargnée,qu’onmelaisseunminimumd’intimitéetdedignité.Qu’onpréservenotrebulleàReaganetmoi.Onarrivesurleparkingdutribunal,lesjournalistesn’onttoujourspasdéserté,jepensaisqu’ilsallaientselasserauboutd’unmoment,maisjesuistropoptimiste.Cetteaffaireafaitgrandbruitettoutlemondeveutsavoircequ’ilsepasse.Mamèredétachesaceintureetfixelepare-brise.—Çavaaller?elledemande.Jen’aipasvraimentlechoix,ilfautqueçaaille,sinonjem’effondreavantmêmed’êtresortiedecettevoiture.—Oui.Net’enfaispas,jecroisquejem’habitueàcroisertouscesgensàchaquefois.Mamèresouritensetournantversmoi,samains’approchedemonvisage,j’aiunmouvementdereculavantde la laisser faire.Elledégagemescheveuxderrièremonoreille,un sourirenostalgique sur leslèvres.Jecroisqu’ellen’apasfaitencoreledeuildelajeunefillequej’étaisavantdemefaireenlever.Cellequiadoraitsefairecoifferparsamère,luipiquersonmaquillageetessayertoussestalons.Jedétachemaceintureàmontour,pourfuirceregardtroptendrequimefaitculpabiliseràchaquefois.J’ai l’impression de devoir racheter ce temps manqué et cette souffrance qu’ils ont endurée à monenlèvement.—Allons-y,lancemamère.

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***—…C’estcequejevaisvousmontrertoutaulongdeceprocès.VousverrezquiestréellementmonsieurTruman,cequesesvictimesontendurégrâceauxpreuves,àleurstémoignagesainsiqueceuxdesexpertsquilesontsuivisaprèsleursortiedecaptivité.Vouscomprendrez,membresdujury,l’horriblehistoirequi s’est déroulée durant quatre ans dans la demeure de l’accusé, qui a brisé la vie de deux enfantsinnocents,deleursfamillesetdetouteunecommunauté.J’écoutereligieusementBennetTraversfairesonintroduction.Ilestconvaincant,ilparleavecsoncœurplusqu’aveclaloietçaplaitaujury.Onvientdepasserpratiquementdeuxheuresàl’écouterracontercequ’onatraverséetlaviedeCooper.Jenesavaisriendelui,jenevoulaisriensavoirsurtout,parcequepourmoiiln’estpasunêtrehumain.Iln’apasdeparents,pasdefamilles,iln’apasétéenfantetiln’apasdesentiments.C’estunmonstreetriend’autre,maisjeviensd’apprendrequiestcemonstre.Ilestbanaldanssavie,danssonhistoire,iln’arienquisortdelanormalealorspourquoiat-ilfaitça?Jenesaispassiunjouronaurauneréponseàcettequestionetsilui-mêmead’autresmotivationsquesonpropreplaisirpervers.Lejugefrappesonmarteauetjesursaute,prisedansmespensées.Leprocèsestajournépourécouterladéfensepromouvoirsonclient.J’enailanauséedepenserqu’onvatenterdeluitrouverdesexcuses.Lejuge et le jury quittent la salle, ainsi queCooper que je vois bouger du coin de l’œil,mais à qui jen’accordepasunregard.Reaganselèvependantqueleprocureurrangesesaffaires,maisjeleretienspar lebras. Ilbaisse lesyeuxsurmoi, je ledévisageenessayantderestercalmealorsque jesensunautreregardsurmoi.Reagancomprendimmédiatementquequelquechosememetmalàl’aiseetserassoit.Cooperestenfinsortietjerespirefortement.Le procureur nous salue et nous dit à demain et nous voilà seuls dans cette immense salle chargéed’histoirequiadûvoirpasserlespireshorreursdontl’humanitéestcapable.—C’étaitétrange,commenceReagan,j’avaisl’impressiond’êtrelespectateurdemaproprevie.Jesourisdoucement,toutàfaitd’accordaveclui.J’aieul’impressiond’entendreunedeshistoiresqu’ilme racontait sauf que celle-ci n’avait rien de belle. Je l’observe assis àmes côtés dans son costumesombrequiluivasibien,sajambes’agitenerveusementetjesourisenpensantqu’ildoitmourird’enviedes’allumeruneclope,maisqu’ilprendsurluipourresteravecmoidanscecalme.— T’as jamais regretté d’être revenu ? je demande en regardant la place vide que Cooper occupaitencoreilyaquelquesminutes.Reagan ne répond pas immédiatement, mes yeux se portent sur lui, il a ce regard froid qui me faitfrissonner,pasdepeur,maisd’autrechose,un regardqui réveille enmoi lapetite filleblesséeetquidonneraittoutpourêtreprotégéeparsesyeuxcapablesd’affronterlespiresennemis.—Jel’airegrettéquandtuespartie,m’avoue-t-il.Ilsoupireenposantsescoudessurlatablepuissatêteentresesmains,jevoissesdoigtss’engouffrerdanssescheveuxbrunsetjerepenseàtoutescesfoisoùc’étaitlesmiensquiprenaientplaisiràfairecegeste.

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—J’étaisheureuxqu’onsoitlibres,envieetensembleettuespartieetje…Lesilenceretombe,j’attendsqu’ilcontinue,quelesmotssortentparcequ’ilsaitquejepeuxtoutentendreettoutcomprendre,quejesuiscettepersonnepourquilepireestlanormalité.Ilseredresseettournesonvisagedansmadirectionl’airgraveetsérieux.Jetendslamainpourlaposersurlasiennebienàplatsurlatable.Sesyeuxseportentsurlajonctiondenosdeuxcorps,surmamainsurlasiennequejepressedoucement.Ilaunpetitsouriredésabuséquimelaissevoirparfaitementcequ’ilpense.—Moiaussi,dis-je,jemesuisdemandéedescentainesdefoiscequiétaitpréférable,êtrelibresanstoiouenferméavectoi.Reaganm’observe,ouiçapeutparaîtrecomplètementfoudeseposercegenredequestions,maisdujouraulendemaincequifaisaitlefondementdemaviedurantquatreansm’aétéenlevéetoui,plusieursfoisj’aivoululeretrouverplusquetout.—Onestvraimentdétraquéshein?Jerisenrelâchantsamain.—Complètement.Jerêvaisqu’onnesoitpasretournédansnosfamilles,qu’onsoitlibre,maistouslesdeux,qu’onn’aitpas fait cechoix stupidedevouloir retrouvernotrevied’avant enespérant avoirunavenirensemble.J’aivouluçatellementdefoisReagan,queparfoisj’avaisl’impressionquec’étaitvrai,que tu étais là et que rien ne pouvait semettre entre nous. Et puis je culpabilisais, jeme disais quej’auraisfaittropdemalàmafamilleetlaréalitérevenait.Reagansecaledanssachaiseetjebaisselesyeuxsurmesdoigtsquejetriture.Jen’aijamaisditçaàpersonne,pasmêmeaupsyenpensantquecen’étaitpasnormaldenepasvouloirretrouverleconfortd’unfoyerfamilial,mesparents,monfrèreetleuramour.—C’estnouslesvictimes,reprendReagandesavoixgrave,etc’estànousdes’assurerquelesautressontheureux.—Ouietfinalementcen’estpasquatreansqu’onasacrifiés,maisquatorze.Etqu’ilpayeunanoutoutesavie,riennenousrendracetempsperdu.Ilseredresserapidementetsepenchedangereusementversmoi.—IldoitpayerVic,ildoitsavoircequec’estdesouffriretd’êtreenfermé.Çanenousrendrarien,çan’enlèverarien,maisildoitpayerpourcequ’ilnousafait.Ilyaune telledéterminationdansson regardvertqu’instinctivement je reculesurmachaise. Ilestencolère,Reagansemaintientenviegrâceàcettejusticequiluidonneraunsemblantderéparation,oudedevoiraccomplijel’ignore,maislacolèrequ’ildégage,ellenedisparaîtrapascommeçaparcequesonpireennemiseraincarcérépourlerestedesavie.C’estàluidetrouverl’apaisement.Ilselèveenjurant,ilestdéjàentraindefouillerdanssespochesàlarecherchedelanicotineapaisante.Jel’imiteetfonddanssesbrasavantqu’ilnes’enaille,jen’aimepaslevoirainsi,malheureuxetqu’il

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cachecemal-êtrederrièrecettefroideurimpénétrablequ’ilnedoitpasavoiravecmoi.Sesbrasserefermentsurmoi,jem’appuiesursontorse,j’entendssoncœurbattreàtoutrompredanssapoitrine.Ilsoupiredansmescheveuxetsonvisageseposesurmatête.—Jesuisdésolé,dit-il.J’ignorepourquoiils’excuse,cen’estpasnécessaire,ilaledroitdevouloirqueCooperpayesesactesauprixdesavie.Moiaussijeleveux,maisjemerendscomptequerienn’effaceracequis’estpassé.—Net’excusepas,jemurmureenrelevantlevisagesurlesien.Je ne veux pas qu’il soit désolé d’avoirmal.Mesmains encadrent son visage,ma vue se trouble, jerevoislejeunehommequej’aiconnumélangéauxtraitsdel’hommequisetientdevantmoisidifférentetpourtantpareil.Derrièrecette froideurqui lui sertdebarrière, il est là legarçonque j’ai aimé, il estcachéderrièrel’hommequej’aimeencore.

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Chapitre11Reagan

20Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.Enfoiré.Jequittelasalled’audienceenmêmetempsquelesautres.Aujourd’hui,nousétionssansnosfamilles,dieumerci,aucundenosproches,etsurtoutpasnosparents,n’ontpuentendreceramassisdeconneries.Jesuishorsdemoi,auborddel’explosiontantcequejeviensd’entendrem’apiquéàvif,çaaralluméenmoiunsentimentdehainesiprofondquej’enailecœurquibatàdeuxcentmille.Jesuistellementencolèrequemesmainsentremblent.Jesorsdupalaisdejusticeplusvitequemonombre,j’ignorelesautres,j’ignorelesjournalistesquimedemandentdeleuradresserquelquesmots.Bordel,jelesdétestecesconnardsdereportersàlarecherchedelamoindreinfocroustillanteàsefoutresousladent.Dehors ilyaduvent, le tempsestgris,onvaseprendre laflotte.C’estpeut-êtrecequ’ilmefaudraitpourcalmermesnerfs,delaflotte.Meprendreunebonnerincéed’eaufroide.Jevaissansdouterentrer,prendreBaxetpartircourirdanslaforêtàl’extérieurdelaville.M’éloignerdetoutcebordel.Jememetsàmarcherdanslarue,jecherchemonpaquetdeclopesdanslespochesdemoncostard,jenerangejamaismesclopesaumêmeendroit,jedevrais,çam’éviteraitdetoutletempsleschercher,c’estcommemonbriquetquejenesuisjamaisfoutudemettredanslepaquetdeclopes.Désespérant.Je finispar les trouver, j’englisseuneentremes lèvresque j’allumedans la foulée. Jesuisobligédem’arrêterpourl’allumer,tantleventestpuissantaujourd’hui.Monportablesonne, letempsquejeletrouveluiaussi, jeratel’appel,maislorsquejevoisdequiçavient,macolèrenefaitques’accroître.Monpatronm’a laissé troismessagesvocaux, jene lesécoutepas, jesaiscequ’ilmedemande. Ilnelâchepasl’affaire,quandilauneidéeentête,ilnel’apasauculcelui-là.Jevaisfinirparl’envoyersefairefoutre,luietsesenviesd’audiencesàlacon.Derrièremoi,j’entendsunevoixessouffléequihurle:—Reagan!Attends-moi.Maisjenem’arrêtepas, jechangemêmededirection,jen’aipasenviedeparler,nimêmed’exploserdevant témoin.SurtoutpasdevantVic, ilnemanqueraitplusqueça.Déjàque l’autre jour c’étaitbien

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partipour.Jejalousesoncalme,jejalousesapeur,parcequ’àdéfautd’êtreencolère,elleestoccupéepard’autressentiments.Lesmiensmerongentetmefontmal.Il est19h, jene réfléchispas,moncorpsme traînedirectementversunendroitoù il sait que jevaispouvoirencaissertoutça.SaufqueVicn’estpasprêteàmelaisserseul,ellemesuitdepuismasortiefracassantedutribunal.—Reag,arrêtedemarcher,onpeutendiscuter…Jemefige,etmetournepourluifaireface.Jetiresurmaclopeetrecrachelafuméeaveccolèreenladévisageant.Elleestàquelquespasdemoi,danssonjeannoir,etsonsimplechemisierblancquiluivatropgrand,sesgrandsyeuxbleusremplisdecompassion,maiségalementd’inquiétude.Elleasentiquejepartaisencouilleaujourd’hui,ellel’avuàmafaçondeserrerlamâchoire,mesmains,etmajambequiremuaitbeaucouptrop.Jen’airiendit, jenel’aimêmepasregardée,non,monattentionétaitfocaliséesurcetenfoiréquidévisageaitsonavocatplaidantsacause,dressantdeluiunportraitdel’hommeparfaitquiapris,àunmomentdonné,unemauvaisevoie.Putainsd’excuses.MaiscequeVicnevoitpas,c’estbiencequ’elleengendreenmoidepuisnosretrouvailles.Çanonplus,jen’arrivepasà lecontrôler,c’est tropfort,et tropdéstabilisant.Cette journéeavecellem’aapportéautantdebienquedemal.J’aienviedecertaineschoses,qu’ellenepeutplusmedonnerpourdiversesraisons.Des choses que je pensais enfouies suffisamment profond pour affronter ce procès en hommeintouchableetimpénétrable.Vicmedévisageavecdouceur,etseigneur,commejel’enviecettedouceur.—J’aibesoind’air,sinon,jedoutederestercalmetrèslongtemps,jedéclareavecfroideur,alorslaisse-moiseulcesoir,Vic.Laisse-moi gérer une seule chose à la fois, laisse-moi gérer le contrecoup d’une journée aussimerdiquequecellequ’onvientdepasser,laisse-moigérercequ’ilengendrelui,àdéfautdegérercequetuengendrestoi.Ilyatropdetrucsenmêmetemps,etj’ail’impressionquejevaisdevenirfou.Saufquejelesuisdéjà.—N’affrontepasçatoutseul,melance-t-elleens’approchant.Mais je recule.Unrireamerm’échappealorsque je tire surmaclope,au-dessusdenous, le tonnerregrondeenéchoavecmacolèreintérieure.—JesuisseuldepuisbienlongtempsVic,jemurmured’unevoixsombre.Même toi, tu espartie, alors la solitude, je connais, j’y suishabitué, jevis commeçadepuisdix ans.Personnenepeutcomprendre,ellelepourrait,maisjenepeuxpas.Jenepeuxpasvidermonsaccommeçaalorsqu’onévitelesujetdepuisqu’ons’estrevu.Certaines plaies saignent encore. Elles sont douloureuses, à vif, et si profondes que j’ai l’impressionqu’ellesontétécauséeshier.—Parle-moi,dis-moiquelquechose…m’implore-t-elledoucement.Ilyatantdechosesquej’auraisàluidire,maispasaujourd’hui.Aujourd’hui,j’aiépuisétoutemaforce

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etmaretenuepourresterassissurcettemauditechaiseetnepasmeruersurlebancdesaccuséspourlebuter.Unseulcombatàlafois.—Tuveuxquejetedisequoi?Ayonspitiédecetenfoiré?Nonmerci.Jeveuxoubliercettejournée.—Reag…Je ferme les yeux en sentant samain saisir lamienne.Un frissonparcourtmapeau sous ce contact etquelque chose de plus difficile à gérer naît en moi en une fraction de seconde. C’est comme si Vicappuyaitsuruninterrupteur.Ceputaindedésirestderetour,aumomentleplusmerdique.—Vic,va-t-ens’ilteplait!jelapresse.—Pourquoi?medemande-t-elle.Mesyeuxs’ouvrent,jecroiselessiens,etcequej’ylis,briselepeuderetenuequ’ilmereste.Elleressentlamêmechose.Ilyatoujourscettelueur.Sans réfléchir, cequidoit arriverdepuis ledébut, arrive. Je jettemaclope,mamain la saisitpour larapprocher, et sans douceur, je me penche pour écraser mes lèvres sur les siennes. Le contact de sabouchem’électrise.Desfrissonsnaissentenmoi,ainsiqu’unepulsionincontrôlabled’enavoirplus.Je lapousse jusqu’aumurdubâtimentderrièrenous,nosdeuxcorps entrent enchoc,mais çanenousarrêtepas.Vic ne me repousse pas, au contraire, ses lèvres réagissent aux miennes. Elle m’embrasse à perdrehaleine,commesinosviesendépendaient.Commesicebaiserreprésentaittellementplusqu’unmomentdefaiblesse.Salanguerejointlamiennedansunecaresseenivrante,jesensl’excitationenmois’accroitreavecforce,dominant tout le reste. J’ai envie de la toucher, de sentirmesmains se balader sur son corps, commeavant.Notrebaisersefaitpluspressant,pluslangoureux.Sesmainss’agrippentàmoncou,glissentdansmescheveux,et jenepeuxpaslarepousser.J’aimeseslèvresquimedévorentavecautantd’enviequelesmiennes.J’aimelapassionetladouleurquececontactengendreauxsouvenirsdetoutescesfoisoùons’estretrouvésainsi,às’aimerdenosbouches,avantdes’aimeravecnoscorpsC’estpourçaVic.Jesensmaqueueréagirdansmonpantalon,dureetprêteàplus,à laretrouver totalement.Jesenssoncorpsréagiràcettepression,jen’aipasoubliélesondélicieuxqu’ellefaitlorsqu’elleaenviedeplus,etjejureraisquebientôt,jevaisl’entendre,etc’estcequimefaitmefiger.Jerompsnotrebaiser,monsoufflecourtestenrythmeaveclesien.Sonfrontseposecontrelemien,jejureenme sentant aubordde la rupture.Si jenem’éloignepasmaintenant, jevoudraisplus, et jeneméritepasplus.—Enfait,çafaittellementmaldet’avoircommeça,jechuchotecontresabouche.—Reag…Jesecouelatêteenm’écartantd’elle,loindesabouchedouce,etdessouvenirsquecebaiserengendre

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enmoi.—JesuisdésoléVic,j’aibesoind’êtreseul.Jenesaispassijem’excusepourcequ’ilvientdesepasseroupourlereste.Toutcequejesais,c’estqu’ilyabienquelquechoseàmefairepardonner,quelquechosequ’elleignore,maisquimepèse.

***Onnousaracontésavieaujourd’hui,etc’estcequim’arendufou.Jen’avaispasenvied’entendreça.Etpourtant,toutcequ’ilsontdit,jelesavaisdéjà.JesavaisqueCooperTrumanbossaitdanslecommerceinternationalaveclespaysduMoyen-Orientetd’Asie.C’étaitungrandhommed’affairesrespectédansson milieu, craint, autoritaire, et brillant. Il avait apporté sa contribution dans le développement decertaines structures pour les plus démunis.Truman étaitmarié depuis plus de quinze ans.À la femmequ’il avait rencontrée au lycée. D’après cette dernière, il était un père aimant, protecteur et toujoursprésent.Cesprochesdisentdeluiqu’ilétaitunhommecharmant,remplid’humour,etdecompassion.Unhommeaveclequel,onaimediscuter.Ilétaitaussimembredeplusieursassociationscaritatives,ilfaisaitdesdonspouraiderlesgaminsdanslesfoyersàPhiladelphie.—Àlesentendre,ondiraitquec’estunparfaitsamaritain.Unhommeexemplaire,unpèrefabuleux,jelâched’unevoixamère.Jejoueaveclefonddemonverredewhiskyenleremuant.Jenesaispasquelleheureilest,nidepuiscombiendetempsj’aiposémonculici.Parkerm’alaissélabouteillequejesirotedepuisunmoment.L’alcooln’arrangepasleschoses,maiscesoir,ilm’aideàsupportercequej’aipuentendre.C’estjusteuneordure.Iln’estriend’autrequeça,qu’uneordurequiadétruitnosvies.Jesensleregarddemonmeilleuramisurmoi,ilessuiesesverresunàun.Lebarestfermédepuisunebonneheure,leslumièressonttamisées,maisjen’aiqu’uneenvie,c’estterminercettebouteilleetnepasêtrelundipourvoircecauchemarrecommencer.—Iladeuxenfants,bordel.Unefilleetungarçon,jelanceàParkersansleregarder.Trumanaunefamille.Ilnousaenlevésàlanôtreensachantcequeçapourraitfaire.Jel’aisuquelquesmois après notre libération. J’ai voulu en savoir le plus possible sur lui, sur ce monstre, je voulaiscomprendrecommentonpeutfaireçaàquelqu’un.Maisletruc,c’estqu’iln’yarienàcomprendre.L’Hommeestcapabledupire,sanaturehumainepeutparfois être extrême.Cooper fait partie de ces humains qui se pensent capables de tout. Les psys ontdiagnostiquéchezluiunétatsadique,perversetmanipulateur.Vivreunedoubleviel’excitait.Çal’excitaitbordel.—Etlepire,c’estqu’ilsontnosâges.Bordel,ilsavaientlemêmeâgequenouslorsqu’il…Jeserremonverreensentantlahainemetordrel’estomac.Seigneurcommentonpeutfaireça,commentonpeutserrerdanssesbrassespropresgaminsalorsqu’onmaltraiteceuxdesautres.

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—Commentonpeutfaireça,jesouffle.Commentonpeutvivreauprèsd’unefamille,alorsqu’ensecretonestcapabledefairelepireàd’autresgosses.Monbossm’emmerdepourquejefasseunreportagesurnotreaffaire,parcequ’ilsaitquej’aidéjàenpossession tout ce qu’ilme faudrait. J’ai tous les rapports d’expertises psychiatrique de ce dingue. Iln’estpasfou,justeperversetcruel.—Reag?LavoixdeParkerrésonneenéchodansmatête,j’aiunmaldecrânepuissantentrel’alcooletlacolèrequidemeureenmoi.Jen’arrivepasàl’évacuer,parcequejeflippeàl’idéedelefaire,jedoutequejeseraiscapabledemecontrôler.—Jesuisencolère,jemarmonned’unevoixdure.—Tuasledroit.Illemérite,lecontraireseraitplusqu’inquiétant,renchéritParker.Jefermelesyeuxensentantmapoitrineseserrer,s’iln’yavaitquelui,simahaineétaitdédiéequepourunseulhomme.—Jenesuispasseulementencolèrecontrelui.Jelehais,sijepouvais,jeletuerais,jedéclareavecrage,onn’apasplaidé lapeinedemort…maissiçane tenaitqu’àmoi,cepourrine respireraitdéjàplus.Si çane tenait qu’àmoi, je voudrais le voir crever. Jevoudrais le voir noué sous la peur alorsqu’onluiadministrel’injectionlétalepourqu’ilressentecequeçafaitd’êtreimpuissant.Ilnousatellementpris.Tellement.Tantdechosesauxquellesontenait,tantdeliberté,depropriété,devie.Je vois la vie commeunpuzzle.Chaquepièce a son importance pour réaliser le tout.Monpuzzle esttroué,illuimanquepleindeparties,pleindepetitespiècesquiavaientleurimportance.Illesaremplacépard’autres,quin’ontrienàvoiravecledessindebase.Ellessontnoires,ellesfonttachedansledécor.Maissurtout,ellessontdouloureuses.Jevoudraisqu’ilaitmalautantquej’aimal.Jevoudraisqu’ilsouffreautantquejesouffre.Jevoudraisqu’ilaitàvivrecettevierempliedemensonges.Cettevieoùchaquejour,ilfautaffronterleregarddesautres, de ceux qui savent, de ceux qui vous donnent envie de vomir avec leur pitié, pitié qui vousrappellecequ’onvousafait.Jevoudraisqu’ilaitàsurvivreàcesdémonsquirendentfou,àcesnuitsrempliesdenoirceuroùonn’arriveplusàfaireladifférenceentreréalitéetdémence.Jevoudraisqu’ilait à affronter ce sentiment déchirant qui vous broie de l’intérieur, tant la douleur vous habite. Il fautapprendreàvivreavecça,aveccemalquivousronge.Ilfautuneforcesurhumainepournepasflancher.Etaprèscettejournée,jen’enaiplus.—Tuesivre,Reag.JemetourneversParkerenlevantmonverre,etenbrandissant labouteilledeWhiskyquejen’aipasencorefinie.Bordelouais,jesuisivre,etalors?—Jeledéteste.Onm’aséparéentrois,monvieux.Ilm’aprisunboutdemoi,lesautresontprisleresteenagissantcommeilsontagi…

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Etilnemerestequ’uneparcelle.Qu’unseulbout,etcebout-là,ildéguste.Jeparletoutseul,mesproposn’ontpasdesenspourquelqu’unquin’estpasdansma tête, j’ai justebesoind’extérioriser toutesceschosesenmoiquidemeurentdepuistroplongtemps.—Son avocat parle d’unedépressionqu’il aurait eue, une sorte dedédoublement depersonnalité quiseraitdueàsonenfancedifficile,j’ironise.Cesontdesputainsd’excuses!Cen’estpasparcequ’ilagrandisanspèrequ’ilestcommeça.C’estsanature, ilestpervers,pointbarre.Combiendepèresquittent leursfoyers?Unetonne,etpourtantc’estpastouslesgaminsdélaissésquipètentuncâble.Non,ilestjustetaré.Parkerposeunemainsurmonépaulequ’ilpresse.Ilm’apporteceréconfortsilencieuxetcalme,ilnemejugejamais,ilécouteetneditrien,saufsijeveuxentendresonavis.Iln’estpascommemesparentsquinepeuventpass’empêcherdel’ouvriretd’étalerleurscience.Putain,jenesupportepluspersonnecesoir.—Jet’admirepourtoncouragemonpote,maislà,tuvasexploser.—Jesuistoujoursunebombeàretardementettulesais.Jevidemonverred’untrait,leliquideambrénemebrûlemêmepluslagorge.Mamaintremblelorsquejelerepose.—Jepensaisêtreplusfortqueça.Jepensaisquejetiendraislecoupdurantceprocès,maisjemesuisamèrementtrompé.Regarde!Çafaitplusdedeuxsemaines,etjesuisdéjàleculdanstonbar,àboirecommeuntrou.Cemecn’aaucuneexcuse,Park,aucune.Quandjepenseàtoutcequ’onasubi,ilnefautpasêtrejuste«déprimé»ou«souspression»pouragirainsi.Ilfautsimplementêtreuntaré,etc’estcequeCooperest.Undinguesadiqueetperversquiprendencoresonpiedderrièresonbox.—Personnenepeutcomprendre,jesouffle.—Si,Vic.Vic.Vicquej’aiméchammentenvoyébouleraujourd’huijusteaprèsl’avoirembrassée,avantdedéclarerqueça faisaitmal.Depuisquandembrasserquelqu’unblesse?Depuisqueçanousconcernenous.Cen’estpasseulementseslèvresquej’aiembrassées,c’estbeaucoupplus.C’estnotrepassé,nosépreuves,et l’amoursipuissantqu’onseportait,unamourquidévastequelqu’un.L’amourfaitmal,et jepeuxleconfirmer.J’aiaiméunefemmedansdescirconstancesignobles,j’aiconnuledéchirementquandonnousaséparés,quandonavéculepire.Notreamourestmalheureusementdouloureuxparcequ’ilnepourrasansdoutejamaiscontrercequ’ils’estpassé.Cesconnardsderomantiquesdirontquel’amourpeuttoutsurmonter,j’aimeraisleurdirequec’estfaux.L’amourneguéritpasdetout,l’amourrappelleparfoislepire.QuandjevoisVic,quandjel’embrasse,jerepenseànotrepassé.Àlapremièrefoisquejel’aifait,lapremièrefoisoùj’aifrémifaceàelle.

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Notreamourestanormal,maisc’estlenôtre,ilatraversélesannéesetjel’aicomprisàlasecondeoùmes lèvres se sont posées de nouveau sur les siennes.La douleur fulgurante quim’a coupé le soufflelorsquej’ai ressenticettepulsionenmoi,cespapillonsdans leventre.Ceuxquinousfontcomprendre«merde,jesuisamoureux».Jelesaiconnusavecelleunepremièrefois,etilssonttoujourslà.J’aimetoujoursunefemmequejenepourraijamaisavoir.Pourtantjeluiaidemandéd’essayer, jel’aipresqueimploréededonnerunechanceànotrerelationetvoilàquejesemblefairemachinearrièreparcequejepercutequejesuistropbousillépourelle.Enapparence,j’ail’aird’êtreunmurimpénétrableetfroid,etc’estcequejesuis,maisàl’intérieur,c’estledésastre.—Jel’aiembrassée,jelancedansunchuchotementdouloureux.—Tul’asembrassée,répèteParker.Je ferme les yeux enme remémorant cette sensation dingue d’avoir sa bouche sur la mienne un brefinstant.—Tuassonprénomtatouésurletorse,déclare-t-il.—Etalors?—Cettefille,cen’estpasrien,mec.—Cettefille,c’esttout,Park,etc’estbiençaleproblème.Elleme rappelle lepire, autantque lemeilleur et je suisdéchiré entre lesdeux,parceque justement,aujourd’hui,cen’étaitpaslepire,etjesuisdansunétatlamentable.J’aipeuràl’idéederentrerchezmoietdem’effondrerdansmonlit.J’aipeuràl’idéedecequejevaispouvoirrêvercettenuit.Peurdeneplusriencontrôler.J’ail’impressiond’êtreunpantinassissurcefauteuildanscetteimmensesalleàlesécouterraconternosviescommes’ilssavaientréellementcequ’ils’estpassé.Ilssavent,ilssaventlessévices,ilssaventlesrécits,ilsconnaissentlesactes,maislereste?Cen’estqu’éphémèreàleursyeux.J’observemespoignets,jemesouviensdeladouleurquim’élançaitalorsquejemedébattais.Personnenepeutsavoircequeçafait.Lesflashbacks,lescauchemars,lesdouleursinternesquinesevoientpas.Cooperestdétraqué,etbienmoiaussi,ilm’adétraqué.JenesaispasquoifaireavecVic,jesuistirailléentremonenvied’êtreavecelle,etmonenviedelafuirpournepassouffrirunpeuplus.—Monpote…— Je le sensmal, je lâche d’une voix tremblante, je sens qu’un piège se referme autour de nous, etpersonnenelevoit.Ilesttropserein,tropmaîtredelasituation.Situl’avaisvuaujourd’hui…Il souriait, cet enfoiré nous regardait et il souriait. Ça se voyait qu’il adorait le spectacle, me voirm’énerverunpeuplusàchaquemot.Bordelouais,j’aiconnaissancedesafameusegentillesse,ellem’alaisséunetonnedecicatricesàl’âme,maispasque.— Le procureur a toutes les preuves pour le faire plonger à vie… m’assure Parker en essayant de

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m’enleverlabouteille.Maisjelasaisisenledévisageant.Jedoisfairepitiéàvoir,ethonnêtement,j’enairienàfoutre.—Justement,Park,ilyacertaineschoses,qu’ilnesaitpas…jemurmured’unevoixàpeineaudible.Certaineschosesquepersonnenesaitd’ailleursetquipourraient jouerensa faveur.Mais je saisquebientôt,cessecretsvontêtredéterrés.Trumanvalesutiliser, je lesais, j’ignorequand,maisje l’aivudanssonregard.Ilvalesdire,etilsseronttousaucourant.Etçanousachèvera.Ilvafinirletravail,etj’ignoredansquelétatilfaudrameramasseraprèsça.Etceneserapasl’alcoolquimeferaoublierlepire.Dixansdesilencen’ontpasaidé,alorslereste…Jemesersunnouveauverrequejevided’untrait.Parkernesemblepouvoirplusriendire,jeneluienveuxpas.Cesoir,moinonplus,jenesaisplusquoidire,nimêmequoienpenser.Lavraievielavoici,nousavonstousnosdémons,etlesnôtressontbeaucoupplussalesetvilsquelesautres.Toutcommenossecrets.

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Chapitre12Vic

15Août2003Lancaster,Pennsylvanie.—Vic…lanceReaganensoufflant.Jesouris,maislecachetrèsviteetluitendceregarddechienbattuauquelilnerésistepas.Encoremoins aujourd’hui. Il soupire de nouveau, passe lamain dans ses cheveuxmouillés et finit parmedonnercequejeveux.Ils’assoit,dosaumurdesonlit,sesjambesétaléesdevantluiemprisonnéesdansuneservietteetlerestedesoncorpslibreàmavue.Sontorseoùdesmusclessedessinentdeplusenplusestparsemédegouttesd’eau, sonvisageaussigrâceà ses cheveuxunpeu trop longsquigouttent sur lui. Il est…sexy.Jedéglutis,puisjebaisselesyeuxsurmafeuille,jemetrouverépugnantedepenserça.—Ne…nebougeplus.Jemesecouementalement,ilvabienfalloirquejeleregardepourledessineretpourtantjenelèvepasuneseulesecondelesyeuxsurlui.Jesuismalàl’aisedessensationsquesoncorpsadéclenchéesenmoi.Dudésir.Jedéglutisensentant lanauséearriver,cequejeressenspourReagann’arienàvoiraveccequeCooperressentpournousdeux,nonrien,moicen’estpascrueloumonstrueux,c’estpuretinnocentcommentdevraitl’êtrelesrelationsdedeuxadosdenotreâge.Jen’aipasàenavoirhonte,pourtantc’esttoutcequejeressens.Unehontedelevouloir,alorsquedansquelquesheuresjesubirailesassautsdel’autredégénéré.Jenesuispasnormale,jenelesuisplusetsijusqu’iciReaganm’aidaitàgarderlaraison,quandjelevoisainsi,j’aidumalàlagarder.Monventreseserreetentremes jambes l’humidité s’installe. Jeme tortille surmon lit, Reagan ne bouge pas il attend que jefinissedeledessinerpatiemment.J’aifaitdesdizainesdedessinsdelui,quandildort,quandillit,quandilfaitdusport,maisjamaisquandilsortdeladoucheetqu’ilatoutdel’hommequ’ilseraunjour.MêmesisonregardachangédepuisNoël,Reaganseraunbelhomme.Jenesuispassuperdouéeendessin,maisj’aimeça,çamepermetdepenseràautrechose.Reaganritparfoisdemesdessinsenpensantqu’ilsn’ontrienàvoiraveclui,cequ’ilnecomprendpasc’estquejedessinecequejevoisdelui,pascequ’ilpenseêtre.Iln’apluscettelueurdanslesyeux,ceregarddéterminéprêtàmettrefinàtout,ilestbriséàprésent,toutcommejelesuis.Maisilneperdpasespoir,ilcontinuedemedirequ’unjouronseradehors,que

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tôtoutardons’ensortira.Jelecrois,Reaganestcequim’empêchedesombreretsiluisombre,onestfoutus.Jesaisquejemereposetropsurlui,maisdenousdeux,c’estluileplusfortmalgrécequ’ilendure.Je saisceque lui faitCooper, ilm’ena fait lui-même l’exposéàplusieurs reprisesetmoncœursebriseàchaquefoisqu’ilrevientetquejeposelesyeuxsurReaganensachantcequ’ilaenduré.Ilnousdroguetouslesdeuxàchaquefoisqu’ilvientlechercher.AudébutilsecontentaitdedroguerReagan,mais il a dû en avoirmarre demes cris, demes injures et des coups que je tentais de luidonner.Alors, onne sait jamaisquand,maison se retrouvedans les vapes et àmon réveilReagann’estpluslà.Il revientetcours se jeterdans ladouche, ilm’empêchede le toucheravantqu’il soit lavéet je lecomprends,cesentimentdesaletéquiperdure,moi-mêmeje frottemoncorpsàn’enpluspouvoiretpourtantilesttoujourssale.SipourReaganonne saitpasquand il viendra le chercherpourmoi,on le sait, c’estaujourd’hui.Mon cycle est réglé comme une horloge et Cooper attend toujours que je ne sois plus en périoded’ovulationpourassouvirsesdésirsrépugnants.—Vic,reprendReagand’unevoixtendue,onpeutfaireçauneautrefois.Jerelèvelesyeuxverslui,savoixamué,ilaencoredumalàs’enapproprierchaquemesure,maiscettefoiselleestvraimentgraveetbrisée.—Non,je…Il relève les jambes contre son torse et détourne le regard de moi, je mets quelques secondes àcomprendrecequ’ilsepassequandjevoissamâchoirecrispée,sesyeuxfermésetseslèvresfairedesmouvements. Il se sermonne en serrant les poings et si je désire Reagan alors que je devrais êtredégoûtéeàlavued’unepersonnedusexemasculin,luiaussimedésireetilenatoutautanthontequemoi.J’allaisluidiredenepassecacherdenepass’envouloirquandlaportes’ouvre.Moncœurpalpiteensentantl’heureproche,j’essayedenepasréagir,denepasmelaissersubmergerparlapeur,maisà chaque fois je suis toujoursmortede trouille.Reagannebougepas, il se contentede fusiller duregard Cooper qui a fait son entrée dans la pièce. Mon carnet à dessin tombe à terre et CooperdétourneleregarddeReaganpourseposerdessus.Jeresteinerteàentendrelesbattementsdemoncœur en voyant son sourire carnassier s’effacer. Il regardemes dessins, j’ai l’impression qu’il lesviole avec ses yeux de pervers et jeme lève pour lui enlever le carnet desmains.Mais je récolteseulementunegiflequimefaitretombersurlelit.Reaganse lèveà son tourpourmevenirenaideetCooper lâcheenfinmoncarnetpour l’attacheraveccelienquiluiscieàchaquefoislespoignetsauborddulit.Reagansansselaisserfaire,etavecàchaquefoisplusdeforce,finitquandmêmeattaché.—Tudeviensfortpetitenfoiré,maispasassezfortpourmebattre,justeassezpourm’exciterunpeuplus.IlcaresseletorsedeReagan,jedéglutisenlevoyantprendreduplaisircommej’aipuenprendreàleregarderàlasortiedeladouche.Samainpassesous laserviette,Reagansedébatet jevois leregarddeCooperse faireplusdur. IlrelâcheReaganetseredresseenlefusillantduregard.

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—C’estellequetuveux?Savoixesttranchante,Reagannerépondpasilsecontentedenepasbaisserlesyeuxetjeretrouvesacombativité.Cooper sourit, puis semet à rire en s’approchant demoi. Je tente de refrénermapeur, demedirequ’aprèstoutcequ’ilm’afaitriennepeutplusmefairedemal.Maisjemetrompeamèrement.Coopermesaisit, ilenlèvemont-shirtetarracheleshortgrâceauscratchàlataille,ainsiquemaculotte.Jemeretrouvenue,àmedébattrecontrecetenfoiré.Je le frappe, legriffe,souslescrisdeReaganquin’ontaucuneffet,commemescoups.Ilmegifle,meretournesurleventre,jeréussisàmeremettresurledos,maisilmeprendparlescheveuxetmeremetsurleventre.Ilgrimpesurmonlit,jenesaisplusoù jesuisentre,peuret instinctnicequ’ilcompte faire,mais j’enaiquandmêmeunepetiteidéeetjeneveuxpas.—Non,nons’ilvousplaitnon!Cooperritenportantsamainentremesjambesalorsqu’ilmetientparlescheveuxdel’autre.—Tagueulesalope!J’essayede réfléchirde trouverunmoyend’échapperà çadevantReagan,mais rienn’y fera je lesais,iladécidéainsietceseracommeça.—Danslachambre,dis-jed’unevoixàpeineaudible,s’ilvousplaitdanslachambre.Cooperrit,samains‘abatsurmesfesses,laclaquemefaitcrier,puissondoigts’enfonceviolemmentenmoiavantdesefiger.Il redressema tête plus fortement pourme regarder, je sens son souffle surma joue et sonhaleinedégoûtante.—Toiaussituleveux,ouc’estpourmoiquetumouillescommeça?Jenerépondsrien,ilmerelâche,seredresseetj’entendslaceinturedesonpantalonsedéfaire.Non,pasici,pascommeça,pasdevantReagan,pasça…—Laisse-la,enfoiré,laisse-la!Reagancriejesuisincapabledeleregardertrophonteusequ’ilmevoieainsi.—Jevoulaistedonneruneleçon,dit-ilàReagan,maisjevaisvousendonneruneàvousdeux.Jenebougeplus,tétaniséeparlapeur,detoutefaçonjenepourraispasallerbienloin,ilmetient,ilnoustientetfaitdenouscequ’ilveut,ànousdetrouverlemoyendefuirautrementquephysiquement.Etsiàchaquefoisqu’ilm’emmènedanssa foutuechambrej’arriveàmesortirdemoncorps,àneplusêtrelàqu’ensurfaceaujourd’huic’estdifférent.Cooper saisit mes hanches et me met à quatre pattes, sa main saisit mes cheveux et son corps sepenchesurlemien.

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—Regarde-lependantquejetebaise.Jefermelesyeuxdetoutesmesforces,alorsqu’iltournemonvisageversReagan,jenepeuxpasleregarderalorsquel’autreabusedemoi.C’estimpossible.Cooper entre violemment enmoi,me faisant pousserun cri dedouleur,mais je résiste àouvrir lesyeux.—Regarde-le!Il frappemes fessesalorsqu’ilmeviole,qu’ilmenoiedansunemerdehonte,mais jeneveuxpasregarderReagan,jeneveuxpasperdreladernièrechosequimemaintenaitenvie.—Regarde-le!Ilhurleàmesoreilles.Sescoupssontdeplusenplusviolentsetilgémitcommeunporcenentrantdansmoncorps.Coopersepenchesurmoipourchuchoteràmonoreille.—Regarde-leoujefaispareilavecluiaprèsm’êtreoccupédetoi.Jepleuresousmesyeuxclospuisjedécidedelesouvrir,deregarderReagan,allongésursonlit,levisage impassible, qui fixe mes yeux plutôt que ce qui se passe sur le reste de mon corps. Il y atellementdepeineetd’excusesdanssesyeuxquej’enaiencoreplusmalquecequem’infligeCooper.J’aitellementhonte,jemesenstellementsalequej’aienviedemourir.QueReaganassisteàçamedégoûte,qu’ilmevoieainsi,qu’ilsouffreàcausedeçafinitdemedégoûterdemoi-même.—Elleestàmoi,lanceCooperencontinuantsonmauditmanègesurmoncorps,regardebien,c’estmoiquilabaisetaVic.LeregarddeReaganresteancréaumien,jelevoisinspirer,enserrantlespoings,ilnepeutrienfairedeplusquecequ’ilfaitàprésent.Ilessayedemedonnerducouragemalgrétout,maisjesaisdéjàquecequ’ilsepassenousdétruitunpeuplustouslesdeux.LeslarmescoulentsurmesjouesetsurcellesdeReagan,ilm’observeenpleurantsilencieusement,avecdésespoiretrésignation.Onnepeutrienfaire,àpartsubirencoreettoujoursetcettefoisc’estlagouttedetrop,cellequivientd’enlevermadernièredosed’intégrité,cellequimeprivedecequ’ilmerestait, leregarddeReagansurmoi.Aprèsçajen’auraiplusrienàquoimerattacheretj’enmourrai.

***Jesuisrecroquevilléedansladoucheàlaisserl’eaus’écoulersurmoienespérantqu’elleenlèvemahonte,maisçanefonctionnepas.Cooperafinisasalebesogneenriantdenotremalheurpuisilestparti.Reagann’arienditetj’aimeautant,iln’yarienàdire.Aprèsavoirvomitoutcequejepouvais,jeme suis réfugiée dans la douche et depuis je n’en ai pas bougé. Je ne peux pas. Je ne peux pasretournerdansl’autrepièceetlevoir.Jenepeuxpas.Jefrottemoncorpsaveclesavon,monentrejambeestenfeuàforced’êtreainsimaltraité,mapeaume

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brûle,elleest rougemais jecontinuede frotter.Je frottesi fortquemesongles finissentparentrerdanslapeaudemescuisses.Jemegriffeenespérantenlevercettepeau,cetrucquiplaittantàl’autreetpeut-êtrequ’ilarrêterademetouchersi jesuis laideetque jen’aiplus lapeaudouce.Jegriffemoncorps, jepleurededouleur,mais jecontinue.Lesangcouledans ladouchemêléeà l’eauilsedissoutpetitàpetit,jerêveraisd’êtrecommeluidepouvoirmedissoudre,neplusexisteretneplussouffrir.M’évaporerdanslesiphondeladoucheetenfinmesentirlibre.—Vic…Reaganlâchemonnomdansunhoquetdesurprise,maisjen’arrêtepasmabesognejeveuxqueçacesse, jeneveuxplusressentir toutça, jeveuxqu’onm’éteigne,qu’onm’enlèvecetteenveloppedesouffrancequejenesupporteplus.Je sens lesmains deReagan surmes poignets je vois les siens, striés demarques de lien et jemedébatscontrelui.—Laisse-moi!jehurlecontrelui.Mespieds le frappe,mais il résiste, ilnemerelâchepas, je legifleune foismamaindéfaitede laprisedelasienne,maisilesttoujourslààessayerdemecalmer.Jeneveuxpasmecalmer,jeneveuxpaslevoir,jeveuxqu’onmelaisse.Onsebatsousl’eaudeladouche,moijemebats,luiessayejustedem’empêcherdemefairedumalettantpissijeluienfais.—JeneveuxpastevoirReagan!Jel’entendsjureretlaseconded’aprèsjemeretrouvedanssesbras.Ilmeserresifortquej’aidumalàrespirer.Qu’est-cequ’ilfait?Jetentedem’éloigner,maisilestplusfortquemoi,commetouslesautres, lui aussi obtient ma reddition. Je ne suis plus qu’un pantin pour tous les hommes quim’entourent.Uncorpsdontonpeutabuseràsaguiseparcequejesuisfaible.—Moi jeveux tevoir,dit-ilcontremescheveux trempés,et jeneveuxpasque tu te fassesdumal.Regarde-moiVic.J’enfoncemonvisagedanssoncou,enfrappantsapoitrinedemespoings,maisjesuisàboutdeforcedemebattre,contrelui,contremoi,contretout.Jen’aiplusdecourage,plusrien.Reaganfinitparprendremonvisageentresesmainspourlereleververslesien.—Regarde-moi,neregardequemoi,jesuislà,dit-iltoutbas.Iln’yapasdedégoûtdanssesyeux, ilya justeuneprofonde tristesseet je fondscontreson torsepourpleurer.Ouiilestlà,maisplusmoi.

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Chapitre13Reagan

23Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.—Je tombe encore sur ton répondeur.Mon chéri, jem’inquiète pour toi.Depuis que le procès estdevenuenhuisclos,tunepassesplusàlamaison,tunerépondsplusànosappels,ettuévitestasœur.Ellem’aappeléehierpourmeracontercequ’ils’étaitpasséaprèslajournéeautribunal.Monchéri,tusaistrèsbienquetunetienspasl’alcoolet…Je jure en comprenant quemonmeilleur ami doit sans doute baiser avecma sœur sinon, elle n’auraitjamaissuça.C’estgénial,maintenant,jevaisavoirlabrigadeanti-déprimesurledos.Commesij’avaisbesoindeça.Jeneterminepasd’écouterlemessagesurmonrépondeur,jel’effaceetnecomposeévidemmentpaslenumérodemamère.Jeneveuxvoirpersonne.Quandest-cequ’ilscomprendrontquesij’avaisenviedevoirquelqu’un,jeviendraisdemoi-même,commejel’aifaitavecParker–d’ailleurs,jenesuispasprêtd’yrefoutre lespiedss’ilva toutraconterdansles jupesdemapetitesœur– jeveuxgérer leschosesseul.C’estdéjàbiendifficileenétantfaceàmoi-mêmeetVicpourmerajouterlesautres.Çafaitdoncdeuxjoursquejefuistoutlemonde,d’abordparcequej’aieudumalàmeremettredemacuitechezParker.Monmeilleurpoteadûmeramenerchezmoi,j’ignorecommentjenem’ensouviensplus. J’ai dormi très longtemps, puis j’ai rattrapémon retard sur la prochaine émissionqui doit sortirdans deux semaines. Le boulot pour oublier, et je reconnais que çam’a détendu deme plonger dansl’horreurdesautres,carl’espaced’uninstant,jen’avaispasàmesoucierdelamienne.Aujourd’hui,jesuisallédansleslocauxdelachaînepourfilerlesdernièresinformationsauxmonteursconcernantledéroulementdel’enquête.Onatournélesquelquesscènesoùj’apparaisdansuneémission.Unefoisqu’ilsaurontterminélesmontages,CRIMINALSaura99émissionsàsoncompteur.Quandonmetenscènedescrimesquiontétévécus,ondiviselerécitdel’enquêteenchapitres.Chaquechapitreestrythméparunedemesapparitionsàl’écranoùjerésumelechapitreprécédentetintroduitlechapitresuivant.Aujourd’hui,j’aifaitleploucderrièrelacaméra,cen’estpasquej’aimeça,seulement,ilparaîtquemagueuled’angefroidplaitauxspectateurs.J’auraisunefaçondefairevivrel’enquêtequemêmel’ancienprésentateurn’avaitpas.Sansdoutequelefaitd’êtreunevictimed’uneaffairemedonneuneauthenticitéquepeudemondepeutégaler.Conneries.JetiresurmaclopeenregardantBaxassisàmespiedsprèsdemavoiture.Onestàlasortiedelaville,

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prochedelaforêtdenseoùbeaucoupdesportifsviennentsuer.J’aidonnérendez-vousàVicversdix-septheures.Jene l’aipasappelée, je luiaienvoyéunSMS, jecraignaisd’êtretropétrangeàhautevoix,alorsqu’untextonelaisserienparaître.J’ignore à quel point mon comportement a jeté un froid sur nous. On avait réussi petit à petit à serapprocher,àcréerunebrèvecomplicité,mais ila falluplongerunpeuplusdans lanoirceurdenotrepassé,croiserleregarddecefou,etressentircedésirl’instantd’aprèspourmefaireexploser.C’étaittropàgérer,tropàentendre,tropàcontrôlerenmêmetemps.Etj’aicraqué.Jemesuisénervé,jel’aidétestélui,etjel’aidésiréeelle.Monchienmefaitsortirdemespenséeslorsqu’ilquittemespieds,jem’apprêteàl’engueulerparcequ’iladésobéilorsquejevoisquiilestvenuaccueillir.Vic.Elleest là,elleest toujoursdansundesesjeanstropgrandspourelle,etdansunt-shirtquicachesesformes.Sescheveuxbrunssontdétachés,elleafficheuneexpressionfatiguée,sansmaquillage,maisc’esttantmieux,aucunefantaisieextérieurenevientgâchersesmagnifiquesyeuxbleus.Malheureusement,commejelecraignais,monentrejamberéagitenlavoyantesinaturelle,si…elle.Jel’aiembrasséeuncourtinstant,etmoncerveauadéterrétouscesmomentsinterdits.J’aiencoresousmesdoigtslasensationdesapeau,surmabouchelegoûtdeseslèvresetcontremoncorps,saprésence.VicsepenchepoursaluerBax,elleluifrottelehautducrâneetcepetitconadoreça.Ilseblottitcontreelleensavourantchaquecaresse.—Baxdoucement!jel’engueule.Monpoteàquatrepattesremuelaqueuedevantcettenouvelleprésence.Ilnem’écouteplusetfaitlefou.IltentedesemettresursesdeuxpattesarrièrepourlécherlevisagedeViccommeillefaitdesfoisavecmoi,etjedécrètequ’illuiasuffisammentfaitlafête.—Arrêtemonvieux!Je m’approche d’eux et l’écarte de Vic en le prenant par son collier. Mon chien me jette un regardmeurtrier.—Ilestadorable,lanceVicenleregardantlui,maispasmoi.Jecherchesonregard,jesuissiinsistantquejelasensseraidir.Lerougeluimonteauxjoues,etàuneépoque,lorsquenoussommesdevenusplusquedesimplesamis,j’aimaislafairerougir.C’étaitsifacile,sitendreetamusant.Apparemment,çamarchetoujoursaussibien.—Salut,finit-elleparmelancerd’unepetitevoix.Cettevoix…ellem’ahantécesderniersjours.Jel’entendaismerépétercesmotsqu’ellemedisaitparfois.Encore.Tuesàmoi.Jesuislà.Regarde-moi.Jet’aime.

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Ils sont siprésents, commeancrésdansmaboitecrânienne,etunepartdemoidonnerait toutpour lesentendredenouveau.Saufquetoutestdifférent.—Salut,Vic,jesuiscontentquetuaiespuvenir,jerépondslagorgenouée.Alorsqu’unputaindedésircommenceànaîtreenmoi.Violent,commeuneclaquequ’elleviendraitdememettre.C’estcommel’autrejouràlasortiedutribunal,l’envieestsiprésente,siintensequ’ellemenouelagorgeetl’estomac.—Tuasétédiscret,cesderniersjours,lanceVic,avecinquiétude.Jepasseunemaindansmescheveuxnoirs,malàl’aise.Jesavaisquej’allaisdevoirmejustifier.—Jesais,j’avaisbesoindesouffler.Concernantcequis’estpassél’autrejour…LesjouesdeVicprennentdavantagedecouleur,monrythmecardiaques’accélère.Jeneregrettepasd’avoirretrouvéteslèvres.—J’aimeraistedirequejeregrette,quejen’auraispasdû,maisjenepeuxpastediretoutçaparcequejeneregrettepas.Vicaccrochemonregard,etj’ail’impressionqu’ellemegiflesousl’intensitédel’atmosphèreentrenous.Jepensaisquecesquelquesjoursnousauraientfaitdubien,jemesuistrompé,envérité,l’embrasseradéclenchéunouragan.—Moinonplus.—Mais…—Parcequ’ilyaun«mais»,jem’endoutais,m’avoueVic.Sansréfléchir,mamainvientcaressersajouerouge,Vicfrissonnesouscecontactinattendu.Sapeauesttoujoursaussidouce,bordel.—Aurestaurant,jet’aiditquej’aimeraisêtredanstavie,j’aibienréfléchicesderniersjours,etjesuiscertainaujourd’huiquejeveuxplusquetonamitié.J’aibeaucoupréfléchipendantquejecuvais,etParkeraraison.Vicestlaseulequipeutmecomprendreetm’aideràtraverserça.J’ailedroitdememontrervulnérableàsescôtés,mêmesiçamecoûte.Elleadéjàvubienpire.—Jenepourraispastedirelecontraire,secontente-t-ellederépondre.Vic semet àmarcher sur le sentier etnaturellement, je la suis,mettantun termeà la conversationparmalaiseoubienparcequ’ellenevoit riend’autreà rajouter.Nousmarchonscalmement,Baxquelquesmètresdevantnous.

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—Oùes-tualléaprèsletribunal?mequestionneVic.—ChezParker.Ellesetourneversmoi,surprise.—Parker?LeParker?J’acquiesce,durantnotrecaptivitéjeluiaiparlédemonmeilleurami.C’estcommesielleleconnaissait.Nous continuons notre chemin pendant que je lui donne de ses nouvelles, et une fois l’inventaire desexploitsdemonmeilleuramipatrond’unbarterminé,lesilencerevient.Pouruncourtinstant.—Tuterappellesqu’onparlaitsouventd’unevieendehorsdecesmurs?souligneVic.—Jemesouviensdetoutesleschosesqu’ons’estdites.Iln’yenapasunequej’aioubliée,jelesavaisnotéessurunboutdepapieràl’hôpital,etdepuis,jel’aitoujoursdansuneboite.—Aller au cinéma enmangeant du pop-corn et faire une tentative ratée de rapprochement. Faire unebaladedanslaforêtets’yperdre,jecommence.Vicsembleaussisurprisequ’amuséedem’entendre.Etvisiblement,elleaussilesconnaîtparcœur.—Nagernudanslamer.Danserunslowdansunesoirée.Mangeruneglaceenfévrier,poursuit-elle.—Acheterdequoifaireungâteauauchocolatetleréaliser.Observerlesétoiles.Marcherenvillemaindanslamain.Jesensquenosmainsenquestionsefrôlentalorsquenousmarchonscôteàcôtesurlesentier,alimentantunpeupluslefeuenmoi.—AllervoirunmatchdeBaseballethurleràlafin,continueVic.Jemetournepourobserversaréactionlorsquejelanced’unevoixrauque:—S’embrasserdansunevoitureenpriantpournepassefairesurprendre.—Etfairel’amourcommes’iln’yavaitpasd’épéedeDamoclèsau-dessusdenostêtes.Nous nous dévisageons dans cette tension pesante remplie de non-dits, seuls dans cette nature calme.J’entendslesbattementsdemoncœurdansmatête,curieuxetenmêmetempscraintifdesavoircequ’elleaentête.—J’auraisunequestion,mechuchote-t-elle.

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—Pose-la.—Ilyaeudesfilles,après…moi?Beaucoupjeveuxdire?J’hésiteàrépondre,pasparcequelaréponseluiseraitdéplaisanteàentendre,maisplutôt,parcequ’elleestcomplexeàexpliquer.J’aieudedrôlesdecomportementsànotrelibération,etplusieurspsysm’ontapprisàmettredesmotssurdesactesquejenecomprenaispastoujours.JecontinuedemarcheràsonrythmeengardantunœilauloinsurBax.—Ilyaeubeaucoupdefillespendantuntemps,etensuite,j’aijuste…cen’étaitpaspareilentretoietmoi,etellesetmoi,j’expliqueavecsincérité.Etc’estlavérité.Jenefaisplusl’amourcommejeluifaisais.Jenerespireplusdelamêmefaçon,jen’existeplusdelamême manière. Je suis différent, tellement que parfois, lorsque je me regarde dans la glace, je medemandequiestcetinconnu.Quiestcethommequimeressembleenapparence,maisquiàl’intérieurestdevenuaussifroidqu’éteint.Jesuiséteintetjesurvisdanslanoirceurenattendantlejouroùunpeudelumièreviendraéclairercevide.Avant,j’avaiscettelueurdanslapénombre.Avant,jepossédaisunelumière,elles’appelaitVic.Maisonmel’apriseilyadixansdeçaetdepuisdixans,j’avancedansl’obscuritéenespérantnepaschuter.—Iln’yaeupersonned’autredepuistoi,m’avoueVicdansunchuchotement.Jemefigesurplace,commefrappéparsasincérité.Unepartdemoibonditenapprenantqu’iln’yaeuquemoiquicomptaisàsesyeux.Leseulquiavaitledroitdeluifaireça.Cettemêmepartdemoisesentprivilégiée.Etuneautreréaliseàquelpointnotrecaptivitéaeuseseffetsnéfastessursaviedefemme.Lesexen’ajamaisfaitpartiedesaviedepuismoi.Depuiscettedernièrefois,quej’aigravéedansmonesprit.C’était si bon d’être ainsi avecVic.Réapprendre à faire l’amour avec quelqu’un qu’on désirequand on nous oblige à faire un acte qui ne devrait pas être ainsi, c’est une expérience étrange, etbouleversante.Maisj’aimaisfaireçaavecelle.J’aimaisdansnotrenoirceurdécrocherunpetitboutdeparadisqu’onpartageaitdanslesbrasdel’autre.—Jenesaispaspourquoijetedisça…soupire-t-elle,malàl’aisedemonsilence.Jemeremetsàmarcherpournepasluimontrerquesonaveum’atouché.—Parcequec’estlegenred’aveuxquetupeuxmefaire,Vic,jerépondsd’unevoixcalme.—Ettoi?Situavaisunaveuàmefairemaintenant,lequelceserait?Jelaregardeducoindel’œilensentantcettetensionenmoigrandirdeplusbelle,l’atmosphèrehumidedelaforêtsegorged’unetensionsexuellequimebouffedel’intérieur,lorsquejeluiavoue:—Jetediraisquej’aimeraisêtreleprochain.

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—Mais?Jesouris,elleestaussiperspicacequemoiquandils’agitdemoi.Jem’arrêtepourluifaireface,Vicfaitdemême,toutcommeBax.Jevoisdanssonregardqu’ellecomprendquejevaisêtredur,etterriblementréaliste.— Mais j’ai peur que ça nous détruise Vic. J’ai peur que cette soudaine proximité, ce soudainrapprochementnousplongentdansunespiraledangereuse.Jeneveuxpasm’accrocheràtoiennesachantpaspourdemain.J’enaitropchiépourm’ensortir,jeneveuxpasreplonger.Quandelleestpartie,j’aisombré,laséparationaétéundéchirementquepeudemondeacompris.Iln’yaqu’unpsy,celuiquimesuitdepuisneufansmaintenantquiacomprisl’importancequ’avaitVicdansmavie.—Jen’aiquedel’incertitudeàt’offrir,Reag,meconfie-t-elle.—Moiaussi.Nousvoilàsurunpiedd’égalité.— J’aurais aiméme reconstruire avec toi, etmême ça, on nous l’a pris,me chuchoteVic d’une voixdouloureuse.Sans ça, nousn’aurionspas àvivre ça.Sans cequ’ils ont fait, on s’en serait sortis ensemble, commetoujours.Commedurantcesquatreannées.—Jesais.—Jeleurenveux,situsavais,poursuit-elle.—MoiaussiVic,moiaussi je leurenveux.C’estuneplaieprofondequ’ilsnousontfaiteenplusdesautres.Ilspensaientbienfaire,maisilssesonttrompés.Ilssesonttrompés.Nosparents.Ilspensaientqueceseraitlasolution.Pourcontinuerdevivre,ilfallaitnousséparer,réapprendreàvivrenotreanciennevied’avant,saufquenosprioritésàVicetàmoiavaientchangé.Onnepeutpassepasserdequelqu’unquinousaétévitallorsdespiresmomentsdenotrevie.Etça,ilsnel’ontcomprisquetroptard.Nouscontinuonsàmarcherdanscesilencepesant,unsilencequinemeplaitpas,jeletrouvetroplourdpourunaprès-midicertespluvieux,maisquiavaitsibiencommencé.—J’aimeraisteproposerquelquechose,jelanced’unevoixpluslégère.Histoire de détendre l’atmosphère.Vicme lance un regard quime fait comprendre que j’ai toute sonattention,alorsjepoursuisenramassantunebranchemortequejelanceàBaxpourl’occuper.— Dans une semaine, nous allons fêter la 99ème émission d’enquête dans mon boulot. Mon patron aorganisé unegrosse fête dansnos locaux avec toutes les personnes travaillant pour la chaîne.Ondoit

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veniraccompagné.Etj’aimeraisquetum’accompagnes.JesensVicseraidir,ellevamedirenon.—Reag…—J’aimeraisquetum’accompagnes,jel’interromps.Jen’aipasenvied’yallercrois-moi,maisjepensequelasoiréeseraitplusagréablesijet’avaisàmonbras.—Ilfaudramettreunetenuedesoirée?J’acquiesceen l’imaginantdansunebelle robequimouleraitunpeuplussoncorpsqueses jeanset t-shirts.—Jecroisbien.—Tuserasencostume?—Oui.—Jenesaispassij’ensuiscapable,maisj’aimeraistedireoui,m’explique-t-ellesansretenue.—Alors,disoui.Vic se taitun instant, elle réfléchit sansdouteaupouretaucontre, avantdeme répondred’unepetitevoix:—Oui.—Jesuiscontentdetaréponse.Vicmesourittimidementetj’aidumalàcontrôlerlesbattementsdemoncœur.Ellemefaittoujoursceteffet.Iln’yaqu’avecellequelaglacefondetquemafroideurseréchauffe.Elleestmonexception.—Tuasréaliséautantd’émissions?medemandeVicsoudainement.Jelaisseéchapperunrireamusé.—Non,jen’enairéaliséquedix-huit.—C’esténorme!C’estungrostravaileffectivement.—Etsiondiscutait?jeproposel’airderienpouréviterqu’ellemeposed’autresquestionssurcesujet.

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—Dequoi?—Detout,etderien.Surtoutdetout,etbeaucoupderien.Etc’estcequ’onafait.Onamarchéjenesaiscombiendetempsavecletonnerrequigrondaitau-dessusdenous,dansl’herbefraicheetmouilléeaveccettelégèrebrise.Ellem’afaitparlerdemonboulot,desgensque jerencontre,demesamis,demafamille,demasœur,desanecdotesquimepassaientpar latête,etj’aifaitdemême.Ellem’aracontédesacréespéripétiesdanssoncinéma,avecsafamille,destasdechosesnaturellesquedeuxamiset…amantspeuventseraconter.—Tudessinesencore?Vicsecouelatêteenprenantunairmélancolique.—Plusdepuistoi.—Tuaimaistellementça,jesoupire.Vichausselesépaules.Tudessinerasànouveau.Jesouristristementendéclarant:—Ilyabeaucoupdechosesquenousnefaisonsplusdepuisnotrelibération.—Unexemple?—Ehbien…JesuistellementabsorbéparVicquejeneregardemêmepasoùjemetslespiedsetcommeunabrutidepremière,jemeprendsunebranchemorte.Jeperdsl’équilibre,Victentedemerattraper,commesiellepouvaitmaintenirplusde90kilosdemuscles.Ellemesuitdansmachute,etnoustombonslelongdelapetitepentejusqu’aubordd’unpetitruisseau.Laterreetlesfeuillesmortesethumidespourrissentnosvêtements, nous finissons crades, l’un sur l’autre. Vic sur moi, contre mon torse, ses cheveux brunsremplisdebrindilles,sajouedroitecouvertedeboue.Elleritauxéclats,etjesavoureceson.—Onnet’apasapprisàmarcherKane?Jesourisàmontourenglissantunemaindanssescheveuxpourlarapprocherdemonvisage.Jen’auraisqu’àleverunpeulatêteetjepourraisl’embrasserànouveau.Carlasentirsiproche,metàmalmonself-controletfaisréagirmaqueueviolemment.Vicfermelesyeuxsousmoncontactetsoudainsarespirationsebloquelorsqu’ellemedemande:—Çafaittoujoursaussimal?Pasbesoindeplusdemots,j’aicompriscequ’ellevoulaitmedire.Jefermelesyeuxàmontourenlaserrantcontremoi,danscettebouedégueulasse,loindetout.Justeelleetmoi…etBaxquiaboie.

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—Tuapaisesplusd’unmaux,jechuchote.Mêmesituencréesd’autresVic,lesplusprofonds,lesplusdouloureux,tulesapaisespartasimpleprésence.Jenedevraispasporterautantd’espoirenelle,maisc’estplusfortquemoi.Aufond,jesuistoujourscegaminquiesttombéamoureuxd’unefille,aumauvaismoment,aumauvaisendroit,etça,niletemps,nilesautres femmes,etencoremoins ladouleurnepourraeffacer l’amouret l’affectionque je luiporte,justement,c’estdansladétressequ’ons’accrocheàcequinouspermetdegarderlatêtehorsdel’eau.Aurisquedesenoyerquandmême.—Reagan?—Oui?jesouffle.—Etsiunepartdemoin’avaitpasenvieque…Jel’interrompsavantqu’elleneterminecarjesaiscequ’ellevadire.—Jeterépondraiqu’unepartdemoiaimeraittesuivre,jerépondsdansunsouffle.

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Chapitre14Vic

23Avril2016Lancaster,Pennsylvanie.MonvisageretombesurletorsedeReagan,sursapoitrinelàoùbatsoncœur.Jemesouvienscommesic’étaithierde ladernière foisoù j’aiécoutécesbattements,de leurs fréquenceserratiques, le jouroùl’ons’estditaurevoirsanslesavoir.Jen’ai jamaisditadieuàReagan,mêmesià l’autreboutdupays, jesavaisque jene lereverraispasavantlongtemps,aufondjesavaisqu’onseraitamenésàseretrouver.J’ignoraisseulementqueceseraitpourunprocès,j’ignoraisqueceseraitenayantladésagréableimpressionden’êtrepluscapablederien.À17ansj’auraisdûmebattrepourlui,pournousaulieudemelaisserentraînerparcequisemblaitlemieux pour tout le monde, par les arguments qui aujourd’huime semblent stupides. Comment j’ai pucroirecesadultes,alorsquetoutmonêtremedisaitlecontraire?Jenesaispas,peut-êtrequejesavaisaufondmoiaussi,quejeneseraispasbonnepourReagan,poursareconstruction,peutêtrequesij’aiacceptésansfairetropdevagues,c’estquejepensaisReaganmieuxsansmoi.Maisaujourd’huitoutestdifférent,jesuisadulte,capabledeprendremesdécisionsseuleetpourtantjesuisplusfaiblequecettefillequiétaitsortiedequatreannéesd’enfer.C’estcequiestleplusdéroutant,seretrouverbeaucoupplusfragileaprèstoutescesannées,commesidurantnotrecaptivitéuneforcememaintenaitenvieetqu’unefoissortie,cetteforces’estévaporéeetjen’aipassurvécu.Cetteforce,elleestlà,sousmoi,àsebattreavecledésirqu’ilressentetquejeperçoisparfaitementsouslacouchedevêtements.Ilestmalàl’aisedemedésirer,alorsqueçadevraitêtretoutlecontraire,parcequ’iln’yaqued’unseulhommequejepeuxaccepterçaetc’estlui.Jefrottemonnezsursont-shirt,ilsentbon,ilsentReagan,laboueetlaforêt,unmélangequimeplait.Iljoueavecmescheveuxl’airderienetjeletrouvetouchant,luisifort,siencolère,etpourtantsitendreavecmoi.Jelèvelevisagepourl’observer,ilmeregarde,cefeudanssesyeuxnemefaitpaspeur,ilm’excitemoiaussi.Ça faitdixansqu’aucunhommenem’a touchée,dixansque jenedésirepluspersonneetcettesensationdansmonventre,cevidequisecréemedéroute.Je rampe sur son corps, mon bas ventre se frottant sur le sien, Reagan grogne à moitié, je souris etpourtantjedoisêtretouterougedecettesituationétrange.Noscorpsontchangé,celuiquiestsousmoiestfort,lemienaplusdeformesqu’àl’époque.Jemehissejusqu’àêtreàlahauteurdesonvisage,jeleprendsdansmesmains,Reaganposelessiennessurmespoignets,doucement,onseregardedanscetteforêt,surunlitdeboueetBaxquiaboieàquelquesmètres.

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—Vic,jesuis…—Net’excusepas,c’est…Jedétourneleregard,gênée,Reagannemelaissepasletempsdemedérober,samainsurmonmentonramènemonvisageau-dessusdusien.—C’est?Ildemande.—Flatteur.Jesuissortieavecquelqueshommesdepuislui,maisçan’amêmepasdépassélestadedubaiser.Sentirleursmainssurmoimedégoûtaitetsurtoutjen’avaisnil’envienilecouraged’expliquermesréactionsquandilsmetouchaient.Unefillenormale,nefaitpasunbonddedixmètresquandceluiavecquiellesortposesamainsursoncorps,unefillenormalenemaintientpasunedistanceaveclecorpsdel’autrequandilss’embrassent,maispourmoi,sansconfiancejenepeuxrienfaired’autre.Jen’avaispasenviedem’expliquer,dedirequijesuis,etceparquoijesuispassée.Quiaenviedesetaperlafillebriséequineserapeut-êtrejamaiscapabledepasseràl’étapesexe?Personne,etjepréfèrequ’onmeprennepourunefolleplutôtqu’unevictimedeviol.AvecReagantoutçan’existepas.Aveclui,jesuismoi,avecmesblessuresetmesdoutesqu’ilconnaît,sansavoiràmecacher,sansavoirpeurdedéplaire.Etjen’aipasoubliécebaiseràlasortiedutribunal,cettedétressequ’ilamiseenm’embrassantetcedésirsipuissantquiémanaitdesoncorps.Ilm’aenflamméeenuneseconde,parcequec’estlui.Monvisages’approchedangereusementdusien,Reagansefigesousmoi, ilnefaitaucungestecommes’ilavaitpeurd’enfaireunetdeperdrelecontrôle.J’aimequandilperdlecontrôle,j’aimequ’ilsoitfougueux avecmoi, ilme faitme sentir normale, comme une femme qui désire un homme et dont lessentiments sont réciproques.Ma psy pense que je ne dois pas chercher à être normale,mais plutôt àavancerentenantcomptedemonpassé.Maisellenesaitpascequec’estquedeseréveillerenpleinenuitaveclasensationréellequequelqu’unabusedevotrecorps,desursauteràchaqueportequiclaque,de regarder derrière soi tous les dixmètres pour être certaine de ne pas être suivie, de redouter lesmomentsoù jesuisseulechezmoiparcequechaquepetitbruitmerappellequ’autourdemoi,danscemondeilyadesfousquinedemandentriend’autrequed’abattreleursfoliessurmoi.Ellenecomprendpastoutçaetl’enviequejustementtoutdisparaissepoursesentirnormale.MeslèvresseposentdoucementsurcellesdeReagan,jelesfrôleensentantcettedouceeuphorieprendrepossessiondemoi,parcequejesuiscettefemme,quiembrassel’hommequ’elleaimedepuistoujoursetquiappréciecesimplegeste.Reaganmelaissefaire,iln’estpluscommel’autrejourautribunal,iln’estplusdévoréparlebesoinetpourtantilesttoujoursaussitendu.Mesmainscaressentsesjouesrâpeuses,etmalanguevientsefrotteràseslèvrescloses.—Embrasse-moiReagan,montre-moilechemin.Ilm’observe,desesbeauxyeuxverts,lesoufflecourt,jemedemandes’ilvalefaire,s’ilvamesuivre,comme il l’a dit, ou si tout simplement la part de lui qui a peur autant quemoi de nous deux, vamelaisser.Reaganmefaitroulersurledos,soncorpsvientsurplomberlemienetcetteforcebrutequ’ildégagenem’effraiepas,ellemefaitgémird’envie.Reagansejettesurmaboucheetjeretrouvel’hommepassionnéque j’aiaperçuau tribunal.Sabouchedévore lamienneavecenvie,sa langue trace lescontoursde la

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mienneets'enimprègneàn’enplusfinir.Soncorpspèseunpeuplussurlemien,j’écartelesjambesetnaturellementilvients’ynicher.Ilgrognedansmaboucheensefrottantàmoi,sesmainssebaladentsurmoncorps,commepourdécouvrirchaquenouvellecourbe.Jesuisunemontagnededésirdanssesbras,lessensationssontdémentes,tellementparfaitesquejesuccombeetendemandeencoreplus.—Toutvabienlà-bas?!Cettevoixnousfaitnousfiger,noslèvresseséparent,maisnoscorpsrestentl’unsurl’autre.—Ouais!hurleReaganenréponse,toutvabien!—Votrechienn’arrêtepasd’aboyer!Reaganm’observesans répondreà l’hommequivientde troublercemomentsiparfait.Levertdesesyeuxbrillecommedeuxémeraudesenpleinsoleil,saboucheentrouverte,laissepassersonsoufflelourdetsescheveuxenbatailleàcausedemesmainsviennentfinirletableau.J’aienviedeledessinercommeça.J’imprègnesonimagedansmamémoirepourplustard,quandj’auraiunefeuillededessindanslesmainsetquejepourraiygravercetteexpressionbruteetpresquedouloureuse.—Bax!CriedenouveauReagansansmêmedétournerleregarddemoi,viens-là!Le chien descend enfin et s’approche de nous, il n’attend pas et exprime sa joie d’avoir retrouvé sonmaîtreenluiléchantlevisage.JerisenvoyantReagantenterdelerepousser.—C’estbonmongros,jevaisbien.Reaganserelève,ilestcouvertdeboue,debrindillesetdefeuilles,jefaisdemêmeetenlèvecequejepeuxdemesvêtements,maisjenefaisqu’étalerlabouedessus.Une fois qu’on a fini de tenter de se nettoyer pour rien, on remonte sur le chemin. Reaganm’aide àgrimperetjemanquedetrébucher.Cen’estdécidémentpaslajournéepourfairedelamarche.Iln’yaqueBaxquigardesonéquilibrequoiqu’ilarrive.Cechienestmagnifique,joyeux,pleindevieetjesuisheureusequeReaganl’aitdanssavie.Onrevienttranquillementversnosvoituresdanslecalmeetcommesiriennes’étaitpassé.Pourtantils‘enestpassédeschoses,ils’estpasséplusdechosescetaprès-midiquedurantcesdixdernièresannéespourmoietjesuisunpeudanslebrouillard,sûrementencoresousl’effetdeReagan.—Alorsdit-il,encroisantlesbrassursapoitrine,tuviendrasavecmoiàcettesoirée?JecaresseBax,assisàmespieds,lalanguependante,sonpoildouxglissesousmesdoigts,toutcommemaviesij’acceptecerencardavecReagan.Elleglisseraverscettepentequejesaisdémente,quejenepourraispasarrêteretquejemeursd’envied’emprunter.Oui,j’aienvied’êtrecettefemme,normaleetcapabledeselaisserporterparl’ampleurdesessentiments,maisjenesuispasseuledansl’histoire,ilyaluiaussi.—EtensuiteReagan?

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Jedélaisselechienpourmeconcentrersurlemaître.—JenesaispasVic.—Etçatefaitpeur…J’aibiencomprisqu’ilhésiteàs’engageravecmoipourautrechosequedel’amitié,ilapeurdesouffrir,etjenepeuxpasluidonnertort.Jenesaispasdequoidemainserafait,jenesaispassiaprèsceprocèsquinousmetàmalonseraencorecapablesdes’aimer,sanssefairedemal.Sitouslesobstaclesànotrerelationserontcettefoisvaincusparnossentiments.Jenesaispasetquelquepart,moiaussij’aipeur,maisl’enviedel’avoir,l’envied’êtreaveclui,demesentirvivantedanssesbras,supplantelereste.—Tuaspeurdemoi.—J’aipeurdeceque tudéclenchesenmoi,dit-ilens’approchant,etque tum’échappesdenouveau.Maisjenepeuxpasnonplusm’éloignerdetoi.Je souris en caressant sa joue, cet air froidqu’il donne à tout lemonde est de retour il essayedemecacher ce qu’il ressent,mais c’est inutile, je le sais et je le comprends. Je suis capable de supporterbeaucoupdechoses,j’enaisupportébeaucoup,maisilyenaunequim’atoujoursanéantie,c’estdelevoirsouffrir.Jefaisledernierpasquinoussépare,ilouvreinstinctivementsesbrasetjem’yengouffreavecplaisir.—Jeviendraiavectoi.

***On entre dans le vif du sujet aujourd’hui, avec l’écoute des témoignages des uns et des autres, desspécialistesetdetouteslespersonnestouchéesdeprèsoudeloinparcetteaffaire.Aujourd’huionfaitletour des psychologues et des autres médecins qu’on a croisés depuis notre sortie. Des photos sontaccrochées surun tableaublanc,denoscorpsmeurtris,desmarquesqu’il a laissées,pour certainesàjamais,surnotrepeau.—DocteurMacTeller, vous êtes le médecin qui a ausculté, les victimes à leur sortie de captivité ?demandeleprocureurautémoin.—C’estça,répond-il.Jemesouviensvaguementde lui,à l’hôpital,desavoixdoucequiessayaitdemerassureralorsqu’ilposaitsesmainssurmoipourm’ausculter.Jemesouviensdesesquestionsauxquellesjenevoulaispasrépondreetdesflashsquin’ontpasarrêté,commesionmeviolaitunenouvellefois.—Quellesontétévospremièresconstatationsdocteur?Ledocteurserecaledanssachaise,ilremonteseslunettesd’undoigtsursonnez,c’estunhommed’une

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cinquantained’années,auregardbrunaussidouxquesavoix.Ilsepencheenavantpourparlerdanslemicro.Iln’apasl’airàl’aise,peut-êtreest-celapremièrefoisqu’ilvienttémoignerdansuntribunal.—Etbien,lesdeuxpatientsétaientdésorientés,affaiblisetcraintifs.Monéquipeetmoi-mêmeavonstoutdesuitecomprisqu’ilsavaientétévictimesd’uneagression.—Objectionvotrehonneur!Purespéculationdelapartdutémoin,àcemomentilignoraittout.Leprocureursoupireensetournantversl’avocatdeladéfense.—Votre honneur, il reprend d’un ton dépité, le témoin étaitmédecin aux urgences depuis une dizained’annéesàl’époquedesfaits,ilétaitlargementcapablededétecterlessymptômesd’uneagression.—Rejeté,conclutlejuge,reprenezmaître.Leprocureursetournedenouveauversletémoin.—DoncdocteurMacTeller,ensuitequ’avez-vousremarquéd’autre?—Leursdiscoursétaientincohérents,paniqués,onaessayédelesséparerpourpouvoirlesausculteretles soigner, mais on n’a pas pu, alors on les a installés ensemble avant de leur administrer dans unpremiertempsdequoilescalmer.Ilsétaient…Ledocteursetaituninstant,sonregardseportesurReaganetmoi.—Ilsétaient…docteur?Reprendsleprocureurpourleramenerautempsprésent.—Perdus,c’estcequejemesuisditenlesvoyant,cesdeuxgossesétaienttotalementperdusparcequ’onvenaitdelesprojeterànouveaudanslemonderéel.—Objection!Purespéculationàmoinsqueletémoinaitdéjàquittécemondepourunautre?Le procureur fait signe au juge qu’il accorde cette objection que je trouve stupide et reprend soninterrogatoire.—Ensuitedocteur?—Ensuitedit-il,onn’apulesausculterunefoisqu’ilsétaientcalmés.—Qu’avez-voustrouvé?—Lesdeuxpatientssouffraientdeplusieursblessures,desanciennes,desrécentes,lesradiosontmontréque lapatienteaeu lebrascassé ilyaplusieursmoisetque la fractureavaitmalétéconsolidée.Lepatientlui,affichaitdescoupuressurletorse.Ilsétaienttouslesdeuxdéshydratésetaffaiblis.Ilsavaienttouslesdeuxdestracesdeliensàlacheville.Ledocteursetaitetjetteuncoupd’œilauxphotosquidémontrentparfaitementcequ’ildit.

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—Legarçonprésentait aussidesmarquesde fouetdans ledos,dit-il enmontrant laphotodudosdeReagan et ses autres blessures, les hématomes sur les bras et sur les jambes, sont d’ordre défensif,commes’ilavaitvouluprotégersoncorpsavecsesmembres.Reagans’agiteàmescôtés,jetendslamainetprendlasienne,sursajambequis‘agite.Ilserremamaintoutenrestantconcentrésurlediscoursdutémoin.—Quant à la fille, les hématomes sur son corps laissaient penser à un viol, ils étaient localisés surl‘intérieurdesesjambes,sursontorseetsonvisage.Jem’attendsàentendreuneobjectionsurlesspéculationsdutémoin,maisl’avocatdeladéfenseesttropconcentréàgribouillersursoncarnetpourrelever,oualorsilabiencomprisqueçaneservaitàrien,ledocteursaitdequoiilparle.—Qu’avez-vousfaitensuitedocteur?—Onaprocédéàunexamengynécologiquesurlapatiente,etleslésionsqu’onadéceléesontconfirmécequenousavionsconstatédèsledébut.Elleavaitétéviolée.Plusieursfois.Soncorpsgardaitlestracesde nombreux abus, son pubis était bleui par les coups, son vagin avait des lésions internes profondescertainescicatriséesetd’autresplusrécentes.Jebaisselesyeuxenentendantcesconstatationsstérilesdemoncorps,commesij’étaisunemachineetnonunêtrehumain.Jemesensmalàl’aisequ’onparledemoiencestermesdevantunedizainedejurésinconnus.Reaganresserresaprisesurmamainetledébatcontinue.—Onapratiquélekitdeviol,onapupréleverduspermeetdespoilspubiensquin’appartenaientpasàlavictime.—Ensuitedocteur?—Au vu de l’état de la patiente, on s’est aussi demandé si le jeune homme avait subi des sévicessexuels,puisquejusque-làleursblessuresétaientquasisimilaires.—Était-celecasdocteur?—Oui,dit-il,luiaussiamontrédesblessuresduesàdessévicessexuels.JemedéconnecteenregardantReaganconcentrésurledocteur,jeneveuxpasécoutercequ’ilvadire,jeneveuxpasentendrelabrutalitéqueReaganadûsubir.Monestomacnelesupporterapas,j’aidéjàlanauséedecestermescrusetcliniques,quipourledocteursonthabituels,maispaspourmoi.IlconcernemoncorpsetceluideReagan,ilconcernenosâmes,marquéesàjamaisparcesblessuresphysiques,etmêmesicertainesontdisparu,ellessontgravéesàl’encreindélébileennous.

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Chapitre15Reagan

10Mars2004Deuxansdecaptivité.Lorsqueleschoseschangent,onnes’enrendcomptequ’unefoisceprocédéterminé.Leplussouvent,ilssontdéfinitifsetsiétrangesqu’onsedemandecommentonapupasseràcôtédeça.Quand j’étais encore dansma famille, nous ne voyions pas souventmes cousins.Mon père etmononclenes’entendentpastellement,maisunefoistouslesdeuxans,nousfêtonsThanksgivingavecnosgrands-parents. Ma tante me disait à chaque fois qu’elle me revoyait « Reagan tu as tellementchangé!».Mamèrerépondaitsouvent«c’esttoujourslemême,voyons»,maismatanteconfirmaitquenon,ilyavaitduchangementchezmoi.Etelleavaitraison.C’est lorsqu’on voit les gens chaque jour, qu’on s’habitue tellement à eux, qu’on ne les voit pasévoluer.C’estlorsqu’onnelesvoitquerarementsurunelonguepériodequ’onremarqueavecterreuràquelpoint,l’humainévoluevite.En sept cents jours, j’avais grandi, mon corps avait changé, ma vision du monde et des choseségalement.Auxyeuxdematante,j’étaisunpetitgarçon,puislafoisd’aprèsunpréadolescent,avantdedevenirunadolescent.Elleremarquaitceschangementschezmoi,alorsquemesparentsnelevoyaientpas.J’ensuisarrivéàlaconclusionquetantqu’onnenousfaitpasremarquerquequelquechoseachangé,onnes’enrendpascompteparsoi-même.Aujourd’hui, j’ai compté le nombre de traits sur le mur de notre chambre. J’ai regardé Vic quidessinait,perduedans sespensées, et j’ai voulu luidirequeça faitdeuxansetdix joursquenoussommes captifs. Sept cent quarante jours pour être exact.Mais je n’ai pas pu.Autre chose de plusintensem’apercutéenladévisageant.Cette sensation m’envahit de plus en plus. Cette chaleur qui se diffuse dans mon être, serre mapoitrineavantdel’emballeretfaitnaîtredesfrissonsdansmonventre.JesourisquandVicmeparle,etj’aimalquandelleestmal.J’aicomprisilyaquelquesmoisdeça,qu’habiteravecunefilleànosâges, engendrait forcémentdudésir.Et jedésireVicmalgréceq’ilnousarrive. Je la regardeet jeréagis.Ilfautdirequelapudeuretl’intimitén’existentpasici.J’aidéjàvuVicnue,etelleaussim’avu.Siaudébut, je la regardais sans lavoir,désormais je lavois. Jevoisàquelpoint elleestdevenuefemme, à quel point son corps s’est dessiné. Je remarque ses formes, ses petites imperfections, sabeautécachéeetbriséequibouleverse.Entreledésirquej’éprouveetlesréactionsdemoncorps,jedoisgérercechangement.

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Jemesuismisàadorersonrire,sesyeuxbleusmagnifiques.Jemesuismisàapprécierdavantagecesmomentsentêteàtête,àparlerdetoutetderien,àlire,dessiner,manger,seregarder.Aujourd’hui, je suis dans la peau demes parents,ma conscience estma tante, et Vic représente lechangement.Unchangementterriblequejenesemblepaspouvoirgérer.JepeuxgérercequemefaitCooper, lahaineet lavengeancememaintiennentdebout.Jesaisqu’un jour, ilpaierapourcequ’ilnous fait.MaisjenepeuxpasgérerlefaitdevouloirVicdelamêmefaçon.Jelaveux.Jeveuxrespirersonodeur,caressersapeau,lasentircontremoi,prèsdemoi,êtreenelle.Jeveuxlachériretlaprotégerdecemalade.Maiscen’estpastout.Onditqu’entrel’amouretlahaine,iln’yaqu’unpas,etc’estpareilpourledésir.Labarrièreestfineentrel’amitiéetl’amouretjecroisbienquenousl’avonsfranchie.Quandça?Jel’ignore.Jel’aisimplementregardéeetj’aisu.J’aisuquej’étaistombéamoureuxd’elle,pasquej’allaisl’être,non,jelesuisdéjà.JesuisamoureuxdeVicetçam’effraie.Denombreusesquestionsperdurentenmoidepuiscette«révélation».Àpartirdequand, tombe-t-onamoureux?Quandest-cequenotre regardchangepourdevenirplussoutenu,plusintenseetplussensibleàchacundenossentiments?Qu’est-cequipousseunepersonneàressentirceplusenversuneautre?Maissurtout,àquelmomentprécis,on tombeamoureuxd’unindividuqu’onn’estpascenséaimer?Jedoutequejesacheunjour,jemecontentedeconstater.Jen’airienditàVic,commentluidiredetoutefaçon?Jenepeuxpaslaregarderetluidire:«Jet’aimedanscettehorreur.Jet’aimemêmelorsqu’iltefaitmal,jet’aimelorsquetupleures,lorsquetuesfaible,lorsquejeteréconforte,lorsquetumefaisrire,quetum’émeus,etquetumerendsplusfort.Jet’aimelorsquetumesoutiens,lorsquetume parles pour ne rien dire, lorsque le temps avec toi semble défiler plus lentement. Je t’aimelorsquetumefaisoublieroùnoussommes,cequenousvivons.Jet’aimesurtoutquandiln’yaquetoietmoi,loindetout,etdecetteréalitéquinousbouffe,petitàpetit.Jet’aimeetjesuisidiotdenepasréussiràledire.»Alorsjeneluidisrien,etjenedorspas.J’ignorequelleheureilest,maisVicdortpaisiblementàcôtédemoi.De plus en plus souvent, nous terminons nos nuits dans le lit de l’autre. Soit parce qu’elle fait uncauchemaretquejevienslarassurer,soitparcequel’envieestlà,cebesoinderéconfort,dechaleurhumaineapaisante.Onabesoindecontactalorsquecertainespersonnesquivivraientlamêmechosequenouslefuiraient.Nousnesommespasépargnéspourtant.JeportesurmoilesstigmatesdelafoliedeCooper.Quandilnevientpasmebaiser,ilexprimesaragesurmapeau.Mondosestsouventrougedepetitescicatricesfabriquées par le martinet. Il m’attache sur sa table et frappe. Il frappe et me touche. J’ignorecombien de fois, j’ai terminé le corps tremblant, samain sur ma queue pourme faire jouir et meprouverquecequ’ilvenaitdemefairem’excitait.J’ignorecequ’ilyadepire.Êtreattachéethumilié,ousesentirréagir.Çafaitplusd’unanqu’ilsefait«plaisir»avecmoi,etçafaitplusd’unanquej’aiapprisàdissociermonespritdemoncorps.Lorsqu’ilmeshooteetmebaise,jenesuispasaveclui,jenepensepas,jen’existepas,j’attendsqueçase terminepourallerprendremadoucheetrejoindreVic.Obtenir leréconfortdesavoix,desesbras.EtVicfaitpareil.Sauflorsquec’estplusviolent.Lorsqu’ilnoussurprendàrireouànousréconforter,ilselâche.Ilnel’arefaitqu’uneseulefois,etc’esttoujoursVicquitrinque.Illavioleenluifaisantréellementmal,avantdemebattre.J’aimeraisêtreobéissant,maisj’aitoujoursétéunrebelle.J’aiapprissimplementàenpayerlesconséquences.

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Mais cette nuit, c’estVic qui vient versmoi. Sans rienme dire, elle se lève de son lit, soulèvemacouvertureetvientseglissercontremoi.Lafraicheurdesespiedsmefaitfrissonnerlorsqu’ellelespressecontremesjambes.Jenedisrien,jelèvejusteunbraspourlacallercontremoi.Onvienttouslesdeuxd’avoirseizeans.Ellem’afaitunsuperbedessinetjeluiaioffertunorigamiavecdesfeuillesd’unlivrequejen’aipasaimé.C’étaitunaigle.Nos chaînes s’entrechoquent, je me raidis lorsque je sens la main froide de Vic se poser sur mesabdominaux.Jecommenceàvoirdesformessedessinerlà,etVicmetaquineavecça.Maiscesoir,sentirsamainici,siprèsdemaqueuequirestedemoinsenmoinssageprèsd’elle,mefaitserrerlamâchoire.Neréagispas,nebandesurtoutpas.—Reag?chuchoteladoucevoixdeVicdanslapénombre.Je sens sonsoufflecontremoncou,et j’en frissonne,çadevraitêtre illégald’êtreaussiprèsd’unefillecommeelle.—Ouais?jedemanded’unevoixtendue.Samaincaressemonventremaladroitementavantd’effleurerlerenflementdemonshort.Elleestcurieuse,etmaladroite,maissurtoutcurieuse.J’ignorepourquoionfaitçacettenuit.Est-ceparcequeCooperpeutarriveràn’importequelmomentetrecommenceràluifairemal?Jel’ignore,jenesuispasdanssatête.—Çat’arrivesouventquandjesuisprèsdetoi?mechuchote-t-elleàl’oreilletimidement.Jejureenfermantlesyeux.Puismatêteremuelégèrementpouracquiescer.—JenedevraispasVic,jesuisdésolé,jem’excuseenembrassantlehautdesonfront.—Net’excusepas…àvraidire…—Quoi?Vic remue contre moi, sa main revient sagement près de mon torse, je sens son regard sur moi,j’entendslesbattementsdesoncœurdeveniraussiirréguliersquelesmiensetuneformedetensionnaîtentrenous.—Àvraidire,jemedemandais,sinousn’étionspasici,sinousétionsdeuxadolescentsordinaires,est-cequetuiraisplusloin?Son aveume laisse sans voix.Oui j’irais plus loin, et pas seulement parce que nous sommes deuxadolescentssouslejougdeshormones.Parcequejel’aime.—Maisnoussommesici,jesouffle.Noussommesicietjeressenstoutcequejedevraisressentiràl’extérieur.

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—Noussommesici,maisje…Vicsetait,ellehésite,jelasensmalàl’aisecontremoi.Aussi,jem’écarteunpeupourluilaisserdel’espace.Jesensqu’elleabesoindeparler,cequiveutdirequecesparolesluitrottentdanslatêtedepuisunmoment.Commemoi.—J’aimeraisnepasressentirça,Reag.J’aimeraisnepaséprouverceschosesétrangeslorsquejeteregarde.J’aimeraislesressentirdansd’autrescirconstances.—Jecroisquejesuisamoureuxetçameterrifie,j’avouesansréfléchir.Contremoi, je sens Vic se raidir, elle se redresse pourm’observer dans la pénombre et je sens lasurpriseladominer.—Tues…Jehochelatêteenrépétant:—JesuisamoureuxdetoiVic,depuisunpetitmomentdéjà.Vicbaisseleregard,unsilencepesantenvahitnotrepetitechambre.Jemesensidiot,maisàlafoissoulagédeluiavoirconfiécesecret.J’ignoraiscommentleluidire,commentelleleprendrait,qu’est-cequeçameferaitdel’entendreàvoixhaute.Danslavraievie,onpensequecetypededéclarationsefaitdansunendroitidyllique,maislaréalité,c’estqu’onfaitcequ’onpeut.Quand j’étais gamin, j’ai été amoureux d’une fille, enfin, du moins je le pensais. Elle s’appelaitBrittany Coleman. Je lui ai envoyé un petit mot avec écrit dessus : TU VEUX ÊTRE MONAMOUREUSE?(Cochetaréponse).OUI,NON,PEUT-ETRE.ElleavaitréponduNON,etçaadûêtremonpremierchagrind’amour.—Mieuxvautavoirpeuràdeux,qu’êtreterrifiétoutseul,finitparmedireVic.Samainsaisitlamienneetellereprendchacundemesmots.—JecroisquejesuisamoureusedetoiReaganetçam’effraie.Onaurapeuràdeux,commedepuisledébut.Jelafaisbasculersurmoi,soncorpscontrelemien,jetentederesterconcentrépournepasdireoufaireungestequilaterrifierait.Jenesaispasoùonva,maisjesaisqu’onaffronteraleschosesplusquejamaisensemble.—Onenferauneforce,toietmoi,contrelui.Onenadéjàfaitnotreforcepournepassombrer,notreamitié,maissurtout…ça.

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Mamaineffleuresajoue,Viccroisedenouveaumonregardetj’ylislapeur.—Mêmesiçafaitmal,chuchote-t-elle.—L’amourfaitmal,c’estcequeleslivresnousapprennent.Etlavie.—Nousnedevrionspas,souffleVic.Son visage est si près dumien, tellement, qu’ilme suffirait deme pencher pour l’embrasser. Pourposermabouche sur ces lèvres quim’appellent depuis si longtemps. Jemedemande ce que çameferaitsijel’embrassais,quellesensationj’éprouveraisetsijepourraism’arrêter.—Ilyatantdechosesquin’auraientpasdûsefairedansl’existencedechaqueêtre.Jen’auraispasdûrentrersitarddulycée,tun’auraispasdûtetrouverlà.Nousnedevrionspasconnaîtrecettevie,subircequ’ilnousfait…Maistomberamoureuxdetoi,n’enfaispaspartie.Jesuisamoureuxdetoi,etjeneveuxpastelecacher.—Ilvanousdétruire,lanceVicenfermantlesyeux.Sonfronts’appuiecontrelemien,maiségalementsonentrejambeetjejuresilencieusement.Elleneserendpascomptedel’effetqu’ellemefait.—Plusqu’ilnel’adéjàfait?Tusais,ilarriveunmomentoùlafissureestsigrandeetdéveloppéequ’onnepeutpasdavantagel’étirer.Chaquechoseaunefin,jepoursuis.—Magrand-mèremedisaitqu’aimerquelqu’unréparelespiresblessures.Jecaressesajoue,etVicglisseunemaindansmescheveux,onn’ajamaisétéaussiprochesl’undel’autre. J’entends mon cœur battre dans mes tempes, nos deux respirations sont saccadées, etl’émotionestprésente.Cequ’onvientdes’avouer,enpleinmilieudelanuit,cen’estpasrien.C’estbeaucoup.—Jeveuxbienréparerlestiennes,Vic,jemurmurecontreseslèvres.Dans cette horreur, nous avons eu la chance d’être deux. Dans cette horreur et dansl’incompréhension,noussommestombésamoureux.Maiscommentpeut-ons’aimerdansunesituationcommelanôtre?Jemeledemande,sansvraimentyréfléchir,carcequejevoisdanssesyeuxexprimebeaucoupplusquede la simplepeur, de la fatigueouautre chose.Vic ressent exactement lamêmechose que moi, et cette nuit, elle a fait un pas dans ma direction. Cette nuit, je lui ai dit que jel’aimais, et elle aussi. Et nos regards en disent plus. Ils parlent de ce désir, de ces envies qui ontencoredumalàtrouverdesmots.Ellesentmonexcitation,jeperçoislasienne,maislesilenceparlepournous.—Embrasse-moiReagan,medemandeVicsansmequitterdesyeux.

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Etc’estcequej’aifait.Biensouvent,tropdefois,etj’enaiaiméchaqueinstant.J’aiaimélecontactdeveloursdesalanguesurlamienne,seslèvresdouces,leslégersfrottementsdemabarbecontresapeau.J’aiaimécettepassionquinousanime,latension,etcequ’unsimplebaiserengendreennous.Jel’aiaiméelle,enversetcontretout,depuiscejour.

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Chapitre16Vic

5Mai2016Lancaster,Pennsylvanie.Cen’estqu’unesoirée.C’estceque jemerépète inlassablementdepuiscematin. J’essayede le faireintégreràmoncorpsquin’arrêtepasdetrembler.Maiscettesoiréemeterrifie.Jeneconnaisrienàcegenred’évènement,lesseulesfoisoùjefréquentecequ’ils’enrapprocheleplusetquipourtantresteéloignée,c’estlesfêtesdeNoëlautravaildemonpère.Là,jedoisêtrehabilléepourunesoirée,jedoismecomportercommesitoutçaétaitnatureletavecaisance,jedoisfairehonneuràReaganetnepasluifairehonte.Etsij’échoue?Jegrogneetlâchemonmiroirquidetoutefaçonnefaitquem’indiquerquerienneva.Maisrienn’irajamais parce que ce n’est pas moi. Et pourtant avant, j’aurais adoré ça, avant d’avoir 14 ans et deconnaître des années de souffrances, je me serais jetée sur cette occasion. Aujourd’hui, je me sensseulementmalàl’aisedansmarobetropserrée,comparéeàmesvêtementshabituelsettropinstablesurdestalonsalorsquejeneportequedesbasketsdepuisdixans.Je jetteunautre regardaumiroir,moncorpsestmoulédansuneroberougequi finitpars’évaserà latailleetjusqu’augenou.Jecaresselecorsageendentelleau-dessusdelapoitrineetdansledosoùdespapillonsysontbrodés,elleestmagnifique.D’unrougevifquiressortsurmapeaublancheetjesouriscommequandjel’aiachetéecematin.Jesuisunefemmecommeça.Unevraiefemme.Jedevraisdoncêtreheureuse,maisjesuissimplementterrifiée.DenepasplaireàReagan,denepasêtreàlahauteurdecequ’ilattenddemoi…detellementdechosesenfait.Etceschosesgâchentcemomentquidevraitêtreparfait.Je repousseunemèchedemescheveuxquin’apasvoulu tenirmalgré la laquequim’apermisde lesrabattresurmonépauledroiteetdelaisserlagauchenue.J’aivumamèrefairecettecoupeàchaquefoisqu’ellevaàungrandévènementetenfantjel’aitoujoursenviéeenmedisantqueplusgrande,moiaussijemettraismescheveuxainsi.Mesbrasaussisontnusetquelquescicatricessontvisibles,maisl’essentielestcachéparmarobe.Onfrappeàlaportedemachambreentrouverteetjesursautedevantlemiroir.—Tuesprête?demandemamèreenl’ouvrantcomplètement.Jemeretourne,ellem’observelaboucheouverteetsonregardinsistantcommenceàmegêner.—Maman?

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Elles’approche,sesyeuxbrillent,etj’aisubitementl’impressiond’alleraubaldepromo,celuiquejen’aipaseulachanced’avoir.—TuesmagnifiqueVic.Elleprendmespoignetsetrelèveunpeumesbraspourmieuxm’observer,leslarmesauxyeux.—Maman,cen’estqu’unerobe.Sonregardrevientsurlemien,leslarmesnevontpastardersijenel’arrêtepas.—C’estbienplusqueça,dit-elletoutbas.Jedétourne le regard,gênée,ensachantparfaitementcequ’ellevoit.Sa fillequi,à28ans,commenceenfinàsecomporternormalement.Déjàquandjeleuraiannoncé,àmagrand-mèreetàellequeReaganm’avaitinvitéeàcettesoirée,j’aibienvuqu’ellesétaientravies.—C’estceluidetagrand-mère?Jesuisleregarddemamèresursesdoigtsquicaressentlebraceletlargeenperlesquiaremplacéceluien cuir que je porte habituellement et qui cache mon tatouage. Même si mes notions de modes sontvieilles,jesaisqu’onnepeutpasportercegenredechosesaveccetterobe.—Oui,jerépondssimplement.Ma mère finit par me relâcher, je la sens à deux doigts d’aller chercher l’appareil photo pourimmortaliserl’instant,alorsjedécidequ’ilesttempsdedescendre,Reagannevasûrementpastarder.On descend les escaliers, mamère sur mes talons.Mes jambes tremblent à chaque pas, encore pluslorsquej’entendsReagandiscuteravecmagrand-mère.Jemeretourneversmamèrequimesourit,l’airgênée.—Ilestlà.Jel’avaisremarqué,maiselleauraitpumeprévenir.Mesjambesettoutmoncorpsn’enfinissentpasdetrembler.Reagannem’ajamaisvuehabilléeainsi,àvraidireilnem’ajamaisvueautrementqu’avecdesvêtementsscratchésàlatailleoudesjeanstroplarges.J’arrivetantbienquemalenbasdesmarches,Reaganestdedos,enpleinediscussionavecmagrand-mèresouriante.Jevoisseslargesépaules,mouléesdansuncostumesombre,entrelegrisetlenoir,sondosestpuissantcommelerestedesoncorpsetj’aihâtequ’ilseretourne,quejepuissevoirsonvisageetmeperdredanslacontemplationdesoncorpsparfait.Ilseretournedoucementetmesyeuxn’enperdentpasunemiette.Ilporteunechemisenoiresoussavesteouverte,ilal’airélégantetdécontractéàlafois,c’estsublime.Jeremarqueseulementquandilprendmamain,quandsonodeurestpresquepalpablepourmoncorps,qu’ilestprèsdemoi.—Onyva?ildemandedecetonfroidetsansappelqu’ilemploieaveclesinconnus.

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Jemereprendsenregardantautourdemoipourrécupérermapochette.Mamèremedevanceenmelatendant.—Prendsoind’elle,lancemamèrepourReagan.Je ne fais pas attention et je le précède en lâchant sa main pour sortir. J’entends vaguement Reaganrépondreàmamèrequejesuisensécuritéavecluipendantquej’inspirel’airfrais.Siavantdelevoirj’étais fébrile, en l’observant je me suis détendue, parce que Reagan avec sa seule présence saitm’insufflercettedosedecourage,cetteassurancequetoutirabiens’ilestlàetquemêmelepirenemeferapasmal.Maissafroideur,elle,mefaitredouterlepire.Jesensunemainsurlebasdemondos,Reaganestàmescôtés,sousleporchedelamaisondemagrand-mère.Lanuitesttombée,levertdesesyeuxbrilleàlalumièredelapetitelampeau-dessusdelaporte,ilal’airsisombreainsi,presqueirréel.—J’aifaitquelquechosedemal?jedemandesanslelâcherdesyeux.Ilmesouritenm’entraînantverssavoiture.Çamerassuresurlefaitqueçadevaitêtrelaprésencedesdeuxautresfemmesdemafamillequilemettaitmalàl’aise.Reaganouvrelaportièredeson4X4etm’aideàmonter,macuissefrôlesoncorpsetcesimplecontactmanquedemefaireraterlamarche.Jem’assoissurlesiège,encoretremblante,ils’apprêteàrefermerlaportière,maisjeleretiens.—Qu’est-cequ’ilyaReagan?Ilm’observe, lamainappuyéesur lehautde laportière, jen’arrivepasà ledéchiffreretcen’estpasnormal.SiReaganachangé,certaineschosesentrenousdemeurent,commesecomprendreenunregardoucommeàchaquefoisquel’undenoussesentflancherautribunal.Maiscesoir iln’yarienquejeperçois.—Désolé,dit-il,jenevoulaispastelaisserpenserque…Ilsoupireetfermemaportièreavantdefairerapidementletourdelavoiturepours’installeràmescôtés.Ilyaquelquechosequim’échappedanssoncomportement.Reagansetourneversmoiunefoisassispuisson regardglissesurmoncorps, surmes jambesàmoitiénueset le restedemapersonne. Jemesensrougirparcequeceregard-làjelecomprends.Il sepencheversmoiprendmonvisageentresesmainset sabouchevient seposersur lamienne.Salanguen’attendpas,commes’ils’étaitdéjàtropretenuetjesourisenouvrantlabouchepouralleràsarencontre. Je comprends maintenant pourquoi il semblait si froid, parce que nous n’étions pas seuls.Reaganm’embrasse, avec envie et besoin, jeme laisse aller à son baiser, appréciant de goûter à cethommequihantemaviedelameilleuredesfaçons.Maistropviteilsereculepuissonvisagevientsenicherdansmoncouàlanaissancedemonépaule.Ilrespiremapeau,mefaisantfrissonnerdebien-être.—Tuesmagnifique,dit-ilenseredressant.

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Jesourisbêtement,enétantsûrementplusrougequemarobe,maisjesuistouchéequ’ilmetrouvebelle.Il se redresseetdémarre,pendantque je regardepar la fenêtre lanuitenglober la rue. Je repenseauxparolesdemonpsysurmonretardémotionnel.Pourelle,jesuisencoreuneadolescentede14ansàceniveau, parce que je n’ai pas vécu ce que toute personne faisant partie du monde, et cohabitantsocialementavecd’autres,auraitdûvivre.J’aivéculepirepourtantetsiçam’aendurcied’uncertaincôté,d’unautreçam’aprivéedesémotionsdelavienormaleetquinousfontgrandir,decesrelationsquinousacheminentversl’âgeadulte.Etcesoirjevaissûrementprendrequelquesannéesémotionnellesquiluiferontplaisir.Cesoir,jevaissortirpourlapremièrefoisdemavieàunévènementmondainencompagnied’unhomme.

***Reagan serremamainetm’entraînedans les locauxde sachaîne.C’estungrandbâtiment,où le logotrône au sommet. Ilmeparlede la chaîne, de sonhistoire alorsqu’onpassedans lehall d‘entréequiressemble à une sorte demusée.D’anciennes caméras, des photos de tournage et d’émission d’il y aplusieursdizainesd’annéesysontexposées.Puisonsedirigeverslesascenseursoùd’autresemployésattendentaussi.Reaganlessalueetmeprésente,j’essayedesourire,deparaîtrenormale,mais,sicenesontpas tousdes journalistes, ils travaillent touspourunechaînede télé et saventparfaitementqui jesuis.Leurs regardsme fontme retrancher à côtédeReagan loindesyeux inquisiteursqui essayentdecomprendre.L’ascenseurarrive,toutlemondes’engouffreàl’intérieur,lesdiscussions,lesriresfusentetsijen’avaispaslamaindeReagandanslamienne,jepartiraisencouranttellementjenemesenspasàmaplace.Lesétagesdéfilentpuisl’ascenseurs’arrêteettoutlemondedescend,saufnous.—Jevaistemontrermonbureau,melanceReaganensouriant.Jesoupiredesoulagement, j’aibesoind’unepauseavantd’affronterencored’autrespersonnescommecellesquiviennentdenousquitter.L’ascenseurrepart,jerelâchesamainetmecalecontrelaparoienregardantReagan.Ilalesmainsdansses poches, avec son costume et son air sombre il respire la sensualité, celle qui donne envie de sevautrerdansdesdrapsetnerienfaired’autrequedécouvrircecorpsparfait.Jebaisselesyeuxensentantmonventresetendrededésirquandledingdel’ascenseurretentit.Reagan reprend ma main et m’entraîne dans des couloirs sombres, éclairés seulement par quelquesbureauxencoreoccupés.Onlongeunopenspacepuisontourneàgaucheetdenouveauunlongcouloirsombreetenfin lebureaudeReagan. Ilouvre laporte, allume la lumièreetme laisseentrerdans sondomaine.Mesyeuxs’attaquentàtoutcequ’ilspeuventvoir,sonbureauremplidepaperasse,lesmursrecouvertsd’articles,dephotosetdediversdocuments.—Jet’aiconnuplusordonné,jelanceenfrôlantlesmontagnesdedossiersposésàmêmelesol.—Àl’époque, j’avaisdu tempspourclasser les livresparordrealphabétique.Maisnecroispasquec’estlebordel,jesaisexactementoùtoutsetrouve.Je fais le tour de son bureau etme laisse tomber sur son siège.La pièce n’est pas grande, il y a une

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fenêtre qui donne sur l’extérieur,mais les stores sont baissés et une paroi vitrée près de la porte quidonnesurlecouloirsombre.L’espaceestoccupéentotalitéetjecroisquej’étoufferaisrapidementdansunendroitpareil.—Tupassesbeaucoupdetempsici?—Non,dit-ilens’approchant,laplupartdutempsjesuissurleterrainouenenregistrement.Lebureauc’estprincipalementpourstockerlesinformationscommetuvoisetrédigerlespeechdel’émission.Leresteonlefaitensallederéunionavecl’équipe.Unephotodesafamillearésistéàl’invasiondubureauàcôtédel’écrandel’ordinateur,ilestaucentreentourédesasœuretsesparents,ilestplusjeunequequandjel’aiconnu.Jeprendslecadrenoirsimpledansmesmainspourmieuxregardersonvisage.Ilrit,ilal’airheureuxquejen’aijamaisconnu.— Je n’ai pas de photos de toi, je lance. J’aurais voulu en avoir une. Plus d’une fois, j’ai eu peurd’oubliertonvisage,deneplusmesouveniràquoituressemblaisetjemedisaisquesij’avaisunephotoçan’arriveraitpas.—Lesdessins?Jereposelecadredesafamilleàsaplaceavantderépondre.—Jen’aipas touchéuncrayondepuisqu’onest sortis.Mêmepour toi j’en suis incapable.Ledessinc’était…unmoyende t’observerplusquede te rendrehommageparmescoupsdecrayon.Çan’avaitplusd’intérêtsanstoi.Reagan fait le tour du bureau etme rejoint rapidement, il tire la tablette qui cache le clavier de sonordinateuretunephotodemoiapparaîtàcôté.Jetendslamainpourtoucherlevisagedecettejeunefille,c’estlaphotoquemesparentsontdonnéepourlesavisderechercheslorsdemadisparition.Cellequej’avaisfaitecetteannée-là,aucollège,celleoùjesourisetoùlaviebrilledansmesyeux.—Cen’estpasmoi…jechuchoteentouchantduboutdesdoigtsl’imagetiréed’unjournal.Reaganfaittournerlefauteuildanssadirectionetils’agenouilledevantmoi.—Oùsont-ilscesenfantsReagan?dis-jeenparlantdeluietmoiavantquetoutçan’arrive.—Ilsn’existentpeut-êtreplustelsqu’ilsétaient,maisilssonttoujourslà.Quandjesuisavectoi,jesuiscegarçonheureux.Jetombeàgenouxsurlesolmoquettédesonbureauetmependàsoncou,auborddeslarmesenpensantàtoutcetempsperdu,àcetempspasséloindeluietàneplusêtremoitoutsimplement.—Estcequ’onpeuts’aimercommeçaencore,aprèscequ’onaperdu?Reaganposesamainsurmanuquepuissonfrontcontrelemien.Jefermelesyeuxensentantsaproximitéapaisante,cetteprésencequirassureetquipourtantfaitnaîtrebeaucouptropdequestions.

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—Quandonfaisaitl’amourVic,c’étaitseulementnous,moientoietriend’autremalgrétout.Onn’étaitplusaveclui,onétaitensembleetplusforts.—Notreamour,ilnousl’aprisquand…—Non,mecoupeReaganensepressantunpeupluscontremoi,c’est laseulechosequ’iln’apaspunousprendreVic,mêmeen faisantça,mêmeencroyantnousacheveronétait encore làeton s’aimaitencore.Etjet’aimeencoreReagan.Lesmotsnesortentpas,maismoncorpsparlepourmoi,mesmainsresserrentleursprisessursoncouetmeslèvressepressentdurementsurlessiennes.Jeveuxcroireàcequ’ildit,quetoutn’estpasmort,quetoutestencorepossible,quenotreamourestencorelà,quelquepart,perduentrepasséetprésent,entredouleuretespoiretqu’aujourd’hui,mêmesicesenfantsn’existentplus,nous,onesttoujourslà.

***La soiréebat sonplein, lesgensdansentetont l’airheureux.Le repas s’estplutôtbienpassé, ànotretableilyavaitdeuxautrescouplesdontun,composéuniquementdecollèguesdeReaganetlesanecdotesdetournagesontfusépourleplusgrandplaisirdemoncavalier.Ilpeutêtreuntyranauboulot,exigeantetcolérique,maisjesaisqu’ilsl’apprécientpoursonprofessionnalismequinelaisserienauhasard.Jesuisfièredelui,decequ’ilaréussiàdevenirmalgrétoutetdecetteforcequinelequitterajamais.Reaganavaincuplusd’épreuvesquebeaucoupdegensetils’esttoujoursrelevé.Jerejoinsnotretableaprèsêtrealléeauxtoilettes,ilresteSteveuncameramanaccompagnédesafemme,unedesseulespersonnesquinem’apasregardéecommeunmonstredefoiredurantlasoirée.Sûrementqu’ellen’estpasaufaitdel’actualitéetqu’ellenesaitpasquijesuis.—MademoiselleKristensen?Jemeretourneenécoutantmonnom,unegrandeblondetoutenjambess’approchedemoidanssarobebleueélectriquequisublimeencoreplussasilhouette.—C’estbiencela,dit-elleunefoisàmahauteur,vousêtesVicKristensen?Ellemesouritfaussement,puiselleportesacoupedechampagneàseslèvresenmedétaillant.Sesyeuxseposentsurmacicatriceaubrasetinstinctivementjecroiselesbraspourlacacher.—Oui,c’estmoi.—Impressionnant,ellereprendavecsonsouriretoujoursaussifaux.Jene réponds rien, son regardmeperturbe.Elle est commecesgens, qui cherchent la fille captive etvioléeenmeregardant,quinevoientriend’autrequecequej’aiétéetquimedonnentlanausée.

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—Jemedemandais,sivousétiezprêteàm’accorderuneinterviewpourlejournaldusoir?—Non.—Pardon?Jesoupireenresserrantmesbras,jesuissubitementglacéealorsqu’ondoitfrôlerles25degrésdanslagrandesallederéception.Jecommenceàcomprendrequej’aiaffaireàSylviaStone,laprésentatricedujournaldusoiretàmonavislagarcedeservicequinecomprendpasqu’onluidisenon.—J’aidit,non,jenevousaccorderaipasd’interview.Elleouvrelabouchepourmerépondre,mais larefermeaussitôtquanduneprésencefamilièresefaireressentiràmescôtés.Reagannousobserveavecsonairfroidetdur.—Unproblème?ildemandeensetournantversmoi.—Non,jeréponds,toutvabien.—Reagan,lesaluelagrandeblonde.—SalutSylvia.Jenepeuxm’empêcherdesourireensentantsamaindansmondossetendreetcetonsifroidmelaissepenserqu’ilneportepaslaprésentatricedanssoncœur.—Unslowdansunesoirée,jechuchoteàsonoreille.Jelesenssedétendreetquandjem’éloignedesonvisagejelevoismesourire.Ilprendmamainetnoustraînesurlapistesansmêmes’excuserauprèsdelajournaliste.Unefoisaumilieudesautresdanseurs,ilattrapematailleetmepressecontrelui.Mesmainsviennentseposersursesépaulessolidesetnousvoilàentraindedanseràunesoirée.—Toutvabien?ildemandeensuivantlerythmelentdelamusique.—Oui,dis-jeenposantmonvisagesursontorse.Samainsurmondosfaitcettecaresseapaisanteetjemedétendsdanssesbras.—Nefaispasattentionàleursregards,ilsnetevoientpas,dit-il,cequ’ilsvoientc’esttapeaumarquée,maiscen’estpastoi.Passeulement.TuesbienplusqueçaVic.—Comment je peux être autre chose quand tout lemondeme regarde comme une victime, quand ilshésitententrecuriositéetpitié?CommenttufaisReagan?Jeredresselatêtepourleregarder,ilmesourit,sonregardvertalluméàlafoisdecolèreetdetendresse.

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—Cequ’onavécualaissédestracessurnoscorpsetaussisurnotrecomportement,maisçanenousdéfinitpas, sinonçavoudraitdirequ’ilagagnéetc’esthorsdequestionVic,que je luiaccordecettevictoire. Jamais.À toidechoisir ceque tuveuxmontrerde toi.Si tu tecaches, si tuagiscommeunevictimec’estcequ’onverradetoi.Mais,situtebats,situmontresquetuesautrechose,quetuescettefemme,douce,sensible,forte,intelligenteettalentueuse,alorsc’estcequ’onverradetoi.C’estentretesmainsVic.Onsedévisagesurlapistededanseetj’aienviedel’embrasser,depuiserlaforced’êtrelafemmequ’ildécrit,àlasourcemêmedelapersonnequimedonneenviedel’être.Parcequ’ilaraison,ilnetientqu’àmoid’êtrecequejeveux.Lamusiques’arrêteetmefaitremarquerqu’onnedanseplusdepuisunmoment.Unevoixgraverésonneaumicroetonsetourneverslascènepourregarderceluiquiparle.—Bonsoirtoutlemonde.—C’estmonpatron,meconfieReagan.— Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Jamey Lane le chef de production de l’émissionCRIMINALS,quifêtentcesoirsa99èmeémission.Les applaudissements retentissent, le patron de Reagan, un homme âgé sûrement d’une cinquantained’années,grand,minceetpresquechauveal’airému.—CRIMINALS,c’estdonc99émissionsàcejour,dessujetspastoujourssimplesàtraiter,onpeutdirequ’oncôtoielepiredel’espècehumaineenfaisantcetravaild’investigation,maisc’estaussietsurtoutuntravaild’équipe.J’ailachanced’avoiràmescôtéslesmeilleursdansledomaine,ceuxquifontquel’émissionexiste,etpasseulementceuxquevousvoyezà22h30,maistousceuxquibossentderrièrelacamérapourvouslivreràchaquefoislemeilleur.Je jette un œil à Reagan pendant que les applaudissements retentissent de nouveau, il est concentré,sérieuxetsurtoutfierquesontravailsoitreconnupourcequ’ilest.—Onvadoncs’attaqueràla100ème,reprendlepatrondeReagan,cetteémissionseraspécialepourdeuxraisons.D’abordellehisseraCRIMINALSaupanthéondesémissionsstarsdelachaîneetensuiteelletoucheraundenoscollaborateurspersonnellement.—Non,chuchoteReagan,ilnevapasfaireça…—Quoi?jedemandependantquesonpatroninstallelesuspense.—Vousvoulezconnaîtrelesujetdelacentième?Lafoulecriesonenvie,cequifaitsourireJameyLane,puisilsetourneetjevoisunpanneaucachéparuntissunoiretdeuxhommesdechaquecôtéprêtsàlefairetomber.Lafoulecompte, je retiensmonsouffleensentant lacatastrophearriver.Le tissu tombeetnosvisagess’affichentengrandsurlepanneaupublicitaireaccompagnédeceluideCooper.Jesuisstupéfaiteetchoquéedevoirça.

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«L’affaireTruman-Kane–Kristensenvuedel’intérieur»voilàcequ’ilestécritsurcepanneau.JemetourneversReaganpourluidemanders’ilétaitaucourant,maisjen’aipasàformulermaquestion.Il est figé, sonvisagesuinte lahaine, sesmains formentdeuxpoings le longdesoncorps,qui lui, esttenduaumaximum.—Jevaislebuter,dit-ildansungrognementdecolère.Jem’apprête à lui parler,mais il neme laisse pas le temps et fend la foulemassée devant la scènependantquej’absorbelechocetquejemedisquelasoiréevientdeprendreuntoutautretournantquin’annonceriendebon.

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Chapitre17Reagan

6Mai2016Lancaster,Pennsylvanie.Cetenfoirévasaigner.C’estcequejememartèleentêtedepuisquesonidéedegénievientd’êtrerévélée.J’aihorreurqu’onmeprennepourunconetc’estcequeJameyvientdefaire.Jeluiaiditdenombreusesfoisquejerefusaisdemettrenotrehistoireenémission.C’esttropsensible,troppersonnel,maissurtout,troptabou.Jedoisdéjàsupporterleregarddepitiédecertainsdemescollaborateursensachantquisaventpourmonpassé,alorsdevoirétalercequej’aisubi,maissurtoutcequeVicasubi,c’esthorsdequestion.Onnevapasenresterlà.J’arrive devant le petit escaliermontant sur la scène,mais deux gros brasme barrent la route. Je lesdévisageavechaine,jesuisfurieux.—Lebossvateparler,Kane,maispasmaintenant.Jelesrepousseettentedeforcerlepassage.—Non,onvaparlermaintenant,j’exige.Les deux agents de sécurité me saisissent par les bras pour me faire reculer, je me débats, mais ilsressemblentàHulketjemelaissetraînercontremongréàl’écart.—Lâchez-moi!jelancefroidement.Nemetouchezpas.Lestypesmelâchent,jelesassassineduregardalorsqu’ilsm’onttraînéloindelascène,doncloindelafoulependantquemonsaloparddepatronterminesondiscours.Commeparhasard,Sylviaarrive,sourireauxlèvres,ellemejetteunregardquienditlong.Àmonavislagarceétaitaucourantdecettehistoire.—Tunevasquandmêmepasfaireunscandaleunsoirdefêtepourtonémission.—J’enairienàfoutredecetteputaind’émission!jerenchérisaveccolère.

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Lagrandeblondefaitsigneauxtypesdenouslaisser.Puisellem’indiquedelasuivredanslesalonprivé.Je la rejoins à contrecœur, en espérant bien pouvoir approcher mon enfoiré de patron. La pièce estdécorée avec des vieux éléments dumonde du journalisme,mais ce n’est pas ça quim’intéresse surl’instant.—Est-cequetusavaislorsquetuasproposétonimmondeinterviewàMademoiselleKristensen?jeluidemandetoujourssurlemêmeton.Sylvia ferme la porte en laissant échapper un petit rire. Je n’ai jamais supporté cette femme.Elle estprésentatricesurlachaîne,possèdelesmeilleurshorairesetsuceautantdequeuesqu’uneputeàbordelpourréussir.Voilàpourquoijesuisheureuxdebossersurunprogrammequipasselanuit,çam’évitedecôtoyercesjournalistes.—C’estdoncMademoiselleKristensenenpublic,jepensaisquec’étaittapetitecopine.Jemetournepourluifaireface,l’atmosphèredanslapiècesefaitpesante.Elleveutjouer.—Marelationavecelleneregardepersonne,jerétorquesèchement.Sylviasemordlalèvreenprenantunairdeséductricequicommenceàsévèrementmetapersurlesnerfs.—Tuvasmefairecroirequetunelabaisespas?TuessigentlemanReagan,semoque-t-elle.Jeserrelespoingspournepasluienmettreune,tellementjesuishorsdemoi.Lacolèremedomineetj’aitoujourseudumalàlacontrôlerdepuismasortiedecaptivité.Jecomptedansmatêtepourpenseràautrechose,j’essayedepenseràautrechose,maisjemesenssitrahiqueriennemarche,sanscompterlaprésentatricequienrajouteunecoucheparsaprésence.—Cen’estpasparcequetubaisesavecJameyquetoutlemondefaitdemême.—Jaloux?melance-t-elleenhaussantunsourcil.—Certainementpas,tachatteatrempélamoitiédestypesbossantpourlachaîne.Tun’esqu’unesalopequineméritepassaplaceici.Sylviasemetàriredeboncœurens’asseyantsurundeshorriblesfauteuilsmodernes.—Reagan,voyons,net’énervepas.Jen’ysuispourrien.Maisvusonexpression,j’endoute.Jeluilanceunregardmeurtrierenrenchérissant:—Ferme-la. Je n’ai pas pour habitude de frapper les filles,mais si tu continues à jouer la connassefouteusedemerde,jevaisrevoirmarègle.Sylviaritenlevantlesmainsensignededéfense.Lesilenceretombedanslapièce,jefaislescentpaspendantqueJameyterminesondiscoursenmelançantjenesaiscombiendefleurs.Jebousdeplusen

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plus en entendant ses paroles. Comme si j’étais assez stupide pour laisser passer ça. Il était leprésentateurdel’émissionavantmoi.Ilacouvertlesplusgrandesaffairesducrime,ilagagnéplusieursprixdeprestigedanslemilieudujournalisme.C’estunhommerespectéetaiméquiprenddesrisques.Personnellement,jevoisenluiunopportunistequin’hésiteraitpasàvendrepèreetmèrepourobtenircequ’ildésire.C’estunenfoirépourfairebref.Peut-être cinqminutes plus tard, la porte s’ouvre à nouveau, et laisse entrermonpatron. Il dénoue sacravateetunsourirenaîtsursonvisagelorsqu’ilmevoit.—Reagan!lanceJameyavecuntonbeaucouptropaigu.Il ouvre ses bras pour me saluer, mais je le repousse en reculant. Ma voix fracasse cette ambiancedélirante.—C’estuneputaindeblague!MonpatronvaseservirunverredeWhiskydanslecoindelapièce,ilsetourneetfaitsigneàSylviadenouslaisser.Cettedernièreobéitetmefaitunsigned’aurevoirdelamainquimedonnedesenviesdemeurtredevantsoncomportement.J’aiaffaireàdesgamins.Latensiondanslapièces’agranditlorsquenousnousretrouvonsseuls,monpatronm’adresseunregardfroid,ilrestecalmeenm’expliquantlasituation:—Tumedisaisnon,Reagan,ilfallaitquejenetelaissepluslechoix.Cetteémissionvanouspropulserdansuneautrecatégorie.Jelaisseéchapperunrireamer,cetenfoiréreconnaîtqu’ilm’adupé!—Jerefusedelafaire,taputaind’émission,jedéclaresanshésitation.Jameyporteàseslèvressonverreensecouantlatête.—Tulaferas,parcequetunevoudraspasqu’unautrelefasseàtaplace.L’enfoiré.Jeme fige en comprenant qu’ilm’a piégé.Une première fois en déclarant devant toute la chaîne quel’émissionparleraitdeTruman,unedeuxièmefoisparcequ’ilmeconnaîttrèsbien.Jerefusedelafairedemoi-même,maissionm’yobligejelaferaiparcequejerefusequenotrehistoiresoittraitéecommeunevulgaireaffaired’histoiredepédophiliequitourneaudrameromantique.Lacolèreexploseenmoisifort,etsivite,quejen’arrivepasàlacontrôler.Monpoingselèveetpartexploserlenezdemonenfoirédeboss.Jameylaissetombersonverrequisebrisesurleparquet,ilfaitdeuxpasenarrièresouslecoup,etterminesachuteparterre.—Tumelepaierassalopard!jelemenaceenlesaisissantparlespansdesachemise.J’approche mon visage du sien, Jamey sourit, visiblement amusé, son nez pisse le sang, il s’en foutpartout,maisçanesemblepasl’inquiéter.

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—Tunepensesqu’àtonputaindefricsanspenserauxconséquencesquetesdécisionspeuventavoirsurles autres. Tu ne saismême pas ce que tu vas réveiller, putain d’enfoiré. Certaines histoiresméritentd’êtreenterrées,carellesnesontpasfaitespourêtremisessouslefeudesprojecteurs.Pourquoi?Parceque ces dernières renferment des secrets qui ne doivent pas sortir de l’ombre. Tout ne peut pas êtreraconté!Jameymeregardedroitdanslesyeux,entrouvantencorelaforcedemepousseràbout.—J’aitoujourssuquetucachaisdeschoses,Kane,souffle-t-ilenriant,visiblementfierdelui.Je le lâche brusquement, il finit presque allongé sur le sol. Je ne lui accorde aucune sympathie endéclarantfroidement:—Tun’aurasaucunecoopérationdenotrepart.Jemedirigeverslasortie,lorsqueJameyconclutnotreconversationavecsonassurancelégendairequim’atoujoursagacé.—C’estcequenousverrons!J’aihâted’avoirtespremiersrapportsd’enquêteKane.Jenerépondsrien,jesors,j’aibesoind’air,derespireretdemecalmerloindecedélirequivanousdétruire.Jemaintienscequejeluiaidit,certaineshistoiresnedoiventpasêtreoubliées,maisellesnedoiventpasnonplusconnaîtrelapopularité.Carcertainssecretssontbeaucouptropdouloureuxpourêtredévoilés.J’ignorelemondeautourdemoialorsquejefendslafoulepourtrouverVicetpartirloind’ici.Loindecesregardsetdecettepitiéquimefaitgerber.J’emmerdeleurpitié,etjelesemmerdetous.

***J’ouvre la porte de mon appartement, allume et fais signe à Vic d’entrer. L’ambiance entre nous estétrange, j’ai du mal à me calmer, la colère est tellement forte, qu’elle se lit sur mon visage. Sid’apparencejesuisfroid,àprésent,jesemblerenfermé.J’entreàmontouretfermeàclémonappartenregardantBaxluifairelafête.Jeprendsquelquesinstantspendantquepersonnenemevoitpourfermerlesyeuxetsoufflerunboncoup.Vicm’attendaitdansleparkingsouterrain,jel’aicherchéependantdixbonnesminutesavantdepenserqu’elleavaitsansdouteeubesoindes’éloignerdecettefoulederapaces.Lorsqu’ellem’avu, elle a baissé les yeux, et ça a ravivé la colère enmoi.Lahonte se lisait sur sonvisage,elleavaithonted’êtrelecentred’intérêt,d’êtreregardéeainsipardescurieuxavidesdefricetdesuspense.Jen’airienditlorsquej’aiouvertlavoiturepourqu’elles’installeàmescôtés.Latensiondanslepetithabitaclenousamismalàl’aise.J’avaisl’impressiond’êtreunenfoirédepremièreennesachantpasquoiluidire.Maissurtout,j’avaislacertituded’êtreresponsabledetoutceci.Sijen’étaispasReaganKane,leprésentateurdel’émissionCRIMINALS,ancienenfantenlevé,jamaisnousn’aurionseudroitàcecirque.Cen’étaitpascequej’avaisespérépournotrepremièresoiréeensemble.J’auraisaiméqu’elles’amuse,

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qu’elleprofitedumomentavecmoi,de l’ambiance,de labouffe,duvinetdesconversationspuérilesparlantd’anecdotedejournalistes.JevoulaisqueVicoublienotreviel’espaced’uninstant.Aumomentoùjeluiaiditquejelaramenaischezelle,Vicm’asaisilamainetm’ademandéd’unevoixcalmesinouspouvionsallerchezmoi.Saquestionm’atellementsurpris,quel’espaced’uninstant,macolères’esttue.Jel’airegardéedanslesyeux,Viccommençaitàrougirlorsqu’ellem’aavouéqu’ellenevoulaitpasquelasoiréesetermineainsi.Jeluiaisimplementrépondud’accordetnoussommespartisendirectiondechezmoi.Maintenantquejelaregardedansmonespacevital,jemedemandesij’aibienfaitdel’amenerici.Monappartementc’estmonsanctuaire,celuioùjemesensàl’abridetout,desautres,dumondeextérieuretdelaréalitéparfoisangoissante.C’estlelieuoùj’ailedroitdememontrerfaible,deflancherlorsqueçanevapas,d’êtreautrechosequeReaganauregardfroid.Jepeuxmepermettred’avoirpeur,decraindrelafoule,lesregardslourds.Ici,jepeuxêtrelapersonnequiasouffert,etquipeutbaissersagarde.Lanuit,jesuisseul,personnenepeutm’entendre,personnenepeutêtreletémoindesdégâtsqu’unecaptivitédequatreansfaitsurquelqu’un.Jecontinued’observerVicensentantlemalaisem’envahir.D’habitude,jeneramèneaucunefemmeici.Quandj’aienviedesexe,jemedébrouilletoujourspourallerchezlanana.UnefoisBaxsatisfaitdes’êtrefaitcaresser,ilvientmevoirpourm’accueillir.Ondiraitquecechienfaitl’inspecteurdemapersonnelorsqu’ilmeretrouve,commepours’assurerqu’ensonabsence,ilnem’estrienarrivé.JeluicaresselecrâneenregardantVicobservermonappartement.Noussommesdansl’entréequidonnesuruncouloiràdroiteetsurleséjouràgauche.Cen’estpastrèsgrandseulementlacuisineetlesalon,suivisdemachambre,monbureau,etlasalledebain.—C’estaussibienrangéquetonbureau,plaisanteVicenregardantautourd’elle.Jesouris,jenesuispasunasdurangement,maisjemeretrouvedansmonbordel.J’ordonneàBaxderester tranquille et suis Vic. Elle s’arrête devant l’entrée de mon salon, où trônent trois énormesbibliothèquesrempliesdelivresentoutgenre.—Décidemment,tunet’arrêtesjamaisdecollectionnerleslivres,souffleVic.Ellepénètredanslagrandepiècechargée.Aucentre,ilyadeuxcanapés,avecunpoufetunetélévision.Macuisineestouverteet laissevoirune tableavecquatrechaises.Ladécorationestassez sommaire,maisjereconnaisqu’iltraînebeaucoupdepaperasseduboulot.Ilyatrèspeudephotosdemoietdemesproches,seulementdanslecouloir.J’ignore pourquoi, mais un sentiment étrange me gagne alors que je vois Vic évoluer dans monappartement.Jeprendsletempsdelaregarderdelatêteaupied,j’aipulefairefurtivementaucoursdelasoirée,maispascommemaintenant.Dosàmoi,danssamagnifiqueroberougequiluivaàmerveille,elleéveilleenmoiunpuissantdésirquej’aideplusenplusdemalàcontrôler.Onpeutsebattrecontreundémonàlafois,maisj’aiapprisqu’ilétaittrèscompliquédesebattrecontreplusieursenmêmetemps.Cesoir,jemesuisbattucontremaproprehainefaceàlanouvellequinousesttombéedessus.Maisjedouted’avoirlaforcesuffisantepourmebattrecontrel’attirancequinousanimedepuisnosretrouvailles.AvecVic,çaatoujoursétéélectrique.Ilsuffisaitd’unregardpournouséveiller,etcetteenvie,elleesttoujourslà,bienprésente,enfouiedepuisdesannées.Maislaflammebrûletoujours.J’aienvied’ellecommeavant,sicen’estplus.Etcesoir,jeressenslebesoindel’avoirdansmesbras,contremoi,d’êtreenelle.

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C’est tellementviolent sur lemoment, tellementbrusqueque jeme figeen lavoyant lire les titresdesnombreuxouvragesdemabibliothèque.Monregarddéviesurlescourbesmagnifiquesàpeinecouvertesparsarobe,Vicneserendmêmepascomptedecequ’ellecréeenmoi.—Jesuisdésolé,jefinisparlancerpourbriserlesilence.Elle se retourne en m’adressant un sourire triste alors qu’elle tient dans ses mains, une version desLiaisonsDangereuses.Drôledecoïncidences.—Dequoi?D’avoirunidiotpourpatron?Je m’approche d’elle en retirant ma veste de costume que je jette sur l’un des canapés. Bax esttranquillementcouchédanssonpanierànousregarder.Arrivéàsahauteur,jesenslatensionquihabitesoncorpssefaireplusprésente,maiscen’estpaslemalaise,c’estquelquechosedeplusprofond.Ledésir.—Det’avoirmisdanscettesituation,jeréponds.Vicposelelivreenbaissantlesyeux.Jeluiaiditquejen’étaispasaucourantetellem’acru,jepensequemaréactionparlepourmoi.—Tuvaslefaire?medemande-t-elle.Je caresse sa joue et soulève sonmenton pour que ses yeux bleus fixent lesmiens. Je veux toute sonattention,parcequej’enaiassezdesnon-dits.—Oui.—Pourquoi?Savoixtremble,elleestinquièteetjelacomprends.Nousallonsnousretrouverexposésauxyeuxdetousetjedétesteça,êtrelecentred’attention.Maisnousn’avonspaslechoix.Jerefusequequelqu’und’autrelefasseaurisquedenepasnousrespecter,d’inventeroupiredementir.—Parcequ’unautrelefera,etjerefusequequelqu’und’autrelefasseàmaplace.Jeneveuxpasqu’onraconten’importequoi.—Tunepeuxpasempêchercetteémission?mequestionne-t-elleavecdétresse.—Non,jesoupire.Vicnecachepasladéceptiondanssesyeux,maiscequimeserrelapoitrine,c’estbiensoninquiétude.Etjesaistrèsbienquelaquestionvafranchirseslèvres.—Etencequiconcerne…

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Jelafaistaireenluicoupantlaparole.Jenepeuxpasl’entendre.Jen’aipaslaforcedelirecesmotssurseslèvres,d’encaissercequ’ilsveulentdire.Jen’enaiparléquetrèsrarementàmonpsy.Iln’yaqueVicquisoitlesanctuairedemessecrets,etjepréfèrequ’ilsdemeurentmystérieuxpourcetappartement.—Ons’estfaitunepromesseVic,jechuchotedouloureusement,çaresteraentrenous.Entretoietmoi.Lesautresn’ontpasbesoindesavoircequ’onneveutpasleurdire.Jenousprotégeraijetelepromets.Vic rompt le pasqui nous sépare et vient se blottir contremoi.Son corpsmenu se fond avec aisancecontrelemien.Sachaleursemélangeàlamienne,jesenssonodeursiféminineenvahirmessensetladouceurdesapeausousmesmains.Qu’onmevienneenaide,oùjenerésisteraipaslongtemps.Vics’accrocheàmoi,etmoncœurs’emballe.Ilbatsivite,qu’elledoitlesentir,etpasseulementça.Maqueueseraiditenréactionàsaproximité.Ledésirmetordlestripesd’avoirVicsiproche.—C’esttellementapaisantd’êtrecommeçaavectoi,m’avoue-t-ellenaturellement.Jefermelesyeuxenlaserrantdavantagecontremoialorsquelatensionnefaitqu’augmenter.Jesaisquejedevraislarepousser,m’allumeruneclopeetattendrequel’excitationdescended’elle-même.Maisjenepeuxpas.J’aifiniparapaisermacolèreauprèsd’elle,maispasmondésir,quiluiseréveilleaprèsdixansd’hibernation.Pourtant,c’estmalplacédebanderdanscettesituation,malplacédemettreVicdanscetteposition,ellevitsanssexedepuisquelquesannées,maisellen’enestpasidiotepourautant,ellesaitcequeçasignified’avoirunequeuedurepresséecontresonventre.J’embrassesoncrâneensavourantmalgrétoutsaprésence.Etjemerappelleàquelpointc’étaitbondel’avoirainsi.—Reagan…souffleVicens’écartantlégèrement.Jem’apprêteàm’excuserderéagirainsilorsquejevoiscettelueurdanssesyeux.Ellemeveut,elleaussi.—Tuétaismagnifiquecesoir.Tellementquetunet’enrendsmêmepascompte.Jesaisquejenedevraispas,maisj’aienviedetoi.—Reag…Mesmainsglissentlelongdesoncorps,l’unes’arrêtesursanuque,l’autresurlebasdesesreins.J’aienmémoirelasensationdesapeaucontrelamienne,dechacunedesescourbessousmesdoigts.Elleesttellementfemmequeçadevraitêtreinterdit.Interditd’êtreaussibelleetaussimystérieuseàlafois.Vicsecachesousdesvêtementslargespournepasattirerl’attention,maisfaceàmoi,faceàmonregard,ellenepeutrienfaire.Mon visage s’approche du sien, je bande tellement s’en devient douloureux. Le désir pulse dansmesveines,etperturbemarespiration.JevoischezViclesmêmessignes.Surquellevoieallons-nous?Est-cequeça,nouspourronslesupporteraprèstoutescesannées,toutcequ’ona traversé,et lessouvenirsdouloureuxquisontapparussuiteàcequenouspartagions?Àquelmoment,s’aimerl’unl’autreestdevenuaussidouloureuxetprimordial?Pourtant,j’enmeursd’envie.Je

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veux savoir ce que ça fait de partager ça avec elle sans craindre d’être découvert, sans compteur au-dessusdenotretête,etsanscettebouleauventreàl’idéequ’onpourraitsefaireprendre.Cettenuit, iln’yaqu’elleetmoi.Et ilsuffitd’unmot,d’uneparole,d’unaccordentrenous,pourquenousnousretrouvions.Nous,noscorps,etnotrepassion,aussidouloureuseetbouleversantesoit-elle.Jenesuisqu’àquelquescentimètresdesabouche,sesmainssontdansmescheveux,Vicnemerepoussepas.Ellesemblesilencieusementm’encourager.—Dis-moiquetun’aspasenviedemoi.Repousse-moiVic,jen’aipluslaforcecesoird’êtreloindetoi.Jemebatscontremoi-mêmedéjà,etjen’aipasenviedemebattrecontretoi.Ellefermelesyeux,lerougevientcolorersesjoues,l’espaced’uneseconde,letempss’arrête,etjesensdansl’aircommeunbouleversement.Est-cequenousallonssauter,oubiennouscontenterderestersurlaterreferme?Lesuspensemerendfou,tellementquejem’apprêtedéjààm’écarter,quandsoudain,dansunmurmure,saréponsenousfaitbasculer.—Alors,nenousbattonspluscontreça.

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Chapitre18Vic

2004Lancaster,Pennsylvanie.JecaressedoucementlescheveuxdeReagan,commeparhabitude.Ildortetjesourisenregardantsonvisageposésurmescuisses.Ilal’airdétendualorsqu’ilyauneheureilestrentrédanscetétatquejedéteste,abattu,encolèreetblessé.Jesaisqu’ilneveutpasquejel’approcheavantqu’iln’aitprissadouchealorsjemeretiensdemejetersurlui,deluimontrerquejemefousqu’ilsesentesale,pourmoiilnel’estpasetneleserajamais,quoiqueluifasseCooper.Alorsj’attendsaveclepeudepatiencequ’ilmeresteàchaqueréveilpostdrogue,queReagansorte,qu’ilsesenteprêtàcequejesoislàpourlui.Puisilfranchitlaporteetenunregardjesaiscequ’ilattenddemoi.Quejeluimontrequ’ilesttoujourslui,telqu’ilétaitavantdepartiretquejel’aimetoujours.Normalement, jem’approche de lui doucement, je touche sa peau, je le serre dansmes bras et luirépète inlassablementque jesuis là.Pasaujourd’hui.Aujourd’hui jemesuis jetéedanssesbrasenvoyantsonregardquimefuyait,envoyantcetteblessureàvifdanssesmagnifiquesyeux.Aujourd’huijevoulaisqu’ilcomprennequerien,jamais,nelerendradifférentàmesyeux.Reaganafermésesbrasautour de moi et m’a serré aussi fort qu’il le pouvait et je me suis sentie rassurée. Qu’il soit là,quelque part sous sa souffrance qu’il aimerait me cacher, mais qui ne peut pas s’effacer sur unesimpleenvie.Reaganm’aentraînéesurlelit,jel’ailaisséfaire,ons’estallongésdanslesbrasl’undel’autrejusteen se serrant et en partageant cette chaleur qui nous unit et nous maintient en vie. Il a fini pars’endormir,sansverserunelarme,sanshurler,sansfrapper,sansrien,commeons’endortquandlesémotions sont trop fortes et quenotre corpsdemandeànotre esprit de s’éteindrequelques instantspoursouffler.Jedétestequandilrevient,jedétestelevoirainsi,jedétestequ’ilsesentecommeçadevantmoi,jedéteste tellement de choses ici… mais lui, je l’aime. Ça fait plus de deux ans maintenant qu’oncohabite,qu’onsevoitévoluer,changer,grandirdurementetqu’onsesoutient.Lelienqu’onacréédurantsesdeuxannéesestbeaucoupplusfortquen’importequellienquiduredepuisvingtansdanslemonderéel.Onestunisparnotremalheur,parcequ’ontraverseetquirenforcelebesoindel’autre.Souvent jeme demande si dans lemonde réel ce garçon plein de vie se serait arrêté surmoi. S’ilauraitpris lapeinedevouloir connaître la filleunpeugauchequi rêvaitduprincecharmant? Jel’ignoreetmêmesiunevieparallèleestdessinéequelquepartoùluietmoisommesamoureux,çanechangerienauprésentetàcequ’onvitmaintenant.

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Ons’aime,icietmaintenant,etmêmesicesentimentestautanteffrayantquesalvateurjenepeuxpasl’ignorer.Jenepeuxpasleregarderetmedirequejeneressensrienqu’unpetitattachementetdel’empathie pour lui. Mon corps crie qu’il a besoin de sa présence, mon âme hurle son envie des’accoupleraveclasienne,dedevenirsonâmesœur,cesdeuxdoigtsd’unemainimpossibleàséparer.J’aidéjàcruêtreamoureuse,maisàcôtédecequejeressenspourlejeunehommequidortsurmesjambescen’étaitrien.Reagan m’apporte tellement, sans lui je ne serais plus là, peut-être que physiquement je seraisprésente,maismonespritauraitdéviépourseprotéger.MaisavecReagan,c’est luiquemonespritveut protéger, c’est pour lui qu’il reste conscient et qu’il se bat. Il me donne cette force d’êtrecourageuseparcequeluiaussiabesoindecraquer,luiaussivitceschoseshorriblesetlessupporteetdetempsentempsilabesoind’évacuercequesoncorpssubit.Aimermerendforte,maisaimermefaitaussipeur.SiCooperserendcomptedecequ’onressent,ilenprofiterapournousfaireencoresouffrir,poursalircequinousunitencoreplusviolemmentetjeneleveuxpas.JeveuxgardercesmomentsavecReaganoùiln’yaqueluietmoietquelemondeautourn’existepas,jeveuxlesgarderparcequ’ilssontmaseulesourced’espoir.Sanseux,jesombrerais.Alorsons’aimeenseregardant,ensetouchantcommeavant,maisenprenantconsciencequelecorpsde l’autrenousapportedudésir, en s’embrassant tarddans lanuit quandêtre tropprochenenouspermetplusderésister.Ons’aimeànotremanière,laseulepossiblepourgardercetamourpur.Pourque cette étincelle dans ses yeux quand ilme regarde ne soit pas salie par d’autres tortures.MaisReagannemetouchepascommeunhommedevraittoucherunefemme.Ilenaenviejelesais,jelesensautantquemoi,maisquelquechoseleretiensetj’ignorequoi.Peut-êtremoi,alorsqu’ilm’avuesubirCooper,oupeut-êtreluiquinesesentpasdignedemoioupeut-êtrelapeurd’allertroploinetdenepaspouvoirrevenirenarrière.Jenedevraissûrementpasressentircesélansdedésirpourlui,maismêmelà,alorsqu’ildortavecsaboucheentrouverte j’imaginema languepassercettebarrièreet retrouver lachaleurde sabouche.J’imaginesesmainsquimecaressent,doucement, tendrement,avectellementdedévotion,commesimon corps était un diamant rare que j’en frissonne d’envie. Les gestes de Reagan àmon encontren’ont jamais rieneudeduroudeviolent, ilsont toujoursété tendresetdoux,et j’aibesoindeça,d’autreschosesquedelaviolenceetdeladouleur,j‘aibesoind‘amouretd’affection.Reagan commence à s’agiter sur moi, son visage bouge, et je tente de l’apaiser, de chasser cecauchemardontjeconnaislateneurparcœurparcequejefaislemême,chaquenuitetquesesbrasmesoutiennentàleurtour.Iln’yaquequandildort,quandsonespritn’estpasconscientqu’ilmelaisse voir sadouleur.Reaganestdevenu fortphysiquement, soncorps estplus solide etondevinel’hommequ’ilseraunjour,unhommefortquerienn’atteindraparsaforcephysiqueetparcequ’ilauravécu.Reaganseracegenredepersonnes,ceuxquiseblindentdecequ’ilssubissentalorsquejeseraisûrementl’éternelleapeurée.Jesoupireenchassantmespenséesstupidessurl’aveniretjemepenchepourembrassersatempetoutencontinuantàcaressersescheveuxquiglissentsousmesdoigtscommedelasoie.Jepenseà la sensationde ce tissuparfait que jen’ai pas senti depuisplusdedeuxans, à ça et àtellementd’autrestexturesetodeursquimemanquent.OnjoueparfoisàcejeuavecReagan,àdécrirelessensationsqu’onressententouchantdujean,duvraipasceluidontonestaffublé,ensentantleparfumd’unefleur,ouenvoyantlesnuagesfairecesformesquiressemblenttoujoursàquelquechose.Leciel,lesoleil,sachaleur,levent,laneige,lapluietoutesceschosesquinousmontrentqueletempspassememanquent,terriblement.J’aipeurdelesoubliercommed’oublierleparfumdemamère,lechatouillement de la barbenaissante demonpère, les rides demagrand-mère, et les rires demonfrère.J’aitellementpeurquetoutçadisparaisseetdevienneunpasséquejeneretrouveraisplus.

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Reagans’agitedenouveauetsesyeuxs’ouvrentd‘uncoup.Ilal’airperduquelquessecondespuissonregardvertseposesurmoi.—Jemesuisendormi,dit-ildesavoixprofondeduréveil.Jefrissonnesousladouceurdesescheveuxsurmescuissesnuesetàcausedecettevoixsigrave.Ilnebougepas,ilresteallongésurmoiàmeregarderetàappréciermescaresses.—Ilyadeschosesquetuasoubliées?jedemande.Il réfléchit quelques secondes en fronçant les sourcils avec l’air sérieux qu’il prend quand il lit.J’aimeleregarder lire,voirsesréactionsàchaquephrasequ’ildéchiffre, jecroisquec’estdevenumonactivitépréférée,leregarderetl’entendrelire.—Leschamallowsgrillés,ilfinitpardire,jemesouviensdel’odeur,delatexturedansmabouche,maispasdugoût.Jefermelesyeuxenpensantauxchamallows,àmonpèrequiallumelefeudanslacheminée,àElijahqui essayede fourrer plusieurs bonbonsmousdans sabouchepour la faire gonfler, àmamèrequil’empêche de finir le paquet en se dépêchant de les mettre sur des brochettes et à cette odeurdélicieuse de sucre qui fond. Je pense à la texture dansma bouche, élastique et tendre, chaude etmoelleuse.—C’est fort, je lance, le sucre remplit ta bouche et l’arôme de fraise discret arrive pour ensuitelaisserplaceàl’amertumedumanquequiteferaenmangerjusqu’àl’écœurement.J’ouvrelesyeuxenmeléchantleslèvrescommesijevenaisd’engloutirundecesdélicieuxbonbons.Reaganlèvelamainenm’observantpuissondoigtseposesurmalèvreetfaitletourdemabouchecomme pour capturer à son tour le goût. Son doigt s’éloigneme laissant le souffle court comme àchaquefoisqu’ilmetouchepuisjelevoisdisparaîtreentreseslèvres.—C’estexactementça,dit-ilensouriant,commeunbaiser.Reaganseredressesouplement,commesisoncorpsn’avaitpassubiilyaquelquesheureslesassautsdenotrebourreau.Sonvisagesepencheverslemien,jeretiensmonsouffledansl’attentedelesentirpuisseslèvresseposentdoucementsurmajoueàlacommissuredemeslèvres.Jefermelesyeuxetsavourecepetitmomentdeplaisir,jelessavouretousparcequedemainpeut-êtrequ’ilsn’existerontplus,peut-êtrequ’onnousenlèveraçaaussi.Reaganfinitpars‘éloignerdemoi,sonregardmetransperce.—Sionestcapabled’oublier,jereprends,tucroisquedehorsilsnousontoubliésaussi?Reaganbaisselesyeuxetj’aimeraisqu’ilmedisequenon,mêmes’ilpenselecontraire.J’aimeraisêtrecertainequ’onexisteencorepour lemondeextérieur,quedespersonnesnouscherchentencoreparcequ’ilsnenousoublientpas.Deuxansc’estlong,çalaisseletempsdepenserqu’onestmortoubienqu’ons’estenfuiloin.Deuxans,çalaisseletempsd’êtreoublié.Jeneveuxpasqu’onm’oublie,qu’onneserappelleplusdemoi,qu’onoubliemonnometquij’étais.Jeneveuxpasêtreunenfant

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disparudeplusdanslesstatistiques,jeveuxencoreêtreVicKristensenquiaunefamillequil’attendquelquepart. Je veux cet espoir que rienn’est fini et qu’un jour des flics viendront enfoncer cetteportepournoussortirdelà.—Onn’oubliejamaislesgensqu’onaime,merépondReagan,jamaisVic.Dehors,ilsnouscherchentencore,ilsnebaisserontjamaislesbras,mêmesiçadoitdurervingtans.Ilspenserontencoreànous,onn’existeratoujourspournosfamilles.Ilestsincèredanscequ’ildit,maisunepetitevoixenmoimeditquepeut-êtreonn’existeplus,peutêtrequenotrevieresteracellequ’onaaujourd’huietçapourtoujours.—Commenttupeuxenêtreaussisûr?Peut-êtreque…—Non, dit-il en prenantmamain, je le sais parce que je serais incapable de t’oublier quoi qu’ilarrive.Jebaisselesyeuxenrougissantsurnosmainsjointes,surlaforcedessiennes,surmapeaublancheencontrasteaveclasienneplusfoncée.Moncœurfrappedélicieusementmapoitrine,messenssonttousenalertefaceàsaprésenceetmefontsentircetamourquejeporteenmoi.J’aimemafamille,jelesaimeénormément,ilssontmonrepère,maiscequifaitmonmondec’estluietjamaisjen’oublieraicequejeressensensaprésence.Reaganaraison,jenepeuxpasoublierlesgensqu’onaime,onnepeut pasoublier les battements de son cœur, l’euphorie dans les veines, lemanquequimebroie leventrequand il n’est pas là, ladouceurde sapeau, sonodeur rassurante et sesbaisersdévorants.Jamaisjen’oublieraiReagan.—PrometslemoiReag,promets-moiquequoiqu’ilarrivetunem’oublieraspas.Ilrelèvemonvisagedesamain,sesyeuxontcetteteintedesolennitéqu’ilprendquandquelquechoseluitientàcœuretqu’illuiconsacreratoutesonattention.—Jamaisjenet’oublieraiVic,jetelepromets.Jerelâchesamainetmependsàsoncou,auborddeslarmes,àlafoisdetristesseetdejoie.Peut-êtrequedehorsonnepenseplusàmoicommequelqu’undevivantqu’ondoitencorechercher,maisjesaisensentantsesbrasserefermersurmoiquejeneseraijamaisseule,quemêmesijenesuispluslà,qu’onsoitséparés,Reaganseraavecmoidansmoncœurtoutcommejeseraidanslesien.

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Chapitre19Reagan

6Mai2016Lancaster,PennsylvanieNoslèvresseretrouventenfinetlachaleurexploseenmoi.Toutemaraisonetmonself-controlsemettentsurpause. Jenepensequ’àVic, à cedésir ardentqui s’est raniméentrenouset à l’envieque j’aidem’enfouirenellepourcalmercefeu.J’embrasseViccommesimavieendépendait,commesisonsouffleétaitl’airdontj’avaisbesoin.Etellefaitdemême.Vicrépondàchacundemesbaisers,aveccetempressementetcettepassionquim’atoujoursdévorédel’intérieur.Quandiln’yaquenous,nosdeuxcorpsl’uncontrel’autrearriventaupointderupture.Maqueueseraidit,marespirationdevientplusirrégulièreetlesbattementsdemoncœurrésonnentdansmatête.Ma langue dessine le contour de sa bouche, ses lèvres sont douces et pulpeuses, on a envie de lesdévorer.Jesavourechacunedecessensations,mesmainsglissentlelongdesondos,sursesfessesquej’agrippe,j’attrapesescuisses,et lahissedansmesbras.Ses jambessenouentautourdema taille,Vicvient sefrottercontremonérection,sonsoufflechatouillemapeau,nousneréfléchissonsplus.J’aibesoindel’avoirprèsdemoi,contremoi.Sans perdre notre temps, je nous conduis tant bien que mal vers ma chambre. À aucun moment, nosbouchesneseséparent.Etj’aimeça,retrouvercelienfortquinousunit.Mon dos heurte la porte, je l’ouvre d’un geste brusque du pied en gardantVic contremoi. J’aime lasensationdel’avoircollée,sesbrasnouésàmoncou,sonentrejambes’emboitantparfaitementcontrelamienne.Jen’aijamaisvouluquelqu’unaussifortqu’elle.Lapièceestdans lapénombre,maisnousyvoyonssuffisamment.Vica toujourspréféré faire l’amourdanslapénombre,partimiditésansdoute,maisunsimpleéclatdelumièrepeutrendrelemomentbrûlantd’intimité.JeveuxqueVicsesentebienetà l’aise. J’aivudanssesyeuxcette lueurquiahantémesnuits,cetteenvieetcedésirqu’elleéprouvaitpourmoi.Jerompsnotreétreinteuninstant,letempsd’enlevertoutescescouchesdevêtementsquinenousserventà rien.Vic redescend sur terre, ses deux pieds touchent le sol, elle tremble autant quemesmains quisaisissentsonvisagepourl’embrasserdenouveau.Jen’enaipasassezdecettebouchequej’aitantdefoisregardéeavantdel’obtenir.

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—C’estsifort…chuchoteViccontremeslèvres.Jefermelesyeuxuninstantenacquiesçant.Ledésirquinousprendauxtripes,etcette impressionquenotrecœurvaexploser.C’estaussidouloureuxquejouissifcommesensation,maispourrienaumondejen’arrêteraisiVicnemeledemandepas.—Çafaittellementlongtempsquejeveuxteretrouverainsi,jemurmureàmontourdansunsouffle.Pouvoir redécouvrir son corps, le toucher, l’aimer comme j’avais pu le faire. L’entendre soupirer deplaisiretfrémirsousmescaresses,mefondreenelleaveccetteaisance,commesielleavaitétécrééepourqu’onsoitdeuxpiècesquis’assemblentàlaperfection.Jesuispersuadéqu’ilexistesurcetteterreunepersonnefaitepournous.Unidéalquinousressemble,undoubledesexeopposé.Uneâmesœur.Vic estmonâme sœur, je l’ai toujours su. J’ai vécu et ressenti des choses avec elle, que je n’ai plusjamaisretrouvéesavecuneautrepersonne.D’unemaintremblante,jecaressesescheveuxbrunsquidégagentuneodeurenivrante.Monérectionsedurcitunpeuplus,jesenslatensiondevenirdeplusenplusintense.Jedéboutonnelespremiersboutonsdemachemise,avantdelaretirer.J’enfaisunebouleet l’envoiàl’autreboutdelapièce.Unefoistorsenu,jeglissedenouveauunbrasautourdelatailledeVicpourlarapprocher de moi. Ma main libre trouve la fermeture éclair de sa robe rouge, je commence à ladescendrequandlesondesavoixm’arrête.—Reagan…souffleVic.Jemefigeenbaissantlesyeuxverselle.Jevoiscequ’ellevientelle-mêmededécouvrir.Ses doigts tracent le contour de son prénom gravé à l’encre noire surmon pectoral gauche, juste au-dessusdemoncœur.Vic lève ses yeux bleus vers les miens, j’y lis la surprise, mais également son trouble, elle doit sedemander,pourquoi.Pourquoij’aigravésonprénomici.Pourquoicetactedéfinitif.Ilyauneraisonàça.—Tun’asjamaisquittémoncœur,Vic,tuastoujourseutaplaceici,ettul’aurastoujours.Onnepeutpasoublierceuxqu’onaime,etjenet’aijamaisoubliée,jechuchoted’unevoixdouloureuse.Pasunseulinstant,pasuneseulefois.J’aiaiméfairel’amouravecd’autresfemmes,maisaucunenem’afaitaimerl’amourcommeVic.Elleaquelquechosed’uniquequejen’aijamaisretrouvéaveclesautres.Cettepartd’ellequ’ellem’offraitàchaquefoisqu’iln’yavaitquenous.—Tuasmonprénomici,murmure-t-elleencaressantmapeau.Soncontactélectriqueattiseunpeuplus le feuenmoi. Jedoisprendre surmoipournepas retirer sarobe, baisser mon pantalon et m’enfoncer en elle pour nous faire soupirer d’un contact depuis troplongtempsinexistant.Jedoisprendresurmoipournepasvriller.—Oui,jel’aifaitjusteaprèstondépart.J’enavaistellementbesoinVic,j’avaistellementbesoindetoi,j’expliquedouloureusement.

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Etc’estvrai.Quandelleestpartie,j’aicruquej’allaiscreverdesaperte.J’avaislesentimentqu’elleétaitdéfinitive,queplus jamais jene reverrais sonvisagemagnifique,plus jamais jen’entendrais sonrire,lesondesarespirationquis’enrouelorsqu’elleestauborddugouffre.Plusjamaisjenesentiraisl’odeurdesapeau,sonparfumnaturel.J’avaispeurdel’oublier,d’oubliercequ’ilsepassaitenmoilorsquejelaregardais.J’aimaistellementcespapillonsdansleventreetcetteimpressionquerienaumondenepourraitmerendreplusheureuxquelaprésencedeVic.Àl’époque,jen’arrivaispasàmettredesmotssurl’amour.Quelsétaientlessignesquinous indiquaientqu’onaimaitquelqu’un?Jen’avaispasdecomparaisonde l’amouravantVic,cen’estqu’aprèsellequej’aicomprisqu’aimerquelqu’unnepouvaitpasêtreréellementdéfini.Onaime,toutsimplement,onlesent,etonlesaitaufonddesoi-même.Quandonaime,unepartdenous-mêmessemélange avec l’autre personne, voilà pourquoi on a l’impression qu’il nous manque un bout de soilorsquetouts’arrête.Tatouersonprénomsurmoncorpsafigéladouleurdansmoncœur.Àchaquefoisquejelevoyais,lesbattementsdevenaientplus irréguliers, faisantnaîtredenouveaucesfameuxpapillonsaucreuxdemonêtreetnosnombreuxsouvenirsensemble,lesbonsetlesmoinsbons.Etlorsquej’avaismal,jen’avaisqu’àfermer lesyeux, toucherceprénom,et lasensationd’êtreensemblemerevenait.Vicétait làavecmoi,etjesavaisqueçairait.Je n’ai jamais regretté de l’avoir fait.Cette énièmemarque est en réalité lameilleure qu’on nem’aitjamaisfaite,cellequimeprouvaitpendantlesjourssombresqu’ilyavaittoujoursdel’espoir.Vicsepencheetdéposesabouchesurleslettres.Unfrissongagnemapeaualorsquesesmainsglissentlelongdemontorse.Nousnedevrionspasfaireça,maisjen’arrivepasàmeconvaincredenepaslefaire.Vicsehissesurlapointedespiedspourembrasserchastementmeslèvresavantdes’écarterd’unpas.Elle bute contre le rebord de mon lit, un sourire se dessine sur mon visage devant sa maladresse.Lentement,etavecuneassuranceunpeumaladroite,Vicenlèveseschaussures.Lerougeluimonteauxjoues lorsqu’elleglisse sesmainsdans sondospour terminerde retirer sa robe.Cettedernièreglissenaturellement le longde ses jambes,mon regard suit lemouvementdu tissuetmoncœurpalpiteen ladécouvrant.Vicestmagnifique.Ellefinitensous-vêtementsnoirs,cesdernierssontencontrasteavecsapeaublanche.Instinctivement,ellecouvresonventreetsesseins,maisçanesertàrien.Sousmesyeux,j’aiexactementlesouvenirdesesformes.Latailledesesseins,ladouceurdesestétonsetleurcouleur.Lecreuxdeseshanchesetlegoûtdesonintimité.Jemesouviensdechaquedétail.Sanslaquitterduregard,jedéfaislaboucledemaceinture,descendlafermetureéclairdemonpantalon,avantdeleretirer,suivisdemeschaussuresetchaussettes.Jemeretrouveégalementensous-vêtementavecuneputaind’érectionquilaissepeudeplaceaudoute.LesyeuxbleusdeVicatterrissentdessus,ilsalimententnotrefeu.Aumomentoùjem’apprêteàfaireunpasverselle,Vicretiresonénormebraceletdeperlesqu’elleposesurlesol,souslelit,commepournepasleperdre.Lorsqu’elleseredresse,ellemetendsonpoignet,sapeaublancheesttachéedetraitsnoirsquicaptentinstantanémentmonattention.—Moiaussi,j’enavaisbesoin,déclare-t-elle.Je le saisis en douceur, et du pouce, je trace les lettres, un V et un R qui se nouent. Soudain, jecomprends.Vicnem’ajamaisoubliéetcommemoi,ellearessenticebesoindegraversapeau,defairequelquechosededéfinitif.C’estàcetinstantprécisquejepercute,quemalgréladistancequinousaséparés,malgrélesannéesetla

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souffrance,notrenousperdure,ilestplusfort.JerompsledernierpasquinoussépareetmejettesurVicpourlafairebasculersurlematelasdulit.Noscorpsrebondissent, je lasurplombe.Vicouvreses jambespourm’yaccueillir,unemainseglissedanssondos,jedégrafesonsoutien-gorge.Sesbretellesserelâchentsursesépaules,jepèseunpeuplussursoncorps.Vicmeregardedanslesyeux,etjen’ylispasdepeur,nid’appréhension,c’estcommesinous n’avions jamais arrêté de faire ça. Ses doigts se glissent lentement dansmon caleçon, lesmiensjouentavecsonsoutien-gorgequejeluiretireendouceur.Lafraicheurdelachambrefaitfrissonnersapeau.J’envoieleboutdetissusrejoindrelereste,etredécouvresapoitrine.Sestétonspointentdansmadirection, jemepencheetensaisitundansmabouchequejelècheetsuce.LesdoigtsdeVicjouentàprésentavecmescheveux,unsoupirdeplaisirs’échappedeses lèvreset j’ensavourechaqueson.Jeprendsmontemps,jesavourelegoûtdesapeau,sesréactions.Jefaistraînermesmainssursoncorps,retrouvechacunedesesformes.Entrenous,iln’yaquelapassionetledésir.Unedouceurtendre,maisfiévreuse.JesaisqueVicn’estpasensucre,elleméritequ’onluifassel’amourcommeonlefaitàunefemmecommeuneautre,etc’estce que je compte bien faire. L’aimer simplement, à notre façon.En sachant très bien quelles sont nospropreslimitesrespectives.Malanguepassesursestétonssensibles,puislentement,j’embrasselecreuxdesesseins,sonventre,toutendescendantverssonnombril.JesensleregarddeVicsurmoi,maiscen’estpasdelasuspicion,bienaucontraire.J’aimesavoirqu’ellem’observe,qu’elletented’imaginercequejepeuxluifaire.J’embrasse sonventre, glissema languedans sonnombril, des frissonsnaissent sur sapeau.Un légergémissementdeplaisirs’échappedesaboucheenfléelorsquej’arriveàhauteurdesaculottenoire.Nosregardssecroisent,jevoislatensiondanssesyeux.—Est-cequej’ailedroit?jedemandelentement.Sesjouesprennentdescouleurs,jelatrouveadorable.Vicsemordlégèrementlalèvreavantderépondredansunsouffle:—Oui.Et jem’exécute.Mesdoigts passent sous le tissu qui glisse le longde ses jambes.Vic les soulève etm’aideàl’endébarrasser.L’espaced’uninstant, je lavoishésiter.Jepeuxlacomprendre,çafaitdesannéesqu’ellenes’estpasretrouvéeaussiproched’unhomme,dansuneintimitéoùriennepeutêtrecachéàl’autre.—J’enmeursd’enviedeteretrouver,jelanced’unevoixrauquepourlarassurer.Contresajambe,j’appuiemeshanchespourluimontreràquelpointellemerendfou.J’aiaimésoncorpsdenombreusesfois,jel’aiaimédedifférentesfaçons,maistoujoursavectendresse,parcequeVicneméritequeça.Jemepenchepourembrassersongenou,puissacuisseetenfinlehautdesonintimité,jesouffledessuspour l’inciteràécarterses jambes.Jeveuxl’embrasser iciaussi,savourer lachaleurdesonsexe,sonhumidité,etvoirVicfondresousmescaresses.Bordel,jebandecommeundinguerienqu’enypensant.—Jenesuispascommelesautresfilles,m’avoue-t-elleensecachantlevisaged’unemain.Jesouriscontresapeau.

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—Jen’enairienàfoutredesautres,iln’yaquetoiquicomptes.Etàmesyeux,tuesmagnifique,alorslereste,jem’enfous.C’estjustetoietmoi,etcequ’ilyaentrenous.Jerelèvemonregardpourcroiserlesien,Vicm’observedéjà.— Fais-moi confiance, c’est simplement moi, et jamais je ne te jugerais. Je te prends comme tu es,commeavantmêmesinousnesommespluslesmêmes,certaineschosesn’ontpaschangé.Jemesouviensdecequeçafaisaitd’êtreprèsd’elle,contreelle,enelle.Cettesensationqueplusriend’autren’existaitautour,iln’yavaitqu’elleetmoi,loindetout,dumondeextérieuretdelaréalité.Iln’yavaitquelanôtre,etelleressemblaitàl’éternité.Lentement,Vicécarteses jambes, jemeglisseentreelles,et l’instantd’après toutbascule.Maboucheentreencontactavecsonsexe,etplusriend’autrenecomptequeVic.J’embrassesonintimité,ylaissecourirmalanguedanschaquerecoin.Jesuceetmordillesonclitoris,lelècheavecpatienceetenvie.Jeprendsletempsderedécouvrirchaqueparcelledesonintimité,jesavouresongoûtetsonexcitation.Vica envie demoi, et elle ne le cacheplus.Ses doigts tirent légèrement dansmes cheveux alors que sesjambessecroisentsurmesépaules.Seshanchessefrottentcontremaboucheentreprenante.Jecontinuemonmanège,alternant lessuçonsaveclescoupsdelangue.Jepénètresonsexedemalangueavantderevenirtitillersazonesensible.Unrâledeplaisirrésonnedansmachambre,larespirationdeVicsefaitlaborieusealorsquej’accentuelerythmedemabouchesursonintimité.Deuxdemesdoigtssejoignentàlapartie, ilscommencentàalleretvenirenelle.Vicestbrûlanteethumide. Jesenssonsexepalpiterautourdemesdoigtsalorsquejemeconcentresursonclitoris.Elleestauborddel’orgasme,jelesens,jel’entendsetbordelcommejebandedelavoirs’abandonneràmoi.J’ai toujours été tendre etpatient au lit. Jene suispas legenred’amant àburinerde la chatte commeParker.Certainsdirontquec’estdûàmonpassé,etpeut-êtreest-celecas,mais,qu’importe,aujourd’hui,jevois lesexecommeunmomentdepartage.Unmomentquiamèneauplaisiretà la jouissance,et jetrouvequ’onpeutêtreuntrèsbonamantsanspourautantressembleràunebrute.Underniermordillement,underniercoupdelangue,undernierva-et-vientdanssonsexeplusqueprêtàm’accueilliretVicexplose.Jelasenspartir,etl’aideàatteindrelesommetencontinuantdel’embrasser,malanguesedéchaînealorsqu’ellejouitenétouffantunpetitcri.Samaintiremescheveux,seshanchessepressentdavantagecontremoi.Monregardnelaquittepasunseulinstant.Etbonsangcommeelleestmagnifiquelesyeuxclos,latêterenverséeenarrière,sabouchelégèrementouverte,etcettecouleurroséesursesjoues.Lajouissanceluivatoujoursaussibien.Jecontinuedelacaresserjusqu’àcequ’ellen’enpuisseplus,qu’elletentedes’écarterdemoi.Jesoufflesursonsexesensibleetmeurtriparlesassautsdemalangue.Jemeredresse,rampesurellepourvenirdévorercettebouchequimerendfou.Vicmerendchacundemesbaisersavecdavantagedepassion.Samain dérive versmon caleçon qu’elle baisse pour laisser s’échapperma douloureuse érection qui nedemandequesonattention.—Tuascequ’ilfaut?medemandeVic.J’acquiesceenm’écartantd’ellepourouvrirletiroirdematabledechevetetensortirunpréservatif.Jemeredressesurmesgenoux,entresesjambes.SousleregarddeVic,jetermined’enlevermoncaleçon,ma queue se dresse entre nous, fière et bandée. Je vois cette lueur étrange dans son regard quim’est

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familière.Lapremièrefoisquenousavonsfaitl’amour,j’airiparcequ’ellem’achuchotéàl’oreille«tucroisquetoutvarentrer?».J’aiaimésoninnocenceàcet instant,parcequecettesimplequestionmeprouvaitqu’elleavaitgardéunpeud’elle,malgrécequ’ellesubissait.Je saisismon érection en retenant un râle.Bordel, j’ai déjà eu la gaule commemaintenant, une triqued’enfer presque douloureuse tant l’envie me prenait aux tripes. Mon gland est tellement sensiblequ’enfilerlepréservatifmefaithaleter.Çafaitunbailquejen’aipaseulasensationd’êtreaussifébrileaupieu.MaisVicest…Vic,ellefaitnaîtreenmoideschosesintenses.JedéroulelaprotectionsousleregardobservateurdeVic,jeluilanceunclind’œilcequilafaitsourireavantdem’allongerdenouveausurelle.Nosdeuxcorpss’emboitentparfaitement.Jesenslachaleurdesapeaum’envahir,elleestsidouce,sichaleureuse.J’ai toujourseu l’impressiond’êtreaiméetchoyédanslesbrasdeVic.J’aimecettesensationdivined’êtreensécurité,àmaplace.J’aimel’avoirdansmesbras, putain. J’embrasse le bout de son nez, puis la commissure de sa lèvre, avant de mordiller sonoreilledroite.—Tucroisquetoutvarentrer?jemurmureàsonoreilleavectaquinerie.Vic ferme lesyeuxen semordant la lèvrepour se retenir de rire.Sa jambegauche se relève surmeshanches,modifiant l’angle de nos entrejambes.Ma queue vient se frotter contre son intimité sensible,lentement,jebougemesreinspourlafaireglisser.Monglands’appuiecontresonclitoris,luioffrantunefrictionexcitante.Maiscequej’aimesurtout,c’estcettelueurdanssonregardquimehurle«encore».—Jeteveuxenmoi,Reag,j’enaitellementbesoinquec’enestpresquedouloureux.Jesais.J’embrassesabouchedenouveau,c’estlentetenivrant,etj’aimeça.J’aimenouspousseràbout,sentirlatensionarriveràsoncomble,etattendrelederniermomentpourbasculer.Iln’yariendemeilleurquecesquelquessecondesavantd’obtenircequ’onveuttellement.Jemeplaceàl’entréedesoncorps,mêmeàtraverslacapote,jesenssachaleuretsonhumidité.Jesaiscequec’est,deconnaîtreVicsanslatex,jen’aijamaisoubliécettesensation.Maispourlemoment,jepréfèrequ’onsoitprudents,cen’estqu’undétail.J’attrapelamaindeVic,nosdoigtss’entremêlent,monregardnequittepaslesienlorsquejelapénètre.Lentement,jeprendsmontempsetsavoureleplaisirdelaretrouver.L’expressiondeVicchange,ellesecrispeunpeu,jem’arrêtepourl’embrasser,letempsqu’elles’adapteàmonintrusion.—Reag…—Jesais.Je sais que ça fait longtemps pour elle. Elle est tellement étroite, tellement serrée. J’ai l’impressiond’être emprisonné. Je sens son intimité se refermer autour dema queue. J’ai rarement senti une tellecommunionavecquelqu’un.Quelquesminutespassentavantquejenepoursuive,Vicsedétendets’ouvreàmoi.Jem’enfonceenelleen remuant des hanches, de lents va-et-vient qui viennent éveiller son sexe. Son souffle se fait plusrapide,sonbrasseserredavantageautourdemoncou,etnosdoigtsselientplusfort.Unefoisenfoncéjusqu’àlagarde,jemefige,tremblant.Jesuistenduàl’extrême,mapeauestensueur,je

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suisauborddelarupturetantVicestdivine.Ellen’imaginepascequeçamefaitd’êtreenelle,c’esttellementintensequej’enperdsmesmots.Elleneditrienetmoinonplus.Onlaissefaireleschosesensavourantnosretrouvailles.—Fais-moil’amour,murmure-t-ellecontremeslèvresdansunsouffle.Etc’estcequejefais.J’appuiemonfrontcontre lesien, jereste immobileuninstantpoursavourer lemomentavantdecommencerlebalancementdemeshanches.Monérectionsortducoconchauddesoncorps,pourmieuxyrevenir.Jecommenceunrythmelangoureux,oùnosdeuxsexessefrottentl’uncontrel’autre,créantcettefrictionquinousfaithaleter.—OhbordelVic,jejurecontresabouche.Ça fait tellement de bien d’être aimé, de se sentir aimé, et d’aimer quelqu’un de toutes les façonspossiblesetimaginables,surtoutlesimaginables.Nousnesommespaspressés,etmêmesil’envied’ellemetordl’estomac,jeveuxsavourerl’instant.Letempsdéfileavecunelenteuragréable,mamainlibrelatouchepartoutalorsquemonsexelapénètreavecplusdevigueurpouralimenterlefeuennous.Maboucheembrassesoncou,seslèvres.Jeveuxluidonnertoutcequejepeuxdemoi,commesidemainn’existaitpas.Pourlemoment,iln’yaquenousetcedésirquimeronge.Lesminutesdéfilent,notreétreintedevientdeplusenplusforteetlangoureuse.Monérectionl’enflamme,jesensVicperdredenouveaupied,sonintimitépalpitedeplusenplus,m’enserrant.Ungémissements’échappedesabouchelorsquejem’enfonceenelleavecplusd’ardeur.Vicmesupplieduregarddenousfairebasculerpouréteindrecemauditfeuquinousfaitautantdebienquedemal,tantleplaisiresténorme,tantc’estgéantdeconnaîtretoutcemixànouveau,l’envie,ledésir,lachaleuretcespapillonsdejouissanceennous.J’accélèreunedernièrefoislerythme,Vicyréagitquelquesinstantsplustard.Ellesefigecontremoi,mabouche étouffe son cri de plaisir lorsqu’elle bascule. Son orgasme lui fait fermer les yeux, elles’abandonneàmoicommeellelefaitdepuisledébut,etlavoirsibelle,etconfiante,mefaitbasculeràmontour.Jejouisprofondémentenelle,moncorpssetend,jelaisseéchapperungrognementdeplaisir.J’ignorecombiendetempscemomentdure,maisjesensquec’estlongtemps,commejel’espérais.Puis, tout se calme, lentement, notre esprit se reconnecte. Jeme laisse aller sur Vic, nos deuxmainstoujoursenlacées.Ma têtevientseperdredanssoncou, je respiresonodeuretsavouresa respirationsaccadée.Vicmeserrecontreellequelquesinstantsavantquejenesortedesoncorpsàcontrecœur.Jemedébarrassedelacapoteavantdem’allonger,puisj’attireViccontremoi.Nosjambess’emmêlent,unsilenceapaisants’installe.Noussommesbienainsi,l’uncontrel’autre.Jeréalisequecetremblementdansmapoitrine,cette forcesurhumainequim’afait tenir tantde tempsencaptivitésemblent toujoursprésente.Ilestlà,aucreuxdemapoitrine,soustonprénom.Cettenuit,comparéesàtouteslesautres,nousavonsletemps.Iln’yapasdedanger,pasderisquedesefairesurprendre.Onpeuts’aimersanscrainte,librement,commenousnel’avonsjamaisfaitauparavant.Etjecomptebiensavourerchaqueinstant,parcequej’aiconsciencequedemain,toutpeuts’arrêter.

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Chapitre20Vic

6Mai2016Lancaster,PennsylvanieMonvisagesefrottecontreletorsesousmoi,uneodeurfamilièrevientfinirdemeréveilleretjesourisavantd’ouvrirlesyeux.L’espacedequelquessecondes,entresommeiletéveil,j’étaisderetourdanslepassé.Dans cesquatre annéesqui ont brisémavie et quim’ont enmême tempspermisde rencontrerl’hommequidort àmescôtés.Ladernière foisque j’aidormiavecReagan, j’avaisdix-sept ans et sicertaineschosesn’ontpaschangé,commesafaçondemetenircontrelui,lecorpsquej’aisousmoiestdifférent.Mesyeuxs’ouvrent,lalumièreextérieurefiltreàtraverslesrideauxetc’estlapremièrefoisquejepeuxobserverlecorpsdeReagansouslaclartématinale.Jemeredressesuruncoude,ilestallongé,unbrasentraversdesonvisage,l’autresurmonépaule.Sapeauplussombrequelamiennebrilleetjenepeuxm’empêcherdetouchersontatouage.J’étaislà,toutescesannéesloinl’undel’autre,j’étaisavecluitoutcommeilétaitavecmoi.Jedéglutis,émuedemevoirsursapeau,desavoirqu’ilatenusapromesseetqu’ilnem’ajamaisoubliée.Il aurait pum’oublier, peut-êtremême qu’il aurait dû, pour lui, pour se reconstruire et vivre une vienormale.Ilauraitputrouverunefemmequil’auraitrenduheureux,quiluiauraitdonnéunefamilleetunfoyer.Ilauraitpuavoirtoutça,maisilm’aattendueenquelquesorte.S’ilnes’estjamaisinvestiavecuneautre,c’estparcequej’étaislà,danssoncœur,gravéecommesursapeau.Jechasse les larmesquicommencentàcoulerenobservantReagan, je ris enmedemandantcequ’ontpensésesconquêtesdecetatouage.Ilbougeetgémitdanssonsommeil,samainresserresaprisesurmonépauleetjereposematêtesursontorse.Jesuisbien.Jecroisquejen’aijamaisétéaussibienquemaintenant.Jemesensapaisée,comblée,ensécurité et amoureuse. Si avant je l’étais, il y avait à chaque réveil la réalité de notre situation.Aujourd’hui, iln’ya riende toutça, ilyaReaganetmoietnotre liberté.Etc’estparfait.Cemomentdevraitdurer toujours.Ondevrait rester là,dans lesbras l’unde l’autre, à faire l’amouretoublier lemondeextérieur.Oublier,sontravailetnosfamilles.Oublierqu’onn’estpasseulementVicetReagan,maisaussilesvictimesdeCooperetqu’unprocèsnousattend.Jesoupireetfaitfrissonnersapeau,encomprenantqu’onn’estjamaisréellementlibre,maispourtantjevaisfaireensortequ’aujourd’huionlesoit.Demainilseratempsderetourneràlavieetànosobligations.Mes doigts glissent sur son torse en de petites caresses qui le font de nouveau frissonner. Je souris,amusée,deredécouvrirsoncorpsetdetoucherdesmusclesplusprononcésqu’ilyadixans.Jedescendsentresespectorauxpourtouchersesabdos,mesdoigtsdessinentleslignesetjemesurprendsàcompter

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lescarrésquiformentsoncorps.—Lecompteestbon?lanceReagand’unevoixbasse.Jerelèvelevisagepourleregarder,sonbrassursonfrontetlesyeuxbaisséssurmoi,ilsourit.—Ilyaunelignedeplus,jerépondsaprèsavoirfaitletourdecettepartiedesoncorps.Reagansefrottelesyeux,puissamainsurmonépauleglissesurmesfessesqu’ilpincegentiment.—Etbien,ilyenaunpeuplusiciaussi.—Jetefaisaisuncompliment!jelanceunpeuvexée.—Maismoiaussi.Samainsemetàpincerdenouveaumesfessesetjetented’échapperàsaprise,maisReaganestplusfortquemoi.—T’esparfaite.Ilredressemonvisageetseslèvreschaudesviennentseposerdoucementsurlesmiennes.Ilm’embrassed’aborddoucementenpicorantmeslèvres,puissalanguevienttracerlecontourdemeslèvrespourquejelesouvre.Jenemefaispasprier,salangueentredansmaboucheettoutmoncorpsressentcebaiser.Ilsesouvientdecettenuit,desesbaisers,desescaresses,desoncorpssurlemien,danslemien.Cettefaçonqu’aReagande faire l’amour,passionnémentetpourtant tendrement.Avec lui jenemesenspascommeunevictimequetoutlemondeobserve,avecluijemesenscommeunefemme.Ma main sent le grondement qui sort de ses lèvres se répercuter sur sa poitrine et Reagan me faitm’allonger sur le litpourvenirmesurplomber. Iln’attendpas, ses jambesécartent lesmienneset soncorpsvientpeseragréablementsurlemien.Seslèvresdévientsurmoncouetmoncorpss’enflamme.Iladixansdemanqueàrattraper,dixanssanslui,sanssoncorps,sanssentirceplaisirqu’ilmedonneavecenvie.Lesmains deReagan, sa bouche, sont partout surmon corps et jeme sens partir vers cette sensationdéliranteoùjenecontrôleplusrien.Jelesensdurentremesjambes, lafrictiondenoscorpsmerendfébrileetmesmainsessayentdetouchertoutcequ’ellespeuventprendredelui.—Reagan…jegémisquandilprendmonseinentreseslèvres.Sa main glisse sur mon ventre quand, un aboiement nous fait sursauter tous les deux. On se fige enregardantBax,lalanguependanteassisàcôtédulitànousregarder.Jememetsàrire,Reaganaussienposant son visage sur ma poitrine. Bax aboie de plus belle et Reagan lui ordonne de se taire en seredressant. Son visage au-dessus du mien, il me regarde comme s’il n’était pas très sûr que je soisréellementlà.Jecaressesesjouesoùunebarbenaissantepousse.—Cen’estquepartieremise,dit-ilenfrottantsonnezaumien.—J’espèrebien.

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Ilm’embrasse rapidement,puis il se lève. Je le regardeenfiler sonpantalonde laveille, ledésirquej’éprouvepourluin’estenriencalméquandjelevoiscaresserBaxensouriantl’airheureux.—Tu peux aller prendre une douche, dit-il en passant unemain dans ses cheveux, sert toi dansmesfringues,jevaispréparerlepetit-déjetensuiteonirapromenerl’impatient!J’acquiesceetleregardesortiravecBaxdanssesjambes.Alorsçapourraitêtreça,unevieavecReagan.Desréveilstendres,despetits-déjàdeux,despromenadesavecBaxetfairel’amourencoreetencore.Jeme lèveenm’étirant,moncorps reconnaît sesdouleurs et l’espaced’un instant ellesme rappellentl’enfer.Jefermelesyeuxenmesermonnantqueçan’arienàvoir,iciilestquestiondeplaisir,pasdetorture.J’avance jusqu’à lasalledebainensecouant la têteparcequedes imagesque jeneveuxplusvoirviennents’infiltrerdansmonesprit.Pasaujourd’hui,pasaprèscettenuit,jeneveuxpasmerappelerla douleur et la souffrance, je veux être heureuse et profiter de cesmoments avecReagan. Je ferme àmoitiélaportederrièremoi,lasalledebainestpetiteetpluspratiquequ’esthétique,elleestReagan.Jefaiscoulerl’eauetenattendantqu’ellechauffejem’observedanslemiroir.MapeauagardédestracesdupassagedeReagan,parendroitelleestrouge,monseinaencorelamarquedeseslèvresetjefermelesyeuxenpensantàcombienc’estbondelesentiretàriend’autre.

***7Mai2016Lancaster,PennsylvanieJem’agitesurmachaise,jedétestelesourirequel’avocatdeladéfensebrandit,commes’ilétaitsûrdesavictoire.Reaganresteimpassibleenentendantlesquestionsqu’ilsortàl’agentduFBIquiaenquêtésur notre cas. C’est une grande blonde, j’avais oublié ce regard bleu froid qui a pris quelques ridesdepuisladernièrefoisoùjel’aivue,maisellerestefidèleàelle-même,professionnelleetquiinspireconfiance.—Quand l’accusationvousa interrogé,vousavezdit, je cite :MonsieurKane s’est fait enleverpardeuxhommes.Est-ceexact?—C’estexact.—AgentHart,oùsontceshommesaujourd’hui?L’agentfoncelessourcilsensepenchantunpeupourrépondre.—Onnelesapasretrouvés.—Lesavez-vousseulementcherchés?—Objection!crieleprocureurenselevant,cen’estpasleprocèsdel’agentHart,ilmesemble.

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—Jetiensjusteàmontrerauxjurésquel’enquêten’apasétécomplète.—Rejetée,conclutlejugeenfaisantsigneàl’agentduFBIderépondreàlaquestion.Jesoupire,jenesenspascetavocatilal’airaussiperfidequesonclient.Reaganremarquemagêneetprendmamainsouslatable.Jesourisenregardantnosmainsenlacées,enpensantàhier,ànotrejournéeloindetoutetoùtoutétaitpaisible.Onadéjeuné,faitunelonguebaladeavecBax,puisonestrentréspourregarderunfilmdontonneconnaîtrajamaislafin.J’inspireenserrantsamain,enmerappelantsescaressestellementagréables.C’étaitparfait,c’étaitlegenrededimanchequetouslescouplesamoureuxpartagent.Ceuxquionteulachancedevivreunevienormale,derencontrerlapersonnequiseraàleurcôtéspourlerestedeleurvie.Maiscettejournéeaprisfin,ilafallurentreretaffronterlaréalité.Onn’apasparléduprocèsoudel’émissionqu’ilvadevoirfaire.C’étaitnotremoment,rienqu’ànous,celuioùl’onseretrouvaitréellementtouslesdeux.Jerelèvelatêtequandl’agentreprendlaparole,monregardcroiseceluideCooperquifixenosmainsjointes, un sourire sadique aux lèvres. Il relève lesyeuxetmedévisage. Je sensmoncœur arrêterdebattresoussesyeuxperversquimedégoûtent.—Votre client ne nous a pas fourni les identités de ses hommes et les victimes n’ont aucun souvenird’eux,iln’yavaitquedesempreintessurlesacàdosdemonsieurKane,maislacomparaisonn’ariendonné.—Àaucunmoment,vousnevousêtesditquemonclientpouvaitnepasconnaîtreceshommes?Je détourne le regard en déglutissant, le sourire deCooper imprègne dansmes rétines, lemême qu’ilavaitquandilavaitlepouvoirsurmoncorps.—Non,soupirel’agent.—Pourquoi?—Parcequ’ilsontenlevédeuxgaminspourvotreclient.—Commentpouvez-vousêtresûrequ’ilslesontenlevéspourmonclient?L’agentHartfroncelessourcilsetmoiaussidevantlastupiditédecettequestion.—Parcequec’estentrelesmainsdevotreclientquelesvictimesontatterri,c’estchezluiqu’ellesontétéséquestrées,torturéesetviolées.L’avocat retourne à son bureau l’air calme et serein il prend un papier avant de se retourner vers letémoin.— Agent Hart, lorsque vous avez interrogé monsieur Kane, sur les sévices qu’il a subi lors de sacaptivitévousat-ilrévélélemodeopératoiredesonagresseur?—Oui.

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—Etquelest-ilagentHart?— Truman… l’accusé, le droguait quelques heures avant, sûrement dans sa nourriture pour qu’il nerésistepaspuisill’attachaitetabusaitdelui,unefoisqu’ilétaitréveillé.—Votrehonneur,jejoinsaudossier,lapièceàconvictionquiestunrapportd’expertisesurladrogueutiliséeàl’encontredemonsieurKanelorsdesacaptivité.L’avocats’avancejusqu’aujugeetluitendunefeuilleainsiqu’àl’AgentHart.—Pouvez-vousnouslireàvoixhaute,lapartiesurlignéeAgentHart.—Ladrogueauneffet immédiat, le sujet s’endort,plongédansun sommeilprofonddurantuncertainmoment selon la dose utilisée et la corpulence du sujet. Lors de son réveil, le sujet sera encore sousl’emprise de la drogue, même si l’effet principal est dissipé, les effets secondaires sont nombreux :vertiges,nausée,motsde têtes,sensationsdesoif,ethallucinations.Cederniersymptômedemeuredesheuresaprèslaprisedeladrogue.—Hallucinations,agentHart,lavictimesouffraitdoncd’hallucinationsaprèssesprisesdedrogue.LamaindeReaganquittelamienne,ilsepenchepourparlerauprocureuràsescôtés.Sijen’entendspascequ’ildit,jevoisparfaitementsamâchoireseserrerd’énervement.—Est-il possible agentHart quemonsieurKane ait halluciné envoyantmonsieurTruman lors de sesséancesd’abusqu’ilsubissait?Oùmêmequ’ilaittotalementimaginésesséancesdeviols?L’agentHart repose la feuille devant elle, la tension est à son comble dans la salle, tout lemonde acompris où l’avocat voulait en venir et je me demande comment on peut faire ce genre de choses.Commentonpeutfairedouterdesaculpabilitéquandonsaitqu’ilestcoupable.—Jenesuispasmédecin,Maître.—Non,effectivement,vousn’êtespasmédecin,vousêtesunagentduFBIquiestcensétenircomptedelaprésomptiond’innocencedurantsonenquête.Etvousnel’avezpasfait.—MonsieurKaneaidentifiétrèsclairementsonagresseur.—MonsieurKaneétaitdroguéetdoncsujetàdeshallucinationsetmonsieurKanes’estfaitenleverpardeuxhommesquinesontdetoutesévidencespasmonclient.Lesilencerevientdanslasalle,l’avocatsouritàl’agentquifulmine.—Pasd’autresquestionsvotrehonneur.Jemetourneverslejury,ceshommesetcesfemmes,quisontcensésrendreunverdictàpartirdetoutcequiaétéditdanscettesalle.Jeprieenlesregardantpourqu’ilsnecroientpasuneseulesecondecequi

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vientd’êtredit,onn’ajamaissouffertd’hallucinations,onatrèsbienvuquinousafaitdumaletonn’estpasprèsdel’oublier.

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Chapitre21Reagan

7Mai2016Lancaster,PennsylvanieJe boue de l’intérieur en entendant les propos de l’avocat deCooper.On nous avait prévenus que ladéfenseemployaitbiensouventdestactiquespourriespoursauverlamiseàsonclient,maisjen’auraispascruqu’ilsaillentjusque-là.Bandedepourris.Jeneprêtepasattentionauxquestionsqueposentleprocureuràlaflic,jeneveuxpasentendreencoresonrécit,entendredesabouchequej’aiété…violé,séquestré,ettorturé.J’enpeuxplusdepasserpourlavictime,j’enaimarrequ’onnousvoitcommelespauvresadolescentsqu’onadétruits.Noussommesautrechosequedesputainsdevictimes.Jefermelesyeuxl’espaced’uninstantpourmecalmer.Lahaineesttellementprésenteenmoilorsquejesuis ici, face à notre bourreau qui sourit, l’air de rien. Je sais qu’il prend son pied à entendre notrehistoire,jenedoutepasquedenombreuxsouvenirsdégueulassesluireviennentenmémoire.Etcen’estqueledébutdesonfantasme.Jefermelesyeuxetj’inspire.J’essayedefairecommelespsysm’ontappris.J’essayedefaireensortedeneplusêtreprésentmentalementdansunlieuoùjeneveuxpasêtre.Jenesuisplusici,jenesuispasleculassissurcemauditbancàentendredesconneries.Jenesuisplusdanscemondededingueoùontrouvedesexcusesàdesbâtardsenpuissance.Jesuisailleurs, jesuisdanslesbrasdelafillequiserremamain,jesuiscontresoncorps,jesuisloin.Jesuisenelle,dansunsouvenir qui me fait vibrer avec toujours autant de force. Je suis dans ce moment où j’ai découvertvraimentl’amour,etlapuissancequeçafaisaitd’êtreaimé.Caràcetinstant,jeneveuxmerappelerquedeça,quedesbonsmoments,parcequelesdouloureuxsontentraindenousdétruire.Etjeneveuxplusressentirça…l’espaced’uninstant.Jeveuxjustemesouvenird’elleetdemoi.

***2005Lancaster,Pennsylvanie.

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J’ignoredepuiscombiendetemps,nousétionsdansnotrebulle,oùiln’yavaitquenousquicomptait.C’était plus simple à gérer, plus simple d’oublier ce qui nous arrivait, s’aimer était un moyen des’évader. Et j’aimais l’aimer bon sang. J’aimais la tenir dans mes bras, l’embrasser durant desheures,fairecommen’importequelado.Onapassédelongsmomentsdanslelitdel’autre,àparlerdetoutetderien,decequ’onauraitpufairepoursortir«enamoureux»,commelesautres.Onarêvédecequ’onferaitensemblelejouroùonsortiraitd’ici.J’aimeespérer,j’aimecroirequenotrevienese résumera pas aux désirs sadiques et pervers d’un homme. J’aime penser qu’un jour notrecauchemarseterminera.Sinonpourquoilavienousaamenésàressentircequ’onressentl’unpourl’autre?Nousne seronspas lesprochainsRoméoet Juliettebordel, je refuse. Je refused’accepternotresort,alorspour lemoment, j’attendsuneerreurde lapartdeCooper,uneseuleetonsaisiranotrechance.Jesuispatient,etheureusement,j’aiVic.Elle, elle ne parle pas d’elle-même de notre après, de cette vie qu’on aura après la chute de cetenfoiré,jepensequeçaluifaittropmal.Etjelacomprends,maisc’estdanslasouffrancequ’ontiresesarmes,etc’estdansl’amourqu’ontiresaforce.Nousavonslachanced’avoirlesdeux.Jenemesouviensplusavecexactitudecommentnousensommesarrivéslà,commentunjour,Vicm’aregardéets’estdécidée.Je sais seulement que je terminais Tristan et Iseult de Bérou, Vic voulait que je lise durant dixlectures,lesplusbelleshistoiresd’amour.Jecroisqu’elleestcegenredefilleàêtreromantique.Etj’aimeça.Alors c’est ce que j’ai fait ces derniers temps, j’ai lu les grands classiques en romance, Roméo etJuliettedeShakespeare, lesHautsdeHurle-VentdeEmilyBrontë,LaBelleet laBêtedeGabrielle-SuzannedeVilleneuve,OrgueiletpréjugésdeJaneAusten,LeLysdanslavalléed’HonorédeBalzac,JaneEyredeCharlotteBrontë,AnnaKaréninedeLéonTolstoï,LeRouge et leNoir deStendhal etAutantenemporteleventdeMargaretMitchell.J’aieul’impressiond’êtrecommemamère,àliredeslivres à l’eaude rose,mais c’était tellement touchant de voirVic vivre et ressentir chacunede ceshistoiresd’amour.Commesivoirlesautress’aimer,larassuraitsurnôtreamour.Commesielleavaitunepreuvequec’étaitnormal.Alorsjelesaitouslus.—…Madécision est irrévocable : j’aimemieux vivre commeunmendiant avec elle,me nourrird’herbesetdeglands,plutôtquedeposséderleroyaumed’Otran.Nemedemandezpasdelaquitter,car,vraiment,c’estimpossible…[2]

Vicenfacedemoiseredressedesonlitensoupirant,sonregardestsurmoi,jelèvelesyeuxpourlecroiseret luidemandercequ’ellea. Jecommenceàcroireque la tournurede l’histoirevadevenirtragique et que Vic ne va pas aimer,mais en la voyant, je comprends que ça n’a rien à voir avecl’histoirequejeluilis,c’estautrechose.Vic semble préoccupée, ailleurs. Comme si autre chose la préoccupait. Elle me demande sansréfléchir:—J’aiunproblèmeReag.Unproblèmequiduredepuisunmomentetquime trottedans la tête.Tucroisquecen’estpasbien,sijeveuxça?Tucroisquec’estnormaldedésirerquelqu’unalorsqu’unautrenousfaitautantdemal?Jemefigeencomprenantoùelleveutenvenir.

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—Iln’yariendemalàvouloirêtrebien,jerépondsenposantlelivreàcôtédemoi.Vicévitemonregardetjoueavecsondoigtàdessinerdescerclessursesdraps.—C’estplusqueça,Reag…jeveuxplusqueça.Plusqu’êtrebienavectoi.Je…Savoixs’enrouelorsqu’ellepoursuitdansuneconfessiontimide:—Jeveuxsavoircequeçafaitdefrémirsouslecorpsdequelqu’und’autre.Jeveuxéteindrecefeuentre nous, te découvrir, nous aimer. Je veux vivre ce qu’ils vivent, ce qu’on devrait normalementvivre.Leslivresd’amoursluiréussissentàcequejevois.Maismoiquiparlesibiend’habitude,jen’aipasdemotspourluirépondretellement, lessiensmeparlent,tellementcequ’elleveut,jeleveuxaussi.Je la dévisage en sentant mon cœur battre vite, et mon érection durcir, c’est tellement compliquélorsqu’elleestcontremoidefairetairemondésir.Jelaveuxaussi,maisjenemesuisjamaispermisd’ypenserplusqu’enfantasmeétantdonnécequ’ilnousarrive.Vicapassécecapvisiblement.—Reagan?souffleVic.—Oui?Sonregardbleuestsiintensequ’ilmetordl’estomacd’undésirpuissant,l’atmosphèreseremplitdetension,maiscen’estpasdel’inquiétude,bienaucontraire,c’estfort.Troublant,maisintense,bon.Jesensledésirquiémaned’elle,ilsemélangeaumien,etjecroisbienquecettefois-ci,nousglissonsverscettepente.Vicmedéfieduregarddecoupercourtàlaconversation,siellesavaitcommejen’aipasenviedemebattrecontreelle,siellesavaitcommej’enaienvie.—Ets’iln’yavaitpasencoreeudepremièresfois,m’avoue-t-elle.Etsi,ilnenousavaitjamaisfaitcequ’il nous a fait ? Et si nous étions deux gamins dans une chambre, qui s’aiment, et qui veulents’aimer?Commen’importequi,parcequec’estnormal,parcequenousavonsl’âge,parcequec’esthumaindedésirerquelqu’un.Etsilesfoisd’avantnecomptaientjamais…—Etsij’étaistonpremier,jepoursuisd’unevoixtendue.Vicacquiesce,sesmainstremblentsurlelit,ellemedésireautantquejelaveux,elleestsûred’ellemalgrécequ’ilnousestarrivé.Mêmelefaitquenotrebourreaunousaprévenusqu’onn’avaitpasledroitdes’aimer,qu’onenpaieraitleprix.Ons’aimeetilnepeutpasluttercontreça.—Etsij’étaistapremièrefois,sij’étaislaseulepersonneavecquitufaisça.Laseuleavecquituleveux,etdonttuasenvie,reprendVic.—Etsiçanecomptaitqu’àpartirdemaintenant?jerenchéris,lesoufflecourt.

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—Etsionfaisaitdecessuppositionsnotreréalité?chuchoteVic.Jemefige,çayest,ellel’adit.Elleleveut,ellemeveut,etbordel,c’estincroyable.Incroyableàquelpoint,onrésisteàCooper,àquelpoint,onafaitdenotrerelationuneforcecontrenosdémons,onlessurmonteensemblepourl’autre.Etjeveuxl’aimer.Vicaplusdecouragequemoi,surcecoup-là,jelereconnais.—Laisse-moicroirel’espaced’uninstantquetoutcequ’ils’estpassén’ajamaisexisté.Laisse-moicroire,qu’iln’yaquetoietmoi,quenousnesommespasici,qu’ilnenousajamaisrienfait,quenoussommesdeuxadolescentsdedix-septansquis’aimentetveulents’aimernormalement.Sansviolence,sanscruauté.Aime-moiReaganetlaisse-moit’aimercommeonaimedanslaréalité.Jelaregardemeparlersansrépondre,jen’aipasenviedebrisercemomentoùelleseconfesse,oùellem’avouetout.Vicmeditsouventqu’ellem’aime,maispasavecautantdeferveurquemaintenant.—Jesaisquetuenasenvie,jelesens,jelevois.JevoisàquelpointtuesexceptionnelReaganKane.Tuestropbon.Tropgalant.Tropprotecteur.Soittropamoureuxettropdésireuxdem’avoircettenuit.Choisiscesdeux«trop»,carilsn’ontriend’excessifs.Jeresteuninstant, figésansriendirenifaire,puis, jem’avance,etposemespiedssurlesoldulitpourmelever.Faceàelle,jesuisplusgrand,j’aiprisunpeuenmuscle,etenpoids.Jedeviensunhommepetitàpetit.— Je t’aime trop, tellement que t’arriverais àme fairemanger dans tamain, je lance en souriant,convaincu.Jefaispassermont-shirtgrisau-dessusdematêteetlejettedansuncoindelapièce.Jel’envoiedel’autrecôtédenotrechambreenm’approchantdeVicquimeregardefaire.—Etsiondécouvraitensemble,cequec’estd’aimervraimentunepersonne?jeluipropose.Vicm’a répondu oui, et c’est ce qu’on a fait. J’ai enlevémon jean, et elle son t-shirt. Jeme suisallongé à ses côtés, elle m’a fait de la place. Je l’ai prise dans mes bras, et nous nous sommesembrassés.Lentementetaveccettepassiontendrequicicatrisen’importequelleblessure.Onalaisséla tension augmenter entre nous. Cette dernière a pris son temps, mais j’ai adoré chaque instant,sentirVics’enflammersousmabouche,sousmesmains.J’aicrudevenir fousoussescaresses,cesgestesmaladroitsquirendentencorepluscemomentintimeetimportant.Ilplanaitaulycéeunerumeurcommequoi,lapremièrefois,cen’estpasgénial.J’endoute.AvecViccontremoi,aveccettechaleurenmoi,cebesoindecomblercetteenvie,cefeuquifaitmal,jenepensepasqueçapuisseêtreaffreux.Puis les choses se sont corsées, la tension est devenue trop lourde, trop insoutenable, l’envie troppressante.Noscaressessesontfaitesplussoutenuesplusappuyées,pluspassionnées.Mesmainsontdérivéplusbas,entresescuisses,etjel’aicaressée.Jemesuislaisséguiderparmesenvies,j’avaisenviedevoirVicfondresousmoi.J’aiprissoindel’enflammer,delaposséder,deluifairedubien.Etj’aiaiméça.Toutcommej’aiaimélorsquesamains’estglisséedansmoncaleçonpourmetoucher.J’ai aimé samaladresse, j’ai aimé la voir se laisser aller. Oser des choses qu’elle n’avait jamais

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faites, comme si les gestes nous venaient naturellement. Comme si inconsciemment, on savait quoifairepouraimerl’autre.C’étaitétrangementsilencieuxentrenous,iln’yavaitquenosrespirationssemêlantl’uneàl’autre,latensionetledésir.Ona fininus, l’uncontre l’autre,nos lèvressecherchantavecenvie.Puissansavoiràseposerdequestions,Vicm’alaissél’approcher.Jemesuisretrouvécontreelle,nosdeuxpeauxnuessefrottant.Ellem’aregardéuninstantavantquetoutnebascule,etj’ailudanssonregardquec’étaitcequ’ellevoulait, qu’elle m’aimait et que c’était exactement ce qu’il nous fallait. J’ai eu son consentementcontremeslèvres,etj’aibriséladernièrebarrièreentrenous.Jemesuisenfoncélentementenelle,j’aidécouvertsachaleur,lasensationdesonintimitéautourdemoi.J’airessentilebien-êtrequececontact intime déclenchait en nous. J’ai senti Vic frémir sousmon intrusion, j’ai vu son visage secrisper,d’abordd’appréhension,puisdeplaisir.Çan’apasététrèslong,maislepeudetempsqueçaaduréc’étaitlentetbon,intimeetdoux.Et j’aicrucraquer lorsqu’ellem’amurmuréà l’oreille«qu’elleaimaitça»,àboutdesouffle.Vicaimaitça,etmoiaussi.J’aimaislasensationdenefairequ’un,d’êtreàelle,etdelasavoirmienne.Detouteslesfaçonspossibles,surtoutcelle-là,commesimaprésence,effaçaitcelledeCooper.Jeluiaifaitl’amourcommejel’imaginais,avectoutcequ’onpeutdonneràquelqu’un.

***—C’estdoncça,fairel’amour,murmureVic.Jecaressesapeau,elleestdouce,commelapeaud’unbébé.J’adorelatoucher.Onestallongél’uncontre l’autre,c’est lecalmeaprès la tempête.C’est lapremière foisqu’onse retrouvenusdans lemêmelit.Etj’aimebiencettesensation.—Oui,c’estdoncça.Les joues de Vic deviennent rouges, je sens qu’elle vame demander quelque chose d’intime, et çam’amusedelavoirsoudainementtimide.—Tuasaimé?mequestionne-t-elledansunchuchotement.—Dudébutjusqu’àlafin,j’avouesanshésitation,ettoi?Vicsemordlalèvre.—Oui.Tu es… tendreReag, et doux, et… jene sais pas, prèsde toi, jeme sensbien, en sécurité,aimée. Dans tes bras, sous tes mains, j’ai appris ce que ça faisait de désirer quelqu’un. C’estétrangementbon.—Jevaisrougirautantquetoi!jelataquine.—Reag!

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Ellem’envoie un coup de coude et tente de s’échapper demes bras,mais je suis plus fort et plusconvaincant. Je resserre ma prise autour d’elle, et glisse ma tête dans son cou, pour respirer sonodeur.—Tucroisqu’ilvalesavoir?m’interrogeVicenenfouissantsesdoigtsdansmescheveux.—Onvafaireattention.—Etpourlereste?Jevois son inquiétude liéeàd’autresproblèmesquiont leur importancequand il s’agitdesexe, jereconnaisqu’onn’apasététrèsprudentcecoup-ci,mais…çan’avaitpassaplacedansnotreespritàcet instant. Lorsqu’ellem’a demandéde lui faire l’amour, d’être le premier qui compte réellement,moncerveaus’estdéconnecté.Cen’étaitpasmalin,jelereconnais.—Onvafaireattention,jereprends.J’ignore comment, mais on trouvera une solution, parce que si Vic est d’accord, j’adoreraisrecommencer.Meperdreenellem’afaitperdrelaréalité.L’espaced’unmoment,iln’yavaitplusquenous, nousn’étionspas ici.Vicm’adonnéune force indescriptible.L’amourqu’ellem’a témoigné,jamaispersonnenemel’aoffert.J’enchialeraitellementc’estintensecequej’airessenti.Jemepermetsun instantdem’inquiéterpour lasuite.J’essayedenepas lemontreràVic,mais lasuitem’effraie.Coopersaittoujourstout,etjemedemandecommentjevaisréagirlaprochainefoisqu’ilviendra,pourmoi,oupourVic.Commentjevais leprendredelevoirmartyrisercecorpsquej’aime tant, Vic que j’aime tout simplement. La fois où il l’a touchée sous mes yeux, j’ai cru quej’allaisexplosertantçam’afaitmal.Tantsahontem’abrisélecœur.Commentréagirfaceàl’horreurqu’illuifaitsubir?Jenesaisplus,jesaisseulementqueçafaitmal,terriblementmal, et heureusement qu’il nous reste notre amour, sinon, on serait devenu fous, aussitroublantetinattendu,Vicrestemabouéedesecours.—Reag?Sadoucevoixenrouéemesortdemessombrespensées.Jemetournepourvoirsonvisage,sescheveuxbrunssontlégèrementemmêlés.Elleest tropbellepourêtrevrai.Maintenantjecomprendstouscesgrandsauteursderomancequidécrivaientsurdespagesentièresàquelpointlafemmequ’ilsavaientétaitbelle.Sij’avaisunstyloetunefeuille,àcetinstant,jeferaispareil.—Oui?Vicremuecontremoi,samainseposesurmapoitrinelorsqu’ellemedemanded’unevoixtimide:—Onrecommencera?Jesourisenembrassantlehautdesoncrâne.—Onrecommencera,hé,Vic?

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Elle lève son visage dansma direction, je croise ses yeux bleusmagnifiques qui portent encore lalueurdubonheur,j’aimeraislavoirplussouvent.—Oui?—Onrecommence?jeproposeenprenantsansdouteuneexpressiondemalice.Vicsemordlalèvreenhochantlatête, j’aimequandelleredevienttimide,àcroirequ’elleaépuisésonquotadecourageenmefaisantsademandeilyauneheuredecela.Je remuedans lesdrapsde son lit, nos chaînesànos chevilles teintent l’une contre l’autre, on lesignore.Vicécartesesjambespourm’accueillir,sousledrap,lachaleurdenosdeuxcorpssemélange.Jemepressecontreelle,etlaissepesermonpoids.Jeprendsquelquesinstantspourlaregarderdroitdanslesyeux,savourercemomentdebien-être.Moncœurbatàcentàl’heurelorsquejelisdanssonregard,toutl’amourqu’elleapourmoi.C’estsifortbordel,quemarespirations’emmêle.Bordelcommej’aimecettefille.C’estdingueetindescriptible,etjedouted’êtreassezdouéfinalementpourmettredesmotssurcequejeressens.Jel’aime,pointbarre.LesbrasdeVicm’encerclent,ellemepressecontreellecommesiellecraignaitquejem’échappeetlentement,jelaretrouve.Lorsquejem’enfonceenelle,j’ail’impressiond’êtreailleurs,maisensécurité.Enelle,iln’yapluscettepeurconstanted’êtreunevictime,maisd’êtreunhommetoutsimplement.Ungamindedix-septans,quidécouvrelesjoiesdel’amour,aussinaïvementquen’importequid’autre.Jemelaissebercerdanscetteillusionquetoutirabien,queçanefaitdemalàpersonne,ques’aimernenousapporterariendedouloureux,carlasouffrance,onlaconnaîtdéjà.

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Chapitre22Vic

12Juin2016Lancaster,Pennsylvanie.Reagans’agitesur le litet jesourisenrougissant.Jemedemandequiest leplusmalà l’aisedenousdeux.Luipourêtrenudevantmoiavecseulement ledrapquicachesonsexeoumoipour le regarder.C’estétrangeetfamilier,c’estcommetoutcequisepasseavecReagandepuisqu’ons’estretrouvés.Toutestnouveauetàlafoispareil.Jebaisselesyeuxsurmafeuillededessin,mesdoigtstremblentetj’ignoremêmesij’arriveraiàsortirquelque chose,maisReaganneme refuse rien et je suis bien contente de l’avoir sousmesyeux à cetinstant,magnifiquedanssaglorieusenudité.Jememordslalèvreenregardantlelit,lesdrapsemmêlésparnoscorps,lesiensouslemienalorsqu’ilétait enmoi. Son regard, cette façon qu’il a deme voir,moi, Vic, pas seulement la jeune fille qui asouffert, nimême l’enfant qu’onne comprendplus,mais la femmeque je suis.C’est tellement intensecettesensationquimeditquejesuisàmaplace,quejemesuistrouvéeparcequ’ilmevoit,simplement.Je ne saurais pas l’expliquer, je n’ai jamais su, déjà à l’époque les mots ne suffisaient pas, maisaujourd’huijesaisquejenesuisriensansReagan,sanssonregardsurmoi,quimerendforteetéternelle.Jepourraismourirdemain,ilseraitlàpoursesouvenirdemoi.Jesoupireentrouvantçaàlafoisvivifiantettropexcessif.—Quoi?Jen’aipasbougé!s’offusqueReagansurlelit.—Tuesparfait.Ilsouritdecettefaçontendrequimefaitmetortillersurmachaise,cellequ’iln’emploiequerarementetquejetrouveexcitante.ToutestexcitantchezReagan,sonsourire,soncorps,sesyeux,savoix,safaçondemarcher,cellederéfléchir,oubienmêmedemanger.Toutmeramèneausexedèsquejeposelesyeuxsurlui.Jedeviensaccrocàsoncorpsetaufonddemoiilyaunepetitevoixquimedit«attention».ElleestencoredouceettimideetpourlemomentellemelaissesavourercebonheuravecReagan.Unmoismaintenantdepuisqu’onafaitl’amourpourlapremièrefoisdepuisdixansetenunmoisj’aidûrattrapermesdixansd’abstinence.C’estparfaitetjetiensàcequeçalereste.Leprocèscontinue,lesexperts,lesenquêteurs,lespsysonttémoignéetchacunaretracéàsafaçonnotretraumatisme.L’avocatdeTrumanarrive toujours à trouver quelque chose qui fait douter le jury et parfois mêmemoi je doute. Quandj’entends ses convictions, cette façonqu’il a de tourner la situation à son avantage, jemedemande si

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pendantquatreansjen’aipasétévictimed’hallucinations.MaisilmesuffitderegarderReagan,devoir,desentirsacolèreàchaquefois,sonindignationfaceàladéfensedeCooperetjesaisquejen’aipasrêvé,onl’aréellementvécu,etlescicatricesdemoncorpscommedemonâmesontréellesautantquelessiennes.J’aiconfianceenlajusticedemonpays,mêmesijen’yconnaispasgrand-chose,jesaisquechacunadroit à un procès équitable et que chacun a le droit de se défendre.Mais je sais aussi qu’unmonstrecommeTrumannepeutpass’en tirer.Sonavocatpeutdirecequ’ilveut, ilpeut troubler les jurés, lespreuvessontlà,lesvictimessontlàetellesnementirontpasquandellestémoigneront.Jen’aipasenviedemeretrouverderrièrelabarredestémoins,maisjen’auraipaslechoix.Lejuryabesoindesentimentsaprèslestémoignagestechniques,ilsontbesoindevoircequetoutcecharabiaveutdireennousécoutant.J’ignoresijeseraiperformante,sijeseraicrédibledansmonproprerôle,maisjeleferai,pasparcequej’enaienvie,maisparcequ’illefaut.—Alorspourquoitun’aspasl’aircontente?reprendReagan.—Difficilederendrejusticeàlaperfection.Ilsemetàrire,puissajambesepliequandillaredressecontresontorse,sonavant-brasposédessus.—Nebougeplus,s’ilteplait,c’est…parfait.Ilacetaird’hommesûrdeluiquisaitparfaitementqu’ilvientdecomblerunefemmedanscelitoùilestassis.Jesenssonregardalorsquejecommenceàdétaillerleslignesdesoncorpssurmonpapier.Mamaina l’airdesesouvenirparfaitementdecequ’ellefait,c’est instinctifcommesiellesavaitqu’elledevaitmettreReagansurlepapier.—Tufaistoujoursça,reprendReagan,doucement.—Quoi?—Sortirtalangueentreteslèvresquandtuteconcentres.Jesourisenrentrantmalanguesansquittercequejefaisdesyeux,troplancéepourm’arrêter.—J’aimebienquandtulefais.Mêmesiçam’amisplusd’unefoisdansunesituationgênante.—Moiquicroyaisquec’étaitdûàl’excitationd’êtredevenuunemuse.—Unemuse?Jelevoisfroncerlessourcilsetjenepeuxm’empêcherderireàmontour.—Lamienne.—Jedoispouvoirvivreavecalors.Reaganessayed’étendresajambe,maismonregardl’endissuade,et laséancereprenddanslecalme.

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J’aimeledessiner, j’aimesentircetteeuphoriedansmonventrequimeditque jecréeet tantpissi lerésultatn’estpasàlahauteurdusujet.Jeprendsplaisiràlefaire,àpouvoirl’observersoustouteslescouturesavecpourexcuseledessinsousmesmainsquiabesoindeprécision.Reagan,mêmes’iln’apasfaitçadepuisdesannées,jouetrèsbiensonrôledemodèle,ilresteplusieursminutessansbouger,perdudanssespensées,maissesyeuxnemequittentpas.Jelesenssurmoi,quimesuis,quisaitquellepartiedeluijevaisdessiner.—Àquelleheurearrivetonpère?Monfusaindérapesurlafeuillemefaisantgrogner.—À19heures.Je reprendsmon travail en songeant à quel point je n’ai pas envie qu’il revienne. Il le faut, pour leprocès,pourqu’iltémoigne,maissoncoupdefiletson«ilvafalloirqu’onparleVic»,nemeplaisentpas.Parcequejesaisdéjàdequoionvaparler.DeReagan.Simamèren’arienditpourlemoment,c’estsûrement parcequ’elle attendait quemonpère soit là. Je sais qu’elle nedésapprouvepasma relationavecReagan,ellenel’ajamaisfait,maisjesaisaussiqu’ellenepeutpass’empêcherdes’inquiéterpourmoi. J’aurais aimé qu’Elijah soit du voyage, mais lui n’a pas à témoigner et il a ses cours qui leretiennent.CepetitconmemanqueetàchacundesesSMSmoncœurseserredelesavoiràl’autreboutdupays.—OnestadultesVic,onn’arienàprouver.Jerelèvelesyeuxsurlui,toujoursdanscetteposturequilerendinvincibleetenmêmetempsvulnérableparsanudité.—Est-cequetuferaisçaavecquelqu’und’autre?jedemandepourchangerdesujet.—Quoi?Posernu?Jehochelatêteenredessinantlacourbedesonbras.—Est-cequetuferaisl’amouravecquelqu’und’autre?Moncrayondérapetellementjesuissurpriseparsaquestion.Jerelèvelesyeuxpourlevoirsérieuxenattendantmaréponse.—Non,jefinispardire.Je n’envisage pas le sexe avec quelqu’un d’autre et il le sait. L’intimité qu’on partage n’est possiblequ’avecluipourunmilliardderaisons.Laprincipaleétantquejenesupportepasquequelqu’und’autremetoucheetjen’imaginepasmemontrernuedevantuneautrepersonne.Je fixeReagan en comprenant ce qu’il a voulume dire enme posant cette question. Il se lève, je nebronchepas,jenecherchemêmepasàl’arrêter,sonimageestdetoutefaçongravéedansmamémoireetjepourraislarefaireàl’infini.Ils’approchedemoietmeretiredesmainslepapieretlecrayonpendantquej’observesoncorps.

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Il finitparprendremamainpourquejemelèveàmontouret jemeretrouvedanssesbras,contresapeaubrûlantequim’attirecommeunaimant.Ilprendledessinpourleregarderavecunœilcritique.—Àchaque foisque jemevois surunde tesdessins, je saisquecen’estpasquemoncorpsque tudessines.Ilyamonâmeetquijesuis,cetrucquetueslaseuleàconnaîtreetquirendtoutçaencoreplusintimequelesexe.Ilposeledessinsurlelitetsamainprendmonvisageencoupe.— Avec qui veux-tu que je partage ça ? Qui pourrait le comprendre ? Qui pourrait me voir aussiclairementquetoi?PersonneVic,parcequejenelaisseraipersonned’autrem’approcherd’aussiprès.Iln’yaquetoi,iln’yatoujourseuquetoi.Sonfrontvients’appuyercontrelemienetjemeretiensdeleserrercontremoialorsquel’enviedeleprotégermesurprend.J’auraisenviedeluidirequ’ilpeutêtrecethommeaussiaveclesautres,celuiquiest blessé et pas seulement celui qui est fort et qui a survécu.MaisReagan a sa fierté et jem’estimechanceuse d’avoir ce privilège, qu’il soit honnête et sincère avecmoi, quemême si je sais qu’ilm’atoujoursportéeàboutdebras,luiaussiasesfêlures.

***Mesparentsentrentdansmachambreaprèsavoirfrappéàlaporteentrouverte.Jemeredressedemonlitoùjedessinais.J’auraisvouluallezchezReagancesoiraussi,maismamèrem’agentimentdemandéderesterpourqu’ondiscute.Lemomentestarrivé.Jemesensridicule,autantqu’euxapparemmentquisetiennentdevantmonlitlesbrascroiséssurleurspoitrinesàmeregardersansriendire.Onestalléscherchermonpèreà l’aéroport,onadinétousensembleavecmagrand-mèreet toutavaitl’airnormal,commed’habitude,maislechangementestclairementvisibledanslesyeuxdemonpère.—Tamèrem’adit,pourReaganettoi.Ils’arrêtecommes’ilattendaitquejelecontredise,maisjen’airienàdirecontreça.—Es-tusûrequec’estlebonmomentpourcegenredechosesVic?ildemande.Jefroncelessourcilsensecouantlatêted’incrédulitéenayantpeurdecomprendre.—Lebonmomentpourquoiaujuste?—Cequeveutdire tonpère,c’estqu’avec leprocèsc’estpeut-êtredangereuxdevousfréquenter.Onpourraits’enservircontrevousetcen’estpascequenousvoulonspourtoimachérie.—Etqu’est-cequevousvoulezpourmoi?Mes parents se jettent un coup d‘œil, après plus de trente années de mariage ils se connaissent

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parfaitementetilsn’ontpasforcémentbesoindepluspoursecomprendre.—QuetusoisheureuseévidemmentVic,maisaussiensécurité.—Reaganm’apportetoutça.—Vic…commencemamère,maisjelacoupe.—Jen’airiendit,ilyadixansquandonestparti.Jen’airienditetjevousailaisséfaire.Aujourd’hui,j’ai28ans,jesuisadulteetj’aiguéridetoutça.Jesaiscequejefaisetjemefousdecequ’onpourrautiliserautribunalcontrenous,çanechangerarienàcequ’ilyaentreReaganetmoi.Monpèresoupirepuisilvients’installeràmescôtéssurmonlit.Jem’écarteunpeudelui,maisilprendmamain.Jelelaissefaire,ensachantqu’iln’irapasplusloin.— Tu sais ce que le procureur a dit, l’avocat de Truman va vous salir toi, Reagan et votre étrangerelation.Cequetufaisencemomentc’estluidonnerdesmunitionspourtedétruire.Jememets à rire endégageantmamainde la sienne.Tout ça est sacrément incohérent, je n’ai rien àprouver à ce tribunal, je ne leur dois rien et je n’ai pas àm’empêcherdevivrepour lui.Et peut-êtrequ’ilsferontdenotrerelationuneanomalie,quelquechosedemalsain,maisjem’enmoque.Pourunefoisdansmaviejememoquedecequ’onpensedemoietjeledoisàReagan.—EttuastavieVic,àPortlandquandtoutçaserafiniqu’est-cequetucomptesfaire?Restericiettoutquitterlà-bas?Je lève lesyeuxsurmamèreet sonpragmatismequime filedes frissons. Jeprône le faitque je soisadulteetjen’aimêmepasréfléchiàcetteéventualité.Jen’aipaspenséàl’avenir,tropoccupéeavecleprésent.Jen’aipaspenséàcequejeferaisunefoisleprocèsfinietquejedevraisretournerautravail,àPortland,à4500kilomètresdeReagan.Durantcemoisonn’apenséàrien,niàl’avenirniauprocèsouàl’émissionqu’ilvadevoirfaireetquiparlera de nous, de notre histoire et que je ne veux pas qu’il fasse.Mais il n’a pas le choix et je lecomprends.Jesuisdéjàagacéedevoirmaviedécortiquéepratiquementchaquejourautribunalalorslavoirsurunécrandetélévisionmefilelanausée.Etdansnotrefuitedel’avenir,sionétaitbien,sinotrebullenousaréconfortéetapportécebonheurperdudepuistroplongtempsellevientdesefissurer.Parcequemaintenantj’entraperçoisl’avenir,unelueurvientm’éclaireretmepermetdevoirquececheminquejeprendsm’emmèneinexorablementversladouleur.LamienneetcelledeReagan.

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Chapitre23Reagan

30Juin2016Lancaster,Pennsylvanie.

Je reviensm’installer surmon siège armé d’une bière, d’un coca et de hot-dogs.Le stade est plein àcraqueraujourd’hui, il fautdirequec’estunesacréerencontrequisepréparesur le terrain.Çafaitunbail que je ne suis pas venu auCitizensBankPark.La dernière fois, j’étais avecParker, les Philliesdisputaient la victoire contre les Braves d’Atlanta. On s’est pris une sacrée raclée. Depuis, entre leboulot, le procès etmes autres obligations, je n’ai pas eu le temps.Alors ceweek-end, j’ai reçu unealertesurmontéléphone,j’aiproposéàVicdem’accompagner.Ellen’estjamaisalléevoirunvraimatchd’unquelconquesport.C’étaitl’occasiondeladépuceler,sportivementparlant.Jeluitendssonsoda,etsonhotdog,Vicmeremercieensouriant.Ellemorddedans,lamayonnaiseluicoule sur lementon, instinctivement, jemepenchepour l’essuyer,mais cen’estpasmesdoigtsqui larencontre,c’estmabouche.J’essuied’unbaisercettetache,commej’auraisaimélefaireaveclesautres.Vicfrissonnedèsquejel’effleure,quecesoitavecmabouche,oubienavecmesmains.Moncontactlasurprend,commesiellenes’yattendaitpas,commesiellepensaitquecederniern’estpasréel.Commesinosretrouvaillesn’avaientjamaiseulieu.Jem’attardeuninstantsurelle,meslèvresrejoignentlessiennes,jel’embrasserapidement.Jeretrouvesadouceur,etun…goûtdehotdogquimefaitsourire.—Onsupportequi?medemande-t-ellecontremeslèvres.Jem’écarteenpriantpourquemonérectioncesserapidement,enpublicavecdesenfantsautour,çapeutêtretrèsvitemalperçu.—LesPhilliesdePhiladelphievoyons,jerépondsenmontrantnosmaillots.Vic en porte un qui lui va beaucoup trop grand,mais ça ne semble pas la déranger puisqu’elle portetoujoursdesvêtementstroplarges.LesmaillotsdesPhilliessontblancsavecdefinesrayuresrouges,lenomdel’équipeestécritenattachédelamêmecouleur.C’estsimple.—Ilsjouentcontre?poursuitVicencontinuantdemangersonhotdog.

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—LesMetsdeNewYork.Eux,ilsjouentenbleu,avecleurnomécritenorange.—Dis-moiquandjedoismeleverenhurlant.—Encasdejoieoudeprotestation?jedemandeenbuvantunegorgéedemabière.Vic se tourne versmoi, un sourire se dessine sur ses lèvres, ses joues ont toujours cette couleur quej’adore.Elleestsiexpressiveàmesyeux,etincompréhensiblepourlemondeextérieur.—Lesdeux,merépond-elle,aufait,explique-moilesrèglesdujeu,jen’yconnaisrien.C’estàmontourdelaisseréchapperunrire.Expliqueràunefemmelesrèglesd’unsport,c’estcommeexpliqueràunhommeladifférenceentrerougeceriseetrougevermillon.Pourtantjemelance.Jeluitendsmonhot-dogetmerapproched’elle,lamaintendueverslestadepourillustrermespropospendantquejeluiexplique.Jeluimontretoutpourqu’ellesituel’actiondujeu.—D’accord,engrosilssontbeaucoupsurleterrain.Ensuite?Jereprendsmonhot-dogetconclusmesexplicationsenluilançantunclind’œil.Jen’auraispascruêtrecapabled’expliqueraussifacilement,pourmoi,c’estuneévidence,etjenesuispasbonpédagogue.—Unepartiese joueenneufmanches.L’équipemarqueunpoint lorsqu’unjoueurd’attaquerevientenquatrièmebaseaprèsavoirétésurlestroisautresbasesdanslesensinversedesaiguillesd’unemontre.Et si jamais il y a égalité après neuf manches, les deux équipes jouent d’autres manches pour sedépartager.Vicme regarde avec un air que seules les femmes ont. Celui qui veut nous faire croire qu’elles ontcompris,alorsquenon.Jepasseunbrasautourd’ellepourlachatouiller,ellerit,etj’aimeceson.Onterminel’uncontrel’autresurlessièges,Viccolléeàmoicommeellelefaitlanuit.J’aimedormiravecelle,maispar-dessustout,j’aimeêtreceluiquiresteéveillé.Jelaregardedormirenappréciantsonvisagedétendu et le petit son qui sort de sa bouche. J’aime l’avoir contremoi sans avoir peur d’êtresurpris.J’aimebaissermagardequandelledort,etmelaisserallerentresachaleuretsonodeur.J’aimeavecexcèsetjecrainsnotreretourdanslaréalité.Lematchcommence,lapremièremanche,cesontlesMetsenattaque.—Çafaitdubiend’êtrehorsdutribunal,melanceVic.—Oui.Sonregardcroiselemien,jevoisdanssesyeuxqu’ellepenseàunsujetenparticulier.Unsujetsensible.—Etleboulot?

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Jeme raidis, depuis unmois, entre elle etmoi, c’est le top, on est souvent ensemble, et j’oubliemesobligations,maisvisiblementpasVic.—Jen’aipasrefoutulespiedslà-basdepuislasoirée,j’avoue.—Mais…—Jebossechezmoi,quandtun’espaslà,jeréponds.Etc’estlavérité.Jeprendsdesnotesdecequejeconnaisdepuisdesannées.J’essayedetraiternotreaffairecommen’importelaquelle,maisjebloque,cen’estpasn’importequoi,c’estnous.Etçametuededevoirfaireça.—Tuesencoreencolère,constateVicenjouantavecmesdoigts.Elleasouventfaitça,aprèsl’amour,elletouchaitmesmainscommemoijetouchaissoncorps.Vicaimelesmains.—Pastoi?jedemandeenembrassantlehautdesoncrâne.—Jesuisinquiètedecequeçavaengendrer.Moiaussi,maisjeneluimontrepas.Jesuistonroc,tabouée.—L’émissionne sortira pas avant la fin duprocès,monpatronveut une« fin », avec unverdict.Çan’engendrerariensurleprocès,j’explique.Seulementsurnous.Notre conversation se clôt aumomentoù lesMetsmarquentunpoint, et où les fidèlesdesPhillies selèventenhurlant.Vicsemetàrire,ellemanquedepeud’êtrearroséeparlabièredesonvoisin.Onsedétend,etonoublietoutgrâceausport.Bienvenuedanslemondedubaseball,BlancheNeige.

***Jecroisquejesuisdestinéàsoutenirl’équipeperdante.LesPhilliessesontfaitécraserparlesMets,onaencoreperdu.Jecommenceàcroirequec’estmoiquileurportelapoisse,àchaquefoisquejevaisaustade,ilsperdent.Nousmarchonstranquillementdansl’alléemenantauxparkingsdustade,lasortied’unmatchseterminerarementenbaston.J’aiglisséunbrasautourdesépaulesdeVic,noussommesl’uncontrel’autre,bercésparlescommentairesdesspectateursautourdenousquirefontlematch.Je suis calme malgré la défaite, je savoure la présence de Vic à mes côtés. Elle est ma dope, montraitementcontremonmauvaissort,jemesensbienavecelle.

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Perdudansmespensées,jen’entendspastoutdesuitelasonneriedemontéléphone,c’estVicquimelefaitremarquer.Je m’excuse, on s’arrête, je sors mon portable et découvre le nom de la personne qui cherche àm’appeler,«MAMAN».Jesoupire,etfaissigneàVicquejen’enaipaspourlongtemps.—Ouais?—Bonjour,Reag,tudécrochesenfin.Jesouffleenessayantdenepasparaîtretropirrespectueux,maislavéritéétantquejen’aipasenviedeparleravecmesparents,ouquiquecesoitd’autrequejen’auraispascontactédemonproprechef.TuesunenfoiréégoïsteReag,mesouffleunevoixdansmatête.—Ouais,salutMaman.J’étaispasmaloccupé.—Jevois…commenttuvas?Sous-entendu:commentsepasseleprocès,tusais,lachoseimportantedanstavied’oùtunousmetsàl’écart.Commenttulevis?Est-cequetunedéprimespastrop?Ettes«retrouvailles»aveclafilledontilnefautpasprononcerlenom?Jeconnaismamère,j’aiapprisàcomprendresessilencesetsesnon-dits,monmétierdejournalisteetmesétudesm’aidentpasmaldanscedomaine.Jepasseunemaindansmescheveuxsombres,jen’aipasenviedeparlerdeçaautéléphone.Jen’aipasenvied’enparlertoutcourtàvraidire.—Çava,jelâched’unevoixmorne.—Et…elle?Jemefige,surprisparlaquestiondemamère,depuisquandelles’intéresseàVic.—Vicvabien.—Tasœurm’aditquevouspassiezbeaucoupdetempsensemble.Bordel,maisParkerbaiseavecmasœurouquoi?Pourqu’elleaitcesinfos,c’estobligé.—Maman,tuneveuxpasconnaîtrelaréponseetjeneveuxpasteladonnerparcequ’onrisqueraitdes’engueuleretj’aiautrechoseàfaire.Silence.Mamèreréfléchitàuneriposteoubienàunequestionstupideàmeposerpourmegarderunpeuplusautéléphone.—Tasœurfêtesonanniversairedansquelquesjours,avectonpère,onorganiseunrepasàlamaison.ViensavecVic.Jesaisqu’ilyaunepausedansleprocès,çateferadubien.Jemetaisàmontour,jepasseunemaindansmescheveuxenmedemandantcommentonenarriveàêtre

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sipauméentreunparentetsonenfant.Cesontlesblessuresdesunsetdesautresquiencréentdescommunes.—JevaisvoirsiVicveutvenir.—Ettoi?Tuseraslà?—Ouais,jesouffle,jeserailàpourmasœur.—Trèsbien…Reagan…—Jedoisyallermaman,àplustard.Etjeraccroche.Parfois, j’aimerais êtremoins strict avecmes parents,moins en colère contre eux, je l’étais passé unmoment,maisplusavecleretourdeVicquiréveilledessouvenirsdouloureux.Jereviensverselle.Vics’esttenueàl’écart,l’airderien.Jelareprendscontremoipourreprendrenotrechemindirectionlavoiture.Unairélectriquevientpourrirl’ambiance,Viclesentetmedemanded’unevoixcalme:—Tuleurenveuxtoujours?Jeserremonbrasautourdesatailleensoupirant:—J’auraispumereconstruirefacilementavectoi,maisaulieudechoisirlafacilitéetledifficilementexplicable,ilsontpréféréchoisirl’acceptablepourlesautres.Alorsnon,jeneleurpardonneraipasdelasouffrancesupplémentairequ’ilsm’ontcauséeenvoulantsauverlesapparencespourtournerlapage.Silence.Vic sait très bien où je veux en venir.Nos parents nous ont séparés suite à notre libération.On avaitbesoinl’undel’autre,etnonpasdequatremillebornesentrenous.Jen’aipasenvied’enparlercesoir.Nousarrivonsprèsdemavoiture,etsoudain,jedécidedemelancerconcernantlaquestiondemamère.Jemedisqueceseraitunpasàfaireverseux.—Masœur fête sonanniversairedansquelques jours,mamèreorganisepour l’occasionun repas, tuveuxvenir?Viclèvesonvisageversmoi,jevoislasurprisedanssonregard,etjelacomprends.Ellesaitquemesparentsnel’aimentpaspourdiversesraisonsquinesontpasdesafaute.—Déjeunercheztesparents?répète-t-elle.—Oui.Monpèreferasansdouteunbarbecue,riende trèscoincé,sinonmesparentssaventque jenevienspas.—Ilsviventcommentleprocès?

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Jefroncelessourcils,jenevoispaslerapport.—Commeleviventlesautres,jesoupire.—Tulesmetsàl’écart?J’acquiesceenhaussantlesépaules.—Pastoi?Vicmerépondsansvraimentmerépondre,elleleurditcequ’elleveutdonc.—PourquoituveuxtoujourstoutgérerseulReag?reprend-elle.Jetendsunemainpourcaressersonbras,l’airpensif.—Jeneveuxplusqu’ilsmeregardentaveccetair.J’aivingt-huitans,etmamèremedévisagecommesij’étaisencorelegamindedix-huitqu’ilsontretrouvéàl’hôpital.Jesuissuffisammentencolèrecommeçapournepasêtrecondamnéàvieaveccemauditregard.Jeledétesteceregard,parcontre,ilyaunechosequej’aimedanslesyeuxdequelqu’un.Jeneveuxplusypenser.J’attireVicplusprèsdemoipourchuchoteràsonoreille:—Jeveuxqu’onmeregardecommetumeregardesVic.—Jeteregardecomment?medemande-t-elledansunsouffle.J’embrassesajoue,avantderenchéritd’unevoixdouce:—Commeunefemmeregardeunhomme.Vics’écartelégèrementdemonétreinte,samainseposesurmapoitrine,làoùsonprénomestinscrit,seslèvressontàquelquescentimètresdesmiennes.J’aienvied’elle,maisquelquechosedeplustendusecréeentrenous,cen’estpasunjeudeséductionquisedéroule,c’estuneconfessiondouloureuse.—Jeneveuxpasqu’onteregardecommeça…Jeneveuxpasquetuveuillesqu’onteregardeaveclesmêmessentimentsquej’éprouvequandjetevois.Jesourisdevantsajalousieàpeinecachée.—Vic?—Oui?souffle-t-ellecontremabouche.

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—Regarde-moiencore,jemurmure.Aime-moi encore, comme avant, avec la même force, car j’en ai tellement besoin pour affronterdemain.Jefermelesyeux,monfronts’appuiecontrelesien,Vics’agrippeàmesbras,nossoufflessontcourts,c’est plus troublant que la passion ou le désir, là, ce sont nos vieux démons, qui l’espace d’uneconversationontfaitleurgrandretour.Ma poitrine se serre, un sentiment me noue l’estomac, un sentiment que je ne veux pas ressentir enprésencedeVic.—Reag?Jecaressesescheveuxbrunssidouxquisententlanature.—Oui?Mavoixestrauque,aussitremblantequelasienne.—C’esttellementdouloureuxetbouleversantdet’aimer,m’avoueVic.Jemefigeenouvrantlesyeuxpourcroisersonregard,monpoulss’accélère.Ellem’aime.—Unjour,çaneseraplusquebouleversant,jeluipromets.Ellem’aime.—Serre-moicontretoi,medemande-t-elledoucement.Etc’estcequej’aifait.SurleparkingautourdustadedesPhillies,alorsquedesgensmarchaientautourdenous,l’airderien,entrenous,uninstantprécieuxsedéroule.Plusqu’unmot,plusqu’uneconfidence,chacundenossous-entendusveulenttantdire.Vicm’aavouéqu’ellem’aimaitencore.D’unecertainefaçon,jelesavais.Laflammequinoushabitenepourrajamaisêtreéteinte,elleestcommeleflotd’unerivière,l’eaucoulesansjamaiss’arrêter.Notreamourestpareil,éternel,maissensible.

***Lorsquejetravaillesuruneaffaire,ilyatoujourscetteétapedifficileàencaisser,celleoùlesvictimesnesontplusdesimplesnoms,maisdeviennentdevraiespersonnes.Généralement, lorsque j’ai l’esprit totalementplongédans les rapportsd’enquête, les témoignagesdesproches de la victime, je ne pense pas à elle. Je pense aux détails, aux informations, mais pas à lapersonneprincipalementconcernéepartoutça…avantquejenetombesurlerapportdumédecinlégiste.Leursmotsretracentlesderniersinstantsdesvictimes,malheureusement,cesontlesplusdouloureuxdeleursvies.

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J’aitoujoursfrémienleslisant,j’aitoujoursressenticettepointedansmapoitrine,parcequ’unevoixaufonddemoimedisaittoujours«çaauraitpuêtretoi».Oui,çaauraitpuêtrenous,allongéssurunetabled’autopsie,lecorpsfroidetsansvie,avecunindividuquinousauraitexaminéssoustoutelescouturespourdécelerlamoindreinformation.Maisnousavonsétéchanceux.Saufquelachanceserésumeàquoi?Grandequestiondontjen’aipaslaréponse.Alors dans notre affaire, je n’ai pas de rapport d’autopsie, j’ai des rapports demédecins,mais nousétionsenvie.Aujourd’hui,cequimefaitperdremonsangfroid,cesontmespropresdépositions.C’estnotrehistoireetj’aidumalàl’affronterseul,danslapénombredemonappartement,malampedebureauallumée,aveclesilencepourseulaccompagnant.Jesuistellementtenduquemonsubconscientm’apousséànefaireaucunbruitpoursurveillerleverroudel’entrée.Monesprits’inquièteà l’idéedevoirCooperdébarquer,etmaraisonamis lesvoiles.Jesuisseul,jen’aiplusbesoind’êtrecerocquinedoitpasmontrersadouleur.J’aimal,maisj’aiaussipeur.Cetteterreurquimepousseàdeuxheuresdumatin,àmeleverdemonlit,àsortircettecaissemarronfatiguéed’êtretoujoursprésenteici,del’ouvrir,etdefouillersoncontenu,pourressasserencoreetencorechaquedétaildenotrehistoire,del’enquête.Leprocèsmeperturbeplusquejeneveuxl’accepteroulemontrer.Jegardecettestaturefigéeenpublic,maisenprivé,jemebrise.Jefermelesyeuxenserrantlacopiedemontémoignage.Celuiquej’aifaitauprèsd’unénièmeflic,d’unénièmepsy.Lahontenouspousseàfairedeschosesétrangesetstupides.Lahonteestunetoiled’araignéequisetisseautourdenousetnouspousseàcommettredeserreurs.J’enai commisunpaquetpournepascroiser cette lueurdans le regarddesgens, je lavoulaismoinsvive,plussupportable.Jesorsuneclopedemonpaquetquitraînesurlebureau,etl’allumeenmelaissantallercontreledossierdemonfauteuil.J’aienviedemetirer.Simafuiten’avaitpasdeconséquencesurVic,etsurleprocès,jeprendraismonchienetjepartiraisfaireunroadtripàpieddansleGrandCanyon.Jeprendraiscebold’airfraisquimemanquetant.Lepeuquejerespire,jelenoiedansdelanicotinepoursurvivre,pourm’apaiser.J’aimeraissoufflerenmeperdantenVic,saufquecesoir,Vicn’estpaslà.Jemerendscompteàquelpointjesuisretombé,mordu,passionné,foutud’elle.Àquelpointilasuffidelafrôlerdenouveaupourtoutréanimer.J’étaisunmortvivantencolèresanselle,jedormais.Depuissonretour,jemeréveille,jesuistoujoursencolère,maispascontreelle,elle,ellem’apaise.Commedanscefilmpourridezombieoùl’amoursauvel’humanité.Commec’estputaindecliché.Jemetourneverslaportedemonbureau,lecœurbattantenentendantungrincement,maiscen’estqueBaxquivientmonterlagarde.Ilmelancesonregardinterrogateurcommes’ils’attendaitàcequejeluiexpliquelaraisondemondépartdulit.Monvieux,situsavais.Jetendslamainversluipourluifrotterlatête.—Ellechasselesdémons,commetoitulesfaisfuir,monvieux.Mon chien vient se coucher sur mes pieds, il veille sur moi, comme toujours depuis qu’on s’estrencontrés.Quandjesuissortidel’hostoaprèsplusieurssemaines,jesuisallédansunrefuge.Lorsqu’onétaitchezTruman,j’ailuunlivrequiracontaitquelesanimauxavaientuneffetapaisantsurles

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hommes.J’avaisbesoind’êtreapaisé,d’avoirunebouéedesauvetage.Untrucauquelmeraccrocher,unindividuquinemejugeraitpasetquim’aimeraitquoiqu’ilsepasse.Alors je suis allé adopter un chien.Bax est le fils d’une chienne abandonnée. Lorsque samère a ététrouvée,elleétaitenceinte.Elleaaccouchédansleslocaux,etleschiotsonttousétédonnés.Baxétaitledernier.Ilavaitquatremoislorsquej’aipassélaportedurefuge.Etlorsquejel’aivu,j’aisu.C’étaitlui.Luietmoi.Etdepuis,onseprotègel’unl’autre,onserassurel’unl’autre,maiscesoir,jecroisbienquesaprésencen’auraaucuneffet.Cesoir,j’aipeurdefermerlesyeux,dem’endormiretderevivrecequejeneveuxpasrevivre.Cesnuitsoùilmedroguaitetoùjemeréveillaisdanscemauditlit,attaché,etvulnérable.Ce soir, j’ai peur de « demain », parce que je sais que le procès va prendre un tournant encore plussombre.Laprochaine foisquenousentreronsdans le tribunal, ilparlera,etnoussavons trèsbienqueCooperavouera.Ilvanousentraînerdanssachute,enespérantquenotredescenteleferaremonter.Cesoir, j’espèreencorequecetteplaieàlapoitrinevaresterfermée,mêmesi jesaisquejedemandel’impossible.Parcequ’ilmel’apromis.Ilm’apromisqu’unjour,lorsquel’occasionseraitlameilleure,ilmedétruirait.Jetiresurmaclopeentremblant,alorsqu’uneputaindelarmevienttacherl’encrenoirerésumantquatreannéesdecalvaire.Jebaisselesarmes,etmelaissealleràcettepeurredoutablequinouspendaunez.Jeneveuxpasrevivreça, jeneveuxpasressentircettedouleurànouveau,cellequivaau-delàde lahonte,etdutraumatisme,celle-cim’aprisunboutdemoi-mêmeetnemel’ajamaisredonné.

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Chapitre24Vic

2005Lancaster,Pennsylvanie.

—Àquoitupenses?medemandeReagan.Je relève les yeux de mon dessin où il n’y a qu’un énorme gribouillis en forme de cercle pour leregarder.Ilestdanssonlit,unlivredanslamainposéesursontorsenu.—À«Retourverslefutur».—Lefilm?lanceReaganenseredressantsursesavant-braspourmieuxmevoir.—Oui,tuconnais?Reagan se laisse tomber sur le lit un sourire sur les lèvres avant de semettre à rire. Je l’entendsrarement rire et à chaque fois je trouve ça totalement déroutant. Je souris moi aussi, même siaujourd’hui lecœurn’yestpas.Aujourd’huiCoopers’est«occupédemoi»commeilaimeledire.Pourmoiils’occupeseulementdemetuerunpeuplus.Jenesupporteplussesmainssurmoi,jenesupporteplussarespirationsurmapeau,l’odeurqu’illaissesurmoncorpsetcetteintrusionquim’afaitvomirtoutàl’heure.Jenelesupporteplusparcequemaintenantjesaiscequeçafaitdelefaireavecamour.Maintenantjesaiscequ’onpeutressentirquandl’envieestlàetjeneveuxpasd’autreshommesqueReaganpourcetactesiintime.JenepeuxplusetCoopers’enestrenducomptecequin’aeuquepourconséquencesdemefaireencoreplusmal.—Quineconnaîtpas«Retourverslefutur»?—Hum,quelqu’unquioccultetotalementlesannées80?Reaganritdenouveauavantdeseredresseretdemettresonlivredecôté.Jecommenceàréfléchiraunombredefilmsquej’airatésetàcombienjevaisencoreenrater.Siunjouronsortd’icionpourrameparlerd’unfilmquiauramarquélesespritsetjenesauraipasdequoiilparleniquoiquecesoitàproposdelui.

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—EtpourquoitupensaisàMcFly?Jesorsdemarêveriedéprimantepourmeplongerdanslaplusbellechosequej’aivuedemavie.Jeluiaiditçaladernièrefois,motpourmot,ilm’aréponduqu’heureusementçavenaitdemoi,sinonilse serait senti comme une fleur. Mais Reagan est réellement une personne magnifique. Pas quephysiquement,maispourtoutcequ’ilest.Etjel’aime.—Pourlamachineàremonterletemps.Ilperdsonsourireetdétourneleregardquelquessecondesletempsdesereprendre.Ilcomprendtrèsbien ce que j’aimerais faire avec cette machine, ce que j’espère en pensant à elle et qui resteimpossible. Il finitpar se leverpourme rejoindre surmon lit. Je tentedecachermondessinavantqu’ilnevoieletrouquej’aidessiné,maisilestplusrapidequemoi.Ilmel’enlèvedesmainsetlefixeavecattention.—Pasd’inspiration,jelanceenremuantdesépaules.Reaganposeledessinsurlelitpuisilm’observecommeillefaitsibienpourmecomprendre.Jetentedesourireenbaissantlevisage,maissamainmeretientparlementon.—Nebaissepaslesbras,dit-iltoutbas,nefaitpasçaVic,pasmaintenant.J’essayedelutter,vraiment,j’essayedetoutmoncœur,maisçadevienttropdurpourmoi.Jeneveuxpas que Reaganme touche et qu’il sente l’autre surmoi, je ne veux pas partagermon corps avecTrumanalorsquejenedésirequeReagan.—Maintenantquetoietmoi…jenelesupporteplusReagan,jenepeuxplus.Samaindéviesurmanuqueetm’attirecontrelui.Ilmeserredetoutelaforcequ’ilpeutmettreavecmoietj’inspirel’odeurdesapeauavecl’enviefurieusedehurler,demerebelleretdepartird’ici.Jevoudraisbriserceschaînesetcassercesmurspournoussortirde là,qu’onretrouvenotrevie loind’icietqu’onsoitlibres.MaisjenepeuxrienfaireàpartsubiretregarderReaganenfaireautant.J’arriveauboutdemescapacités.—Jesuislà,reprendReaganencaressantmondos.Jesaisqu’ilest làetquelquepart,s’ilestmabouéedesauvetage,ilrendaussitoutçaencoreplusdur.Parcequeregarderlapersonnequ’onaimesouffrirdecettefaçonetnerienpouvoirfairepourl’épargnerc’estcequ’ilyadepluscruel.—Vic,dit-ilenmedégageantdesesbras,resteavecmoi…Jeprendssonvisageentremesmains,jen’aimêmepasdelarmes,jen’enaimêmeplus,j’aivraimentl’impressiond’êtrepartieailleursoùluietmoisommeslibresetheureuxetqu’uneinfimepartiedemoipersistedanscemondepourêtreàsescôtés.Mes lèvres seposent sur les siennes, doucement avec la tendressedont onabesoin lui commemoiaprèslaviolence.

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Jecaressesonvisageenm’emparantdesabouche,enprenantcesouffledeviequ’ilm’injectequandilestprèsdemoietquetoutpeutêtrenormal.—J’aibesoindetoi,dit-ilcontremeslèvres.Jegémisenpensantquec’estlaseulechosequ’ilmereste,luietquejen’aipasledroitdecraquer,delui infliger plus qu’il ne porte déjà. Je reprends ses lèvres, Reagan me rend mon baiser, pluspassionnémentquandlaportes’ouvreetnousfaitsursauter.Cen’estpasnormal.C’estcequejemedisalorsqu’ons’éloignel’undel’autrepournerienlaisserparaître.Trumann’arienàfairelà,ilaeusoncompteilyaquelquesheuresetnormalementjesuistranquillejusqu’aulendemain.Ilnousrejointrapidementetlesourirequ’ilaffichemeglacelesang.Ilnousregardechacunnotretour,nimoiniReagannebougeonsdansl’attentedesasentence,quijesens,nevapastarder.—Tutelafais?IlfinitpardemanderàReagan.—Non,ilrépondfroidement.Jen’osemêmepasregarderReagandepeurdemetrahirsijamaisjeposelesyeuxsurlui,alorsjemecontentedefixerTruman,campésursesjambesquial’airbientropcalme.Coopers’approchedenousenlaissantsesbrastomberlelongdesoncorpsetsamaingifleReaganviolemment.Jesursautesousl’impactducoupqu’ilvientderecevoir.—Est-cequetubaisescettepetitetrainée?—Non,réponddenouveauReaganenlefoudroyantdesonregard.Ilrelèvelamaingauchepar-dessussonépauledroitepourfrapperdenouveau,maisjelecoupedanssonélan.—Ilnem’apastouchée.Trumanme sourit, cequimeglace le sang et sansmême regarderReagan il le frappedenouveau.Reagann’apasletempsdeseremettredelaclaquequelepoingdeCooperatterritsurmonœil.Jegémisdedouleurenportantmesmainsàmonvisageoùladouleurmefaitperdremonsouffle.Jesuissonnéeet j’aimal,mais je voisquandmêmeReagan se leverpour se jeter surCooper etune luttes’installeentreeux.Reagann’estpluslefluetjeunehommequ’ilaenlevéilyatroisans,ilestplusfortàprésentetleurluttedevientpluségalemêmesiTrumanatoujoursl’avantage.Matêtetourne,jetanguesurlelitenluttantcontrel’évanouissementquejesensproche,jenepeuxpaslaisserReaganaffronterçatoutseul.Ladouleurfaitcoulermeslarmesetmavisions’obscurcitlàoùsonpoingm’apercuté.Reaganfinitparatterrirsurlelitetmefaitreprendrepieddanslaréalité.Coopers’approchedeluietl’attrapepar lescheveuxpourqu’il lui fasse face.Jevois la lèvredeReaganensangetdes tracesrougessursoncorpsquideviendrontàn’enpasdouterdeshématomes.Moncœurreprendunecourseeffrénéedansmapoitrineetmeprivedeladouleurquejedevraisressentirenpensantquerienn’estfini,aucontraire,toutcommenceàprésentqu’ilsait.Cequ’onvoulaitéviterestentraind‘arriver.

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—Sijel’aiprisevierge,cen’estpaspourqu’unpetitpédécommetoipassederrièremoi.Cooper tourne son visage vers moi, ce sourire sadique habite encore son visage et me refile desfrissonsd’angoisses.—Ilt’aditcombienilprendsonpiedavecmoi?Commentjefaisjouircettepetitemerde?MesyeuxseposentsurReaganquinebougepasetquisurtoutmefuit.Onneparlepasdeça,decequ’ilsubit,maisjenesuispasstupideetjesaisparfaitementcequ’illuifait,quandReaganrentreilatellementhontequ’ilneditjamaisrien.Etjecomprendsmaintenantàquelpointçadoitêtredifficilepourluidevoirsoncorpsrépondreàcequesonespritrejette.IlforceReaganàmeregarderenluitournantlatête,maissesyeuxsontbaissés.Moncœursebrisedelevoirainsi,blesséetavectellementdehontequeleslarmescoulentsursesjoues.—Tuvoissalope,tonpetitcopainprendsonpiedavecmabitedanslecul!Reagan essaye de se dégager de la prise de Cooper et il y parvient après quelques minutes à sedébattre.Ilsuintelacolèrealorsquel’autres’enréjouit.—Jem’enfous,jelanceenregardantReagan,jemefousdecequ’iltefaitetdecommentturéagisReagan…jem’enfous.Jelevoisfermerlesyeuxetinspirer,j’aimeraisqu’ilmeregardequ’ilcomprennequecequejedisestvrai,queçan’apasd’importancepourmoi,rienn’ad’importancequandils’agitdeCooper,parcequetoutcequ’ilchercheànousfaire,c’estnousdétruire,maisjeneluidonneraipascepouvoir.Reaganafiniparsetournerversmoi,levertdesesyeuxmecoupelesouffletellementc’estfortcequ’ilarriveàmefairepasserenunseulregard.J’yvoisdesexcusesetdel’amour,tellementd’amourquejemesenssubmergéeetjemeretiensdejustessedemejetersurlui.MaisCooper est toujours là, il ne ratepasunemiettede cequ’il sepasse entreReagan etmoi. Ilm’attrape à mon tour par les cheveux, la douleur qui émane de mon cuir chevelu me fait perdreReaganduregard,puisc’estceluideTrumanquejeperçoisenmêmetempsquesonhaleinesurmonvisage.—Tuaimesbaiseraveclui?Iltefaitprendretonpiedhein,espècedesalope!Ilmegifleetmerepoussesurlelit.Reagansemetentreluietmoi,maisluiaussisefaitrenvoyersurlelit,iltombesurmoietmonventreencaisselechocdesonpoids.—Baise-la,puisqu’elleaimeça!J’enrestebouchebéeenleregardantnoussouriredecettefaçonsicruelle,deceluiquisaitqu’ilfaitmaletquiadoreça.Jen’osepasregarderReaganàcôtédemoiquejesenspétrifiéautantquemoi.—Baise-la,reprendsCooper,etfais-lajouir.Moncœurbatàtoutrompreetjemerépèteinlassablementquecen’estpasréelqu’iln’apasfaitcettedemande,qu’ilnevapasnous forceràdétruire la seulechosedebeauqu’ilnousreste.Maisc’est

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l’homme leplus cruelque je connaissequi est en facedenous, etquiattendpatiemmentqu’on luiobéisse.— Fais ce que je te dis, sinon c’est moi qui m’occupe d’elle, dit-il en commençant à détacher saceinture.ReaganseredressepourfairebarrageentremoietCooperavectoutl’aplombqu’illuiresteilaffrontelemonstre.—Vatefairefoutreenfoiré,jeneferaipasça.Cooperhausseun sourcil devant la rébelliondeReaganpuis il s’approchede lui et lui envoie sonpoingsurlevisage.ReagantombeenarrièresurlelitmaisTrumanneluilaissepasletempsdeserelever,illepousseetmonteàsontoursurlelit.Jem’éloignecontrelemur,machaînetintecontrelesbarreauxetmeparaîtpeserunetonneàcetinstantparcequejesaiscequ’ilvafaireetjeneveuxpas.Jeneveuxpasrevivreça,jeneveuxpasqueReaganmevoiedenouveaucommeça.—Non,jemurmure.Cooperattrapemesjambesetlesécarteafindesemettreentreelles.Jemedébatscommejepeuxencriant.Maisilnes’arrêtepas.—Reaganfais-le!S’ilteplait,fais-le!Cooper se fige au-dessus de moi, son souffle projeté sur mon visage me donne envie de vomir. JepréfèrequecesoitReagan,jepeuxvivreavecça,aveclefaitqueCoopernousregardefairel’amour,mais pas le subir une nouvelle fois devant Reagan. Je ne pourrais pas me relever de ça, plusmaintenant.Trumanarrêtedebougerau-dessusdemoi,sonregardmedévisagependantquejerestefigée.—Tuvois,elleveutquetulabaises,dit-ilsansmelâcherduregard.Jeneveuxpas,jeneveuxriendetoutça,maisjechoisislemoindremalàdéfautdepouvoirnousensortircomplètement.Cooperdescenddu lit, jevoisReagandeboutàcôtéquimeregardecommesi j’avaisperdu la tête,mais je sais trèsbienceque je fais.C’est la seule solution,aprèson sera tranquilleaprès il nouslaissera et jen’aspirequ’à ça. Je lui tends lamain,Reagannebougepas tropatterré. Je tentedesourire,j’entendsCooperrire,jelevoispousserReaganversmoi,maisilnebougetoujourspas.—Reagan,s’ilteplait,fais-le.Ilsouffleetsetourneversnotrebourreaupourluitendreunregardsombre.—Jenepeuxpasdit-il…physiquement,jenepeuxpasfaireça.Cooperéclatederire.

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—Tuveuxquejet’aidepeut-être?Reaganserrelespoingssouscettequestionpuisilseretourneversmoi.—Non,dit-ilens‘approchantdulit.Cooperparts’installersurlelitdeReaganetnousobserve.Reaganmontesurlemien,ilmedévisageavectellementdepeinequejedétourneleregardsursoncorpspournepasflancher.Ils’installeentremes jambes, je gémis en sentant le poids de son corps sur lemien puis samain qui frôlemonœiltuméfié.—Vic,jenepeuxpasdevantlui,pasça.Jedéglutis,lecœurauborddeslèvresdel’entendremechuchoterçaaucreuxdel’oreille,commeunaveudesafaiblessealorsquejecomprendstrèsbien.Mesbrasencerclentsoncorps,ilslerapprochentdemoiautantquejelepeux.—JepréfèrequecesoittoiReagan,fais-le,jet’enprie.Ilsouffledansmoncou,mapeaufrissonne,j’aiReagandansmesbras,j’aisoncorpsetsonodeursurmoietpourtantjeneressenspascetrucqu’ildéclencheenmoiquandonestcommeçaetjemefaisviolenceenfermantlesyeuxpouroublierTrumanquisecaresseenfacedenous.MesjambesencerclentReagan,monbassinselèvepoursefrottercontrelui,jenel’embrassepas,jeneveuxpasdonneràCoopertoutenotreintimité,jeveuxseulementqu’ilvoiecequ’ilattend,delabaiseetriendeplus,riend’intime,rienquinousreliraàlui,quanddenouveauonseretrouveraainsi.Reagannebougepas,sonvisageenfouidansmoncou, ilsecontentederessentiretaprèsquelquesminutesjelesensprêtàdonnercequ’attendl’autredenous.Jebaissemaculotte,Reagan faitpareilavec son joggingpuis sans trop tergiverseroupenseràcequ’onfaitilentreenmoi.Ilpeine,jenesuispasprêteàlerecevoiretj’essayevraimentdemedirequec’estReaganquec’estsoncorps,celuique j’aimequivame faire l’amour,maisc’estdifficile.Reaganpassesamainentrenoscorpsetmecaressel’entrejambetoutenembrassantmoncou.Jeneveuxpasqu’ilsoitdoux,qu’ilsoittendre,jeveuxquecesoitluietenmêmetempsjeneveuxpas.Jeluttecontremonespritquipartdanstouslessens,quisebatavecmoncorpsetcequ’ilressent.—Jesuisdésolé,meditReagan,jesuisdésolé.Il répètecesmots inlassablementen tentantdeme faciliter leschosesetpetitàpetitmoncorps sedétendpourlelaisserentrer.—Regarde-moisalope,lanceCooper.Jefermelesyeux,Reaganenmoinebougeplus,ilsecontented’embrassermoncouavecdouceur.—Regarde-moi!J’ouvrelesyeuxettournemonvisageverslui,ilestassissurlelit,sonsexesortiilsecaresseennousregardant.

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—Baise-lamaintenant.Je couine pour retenir les larmes, le regard de Truman comme je l’ai trop souvent vu, remplid’excitationpendantqueReaganexécutel’ordre.—Tuaimesqu’ilteprenne?Jedéglutisendétournantleregarddedégoût,maisTrumannem’enlaissepasletemps.—Réponds-moi!—Oui,dis-jedoucementpourluidonnercequ’ilveut.JefermelesyeuxenserrantReagancontremoi,pourqu’ilsachequejeneluienveuxpasdefaireça,quejesuisaveclui,malgrétout.—Plusfort!Elleaimequandc’estfort!Reaganse figeuninstant,sespoingsàcôtésdemonvisagese fermentet je l’entendsgrognerdansmoncou.Ilnechangepassonrythmepourautantparcequ’ilneveutpasmefairemaletquec’estdéjàassezhumiliantsansrajouterunedosededouleurphysique.—SimuleVic,qu’onenfinisse.Je ne sais pas trop comment faire, je n’ai jamais eu besoin de faire ça,mais j’imitemes réactionsquandjesuisavecReagan,jefeinsd’aimerça,deprendreduplaisirenbougeant,engémissant,riendetoutçan’estréeletReaganlesait,maisCooperal’airdelecroire.Reaganaccélèresonrythmeetbientôt toutçaserafini.Jesimule l’orgasmeenmecambrantcontreReagansousleregardperversdenotretortionnairequial’aird’aimerçapuisReaganjouitàsontourenmoi.Luin’apaslachancedepouvoirsimuler,luivadevoiraffronterceplaisirqu’ilaprismalgréluicommequandCooperletouche.Trumanselèveets’approchedenous,sonsexedressédanssamain,ilattrapelescheveuxdeReaganettournesonvisageversluicontrelemien.Ilsebranleau-dessusdenousetfinisparjouirsurnous.Jepleureensentantceliquidecoulersurmonvisage.—Vousêtesàmoi,l’uncommel’autre,etsijevousrevoisfaireça,jevoustue.Ilserhabilleetdisparaîtdelapièce.Reaganseredresserapidement,ilpartdanslasalledebainetjel’entendsvomir.Jerelèvemont-shirtetm’essuielevisageavecavantdel’enleveretdelejeterparterre.Ilnenousapasviolés,pascettefois,maisilvientdenousprendrequelquechosedeplusimportantque nos corps. Il vient de nous briser une fois de plus, de nous assujettir d’une façon encore pluscruelle en perçant notre bulle de bonheur. Mais je ne le laisserai pas gagner, je ne laisserai pasReagansemorfondredans saculpabilitéet lahontepourquelquechosequ’iln’apasvoulue.MonamouresttoujourslàetilbattraCooper,ilbattratouteceshorreursqu’onsubitettoutescellesquiviendrontjusqu’àcequenoussoyonslibres.

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Chapitre25Reagan

6Juillet2016Lancaster,Pennsylvanie.Qu’est-cequ’onfoutlà,bordel.C’estcequejenecessedemerépéteralorsquejeregardemafamilleassiseautourdelatable.Rebeccaaplusdelavingtainemaintenant,elleestbelleetbrillante.Ellemènerasansdouteunetrèsbellecarrièredejournaliste.Cequim’agace,c’estdevoirqu’onmeprendpouruncon.Parkeretellesmeprennentvraimentpouruncon.Ilsontbeauêtrel’unàcôtédel’autre,l’airderien,leursregardsencoinmeconfirmentqu’ilssontensemble,toutcommelesnombreusesinformationsquemamèrearriveàavoirsansquejen’enparleàpersonned’autrequ’àmonmeilleurpote.Maisjenedisrien,jen’aipasenviedefairelechieur,mêmesiundecesquatre,jefiniraiparleurdirequ’ilspeuventarrêterleurcinéma,jepréfèresavoirmasœuravecParker,qu’avecFarrellouKonnor.JemetourneversVicquijoueavecsescouvertssansvraimentmanger,elleeststresséeetmalàl’aise.Jen’auraispasdûl’emmener,mamèresoussesairsdefemmeadorableetcharmante,possèdedesregardsquinetrompentpas.EllenesupportepasVic,saprésencedoitluirappelerdesacrésmauvaissouvenirs.Ellereprésentetouteladouleurdecesannéesàespérermeretrouver,ellereprésentecemal-êtrequim’afaitsombrer,ellereprésentequatreansdecalvaire.Mamèren’aimepasVicàcausedecequ’ellereprésente.C’estlafemmedontj’imploraissaprésencealorsquejelarejetaiselle,l’êtrequim’avaitmisaumonde.Elleluienveut,sansdouteinconsciemment,dem’avoirarrachéàsonamouretàsonaffection.C’estcequemonpèrem’aditunjour,«tamèrenel’aimepaspourcequ’elleluiapris».MaisVicn’yestpourrien.Mamèredevraitl’aimerpourcequ’ellem’aapportédurantcesannéeséloignéd’eux.Parfois,jenecomprendspaslesfemmes.Vicmejetteuncoupd’œilpourattirermonattentionalorsquelesilences’estinstalléautourdelatable.Je lèvemon regard versmes parents,mamèreme sourit en répétant d’une voix un peu trop aiguë etaimable:—Quandest-cequeleprocèsreprend?Jesouffle,nousyvoilà,aprèsavoirparlébaseballetjournalisme,lesujettabouetpréférédemafamillerevient.J’aicomprisqu’ilsnevoulaientpasenfaireunsecret,maismoi,jen’aipasenvied’enparler.Pourbeaucoupderaisonsqu’ilsignorenttous.

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—Dansdeuxjours,jelanced’unevoixsombre.Lesavocatsdelapartieadverseontsouhaitéquelquesjourspourseconcerter.—Unebonnenouvelles’annonce,déclaremamère.Oupas,jemedemandequelplanfoireuxvanousconcoctercesalopard,surtoutqu’ilnevapastarderàcomparaîtreàlabarre,etça,jenesuispascertaindepouvoirl’encaisserensachantqu’unepartiedesontémoignageneseferapassoushuisclos.Laconversations’amplifie,toutlemondedonnesonavis,saufVicetmoi,onseregardemutuellement,etdansunsilence,jem’excusedel’avoiremmenéeici.—Reag, une copine avocatem’a confirmé que de toute façon, Truman ne pourra pas échapper à unelourdepeine.Génial, j’ai envie de lui répondre, peut-être que justice sera faite, mais pas à la hauteur de mesespérancess’ilsveulentmonavis.Jenerépondspasàmasœur,jen’aipasenvied’êtreblessantlejourdesonanniversairealorsqu’elleesttoujoursadorableavecmoi.Rebeccaest ainsi,unamour, elle estgentille, affectueuse,drôleetdouce.J’aimemasœur,maisj’aimeêtreavecelleseulemententêteàtête.Beccaaceregardsurmoiquiditàtoutlemonde«jelecomprends,etvousnon»,etçamemetmalàl’aise.Jedevraisêtremoinscon,l’accepterdavantagedansmavieaulieudel’écarter,peut-êtrequ’ellen’iraitpasseconsolerdanslesbrasdeParker.—VousallezrepartirVicaprès?demandemamère.Jemefige,froncelessourcilsfaceàcettequestionquemesembletrèsimportante.Viclanceunsouriresympathiqueàmesparents,ellejoueavecsonsteaketrépondsnaturellement,sansfairetremblersavoix:—Jenesaispas,sansdoute.—Vousavezunmétiernon?Je foudroiemamèredu regard,ellem’ignore,Parker,Rebeccaetmonpère semblent trèsattentifsauxinfosquepeutdonnerVic,pasparcuriositémalplacée,seulementpourcomprendrequiestlafemmequim’estaussichère.Monpaternelsemblaitravidemevoiràsescôtés,ilm’aposépleindequestionspendantqu’onpréparaitlebarbecueensemble.RebeccaamêmeproposéàVicunaprès-midishopping.Iln’yaquemamèrequil’aignoréepoliment…jusqu’àmaintenant.Rangetesgriffes,Kane.—Jetravailledansuncinéma.—J’adorelesfilms,déclareRebecca,surtoutlescomédieshumoristiquesetdramatiques,onpourraitsefaireunesortieentrefillesavantquetunerepartesnon?

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Masœur,cetamour,çadevraitêtreinterditd’êtreaussigentille.—Pourquoipas,répondVic,gênée.—Tun’yvoispasd’inconvénient,grandfrère?semoquegentimentRebeccaenmevoyanttirerunetêtededixpiedsdelong.Non,çanemedérangepas,j’aiseulementdumal…avecl’idéed’unretouràlavienormale.Jesecouelatêtesansrépondre,etsansquitterduregardVicquifuitlemien.Elleacomprisqueçamedérangeait, l’idéequ’ellereparte.Jesaisqu’elleaunevie,mais…rienqu’enypensant,çametordlecœur.—Etqu’est-cequivousplaitdanslecinéma?—Lasolitudequ’ontrouvedansl’obscuritédessalles,répondVicavecgentillesse.Mamèreregardemonpèreducoindel’œilenpinçantseslèvres.Elleessayedegarderunairpoli,maisjesensbienqu’ellen’approuvepas.Pasassezbienpourmonfils,résonneautourdelatable.L’atmosphèresetend,jesenslacolèrenaîtreenmoi,siellefaitunfauxpas, jeluisauteaucou.Jenesupporteraipasqu’ellemetteVicmalàl’aiseavecsesquestionsstupides.—Etvouscomptezfairequoiplustard?Reprendredesétudes?Travaillerdansuneautrebranche?Sous-entendu,bosserpouruncinéman’estpasassezdignepoursonfils.Je ferme les yeux en jurant, puis je craque et tape du poing. Un silence s’abat autour de la table, lavaisselle tinte, je sens le regard des convives surmoi,mamère a la bouche grande ouverte, ellemedemandedesexplications,etj’explose.Ellemeprendpourunidiotenplus.—Çasuffit!C’estquoicetinterrogatoire?—MaisReagan,qu’est-cequ’ilteprend!s’offusquemamère.—Arrêteça toutdesuite!Arrêted’essayerd’être lamèreexemplairealorsque t’asmerdé,arrêtedevouloirfairecellequis’intéresse,maisquinepeuts’empêcherdecritiquer!Mavoixestfermeetautoritaire,personnen’osemecontredire,jevoismonpèreprêtàagirsijamaisçadéborde,maisiln’intervientpaspourlemoment.—Jeveuxsimplementmemontrersympathique,Reag,s’expliquemamèreenmontrantVicd’unsignedelamain.—Ehbien,çanemarchepastuvois,tupeuxparlerdelapluieetdubeautemps,maisnetentepasdefairecellequicompatis,sionenestlà,c’estparvotrefaute.Jemelèvedelatable,repoussemaservietteetreculemachaise.J’aibesoind’air.

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—Ohetpuis,allezvousfairefoutre.Je sors mon paquet de clopes de la poche arrière de mon jean en marchant dans la pelouseimpeccablemententretenuepourm’éloignerd’euxquelquesinstants.—Reagan!m’interpellemamère,furieuse.—Jereviens,jevaisfumeruneputaindeclopepouréviterdecontinuercetteconversation,Maman!Jenemeretournepas, je traverse legrandjardin,etpénètredanslamaisonpourallerde l’autrecôté,danslejardinprèsdelapiscine,aucalme,loindetoutça,loindecettetensionautourdecettetable.Peut-êtrequ’onn’enseraitpaslàaujourd’hui,peut-êtrequeVicauraiteulachancedefaireautrechosequ’ouvreuse dans un cinéma, si nos parents n’avaient pas choisi pour nous. Je ne supporte pas lesremordsdemamère,jenelessupportepas,parcequ’ilsmerappellentlesmiens.Ilsmerappellentàquelpoint,moiaussij’aiétéuncoupabledanstoutça.Nosparentsnousontpeut-êtreséparés,maisj’auraispularetrouver,j’auraisdûlefaire.En vérité, je nous ai abandonnés, et je le regrette chaque instant depuis que j’ai su qu’on n’était plusensemble.

***Dixansauparavant…Lesmurssontbleus, ladécorationsimple, ilyaun tableauavecunbateauaumur.Lesstoressontbaisséssurlafenêtreetdiffusentunlégerrayondesoleil.Jemefige,moncœurrateunbattement.Jenesuisplusdansmachambre,jesuisailleurs,jen’aipasVicsurmagauche,qu’est-cequ’ilsepasse!Jemetourneetdécouvremamère,assiseàmescôtés,ellemesourit.Sonvisageaprisquelquesridesetsemblefatigué.—Oùsuis-je?jedemanded’unevoixgroggy.Samaincaressemescheveux,jemesensfatigué,épuisémentalementetphysiquement.Moncorpsmefaitmal,etjen’aipaslaforcedeluttercontresoncontact.—Àl’hôpitalmonchéri.Oui, je suisà l’hôpital, ça faitdeux semainesque j’y suis,deux longues semaines.Moncerveauseremetpetitàpetitenplace, il fautque j’arriveàmeconcentrerdavantage, jenedoispasperdre lenord,jedoisresterfortetnepasflancher.Saufquejen’aiplusbesoindemebattre,d’êtrefort…puisqu’onestsortis,meditunepetitevoixdansmatête.Jeregardeautourdemoi,d’unœilméfiant, iln’yapasmonpère…etpuispourquoilachambreest

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pluspetite?Pourquoiiln’yapaslaplacedemettreunautrelit?—Cen’estpasmachambre,jeconstateenmeredressant.Soudainement,jemesensplusvigoureux,plusalerte.Jesensmonrythmecardiaques’accélérer,etlapeurmegagner.Jemesuisendormietquelquechoses’estpassépendantmonabsence.Je dévisage ma mère à la recherche d’une explication, je sens la peur qui commence à me tordrel’estomac.—Pourquoijenesuispasdansmachambre?jedemanded’unevoixsèche.Mamèreessaiedecaressermajoue,maisjelarepousse.—OùestVic?jel’interrogeavecfroideuretpanique.Pourquoiellen’estplusavecmoi?Qu’est-cequ’onluiafait?—Reagan,monchéri!—OùestVic?jerépète.Je repousse les couvertures surmoi,ma tête tourne,mais j’ignore cette sensation, il faut que je laretrouve.—Reag,qu’est-cequetufais,medemandemamèreenselevantpourveniràmarencontre.J’essayedememettredebout,maisjetangue,bordel,jenesuispasfatigué,onm’adrogué!Jefoudroiemamèreduregardàlarecherched’uneexplication,qu’est-cequ’onm’afait?—Vousm’avezfiléuntruc,jel’accuse.Jen’aipasoubliéquelafemmequim’amisaumondenesaitpasmentir.Ilsl’ontfait!Bordel!—OùestVIC!jedemandeplusdurement.—Fils,soitraisonnable…Jemetourneversmonpèrequivientd’entrer.Jevoisleregardimplorantdemamèreàmonpère.Ellel’imploredesechargerdem’expliquerlaraisondemonétat.Qu’est-cequevousm’avezfait?—Jeveuxlavoir.—Fils, elle n’est plus ici.Elle a besoin de ses parents, et nous de toi, nous avons dûprendre unedécisionpourvotrebien.

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Jemefige.Ilsn’ontpasfaitça!—Où…—Sesparentsl’ontramenéechezelle,commenous,nousteramèneronsdemain.Elleestpartie.Ilsm’ontfiléquelquechosepourqu’onpuisseenfins’approcherdenous,ils…ilsnousontséparés.Lanouvelles’installeenmoi,unamasdesentimentsmegagne,lapeine,ladouleur,maissurtoutlacolère.Lacolèreimmensed’avoirététrahiunesecondefois.—Jeveuxlavoir!jehurle.Vousnecomprenezpas!Vicapeurmaintenantdanslenoir,elleapeurdesbruitsquil’entourent,desgensqu’elleneconnaitpas,deshommes,maispasdemoi.Elleabesoindemoipoursurvivreàceretouràlanormale,pourseconvaincrequelavieestbelle,etqu’onvapouvoirvivrenormalement,ensemble.Jeregardemesparents,etenunefractiondeseconde,jecomprendsquetoutceciestbienvrai.Alorsj’explose.—Barrez-vous!jehurle,laissez-moi!Macrisedecolèreestsiviolentequemoncerveausedéconnectedemaraison.Jememetsàjetertoutcequimepasesouslamain.J’arrachemesperfusions,dusangcoule,maisjem’enfous,jeveuxavoirmalautrepartqu’àlapoitrine.Jevidel’armoireàpharmaciedelachambre,jecasselalampedechevet.Jerenversetout.J’aimal!Ilsm’onttrahi!Ilsmel’ontprise.—JeveuxVic!Desinfirmiersarrivent,ilsmeparlentcalmement,maisjelesignore.Jesaccagetoutsurmonpassage,lesvasesremplisdefleursdeceuxquejeneconnaispas,lesdessinsdemasœur,lescadresauxmurset lematérielmédical. J’aimal, à l’intérieur. J’aimal et jemanque d’air.Mon cœur se serre,marespirationmebrûlelespoumons.Jeveuxquecettedouleurquimebroiedel’intérieurcesse.Jeveuxretrouver ce calme, cette ignorance. Je veux Vic. Je ne peux pas croire qu’elle m’ait abandonné.Qu’ellesoitpartie.Ellen’apaseulechoix,jenevoispasd’autresexplications.Reviens-moi.Deux costaudsme sautent dessus pourme plaquer au sol. Je suis trop faible et en colère pourmedébattre.Jemeretrouvelatêtecontreleplancherfroid,lahainebouelittéralementdansmesveines,j’étouffe.Uneinfirmièresepenchepourmeregarderdanslesyeux,jesuistellementsousl’emprisedelacolèrequemavisionestfloue,matêtemefaitmal,jenesupportepasdesentirlepoidsdesdeuxcostaudssurmoi.—LÂCHEZ-MOI!jehurleenmedébattant—Ilvasefairemal,administre-luilecalmant,lanceunevoixmasculine.

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—NEMETOUCHEZPAS!jepoursuisavechaineetterreur.Nefaitespascommelui.Rendez-moiVic,jevousensupplie.Des larmes de souffrances glissent le long demon visage, j’entends le cri étouffé demamère quipaniquedanslesbrasdemonpèredemevoirdanscetétat.Personnenepeutcomprendre.—Reagan,onvatedonnerquelquechosepourquetutecalmes.Çairamieuxaprès,continuelavoixdeladouceinfirmière.Je vois une seringue qui s’approche de moi, je continue de me débattre, je hurle, je ne veux pasm’endormir,pascommeça.Ilfaisaitcommeça.—NEMETOUCHEZPAS!jerépète.Jesensunebrûluredansmacuissequim’arracheungémissement.Pourquoiilsmefontça?Pourquoiilsfontcommelui?PourquoiVicn’estpaslàpourleurdire?—VIC!jehurle.Puis, en l’espacedequelques secondes,moncorps sedétend,mavision se fait lourde, et jeplongedansunsommeilfamilierquejenesupportepas.C’estlenéant.Saufquemêmeluin’apassucalmerladouleurquejeressentaisàl’intérieur.

***—Reagan?JesorsdemespenséesenentendantlavoixdeVic.Jemerendscomptequejesuisfigé,assisfaceàlapiscineéclairée,maclopes’estquasimentconsumésansquejenel’aitouchée.Je n’étais plus ici, j’étais loin, dans des souvenirs douloureux qui n’étaient pas ressortis depuis unmoment.—Jemesuissouvenuduaprès.Quandonestretournésàlavienormale.Quandonnousamisdanscettechambre,nosdeuxlitscôteàcôte,parcequenitoinimoinesupportionslemondeextérieur.Jemesuissouvenudecequ’ils’estpassélorsqu’onm’aannoncéquetuétaispartie.Vicmerejointsurl’undestransatsenfacedelapiscineéclairéeenbleu.Elleneditrien,ellesecontented’êtrelà,dem’écouterparler.Jesuispluscalme,quelquesminutesseulmefonttoujoursdubien.Ehoui,j’aiparfoisdumalàmaîtrisermacolère,commedisaitlepsy,jesuistoujoursencolère.J’aidebonnesraisons.

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—Tusavaisquenosparentss’étaientmisd’accord?Enfin…lesmiensavaientsuggéréauxtiensdenouséloigner.—Jesais,soufflelafemmedemavie.Jeluijetteunregardencoin,sesyeuxmagnifiquesquinecachentriendutoutdecequ’elleressent.Jeporteàmeslèvresmacigarette,j’inspire.— Jeme rappelle de ce que j’ai ressenti lorsque jeme suis réveillé, et que tu n’étais plus là.Monexistence s’était résumée à toi et seulement toi pendant quatre ans et tu avais disparu du jour aulendemain.—Tuasledroitd’êtreencolèreReag…—Ellen’avaitpasledroitdesecomporterainsi,jelacoupe.Mamèren’avaitpasàêtreaussicurieuse,cen’étaitpaspargentillesse,pastellement,etsiçal’était,iltraînaitdansl’aircesentimentdeméfiancequejen’aimepas.Vic ne mérite pas d’être jugée, les choix qu’elle a dû faire concernant sa vie d’adulte n’ont pas étéfaciles,mamèredevraitlesavoir.—Jesuisdésolédet’avoirlaisséelà-bas,jesoupire,sincère.Vicattrapel’unedemesmainsqu’elleserre.—Ne t’excuse pas, tu as des différents avec tes parents, et je peux le comprendre, mais ta mère…Reagan,tuessonfils,ellet’aime,ellesaitpournous,ellesaitbeaucoupdechoses,maisellenesaitpastout.Jerestelafemmequiluiprendsonfils,c’estnormalqu’elleaitdel’animositéàmonégard,çan’enfaitpasquelqu’undeméchant,jeteprometsquejen’aipasmalprissesquestions.Jeladévisageavecintensité,Vicestsérieuseetjesaisqu’ellenemeditpasçapourmefaireplaisir,ellelepense.Jeporteàmabouchesamainquej’embrasseetVicfrissonne.Bonsang,cettefemmemerendaussifortquefaible,ellesoufflelechaudetlefroidsurmacolère,lebonheuretlajoie,l’amour,maisaussicettetristessequiesttoujourslà.—Jen’aipasenviequeturentrescheztoi,jesouffle.Jesaisquec’estinévitable,qu’onvadevoirreprendrenosviesunefoisceprocèsfini.Jenepeuxrienexiger,jenepeuxpasimposeràVicdetoutquitterpourresteravecmoi.Ceseraitégoïstedefaireça.Onestàcôtédelaplaquedepuisplusd’unmois,ons’estenfermédansnotrebulle,ons’yestaccrochépourtenirlecoupfaceauprocès,maislaréalitén’estjamaistrèsloin.—Nousn’ensommespasencorelà,Reag.Vichésite,sonregardsedétournedumienuninstant,ilfaudraqu’onparlede«l’après»unjour,etplustôtquejenel’aimerais.

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L’atmosphèresegorgedetension.—Nousnesavonsmêmepascequenoussommes.—Moijesaisetrienn’achangéVic,jesoupire.—Jenesaispassijepourraisresterici,m’avoue-t-elle.Etjelacomprends.Jemeraidis,enfindecompte,jenesuispasprêtàavoircetteconversation.Jeneveuxpasl’avoir,pascesoiralorsqu’onestbien,elleetmoi.J’écrasemaclopedanslecendrier,etl’attirecontremoi.—Allonge-toicontremoi.Vicvientseblottirdansmesbras,surletransatprèsdelapiscinedechezmesparents.Soncorpschaudsefrotteaumien,jesensmaqueueréagirdansmonjean,j’aimesonsouffledansmoncouetsaproximité.Jeprendsquelquesminutespoursavourerlecalmequ’ellem’impose.Puisjeluidemande:—Vic?—Oui?—Donne-moitonportable.Ellemeregarded’unairsurpris.—Jenel’aipasavecmoi.Parfait.Ni une ni deux, je la prends dansmes bras, et la passe surmon épaule commeun sac à patates.Ellecomprendcequivasepasseretcommenceàprotester.—Mais…ohnon!Non!Reaganlâchemoi!Elletentedesedébattre,maisjenelalaissepasfaire,nousnousmettonsàrire.Jepréfèreça,jepréfèremettredecôtélereste,etrire,êtreavecelle,croirequetoutvabien,quelemonden’estpasminable,quelavieestbelle,etqu’onpeuttoutavoir.Jeveuxêtreidéalisteunefractiondeseconde.Jenousamènejusqu’à lapiscine,retireseschaussuresquej’envoiesur lapelouseetm’arrêteprèsdubordenretirantlesmiennes.Je la fais redescendre sur sespiedsen la tenant fermement contremoi, soncorps estplaquécontre lemien.J’aimeça,l’avoirsiproche.—Prête,jechuchoteàquelquescentimètresdeseslèvres.—Tuvaslepayertrèscher,ReaganKane!

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Leregarddésireuxqu’ellemelancefaitbondirmoncœur.—J’espèrequeceseraavectabouche.Vic semord la lèvre, et j’enprofite pournous fairebasculer, habillés, dans lapiscine.Une fois dansl’eau,commedeuxgamins,nousnousbattonsennousaspergeantl’unl’autre.Onoublietout,onrit.Mamèrevamedétesterdetrempersamaison,maisqu’importe.Àcetinstant,lorsquej’entendsVicrire,jemesensvivant,etc’esttoutcequicompte.Pourl’instant,jeveuxmebercerdanscetteutopieoùnoussommesensemble,oùlerestenecomptepas.Onaurabienassez le tempsde s’occuperdu reste, la réaliténous rattrapera,nous le savonsbien, carnousl’avonsdéjàvécu.

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Chapitre26Vic

8Juillet2016Lancaster,PennsylvanieLasalleestpleine,ilyamêmecertainespersonnesquisontrestéesdeboutprèsdesportes.C’estdirelenombredegensquisouhaitentvoirlemonstretémoigner.Jen’aijamaisvraimentcompriscecôtémalsainouvoyeurdumalheurdesautres.Peut-êtreunefaçondeserassurersurcequ’onest,aufinalmoinspirequelevoisin,ouquenotrevien’estpassipourrieencomparaisondesvictimes.C’estétrangecebesoind’allerverslemalheurdesautres,devoirlamisère,enêtrespectateuretnerienfairepourautantàpartjuger.Jen’aijamaisétécegenredepersonnes,avantj’avaisunevied’adolescenteetaujourd’hui,jesaistropcequ’onressentenvoyantsavieétaléedansdesjournaux.Lapièceabeauêtreremplie,unsilenced’égliseyrègne,jusqu’àcequeTrumanprêtesermentetquejesursaute en entendant sa voix. Mon cœur risque de ne pas tenir à son témoignage, chaque mot qu’ilprononcemerenvoieàilyadixans,àsesinsultes,àsesparolesblessantesetdestructricesencoreplusquelesactes.Onpeutacheverquelqu’unenquelquesmots,enymettantlaconvictionqu’ilssontvrais,onpeutlefaire.Onpeutdétruireunevieenrépétantàunepersonne,chaquejourquedieufaitdurantquatreans,qu’elleméritecequiluiarrive.Lesmotspeuventêtrelapiredesarmes.Il continueen seprésentantet jeme tourneversmesparentsassisderrièremoi, àcôtédesparentsdeReagan.Monpère,habituellementcalmeet réfléchi, fusilledu regard labarredes témoinsquantàmamère,sonregardestsurmoi.Elleguettemesréactionsetpourunefoisjenepeuxpasluidonnertortsurlefaitdes’inquiéter,moi-mêmej’ignorecommentjevaisréagirenl’entendantparleràsasaucedecequ’ils‘estpassé.Jemeretourneetjetteuncoupd‘œilàReaganàmescôtés,commetoujoursdanscettesalleetmêmesijesavaisquelacolèredevaitsuintersursestraits,cellequejevoismefaitfrissonner.Ilpourraitseleveretletuer,illeferait.Jefermelesyeuxenmeremémorantlejouroùjeluiaidemandé,lejouroùjeluiaidit« tue-leReagan, s’il teplait tue-le » et qu’ilm’a répondu« jen’attendsqueça». J’avais une tellecolère que j’aurais pu le fairemoi-même. Il venait définitivement de nous briser, de nous prendre cequ’onavaitReaganetmoi,denousacheverdelapiredesfaçons.Lacolère,jelasentaiscourirenmoi,commeunserpentvicieuxquiprendsontempspourappâtersaproie,maisquiserarapideaumomentdel’attaque. Je la sentais, elle me rendait capable du pire, elle voilait ma raison et plus rien n’avaitd’importancequeceque jeressentaisaufonddemonêtrequimeprivaitde tout.Jen’avaisplusrien,j’étais vide et ce sentimentme donnait des ailes. Ilm’aurait fait commettre le pire je le sais et je nel’auraismêmepas regretté.Surtoutpasmaintenantalorsqu’il répondà sonavocat surun toncalmeetserein.

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—MonsieurTruman,avait-vousenlevécesdeuxpersonnes?L’avocat se tourneversnouspournousdésignerdudoigt.Le regarddeCooper lui, restesurceluiquil’interrogecommesionnevalaitmêmepaslapeined’êtreregardés.—Non.—Alorscommentexpliquez-vousqu’ilssesoientretrouvéschezvous?Parcequ’ilsétaientbiendansvotremaisondurantcesquatreannées?Oui,moiaussijemedemandebiencommentilvaexpliquerça.—Oui,ilsyétaient.Deleurpleingré.JevoisReagancommenceràs’agitersursachaiseàlasuitedecemensongequ’ilsortcommesitoutétaitnormal.—Deleurpleingré?reprendl’avocat.—Oui,ilsontdébarquéchezmoi,touslesdeux,quelquessemainesaprèsleursenlèvements,ilsétaientperdusetapeurésetjeleuraiproposémonaide.JemetourneversReaganlaboucheouvertedestupeurparl’incongruitédecequeraconteCooper.—Etqu’est-cequ’ilsontfait?—Ilsontrefuséquej’appelleleursparentsouquejelesemmèneàl’hôpital,alorsjeleuraiproposéderesterquelquetempsici,s’ilsvoulaient.J’entendsdesbrouhahasderrièremoi,maisjesuispétrifiéedestupeurfaceàcequej’entends.C’estdudélire!Ilnepeutpasdirecegenredechoses!Çanes’estpasdutoutpassécommeça!—Ilssontrestés?—Oui,ilssontrestés.—Pourquoi?—Ilsavaientpeurqu’onlesséparesijamaisilsretournaientàleursviesdansleursfamilles.Ilsétaientamoureux.Reagansemordlepoingquiclaqueensuitesurlatablemefaisantsursauter.Cen’estpasréel,toutcequisortdesabouchen’estpasréel,ilnepeutpasmentiraussiimpunémentsurlecalvairequ’ilnousainfligéetretournerlasituationàsonavantage.—Cequiestarrivéparlasuite,reprendCooperunpetitsourireniaissurlevisagepourlejury.

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—Desexperts,desmédecinsont témoignédanscettesalleet ilssont tousd’accordpourdirequecesdeux personnes ont subi de multiples sévices durant ses quatre années. Comment les expliquez-vous,MonsieurTruman,sivousnelesavezpasviolentés?Cooperserecaleconfortablementdanssonsiège,sagueuled’hommebienpropresur lui, luidonneunavantage, je le vois.Le jury semble l’écouter patiemment et non avecdégoût. Il lui donneune chancealors qu’il nemérite riende tout ça. Ilmérite demourir pour ce qu’il nous a fait et certainement pasd’embobinercesgens.—Jenelesaipasviolentés, ilsétaientconsentants.Toutcequis’estpassédansmamaisonétaitsousleursaccords.—Etlesviols?Jerappellequ’ilsétaientmineursaumomentdesfaits.—Jenelesaipasviolés.Làencoreilsétaientconsentantsetriennes’estpasséavantleurseizeans.Ilsaimaientlesexeunpeuviolentqu’ilspratiquaientdéjàensemble.—Connerie!hurleReaganenselevant,tuneracontesquedesconneries!—Tuascouchéavecelle,répondCoopertoujoursaussicalme.Reaganfulmine,lejugetapeavecsonmarteaupourfairerégnerlecalmeetintimeauprocureurdecalmersonclient,maisc’esttroptard.Reaganalâchéleschiensetriennelesramèneraenarrièreàpartlui.Etjesaisqu’iln’estpasprêtàça,qu’ilabesoindedirecequ’ilpensefaceàcetissudemensongesquinousfaitpasserluietmoipourdespervers,alorsqueleseuldégénérédanscettepiècesetientàlabarredestémoins.—Tul’asviolée!Tunousasviolésetséquestréspendantquatreputainsd’années!LesourirequelanceTrumanàReaganquifulminederagenemelaissepasdedoutesurcequivasortirde sa bouche. Il va le dire, il va signer notre fin, il va rendre réel ce que personne ne sait et je suisincapabledefairequoiquecesoitpourl’arrêter.—Ettoi,tul’asmiseenceinte.Lesilencequisurvientdanslagrandesallerempliedegensestassourdissant.J’entendsmoncœurbattre,j’entendslebruitd’unechaisequiraclesurlesoletjevoisReaganpartircommeunefurieendirectiondeCooper,mais je suis tétanisée par le choc.Celui quim’empêche de bouger, qui rendmesmusclesinutilesetquisecontentedemerépéterenbouclecettephrasequiannoncenotrefin.Jefermelesyeuxensentantunemainsurmonépaule,celledemamèrequejeneveuxpasaffronter,ellecommelerestedumonde.Jeveuxallermeterrerdansmachambreàl’autreboutdupaysetoubliercemoment de ma vie. Oublier cette perte, oublier qu’il vient de la raviver, oublier tout.Mesmains seportentàmonventre,danscevidequejamaisjen’oublieraimalgrétoutemavolonté,ilatropmarquémachairpourquecesoitlecas.Ilétaitlà,enmoi,l’amourdeReaganetilnousl’apriscommetoutlereste.Et aujourd’hui il joue de ça commede notre calvaire pour nous anéantir une fois de plus. Il vient demontreraumondeentierquenoussommesdesdétraqués.Quenotrehistoireestperverseetqu’ellen’a

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riendenormal.

***Une demi-heure plus tard, nous voilà réunis dans l’espèce de bureau alloué auministère public dansl’enceintedu tribunal.Laséanceaétéajournéesuiteà ladéclarationdeCooperetaudébordementdecolèredeReagan.Reaganquin’estpaslà,qu’onadûsortirpoursecalmer.Alors j’affronte seule leprocureur etmesparents, entassés aumilieude tonnesdedossiersdanscettepièceétouffante.—Vic?Jelèvelesyeuxsurmamèredeboutderrièremoimonpèreàsescôtés.Jesuisencoredanslebrouillardde ce choc qui ne me quitte pas et que je bénis de ressentir. Parce qu’ensuite, les émotions vontdébarquer,ensuitejeseraissubmergéeparlaréalitéetj’ignoresij’ysurvivrai.—Reagan,jelanced’unevoixfaible,jeveuxReagan.—Cen’estpaslemoment,répondmonpèresuruntonfroid.Jelefixe,jevoisunetelledéceptiondanssesyeuxqueçam’encoupelesouffle.—J’aibesoindesavoircertaineschoses,Vic,avanttout.Jemetourneversleprocureurinstalléderrièreleminusculebureau.—Est-cequec’estvrai?Est-cequetuestombéeenceinteduranttacaptivité?J’inspire,mais l’airn’entrepasdansmespoumons, je sensmoncorps trembleret jevaism’effondrerdanspaslongtemps.—Reagan,dis-jeavantqueleslarmesn’arrivent,j’aibesoindeReagan.Jeveuxlevoir,jeveuxlesentir,jeveuxsesbras,jeveuxêtreaveclui,j’enaibesoinpourrespirer.Jenepeuxpasaffrontercessouvenirstouteseule.Jenepeuxpasmerappelerl’horreursanssaforce.Leslarmescoulentetl’airquinevoulaitdéjàpasentrerdansmespoumonsdevientdeplusenplusrare.Jesuffoquesousl’avalanchedesentimentstroplourdspourmesépaules.Lechocs’enva, ilmelaisseseuleaveccesméandresdesouvenirsquejenetienspasàramenerdansleprésent,maiscedernierestplusfortquemoi.Lessensations, lapeur, lacolère, la tristesse, lemanqueetmonventrevide,encorevide,toujoursvide,cessensationssontbienlà.—Reagan!jecrieàprésentenmepliantendeuxsurmachaise.—Valecherchers’ilteplait,lancemamèreàmonpère.

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J’entendslaportederrièremoi, j’entendsleschuchotementsdemamèrequiseveulentrassurantsetsamain surmon dos que je chasse en un coup d’épaule. Je ne veux pas qu’elleme touche, qu’ellemeconsole,qu’ellemedisequetout irabienparcequec’estfaux.JeveuxReaganetpersonned’autre.Jeveuxqueluimedisequetoutirabien,quec’estfini,ceprocès,cecalvairequirevientnoushanterdixansplustardetquin’enfinitpas.Je tiresur lecoldemonsweatquibienquegrand,m’étouffe, j’aichaudetmoncorps tremblecommefrigorifié.Jetombedemachaise,mamèrepleureàmescôtésentenantsesbrasautourdemoiprêtsàmeretenir maintenant que je suis au sol. Je vais mourir, cette crise de panique vam’achever si Reagann’arrivepasbientôt.Laporte finitpars’ouvrirdenouveaualorsque jesuisàquatrepattespouressayerde reprendremonsouffle.JelèvelesyeuxetReaganestlà.Ilselaissetomberausoletsesbrassontenfinautourdemoi.Ilmeserrecontreluietaussiétonnantqueçapuisseparaîtrejerespire.Ilmeserredeplusenplusfort,jesenssoncorpschaudettenducontrelemienetjecommencedoucementàmecalmer.—Jesuislà,dit-il.J’inspirepar-dessus sonépauleenm’accrochant à soncoucommeunedésespérée. J’ai consciencedemoncomportementstupide,maislapeurnesecontrôlepas.—Ilneteferaplusdemal,reprendReaganavecconviction,plusjamaisVic,plusjamais.—Ill’adit…jemarmonne.Jelesenssetendresousmesbras.—Jesais,secontentederépondreReagan.Jeme dégage un peu de ses bras pour voir son visage, pour voir ses yeux.Ce vert quim’a toujourspousséeàêtrecourageuse,maisaujourd’huiluiaussiestmortunenouvellefois.Aujourd’huiReaganadenouveauperdusonfils.

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Chapitre27Reagan

2005Jepensaisqu’onnepouvaitpasfairepirequenotrevie.JepensaisqueCoopernousavaitdéjàtoutfaitconcernantlepire.Aprèslepire,iln’yariend’autrenon?Iln’yapaspirequelepire?C’estcequejepensaisaussi.Jepensaisqu’onnepouvaitpasfaireplus.Envérité, laviesechargedenousmontrerquec’estellequidéfinitlalimitedel’insupportable.Est-cequ’onaunesortedepressentimentlorsquesavies’apprêteàbasculer?Jelepensais,jen’enaipaseuunlorsquejemesuisfaitkidnapper,etaujourd’hui,lorsquejemesuisréveillé,jen’enaipasressentiun.Lesbombesnoustombentdessuscommeça,sansprévenir.Ànousdelesgérer.Cematin,quandjemesuisréveillé,jenem’attendaispasàaffrontercettejournée-là.JesorsdemespenséesenmetournantpourvoirVicdel’autrecôtédelapièce,maisellen’yestpas.Son litestvide.Moncœurrateunbattement,est-cequ’ilestvenupendantque jedormais?Est-cequ’ilestvenulaprendrepour l’emmenerailleurs, loindemoi?Lapeurmefoudroieavecune tellerapiditéquemesmainsentremblent.—VIC?Jel’appelled’unevoixforte.J’entendsdesbruitsétrangesprovenantdelasalledebains.Jemelève,jetangueunpeu.Maintenant,lesdosesdedroguessesontfaitesplusfortes,plusviolentes.Tellementquelorsquejemeréveillaisdanslachambred’àcôté,jen’étaispascertaind’êtredanslaréalité.J’aidescrisesd’hallucinations,descauchemars,etleretouràlaréalitésefaitdeplusenplusdifficile.J’ouvre laportede la salledebains, etdécouvreVicagenouilléedevant lesWC, la têtededansentraindevomirtripesetboyaux.Jem’approched’elle,mesmainsglissentdans ses cheveuxpour les relever.LacrisedurequelquesminutesencoreavantqueVicnesecalme.—Hé,çava?jedemandedoucement.Vic soupire. J’attrape un verre en plastique et le remplis d’eau. Je lui tends, elle accepte en meremerciantd’unregardfuyant.Jepensequ’elleachopéuntruc.Jenesaispasquoi,nimêmecomment,maisriend’autren’expliquesonétat.Mamainvient touchersonfront,ellenesemblepasavoirde fièvre,maisqu’est-ceque j’ensaisenfait?Jen’enaipaseudepuistroisans.OnnepeutpasreprocheràCooperdenepasnousmaintenirenbonnesanté.Onmangenormalement,équilibréetparfoisdestrucsdégueulasses.Ilnousfilemême

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desvitamines!Onnepeutpastombermalade.Enfin,jepensaisqu’onnepouvaitpastombermalade,maisvisiblement,Vicn’estpasbienetjenesaispasquoifaire.Nousn’avonspasdemédicamentsànotredisposition,etl’autreenfoirénes’estquasimentpasmontré.Ilnousdéposeseulementnosrepasquandnousdormons.Jem’assoisàcôtéd’elle.Vicfermelacuvetteettirelachasse.Elleselaisseallerdessus,sesyeuxseferment,ellenesemblepasbiendutout.Etçam’inquiète.—Vic,qu’est-cequ’ilya?jedemande,t’asmalquelquepart?Je caresse sa joue, Vic se raidit. Entre nous, c’est différent depuis la visite de Cooper. Vic estmalheureuse,ellevitmalcettesituation,ungouffres’estcrééentrenous.Lapeurderevivreçanousapoussésànouséloignertoutcourt.Ellememanque.Soncorpsmemanque,saproximitémemanque,elleneveutmêmeplusquejel’embrasseniquejelaserredansmesbras.Jeneluiferaispasdemal,jamais.Jeveuxjusterecollerlesmorceaux,luimontrerqu’onpeutsurvivreàça,ets’aimerencore.Jeveuxluiprouverquesinousarrêtonstout,sinousrefoulonsnossentiments,nosenviesetl’attractiondenosdeuxcorps,c’estluiquiauragagné.Reviens-moi,Vic.—Jenesuispasmalade,soupireVic.Qu’est-cequ’ilsepassealors?Je laregarde,ellemeregarde,sesyeuxseremplissentde larmes.Jenesuispasunmonstre, jesuistoujoursmoi.Jesuis toujourslegarçondontelleest tombéeamoureuse, l’autrefois,cen’estqu’unsouvenirdouloureux,cen’estqu’uneblessurequ’onvadevoirrefermerensemble,avecnotreforceetnossentiments.JerapprocheViccontremoi,elleselaissefaire,nemerésistepas,ninechercheàmefuir.Sesbrass’enroulent autour demon cou, lesmiens autour de sa taille. Nous restons unmoment l’un contrel’autre à savourer la chaleur dégagée, ce contact qui nous manque depuis plusieurs semaines.J’aimeraisqu’onparledecequ’ils’estpassé,illefaut,mêmesic’estdouloureux.Jeneveuxpaslaperdre,jeneveuxpaslelaissergagner.—Parle-moiVic,jet’enprie,nemetienspasàl’écartcommeça,jemurmuredanssoncou.N’oubliepasquijesuis.—C’estpirequeça…souffle-t-elled’unevoixéraillée.L’instantd’après,Vics’effondre,unprofondchagrins’installeenelle.Soncorpsblotticontrelemienestsecoué.Ellelaisseparlersadouleur,etvisiblementlefardeauqu’elleporteestgrand.Illadétruitde l’intérieur. Depuis combien de temps, elle garde ça pour elle ? Depuis combien de temps, elleaffronteçaseule?Qu’est-cequipeutlabouleverseràlarendremalade?J’aibesoinqu’ellemeparle,qu’ellemelediseelle,parcequejenepourraispasledeviner..—Vic,qu’est-cequ’ilsepasse,jedemandeànouveau.Sesyeuxlarmoyantscroisentlesmiens.Ilyatellementdedétressedanssonregardquemoncœurse

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serre.Jecomprendsquejeretiensmarespirationenattendantdesavoircequ’ellemecache.—Jen’aipaseumesrèglesdepuisdeuxmois.Jedevaislesavoirmaintenant,jedevais,maistoujoursrien.Etjevomischaquematindepuisunmomentdéjà…Lechocdoitse liresurmonvisage, j’essaiedenepastroplemontrer,maispourtant,c’estbiença,c’estcequ’elleessaiedemefairecomprendre.Elleestenceinte.Bonsang!—Cen’estpaspossible,çadoits’expliquer,ilyabienuneexplication.Aprèstoutcequ’ils’estpassécesdernièressemaines…jebredouillecommeunidiot.Jemetaisalorsquemoncerveauréfléchit.Ça fait deux mois qu’on n’a pas fait l’amour. La dernière fois remonte à l’intrusion de Cooper,lorsqu’ilnousaforcésàlefairedevantsesyeux.C’estaussi ladernière foisoùquelqu’uns’estenfouienVic.Depuis,Coopern’estpasrevenupourelle.Iln’estrevenuquepourmoi,quepourmepunirdecequ’ilaappris.Pourmemontrerquejenesuisrien,queVicnevoudraitpasd’unhommequisefaitbaisercontresavolontéetquiaimeçaenplus.Jen’aimepasça,maismoncorpsparfoissi.—Reag,nous,onnefaitpasattention.Luioui,maisnous,non,souffleVic.Jemefige.—Ohbordel…jejure.LesyeuxdeVicseremplissentànouveaudelarmes.Jefermelesmiensuninstantpourencaisserlanouvelle.Untasdequestionsmeviennentàl’esprit,maislaprincipaleestcelle-ci:commentonvafaire?Unegrossesse,çasevoit.Danslespremierstempsnon,maisaprèssi.Coopernevapasaimerdutout,quandilvadécouvrirça.S’illedécouvre,jenesaispasquelleserasaréaction.JeneveuxpasperdreVic.—Qu’est-cequ’onvafaire?medemande-t-elle,paniquée.J’inspireetreprendslecontrôledemesémotions,jedoisgérerpournousdeux,encaisserrapidementlanouvelleetlarassurer.—Onvasortird’ici.—Çafaittroisansetdemiquetuessaiesdetrouverunmoyen!proteste-t-elle,lavoixéraillée.—Saufquemaintenant,onnepeutplusresterici.—JesuisterroriséeReag!meconfieVic.Jelevoisdanssesyeux,elleestpaniquée.

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—Jesais.Moiaussij’aipeur.Cen’estpasparcequejevaisavoirbientôtdix-huitansqu’onestpréparésàça.Àapprendrequ’onvadevenirresponsabled’unenfant.Qu’onvadevenirparent,lepèredequelqu’un.Vic est enceinte de mon enfant, d’un petit être qu’on a créé ensemble, par amour dans descirconstancesaffreusesoùonnedevraitpasavoird’enfant.Cen’étaitpasprévu,tellementpasprévu.Jen’ypensaispaslorsqu’onvoulaitcesmomentsd’insouciancedanslesbrasl’undel’autre;Onnepensaitpasauxconséquencesdenosactes.Onvoulaitjustes’aimer,toutsimplement.C’estcequiatoujourseffrayémamère.Quandjesuisentréaulycée,unsoir,elleestvenuedansmachambre pour discuter, elle m’a parlé d’un tas de choses, des filles, du sport, de l’université, desnotes…maissurtoutdesfilles.Ellem’aregardé,etellem’aditquejepouvaisfairecequejevoulaisavecelle,qu’elleneviendraitpasmefairelaleçondemoralesijamaisjedécidaisdefairedeschosesplus«poussées».Seulement,jedevaislesfaireprotégé,parcequ’êtreparentàdix-huitans,c’esttoutsimplementgâchersavie.«C’esttropjeune,ilestdifficiled’êtreresponsabled’unenfant,quandonestsoitmêmeencoreunenfant».J’ai pris un air détaché parce que j’étais gêné, maismamère avait raison. À dix-huit ans, on estencoreunenfantpourcertainesresponsabilités,onpeutavoirunecertainematurité,êtreau-dessusdelanormale,maison resteungamineffrayépar l’avenir,parcesévénementsqu’onpensecontrôler,maisqu’onnecontrôlepasfinalement.Malheureusement,iln’yapasd’âgepourtomberamoureux,toutcommeiln’yapasd’âgepoursubirlesconséquencesdel’amour,qu’onysoitpréparéoupas.L’amourn’estpaslivréavecunemiseengarde,commesurlespaquetsdecigarettes.Iln’yapasdesloganengrasavecécrit«l’amourtue!»,pourtant,ondevraitmettre«àvosrisquesetpérils,l’amournevoustuepas,maispeutvousmettredansunesacréemerdesivousnecontrôlezrien».Jepensaisqu’oncontrôlaitlasituation,jepensaisnaïvementqu’iln’yauraitjamaisdeconséquences,j’avaistort.Danschaqueacte,bonoumauvais,ilyadesconséquences,c’estcommeenamour,seulement,onnelesgèrepasdelamêmefaçonquandonadix-huitoutrenteans.—Reag?chuchoteViccontremoi.—Oui?—Ilestdetoi,memurmure-t-elle.Cen’estpasunequestion,c’estunecertitude,etpasunesecondejen’enaidouté.Cooperatroppeurdeça,demettreenceinteVic,onlesaittouslesdeux.Ilnel’ajamaisbourréed’hormonepouréviterqu’ellefasseuneréactionàlapiluleouqu’ellelesupportemal.Jecroisesonregardbleu,sesyeuxsontnoyésdansleslarmes,ilssontrougesetinquiets.Çavaaller.—Jesais.C’estnotreenfant,jen’enaipasdoutéuneseconde.Elledétourneleregard,dehonteoudeblessures,jenesaispas.Ellenedevraitpasavoirhonte,celuiquisesentleplushonteux,c’estmoi.Sijen’avaispas…enelle,onn’enseraitpaslà.—Vic,regarde-moi.

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—Onadix-septansReagan!Onadix-septans,onestcaptifsd’unfou!Commenttuveuxqu’onaitunbébéici,enpleinmilieudecechaos!explose-t-ellederage.Ellealedroitd’êtreencolère,dem’envouloir,jeneluienveuxpas.Vicm’envoiedescoups,ellemefrappepourexprimersacolèreetsasouffrance,jelalaissefaire.Jelalaisseexprimersadouleuretsapeur.Puis, lorsqu’elleseremetàpleurer,qu’elles’effondredenouveau, je laprendsdansmesbraset laserrecontremoi.—Ons’aimeVic,jelanceàsonoreille,çavaaller.Jeteprometsqu’onvatrouverunmoyendesortird’ici,jeteprometsqu’onn’aurapascebébéici…est-ceque…est-cequetuleveuxcebébé?—Jenesaispas…jenesaispas!Jenevoulaispasdetoutçacommeça.!sanglote-t-elle.Jesais,ilyapleindechosesqu’onauraitvouluvivredifféremment.—Jesais.Vicseremetàtrembler,elles’accrocheàmont-shirtenpleurantàchaudeslarmes,parterredanslasalledebainsdenotreprison.—Heureusementquec’étaittoi,cejour-là,pleureVic,heureusement.—Jesais.—Pardonne-moiReagan,pardonne-moi,jet’ensupplie.—Tepardonnerdequoi?jedemandeenembrassantsonfront.Jelabercedansmesbrasenlalaissantpleurer.—Det’avoirmisàl’écart,det’avoirrejetéaprès.J’embrassesabouche.—Jeteprometsqu’onvasortird’ici,jevaisprendresoindevousdeux.IlnetetoucheraplusVic,jetelepromets.Jepréfèreprendrepourdeux,qu’ilnelatouchepasencoreunefois.—Vic,jet’aime.Jet’aimeplusquemaproprevie,etsijedoispayerleprixdetoutça,jelepaieraisiçapeuttesauvertoi.—Tumefaispeurquandtumedisça…Jenerépondsrien, jemecontentede la laisserpleurer,desoulagersonchagrin,ensachantque je

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suislàpourl’épauler.—Çavaaller,jemurmure.J’aitroismoisavantqueçanecommenceàsevoir.Troismoispourtrouverunmoyendenoussortirdelà…touslestrois.J’avais peur d’un jour vivre une situation comme celle-ci, où nous devrions nous battre contre letemps,etmaintenant,jevaisdevoirêtrefort,pourelle,maispournousaussi.

***Deuxsemainesplustard…Mesmains serrent lesbarreauxdu litalorsque j’encaissedumieuxque jepeuxsescoupsdereinsbrutaux. Son sexe est comme une épée qui transpercema peau, ilme saigne de l’intérieur.Ça faittoujoursaussimal,Coopernerendjamaisleschosesfaciles,ilmefaitendurerlepirepourmepunir.Ilmeblesse,m’humilie.Maisjeneflanchepas.Monespritaapprisàfaireavec,aveccesmomentsdursquidurenttoujourstroplongtemps.J’aihorreurdemeretrouveràpoildanscelit,attachécommeunesclavequisubitcequesonputaindemaîtredésire.—J’aiunequestionàteposer,lanceCooperd’unevoixrauque.Jeserrelesdentsalorsquelabrûluredesonsexem’empalantsepropagedansmondos,mesjambes,etvientmourirdanslemien,mefaisantbander.Putainjedevienscomplètementdétraqué.Plusilmefaitmal,plusjebande.Jedébloquetotalement.Pourtant,jen’aipasenviedeça,jen’aipasenvie,etengrandissantmoncorpslesait.Alors,depuisquelquetemps,ilaoptépouruncocktailcharmantethumiliantqu’unjeunededix-septansetdemin’estpascenséprendre.Cesputainsdepilulesbleues,ilmelesamontréesl’autrejouralorsquejerésistais.Iltrouvetouslesmoyenslesplussordidesetdégueulassespourmedétruire.—Pourquoitut’esinterposé?poursuitCooper.Jenerépondspas.Jeneveuxpasrépondre,sinon, jerisqueraisdedirecequ’ilnefautabsolumentpasrévéler.—Tupréfèresquecesoittoi,quejebaise?renchéritmonbourreau.Son coup de reins se fait plus vif, etme fait grogner, unmélange entre douleurs et cette pointe deplaisirinsupportablepourmonesprit.—Oùest-ceparcequetulabaisesencore?C’estça?Tulabaisesencore!s’énerve-t-il.Touslessoirs,àchaquefoisquetun’espaslà!J’aienviedeluirépondre,maisjemecontentedeneriendire.Jemecontentedeserrerlamâchoireetd’endurer.Iltientdeplusenpluslongtemps,ilfait

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durerleschosespourprendresonpieddavantage.Ilattrapemescheveux,etfaitbasculermatêteenarrièrepourquejeleregarde,maismesyeuxvontailleurs,jeneluiferaipasceplaisir.—TumecachesquelquechoseReagan,jelesens,etçatombebien.Ilme lâche,et sortdemoncorps si vite,que jen’aipas le tempsdebien toutcomprendre.Cooperattrapequelquechosedansl’undesestiroirssijemefieauxbruitsquej’entends.Ilrevient,attrapematête,etmebandelesyeuxavecunfoulardnoir.Jenevoisrien,riendutout.Monrythmecardiaques’accélère,j’aiunpressentimentquimeditquecequivasepassernevapasmeplairedutout.—Qu’est-cequetuvasmefaire!Salopard!jehurleenmedébattant.Cooperme fait basculer sur le dos, et je commence à sentir la panique arriver. Puis, il disparaît.J’entendssespass’éloignerverslefonddelapièce,uneportes’ouvre,j’entendsdesmurmures,despas.J’ignorecequ’ilsepasse,etçamefaitpaniquer.Jerestejenesaispascombiendetempsseul,avantqu’ilnerevienne.—Tupeuxlebaiser,ilestlàpourça,déclare-t-il.Ohbordel!Jecomprendsqu’ilyaquelqu’und’autredanslapièce.Cetteconstatationmefaitfroiddansledos,jemedemandequiest-ce,qu’est-cequecettepersonnevientfoutrelà,commentonpeutaccepterça.—Nefaispasça!jehurleenmedébattant.Cooper et l’autre personne semettent à rire. Je n’arrive pas à savoir si c’est un homme ou…unefemme.J’entendsdespasserapprocher,puislefroissementdesvêtementsquitombentausol.Bordel,qu’est-cequ’ilvam’arriver?—Baise-lecommetusaissibienlefaire,bébé,ordonneCooperàsoninvité.Jesenslematelasréagirpuis,uncorpsvientsepostersurmoi,jesenssonpoidssurmescuisses.Unemainattrapemonérectionquiestdevenuedouloureuseàcausedemonbourreau.Lecontactestdouxetexpert.Cettemaincommenceàmemasturber,lentement,troplentement.Jegrogne,jeneveuxpasdecettemainsurmoi,dessensationsquecesdoigtsmeprocurent,nidesgémissementsquej’entends.—SitusavaiscommetuesbandantcommeçaReag,transforméenputain,semoqueCooper.Sijemefieautondesavoix,ilsecaresseaussi.Salerat.Leplusdifficileàencaisser,c’estlorsquejesensunelanguerâpeuseglisserlelongdemongland,ellemelèchesurtoutemalongueur.Personnenem’ajamaisfaitça,niVic,niCooper.Etc’est…bon.Tropbon.Jevoudraisnepaslereconnaître,maislesvaguesdeplaisirquisedéchaînentenmoidisentlecontraire. Ma respiration devient plus saccadée, mes hanches remuent dans cette bouche quim’accueilleetmesucecommesij’étaisleputaindedessert.

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N’aimepasça,Reagan,résistebonsang,résiste.—Disquetuaimesça!m’ordonneCooper.Jememordslajouepournepasgémir.Jeneveuxpasaimerça,mais…c’estcommeboireaprèsunelonguemarcheenpleindésert.C’esttropbon,etsurtout…c’esttendre.Cen’estpascommelorsqueCoopermetouche,c’estcomme…Vic.LapersonnequimesucemetouchecommeVicmetouche.Avectendresse.Jemefige,unrâlem’échappe,moncœurs’arrête,jesuisentraind’aimercequ’onmefait,jetrahisVic,etc’estcequeCooperveutquejeressente.Bordel!—Gémisoùjeluidemandedetebaisercommelapetiteputequetues!poursuitmonbourreauenmetirantlescheveux.Est-ceunefemme?Unhomme?Jenesaispasencore,monespritestdanslevague.Lalanguedel’individutaquineleboutdemaqueue,sesdoigtsjouentavecmesbourses,lapersonnemetente,ellemepousseàbout,et jecraque.Ungrognementdeplaisirm’échappe, toutcommeunedéchargedeplaisirdanstoutemonaine.—Parfait,bébé,baise-lemaintenant.Quoi?Je me mets à trembler alors que la bouche laisse tranquille mon érection. Je me prépare à êtreretournécommeunvulgaireobjet,maisaulieudeça…c’estpire.Jecomprendsquec’estunefemmequivientdemetoucher,lorsquesamainsaisitmaqueue,qu’ellemechevauchepourpouvoirs’empalersurcettedernière.—Elle te faitaussibien jouir,Vic?Est-ceque tuprendsautant tonpied lorsque tu labaises?mechuchoteCooperàl’oreille.Jenerépondspas,jesuistropoccupéàserrerlesdentspournepasgémir.C’estunefemme,ilafaitvenirunefemme.C’estpourçaqu’ilm’abandélesyeux,c’estpourquejenelevoispasvenir.Cettechaleur,cen’estquel’intimitéd’unefemmequipeutladégager.L’invitée saitcequ’il faut faire,ellen’estpashésitante,elleestdouée,elle saitquel rythmeavoir,quoifairepourm’emprisonneretmefairemesentiràl’étroit.Sonrythmeestfou,etjouissif.Bonsang,n’aimepasça,Reag,tun’aspasàaimerça.Maismoncorpsaime.Ilaimetropça,nepassouffrir.Lafemmeneretientpassesgémissements,elleenfaitbeaucoup,sescrisdeplaisirrésonnentàmesoreilles,etmemarquentindélébilement.—Tuesàmoi,Reagan,sij’aienviequetubaiseslaterreentière,tulefais.Tun’aspastonmotàdire.Tun’esrien.Toncorpsn’estrien, ilne t’appartientpas, toutcommetaqueue.Elleestàmoi.Et tun’asmêmepasbesoindelevouloir,puisquej’ailesmoyensdetefairebandercommeuncheval.Jenedisrien.J’encaisse.J’aiencaissédemefaireprendrecommeunboutdeviande, j’encaisselabrûlureentremesjambes,etleplaisirmalsainquejeprendsmalgréladouleurdansmoncœur.

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J’encaissepournousdeux,pourqueVicn’aitpasàlefaire.Etpuis,aufond,jemepunisdeluiimposernotresituation.Sijen’avaispasfaitçaavecelle,elleneseraitpasenceinte.Lapirepunitionestcellequisuit.Lafemmequejenevoispasaccélèresacadence,sonintimitésecontracteautourdemaqueueaprèsplusieursminutes intensesoùellemebaiseetprenddemoicequ’elleveut.Jen’arrivepasàcontrôlerlavaguedejouissancequim’emporte.Jeprendsmonpiedavecuneautre,uneautrequeVic,uneautrequimefaitdubien,sansmefairemal.Et ça, c’est pire que tout, pire que la culpabilité, pire que Cooper qui me prend, pire que notresituation.JetrahisVicenlatrompant,enprenantuneautrefemme,etça…c’esttrop.Moncœursaignedecequejeviensdefaire,Cooperlesait,ilsaitqueçamedétruit,c’estbienpourçaqu’ilenaeul’idée.Il se vengeencore, et çameprouvequ’ondoit trouverune solutionpour s’échapperd’ici, sinon jeredoutecequ’ilpourraitnousfairesijamaisilapprenaitquej’aimisVicenceinte.Iln’aimepasqu’on«souille»seschoses…noniln’aimepasça.Etmoi…j’aiaiméça.

***

Jeme laisse glisser le long dumur de la salle de bain.Mes fesses encaissent le choc douloureuxcontre le sol trempé.Jechasse ladouleur, j’ai toujoursmalaprès, commesionm’avait tabassédel’intérieur,maisaujourd’hui,j’aimalautrepart.J’aimalàl’âmeetaucœur.Quand la femmeenaeu fini, il s’estabsentédurantunmomentavantde revenirpourmerouerdecoupsdemartinet.Cooperm’aensuitebaiséàsecpourmepunird’avoirprismonpiedavecuneautrequelui.C’estletroubéantquej’aidanslapoitrineensachantcequej’aifaitquimeblesseplusquetout.Vicmepardonnedecequ’ilsepasseavecCooper,maisavecunefemme?Uneautrequ’elle?J’endoute.L’eauchaudecoulesurmonvisage,jefermelesyeuxenlaissantéchapperdeslarmes.Jelaisselibrecours àmon chagrin, j’ai tellementmal de l’avoir trahie, de ne pas avoir pume retenir, de subirencoreetencoreetdenepaspouvoirluttercontrelesdroguesetlesautresmerdesquecetenfoirémedonne.J’enaiassezd’êtresouillé,d’encaisser,jedoisêtrefort,maisaujourd’hui,jemesenssaleetminable.Mon chagrin disparaît avec l’eau brûlante.Dès que je ferme les yeux, je la sens encore, avec sesmainsdouces,lepoidslégerdesoncorps,sesgémissementsalorsqu’elleaimaitmeprendreenelle,etsurtout,cettechaleurquedégagel’intimitédedeuxcorpsquifusionnent.Jeneveuxplusressentirça,çafaittropmal.—Reag?Jenetentemêmepasdefairecommesiderienn’était.Lorsquej’aifranchilaportedenotrechambre.J’aiattenduqueCoopers’enaille,j’étaisnucommeunver,moncorpsportaitlesstigmatesdetroisheuresd’enferdanscetteputaindepiauleauxhorreursoùjesuisdevenuunepute.Ouais,c’estça,jesuislaputedeCooper.Jen’aipaspuregarderVicdanslesyeux,j’aicourudanslasalledebains,j’aivomitripesetboyauxavantdefoncersousladoucheoùjen’aimêmepaspumesavonnertantmetouchermefaitsouffrir.

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Jenevaismêmepaspouvoireffacerleursodeurs.J’ouvre les yeux pour croiser Vic, elle est debout, face à moi, elle m’observe attentivement,l’expressionmarquéeparl’inquiétude.Sansréfléchir,ellefoncesousladouche,sonjeansetrempeainsiquesont-shirt,maiselles’enfout.Samainvientcaressermajoue,elleattiremonregard.—Seigneur,qu’est-cequ’ilt’afaitcettefois?medemande-t-elle.—Serre-moicontretoi,jemurmuredouloureusement.Etc’estcequ’ellefait.Vicpénètresousladouche,lepommeaulatrempeautantquemoi,elleglissesesbrasautourdemoncorpsetmeserrecontresoncorps.Jen’arrivepasàcontrôlermonchagrin,alorsqu’elleseblottitcontremoi.—Pardonne-moiVic.Pardonne-moi,jelance,d’unevoixétranglée.—Tepardonnerdequoi?medemande-t-elleàl’oreille.Lebruitdel’eaufrappantlesolestfortetentreenéchoavecceluidesmartèlementsdemoncœur.—Il…Jen’arrivepasàledireàvoixhaute.Jen’yarrivepas.Vic s’écarte légèrementpour croisermon regard, ses cheveuxbruns sont trempés, ses vêtements luicollentàlapeau.Jelaregardeintensémentetjemedemandecommentlanaturepeutcréerquelquechosed’aussibeauetluifairevivrelepire.Çafaitdeuxsemainesqu’onsaitpoursagrossesse,deuxsemainesqu’ons’estrapprochés,c’estcequifaitaussimal,latrahiralorsquejedoislaprotégeretprendresoind’elle.—Jeneveuxaimerçaqu’avectoi.Jeneveuxressentirqu’avectoi…jesanglote.—Qu’est-cequ’ils’estpassé?répète-t-elleenentourantmonvisage.—Il…iln’étaitpasseulVic.Il…Je ferme les yeux en sentant la vague de douleur me serrer le cœur. Je craque à nouveau enenfouissantmatêtedanssoncou.Jem’accrocheàsoncorpspournepassombrer.C’étaittrop,c’étaithumiliant,c’étaitcrueldesapart.Je l’implore du regard. Je l’implore deme pardonner, deme faire oublier la sensation d’une autrefemmeautour demoi, du plaisir que j’ai pris dem’enfouir dans une autre qu’elle. Je veux qu’elleeffacecettesensation,jenevoulaisconnaîtrequ’elle.L’eaudeladouchenoustrempedeplusenplus,Vics’écarte,j’ail’impressionqu’ellevapartir,jemeprépareaurejet,maisnon.Ellesecontentederetirersont-shirtmouillé,d’enleversonbas,saculotteetderevenirversmoi,totalementnue.Jen’oseriendire,jelalaissefaire.Moncorpsmêmeaprèsplusieursheuresdifficiles,ilréagitàsaprésence.Jememaudisdesentiruneérectionnaître,jen’aipasletempsdelacacher,queVics’agenouillesurmoi,samains’emparedemonsexe.Cesgestesnesontquedouceur,qu’amour.

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—Iln’yaquemoiquicompte,Reagan,d’accord?Elle soulève ses hanches pour venir se poster au-dessus demon érection, lentement, elle se laisseglisserdessus.Monglandpénètrelachaleurdesonintimité,mesyeuxsefermentinstinctivementpourensavourerlasensation.Çafaittellementlongtempsqu’onn’apasressentiçaensemble.—Touteslesautresfois,çanecomptepas,d’accord?C’estcequetum’asditunefois,quelereste,çanecomptepas,lanceViceninspirant.J’acquiesce,nosdeuxcorpstremblentsousl’intensitédesémotions.Matêteselaisseallercontrelemur, j’ouvrelesyeuxpourlaregarder.Vicnue, l’eaudeladoucheperlantsursapeaublanche,soncorpssefrottantcontrelemien.Elleestmagnifique.Commeunangequieffacelepireenmoi.Tandis que nos deux corps se retrouvent, Vic ondule de plus en plus rapidement surmoi. Son sexes’empalesurlemienavecentrain.L’eaudeladouchenouséclabousse,nousnoyonslasalledebain,maisqu’importe.Mesmains caressent ses cuisses, son ventre qui abrite désormais ce qu’on peut faire de plus beauquandons’aime.Lespicotements familiersreviennent,nosgestesaussi,commesinotre inconscientsavaitquoifaire.Mesdoigtsglissentjusqu’àsonentrejambe,monpoucecaressesonclitoris,jeveuxqu’elleoublieladernièrefois,jeveuxqu’ellenepenseplusàl’humiliation,qu’ellenesesouviennequeduplaisir.Ungémissementrésonnedanslasalledebain,noyésousleschutesd’eauchaude.Monbraslibreseglissedanssondos,jelaplaquecontremoi,etremuentdeshanchespouraccentuerlacadence.—Iln’yaquetoietmoi,Reag,justetoietmoi.Lerestenecomptepas,jetelepromets,mechuchote-t-elleàl’oreille.Etellemeleprouve.Sonintimitém’accueillecommeavant,iln’yaquenousdeux,quenotredésir,etcebesoindeposséderl’autre,d’effacerlereste.Seslèvresretrouventlesmiennes,nosdeuxsoufflessemélangent.Ellem’amanqué,cettecommunionm’amanqué.Entre la douleur de la culpabilité, la souffrance de longues heures à endurer entre lesmains d’unmonstre,entreleslarmesdecolère,etmarespirationrauque,Vicmerestituesonamour,etleplaisirdefairel’amouravecelle,effaçantlereste,refermantcesblessuresdumieuxqu’ellepeut.

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Chapitre28Vic

8Juillet2016Lancaster,PennsylvanieJe replonge dans ses bras pour fuir son regard. J’ai l’impression de revivre cette douleur, de revivrechaquesecondequim’ontprivéedecetenfant.Ladouleurdansmapoitrinenes’estjamaiséteinte,onnem’ajamaisguériedeça.Onapansé lesplaies,onasoignémoncorps,ona tentédecomprendremonâme,maiscetteperte,cetteépreuvedeplus,ellen’estjamaispartie.Chaquejourjepenseàlui,chaquejourjemesouviensdescoupsdansmonventreetdecetteosmosespécialequ’ilyaentreunemèreetsonenfant.Chaquejourdepuisdixans.—Ilauraitonzeans,jechuchoteàReagan.Ilseraiditunpeuplusdansmesbrasetjepleuresursonépauleenimaginantcepetitgarçonquiétaitlenôtre.—Sortez,dit-ilfroidement.Je m’écarte de son corps quand il tourne la tête en direction de nos parents qui nous dévisagentcomplètementperdus.—Sortez!LavoixdeReaganmefaitsursauteretaprèsquelquesregardslourdsdesenssurl’attented’explication,ilss’exécutentetnouslaissentseulsdanscepetitbureaupoussiéreux.—Ilsveulentdesréponses,jelanceunefoislaporterefermée.—IlsenaurontVic.Jeme laisse aller contre lui,Reagan s’assoit plus confortablement contre le bureau etme caresse lescheveuxtendrementenattendantquejemecalme.—Pourquoiilafaitça?jedemandestupidement.

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—Pournousfairemal.—C’estcommes’illeprenaitunefoisdeplus.Reaganinspire,puisilprendmonvisageentresesmainspourquejeleregarde.Maisladouleurdanssesyeuxlamêmequ’àl’époque,estdureàsoutenir.—Ilauraittesyeux,jelanceencaressantsonvisage,ilseraitfortcommetoiReagan,ilseraitnous…Reagan ne dit rien, il serre samâchoire pour s’empêcher de parler,mais je vois les larmes prêtes àfranchir la barrière de ses yeux. Je vois sa peine, je la ressens tout comme la mienne, elle brûle àl’intérieur,ellenes’éteintjamaisetjeveuxlagarder.Jeveuxqu’elleexistepourtoujours,parcequ’avecReagan on sera les seuls à se souvenir de lui, de son existence. Il n’y a que nous pour entretenir cesouvenirmême s’il faitmal. Et il lemérite, ilméritemille châtiments pour continuer d’être dans noscœurs.—Toutletemps,reprendReagan,ilesttoutletempslà.Ilmontresatêteenfermantlesyeux.Jem’approchedesonvisagepourembrasserseslèvres,pourqu’ilnesoitpasseuldanscemomenthorrible,celuiquiravive lespires instants.J’auraispréférésubiruneannée de plus entre les mains de Cooper que le perdre. J’aurais pu subir dix fois pire pour l’avoiraujourd’huiavecmoi.Reaganmelaissel’embrasser,seslèvresbougentàpeinesurlesmiennes,etjelesens ailleurs. Jem’enveuxd’avoir craqué, d’avoir ravivé tout ça, de levoir souffrir parma faute enramenantcessouvenirsaussibeauxqueterribles.Cebébén’étaitpasprévu,cebébén’auraitjamaisdûêtreconçumaisilétaitlà.Etpassécechoc,toutenvivantconstammentaveclapeur,ilétaitlaplusbellechosequ’onaitpufaireavecReagan.—Cequetuasressentipourlui,chuchoteReagancontremeslèvres,personneneteleprendraVic,c’estàtoi,c’estànous,etmêmesionamal,onaça.Onacessouvenirs,lesbeaux,ceuxoùtoutauraitpuêtrebien.Garde-les,Vic,seulementeux.Jesoupireenreposantmatêtecontresontorse.Ilal’airplusserein,pourtantsoncœurquejesenssousmonoreille,battropvite.Ilapeurautantquemoi,peurd’avoirencoremal,maisilestfortpourmoi.Ilestsolidepourque jepuissemereposersur lui.Sià14ans, jenesavaispaspourquoi j’étais tombéeamoureusedelui,aujourd’huijesaispourquoijecontinuedel’aimer,parcequ’ilestmoi.Ilestcettepartdeforcedontj’aibesoinquandrienneva,ilestcetteétoiledanslanuitquimeguideetmeprotège,ilesttout.

***Toutlemondeestderetourdanslebureau,mesparents,ceuxdeReaganetleprocureur.Onestassissurleschaisesenfacedelui,nosparentsderrièrenousetilrègneuneatmosphèrelourdeenattendantqu’onprennelaparole.Jenesaispascombiendetempsonestrestéseul,maissûrementtroplongtemps,pourqu’ilssoienttousàboutdepatienceencequiconcernelavérité.

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—Vic,commenceleprocureur,maisjelecoupe.—J’aiétéenceinte.Lesilencesebriseetdesjuronsdelapartdemonpèrerésonnentdanslapièce.Jemeretourneétonnéedel’entendreprononcercegenredechoses,cen’esttellementpaslui.—Tul’asmiseenceinte!ilcrieaprèsReagan—Oui,répondl’intéressésansmêmeleregarder.Monpèreenrageet j’ai l’impressiond‘avoirunautrehommequeceluique jeconnaisdepuis toujoursdevantmoi.IltournelachaisedeReaganpourl’affronter.—Maisc’étaituneenfant!Commenttuaspu!Reaganselève,ilsurplombemonpèreparsaforceetj’espèrequ’ilsn’irontpastroploin,dictésparleurcolère,cellequinequittejamaisReagan,etcellequejedécouvrechezmonpère.—Moi aussi j’étais un gosse, il lance, et vous croyez quoi ? Que lui faire un enfant était dansmesobjectifs?Vouspensezquej’aiaimélavoirsouffrircommeça?Vouspensezquejenem’ensuispasvouluetquejenem’enveuxpasencoreaujourd’huiqu’elleaitdûvivreça?Ilpoussemonpère,ilestprêtàexploser.—C’estcequevouspensez?!répèteReagan.Ilregardelesautresautourdelui,mamèrequiestmortedetrouille,sesparentsquileregardentcommes’ilsavaientunétrangerdevanteux.—C’estcequevouspenseztous?!Jeme lève avant que çadégénèrepourmemettre entremonpère et lui.Reagan fixe sesparents et jeprendssonvisagepourqu’ilmeregarde.—Pasmoi,jelance,pasmoiReaganetc’esttoutcequicompte.Regarde-moi,c’esttoutcequicompte.Jelerelâcheunefoisquejelevoissedétendreunpeu.Jemetourneverscesadultes,qui,ilyadixansontprislamauvaisedécision,ceuxquin’ontjamaisriencompriscequ’ilsepassaitentreluietmoi.—Aucasoùvousauriezoublié,ilfautêtredeuxpourfaireunenfant.Etcequ’onafaitavecReagan,cequienadécouléneregardequenousetn’apasbesoindevosjugements.Çanechangerarien,etjem’encontrefous que vous compreniez ou pas. Parce que j’en aimarre.Marre d’essayer de vous épargner.Reaganetmoions’estaimépendantnotrecaptivitéetouionafaitl’amouretouisansprotectionetouijesuistombéeenceinte.

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Mamèreouvredegrandsyeux rondsenm’écoutant luidireçaàelle, commeauxautres. Jeme rendscomptequecesdixdernièresannéesj’aipassémontempsàlesréconforter,àpenseràeux,àvouloirlespréserverdemonmalheursansmêmepenseràmeprotéger.Etj’arriveàsaturationaujourd’hui.Ilsn’ontpasledroitdejuger,ilsn’ontpasledroitdepenseràmaplaceetdevouloirchangerlepassé.C’estmavie, pas la leur, c’estmoi qui ai subi tout ça etmême si je suis consciente qu’ils ont eumal demonabsence durant quatre ans, eux n’ont pas été violés, eux n’ont pas dû survivre chaque jour en sedemandantcequel’autrefouallaittrouverdenouveaupourmefairemal.Alorsmasouffranceetlapartdebonheurquej’aieudurantcetemps,ellesm’appartiennent,ellessontàmoi.—Machérie, reprendmamèredece tondouxquimefile lanauséeaujourd’hui,cequeveutdire tonpère,c’estquetuétaisjeune,inconscienteetquevotresituationvousapoussésàfaireça,maisque…—Non!jelacoupe,non!Personnenem’apousséeàquoiquecesoitàpartCooper.Cequ’ils’estpasséentreReaganetmoiétaitfaitavecamour!Commenttupeuxdireça!—C’est pourtant vrai Vic,me répond lamère de Reagan, ce que vous pensez être de l’amour c’estseulementunmoyendesurvivre.—Tais-toi,marmonneReagandansmondos,tais-toi,taisez-voustousavantd’allertroploin.—Onnepeutpassetairepluslongtemps,Reagan,onnepeutpasvousregardervousdétruireencoreenpensantquevousvousaimez.Sionvousaséparéscen’estpaspourrien,c’estpourvotrebienàtouslesdeux,pourquevousrepreniezunevienormaleendehorsdevotrecaptivité.Quandvousêtesensemble,vousprolongezvotrecalvaireetvousnevousenrendezmêmepascompte.Reaganfaitunpasendirectiondesamère,jesuistropétonnéedecequejeviensd’entendre.—Qu’est-cequetusaisdemoi?demandeReagan,qu’est-cequetusaisdecequej’ailà?Ilfrappeviolemmentsapoitrineenlafusillantduregard.—Qu’est-cequetusaisdeça,maman?Rien,tunesaisriendecequ’ellefaitpourmoi,decequ’ellem’apporte, de la souffrance qu’elle répare par sa simple présence alors ne dis plus jamais ça tum’entends?Nedisplusjamaisqu’elleprolongemadouleurparcequec’esttoutlecontraire.Reaganinspireensereculant.—Nejugezplus,aucundevous.Il retourne s’asseoir en faceduprocureur le corps tenduà l’extrême. Je jetteundernier regard àmesparents.Jesaisquecedébatn’estpasclos,qu’ilsn’ontpasencoredittoutcequ’ilsavaientàdire,maisjem’enfouspourlemomentonaplusimportantàrégler.Jeretourneaussim’asseoir,j’ignoredélibérémentlapressiondanslesyeuxdelamèredeReagan,puisjemelaissetombersurlachaise.LamaindeReaganprendlamienne,sonvisagesetourneversmoietlesourirequ’ilmefaitapaisetoutdesuitelacolèrequibrûlaitenmoi.—Bon,reprendleprocureur,noussommesdansunsacrébordel.

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J’aimesonfranc-parler,avecluionnetournepasenrondinutilementonvadirectementaufonddusujetetc’esttantmieux.—Jemedoutaisques’ilavaitplaidénoncoupablec’estqu’ilavaitquelquechosequitiendraitlaroute,mais là, j’avouequ’ilabattu toutesmesespérances.Votrerelationonauraitpu lanier,onauraitpu lafaire tourner en amitié profonde qui unit deux victimes,mais aujourd’hui, après sa déclaration, aprèsvotreréactionàtouslesdeux,lesjurésnecroirontjamaisquetoutceciestunmensonge.—Iln’yapasderaisondementir,répondReagan,cequ’ils’estpasséentreVicetmoin’arienàvoiraveccequenousafaitCooper.Lespreuvessontlà,ilnousaviolésdurantquatreans,ilpaierapourça.Leprocureursecaledanssonsiègeensefrottantlevisage.—C’estlàoùtutetrompesmongarçon.Lesfaitssontunechose,lessentimentsuneautre.Jevaistedirecequ’avulejuryaujourd’hui.Ilsontvuunhommepropresurlui,quiprésentebien,quiestsûrdelui,quiaracontésonhistoireoùilaavouéavoireudesdéviancesavecdeuxjeunesgens.Ilainversélesrôles.Ilvousafaitpasserpourlespervers,ceuxquiontentraînécethomme,biensoustousrapportsdansleursnéfastesbesoinssexuels.Cequevousavezvécuensemble,là-bas,sidéjàvospropresparentsontdumalàl’accepter,imaginezcequeçareprésentepourquelqu’und’extérieuràvotrevie?Çanecollepas,lesenfants.Çanecollepasquandvousditesavoirétéviolésduranttoutcetempsetqu’aprèsonapprendquevouscouchiezensemble.Danslatêtedujury,onnepeutpasavoirenviedefairel’amourquandonsubitdesviols.LamaindeReaganbroielamienne,maisjeneressensriendetoutça.Jesuisglacéeàl’intérieurparcequejecomprendsdanslesparolesduprocureur.Onvientdepasserdevictimesàcoupables.Ettoutçaenquelquesparoles.—Quecomptez-vousfaire?demandelepèredeReagan.—Votretémoignageàtouslesdeuxseracapital.Jevousaiditqueceseraitdur,maisçaleseraencoreplus. On ne peut plus nier votre relation, on va donc en jouer à fond. On va faire en sorte que vossentimentsl’unpourl’autrenoussauventdecettesituationsinon…onpourraitperdre.Reaganlâchemamainetselèved’unbond,ilsedirigeverslaporte,maisleprocureurl’arrête.—Restelà,j’aibesoindesavoircertaineschoses.—Çanepeutpasattendre?répondReaganfroidement.—Non,dit-il,lebébé,j’aibesoindesavoircequ’ilestdevenuavantlecontre-interrogatoirededemain.Jecouinededouleurenpensantàcequ’ilvafalloirdireàceproposetReaganestderetouràcôtédemoi.—Jepeuxlefairetoutseul,dit-il,ellen’apasbesoind’êtrelà.

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Jelèvelatêtedanssadirection,ilatoujoursétéencolèredepuisquejel’airetrouvé,maisaujourd’huiilsembleprêtàexploseretilesthorsdequestionquejelelaisseseul.Jeprendssamain.—Non,dis-jeavecassurance,c’esttoietmoi.Onsubitensemble,onsebatensembleReagan.Ilmedévisagepeut-êtrequ’ilessayedevoirsijesuisprêteàparlerdecesujet.Jeneseraijamaisprêteàenparleretjenel’aijamaisfait.MaisavecReaganàmescôtés,jesuiscapabledetout.Jesuiscapablederevenirsurcettedouleur,jesuiscapabledel’expliqueretdemettredesmotsdessus.S’ilestlà,sisamainestdanslamienne,sisaforceestenmoij’enseraicapable,pourlui,pourcebébéquimemanquechaquejouretpournous.

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Chapitre29Reagan

8Juillet2016Lancaster,PennsylvanieUnefoisnosparentséloignés,jesenslatensionretomberunpeu.Jen’enaiplusrienàfoutredeleuravis.Ilsn’étaientpaslà,ilsn’ontpaseuàvivrecequ’onavécu.Nousavonsfaitdenotremieuxpoursurvivredanscemilieuhostile,alorscertes,nousn’avonssansdoutepastoujoursfaitlesbonschoix,maisnousn’étionsquedesgamins.Àdix-huitans,onneréfléchitpascommeunadultedevingt-huit.Nousdevions luttercontre tellementdechosesnéfastes,nousnepouvionspas luttercontre toutes. J’aichoisidenepasluttercontreVic,parcequejesavaisqu’àdeux,onsurmonteraitlereste.Jesavaisqu’ilyauraitcertainscombatsperdusd’avance,etceluiavecVic,étaitperduavantmêmed’endevenirun.Jeregardeleprocureurquiaconsacréunedécennieànotreaffaire,ilestdevenuplusqu’unhommedeloiauxyeuxdecertainsmembresdenosfamilles.Cethommequinousdéfendpourobtenirlajusticenousdévisage avec cemélange d’incompréhension et de déception. Il ne semble pas comprendre pourquoinousavonsfaitcechoix-là,pourquoinousavonsdécidédetairel’existencedenotrefils,quiluin’enapaseu.Qu’est-cequeçaauraitchangéaufond?Onauraitrajoutéunelignesupplémentairesurlalonguelistedeschefs d’accusation deCooper Truman,mais ça ne nous aurait pas rendu notre enfant. Ça n’aurait faitqu’augmenter la peinequi nous rongede l’intérieur.Çan’aurait servi qu’ànous fairepasserpourdesfous,desdemeurésquisonttombésamoureuxencaptivité.Lesgensnecomprendrontpasquecen’étaitpasprévu,ilsnecomprendrontpasquec’étaitsibondenepassouffrirquelquesinstants.Peut-êtreaurions-nousdûenparler,maisdixansaprès, le traumatismeestencore là,à l’époque,nousavionsnosraisons,desraisonsquejepartagetoujours.LamaindeVicserrelamienne,j’inspire,etlentement,jemelance,mavoixestrauque,ellenecachepasmacolèreetladouleurquejeressensenyrepensant.—Onaréussiàlecacherpendantcinqmoisenviron,avantqueçanecommenceàvraimentsevoir.—Etquandill’avu?mequestionneleprocureur,quandilavuqueVicétaitenceinte,qu’est-cequ’illuiafait,bondieu?!s’énerve-t-il.Je lefoudroieduregardpour lepresserdesecalmer,oùbienc’estmoiquivais lecalmeret jedoutequ’ilapprécie.

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—Avantdevousraconterça,ilyaquelquechosequejedoisvousdire.Viccroisemonregard,ellecomprendtoutdesuitedequoijevaisparler.Jen’enai jamaisparléavecelle, j’ai toujoursrefuséd’enfairemention,parhonte,etsurtout…surtoutaprèscequ’ils’estproduit.Ellebaisselesyeuxenserranttrèsfortmamain.La femme est commenotre fils, elle est secrète, et inexistante aux yeux de tous, comme aux yeux desmiens.—Vutatête,jedoutequecesoitunebonnenouvelle!lance-t-ilsèchement,encoreunsecret?S’ilsavaitcommecessecretsnousontcoûtésduranttoutescesannées.—Parfois,Coopern’étaitpasseul.Leprocureursefige,sonexpressiondevientextrême,lacolères’emparedeluiavecunetelleforcequ’ilendevientrouge.Unepartdemoicomprendsaréaction, ilabossésurunsujetqu’ilpensaitconnaîtredepuisdixans,etdepuisdixans,nousavons tunotre relation,caché l’existencedenotreenfant, etdecertainssévicesquinousontdétruits.—C’estuneplaisanterie?—Non,jerépondsenl’affrontantduregard.Leprocureurtapedupoingsursonbureaublindédepaperasse.—Jenecomprendspaspourquoivousm’avezcachéça!Vousnevousrendezpascomptetouslesdeuxdecequeçapourraitnouscoûterdanscetteaffaire?—Àquoiçaservirait?jerenchéris,pasunefoisnousn’avonsvudenospropresyeuxcespersonnes.—Ças’estpasséavecvousdeux?Jedétourneleregard,jeserremamainlibre,mamâchoiregrince.—Nonseulementavecmoi,j’explique.Seulementmoi.—C’estarrivéplusieursfois?m’interroge-t-ilpluscalmement.—Quelquesfois.—Pourquoitum’avouesçasisubitementmaintenant?Ilme lanceunregardsuspect,undeceuxqueseulunprocureurpeutvousdonner,parcequ’ilsaitquevousneluiditespastout.Alorscommentt’aspupasserdevantceschosessiflagrantes?Sommes-nousd’aussibonscachotiers?

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—Parcequeçaaurasonimportancepourlasuitedemonrécit,j’avoued’unevoixserrée.Le regard bleu deVic croise lemien, je n’aime pas voir cette lueur, celle quimontre qu’elle souffreénormémentdel’intérieur,maisquepoursauverjenesaisquoi,ellenelemontrerapasdavantage.Donne-moilaforcederevivreça.

***La journée a été rude, encore une fois, je ne pensais pas qu’elle le serait autant. Les autres le serontégalement, je nepensais pasqu’on aurait à supporter un tel élandehainede lapart desgens, denosprochessurtout.Leprocèsestensuspenspourunesemaine,letempsqueleprocureurréorganisesonapproche.Suiteàmesrévélations, iladécidéd’ouvriruneenquêtepouressayerdetrouvercettefemme.Mais jedoutequ’il trouveragrand-chose,Coopersaity fairepourplanquersescomplices,aucuneenquêten’aréussiàtrouverceuxquinousavaientenlevés.Pas de doute, nous allons comparaître devant le juge et les jurés.Nous allons devoir répondre à unelonguesériedequestions,denotrecampetducampadverse.Onparledenouspartout,àlatélélocale,danslesjournaux,onpassepourdesfous.Troisfous.Certainsdemandent l’annulation du procès, d’autres notre « tête sur un piquet » pour avoirmanigancé tout ça.L’opinionpubliqueestpartagée.Qu’est-ceque je l’emmerde. Je lesemmerde tous, ilsnecomprennentpas.AvecVic,onvitrecluschezmoi.Aprèsnotreconversationavecleprocureur,elleétaiteffondrée,etmoiaussi.Remuer tout ça, devoir raconter quelque chosequ’on a jamais raconté à personne, ymettre desmots,desexplications,estsansdoutel’exerciceleplusdifficileàfaire.Jen’aipaspleuré,pasuninstantdevantleprocureur,nimêmedevantVic,maiselleoui.Ellen’apaspuretenirseslarmes,etcettedouleurquedoiventressentirtouteslesmèresquiperdentunenfant.J’ai attendud’être seul, sous ladouche,pourm’effondrer, pourhurler cettedouleurquimebroyait del’intérieur.Elleétaitenfouiesiprofondément,quemonesprit l’avaitpresqueoccultée.Pourmonbien,pour survivre à ce trou béant dans ma poitrine, mais maintenant, le barrage chute. Et ça fait mal,terriblementmalderevivreça.J’ai beaucoup demal àme reposer, Vic est chezmoi depuis trois jours. Je la regarde dormir enmedemandant ce qu’on a fait pourmériter d’être traités de la sorte.Nos parents ne nous ont pas encoreadressélaparole,jen’attendsriend’eux,mêmepasleurpitié.Ilssontencolère,maiscontrequi?Contrequoi?Quellessontleursraisonsd’êtredanscetétat-là?Sansdoute,lefaitqu’onaitgardécesecretpournous,lesdétruit.Parfois,mieuxvautignorerlavéritéquedesouffrirenlaconnaissant.Jesaisdequoijeparle.J’ignorequelleheureilestlorsquejesensVicremuerdansmonlit,soncorpsestblotticontrelemien,presquenu.Nousn’avonspasreparlédecesdeuxlonguesheuresdanslebureauduprocureur.Jen’enaipaslecourage.—Reag?—Oui?—J’aiunequestion,chuchoteVicdanslanuit.

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—Pose-la,jerépondsdoucement.Ellehésiteuninstant,avantdeseredresserdansmesbraspourcroisermonregard.Dansl’obscuritédelanuit,j’aidumalàlavoiravecclarté.—Tuvoudraisdesenfantsunjour?medemandeVicd’unevoixpresqueinaudible.Sa questionme surprend, je nem’attendais pas à ça, je ne pensais pas qu’onpourrait parler futur, oumêmesuggérerqu’ilyauraitunaprès,aprèstoutça.—Jenesaispas,j’avoue.Cequ’onavécum’amarquéàjamais,etj’ignoresijepossèdelecouragesuffisantpourrevivreçaunesecondefois.—Pourquoicettequestion?jel’interrogeàmontourpourchassermespensées.Pourquoiellemedemandeçaenpleinmilieudelanuit?—Parcequejen’arrivepasàm’imaginerunjourdanscerôle-là,meconfie-t-elle.Parcequecen’estpaslemomentd’ypenser.Parcequeçafaittropmal,parcequ’onvienttoutjustederemuertouscesmauvaissouvenirs.—Jen’arrêtepasd’ypenser,Reag.Jen’arrêtepasdemedirequ’onauraitpuavoircepetitgarçon.Jemedemandequelleseraitlacouleurdesesyeux,celledesescheveux,lesondesavoix.C’estétrangedesavoirquenotrefilsn’estplusunsecret…Jel’avaisenfouisiprofondémentenmoi,qu’ypensermefaitsimal.Savoixs’étrangle,jefermelesyeuxenresserrantmapriseautourd’elle,enlaissantcoulerceslarmesqu’ellenevoitpas.Moiaussiçamehante,cetavenirqu’onauraitpuavoir,maisdontilnousaprivés,aveclui.—Jemedisaislamêmechose,jesouffle.—Est-cequ’onauraitdûleurdiredèsledépart?Qu’ons’estaimécommel’humainrespirepourcontinuerdevivre?Quedecetamourestnéunenfant?Jenesaispas, jenesaispluscequ’il fallait faireoupas,cequ’il fallaitdireounon.Cequ’il fallaitcacherettaire,oubienrévéleraurisqued’allumercetteétincelleprêteàtoutfaireexploser.On l’a protégé. On a protégé notre fils de l’avis malsain des autres, on a protégé sa mémoire, sonexistencedesespritsétroitsdetousceuxquin’auraientpascompris.Onl’aprotégécommeonnepourrasansdoutepasprotégernotreamour,c’estunfait,c’estcequejemedis alors que je vois, j’entends la haine qui se déchaîne à l’extérieur. Les gens sont cruels face auxsituationsqu’ilsnecomprennentpas.

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—Vic,regarde-moi,jemurmuredoucement.Elles’exécute.Monpoucecaressesajouedoucequiasupportétellementdelarmessalées.Jeconfirmequ’ilesttellementdouloureuxdel’aimer.Jeconfirmequeçamefaitmaldelavoirsieffondrée,devoirceslarmesdenouveau,cellesdelasouffrancequinesontpaspareillesparrapportauxautres.—Jeneregrettepasuninstantquenotrefilsn’aitétéqu’ànous,jeluiconfie.Regardecequelesgensenpensent,regardelemalqu’ilsfontmaintenantqu’ilssavent.Jeneregrettepasd’avoirprotégésamémoiredetoutecettehaineetdetoutesleursincompréhensions.—Ets’ils’ensort,Reag?Etsiàcausedenotrechoix,ils’ensort?m’interrogeVicensanglotant.Les larmessefontplus intenses,soncorps tressaute, je laprendsdansmesbraset laserreavecforcepourlaconsoler.—Jeteprometsqu’ilpaiera,quecesoitdelamaindelajustice,oudelamienne,ilpaierapourcequ’ilnousafait.Àtoi,àmoi,et…àlui.

***Quelquesjoursplustard…—Tum’endonnesune?Jemetourneenvoyantmasœurs’asseoiràmescôtés.Ellem’ainvitéchezellepourdiscuter.Ellehabitedanslamaisondenosgrands-parents,ilyaunpetitjardindel’autrecôtéoùjemerappelleavoirjouédurantdesheuresavecellelorsqu’ellen’étaitqu’unpoussin.—Becca,jesoupireentirantsurmaclope.—Reag.Ellemefaitdesgrosyeux,et jecapitule.Jen’aipasenviedemebattrecontrequoiquecesoit.Jeluitendsmonpaquet,elleattrapeunecigaretteainsiquemonbriquet.Ilfaitnuit, l’airdevientdeplusenpluschaud.Delamaisondenotreenfance,onpeutvoirlesétoiles.J’aime la nature, à défaut d’avoir pu sentir sa présence autour demoi durant quatre ans, j’en profitedésormais.Àchaqueinstant.Quelquesminutespassentdansunsilencetendu,quelquesminutesoùjepenseàVicquiestretournéechezsesparents,sonfrèreaimeraitlavoirégalement,etjeredoutequeçasepassemalpourelle.Quandjel’ai quittée ce soir, elle était toujours aussi bouleversée, et je n’aime pas ça. Surtout en pensant quedemain,nousseronsderetourautribunal.Demain,jeserailepremieràparler.

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—Pourquoitunemel’asjamaisdit?demandemasœurdoucement.Cen’estpasunreproche,Rebeccaesttoujoursaussidouce,etjamais,ellenesepermettrademejuger.Elleestbienlaseule,nosparentsnesesontpasgênés.—Pourquoij’auraisdûlefaire?C’étaitmonfardeau,madouleur,tun’avaispasàlesupportertoiaussi,jesouffle.Lafuméedecigarettecouvrel’expressiondemonvisagefermé.Jemesuisenfermédavantage,j’imposeuneexpressionrigideetsévère.Jeveuxquelesgensn’osentplusnousbalancerdeshorreursenpleinegueuleparpeurdemaréaction.J’emmerdelesjournauxetlesconnardsdanslarue.—Enas-tuparléseulementàquelqu’unduranttoutcetemps?Auxpsys?poursuitRebecca.—Non,j’aiapprisàfairecedeuiltoutseul.—Reag…Savoixestdouloureuse,etjen’aimepasça.Mapetitesœurdevingt-deuxansn’apasàsupporterçanonplus.Elleesttropdouceetgentille,elleméritetellementmieuxquelesfardeauxdesonfrèreainé.— J’avais dix-huit ans, j’étais amoureux autant que je souffrais de la situation. Ce n’était pas prévu,d’aimerVic,de…faireplus.Maisdansladouleur,onatrouvécommentl’apaiser.Etcetenfant…Mapoitrineseserre,jetireavecplusdeforcesurmaclope.—Lesautresnecomprennentpas.Ilspensentquec’estdégueulasse,qu’onnepeutpasaimerquelqu’undanscettesituation,maisilsnepeuventpasimagineruneseulesecondecequeçafaitdevivrecequ’onavécu.Etpeut-êtrequelorsquelesgensignorantsarrêterontdedonnerleursavissurtoutetrien,peut-êtrequ’onauraunechancedesurvivredanscettejunglerempliedeleurputaindebonsens.Rebeccaposeunemain surmonbras, jeme tourneversellepour la regarder.Sesyeuxbleusabritentcettelueurquinemeplaitpas.Elleadelapeinepourmoi,maiscen’estpasdelapitié.—Tun’aspasàêtreseul,chuchote-t-elle.—Pourtant,jemesensseul,jesoupire.—Jesais,maissachequ’onnepourrajamaiscomprendretotalementcequetuasvécu,parcequepourlecomprendre, il faut levivre,etnousn’avonspaseucettemalchance. Jenemepermettrai jamaisde tejuger.Rebeccaposesa têtesurmonépaule,monbrass’enrouleautourdessiennes, j’acceptesonétreinte,ceréconfortqu’ellem’offresansenattendreplus,sansjamaismelereprocherparlasuite.C’estunangequiarriveàmecomprendre.

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—Tu as fait ce que tu as pu, ne regrette pas tes choix,même si certains semblent étranges pour nosparents,oupourlesautres,ceschoix-là,ilst’ontramenéànous.Sanseux,sanscesépreuves,peut-êtreque tu seraismort à l’heure qu’il est.Alors si tomber amoureux deVic t’as sauvé, je ne peux que laprendredansmesbraspourlaremercier.Etsipapaetmamanleprennentmal,tantpis,c’estqu’ilsn’ontriencompris.Maismoijetecomprendsetjetenaisàteledire.J’embrasselehautdesoncrâne,sescheveuxnoirscommelesmiens.Jelaserrefortcontremoi,jeprendstoutcequ’ellemedonne,jeprendssonsoutiendontj’aitantbesoin.Masœur,monalliéedanscettebataille.—Çavaallertuvasvoir.Jeluioffreunsouriretristequ’ellenevoitpas.—J’aimeraisquecesoitaussisimple.SaufquejecroisbienqueCoopervagagnerunesecondefois.Ilausédupirestratagème,etconnaissantmonmétier,connaissantunecentained’affaires,sicen’estpasplus, jesaisqu’auxÉtats-Unis,unpetitrienpeutfairebasculerunprocès.Ilsepourraitquecepetitrien,quin’estqu’ungrosboumpournous,soitl’élémentquipourraittoutfairechanger,etça,çajen’yavaispaspenséquandonaprisladécisiondenepasparlerdenotrefils.Envoulant enterrer undisparu, on a protégéunmonstre, et ça va se retourner contre nous. Je le sais,j’espèrejustequelajusticeferasonboulot,maismêmeça,aprèsplusdecinqansàétudierlesprocès,jesaisquecen’estpastoujourslecas.

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Chapitre30Vic

Début2006J’observemonventredanslemiroirdelasalledebain,ilestgrosetrond.Commeunegrossebossequineveutplussecacher.Cequ’ilyaàl’intérieurveutsemontrer,ilveutdirejesuislàetjesaisqu’ilestlà.Ilbouge,lanuitilnefaitqueça.J’aimecettesensation,sentircetteviequiprendformedansmonventreetquicommenceàêtreàl’étroit.Pourtantjenesuisenceintequedecinqmois.Cinqpetitsmoisquisontpassésdifficilement.Reaganafaitsonpossiblepourm’épargnerCooperetçaamarchéjusqu’aumoisdernieroùTrumanadûenavoirmarredejoueraveclui.J’aivomitripesetboyauxsurluiquandilestmontésurmoi.Jeneveuxpasqu’ilsalissemonbébé,jeneveuxpasqu’ilmeviolealorsquejeportecetenfant.MaisCoopernelesaitpas,ilm’aseulementfaitremarquerquej’aigrossietquej’aiplutôtintérêtàfairedu sport avecReagan si je ne veuxpasqu’ilm’affameenplusdu reste.Pourtant il aquandmêmeabusédemoi.Riennel’arrêteramêmesijeressembleàunebaleineilmeferadumal.Reaganestanéantiparça.Ilavaitdéjàcetinstinctdeprotectionenversmoi,maisdepuisquejeportesonenfantils’estdécuplé.Jesouriscommeàchaquefoisquejecomprendsquejeportel’enfantdeReagan,celuidenotreamourétrangeetsûrementincompréhensible,maisquej’aimepar-dessustout.Mesmainscaressentmonventreenimaginantcebébé,sonvisageaveclemêmesourirequesonpère.Ilseramagnifique.Illeserasionarriveàsortird’icirapidement.Moncycle s’est terminéhieretCooperdevraitvenirpourmoiaujourd’hui. JemecoupeetReaganaussi pour simuler mes règles que je n’ai plus, jusqu’ici tout ce stratagème fonctionne, mais monventrejenepeuxpluslecacher.Nueonnevoitqueça.Reaganentredanslasalledebain,ilseplacederrièremoietsesmainsviennentcaressermonventretendrement.J’observesonvisageposésurmonépaule,danslemiroir.Iladelargescernessouslesyeuxet lestraitstirés.Ilnedortquasimentpas, ilréfléchitets’inquiètetrop.Jen’aimepaslevoircommeça,jen’aimepaslevoirsouffriràcausedecettesituationtropcompliquéepournosépaules.Cetenfantonnel’apasvoulu,cetenfantnousfoutunpeuplusdanslamerde,maisàprésent,aprèscinqmoisàlesentirenmoijesaisquejenepourraispasvivresanslui.EtReaganaussi.Lanuitilvientdansmonlit,ilseglissederrièremoi,sesmainssurmonventrependantquelebébéfaitsescabriolesetjelesenssourirecontremanuque.Cesontnospetitsmomentsdebonheur,ceuxoùl’onpourraitêtreheureuxdedevenirparents.Maistropviteilsdisparaissentpourlaisserplaceàl’inquiétude et aux questions qui n’ont pas de réponses ou si elles en ont, elles ne sont pasacceptables.Lapirec’est,que feraCoopers’il leremarque?Jen’osepasypenser, jenepeuxpasparcequesacruautéestpirequetout.

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—Jenepeuxpluslecacher,jelanceensoupirant.Reaganenfouitsonvisagedansmescheveuxenresserrantsaprisesurmonventre.—Jeferaiensortequecesoitmoi.—Non,dis-jeenmeretournant.Ildevientl’ombredelui-mêmeàforcedesesacrifierpourmoietjeneveuxpasqu’ilsubisseencorejenesaisquoiqueCoopervatrouverpourluifairepayersoninsolence.C’esttrop.—TunepeuxpassubirçaàchaquefoisReagan.Je prends son visage entremesmains, pour qu’ilme regarde. Je retiens les larmes à la vue de cevisagequej’aimetellement,êtreaussiabattu.—JeneveuxplusReagan,jeneveuxplus…—Onn’apaslechoix.Jelerelâcheenreculant.—Non.—Vic…Jesecoue la têtede toutesmes forces, jenepeuxpas le laisserencoresouffriralorsqu’ilyadeuxjoursquandilestrentréilnetenaitmêmepassursesjambes.—NonReagan,nonc’esttrop,tu…tunepeuxplussubirpourmoi!J’enfileunt-shirtetsortdelasalledebain,enréfléchissantàunesolutionautrequeluioumoiquisubissonsencorelesdésirsdétraquésdeCooper.Pourtantonnefaitqueça,réfléchiràunesolution,Reaganpasse son tempsàéchafauderdesplansquimalheureusementn’aboutissentà rien.Mais jesuissûrqu’unesolutionestpossible,jeveuxycroire,jeveuxmedirequ’aprèsplusdetroisansici,onvafinirpars’ensortir.Reaganmerejointdanslachambre,énervé.—Jeneveuxpasqu’iltetouche,ilreprendunefoisdevantmoi,tucomprends?JeneveuxpasVic!Jeledévisage,samâchoiresecrispeetsafatiguesedissipesoussacolèregrandissante.Malgrétoutilrestefort,ilessayedemeprotégerdetoutça,maisiloubliequ’onestdeuxàvivreici,àavoirfaitcetenfantetqu’iln’apasàsesentirresponsabledetout.—Jepeuxsurvivreàça,maispassic’esttoiVic.

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—Ettucroisquemoijepeuxsurvivreensachantcequ’iltefait?Tucroisquejepeuxsupporterdetevoirrentreraveccesmarquessurtoncorps?!Tucroisqueçamefaitquoidetevoirtesacrifierpourmoi!?Jecrieetpleureenmêmetemps,jesuisencolèredetoutcequinousarriveetqu’onnepuisserienfairecontreça.Lafrustrationd’êtreinutilemebouffedel’intérieuretaufinaljesuiscommeReagan,jepeuxsurvivreauxattaquesdeCooper,maispasàladétressedeReagan.Ilm’attireàluietjemelaisseallerentresesbrasenleserrantautantquepossible.Cettesituationdevientinvivablepournousdeux.Onpourraits’habituerauxsévices,etparfoisc’estlecas,onn’estplus qu’une enveloppe de chair entre ses mains, nos esprits ont compris comment se protéger ens‘évadant,c’est leseulmoyenpournepasdevenirfous,maisplusmaintenant.Maintenantilyaunêtre innocentdansmonventrequinedoitriensubirde toutça,quin’ariendemandéetque j’aimetroppourluiinfligercemal.—Vousêtesmafamille,lanceReaganlavoixlourde,luiettoivousêtesmafamille.JenepeuxpasvouslaissersubirçaVic,jenepeuxpas…Sonvisagevientseposerdansmescheveux,jeleserreenécrasantmonventrecontrelui.Sesmotsmebrûlentdefiertéetdedégoûtàlafois.Jeveuxêtresafamillecommeilestlamienne,maisjeneveuxpasqu’ilensouffre.—Onn’apluslechoixVic,ilvalevoir.Jegémisensachantqu’ilaraison,maisjeneveuxpaspourautantqu’illuiarrivedumal.—Ilfautqu’onparteReagan.—Jesais.Jerajoutede lapressionsursesépaules,maiscommeil l’aditonn’aplus lechoix.Soitonse faitprendre,soitons’enfuit.Voilànosseulesoptionsensachantquelasecondeestimpossible.Ilnelaissejamaisrienauhasardetceschaînesànospiedsnouspriventdeliberté.Jem’écartedeReagan,onestcoincéetj’ignorecommentfairepournoussortirdelà.Chaqueminutequipassenousrapprochede l’inévitableet jedonnerais toutpourarrêter le temps.Pourgardercebébédansmonventre, invisiblede toussaufdeReaganetmoi,pourqu’ilpuisseêtreensécurité letempsqu’ontrouveunesolution.Maisonnepeutpasarrêterletempsetlebruitdelaportequis‘ouvremelerappelleamèrement.Cooperfaitsonentréedanslachambre,jesuistétanisée,Reaganàmescôtésareprissonmasquederagecequiamusenotrebourreau.—Tuvasencoretenterdel’épargner?ildemandeenriant.Reagan se place devant moi, me masquant Cooper par son corps, devenu plus imposant. Il aréellementchangédepuisqu’onest làet ce sportqu’ilpratiquedeplusenplusa sonutilité. Il luipermetd’êtreplusfortetdeseprépareràaffronterCooper.Il s’avance jusqu’à ce que son torse frôle Reagan qui ne bouge pas, résigné, courageux etcomplètementfouselonmoi.Ilval’énerveretceserapireaufinal.

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—J’aimebienquandtufaistonsuperhéros,çamefaitbander.Jereculeenvoyantleregardsombrequ’ilenvoieàReagan,latensionqu’ilyaentreeuxn’annonceriendebonsurtoutdelapartdeReaganquijelevoisseretientdelefrapper.—Alors,allons-y,dit-ild’unevoixtendue.Cooper semet à rire, sa tête part en arrière et la peur s’insinue enmoi. Elle brûlemes veines etcontractemonventrecequim’envoiedesourdesdouleursdansmonutérus.JemecourbeendeuxetjesensleregarddeCoopersurmoi.Reaganvientprèsdemoietmesoutiensalorsqueladouleurmefusilleenbasduventre.—Qu’est-cequ’ellea?demandeCooper.—Vic,chuchoteReagan,jet’enprieredresse-toi.Je m’appuie sur son avant-bras, la douleur arrive par vagues et je me redresse avant qu’elle nereprenneententantderentrermonventre,maiscen’estpasunpeudegraissequej’essayedecacher,c’estunbébé.— J’ai mangé un truc pas bon, je réponds à Cooper qui m’observe alors que je tente de ne pasm’écroulersousladouleur.JeserrelebrasdeReagan,mesdoigtss’enfoncentdanssapeau,pendantquelavaguepasseàm’enfairepleurer.Jerestedeboutensoufflanttantbienquemal,matêtetourneetjenesensriendebonarriverquandCoopers’avanceversmoi.IlrepousseReaganetjemeplieendeuxdedouleur.ReagansejettesurCooperjelesentendssebattreetjetombeàterre.J’aimal,tellementqueçameprivedecequisepasseautourdemoi.Mamainseposesurmonventre,lebébénebougepasetpourtantc’estcommes’ilyavaituntsunamidansmonutérus.J’aipeur.Peut-êtrequ’illuiestarrivéquelquechose,peut-êtrequejesuisentraindeleperdreet je regrette de ne pas avoir suivi ce foutu cours en sciences qui parlait de la grossesse. Je n’yconnaisrien!Jenesaispassitoutçaestnormalousijedoism’inquiéter.—Reagan…jelancetoutbas.Jerelèvelesyeuxpleinsdelarmesdedouleursurleurscorpsquisefrappentl’unl’autre.J’entendsdesgémissementsdedouleurpuisdesbruitsd’osqu’oncraque.Jecomprendstroptardquec’estmonbrasquifaitcebruitquandCoopermesoulèveetmeletordsidurementquemonosvientdesebriser.Jehurleetladouleursurplombecelledemonventre.Elleesthorribleetjelalaissesortirencriant.Je n’essaie pas de me débattre j’en serais incapable tellement j’ai mal. C’est partout et j’ail’impressiondemourir,maisrienn’estfini.Coopermeretournecontrelui,ilsoulèvemont-shirtetsesyeuxseposentsurmonventre.—Salope!ilcrieavantdemegifler.Moncorpstombeausol,jesuisétourdieetj’aimal.

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—Tul’asmiseenceintepetitenfoiré!Jetentedemerelever,maismonbrasmefaittropmaletmonventremeplieendeuxquandj’essayedemeredresser.J’entendsdesbruitsdecoups,maisjenevoisrien,mavisionesttroubléeparleslarmesetladouleur.Matêtetourne,unassourdissantgrésillementsonneàmesoreillesetjenesaismêmeplusoùjesuis.Laseulechoseque jesensc’estReagan. Ilest là,quelquepartprèsdemoiet jemerassureenmedisantquejenesuispasseule.Jesuispliéeendeuxsurlesolenessayantdecalmerladouleurdemonbrasquial’aird’avoirtriplédevolumeetcelledemonventre.Jesuisdansuncauchemaroùlasouffranceestpartoutetjenepeuxrienfaire.Onmesoulève,jepensequec’estReagan,maisjel’entendscrierderrièremoi.MachaînetombedemachevilleetonavanceetjecomprendsqueCooperm’emmène.Jen’aiplusdeforce,plusdecourageplusrienetlenoirm’envahit.

***J’ouvre les yeux en criant lorsqu’une douleur fulgurante contractemon ventre. Je tente de bouger,maistousmesmembressontattachésetjenevoisrien.Mesyeuxsontouverts,maisonamisuntissusombredessus,jenedistinguepasoùjesuis.Onpassequelquechosedefroidsurmonventreetj’entendsdesvoixàcôtédemoi.Monbrasintactmelancecommesionm’avaitinjectéquelquechosedanslesang.—Elleestréveillée,lanceunevoixféminine.Elle me paraît lointaine et pourtant je la sens proche. Je commence à reprendre de plus en plusconscience.Ilsontdûmedroguer.J’aienviederire,j’ignorepourquoi,maisjetrouveçahilarantqu’ilme shoote pour agir alors queCooperme viole des centaines de fois sans s’occuper de ce que jeressens.Monespritreprendlucidité.C’estétrange,j’ailasensationdenepasêtredansmoncorps.Commesimessensavaientdisparu.Jenesenspresqueplusladouleurdansmonbrascassé,maistrèsvite,lessensations reviennent, et la souffrance aussi. Mon ventre se contracte à nouveau, ça fait mal.Terriblementmal.—Écoute-moibiensalope…LavoixdeCooperquirésonnedirectementàmonoreillemefaitsursauter.—Cetrucdanstonventre…ilcommence,maisestinterrompuparlafemme.—Ungarçon,cinqmois,dit-elleenappuyantsonappareilsurmonventre,enparfaitesanté.—Rienàfoutrequ’ilsoitenparfaitesanté,ilvadégager!crieCooper.

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Jemefigeencomprenantcequ’ilraconteetcequ’ilvasepasseralorsquejesuispiedsetpoingsliés.—Non…jechuchoteavantdecrieretdecommenceràmedébattre.Ladouleurdemonbrasrevient,maisjen’enairienàfoutre.Ilvaprendremonbébé,ilvaletueretjedoisl’enempêcher.Jecrie,jemedébats,Coopermegifle,maisjecontinue.Mesjambessontécartéesetattachéespar jene saisquoi,mais je réussisàendéfaireune.Ellepartdans tous les senspourfrapper tout ce qu’elle peut. J’entends des bruits métalliques, des injures, on me frappe, mais jecontinueprised’unefrénésieinstinctivequimehurlequejedoismetirerdelàsijeveuxsauvermonbébé.Etjeleveux,jeneveuxqueça,qu’ilrestedansmonventre,qu’onmelelaisse.Majambelibreestrattrapéeetdenouveauattachée.Moncorpsacommedesconvulsionspoursetirerdelà,maisrienn’yfait.—Çasertàriencequetufais,lancelavoixféminine,onvaquandmêmet’avorter.—Non!jehurle,jenevouslaisseraipasfaire!Cooperrit,ilestàcôtédemoietsamainsaisitmonvisagepourletournerverslui.Jenevoisrienetpourtantj’imaginesonsouriresatisfaitdemevoiressayerdelutterenvain.—T’eslàpourtefairebaiserespècedesaleputain,parpourpondredesmarmots.Ilposedurementsabouchesurlamienne,j’essayedelemordreetilrit.—Gardeçapourlaprochainefoisquetuteretrouverasdansmonlit.Jedégagemonvisagedesamainetcontinuedemedébattremalgréladouleur.Jel’entendsdemanderdes explications à la femme. Cette dernière lui dit que mon col est suffisamment dilaté avec lesmédicaments,etqu’elleestprêteàagir.Jelutte,poursentirencorecetteviegrandirenmoi,pourlesentirmedonnerdescoupsetmêmemefairemal.JemebatspourReagan,pourtoutcequ’onasubijusqu’icietcebébéquinousdonnaitunenouvellelueurd’espoir.Jemebatsparcequejel’aime.Jel’aimedetoutesmesforcesmêmesijenel‘aijamaisvu,mêmesijen’aijamaisentendulesondesavoix,c’estmonfils.Jesensquelquechosede froidentrerdansmonvaginetdesbruitsmétalliquesrésonnentautourdemoi.Jemedébatsdeplusbelle,maisCoopermaintientmonbassinenappuyant soncorpssurmonventre.—Vousvousêtesbienfoutusdemoitouslesdeux,etvousallezpayerpourça.J’arrêtedemedébattreencomprenantqu’ilestvexédes’êtrefaitavoiretjetentedemeracheter.—Jesuisdésolée,jelance,maisnefaitespasça,s’ilvousplaitnefaitespasça.Leslarmescoulentsouslebandeauquicouvremesyeuxetmoncorpstrembledepeur.—Supplie-moi,peut-êtrequejepourraisfairequelquechosepourtoi.

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—Jevousensupplie,laissez-le,jevousensupplie…Maphraseseterminedansuncriquandjesensqu’onm’étireàl’intérieur.C’estencorepirequeladouleurquej’airessentieprécédemment.Monventreseserre.Lasouffrancesediffusedanstoutmonêtre.C’estcommesionm’écartelaitdel‘intérieur.—Çafaitmal?ricaneCooper,j’espèrebienqueçafaitmal,çatepasseral’enviederecommencer.—Non,dis-jeentredeuxcrisdedouleur,jevousensupplie,jeferaitout…Jehurledenouveaupuis touts’arrête,plusd’étirement,maisunedouleursourdequibatdansmonventre.Lebébésemetàbougeretjepleure.Jepleureparcequejesaisquequoiquejedisec’esttroptard,onvameleprendre.Puis c’est le calme en moi. Mon fils ne bouge plus. J’entends un bruit étrange une sorte devrombissementpuisqu’onm’insèrequelquechose.—Disadieuàtongosse,salope,ilvapartiràlapoubelle.Jepleureensentantlaviequ’onacrééeavecReagansefairesortirdemonventre.C’estcommesionledécollaitdeforce,etc’estlecas.Onledélogedesamaison,desafamille,onmeprendlamienne.Cepetitêtre innocentse faitaspirerhorsdemoncorpset jenepeuxrien fairepour l’empêcher.Jesubis une fois de plus la volonté cruelle de notre bourreau.Mais si j’arrive àmemaintenir à flotmalgrétout,siReaganmeraccrocheàlavieetàl’espoir,aujourd’huijen’enaiplus.Ilpartavecmonenfant, ilestaspirédanslevide,parceboucherquimeprivedeceàquoijetenaisleplusetjenem’enrelèveraijamais.[3]

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Chapitre31Reagan

17Juillet2016Lancaster,PennsylvanieJeterminedejurersurlabiblequecequejem’apprêteàdireseralapurevérité.J’agismachinalement,sans réfléchir, sinon, je quitterais cette salle pleine demonde pour ne pas avoir à raconter l’histoiretragiqued’unemauvaisecopiedecelledeRoméoetJulietteenplussombreetpathétique,l’histoiredeReagan et Vic, les deux amants maudits qui n’auraient pas dû tomber amoureux. Notre récit ne seterminerapasparunsuicideinjusteàladagueetaupoison,maisparunlynchagesurlaplacepublique.Nousfaisonspartiedececélèbreclubdesamoursinterdits,oùs’aimerestuncrime.Dansnotrehistoire,noussommestoutsimplementlesvictimes.Le procureur se lève une fois tout le monde installé, il va me poser quelques questions préparées àl’avance,iln’yaurapasdesurpriseaveclui,parcontre,avecl’avocatdeladéfense,jem’attendsàtout.Jesuisprêt,tendu,maisprêt,jemerépètesanscessedenesurtoutpasmetournerversVicquimefixe.Jesens son regard surmoi, et ce silencepesant dans la salle d’audiencede ceuxqui attendent la vérité.Toutelavérité.—Mesdamesetmessieurslesjurés,cematin,vousallezentendrelerécitauthentiquedel’undesdeuxtémoinsdecesévénements.ReaganKaneaétéenlevéalorsqu’ilrentraitchezlui.C’enestsuiviquatrelonguesannéesoù ilasubidenombreuxsévicesetblessures.ReaganKaneavaitquatorzeans lorsquetout a commencé, il n’en avait que dix-huit quand tout ceci s’est terminé. Reagan Kane n’était qu’unadolescent qui vivait une situation de survie, où parfois, certains choix ont dû être faits, ou parfois,d’autresauraientdûsefaire.Mesdamesetmessieurslesjurés,cematin,jevousdemanded’êtreattentifs,carvousallezassisteràl’undestémoignageslesplusimportantsdetoutceprocès.Leprocureurcommenceàmeposerlesquestionsdebase,est-cequej’aibienétéenlevécejour-là,quelsétaientlescirconstances,mapremièrerencontreavecTruman,notrequotidien,legenredechosequetoutlemondesaitdéjààtraverslerécitd’autrespersonnes,dontceluidel’accusé.Jerépondsaveccalmeetdefaçonconcrète.Puisvientlevifdusujet,cequetoutlemondeattend:lavéritésurnotrerelation.Ilvafalloirl’expliquersanslaisserparaîtrelamoindrehésitationquipourraitameneràdessoupçons.C’estlàquejecommenceàêtrenerveux.Jeregardeleprocureur,cederniermedemandeaveccalme:—Avez-vouseuunerelationavecVicKristensen?

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—Oui.—Quelgenrederelationaviez-vous?poursuit-iltoujourssurlemêmeton.Jeserremespoingsennejetantaucunregardautourdemoi.SijevoisVic,jevaishésiteretperdrecetteexpressionfigéequej’affichedepuisquejesuisassisici,àcôtédujuge,surcetteplaceenhauteurquidominel’ensembledutribunal.— Je suis tombé amoureux d’elle, c’était beaucoup plus que de l’amitié.Vous savez lorsqu’on passequatreansenfermésdansundeux-pièces,vingt-quatreheures survingt-quatre, sept jours sur septavecuneseuleetmêmepersonne,deslienssecréentobligatoirement.—Vosrelationsétaientplusqu’émotionnelles?Ellesétaientégalementphysiques?préciseleprocureur.—Oui.—Vousauriezpun’êtrequedesimplesamis,alorscommentexpliquez-vousquedansdescirconstancesaussi tragiques, vous puissiez entretenir une relation amoureuse et physique avec mademoiselleKristensen?Lesquestionssonttoujoursposéesavecuncalmequeseulslesmembresdelajusticepeuventavoir.Jetentededissimulerlatensionquimegagne,j’ail’impressionquec’estmonprocès,etmêmeensachantquereconnaîtrecertainsfaitsnoussauverapeut-être,êtrejugédelasortem’agacefortement.—Pouvezm’expliquerpourquoil’eauesttransparente,pourquoil’herbeestverte,pourquoilesoleilselèveàl’estpoursecoucheràl’ouest?jelâcheavecunsoupçond’arrogance.Leprocureuresquisseunlégersourire.—Non.—Ehbien,jen’expliquepascommentjesuistombéamoureuxdeVic.Jelesuis,toutsimplement.J’aiapprisàlaconnaître,elleestd’aborddevenuemonamie,monsoutiendanscesmomentsdifficiles,uneprésenceavecquijem’entendaisbien.Lesmoisontpassé,Vicétaitlàlorsqueçan’allaitpas,elleétaitlàpourm’offrirdu réconfort,un soutien,desmots,ducourage.Elle était cet éclatde lumièredansnotreobscurité.Monancrepournepasdériver,mabouéepournepascouler,mapierrepournepasm’envoler,ma bouffée d’air frais pour respirer, la personne quime faisait croire qu’un jour, un lendemain seraitmeilleur.Sijesuisencorevivantaujourd’hui,assisàlabarrepourtémoigner,jeledoisàMademoiselleKristensen.Ellen’étaitpasseulementmonamie,elleaétélafemmedontjesuistombéamoureux,cellequim’adonnélecouragedesurvivremêmequandçan’allaitplus.Jeluidoistout,etjenedevraispasavoiràmejustifier.Cen’estpasuncrimed’aimerquelqu’un,maisc’estuncrimedebriserquelqu’unquevousaimezseulementpourça.CooperTrumannousadétruits,iln’aaucuneexcuse,ettoutcequisortdesabouchen’estquemensonge.Parcontre,jepeuxvousexpliquercommentons’accrochepoursurvivrelorsqu’onestdeux.Jepeuxvousexpliquerquelalutteestplussimplelorsqu’onestdeux.—Vousavezbienmentiencachant lanaturedevotre relationet l’existencede lagrossesse,comment

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êtes-voussûrsqu’ilnes’agissaitpasdel’enfantbiologiquedeMonsieurTruman?—Laseulechosedebienqu’afaitCooperétaitdeprotégerVicd’un…accidentcommecelui-ci.Cequejen’aipasfait.—Ilétait trèsàcheval là-dessus, jereprends, ilnevenaitpas lavoirquandilyavaitunrisquede lamettreenceinte.Audébutdenotrecaptivité,Trumanaobservésescycles,ilajouéunjeuperversquiluipermettaitd’êtretranquille.Ilaeudelachance.Unechancequenousn’avonspaseue.—Quelâgeaviez-vousrespectivementlorsquevotrehistoireacommencé?m’interrogeleprocureurenmarchantdevantmoi.Je ne regarde toujours pas la foule qui baigne dans un silence demort, nimêmeVic, nos proches ouTruman et encore moins les jurés, seulement la démarche presque rassurante du procureur qui restecalme,avecsavoixstricte,maisnonagressive.C’enestpresqueapaisant.—J’avaisseizeansetVicaussi.Celafaisaitdeuxansquenousnousconnaissions.—Et comment expliquez-vous qu’on puisse vouloir avoir des contacts charnels avec sa camarade decellulelorsqu’onsubitàplusieursreprises,durantdesmois,dessévicessexuelsdelapartdel’accusé?m’interrogetoujoursleprocureuraveccalme.—Votrehonneur,purespéculation!intervientl’avocatdeladéfense.Lejugelarejette,etc’estàmontourderépondre.Jecroiseleregardduprocureurquim’encourageàmelancer.—Demandezàunmalades’iln’aimeraitpasnepassouffrirl’espacedequelquesinstants?Saréponseserasansdoutepositive.Ehbien,nousétionspareils,ensouffranceconstantesauflorsqu’onsuccombaitànossentiments.Est-ceuncrimed’aimerquelqu’un?jerétorquesèchement.—Pourbeaucoupdepersonnes,c’estincompréhensible,soulèveleprocureurcommepromis.—Onavaitdix-septanslapremièrefois,entreVicetmoi.Àdix-septans,vousréfléchissezavecvosémotions, pas avec votre logique ou le politiquement correct aux yeux de tous. Avec Vic nous nousaimions.Cetenfantn’étaitpasprévu,nousnevoulionspasimposercettevieàunêtreinnocentquin’avaitriendemandé.Peut-êtrequenousavonsfaituneerreurennousaimant,maisjenelevoispasainsi.Jemedisquenousn’avonspaseudechance,etquemonsieurTrumann’étaitqu’unmonstrequiaprofitédelasituationpournousdétruire.Lorsqu’ilaapprisnotrerelation,ilnousl’afaitpayerdenombreusesfois.Lorsqu’ilaapprispourlagrossessedeVic, ils’estvengé,àdenombreusesreprises.Jepourraisvousparlerdurantdesheures,dunombredefoisoùilfaisaithurlerVicdedouleurpourquejel’entendedanslachambred’àcôté,detoutescesfoisoùilluiracontaitcequ’ilmefaisait.Oubiendecesquelquesfoisoùilnousaforcésàcoucherensemblesoussesyeux.

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Jemetourneversl’avocatdeladéfensequiprenddesnotesaufuretàmesuredemespropos.Mavoixestempliederagelorsquejelanceavecamertume:—Monsieur l’avocat de la défense atteste que nous délirions sous l’effet de la drogue, pourtant, jen’étaispasdrogué,monsieur,lorsqueCooperTrumanavioléVicsousmesyeux.Ill’afait,etilnel’apasfaitqu’unefois.Lasalleesttoujoursaussisilencieuse,ondiraitqu’elleretientsonsouffle,moiaussi,jemanqued’air.Leprocureursemetdevantmoipourgardermonattention.—MonsieurTrumannousracontedanssesnombreusesdéclarationsquevousétiezconsentants,vousetmademoiselleKristensenpourvivresesexpériencessexuelles,jecite.—Jedoutequeleviolsoituneexpériencesexuelle,jerétorqueenserrantlespoings.—MonsieurTrumandisaitqueladernièreannée,vousalliezdevous-mêmedanscequevousappelezdansvosdépositions,«lasalledejeu»deCooper.Qu’avez-vousàrépondreàça?—Poursurvivre,ilfautparfoissejetersoi-mêmedanslagueuleduloup.CequeMonsieurTrumann’apasdûpréciser,c’estqu’àcetteépoque,Vicétaitenceinte,etquejenevoulaispasqu’ellesubisseça.Jevoulaislaprotéger,mêmesipourça,jedevaismedétruireunpeuplusàchaquefois.Onapprendàsesacrifierpourlapersonnequ’onaime.—Vousaimiezça?JecroiselesyeuxCooper,avecuncouragequejenepensaispasavoir,cetenfoirésourit,etjenedoutepasdecequ’ildoitseremémoreràcetinstant.Detoutescesfois,oùmalgrémoi,moncorpsréagissait.Ilaimaitça,maismonêtre,non.—Non,jen’aimaispasça,jesouffle.Mensonges.Maréponsesemblecependantluiconvenir.—LorsqueMademoiselleKristensen est tombée enceinte, que s’est-il passé lorsque l’accusé s’en estrenducompte?reprendleprocureur.—TrumanafaitavorterVicdeforce,jerépondssanshésitation.—Parqui?—Onnesaitpas,Vicaentendulavoixd’unefemme,maisonnel’ajamaisvue.Même si je pense que c’était la même femme qu’il invitait parfois, mais ça, seule l’enquête qui esttoujoursencoursnousledira,mêmesijedoutedesonrésultat.

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—Étiez-vousprésent?mequestionneleprocureur.Lagreffièreprendtoujoursdesnotes,iln’yaquelesondesesdoigtssurleclavierquirésonne,enéchoaveclesbattementsdemoncœur.—Non,maisVicmel’araconté,j’explique.—Qu’est-cequevousfaisiezàcemoment-là?Desflash-backsviennentbrouillermavuel’espaced’uninstant.Resteici,Reagan,reste-ici.—Jemeremettaisd’unebagarrequej’avaiseueavecl’accusé.LorsqueTrumans’enestrenducompte,Vicdevaitêtreenceintedecinqmois,sonventresevoyait.J’aivoululadéfendrelorsqu’ilacommencéàs’énerver,c’estlàqu’illuiacassélebras.Ons’estbattus.Aprèstroisans,j’étaisdevenupluscostaud,mais il était plus fort quemoi. J’aimorflé sévèrement ce jour-là. J’ai perdu connaissance après queTrumanm’aitéclatélatêtecontrelereborddulit.Lorsquejemesuisréveillé,j’étaisattachéàcedernier,recouvertdesang,etVichurlaitdanslapièced’àcôté.Jen’airienpufaire,misàpartécouterlafilledontj’étaisamoureux,crierdedouleuretd’impuissancealorsquecemonstre…Jen’arrivepasàterminermaphrase.Depuisledébutdemonrécit, j’aimismonaffectifdecôté,maislà…c’est commesi je revivaiscette fameuse journée. J’entends leshurlementsd’agoniedeVic, cettesouffrancequinousadétruit.Elleavaitsimal.Ilsluifaisaientsimal.Jemesentaistellementimpuissant,incapabledebouger,témoindecettehorreur,dumeurtred’unenfantquinenaîtraitjamaisdanscemondedefous.—Alorsqu’il faisait subirde forceunavortement surmademoiselleKristensen, conclut leprocureur,c’estexact?—Oui,c’estexact,jerépondsd’unevoixtremblanteenbaissantlégèrementlatête.Il l’a tué, il a détruit le fruit de notre amour incompris, et il a bien failli tuer Vic en faisant ça. Unavortementàcinqmois,commeça,sansappliquerlaprocéduremédicaleàlalettre,çaafaillilatuer.J’auraispulesperdretouslesdeux.—Vous ne savez pas ce qui s’est passé par la suite ? Ce qu’est devenue la dépouille de l’enfant ?m’interrogeleprocureur.—Demandez-leàlui,jerétorquesèchement.C’estàcemonstrequ’ilfautposerlaquestion.C’estàluidenousdirecequ’ilenafait.Maisjedoutequelaréponseseraitsupportableàentendre.Lesilencerègnedurantuninstant,leprocureurnesoulèvepas,etpoursuit.—Etensuite?—Ensuite,Vicestsansdoutelamieuxplacéepourvousracontercequ’ils’estpassédanscettesalle.Je

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n’étaispaslà,j’étais…làaprès.—C’estcetaprèsqu’ilfautnousraconter.Jelaisseéchapperunsoupir.C’estplusfacileàdirequ’àfaire.— Truman a fait soigner Vic par une inconnue, elle avait un bras cassé suite à notre lutte. Après…l’avortement,il…Jefermelesyeuxensentantcesderniersmebrûler.Jenedoispascraquer.— Vic saignait tellement, elle était si pâle, presque morte. La douleur l’a marquée à jamais. Il l’aramenéedansnotrechambre,l’aallongéesurlelit,avantdepartir,sansmêmeprendresoindeluidonnerquelquechose,oudeluidemandersielleavaitmal.Ilsedélectaitduspectacle.Ilm’adétaché,jen’avaisplusquemonlienàlacheville,etilestparti.J’aipum’occuperdeVicensuite,malgrélesdouleursdemoncorpsbattu.Elleavaitplusbesoindemoi,quej’avaisbesoind’elle…Jeraconteàquelpoint,ilétaitdurderesterassisprèsdesonlit,àlavoirpleurer,dormir,ettenterdes’accrocheràlavieparjenesaisquelmiraclealorsqu’ellemesuppliaitdemettrefinàtoutça.Jel’ainourrie,changée, j’aisurveillésa fièvre.J’aipriépourqu’ellesurvivemalgrésespertesdesangplusqu’abondantes.—Jenesaispascequil’amaintenueenviecejour-là.Maiselleasurvécu,etnousnel’avonspasvupendantunedizainedejours.Quelqu’unvenait lanuitdéposerdequoinousnourriretnoushabillermaisaucunedetracedeCooperdurantcettepériode.—Etaprès?—Aprèsils’estvengécommeilsavaitsibienlefaire.Leprocureurmeregardeintensément,etjesaisquec’estlemoment,ilvamedemanderdelefaire,etjetrembledetoutmoncorpsàl’idéedem’exposerdevantautantdemonde.—Reagan.Jemelève,jepriepourquepersonneneserendecomptequejesuissurlepointd’exploser,detomberdanslespommesetdesombreraveccequejeressens.J’aimalàlapoitrineetquelquechoseaufonddemoiagermé,c’estdouloureux,terriblementdouloureuxderevivretoutçaenessayantdenepasmontreràquelpointcessouvenirsmedétruisent.—Votrehonneur,messieursetmesdamesles jurés, lacour, j’aimeraisquevousvoyiezdevospropresyeux,cequel’accuséestcapabledefaire.Retirezvotret-shirt,MonsieurKanepourmontrervotredosauxjurés.

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Jemetournedosàlacour,fermelesyeuxensachantquepersonnenemeverra,inspireetm’exécute.Unélandestupeurgagnelafouleetlesjurésenconstatantpareuxmêmeunboutdudésastre.—Vousvoyezsesmarquesblanches,cesontlapreuvequelavictimeaétésévèrementpuniesuiteàça,maispasseulementsuiteàcetévénement,certainesmarquesdatentd’avant,etd’autresquinesontpasvisiblesdanssondosprouventquelessévicesontéténombreuxetviolents.Merci,Reagan,vouspouvezvousrassoir.Jemerhabilleàlahâteetmeréinstalletoutaussivite,enprenantsoind’ignorerceregardlourdquemeportentlesautres.Jen’aimepasl’atmosphèrequisedégage.Alleztousaudiable.—Monsieurlejuge,jen’aiplusdequestions,vouspouvezpasserlamainàladéfense.Le juge le remercie et fait venir l’avocat dudiable qui semble très sûr de lui. Il arrive face àmoi etdemandesanspréavisdesavoixarrogante.—MonsieurKane,vousétiezconnupourêtreunadolescentplutôtbagarreuretinsolentaulycée.—Votrehonneur,c’estunepuresuppositionetnonunequestion,intervientleprocureur.—Maître,posezseulementdesquestions.—Étiez-vousunadolescentbagarreuretinsolentaulycée?— J’étais un adolescent comme un autre, je réponds, je défiais l’autorité et je ne me laissais pasemmerderlorsqu’onvenaitmechercherdesproblèmes.—Êtes-voushomosexuel,monsieurKane?Jemefige,ilnemanquepasd’air.—Etvous?jerépondsplussèchement.Restecalme.—Ilnes’agitpasdemoi,monsieurKane,maisdedéfinirvosrelationsavecl’accusé,déclarel’avocatensouriantlégèrement.—Sijevousrépondaisoui,voustrouveriezçaplusnormaldeligoterquelqu’unsurunlit,delefoutreàpoilenl’humiliantpourensuitelevioler?—Sicesontvospratiques,vousêteslibresd’aimercequevousvoulez.Enfoiré.—Vouspensezsincèrementqu’ungamindequinzeansadesgoûtsdanscegenre-làsansavoirconnuune

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viesexuelleauparavant?Permettez-moi,monsieurl’avocatdeladéfense,devousrépondrequ’àquinzeans, je n’aspirais qu’à me trouver une petite amie pour l’embrasser à la dérobée entre deux portes,certainementpasmefairebattrecommeunchienpourm’exciter.Jenesuispashomosexuel, j’aimelesfemmes,etce,depuisquej’aicommencél’adolescence.Leshommesnem’ontjamaisattiré,encoremoinslesexeaveceux.Jejetteuncoupd’œilàTrumanquiseretientdesourire,satisfaitdememettredansl’embarras,orilsetrompe,il«m’agace»plusqu’autrechose.— Ce n’est pas ce que dit l’accusé. Ce dernier explique que vous étiez consentant pour ce type depratique,maisquevousaimiezégalementça.Unriresarcastiquem’échappe.—Combiendevioleurspour leurdéfenseontutilisécetteexcuse,vousavezunedéfensepitoyable, jelâcheamèrement.J’étaisdrogué,attaché,dénudé,etviolécontremavolonté.Jenevoispascequ’ilyadenormallà-dedans.C’estpourtantsimpleàcomprendre.—Vousétiezdrogué…Jeluicoupelaparole.— Non, ce que vous n’avez pas compris, monsieur l’avocat de la défense, c’est que lorsque queMonsieurTrumanmedroguait pour que je nemedébatte pas, il attendait patiemmentmon réveil pourcommencerlesfestivités,jelanceironiquement.Alors,sachezqu’iln’yapasunefois,oùjen’aipasététotalementconscient.Lesblessuresnesontpastoujoursvisiblesàl’œilnu.Lesnôtressontrecouvertespardescouchesdevêtements,paruneapparencequinousaideà tenir sous le regarddesautres.Vouspensezsérieusementquej’aimeceregardinsupportablequ’ontlesgenssurnous?Jen’aimepascerôlede victime, je n’aime pas ce qui nous est arrivé, mais c’est arrivé, nos corps en portent encore lesstigmates, etmon subconscient en souffre toujours.Aucune justice ne pourra nous rendre ce que nousavonsperdu.Enquatreans,j’aiperdumoninnocence,moninsouciance,maliberté,mafierté,unenfantetunboutdemavie.Jesurvischaquejouràmesdémons,auxsouvenirsdouloureuxetàcespartsquejen’aiplus.Jemetourneenfinverslesjurés,composésd’hommesetdefemmesdetousmilieux.Aucunn’aceregarddepitié,ilssontneutres.—Une part demoi-même n’est jamais partie de là-bas. Etmême siMonsieur Truman écopera d’unepeineàperpétuité,cequ’onnousapris,ilnenouslerendrapas.Vousn’avezpasàvivreavecleregarddes gens qui savent, avec la douleur de ces souvenirs qui vous hantent, l’absence, la souffrance, ledégoût. Demain, lorsque ce procès sera fini, vous retournerez à vos vies, pendant que nous devronsencoresupporterlanôtre.—VousdeviezéprouverunecertaineattacheàMonsieurTruman?secontentederépondrel’avocat.—Jen’éprouverienenversMonsieurTruman,sicen’estunehaineprofonde.

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Jecommenceàperdremoncalme,jevoisqueleprocureur,assitàcôtédeVicquejen’osetoujourspasregardermefaitsignederestercalme.Plusfacileàdirequ’àfaire.—Pourtant,ilyaquatreans,vousluiavezrenduvisite,lâcheladéfensesansprévenir.Coupdemassue.Moncœurrateunbattementlorsquej’entendscetteénièmevérité.Uneréactionvivacenaîtauseindelafouleetdesjurés.Etmoi…jenedisrien.—Qu’avez-vousàrépondreàça?Pourquoiêtrealléluirendrevisite,MonsieurKane?Pourquoi?Parcompassion?Parmanque?Parbesoin?insistel’avocat.—Objection,votrehonneur,ladéfenseporteunjugementinappropriésurmonclient.—Retenu,maîtrereprenezvotrequestion,lesjurésnedevrontpasprendreencomptecetteallégation.—Entenduvotrehonneur.L’avocatvaprèsdesazonedetravail,oùsiègel’accusé.Ilensortundocumentqu’ilbranditetmedonnepourquejelelise.—MonsieurKane,j’aiicienmain,leregistredatantdedécembre2012,laveilledeNoël,vousêtesallérendrevisiteàmonsieurTruman,est-cebienvotrenom?Ilyest.—MonsieurKane,vousdevezrépondre,lancelejuged’unevoixautoritaire.Jefermelesyeuxetsouffle.Jenepeuxpasnier,malgrélasurprisedecerappelblessant,lavéritéestlà.—J’ysuisallé,eneffet.Jevoislastupeurdanslesvisagesquim’entourent,jen’aipasletempsd’apporterdavantagederéponsesquel’avocatcoupecourtàl’interrogatoire.— Je vous remercie pour vos réponses,Monsieur Kane nous avons ce qu’il nous faut.Mesdames etmessieurslesjurés,prenezencomptequ’ilestétrangequ’unevictimequidétesteautantsonbourreauluirende visite la veille de Noël. Je tiens à rappeler à monsieur Kane que mentir sous serment estpunissable!L’accusation devient folle face à ces propos de l’avocat, ce dernier ensemble satisfait. En quelquessecondes, la salle explose.Des réactions surgissent de partout, de l’incompréhension, des sifflementsalorsque l’avocatdeTruman revient s’assoir.Le jugedoitmenacer lepublicde les faire sortir avantd’obtenirdenouveaulecalmequelquesminutesplustard.

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—MonsieurleProcureur?lancelejuge.— Pour le moment, j’en ai fini avec le premier témoin, il reviendra ici après le témoignage deMademoiselleKristensen,lorsquenousévoqueronsleurderniermoisavantleurfuite.—Trèsbien,secondtémoinàlabarre,déclareleJuge.JecroiseenfinleregarddeVic,cettedernièreestdéfaite,souslechoc.Jesuisdésolé.J’auraisaimétrouverlecouragedeluidireavant,quej’avaiscommiscetteerreur,maisjen’aipaspu.Comment justifier le faitqu’on rendevisiteuneveilledeNoël à sonbourreauau lieude rejoindre safamille?La réponse est simple, il y a quatre ans, ça faisait dix ans que le calvaire avait commencé, dix anss’étaientécoulésdepuiscettefameusepremièrefoisoùmonmondeabasculé.Jesortaisd’uneaffairedifficilesurlevioletlemeurtrededeuxjeunesfillesquiavaientétéenlevéesetséquestréesdurantunanavantqueleurravisseurnelestueparcequ’ellesétaientdevenuestropvieilles.Cettehistoirem’avaitprofondémentperturbé,macarapaces’étaiteffritéepouren faire sortirdevieuxdémons.Unequestionmehantait,sinousn’avionspassaisinotrechancelorsdenotrefuite,serions-noustoujoursdanscettepetitechambre,àattendredesubirunsortfuneste?Ounousaurait-iltuéstouslesdeuxpournousremplacerpard’autres?Alors j’ai demandé un parloir à la prison, sans passer par les avocats, ni rien, juste lui etmoi. S’ilacceptaitdemerencontrer,j’irais,etCooperaaccepté.Jemesuistoujoursdemandécommentpersonnenel’avaitsu,j’avaissupposéquedurantlesfêtesdefind’année,lapaperasses’accumulaitetquelesinfosn’étaientpastoujourstransmises.Visiblement,Trumanasus’ensouvenirpours’enservircontrenous.Ons’estrencontrédanscettegrandepièceoùdesdizainesdeparloirstéléphoniquessontcôteàcôte.Iln’avaitpaschangé,prisseulementquelquesannées,sescheveuxétaientplusgris,maiscetteexpressionsursonvisageetdanssonregardn’avaitpaschangé.Cooperétait ravidemevoir,maispasmoi.Lorsque jemesuisassisenfacede lui, j’ai ressenticetteprofondecolèrequinem’ajamaisquittédepuisdesannées.Trumanavaitengendréensixansdecage,unbesoindesevengerpresquesanglant.Ilaprisletéléphone,j’aifaitdemêmeetseulementdeuxmotsontrésonné.Dansungrandsourire,ilm’adit:«tupaieras».Effectivement,quatreansplustard,dansunesallepleinedemonde,aumomentoùceseraitàluidepayerpoursescrimes,c’estnousquipayonsleprixdel’affrontquenousluiavonsfaitengagnantnotreliberté.

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Chapitre32Vic

17Juillet2016Lancaster,PennsylvanieJemelaissetombersurlachaiseaprèsavoirjurésurlabiblequejediraislavérité.Jenesaispassijeladirai,jenesaismêmepassijelaconnaisréellementcettevérité.Ilaétélevoir.Pourquoi?Cettequestionnequittepasmatêteetpourquoiilnem’ariendit?Quepensait-t-ilobtenirenallantlevoir?Pourquellesraisons?Etbondieupourquoinepasmel’avoirdit!?Jemesenstrahieparlaseulepersonneenquij’avaisuneconfianceaveugle.Reaganmecachedeschosesalorsquepourtantildevrait savoirque jene supportepasça, surtout avec lui. Jepeux tout entendreet tout encaisser si lafranchiseestlà.AlorspourquoiilatusavisiteàCooper?—Vic?JesursauteausondelavoixduprocureuretjeremarquequejefixeReagansansmêmelevoir.J’étaisdéjàangoisséeparcetémoignage,maisàprésentjesuisencolère,contrelui,contretoutetjen’aiqu’uneenvie,sortird’ici.JejetteundernierregardàReagan,quin’apasposélesyeuxsurmoiduranttoutlelongdesoninterrogatoireetqui,àprésent,nemequitteplus.—Est-cequeçava?medemandelejugeassisàmadroiteunétageau-dessus.Jehochelatêtemécaniquementenserrantmespoingspuisjemeconcentresurleprocureur.—MademoiselleKristensen,pouvez-vousnousracontervotreenlèvement?J’ouvre la bouche,ma langue a l’air depeser une tonne et je suis incapabledeparler.Alors que j’aienviedehurler,decriersurReagan,d’obtenirdesexplications,dedireauxjurésquetoutçan’estqu’unefoutuemascaradeetquej’enaimarre.Oui, j’enaimarre,d’être là,deracontermavie,d’entendrelesautres la raconter,qu’onparledemoicommed’unmorceaudeviandeoubiend’unementeuse.J’enaimarre de ce spectacle qui ne rime à rien et qui n’effacera rien.Ce procès onme la vendu commeunmédicament, quelque chose qui me donnerait réparation, au lieu de ça il ravive les blessures, il lesramène à la surface enme faisantmal.Encoreplus quand la seule personnequi comprend tout çamement.

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—Vic?reprendleprocureur.Jem’agitesurlachaiseetdéglutisavantderouvrirlaboucheetdetoutbalancer.Masoiréeprévueaveccegarçonetlemensongeàmesparents.Monamiequimecouvreetl’impressiondetomberdansuntrousansfinquandj’aisenticesmainssurmoiquimeserraientetm’emmenaientverscecalvairequidixansplustardn’atoujourspasprisfin.—Vousavezdoncmentiàvosparents?—Oui.—Pourquoi?—Parcequej’avais14ansetquejamaismonpèrenem’auraitlaisséesortirunsoiravecungarçonqu’ilneconnaissaitpas.Leprocureurquifaisaitlescentpasdanslasalle,s’arrêtedevantmoi.—Alors,pourquoil’avoirfait?—Cegarçonmeplaisaitjen’aipascherchéplusloin.—Étiez-vousvierge,quandvousavezétéenlevée?Jebaisselesyeuxsurmesmains,serréesendeuxpoings,poséessurmesjambestremblantes.—Oui,dis-jedoucement.—QuiaprisvotrevirginitéVic?Jeredressevivementlatête,leprocureurm’inciteàrépondre,maisjetrouvesaquestionétrange.—Ilmel’avolée.—Qui?—Cooper.—Ensuite,ques’est-ilpassé?ildemanded’unevoixdouce.Etleflotdeparolessortdemabouche.Jeparle,jeraconte,jenepliepas,j’expliquelesquatreannéesde calvaire, j’explique les viols, les humiliations, les privations, toute l’horreur qu’on a vécue, d’unevoixclaireetprécise.Commecesmédecinsquiontparlédemoietdemoncorps.JenesuisplusVic,jenesuispluscettefille,jesuissaspectatrice,jesuisdansmasalledecinémaetj’assisteaufilmdemavie.Mesparolessontentrecoupéesdequestionsquidemandentplusdeprécisionetjelesdonnecrûmentsansaucunsentiment.Sijeflanche,jesombre,jelesaisetjenemerelèveraipas.Jefaiscequ’onattend

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demoietensuitetoutseraterminé.Oui,jeracontel’horreurcommesijenel’avaispasvécueettantpissionnemecroitpas,j’auraifaitcequ’onattenddemoialorsquejen’attendsplusriendepersonnenideceprocès,pasmêmedeReagan.—Qu’est-ilarrivéquandiladécouvertquevousétiezenceinte?Le flot s’éteint, comme il est arrivé, brusquement, sans préavis, je quitte la salle de cinéma et jemeretrouvedansmavie.Cellequiestlaide,cellequifaitmal,celleoùlessouvenirssontunetortureetjefermelesyeuxquelquessecondesenrespirantcalmement.L’avortement,cebébé,cettedouleursansfindansmoncœur,cevideenmoiqueriennecomble,c’estlaseule chosequiméritemaparticipation.Pour lui, pourque sonmeurtre soit puni, pourqu’il existe endehorsdeReaganetmoi.J’ouvrelesyeux,monregardseposesurReagan,assisàlatabledel’accusation.Ilm’observe,ilnem’apas lâchée du regard tout le temps où j’ai parlé et je ne lui en ai pas adressé un seul.Mes yeux sefocalisent sur lui et j’oublie le restede la salle, j’oubliequedesdizainesdepersonnes attendentmesréponses.—Ill’atué,jelanceàReagan,ettuasétélevoirenprison;çanecomptepaspourtoi?Je retiens un sanglot qui menace de sortir alors qu’on se dévisage avec Reagan et que j’attends sonexplication,maisriennevient,ilsecontentededétournerleregardetj’ail’impressiondesombrerverslenéant.Ilm’abandonne.—Vic?m’interpelleleprocureur,plustardtuaurastesréponses.Reaganbaisselatêteetlaprendentresesmainsalorsquej’essayedecomprendre,maisjenevoispaspourquoiilyestallé.Ladatecompte,jelesais,Noëln’apaslamêmevaleurpourReaganquepourlerestedumonde,mais j’ignorecequ’ilafait là-bas, j’ignorecequ’ilsontpusedireetqu’est-cequiadéclenchéchezluicebesoin.Etj’ensuismalade.—Ill’atué,jelanceauprocureur.Lebébé,ill’atuéquandilaremarquémagrossesse.—Comment?Jerenifleavantdecontinuerenfixantcethommequisebatànoscôtésetquitentedenousrendrejustice.—Ilm’afaitavorter.Ils’estbattuavecReagan,puisilm’aemmenée,j’étaisinconscienteetquandjemesuisréveillée…Mavoixsebrise, lorsque je repenseàcequ’il s’estpassé.Aunoir,à ladouleuretà sesmotsquinem’ontjamaisquitté.—J’avaislesyeuxbandés,j’étaisallongée,attachéeauxchevillesetauxpoignets.Ilsm’ontdroguéetontplâtrémonbras.—Qui«ils»?

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—Cooperetunefemmequejeneconnaispas,j’aiseulemententendusavoix.—EnsuiteVic?Qu’ont-ilsfait?—Ilsont…Jeregardemesparents,monpèrealevisagefermé,maismamèreestenpleurs.Mesyeuxerrentsurlerestedelasalle,surcettefoulependueàmeslèvresquiattendlasuitedel’histoiresordidedemavie.Lesvisagessonttendus,lesregardsbrillentd’émotionsetj’ignoremêmes’ilspeuventimaginercequec’étaitd’êtrelà,allongéesurcettetableetdesentirlaviequittermonventre.—Ilsl’ontaspiré,jefinispardire.Commeça,ilsont…jedéglutisavantdepoursuivre,ilsl’onttuéetjenepouvaisrienfaire.J’aisuppliéencoreetencore,maisilsl’ontfait,ilsl’ontpris.Commes’iln’étaitrien…Jeréprimeunsanglotenmefrottantlesyeux,jenevaispaspleurer,jenevaispasluidonnerceplaisir.Ilm’adéjàtropprispourluilaisserencorequelquechosedemoi.—Jen’aiplusdequestionvotrehonneur,conclutleprocureur.Jerelèvelatête,ilmesourittristement,signequej’aifaitcequ’ilattendaitdemoi,maisàquelprix?—Letémoinestàladéfense.Jeregardel’avocatdeCooper,ilselèvedoucementenrefermantsavestesursonventre.Ilresteàsonbureau quelques secondes, et je fais tout pour ne pas croiser le regard demon bourreau. Il finit pars’avancer,lesmainsdanslespochesdesonpantaloncommesitoutçan’étaitqu’unepromenadedesanté.Pourluisûrement,pourmoic’estl’épreuvedetrop.Ilseplantedevantmoiensouriantavantd’allerverslesjurés.—MademoiselleKristensen,finit-ilpardire,laissermoirésumervotretémoignage…—Objection!lanceleprocureur.—Unequestionendécouleravotrehonneur, lanceperfidementl’avocatdeladéfenseavectoujourscesouriresuffisantcolléauxlèvres.—Rejeté,continuezmaître.—MademoiselleKristensen,vousavezdoncmentiàvosparentspoursortirlesoirdevotresoi-disantenlèvement et ensuite vous nous racontez dans des termes presque cliniques, un peu comme si tout çaavait été appris par cœur, votre calvaire avec mon client, pour finir en larmes en nous parlant del’avortementdevotrebébé.Il se retourne vers moi, tout en s’appuyant contre la barre qui le sépare du jury. Je les regarde, ilssemblentintriguésparcequ’ilraconteetmoiaussi.Jenevoispasencoreoùilveutenvenir,maisàsonvisagejesaisqu’ilnevapastarderàmel’apprendre.

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—Êtes-vousactrice,mademoiselleKristensen?—Objection!—Maquestionestlégitime.—Letémoins’estdéjàprésentéetarévélésaprofession,reprendleprocureurd’untonagacé.—Peut-êtrea-t-elleunpasse-tempsqu’onignore.—Rejeté,soupirelejuge,répondezàlaquestionmademoiselleKristensen.—Jenesuispasactrice.—Maisvoustravaillezdansuncinéma?—Oui.—Alorspeut-êtrequ’àforcedevoirdesfilmsvousavezacquisundonpourlacomédie.—Objectionnomdedieu!—Jeretire,avantquemonconfrèrenefasseunecrisecardiaque.—Oùvousvoulezenvenir?jefinispardemanderagacéeparsonmanège.Jesaisqu’ilessaiedemefairepasserpourunementeuse,qu’ilposedoucementsonjeupourmontreraujuryjenesaisquoiquimeferaitperdremesmoyens,maisjeneluidonneraipassatisfaction.—Aufaitquevousêtesmenteuse,cequevousavezvous-mêmedéclaréàcettebarre.Ilseretourneverslejury,sesmainsdanslespoches,l’airdétendualorsquejemevoismeleverpourallerlegifler.— J’ai menti à mes parents, comme tout adolescent qui veut sortir et qui sait qu’il n’aura pasl’autorisation.Leresteestlavérité.—Etnoussommesdonccenséscroireunementeuse?—Faitescequevousvoulezjem’enfous!J’aiditlavéritéqu’ellevousplaiseounon.—LavéritémademoiselleKristensen,c’estquepourallervoirungarçonvousavezmentiàvosparents,qu’est-cequinousditquecegarçonn’étaitpasmonsieurKane,quevousvousêtesenfuieaveclui,quevousavezatterrichezmonclientpourvousadonneràvosvicesavecvotreamantenincluantmonsieurTrumanàvosjeuxpervers?

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—Moi!—Vous,unepersonnequireconnaîtavoirmentipourobtenircequ’ellevoulait?—Qu’est-cequejeferaislàalors?Pourquoijedéballeraismaviesicen’étaitpaspourqu’ilpayepourcequ’ilnousafait?—Pourcacherlavérité,cellequifaitdevousnonpasunevictime,maislareinedesgarces.—Objection!—Retenu,maîtremesurezvospropos.Ilfaitdemi-tour,cesourirequej’aienviedeluifaireravaleraucoindeslèvres.—Cen’estpasunjeu,mademoiselleKristensen,contrairementàcequevouspensezcroire,onn’estpasdansunfilmetlespersonnesimpliquéesnesontpasdesacteurs.Jefroncelessourcils.—Vouspensezquejeprendstoutça,dis-jeenenglobantlasalledemamain,pourunjeu?Vouspensezquevenirici,entendretoutesceschosessurmoi,surcequ'onavécu,racontertoutça,revoirceluiquiabrisémavieestunjeupourmoi?—Jecroisqueoui,dit-ilcalmement,jecroisquevousmentez,quevousprenezcetribunaletlesjuréspourdes imbéciles en espérant qu’ils croient unementeuse.Vous avezmenti à vosparents, vous avezmentiencequiconcernevotrerelationavecmonsieurKaneetvousavezmentiàproposdubébé.—Jen’aipasmenti!Jen’aipeut-êtrepastoutditparcequeçafaittropmal!Parcequecebébéjeleressenschaquenuitbougerdansmonventreetchaquematinlaréalitémerappellequ’onmel’aenlevédeforce!Jen’aipasmenti«maître»j’aisimplementempêchéladouleurdereveniretsivousnepouvezpas comprendre ça c’est que vous êtes comme lui !Un foutu psychopathe qui ne comprendpas qu’onpuisseavoirmalenparlantdel’horreurqu’ilnousafaitvivre!Jemetaisetjeremarquequejesuisdeboutentraindehurlerdevantunesallepleined’incompréhension,le silence retentit et toutmon corps tremble de colère. Je ne comprends pas que ce soit àmoi demejustifier,àmoideprouverlavéritéalorsquetoutaccuseTruman.Jemerassoislourdement,l’avocatsemetàapplaudir.—Jem’inclinedevanttantdetalent.Plusdequestionsvotrehonneur,dit-ilenrejoignantsonclient.—Letémoinpeutdisposer,répondlejuge.Iltapeavecsonmarteauetannoncel’ajournementdelaséanceàdemain.Jenebougepas,jeregardelesgens sortir etmes yeux se portent surReagan.Qu’est-ce que je viens de faire ? J’ai l’impression dem’êtrefaiteavoirunefoisdeplusparcetavocat,maissijepeuxl’acceptervenantdelui,jenepeuxpasletolérervenantdeReagan.

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Chapitre33Reagan

MarsouAvril2006Vicn’estpasmortesuiteàl’avortementbarbarequeCooperluiafaitsubir,maiselleauraitpu.Jenel’avaisjamaisvuedanscetétat.Sifaible,sipâle,sansvie.Vicétaitvivante,maismortedel’intérieur.Elle est devenue cet être vivant qui respire, mais qui souffre à chaque instant. Durant plus d’unesemaine,ellen’afaitquepleurer,dedouleurphysique,maiségalementd’unesouffrancequinesevoitpasàl’œilnu.On luiapris sonenfant, cepetit êtrequi était enelle etqu’elleaimait, commeunemèreaime sonenfant.Vicesttraumatisée,jelevoisdanssesyeux,iln’yapluscettepetitelueur,cellequimedisaitqu’onpourraittoutsurmonter.Noussommesalléstroploin,etjelesavais.Coopernousavaitplusoumoinspardonnénotreaffrontd’être tombé amoureux l’un de l’autre, mais il ne nous a pas pardonnés un enfant. Il a réglé leproblèmeennousl’enlevant.Etmaintenant,alorsque jedévisageVicattachéeàunechaise, faceàmoi,danscettepiècequiestsynonymedetousnosmalheurs,jesaisqueCoopervasevenger.Surmoi,pourluiavoirfaitl’affrontd’aimerVic.Ilvasevenger,etjesaisquelasentenceseradouloureuse.Jesuistotalementnu,mespoignetssontattachésavecdesliensdeserragesenplastiqueàunepetitetablematelasséeoùons’allongesurleventre,lespiedsausol,notredosetlerestesonttotalementexposés.Jesaiscequim’attend,etuneboulemenouel’estomac.JesuisdésoléVic.—Tusaispourquoijesuisvenu,déclareCooperentournantautourdemoi,unfouetàlamain.IljetteunregardàVic,elleretientseslarmes,maismoi,ilmesuffitdeladévisagerpourqu’enunefractiondeseconde,jesoiscapabledevoirqu’elleestdévastée,totalementapeuréeparlasituation.Cooper nous a eus par surprise. Il nous a drogués et nous nous sommes retrouvés ici, ça fait plusd’uneheurequ’onl’attend,ainsi,enseregardantetenpriantpourqueriend’autred’affreuxnenousarrive.—Jevaislefairesaigner,etensuite,jelebaiseraidevanttesyeuxpourteprouverqu’iln’estrien.Unhommeneselaissepasprendre.Reagann’estqu’unepetitemerdeinsolente.Tusaiscequ’ilsepasselorsquejeluifaisça?CoopertiresurlescheveuxdeVicpourqu’elleleregarde.

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—TongentilReaganbandecommeunesalope.Et lorsquejebaisesonculcommeje tebaise toi, ilgémit.Etparfois,ilaimeça.Il semet à rire etme lance un regard espiègle quimepromet un long calvaire. Je tente de ne pasréagir,maisau fonddemoi, lapeurmenoue l’estomacetme fait trembler commeune feuille, car,jamaisiln’aeucetteexpressionsurlevisage.—Maisjedoutequ’aujourd’hui,ilaimeça.Ilsepencheauniveaudel’oreilledeVicetlanced’unevoixfortepourquejel’entende:—Situn’espasgentilleVic,situfermeslesyeuxuneseulefois,jeletuerai.Jeleferaisaigner,jelebaiserai, je vais l’humilier et lui faire tellementmal qu’ilme suppliera de l’achever. Sauf si tu esgentille.Jesaisquetuveuxtefairepardonner,n’est-cepas?Ilestfou.Ilestdevenutotalementfou.Ilaperdulecontrôle,etsaraisons’estenvolée.Vichochelatêtepourluimontrerqu’elleacompris,etCoopers’écarte.—Bien,nousallonscommencer.Etilacommencé,d’abordenmefouettantledosavecviolence,jesentaismapeausedéchirersouslescoups secs et tranchants. J’ai mordu ma langue au début pour ne pas hurler, puis lorsqu’il acommencéàtapersurlesplaiesexistantes,jen’aipluspumeretenir,j’aihurlé.J’ailaissééchappermadouleuretCooperaadoré.Avantqueçanedeviennetropgrave,ils’estarrêté,s’estdéshabilléendécrivantàViccequ’ilallaitfaire,jen’écoutaispas,jelaregardaiselle,jeregardaissesyeux,enmedisantàquelpointj’avaiseudelachancedelaconnaître,mêmesiaujourd’hui,jedevaispayerleprixfortpourcetamourinterdit.Des larmes de souffrance se sont échappées demes yeux, et un profond gémissement de douleur arésonnélorsqu’ilm’apénétréavecsonpieubrûlantetdur.Àsec,sansrien.Jemesuisdébattu,sansdouteplusquelorsqu’ilmefouettait,jetiraissurmespoignets,etçatenaitdumiraclequejenem’entaillepaslapeau.Etilacontinué,Cooperm’abaiséàvif,enappuyantsurmesplaies,enprenantcequ’ilvoulaitetenm’infligeantleregardimpuissantdeVicquipleuraitetlesuppliaitd’arrêter.Lepireaétélorsqu’ilasaisisonfouet,attrapéunedeslanières,etl’aentouréeautourdemoncou.J’aivuunvoilesombresedessinerdansmesyeux,j’aivuVicsouslaforcedesescrisetdesonbesoind’arrêtercecirque,déchirerlesmincesentravesdusiège.Mavues’esttroubléequandmarespirationestdevenueimpossible.J’aitournédel’œilavecenécholescrisdeVicquiluipromettaitdefairecequ’ilvoulaitenéchangedemavie.Quantàmoi,jenecessaisdeluimurmurerqueçairait,etquemalheureusement,ilfallaitbienqueçasetermined’unefaçonoud’uneautre.

***Jefermelesyeuxeninspirantdouloureusement.L’airquientredansmespoumons,mefaitunmalde

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chien.Magorgeestenfeu,j’aidumalàrespirer.Cooperaessayédemetuer.Jelesais,ilyétaitpresque,jel’aisenti.SiVicn’avaitpasétélà,jeneseraisplusdecemonde.Jetoussecommesij’avaisfuméunpaquetdecigarettes,j’ail’impressiond’avalerdel’acide,etiln’yapasquelà,oùladouleurestinsupportable.Mondosestenfeu,etplusbas,làoùcetenfoiréaimetantmeblesser,çafaitmal.Pourtant, quelque chose en moi me fait tendre l’oreille. J’écoute les pas de Cooper, je l’entendsmonterlesmarchesmenantverslavieextérieure.Ilyaseizemarchesàmonter,puislesondelacléqu’ilinsèredanslaserrure,suividugrincementdelaporte,denouveauleverrou,puislesilence.J’entendsouvrirlaporte,j’entendslegrincement,puislessecondespassentetjen’entendspaslacléscellantnotresort.Ilestparti.IlestpartisansrattacherVic.J’entendsd’autrespasvenirversmoi,jeredresselatête,etvoislevisagedeVicnoyédelarmes,elleesttotalementapeurée,soncorpstremble.Ellesemetàgenouxdevantmoi,j’essaiedesourire,maisrienn’yfait,monexpressionnechangepasetrestefigéedansladouleur.J’aimal,tellementmal,plusquelesautresfois.Mondosmelance,mesjambesvontflancher,etmadignités’estenvoléeaumêmeprixquemonfils. Ilm’adétruitàcoupdefouet,d’humiliation,etdedouleur.Voilàcommentonfaitflancherunhomme,onluifaitvivrelepire,enluifaisanttellementdemalenl’espacedequelquesinstants,quesacarapaces’effondre.Jesensdesmainsfroidessurmonvisagebrûlanttrempédesueur.—Reag,jet’enprie,ne…—Écoute-moi,jemurmuredoucement.Maisellenecessedeparler.Ellecommenceàpaniquer,etjedoislacalmer.IlfautqueVicsoitcalme,parcequejenesaispassijevaisréussiràsurmonterladouleurcommed’habitudeenlafaisanttaire,ousi,aucontraire,jevaism’évanouir.—Vic,ilfautque…—Seigneur,qu’est-cequ’ilt’afait…—Vic…jesouffle,iln’apasfermélaporte.Sesmainscaressentmonvisage,jevoiscesmagnifiquesyeuxbleusbaignantdansleslarmes.—Qu’est-ce…—Iln’apasfermélaporte,jen’aipasentenduleverrou…il…jerépète.Jemetais,déglutisavecdifficultéavantdereprendre.Jedoislafairefuir.—Va-t-en,Vic,jeluiordonned’unevoixrauqueetcassée,jenevaispaspouvoirallerbienloindanscetétat,maistoi…tupeux.C’estnotreseulechance.Regarde,iladétachétesliensetiln’apasprislapeinedet’enchaînerànouveau.Sonespritesttroublé,ilnes’estpasméfiédenous.Va-t-en.

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Vicsefige,ellemedévisageavechorreur,elleestsurlepointdes’effondrer,etellenedoitpas.Jetiresurlesliensenplastiquequimemaintiennentcontrecettetable.—Non,non,jenepartiraipassanstoi,déclare-t-elled’unevoixpeinée.—Vic,jet’aime.Maisbonsang,écoute-moi,unefois.Ilvarevenir,etcettefois-ci,riennel’arrêtera.Jeneveuxpasqu’ils’enprenneàtoisousmesyeux.— Il va te tuer, Reag ! s’étouffe Vic en saisissant mon visage avec ses doigts froids, laisse-moiréfléchir…Elleseredresse,jelavoisregarderpartoutautour.—Vic,qu’est-cequetufais…EllesejettesurlacommoderempliedepetitsobjetsqueCooperaimaitutilisersurnous.Ellefouilledanslestiroirsavecrapidité,avantdesefigeretd’ensortirdeuxéléments.Unebougienoireetuneboited’allumettes.Coopersepermetdelaisserdeschosesici,puisquenousn’yavonsjamaisaccèssanslui.Onnerisquaitpasdefoutrelefeuensonabsence.Vic revient vers moi, elle s’agenouille et me montre les deux objets, je n’ai pas besoin de cesexplications,j’aicompriscequ’elleallaitfaire.Mespoignetssontentravésauxsupportsdelatableavecdesliensenplastiques.—Jevaissansdoutetebrûler,j’ensuisdésolée,maisjen’aipaslechoix.Jenedisrien,jemecontentedemeprépareràladouleurquivasuivre.Vicallumelabougiegrâceauxallumettesprésenteségalementdanslacommode,puiselleprésentelaflammeauniveaudesliensdeserragesenplastique.Jegémisensentantlachaleurcontremapeau,laflammebrûleleplastiqueainsiquemapeauparlamêmeoccasion,unhurlementàpeineétouffém’échappe.—Jesuisdésolée,s’excuseVic,désolée,désolée.Elle ignoremesrâlesdedouleur, leplastique fondsurmoi,sur lesiège,ça faitunmaldechien, ladouleursembledureruneéternité.Jesensmachairrougirets’enflammerdansunebrûluresévère.Jeme mords la lèvre pour ne pas hurler. Au moment où je m’apprête à céder à mon self-control, lepremierliensaute.Vics’apprêteàfaireledeuxième,maisjelastoppe.—Jevaislefaire.J’attrape labougienoire,en ignorantdéjà ladouleur, je laprésenteauniveaudu lien.Jeserre lesdentsensupportantlaflammequirougitmapeau,labrûle.Lelienfondlentement,çafaitmal,maisça déclenche enmoi une sorte d’endorphinemêlée à l’adrénaline quime pousse à résister.Çamedonnelaforced’ignorerlesautresdouleurs.Jetombeàgenouxsurlesollorsquelelienlâche.Labougiefaitdemême,etVicl’éteintrapidement

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avantqueçaneprennefeu.—Reag?chuchote-t-elle.Jefermelesyeuxuninstant,jesuiséreinté,moncorpsestfatiguédesupporterlemal.IlestfatiguédesouffrirdesplaiesqueCooperluiinflige.Aujourd’hui, j’ai failli mourir, sous les yeux de Vic. Mon entrejambe est en feu, mes poignets melancent,magorgemebrûle,etmondos,j’ail’impressionqu’onm’adépecéàvif.Jesenslesentaillessaigner,dusangcoulelelongdemondos,etjesaisqu’ilyenaaussisurmescuisses.Bordel.—Dis-moiquetuviensavecmoi,mesupplieVic.—Meschevilles…jesoupire.Jesensunecaressesurmesjouesbrûlantes,jedoisavoirdelafièvreparcequejefrissonne.—Reag,ilnenousattachejamaisdanslaChambre.Justenosmains.Nousnesommesplusentravés.J’ouvre péniblement les yeux, et quelque chose enmoi opère un déclic. J’ignore comment, j’ignorepourquoi,maisjepuiseenmoilecouragedemelever.Sijen’aiplusd’entraves,çaveutdirequec’estnotrechance.Jedoislasaisir,jedoispenseràsouffrirplustard.Ondoits’enfuir.—Ets’ilrevient?m’interrogeVic.Ignoreladouleur.Faiscommetuastoujoursfaitensaprésence,faiscommes’ilnet’étaitrienarrivé,faiscommesilasouffrancen’existaitpas.Montre-toifort!—Onval’assommer,jelance.Nousnous figeons lorsquenousentendonsdenouveaulespasgrinçantsdans l’escalier.J’attireViccontremoi,prèsdelaportepourqueCoopernenousvoitpastoutdesuite.Ilouvrecettedernièreet laseconded’après, je luienvoieuncoupdepieddans les jambespour lefairetrébucher.Coopers’effondrecommeunemasse,latêtelapremièrecontrelamoquettenoire.Jene réfléchis pas lorsque jeme jette sur lui,mon corps pesant sur le sien.Poussé par l’adrénaline,j’entameunelutteaveclui,jerésiste,jeveuxledominer,jeveuxqu’ilaitmaletqueplusjamais,ilpuisse nous en faire. Cooper ne se laisse pas faire, mais cette fois-ci, dominé par la rage etl’adrénaline, je suis plus fort. J’arrive à entourer mon bras autour de son cou, et à serrer,l’immobilisant s’il veut continuer de respirer.Mon regard accroche celui de Vic, elle me dévisagepaniquée,lesmainstremblantes.—Vic,lance-moiunfouet!jehalèteenmaintenantmaprise.Elle ne bouge pas, tétanisée par la peur sans doute, mais elle doit sortir de cette stupeur si nousvoulonsavoirunechance.—Vic!jehurle.

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Elleréagitenfin.Sonregardscrutelagrandepiècequiaabritéquatreannéesdetortures.Ellefinitpartrouvercequejeluidemande,etmeletend.Je faisglisserCooper sur le ventre, contre le sol.Monpoids vient l’écraser, je relâche lapressionautourdesoncou.Ilsemetàtousser,ilestrouge,ils’étouffe.Sansréfléchir,animéparlahaine,j’entourel’unedeslanièresautourdesoncou,etcommeluil’afaitquelquesminutesplus tôt, je serre. Je serre soncoude toutesmes forces.Cooper sedébat,mais jerésiste.Ildoitmourir.Ilnedoitplusjamaisêtreunemenace.Perdudanslafolie,jecontinuedeserrer,ilsedébat,undrôledeson,synonymed’étouffementrésonneànosoreilles,maisjel’ignore.Jeveuxqu’ilcrève,pourcequ’ilnousafait.Jeveuxlevoirmortsurcesol.Jeveuxqu’ilcrève.Puis,jenesaiscombiendetempsaprèsavoirscelléceslanièresencuirautourdesagorge,Cooperserelâche,soncorpssedétend,iltombe,immobile.J’arrêtedetirer,mesmainstremblent,toutmonêtretremble.Jesuis…souslechoc.L’adrénalineretombe.Jel’aitué.—Tu…tul’astué…murmureVic.Jenesaispas,maisoui,ilal’airmort,étendusurlesol,lesyeuxclos.Jeledévisageuninstant,avantdemereleverenpuisantenmoilecouragenécessairepouragir.JemetourneversVicquiregardenotrebourreausanssavoircommentréagir.Jememetsdevantellepouravoirsonattention.Ellesembleperdue.—Ondoitagirvite,c’estsansdoutenotreseulechance.Vichochelatête,ellesepencheetramasselecouteautombédesmainsdenotrebourreau.—Ilétaitvenunoustuer,tucrois?medemande-t-elleenregardantl’arme.Je la prends doucement de sesmains sans répondre. Jeme penche àmon tour au niveau du corpsinconscientdeCooper,jefouillesespoches,jetrouvedanssonjean,letrousseaudeclésdel’espoir.Sinotreporteànousn’estpasfermée,peut-êtrequed’autresleseront.Puis,jesaisislamaindeVic,etlatraînehorsdecettepièce.Jeprendssoindefermerlaporte,pasàclé,maisdelafermerquandmême.Jemarcheversnotrechambreànous,verscesétagèresoùCooperetsansdouteuneautrepersonne,dontnousneconnaîtronsjamaislenom,nousfournissaitdequoinoushabiller.J’attrapeunshortetunt-shirt.C’estétrangedeneplusavoiràgalérerpours’habilleràcausedeschaînes.Jel’enfilenormalementsansavoir à le scratcher.Mesmusclesme crient leurdouleur,mais je les ignore. J’auraimal plustard.Le tissu contremondosmeurtrime fait grimacer,mesplaies saignent encore.Qu’elles soientvisiblesàl’œilnuoupas.Cettefois-ci,Coopern’yestpasallédemainmorte.Unefoishabillé,j’attrapedenouveaulamaindeVic.Sansprêterattentionàl’endroitquinousavugrandir et changer pendant quatre années, je nous guide vers cet escalier qu’on n’a jamais oséemprunter. Les seize marches semblent interminables. Lorsque nous arrivons devant cette grosse

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porte,moncœurbatàtouteallure,qu’est-cequisecachederrière?Oùavons-nousétéretenusdepuistantdetemps,quelleheureest-iletsurtout…est-cequelemondenenousapasoubliés?JemetourneversVicquiafficheuneexpressionaussitenduequemoi.—Promets-moid’êtretoujoursavecmoi,jechuchote.—Promets-moienretourquelavieàl’extérieurneserapasaussieffrayantequ’ici.—Jetelepromets.—Promets-moi qu’on s’aimera encore,mêmeaprès tout ça, continueVic en laissant échapper unelarme.—Jetelepromets.Vicfermelesyeux,samaintremblanteseglissedansmescheveuxnoirs.—Promets-moiquejamaisonn’oublieranotrefils.Monfronts’appuiecontrelesien.—Jetelepromets,jechuchoteànouveau.— Quand est-ce que s’aimer est devenu aussi douloureux à supporter ? m’interroge Vic dans unmurmure.—Quandlavieadécidédenousfairevivre toutça, jeréponds,maissansça,nousneserionsplusvivants,Vic, sansça, tu seraismorte, j’aurais sombrédans la folie.Coopernousaurait sansdouterayésdecemondeun jourde faiblesse.Sansnotreamour,etmalgrécequ’ilnousacoûté,nousneserionsplusvivants.Jeserresamain.—Soyonsvivantsàl’extérieurd’ici,jel’encourage.Viclaisseéchapperd’autreslarmesavantdemedonnersonconsentement.Elleapeur,çasevoit.Elleapeurdel’extérieurautantquedenotrecalvaireici.J’inspireenpoussantlaporte,quis’ouvre.Iln’apasfermé.Derrière,ilyaunautreescalier,avecuneautreporte,unepetitelumièreéclaireletout.Piedsnus,nouslesmontons,lentement,commesinousnousapprêtionsàêtresurpris.Jetienstoujoursdansmonautremain,lesclés,jemeprépareàdevoirchercher celle pour ouvrir la serrure,mais non, j’arrive à l’ouvrir également. Laporte n’était pasfermée.Nous déboulons dans un grand couloir, les lumières sont éteintes, il n’y a que la luminosité del’extérieurquiéclaire.Lamaisonal’airgrandeetcalme,ilyatrèspeudedéco,ondiraitquecen’estpashabité.JemetourneversVic,elleserremamaincommesisavieendépendait,jefaisdemême.Noussommesméfiantsalorsquenoustraversonscecouloirpourtrouverlasortie.Unsilencedemortrègne, je n’entends que les battements de mon cœur dans mes oreilles, je sens la peur me nouer

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l’estomac,etsi toutcecin’étaitqu’unrêve?Etsi j’allaismeréveilleretmerendrecomptequecen’étaitpasvrai?Lachuteseraitdouloureuse.Nousarrivonsauboutducouloirquimènesurunecuisineéquipée,lesrideauxnesontpastirés,jevoisl’extérieur.Noussommesdansunquartierrésidentiel.Jejetteuncoupd’œilàVic,elleavulamêmechosequemoi.Nousnesommespasaumilieudenullepart.Puismonregarddérivesurlaportequitrônesurlecôtédelapièceetquimèneà…dehors.Je jette un regard àVic, elle pense commemoi.Nous nous en approchons,mamain se pose sur lapoignée, je tire,mais c’est fermé.Alors, je testeplusieurs clés,Vic est tendue, ellen’arrêtepasdegigoter.Jeluidonnelecouteau,commeça,sijamaisCoopern’estpasmort,ellepourraledissuaderletempsqueje…Etlaportes’ouvre.—Viens,jelanceenreprenantsamain.Vic lâche lecouteau,et se laisseguider lorsque je la traînevers l’extérieur.Dehors il faithumide.C’estbientôt lecrépuscule.Enunseulcoupd’œil, jeconstatequ’iln’yapasgrandmondedans lequartier. Iln’yamêmepersonnedansmonchampdevision.Seulementdesdizainesdemaisons lesunesàcôtédesautres,avecdesvoitureshorsdeprix,despelouses,desfleurs.L’airestfrais.JesenslamaindeVicentourerlamienne,ellememurmurequelquechose,maisj’aidumalàlacomprendre.Monespritestdésorienté,ilyatropdechoses,çafaittropdechosesenuneseconde.Tropdevienousentoure.Elle commence à courir, et je fais de même, presque mécaniquement. Les douleurs de mon corpss’éveillent,j’aimalpartout.J’ail’impressiondeperdremesmoyens,mavuecommenceàsebrouiller,jetentedemarcheraumêmerythmequeVic,mais je n’y arrive plus. Je stoppema course, le souffle court, la peaubrûlante, jetangue. Tout tourne autour de moi. Mon regard se perd dans le vide, j’entends Vic hurler, monattentionsetourneverselle.Auloin,àpeut-êtrequelquesmètresdenous,jevoisdeuxpersonnesquis’arrêtentetnousdévisagentavantdesemettreàcourir.Cen’estseulementquelorsquejesuiscertainqueçayest,noussommesensécurité,quemoncorpsserelâche, perdu dans la souffrance de mes récents abus, je perds l’équilibre et m’effondre sur legoudronduretchaud.On a réussi, c’est tout ce à quoi je pense aumoment de sombrer dans l’inconscient, nous sommessortis de ce calvaire, nous allons retourner à la vie réelle.Et jemedemandequel goût auranotreexistence la prochaine fois que j’ouvrirai mes paupières. Est-ce que notre amour sera aussicompliquéàsupporterquelaliberté?

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Chapitre34Vic

17Juillet2016Lancaster,PennsylvanieLe procureur nous adresse un dernier sourire, puis il récupère son sac et quitte à son tour la salled’audience.Lesilenceretombe,alorsqu’ilyaquelquesminutescettesalleétaitpleineàcraqueretnousvoilàdenouveauseulsdanscetendroitquirenfermeluiaussilespiresmomentsdenotrevie.Monsieurleprocureurnousarassurésennousdisantqu’onavaitfaitdenotremieuxetqu’onn’avaitrienàsereprocher.Pourtantj’ailadésagréablesensationd’avoiréchoué.Reaganquiétaitappuyécontrelatablevients’asseoiràcôtédemoi.Iltentedeprendremamain,maisjenelelaissepasfaire.C’estlapremièrefoisquejelerepousse,quejerejettesesgestesetjesaisquejeviensdeleblesser.Maisjemesenstellementtrahiequejenesuispassûredereconnaîtrelapersonneàmescôtés.Jerelève lesyeuxsur lui, ilmedévisageavecpeuret jesensmoncœurseserrer.Je l’ai rarementvuainsidepuisqu’ons’estretrouvéetjecommencemoiaussiàavoirpeur.—Pourquoi?jedemande.—Tunecomprendraispas.Jedéglutis,lesparolesdeCooperressurgissentdupassé,etentresonmensongeetceprocèsquimefaitmoiaussidélirerquantàcequ’ils‘estpasséilyaplusdedixans,jedoute.Est-cequecequis’estditestvrai?Est-cequ’onestdesmenteursetest-cequ’ila réellementaiméça?Maraisonmeditquec’estimpossible,quelesmarquesetsesréactionsquandilrentraitvontàl’encontredeceraisonnement,maismoncœurmeurtrinesaitplusoùdonnerdelatête.—IlfautquetumeledisesReagan,sinonjevaiscroirecequ’onditici.Ilselèved’uncoup,sachaisepartcontrelabarrièrequinousséparehabituellementdenosfamilles.—Tucroiraiscesconneries?—Situnem’expliquespasoui!

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—Tucroisquej’aiétélevoirparcequejesuis…bordelVic!Jemelèveàmontour,agacéeparlatournuredecetteconversation,qu’est-cequ’ilcacheàlafindesiterrible!—Etqu’est-cequejedevraiscroire?Pourquoin’avoirrienditdanscecas?!Reagan me fusille de son regard, cette colère toujours palpable chez lui est prête à exploser. Uneimpulsiondemapartetj’auraisdevantmoilafuriequitentedesemaîtriser,maisquiaprèscettejournéeforteenémotionnetientplusencaptivitéqueparunmincefilminutile.Jem’approchedelui,jusqu’àsentirsontorsecontrelemien,jerestecalme,jeledoismalgrétoutesceschosesquitournentdansmonespritetquimedemandentdefuirauplusvite,deretournermeterrerdansmoncinémaàPortlandpour tenterdeguérir.Mais l’amourquej’aipour lui,cettecertitudeaufonddemoiquecethommeestincapabledemefairedumalestencoreprésente,malgréledoute,malgrélapeur,malgrélahonte,malgrétout.Reaganestmonessence,cefluidevitalquicouledansmesveinesetquimefaitdirejesuisenvie.Cenesontpaslesbattementsdemoncœurquicomptent,c’estpourquiilbatquiimporteetc’estpourlui.Alorsildoitmeparler,ildoitmedirecequ’ilcacheetcequisepassedanssatêteavantquejenedeviennefolleàimaginerdescentainesdescénariospossibles.—Tunemefaispasconfiance?—Toinonplusapparemment!Etc’estbienparcequejetefaisaisconfiancequejemesenstrahieReag!Situn’asrienàcacherpourquoitunedisrien!—Parcequetunecomprendraispas,parceque…Ilsetaitsubitementetselaissetombersurlachaise,satêteentresesmainsillasecouemécaniquement.—Reagan,jelancedoucement.—Jevoulaisdesexcuses,dit-ilsansreleverlatête,jevoulaislevoirprisonniercommenousonl’aétéenpensantquepeut-êtreils’envoudraitdecequ’ilnousafait.Le silence revient entre nous, un silence qui s’abat comme une claque surmon esprit. Reagan relèvedoucementlatêteetjemelaissetombersursesgenoux.Sesbrasm’entourentetjeprendssonvisagedansmesmainspourleregarder.Pourvoircettefailleenlui,cellequ’ilcachederrièresacolèreetquiestàvifàcetinstant.Ilsouffretellement.—Jevoulaisqu’ilregrette,qu’ilmeledise,qu’ilaitpeuretmal,qu’il…Sonfrontvientpercutermapoitrinepourcacherseslarmes.Jecaressesescheveuxenretenantladouleurquime broie le ventre de n’avoir rien vu, de ne pas avoir compris à quel point il a besoin de cetteréparation.C’est ce qui lemaintient en vie, ce combat, cette soif de justice et de vengeance et si onéchoue,ilsombrera.—Jevoulaislevoirsouffriràsontour,reprendReagan,maisjen’airieneudetoutça.

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Jerelèvesonvisageauxyeuxremplisdelarmesderageetdetristesse.—Ilari,cetenfoiréaridemevoirespérer.—Oh,Reagan,jesuistellementdésolée.Jeleserrecontremoidansl’espoird’enlevercettedouleurdanssonregard,maisjesaisquerienn’enviendra à bout tant qu’il n’aura pas sa réparation. Et j’ai peur qu’après aujourd’hui, il ne l’obtiennejamais.—IldoitpayerVic,parn’importequelmoyenildoitpayer.Jenepourraipasvivresicen’estpaslecas.Jeregardecevisagequejevoyaischaquematinautrefois,celuiquiétaitmalutte,mabataille,monenviedem’en sortir, et jeme rendscompteque je l’ai abandonnédanscetteguerre. Je l’ai laisséporter cepoidsseulalorsqu’ilatoujoursétélàpourmoi.—Pardon,dis-jecontreseslèvresavantdel’embrasser.Reaganm’embrasseavectoutcebesoindeneplusêtreseul,d’avoirquelqu’unsurquiilpeutsereposeràsontouret jeveuxêtrecettepersonnepourlui.Jeveuxqu’ilsachequ’ilpeutcomptersurmoi,qu’ilpeuttoutmedireetquejeseraitoujourslàpourlui.Mêmesidurantceprocèsjen’yétaispas,mêmesijemecontentaisd’êtrelàphysiquement,defairecequ’onattendaitdemoiparcequejenecherchaisrienentrecesmurs.Jenecherchaispasàmebattre,maisseulementàobtenircequ’onnousdoit.Maisçanefonctionne pas ainsi, aujourd’hui je le comprends, durant ces derniers jours et auprès de Reagan, jecomprendsquemavieserauncombatéternel,contremoi,contrelesystèmeetcontreCooper.Onnes’endébarrassera jamais, on devra continuellement donner plus que n’importe qui pour faire de notrequotidienunevie.Etjemebattrai,pourluietaveclui.

***18Juillet2016Lancaster,PennsylvanieJ’entredanslasalleàmanger,unsilenced’égliseyrègne.Magrand-mèremesourittendrementlorsquejeposemamainsursonépauleetmepenchepourl’embrasser.Jeparsm’installeràmaplace,enfacedelaportetoujoursentrouverte.Jesuisrentréetardhieraprèsletribunaletjen’aipasencoreeudroitàlaconversationqui,jelesens,nevapastarderàéclater.Hier,onestalléschezReagan,onacessédeparlerpourfairel’amouretjenem’étaispasrenduecompteàquelpointj’avaisbesoindeluiphysiquement.Besoindeleretrouveretdemeperdreenluipournousretrouver.Depuisl’annoncedemagrossessepassée,j’ail’impressionqu’ungouffrenousséparaitetnousl’avonscomblé.Puisilm’aparlédecejour,desavisiteàCooper.Jeprendsmonchocolatdansmesmainsetleporteàmaboucheenfaisantletourdespersonnesassisesàcettetable.Magrand-mèreàmadroite,fredonneunvieilairdecountryenbeurrantsestartines,mamèreenfacedemoi,malgrésonairdigne,adegrandescernessouslesyeuxquantàmonpèreàmagauche,ilnelitmêmepassonjournal,ilaleregardvidequierresurlatable.

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—Désolée,jefinispardire.Mamèrerelèvelesyeuxversmoietmetendcesourireindulgentquipardonnetout.—Pourquoitunenousasriendit?demandemonpère.Jemetourneverslui, ilnemeregardepas,songrandcorpsal’airabattuet jemedoutequec’estuneépreuvedepluspoureux.—Michael,lancemagrand-mère,tunecroispasqu’elleadéjàassezsouffertcommeça?Monpèreseredresseenfusillantsamèreduregardavantdesetournerversmoi.—Jenesaisplusquitues,dit-il.Moncœursebrisedevantlafranchisedesespropos.—C’esttoujoursmoi,jesuistoujourstafille.Ilsefrottelevisage,épuisécommeonl’esttous,dececombatquin’enfinitpas.—Non,ilreprendensecallantdanssachaise,depuistonretourj’essayedeteretrouver,maiscen’estplustoi.J’essayedecomprendrecequ’il raconte,monretour?Lequel?Celuid’hiersoirouceluid’ilyadixans?—Avanttonenlèvement, tuétaismafille,monbébé,cellequimêmeàquatorzeanssejetaitdansmesbrasquandjerentraisdutravail,cellequimevoyaitcommeunhérosetquiavaitconfianceenmoi.Jet’ailaisséecommeça,pendantquatreansetdansmatêtetun’aspasgrandi.Chaquejourquandjepensaisàtoi,jetevoyaisainsi,commecettejeunefillepleinedevieenmedemandantoùtuétais,situallaisbienetsituétaistoujoursenvie.J’entendsmamèrerenifler,jemetourneverselle,elletentedecachersonchagrinenprenantlamaindesonmari.Jesuissouslechocdesesparolesetjen’arriveàriend’autrequ’écouter.—Touslesjours,touteslesnuitsjemedemandaisquoifairedepluspourteretrouver.Qu’est-cequ‘onn’apasfaitquiauraitpunousmeneràtoietpourquoijen’aipasvuquemafillemementaitcesoir-là?Pourquoijen’aipasvuquetuétaisamoureuse?Pourquoijen’aipassuteprotégercommej’auraisdûlefaire?Ettuesrevenue.Iljetteunregardàmamère.—Quandont’arejointàl’hôpitaljemesuisjurédeneplustelâcher,denepluslaisserquiquecesoittefairedumaletdeteprotégercommej’auraisdûlefaireàl’époque.Maiscen’étaitplustoi,dit-ilensetournantversmoileregardbrillant,cen’étaitplusmapetitefille.Quandjemesuisapprochédetoi,tuas

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eupeur,tut’esrecroquevilléesurtonlitavecceregardquihanteencoremesrêves.Tuétaisterrifiéeparmoi, ton père. J’ai cru que ces années sans toi, toutes ses secondes à se demander comment tu allais,étaientlespires,maisvoirdanstesyeuxlapeurquejetefassedumal,c’était…Ilbaisselesyeuxensecouantlatêtejeressenssadouleurcommesic’étaitlamienneparcequ’avecmonpèreonavaitcelienparticulieràuneépoque.Onavaitcetteconfianceabsolueenl’autreetaujourd’huiilneresteplusriendetoutça.—J’aiperdumafillequandelleaétéenlevéeetj’aicomprisquejenelaretrouveraisjamaisquandelleestrevenue.Jet’aimeVic,jevousaimeplusquetoutavectonfrèreetjesuisdésolédenepasavoirprissoindetoicommejel’auraisdû.Tuasgrandisansnous,sansmoipourt’aiderettuassouffertplusquejenepeuxl’imaginer.Entendretoutesceschosessurtoidurantleprocès,entendrecombientuassouffert,entendreque tu as été enceinte et qu’on t’a avortéede force, voir tadouleurm’a fait comprendrequel’enfant qui m’a été enlevé est définitivement enterré, que maintenant ma fille est cette jeune femmetellementblesséequ’ellen’estpluscapabledem’approcher.Jesavaisquetuallaismal,jesavaiscequetu as vécu,mais j’espérais te retrouver, j’espérais qu’avec le temps tu reviendrais versmoi,mais lebébé…Jemelèved’unbondenlevoyantessuyerseslarmes,jeneréfléchispas,voirmonpèreenpleurenlèvecette barrière de peur qui me retient depuis trop longtemps. Je plonge dans ses bras et mon pèrem’accueilleenmeserrantcontrelui.—JesuistellementdésoléVic,tellementdésoléquetuaiesdûvivreça.Jemelaissealleràpleurersursonépaule,àdéversercemanquequ’ilyavaitentrenousetquireviendrasionfaitunefforttouslesdeux.—Cen’estplusmoimaintenantcehéros,celuiversqui tu te tournesquand tuasbesoind’aideetquiseraitcapabledetoutpourtoi.C’estlui.Ildégagemonvisagedesonépaulepourquejeleregarde.—Jesaisàquelpoint tu l’aimesVicetàquelpoint tuasbesoinde luietcommeil te faitdubien, ilt’aideàtereconstruire.Etjeregretteaujourd’huid’avoirvouluvousséparer,det’avoirvouluepourmoi,d’avoircruqu’onseraitsuffisantpourtoialorsquechaquefoisquetun’allaispasbiendurantcesquatreannées,c’étaitluiquiétaitlàpourtoi.Jedévisagemonpère,cesannéesquinousséparentdemonderniersouvenirdeluiquandtoutallaitbiendanscettefamilleestloin.Iln’estplusl’hommesûrdeluiqu’ilétaitàquaranteans,ilestblesséparcesentimentd’échecqu’ilaenversmoialorsqu’iln’auraitrienpufaire.Maisjelecomprends,totalement.Jesaiscequ’onressentquandonvousprendvotreenfantetquevousnepouvezrienfaire.Maisjesuislàaujourd’hui,etsiReaganaprislaplacelaplusimportantedansmoncœuretdansmavie,mesparentscomptent plus qu’ils ne l’imaginent. Ils sontma famille, ceux qui,même s’ils neme comprennent pastoujours,m’aiment.Ceux qui étaient là durant ces dix dernières années durant lesquelles j’ai tenté dereprendrepieddanslemonderéel.Leurschoix,leursdécisionsnesontpasforcémentlesmeilleurs,maisilsonttoujoursétéhabitédebonnesintentionsetjesaisquemonpèreauraittoutdonnépourmeprotéger,pourneplusvivrecequ’ilavécuquandj’étaisloindeluietqu’ilsedemandaitquoifairepourmesortir

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delà.Maisiln’apaséchoué,ilestrestéenretrait,ilaattenduquejevienneverslui,enpensantquesafille était encore là quelque part, cachée sous la peur,maismalheureusement elle n’existe plus.Cettejeunefilleestmortelejourdesonenlèvementetuneautreaprisplace,unequ’iln’apasvuegrandiretqu’ilaprisepouruneétrangère troplongtemps,mais je luimontreraiquejesuis toujoursVic,uneVicdifférente,maistoujourssafille.

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Chapitre35Reagan

18Août2016Lancaster,PennsylvanieUnmoisplustard…Ilyadesmomentsdansvotrevie,quevousattendezplusquecertains.LejourdeNoël,sonanniversaire,sonpremierbaiser,unebonnenote,untrophée,undiplôme,unerencontre,unamour,unevictoire.Àvingt-huitans,jesuisassisdansunepiècedanslaquelletoutlemonderetientsonsouffle,commelorsd’uneactionàla90eminuted’unmatch,oùn’importequoipourraitfairebasculerlarencontre.Jesenscettetensionpalpable,l’inquiétudeetlestress,lesgensquinousentourentsonttendus.Notrevieestsurlepointdebasculer,deconnaîtreunreposméritégrâceàunverdict,oubien…non,jen’osepasl’imaginer.Lavienepeutpasêtreaussichienneavecnous.Onenatropbavé.L’êtrehumainaunquotapoursupporterça,cen’estpaspossiblesinon.JeserrelamaindeVicdanslamienne,nosregardssecroisentuninstant.Jevoisàtraverssesyeuxtoutcequ’elleneveutpasmontrerauxautres.Del’amour,maisaussiuncourageetunecompassionquenousseulspouvonscomprendre.Jenesaispasdequoiserafaitdemain, jenesaispasoùnousallonsêtre,cequ’iladviendradenotrehistoire,quelleimportancevontavoirnossentiments.Est-cequenosviesvontreprendreleurcours?Jenesaispas.Jedoutedepouvoircontinuerdepuissonretour.Jemesuis renducompteque je retenaismonsouffle. Jenevivaispas, jesurvivais.Auxautres,àmesdémons,aureste.LavieestsidouceetsimpleavecVic.Mêmesisaprésenceàmescôtésmerappellecequ’onavécu,mêmesiparfois,ilestsidouloureuxdel’aimer.ElleresteVic,jeresteReagan,etcommedeuxaimants,noussommesliésl’unàl’autre.Je ne dis pas que se sera simple,mais j’ose espérer qu’avec la fin du procès et une chance de nousreconstruire,nousdeux,çapourraitmarcher.Jeveuxycroire.Parcequemêmesicesquatrederniersmoisn’ontpasétéparfaits,mêmesinousnousredécouvrions,nouslesadultesquelavieaforgés,certaineschosesn’avaientpaschangé.ElleétaittoujoursVic,etj’étaistoujoursReagan.Nousavonscontinuédepasserdutempsensemble,avecnosfamilles,puisséparément.Vicafaitsasortieavecmasœuretellesontbeaucoupparlé.Sesparentsm’ontacceptéchezeux,etj’aimêmepuparleravecsonpère.Contrairementaumien,ils’estexcusé.Ilaadmissesfautes,etjereconnaisquel’entendrem’afaitdubien.J’aicomprisqu’euxaussiontété lesvictimesdeCooper.Lorsquenoussommesrevenusdansleurvie,

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danslavraievie,nosparentsontdûfairefaceàdeuxinconnus.Ilsontfaitdumieuxqu’ilsontpu.Biensûr,çan’enlèvepasdixansdedétresse,dixansdesouffrance,maiscesexcusesapaisentcertainsmauxetfontdisparaîtrecertainescolères.Lafinduprocèss’estdérouléedemanièrerelativementcalme,noussommessimplementintervenussurcertainsmomentsdenotrecaptivité,maiségalementsurl’arrestationdeCooperetcequis’enestsuivi.Monbossestimpatientd’entendreleverdict,ilsaitquel’émissionestprête,ellel’estdepuisdesannéesdansuncoindemonappartement.Aucoursdedixansd’instruction,j’ailargementeuletempsdefairecequ’onpourraitfaireencasdemiseendocumentaire.Ilnemanquequelafinetletournage.J’aifuilebureau,parcequejenesupporteplusleregarddemesconnardsdecollèguesquinousjugent.Ilsmejugentsurunehistoirequ’ilsneconnaissentpas.Ilsnousjugentsurunamourqu’ilsnecomprennentpas.L’humainestparfoisunsacrésalopard,surtoutavecsessemblables.J’aipréparémadémission.Jelaremettraiàmonpatronunefoissacentièmeémissiontournée.Jeneveuxplusavoiraffaireades individusquiprofitentde lasouffrancedesautrespoursefairedufric. Ilsontvoulujoueretontgagnécettepartie,maisilsnegagnerontpaslesprochaines.Jenesaispascequejeferaiaprès,çasediscutera,commepourbeaucoupdechoses.Peut-êtrequ’ilseratempsdevivreetdenepasvouloirfairerevivrelesmorts,ceuxàquionafaitlamêmechosequ’ànous.JesorsdemespenséeslorsqueVicsedresse.Jecomprendsquelesjurésontenfinfinidedélibérer,lejugevaannoncerleverdict.Cefameuxverdict.Toutlemondeselève,saufCooper,sagementinstallédanssonboxdesaccusés,cetenfoirés’estdélectéduspectaclequ’ilaoffertdurantcesderniersmois.Jelesavaisperversetmanipulateur,maispasàcepoint-là.Ilnousatotalementbluffésparsestalentsets’estdégottéunavocataussipeuscrupuleuxquelui.Laterreentièren’apasfinidenoussurprendre.—Accusé,levez-vous.Coopers’exécute,sespoignetssontscelléspardesfers,j’espèrequecetenfoirécrèveraavec.Jen’écoutequed’uneoreillelesnombreuxénoncésquisontreprochésàCooper,toutcequejesais,c’estqu’ilméritesapeine.Ilméritedefinirsavieenprison,derrièrelesbarreaux.Mêmesiàmongoût, jetrouveçaàpeinesuffisant.Puisarrivecemoment,celuiquevousattendez.Votreregardseporteversl’hommeassisparmilesjurésquitientdanssesmains,lepapierquiferabasculernosvies.J’entendslesbattementsdemoncœurdansmesoreilles,jesensmarespirationdevenirdeplusenplusrapide,unsentimentdansmonestomacmetordlestripes.JeserrelamaindeVic,depuisbienlongtemps,jememetsàprierDieudenousrendrejustice.— La cour et les jurés déclarent l’accusé, Cooper Truman, non coupable pour les faits qui lui sontreprochés.Nousdemandonslalibérationimmédiateduprévenupour…Le resten’est pasparvenuàmesoreilles. Je suis resté figé aumot«noncoupable».Une lueur s’estéteinte enmoi à cet instant précis.Mon regard a dévié vers Cooper et ses avocats, il a souri, avantd’exploserdejoie,commes’ilétaitlavictimedanscettehistoire.Noncoupable.Ilaétéjugénoncoupablepourlesfaits.Ilsvontleremettreenliberté…—Leverdictestrendu.Laséanceestlevée.

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Jesorsdematranselorsquej’entendslesondumarteaudujugecontrelebois,unbruitsourdquimefaitréaliserquenon,noussommesbiendanslaréalité.C’estuneblague.Jesuisdansunputaindecauchemar!Noussommestoussouslechoc,maisjenelerestepaslongtemps,lahainedéferleenmoitellesoufflede l’ouragan. Je ne veux pas rester calme, je veux exploser, je veux montrer ma rage envers cetteinjustice.Vivel’Amérique,vivecesputainsdeprincipesoùunefaillepeutrendrelalibertéàunsalopard.Jemerendscomptequelechocm’avaitfaitmerassoir,jelâchelamaindeVic,jen’arrivemêmepasàluiprêterattention,jenepensequ’àcettehainequiboueenmoi.Jeme lèved’unbonddemachaise,mais jen’aipas le tempsde faireunpasqueParkeretmonpèrem’attrapentauvol.Leursbrasm’encerclent,maisjemedébats.Jedoisallerlevoir,jedoisagiretletuerdemespropresmains.Jeneveuxpasvoirsonsourire,jeneveuxpaslevoirvictorieux.Iladétruitnosviesetpourdesraisonsquejesaisreconnaître,ilestremisenliberté?!Ils’estservidenotreamourpouréchapper à la justice ! Son avocat s’est servi des failles de notre histoire pour lui donner la liberté.Jusqu’aubout,ilnousauratoutpris!—C’estçalajustice!jehurle.—MonsieurKane,calmez-vousouvousleregretterez!memenacelejuge.Jemedébats,jeveuxéchapperàlaprisedemesproches.Jen’entendspasleursparolesquitententdemeconvaincre,jeveuxlaissersortircetterage.Ellemefaitsimal,ellemebouffedel’intérieur,mecoupemonsouffle,mebriselecœur.Jenesuisplushumainlorsquejepenseàcequ’onnousafait,jenesuisplusunhomme,jesuisunechoseaussibestialequeCooperl’était.J’auraisdûletuercettenuit-là,j’auraisdûserrerdavantagelelienautourdesoncou,etilauraitpayé.—Vousrelâchezunmonstredanslanature!Unmonstrequiadétruitnosvies!Vousn’êtesqu’uneputaindebanded’enfoirés!—Reagan!JemetourneversCooper,monsangnefaitqu’untour, jedoisêtrebouillantderage, tellementquemavisionsetrouble,maispassuffisammentpourlevoirsefaireretirersesmenottes.Ilagagné.Ilnousabaisé,encore,ilnous…Jen’aiplusdemots.—Tupaieraspourtescrimes,enfoiré!Tupaieras!Jetebuterai,maistunevivraspas!jehurled’unevoixaffreuse.Jecontinuedemedébattreenhurlantdesmenaces.Jen’arrivepasàmecontrôler,lechocesttropgrand,et cette rage qui sommeillait vient d’exploser. Des agents de la sécurité sont obligés de venir, jemeretrouve la tête contre le sol,menotté,mais j’use dema voix. Je veux soulager cette douleur quimedétruitdel’intérieuretmefaissimal.C’estinjustecequinousarrive.Jen’arrivepasàmecalmer.SiVic laisse échapper des larmes, ce sont les cris demon cœurmeurtri qui résonnent. Les cris d’unhommequidevravivreavecsesdémons.Lescrisd’unhommequinepourrapasretrouverlapaix.Lejuge,lesavocats,nosproches,toutlemondemepressedemetaire,maisjenepeuxpas,jeveuxqu’il

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entendecequ’ilrisqueenmettantunpieddehors.Lavraiejusticen’apasfaitsonboulot,maismoi,jenelelaisseraipaséchapperàlamienne.

***Ilsm’ontgardétoutelanuitencagepourmecalmer.Jen’aipasvoulucoopérer,nicessermesmenaces,alors comme un putain de coupable, je me suis retrouvé derrière les barreaux. C’est assez ironiquecommesituation,lavictimeencageetlebourreauàl’extérieur.Lemondeestfou,lesgenssontcons,etl’universestinjuste.Jeleshaistous,jehaisnotreinstitutionenlaquelle jecroyais, jehaiscethomme, jehaiscesgensquin’ontpascompris. Ilsn’ontvuquecequeCooperabienvoululeurmontrer,ilssesontfaitmanipuler,etnousaussi…Nousavonsdenouveauétésesjouetsetmaintenant,ilestenliberté.Lorsquejesorsdutribunal,ilesttrèstôt,tellementtôtqu’aucunjournalisten’estencorearrivé.Jevoisseulementlalueurd’unsoleilquivabientôtselever,etuneberlineauboutdesescaliers.Unevoiturequejereconnais.Jepensaisvoirmesparents,maismasœuradûlesconvaincredenepasveniretilsontbienfait.Jenepourraispasgérerleurdouleur,lesmiennessontsuffisammentimposantes.MaisVicestlà.Lorsquejecommenceàdescendrelesmarches,deuxportièress’ouvrent,ellen’estpasseule,sonpèreestvenuavecelle.J’ail’impressionqueçavamieuxentreeux.Ilsontdûparler,etc’estsansdoutemieux.Surtoutaveccequejem’apprêteàfaire.Unenuitencagepourréfléchiràmavie,àmesfuturschoix,m’aapportésonlotderéponsesetdedécisions.EtVicvaavoirbesoindesoutien.Quandj’arriveàsahauteur,jeremarquequesonvisageestlégèrementbouffi,commesielleavaitpleuréunebonnepartiedelanuit,etjelacomprends.Moiaussij’auraispupleurer,ilyavaitdequoi,maisVicaassezdelarmespournousdeux,commej’aiassezdehainepournous.—Salut,chuchote-t-elledanslabrisematinaled’unevoixtremblante.Jejetteuncoupd’œilàsonpère,sonexpressionesttristeégalement.Qu’est-cequ’onpeutnousdiremisàpart«désolé»?Rien.Parcequ’aucuneexcusen’apaiseranosmaux.JetendslamainverslevisagedeVicetcaressesajoue.Jefermelesyeuxetmurmuredouloureusement:—Onnepeutpasêtreensemble,Vic,pascommeça.Jelasensseraidir,jesenslapeurl’envahir.Samains’agrippeàlamienne,elleserapprochedemoietmefaitouvrirdenouveaulesyeux.—Nemelaissepas,Reag,n’affrontepasçaseul.—Vic,tunepeuxpasêtreavecmoi,pas…Pass’ilestenvie,pass’iln’estpaspuni.Ellesefige,sonexpressionsepétrifie,etjecomprendsqueçayest,elleacompriscequejenediraipasàvoixhauteensaprésence.Oudumoins,elleaunepetiteidée.

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—Qu’est-cequetuvasfaire,Reagan!Jel’ignoreetmetourneverssonpaternel.—MonsieurKristensen,jevousenprie,nelalâchezpaslorsquejem’enirai.Sonpèrehoche la têteetcontourne lavoiturepour se rapprocher.Vic le foudroiedu regardet lui faitsignedenepasbouger,maisentresonpèreetmoi,selitquelquechosedesemblableàunepromesse.—Prenezsoind’elle.Il acquiesce de nouveau, il a compris. Je commence à marcher, mais Vic court et me rejoint. Ellem’attrapeparlebrasetmestoppepourquejelaregarde.—Regarde-moi!hurleVic,regarde-moijet’ensupplie!Jeladévisageavectellementdetristesse,jen’arrivepasàlacacher,jesuisdétruit,faibleetdésespéré.Jen’auraipaslecouraged’affronterçaunedeuxièmefois.Onvientdemeprendrecedernierboutdemoiennousrefusantunejustice.Jesuisvide.Je n’aimême pas besoin demots pourm’expliquer,Vic comprendmes non-dits, ce que je n’ose pasrévéleràvoixhauteetquimerongedel’intérieur.—Net’envapas,jet’enprie,net’envapas,nefaispasça!mepresseVic.Jecaressesajoue.C’estaffreuxcequejeluifais,affreuxcequejeluiimpose,maisparfoisenamour,onestobligédefairemalàl’autrepoursonbien.—Jet’aimeVic, jet’aimeplusquemaproprevie,et tuméritesdevivrelatienneenayantdequoilareconstruire.SaufquenousnepouvonspasêtreensembledansunevieoùCoopern’apaspayépourcequ’ilnousafait.Jemerapproched’ellepoursavourersachaleur, jemémorisechacundesestraits,mêmefigéedanslapeuretlatristesse,Vicresteunefemmesublimeetsimple,unefemmeunique,monexception.Cellequejepeuxappelermonâmesœur.—Ildoitpayer,Vic,ildoit.Jenepeuxpasvivresiluilefaitlibrement,jenepourraispasêtreavectoi.—Neparspas…Savoixs’étouffedansunsanglotalorsqu’ellecraque,ellealedroitdepleurer,ellealedroitdemehaïr.Jesuisinjuste,jesuiségoïste,maisjel’aimeetjenepeuxpasl’emmeneravecmoidanscettedescenteauxenfers.Jemepencheverssonoreille,monsoufflecaressesapeau,ellefrissonne.—Pardonne-moiqueçasetermineainsi,maisjen’aipaslechoix.

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Sonbrass’accrocheaumien,ellemeretientdetoutescesforces,maiscecoup-ci,ellenegagnerapas.—Jet’aime,ça,çanecomptepas?Onpourraitrecommencer,essayerdel’affronter,vivreensemble…J’encaissecesmots,cespromessesquimeséduisaienthier,maisquin’ontplusaucunsensmaintenant.—Vic,jeferaisn’importequoipourtonbonheur.—Maisc’esttoi,monbonheur.— Pas dans un monde où il est toujours vivant, pas dans un monde où il ne paie pas, je déclaredouloureusement.—Tuvasfaireuneerreur.Nefaispasça!Sonregardm’implorederevenirsurmadécision,maisest-cequ’elleaconsciencedel’ampleurdecettedernière?J’endoute.—Jen’aijamaisregrettéquelquechosenousconcernantVic.Jen’aijamaisregretténotreamour,jen’aijamaisregretténotrefils.Jen’aijamaisregrettémêmesiçaadétruitunepartdenous-mêmes.Jet’aime,alorsneretiensqueça,souviens-toiseulementdeça.Demesbrasautourdetoi,demonsouffledanstanuque, de nos deux corps n’en faisant qu’un, demon cœur entre tesmains. Tum’asmaintenu en vielorsquej’auraispusombrer,ettumel’asredonnélorsquej’aisombré.Je l’embrasseviolemment contre ses lèvres, un simplebaiser, pasunbaiser qu’on aimerait donner endisant adieu à la personne qu’on aime. Je ne peux pas lui donner ça, je n’aurais pas la force de larepousseraprès.—Laisse-moipartirVic,laisse-moi.Jenepourraispas…pasavectoiauprèsdemoi,jel’imploreàmontour.—Est-cequec’estladernièrefoisquejetevois,Reagan?mequestionne-t-elle.Jesensleslarmesmemenacer,cellesdeViccoulentdepuislongtempsdéjà.Est-cequ’ellelesentcommeelleatoujourstoutsentinousconcernant?Quelliensecréeentredeuxpersonnesquis’aimentavectantdeviolenceetdepassionentreelles?Jefermelesyeuxavantdelesrouvrirpourladévisageravecunbrefsourire,maisdansmavoix,toutelapeineestlà.—Sic’estladernièrefois,nelaretientpas.Neretiensquenotredernièrefois,neretiensquelorsqu’iln’yavaitquenousdeux,sanslemondeextérieur.Neretiensquelemeilleur,maisneretienspasça.—Tu…tumedisadieu.J’embrasse son front une dernière fois avant de m’écarter. Vic essaie de me suivre, mais son pèreintervient.Ilglissesesbrasautourducorpsdesafilleetlaserrecontrelui.

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—Ouunaurevoir.Mentirparfois à l’être aiméest lameilleurechosequ’onpuisse faire. J’aimerais luipromettrequecen’estqu’unaurevoir,maismalheureusement,unepartdemoisaisqueceneserapaslecas.Jem’éloigneenfermantlesyeux,j’entameunpasrapide,jeneveuxpasquequelqu’unmerattrape.JeneveuxpasqueVicaitunechancedes’accrocheràmoi.Jeneveuxpasrecroisersonregard,sinon,jenetiendraipas.Jeneveuxpasqu’ellevoitcesputainsdelarmesdehaine.J’entendslescrisdedétressedeVic,sadouleurqui ladéchire.Nousn’avonspasgagnéceprocèsquiauraitsoulagénosblessures,etj’enouvred’autres.Ellem’abrisélecœurunepremièrefoisenpartantavecsesparentsilyadixans.Jeluibriselesienenfaisantdemême,aumomentoùellealeplusbesoindemoi.Saufquelàoùjecomptealler,iln’yapasdeplacepourelle.Iln’yapasdeplacenonpluspournotreamourdanslesbas-fondsdecetenfer,ilyajustelahaineetcebesoindevengeancequim’anime.Cooperdoitpayer,etilpaiera,j’enfaislapromessepuisquelajusticenel’apasfait.Jeferaiensortedel’obtenir,mêmesipourça,jedoisylaisserVic.

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Chapitre36

Vic

MarsouAvril2006—Jevaisvouslaissertranquilleàprésent.L’agentselèveets’approchedemoi,avecelleiln’yapasdelarmes,pasdepitié,maisseulementunecompassionréelleetprofonde.Samainfroideseposesurmonbras,jerefrènel’enviedemedégagerenprenantsurmoi.—C’estfiniVic,vousêtesensécuritémaintenant,onl’aeu.Jemedégagedoucementdesaprise,ellemesouritenretirantd’elle-mêmesamainencomprenantmonembarras.Oui, on est en sécurité.Onest libres.Onest sortis de cet enfer et pourtant chaquematindepuisplusieursjoursquejesuisici,jemeréveilleaveclepoidsdemachaînesurmachevilleet la peur au ventre en pensant vivre un nouveau jour de torture.Mais tout ça est derrière nous àprésent.—Prenezsoindevous,melancel’agentdepuislaportequ’ellefranchitlaseconded’après.Je retombe surmon lit confortable, et pourtant cen’est qu’un lit d’hôpital,maispourmoi il adesalluresd’hôteldeluxe.Monvisagesetourneverslafenêtreoùlesoleiltape.Jesoupiredebien-êtreensentantsachaleursepropageràmoncorps.Mondieucommeçam’avaitmanqué.L’agentapassédeuxjoursàm’interroger.Deuxjoursàrépéterl‘horreur,àlafairerevivrealorsqu’iln’yapasune semaine elle faisaitmonquotidien. Je sais que jedevrai la répéter encore, quand lemomentseravenudecondamnerlemonstrequinousafaittantdemal,maispourlemomentjeveuxprofiterdecesmomentsdelibertéquelavieadécidéd’enfinm’offrir.Jemelève,j’aiencoreleréflexedetirerplusfortmajambegauchepourfairesuivrelachaînequin’yestplus.Ilfaudradutemps,jeprésume,pourquetoutredeviennenormal,etj’enmeursd’envie.J’aienviederedevenirVic,desortir, rire,danser,courirdans laruesous lapluieet le froid,meroulerdanslaneigeetbronzerdesheuressuruneplage.J’aienviedetoutçaavecReagan.J’enfileleschaussonsconfortablesquemamèrem’aramenésetjesorsdemachambre.J’airevumesparents.Lechocafaits’écroulermamère,leslarmesontsuiviettouts’estpassédansunbrouillardcompletpourensuitedeveniruneréalité.Jemesenscommeunbébéquivientdenaître,toutal’airnouveau, lesbruits, lesgens, tropdegensetde sensationspositivespourmoi.Quand j’enaiparléavecReaganilaeulemêmeressentienvoyantsesparents,desétrangersavecquionaeuunehistoirequ’ondoitretrouver.Maistoutviendraentempsetenheure.Avecmonpèreçaprendracertainement

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plusdetemps.Autantj’ailaissémamèremetoucher,pourqu’elleetmoicomprenionsquetoutçaestfiniautantmonpèrejen’aipaspu.Etc’estétrangeparcequ’avant,lescâlinsc’étaitlui.Mamèreetmoin’avionspascetterelationtendrequej’avaisavecmonpère.Ilnesepassaitpasunjoursansquejenesentesesbrasserefermersurmoi.Maisentre-tempsj’aidûfairefaceàquatreannéesdetortureparunhomme toutaussi fortque lui.Etmêmesi je saisqu’ilneveutpasme fairedumal, il restepotentiellementdangereuxpourmonespritquin’arienoubliédeladouleur.Jeregardesilecouloirestvide,c’estlecas,maperfusionetmoinousdéambulonslibrementdanslecouloirdel’hôpitalpourserendredanslachambred’àcôté,celledeReagan.J’entrerapidementetlaisselaporteentrouvertederrièremoi.Ilyaencoremonlitàcôtédusien,celuiquejenevoulaispasquittermaisquej’aidûlaisserpourqueReaganetmoipuissionsretrouvernosfamilles.Ildort.Jel’observeenm’approchant,ildortsurleventre,sondosesttotalementrecouvertdepansements.Jefrissonneengrimpantsurlelit.Lesimagesdececalvairequ’ilaendurésousmesyeuxencorevivacesdansmonespritalorsquelasuitemesembleconfuse.Notreévasionamisdutempsàentrerdansmatêtecommequelquechosederéel.Quandcesgensdanslaruesesontapprochés,quandlessecourssontarrivésetqueReaganétait inconscient jecroisquemêmeaprès toutceque j’aivécuentre lesmainsdeCooper,çaaétélespiresminutesdemavie.Jepensaisquepeut-êtretoutçaavaitétéfaittroptard,qu’onavaitsaisicettechanceaumauvaismomentetqu’iln’ysurvivraitpas.Lescoupsontétésiviolents,soncorpssimarquéquec’estunmiraclequ’ilsoitlà,endormisurcelitàreprendrelesforcesqu’ilalaisséeslorsqu’ons’estéchappé.Jemeglissesouslescouvertures,prèsdelachaleurdesoncorpsensouriant.— Tu sais qu’ils ne sont pas dupes de ton petit manège ? lance Reagan en frottant son visageensommeillésurl’oreiller.Illèvesonbrasetjemefaufiledessousensoupirantdeplaisir.Jesaisquelepersonneldel’hôpitalestaucourantdemonmanègeetqu’illaissecourir.Maisjenepeuxpasmeréveillersanslui,jenepeux pas passer de quatre années à sentir son corps contre le mien chaque matin à rien. Dès lapremièrenuitoùilsnousontséparés, jemesuisretrouvéelematindanslesbrasdeReagancommetoujours.Jen’aipasréfléchienmeréveillantaumilieudelanuitdansmachambrevide,jesuisalléele retrouver etmême s’il était à peine conscient à cause desmédicaments qu’on lui a donnés poursoignersondos,ilasentimaprésenceetçal’aapaiséautantquemoi.Depuis,touslessoirsjevaisdans sa chambre, tous lesmatins je laquitteavantque les infirmièrespassentpuis je reviens et jeresteavecluijusqu’auprochainsoin,etainsidesuite.—Çava?Jesourisensentantsamainpincermeshanches.—J’aivumonfrèrecematin.Je repense à la tête brune demon frère, à ses yeux bleus remplis de larmes et au doute dans sonregard. J’ai eu peur qu’ilm’oublie durant ces quatre années, j’ai eu peur d’être physiquement uneinconnuepourlui,maisc’estluiquiestuninconnupourmoi.Ilagrandietjen’aipasassistéàcechangement.Reaganm’avaitditaprèsavoirvusasœurqu’ilnel’avaitpasreconnue,maisilasuffiqu’elleouvrelabouchepourqu’ilretrouvesasœur.

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—Ilm’apromisqu’iln’avaitpasmislebazardansmachambre.JetournemonvisageversceluideReaganilmesouritencaressantmajoue.—Attends-toiàretrouverunvraibordelalors.— Tu crois que pour eux c’est pareil ? Qu’ils ont du mal à nous reconnaître ? je demande enembrassantsonnezpuissabouche.—OnatouschangéVic,eux,nous,etçaprendradutempspourquechacunretrouvesaplace.Maisceneserajamaispluspareil.Jenesaispassijeveuxquecelesoitousijeveuxquecesoitdifférent.Pourlemomentjenesaisrien,jesaisseulementquenoussommeslibresetc’esttoutcequiimporte,l’avenirnousdirapourlereste.Reaganmerapprochedelui,sabouchepartdansmoncouet jesavouresesbaisersquin’ontpluslacraintedevoirarriverCooperetqu’ilnousfassemal.—Qu’est-cequ’onferaReagan?J’aimequ’ilmeparled’avenir,j’aitoujoursaiméça,c’étaitnotreévasionmentale,maisaujourd’huitoutcequ’ildirapourraêtreconcret.—On se roulera dans les feuillesmortes en automne, je t’apprendrai à conduire, on s’embrasseradanstachambre…Je ferme les yeux, jeme laissebercerpar sesparoles et je finisparm’endormir enpensantque lachanceaenfintourné.Qu’ellenousoffreunenouvellevie,quiaurasesmomentsdedouleur,quiaurabesoin de temps pour être savouré, mais tant qu’il me tient dans ses bras je sais qu’on peut toutaffronter.

***Onm’aenfinenlevémaperfusion. Je suisbonnepour sortirbientôt. J’aipeur.L’hôpitalaquelquechose de rassurant, un endroit aseptisé avec certes beaucoup demonde, mais ce n’est rien face àl’extérieuretjenesuispassûredepouvoirl’affrontersanslamaindeReagandanslamienne.Luivasûrementdevoirresterpluslongtempsquemoi,sonétatluipermetdemarcherseulementdepuisdeuxjours.Jem’apprêteàlerejoindrepourlajournéequandmaportes’ouvre.Mes parents entrent, mamère a un sourire étincelant, un qui ne la quitte plus depuis qu’elle m’aretrouvée,mêmesijelarepoussesanscessequandelles’approchedemoi.Jeneveuxpasqu’onmetouche,quecespersonnesquisontmesparentsmetouchent,qu’ilssententlasaletésurmapeauouqu’ilsmeblessent.La psy de l’hôpital m’a dit que c’était normal d’être euphorique et apeuré, mais que cet état nedureraitpas.Bientôtjeprendraitoutpourdelanormalitéetc’estàcemoment-làqueçarisqued’êtredangereux pourmoi. Je pourrais chercher à retourner dansmes habitudes de ces quatre dernières

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années. Selon moi, ce n’est pas près d’arriver, j’ai trop de choses à faire, à vivre pour penser àretrouvermoncalvaire.Quivoudraitleretrouverdetoutefaçon?Monpèrerefermelaporteetmonregardnequittepassamainsurlapoignée.Jerevoisd’autresmainsfairelemêmegeste,danslachambredeladouleur,fermeretensuite…—Vic?demandemamèreapeurée.—Laporte…Monpères’empressedel’ouvrirengrandetjerespiredenouveauenvoyantlecouloirdel’hôpital.—Désolée,jelanceenbaissantlesyeux.—Net’excusepas,j’auraisdûypenser.Monpèreseplacederrièremamèreenfacedemonlit,ilsnes’assoientpas,d’habitudeilslefont.Ilsmerapportentduchocolatoudestrucsàmangerquejen’aipassentisdansmabouchedepuistroplongtemps.Ilsmeparlentdemonfrèredetoutetderien,maispasaujourd’hui.—Qu’est-cequ’ilya?jedemande.Ilssejettentunregardremplid’appréhensionetjecommenceàpaniquer.—Rien,toutvabien,net’enfaispas.—Maman,jesoupire.Jesouris,j’aimedirecemot,j’aimesavoirqu’ilssontlàànouveauetquejepeuxlesappeler.—Lesjournalistesnousontassaillisquandonestentrésetc’étaitassezétrangetoutecettefoule.Ilsfinissentpars’asseoiretmamèrereprendsesdiscoursvolubilessurlemondeetcequej’airatécesdernièresannées.Monpère,lui,al’airailleursetinquiet.Jemesouviensdeluicommedequelqu’underassurant,quelqu’unquisupportelesproblèmesetlesgère lemieux possible sans faillir,mais sûrement quema disparition a eu cet effet néfaste sur luiaussi.—Qu’est-cequ’ilsepasseentretoietReagan?ilfinitpardemandersansmêmesetournerversmoi.J’attendaiscettequestiondepuisqu’ons’estretrouvés,depuisquej’airéclaméReaganplusquemesparents,depuisqueleplusimportantdansmavieestdanslachambred’àcôté.Etjenesaispassijedoismentiroudirelavérité.Jenesaispass’ilestpréférabledeleurépargnerunerelationétrangeous’ilvautmieuxlesconfronterdirectementàlaréalité.Jejetteunœilàmamère,elleattendpatiemmentquejerépondeenmetendantunsourirerassurant,unquimemontrequ’elleaccepteratoutesmesréponses.Etjedécidedenepasmentir,mesmensongesm’ontcoûtéquatreansdemavie,sanscompterqueReaganestvitalpourmoi,alorsilferapartiedemavieautantqu’ilss’ypréparent.

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—Ons’aime.Monpèrefermelesyeuxetsatêtepartenarrièrecontreledossierdusiège.Moncœurtambourine,commes’ilattendaitunverdict,unechosequidéfiniramavieau-delàdel’hôpital.—Jecroyaisqu’ilsmentaient,quevousétiezsimplement…—Quoi?Tucroyaisquoiexactement?—Qu’ilétaitunsoutien,maispasça.Jesecouelatête,dépitéparmonpèrequiadumalàcroirecequejeviensdeluidire.Pourtantons’aime,notrecalvairenousarapprochés,ilauraittoutaussibienpuseulementfairedenousdesamis,deuxêtresquisesoutiennentmutuellement,maisnoussommestombésamoureuxetaujourd’huijenesuispasprêteàreniermonamourpourlui,pasaprèstoutça.Pasaprèscequinousaliésdurantcesquatreannées.—Quivousl’adit?—Sesparents,merépondmamère.Reagannem’enapasparléetsic’estlecasc’estsûrementqu’ilsontcompris.—On s’aime, je reprends, c’est ainsi etmême si ça peut paraître étrange il est tout ce que j’ai àprésent. Je sais que vous êtes là, que vous êtes ma famille, mais lui il a été là durant ces quatreannées,ilétaitlàchaquejouretsanslui…jeneseraispasiciaujourd’hui.Ma mère se lève et tente de m’approcher, mais elle se retient de me toucher devant mon regardd‘avertissement.J’essuieleslarmesquisontsortiessanspréavis.—Onsaitmachérie,onsaitqu’ilestimportantpourtoi.—Jedoutequevoussachiezàquelpoint.Jemerallongedansmonlitenleurtournantledos.JeneveuxpaspartagerReaganetnotrerelationaveceux.Jeneveuxpasqu’ilssachentouqu’ilscomprennent,jeveuxseulementqu’ilsacceptentlaréalité.Jenevivraispassanslui,commejen’auraispasvécutoutcetempss’iln’avaitpasétélà.Ilm'aaidée,soutenu,ilm'aportéquandçan’allaitpasetaprèslebébé,ilaprissoindemoialorsquej’aicrumourir.Ilsdevraientleremercier,parcequesiaujourd’huiilssontsoulagésdemaprésencec’estgrâceàlui.

***Jeprends lecheminde lachambredeReagan.La journéeaétérude.J’aidûme justifier surnotre

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relation,j’aidûexpliquercequejenevoulaispas,maisauregarddemonpèrejesavaisqu’ilnesecontenterait pas demon constat. Il lui fallait plus, comme il faut plus à tout lemonde, au flic, aumédecinetàtoutepersonnequim’approche.Jepassemontempsàm’expliqueretjesuisfatiguéedeça.J’entredanslachambredeReagan,ilnedortpasencore,ilesttoujourssurleventreetilmesouritenmevoyant.—J’aicruquetuneviendraisjamais,dit-iltoutbasentirantlescouverturespourmelaisserentrerdanssonlit.Jeplongedanslachaleurdesonlittoutcontrelui.—Jetemanquais?—Tumemanquesàlaminuteoùtupassescetteporte.Je me redresse pour l’embrasser, sa bouche accapare la mienne, nos lèvres, qui se connaissentparfaitementaiment tellement se retrouver, c’est commerentrerà lamaison,uneboufféed’oxygènerevigorante.Reaganmefaitpassersouslui,notrebaiserdevientpluspassionné,plusempresséetj’ignorecombiendetempss’estécoulédepuisladernièrefoisqu’onafaitl’amour,maismoncorpsmeditquec’étaitilyatroplongtemps.LecorpsdeReaganseposesurlamien,jemeretiensdepassermesmainssursondos, j’attrape seulement sa nuque doucement en l’embrassant avidement. Je sens cette chose seréveillerdèsqu’ilmetouche,cebesoingrandissantquil’appelledésespérément.—Toiaussitumemanques,dis-jecontreseslèvresenreprenantmonsouffle.Il me sourit en caressant ma joue, la veilleuse qu’ils laissent dans sa chambre nous éclairesuffisammentpourquej’arriveàvoirsesyeuxmagnifiquesremplisdedésir.—Pourquoitun’espasvenueplustôt?—Mesparentssontvenuset…—Et?ildemandeenvoyantmonhésitation.—Ilsm’ontdemandépournous.Reagansoupireetappuiesonfrontcontrelemienpendantquejecontinuedecaressersanuque.—Jeleuraiditlavérité.—Etqu’ont-ilsdit?Jerepenseàmonpèreprostrésurlefauteuildemachambre,leregarddanslevidecommesitoutétaittropfortpourluietqueçaméritaitréflexionpoursavoirs’ilpouvaitl’accepterounon.Mamère,elle,m’asourietjesaisqu’ellenecomprendpas,maisqu’elleprend,parcequec’estmoietquec’esttout

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cequicompte.—Rien,iln’yarienàdiredetoutefaçon.Jet’aime,àeuxdevivreavecça.Reaganposedenouveauses lèvressur lesmiennes,mais jem’écarteavantdeperdre lecontrôleetd’enoubliermaquestion.—Qu’ontditlestiens?Sesmainsviennentencadrermonvisage,sespoucesmecaressentetsonregardgraveetfrancplongeprofondémentdanslemien,siloinenmoiqu’ildoitêtrecapabledevoirmonâme.—Jemefousdecequ’ilsdisentoupensent,tuesdansmavieettuyresterasqu’ilssoientd’accordounon.Cen’estpascequicompteVic,c’estnous,toietmoiaprèstoutça.Personnenenousséparera.Sitoutcequ’onatraversén’apasréussi,cen’estpasçaquinousarrêtera.Jet’aime,jeteveuxavecmoi,danscetteviecommedanslaprécédente,jeveuxqu’onfassetoutesceschosesqu’onaimaginéespouvoirfaireetjeveuxqu’onlefasselibrement.Jereprendsseslèvresavecpassion,sesmots,sonregard,soncorpsquis’appuiedeplusenplussurlemienravivemondésir.Reaganestl’hommequemavieachoisi,paspardépitouparbesoin,maisparenvie.Parcequ’ilestfort,parcequ’ilestintelligentparcequ’ilestdrôle,parcequ’ilestbeauetparcequejel’aimeàm’encouperlesouffle.—JenetequitteraijamaisVic,jetelepromets.Etjel’aicru,commejel’aitoujourscru.J’aicruqu’onseraitinséparablequ’onseraitcesdeuxêtresque personne ne comprend, mais qui n’ont pas besoin de ça pour être heureux, qui ont seulementbesoind’êtreensemble.Reaganm’a fait l’amourdoucement, tendrementavecamouretpassion.Ons’estaimésunedernière foiset le lendemainje lequittais.Touts’envolaitcommemoiquipartaisàl’autreboutdupays,loindeluietdecequiafaitmonmondedurantlespiresannéesdemavie.Onm’aprivédemonessenceennousséparant,enmeforçantàfairecechoixquin’enétaitpasun,ensuivantmes parents à Portland. J’ai laissé Reagan cematin-là, endormi sur le ventre, apaisé, soncorps semblait serein et son esprit n’avait pas l’air de le faire cauchemarder.Et je n’ai pasdit aurevoir.Parcequ’iln’yapasd’aurevoir,entreluietmoi,ladistanceseraimmense,letempslong,maisonseretrouvera,parcequeReaganneromptjamaissespromesses.

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Chapitre37Reagan

10Décembre2016Quatremoisplustard…Lorsqu’oncôtoielemeurtre,onalachancedesavoirquellessontsesfailles.Onsaitleschosesqu’ilnefautpasfairepourplonger.Leserreursqu’ilnefautpascommettre,lesdétailsauxquelspenser.La vengeance parfaite ne se prépare pas en une nuit, il faut du temps, il faut des moyens, il faut del’intelligence,etj’aitoutça.J’aiprisletempsdelesobtenir.J’aiprisletempsdefairecequ’ilfallaitpourquetoutsoitparfait.J’aiattenducemomentdepuisdixans,jen’aipasenviedelerater.Danslavie,onn’ariensansrien.C’estcequej’aicomprisaprèsvingt-huitansdevie.Aprèsdesannéesàcôtoyerlemal,àledompterpournepassombrer,cesoir,jevaislelaissermedominer.J’ailuunlivrelorsquej’aipassémondiplômeencriminologiequidisaitquelemalétaitenchacundenous, et qu’il suffisait d’une fractionde seconde, d’un acte, pour le déclencher.Nousne sommesplushumains,nousdevenonsdesmonstres,letoutenquelquesinstants.Petit j’avais peur de l’eau, j’avais peur de lamer et de sa profondeur, je pensais que l’océan allaitm’engloutirlorsquejem’ybaignais.Jenevoyaispaslefondetjepensaisqu’iln’yenavaitjamais.Plusgrand,j’aicomprisqu’ilyavaitunfond,seulement,onnel’avaitpasencoretouché.Etquisait,peut-êtrequejamaisnousneletoucherions.Autour de nous, il n’y a pas que l’océan qui nous engloutit, il y a la nuit aussi et ce calme presqueinquiétant.Noussommesseulsaumonde.CelafaitdesheuresquejenavigueenmeravecleGPSpourtrouverl’endroitquej’airepéréàl’avanceenfaisantdesrecherches.Nousysommes.JeregardeCooperinconscient,ilgitsurunebâchepournepastacherleboisdubateauavecsonADN.Çafaitdeuxjoursquenoussommesentêteàtête.J’aimismonplanàexécution lorsqu’ilne s’yattendaitpas. Jenemepensaispascapabled’êtreàcepointcruel,etpourtant,lahainenouspousseàfairedeschosesinhumaines.Cettedernièrem’adonnélaforced’allerjusqu’aubout.Jel’aiobservédurantquatremoispourconnaîtreseshabitudes,puisquandlemomentaétépropice,jel’aienlevé.Jel’aimaîtriséenluiinjectantunpuissantsomnifèredanslesveines.Onaprislaroute,puislebateau,etilyaquelquesheures,lorsquej’aijetél’ancre,jeluiaiinjectéunproduit spécial pour le rendre incapable de bouger à son réveil,mais qui ne l’empêchera pas d’êtreconscient.Maintenantj’attendsqu’ilseréveille.Jetiresurmaclope,lafumées’échappedanslanuit,moncœurbatàtouteallure.Jen’aijamaistabassé

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personne,j’auraisputabasserCooper,maisçalaissedestraces.Ilfautdirequejen’aipasvraimenteul’occasionaucoursdemonadolescenced’userdemespoings.Jeregardemonbourreau,etjemedemandes’illesent.S’ilsedoutequesonheureasonné.S’ilsaitquelavengeanceestprocheetqu’ilvapayer.J’ignorecombiendetempsj’attendsavantquejenevoiesatêteremuer.—Tuteréveillesenfin,jesouffle.Jetireunedernièrefoissurmacigaretteavantdelajeterenmer.J’entendslesgémissementsdeCooper,ondiraitunepetitefille.Jeneressensaucunecompassion,jesuisfroid,glacédel’intérieur.Lesquatremoisquiontsuivilafinduprocès ont été difficiles. Lesmédias nous ont harcelés, j’ai terminé le documentaire en le jetant à lagueuledemonpatronquiriait.J’aidémissionné,déménagé,confiémonchienàParkerendisantquejereviendraislechercherdansquelquestemps.Jen’aipasvumesparentsnimasœur,jemesuisisolé.J’enavaisbesoin,jevoulaisêtreseulpourréfléchiràtoutça,àcequej’allaisfaire,sansprendrelerisqued’êtredécouvert.L’amourpeutnousfairefairedeschosesstupidespourprotégerl’autre,etjen’osepasimaginercequ’auraientpufairemesproches.J’ail’impressionquejevaisexploser,jesenscettehainesipuissanteenmoiquej’entremble,ellemedominetellement,ellen’ajamaisétéaussiforte.J’aicraquémacarapaceetmesdémonsensortent,cen’estpasbeauàvoir.JemelèveetmarcheversCooperpourlevoiravecplusdeclarté.Ilestréveillé,sesyeuxsontouverts,maisjen’aipasl’impressionquelerestedesoncorpsbouge.Sansdoutequeladroguequej’aiinjectéefaiteffet.Sonregardcroiselemien,ilsefige,l’espaced’uninstant,jevoisdanssesyeuxmarronlapeur.Bordel,ilpeutsechierdessuseneffet.—Oùsommes-nous?m’interroge-t-ild’unevoixpâteuse.—Enmer,jedéclared’unevoixfroide.Coopercommenceàpaniquermaissoncorpsnebougepas.Jeneressensrien,lui,çal’excitaitdenousvoirnousdébattredenosliens,maismoi,j’aijustepitié.Pitiédumonstrequ’ilest.J’aijustelahainedel’avoirsiprèsdemoi.Ilm’interrogeduregardpoursavoircequ’illuiarriveetj’aipitié.—Jet’aiinjectéuntruc,tunepeuxpasbouger.T’esfaitcommeunputainderat,jedéclarefroidement.Jemebaisse,saisissescheveuxettournesatêtedansmadirection.Jen’oubliepasquej’aiaffaireàunmonstre,unmonstrequiaendossélerôled’unevictimedurantquatremois.J’aiécoutésesinterviews,j’ai lusesputainsd’articles, ilnousaurafaitpasserpourdesfous. Ilnousauradétruits jusqu’aubout,mêmenosviesd’adultes,ilnouslesauraprises.Cooper esquisse un léger sourire, puis il se met à rire, et ce son sec et tranchant me fait bouillirdavantage.—Nousyvoilàenfin,chuchote-t-il.Je le lâche sans répondre, et marche vers l’autre bout du bateau de pêche, je n’ai pas dormi et je

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commenceàêtreépuisé.C’estl’adrénalinequimemaintientenalerte,savoirquejetoucheduboutdesdoigtsmonbut.Après,jem’effondrerai.—Tuasenfinlescouillesd’agir,lâcheCooper,immobile,tuesenfinunhomme!Ilsemoquemaisjenel’écoutepas.Jeretirelabâchedel’objetquej’aiconstruitdemespropresmainsetletireverslecentredubateau.—OnneteretrouverajamaisCooper,jem’ensuisassuré,jelanced’unevoixterne.Jesensleregarddemonbourreausurlaboiteenmétaltrouéeàlatailled’unhomme.Ilseremetàrire.—Toutcequitombeenmerfinitparressortirunjour.Jeme surprends à sourire, la colère fait battremon cœur plus vite. Je laissemême échapper un rirenerveux.Ilfaiterreur,dansnotresituation,rienneremontera.—Non,pascettefois.Jesorsdeplusieurssacsdesport lesnombreuseschaînesenacieret lescadenasquej’insèredansleszonescrééesexprès,toutenluifournissantdesexplications.—Ilyatroisans,j’aifaituneémissionsurunhommequiatuéplusieursfemmes.Illesajetéesàlamer,en lestant leurs corps dans une simple housse. Malheureusement, il n’avait pas prévu qu’avec ladécomposition,etl’environnement,lahoussenetiennepas.Plusieurscadavressontremontésetilaétéarrêté.Sonidéeétaitloind’êtremauvaise,alorsj’airéfléchi.Lamerestunvraicimetière,maisellen’estpasunetrèsbonneamie.Alorsilfautfaireensortededevenirsonmeilleurami,commeça,ellenouslerendrabien.Jemontrelesold’unsignedelamaintoutencontinuantdeluiparlerd’unevoixfroide.—Sous nos pieds, il y a une faille comme il y en a beaucoup sur la terre. Elle est si profonde quepersonnenes’enapproche,cen’estpasunezonedepêche,cen’estrien.Personneneviendrafouillerici,etsiunjour,quelqu’unvientmettresonnezdanscettezone,Cooperseraintrouvabledepuislongtemps.Jem’ensuisassuré.Jesenslatensions’échapperdeCooper,suivisdeprèsparlacolèreetlapeur,cetenfoirévientdepiger.Ilnepourrapassedélecteruninstantdemevoirpayersonmeurtre.—Tuastoutpréparésalopard!crache-t-il.Jejettelachaîneausol,etmejetteàmontoursurlui.—Nel’avais-tupasfait?Lorsquetuasprisladécisiondenousséquestrer,n’avais-tupasfaitensortequetoutsepassepourlemieux,pourtoi?Ilestpirequemoidans l’histoire.C’est luiquiafaitensortequetoutsoitparfaitpoursesputainsde

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fantasmes.Ilavaitl’argentpourséquestrerdeuxgamins,pourenfairedesesclavessexuels.Illepouvaitalorsill’afait.Jeneluirendsquelamonnaiedesapièce.Cooperseremetàrire,jecroisquelesanesthésiantsontcertainseffetssecondairessursapersonne,maisjem’enfous.— La justice a été clémente et stupide envers toi, mais neme demande pas de l’être àmon tour, jerenchéris.—Commenttuvaslaregarderavecmonsangsurlesmains,lance-t-il.Encoreunefois,ilestàcôtédelaplaque.—NonCooper,jen’arrivaispasàlaregardercommeelleleméritait.Tuasprivénotrefilsdesavie,tuasdétruitlanôtre,tuméritesd’ensubirlesconséquences.Tuvassombrerdansl’oubli,tuneserassansdoutepersonneauxyeuxdelajustice,maistun’existerasplusauxyeuxdumonde.—Tuvasdevenircommemoi,semoqueCooper.Jemefigeenledévisageant.Ilsetrompe,pourdevenircommelui,ilfautexercerl’horreurlongtemps,jenevaislalaisserm’emporterqu’uninstant.—Non,j’accèdeàlapaixcommejepeux,etsipourça,jedoisvivreavecd’autresdémons,aumoinsj’auraichassélestiens.—Tun’espascommeçaReagan.Pourtantàcetinstant,jenevauxpasmieuxquelui,saufquejem’encontrefous.Jemetournesansl’écouteretparscherchersonfuturcercueil.Jetireversluilacaisseenmétaltrouéetprêteàêtrelestée.Jeneréfléchispaslorsquejelesaisisparlesbrasetlesoulèvepourlemettrededans.Jelefousdanssacaissesansprendreletempsdeleménager,ilnesentriendetoutefaçon.Unefoisqu’ilestallongédedans,jel’observeuninstant,lesoufflecourt.C’estmadernièrechancedesavoircequimehantetantdepuisdesannées.—J’aimeraissavoirsit’asquelquechoseàdireenfoiré,jelanceenm’appuyantsursontombeau.Cooperrit toujours,et j’ai l’impressionqu’ilmourraavec,commelepauvrefouqu’ilaétédurantdesannées.Ilvamourir,maisnesemblepaspaniquer, ilsemblel’accepter,commeunefinlogiqueànotrehistoire.—J’auraisdûtetuerdevantsesyeux,lâche-t-ildansunchuchotement.Aumoins,jemeseraisdélectédesonchagrin.Sijeneregrettequ’unechose,c’estbiença.Denepast’avoirtuélorsquej’aidécouvertquetulabaisais.—Tuasratétachance,maisjenerateraipaslamienne,jesouffled’unevoixéteinte.Lesbattementsdemoncœursefontplusrapidesdansmapoitrine.Jusqu’aubout,ilauratrouvélemoyendemefairemal.

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Malheureusementpourlui,c’estbientôtfini.—C’estainsi.Maisauxyeuxdetous,ilauraremportélabataille.Jegagnerailanôtre,maisofficiellement,ilnepaierajamais.—J’auraistroisquestions,jelanceenledévisageant.—Pose,maisn’attendspasdesréponses.Jelefoudroieduregardenserrantlamâchoire.—Biensûrquesituvasrépondre,pourtaputaindeconscienceoupoursimplementtedélecterdemefaire souffrir une dernière fois. Alors, la première s’est : pourquoi nous ? Qu’est-ce qui a fait ladifférence?Jeme suis longtempsdemandépourquoi il nous avait choisis avecVic, qu’est-cequi l’avait poussé ànous prendre nous, plutôt que deux autres. Jeme le demandais à chaque fois qu’il entrait dans notrechambre,àchaquefoisquejedevaisencaissersescoups,subirsesactes.Pourquoinous?Qu’avions-nousfait?Coopersourit.—Lehasard.Un jour je suisalléavec lesgarsque j’aiembauchéspourvouskidnapperdevantvotrebahutetjevousaichoisis.J’aimaisbientapetitegueulederebelleetsonpetitculdevierge,semoqueCooper.Lehasard.C’estlehasardquinousamenésici?Jeserrelespoings,lacolèreseréveille,laragedel’injusticequim’atantdefoistiréedusommeil.C’estuneréponseaussilogiquequedégueulasse,àsahauteur.Jenesuismêmepassurpris.—Lafemme,c’étaitqui?jedemanded’unevoixsèche.—Uneamiequejeprotégeraicommetulaprotèges,merépond-ilsanshésiter,toutenrestantvague.Enfoiré.Ilvam’userjusqu’aubout.Ilnedirarien,jelesais,ilmourraavecsesdernierssecretsetmêmedanslatorture,ilneconfierarien,parcequ’ilaimeça.Alorsjamaisnousnelaretrouverons,jamaisellenepaiera.Maislui,ilpaierapourelle.—Etlebébé?T’enasfaitquoi?j’osedemanderd’unevoixtremblante.Cooperesquisseunsourirediaboliquequimefoutdesfrissons.Jesensvenirlecoupfatalquivafaireatrocementmal.—Elle s’en est occupée, et jamais tu ne retrouveras sa dépouille, commeon ne retrouvera jamais lamienne.Tun’enterrerasjamaisvotreputaindechose,puisqu’elleafiniàlapoubelle,ritCooper.

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Lesondesavoixcriardeetmoqueusemefaitbondir.Sansréfléchir,monpoingatterritdanssonvisage.J’ignoreladouleurdececoup,parcequ’ilfaitmoinsmalquel’organedansmapoitrinequientendcesparoles.—J’étaiscertainqueturéagirais!semoqueCooperencrachantdusang.—Tuvascreversalopard!jehurleenm’éloignantlégèrement.Sinon,jevaisletuerdemespropresmains.Jem’assoisuninstantsurlereborddubateau,ilfautquejemecalme,ilfautquejereprennemesespritssinonjevaiscommettreuneerreur.Faisledeuildesesexcuses,Reag,tunelesauraspas.Ilnetelesferajamais,commeilnetelesapasfaiteslorsdetavisite.Tunesaurasjamaiscequis’estpasséavectonfils.Tuneretrouverasjamaiscettefemme.Jemebalance surmoi-mêmepour tenter de faire taire cesvoixdansma tête quime rendent fou. J’aitellementmaldanslapoitrineetlacolèreestsipuissante.Commentpeut-ongérerça?—Jenetesupplieraipasdem’épargner,lance-t-il,auboutd’unmoment.Jemefige,moncœurbatdeplusenplusvite,mavueesttroubletellementmonsangbouillonnederage.—Jen’espéraispasquetulefasses,jerépondsdansunsouffleamer.Je ferme les yeux et inspire. Je n’obtiendrai rien de plus alors à quoi bon me faire plus de mal enretardantl’échéance?Jemelève,marcheverslui,etleregardeunedernièrefois.Mavoixestsansappellorsquejedéclare:—Adieupourriture,etpuisselesenferst’engloutir.Cooper se met à rire, il rit toujours lorsque je ferme son cercueil en métal.Mes gestes ne sont pashésitantsunseul instant.Jeterminedefixer leschaînesenaciercadenasséesdepartetd’autrepourlemaintenirfermé.Jevérifiequetoutsoitparfait.Lecercueilaétéfabriquéparmessoins.Iladespetitstrous sur toute sa surface pour permettre à la nature de faire son travail. J’espère que les poissonsboufferontcetenculé.Jefixelegrillagesouplesurquelqueszones,d’iciquelquesmois,letombeaudeCooperseratransforméencorailparlamer.Ildisparaîtra.Unefoiscertainquesontombeauenresterabienun,monespritignorelesriresetlesinsultesdeCooperquirésonnent.Jepousselecercueiljusqu’auboutdubateaudepêche.C’estlourd,jen’auraisjamaispulebalancerpar-dessus bord sans ce type de bateau construit sans barrière de sécurité. Je l’ai loué il y a plus d’unesemaine sous un faux nom, enme grimant. J’ai prétexté une envie de pêcher en pleinemer, et j’étaiscrédibleaveclematérielquej’aiachetéexprès,enliquide.Lorsquej’arriveaubout,àunpasdelefairetomberàl’eau,jemefige.Jesenslacolèrebattredansmesveines.Maissurtout,jesensceprofondsoulagementquepersonnenepeutcomprendreensachantquebientôt,cemonstrenevivraplus.

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Jefermelesyeux,eninspirantungrandcoup,levisagedeVicapparaîtdevantmesyeux,etmedonnelaforcede fairecedernierpas. Jepousse soncercueil enmer, cedernier faitunbruit sourdenheurtantl’eau.Je le regardecouler, j’entends leshurlementsunpeuétouffésdeCooperquivoitet sent lamortarriver,maisjenebougepas.Je le regarde prendre l’eau et sombrer. Dans la pénombre de la nuit, je vois les bulles d’oxygèneremonterpuis…plusrien.Plusdevagues,plusdesignesqu’onajetéquelquechoseàl’eau.Çan’aduréqu’uneminuteetilfautdeuxminutespoursenoyer.Quelquesinstantsplustard,iln’yaplusrien.Seulementlecalmeplatd’unenuitenmer,éclairéparlalunequivientdedevenirtémoindemoncrime.Jel’aitué.Cooperestmort.Jesensdeslarmesglisserlelongdemesjoues,ellessontbrûlantesetnombreuses,tellementnombreusesquemavuesebrouille. Jenevoisplus rien, jene ressensplus rien.Cettecolères’éteintpetitàpetit,remplacéeparautrechose.Jen’aipasderegrets,c’estsimplementlesoulagementquimefrappedepleinfouetetmetmesémotionsàrudeépreuve.Je tombe à genoux près de là où j’ai jetémon bourreau à lamer, et je pleure. Je pleure comme j’airarementpleuréaucoursdecesdixdernièresannées.Jepleurepourlemalqu’onnousafaitdurantcesquatreannées, jepleurepourmonfilsquineconnaîtra jamaislapaix.JepleurepourVic,pourtoutcetempsoùnousavonssouffert,pourtoutescesfoisoùilnousaabusés.Jepleurelacolèreetlahontequej’aipu ressentir, jepleureànotre injustice,etau faitque j’aidûmoiaussime transformerenmonstrepouragir.Jepleure,etçafaitdubiend’évacuerça,delaissersortircesdémonsquimerongeaientdel’intérieur.J’aituémonbourreau,jenousaivengés,maissamortnecalmerapaslasouffrancedenosplaies.Ellessontlà,ellesseronttoujoursprésentes,maisdésormais,ellesferontmoinsmalqu’avant.Ilnesuffitpasd’ungeste,poureneffacerdesmilliers,ilnesuffitpasd’uneactionpourenoublierdescentaines. Je savaisque riende tout çan’arriverait, j’espérais seulementunpeude soulagement et eneffet,ilestlà.Ilestnaissantaucreuxdemapoitrine.Ilremplacelaculpabilitéd’unhommequicommetuncrimeimpulsivement.Jeneregretterien,sicen’estdenepasavoirpuagiravant.Certainspenserontque je l’ai tué,et ilsn’aurontpas tort,mais rienne leprouvera.Cettenuit-là, jen’étaispaschezmoi,j’étais ailleurs, et Cooper aussi. Nos chemins ne se sont jamais croisés, il s’est perdu, aura disparucomme certains journalistes criminalistes disent lorsqu’ils parlent des criminels qui échappent à unjugement. Il aura fui à l’autreboutdumonde, fuyant sa famille et ses responsabilités, et çan’étonnerapersonne.Ilauralaisséunecartepostaledanslaboiteauxlettresdelamaisondesafemmeavecécrit«Pardonnez-moi». Il endossera le rôled’unhomme fuyardqui devait se reprocherquelque chose, etpeut-êtrequecertainsleverrontcommeuncoupable.Peut-êtrequepersonnenes’imagineraqu’ilaétéenlevépuisassassiné.Lescriminels fuient souventpour recommencerunevieà l’étranger.Et c’est cequ’ilaurafait.Sijamaisquelqu’unsaitquejemens,jamaisilnepourraleprouver.Pasdecorps,pasdemeurtre,etvucequ’ilenestdelajustice,jemedisquejenerisquepasgrand-chose.Jesuisdéjàemprisonnéd’unecertainefaçon,alorssidemainjedoisretournerdansunecage,jesauraipourquoij’ysuis.Ilyauraunebonneraisonàtoutça.Sidemain,jefinisenprison,ceneserapascelleavecdesbarreauxenmétal,maisbiencelleérigéedeparmesactes.Enattendant, jedoisvivre, jem’ensuisdonné lesmoyens,peut-êtreégoïstement,mais ilest tempsdevoircequedonneunmondeoùlapiredesracluresn’yvitpas.Ilesttempsdedécouvriruneviepeut-êtreauxcôtésdeVic,siaprèsmonsilence,elleveuttoujoursdemoi.

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Chapitre38Vic

Fin2016Portland,OhioLavie peut être la reinedes garces.Si onne tient pas comptedes actes voulus, le reste n’est qu’unequestiondechance,debonnumérosortiaubonmomentoupourmoi,depoissesquicollentàlapeau.Mavie avait pourtant bien commencé, je suis née dans une famille heureuse, mes parents ont une bonnesituationfinancière,ilsm’aimentcommedoiventlefairedesparentsetmonenfances’appelaitbonheur.J’aigrandi,j’aidécouvertmalgrémoicedontlavieestcapable.Lepirequel’humanitépeutengendrer,lacruautéqueseulunhumainpeutcommettre.Lesanimauxnesontpascruels.Ilssebattentpoursurvivre,pourdesraisonsvitales,maisjamaisparsimpleplaisir.L’hommesi.Etc’estluil’êtreleplusavancéqueporte cette terre.Mais l’homme, avec son beau cerveau capable de réfléchir, avec sa sensibilité, estquandmême capable de laisser unmonstre dehors.Oui, celui qui se croit au-dessus de tout sur cetteplanète,quisecroitfortetimpérialistefaitdeserreurs.Degrosseserreurs,deserreursquimecoûtent.J’aimisdesannéesàtenterdefairetairelapeurenmoi,demedirequ’ilétaitenfermé,quejenerisquaisrienenmarchantdanslarue,quepersonneneviendraitforcermaporteetm’enlever.Aujourd’hui,lapeurest revenue au grand galop.Elle bouffemon existence. Je ne dors plus, je sursaute à chaque bruit, jeregardederrièremoienétantcertaineque jeverraisdesmainsse tendrepourmebâillonneret jesuisépuiséederessentir toutça.Jepensaiscesannéesmortes,mêmesionneguérit jamaisvraimentdecequ’onavécu,jepensaisavoirfaitleplusgrosetsurtoutj’avaisReagan.Maintenant,jesuisseuleavecmapeurpourseulecompagnieetjenesuispassûredepouvoirvivreainsilongtemps.Jen’aiplusl’énergiedemebattre,jen’aiplusl’envienonplus.Ilm’alaissée.Reaganm’aabandonnée.Unepartdemoicomprendsaraison,uneautreenrage.Jesaiscequ’ilvafaireetjedoisajouterçaàtouteslespeursquimetiraillentcesdernierstemps.Ilvaletuer.Reaganabesoindejustice,devengeance,desavoirquelemot«fin»estprononcéd’unefaçonoud’uneautre.Ilachoiside lemettre lui-même.Mais jeneveuxpasqu’ildevienneunmeurtrier, jeneveuxpasqu’il risquesalibertépourCooper,jeneveuxpasqu’ilsouffred’unefaçonoud’uneautre.Maisenlelaissantenvie,ilnevivrajamaisréellement,ilauratoujourscettesensationd’injusticeetcemanquedeconsidérationquenotrepaysn’apasvoulunousaccorder.Etjecomprendsça,jelecomprendspuisquejemesenspareille.Moiaussijeveuxqu’ilmeure,jeveuxtireruntraitsurcepassémacabre,jeveuxqu’ildisparaissedelaterreetqueplusjamaisilnepuissefairedumalàquiquecesoit.MaisjeneveuxpasperdreReagan.Jenepeuxpasleperdre.Lavienousadéjàséparésunefois,etdurantcesdixannéesoùonétaitloinl’undel’autre,jen’aipasvécu.J’aiseulementflottéau-dessusdetout,maissansluirienn’avaitdesens.Ilme

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manquaitcetessentiel, cequinous tientenvieet faitdenousdesêtreshumainscapablesdumeilleur,l’amourdemavie.Jel’airetrouvéetilestparti.AufondjenesaispascequiceseraitpasséentreReaganetmoisileprocèsavaittournédifféremment.Qu’est-cequ’onseraitdevenu?Est-cequ’onauraiteuunavenirencommun?Est-cequenosrêvesdurantnotrecaptivitéauraientpudevenirréels?Jen’ensaisrien,lavieestunegarce.JesuisderetouràPortlanddepuisquatremois.Jenevoulaispasrentrer, jevoulaisresteràLancasterattendre,espérer,jenesaispas,maisresterprochedeReagan.Maislavie,elle,reprendsoncours,elles’estdéjàarrêtée trop longtempsetmaviec’est iciqu’ellese joue.J’ai repris leboulot,messéanceschez les psys qui sont passés d’une à deux fois par semaine, parce qu’àmon traumatisme s’ajoute leprocès ratéet lapertedeReagan.Monfrèrevientune foisparmoispournotresoiréepizza,mamèrem’appelletouslesjoursetmonpèremeregardecommes’ils’attendaitàcequej’exploseàtoutmoment.Jenesaispasaufondcequimeretientdecraquer.J’aipleuréaprèsleprocès,j’aipleurépourl’injusticeetl’incompréhensionetj’aiétéencolère.Reaganluiaexplosé,toutcequ’ilatoujourstentédecontenirsortenfinetpeut-êtrequ’aprèstoutça,ilseraplusserein.Pourmapart,c’estavecluiquejeleserais,j’auraisbeaulâchermahargne,crier,hurlermacolèreaumondeentier,riennemecalmeraàpartReagan.Ilest lebalancierdemavie,celuiqui faitqu’elleestenéquilibreetque l’horreurdevientacceptableparcequ’ill’anéantitparsonamour.Maisçafaitplusdequatremoisàprésent,quejerevoischaquejoursesyeuxembuésdelarmes,quejevoissapeineetsadéterminationqu’ilavaitdevant le tribunal.Onnes’estpasditadieu.OnneseditjamaisadieuavecReaganonest liéd’une façonoud’uneautre,nos routes se recroiseront, je le sais,maisjeneveuxpasattendredixanscettefois.Pourtant si l’enviedeparcourir le pays à sa rechercheme tente énormément, je sais que c’est inutile.Reagan a besoin de temps, peut-être qu’il reviendra sur sa décision et quand il se sentira prêt ilreviendra. J’ai cette certitude qu’il neme laissera pas, parce qu’il ne l’a jamais fait, il fait juste leschosescommeilpensequ’ellesdoiventêtrefaites.Sansmoi.J’inspireenvoyantlapremièrevaguedespectateursarriverdevantmoietjecolleunsouriredefaçadesurmonvisage.Jeneregardepaslesgens,mesyeuxsontsurleursmains,surlesbilletsqu’ilsmetendentetmonéterneldiscoursrésonnedéjàdansmatête.—Bonjour,salle6aufondducouloirsurvotregauche,bonfilm.Et toujours lamêmechoseencoreetencore,une routinequimeplaitd’unecertaine façon,qui semblenormale dans le chaos de ma vie. Tous ces gens, qui rient, qui parlent fort, qui parfois ne font pasattentionàmoiouquimedisentmerci,nesaventriendemoi.Leprocès,sonrésultatsurtout,afaitletourdumonde,maisdansmoncinéma,jesuisl’ouvreuse,jenesuispaslaperversequiaaccuséunhommeinnocent.J’aieudroitàlatonnedejournalisteschezmagrand-mère,auxquestionsstupidesetmêmeici,chezmesparents,maisheureusementpourmoiilsnesaventpasoùj’habite,monadresseofficielleétantcelledemesparents.Je termine lapremièrevaguede clients, la secondeva arriverdansunevingtainedeminutespour lesfilmsquicommencentplustard,ensuitejepourrairentrer.Commepluspersonnedemescollèguesneveutbosseravecmoijemeretrouvesurlesséancesdumatin,cellesoùiln’yabesoinqued’unepersonne,etçamevaparfaitement.Jenesaispassij’auraisputravaillerlesoir,sortiretrentreralorsqu’ilfaitnuitdehorsauraitétéimpossible.

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Jesorsdumagasinententantdetrouverunéquilibreentretousmessacsdecourses.Jecroisquej’ysuisalléeunpeufortsurlestablettesdechocolat,maisaumoinsjen’enmanqueraipas.Jeprendslechemindechezmoi,ilestseizeheures,lesruessontcalmesensemaineàcetteheure-cietj’aihâtederentrer.Deretrouver mon espace personnel où il n’y a quemoi et mes envies. Et j’ai envie de dessiner. En cemomentjenefaisqueça.Grâceàmesnuitscourtesetmonboulotquimelaissepasmaldetempslibre,j’aidequoioccupermes journées.Alors jedessineReaganencoreetencore,sous toutes lescoutures,avectouteslesimagesquej’aideluidecesmoispassésensemble.J’auraisaiméavoir lesdifférentsportraitsque j’ai faitsde luidurantnotrecaptivité,maiscesontdespreuvesetj’ignoresiunjourj’aurailedroitdereprendrecequim’appartient.J’arrivedansma rue,mon immeubleest aucentre sur lecôtégauche,celuioù le soleilvient seposertoutelajournée,cequiestplusqu’agréableencettesaison.Marueestfaiteprincipalementdemaisonstransforméesenappartements,elleestcalmeetpratiquepoursasituationprocheducentre-ville.Jepasselaported’entréetoujoursouverte,jejetteunœilàmaboiteauxlettresetrécupèrelecourrierdéposécematinparlefacteur.Jemonte lesdeuxétagesquimeséparentdemon terriercommel’appellemonfrèreenregardantavecdégoût les factures et l’offre de crédit de rêve qu’onme propose et qui va terminer sa vie dansmapoubelle.J’arriveaudernierpande l’escalierquimèneàmonpalier,que jesuis laseuleàoccuper,quandmescoursesm’échappentdesmains.Reaganestassisenhautdesmarchesledoscontrelemur,sonvisagetournéversmoi.Jerestefigéàleregarderetluinonplusnebougepas.Moncœurfaitdessaltosdansmapoitrinealorsqu’onsedévisagedansunsilencetroublant.Reaganestlà.Je suis encore sous le choc quand il se lève, qu’il me dévoile son grand corps et qu’il descend lesquelquesmarchesquinousséparent.Jel’observefaire,jelevoissebaisserpourramassermescourseséparpilléesetprendrelessacsdanssesmains.Ilnedittoujoursrienquandilremontepourallerjusqu’àmaportelesdéposeretm’attendre.Peut-êtrequejerêve.Peut-êtrequetoutçaestdansmatêteetqu’àforced’espérerjeperdslatête,maisilyaquelquechosequimefaitdirequetoutestréel.Son regard, sesyeuxvertsdévastateurs sontdifférents, sesgestes, sa façonde sedéplaceretd’être…détendu.Jedéglutisetmontelesmarchesenm’aidantdelarampetellementmesjambestremblent.Jecherchelesclefsdansmonsacenessayantderestercalme.Jefinisparouvrirlaporte,Reaganprendmessacsetentre,jelesuisetrefermederrièremoiavantdemedébarrasserdemonmanteau.Iltrouvelacuisinefacilement,monsalairenemepermetpasdemepayerunappartementdeluxe,maisseulementunstudioavecunepetitecuisinequelepropriétairem’avenducommeexceptionnel!JerejoinsReaganavecunedrôledesensationdansleventre,unequimeditquetoutçaesttropétrange.Ilaposémessacssurlatableainsiquesoncuirsurunechaise.Ilobservemonenvironnementpar-delàlebarquiséparelacuisinedurestedel’appartement.Jeresteàlaporteetmoic’estluiquej’observe.Saprésence,ici,chezmoi,estétrangecommetoutlereste et commece silencequi ne s’éteint pas.Reagan finit par se tourner versmoi, ses yeuxdans lesmiensetjen’aipasbesoindedemander,jesais.—Tul’asfait.

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Ilhoche la tête, jene luidemanderaipasquandoucomment, jen’aipasbesoinde savoir ça. Iln’yaqu’unechosequejeveuxsavoir.—Estcequetuesensécurité?—Oui,dit-ilenfourrantsesmainsdanslespochesdesonjean.Savoixrésonnedanslacuisine,l’échoseprojetteencoreetencoredansmesoreillesetjesenslatensionquitter mon corps. Je sens ce que je redoutais en même temps que je l’attendais depuis tellementlongtemps.Cette sensation de légèreté qui vient battre dansma poitrine, comme si on avait enlevé lepoidsdemonexistenceetqu'unepageblanches’étaitcréée.Jemelaisseglisserlelongdumur,leslarmesdesoulagementcoulentdemesyeuxetjenelesretienspas,toutcommececriquisortdemabouche.Uncriviolentquifaitressortirlesannéesdepeur,dedouleur,d’absence,dedoutes,desouffrancesetdetoutcequemaviecomportedemauvaisetquejedevaisàunepersonne.Cellequin’estpluslà,cellequeReaganatuée,cellequineferaplusjamaisdemalàquiquecesoitetquineserapascesombresquejevoisdanslarue,cessourirescarnassiersquisedessinentsurlevisagedesinconnusetceregardrépugnantquejevoismêmedansleciel.Ilestmort.JesenslesmainsdeReagansurmonvisagebrûlant,illeredressepourquejeleregarde,accroupidevantmoi.Jetremble,moncœurbatsifortdansmapoitrinequ’ilvabientôtexplosermacagethoraciqueàcerythme.—Vic,dit-ildoucement.Jefermelesyeuxenappréciantsavoix,enappréciantqu’ilsoitlà,envie,ensécuritéetquetoutsoitfini.Jemeredressepourmejeterdanssesbras.Reaganlesrefermesurmoietmeserrecontrelui,contremonchez-moi,contremavie,contrel’amourquejeluiporte.—Merci,dis-jedanssoncou.Jenem’attendaispasàressentircesoulagementviolent,jenem’attendaispasàcequelamortdeCoopermefasseautantdebien.Çadoitsûrementfairedemoiunmonstre,maisjem’enfous.Toutemaviej’aivécuavec ladouleur et lapeur et aujourd’hui c’est commeprendreunegrande inspirationd’air frais,sanspollution,sansqueriennevienneledétériorer.C’estrespirer.Jem’accrocheàReaganenhumantsonodeur,ensentantsapeausousmajoue,enpassantmesmainsdanssescheveux,enledésirantàenavoirmal.—Tunem’enveuxpas?ildemande.Jemefigeuninstantdanssesbrasavantdedégagermonvisagepourleregarder.Sesyeuxbrillentetjecomprendsmaintenantcequiachangéchezlui,cequin’étaitpaslàavantetquiaremplacélacolèredanssonregard.L’apaisement.Commentjepourraisluienvouloir?Ilatuéunmonstre,ilnousarendujustice,ilafaitcequepersonnen’auraitjamaisfaitpournous.Ilafaitcequiluipermetaujourd’huidesetenirdevantmoisanséprouverl’enviedetoutfoutreenl’airetdecraquer.Jenepeuxpasluireprocherça,mêmesicesderniersmoisontétédurs,mêmesi sonabsencea faitmalelleétait justifiée.Égoïstement, j’auraisvouluqu’il resteavecmoi,maisraisonnablement,jesaisqu’ilafaitlebonchoix.Moralement,jem’encontrefous.Ona

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passénotrevieàêtrejugés,quecesoitparnotrefamilleoudesétrangersquin’ontpasidéedecequ’onatraversétouslesdeux.Alorsjemefousdecequelamoraleendit,jesaiscequejeressensetjesaisquiest Reagan, certainement pas un monstre sans cœur qui prend plaisir à faire du mal aux gens, il estsimplementunevictimequivoulaitréparationetquiaéradiquélapiredesorduresdelaterre.Jenerépondspasàsaquestion,jelaisseparlermoncorps,celuiquisaitcommentdireàReagancombienil lui est reconnaissant d’avoir eu le courage de prendre cette décision pour nous deux et combien jel’aime.Maboucheseposesurlasienne,jesoupiredebien-êtreenretrouvantladouceurdeseslèvres,en sentant sa chaleur et son goût quand ma langue s’immisce entres elles. Reagan m’embrasse avecdouceuralorsquemoncorps ressentdanschaquecentimètrequi lecompose, laprésencedeceluiquej’aimeplusquetout.J’aienviedelui,enviedelesentirenmoi,deleretrouveretdel’aimer,tellementenviedel’aimercommeildoitl’être.Mesmainsglissentsursoncorps,surseslargesépaules,sursondospuissantpourlesentirencorepluscontremoi.Mapoitrines’écrasecontresontorse,monbas-ventrevientsefrotterausienetjelesensdur,avec lesmêmesenviesquemoi.Reagann’attendpas, ilm’allongesur le solde lacuisine, son regarddanslemienquandnosbouchessedétachentquelquesinstants.—Jet’aimetellementdit-ilcontremeslèvres.Je ne réponds pas, je reprends sa bouche, je ne veux pas parler, je veux seulement le retrouver.Nosbaisersdeviennentplusintenses,pluspassionnésetsesmainsparcourentmoncorpspourmeretrouver.Nosvêtementstombentrapidement,nossouffleserratiquesseretrouventtoutcommenospeaux.JegémisquandReaganrevientsurmoiseulementvêtudesoncaleçon,ilappuiesonentrejambesurlemienetsontorsebrûlantvientréchauffermapeau.J’aitellementbesoindelesentirenmoi,dereprendrecequinousaunisendestempssombrespourenfaireaujourd’hui,quelquechosedelumineux.LabouchedeReaganpartdansmoncou,ilm’embrasseavecpassion,salanguetracemajugulaireetfaitnaîtredesfrissonsd’impatiencedans toutmonêtre. Ildéfaitmonsoutien-gorgeet l’enlèverapidement,avantderevenirprendremesseinsdanssesmainsetlestétonsdanssabouche.Jegémis,jemecambrepourplusdecaresses,plusd’amour,plusd’attention.—Reagan,jelancealorsqu’ils’apprêteàenlevermaculotte.Ilseredresse,lescheveuxenbatailleàcausedemesmains,seslèvresbrillantesetsesyeuxtellementprisparledésir.Monventresecrispelorsquejelevois,jeleveux.Jemeredresseetlefaitbasculersurledos,Reaganm’aideàl’installersurlesolpourquejepuisselechevaucher.J’aienviederedécouvrirson corps, de passerma langue etma bouche sur chaque partie de lui. Je reprends sa bouche enmepenchantverslui,lesmainsdeReagancaressentmondosetmesfessesenmepressantsursonsexedur.Jemordillesalèvreavantd’allermoiaussiparsemersoncorpsdebaisersetdecaresses.LesréactionsdeReaganm’enhardissent, luidonnerduplaisir, fairequecequenousfaisonssoitde l’amouretde lajouissancec’esttoutcequejeveux.Jem’apprêteàbaissersoncaleçon,mabouchesursonnombril,jepassemalanguededansetReaganfrissonne.Sonsexeestlibéréetmamainn’attendpaspourleprendre.—Vic,dit-ild’unevoixsigravequej’enfrissonne.Malanguepassesursonglandetjeretrouvel’odeuretlegoûtdeReagan,ceschosesquim’onttoujoursplu,cettesensationd’êtrelamaîtressedesonbien-êtreetjeveuxtellementluiendonner.Mabouchel’englobe,Reagangémitenfrissonnantalorsquejelesuceavectoutl’amourquej’aipourlui.Mais ilneme laissepas le tempsd’allerplus loin.Reaganse redresse, attrape son jeanet en sortun

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préservatifqu’ilmetend.Jecaressesavergeeninstallantlelatexsurlui,unefoisfait,iln’attendpas,ilmesoulèvedesesbrasfortsetm’installesurlui.Jegémisenmefrottantcontresonsexe,sontorsecontremoietsabouchequimedévoredenouveau.Sesdoigtss’insinuententremesjambesetilcomprendqu’iln’apasbesoind‘attendre,quejesuisplusqueprêtepourlerecevoir.Sonsexesepresseàl’entréedemoncorpsetdoucementjedescendspourlefairepénétrerenmoi.LesyeuxdeReaganmedévisagentencaptantchacunedemesréactions,sabouchesurlamiennerespiredifficilementetjenepeuxm’empêcherdepenserqu’ilestlà,qu’ilestavecmoietàprésentenmoi.—Jet’aimedis-jeenfinissantdem’empalersurlui.Il fermelesyeuxetsonfrontvients’appuyersur lemienalorsque jenousemmènedoucementvers leplaisirennequittantpassonregardverthypnotique,celuiquim’atoujourssoutenuequ’onfassel’amourouqu’onsebrise.

***JesoufflesurlamoussequirecouvreenpartieletorsedeReaganetjesourisenvoyantsapeautatouéefrissonner.Jecaressedoucementceboutdemoiqu’ilagravéàjamaissurlui.Onafaitl’amoursurlesoldemacuisine,puisdansmonlit.Sansparler,sanschercheràcomprendre,sansriend’autrequenoscorpsqui expriment le manque et le besoin d’avoir l’autre. Mais maintenant que la tension sexuelle estretombéeilrestelesquestions.Jebougedanslapetitebaignoire,moncorpsemmêléàceluideReaganquiprendtoutelaplace.Jecaressesonvisagedétendu.—Tuesdifférent,jelance,plus…moins…Reagansouritenseredressantunpeu.—Çachangetout,dit-ilplussérieusement,toutVic.Lui,nous,cequejegardaisenmoi,tout.—Turegrettes?—Pasuneminute.Jesoupireenreposantma têtesurson torsecontreson tatouage.J’entends lesbattementsdesoncœur,mêmeluiestapaisé.— Je ne pouvais pas faire autrementVic, on n’aurait pas pu vivre avec lui en liberté, blanchi par lajustice.—Jesais,dis-je,jemerendscomptequej’enavaisbesoinaussietjenesaispascommentjedoisvivreça,meréjouirdufaitquetuaiestuéquelqu’un.Reaganfaitdegrandsmouvementsdanslabaignoire,l’eaupartéclabousserlesolquandilmesoulèvesurlui.

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—Cen’estpascequeturessensVic,neprendspaslesoulagementpourdelajoie.Jen’aipasfaitçaparplaisir,maisildevaitpayer,ildevaitêtrereconnucoupableparquelqu’unetêtrecondamné.Jemedégagedesesbraspourfondresursoncorps,j’aitellementbesoindelesentircontremoi.—J’aipeurpourtoi,jelanced’unepetitevoix.—J‘aipassédesannéesàparlerdecrimesetàlesdécortiquer,jesaisquoifairepournepaslaisserdetraces.Net’inquiètepaspourmoi,personneneremonterajusqu’àmoi.Jem’inquiètepourlui,jecroisquejem’inquièteraitoujourspourluic’estcequisepassequandonestamoureux,ons’inquiète.—J’aivul’émission.Reagansecrispesousmoietjelecaressedoucementpourl’apaiser.—Plusieursfois.Ilritensefrottantlevisagem’envoyantdel’eausurlemien.—Jetemanquaisàcepoint?Oui,pourquejeregardeledéfilédenosviesencoreetencore,c’estquej‘avaisbesoindelevoir.—Tumemanquesmêmequandt’eslà.—J’aidémissionné.Jemeredressed’unbond,mongenouvientfrappersahancheetlefaitgémir.—Quoi?—Jenepouvaispascontinueràbosserpouruncon.J’aifaitl’émissionetjemesuisbarré.Reaganselèvealorsquejeledévisageencore.Ilmesoulèveetmesortdelabaignoire.—Cen’estpasleplusimportantVic,dit-ilenm’enveloppantdansuneserviette.—C’estquoileplusimportant?—C’esttoietnouset…Ilpressemesépaules enpinçant les lèvres,dans sesyeux jevois ledoute l’assaillir et je repenseaupremierjourensacompagnie.Cejouroùj’aiouvertlesyeuxdanscesous-soletqu’ilétaitlà.Cejeunehommeapeuré,maisencorevivant.Celuiquiavaitencoredel’espoirdanslesyeux,celuiquim’arassuré

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etsurquij’aipucomptertoutcetemps.—Cequ’onvadevenirtoietmoi,iltermine.Jelaissetomberlaservietteausol,moncorpsfrissonnesouslemanquedechaleuravantdesentirceluideReaganencorehumide.—Jet’aime.Quoiquetuaiesfait,jesaisquituesReagan,jesaiscequ’ilyalà,dis-jeentouchantsoncœur,jesaisquetesactesnesontpasgratuits,quetunel’aspasfaitparplaisir,maispournous,pourqu’onpuisseavanceretsereconstruire.Jebaisselesyeuxensouriant.Jeveuxcetteviequ’onnousaenlevée,jelaveuxaveclui.Jeveuxqu’onfassetoutesceschosesqu’onn’ajamaispufaireparcequ’onnenousapaslaisséslefaire.Jeveuxtoutça,aveclui.—Onvas’ensortirmaintenant,reprendsReagan,onvaavoirledroitdevivreenfin,depenseràdemainetplusseulementàhier,deconstruireautrechosemêmesionn’oublierajamais.Ilrelèvemonvisageetsepencheversmoi,seslèvresàuncheveudesmiennes.—Nosblessures,onlesauratoujoursVic,rienn’effaceraça,pasmêmesamort,maisonnecraintplusrienmaintenant,onn’aplusàavoirpeuretàchercherlaforced’affronterchaquejour.Onl’acetteforce,c’estcequ’ilyaentretoietmoi,c’estnotreamour,çaatoujoursétéainsi.Seulementaujourd’huionestlibresdansnosviescommedansnoschoix.Etmonchoix,c’esttoiVic,c’estnous,c’estcequimepousseenavant,quimefaitvoirlemondeautrementqu’ensombre,quimerendheureuxetquimedonneenviedevivredesmilliersd’annéespourseulementêtreavectoi.J’ailesoufflecourtcontreseslèvres,jeressenschaquemotqu’ilprononcecommecessermentsqu’onaprononcésàl’époque,cespromessesquejamaisiln’arompuesetquiapaisentmestourments.Reaganmesoulèvedanssesbras,mesjambess’enroulentautourdeluietmesbrass’accrochentàsoncou.Nosfrontssecollentetjefermelesyeux.—Jeveuxt’aimerVic,chaquejourquedieufaitjeveuxêtreavectoi,vivrecetteviedontonarêvéetquiaujourd’huiestpossible.Laisse-moiêtreavectoi…Jenerépondspas,submergéepar l’émotion, je l’embrassepour lui fairecomprendrequec’est toutcequejeveux.Êtreaveclui,luidonnerl’amourqu’ilmériteetdontj’aibesoin.Construirecetavenirquinousattendensemble,vivreaveclepassé,maisnepenserqu’àl’avenir.S’aimerencoreetencorec’estcequejeveuxplusquetout,lui,moietlaviequinousattend.

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EpilogueReagan

Cinqansplustard.Lebruitdesvaguesm’hypnotise.Lorsquenousétionsdansnotrechambre,dans le sous-solquinousaforgésdurantnotrecaptivité,jerêvaisderencontrerdenouveaulanature.Cettesensationdeliberté.Maintenant, je vois l’océan comme lemeilleur des confidents. Il n’y a que lui qui sait ce qu’il s’estvéritablementpasséilyacinqans,ilestcommeunemaîtressequ’ons’appliqueraitàcacherauxautres.Unemaîtressedontonprendbiensoin.C’estétranged’apprendreàvivresereinement.C’estétrangedes’habitueràneplusfairedecauchemarchaquenuit,deneplussentircettehaineintérieurenousdévorerpetitàpetit.Réapprendreàvivreàpresquetrenteansaétéunepériodedifficile.Onavécunotreexistenceentièreavecdefidèlescompagnonsmalveillants.Etpourtant,lalumièretriomphetoujoursdel’obscurité.Je souris en regardant Vic courir après un petit bout pas plus grand que trois pommes dans le sablemouillé.Elleestrayonnante,jamaisjen’auraiscruvoircetteexpressionsursonvisage,ellepossèdetantdevivacité.Sescheveuxbrunssontpluslongsetondulentlégèrementsurlesdernierscentimètres.Etsonsourire,ilestmagnifique,ellerespirelajoiedevivre.L’organedansmapoitrines’emballedevantcettevision,d’elle,desoncorpsenmaillotdebainsqu’ellen’hésiteplusàmontreràcertainesoccasions,desajoiedevivrequiseressent.Vicsaitqu’iln’yapasdemondeàcetteheure-cisurlaplageoùnousallonstouslesjoursdepuisnotredéménagementsurlaCôteOuest.—MonsieurKane?Je sorsdemespensées,etme tournevers l’hommequi se tientdeboutderrièremoi. Il estencostumecravate,alorsquenoussommesàLosAngelesetqu’ilfaitplusdetrentedegrés.—Quiledemande?jelequestionneenfronçantlessourcils.Jeretiremeslunettesdesoleilpourcroiserleregarddel’hommesuantquinesemblepasacclimatéàlarégion. Ses yeux se posent une fraction de seconde sur lesmarques blanches dansmon dos, avant dereportersonattentionsurmoi.Ilesquisseunfinsourire,uneexpressionquejeneconnaisquetropbienauprèsdesjournalistesetdeshommesbossantpourlajustice.

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—Disonspersonne,d’accord?renchérit-il.Personne.Cetypebossepourquelqu’un.Çadoitêtreunprivépoursemontrersidiscret.—Qu’est-cequevousvoulez? je l’interrogeunbrinméfiant, icic’estuncoin tranquille,peudegenssaventcommentletrouver.L’hommes’accroupitprèsdemoi,ilmejetteuncoupd’œilamusé,commesimeretrouversuruneplageétaitlachoselapluscompliquéeàfaire.—Uncertainnombredechoses.J’aivuquevousétiezrentréilyapeud’Europe.Çan’apasétéfaciledevousmettrelamaindessus.C’étaitlebut.Après l’affaireTruman, lesmois qui ont suivis ont été très compliqués, alors, lorsqu’a éclaté dans lapresse sa disparition et qu’une enquête a été ouverte, nous avons été placés sur la liste des suspectsnuméroun.Chosenormalequinem’apastellementsurpris,lorsqu’unmatin,unebrigadeestvenuecheznous,avecVic,m’interpeller.Jesuisrestécalme,etj’ailaisséfaire.Jenem’inquiétaispas,etj’aiditauxautresdenepass’inquiéternonplus.Vic a été laplus traumatiséede cettepériode,mais j’avaisprévu le coup.Troismois aprèsavoirtuéCooper,nousnoussommesmariés.Untrucdiscret,avecnosfamillesetnosquelquesamis.Onafaitçaparamour,maissurtout,pourseprotégermutuellement.Parcequelajusticeaméricaineesttoujoursaussimalfaite.Onnepeutpasforcerunefemmeàtémoignercontresonmariencasdemeurtre.Detoutefaçon,puisqu’ellenesavaitrienauxyeuxdesautorités,ellenerisquaitrien,maisdansledoute,mieuxvautprévenirqueguérir.J’aipasséunmoisenprisonenpréventiveavantd’êtrerelâché.Çan’apasétéfaciledevivredenouveauentrequatremurs,maisj’aitenulecoup,puisquejesavaisqu’onnetrouveraitriencontremoi.LebateauquiaserviàtransporterlecorpsdeCoopers’estperduenmeretn’ajamaisétéretrouvé,jem’ensuisassuré.Personnenes’enestmêmesoucié.Iln’existaitrienquiprouvaitmaculpabilité.Cooperalaisséunecarteàsafemmeetpuisc’esttout.L’avocatdeTrumanétaitpersuadéquej’avaisfaitensortedelefairedisparaître,iln’avaitpastort,saufqu’ilsn’ontjamaisrienpuprouver.L’enquêteaconcluàunedisparition,etlesjournauxsesontemparésde l’affaireen traitantCoopercommeunexiléde justice.Safuite l’a renducoupablepoursescrimes,maisnousn’avonspasrelancél’affaire.Lejugementaétéprononcé, ilenestsortinoncoupable,maispasauxyeuxdelasociété,ill’étaitaprèssa«fuite».Auxnôtres,ilapayé.Sijamaispersonnenel’apprendunjour,nouslesavonsavecVic,etc’estcequinousapermisdenousreconstruirepetitàpetit.—NoussommespartisvivreenAngleterre le tempsque lesgensoublient l’Affaire, je répondsd’unevoixferme.Nosprochesn’ontpasappréciédenousvoirnousexilerdel’autrecôtédel’océanAtlantique,maisnousenavionsbesoin.Nousavionsbesoindenousretrouver,deréapprendreàvivrecommenousaurionsdûlefaireànotrelibération.NoussommespartisnousinstalleravecBaxdansleYorkshireenAngleterre,dansunpetitpatelin tranquilleoùpersonnen’avaitentenduparlerdenous.Vicareprisdesétudesparcorrespondanceenstylisme.Elleavait tropdetalentpourlelaisserdecôté,et j’aicommencéàécrire

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desarticlespourdes journaux indépendants.Deschosessimples.Onavécudes trucschouettesetdestrucsplus tristes.Notamment la pertedeBax, qui nous aquitté après être tombémalade. J’ai été trèsaffectéde lamortdemonfidèlecompagnondepuisdesannées.Etpeut-êtrequ’un jour, je tenteraisdenouveaul’aventureavecunautrechien.Suite à ça, et à cette nouvelle vie pour nous, on a fait des tas de trucs dingues durant trois ans, on avoyagédanscinqpays,onavécu.Simplement,librement,selonnosenvies.Etpuis,ilyaeuunlégeraccidentaprèsunesoiréeunpeuarroséepourleNouvelAnenChine,quinousaconfirméque laviepeutêtresurprenanteetbelle.Etseigneur,commej’aichéricemomentavantdesentirlapaniqueetlajoiem’envahirlorsqueVicm’aapprisqu’elleétaitenceinte.Unesecondefois.J’aivécu cemoment commeunebénédiction.Tout allait être différent à présent, cet enfant, nous pouvionsl’avoir,etnous l’avonseu.Unemagnifiquepetite fille seprénommantSasha.C’està sanaissancequenousavonsdécidéderentrericidansnotrepays,pourquenosfamillesprofitentdelanôtre.Onaprisletempsdeprendrenotretemps,etjeneregretterien.JeneregrettepaslaviequejenousaiofferteàVicetmoi.Elleméritaitl’ultimesacrificedemesmainscouvertesdusangdubourreauquinedevaitpasdevivre.—Oui,vousvousêtes fondusdans lamasse, reprend ledétective.Mêmeen tantque journaliste,vousétiezsurdessujetsplusquecalmes.Pasmallepseudonyme.—Jepensequejelemérite,non?jerétorqueavecsarcasme.Ledétectives’assoieàmescôtés,ilsemetàregardercequejecontemplebientropsouvent.Vics’enamuse,maisj’aimegraveraufonddemamémoirechaquepetitboutdenosviesquisedéroulentsousnosyeux,pourpouvoirm’enrappelerplustard,lorsqueçanevapas.—Voussavezpourquoijesuisici,continueledétective.—J’ai crucomprendrequevousêtesunprivé, c’est lapremière foisdepuisnotre retourquenousencroisonsun.Oui,jesaispourquoiilestici,maisjerestesurmespositions,l’océanm’estfidèle.—Onm’apayépourretrouverMonsieurTruman…Jemetournepourledévisager,sesyeuxmarronsdeviennentsombres.—Saufquejeneleretrouveraijamaisn’est-cepas?Jenerépondsrienetmecontentederemettremeslunettesdesoleil.Cederniernetapepasencorefort,ilfautdirequ’ilcommenceàsefairetard.Cettesphèreflamboyantedescendpoursecoucheràl’horizon,offrant un spectacle des plusmerveilleux. Elle sera bientôt remplacée par la lune, et elle aussim’estfidèle.Lanuitnem’effraiepluscommeavant,pourtant,c’estbiendans lanuitque j’aicommis lepireactequ’unhommepuissefairedesesmains.Maisçaaussi,j’aiapprisàvivreavec.—Onditquelecrimeparfaitn’existepas,lâcheleprivé,pourtant,ilsepourraitquecenesoitpluslecas. J’ai lu le rapport d’enquête, c’est impressionnant comme la police a trouvé tous les éléments

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permettantdelesenvoyersurlapistedelafuite.—Les journauxont dit queTruman avait disparu.Combiende criminels coupables fuient le pays quil’accuseversunautrequinel’extraderaitpas,j’explique,évasif.J’ai peut-être quitté le monde du journalisme criminel pour les faits divers sans importance, j’en aiencoredebonsrestes.—Hypothèsequisetient.Maissafillepenselecontraire,m’apprendleprivé.JeregardeVicattrapernotrefille,etlasouleverdanssesbraspourlafairetournoyer.Sashaaunanetdemi,ellemarcheàpeine,maisellesouritautantquesamère.Àvraidire,onsedemandesic’estbienlamienne et si Vic ne l’a pas fait toute seule tellement elle lui ressemble. Ses yeux, son sourire, sescheveux,iln’yaquedanssesmimiquesquejemeretrouve,maisj’aimeça,voirsamèrechaquefoisqueje la regarde. J’aimema fille comme j’aurais aimémon fils et comme je l’aimeàchaque foisque j’ypense.Êtreparentaétélabouclefinaleànotrereconstruction.Çan’apasétéfacilederevivreça,maisnousl’avonsvécudifféremment.Commeunesortederédemption.—Parfois,l’ignoranceestcequ’ilyademieuxàsupporter,jesouffle.Jesensleregardremplidecompassionetdecuriositéduprivé.Ilacquiesceenlâchantsimplement:—Lajusticen’apasététendreavecvous,—Lajusticen’aquelenomdejusteparfois,jeréponds.Etellene l’apasétéavecnous.Certainspensentquefaire justicesoi-mêmeestmal, jesuisd’accord,c’estmal,maislorsqu’onnefaitrienpourpansernosplaies,lorsquelessalaudss’ensortent,l’humainabesoindetrouversarédemptiondansquelquechose.Ildoitagirlui-même.Etjeneregretterien.Quandje voisma fille, quand je pense auxmoments où elleme parlera desmonstres sous son lit, j’aurai lacertitudequ’ilyenauraundemoins.—Qu’est-cequevouscomptezdireàsafille?jefinispardemanderauboutd’unmoment.LeprivécessederegarderVicetSashajouerdansl’eau.— Je continuerai mes recherches avant de classer l’affaire, certaines personnes ont les moyens dedisparaîtreetMonsieurTrumanlesavait.Danstrenteans,peut-êtrequenousobtiendronslavérité.—Peut-êtrepas.Ledétectivesouritenserelevant.—Vousauriezfaitunexcellentavocat,MonsieurKane.Vousêtesunetombe.Jenerépondsrien,sicertaineschosesontchangé,jenesuispasredevenubavardaveclesinconnus.Marelationavecmesparentss’estaméliorée,masœurs’estmariéeavecParkeretilsonteuunpetitgarçon

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ilyaquatreans.Elijahestunbrillantprocureurquicollectionnelesfilles,maisilfiniraparsecalmer.Nosviesontreprisleurcours,ill’afallu,etilétaittemps.—Profitezdelavie,vousleméritez,finitpardéclarerleprivéavantdes’enaller.Jeneréagispas,àquoibon,ilnepourrarienprouveretill’alui-mêmecompris,s’ils’attendaitàcequejeluifassedesaveux,ilestbienstupide.Certaineschosessontmortesetenterréespourtoujours.Vicsetourneversmoi,notrefilledanslesbras,ellemelanceunsourireradieux,savoixrésonne:—Reag,tuviens?Toujours.—J’arrive,jelanceenmelevant.Jeposemeslunettesdesoleilsurlaserviettedeplage,etmarchedanslesableencorechaud.UnefoisàhauteurdeVic,jeglisseunbrasautourdesatailleetembrasselehautdesoncrâne.Elleselovecontremoi,mafilleenfaittoutautantenréclamantmesbras.J’aimesonodeur, j’aime toutchezcette femmemais surtout, je l’aimeelle,d’unamour indescriptible.Commejeluidissouvent,« ilestdouloureuxdet’aimer»,mais tantqueje l’aime, lerestenecomptepas.Rienn’aétésimple,nousavonscôtoyélepire,maisdansladouleur,nousavonsréussiàconstruirequelque chose. Ce n’est pas parfait, notre amour peut être jugé étrange ou incompréhensible, maisqu’importe.JesaisquiestVic,cequ’ellem’apporte.Ellem’asauvéetm’aressuscité.Elleestcommel’angedemoncœurquichasselesdémonsetramènelapaix.Jamaisjeneseraisdevenul’hommequejesuis,simoncheminn’avaitpascroisélesien.Etàtrente-troisans,j’aicomprisquelaviepouvaitenfinêtrebelle,avecelle.Avectoi.

Fin

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Remerciements

Unenouvelleaventures’achève.Etquelleaventure!Cen’estpastouslesjoursqu’émergedansnotreespritunehistoirecommecelle-ci.Etc’estavecunecertainefiertéquenoussommesheureusesdelavoir

prendresonenvoldansvosliseusesetvosbibliothèquespapier.ÉcrireWITHYOUaétéuneaventurelivresquetrèsdureémotionnellement.C’estunbouquinquinousa

menésversdessentiersinconnus.Unréeldéfi.Nousnevouscacheronspasquel’écrituredel’histoiredeReaganetVicaétéparfoiscompliqué.Nousaussi,nousavonssouffertàleurscôtés.LesboitesdeKleenexontdéfilé.Notrecœurs’estemballé.Pourquoiécrireunehistoirepossédantdessujetspareils?Parcequetoutesleshistoiresd’amoursont

bellesàleurfaçon,dansn’importequelcontexte.Nousvoulionsvoirdequoinousétionscapablesentraitantdessujetsaussidélicats.

Êtreauteurc’estçaaussi,seremettreconstammentenquestion,tenterdeschoses,atteindreseslimites,lessurpasserparfois.

Çan’apastoujoursétésimple,souvent,onsedemandait«jesuiscapabledefaireça?»,etcespagestâchésd’encreontétéécritesaveclecœur,avecpassion,etunecertainerage.C’estunehistoirequ’on

écritavecses«tripes».WITHYOUaétéunbouquinqu’onaeudumalàquitterunefoisnotrechapitredujourterminé.

Longtemps,l’histoirerestaitdansnotreesprit.Parfoisjusquetarddanslanuit.Chaquejourlorsquenousbossionsdessus,reveniràlavieréellepouvaitêtreunpeucompliqué.Nousypensionstrèssouventen

dehorsdenosphasesd’écriture.Ilesttoujourscompliquéd’écriredeshistoiressombres,maiscesontsouventceshistoires-làquinous

poussentànousdonneràcentpourcent.Nousespéronsquel’histoiredeVicetReaganasuvouscaptiver.Nousnousdoutonsqu’ellenelaissera

pasindifférenteétantdonnélessujetstraités.Maispeut-êtrequemalgrélespassagessombresetl’intensitédurécit,votrecœurachavirépourleurromance,commeellenousaséduitesenl’écrivant.

Ontientàfaireunclind’œilauxplaylistsDisney,àÉrosetaugroupedontonneprononcerapaslenom,grâceàeux,auchocolat,etànosbarresderires,onapudétendrel’atmosphèrequandletravailsur

WITHYOUdevenaitdur.

C’estaussil’heuredesremerciements.

MerciàMicheline,notremarrainelabonneféedel’orthographeetdelagrammaire.Tontravailesttoujoursaussifantastique,tutedonnestoujoursàfondpournosbébés.Tulespeaufines,lescorriges.Tuenlèvescespetitesimperfectionsettunousaidesàrendrel’histoire«parfaite».Merciàtoipourta

fidélitéetcettecollaborationchèreànotrecœur.

UnimmensemerciàClaire,notretalentueusedessinatricequiasucréerpourdevrailesdessinsdeVic.Tut’esimprégnéedel’histoireenquelquesexplications.Tuasréussiàfaireressortirladétresseet

l’intensitédupersonnagequ’estReaganavectescoupsdecrayon.Tuasdel’ordanslesdoigts.Mercipourcettefantastiquecollaboration.Tuesuneartistedetalent!Unesœurfabuleuse,etunefemme

exceptionnelle.Nechangejamais.

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MerciàMagali,l’ultimebêta,quidécèlelespetitescoquillesquiseseraientglisséespar-ci,par-là.C’estavectoiqu’ondébatlonguementsurl’histoireaprèslalectureetdontleretouresttoujoursécouté.C’estlepremieravisdelectricequ’onreçoitunefoislescorrectionsfaites.Mercipourtonsoutien,

mamanetpourtonaide.

MerciànotreTahlly,toujoursfidèleauposteaprèstantd’années,tantdebouquins,tantdesoiréessurSkypeetFacebookànousécouternouschamailler,rire,penser,imaginer.Tuesl’amieenorqu’on

voudraittous.Parchance,noust’avons.Nechangepas,mêmesiont’exploitedetempsentemps,c’estbienparcequ’onadoretetaquineretpartagertoutçaàtescôtés.

Merciànosfidèleslectrices.Àtoutescellesquinesontplusdansl’ombreetcellesquilesontencore.Àcellesavecquideslienstrèsfortssesonttissés,quisontdevenusplusquedesimplespseudossurlenet.Àcellesquinoussuiventdansn’importequelleaventurelesyeuxfermés,quiviventauquotidiennospéripétiesd’auteurs.Àcellesquirient,pleurent,fantasmentavecnousetnousmaudissentpournotre

sadismelégendaireetnotregoûtprononcépourlescliffhanger.Àcellesquinoussoutiennentetquisontlàdepuisledébut.Àcellesquinousontrejointsencoursderoute.Àcellesquirestentanonymesetquinousdécouvrentparhasard.Àtoutescellesquinouslisentetsontprésententchaquejour,quecesoitautraversd’uncommentaire,d’unephoto,oud’unelecture.Nousnousrépétonsencoreettoujours,mais:sansvous,

nousnevivrionspastoutça.Onvousdoittout.Alorsmercid’êtredesfansaussifantastiques.

Merciànotreéquipedepartenaires,dontlafidélitéesttoujoursaussiimportante.Vossoutiens,vosretoursetvospartagesfontpartiedel’aventure.Sansvousnonplus,nousnepourrionspasvivretoutça.Onnecomptequedebellesrencontresetdebeauxsouvenirsàvoscôtés.Quecesoitavantlasortied’unbouquin,ouaprès,lorsqu’onpapotesuiteàvosretoursdelectures.Lesfilles,vousêtesdeslectricesen

or.

Merciàtoi,chèrelectriceetlecteur,quiviensd’achetercebouquin.«WITHYOU»n’estpascommelesautres.Onespèrequ’ilt’auraplu.N’hésitepasàlaissertonavisoùtulesouhaiteras,qu’ilsoitbonou

mauvais,passionnéoumitigé.

Àbientôtpourunenouvelleaventure.Amheliie&Maryrhage

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Dansl’universdeWITHYOU

QuandlesdessinsdeVicprennentvie.ParClaireCasalini-Astier.

REAGAN1©ClaireCasalini-Astier

Tousdroitsréservés,ycomprisdroitsdereproductiontotaleoupartielle,soustoutessesformes.

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REAGAN2©ClaireCasalini-Astier

Tousdroitsréservés,ycomprisdroitsdereproductiontotaleoupartielle,soustoutessesformes.

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REAGAN3©ClaireCasalini-Astier

Tousdroitsréservés,ycomprisdroitsdereproductiontotaleoupartielle,soustoutessesformes.

REAGAN4©ClaireCasalini-Astier

Tousdroitsréservés,ycomprisdroitsdereproductiontotaleoupartielle,soustoutessesformes.

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Playlist1:JamesArthur-CertainThings2:AmberRun-IFound3:AnaJohnsson-WeAre4:DamienRice-IRemember5:RyanCabrera-IWillRememberYou6:NothingMore-I'llBeOk7:JRRichards-UntilIWakeUp8:DavidCook-ComeBacktoMe9:WithinTemptation-Utopia10:Hozier-TakeMeToChurch11:GoldenState-AllRoadsLeadHome12:AgnieszkaChylińska&LemON-AgainstAllOdds13:MyChemicalRomance-TheLightBehindYourEyes(LyricVideo)14:ClareTeal-ChasingCars15:SecondhandSerenade-FallForYou16:SixxA.M-Skin17:MARIANASTRENCH-LoverDearest18:CHARLENESORAIA-WhereverYouWillGo19:MICKMCAULEY&WINIFREDHORAN-ToMakeYouFeelMyLove20:BETWEENTHETREES-ChangedByYouwithLyrics21:CAMNACSON-CrazyKids22:LIKEASTORM-ChangeTomorrow23:JOSHUARADIN-InYourHands24:FEVERRAY-KeepTheStreetsEmptyForMe'25:SCORPIONS-StillLovingYou26:ADELITASWAY-Hurt27:STATEOFSHOCK-BestIEverHad28:CAMNACSON-Maybe,Maybe29:MATTHEWPERRYMANJONES-SaveYou30:MSMR-AllTheThingsLost31:SILVERCHAIR-MissYouLove32:STONESOUR-Taciturn33:JACOBSAYLOR-WhattayaSay34:BROKENDOOR-It´sAmazing35:LEAMICHELE-Battlefield36:DANIELAANDRADE(Radiohead)-Creep37:OCEANSDIVIDE-NowIt'sOver38:KEYWEST–XO39:ANGELSFALL–YesterdaysGone

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ProchainementParMARYRHAGE&AMHELIIEBLOODOFSILENCETome5:Nirvana(18Juin2017)Tome6:Rhymes(Décembre2017)Tome7:Creed&HurricaneTome8:AndreasJÄGER(RomanceM/M)(Novembre2017)***ParMARYRHAGE:VelvetLove(Mai2017)FreeFallin’#2(Août2017)***ParAMHELIIE:SLAVESTome5.5&6.5:Trenton&Louis(Octobre2017)Tome6:LaGuerredesDamnés(23Avril2017)Tome7:L’OrdredesDéchusTome8LesMauditsLÉGIONTome1:LegioPatriaNostra(Septembre2017)Tome2:OmniaVincitAmorLeCriduCœur(Juillet2017)

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Lesauteurs,Amheliie&Maryrhage:

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L’artiste,ClaireCasalini-Astier

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[1]:Extraitdulivre«HarryPotteretlaCoupedeFeu»deJKRowling.[2]:ExtraitdeTristanetIseult.[3]NDA:L’avortementdanslerécitestunavortementpardilatationetextractionintacte(D&X),appeléaussiparlespro-vie:«avortementparnaissancepartielle».Elleestréservéepourlesavortementstardifsautroisièmetrimestre.LaD&Xestconçuepourêtreutiliséeavanttoutdanslescasoùlefœtusestmourantoumalforméoulorsqu’ilprésenteundangerpourlasantédelamère.Laprocédureimpliquederetirerlefœtusdel'utérusjusqu’àlatête,troplargepourpassersansrisquedeblessurespourlafemme.Latêteestalorsaffaisséepourpouvoirretirerlecorps.(SourceLaCoalitionpourledroitàl'avortementauCanada).CettetechniqueabortiveestinterditeauxÉtats-Unisdepuis2003.ElleestégalementinterditeenFrance.