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1. 1. Vers la pêche au thon au Quartier Maritime de Concarneau 01/09/2014 Un peu d’histoire De la sardine au thon La Cornouaille n’a pas de tradition de grande pêche maritime comme les Basques qui ont chassé la baleine il y a des siècles, ou les Malouins et autres Dieppois qui sont allés à Terre Neuve et peut être en Amérique pêcher la morue. Par ici, depuis toujours c’est pour se nourrir qu’on pratique la petite pêche, à pied à marée basse, puis on s’aventure en plate à l’aviron, à la voile ensuite sans jamais perdre la côte de vue. On part tôt le matin on rentre l’après midi pour travailler son bout de terrain, on est marin-paysan. On pêche à la ligne dans la baie, maquereau, tacaud, lieu, merlan, merlu et morue, au mouillage de casiers tout près de la côte où le poisson abonde, à bord de plates ou de petits canots non pontés . Chacun a ses « marques » pour telle espèce de poisson, qu‘il tient secrètes. En été, on va à la sardine, si on a la chance de posséder des filets. Les bateaux de quelque importance dans le secteur sont des « marchands », les « chasse marée », voiliers caboteurs à fond plat pour pouvoir échouer à marée basse dans les nombreuses rias cornouaillaises comme celles de la Laïta, du Belon, de l’Aven, du Moros, du Saint Laurent, de La Foret Fouesnant ou de l‘Odet. Il y en a beaucoup sur les côtes atlantiques, c’est le moyen le plus commode pour ne pas dire le seul pour le négoce entre la Bretagne et l’Aquitaine et l’Espagne, car les routes sont quasiment inexistantes. Ils peuvent remonter les rivières et faire de villes ou bourgades comme Quimperlé, Pont Aven, Quimper des quasi parts de mer. Ils amènent bois d’œuvre, charbon, sel, vin, objets manufacturés, etc.. et ramènent des produits locaux, tels que grains, cidre, eaux de vie, bois de chauffage, toiles de lin et poisson séché. C’est le merlu qui abondait sur

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1. Vers la pêche au thon au Quartier Maritime de Concarneau

01/09/2014 Un peu d’histoire De la sardine au thon

La Cornouaille n’a pas de tradition de grande pêche maritime comme les Basques qui ont chassé la baleine il y a des siècles, ou les Malouins et autres Dieppois qui sont allés à Terre Neuve et peut être en Amérique pêcher la morue. Par ici, depuis toujours c’est pour se nourrir qu’on pratique la petite pêche, à pied à marée basse, puis on s’aventure en plate à l’aviron, à la voile ensuite sans jamais perdre la côte de vue. On part tôt le matin on rentre l’après midi pour travailler son bout de terrain, on est marin-paysan. On pêche à la ligne dans la baie, maquereau, tacaud, lieu, merlan, merlu et morue, au mouillage de casiers tout près de la côte où le poisson abonde, à bord de plates ou de petits canots non pontés . Chacun a ses « marques » pour telle espèce de poisson, qu‘il tient secrètes. En été, on va à la sardine, si on a la chance de posséder des filets.Les bateaux de quelque importance dans le secteur sont des « marchands », les « chasse marée », voiliers caboteurs à fond plat pour pouvoir échouer à marée basse dans les nombreuses rias cornouaillaises comme celles de la Laïta, du Belon, de l’Aven, du Moros, du Saint Laurent, de La Foret Fouesnant ou de l‘Odet. Il y en a beaucoup sur les côtes atlantiques, c’est le moyen le plus commode pour ne pas dire le seul pour le négoce entre la Bretagne et l’Aquitaine et l’Espagne, car les routes sont quasiment inexistantes. Ils peuvent remonter les rivières et faire de villes ou bourgades comme Quimperlé, Pont Aven, Quimper des quasi parts de mer. Ils amènent bois d’œuvre, charbon, sel, vin, objets manufacturés, etc.. et ramènent des produits locaux, tels que grains, cidre, eaux de vie, bois de chauffage, toiles de lin et poisson séché. C’est le merlu qui abondait sur nos côtes qui était la base des « exportations » de Conquerneau vers l’Aquitaine, le Pays basque et l’actuelle Provence.Il est rapporté que les Papes d’Avignon auraient souvent reçu et apprécié le merlu de Conq. Les abbayes de Bretagne exigeaient que certains droits se paient en merlus ! C’est que le climat, fait surprenant car il y pleut souvent permet pourtant un meilleur séchage à l’air que dans d’autres points de la côte ! Cela doit tenir à cette brise marine qui renouvelle l’air constamment. Yvon Lachèvre, l’ écrivain concarnois décédé récemment, dans son livre peu connu mais fort bien documenté « La Sardine toute une histoire » paru en 1994 a fait découvrir

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que cette pêche était bien plus ancienne qu’on le pensait, en particulier dans l’ouest Bretagne, puisque dès la préhistoire elle existait déjà à la pointe de Bretagne, où existait déjà un système de presse pour fabriquer du « garum » une huile de poisson qui servait de condiment. 2Au Moyen Age elle occupait pendant la belle saison des centaines de barcasses à 6 ou 7 hommes pêchant la sardine au filet droit. Il a retracé les premiers pas de l’industrie de la conserve, de Nicolas Appert, l’inventeur de l’ »appertisation » mort ruiné, suivi par Joseph Colin qui lui fera fortune grâce à cette invention. Il a raconté les épisodes de la guerre entre les partisans de la senne utilisée depuis longtemps par les Portugais et les Basques et nos traditionnalistes cornouaillais du sud partisans du filet droit, et ceux de Penmarch adeptes contre tous les autres bretons de la senne plus productive. Cette guéguerre durera longtemps jusque vers 1960 à cause des douarnenistes farouchement opposés à cette méthode destructrice. Viendra aussitôt la généralisation de la « bolinche «, l’appellation des basques pour la senne, et la disparition du filet droit, et la reconversion des marins vers d‘autres métiers.Les pouvoirs publics et les autres communes du littoral, soucieux de leur électorat ont fait un référendum des marins en 1913 pour ou contre l’interdiction de la senne. Lachèvre en donne des résultats, c’est un raz de marée pour l’interdiction, et on y voit que la commune qui a le plus voté contre la senne est Trégunc, avec 270 pour et…une seule contre . Nos ancêtres étaient-ils un peu réactionnaires ? Cela partait de bons sentiments que de vouloir préserver la ressource qui menaçait de disparaître avec la senne et celui de préserver l’emploi du plus grand nombre de marins dont c‘était le seul ou presque moyen d‘existence.Malgré cela, et donc pour bien d’autres raisons, la ressource diminuera pourtant et plus tard la loi économique du rendement, plus grande quantité à moindre coût, avec moins de personnel finira par l’emporter.Les marins de Trégunc farouches opposants à cette technique deviendront d’ailleurs au fil des ans des champions de la pêche à la senne, à la sardine un peu, au thon surtout… L‘essentiel c‘est bien de s‘adapter.La senne avait l’avantage de se passer de rogue, car on tournait « à la volée » sur la sardine chassant en surface. Cela ne faisait pas l’affaire des négociants concarnois qui se gobergeaient sur ce commerce. Ils ont joué sur le risque de mettre au chômage un grand nombre de marins, et les autorités de l’époque, pour ménager la clientèle électorale comme d’habitude ont donc fait interdire de type de pêche, la rogue a survécu.Autre cause de perturbation dans cette fragile activité sardinière, voilà que les «  chasse marée «  cités plus haut vont jouer un rôle

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dans l’exaspération de la crise du début du XX ème siècle, s’aviseront d’accoster les sardiniers en mer pour leur acheter directement du poisson juste pêché, un genre de « braconnage« qui évite les taxes dénoncé par les presses et les fritures . Ce poisson livré « en vert », c’est-à-dire en frais, sur presque toute la côte atlantique sera en effet un sérieux concurrent pour les industriels de la sardine salée et de la conserve qui se trouveront en difficulté en cas de pêche faible mais en représailles réserveront leurs achats à leurs fournisseurs habituels quand la pêche reprendra. 3Ce sera une des nombreuses causes de l’abandon de cette pêche par les nombreux sardiniers d’Yeu, de Groix et d’Etel qui n’ont que peu d’usines dans le secteur et se tourneront alors résolument vers le germon aux perches dans le Golfe de Gascogne. Ils disposent de plus grand navires, les dundees, voiliers pontés capables de bien tenir la mer dans le gros temps. Ces marins sont des iliens en majorité, la perspective de voyages plus longs ne les effraie pas. Ceux de Concarneau n’en sont pas là, leur rythme de vie reste plus « paysan », on ne s’éloigne pas trop de la maison. C’est ce qui se passe pour la pêche à la sardine, car sauf exception, on part de bon matin et on rentre le soir, avec la godaille qui va nourrir toute la famille, et les bateaux non pontés ne sont pas faits pour la haute mer.La sardine, on la mange aussi bien crue avec un peu de sel, que bouillie avec des patates, on en fait aussi des « potiches » dans du vinaigre, ça servira l’hiver, c’est parfait pour changer de l’ordinaire de la campagne, bouillie d’avoine, crêpes, lard salé de temps en temps et parfois volaille le dimanche si on a une petite basse-cour. Cette pêche à la sardine et au sprat de temps à autre existe ici en fait depuis des temps lointains, plusieurs siècles, depuis que les filets maillants existent, il y a même des signes de cette activité en Cornouaille dans l’Antiquité, on en a trouvé des traces dans le Cap Sizun et Douarnenez.Il semble bien que ce soit par là que la sardine descend de la Manche vers le Golfe de Gascogne, en suivant la côte, à moins que ce soit le contraire, déclenchant ainsi la campagne des milliers de barques. Pour attirer le poisson vers les filets où il va se mailler, on jette le long du filet de la « gleurre » de la « strouille « qui dit assez bien ce que ça veut dire, c’est une pâtée de tout ce qui peut l’attirer, sprats, déchets de poisson, têtes, boyaux, crevettes et berniques écrasées, du son, etc..ça ne marche pas si mal, et ça ne coûte rien, mais on va trouver mieux.Les marins ont bien réalisé que les œufs et la laitance de poisson , maquereau, chinchard quand ils en trouvent ont un effet « pêchant » supérieur à cette bouillie, mais les quantités sont minimes. Cela n’a pas échappé à des négociants à l’affût d’un nouveau profit

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qui s’aviseront d’importer de Norvège de la rogue de morue ou de hareng, ce sont des œufs et de la laitance provenant des poissons que les pêcheurs salent et fument au lieu de les rejeter à la mer, produit donc bon marché. La rogue dont ils vont s ‘assurer le monopole pour fidéliser les bateaux qu’ils contrôlent sera ramenée par les chasse marée qui trouveront là du fret de retour de Scandinavie sur la Bretagne au lieu d’aller sur lest vers Bordeaux ou l‘Espagne. Plus tard, elle sera la cause de bien des problèmes, car elle deviendra indispensable, sans rogue, selon les marins, pas de sardine donc on ne sort pas ! Peu à peu le prix augmentera, et les pauvres sardiniers seront à la merci des négociants conserveurs qui feront effectivement beaucoup d’argent sur leur dos, comme on dit par ici en organisant parfois la pénurie pour faire un plus gros bénéfice, rien de nouveau sous le soleil.4La sardine au début était une pêche de subsistance pour les pauvres, ceux qui ne possèdent pas de terre, elle échappe à la classe dominante des propriétaires terriens de la noblesse et des monastères, alors que la mer est ouverte, les marins ont même la conviction que la mer est le domaine réservé des « inscrits maritimes«, ceux qui sont « sur le rôle d’équipage » et qui payent les Invalides, considéré comme un genre d‘impôt alors que c‘est en réalité une simple cotisation mensuelle, assez modeste, mais qui leur permet de toucher une petite « pension » à 55 ans, pas une « retraite, toujours cette notion militaire, signe d‘une dépendance de la Royale. Cette pêche va devenir une activité préindustrielle quand, devenue une marchandise permettant d’acquérir d’autres biens, la sardine salée et pressée en fûts, puis mise en conserve pourra être exportée au loin par la route, par bateau puis par le chemin de fer.C’est un génial précurseur, Nicolas Appert qui a compris que pour conserver le poisson il faut le traiter par la chaleur pour détruire les germes. Il ne profitera guère de son invention, qu’il ne saura pas développer.C’est le nantais Joseph Colin qui va empocher la mise, en installant la première fabrique de conserve « appertisée » à Nantes, fournie en poisson par la Turballe d’où il arrivait en charrettes à bœufs ! Rapidement, Colin et les autres installeront des petits ateliers de conserve sur les lieux de production pour éviter le long trajet du charroi. La Turballe en 1830, les Sables d’Olonne et Belle Ile en 1834, puis Douarnenez et les ports bigoudens où les sardiniers sont nombreux les verront arriver. On ne sait trop pourquoi, peut être un peu de méfiance devant le progrès que l’on retrouvera dans d‘autres occasions, Concarneau ne s‘y mettra vraiment que 30 ans plus tard.Elle rattrapera vite son retard pour devenir vers 1900 le plus grand centre sardinier avec 34 usines, et atteindra le chiffre colossal de 65, il y en a partout, Ville Close y compris. Ce ne sera pas dû à

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d’audacieux locaux, les négociants et industriels viendront presque tous venus de l’extérieur, de Nantes et d’Aquitaine, de Bordeaux surtout.Il suffit de regarder leurs noms pour s’apercevoir qu’il n’y a pratiquement aucun nom à consonance bretonne. C‘est valable pour toute la côte, avec une seule exception, un Le Guillou, notaire à Elliant qui devenu industriel sardinier se fera appeler plus tard Le Guillou de Penanros. L‘engouement pour Concarneau tient à sa situation géographique privilégiée, une baie abritée, une belle flottille, de bons marins, le poisson à proximité de mai à novembre, le chemin de fer est annoncé. Il va arriver de Paris à Quimper, via Rosporden et bientôt ici.Concarneau va comprendre son intérêt de devenir un vrai port de mer, on va construire la digue qui va permettre aux centaines de barques de venir se caser, c’est le mot, devant la Ville Close.Le Port de Conq est devenu un abri sûr au fond de la Baie de la Forêt en cas de mauvais temps, même s’il faut encore pour les plus grands navires comme les trois-mâts, attendre la marée pour y entrer. 5Bientôt, pour accueillir encore plus de chaloupes, il faudra passer le chenal entre le Passage et la Ville Close, et s’étendre dans l’anse du Lin, la ria du ruisseau le Moros qui n‘est encore qu‘une vasière. L’arrivée du train Paris Quimper de la Compagnie d‘Orléans, par une ligne secondaire Rosporden Concarneau en 1883 va donner le coup de pouce décisif, Concarneau va devenir le premier port sardinier de France.Le train va permettre d’étendre le marché de la conserve à toute la France et bientôt de l’ exporter sur les Etas Unis qui découvrent la « French Sardine », nom qu‘un grand de la conserve de Californie donnera à sa Compagnie, et qui viendra un jour s‘installer en Bretagne. C’est l’arrivée de ces nombreux « primo-industriels » qui en fixant la flotte à ses débouchés donnera à Concarneau un avantage décisif par rapport à Groix, Belle Ile ou Etel ou même Douarnenez qui avaient pourtant au départ des bateaux en plus grand nombre, mais peu d‘usines. Il semble que le total des usines de Concarneau vers 1900 ne soit pas loin d‘égaler les implantations des autres ports bretons. Après être resté pendant longtemps le premier port sardinier de France, les usines pour subsister vont devoir basculer vers le thon germon quand la sardine aura fui nos côtes et causé la grande crise du début du XX ème siècle. La « désertion », c’est ainsi que le phénomène est perçu, du poisson vers le sud va causer grave problème social, marins, ouvrières d‘usine, chantiers de construction de chaloupes, usiniers, tout le monde sera atteint. On essaie de tout faire pour conserver le maximum d’emplois dans la conserve, souvent au prix d‘un

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malthusianisme irraisonné. Un premier grand mouvement social, parti de Douarnenez qui est en pointe dans le mouvement anti patrons, va se lever pour essayer de faire interdire l’arrivée des sertisseuses mécaniques qui allaient priver de travail les nombreux soudeurs, considérés comme des salariés privilégiés. Concarneau allait suivre et durcir le mouvement, qui ira jusqu’à vandaliser les nouvelles machines, parfois en casser comme chez Chancerelle à Douarnenez et chez Cassegrain au Passage Lanriec et ainsi compromettre le futur de cette industrie .Les marins premières victimes de l’arrêt de la pêche se joindront aux ouvrières d‘usine privées de travail par une minorité privilégiée, les soudeurs, pour faire cesser leur grève. Les autorités parviendront à trouver un compromis et le travail reprendra avec les machines.Il a bien fallu se rendre à l’évidence, la sertisseuse est incontournable, les Portugais et les Espagnols, nos concurrents, s‘y sont mis, on risque le désastre. Les soudeurs deviendront des sertisseurs pour certains et les autres finiront par se reconvertir dans d’autres activités, la mécanique et l’entretien des machines, la conserve se modernisera et continuera à progresser, mais l’alerte aura été chaude.

6 Ce phénomène de lutte désespérée contre une évolution qu’on sait inévitable n’est pas particulier à la Bretagne, mais il aura été plus sensible en Cornouaille, et plus précisément dans le quartier de Concarneau, à la pointe du combat contre tout ce qui peut menacer l’emploi des gens qui n’ont d’autre ressource que celle qui provient de la mer.Dès que l’évidence s’imposera, ils sauront s’adapter, rattraper le retard, et deviendront des champions dans les nouvelles activités et techniques de pêche comme on le verra.

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7 On commence à s’intéresser au thon

La pêche au thon sur la côte ouest atlantique bretonne et vendéenne, est très ancienne. Contrairement à une idée reçue, ce n’est ni Concarneau ni Saint Jean de Luz Ciboure qui en sont les initiateurs.Les Groisillons, ou Grésillons, surnommés les Grecs, ce sont les pêcheurs de l’Île de Groix qui en revendiquent à juste titre la grande antériorité.Ce sont eux les premiers qui ont ponté leurs bâtiments pour affronter la mer au large, tandis que les sardiniers se contentaient de travailler au plus près des côtes dans leurs chaloupes à la merci d’une lame. Groix peut se vanter d’avoir été longtemps le premier port thonier de la côte atlantique, elle a compté jusqu’à 200 thoniers à voile !Les Vendéens et Morbihannais les ont suivis il y a maintenant 200 ansCe sont bien ces « étrangers » comme on les appelle quand ils viennent à Concarneau dans leurs grands bateaux, les « Grecs « d’abord, mais aussi ceux des Sables d’Olonne, de Croix de Vie et de l’Ile d’Yeu ou d‘Etel qui ont été les précurseurs en France de la pêche du germon à la ligne traînante dès le début du XIX ème siècle, poisson que leurs marins sur les grands voiliers marchands connaissaient pour le capturer en route très au large et qui servait à améliorer l‘ordinaire.Les Concarnois qui ne juraient que par la sardine snobaient ce thon qu’ilscraignaient de nuire à leur activité. Ils n’avaient pas tort, car les

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usiniers concarnois auront vite fait de s’intéresser à ce poisson lorsque la sardine commencera à manquer. En Vendée et à Groix, des usiniers ont depuis longtemps commencé à fabriquer de la conserve de thon à l’huile, et ça a l’air de marcher.Ceux de Concarneau ont un grand avantage, ils ont une grande faculté d’adaptation aux événements. Ils n’achèteront le thon de ces bateaux que lorsque la sardine fera défaut, mais dès que celle-ci donnera normalement, elle aura la priorité. Mais bientôt, la sardine va déserter nos côtes, toutes les usines achètent de plus en plus de thon pour occuper le personnel, Concarneau sera un moment le premier port thonier de débarquement. Il n’a toujours pas un seul bateau thonier, mais il va retenir la leçon des voisins morbihannais, et comme la conserve va s’y mettre, l’armement va suivre, timidement au début, résolument ensuite. Pour le thon comme pour la sardine, il faut traiter le poisson de suite en usine, car il n’y a pas encore de moyen de conservation. L‘industrie ne suivra pas aussi bien en Morbihan qu‘à Concarneau où le nombre d’usines est important, le port, agrandi peut recevoir des centaines thoniers, les « étrangers » finalement acceptés vont pouvoir livrer leur poisson. En quelques années Concarneau va devenir le premier port thonier de débarquement de France, en attendant d‘être celui de sa pêche.

8Michel Guéguen et Louis-Pierre Lemaître dans « Matelots de Concarneau », l‘un de leurs remarquables ouvrages sur notre région, malheureusement épuisés en librairie depuis longtemps, ont superbement raconté l’histoire des marins pêcheurs concarnois de la fin du XVIII ème au début du XX ème siècles, ceux de la Ville Close d’abord et du « faubourg« ensuite.Louis Pierre Lemaître avant de décéder brossera une belle fresque de Concarneau Histoire d’une Ville véritable mine de détails sur tous les aspects de son activité.Très peu nombreux, les Concarnois de la  Ville, entendez la Ville Close, malgré leur dédain pour le bouseux qui n’est pas né entre les remparts, devront pour armer leurs bateaux accepter l’appoint des paroisses voisines. que la petite pêche ou la terre ne nourrit plus convenablement. Ces nouveaux vont assurer l’essor de Concarneau, on devrait dire celui de son Quartier Maritime qui va de Bénodet au Pouldu.Les marins sont des quasi militaires, la « Royale » peut en cas de besoin les enrôler de force pour armer ses bateaux de guerre. Le quartier maritime de Concarneau est dirigé, par un Administrateur, officier de Marine, patron des « inscrits » qui attribue pour Concarneau le « C C « avec le numéro du bateau avec trois chiffres, et donne son « Rôle d’Équipage. Être sur le rôle, ça donne droit à la Pension des Invalides à 55 ans,

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l‘armateur paie le plus gros des cotisations, l‘inscrit environ un tiers. Elle varie en fonction de la « catégorie ». Pour le matelot elle n’est pas bien fameuse, le patron de barque vaut deux matelots, mais quel avantage par rapport à ceux qui ne perçoivent qu’une maigre « retraite » à 65 ans. Ça va s’appeler plus tard un Régime Spécial.Les marins nouveaux venus, pas encore inscrits maritimes, ce sont les « pegsants » comme disent nos deux auteurs, spécialistes du parler concarnois, quand ils viennent de Beuzec Conq, la paroisse qui englobe une grande partie du « faubourg », Concarneau est une toute petite commune, de la Foret Fouesnant, ce sont les « coucous », les « vachics » de Lanriec et du Passage, les « bulgares » de Névez et les « malins » qui viennent de Trégunc, surtout des hameaux de Lambell/Pendruk et Trévignon.Seul problème, la plupart d’entre eux ne parle pas ou si peu le français, alors que les gars de « la Ville » se font une gloire de ne pas parler breton dont sans le savoir ils ont emprunté pas mal de mots et de tournures.A Trégunc, les » gars du Bourg » dont les parents parlent tous le breton ne le parlent que très peu et très mal entre eux, et jouent un peu les gars de la Ville. En fait tout le monde par obligation le comprend et le parle un peu, sinon, pas de relation avec les personnes âgées.Rapidement, c’est le breton qui deviendra la langue de nos pêcheurs, au point que plus tard les sénégalais qui seront embauchés sur les thoniers finiront par le parler.

9 La génération de l’après guerre perdra peu à peu son usage. La raison en est qu’il sera interdit de le parler à l‘école, j’ai connu cette défense à Trégunc, chez les « Frères« de l’école Saint Marc, même chose à la « Laïque«. C’est malheureusement pareil dans les communes d’à côté, le mal est profond, et les efforts louables pour sa renaissance sont loin d‘égaler les efforts des basques dont la langue revit vraiment.L’enseignement du breton reprend vaille que vaille dans les écoles Diwan, il s’agit d’une langue un peu uniformisée, car les dialectes étaient nombreux et il fallait bien mettre de l’ordre entre le Léonard, le Cornouaillais, et le Vannetais. L’inconvénient est que ceux qui l’ont eu comme langue maternelle, ne se retrouvent que difficilement dans ce nouveau langage académique très éloigné du leur; les Fine, Marjann et autres n’y comprendraient rien, à commencer par les noms qui figurent sur les panneaux routiers comme Tregon«, qui est celui d‘un village des « Côtes du Nord« . Le recrutement des marins autour de Concarneau permettra la multiplication des petites chaloupes sardinières, toutes construites dans les chantiers du secteur, elles seront plusieurs centaines à une

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époque, propriétés des bourgeois et négociants de Concarneau, puis des conserveurs, et rapidement des patrons de pêche, qui ne sont encore que des capacitaires dont l‘examen est un peu sommaire, mais qui en remontreraient à bien des diplômés question navigation dans les parages. C’est un simple matelot, Jean-Marie Furic, né à Concarneau en 1773, mais probable Tréguncois d’origine comme tous les Furic de Cornouaille, qui sauvera le navire et la vie du Prince Jérôme Bonaparte, le Vétéran, en le ramenant au port de Concarneau à travers les nombreux écueils de la baie pour échapper aux Anglais trop sûrs de le capturer car un navire avec ce tirant d’eau ne pouvait entrer dans Conq.Ces « paysans marins » vont démontrer qu’en ce qui concerne la pêche ils n’ont rien à envier à leurs voisins de la Ville qui s’abstiendront vite de les dédaigner, car ils fourniront bientôt les meilleurs patrons et équipages.

C’est la sardine qui occupait principalement les bateaux du sud de la Cornouaille, de Camaret au Pouldu, pendant la saison, c’est-à-dire quand elle montait en surface au beau temps, à peu près de mai à novembre. Le reste du temps, le poisson semblait disparaître on ne sait où, peut-être en profondeur ou au large, sans parler de celui qui mourait de sa belle mort au bout de 3 ou 4 ans sans avoir jamais été pêché…?.On ne sait d’ailleurs pas grand-chose sur ce poisson qui aime les eaux tempérées, sinon qu’on en trouve aussi en Méditerranée ( son nom vient de l‘Ile de Sardaigne), et sur les côtes de l’Atlantique depuis la mer du Nord jusqu’au Maroc, mais pas plus bas.La zone de pêche des cornouaillais allait de la baie de Douarnenez jusque parfois Belle Île et la Vendée, en gardant toujours la côte en vue pour ne pas se perdre, c‘est tout juste s‘il y a un « compas« à bord des plus récents.

10Les« chaloupes sardinières» étaient de simples voiliers creux de 8/10 m, non pontés à deux mâts qu’on abaissait dès qu’on arrivait sur zone , et c’est aux avirons que se passait le reste de l’opération de pêche, pose des filets droits où le poisson se maille et appâtage à la rogue ( ce sont des œufs de poisson, morue ou hareng qui viennent de Norvège, importés par quelques riches négociants depuis le milieu du XVIII ème siècle) .Il y avait bien quelques bateaux qui pratiquaient la drague à la voile en dehors de la saison de sardine, mais c’était une très petite activité qu‘on évitait de pratiquer dans la baie pour ne pas déranger les fonds et faire fuir la sardine .La sardine à Concarneau a changé la vie des marins de la région surtout avec l’arrivée des presses à poisson salé puis des conserveries, les « fritures « comme on dit aussi bien en français qu’en breton. Elles

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se sont multipliées, on donne le chiffre de 60, donnant aussi du travail aux femmes et filles de marins celles de la « Ville« n‘y suffisant plus. Elles venaient à pied de leurs villages, dès que les gérants les faisaient appeler, le bouche à oreille fonctionnant très bien, un genre de « téléphone arabe « ..

Cette pêche qui existait donc depuis longtemps s’était fort développée au début du XIX ème siècle, à partir d’une simple activité de subsistance, le poisson servant d’abord pour nourrir les familles et le surplus pour faire du troc avec les paysans contre lait, beurre, farine et lard.La salaison d’abord réservée aux besoins domestiques, va intéresser des négociants « étrangers », entendez nantais vendéens et même bordelais attirés par les débouchés possibles de ce poisson pour ravitailler l’intérieur du pays. Le poisson salé est le seul moyen de conservation depuis toujours, il se prête très bien à la sardine.Les saleurs viendront s’installer en nombre dans le faubourg, le plus près possible de la côte et rapidement la concurrence entre eux fera heureusement monter le prix du poisson, qu’on vend à la pièce, par douzaine, cent puis mille, curieusement, le poisson est assez régulier de moule, autour de 30 au kilo. La sardine salée et pressée se vendra en fûts de bois, les poissons bien rangés un par un en étoile . C’est donc l’invention de la conserve par Nicolas Appert, ( « l’appertisation » ) c’est-à-dire la destruction par l‘ébouillantage des bocaux en verre pour détruire les microbes ( mis en évidence par Pasteur) contenus dans les produits légumes et viandes ou poissons . Appert qui selon les marins aurait du être considéré comme héros national n’en tirera aucun profit et mourra ruiné verra sa méthode améliorée par le nantais Joseph Colin. Il va remplacer les bocaux en verre difficiles à stériliser et utilisera la boîte métallique soudée à la main.C’est cette invention qui va faire entrer Concarneau dans l’ère préindustrielle. Le poisson, frit dans l’huile, et « ébouillanté » dans des grandes bassines pourra ainsi se garder des années et voyager jusqu’à l’étranger sans risque de se détériorer.

11 C’est une révolution dont les conséquences rejailliront sur l’industrie alimentaire de la Cornouaille, car les légumes vont en bénéficier et assurer aux paysans des revenus inattendus, presque tous les conserveurs de poisson s’y mettront. Les usines vont pousser comme des champignons, il y en a dans tous les recoins du faubourg, et même en Ville Close, on en comptera une soixantaine, certaines situées en pleine ville n’étant guère que de petits ateliers employant quelques dizaines de personnes pour traiter quelques tonnes de poisson. Pour éviter de trop gêner les voisins, on va

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imposer des cheminées qui finiront par atteindre des hauteurs, mais le problème des eaux usées et de la saumure qui coulent dans les rues va devenir crucial, et va devenir une affaire de santé publique.Tout le travail du poisson se fait à la main, étêtage étripage, lavage, emboîtage, huilage, fermeture du couvercle par soudure à l’étain, etc..On se contente au début de bouillir les boîtes pendant quelque temps,( l’autoclave qui permet de descendre à 108 degrés pour tuer tous les germes avec certitude n’arrivera que bien plus tard ); le produit étiqueté, chaque usine a sa marque, est mis en caisses bois et transporté par voitures à cheval, plus tard il rejoindra la gare par le Grand Chemin, futur Avenue de la Gare pour rejoindre l’embranchement de Rosporden pour desservir Paris par la Compagnie d‘Orléans, avantage certain sur les concurrents du fin fond du Département pas encore raccordé.Douarnenez et Le Guilvinec pourtant bien placés près des lieux de pêche accuseront de ce fait un certain retard sur Concarneau.

12 Le déclin de la sardine

Pendant longtemps l’industrie sardinière qui est la grande activité du pays car elle emploie des milliers de personnes, marins, personnel d’usine, négociants, commerçants, etc. se maintiendra vaille que vaille, il y a de bonnes et de moins bonnes années, mais sans grandes variations en quantités. Même relative, c’est la richesse de ce coin de Cornouaille. Voilà qu’autour des années 1900, début de panique, à Douarnenez et au cap Sizun, pas d’ »apparence », le poisson semble-t-il a

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pratiquement disparu, en tout cas on ne le trouve plus en surface comme avant. Il a peut-être changé de route, ou bien il est en voie d’extinction car trop pêché selon certains. Pour les marins, ce n’est pas l’explication . On recherche les causes ou les coupables; pour certains, c’est la « faute aux bélugas », ces gros dauphins qui de tout temps ont peuplé nos côtes. On sait bien qu’ils se gavent de sardines, mais il y a longtemps que ça dure, et tout ce tintouin ne change rien au problème, la sardine ne revient pas. On cherche donc autre chose, on trouve toutes sortes d’autres raisons, la pêche à la senne, les moteurs à vapeur qui commencent à apparaitre feraient fuir le poisson, comme les fumées des fabricants de soude de goémon, le nombre de bateaux, etc.Cela n’explique pas pourquoi, vers 1909, voilà que la sardine réapparaît, comme autrefois, aucune explication, les causes présumées du déclin sont toujours là. D’où une crise d’un autre genre, cette fois c’est la surproduction qui en est l’origine, les bateaux n’arrivent plus à placer leur poisson : le thon a pris de l’importance chez les conserveurs qui du coup se montrent de plus en plus exigeants sur la qualité du poisson.Des lots entiers sont refusés pour des motifs bidon, poisson trop petit, trop gros, pas d’écailles, etc. d’où une nouvelle effervescence dans les ports.Douarnenez « la rouge » comme on l’appelle est encore à la pointe du mouvement, on y commence à parler de changement de cap, se diriger lentement vers d’autres métiers, le maquereau de dérive, le chalut, le thon bien sûr, et ce qui deviendra avec Camaret la grande spécialité, la langouste verte sur les cotes d’Afrique du Nord jusqu’en Mauritanie.position pour se créer d’incroyables prébendes.A noter que c’est Concarneau qui aura cette fois lancé le mouvement vers cette pêche en commençant par le Portugal pour descendre jusqu’à la côte mauritanienne. C’est de ce port que partiront les marins dont Dominique Floch a retracé la tragique histoire dans son livre« Les oubliés de l’Ile Saint Paul » s’en iront à l’autre bout du monde établir une colonie de pêcheurs sur ces iles à mi-chemin entre l’Afrique du Sus et l’Australie, et presque tous y mourront abandonnés à leur sort.Concarneau ne se remettra jamais de cette expérience et laissera aux Douarnenistes et Camaretois le juteux monopole de cette activité.

13Yvon Lachèvre, le journaliste écrivain récemment disparu a sorti un

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petit opuscule : « La sardine toute une histoire « un survol de cette pêche qui aurait mérité une plus grande diffusion. Très documenté il a en particulier bien décrit les épisodes de la guerre, c’est le mot, des sardiniers contre ces mammifères marins, bélougas ou marsouins ou dauphins, tous pourchassés comme des ennemis, au fusil , au canon et à l’explosif, on a même fait appel aux navires de guerre, des torpilleurs, rien que ça, pour pourchasser ces gros poissons qui mangent le poisson dans les filets !On est ahuri de voir comment l’opinion publique de l’époque s’est emparée de cette affaire qui ferait s’étrangler de colère les écolos de notre temps qui ont fait de la défense de ces animaux un de leurs chevaux de bataille, comme quoi les modes là aussi changent..Il est bien possible que les fameux cétacés aient pu jouer un rôle dans la crise de la sardine, car c’est pour eux une belle source de nourriture, mais il y a bien d’autres causes, liées au climat, aux courants mais rien ni personne n’expliquera complètement le phénomène.Quelles qu’en soient les raisons, le résultat est là : c’est la catastrophe pour le pays, la vraie misère dans les foyers, en petit la disette de l’Irlande au XIX ème siècle à cause de la pomme de terre qui a conduit à la grande émigration vers l’Amérique.Cette misère va émouvoir quelques bonnes âmes dont des artistes peintres nombreux dans le pays ( à côté de » l’Ecole de Pont Aven », il y a celle moins connue de « École de Concarneau » ) qui les conduira à inventer la Fête des Filets Bleus en septembre 1905 pour venir en aide aux nécessiteux de plus en plus nombreux. Il faut se rendre à l’évidence, certaines années le poisson semble avoir déserté les côtes de Bretagne pour dit on descendre plus sud, au fond du Golfe de Gascogne vers le Pays Basque, où le poisson abonde. Il doit donc bien y avoir d’autres raisons que celles avancées par les bretons au phénomène, Le poisson reviendra sans plus d‘explication.Quelques conserveurs, les frères Chancerelle les premiers, puis les Paulet et autres ne pouvant plus honorer les commandes de sardines vont déjà, comme on dit maintenant « délocaliser » au moins partiellement leurs usines et s’établir au Pays Basque, bientôt suivis par des industriels locaux.Le mouvement continuera plus tard vers le Portugal, puis vers le Maroc.Quelques audacieux patrons pêcheurs bretons iront s’installer à Ciboure, le port de pêche de Saint Jean de Luz, sur la rive gauche de la Nivelle. Quelques familles suivront, et les femmes trouveront de suite du travail dans ces usines et apprendront le métier aux « basquaises «. Reconnaissante, la Ville de Ciboure vient de donner le nom des Frères Chancerelle à une place où se trouvait leur usine.Là bas comme ici, un bel immeuble a pris sa place.

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15 Bien des marins réduits au chômage retourneront à la campagne, d’autres préféreront aller chercher du travail dans les mines de charbon du Nord, en attendant que les beaux jours reviennent, car ce métier de mineurs de fond ne convient pas aux marins. Ce sont les Polonais qui assureront la relève.Beaucoup préféreront s’engager dans la « Royale » comme on dit, la marine militaire, à Brest ou Toulon, qui en plus des marins embarqués fournira le plus gros des contingents de fusiliers marins qui s’illustreront entre autres à Dixmude pendant la Grande Guerre. La plupart ne parlant que le breton, seuls les officiers pratiquant le breton seront appelés à les commander.La marine marchande qui commence à se développer va aussi trouver parmi les sardiniers bon nombre de matelots malgré la durée de l ‘absence qui pouvait facilement dépasser l’année, mais il fallait bien nourrir les nombreuses familles.

15 De la sardine au thon

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La crise de la sardine est un gros coup dur pour les ports cornouaillais, Concarneau en tête. La flotte constituée de centaines de chaloupes non pontées est exclusivement sardinière, les désarmements se succèdent, les usines privées de poisson débauchent les femmes de marins, on plonge vers la misère, on crée la fête des Filets Bleus pour venir en aide aux marins.Nos voisins morbihannais, les Grésillons surtout, les Vendéens des Sables d’Olonne, de l’Île d’Yeu disposent de plus gros bateaux pontés qui peuvent aller au large pêcher un poisson qui n’a pas la faveur des conserveurs qui préfèrent la sardine.On a cependant vu arriver de temps en temps lorsque la sardine faisait défaut, ces « grecs » comme on les appelle venir proposer leur thon aux conserveurs qui pour occuper le personnel vont imiter leurs collègues îliens et l’emboîter. La sardine est de plus en plus capricieuse, le thon de ces étrangers représente une menace pour les marins.Ils feront grève en fin du XX ème siècle pour tenter d’empêcher les conserveurs de leur acheter leur thon.Mais là aussi, nécessité faisant loi, ceux-ci s’y mettront tous progressivement, et tous comprendront que le virage de la sardine au thon est inéluctable. Il va prendre du temps, car le port n’arme qu’un seul thonier vers 1900. Les thoniers ligneurs Les morbihannais et vendéens pratiquent la pêche au thon depuis bien longtemps, c‘est une pêche d‘appoint à la sardine et la pêche côtière. Depuis le milieu du XIX ème, ils arment de lourds voiliers pontés de 15 m, à misaine et grand voile, parfois un tape cul à l’arrière. Ils vont inventer un type qui sera adopté par beaucoup, le « dundee » sans misaine, mais avec un grand mât, un beaupré, et tape cul à l’arrière. C’est un beau voilier qui fera le bonheur des artistes peintres.Ces bateaux pratiquent la pêche du thon « aux perches », c’est-à-dire aux lignes traînantes, à 4 ou 5 nœuds. Les « perches » sont de longues tiges de jeunes châtaigniers flexibles, fixées en haut des deux tangons latéraux pour déborder le bateau et augmenter le nombre de lignes de chanvre puis de coton qui partent du pont. Chacune de ces lignes lestées d’un plomb de poids différent pour couvrir les couches d’eau portent un nom. Ces noms sont tous français, « petit et grand plomb« , «  petit et grand bonhomme «, certains assez drôles, comme « bonne femme, marie jules, riquiqui », et pour la ligne du tableau arrière, « trou du cul » ! Ce sont les vendéens francophones qui en sont à l’origine, et nos bretons à qui ils les doivent les ont peu conservés et simplement donné des numéros en breton: « la 2 «  (eil) ou la 3 (ter), c’est plus simple.

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17 L’avançon en crin de cheval est muni de l’hameçon double sans ardillon gréé de leurres propres à chaque patron, matériau, forme ou couleur, parfois simples rubans de coiffe, ce qui importe, c’est de ressembler vaguement à un petit encornet ou un lançon pour tromper ce poisson vorace. On le modifie s’il n’est pas « pêchant ».Les hameçons sont d’abord forgés localement, puis seront importés de Norvège, ce sont les « Mustad » dont la fabrique existe encore.Quand une ligne se tend, le matelot de quart crie » berc’h », effort en breton, avec le nom de la ligne concernée et le matelot encharge de la ligne hâle le poisson qui est assommé et piqué aussitôt en haut de la moelle épinière avec un genre d’alène, le but étant de l’empêcher de se débattre en le tuant tout de suite. C’est bon pour la qualité du poisson, l‘acide lactique produit par les soubresauts de ce poisson tout en muscles pouvant donner à la chair un léger goût âcre .Le thon de ligne ainsi traité et en plus éviscéré donne le meilleur produit, que ce soit en frais ou en conserve.Ce n’est évidemment pas un poisson inconnu sur nos côtes, on le trouve en surface en été, mais depuis des siècles il est pêché occasionnellement par les caboteurs ou les chalutiers à voile lorsqu’il se risque près des côtes du sud Bretagne. Il n’ a pas de nom breton, on emploie comme pour la sardine le nom français. Il paraît que « germon » c’est un nom vendéen.

Ce germon, c’est le « thon blanc«, à cause la couleur de sa chair, c’est un superbe poisson argenté très vif, reconnaissable à ses très longues nageoires dorsales, d’où pour les scientifiques l’appellation latine est « germo alalunga », à longue nageoire. C’est un poisson « pélagique «, du moins c’est ainsi qu’on le perçoit, qui navigue entre deux eaux, et vient parfois chasser en surface les petits poissons, sprats, anchois, sardines etc.Comme tous les thonidés, il est de la famille des « scombridés », comme le maquereau. On ne savait pas trop d’où il venait, et on ne le sait pas encore très bien. La taille de celui que l’on pêche dans le Golfe de Gascogne peut aller de 3 jusqu’à 12/15 kilos, c’est un peu fonction de la zone de pêche et de l’avancement dans la saison.Les conserveurs les classent par catégorie, la « bonite » c’est moins de 3,5 kilos, le « demi », 3,5 à 5 kilos, le «  thon « , au dessus de 5 kilos.Le prix varie suivant la taille, on ne pèse pas, on compte en unités de « thons », il faut deux bonites pour faire un thon, ce qui n‘est pas du goût des marins qui voudraient qu‘on pèse. Ça sert aussi pour la « godaille », chaque marin a droit à tant de bonites, de demis, et de thons, qu’on charge dans la valise en osier sur le vélo, on va en distribuer des tranches, la famille et les voisins vont se régaler. Si par « chance » on a harponné un « marsouin », chaque marin en aura sa part, on dit que ça ressemble à du veau.

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18Bonite est un terme impropre qui peut venir de l’appellation « bonito del Norte » utilisée par les Espagnols pour le germon de toute taille, car la bonite, c’est le « sarda sarda «,un poisson à dos rayé que l’on trouve en Atlantique mais qui n’a pas droit à l’appellation thon en conserve.Le germon qui fréquente nos côtes, selon les scientifiques, est un poisson jeune, plus ou moins âgé de 2 à 8 ans, il aime les eaux tempérées où il trouve sa nourriture, il effectue un circuit en atlantique nord ouest/ est, passe au large des Açores, entre dans le Golfe de Gascogne, remonte vers l’Irlande et disparaît en automne. On ne sait pas trop où il se reproduit, mais on sait maintenant que les gros spécimens de 20/25 kilos qu’on ne voit pas en surface sont pêchés à longueur d’année dans les Caraïbes par les palangriers asiatiques. La durée de vie du germon serait entre 12/15 ans. Le produit en conserve du « vieux » thon est loin de valoir celui de nos jeunes thons de surface, mais il est commercialisé sans différenciation.

Le problème auquel se sont heurtés les premiers voiliers ligneurs au germon et qui a retardé le développement de cette pêche, a été celui de la conservation du poisson pendant la durée de la « marée », qui pouvait aller jusqu’à trois semaines quand le poisson trouvait au large.La seule possibilité pour ces navires sans équipement était de bien éviscérer les poissons dès la capture, ôter les ouïes, bien les nettoyer, et les suspendre immédiatement sur des claies, deux par deux, la tête en bas pour effectuer un début de séchage au soleil.Les « senteuses » des usines qui examinaient les poissons un à un savaient si le poisson avait « tourné » et le refusaient illico. Il fallait alors le rejeter à la mer, catastrophe pour le bateau, cela s ‘est vu assez souvent.Le poisson une fois agréé par les senteuses, cette méthode ancestrale donnait un produit en conserve d’une qualité qui a fait la renommée de la conserve bretonne et vendéenne, le thon « entier«  à l‘huile ou au naturel. L’éviscération va permettre de réaliser un produit de luxe : les filets de poitrine trop gras et inutilisables pour le thon « entier » et qu’on donnait auparavant aux ouvrières, vont bientôt être rangés lamelle par lamelle dans des boîtes format sardines, un vrai délice, qui se vendra dans les épiceries fines de la capitale le double du ton entier.L’éviscération du thon qui prenait du temps est maintenant abandonnée, et le germon présenté entier comme partout ailleurs. L’invention par Krebs et Alliot des cales à glace sur les bateaux de pêche va régler le problème des « coups de brume « le poisson est mis en cale et glacé de suite, plus de rejet, les « senteuses « vont disparaître.Détail amusant, quand on les consultera, les pêcheurs de Trégunc

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voteront à l’unanimité moins une voix contre l’adoption du procédé, pour la même raison qui leur avait fait refuser la senne, la crainte que l’augmentation des apports ne conduise à une baisse des prix ! Du coup, c’est dans ce port que Krebs vendra le moins de chambres froides.

19 La révolution « culturelle » des pêcheurs du Quartier de Concarneau

Cetta rendance un peu « malthusienne » à préférer limiter la production pour maintenir des prix élevés qui assurent un salaire correct pour chacun n’est pas propre à Concarneau, on la retrouve à Douarnenez qui est aussi « contre » la nouveauté de la senne à sardine, qui va employer moins de marins. Le même phénomène se retrouve dans les usines des deux ports pour refuser les sertisseuses mécaniques qui vont détruire l‘emploi des soudeurs de boîtes, alors que partout ailleurs on les utilise largement avec bonheur. On va bientôt s’apercevoir aussi bien dans la pêche que dans l’industrie de la conserve que ces pratiques ont un effet contaire à celui recherché. La sardine fait vivre tellement de monde sur les bateaux et dans les usines, qu’on a tout misé sur cette activité, pêche et conserve. Pendant longtemps, un consensus s’est établi entre marins et usiniers pour réguler les cours en ajustant la pêche aux capacités d’absorption des conserveurs. Ce que personne ne prévoyait, c’est que le poisson ne soit pas fidèle à son rendez vous annuel du printemps et de l’été.Quand les premières alertes sur la pêche sont intervenues, on a cherché les causes, imputables à l’homme comme les moteurs, les brûleurs de goémon, les chalutiers, etc., puis aux belugas mangeurs de sardines.Cela n’a rien donné, il a fallu se rendre à l’évidence, la sardine désertait nos côtes, les usines pour éviter de fermer, commençaient à se tourner vers le thon de Groix, d‘Yeu, et les Sables.Le mouvement prenant de l’ampleur, les concarnois vont enfin se décider à sauter le pas, c’est-à-dire construire un premier ligneur sur le modèle des concurrents « grecs ».En 1891, Julien le Maître avait déjà fait un essai raté avec « La Concarnoise », armé, c’est un comble, avec des Douarnenistes, il l’avait revendu deux ans plus tard. Cet échec va faire perdre 15 ans à l’armement thonier. C’est le Chantier Le Roy, un bigouden venu s’installer dans l’Anse du Lin, commune de Beuzec Conq, pas encore comblée, qui va accepter en 1906 de construire pour le patron Berrou un « dundee » de 17 m, copie de ceux de Groix.Preuve de son optimisme, il va l’appeler l’Avenir, tout un programme.Mais il manque d’argent et doit faire appel à divers « quirataires »,

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des « copropriétaires » dont Théophile Le Rose et Bolloré, voiliers, avitailleurs de navires qui voient leurs clients sardiniers fondre à vue d’œil, Ils vont d’ailleurs fournir tout le gréement, les voiles, il y en beaucoup, cordages également, ils vont bien s’y retrouver.En fait, on va les retrouver actionnaires, on ne dit pas encore « quirataires », c’est le terme juridique, sur presque tous les bateaux construits à Concarneau.

20Cette fois, ça va marcher, Le Roy construit un second bateau, le Poul ar Rannig, Charles Diot construit aussi, on achète des bateaux à l’extérieur, en 1910 il y a déjà 20 bateaux à Concarneau.Tout le monde veut une part ou prête de l’argent, car ça rapporte.Fait nouveau, le mouvement gagne la campagne, Lanriec, Trégunc, Névez, Riec, c’est de là que viennent les patrons, car ceux de la « Ville » sont de plus en plus rares. Les paysans aisés de ces bourgs « mettent des sous » sur les bateaux dont-ils connaissent les patrons qui sont souvent des cousins ou des voisins qui leur apportent de la godaille à chaque marée.Il est vrai que « ça marche », les actionnaires rentrent dans leur mise et sont prêts à continuer.Les marins sont payés « à la part », une par matelot, une et demi pour le patron, une demi pour le mousse, « cuisinier » du bord. Le montant de la vente est diminué des « frais de total » comme on dit, à savoir le matériel, les Invalides, et la demi part du patron. Les vivres sont fournis par l‘équipage, mais on mange surtout du thon, à toutes les sauces. Ces frais évolueront plus tard avec la glace, le gasoil avec la motorisation, etc.Il y a en général 10 ou 11 parts, 4 pour le bateau, 6 ou 7 pour l’équipage, qui a droit à sa « godaille », tant de poissons déclinés en bonites, demis et thons. Certains arrivent à revendre une part de leur godaille.L’argent encaissé, ceux de Trégunc et Névez se rendent à l’un des nombreux bistrots où on a ses habitudes, comme chez Martin, à l’Étoile du Nord au Passage, qui a plein de bateaux clients, et on partage les billets et les pièces, et on fait un « fricot » et on arrose la marée si elle a été bonne.

La guerre de 14/18 qui avait fait de nombreuses victimes dans le Quartier va quelque peu ralentir le mouvement thonier qui va reprendre de l’ampleur dès la fin du conflit, on va construire dans tous les chantiers de la côte. A Concarneau Il y en deux , Le Roy et Charles Diot, ils tournent à plein régime, à Kerdruc et Brigneau aussi. On a presque oublié la sardine, c’est le thon qui prime, Concarneau devient le plus grand port thonier de Bretagne et sans doute de France.Certains jours, il y a des dizaines voire plus d’une centaine de

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dundees qui se pressent pour livrer leur poisson aux usines. Il faudra d’ailleurs réglementer l’ordre d’arrivée, fixer les heures de livraison pour éviter les bagarres entre bateaux, surtout si ce sont des « étrangers«. Cet essor sera rendu possible par la quasi disparition de la sardine et la nécessaire conversion des usiniers au thon, à l’huile, et au naturel. Le Chemin de Fer permet de distribuer dans la France entière un produit dont la qualité est unanimement reconnue.On a vu que le contrôle du poisson par les senteuses a obligé les marins à davantage soigner le poisson, il faut trouver le moyen de le traiter par le froid comme on le fait déjà dans les boucheries pour la viande.

21Le premier, Louis Krebs qui vient de racheter le chantier Le Roy de l’anse du Lin qu’il a transféré au Roudouic au Passage car l’anse a été comblée, est un grand ingénieur alsacien qui a épousé une quimperloise.Il adapte l’idée de la « chambre froide » à circulation d’air des boucheries, un bac à pains de glace régule la température du poisson étalé sur des étagères dans une cale isolée aux panneaux de liège.Ca marche, mais Henri Alliot, un grand ingénieur frigoriste nantais améliore le procédé et les deux hommes se rejoignent pour fondre les deux brevets et permettre à chacun de tirer parti de l’invention dans sa propre activité.Krebs fabriquera les cales réfrigérées, Alliot qui a construit les Glacières Concarnoises Quai Carnot fournira la glace aux bateaux. Les anciens se souviennent de cette installation située sur le quai Carnot en face de la nouvelle criée qui fabriquait des pains de glace de cinquante kilos. Dirigée par Leclerc, dit Beg Du parce que mal rasé, l’essentiel de la production qui allait auparavant dans les boucheries ou restaurants, va maintenant servir les nouvelles glacières des bateaux. Les pains seront d’abord livrés entiers, puis broyés lorsque le poisson sera finalement glacé, c’est-à-dire enrobé de cette glace pilée, car on s’est aperçu que cela n’enlevait rien à la qualité du poison.On verra dès lors Beg Du livrer ses remorques de glace, tractées par de « Fenwicks » aux bateaux, thoniers et chalutiers le long des quais.

Pour la petite histoire, il faut encore rappeler que le progrès n’a pas toujours fait des heureux chez nous. Curieusement, ce sont les Patrons Thoniers du Quartier du Syndicat créé en 1919 par le Névézien Yvon Rica et ses compatriotes de Trégunc, qui seront les plus réticents. Concarneau sera le dernier port à généraliser les

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cales froides, toujours au même motif qu’une augmentation des apports aurait pour conséquence de faire chuter les prix, et les pêcheurs iront jusqu‘à faire grève pour combattre le procédé, le nouveau président du syndicat ira au ministère à Paris pour faire interdire cette nouveauté cela se passe en 1933 !Krebs sera dénoncé comme « vendu aux usiniers », l’un de ses beaux frères conserveur est bien installé à Douarnenez ? C’est ainsi que dans son propre port qu’il vendra le moins de cales réfrigérées, ce qui le désole.Juste après les cales réfrigérées, un autre sujet de discorde va apparaître, c’est encore Krebs le responsable : c’est la motorisation, les moteurs Baudouin de Marseille ont la préférence des chalutiers et thoniers, puis viendra le Poyaud fabriqué à Surgères.Voilà que Yvon Rica, le fondateur du Syndicat des Patrons lui-meme, s’avise de mettre un Baudouin sur son nouveau thonier, le Rospico, construit au moment de l’affaire des glacières. Il suit en cela l’essai de Krebs avec son Avel Mor, suivi par Jos Rouat et son Joporo et le Lapous Mor de Quéroué, chacun a un moteur de 100 CV. Yvon Rica est « viré » de sa présidence, on menace de couler son bateau !

22C’est toujours un peu la « querelle des Anciens et des Modernes «, chacun sait cependant que ces derniers vont finir comme toujours par avoir raison.Malgré les menaces de représailles contre les motorisés, de plus en plus de ces bateaux prennent la mer, encouragés par les usiniers qui leur promettent une prime. Ils sont déjà 15 en 1935, et ça marche.Ils peuvent sortir du port quand ils veulent, les dundees ne peuvent sortir seuls à la voile d’un port plein comme un œuf où on ne peut tirer des bords, ils doivent se mettre en convoi et se faire tirer par le remorqueur pour sortir du port.En mer, le vent n’est jamais stable, trop ou trop peu, un voilier peine souvent à tenir les 6/7 nœuds de la traîne, il faut tirer des bords, on risque de perdre la matte qui travaille bien, les motorisés travaillent quand même, cela se voit aux résultats.Le mouveement de motorisation est parti, il ne s’arrêtera pasIl présente un autre avantage que Krebs n’avait pa omis de mettreen avant : les dundees sont condamnés au désarmement pendant tout l’hiver, alors que les motorisés vont pouvoir installer un gréement de chalutier, qui leur permettra de tenir en attendant la prochaine campagne.Ce n’est pas le cas de tous, une saison moyenne ne peut pas toujours permettre de joindre les deux bouts, même si beaucoup d’entre eux sont des marins paysans ou carriers qui travailleront à terre dans l’intersaison.

La cohabitation dundees thoniers à moteur va durer jusqu’à la guerre.

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Louis Krebs, le grand artisan de la modernisation sera malheureusement tué par les Allemands en Août 44, résistant, il renseignait les alliés sur les mouvements de l’ennemi. Les motorisés dont la coque a été modifiée, l’arrière plat en voûte qui convient à la voile est remplacé par un arrière « en cul de poule », qui le rend plus marin, seront réquisitionnés pour diverses activités militaires, ou arriveront à s’échapper et gagner l’Angleterre, ceci est une autre histoire bien racontée par nos deux auteurs concarnois Lemaître et Gueguen.La guerre de 39/45 a définitivement réglé le problème du moteur.Plusieurs ateliers de mécanique s’installent sur le port, les écoles maritimes forment les chefs mécaniciens, il faut un diplômé sur chaque bateau.Les voiliers désarment progressivement, il ne reste que quelques irréductibles, 75 en 1947, 6 en 1953, il en disparaît quelques uns chaque année. Ceux qui restent font figure de curiosités folkloriques appréciées des photographes.Les bateaux construits après guerre sont des chalutiers avec treuil, fermes et panneaux et chalut de fond. Certains pratiquent le métier toute l’année, d’autres, nostalgiques du thon désarment du chalut en mai et gréent le bateau en thonier ligneurs aux perches, ça se fait assez rapidement, et on part dès le mois de juin chasser le germon aux Açores, en attendant qu’il entre dans le Golfe. 23 En route vers un nouveau métier au thon La pêche thon au semble avoir trouvé son équilibre en Bretagne et en Vendée, les conserveurs ont joué le jeu, et les prix se tiennent, grâce à l’organisation de la Criée au Thon, gérée paritairement usiniers/patrons pêcheurs. La pêche reste artisanale, mais cela convient à tous, personne n’envisage une quelconque modification du système.Les armateurs « capitalistes » parfois venus d’ailleurs qui ont investi dans ces bateaux qui peuvent maintenant travailler toute l’année, réinvestissent leurs bénéfices dans de nouveaux bateaux, les deux chantiers concarnois, Krebs et Donnard établis au Roudouic en bas du Passage (An Treiz) construisent bateau après bateau, toujours en bois.

A Saint Jean de Luz Ciboure qui a reçu l’appoint de nombreux basques espagnols qui avaient fui l’Espagne de Franco pendant la guerre civile, c’est la «  bolinche « qui est reine, la sardine d’abord et l’anchois ensuite.La bolinche, c’est la senne que les basques de Fontarabie utilisent avec bonheur, les cousins de Ciboure l’adoptent sans se poser de questions comme en Bretagne. La sardine, c’est-ce qui fait vivre le port, les usines bretonnes Chancerelle et Paulet de Douarnenez, Graciet de Bordeaux sont venues s’installer à Ciboure, de 1914 à 1920, les basques Soubelet, Badiola Rodrigo, Ithurralde, etc. ont suivi, il y aura là bas en 1932

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plus de 20 conserveries.Très vite, Saint Jean Ciboure devient le premier port sardinier de France.Ce sont les contremaîtresses des usines bretonnes établies à Saint Jean qui vont former les « basquaises » à ce travail bien particulier de la préparation de la sardine pour obtenir un produit de qualité.Beaucoup d’entre elles y feront souche, et on retrouve aujourd’hui bien des noms bretons parmi les basques. On dit que presque toutes les familles basques comportent une branche bretonne.

24 Le thon « rouge » du Pays Basque

Le thon n’est pas un inconnu au fond du Golfe de Biscaye, comme ils nomment notre Golfe de Gascogne, tous les ans au printemps à la saison de la sardine on voit arriver tout près des côtes un superbe poisson, c’est un thon différent du germon, sa taille peut varier de quelques kilos à parfois 50 ou 60. Il chasse la sardine et l’anchois, c’est un peu l’ennemi.Ses nageoires bleues sont courtes (en anglais c’est le « blue fin ») et sa chair est beaucoup plus rouge, on l’appelle simplement le « thon rouge ».Il n’intéresse pas particulièrement les bateaux, c’est la sardine que veulent les conserveurs. Mis en boîte. il est bien moins coté que le germon car la chair est plus foncée, en Bretagne il vaut moitié moins, le prix de la « bonite «, c’est-à-dire du petit germon de 3,5 kilos. Les Basques des deux côtés de la Bidassoa en sont très friands, il ne coûte pas cher, on peut le cuisiner de toutes les façons, mais celle qui prime, c’est le « marmitako », une matelote aux pommes de terre, très roborative, mais excellente, qui fait encore l’objet d’un concours de cuisine annuel qui consacre le champion marmitako de l’année.Ce thon rouge, on ne sait pas trop d’où il vient, on sait qu’il passe

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vers les Açores en mai, qu’une partie arrive au fond du Golfe et que la majorité file vers l’est en passant Gibraltar dès le mois de mai.Certains disent qu’il viendrait de la Côte est des Etas Unis pour aller se reproduire en Méditerranée en fin d‘été, en passant très près de côtes, d’où l’usage des madragues, ces immenses filets amarrés à terre qui piègent les gros poissons qui passent près des côtes, au nord du Maroc et en Andalousie puis en Sicile, en Croatie, pour se répandre dans le fond de la Méditerranée jusqu’en Turquie et se reproduire.Selon les scientifiques il peut vivre jusqu’à 40 ans et plus, un record, il grossit très vite, il pèse 4 kilos à un an et mesure déjà 60 cm. En fin de vie il pourra faire 300 kgs et 3 mètres, parfois plus on en a vu de 500/600 kilos, égarés ceux là en mer du Nord, sans doute au retour vers l‘Amérique !Ceux du fond du Golfe de Gascogne, ce sont des poissons jeunes, pas encore matures qui viennent pour chercher ici leur nourriture de petits poissons. La pêche du thon rouge à la ligne à Ciboure qui est le port de Saint Jean de Luz n’occupe en saison que de tous petits bateaux qui ne sont pas à la bolinche à l’anchois ou la sardine et ne s‘éloignent pas de la côte.

Le phénomène qui s’est produit en Bretagne, disparition progressive de la sardine, d’où nécessité de trouver un métier de remplacement qui puisse assurer un revenu correct aux marins va se déplacer au Pays Basque.Le prix du poisson reste stable malgré la diminution des apports,mais avec moins de captures, les revenus des marins diminuent. Les conflits pêcheurs conserveurs et mareyeurs seront émaillés de multiples mouvements de grève, bien suivis, car les marins tous à la C G T sont de Ciboure, ou tout près, ils sont facilement mobilisés.25 Les problèmes de cherté de la rogue, la limitation des apports journaliers par bateau, les taxes sur la vente jugées excessives compliquent encore le problème. Le port est en ébullition permanente.La sardine qu’on croyait fixée à demeure dans le fond du Golfe a déjà déserté la côte landaise, il y en a de moins en moins sur la côte basque.Le syndrome breton de sa disparition commence à prendre corps.Les plus lucides savent qu’il va falloir s‘adapter à la désertion de la sardine qui sans doute trop chassée doit descendre à son tour vers le Portugal et le Maroc, hors de portée des bateaux Luziens.Pour survivre il n‘y a guère le choix, le salut ne pourrait-il venir du thon comme en Bretagne ?Les conserveurs et les mareyeurs basques sont depuis longtemps conscients du problème. Privés à leur tour de sardine, et risquant la fermeture de leurs entreprises, ils vont tout faire pour orienter le

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port vers l’autre ressource possible : ce thon rouge qui arrive tous les ans au printemps et qui n‘est pas exploité.Il faut pour cela convaincre les pêcheurs qu’ils sont prêts à ce changement, et qu’ils peuvent gagner leur vie à condition de s’adapter à un nouveau mode de pêche qui a fait ses preuves du côté de l‘Amérique.C’est l’amitié entre deux leaders comme Albert Elissalt, le conserveur, et « Koxe » Basurco, le basque espagnol de Motrico arrivé tout jeune à Ciboure qui va amener les industriels et marins à convaincre leurs partenaires que le thon doit être l’affaire de tous.Albert Elissalt, fils de mareyeur ancien pêcheur, gendre du conserveur Pommereau est « capitaliste » de facto, mais politiquement marqué à gauche. Basurco est un chrétien social, futur disciple du Père Lebret. Ils vont s’entendre à merveille, Elissalt aura l’intelligence de l’impliquer avec d’autres leaders syndicalistes dans l’aventure de l’armement en les incitant à devenir co-armateurs de leurs bateaux.Le Crédit Coopératif via sa filiale Crédit Maritime va puissamment aider une nouvelle catégorie d’armateurs thoniers, les Patrons et Chefs Mécaniciens, qui pourront ainsi sauter le pas.

26 L’exemple américain : le thon à l’appât vivant à Saint Jean de Luz

Les Basques qui ont des cousins émigrés un peu partout en Amérique du Sud et Centrale et jusqu‘en Californie ont vaguement entendu parler d‘une méthode de pêche au thon bien plus productive que la traîne, initiée dès 1927 par des pêcheurs thoniers Açoriens que leur activité ne nourrit plus, venus au début du XX ème siècle s’établir à San Diego, à la frontière mexicaine, où on sait qu’il y a du poisson à la côte. Les Croates partis d’Adriatique au même moment vont s’établir un peu plus haut, à San Pedro, le port de pêche de Los Angeles.Ce sont des pêcheurs de sardines, leur première usine s’appellera la « French Sardine Company », fondée par Martin Bogdanovich .En Californie, dans les deux ports de San Diego et San Pedro, la

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sardine s’est raréfiée, quelques bateaux se sont mis au thon à la traîne, les conserveurs ont suivi, et comme le marché est énorme, il faut de plus en plus de poisson, la traîne ne suffit pas. Ils vont imaginer de faire approcher le poisson du thonier en lui jetant comme appât de petit poisson pêché au filet et conservé vivant dans des cuves alimentées en courant d’eau de mer. Ils ont réussi après à garder cet « appât » plusieurs jours, permettant ainsi d’aller chasser le poisson au large. On l’attirait avec ce poisson et on le pêchait du bord à la canne courte, l’hameçon étant lui aussi garni d’un petit poisson. Les résultats seront immédiats, il faut dire que le thon pullule au large des côtes californiennes, ce n’est ni le germon, ni le thon rouge, c’est le thon à nageoires jaunes, qui n’existe pas chez nous, car c’est un poisson tropical, que nous appellerons « albacore », et eux « yellowfin« .Tout le monde va suivre, le procédé sera amélioré, les cuves intégrées à la coque, il y aura jusqu’à 200 bateaux qui l’utiliseront en 1937.Un audacieux va construire en 1928 un premier gros bateau dédié à cette pêche, le Northwestern, un « monstre » de 38 m, coque bois, moteur de 500 CV équipé de 3 cuves pour l’appât.Ces bateaux ne ressemblent pas aux nôtres, ils ont la passerelle sur l’avant, un pont dégagé pour installer les viviers, on pêche sur des « balcons »pour être au plus près de l’eau, on les appelle des « clippers », terme inadapté, car un clipper est un navire de charge, pas un bateau de pêche. Il va rester pour les thoniers à passerelle à l’avant.Deux Luziens feront très discrètement au début des années 30 le long déplacement de Californie, le conserveur Gaston Pommereau, des années puis son gendre Albert Elissalt, futur Président du Comité du Thon. Pommereau est carrément moqué quand il essaye de parler de ce qu’il a vu.Ce n’est pas un pêcheur, il n’a rien compris dans ce qu’il a vu. Il a pourtant ramené un film projeté à Biarritz en 1935 montrant un thonier en pleine action de pêche à l’appât vivant, avec plein de poissons sur le pont. Personne ne veut entendre parler d’une méthode de pêche qui n’a aucun avenir.27 Le Pays Basque fait sa « Révolution Culturelle »

Mikel Epalza, dans sa revue Altxa Mutillak, présentera ses excuses au nom des marins basques à « Monsieur Pommereau «, reconnaissant que grâce à lui ce sont les Açoriens et les Croates américains qui ont leur appris à pêcher le thon à l’appât vivant. Bel exemple d’humilité de sa part, à méditer. M.Epalza, ancien pêcheur est devenu aumônier des marins à la Mission de la Mer. C’est lui qui a retracé l’histoire qui suit de cette révolution dont on va mesurer bientôt les incroyables conséquences. Les pêcheurs

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basques du Labourd, l’une des 7 provinces basques ont eu la même attitude de résistance à un progrès considéré comme une menace pour l’ emploi.Cela leur aura fait perdre 20 ans, puisque ce n’est qu’en 1947 que l’on se décidera enfin à faire un premier essai « à l’américaine ».Ce ne sera pas facile de convaincre Juanito Olascuaga, le patron du Marie Elisabeth, un gars de Fontarabie qui a fait souche à Ciboure, de faire le premier essai. Les conserveurs vont donner des garanties aux marins, pêche ou pas, ils seront payés.Quand on l’a vu installer une cuve sur le pont, ses copains lui avaient demandé si « c’était une piscine pour les enfants «. Personne ne croit que ça puisse fonctionner.Et pourtant, ça a marché, 53 thons le premier jour ! On est fin août 1947.On commence à prendre l’affaire au sérieux, mais il y a des problèmes de conservation de l’appât. Il a fallu de multiples essais pour perfectionner le procédé. L’année suivante, le Nivelle de l’Armement Elissalt se joint au Marie Elisabeth, on leur donne une subvention.En 4 jours, le Nivelle pêche 1500 kilos à l’appât vivant à la canne du bord.Du coup, plusieurs bateaux les imitent et installent des viviers en bois sur le pont. Ils arrivent à pêcher de une à 3 tonnes chacun par jour.Le mouvement est lancé, rien ne va plus l’arrêter.Sur les conseils d’Elissalt, la technique a fait de gros progrès, le « peita « , l’appât en basque tient dans des viviers en alu éclairés la nuit, la circulation d’eau de mer lui permet de tenir plusieurs jours. Les ateliers mécaniques tournent à plein, les bateaux se modernisent, le confort y entre, il y a les WC, une douche, une cuisine ,un carré, etc.José, « Koxe «  pour les Basques, est mécanicien associé sur le Altxa Muthila qui devient le champion du port en cette année 1950, avec une journée 8600 kilos, du jamais vu. Le bateau sera le premier à s’aventurer, c’est le mot, sur les côtes vendéennes. En 1951, St Jean de Luz devient premier port thonier de France, avec 3600 t de thon rouge et 1000 t de germon !Le Comité Interprofessionnel du Thon, un des organismes créés après la Libération par De Gaulle a décidé d’encadrer cette pêche.Première décision, avril 1950, l’interdiction de la pêche au thon à la senne dans le Golfe, car on craint déjà la mévente du thon rouge !

28 Les Basques nous montrent le chemin

Force est donc de reconnaître, notre fierté de bretons en prenant un coup une nouvelle fois, que c’est au Pays Basque que la révolution thonière française, l’élan vers une pêche moderne a pris naissance.Ils n’ont pas inventé la méthode qui va faire fureur, la pêche du thon

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à l’appât vivant, mais ils ont eu le mérite d’aller voir ce qui se faisait ailleurs, de l’adapter chez eux avant tous les autres et de leur enseigner la méthode.La rivalité entre pêcheurs basques et bretons n’est pas nouvelle, elle s’est déjà manifestée dans le passé au moment du passage à la bolinche.Tous deux sont aussi chauvins les uns que les autres, il y aura encore d’autres occasions de s’en rendre compte.

On sait que les échanges entre pêcheurs basco bretons ont commencé au moment de l’exode des usines bretonnes vers St Jean de Luz.Ce sont des marins sardiniers de Concarneau, du Guilvinec ou Douarnenez dont les épouses sont des « contremaîtresses » des usines bretonnes qui vont s’établir à Ciboure pour former les « basquaises » au métier de la conserve de sardine dans lequel elles excellent.Cet » échange » entre les deux régions aura le mérite d’attirer l’attention de certains de nos jeunes marins sur ce qui se passe au pays des chasseurs de baleine et autres corsaires dont la tradition maritime remonte à plusieurs siècles.Cela ne se fera pas de suite, il faudra que les Luziens arrivent dès 1953 débarquer à Quiberon du thon de canne à l’appât vivant. C’est la sensation, les ligneurs n’en croient pas leurs yeux. Ceux qui ont la chance d’avoir de la famille ou des amis là bas veulent aller voir comment font ces basques qui pêchent « autrement ». Parmi eux, il y a un certain Jos Briant de la Pointe de Trévignon, matelot sur le caseyeur de son père. Grâce à un ami patron de pêche breton bien introduit à Ciboure, il a pu embarquer sur le bateau Gatua Araigna dès avril 1954, jusqu‘en septembre. Immédiatement converti à cette nouvelle méthode qui permet de pêcher en un jour autant qu’un ligneur en une marée, son frère Arsène et lui décident fin 54 d’acheter le Roi du Jour, un petit bateau appartenant à Begnat (Bernard) Josié, surnommé « Jupiter«. Breveté patron de pêche, et son frère chef mécanicien aussitôt après, ils exploiteront le thonier le temps de faire construire au Chantier Donnard en 1957 l’Hippomène, en copropriété avec entre autres Simon Charlot qui a quitté Dhellemmes pour lancer son propre armement. Il sera ainsi le premier breton à se lancer dans l’aventure de l’appât vivant, immédiatement suivi d‘Armand Gourlaouen, un autre gars de La Pointe, de la même trempe. Et à partir de là, c’est le rush sur l’appât vivant, plusieurs bateaux vont se faire équiper par ceux qui savent, les ateliers de Saint Jean de Luz, en moteurs auxiliaires, cuves à appât, cannes en bambou, etc.29

A venir

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La construction de nouveaux thoniers glaciers à l’appât vivantLes clippers, les premières campagnes de germon à l’appât vivant à ConcarneauLa première campagne de Dakar financée par les conserveursLe figo du port, le Sopite, le Foncillon, le GambieLes premiers congélateurs, la transformation des glaciersLa première crise de 1958Le virage vers la senne

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