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Argent amer (Ku Qian) de Wang Bing Chine, 1979, 103’ Cinéma Ermitage, samedi 8 juin, 10h15, salle 2 Wang Bing Né en 1967, le cinéaste chinois Wang Bing entre en 1995 à l’Académie du Film de Pékin, dans le département de photographie. Après avoir exercé ce métier pendant quelques années, il s’engage en solitaire entre 1999 et 2003 dans un projet titanesque : avec une caméra DV, il documente alors le démantèlement d’un immense complexe industriel, la vie des ouvriers et les mutations du site, ce qui donnera un film en trois parties totalisant plus de neuf heures : À L’Ouest des rails. Son second film Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007) s’attache à l’histoire de la déportation des « droitistes » lors de la Révolution Culturelle : pendant plus de trois heure, Fengming raconte simplement sa vie et sa traversée de l’histoire de Chine depuis la République populaire. Le Fossé (2010), première fiction de Wang Bing, s’attache également à rendre compte de cette histoire, ainsi Les Âmes mortes (2018), son dernier film à ce jour, qui noue plus de six heures de témoignages croisés. Ses autres films documentaires ne cessent d’explorer les zones de relégations au sein de la Chine contemporaine, où des « sans part » (suivant l’expression d’Antony Fiant, intervenant sur ses films au Festival) peinent à survivre : les trois petites filles laissées à elles-mêmes du village des Trois sœurs du Yunnan (2012), l’arbitraire laissé à la vie dans l’asile d’aliéné de À la folie (2013), le quotidien d’un ermite mutique dans L’Homme sans nom (2009), le harassement des ouvriers textiles de Argent amer (2016), Mrs. Fang (2017), vieille femme souffrant d’Alzeihmer, ou les exilés de Ta’ang (2016 ; également projeté au Festival). Représenté par la galerie Chantal Crousel, il a aussi réalisé des installations et des œuvres filmiques notamment Traces (2014), filmé dans le désert de Gobi, également projeté au Festival. Ne manquez pas la Master class de Wang Bing le samedi 8 juin à 14h30, Chapelle de la trinité. Distributeur de la copie (DCP) : Les Acacias Rédaction du livret et séance présentée par : Julie Douet-Zingano (Jeune équipe) Le Festival de l’histoire de l’art est une opération nationale du ministère de la Culture mise en œuvre par l’Institut national d’histoire de l’art et le château de Fontainebleau. Retrouvez toutes les informations concernant le Festival sur Internet : festivaldelhistoiredelart.com Suivez et partagez sur les réseaux sociaux : #FHA19 Scannez le QR code pour poser vos questions à notre chatbot Messenger : Festival de l’histoire de l’art La section cinéma du Festival de l’histoire de l’art est organisée en partenariat avec le Cinéma Ermitage.

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Page 1: Wang Bing - Festival de l’histoire de l’artfestivaldelhistoiredelart.com/wp-content/uploads/2019/06/... · 2020-03-29 · Ne manquez pas la Master class de Wang Bing le samedi

Argent amer (Ku Qian)de Wang BingChine, 1979, 103’

Cinéma Ermitage, samedi 8 juin, 10h15, salle 2

Wang Bing

Né en 1967, le cinéaste chinois Wang Bing entre en 1995 à l’Académie du Film de Pékin, dans le département de photographie. Après avoir exercé ce métier pendant quelques années, il s’engage en solitaire entre 1999 et 2003 dans un projet titanesque : avec une caméra DV, il documente alors le démantèlement d’un immense complexe industriel, la vie des ouvriers et les mutations du site, ce qui donnera un film en trois parties totalisant plus de neuf heures : À L’Ouest des rails. Son second film Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007) s’attache à l’histoire de la déportation des « droitistes » lors de la Révolution Culturelle : pendant plus de trois heure, Fengming raconte simplement sa vie et sa traversée de l’histoire de Chine depuis la République populaire. Le Fossé (2010), première fiction de Wang Bing, s’attache également à rendre compte de cette histoire, ainsi Les Âmes mortes (2018), son dernier film à ce jour, qui noue plus de six heures de témoignages croisés.

Ses autres films documentaires ne cessent d’explorer les zones de relégations au sein de la Chine contemporaine, où des « sans part » (suivant l’expression d’Antony Fiant, intervenant sur ses films au Festival) peinent à survivre : les trois petites filles laissées à elles-mêmes du village des Trois sœurs du Yunnan (2012), l’arbitraire laissé à la vie dans l’asile d’aliéné deÀ la folie (2013), le quotidien d’un ermite mutique dans L’Homme sans nom (2009), le harassement des ouvriers textiles de Argent amer (2016), Mrs. Fang (2017), vieille femme souffrant d’Alzeihmer, ou les exilés de Ta’ang (2016 ; également projeté au Festival). Représenté par la galerie Chantal Crousel, il a aussi réalisé des installations et des œuvres filmiques notamment Traces (2014), filmé dans le désert de Gobi, également projeté au Festival.

Ne manquez pas la Master class de Wang Bing le samedi 8 juin à 14h30, Chapelle de la trinité.

Distributeur de la copie (DCP) : Les Acacias

Rédaction du livret et séance présentée par :Julie Douet-Zingano (Jeune équipe)

Le Festival de l’histoire de l’art est une opération nationale du ministère de la Culture mise en œuvre par l’Institut national d’histoire de l’art et le château de Fontainebleau.

Retrouvez toutes les informations concernant le Festival sur Internet : festivaldelhistoiredelart.com

Suivez et partagez sur les réseaux sociaux : #FHA19

Scannez le QR code pour poser vos questions à notre chatbot Messenger :  Festival de l’histoire de l’art

La section cinéma du Festival de l’histoire de l’art est organisée en partenariat avec le Cinéma Ermitage.

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Telle une chaîne de production, Argent Amer se déroule sur un engrenage continuel, depuis l’embauche illégale d’une jeune fille de 15 ans, jusqu’à l’envoi d’énormes sacs contenant les centaines de jeans confectionnés dans les ateliers de Huzhou. Les images s’entrelacent formant un récit linéaire, reconstitué à partir d’une immersion du cinéaste dans les ateliers pendant deux ans. Cet impressionnant assemblage de vies, de solitudes, d’amertumes pourrait se lire comme une chronique naturaliste des habitants des provinces intérieures de la Chine, partant à l’aventure dans un espoir, vite frustré, de chinese dream. Ils se retrouvent dans une ville mystère dont on ne verra qu’un croisement de rues, depuis un escalier ou un balcon. Ils se retrouvent dans les rouages d’une machine infernale, pris dans un atelier-dortoir qui rythme leur vie. Pour ce lumpenprolétariat de notre mondialisation contemporaine, la vie et le travail ne peuvent se séparer.

Un film de prolétaires, oui, montrant tout le dénuement et la dignité de cette condition imposée. On l’oublie parfois, dans notre Europe tertiarisée, où les produits arrivent miraculeusement confectionnés par ces mains et ces bras invisibles. Situation confortable que vient déranger la discrète caméra de Wang Bing.

Il faudra les regarder en face. Regarder l’horreur que ce monde a créé et à laquelle nous participons. Mais il ne s’agit pas d’une œuvre visant à culpabiliser son spectateur. Non, Wang Bing s’intéresse à quelque chose de bien plus grand, de bien plus beau – aux gens, eux-mêmes. À leurs désirs, leurs amours, leurs espaces de liberté, leur solidarité, leur haine aussi. Dans les instants silencieux, advient la dignité d’un peuple.

Ces instants où la caméra enregistre un homme contempler la ville depuis le balcon. Un homme qui fume une cigarette sur son matelas. Une femme, droite, dans la rue, qui vient de se faire battre, et qui reste, devant les néons des enseignes lumineuses. Ces portraits composés en toute délicatesse insufflent un air libérateur à Argent Amer. Les personnages deviennent inexorablement beaux. Sur le balcon, la jeune fille qui a ouvert le film sourit, alors qu’un vent fort balaie le linge qui sèche. La beauté apparaît soudain dans cette respiration.

Factures, salaires, tarifs. Horaires, rendement, production. Deux cent pièces par jour, le rythme à tenir. On pourrait rapprocher ce film d’une œuvre de Zola, L’Assommoir, La Bête Humaine. L’argent rend les hommes fous, vils, méchants, corrompus. On bat sa femme parce qu’elle dépense trop dans ses sorties. On est licencié parce qu’on est trop lent, soixante-dix pièces par jour ce ne sera jamais assez.

Mais là où Zola observe ses personnages se débattre contre un destin inéluctable, Wang Bing les regarde de face, il est avec eux. Et au milieu de tout cela, un fantôme flotte – le patron.

Invisible jusqu’au dernier quart du film, la figure patronale arrive alors, dans toute sa complexité. On aurait envie de le détester,

Chronique d’une volonté, par Julie Douet-Zingano

mais il n’est, lui aussi, qu’un pion de cette roue qui écrase tout. Et face à lui, on a vu un ouvrier dire Non. Non, je n’irai plus ce soir. Je partirai.

Quarante minutes de préparation à ce non. On le voit répéter son discours, encore et encore à ses collègues, jusqu’à l’épuisement. On le voit boire pour prendre du courage.

Puis, finalement, face au patron, à cet homme maigre, il ne dira rien. Mais devant ce silence, le patron le congédie. En une séquence, Wang Bing démontre la force implacable de ce système d’oppression.

Cet ouvrier, on le voit, ainsi, entier. Il est ce silence impossible mais il est aussi la force inaliénable de ce non.

« La bulle spatio-temporelle du film semble à l’image de cette vie suspendue et concentrée, presque sans hors-champ politique, historique, géographique. Mais l’humanité du geste cinématographique (dont les filmés sont complices) permet de porter attention à une beauté gratuite dont n’a que faire la triste machine productiviste : la chaleur des amitiés ou les lumières colorées, qui, la nuit, transfigurent le paysage urbain. »

(Camille Bui, « Argent amer », Cahiers du cinéma, novembre 2017)

« La caméra épouse ce rétrécissement des horizons, au point de se réduire presque entièrement à filmer des intérieurs. Cette étroitesse des perspectives est tant physique que métaphorique, dans la mesure où sortir c’est partir, quitter les lieux pour aller chercher du travail ailleurs (à l’usine, dans un autre atelier, dans l’escroquerie des « ventes pyramidales » pour les plus désespérés) ou retourner au pays. »

(Nicola Brarda, « Comment s’en sortir sans s’en sortir », Critikat.com, 21 novembre 2017)

Autour du film