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Martine Verbraeken, Kurt Moors, Gerda Heyde et Bert Opdebeeck Une publication de la série Horizons Voyage au pays de la microfinance s’investir dans le bien-être et la prospérité

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Martine Verbraeken, Kurt Moors, Gerda Heyde et Bert Opdebeeck

Une publication de la série Horizons

Voyage au pays de la microfinance

s’investir dans le bien-être et la prospérité

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RédactionMartine VerbraekenKurt MoorsGerda Heyde Bert Opdebeeck

Titre originalVoyage au pays de la microfinance

PhotosAADCAnneleen MeeuwsDannDirk ThiebautKoen Broos Kurt MoorsLuk Van MolTriasVRTWim Moens

Conception graphiqueBailleul Ontwerpbureau

TraductionRaymond Junion SPRL

Rédaction finaleGregory Kévers

CoordinationFranciska De Cock

Éditeur responsableHilde talloen, Cera SCRL, Philipssite 5 bte 10, B-3001 LeuvenNuméro d’entreprise RPM Leuven TVA BE 0403.581.960

ISBN 978-90-771-8319-9 (Voyage au pays de la microfinance)Date 12/09/2009

www.cera.bewww.brs-vzw.be

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s’investir dans le bien-être et la prospérité

Martine Verbraeken, Kurt Moors, Gerda Heyde et Bert Opdebeeck

Une publication de la série Horizons

Voyage au paysde la microfinance

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[ 2 ] Introduction à la microfinance

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Petites sommes, grands enjeux

Les trois femmes sont assises l’une à côté de l’autre sur le banc vacillant.Chacune avec un sac à main sur les genoux. Elles remarquent notre caméra mais très vite elles poursuivent leur conversation et les ‘bandele’ (les blancs) ne comptent plus. Le porte-parole de l’organisation locale de paysans montre fièrement sa ‘banque’ : une cabane toute en longueur avec quelques orifices d’aération et trois ‘bureaux’. À l’entrée, ‘l’accueil’, qui se résume à quelques tabourets vacillants eux aussi où des représentants de l’organisation reçoivent le ‘client’ - mais ce sont presque toutes des ‘clientes’- notent ses données d’identité, vont chercher le dossier, remettent une lettre pour ‘l’agence’ avec ses données. On a ensuite le choix entre la gauche et la droite. À droite se trouve le bureau pour l’épargne, où le client peut déposer son argent en échange, comme preuve du dépôt, d’une lettre avec plusieurs signatures. À gauche, se trouve le bureau de prêt, pour emprunter de l’argent.

De la manière la plus officielle pos-sible, le secrétaire de l’organisation de paysans se place à l’entrée de la cabane. Il appelle une femme, Hélène. Il les connaît toutes personnellement et, presque solennellement, elle entre dans la ‘banque’. Le tout se déroule comme un rituel : l’enregistrement à ‘l’accueil’

et, dans le cas d’Hélène, le traitement de son dossier au ‘bureau de prêt’. Même pas dix minutes plus tard, elle sort de la cabane avec un sac à main bien rempli. Mon équipe de reportage doit utiliser tous ses talents de persuasion pour pouvoir filmer la liasse de billets : dix dollars en francs congolais, une petite fortune pour Hélène.

Et elle se met à raconter.Qu’elle se rendra demain, avec cet argent prêté en toute confiance, au marché afin d’y acheter de la farine. Le lait et les œufs, elle les produit elle-même. Avec ces ingrédients, elle cuit ensuite des gaufres, qu’elle vend à Kananga, qu’elle atteint après un voyage de quelques heures dans un camion.Elle le fait depuis plusieurs années et le produit de la vente de ses gaufres dépasse le coût des ingrédients, ce qu’elle avait calculé en compagnie du secrétaire de l’organisation de paysans. La différence est minime, d’accord, le bénéfice est infime, mais juste suffi-sant pour payer l’école des enfants et l’hospitalisation de la cadette la fois où elle a dû être opérée pour de terribles maux de ventre. Elle s’en est sortie. Pendant toutes ces années, Hélène est (restée) en mesure de rembourser ses dettes à la ‘banque’ et peut donc emprunter à nouveau.

Tout le processus est filmé, les témoi-gnages sont enregistrés, Hélène et ses

Avant-propos [ 3 ]

Avant-propos

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[ 4 ] Avant-propos

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Avant-propos [ 5 ]

amies sont parties, satisfaites; ce n’est qu’alors que je me rends vraiment compte que nous avons compris, dans ce village qui ne paie pas de mine, à des heures de route de Kananga, de quoi il s’agit vraiment : de petits moyens, pas plus grands que nécessaire pour donner des opportunités aux ‘petites gens’. De petites sommes, mais de grands enjeux. Ou comment les micro- crédits et la microépargne peuvent faire la différence entre vivre et subir. La différence entre prendre son sort en mains et laisser la fatalité prendre le dessus.

Peter VerlindenKananga, Congojanvier 2009.

Vous pouvez visionner le reportage com-plet de Peter Verlinden sur http://www.deredactie.be/permalink/1.518382

photo: VRT

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[ 6 ] Table des matières

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1 Introduction à la microfinance 9 1.1 Microfinance : bien plus que de l’argent 10 1.2 Pourquoi la microfinance est-elle nécessaire ? 10 1.3 Quels produits la microfinance offre-t-elle ? 12 1.4 Qui offre la microfinance ? 14

2 La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance 17 2.1 Des exemples marquants du passé 17 2.2 Les principes de Raiffeisen 18 2.3 Le système Raiffeisen en Belgique 19 2.4 La Fondation Raiffeisen Belge (BRS) 21

3 La Grameen Bank, précurseur de la microfinance internationale 25 3.1 Les débuts … 25 3.2 Comment fonctionne la Grameen Bank ? 26 3.3 Grameen Bank inverse les conventions … 273.4 … et même le système sociétal 283.5 Grameen : bien plus que la banque 283.6 Raiffeisen et Grameen : du rêve au dynamisme 30

4 Le développement d’une industrie de la microfinance 33 4.1 Attention accrue et reconnaissance internationale 334.2 Les institutions de microfinance : une grande diversité 354.3 Où les institutions de microfinance se procurent-elles leurs moyens ? 364.4 Evaluer, conseiller, contrôler, analyser, … 394.5 Le rôle important des pouvoirs publics au Sud 40

5 Tendances et défis 43 5.1 Professionnalisation et formalisation 435.2 Nouvelles technologies 455.3 Le financement de l’agriculture : un défi permanent 465.4 La microfinance et la crise financière 47

6 Conclusion : la microfinance profite-t-elle vraiment aux individus ? 53

Table des matières [ 7 ]

Table des matières

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[ 8 ] Introduction à la microfinance

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Introduction à la microfinance [ 9 ]

La microfinance dans la réalité de tous les jours

Rokia Degbevi habite au Bénin; elle possède un petit champ de manioc, un peu en-dehors du village. Le petit lopin de terre n’est pas bien grand et elle doit travailler d’arrache-pied pour lutter contre la sécheresse africaine. Rokia est toutefois persévérante et rien ne la rebute. Armée seulement d’une petite hache, elle extrait à mains nues les racines de manioc, dont elle fait ensuite un gari, un plat local qu’elle vend le matin au marché. Rokia se procure ainsi elle-même des revenus.

L’énergie et la persévérance, Rokia en a à revendre. Mais ce sont les moyens financiers qui manquent. Pour produire du manioc et en faire du gari qu’elle peut vendre au marché, la coopéra-tive d’épargne et de crédit locale lui a accordé un microcrédit d’un montant de 45 euros. Le produit de ses ventes lui permet de rembourser son crédit après 6 mois. Il lui reste même un petit bénéfice, de l’argent qu’elle peut utiliser pour nourrir ses enfants ou pour payer les frais de scolarité des plus âgés.

Lorsqu’un crédit a été remboursé, Rokia peut en contracter un autre. Son petit commerce de gari est florissant et Rokia est fière du résultat de son dur labeur. Grâce au capital de départ de 45 euros, elle génère à présent son propre reve-nu et peut mieux entretenir sa famille.

Tout le monde la connaît au marché et elle est une commerçante respectée. Rokia est fière de poser devant son petit champ de manioc, qu’un petit crédit a permis de transformer en une source de revenus propres.

1 Introduction à la microfinance

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[ 10 ] Introduction à la microfinance

1.1 Microfinance : bien plus que de l’argent

Il y a beaucoup de cas comme Rokia dans le monde de la microfinance. Son récit est l’exemple type de l’essence même de la microfinance : accorder un microcrédit à des gens pauvres mais actifs économiquement et qui sont disposés à faire tout pour améliorer leur sort.

Les personnes comme Rokia n’ont toutefois pas accès aux banques et organismes financiers traditionnels pour obtenir ces microcrédits. Le secteur de la microfinance leur apporte la solution. Il offre aux gens pauvres les mêmes services que les banques traditionnelles - épargne, crédits et assurances - mais pour des montants limités et avec un service sur mesure.

Par ailleurs, la microfinance, c’est bien plus que de l’argent. Il ne s’agit pas seulement de solvabilité, mais égale-ment de la dignité humaine, d’un revenu décent et d’une vie décente.

Ainsi, le microcrédit de Rokia lui permet non seulement de lui procurer un revenu, mais il lui donne également davantage d’indépendance, pas unique-ment sur le plan financier. Du travail et un revenu, cela signifie pour Rokia qu’elle peut participer activement à la société et à l’activité économique et y assumer son rôle. Son microcrédit lui donne des opportunités de rehausser le niveau de vie de sa famille et de payer la scolarité de ses enfants.

La microfinance a donc non seulement un objectif financier, mais également une finalité sociale. Dans ce secteur, on

juge le résultat final d’une transaction financière en fonction de la réponse à la question suivante : la microfinance permet-elle au client d’améliorer son niveau de vie ?

Cette combinaison de l’objectif finan-cier et de la finalité sociale n’est pas évidente et exige beaucoup de créativité de la part des organismes de micro- finance. Cette publication éclaire les opportunités et les défis que cette double finalité implique.

1.2 Pourquoi la microfinance est-elle nécessaire ?

Obstacles auprès d’une banque tradi-tionnelle

La réponse à cette question est simple : parce que l’on compte dans le monde 3 milliards de personnes comme Rokia, des pauvres qui n’ont pas - ou peu - accès aux services financiers d’une banque traditionnelle. S’ils souhaitent avoir recours à un organisme financier traditionnel, les obstacles sont légion :

• Ils doivent prouver qu’ils sont solvables et en mesure de rembourser leur prêt. Une garantie est exigée, sous la forme d’argent ou de biens. C’est précisément ce que les pauvres n’ont pas. Obtenir un crédit est surtout facile lorsqu’on a de l’argent, mais plus difficile lorsqu’on est pauvre.

La microfinance, c’est bien plus que de l’argent.

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Introduction à la microfinance [ 11 ]

• Pour les femmes, c’est encore plus difficile. Elles ne peuvent pas toujours faire appel à une banque de manière indépendante et en leur propre nom, alors que la loi prévoit l’égalité des hommes et des femmes. Et pour elles, il est souvent plus difficile d’offrir des garanties formelles.

• Il est plus difficile d’obtenir un crédit

d’un montant limité qu’un montant important. Le coût administratif d’ un ‘petit’ crédit est en effet le même que celui d’un crédit de, par exemple, 100.000 euros. Dans le cas de Rokia, le montant du crédit corres-pond grosso modo aux frais de base d’un dossier auprès d’une banque traditionnelle, ce qui n’est pas attrayant financièrement.

• Un autre obstacle est constitué par la distance importante entre les pauvres en milieu rural et les grandes banques, qui sont généralement situées dans les villes. Si Rokia rembourse son crédit par mensuali-tés, cela signifie qu’elle doit chaque mois, prendre le bus pour se rendre en ville. Le ticket de bus lui coûte plus que le montant de sa mensualité !

• Par ailleurs, on constate également toute une série de différences cultu-relles entre le monde bancaire et ce-lui de Rokia et de ses compagnons d’infortune.

Ainsi, établir un business plan peut constituer pour la banque une condi-tion évidente d’octroi d’un crédit, cela ne l’est pas pour Rokia.

De plus, les banques traditionnelles n’ont pas toujours bonne réputation auprès des gens pauvres. Pour eux, les banques sont inabordables et anonymes. Un prêt chez elles est synonyme de ‘avoir une dette à la banque’, une idée qui en rebute plus d’un.

Manque d’alternatives

Sans organismes de microfinance, les gens comme Rokia doivent trou-ver d’autres solutions lorsqu’elles ont besoin d’argent. Ils doivent puiser dans leurs économies, si infimes soient-elles, vendre une partie de leurs avoirs ou faire appel à la famille, à des amis ou à des connaissances.

Éventuellement, ils adhèrent à un système local d’épargne et de crédit, ce que l’on appelle les tontines ou roscas. Il s’agit de très petites initia-tives, informelles, où de petits groupes d’individus regroupent chaque semaine leur épargne et la donnent en dépôt, en alternance, à un des membres du groupe. Ou bien encore, ils s’adressent à des bailleurs de fonds, des personnes privées qui imputent généralement des intérêts usuriers sur les crédits qu’ils accordent. Ces taux élevés menacent d’entraîner les pauvres dans une spirale de dettes et de remboursements à n’en plus finir, les enfonçant ainsi encore un peu plus dans la misère.

Obtenir un crédit est surtout facile lorsqu’on a de l’argent.

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[ 12 ] Introduction à la microfinance

La microfinance souhaite offrir une alter-native à ces solutions peu attrayantes. Elle souhaite abaisser le seuil d’accès aux services bancaires et éviter que des personnes ne se retrouvent dans une situation sans issue de dettes et de précarité.

1.3 Quels produits la microfinance offre-t-elle ?

Micro

En soi, les services financiers du secteur de la microfinance ne sont guère diffé-rents des services de base offerts par la plupart des banques dans le monde entier. Les clients peuvent y épargner et obtenir un crédit. Ces dernières années, de plus en plus d’institutions proposent également des assurances.

Les trois produits de base - épargne, crédits et assurances - offrent chacun une protection en cas de besoin finan-cier. Ils aident les gens à faire face à des dépenses imprévues. L’épargne permet de se constituer une réserve pour les dépenses futures. Les crédits offrent la possibilité de disposer immédiatement d’argent et de ne devoir rembourser que plus tard. Quant à l’assurance, on paie une prime afin d’être indemnisé en cas de frais imprévus et élevés (p.ex. incendie, maladie).

Le préfixe ‘micro’ qui accompagne tous ces services – microépargne, micro- crédit, microassurance – fait référence non seulement aux montants peu élevés dont il est question dans ce secteur, mais souligne également le caractère particulier du service de ce

secteur, un service axé spécifiquement sur les personnes qui ne peuvent comp-ter sur les banques et compagnies d’assurances traditionnelles.

Crédit Plus

Au début des années ’70, la microfinance se limitait aux microcrédits. On pensait que ce dont les gens pauvres avaient le plus besoin, c’était des crédits.

Toutefois, dès l’origine, ces crédits ont été bien plus qu’une transaction financière. Ils procurent au client non seulement des moyens économiques, mais également des opportunités pour développer ses capacités.

De nombreux organismes de micro- finance offrent souvent, outre des crédits, des formations sous plusieurs formes. Celles-ci peuvent se limiter à expliquer les procédures pour obtenir un crédit, mais l’octroi de crédit peut égale-ment être combiné à une formation sur la gestion des activités économiques et les principes de base de la comptabilité et du marketing. Si les prêts sont liés à des groupes, les sessions de forma-tion peuvent avoir trait à des thèmes comme l’organisation d’un groupe, le leadership, la gestion administrative, …. Certains organismes de microfinance combinent même leur octroi de crédits à des programmes d’alphabétisation.

Il semble toutefois que ce principe du ‘crédit plus’ est de plus en plus sous

Les gens pauvres eux aussi, veulent et peuvent épargner.

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Introduction à la microfinance [ 13 ]

pression, sous l’influence de la concur-rence grandissante entre les organismes de microfinance et l’attention accrue pour la rentabilité.

Épargne

Les gens pauvres eux aussi, veulent et peuvent épargner. Pauvres, voire très pauvres, ils tentent toujours de se constituer une réserve pour leurs futures dépenses. Ainsi, ils épargnent pour un mariage, des funérailles, la scolarité des enfants, …Cette notion constitue depuis plus d’un siècle la base du fonctionnement du service coopératif, mais elle n’est apparue qu’il y a une dizaine d’années dans le secteur des microcrédits. Depuis, on ne parle plus de ‘microcrédit’ mais, plus largement, de ‘microfinance’.

Traditionnellement, il existe plusieurs méthodes pour épargner. On peut épargner sous la forme de bétail, de bijoux, de matériaux de construction achetés petit à petit, …On peut déposer chaque jour une petite partie des revenus chez un dépositaire, ou regrouper chaque semaine l’argent de plusieurs personnes, qui les gardent en alternance chez eux. C’est le système des tontines ou roscas.

Les gens pauvres ont surtout besoin d’une forme adaptée, souple, d’épargne. Leurs moyens financiers étant très limités, il est d’autant plus important pour eux qu’ils soient conservés en toute sécurité. Il est également impor-tant que leur argent soit disponible rapidement en cas de coup dur. Comme leur revenu est souvent irrégulier ou saisonnier, ils ont besoin d’un système souple.

Dans de nombreux pays, les institutions de microfinance qui souhaitent affec-ter l’épargne de leurs clients pauvres à l’octroi de crédits, sont soumises à une législation sévère. On veut ainsi proté-ger l’épargne, afin d’éviter que ces gens, au lieu de sortir de la misère, ne s’y enfoncent encore un peu plus.

Pour plus d’infos sur la microépargne : www.microsave.org

www.microfinancegateway.org/resource_centers/savings/

Assurance

Ce sont les gens qui sont les plus démunis qui ont le plus besoin d’une assurance. Etre pauvre signifie en effet être vulnérable. Le moindre coup dur peut déboucher sur des problèmes plus graves encore et entraîner les intéressés sous le seuil de pauvreté.

Une récolte ratée, des pluies diluviennes, une longue période de sécheresse, la maladie ou un décès peuvent avoir un impact énorme sur le revenu des gens pauvres. Un événement imprévu peut signifier qu’ils doivent mettre fin aux activités de leur petite entreprise, que leur revenu chute, que les enfants ne peuvent plus aller à l’école, que le prêt ne peut plus être remboursé.

Dans de tels cas, une microassurance permet d’éviter à ces personnes de s’enfoncer davantage dans la précarité. De plus, elle permet à l’emprunteur, même en cas de coup dur, de poursuivre le remboursement de son crédit.

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[ 14 ] Introduction à la microfinance

Les institutions de microfinance pro-posent principalement deux produits d’assurance courants : d’une part, l’assurance crédit, qui prévoit qu’en cas de décès de l’emprunteur sa famille ne devra plus rembourser le crédit; d’autre part, l’assurance maladie, grâce à laquelle le client et sa famille ne doivent payer eux-mêmes qu’une partie des frais médicaux, le reste étant pris en charge par l’assurance.

Le volet assurance de la microfinance en est encore à ses balbutiements. Le seuil d’accès à ce produit est encore très élevé. Même si une assurance offre de nombreux avantages, il n’est pas évident, quand on a peu d’argent, de le dépenser pour une éventualité future.

1.4 Qui offre la microfinance ?

De nombreux acteurs

Le secteur de la microfinance pré-sente une grande diversité d’instances mettant des fonds à la disposition de personnes à la recherche de crédits. Il s’agit de groupes locaux d’épargne et de crédit, de banques commerciales aux ramifications internationales, mais aussi de structures très diverses telles que associations, coopératives, orga-nismes de crédit locaux, caisses villa-geoises, banques de développement, organisations non gouvernementales, …

La banque, une question de confiance

Même si toutes ces structures sont très différentes, leur fonctionnement repose sur le même élément de base : la confiance.

À la base, un organisme financier devrait être un ‘lieu de confiance’, où l’on donne sa confiance et où on vous fait confiance. D’une part, un banquier doit inspirer confiance, puisque les gens souhaitent lui confier leur argent. Quelqu’un qui confie son argent à la banque doit avoir la garantie que cet argent est en sécurité et est transformé en toute sécurité en crédits et investissements. À son tour, ce banquier doit, de manière adé-quate, faire confiance aux personnes ou instances auxquelles il prête de l’ar-gent et il doit évaluer correctement qui mérite cette confiance.

Ce point de départ du bon fonction-nement d’un organisme financier se retrouve explicitement dans la mission qu’assume le secteur de la microfinance.

Tontines et roscas

Parmi la grande diversité de structures et de systèmes que connaît le monde de la microfinance, il en est un qui mé-rite une attention toute particulière : celui des groupes d’épargne et de crédit traditionnels et informels. Selon la région, on les appelle tontines ou roscas (rotating savings and credit associations). On retrouve de nom-breuses caractéristiques de ces sys-tèmes traditionnels dans le mode de fonctionnement des institutions de mi-crofinance formelles.

Concrètement, il s’agit de petits groupes (en moyenne de 5 à 10 personnes) qui rassemblent régulièrement leur argent. Par exemple, ils mettent chaque semaine 5 euros dans une cagnotte, un pot commun. L’argent qui est récolté de cette manière est ensuite distribué de

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Introduction à la microfinance [ 15 ]

différentes manières. Parfois, un tirage au sort détermine la personne qui peut emporter la première la cagnotte, parfois on instaure un système de roulement. Des besoins imprévus ou urgents peu-vent eux aussi déterminer qui reçoit l’argent.Certaines tontines ont été créées en vue d’un achat ou d’un investissement déterminé.

Ainsi, un groupe de conducteurs de pousse-pousse au Bangladesh, qui louaient leur pousse-pousse auprès d’un riche homme d’affaires, épargnait régulièrement pour acquérir leur propre pousse-pousse. Ils ont ensuite pu ache-ter un pousse-pousse, qui a ensuite été attribué par tirage au sort parmi tous les épargnants. Le vainqueur de cette loterie a continué d’épargner et a désormais placé dans la cagnotte l’argent qu’il consacrait jadis à la loca-tion de son pousse-pousse. L’épargne fut ainsi facilitée et accélérée et à la fin, tout le monde disposait de son propre pousse-pousse1.

Ce système d’épargne et de crédit est basé sur la confiance mutuelle et repose sur des petits groupes, qui fonctionnent sur fonds propres, sans apport financier ou aide externe. Leur capacité financière est donc réduite.

L’avantage de ce système d’épargne et de crédit en groupe est qu’il constitue en même temps une forme d’assurance. Si un membre du groupe subit un coup dur, le groupe peut décider alors de lui donner la cagnotte.

De nombreux systèmes de microfinance se sont inspirés de cette forme simple d’octroi de crédit. Il existe de nom-

breuses variantes sur ce thème. Ces modèles sont évalués dans l’ouvrage de base ‘The poor and their money’ de Stuart Rutherford .2

Aux chapitres 2 et 3, nous traiterons respectivement de deux systèmes connus dans le monde entier pour leur impact socio-économique : les coopé-ratives d’épargne et de crédit selon les principes de Raiffeisen et les crédits solidaires de la Grameen Bank.

1 et 2 Rutherford, S., The poor and their money,

Oxford University Press, New Delhi, 2000

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[ 16 ] La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance

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La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance [ 17 ]

Depuis peu, la microfinance jouit d’une attention toute particulière sur le plan international et est en plein essor. Le phénomène n’est toutefois pas nou-veau. En effet, des coopératives d’épargne et de crédit sont apparues en Europe dès le 19e siècle. Les principes de base de leur fonctionnement se retrouvent aujourd’hui dans la microfinance.

2.1 Des exemples marquants du passé

Rochdale : la première coopérative officielle

C’est en 1844, dans la communauté pauvre de tisserands de Rochdale, près de Manchester en Angleterre, qu’est créée la première coopérative : la Rochdale Society of Equitable Pioneers.

A l’époque, les conditions de vie en Angleterre sont très pénibles. L’espé-rance moyenne de vie ne dépasse pas 21 ans. L’objectif de la coopérative est d’aider la population à survivre.

Cette première coopérative n’est pas une coopérative d’épargne et de crédit. Les membres rassemblent tout simplement de l’argent pour l’achat en commun de denrées alimentaires, qu’ils peuvent ensuite acheter à moindre coût.

Il s’agit d’une initiative de taille minus-cule, pas plus q’une brouette remplie d’aliments. Elle a constitué un tournant dans l’histoire des coopératives : on a assisté à la naissance des premiers statuts d’une coopérative, ce que l’on a appelé les ‘principes de Rochdale’, qui constituent, dans le monde entier, la base des coopératives.

Friedrich Wilhem Raiffeisen lance les premières coopératives d’épargne et de crédit en Allemagne

C’est à cette même époque qu’en Allemagne, Friedrich Wilhelm Raiffeisen, bourgmestre, entreprend lui aussi de lutter contre la misère des petits pay-sans de sa région. Les temps sont très durs. L’hiver de disette 1846-1847 fait prendre conscience à Raiffeisen que la charité ne résout pas le problème dura-blement. Les paysans n’ont pas accès aux banques. Ils sont livrés à l’arbitraire des usuriers qui les obligent à vendre leur ferme largement en-dessous du prix afin de pouvoir rembourser leurs dettes. Raiffeisen est choqué par la misère des pauvres et il opte résolu-ment pour une démarche différente : l’entraide au lieu de la charité. Il sou-haite les réunir pour s’entraider. La soli-darité basée sur la structure coopérative doit les aider à échapper à la pauvreté.

2 La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance

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[ 18 ] La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance

Raiffeisen se rend compte que les petits paysans ne peuvent se dévelop-per que s’ils ont accès aux crédits finan-ciers pour l’achat de terres, de bétail, de semences et d’outillage. En 1849, il fonde l’Association d’entraide pour les paysans pauvres de Flammersfeld. Les membres plus nantis de l’association se portent garants auprès de la banque du remboursement des dettes; les paysans peuvent ainsi garder leur ferme.

En 1864, il crée la ‘Caisse d’épargne et de crédit’. Les membres deviennent associés, avec un apport personnel. Ils regroupent leurs économies et les membres qui ont besoin d’argent peuvent emprunter à des conditions intéressantes. Les membres élisent les administrateurs parmi eux. Le nombre de caisses prend son envol.

Rapidement, il s’avère nécessaire de fonder un organisme central chargé de centraliser les excédents et d’octroyer du crédit aux caisses en manque d’épargne. Des organisations centrales voient le jour au niveau régional et, en 1878, une organisation nationale est créée. On est ainsi en présence d’une structure coopérative disposant d’une grande autonomie sur le plan local : le système Raiffeisen. La banque coopérative est née.

L’exemple de Raiffeisen est suivi dans d’autres pays

Aux Pays-Bas, la ‘Coöperatieve Centrale Raiffeisen Bank’ (Utrecht) et la ‘Coöperatieve Centrale Boerenleenbank’ (Eindhoven) voient le jour en 1898.En France, le ‘Crédit Agricole’ est fondé en 1894; il est basé sur les principes mutuels et les membres des organisa-tions d’agriculteurs fondent localement des caisses d’épargne et de crédit. En Belgique, les agriculteurs s’orga-nisent à la fin du 19e siècle en gildes agricoles, qui constitueront plus tard la base des coopératives d’épargne et de crédit. Le système Raiffeisen est même adopté en dehors des frontières européennes. Ainsi, au Canada, Alphonse Desjardins fonde en 1901 la ‘Caisse Populaire’ et en 1909 le modèle coopératif fait son apparition aux Etats-Unis.

2.2 Les principes de Raiffeisen

Raiffeisen a posé un certain nombre de principes de base pour le fonctionne-ment des coopératives d’épargne et de crédit. Ils ont contribué au succès de la banque coopérative, jusqu’à notre époque :

• Objectif commun et mission sociale : améliorer le sort matériel de la popu-lation.

• Priorité à l’individu, pas en tant que bailleur de fonds mais en tant que personne souhaitant se développer socialement et économiquement. La dignité de chaque individu est essentielle.

• La coopérative est accessible à tout qui veut en devenir membre.

Raiffeisen est choqué par la misère des pauvres et il opte résolument pour une démarche différente.

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La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance [ 19 ]

• Les décisions sont prises de manière démocratique, selon le principe ‘une personne, une voix’.

• Les membres - associés choisissent en leur sein des administrateurs.

• Les dirigeants doivent avoir un lien solide avec la communauté et béné- ficier de sa confiance.

• Les membres sont à la fois clients et copropriétaires, donc corespon-sables.

• Les coopératives se développent à partir de la communauté locale et y sont ancrées; cela implique que le rayon d’activité est restreint, généra-lement un village ou une commune.

• L’épargne est essentielle. La coo-pérative doit pouvoir se baser sur l’épargne des membres pour accorder des crédits.

• On n’accorde du crédit qu’aux membres solvables. Les emprunteurs doivent proposer des personnes qui sont disposées à se porter caution pour eux.

• La confiance est importante, le contrôle social et autre est nécessaire.

• L’objectif principal de l’entreprise est de fournir du crédit à un taux avan-tageux. Le bénéfice est secondaire, mais est important dans la mesure où il permet à la coopérative de pour-suivre son action.

2.3 Le système Raiffeisen en Belgique

Gildes rurales

En Belgique également, la fin du 19e siècle est marquée par la grande pau-vreté de la population rurale. Les petits paysans n’ont pas accès au système de crédit des banques commerciales situées dans les villes et doivent sou-

vent vendre tous leurs biens ou contrac-ter des prêts auprès d’usuriers.

A plusieurs endroits du pays, le curé du village et l’élite locale se soucient du sort des petits paysans et de leurs problèmes. Ainsi, en 1887, à Heist-Goor, le curé Mellaerts regroupe tous les pay-sans afin qu’ils puissent acheter des engrais de qualité en commun, donc à moindre coût. La première gilde agricole est née.

D’autres villages emboîtent le pas et trois années plus tard, en 1890, est créé le Boerenbond, l’organe faîtier de toutes ces gildes.

Coopératives d’épargne et de crédit

Dans son enthousiasme à améliorer le sort des paysans, l’abbé Mellaerts va même plus loin. Prenant l’exemple de Raiffeisen, il incite la gilde agricole de Rillaar à mettre sur pied une coopérative d’épargne et de crédit. Les membres rassemblent leur épargne, qui permet ensuite d’accorder les premiers crédits. C’est ainsi que la première coopérative d’épargne et de crédit voit le jour en 1892.

Et le système fonctionne. Le contrôle social fait en sorte que les crédits sont remboursés et la caisse d’épargne attire de plus en plus de membres. Le succès de Rillaar fait des émules. D’autres vil-lages des environs suivent l’exemple et fondent leurs propres coopératives d’épargne et de crédit. On en compte quinze fin 1894.

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[ 20 ] La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance

Caisse centrale

Très rapidement, les coopératives sont confrontées à des difficultés. Les membres, non scolarisés, manquent de connaissances et d’expérience pour gérer les caisses comme il se doit. Outre les ressources financières, il y a un grand besoin de personnes pouvant diriger les caisses. Les caisses se regroupent et c’est ainsi qu’est fondée en 1895 une coopérative centrale. Les délégués de cette centrale visitent les villages, contrôlent la comptabilité et donne des conseils aux Conseils d’Administration des coopéra-tives locales. L’excédent d’épargne des unes est mis, via la coopérative centrale, à la disposition des autres, qui ne disposent pas de fonds en suffisance.

L’organisation se développe. Les petites classes moyennes, les ouvriers y adhèrent. En 1913, on compte déjà 378 coopératives d’épargne et de crédit affiliées, pour un total de 29.000 membres. Vingt ans plus tard, en 1934, le nombre de caisses affiliées est passé à 1.099, représentant plus de 95.000 membres.

Raiffeisenkas / Caisse Rurale

En 1935, l’organisation est réformée et la coopérative centrale s’appelle désor-mais ‘Centrale Kas voor Landbouwkre-diet’ (Caisse Centrale de Crédit Rural), les coopératives d’épargne et de crédit locales s’appelant ‘Raiffeisenkassen’ (Caisses Rurales). En 1940, elles sont agréées officiellement comme caisses d’épargne privées. Au cours des années ‘60, l’organisation Raiffeisen deviendra la plus grande caisse d’épargne privée en Belgique.

A ce moment, l’organisation Raiffeisen en Belgique a encore une dimension sociale, mais elle est également devenue une véritable entreprise, qui se doit d’être rentable. Le bénéfice n’est toutefois pas un objectif en soi, mais un moyen d’assurer la continuité de ses activités.

Pour obtenir un crédit, des parents ou voisins doivent se porter cautions. Dans la ligne des principes de Raiffeisen, il ne s’agit pas ici de charité mais de coopération basée sur la réciprocité.

CERA

En 1970, la ‘Caisse Centrale de Crédit Rural’ change son nom en ‘Centrale des Caisses Rurales’, en abrégé ‘CERA’. Ce nom sera également utilisé à partir de 1986 pour les coopératives locales, qui s’appelaient encore Raiffeisenkassen/Caisses Rurales. CERA adopta en 1993 le statut de banque et poursuivit son expansion.

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La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance [ 21 ]

Plus d’infos :www.brs-vzw.be:dvd ‘La banque coopérative’

www.brs-vzw.be:Jan Vanhulst et Walter Vanderhasselt, Aspects de l’histoire et du fonctionne-ment de la Banque CERA, 10 p.

Vanhove, M. (2003) ‘Bâtir ensemble notre avenir. La force des coopératives’, Horizons, Cera, Leuven

Van der Wee, H., Buyst, E., Goossens M.,et Van Molle L. (2002), ‘Cera 1892-1998. La force de la solidarité coopérative’, Mercatorfonds, Antwerpen.

2.4 La Fondation Raiffeisen Belge (BRS)

CERA est devenue une banque à part entière, moderne, offrant une gamme complète de services et de produits tant aux particuliers qu’aux entreprises, mais elle ne souhaite pas renier ses origines coopératives.

Il est par conséquent décidé en 1992, à l’occasion du centenaire de la banque, de fonder la Fondation Raiffeisen belge (Belgische Raiffeisenstichting - BRS) Le but de cette asbl est double : d’une part perpétuer les principes coopéra-tifs; d’autre part faire partager avec les organisations du Sud la riche expérience de cent ans de banque coopérative.

En 1998, la Banque CERA, ABB Assurances et la Kredietbank fusionnent, pour donner naissance au groupe KBC Banque et Assurance. Cette opération

ne signifie pas la fin de l’idée coopérative, que du contraire : désor-mais, la coopérative poursuit ses activi-tés sous le nom ‘Cera’.

Cette coopérative a une mission socié-tale : en compagnie de ses sociétaires, s’investir dans le bien-être et la pros-périté, notamment en soutenant des projets sociétaux tant en Belgique qu’à l’étranger. Les projets retenus doivent répondre à des besoins réels et avoir un impact durable. De plus, ils doivent refléter les valeurs de base de la coopé-rative : coopération, solidarité, partici-pation et respect de l’individu.

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[ 22 ] La banque coopérative, source d’inspiration de la microfinance

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BRS : aider dans la voie vers l’autonomie

La BRS constitue le pôle international de Cera. Elle se base sur les principes de la coopérative afin d’aider les populations du Sud à prendre leur sort entre leurs mains et de construire une vie meilleure et un avenir meilleur pour leurs enfants. La BRS soutient des organismes de microfinance et de microassurance durables dans les pays en voie de développement.

Ces organisations peuvent bénéficier du soutien financier de la BRS, principalement en collaboration avec des ONG (organisations non gouvernementales) belges et internationales. La BRS ne se contente toutefois pas de ‘donner de l’argent’. Les organisations soutenues peuvent également faire appel à l’expertise bancaire que la BRS mobilise en collaboration avec KBC Banque et Assurance.

Les bénévoles de l’Institut BRS, qui comptent de nombreuses années d’expérience de la banque et de l’assurance, mettent leur savoir-faire à la disposition des organi-sations au Sud.

Outre des conseils, la BRS organise également des formations, pour lesquelles elle peut puiser dans sa riche histoire coopérative et ses connaissances de la micro- finance et de la microassurance. En Belgique, la BRS mène des actions de sensibili-sation, entre autres via le Club BRS, et au Sud elle organise des modules de forma-tion spécialisés pour dirigeants d’organisations.

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[ 24 ] La Grameen Bank, précurseur de la microfinance internationale

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La Grameen Bank, précurseur de la microfinance internationale [ 25 ]

3 La Grameen Bank, précurseur de la micro-finance internationale

La Grameen Bank est une banque non commerciale au Bangladesh, qui octroie des crédits aux femmes. Fondée en 1976, elle est devenue entre-temps une entreprise d’envergure et florissante, comptant plus de 2.500 filiales dans tout le pays. Outre ses activités bancaires, Grameen compte de nombreuses entreprises qui ont un objectif en commun : améliorer le sort des pauvres. Le modèle de Grameen est adopté dans d’autres pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine.En 2006, le Prix Nobel de la Paix a été attribué à la Grameen Bank et à son fon-dateur, Muhammad Yunus, constituant ainsi tant une reconnaissance de la microfinance qu’un moyen de lutte contre la pauvreté.

Le modèle de la Grameen Bank n’est pas une donnée statique. On trouve sur www.grameen-info.org des informa-tions actuelles. Ce chapitre reprend les principes de base du système, où l’on reconnaît à la fois le système de ton-tine et les principes de la coopérative d’épargne et de crédit.

3.1 Les débuts …

Les origines de la Grameen Bank au Bangladesh remontent à la grande disette des années ’70. Muhammad Yunus, professeur d’économie, voit les

conséquences de la crise, disette et pauvreté, et se rend compte que les modèles économiques qu’il enseigne ne fonctionnent pas.

Afin de se faire une meilleure idée de la situation et de trouver les moyens de sortir la population de la précarité, il envoie ses étudiants à la rencontre des pauvres, afin de dialoguer avec eux et de dresser l’inventaire de la situation économique.

Ces entretiens révèlent que les 42 tisse-randes interrogées ont toutes des dettes auprès d’usuriers. Toutes ces dettes représentent un montant global de 25 euros. ‘Seulement’ 25 euros, mais pour ces femmes pauvres il s’agit de beau-coup d’argent, de difficultés insurmon-tables. Elles ne sont pas en mesure de rembourser leur dette et se retrouvent dans un cercle vicieux de pauvreté.

Yunus, qui est davantage habitué à raisonner en millions, est choqué et décide de rembourser lui-même les dettes. Il est convenu que les femmes le rembourseront quand elles le pourront, même s’il s’attend en fait à ce qu’elles ne puissent le faire.

Et pourtant, contre toute attente, il est remboursé ! Un jour, elles lui rembour-sent les 25 euros qu’il leur avait prêtés. L’argent que Yunus leur avait prêté leur a

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[ 26 ] La Grameen Bank, précurseur de la microfinance internationale

donné cette petite impulsion financière pour relancer leurs activités et générer un propre revenu.

L’immense gratitude des femmes et la réussite de leur nouveau départ dans la vie ne laissent pas Yunus indifférent. ‘Pour ces femmes, je suis un ange qui est descendu sur terre’, constate-t-il. ‘Si je peux être un ange pour 25 euros, qu’est-ce que je pourrais être pour elles pour beaucoup plus d’argent? ’ Une nou-velle idée était lancée, un nouveau mot magique voyait le jour : la microfinance.

Tout le monde n’est toutefois pas convaincu de la force de ce concept simple. Yunus tente de persuader les banques locales d’octroyer de petits crédits aux pauvres, mais sans suc-cès. Les banques veulent une garantie, ce que ces gens ne peuvent leur offrir. Finalement, Yunus décide de se porter lui-même garant, mais la banque refuse une nouvelle fois : elle ne croit pas dans le système. Ce n’est qu’après plusieurs mois que Yunus trouve une banque qui accepte sa proposition, pas tant par conviction, mais pour mettre fin à l’insistance de Yunus.

Et cela fonctionne ! Chaque taka1 que la banque prête aux femmes de Jobra, le village voisin de l’Université de Chittagong, où Yunus enseigne, est remboursé. La Grameen Bank est née, et le succès est immédiat.Au cours des années qui suivent, le pro-jet est étendu à tout le district, avec l’aide de la banque centrale du Bangladesh et de banques commerciales nationali-sées. En octobre 1983, la Grameen Bank se voit conférer le statut de banque indé-pendante.

3.2 Comment fonctionne la Grameen Bank ?

Yunus et sa banque s’adressent avant tout aux femmes. Celles-ci sont encore considérées au Bangladesh comme des personnes de second rang, et la Grameen Bank souhaite y remédier et renforcer leur position, en les aidant à générer leur propre revenu.

Afin de rapprocher la banque des gens, Yunus et ses collaborateurs se rendent dans les villages. Sur base de l’état des habitations, des toits, de l’égouttage, … ils tentent d’estimer le degré de pauvre-té du village. Ensuite, ils vont de porte en porte pour expliquer aux femmes du village comment elles peuvent obtenir un prêt, à condition de former de petits groupes de 5 à 10 femmes. Si un village compte suffisamment de groupes, une Grameen Bank ou ‘banque villageoise’ y est installée. Ce ne sont donc pas les gens qui vont à la banque, mais Yunus qui leur amène ainsi la banque et le crédit.

Au début, la Grameen Bank octroie de petits prêts. Tout d’abord, deux membres du groupe reçoivent un crédit; si celui-ci est remboursé comme il se doit, les autres femmes obtiennent elles aussi un crédit. Au fur et à mesure que les crédits sont remboursés, les femmes ont accès à des montants plus élevés.

Le but des crédits est de donner aux gens la possibilité de générer un propre revenu; ils ne peuvent être affectés à des fins de consommation. Le crédit est remboursé sur un an, par des remboursements hebdomadaires. L’octroi d’un second crédit dépend du remboursement correct du premier.

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La Grameen Bank, précurseur de la microfinance internationale [ 27 ]

Le suivi du remboursement est effectué tant par le groupe que par la Grameen Bank.

Le taux d’intérêt d’un prêt varie. En 2009, il s’élève à 16 % pour un prêt de base2. Pour fixer le taux d’intérêt, la Grameen Bank applique le principe que celui-ci doit se rapprocher le plus possible de celui des banques commer-ciales. Pour Yunus, cela signifie concrè-tement : maximum 5 % supérieur aux taux des banques traditionnelles3.

Selon les rapports de la Grameen Bank, 95% des clients remboursent correctement leur crédit4 . Ces chiffres excellents sont le résultat de la pression du groupe, du contrôle social et de la forte motivation des emprunteurs. Ils ont d’ailleurs tout intérêt à rembourser correctement leur crédit : à défaut, ils n’entreront plus en considération pour le crédit suivant.

L’octroi de crédits est lié à un pro-gramme d’épargne. La formation est également un volet important. Chaque semaine, les groupes de femmes se réu-nissent, discutent de la situation et des problèmes qu’elles rencontrent et ce,

en compagnie d’un collaborateur de la Grameen Bank. Ces réunions abordent également des thèmes divers : une alimentation saine, l’eau potable, l’importance de l’enseignement, …

Entre-temps, la Grameen Bank est deve-nue un organisme financier de premier plan. Dans tout le pays, elle compte 2.545 filiales et est active dans 83.967 villages. En février 2009, elle comptait 7,75 millions d’emprunteurs, dont 97% de femmes5 .

Selon les chiffres de la Grameen Bank, 65% de ses clients parviennent à amélio-rer leurs conditions de vie et à échapper à la grande pauvreté6. Pour Grameen, cela signifie concrètement pour les familles : la scolarité pour tous les enfants, accès à l’eau potable, trois repas par jour, une maison avec toilette et un toit qui ne fuit pas, accès aux soins de santé de base et environ 300 takas (3 euros) disponibles chaque semaine pour rembourser un microcrédit.

3.3 Grameen Bank inverse les conven-tions …

Le concept bancaire de Yunus inverse tout simplement les conventions : ce qui, dans les banques commerciales est un inconvénient insurmontable, est à la Grameen Bank non seulement un avan-tage, mais même une condition pour obtenir un prêt. Les règles de Grameen sont précisément l’inverse de celles des banques conventionnelles.

Ainsi, la Grameen Bank axe son ser-vice sur les femmes pauvres, qui sont en même temps copropriétaires de la banque.

Les gens pauvres, c’est comme les bonsaïs. Même en prenant la meilleure semence de l’arbre, si le pot est trop petit, l’arbre ne poussera pas.

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[ 28 ] La Grameen Bank, précurseur de la microfinance internationale

Pour avoir accès à la banque, il faut être pauvre. Les gens qui n’ont rien y bénéficient de la priorité absolue, contrairement aux banques tradition-nelles, qui donne du crédit aux nantis.

La Grameen Bank n’exige ni garantie ni gage, et n’a pas recours à une armée d’avocats ou à des procédures pour récupérer des crédits non remboursés.

Un des objectifs de base des banques commerciales est la maximalisation des bénéfices. La Grameen Bank souhaite sortir les gens de la pauvreté, tout en étant bénéficiaire afin de garder une base financière solide.

Yunus inverse tout simplement un raisonnement vicieux, et séculaire, des banques commerciales. ‘Peu de revenus, peu d’épargne, peu d’investissements’ devient ‘Peu de revenus, octroi de crédit, investissement, plus de revenus, plus d’épargne, plus d’investissements, plus de revenus, …’ . Un microcrédit aide vraiment à faire la différence.

3.4 … et même le système sociétal

Dans un pays comme le Bangladesh, le choix d’octroyer des crédits aux femmes est loin d’être évident. De nombreuses femmes y vivent selon le système traditionnel du purdah, un système complexe de ségrégation envers les femmes, qui signifie entre autres qu’elles sont confinées dans leur immeuble, qu’elles ne peuvent quit-ter qu’avec l’accord d’un homme, ou accompagnée.

S’adresser à des femmes, aller frapper à leur porte et demander si elles sont

disposées à former des groupes, n’est donc pas évident. Le fait que des femmes, soudainement, vaillent la peine de recevoir de l’argent est très particu-lier, voire révolutionnaire.

Les microcrédits de la Grameen Bank ont entraîné un changement impor-tant dans le système social. Les micro- crédits constituent une sorte d’appât, qui fait en sorte que les hommes accep-tent plus facilement que les femmes se réunissent. Le fait qu’elles ramènent de l’argent à la maison les libère quelque peu. Non seulement elles peuvent dis-cuter d’argent avec d’autres femmes, mais aussi d’autres choses, importantes pour elles. De cette manière, le système de la Grameen Bank forme les femmes et contribue à la leur émancipation.

Yunus a une foi inébranlable dans la capacité de résistance et de croissance des gens. Il interpelle la communauté et l’incite à assumer ses responsabilités en donnant davantage d’opportunités aux pauvres. Pour Yunus, les gens pauvres sont comme des bonsaïs : ‘Même en prenant la meilleure semence de l’arbre, si le pot est trop petit, l’arbre ne pous-sera pas. Toutefois, si on leur donne la possibilité de se développer, de s’épa-nouir, ils sont tout aussi créatifs et entreprenants que tout autre individu.’

3.5 Grameen : bien plus que la banque

Entre-temps, Grameen est devenu bien plus qu’une banque. Yunus est plus qu’un banquier, il est quelqu’un qui recherche constamment une manière de pratiquer l’économie de manière sociale. Une économie qui ne met pas l’accent sur les bénéfices, mais sur l’individu.

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[ 30 ] La Grameen Bank, précurseur de la microfinance internationale

C’est un principe auquel avait souscrit F.W. Raiffeisen il y a plus de cent ans. Outre ce système bancaire révolution-naire, d’autres initiatives inspirées de ce principe ont été lancées.

Ainsi, Grameen accorde des bourses et des prêts études à des jeunes. L’organisation a également mis sur pied un réseau de téléphonie et a installé des panneaux photovoltaïques qui four-nissent de l’électricité à des milliers de villages. Grameen collabore avec le géant de l’alimentation Danone : ils produisent, à un prix abordable, du yaourt qui contient toutes les substances nutritives nécessaires dont ont besoin les enfants sous-alimentés.

Pour Yunus, ‘Grameen’ est un label de ‘social business’ qu’il promeut. Bien que la Grameen Bank ne soit pas liée financièrement à d’autres entreprises ou organisations du Grameen Holding, cette expansion fait régulièrement l’objet de critiques. Toute le monde ne partage pas la vision du Dr. Yunus selon laquelle derrière chaque individu se cache un entrepreneur. Pour les critiques, de nombreux prêts Grameen pour micro-entreprises sont en réalité des crédits à la consommation, qui risquent donc d’aggraver encore la pauvreté des emprunteurs. Grameen récuse ces accu-sations et plaide en faveur de davantage de transparence dans le secteur.7

3.6 Raiffeisen et Grameen : du rêve au dynamisme

La disette et la précarité que cela implique pour les pauvres, tel est le point de départ. Chacun à son époque et dans son contexte, deux êtres pas-

sionnés, Raiffeisen et Yunus, se sont non seulement attaqués à cette situa-tion, mais ont également introduit un changement révolutionnaire.

Malgré la différence d’époque et de contexte, leurs initiatives se ressem-blent à plus d’un titre. Ni Raiffeisen ni Yunus ne sont convain-cus que la charité peut changer les choses. Ils veulent donner aux pauvres la possibilité de faire preuve de créa-tivité et de prendre des initiatives. Ils soulignent leur enthousiasme et leur amour-propre et leur donnent la possibi-lité de prendre leur sort en mains. Leur démarche témoigne d’un grand respect de l’individu.

Les deux systèmes sont axés sur les pauvres, sur les populations qui n’ont pas accès aux banques traditionnelles. Pour garantir les remboursements, ils font appel à la pression du groupe et au contrôle social.

Les principes de Raiffeisen - entraide, responsabilité, confiance mutuelle et solidarité - se retrouvent à la Grameen Bank.

La Grameen Bank n’est certes pas une coopérative au sens strict du mot, mais les femmes qui y sont clientes sont copropriétaires de la banque. Elles détiennent plus de 90% des parts, le reste étant détenu par le gouvernement.

Autre lieu, autre époque, mais le même rêve de passionnés. Un rêve rendu pos-sible par une confiance sans limite dans les possibilités et la capacité de résis-tance de l’être humain. C’est précisé-ment cette confiance qui constitue le fondement de la microfinance.

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La Grameen Bank, précurseur de la microfinance internationale [ 31 ]

Vous trouvez plus d’informations sur : www.grameen-info.org

Visionnez la conférence du professeur dr. Muhammad Yunus à l’occasion du 15e anniversaire de la BRS sur www.brs-vzw.be

1 Taka : unité monétaire du Bangladesh2 www.grameen-info.org, mars 2009 3 Yunus lors de son exposé à l’occasion du 15e

anniversaire de la BRS.

Voir également www.brs-vzw.be4, 5 et 6 Chiffres de la Grameen Bank.

Voir www.grameen-info.org7 Le site www.mftransparency.org, une initiative

de Chuck Waterfield, est en ligne depuis 2008 et

publie les taux d’intérêt et d’autres données de

base d’institutions de microfinance.

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[ 32 ] Le développement d’une industrie de la microfinance

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Le développement d’une industrie de la microfinance [ 33 ]

La microfinance n’est pas un concept nouveau, mais ces dernières années elle bénéficie d’une attention plus accrue et est enfin reconnue. Tant le grand public que le secteur commercial ont décou-vert la microfinance.

4.1 Attention accrue et reconnaissance internationale

1997 : Lancement de la campagne inter-nationale en faveur du microcrédit

En février 1997, plus de 2.900 délé-gués de 137 pays se sont retrouvés à Washington, USA, lors du premier sommet international consacré au micro- crédit : le Microcredit Summit. Méde-cins, avocats, établissements d’ensei-gnement, organisations donatrices, institutions financières internationales, organisations non gouvernementales et autres parties prenantes y ont procédé à des échanges de connaissances et d’expérience.

C’est lors de ce sommet qu’est lancée la Microcredit Summit Campaign (MSC), une campagne internationale visant à propager le système des microcrédits.

Tous les Etats membres des Nations-Unies, donateurs, ONG, institutions de microfinance, le secteur privé et le monde académique sont appelés à

prendre des initiatives contribuant à propager le système des microcrédits dans le monde entier à l’horizon 2005.

A ce moment, 7,6 millions de gens pauvres ont accès au microcrédit. L’objectif de la campagne est d’aboutir au chiffre de 100 millions pour la fin de l’année 2005.

Pour plus d’infos :www.microcreditsummit.org

2000 : Objectifs du millénium

À l’entame du nouveau millénaire, en septembre 2000, tous les Etats membres des Nations-Unies ratifient à New York la Déclaration du millénaire, dans laquelle tous les pays conviennent de s’attaquer aux principaux problèmes mondiaux et ce, pour 2015. Les objectifs assignés doivent mettre fin à la pauvreté, la maladie, les inégalités et les problèmes environnementaux.

Une des priorités est : ‘Le nombre de personnes vivant dans une pauvreté extrême doit être réduit de moitié en 2015 par rapport à 1990.’ Les chefs de gouvernement donnent ainsi la plus grande priorité à la lutte contre la pauvreté.

4 Le développement d’une industrie de la microfinance

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[ 34 ] Le développement d’une industrie de la microfinance

Les thèmes des objectifs du millénaire ne sont pas nouveaux. Ce qui est nou-veau, c’est que les gouvernements se sont mis d’accord sur le plan internatio-nal, et ont fixé des objectifs concrets et mesurables.

Pour plus d’infos :www.unmillenniumproject.orgle site des Nations-Unies

www.betterbytheyear.orgsite britannique avec des informations et conseils très abordables pour ensei-gnants

2005 : Année Internationale du Micro-crédit des Nations-Unies

2005 a été décrétée par les Nations-Unies Année Internationale du Micro-crédit, dans le but de promouvoir le système des microcrédits en tant qu’un des moyens majeurs d’atteindre les ob-jectifs du millénium.La création de réseaux entre Etats membres des Nations-Unies, donateurs et organismes de microfinance doit contribuer à faire connaître et adopter ce système dans le monde entier.

L’objectif de l’Année Internationale, fixé lors du premier sommet sur le micro-crédit en 1997, a été presque atteint. En 2005, 82 millions de personnes ont bénéficié d’un microcrédit pour une ac-tivité commerciale. Indirectement, cela a profité à 410 millions de personnes.1

Dans le cadre des objectifs du mil-lénaire, un nouvel objectif est fixé lors de cette Année Internationale du Microcrédit : pour 2015, 175 millions de

personnes doivent avoir accès aux microcrédits, afin d’échapper à la pauvreté. Indirectement, cela aurait un impact sur 875 millions de personnes.2

2006 : Muhammad Yunus et la Grameen Bank lauréats du Prix Nobel de la Paix

En 2006, le Prix Nobel de la Paix est attribué à une des plus grandes orga-nisations de microfinance au monde, la Grameen Bank au Bangladesh, et à son fondateur, Muhammad Yunus.M. Yunus n’a pas inventé le micro- crédit, mais a, en créant la Grameen Bank, actualisé le système et fait office de pionnier sur la voie de la reconnaissance internationale. Reconnaissance qui s’est traduite par l’attribution du Prix Nobel de la Paix.

Un Prix Nobel est déjà en soi excep-tionnel et un grand signe de reconnais-sance. Ce qui est plus remarquable en-core, c’est que Yunus et la Grameen Bank n’ont pas reçu le Prix Nobel d’Economie mais celui de la Paix, ce qui tend à sou-ligner que la microfinance ne se limite pas à une transaction financière. Il y va aussi de la dignité et de la lutte contre la pauvreté, qui est ainsi aussi reconnue comme source de combat et de malaise.

A l’occasion de son quinzième anniver-saire, la BRS a rendu hommage en 2007 au lauréat du Prix Nobel de la Paix. En présence de la princesse Mathilde, ambassadrice des Nations-Unies pour l’Année Internationale du Microcrédit, la manifestation de clôture de cette année de jubilé a mis à l’honneur M. Yunus et la Grameen Bank. M. Yunus y prononça un discours à la fois émouvant et capti-vant sur l’oeuvre de sa vie, la Grameen Bank.

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Le développement d’une industrie de la microfinance [ 35 ]

Pour plus d’infos :Vous pouvez visionner intégralement l’intervention de M. Yunus sur www.brs-vzw.be.

4.2 Les institutions de microfinance : une grande diversité

Le terme ‘institution de microfinance’ est utilisé pour un large éventail d’ins-titutions formelles et semi-formelles qui offrent de manière systématique des ser-vices de microfinance. Les différences entre toutes ces institutions se situent surtout au niveau des points suivants :

• Qui est propriétaire de l’institution ? Est-ce une organisation d’aide au développement ? Les membres de l’organisation sont-ils propriétaires ou s’agit-il d’une organisation ou d’individus qui sont surtout intéres-sés par les gains de l’institution de microfinance ?

• Quelles sont les origines de l’organi-sation ? Est-elle issue du souci de favoriser l’aide au développement et la lutte contre la pauvreté ? Ou s’agit-il d’une initiative du secteur privé mettant avant tout l’accent sur la rentabilité ?

• L’organisation est-elle née en milieu urbain ou rural ?

• L’institution peut-elle, en vertu de la législation locale, utiliser l’épargne pour accorder des crédits ?

• Répond-elle aux conditions pour de-venir un organisme financier formel ?

• Qui dirige l’organisation ? Qui siège au Conseil d’Administration ? S’agit-il de personnes du secteur de l’aide au développement ou plutôt de banquiers classiques ?

• Dans quelle mesure l’institution est-elle indépendante sur le plan finan-cier ?

L’indépendance financière, surtout, est un critère important pour pouvoir cata-loguer une organisation. Une institution de microfinance ne peut en effet œuvrer à son objectif social que si ses bases économiques sont solides.

Sur la base de ce critère, on peut classer les institutions de microfinance en trois catégories :

Niveau 1Les institutions de microfinance qui ne parviennent pas à financer elles-mêmes leurs charges de fonctionnement et sont tributaires d’une aide financière exté-rieure. Ce niveau représente approximative-ment 70% des institutions de micro- finance.

Niveau 2Les institutions de microfinance qui sont en mesure de financer leur fonc-tionnement, mais ont besoin d’une aide financière extérieure pour financer leur expansion et leurs investissements. Ce groupe représente environ 28% de toutes les institutions de microfinance.

Il y va aussi de la dignité et de la lutte contre la pauvreté, qui est ainsi aussi reconnue comme source de combat et de malaise.

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[ 36 ] Le développement d’une industrie de la microfinance

Tributaires de subsides

70% des IMF

Couvrent leurs charges

opérationnelles

28% des IMF

Financement commercial

1 à 2% des IMF (+/- 150)

Stru

cture

finan

cièr

e et

inst

ituti

onnel

le

La microfinance, un système durable ?

Niveau 3

Au sommet de la pyramide se trouvent les institutions de microfinance qui sont à même de financer elles-mêmes tant leur fonctionnement que leur expan-sion. Elles disposent pour cela de fonds propres ou peuvent, via des circuits financiers commerciaux, financer de nouveaux investissements. Il s’agit ici d’un nombre limité d’institu-tions : 1 à 2% du total.

La BRS se concentre surtout sur les institutions de microfinance se situant entre le niveau 1 et le niveau 2, celles qui se rapprochent de l’indépendance opérationnelle. Ce choix est inspiré par la conviction que ces organisations sont le plus en mesure d’atteindre leur objectif social si elles sont saines sur le plan économique. Ainsi, les institu-tions de microfinance peuvent donner,

de manière durable, aux pauvres les moyens d’investir dans leur propre avenir.

4.3 Où les institutions de microfinance se procurent-elles leurs moyens ?

Les institutions de microfinance ont plusieurs sources de financement :

Argent chaud et argent froid

Une institution de microfinance peut financer ses activités tant avec de l’argent chaud que de l’argent froid. On entend par argent chaud les capitaux propres et, surtout, l’épargne récoltée, l’argent froid étant celui en provenance de l’extérieur (de donateurs ou finan-ciers extérieurs).

Source : Mehan, dans Deutsche Bank Research, p. 6, 19 décembre 2007

NIVEAU 1

NIVEAU 2

NIVEAU 3

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Le développement d’une industrie de la microfinance [ 37 ]

Crédit ou participation dans le capital

Pour accorder des crédits à ses clients, une institution de microfinance peut emprunter elle-même de l’argent, auprès d’un organisme financier ou de fonds spécialisés.

Le Rural Impulse Fund est un tel fonds spécialisé. Il s’adresse surtout aux insti-tutions de microfinance actives en milieu rural. La gestion du fonds est assumée par la société belge d’investissements Incofin3 avec laquelle la BRS collabore depuis plusieurs années. La BRS et Cera investissent ensemble 500.000 dollars dans le Rural Impulse Fund. La BRS siège au Comité des investissements.

Les deux catégories de bailleurs de crédit - organismes financiers et fonds spécialisés - peuvent aller plus loin que l’octroi pur et simple d’un prêt : ils peu-vent devenir copropriétaire de l’institu-tion de microfinance en rentrant dans le capital.

Les pouvoirs publics et les investisseurs

Les investisseurs précités, qui accordent des crédits aux institutions de micro- finance ou participent dans leur capital, peuvent grosso modo être répartis en deux groupes.

D’un côté, il y a les institutions finan-cières internationales, mises sur pied par les pouvoirs publics : citons par exemple la Banque mondiale, la Banque européenne de reconstruction et de développement et BIO, la Société belge d’investissement pour les pays en voie de développement.

De l’autre côté, on trouve les organi-sations privées, comme Oikocredit, Procredit Holding, Blue Orchard, Responsability ainsi que les organisa-tions belges Alterfin et Incofin.

On peut lire dans un rapport de la Deutsche Bank de 20074 que le groupe des investisseurs privés croît et gagne en importance par rapport aux initia-

• Clients

• Membres

• Marchédes

capitaux

IMF

• Fonds

d’investissement

• Organisations

spécialisées

(privées ou

publiques)

• Particulier

• Entreprises

• Banques

• ...

crédit

participation

au capital

participation

au capital

épargne

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[ 38 ] Le développement d’une industrie de la microfinance

tives publiques. Le secteur de la micro-finance devient pour eux également un pôle d’attraction.

Et moi ?

En tant qu’individu, vous pouvez vous aussi investir dans la microfinance. C’est possible via les fonds spécialisés précités, mais généralement les mon-tants sont importants. Vous pouvez aussi devenir actionnaire d’un investisseur et, ainsi, investir dans le secteur. En Belgique, c’est possible, par exemple, via les organisations Alterfin, Incofin et Oiko-be, trois socié-tés coopératives à finalité sociale qui investissent dans des institutions de microfinance.De nouvelles organisations privées comme Kiva (www.kiva.org) et Micro-Place (www.microplace.com) font la pro-motion de leur fonds en le présentant comme une manière d’octroyer directe-ment - d’individu à individu - des prêts à des clients au Sud. Ces deux organi-sations, privées, utilisent à cet effet les possibilités de l’Internet pour personna-liser les demandes de crédit.

Les institutions de microfinance en Bourse : un pas trop loin ?

Banco Compartamos, au Mexique, est l’exemple édifiant de la mesure dans laquelle le secteur de la microfinance risque de devenir une industrie pure-ment commerciale.

Banco Compartamos

Cette banque, issue d’une ONG et sou-cieuse de la mission sociale de la micro- finance, loge après un certain temps ses activités de crédit dans une entité

séparée, ce que font d’ailleurs de nom-breuses institutions de microfinance. Après le passage d’ONG à la structure formelle de banque, Banco Compartamos devient rapidement une institution commerciale très rentable. Les béné-fices sont la résultante des taux d’intérêt élevés datant de la période d’inflation extrême du milieu des années ’90; ces taux n’ont jamais été abaissés, même lorsque l’inflation avait chuté considé-rablement. Les taux d’intérêt sont donc bien plus élevés que nécessaire pour fonctionner de manière efficace.

Pour comble, en avril 2007, Banco Compartamos cède 30% de son capital, en Bourse, à des investisseurs privés. C’est du jamais vu dans le monde de la microfinance : une institution de micro-finance en Bourse ! La souscription est un succès gigan- tesque : la demande est 13 fois supérieure à l’offre et la plus-value est énorme. Ou, du moins, les actionnaires réalisent une plantureuse plus-value. L’investissement initial de 1998, soit 6 millions de dollars est valorisé lors de l’introduction en Bourse à 1,5 milliard de dollars. La vente de 30% de leur participation procure donc aux inves- tisseurs de départ une plus-value de 460 millions de dollars, soit un rende-ment de 100% par an !On peut se demander si les 840.000 clients, eux, en profitent aussi. Ils continuent à rembourser leurs prêts à un taux de quelque 86% voire, selon certaines sources, de plus de 100%.

Controverse

L’exemple de Banco Compartamos a débouché sur de nombreuses contro-verses dans le secteur. Il illustre à

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Le développement d’une industrie de la microfinance [ 39 ]

l’extrême que la microfinance est devenue une activité florissante géné-rant des bénéfices énormes. Les par-tisans y voient la preuve que la micro-finance a gagné sa place au sein de l’économie et peut désormais croître via les mécanismes traditionnels du marché des capitaux. Pour les adversaires, par contre, une limite a été dépassée, car ce ne sont plus la lutte contre la pau-vreté ou la dignité qui importent, mais la maximalisation des bénéfices.

Certes, une collaboration plus étroite avec le secteur commercial présente des avantages. Ainsi, les institutions de microfinance peuvent disposer de davantage de moyens financiers pour toucher plus de gens et offrir davantage de services.Mais il y a aussi des risques. Ainsi, une plus grande influence commerciale peut avoir pour effet qu’en cas d’extension de la gamme de produits on octroie, en plus des microcrédits pour de petites activités économiques, également des crédits à la consommation.

La microfinance a essentiellement deux objectifs : un objectif financier et un objectif social. Compte tenu de l’évo-lution actuelle du secteur et de la com-mercialisation grandissante, il semble que les aspects purement commer-ciaux vont de plus en plus prendre le dessus, au détriment des préoccupations sociales. Souvent, le label ‘social’ n’est que prétexte pour attirer les clients et soigner leur image.

Par contre, d’autres institutions du secteur agissent vraiment dans une op-tique sociale, avec une vision sociétale des choses, et ne se laissent pas guider par des considérations financières.

Entre ces deux extrêmes, se trouve une vaste zone ‘grise’, où l’équilibre entre le financier et le social penche une fois d’un côté et l’autre fois de l’autre côté. Dans certains cas, cet équilibre est flou, voire inexistant. La question cruciale que l’on doit se poser est toutefois : est-ce profitable pour les gens, pour les clients ? Pour répondre à cette question, il y a lieu de tenir compte tant du bien-être des clients que de celui de la communauté locale.

4.4 Evaluer, conseiller, contrôler, analy-ser, …

Pour chaque demande ou besoin dans le secteur, une légion de bureaux d’au-dit, d’organisations non gouvernemen-tales, de conseillers, de formations, de concepteurs de logiciels, d’agences de notation et d’autres experts est prête à fournir son expertise. Quelques exemples :

Agences de notation

Les agences de notation sont des en-treprises spécialisées dans l’évalua-tion de la situation financière et de la position de marché des institutions de microfinance. Elles fournissent aux financiers et aux investisseurs potentiels d’importantes informations sur la santé financière de l’institution. Planet Rating, M-Cril, Microfinanza, MicroRate, sont des agences de notation réputées.

Information transparente

La transparence est un facteur essentiel dans le secteur financier. C’est pour-quoi Mix (Microfinance Information

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[ 40 ] Le développement d’une industrie de la microfinance

eXchange) a créé une plate-forme d’information : www.mixmarket.org.

MIX MARKET ™ est un site Internet regroupant toutes les informations rela-tives aux instances les plus diverses du secteur de la microfinance. Ces données sont mises volontairement à disposition par toutes les parties concernées.

Cette plate-forme reprend des informa-tions sur les institutions de microfinance elles-mêmes : rapports d’audit, rapports financiers, liste des investisseurs, légis-lation du pays en question, ... On y trouve aussi des informations sur les instances concernées, de près ou de loin, par le secteur : organisations publiques et fonds privés qui investis-sent dans la microfinance, réseaux entre les différentes institutions de micro- finance, agences de notation, sociétés de consultance, …

L’objectif de cette initiative est de créer un marché transparent où se rencon-trent, à l’échelle mondiale, institutions de microfinance et investisseurs ou donateurs.

Formation

L’offre de formations dans le secteur de la microfinance est énorme. Universités, banques, réseaux, ONG, consultants, … ont tous leurs propres programmes de formation, qui vont des formations académiques aux formations techniques en passant par des sessions d’informa-tion axées sur la pratique.

En Belgique, il est possible de suivre à la Solvay Business School une forma-tion de ‘Master in Microfinance’. La BRS y organise, en collaboration avec l’ONG

luxembourgeoise ADA (Appui au Déve-loppement Autonome) les sessions de formation sur l’évaluation des indica-teurs financiers.

Des organisations internationales telles que l’OIT (Organisation Internationale du Travail) et le CGAP (Consultative Group to Assist to Poor) organisent des semaines de formation spécialisée à Turin et Boulder Colorado.

On peut dire que pratiquement chaque organisation du secteur offre l’une ou l’autre forme de formation.

4.5 Le rôle important des pouvoirs publics au Sud

Les pouvoirs publics des pays en voie de développement jouent un rôle impor-tant dans le secteur de la microfinance, rôle qui a fortement évolué au cours des dernières décennies.

De bailleurs de crédit sans grand succès …

Initialement, de nombreux gouver-nements et organisations publiques de financement pensaient avoir pour vocation d’accorder du crédit très bon marché aux groupes cibles en difficulté; ainsi, les agriculteurs reçurent des prêts bon marché pour acheter des engrais et pesticides. On alla même plus loin : lors d’élections, on accordait souvent des crédits qui n’étaient jamais remboursés. Ce type d’octroi de crédit direct et bon marché se terminait la plupart du temps par un échec, car dans de nombreux cas les pouvoirs publics ne revoyaient jamais leur argent.

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Le développement d’une industrie de la microfinance [ 41 ]

… à concepteurs d’un cadre réglemen-taire pour la microfinance

Peu à peu, les pouvoirs publics ont instauré des lois et des règlements adap-tés afin de régulariser le secteur et de protéger les épargnants et les clients. Ils souhaitaient ainsi éviter que les institu-tions de microfinance utilisent l’épargne pour l’octroi de crédit sans garantir aux épargnants le remboursement de leur épargne.

… qui soutiennent activement le secteur

Les pouvoirs publics peuvent également lancer eux-mêmes des initiatives afin de soutenir le secteur. Éventuellement avec l’aide financière de partenaires interna-tionaux.

Ainsi, ils peuvent faire en sorte que les contrats de crédit soient vraiment contraignants. Ou bien, ils peuvent créer un cadre légal pour l’enregistrement des propriétés foncières, afin que les terres puissent servir de garantie. Ou encore, ils peuvent aider à la création d’une ‘centrale des risques’, une base de don-nées regroupant les informations sur les mauvais payeurs.

… ou mobilisent des moyens financiers

De nombreux gouvernements du Sud transmettent à des institutions de microfinance l’argent qu’ils reçoivent des gouvernements des pays riches et ce, par le biais de subsides, ou la mise à disposition d’une ligne de crédit ou encore, par exemple, en finançant la mise sur pied d’un réseau d’agences dans des régions moins développées.

… ou se portent garant pour les crédits accordés par des organismes privés

En se portant garant pour les crédits accordés par les banques commer-ciales et organismes financiers aux institutions de microfinance, les pouvoirs publics stimulent la coopération entre le secteur bancaire traditionnel et les insti-tutions de microfinance.

1 et 2 IPS, Microcrédits pour 175 millions de

pauvres d’ici 2015, 2006

3 www.incofin.be

4 Microfinance. An emerging investment opportu-

nity, Deutsche Bank Research, 19 December

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[ 42 ] Tendances et défis

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Tendances et défis [ 43 ]

Comme nous l’avons déjà dit, la micro-finance n’est pas un concept nouveau. Toutefois, qui dit nouvelle époque, dit nouvelles tendances, nouveaux défis et nouvelles opportunités.

5.1 Professionnalisation et formalisa-tion1

Le secteur de la microfinance se profes-sionnalise

La principale évolution qu’a connue le secteur de la microfinance est la profes-sionnalisation de plus en plus marquée. Tout le monde est entre-temps convain-cu de la nécessité de disposer de personnel qualifié, d’un management compétent, d’un système informatique performant et d’un conseil d’administra-tion disposant de l’expertise nécessaire dans le domaine de la banque et de l’assurance.

Les institutions se formalisent

La professionnalisation des organi-sations de microfinance a pour effet qu’elles évoluent vers des organismes financiers plus formels, régulés.

Cela se fait sous l’influence des pou-voirs publics. Ceux-ci promulguent en effet des lois qui obligent les organisa-tions du secteur de la microfinance à organiser leur service financier tout à fait distinct par rapport aux activités

sociales. Elles ont ainsi tendance à loger le pôle financier de leurs activi-tés dans une structure spécifique, sous le contrôle de la banque centrale ou d’autres instances officielles.

Duterimbere, au Rwanda, est un tel exemple de scission, rendue obligatoire par la loi, entre leurs activités finan-cières et sociales.

A l’origine, cette organisation combi-nait la formation de femmes et l’octroi de microcrédits. En 2002, le gouverne-ment rwandais décide que les activités d’épargne et de crédit devaient être logées dans une structure séparée, sous le contrôle de la Banque Nationale du Rwanda. Duterimbere peut choisir la forme juri-dique : une société coopérative ou une société anonyme (SA). Ils optent pour cette dernière dont l’actionnaire prin-cipal (qui détient 95% du capital) est l’asbl Duterimbere, qui poursuit les activités de formation pour femmes. En mars 2004, la séparation est un fait.

Plus tard, le gouvernement impose des critères supplémentaires aux institu-tions de microfinance qui ont opté pour le statut de SA. Ainsi, par exemple, le capi-tal minimum requis est porté à 400.000 euros. La SA Duterimbere parvient à s’y conformer, grâce à une injection supplémentaire de l’asbl Duterimbere et de plusieurs donateurs.

5 Tendances et défis

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[ 44 ] Tendances et défis

Au cours de la même période, les activités de Duterimbere ont quintuplé. Fin 2008, ils comptaient approxima-tivement 33.000 épargnants, 13.000 emprunteurs et un portefeuille de cré-dits de 1,5 million d’euros.

Les institutions grandissent

‘Small is beautiful, big is splendid’ semble aussi devenir le slogan du sec-teur de la microfinance. Comme dans le secteur des banques traditionnelles, fusions et rachats font l’actualité.

Citons comme exemple Uganda Micro- finance, une grande Institution de microfinance active en Afrique de l’est. Cette institution a été rachetée en 2008 par Equity Bank, une banque commer-ciale kenyane et ce, dans l’optique de l’expansion exponentielle prévue de la microfinance. L’objectif est de faire d’Uganda Microfinance une banque commerciale.

Ce ne sont pas toujours des rachats ou des fusions qui permettent de croître. Pour de nombreuses institutions, un doublement des activités est monnaie courante. Elles ne restent d’ailleurs pas ‘sur leurs terres’. Ainsi, BRAC, une Institution de microfinance bengalaise, s’est installé en 2006 en Ouganda, afin de mettre sur pied, en deux ans, un réseau national.

Plus d’infos : MicroCapital Monitor à commander via www.microcapital.org.

Opportunités

L’évolution des organisations de micro-finance vers des institutions financières régulées leur donne la possibilité d’aug-menter leur rentabilité et de fonctionner de manière plus durable.

Il leur est ainsi souvent possible de proposer de nouveaux produits : for-mules d’épargne, crédits à long terme, paiements électroniques, banque en ligne, … Les institutions de microfinance grandissent au rythme des besoins et de la demande de leurs clients.

Une institution régulée est également soumise à des contrôles extérieurs et se doit de fonctionner de manière trans-parente, ce qui la rend attrayante, tant pour ses clients et membres que pour les bailleurs de fonds actuels et futurs.

Risques

Un cadre plus professionnel et plus régulé entraîne toutefois un certain nombre de risques.

L’accent étant mis de plus en plus sur la rentabilité, on risque de voir les institutions de microfinance s’axer davantage sur les clients pouvant emprunter des montants importants, au détriment des pauvres. Les premiers qui seraient dans ce cas abandonnés à leur sort seraient précisément ceux auxquels la microfinance était destinée à l’origine, des pauvres comme Rokia Degbevi.

Lorsque la rentabilité devient la prin-cipale motivation, il y a également le risque que les institutions de micro- finance n’octroient plus des crédits que dans les zones urbaines, où on trouve

‘Small is beautiful, big is splendid’

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Tendances et défis [ 45 ]

plus d’habitants sur une superficie moindre ainsi que des secteurs écono-miques brassant davantage d’argent et dont les marges sont relativement éle-vées, comme le commerce de détail et l’artisanat. De ce fait, les clients pauvres en milieu rural, où l’agriculture est la principale activité économique domi-nante, n’auraient pas accès aux services financiers.

De même, en focalisant sur la rentabili-té, les institutions de microfinance sont moins enclines à investir dans la forma-tion et les programmes de training. Cela coûte de l’argent, au détriment du béné-fice direct. Enfin, il n’est pas à exclure qu’un fonctionnement plus formel et régulé débouche sur une hausse des taux d’intérêt.

5.2 Nouvelles technologies

Comme dans les autres secteurs d’activité, les nouvelles technologies apparaissent également dans le secteur de la microfinance. Les applications sont légion.

Applications

Presque toutes les institutions de micro-finance doivent faire appel à l’informa-tique pour une organisation et un suivi efficaces de leurs activités. Les ordina-teurs ne sont pas un luxe superflu, au contraire ils permettent à une institution de microfinance de gérer efficacement les montants minimes des rembourse-ments hebdomadaires ou de l’épargne.

L’asbl Close the Gap est une organisation qui collecte les PC amortis d’entreprises européennes et leur donne une seconde vie au Sud. Cette organisation souhaite ainsi réduire le fossé numérique entre l’Occident et les pays en voie de déve-loppement.

Les bénéficiaires de Close the Gap sont surtout des écoles et des universités, mais grâce à une convention avec la BRS, ces PC sont également mis à la dis-position d’organismes de microfinance. Pour plus d’info : www.close-the-gap.org

L’utilisation de PC portables permet d’introduire les données des clients dans les endroits les plus reculés et de les rendre immédiatement disponibles. Ces PC rapprochent littéralement la banque des populations.

Il en va de même pour les ordinateurs palmtop qui permettent aux collabora-teurs d’exécuter les transactions finan-cières sur le terrain.

La technologie d’identification au moyen des empreintes digitales n’est pas seu-lement utile dans un environnement hautement technologique; au contraire, c’est dans les régions où de nombreuses personnes ne savent ni lire ni écrire qu’elles constituent une solution idéale pour identifier les clients. L’Internet banking offre des possibi-lités dans les régions où il existe des telecenters ou cafés Internet. Les clients peuvent ainsi gérer directement leur argent.

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[ 46 ] Tendances et défis

Les cartes de débit et de crédit électro-niques sont une manière efficace et bon marché d’effectuer de nombreuses petites transactions. Le client a ainsi facilement accès à son épargne et à du crédit. De plus, ces cartes peuvent contenir toutes les données du client.

Un système de virements électroniques permet aux immigrés de transférer à moindres frais de l’argent à leur famille.

Et, bien sûr, il y a encore le GSM et ses multiples possibilités. On compte dans le monde, selon les sources, entre deux et trois milliards de détenteurs de GSM qui n’ont pas de compte bancaire; cette constatation à elle seule a suffi pour déboucher sur une collaboration entre les banques et les opérateurs GSM. La technologie permet d’épargner efficacement ou de mettre l’argent d’un crédit à disposition et ce, via GSM. ‘Time is money’ est à prendre au sens propre : les clients peuvent, via GSM, payer avec leur crédit d’appels. Au Kenya, le système M-Pesa (littéralement : Mobile-Cash) a été lancé en mars 2007. Un an plus tard, la compagnie comptait déjà plus de 1 million d’utilisateurs !

Opportunités

L’application de nouvelles technologies permet à la microfinance de toucher davantage de personnes et ce, à un coût moindre, et crée aussi des possibilités de meilleur suivi des services financiers et des dossiers.

Obstacles

Il n’y a pas que de nouvelles opportu-nités, il y a aussi un certain nombre d’obstacles. Le coût pour l’achat et l’installation des infrastructures est élevé. De plus, les régions moins développées, où les microcrédits sont si importants, comptent peu de personnes suffisamment formées pour mettre sur pied et exploiter ces systèmes haute-ment technologiques. En de nombreux endroits, le secteur des télécommuni-cations - indispensable pour l’exploita-tion de ces systèmes hautement tech-nologiques - n’est pas suffisamment développé pour soutenir toutes ces applications. Enfin, les régions où l’électricité n’est pas une infrastructure évidente ne profitent guère de ces nouveautés technologiques.

5.3 Le financement de l’agriculture : un défi permanent

La majorité des trois milliards de per-sonnes qui, pour l’instant, n’ont pas accès aux services financiers vivent de l’agriculture. Il semble donc logique que la microfinance apporte une solution pour le financement de l’agriculture. Il en va toutefois autrement.

L’application de nouvelles technolo-gies permet à la microfinance de toucher davantage de personnes et ce, à un coût moindre.

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Tendances et défis [ 47 ]

Besoins spécifiques

Les agriculteurs ont des besoins spécifiques. Au début de la saison, il leur faut du crédit à court terme pour acheter leurs semences et engrais. Au moment de la récolte, les prix du marché sont généralement très bas. Il leur faut alors un crédit-pont pour attendre jusqu’à ce que les prix des produits agricoles augmentent à nouveau. De plus, ils doi-vent parfois pouvoir emprunter à moyen ou à long terme, par exemple pour l’achat de machines agricoles, un entre-pôt, ou pour investir dans des cultures pluriannuelles comme par exemple les arbres fruitiers.

Les agriculteurs ont donc besoin de crédits à long terme dont les schémas de remboursement suivent les cycles de production. Après les semis, il faut attendre quelques mois avant de récol-ter. Elever du bétail ne rapporte qu’après plusieurs années.

Les crédits agricoles doivent surtout être abordables. Généralement, un pay-san ne gagne pas assez avec sa produc-tion pour rembourser les intérêts que les institutions de microfinance impu-tent en milieu urbain aux commerçants, alors que les coûts du service financier sont plus élevés en milieu rural : moins de population, plus grande superficie, cela signifie entre autres un coût de transport plus élevé.

En outre, l’agriculture est un secteur qui comporte de nombreux risques. Les maladies et la météo peuvent influen-cer fortement la production. Une bonne récolte et une bonne conservation ne sont pas par définition une garantie de bon prix pour l’agriculteur individuel.

De même, il n’a aucune prise sur les fluctuations des prix sur le marché.

Pour toutes ces raisons, les institutions de microfinance ne sont pas enclines à investir dans l’agriculture. Le secteur est toutefois constamment à la recherche de modèles adéquats. Le fil rouge du succès est la collaboration avec d’autres organisations comme les organismes de commerce équitable (fair trade), coopératives agricoles et programmes des gouvernements. La collaboration peut réduire certains risques, rendant ainsi plus attrayants les investissements dans ce secteur important.

Plus d’infos : www.ruralfinancenetwork.org

www.fondation-farm.orgsite web de l’organisation internationale FARM (Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde)

www.ifad.org/ruralfinance

www.agricord.org

5.4 La microfinance et la crise finan-cière2

La crise financière qui a débuté en 2008 se ressent dans le monde entier. Cette crise internationale a-t-elle des consé-quences pour le secteur de la micro- finance ?

Le secteur avant la crise

Le secteur de la microfinance est et reste, somme toute, relativement petit

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par rapport au secteur bancaire com-mercial, malgré la croissance explosive qu’il a connue ces dernières années.

Il y a non seulement l’augmentation énorme du nombre d’institutions de microfinance et du nombre de micro-crédits. La taille et le chiffre d’affaires des institutions explosent eux aussi. Certaines organisations de microfinance comptent plus de 1 million de clients, la Grameen Bank au Bangladesh en compte même plusieurs millions. Nom-breuses sont les organisations à dou-bler en deux ans tant leur taille que leur chiffre d’affaires et ce, pas une fois, mais plusieurs fois de suite.

La demande de microcrédits pour in-vestir dans une activité productive est importante, les prêts sont rentables et il y a suffisamment de liquidités pour réaliser cette croissance.

Une telle course à la croissance com-porte également de nombreux défis, surtout sur le plan du management et d’une gestion financière saine.

On constate toutefois que la structure financière de la plupart des organisa-tions n’évolue guère, malgré leur crois-sance spectaculaire. Et malgré cela, elles restent financièrement aussi saines qu’auparavant. Ainsi, globalement, le rapport entre les dettes et le capital reste favorable, bien plus que dans les banques commerciales.

De même, au niveau du capital, la part des fonds propres, en moyenne 30%, reste plus ou moins stable tout au long des années. Ici aussi, les institutions de microfinance sont plus saines que les banques commerciales. La dépendance des flux d’argent étrangers est moins importante qu’on le pense souvent : en moyenne, les fonds des institutions de microfinance reposent à hauteur de moins de 10% sur l’argent étranger.

La qualité des crédits dans le secteur est également excellente : à peine 3,7% des crédits ne sont pas remboursés. Dans les banques commerciales, ce chiffre est deux, voire trois fois plus élevé. De plus, les réserves de capital sont relativement élevées et dépassent généralement le montant total estimé des crédits non remboursés.

Ces dernières années, apparaît ça et là une certaine concurrence entre les institutions de microfinance. Mais comme ce marché ne représente que 10%, voire moins, du nombre total de clients potentiels, la concurrence interne reste limitée.

Jusqu’à la crise financière, le top des institutions de microfinance se portait donc bien.

Compte tenu de la crise financière qui sévit dans le monde entier, il est important, plus que jamais, pour les institutions de micro-finance de s’orienter vers les clients adéquats.

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[ 50 ] Tendances et défis

L’impact de la crise

La crise financière n’est qu’un aspect de la crise internationale, mais tant dans les pays riches que dans les pays pauvres, le système financier est sous pression et il est gravement touché par cette crise. Dès les premiers mois de 2008, les crédits deviennent rares et chers, alors qu’ils étaient disponibles en abondance et bon marché.

Avant la mi 2008, les effets se font également ressentir dans le secteur de la microfinance, plus précisément au Mexique, où les grandes banques inter-nationales n’octroient plus de crédits et où les institutions de microfinance sont confrontées à la suppression soudaine de leurs lignes de crédit. Cette évolution gagne le monde entier et fin 2008 les IMF éprouvent de plus en plus de diffi-cultés à rassembler des fonds.

Ce manque de moyens n’entraîne toute-fois pas vraiment de graves difficultés pour la plupart de ces institutions. Cette récolte plus difficile de fonds entraîne cependant une diminution des crédits et un ralentissement de la croissance.

L’assèchement des lignes de crédit des banques commerciales ne fait pas immédiatement de victimes parmi les institutions de microfinance, parce que ces dernières sont orientées vers l’éco-nomie réelle et ne pratiquent pas la spéculation financière.

Une autre interrogation importante pour l’avenir du secteur a trait au caractère anticyclique de la microfinance. Dans le passé, il s’est avéré à maintes reprises que le secteur de la microfinance se portait aussi bien que l’économie se

tassait. Ainsi, lors de la grande crise financière en Asie et en Bolivie, les institutions de microfinance ont connu un véritable boom.

En sera-t-il à nouveau ainsi ? Ce n’est pas sûr. Par rapport aux crises il y a quelques années d’ici, les institutions de microfinance sont plus grandes et plus intégrées dans le système financier traditionnel.

Points d’attention pour l’avenir

Compte tenu de la crise financière qui sévit dans le monde entier, il est impor-tant, plus que jamais, pour les institu-tions de microfinance de s’orienter vers les clients adéquats, c’est-à-dire des personnes qui sollicitent un crédit pour une activité productive et rentable.

Il est par conséquent primordial que les institutions de microfinance connais-sent leurs clients, qu’elles aient une vue d’ensemble de leur situation finan-cière et de leur capacité à rembourser le crédit. Elles doivent effectuer le suivi de l’affectation du crédit et contrôler si l’investissement se déroule bien. Inves-tir dans ces aspects demande du temps et de l’argent.

Les institutions de microfinance qui proposent également des crédits à la consommation seront à l’avenir plus vulnérables. En effet, les défauts de remboursement des crédits à la consom-mation sont plus fréquents en périodes de crise. Il s’agit d’un produit fortement tributaire de la conjoncture financière en général. Si le secteur financier est en difficulté, la situation des sociétés axées sur les crédits à la consommation est encore plus mauvaise.

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Plus d’infos :•Quelestl’impactdelacrisefinancièresur la microfinance ? Exposé de Damian von Stauffenberg, directeur de MicroRate, lors du Micro- finance Lunch Break du 10 février 2009.A télécharger sur www.brs-vzw.be

1 Basé sur une étude effectuée par Women’s World

Banking et publiée dans ‘Stemming of the tide of

mission drift. Microfinance transformations and

the double bottom line’, Women’s World Banking,

2008, p 9.2 Basé sur un exposé de Damian von Stauffenberg

(MicroRate), ‘Microfinance and financial crisis’,

Microfinance Lunch Break, 10 février 2009

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[ 52 ] Conclusion : la microfinance profite-t-elle vraiment aux individus?

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Conclusion : la microfinance profite-t-elle vraiment aux individus? [ 53 ]

6 Conclusion : la microfinance profite-t-elle vraiment aux individus ?

Succès

Quand peut-on dire que la microfinance est un succès ? Pour les uns, la preuve de ce succès, ce sont les millions de personnes qui, selon les statistiques, ont accès aux services financiers. Pour d’autres, il s’agit de l’augmentation du nombre d’institutions de microfinance solides, de l’intérêt croissant des inves-tisseurs ou de la reconnaissance socié-tale du secteur, par exemple avec l’attri-bution du Prix Nobel de la paix.

Il y a plus de cent ans d’ici, F.W. Raiffeisen a formulé l’objectif de son système de microfinance comme suit : ‘les membres de nos coopératives d’épargne et de crédit doivent pouvoir améliorer leur situation matérielle’, fixant ainsi d’em-blée le critère de succès.

Les clients attendent de leur institution de microfinance un coup de pouce pour les faire sortir du cercle vicieux de la précarité. Que cette aide consiste en un prêt ordinaire ou un microcrédit, peu importe finalement pour Rokia et les autres emprunteurs.

Le principal besoin des clients est généralement de pouvoir disposer au moment adéquat des moyens adéquats. C’est également une des conclusions de l’ouvrage ‘Portfolio’s of the Poor’ , où les auteurs décrivent la vie de gens comme

Rokia. Des gens pauvres qui doivent survivre avec moins de deux dollars par jour. Et ce n’est pas leur revenu si faible qui constitue le plus grand problème, mais l’incertitude et les fluctuations de ce revenu.

C’est dans ce contexte que la micro- finance doit offrir des solutions évitant aux gens de s’adresser aux usuriers et d’être entraînés dans une spirale de dettes.

Respect pour l’équilibriste

La microfinance a non seulement une importante finalité sociale. Son objectif social doit en outre être mené à bien de manière financièrement durable. Ce double objectif constitue un exercice d’équilibre délicat. Telle un acrobate, l’institution de microfinance marche sur une corde raide, avec de chaque côté de sa perche des objectifs pas toujours évidents à concilier. Les organisations de microfinance qui parviennent à garder leur équilibre méritent un grand respect.

Pour garder ce respect, il est important pour le secteur de la microfinance de montrer qu’il peut mener à bien cette tâche. Les performances financières sont relativement faciles à mesurer. Pour les résultats sur le plan social, les indicateurs sont moins clairs. En effet,

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comment juger, ‘chiffrer’, si Rokia se sent mieux et a fait des progrès sur le plan social ?

Certains chercheurs réalisent des en-quêtes approfondies et tentent, à l’aide de questions sur l’alimentation, la santé et l’enseignement, de se faire une idée des changements que la microfinance induit dans la vie des pauvres. C’est ainsi qu’a vu le jour autour de Rokia et de ses collègues une véritable industrie d’agences d’enquêtes et de notation. Le travail de celles-ci est important pour les organisations qui doivent rapporter à des financiers extérieurs. Les inves-tisseurs qui sont disposés à compenser un rendement financier moindre par une contribution sociétale plus grande, aiment se baser sur les résultats de ces mesures.

Plus d’infos : European Dialogue (2008) ‘The Role of Investors in Promoting Social Performance in Microfinance’ via www.e-mfp.eu

Rekha Reddy (2007), Guidelines to Evaluate Social Performance, ACCION Insight series No.24

Respect pour Rokia Degbevi

Les institutions de microfinance ne sont pas les seules à mériter du respect pour leur exercice d’équilibriste. Rokia en personne mérite, plus que tous, notre respect. Si elle parvient, avec l’aide d’un microcrédit, à donner un sens à sa vie, c’est avant tout grâce à son propre talent à travailler dans un contexte difficile.

Pour Rokia Degbevi et toutes les autres Rokia dans le monde, c’est le respect avec lequel une institution de micro- finance traite ses clients qui prime. Être pris au sérieux, être estimé à sa juste valeur, c’est important. Être pauvre ne veut pas dire que l’on vaut moins que les autres. Alors que la charité propre-ment dite confine le bénéficiaire dans la dépendance, la microfinance surpasse cette inégalité et met l’accent sur la réciprocité.

Le rêve ultime

Ce livre a été écrit dans une période de grave crise financière et économique. De nombreuses certitudes ont disparu, la confiance séculaire dans la solidité des systèmes financiers est ébranlée. Retour aux sources, tel est le credo de nombreuses organisations.

Pour les banques, cela se traduit surtout par la mise en exergue de services de base tels que l’épargne, les crédits et les assurances, une plus grande trans-parence et un meilleur contrôle, une bonne communication avec les clients, … Et sur ce plan, il n’y a apparemment pas beaucoup de différences entre les stratégies de la ‘grande’ finance et de la ‘micro’ finance.

D’ailleurs, les différences entre ces deux mondes ne devraient même pas exister. En d’autres termes, un circuit de finan-cement alternatif ne devrait même pas être nécessaire. Le rêve ultime est que vienne un moment où il y aura un circuit de financement unique, préoccupé tant des aspects financiers que des aspects sociaux.

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Conclusion : la microfinance profite-t-elle vraiment aux individus? [ 55 ]

Cela peut paraître utopique, mais ce rêve et les opportunités qu’une crise offre, peuvent amener les deux membres de cette famille à se rapprocher et à colla-borer plus étroitement. Cette collabora-tion aurait comme point de départ que les gens qui font appel à leurs services doivent, in fine, voir leur sort s’amélio-rer et obtenir davantage d’opportunités dans la vie.

1 Collins, D., Morduch, J., Rutherford, S., Ruthven,

O., Portfolios of the Poor. How the World’s Poor Live

on $2 a Day, Princeton University Press, 2009.

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Voyage au pays de la microfinance Parce que de petites sommes peuvent contenir de grands enjeux, tout le monde mérite un prêt ! Les flux financiers traditionnels ne circulent cependant bien souvent que dans un seul sens. La micro- finance, elle, essaye de tracer de nouvelles voies qui ne reposent pas exclusivement sur la solvabilité, mais aussi sur la dignité humaine. Avec cette publication de la série Horizons, la BRS vous emmène à la découverte de la diversité du paysage de sa discipline. Nous y montrons non seulement le chemin du succès, mais aussi les écueils et les détours de ce périple. Ce guide vous donnera à coup sûr l’envie de découvrir vous-même de nouveaux sentiers.

Avec un avant-propos de Peter Verlinden, journaliste à la VRT.

Déjà parus dans la série ‘Horizons’ :• Desplan(t)spourl’avenir?Lasuccessionchezlesagriculteursetleshorticulteurs• Etl’agriculteur,ilmodernise.L’innovationenagricultureethorticulture• Lesmédiasmodernesetledialoguesocial• L’agriculturebiologique.Lapercéetranquilleest-ellerévolue?• Dequoivivons-nous?LapauvretéenBelgique• StakeholderManagement.PourlesEntreprisesiln’yapasquelescomptes qui comptent• Fondsdegarantie.Facteurdesuccèsdumicrofinancement?• Bâtirensemblenotreavenir.Laforcedescoopératives• Vouloir,oui.Maispouvoir?Lapauvretéchezlesentrepreneursindépendants• Micro-assurancesetsoinsdesantédansleTiers-Monde• Employeurs,travailleurs:tousengagés• Lesouriredemarbreducosmos.AlbertEinsteinetsaréligiositécosmique• Découvrirlasantémentale.Pourapprendreàaccepterl’autre.

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