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V O L U M E 1 B N U M É R O 1 2 2 B 2 0 0 1 HCR Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés “Si nous sommes l’avenir et que nous sommes en train de mourir, il n’y a plus d’avenir.” ENFANTS : Les

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Page 1: VOLUME 1 B NUMBER 122 NUMÉRO 122 BB 2001 2001 · italien, japonais, russe, arabe et chinois. ISSN 1014-0905 Photo de couverture : Fillette bosniaque dans le camp de réfugiés

V O L U M E 1 B N U M B E R 1 2 2 B 2 0 0 1 V O L U M E 1 B N U M É R O 1 2 2 B 2 0 0 1

HCRHaut Commissariatdes Nations Uniespour les réfugiés

“Si nous sommes l’aveniret que nous sommes en trainde mourir, il n’y a plusd’avenir.”

ENFANTS:Les

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2 R É F U G I É S

É D I T O R I A L

Des millions d’enfants, dont nombre de

réfugiés, ont été arrachés à la souffrance et à

la misère depuis l’adoption de la Convention

relative aux droits de l’enfant en 1989, soit il y a un peu

plus de dix ans.

Un nombre incalculable d’enfants en bas âge ont

échappé à une mort quasi certaine grâce à de simples

vaccins ou à de nouveaux médicaments et leurs frères et

sœurs ont été scolarisés. Des enfants et des adolescents

déracinés par la guerre et autres formes de persécution

ont pu être sauvés et prendre un nouveau départ dans la

vie.

La Convention a recueilli plus de signatures que tout

autre document en matière de droits de l’homme. Elle a

ouvert la voie à un nombre impressionnant d’instru-

ments et de directives juridiques destinés à protéger et à

secourir des enfants et des adolescents en détresse, dans

leur village natal ou dans des camps de réfugiés.

Mais c’est une autre réalité, nettement moins rose,

qu’il faudra affronter lors de la session extraordinaire de

l’Assemblée générale des Nations Unies qui se tiendra

en septembre pour faire le bilan de ces dix dernières

années. On estime en effet à deux millions le nombre

d’enfants ayant perdu la vie au cours de cette même

période, souvent victimes d’actes délibérés. Des millions

d’autres continuent d’être exposés à la faim et aux mala-

dies, et l’on ne compte plus le nombre d’enfants blessés,

mutilés ou orphelins. Venu s’ajouter à ce sombre tableau,

le sida frappe sans pitié. Aujourd’hui, il y a au moins 25

millions d’enfants et d’adolescents déplacés dans

leur propre pays ou réfugiés dans un pays voisin.

Le HCR vient en aide à près de la moitié d’entre

eux, et a engagé une réflexion sur son rôle dans le

monde, avec en particulier une étude sur ses pro-

grammes en faveur des enfants ainsi que de cer-

taines populations déplacées lesquelles ne relèvent

pas directement de son mandat initial.

Face aux instances de la communauté interna-

tionale, l’organisation doit décupler ses efforts et

améliorer ses performances. Mais comment faire

plus avec moins ? En effet, de même que d’autres

agences humanitaires, le HCR se trouve confronté à de

sérieuses contraintes budgétaires : ses besoins ne sont

couverts qu’à 80%.

Ainsi, malgré les progrès accomplis, les participants à

la rencontre de septembre devront prendre des décisions

cruciales pour la décennie à venir. L’avenir des enfants

en dépend. Le notre également.

J Nous présentons dans ce numéro un reportage photo-

graphique de Sebastião Salgado sur les enfants réfugiés à

travers le monde. Ces enfants ont tous vécu des drames

épouvantables, mais il émane de leur visage une énergie

tranquille et une irrépressible envie de vivre.

J Dans les pages centrales, le nouveau Haut Commissai-

re du HCR, Ruud Lubbers, évoque l’avenir, celui d’un

HCR plus resserré peut-être, mais aussi recentré sur ses

missions essentielles et donc plus efficace.

A l’heure du bilan

Même lorsqu’ils sontdans une situationprécaire etdangereuse, lesenfants ont envie devivre. Ces jeunesdéplacés angolaisjouent dans lacarcasse d’un avion,au musée de laRévolution à Luena.

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N ° 1 2 2 - 2 0 0 1

3R É F U G I É S

2 É D I T O R I A L

Enfants réfugiés : entre hier et aujourd’hui,que leur réserve demain ?

4Des millions d’enfants ont échappé au pire,mais des millions d’autres sont encore dansune situation désespérée.par Ray Wilkinson

7 Place aux chiffresUn consternant bilan.

8 La salle de classeEducation oui, apprentissage de la haine, non…par Paul Watson

11 Enfants séparésIls sont chaque année des milliers à chercher asiledans les pays industrialisés.par Judith Kumin

15 Jeunes détenusLe voyage de la dernière chance est parfois celuide tous les pièges.par Amy Driscoll

16 I N T E R V I E W

Ruud Lubbers, le Haut Commissaire, nous parlede l’avenir du HCR.

19 Enfants soldatsExode et recrutement forcé.par Rachel Brett

20 Ecouter pour guérirSuccès d’un programme pour des réfugiéstraumatisés.par Nanda Na Champassak

22 BienvenueLes Etats-Unis accueillent les «Garçons perdus»du Soudan.par Panos Moumtzis

25 A R R Ê T S U R I M A G E S

Les «enfants» de Sebastião Salgado.

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4Malgré les progrèsaccomplis ces dixdernières années, des

millions d’enfants etd’adolescents sont encoredéracinés. Poursuivre leursétudes est pour eux d’uneimportance capitale. Cesjeunes Tchétchènes suiventdes cours dans un bâtimentravagé par la guerre.

25 La guerre et la violenceont jeté de millionsd’enfants sur les routes

de l’exode. Et pourtant, malgréle danger et la souffrance, leurregard témoigne d’uneirrépressible envie de vivre,comme on pourra le constaterà travers cette série deportraits, dont celui de cettejeune réfugiée tadjike.

16Dans une interview, le Haut CommissaireRuud Lubbers nous

parle de l’avenir du HCR.

RRééddaacctteeuurr ::Ray Wilkinson

EEddiittiioonn ffrraannççaaiissee ::Mounira Skandrani

OOnntt ccoollllaabboorréé ::

Christoph Hamm, Christina Linner,Asmita Naik, David Nosworthy

SSeeccrrééttaarriiaatt ddee rrééddaaccttiioonn ::Virginia Zekrya

IIccoonnooggrraapphhiiee ::Suzy Hopper, Anne Kellner

DDeessiiggnn ::Vincent Winter Associés

PPrroodduuccttiioonn ::Françoise Peyroux

AAddmmiinniissttrraattiioonn ::Anne-Marie Le Galliard

DDiissttrriibbuuttiioonn ::John O’Connor, Frédéric Tissot

CCaarrttee ::Unité de cartographie du HCR

RRééffuuggiiééss est publié par le Service del’information du Haut Commissariatdes Nations Unies pour les réfugiés.Les opinions exprimées par les auteursne sont pas nécessairement partagéespar le HCR. La terminologie et lescartes utilisées n’impliquent en aucunefaçon une quelconque prise de positionou reconnaissance du HCR quant austatut juridique d’un territoire ou de sesautorités.

La rédaction se réserve le droitd’apporter des modifications à tous lesarticles avant publication. Les textes etles photos sans copyright © peuventêtre librement reproduits, à conditiond’en mentionner la source. Lesdemandes justifiées de photos sanscopyright © peuvent être prises enconsidération, exclusivement pourusage professionnel.

Les versions française et anglaisesont imprimées en Italie par AMILCARE PIZZI S.p.A., Milan.Tirage : 226 000 exemplaires enfrançais, anglais, allemand, espagnol,italien, japonais, russe, arabe etchinois.

IISSSSNN 11001144--00990055

PPhhoottoo ddee ccoouuvveerrttuurree :: Fillettebosniaque dans le camp de réfugiésde Turanj, en Croatie, en 1994.

Dernière de couverture : JeuneAfghan dans le camp de déplacés deShamak, en Afghanistan, en 1996.P H O T O S : © S . S A L G A D O .

HCRCase postale 25001211 Genève 2, Suissewww.unhcr.org

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Parmi les victimesde plusieurs décenniesde conflit en Angola,ces enfants, abandonnésà leur sort, le long d’unevoie de chemin de ferdésaffectée.

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ÃSuite page 6

par Ray Wilkinson

Nous voulons tousaider les enfants.Alors pourquoi sont-ilsencore des millions àsouffrir ?

Elle avait douze ans. Ses tortion-naires l’ont obligée à danser nuesur une table avant de la violer. Lecalvaire s’est répété chaque soir

pendant des semaines. Puis la fillette a étévendue pour 200 marks à un soldat serbo-bosniaque. Neuf ans plus tard elle est tou-jours portée disparue.

A la même époque, une adolescente de 15ans était victime d’abus sexuels dans la villebosniaque de Foca, en 1992. Son agresseur,père d’une fille du même âge, avait menacé de

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OST UNE SALLE DE CLASSE,

ET UN CHAMP SANS MINES”UNE RUE SANS FUSILS

“LA VIE

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tuer sa mère si elle ne lui disait pas où se ca-chait l’enfant.

“Les mères et leurs f illes ont été dé-pouillées de toute dignité humaine, traitéescomme des marchandises”, a déclaré un juge.S’adressant au violeur de la victime de 12 ans,le magistrat a évoqué “l’enfant sans défensepour laquelle vous n’avez pas éprouvé lamoindre compassion, et dont vous avez abusésexuellement. Vous avez fini par la vendrecomme un objet en sachant parfaitement quecela la condamnait à subir les agressionsd’autres hommes”.

Dans l’enfer de la guerre, les violencessexuelles sont monnaie courante, mais cesdeux viols ont pris valeur de symbole dansla mesure où trois des coupables ont été ar-rêtés et traduits en justice devant le Tribu-nal pénal international de La Haye, la courspéciale de l’ONU chargée de juger les crimes

de guerre. Les magistrats ont découvert uneffroyable catalogue de crimes sexuels pré-médités et commis pendant la guerre en

Bosnie-Herzégovine au début des années 90. Face à l’insoutenable évidence, la juge Flo-rence Mumba a déclaré que l’armée serbo-bosniaque avait utilisé le viol comme instru-ment de terreur.

Reconnus coupables d’avoir eu recours auviol systématique et à l’asservissement col-

lectif comme arme de guerre, les trois incul-pés — Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac etZoran Vukovic — ont été condamnés à despeines de prison allant de 12 à 28 ans. C’est lapremière fois que de tels actes — dont la gra-vité n’est dépassée que par le génocide — ontété qualifiés de crime contre l’humanité.

Le verdict historique rendu à La Haye estvenu compléter une pléthore de lois, deconventions et d’initiatives internationalesdestinées à protéger les enfants, et devrait enl’occurrence servir d’avertissement aux éven-tuels bourreaux de demain. Désormais, ils nepourront plus agir en toute impunité.

“Mes parents et cinq de mes frères etsœurs ont été tués, leurs corps ont étédévorés par les chiens. Deux de messœurs ont survécu en se cachant sousles cadavres. J’ai été violée et un

Les agences humanitaires sont de plus en plus conscientes de l’importance de l’éducation et des compétences techniques — au même l’abri et la nourriture — pour les enfants déracinés, dont ces jeunes réfugiées tadjikes en Afghanistan.

Les enfants sont laplus grosse «clientèle»du HCR.

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garçon est né. Maintenant jedois m’occuper de lui, de mesdeux sœurs et de mon frère.”Une survivante du génocide rwandais de 1994. Comme des milliers d’autres adolescents de sonpays, elle se retrouve en charge des survivants de sa famille.

Exposés à l’exploitationsexuelle et à bien d’autresformes d’asservissement et

de souffrance, des millions dejeunes sont aujourd’hui en péril.Beaucoup d’entre eux sont des ré-fugiés et des déplacés : ils repré-sentent environ la moitié des po-pulations déracinées dans le monde.Le HCR s’occupe en fait de 10 mil-lions de mineurs, sa plus grosse«clientèle» sur les 22 millions depersonnes dont il a la charge.

Cela fait bien sûr longtempsque des agences onusiennescomme l’ UNICEF, ainsi que desorganisations non gouvernemen-tales telle l’Alliance d’aide à l’en-fance (Save the Children Alliance)œuvrent en faveur des enfants,mais depuis dix ans leur cause arallié un intérêt et un engage-ment accrus, mobilisant l’en-semble de la communauté inter-nationale.

Pierre angulaire de la protec-tion des enfants, la Convention de1989 relative aux droits de l’enfanténonce les droits des mineurs etles obligations des Etats envers eux.Elle a recueilli plus de signatures

que tout autre traité international de droits del’homme, tous les Etats l’ayant ratifiée à l’ex-ception des Etats-Unis et de la Somalie.

L’année dernière, l’Assemblée générale del’ONU a renforcé ce texte en approuvantdeux Protocoles facultatifs à la Convention,l’un relatif au commerce des enfants et à lapornographie pédophile, l’autre instituantl’âge minimum de 18 ans pour le recrutementforcé des jeunes soldats.

En 1996, Graça Machel, ancienne pre-mière dame du Mozambique et l’actuelleépouse de l’ex-président sud-africain NelsonMandela, signait un rapport accablant et sansprécédent intitulé “L’impact des conflits ar-més sur les enfants”. Tableau sans complai-sance des souffrances endurées par les en-fants pris dans la tourmente de la guerre, cedocument allait faire date en matière de droitsde l’homme. Ã

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B Il y a environ 50 millions de déracinés dansle monde – des réfugiés en quête deprotection dans un autre pays et despersonnes déplacées à l’intérieur de leurpropre pays. Près de la moitié sont des enfants.

B Le Haut Commissariat des Nations Uniespour les réfugiés vient en aide à 22,3 millions de ces déracinés. Quelque 10 millions d’entre eux sont des enfants demoins de 18 ans.

B La plupart des réfugiés et des déplacéssont jetés sur les routes de l’exode par laguerre. Les enfants ne sont pas épargnés : il y aurait eu plus de deux millions demorts, six millions de blessés et un million d’orphelins ces dix dernières années.

B La proportion de victimes civiles desconflits par rapport aux pertes militairesest passée de 5% il y a quelques années àplus de 90% des victimes aujourd’hui.

B Dans 87 pays, les enfants vivent dans desrégions infestées de mines terrestres. Il y en a encore quelque 60 millions. Chaque année, elles mutilent ou tuent jusqu’à 10 000 enfants.

B Il y a actuellement plus de 300 000 enfantssoldats, filles et garçons, de par le monde.Beaucoup ont moins de 10 ans. La plupartdes petites filles soldats subissent diffé-rentes formes d’esclavage sexuel.

B La Convention de 1989 relative aux droitsde l’enfant est le principal cadre juridiquedestiné à la protection des enfants. En ma-tière de défense des droits de la personne,c’est le document qui a recueilli le plusgrand nombre de signatures : il a été ratifiépar les pays du monde entier, à l’exceptiondes Etats-Unis et de la Somalie.

B L’année dernière, l’Assemblée générale del’ONU a approuvé deux Protocoles facultatifs, l’un pour lutter contre le traficdes enfants et la pornographie pédophile,l’autre pour fixer à 18 ans l’âge minimumdes combattants.

B Pour répondre aux besoins spécifiques des enfants réfugiés ou déplacés, le HCR a crééet développé plusieurs programmes quifont désormais partie intégrante de toutesses opérations.

B Près de la moitié des demandeurs d’asiledans le monde sont des enfants, seuls ouaccompagnés de leurs parents. En 1996, leCanada est devenu le premier pays au monde doté d’un système de détermina-tion du statut de réfugié énonçant desprincipes directeurs pour les enfants de-mandeurs d’asile.

B Il y aurait jusqu’à 100 000 enfants séparés

de leurs familles rien qu’en Europeoccidentale. Près de 20 000 enfants seulsdemandent chaque année l’asile enEurope, en Amérique du Nord et enOcéanie.

B Entre 1994 et 1999, l’ONU a demandé 13,5milliards de dollars pour ses opérationsd’urgence, la plupart en faveur des enfants.Moins de 9 milliards lui seront alloués.

B L’aide varie considérablement selon lesrégions : en 1999, les donateurs ontdébloqué l’équivalent de 59 centsaméricains, par jour et par personne, pour3,5 millions de civils au Kosovo et dans leSud-Est de l’Europe, contre seulement 13 cents, par jour et par personne, pour 12millions de victimes en Afrique.

B Le sida a tué plus de 3,8 millions d’enfantset fait plus de 13 millions d’orphelins.Depuis cinq ans, le sida est la plus grandemenace qui pèse sur les enfants, enparticulier dans les pays ravagés par lesconflits. Dans les régions les plustouchées, près de la moitié desadolescents qui ont 15 ans aujourd’huidevraient en mourir.

B En 1998, les pays donateurs ont alloué 300 millions de dollars pour lutter contre lesida. En fait, il en aurait fallu trois milliards.

B Dans la région des Grands Lacs en Afrique,plus de 67 000 enfants ont retrouvé leursfamilles entre 1994 et 2000, grâce à un pro-gramme de réunification mis en place parles organisations humanitaires.

B Au Rwanda aujourd’hui, environ 45 000 ménages sont tenus par des enfants, dont90% de filles.

B Les bâtiments scolaires, les élèves et lesprofesseurs, sont désormais des cibles déli-bérées lors des conflits. Dans les années 80et 90, pendant la guerre du Mozambique,45% des écoles ont été détruites.

B Si les pays industrialisés décidaient deconsacrer 0,7% de leur produit nationalbrut à l’aide humanitaire, cela permettraitde débloquer 100 milliards de dollars sup-plémentaires en faveur de l’aide aux paysles plus démunis.

B Quelque 1,2 milliard de personnes surviventavec moins d’un dollar par jour. La moitiéd’entre elles sont des enfants.

B Dix millions d’enfants de moins de cinq ansmeurent chaque année, la majorité d’entreeux de malnutrition et de maladies contrelesquelles on aurait pu les prémunir.

B Tous les ans, environ 40 millions d’enfantsne sont pas enregistrés à leur naissance. Ilssont donc privés de nationalité et d’ascen-dance juridiquement reconnue. B

Les enfants dans le monde

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noirs, ils utilisaient des jaunes” raconte Clau-de Kiefer, chargé de mettre en place le pro-gramme pédagogique en Bosnie-Herzégovinesous administration étrangère.

Il est plus facile de censurer des mots que dechanger les mentalités. Cette réalité criante esttoujours au cœur des problèmes de la Bosnie,cinq ans après la fin de la guerre suite à l’Accordde Dayton, signé à Ohio le 21 novembre 1995.

DES BLESSURES PROFONDESBien que les blessures commencent à cica-

triser, les tensions ethniques sont encore trèsvives et une Bosnie unie ne ressemble encorequ’à un rêve.

L’Accord de Dayton était un compromispeu satisfaisant, imposé par une situationd’impasse totale sur les champs de bataille

bosniaques et la diplomatie musclée de l’Amé-ricain Richard Holbrooke.

Les Serbes, sans doute aidés par un petitcoup de pouce persuasif des bombardementsde l’OTAN, ont finalement accepté de re-connaître la Bosnie comme un pays indépen-dant mais divisé en deux : 49 % du territoiresont ainsi devenus un sous-état contrôlé parles Serbes, la Republika Srpska.

La relative majorité des Musulmans de Bosnie se sont regroupés, avec les Croates, enune Fédération sur les 51% restants avec la promesse que le «nettoyage ethnique» allait cesser et que plus de 1,4 million de réfugiésallaient pouvoir retourner dans leurs foyersd’avant la guerre, dans des régions où ils ap-partenaient à une minorité ethnique.

Bien qu’on ait presque tout tenté pour fairerevenir les réfugiés, la plupart des Bosniaques,croates, musulmans et serbes, vivent encoredans des enclaves ethniques distinctes.

Peu d’endroits en Bosnie ont été aussi âpre-ment convoités que la ville de Brcko, dans lenord, un goulet situé entre les deux moitiésde ce qui est devenu la Republika Srpska, oùles trois parties en conflit se battaient sur desfronts rapprochés, réduisant en cendres desquartiers entiers.

En mars 1999, un comité d’arbitrage inter-national décida que Brcko devait être parta-gée entre les trois parties, mais la haine ethni-que, toujours présente, a donné lieu à desémeutes estudiantines à la fin de 2000, lorsquela violence s’est emparée pendant plusieursjours d’adolescents musulmans et serbes.

Sanja Becirevic, 14 ans, est retournée à Brckoen 1998, après six années passées en Allemagnecomme réfugiée. Ils ne sont que deux élèvesmusulmans, dont elle, dans une classe de pri-maire au milieu d’enfants et d’enseignantsserbes. Ses «camarades» de classe se chargentde le lui rappeler à tout instant.

“Moi, je n’ai rien contre eux mais ils ne m’ai-ment pas” raconte Sanja, sortie acheter dupain pour sa mère. “Ils m’insultent parce quej’appartiens à ce pays.

“Mais comme je suis une fille, ils m’embê-tent moins que le garçon (musulman) qui estdans ma classe. Je ne dis rien. Je me moque dece qu’ils racontent. Bien sûr, c’est tellementstupide d’insulter des gens parce qu’ils sontd’une autre ethnie.”

A moins d’un kilomètre de là, Duska Josi-povic, une Serbe de Bosnie âgée de 13 ans, ren-trant à pied de son école où il n’y a que des en-fants serbes, s’étonne qu’on lui demande si ellea des amis musulmans.

“Ce sont des êtres humains, comme nous,mais les gens ne les supportent pas, en toutcas pas moi” confie Duska, une réfugiée ve-nant du village de Petrovo au centre de la Bos-nie. “Ils sont différents, pas comme tout lemonde, quoi.”

Des Musulmans habitent tout près de chezelle, à quelques centaines de mètres à peine desa maison, mais les deux familles ne s’adres-sent jamais la parole. Pour Duska, petite élèvetimide et bien élevée, il n’y a rien de mal à haïrtous les Musulmans.

“Avant la guerre, on les supportait, mais de-puis la guerre, c’est impossible”, conclut-elle. B

Dans la lutte engagée pour la paixen Bosnie, des milliers de soldats del’OTAN se joignent à des légions de

bureaucrates étrangers, avec tout un arsenalde tanks et d’hélicoptères, et des sommes as-tronomiques. Mais une autre arme, plus fa-cile à manier, est particulièrement efficace :le stylo à feutre noir.

Dans nombre d’écoles bosniaques, on n’en-seigne pas seulement l’histoire, l’art et lagrammaire aux enfants croates, serbes et musulmans. On leur apprend aussi la haineethnique. C’est pour cela que l’année dernièreles administrateurs étrangers du pays ontdonné l’ordre de biffer des livres de classe tousles mots ayant une connotation de discrimi-nation ethnique.

Une commission apublié une liste de 24pages de phrases, pa-ragraphes et mêmede passages entiers,demandant aux en-seignants de les rayerde tous les manuelsscolaires et de faire ensorte que les élèves nepuissent plus les lire.

Dans un texte degrammaire destiné àdes élèves serbes del’école primaire, uneleçon sur le mode pas-sif intitulée “Le tributdans le sang” était pla-cée juste au-dessusd’un court extrait de “Le pont sur la Drina”, unroman d’Ivo Andric, un Croate de Bosnie, lau-réat du prix Nobel de littérature.

Le passage en question décrivait les tortureset les massacres infligés aux Serbes par des en-vahisseurs turcs musulmans qui, d’après le ré-cit, enlevaient des enfants âgés de 10 à 15 ansdans des corbeilles en osier attachées à des che-vaux. Les professeurs ont été obligés d’arra-cher les deux pages de cette leçon.

Dans un manuel scolaire pour des enfantscroates, la légende d’une photo montrant unpetit garçon amputé d’une jambe faisait réfé-rence à une attaque par les «Grands agres-seurs serbes». Il a fallu biffer la phrase en noir,malgré la réticence de certains professeurs.

“Souvent, au lieu d’utiliser des marqueurs

La guerre des motsSur les bancs des écoliers et dans les manuels, la discrimination règne encore.

par Paul Watson, Los Angeles Times

Contrôler les programmes scolaires pour que les écoles nedeviennent pas des foyers de haine.

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Les gouvernements ont à leur tour tenduune oreille plus attentive à la condition desenfants. En 1996, le Canada devient le pre-mier pays à codifier l’accueil réservé aux mi-neurs non accompagnés en quête d’asile.Deux ans plus tard, les Etats-Unis mettaienten place des mesures similaires. Washington,puis la Suède, la Norvège et d’autres pays dé-bloquaient plus de fonds pour les pro-grammes en faveur des enfants.

De nouvelles organisations se sont for-mées, des alliances se sont consolidées. Grâceà ce type de partenariat, un vaste programmede recherche a permis à plus de 67 000 en-fants de retrouver leur famille dans la régionafricaine des Grands Lacs, à la suite du gé-nocide rwandais.

En 50 ans d’existence, le HCR a aidéquelque 50 millions de réfugiés à refaire leurvie. La moitié étaient des enfants.

Ces dernières années, l’agence a développédes principes directeurs concernant les en-fants réfugiés. Avec l’Alliance internationaled’aide à l’enfance (International Save the Chil-

dren Alliance) le HCR a mis sur pied le projetAction pour les droits de l’enfant, qui élaboredes méthodes et des ma-tériels à l’attention dupersonnel de terrain.Les mêmes partenairesont également lancéune autre initiative, leProgramme en faveurdes enfants séparés enEurope, un réseaud’ONG présentes dans28 pays afin d’aider lesenfants qui arriventseuls.

Et pourtant…Malgré les innom-

brables conférences etréunions, malgré les loiset conventions qui enrésultent, malgré uneprise de conscience etdes ressources accrues de la part de la com-munauté mondiale, des millions d’enfants, y Ã

à compris les réfugiés, sont plus que jamaisdans une situation désespérée.

En dix ans, les guer-res en ont tué plus dedeux millions, blessé etmutilé six millions et faitun million d’orphelins.

On ignore le nombrede mineurs qui ont étéviolés, torturés, brutali-sés et ils sont des millionsà être morts de faim et demaladie. Rien que le sidaa emporté 3,8 millionsd’enfants et a fait 13 mil-lions d’orphelins.

Aujourd’hui, on estime qu’environ300 000 jeunes ont étéenlevés ou enrôlés deforce comme enfantssoldats et nombre de pe-

tites filles kidnappées ont été contraintes àl’esclavage sexuel. Le monde entier a frémi

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Les guerres ont fait au moins un million d’orphelins au cours de ces dix dernières années, dont ces enfants rwandais, hospitali-sés au Zaïre en 1994.

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“Les guerresmodernes exploitent, muti-lent et tuent pluscyniquement et plus systémati-quement quejamais auparavant.”

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en découvrant les atrocitésperpétrées par certains re-belles qui n’étaient en faitque des gamins saturés dedrogue, lors de la guerre ci-vile qui a ravagé la SierraLeone.

“Deux des fils et une fille ont étéemmenés de force par les rebelles.Quand l’un des garçons s’est écroulé ausol, épuisé, il a été exécuté sur place.Son jeune frère a été abattu enessayant de s’échapper. La fillette asubi des viols collectifs en série…”Victimes des enfants soldats.

Dans 87 pays, les enfants risquent à toutmoment d’être déchiquetés ou muti-lés par les 60 millions de mines ter-

restres posées par les armées en guerre, lesrebelles et les dissidents, autour des habita-tions et au milieu des champs.

Le nombre d’enfants que la violence acontraints à fuir et qui se retrouvent déplacésà l’intérieur de leur pays ou obligés de se ré-fugier dans un Etat voisin, s’élèverait à 25millions — l’équivalent de l’ensemble de la

population du Danemark,de la Finlande, de la Nor-vège et de la Suède.

Ces chiffres donnent levertige. Ils tendent à mas-quer ou à faire oublier la dé-tresse de chaque enfant tou-ché de plein fouet.

Dans son premier rap-port, Graça Machel consta-tait que pour de nombreuxjeunes le monde se réduisaità “un incommensurablevide moral, dépourvu desvaleurs humaines les plusessentielles, où rien n’estépargné, respecté ni pro-tégé”. Et les choses n’ont guère changé de-puis. Lors d’une récente mise à jour, l’auteurnotait que “les guerres modernes exploitent,mutilent et tuent plus cyniquement et plus

systématiquement que jamais auparavant”.La nature même de la guerre a changé.

Aux anciens conflits entre Etats succèdentde sourdes rivalités internes, ethniques,

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Souvent, les enfants n’ont pas lechoix : on les oblige à prendre lesarmes et à se battre. Pendant la guerrecivile en Sierra Leone, des enfantssoldats ont participé à la campagne deterreur orchestrée contre lapopulation civile, tuant et mutilant«comme les grands».

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“Des clandestins en route pourl’Occident échouent dans unport.” “Arrestation de 29 clan-

destins tentant de passer en Grande-Bretagne”,“Pas de statut de réfugié pour des Sri-Lankaisdupés.” De tels titres, mettant en garde contrel’augmentation du nombre d’immigrés clan-destins ou «faux» réfugiés, font de plus en plusles manchettes de la presse occidentale. Maisl’alarmisme des médias — et la réaction néga-tive qu’il suscite au sein de l’opinion publique—occulte le fait que bon nombre de ces hôtes in-désirables sont des enfants, souvent seuls,fuyant la guerre et les persécutions.

Rares sont ceux qui, comme le petit ElianGonzalez, dont la mère s’était noyée en ten-tant de fuir Cuba, et dont les proches anti-cas-tristes de l’enfant avaient tout fait pour qu’ilreste aux Etats-Unis, retiennent l’attentiondes pouvoirs publics et des médias.

Presque personne ne s’est ému, par exemple,lorsque 16 enfants afghans non accompagnésont été trouvés, frigorifiés, au milieu d’ungroupe d’adultes qui, en décembre dernier, es-sayaient de franchir clandestinement la fron-tière orientale de l’Autriche. Ou quand des en-fants somaliens ont débarqué et demandél’asile à l’aéroport de Zurich. Quant au jeuneNicaraguayen de 16 ans qui a récemment ob-tenu l’asile en Arizona après avoir parcouru,seul, des milliers de kilomètres pour se rendreaux Etats-Unis, son odyssée est passée quasiinaperçue.

Les Services américains d’immigration etde naturalisation ne sont pas en mesure de pré-ciser combien d’enfants, comme ce gamin desrues nicaraguayen, demandent l’asile chaqueannée — ils ne tiennent pas de statistiques dece genre. D’autres pays occidentaux sont dansune situation similaire. Ils savent que le «pro-blème» des enfants en quête d’asile existe, maisla plupart n’en évaluent pas l’ampleur.

Et même lorsque l’information est dispo-nible, elle n’est pas toujours sûre car il est sou-vent difficile de déterminer l’âge d’un enfantet de savoir si un garçon ou une fille qui sembleêtre accompagné est en fait avec des adultes

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qui ne veulent pas s’en occuper ou qui ne sontpas fiables (pour cette raison, le HCR et d’au-tres organisations préfèrent maintenant em-ployer l’expression «enfants séparés»).

QUE FAIRE ?Il est pourtant clair qu’il y a beaucoup d’en-

fants en quête d’asile dans les pays industria-lisés et que cela représente un problème épi-neux. Les gouvernements oscillent entre laprise de mesures draconiennes, telles que la

détention, les radiographies pour déterminerl’âge, le renvoi dans des pays tiers «sûrs», etun réel effort de prise en charge, conformé-ment à l’article 22 de la Convention relativeaux droits de l’enfant de 1989. Cet article sti-pule que les Etats signataires sont tenus deprotéger et d’aider les enfants, qu’ils soientseuls ou accompagnés de leur famille.

En 1999, la dernière année pour laquelle ondispose de quelques chiffres, plus de 20 000 en-fants séparés ont demandé l’asile en Europe oc-cidentale, en Amérique du Nord ou en Aus-tralie. Or il ne s’agit là que d’une petite fractiondes enfants qui ont dû fuir la violence et la per-sécution. D’après les experts, la moitié des ré-fugiés et des personnes déplacées dans le

monde sont des enfants, et les conflits ont rafléplus de deux millions de jeunes vies au coursde la dernière décennie.

Si, sur le papier, les droits de l’enfant sontpresque universellement reconnus (seuls deuxpays n’ont pas ratifié la Convention relativeaux droits de l’enfant), les enfants n’en sont pasmoins confrontés à de nombreuses formes depersécution telles que le travail forcé, le viol, lesmutilations génitales ou l’enrôlement forcé.Certains ont été témoins des tortures et/ou dumeurtre de leurs parents ou de leurs frères etsœurs.

Il n’est donc guère étonnant que des parentstentent d’envoyer leurs enfants dans un lieusûr ou que des enfants essaient de fuir seuls.Déjà en 1938 et 1939, 10 000 enfants juifs alle-mands et autrichiens avaient été sauvés del’Holocauste par le légendaire Kindertrans-porte, que leurs parents avaient utilisé pourles envoyer en Grande-Bretagne en train puisen bateau.

Aujourd’hui, il est largement admis que lesenfants peuvent être des réfugiés de pleindroit. En 1996, la Commission de l’immigra-tion et du statut de réfugié du Canada a publiédes directives sur les enfants demandeursd’asile, les premières dans un pays doté d’unsystème de détermination du statut de réfu-gié. Deux ans plus tard, les Services d’immi-gration et de naturalisation des Etats-Unis pu-bliaient des principes directeurs relatifs auxdemandes d’asile d’enfants. Ces deux instru-ments reconnaissent que les enfants ne viventpas nécessairement la persécution de la mêmemanière que les adultes, et qu’il faut utiliserdes procédures de détermination du statut te-nant compte de leurs besoins spécifiques.

L’Europe occidentale — en particulier lesPays-Bas, les pays nordiques et la Suisse — estla destination favorite des enfants seuls enquête d’asile. Une initiative récente du HCRet de l’Alliance internationale d’aide à l’enfance(International Save the Children Alliance) aabouti au Programme en faveur des enfantsséparés en Europe, un réseau d’ONG pré-sentes dans 28 pays. L’une des préoccupations

Chaque année, des milliers d’enfants non accompagnés demandent l’asile dans les pays industrialisés. Rares sont ceux qui obtiennent le statut de réfugié et beaucoup entrent dans la clandestinité. Que faire ?

par Judith Kumin

Si, sur le papier,les droits de l’enfantsont presqueuniversellementreconnus,les enfants n’en sont pas moins confrontésà diverses formes de persécution.

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majeures du réseauest que si certains deces enfants sont ef-fectivement des ré-fugiés, d’autres sontvictimes de traf i-quants qui les amè-nent sur les mar-chés européens de laprostitution ou de lamain-d’œuvre bonmarché — parfoisdes deux.

Le problème,dans la plupart despays, ne bénéficieque d’une attentionponctuelle. Les res-ponsables canadiensadmettent qu’ils nes’en étaient pas vrai-ment préoccupésavant l ’été 1999,quand 130 enfantschinois étaient arri-vés à bord de quatrebateaux sur la côteouest du pays, sansleurs parents. Et,bien que le HCR aitpublié en 1997 desPrincipes directeurssur les politiques etprocédures à appli-quer dans le cas desenfants non accompagnés en quête d’asile,certaines des recommandations les plus élé-mentaires de l’organisation ne sont toujourspas mises en pratique.

MESURES DE PROTECTIONLes Principes mettent en avant les ques-

tions que les gouvernements et les institu-tions de protection de l’enfance doivent abor-der. La plus élémentaire est la définition del’enfant «séparé» — une personne de moins de18 ans, qui se trouve hors de son pays d’ori-gine sans ses parents ou un autre responsablelégal ou coutumier, susceptible de s’occuperd’elle ou de la protéger. Cela paraît simple,mais ces enfants arrivent souvent avec de fauxou sans papiers. Beaucoup ne veulent pas direleur âge ou ne le connaissent pas.

Les autorités, qui ne veulent pas être ame-nées à accorder un traitement spécial à desadultes se faisant passer pour des enfants,s’emploient à prouver — par des radiographies,des examens dentaires ou d’autres techniques— que les demandeurs d’asile ont plus de 18ans. Mais de tels procédés, même s’ils sont in-

aux enfants la possibilité de bénéficier aumoins d’une assistance juridique.

Même le Canada, qui dans le passé n’incar-cérait que rarement les demandeurs d’asile etmoins encore les enfants, a maintenu en dé-tention pendant des mois une douzaine dejeunes Chinoises, interceptées l’an dernierdans une camionnette se dirigeant vers lafrontière avec les Etats-Unis. Un juge de l’On-tario a admonesté les autorités de l’immigra-tion pour cette détention prolongée, et souli-gné qu’elles devaient se préoccuper davantagedu bien-être des jeunes Chinoises. “Ces mi-neures sont des enfants, après tout. Leurs fa-milles se trouvent à des milliers de kilomètres.La décence est quelque chose dont les Cana-diens sont fiers, et elle doit prévaloir.”

UN TUTEUROn ne peut pas s’attendre à ce que les en-

fants soient au courant de leurs droits dans unpays étranger. C’est la raison pour laquelle leHCR demande aux gouvernements de confierà des tuteurs le soin de s’occuper des enfantsséparés en quête d’asile — une autre recom-

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offensifs sur tous les plans, sont au mieux ap-proximatifs. Et des enfants, identifiés à tortcomme des adultes, peuvent se voir refuserles mesures spéciales auxquelles ils ont droit.

En Suisse, où 1775 demandeurs d’asile ontaffirmé, en 1999, avoir moins de 18 ans, laCommission de recours en matière d’asile arécemment décidé de renoncer à utiliser lesradiographies, des experts ayant mis en gardecontre la très grande marge d’erreur.

Le HCR demande aux gouvernements dene pas mettre en prison les enfants en quêted’asile, mais beaucoup le font. Rares sont ceuxqui reconnaissent utiliser ce procédé à des finsdissuasives ; certains mettent en avant la sé-curité des enfants, le besoin de les protégercontre les trafiquants.

En 1999, les Services d’immigration et denaturalisation des Etats-Unis ont placé en dé-tention 4600 enfants non accompagnés, dontbeaucoup étaient en quête d’asile. En Au-triche, où depuis des années des enfants sontrégulièrement incarcérés, le Ministre de l’in-térieur a ordonné, en octobre 2000, d’amélio-rer les conditions de détention et de donner

Italie, 1999 : à Lecce, ces enfants kosovars non accompagnés attendent l’heure du repas.

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mandation qui n’est que rarement suivie d’ef-fet, alors que des tuteurs sont régulièrementdésignés pour prendre en charge des enfantsnationaux placés sous la tutelle de l’Etat.

Il y a des exceptions notables : en Suède,tous les enfants séparés ont un tuteur que l’onappelle en suédois «l’homme bon». La loi nor-végienne impose de nommer un tuteur, maisil y a pénurie de candidats. Aux Pays-Bas, unassistant social de l’institution de Opbouwremplit les fonctions de tuteur — mais les dos-siers étant trop nombreux, il est impossibled’accorder une attention individuelle auxsoins, à l’éducation et à la recherche desproches. Aux Etats-Unis et au Canada, il n’ya pas de mécanisme officiel de prise en charge,ce qui fait que la moindre petite interventionmédicale pose un problème d’autorisation.

La désignation d’un tuteur et l’interventiondes services de protection de l’enfance sont vi-tales parce que certains enfants arrivent avecdes adultes qui ne veulent pas les prendre encharge ou qui sont peu fiables. De nombreuxenfants encore arrivent avec l’adresse d’un«oncle» ou d’un ami de la famille. Comme ilsn’ont pas d’autres al-ternatives, les servicesfrontaliers deman-dent à cette personned’accueillir l’enfant,sans même vérifier sielle dispose d’un loge-ment adéquat.

Une adolescented’Afrique de l’Ouest aainsi été envoyée chezson «oncle» au Ca-nada. Quelques moisplus tard, terrorisée,elle avouait qu’elleétait enceinte del’oncle, n’était pas sco-larisée, n’avait pas de-mandé l’asile et étaitobligée de travaillercomme domestique.

Souvent, il est aussitrès difficile d’obtenirdes conseils juridiques, alors même que lesprocédures d’asile dans les pays occidentauxsont extraordinairement complexes. Peu d’en-fants séparés en quête d’asile savent qu’ils ontdroit à l’assistance d’un avocat ou commenten bénéficier, et encore moins nombreux sontceux qui en ont les moyens financiers.

Les personnes qui s’occupent d’enfants enquête d’asile devraient recevoir une forma-tion. Les responsables de l’immigration et dela détermination du statut de réfugié, les re-présentants légaux, les tuteurs, les interprètes

et tous ceux qui sont en contact avec les en-fants seuls pourraient ainsi mieux com-prendre les principes et les normes de laConvention relative aux droits de l’enfant etd’autres instruments internationaux. Ils de-vraient en outre être au fait de la situationdans le pays d’origine de l’enfant et de sa cul-ture. Ils devraient aussi apprendre à conduireles entretiens avec les enfants de manière àce que leurs besoins spécifiques soient pris encompte comme il se doit.

PAS SI SIMPLEOr, décider quel est l’intérêt supérieur de

l’enfant n’est pas chose facile, même si l’article3 de la Convention stipule que celui-ci doitêtre une considération primordiale danstoutes les décisions qui concernent les enfants.La complexité de ce problème a été particu-lièrement bien illustrée par le débat qu’a sus-cité au Canada le cas des enfants chinois ar-rivés par bateau, dont la plupart des demandesd’asile ont été rejetées. Faut-il rendre l’enfantà des parents qui, en toute connaissance decause, lui ont fait courir des risques et l’ont

vendu à un esclavagistedes temps modernes ?Ou faut-il le laisser par-tir et devenir la proie demalfrats ?

Peu d’enfants séparéssont reconnus commeréfugiés dans les pays oc-cidentaux, même si letaux de reconnaissanceest d’environ 50% au Ca-nada. En 1999, le tauxmoyen de reconnais-sance n’était que de 5%en Europe, bien que lespays autorisent souventces enfants à rester pourdes raisons humani-taires ou parce qu’il estimpossible de les ren-voyer chez eux. Une pré-paration minutieuse estnécessaire lorsque, après

avoir déterminé qu’un enfant ne sera pas me-nacé dans son pays d’origine, on décide de lerenvoyer. Il faut s’assurer que l’enfant sera prisen charge, et qu’il ne sera pas abandonné à sonsort dans l’aéroport d’Istanbul, d’Accra ou duCaire, par exemple.

Seule une poignée de pays ont établi dessystèmes ou des programmes de retour desenfants séparés. Et trop souvent, pour éviterd’être renvoyés, ceux dont la demande d’asilea été rejetée, entrent dans la clandestinité,malgré eux. Quel avenir les attend ? B

religieuses ou politiques. Les non-combat-tants sont délibérément pris pour cible et lesenfants, considérés comme des problèmes àéliminer ou des prises de choix pour servird’esclaves sexuels ou de soldats. Beaucoup deces jeunes sont victimes de rapt ou d’enrôle-ment forcé même lorsqu’ils se trouvent dansdes camps de réfugiés.

La proportion de victimes civiles par rap-port aux pertes militaires est passée de cinqpour cent lors de la Première Guerre mon-diale à plus de 90 pour cent aujourd’hui.

Les guerres chroniques larvées ne béné-ficient pas de la même couverture média-tique que des conflits comme celui du Kosovoet attirent donc moins d’aides financières. Orc’est justement dans de tels conflits que lagrande majorité des jeunes victimes sont faceà tous les dangers.

Les camps de réfugiés, surpeuplés, sou-vent insalubres, et les terrains de combat ontfavorisé la propagation du sida, cette terriblemaladie qui, ces cinq dernières années, “atransformé à elle seule le visage de la guerreplus que tout autre facteur” constate GraçaMachel qui ajoute que cette pandémie est dé-sormais “la pire menace qui pèse sur les en-fants plongés dans un conflit”.

Cinquante pour cent des nouveaux casde contamination concernent les 15-25 ans,et l’on estime que dans les pays les plus tou-chés la moitié des jeunes de 15 ans mour-ront du VIH. En 1998, dernière année pourlaquelle on dispose de données complètes,les Etats donateurs ont alloué 300 millionsde dollars à la lutte contre le sida dans lespays en développement, quand il en auraitfallu 3 milliards.

Mary Phiri, rédactrice d’un bulletin d’in-formation destiné aux adolescents en Zam-bie, écrivait dans un bouleversant éditorial :“Si nous sommes l’avenir et que nous sommesen train de mourir, il n’y a plus d’avenir.”

En général, c’est surtout dans des payslointains et en proie à de violents conflits queles enfants sont des victimes de premier plan.Mais dans un monde où les transports sontde plus en plus accessibles et les passeurs ettrafiquants d’êtres humains de plus en plusnombreux, les pays industrialisés sont dé-sormais touchés. Et face à cet afflux d’enfantsvenus chercher asile et protection, ils hési-tent : compassion ou détention ? (lire page 11).

Dans ce climat qui frôle parfois la schizo-phrénie, les Etats-Unis viennent d’accueillirles premiers de quelque 3600 «garçons per-dus» du Soudan. C’est le plus important pro-gramme officiel de réinstallation d’enfantssur le sol américain depuis la guerre du VietNam. Mais, par ailleurs, des milliers d’autres

Peu d’enfantsséparés sontreconnus commeréfugiés dans lespays occidentaux.Le taux moyen dereconnaissancen’était que de 5% enEurope en 1999.

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enfants et adolescents, qui sont arrivés dansle pays par leurs propres moyens, demeurentsous la garde des Services d’immigration et denaturalisation (INS) et risquent l’expulsion.

L’Europe figure en bonne place parmi lesdestinations favorites des mineurs : ils se-raient environ 100 000, venus du monde en-tier, à sillonner le vieux continent. En 1999,près de 14 000 enfants séparés y ont cherchéasile, certains envoyés par des parents déses-pérés, d’autres venus de leur propre chef ou,de plus en plus, victimes d’une filière de tra-fiquants. En début d’année, la France dé-couvre avec stupéfaction qu’un cargo rouillé

a «déversé» sa cargaisonhumaine sur sa belleCôte d’Azur : 1000Kurdes échouent sur lesable dont la moitiésont des enfants. Quefaire ? Cet «incident»tournera en véritabledébat national.

Les réactions des ca-pitales européennes face à ces afflux d’un typenouveau divergent notablement. Les paysscandinaves disposent de mécanismes bienau point pour aider les enfants séparés, dontla désignation de tuteurs temporaires, alorsque dans d’autres régions ils sont tout sim-plement placés en détention.

“Bonjour Papa. Quand tu étais là, on sepromenait ensemble dans les champset on rapportait des fleurs pourMaman. Mais un jour tu es allé àGrozny et nous ne t’avons plus revu.Rusik va bientôt commencer l’école. Il

m’a dit que tu étais parti acheter descadeaux et que tu reviendrais quand ilserait grand. Il est trop petit pourcomprendre. Papa, tu nous manquestrop. Les autres enfants ont un papa.Quand je serai grand, je ferai quelquechose pour arrêter les guerres et alorstous les garçons vivront avec leurpère.” Ton Spartak qui t’aimeLettre à un père disparu dans le conflit enTchétchénie.

En septembre, une session spéciale del’Assemblée générale de l’ONU se ré-unira pour évaluer les avancées réa-

lisées depuis le Sommet de l’ Enfance en1990 et établir les priorités pour la décen-nie à venir.

Selon Carol Bellamy, directeur exécutifde l’UNICEF, la question de l’état des lieuxpeut être envisagée sous deux angles — l’unoptimiste, celui du «verre à moitié plein»,l’autre pessimiste, celui du «verre à moitiévide». Des progrès considérables ont été ac-

Les mines terrestres sont un véritable fléau. Les enfants sont enpremière ligne des victimes. Ici, un projet d’assistance orthopédiqueet un cours de sensibilisation aux mines mis en place par le CICR enAfghanistan.

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Pour des milliers de petits clandestins, le voyage de la dernière chancese termine dans un centre de détention.

Elle n’a que six ans. Elle est assise,toute seule, sur un banc de la minus-cule salle du tribunal de l’immigration.

Sans avocat. Sans tuteur et sans famille. Cettegamine aux grands yeux étonnés, fraîchementdébarquée du Nigéria, comparaît sur ordredes autorités américaines devant le tribunaldu centre de détention de Krome, à Miami.

Chef d’accusation : immigration clandes-tine.

Pour les Services d’immigration, elle estentrée clandestinement aux Etats-Unis,comme les milliers d’autres enfants qui fran-chissent chaque année les frontières à pied oudébarquent des avions avec de faux visas ousans aucun papier. Beaucoup ont été envoyéspar leurs parents, de pauvres gens qui rêventd’une vie meilleure pour leurs petits. Parmieux, beaucoup de jeunes Chinois, recrutés pardes patrons d’ateliers clandestins. Et des en-fants mexicains, arrivés à pied. Tous ces mi-neurs non accompagnés relèvent des Servicesaméricains d’immigration et de naturalisa-tion (INS), qui les prennent totalement enmain, tout en essayant de les faire expulser.

Selon l’INS, ils ont été 4600 à entrer illé-galement aux Etats-Unis en 1999 et à être pla-cés en détention, un chiffre encore bien infé-rieur à la réalité, affirment les associationsd’aide aux réfugiés. Le fait est que les effectifsne cessent d’augmenter, en partie parce queles réseaux d’immigration clandestine des en-fants fonctionnent à plein régime.

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Six ans… et déjà face à un tribunal

complis, poursuit-elle : la cause des enfantsest devenue une priorité internationale, ycompris pour le Conseil de sécurité del’ONU, la Convention relative aux droits del’enfant a été ratifiée à la quasi-unanimité etdes programmes d’aide humanitaire plus ef-ficaces ont été développés pour les mineursdéracinés par les guerres et autres fléaux.

Mais une autre réalité s’impose : la plupartdes situations de crise dans lesquelles les en-fants sont pris au piège s’enveniment et s’éten-dent si rapidement que les fonds débloquéspour les aider sont toujours insuffisants.

Olara Otunnu, représentant spécial duSecrétaire général de l’ONU pour les enfantsvictimes de conflits armés, reconnaissait dansun entretien accordé à RÉFUGIÉS que ces dixdernières années “dans de nombreuses ré-gions comme le Sri Lanka, la Colombie etl’Angola, la situation des enfants s’est terri-blement aggravée” et que la communauté in-ternationale était dépassée par l’ampleur duproblème. “Nous avons passé beaucoup detemps en réunions, a-t-il ajouté, nous avonsréussi à élaborer des tas de règles, mais pasencore à les appliquer.”

Graça Machel fait écho à ce triste constat :“De grands progrès ont été réalisés, cepen-dant nous n’avons pas réussi à empêcherl’éruption de nouveaux conflits. Alors quenous venions d’aider un million d’enfants,deux millions de nouvelles victimes récla-maient notre attention, tout était à recom-mencer.”

Les dix années à venir s’annoncent doncaussi difficiles que la dernière décennie, notamment pour un organisme comme leHCR qui, sous la houlette du nouveau Haut

par Amy Driscoll Les jeunes détenus ont certes le droit defaire appel à un avocat. Encore faut-il qu’ilsen aient les moyens ou qu’ils trouvent un bé-névole, ce qui est rarement le cas. Résultat :des dizaines d’enfants sont expulsés chaqueannée sans autre forme de procès...

“Dans certains cas, l’enfant est littéralementen danger de mort s’il est renvoyé dans sonpays” martèle Wendy Young, membre de l’or-ganisation Women’s Commission for RefugeeWomen and Children basée à New York. “A quiva-t-on faire croire qu’un enfant peut avoirgain de cause sans l’assistance d’un avocat ?Ses chances sont pratiquement nulles !” s’in-digne-t-elle. Et de citer à l’appui une récenteétude nationale de l’université de George-town, d’où il ressort que les immigrants en si-tuation irrégulière ont de quatre à six fois plusde chances d’obtenir un permis de séjour s’ilssont représentés par un avocat.

Un rapport à paraître de la Women’s Com-mission for Refugee Women and Children s’in-terroge, à propos de ces mineurs non accom-pagnés, sur le double rôle — répressif etprotecteur — des Services d’immigration. “Ily a manifestement conflit d’intérêt, expliqueWendy Young. L’INS est d’abord et avant toutun organe de police, pas une agence d’aide so-ciale à l’enfance! Il est en même temps chargéde protéger l’enfant et de tout faire pour l’ex-pulser. C’est absurde.”

Vingt-et-un pour cent des mineurs placésen détention sur ordre de l’INS sont renvoyésdans leur pays au bout de quelques jours. Ceuxqui sont remis à des amis ou à des membres de

leur famille n’en risquent pas moins des pro-cédures judiciaires et éventuellement une me-sure d’expulsion.

Pour l’instant, le combat pour rester auxEtats-Unis est un peu celui du pot de terrecontre le pot de fer : que peut en effet un en-fant face à la toute puissante machine del’ INS ?

Une centaine d’enfants comparaissent cha-que année devant les tribunaux de l’immigra-tion sans l’assistance d’un avocat, estime Ma-ria Garcia, porte-parole de l’INS. Selon elle,ils bénéficient de toutes les garanties légales :on leur remet dès leur incarcération une ficheénonçant leurs droits, et les juges vérifient àl’audience qu’ils comprennent parfaitementleur situation et ce à quoi ils peuvent pré-tendre. “Ce sont des enfants, et nous voulonsêtre sûrs qu’ils sont correctement informés”affirme-t-elle.

Est-ce suffisant ? Sans doute pas. C’est pour-quoi le sénateur Bob Graham et Alcee Has-tings, membre de la Chambre des représen-tants, ont rédigé des propositions de loi qui,si elles sont adoptées, permettront aux mineurs non accompagnés d’avoir accès à l’assistance juridique et à l’aide sociale pourl’enfance. “L’ enfant qui débarque dans ce payssans ses parents et sans tuteur légal peutêtre raflé quasiment sans préavis par l’ INS,s’insurge Alcee Hastings. Cela ne peut pascontinuer.”

Reproduit avec l’aimable autorisationdu Miami Herald

Suite page 18

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reprendre ses opérations d’aide en une semaine.

Comment voyez-vous l’avenir du HCR ?Je voudrais que le HCR devienne une

institution véritablement multilatérale, activement soutenue par une grande partiede la communauté internationale. Cinquan-te ans après la création du HCR, il est évi-dent que le problème des réfugiés n’est pasprès de disparaître. Aux gouvernementsd’être réalistes, à présent ! Les nations dumonde ont besoin d’un HCR efficace, d’uneorganisation qui puisse aller jusqu’au boutde son mandat de protection, plaider avecforce la cause des réfugiés et veiller à ce queles gouvernements honorent leurs obliga-

tions telles qu’énon-cées dans la Conven-tion de 1951.

Le HCR bénéficie-t-ildu large soutien dontil a besoin ?

Un certain nombrede pays investissentdans le HCR, mais celane suffit pas. La com-munauté internatio-nale a donné pourmandat au Haut Com-missariat de protégerles réfugiés et de trou-ver des solutions.Pourtant, beaucoup demembres de cette même communauté n’assument pas, ou très

peu, la responsabilité de soutenir notre action. C’est inacceptable. Aujourd’hui, unepetite coalition de pays engagés nous versedes contributions volontaires. Le fait qu’ungroupe de gouvernements décide au cas parcas et sur une base volontaire, combien etquand ils vont donner, nous rend extrême-ment vulnérables.

Vous aspirez donc à un mécanisme de financement plus sûr ?

Oui, nous demandons une part modestemais raisonnable. Ces deux dernières an-nées, notre budget a enregistré un déficit de20% environ. Nous sommes en train d’iden-

tifier nos activités essentielles, celles quidoivent bénéficier d’un soutien garanti.Nous avons également besoin d’avoir, en ré-serve, une capacité supplémentaire en casd’urgences et de crises imprévues. Un plusgrand nombre de pays doivent y voir unpartenariat normal et à long terme avec leHCR, au sein duquel nous cherchons tousdes solutions pour les réfugiés. N’est-ce paslà justement ce qu’ils nous ont demandé defaire ?

Comptez-vous prendre des mesures d’aus-térité, comme la réduction des effectifs ?

J’ai pratiqué une politique stricte d’austé-rité pendant des années, tant dans le mondedes affaires qu’au gouvernement. Je dois lefaire aussi au HCR. Une organisation dégraissée peut être aussi une organisationforte. Nous devons nous demander si ce quefait chacun de nous est vraiment utile. Nousdevons nous concentrer sur nos responsabi-lités essentielles, que nous sommes en traind’identifier. Mais il ne s’agit pas non plus denous contenter d’établir des priorités et deprocéder à des coupes claires. Lorsque lescoupes ne sont pas acceptables, il est de maresponsabilité de dire aux gouvernementsde ne pas être bornés.

Les attentes à l’égard du HCR sont-ellesexcessives ?

Le HCR est considéré comme une insti-tution qui peut agir, une institution qui dis-pose de la capacité opérationnelle d’interve-nir dans les situations difficiles. Quand unproblème humanitaire se pose, les gens pen-sent que le HCR peut tout faire et ce gratui-tement. Ils prennent leur téléphone et nousdemandent d’agir. Il y a pourtant une limiteà ce que nous pouvons faire — les coûts.Nous devons donc modérer les attentes touten essayant d’accroître notre financementet le sentiment d’appartenance au HCR.

Le HCR devrait-il en faire moins ?Nous ne voulons pas nous agrandir enco-

re et encore. Nous serons là où les réfugiésont besoin de nous, mais il nous faut aussiêtre réalistes. Nous agirons au mieux dansle cadre de nos paramètres essentiels, mais ilest évident que beaucoup peut être fait pard’autres institutions. Nous veillons, par

RÉFUGIÉS : Quels atouts apportez-vous ? Ruud Lubbers : J’ai une solide expérien-

ce du monde des affaires, de la politique, desONG et des milieux universitaires. Je peuxpar exemple servir de lien avec la commu-nauté des affaires pour renforcer les démarches entreprises par le HCR pourcréer de nouveaux partenariats au profit desréfugiés. Le HCR travaille dans un environ-nement hautement politique et je n’hésite-rai pas à user de mon expérience et de mescontacts politiques pour optimiser l’organi-sation et l’aide aux réfugiés. L’un de mesprincipaux objectifs sera de renforcer nospartenariats avec les ONG. A l’université, jedonnais des cours sur la mondialisation et labonne gestion, deux domaines qui intéres-sent directement le HCR.

Lorsque vous avez éténommé, certains médias ontlaissé entendre que le mondedes réfugiés vous était en faittout à fait inconnu et quevous n’aviez jamais visité uncamp.

Des réfugiés, il n’y en a pasque dans les camps ou dans lespays en développement. L’asileest un problème mondial, au-quel j’ai été confronté lorsquej’étais au gouvernement. J’aibeaucoup à apprendre sur leHCR et les réfugiés, mais je nesuis pas totalement novice.

De quelle manière pensez-vous pouvoir mettre à profitvotre bagage politique ?

Je me suis récemment rendu en Afriquede l’Ouest et j’ai pu voir la lutte quotidiennedes équipes du HCR. Je me suis dit que je nepouvais pas me contenter de leur taper surl’épaule et de leur souhaiter bonne chance,en laissant à d’autres la tâche de prendre lesdécisions difficiles. Je me suis donc employéà rallier, en Guinée, en Sierra Leone et auLibéria, les responsables régionaux auxprincipes du libre accès et du libre passagede dizaines de milliers de réfugiés bloquésdans le sud de la Guinée. La situation demeure certes instable et dangereuse, maisavec le soutien de la Guinée, le HCR a pu

“Mon objectif majeur c’est la protection,

“Nous nevoulons pas

nous agrandirencore et encore.Nous serons làoù les réfugiésont besoin denous, mais il

nous faut aussiêtre réalistes.”

Ruud Lubbers, le nouveau Haut Commissaire, partage avec

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exemple, à ce que les normes internatio-nales de protection soient respectées. Maisla protection, c’est aussi l’assistance maté-rielle aux réfugiés — les biens de premierssecours. Celle-ci peut être en grande partieassurée par les ONG. Le HCR jouera un rôlede coordination et veillera à ce que l’effortcommun qui est déployé pour protéger lesréfugiés, comme l’exige son mandat, soit leplus efficace possible.

Qu’en est-il du secteur privé ?Etablir des partenariats avec

d’autres — ONG et entreprises — estune nécessité incontournable. Le sec-teur privé a fourni au HCR et aux réfu-giés un soutien financier et en natureprécieux, qui a permis de satisfaire desbesoins spécifiques dans de nombreu-ses parties du monde. C’est toutefois undomaine qu’il faut encore développer.

On a beaucoup parlé de «lassitudedes donateurs». L’attitude de la communauté internationale a-t-ellefondamentalement évolué ?

Pendant la guerre froide, aider ceuxqui fuyaient de l’autre côté présentaitun avantage politique ou idéologique.Aujourd’hui, ce fond idéologique a dis-paru. Les pays développés voient dansl’issue de la guerre froide la preuve dela supériorité de la démocratie et desmarchés libres. Nous constatons unesorte de lassitude de la compassion. Iln’y a plus de débat idéologique. Les paysdéveloppés semblent dire qu’ils ont prouvéque leur système de démocratie et de mar-ché est le meilleur. Or, aujourd’hui, le pro-blème des réfugiés illustre de manière on nepeut plus flagrante le déséquilibre croissantentre riches et pauvres.

Les personnes déplacées relèvent-elles dela responsabilité du HCR ?

Elles relèvent de la responsabilité de lafamille des Nations Unies et de la commu-nauté internationale. Le HCR a participé àplus de 30 opérations en leur faveur depuisle début des années 70, mais toujours selondes critères spécifiques. Il n’intervientqu’avec le consentement de l’ONU et dupays concerné, et seulement s’il dispose des

ressources nécessaires. Je ne dirai pas que leHCR s’occupera de toutes les personnes déplacées, car je ne pense pas que ce soit sonrôle. Si les personnes déplacées sont dansune situation difficile, alors la communautéinternationale toute entière doit leur tendrela main. L’ONU élabore actuellement uneapproche commune de l’aide aux personnesdéplacées à laquelle je souscris.

Certains disent que l’importance attribuée à l’assistance d’urgence et auxactivités opérationnelles a affaibli le mandat de protection du HCR.

En tant que Haut Commissaire, j’ai pourresponsabilité majeure de protéger les réfu-giés. Il n’y aura pas de compromis. Mon objectif principal c’est la protection, qu’ilfaut préserver et promouvoir. Mais l’assis-tance humanitaire relève aussi de la protec-tion. Parfois, il faut conjuguer protection etassistance pour répondre aux besoins fonda-mentaux. Nous ne pouvons pas, dans une situation d’urgence, négliger les besoins im-médiats. Ceci dit, le HCR a du intervenirlors d’une série de crises au cours de la dernière décennie, et, face à l’urgence, ces

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opérations humanitaires se sont parfois déroulées au détriment d’autres besoins deprotection tout aussi importants. Il est essentiel que la protection constitue notretâche institutionnelle fondamentale.

Vous voulez donc que votre interventionsoit moins déterminée par les crises ?

En effet. Le problème des réfugiés vabien au-delà des crises. Nous voulonsnous concentrer sur les causes, la pré-vention, et le soutien à une bonne ges-tion. Nous devons trouver des solutionsdurables. Nous devons créer un réseaupermettant la mise en place de partena-riats afin d’aider les pays en développe-ment à renforcer leurs structures juridiques. C’est un effort politique et deprévention sur le long terme, et c’est extrêmement important.

Vous avez été assez virulent sur lemanque de soutien de certains pays,notamment les Etats membres del’Union européenne.

Les pays riches se bercent d’illusionss’ils pensent qu’ils vont pouvoir tenir lesdemandeurs d’asile loin de leurs fron-tières en fermant les filières de l’immi-gration et en durcissant les politiquesd’asile, tout en refusant de contribueraux efforts du HCR pour trouver des so-lutions dans les régions d’origine. Il estdans l’intérêt des nations riches de sou-tenir le HCR dans son action à travers lemonde. L’Union européenne se plaint du

nombre croissant de demandeurs d’asile etd’immigrants clandestins, mais elle a enmême temps diminué de façon spectaculai-re ses contributions au HCR. Il y a là un certain manque de logique politique. LeHCR fera de son mieux pour collaborer avecl’Union européenne. J’ai remis à M. Prodi unaide-mémoire décrivant bon nombre de domaines dans lesquels nous avons des intérêts communs. Cela va du renforcementdes institutions en Europe centrale et orientale au processus de Consultationsmondiales sur la protection des réfugiés, enpassant par l’harmonisation des politiquesd’asile au sein de l’UE et les questions relatives à la confusion qui règne entre asileet migration. B

qu’il faut préserver et promouvoir”

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Réfugiés sa vision de l’avenir de l’organisation

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rain, répondre aux besoins minimums desréfugiés est une lutte quotidienne. Les pro-grammes d’enseignement, de soutien, desports, tout ce dont nous connaissons l’im-portance pour des enfants traumatisés, pas-sent à la trappe”, ajoute-t-il.

“L’enveloppe attribuée à l’aide humani-taire n’a pas augmenté avec les besoins”, dé-

plore Christina Linner, qui dirige l’unité desenfants au HCR. “Nous puisons tous aumême pot, or il y a de plus en plus de bouchesà nourrir.”

“Pendant six ans, mon école c’était un wagon de chemin de fer. C’était difficile de se concentrer. En été la chaleur était intenable etl’hiver on n’arrivait pas à se réchauffer.En hiver je portais tous mes habits,deux pantalons, une chemise, unblouson et un bonnet. Après une oudeux leçons dans le froid, les profsnous laissaient partir.”Un étudiant de 17 ans en Azerbaïdjan.

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ÃCommissaire Ruud Lubbers, a engagé uneprofonde réflexion sur son rôle dans lemonde, avec en particulier une étude d’éva-luation de six mois sur ses programmes à l’at-tention des enfants.

Cette étude portera sur des questions defond : où s’arrêtent les limites de compétence

d’une agence comme le HCR ? Quelle partdes ressources doit-on allouer à des pro-blèmes spécifiques ? Certains projets ne dé-tournent-ils pas le HCR de sa fonction pre-mière, la protection internationale ? Quelarbitrage opérer entre les ressources dispo-nibles et les différents programmes, tropnombreux et pourtant tous légitimes ?

Une certaine ambivalence a longtempsrégné au sein de l’organisation sur la ques-tion des enfants : alors que le HCR aide 10millions de jeunes, il y a moins de 10 postesde responsables à plein temps pour s’en oc-cuper et certains programmes d’éducationont été gelés pendant deux ans faute d’en-cadrement.

Mais un observateur affirme qu’aujour-d’hui “tout cela est en train de changer. Lesinstitutions commencent à reconnaître la né-cessité de projets pédagogiques ou autresconçus pour les enfants”.

Cette prise de conscience fait surfacedans une conjoncture peu favorable. Al’heure des restrictions budgétaires, l’une

des grandes interrogations du prochainsommet de l’enfance sera probablement desavoir si les agences comme le HCR dispo-sent des ressources nécessaires ne serait-ceque pour gérer les kyrielles de problèmesdont elles ont la charge, sans parler de pou-voir les éradiquer.

Soren Jessen-Petersen, Haut Commissaireassistant, déclarait lors d’une conférence à lafin de l’année dernière : “Pour chaque dollardont le HCR a besoin, les pays donateurs ver-sent actuellement 80 cents. La différence, les20 cents qui manquent, est invariablementdéduite des fonds qui nous aideraient à offrirun avenir à des enfants, en particulier à tra-vers des programmes d’éducation. Sur le ter-

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Même dans le chaos de la guerre, les enfants sont pleins de ressources et d’endurance, comme ce garçon jouant au beau milieudes ruines, en Bosnie au début des années 90.

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Devenir un enfant soldat

Enfants soldats maniant des armesautomatiques en Sierra Leone, au SriLanka ou ailleurs dans le monde. Dé-

placements massifs de populations fuyant lesconflits armés. Ces images font hélas désor-mais partie d’un paysage familier. Mais unequestion demeure posée : y a-t-il un lien entreces deux accablantes réalités ?

Oui, répond une étude de l’ONU, mieuxconnue sous le nom de rapport Machel, pa-rue en 1996 et consacrée à “L’impact desconflits armés sur les enfants”. Les enfants ouadolescents séparés de leurs familles, notam-ment lors des déplacements de populations,sont particulièrement exposés au risque dedevenir des enfants soldats. C’est la raisonpour laquelle le HCR et d’autres organismeshumanitaires appuient le principe instituantl’âge minimum de 18 ans pour le recrutementforcé de jeunes soldats.

Cette prise de position a donné lieu à unprogramme de formation, “Action pour lesdroits de l’enfant” en faveur des enfants sol-dats (quelque 300 000 mineurs seraient ac-tuellement engagés dans des conflits armés àtravers le monde) et à l’adoption de Principesdirecteurs interdisant l’enrôlement d’enfantsséparés de leur famille lors de déplacementsde populations.

Le rapport Machel note également que lesenfants sans instruction ou très peu instruits,issus de familles très pauvres ou déstructurées,ou vivant dans des zones de guerre, sont parti-culièrement susceptibles d’être enrôlés de forceou «persuadés» de s’engager dans des troupesrégulières, des milices ou des bandes rebelles.

UN LIEN DE CAUSE À EFFETD’autres aspects du recrutement forcé dans

le contexte des déplacements de populations,notamment le départ, volontaire cette fois, decertaines catégories de civils, apparaissent àla lumière du rapport Machel. En effet, les fa-milles aisées essaient de soustraire leurs en-fants au risque d’enrôlement en les envoyantà l’école dans une autre région ou à l’étran-ger, ou encore en déménageant carrément.Le phénomène n’est pas nouveau. Pendant laguerre du Liban, par exemple, et en Afriquedu Sud dans les années 70 et 80, toute unejeunesse voulant éviter l’incorporation a mas-sivement déserté.

Or, en réduisant brutalement le nombred’éventuelles recrues, ce départ des «riches»accroît d’autant les risques d’enrôlement pourles enfants qui restent — les plus pauvres, évi-demment.

Cela n’apparaît peut-être pas dans les statis-tiques de flux démographiques, surtout si lesexilés ont les moyens de se réinstaller ailleurs.Mais l’augmentation du nombre de mineursnon accompagnés et de civils en provenancede zones de conflit parmi les demandeurs l’asileest une conséquence directe du risque de re-crutement des enfants dans l’armée.

Autre problème : fuir les zones de guerrene prémunit pas forcément contre le risquede recrutement forcé. On sait que des milicessévissent dans certains camps de réfugiés, etque les enfants réfugiés sont harcelés au-delàdes frontières. Ainsi, les rebelles turcs du PKKvont chercher des enfants kurdes jusqu’enSuède, en Allemagne et en France.

De toute évidence, protéger les enfants durecrutement dans l’armée doit faire partie in-tégrante de la stratégie générale en matièrede protection. C’est la raison pour laquelle unnouveau Protocole facultatif à la Conventionrelative aux droits de l’enfant exige que tousles Etats, et pas simplement ceux qui sont di-rectement engagés dans les conflits, empê-chent les groupes armés de recruter des en-fants âgés de moins de 18 ans.

En Colombie, les mouvements massifs depopulations sont le résultat de divers facteurs,dont la volonté des parents de soustraire leurs

enfants à l’enrôlement dans l’un ou l’autrecamp, et la désertion d’enfants soldats qui neveulent pas être repris.

Cette situation met en lumière l’un desgrands problèmes que posent la démobilisa-tion et la réinsertion des très jeunes combat-tants : en règle générale, elles interviennentaprès la cessation des hostilités, quoique, dansle cas de la Colombie, la persistance du conflitn’a pas empêché une première démobilisa-tion d’enfants soldats.

Mais une fois cette première étape fran-chie, comment protéger les enfants comme il

se doit ? Commentretrouver leurs fa-milles, elles-mêmespeut-être déplacées ?Et quid des difficul-tés inhérentes àtoute réinsertion so-ciale et économique ?

Par ailleurs, le re-crutement légal demineurs en temps depaix aggrave le risqued’errance pour lesjeunes. Ainsi, l’arméebritannique n’hésitepas à recruter desadolescents de 16 ou17 ans, dont certains

(environ 500 actuellement, selon l’associationAt Ease), finissent un jour ou l’autre par fairele mur et par échouer dans des foyers poursans-abri.

Compte tenu de ce lien de cause à effetentre déplacements de populations et recru-tement dans l’armée, les enfants réfugiés etdéplacés doivent bénéficier d’une protectionrenforcée, notamment à travers les initiativessuivantes : déclaration et enregistrement sys-tématiques de toutes les naissances, préven-tion des séparations familiales et, s’il est déjàtrop tard, mesures de regroupement familial,éducation pour tous (et surtout pour toutes),même pendant les conflits. Sans oublier unélément clé : les enfants doivent connaîtreleurs droits. A nous de jouer.

Rachel Brett est représentante adjointe desQuakers auprès de l’Office des Nations Unies

à Genève.

par Rachel Brett

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De l’exode au combat, il n’y a souvent qu’un pas.

Enfants soldats en Somalie, en 1996.

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La voix de nos enfants

Mon père est mort et ma mère adisparu. Mon cœur saigne. Ma sœurc’est pareil. Je pleure tout le temps

mes parents pour que Dieu les fasse revenir.”Quelque 10 millions d’enfants, dont le jeune

Sierra-Léonais qui a lancé ce cri de détresse,ont été grièvement traumatisés par les guer-res, les autres formes de violence et de persé-cution dont ils ont été les témoins et les vic-times au cours de ces dix dernières années.

Beaucoup passent des années dans descamps de réfugiés ou des pays extrêmementpauvres, sans le moindre soutien psycholo-gique. Et même s’ils ont la chance de trouverun toit accueillant dans un pays prospère telque le Canada, ces adolescents gardent long-temps les cicatrices de leur tragédie.

Guérir est un véritable défi. Pour eux, pourleurs familles, ainsi que pour la communautéqui les accueille, les médecins, les enseignantset les travailleurs sociaux.

Prenons le cas de Toronto, ville cosmopo-lite par excellence, où se côtoient des élèvesde 50 nationalités représentant autant decultures et de langues. Certains traînent der-rière eux un lourd passé de réfugié.

Comment résoudre ce problème ? Que doitfaire l’institution scolaire face à ce genre desituation ? “D’abord, donner aux enseignantsdes outils pour intervenir et aider les enfantstraumatisés” répond Ester Cole, consultanteprincipale à l’International Children’s Institute.“Leur donner des notions de psychologie afinqu’ils sachent reconnaître les schémas trau-matiques, qu’ils apprennent les gestes à faireet les maladresses à éviter.”

Ester Cole a participé à l’élaboration d’unprogramme d’aide sociale et psychologiquebaptisé Building Bridges, une compilation des

meilleures idées dites de «bonne pratique»nées d’une série de discussions avec les enfants,les parents, les éducateurs, les travailleurs so-ciaux et les équipes de santé mentale, déjà ap-pliqué avec succès dans six écoles de Toronto.

Les artisans du projet ont rapidement écar-té l’option des consultations cliniques pour lesenfants. “On ne peut pas s’attendre à ce qu’uneréfugiée s’aventure à l’autre bout de la villeen autobus avec toute sa famille pour aller ra-conter ses ennuis à un parfait inconnu par lebiais d’une interprète”, note un médecin.

ECOUTER POUR GUÉRIR“Nous avons préféré un programme com-

munautaire articulé autour de l’école” expliqueDavid Gladstone, directeur d’école à la retraiteet consultant à l’Institut, “en commençantd’abord par écouter les enfants perturbés.”

Et que veulent-ils, ces enfants ? Ce que veu-lent tous les enfants : avoir des amis, faire dusport, réussir à l’école, maîtriser l’anglais, sesentir en sécurité. Building Bridges s’est cons-truit sur ces principes : répondre à toutes les at-tentes, démarginaliser les enfants traumatisés,et faire partager en même temps cette intan-gible notion appelée sentiment d’appartenance.

Un certain nombre d’activités scolaires ontété spécifiquement conçues pour accompa-gner l’action de soutien des enseignants sanspour autant alourdir les programmes : lesgroupes baptisés “Mes copains à moi” favori-sent les amitiés et les rapprochements cultu-rels ; “Je peux créer”, “Histoires pour l’école”,“Nous aimons jouer” sont des séances de libreexpression qui aident les enfants à évacuerleur stress, à reprendre confiance et à s’affir-mer ; “Changer et échanger” les encourage àparler de leurs difficultés personnelles, no-tamment s’ils sont brimés ou ridiculisés parleurs camarades.

Mais, comme l’explique David Gladstone,Building Bridges ne peut réussir que si toutel’école se mobilise. C’est pourquoi l’Institut apublié des guides et organisé des ateliers deformation à l’intention des directeurs d’écoleet des enseignants, parents d’élèves et asso-ciations communautaires.

Le programme donne des résultats si en-courageants qu’il a été repris dans d’autresécoles de Toronto et qu’il est appliqué jusqu’enEurope.

Miriam Di Giuseppe, elle aussi ex-direc-trice d’école et consultante pédagogique àl’Institut, faisait partie de l’équipe qui a adaptéla formule pour la Croatie, la Bosnie-Herzé-govine et l’Albanie.

Elle s’est rendue en Bosnie pour participerà une conférence intitulée “La voix de nos en-fants” et raconte : “Les élèves ont pu pour lapremière fois s’exprimer en toute liberté de-vant les adultes. Une véritable révélation pourdes enseignants peu habitués à être à l’écoutedes enfants, et pour moi une preuve supplé-mentaire que l’école devait être un lieu de ca-tharsis thérapeutique où l’enfant peut se li-bérer de tout ce qui le perturbe.”

L’Institut prépare un guide intitulé Cros-sing Bridges for children in refugee camps, quireprend la plupart des objectifs et stratégiesde Building Bridges, mais dans une perspec-tive plus large de mise en œuvre concrète dedispositifs d’aide sociale et psychologique dansles camps de réfugiés, et avec toujours lemême objectif : la guérison et l’épanouisse-ment de l’enfant, par l’apprentissage, le jeu etl’amitié.

Pour toute information complémentaire surl’ International Children’s Institute, se reporterà son site internet www.icichildren.org

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par Nanda Na Champassak

Le Canada initie avec succès un programme pour des jeunes réfugiés traumatisés.

L’éducation, sur laquelle Soren Jessen-Petersen a insisté dans son allocu-tion, constitue l’un des cinq domaines

désignés prioritaires par le HCR. Les quatreautres sont les enfants séparés de leur famille,l’exploitation sexuelle, le recrutement mili-taire, et la situation particulière des adoles-cents, largement ignorée — ce passage per-

turbant de l’enfance à l’âge adulte, où toutpeut basculer mais où les jeunes sont pleinsde ressources.

Carol Bellamy confirmait à Réfugiés queson agence, comme bien d’autres, consacraitdésormais plus de fonds à l’éducation. “Dansl’urgence qu’il y avait à nourrir et abriter lesenfants, nous avons peut-être eu tendance à

négliger cet aspect, nous essayons d’y remé-dier. L’éducation est stratégique pour préve-nir les conflits, combattre l’intolérance et as-surer les conditions propices à la paix.”

De plus en plus, les organisations huma-nitaires voient en l’école un outil qui permetde surmonter tout un cortège de problèmesconnexes.

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21R É F U G I É S

Mais même si l’on s’accor-de à reconnaître l’importancede l’enseignement, il serait cependant irréaliste de pré-tendre avoir accès aux 25 mil-lions de mineurs actuelle-ment déracinés car la plupartvivent dans des camps de ré-fugiés tentaculaires ou despays dévastés par la guerre,comme l’Angola, loin desécoles et des manuels sco-laires.

En 1990, quelque 320 000enfants réfugiés ont pu aller àl’école grâce au HCR. Les der-nières estimations indiquenten l’an 2000 un progrès en-

courageant, avec un million d’élèves sur cinqmillions en âge scolaire. Pourtant cette mo-deste embellie cache d’immenses lacunes,notamment au niveau de l’enseignement su-périeur auquel de trop rares jeunes garçonsou filles ont accès.

A l’occasion de son 50e anniversaire, le

“La vie c’est une salle de classe avec des camaradesheureux. Le soleil. Une ruesans fusils et un champ sans mines. Le calme. Unemaison avec une mère et unpère, des frères et dessœurs.”Une fillette afghane réinstalléeen Europe de l’Ouest.

Tous les enfants, on le sait,ont besoin de suivre uneformation scolaire et pro-

fessionnelle pour forger leur vied’adulte. Pour les réfugiés, ce be-soin est vital. L’éducation leur estdoublement indispensable, soitpour les aider à reconstruire leur vie, leurcommunauté et leur pays s’ils rentrent chezeux, soit pour les aider à se réinstaller dansun autre pays.

L’éducation n’est pas seulement un droithumain fondamental défini par la Conven-tion relative aux droits de l’enfant, c’est aussi,pour les responsables du HCR, un précieux

«instrument de protection». Le simple faitd’aller à l’école constitue la première étapevers la stabilisation et le retour à la normaledans une situation chaotique, car les enfantsne sont pas dans les rues, exposés à l’exploi-tation sexuelle ou à l’enrôlement forcé —l’exemple même d’une protection efficace desréfugiés. Ã

Classe de soutien psychologique pour des enfants géor-giens, organisée par l’une des agences partenaires du HCR.

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Les plus chanceux vont pouvoir rentrer chez eux. Ces réfugiés rwandais attendent leur rapatriement, dans un centre de transitau Zaïre, en 1997.

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Le jour où Kuol Jok et ses quatre ca-marades sont arrivés à Richmond, mo-deste localité de l’Etat de Virginie, leur

première réaction a été de filer au centre-villevoir à quoi ressemblait leur pays d’adoption,cette Amérique qu’ils ne connaissaient que denom. Encore étourdis par leur long voyage, ilsont marché des heures, éberlués, ivres de bruitset d’images, admirant pêle-mêle les coquettesmaisons entourées de pelouses, les supermar-chés (toute cette nourriture !), les escaliers mé-caniques, les tours abritant des bureaux, les au-toroutes et les embouteillages. Jamais de leurvie ils n’avaient vu autant de voitures.

Une vision moins attrayante, mais plus fa-milière, les attendait à leur retour dans leurquartier ce soir-là. Un voisin soupçonneux,qui les avait vus s’escrimer sur la serrure deleur porte d’appartement dans la matinée, avaittéléphoné au commissariat, et les policiersétaient là. Il y eut un petit moment de flotte-ment. Papiers, questions, coups de fil à droiteet à gauche. Assis par terre, les cinq jeunesSoudanais attendaient. Les vérifications pri-rent un certain temps, mais finalement ils nefurent pas inquiétés. Il s’agissait d’un simplemalentendu.

BIENVENUE EN AMÉRIQUE !L’incroyable odyssée de Kuol Jok, 21 ans, dé-

bute en 1987 dans l’hostile savane du Sud-Sou-dan, dévastée et vidée de sa population pardes années d’affrontements entre l’armée ré-gulière et les factions rebelles. Kuol a dû par-tir, comme tant d’autres. Au terme d’unelongue errance dans les vastes étendues de lacorne de l’Afrique, il a rejoint une colonne dequelque 12 000 enfants âgés de 7 à 14 ans etest arrivé avec eux au Kenya, où il a vécu desannées dans un camp de réfugiés. Il faisaitalors partie de ceux qu’on appelait «les gar-çons perdus du Soudan».

En 2000, les Etats-Unis ont accepté d’ac-cueillir quelque 3600 adolescents qui avaientperdu leurs parents — morts ou disparus. Lesjeunes exilés vont être progressivement ré-

partis dans 10 Etats américains par petitsgroupes, dans le cadre du plus ambitieux pro-gramme de réinstallation de mineurs jamais

entrepris par Washington depuis la fin de laguerre du Viet Nam.

Pour des enfants qui semblaient condam-nés à rester, au mieux, des réfugiés perma-nents, ce saut dans l’inconnu était extrême-ment périlleux. Mais aujourd’hui, ils peuventenvisager l’avenir avec confiance, étudier, tra-vailler, se lancer dans la vie. Beaucoup d’autresenfants encore réfugiés ou déplacés ne peu-vent pas en dire autant…

L’histoire de Kuol Jok, jeune paysan de la ré-gion de Bor, au Sud-Soudan, ressemble à cellede tous les «garçons perdus» : une mère tuéelors d’un raid sur le village, un frère aîné mortdans les mêmes circonstances un an aupara-vant, l’exode hallucinant d’un garçon de septans, des semaines d’errance au milieu d’unehorde dépenaillée d’enfants en fuite, les feuilles

et même la terre ingurgités à pleines poignéespour tromper la faim. Kuol raconte encore entremblant la traversée des rivières, les enfants

qui ne savaient pas nager, les noyades, nom-breuses, et les petites mains tendues dans undernier appel avant de disparaître au milieudes remous.

Le jeune exilé finit par trouver un refugetemporaire en Ethiopie. Mais la guerre civilene tarda pas à éclater là aussi, et les réfugiésdurent reprendre la direction du Soudan. L’ er-rance recommençait. Un jour, Kuol retrouvaenfin son frère cadet, Elijah, qu’il n’avait pasvu depuis quatre ans. “Il m’a dit que notre vil-lage avait été rasé et que notre père et notrepetite sœur étaient morts. Cette nouvelle m’aanéanti. J’étais content de revoir mon frère,mais j’en ai pleuré de rage et de désespoir.”

Les deux garçons finirent par se joindre aux12 000 autres enfants qui avaient échappé àl’enrôlement forcé dans l’Armée de libération

La guerre,l’exode… et la pizza !

par Panos Moumtzis

Le Nouveau Monde d’un petit groupe d’adolescents soudanais réfugiés.

Pour les «garçons perdus» du Soudan, c’est le début d’une nouvelle vie…

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du Soudan en raison de leur très jeune âge etqui se dirigeaient vers le Kenya. Ils finirentpar s’arrêter à Kakuma, qui allait devenir leplus grand camp de mineurs non accompa-gnés du monde. Certains de leurs compagnonsd’infortune avaient parcouru quelque 2000kilomètres à pied, l’équivalent de la distanceentre Paris et Rome.

Passer huit ans dans un gigantesque campde réfugiés perdu au milieu d’une plaine pous-siéreuse du nord du Kenya ne prépare pas vrai-ment à la vie en Amérique. “Nous leur avonsenseigné quelques notions de base, puis il afallu leur apprendre à faire la vaisselle, se ser-vir de la douche, ouvrir un compte en banque,

utiliser le téléphone” explique Kathleen Jack-son, directrice régionale des services d’immi-gration et d’aide aux ré-fugiés du diocèsecatholique de Rich-mond.

Pour la premièrefois de leur vie, lesjeunes Soudanais ontl’électricité et l’eaucourante. Leur loge-ment n’ a rien à voiravec la hutte en terreséchée qu’ils s’étaient bricolée dans le campde réfugiés. Après huit longues années d’unrégime spartiate de haricots, maïs, huile etsorgho (2000 calories par jour), ils ont décou-vert avec ravissement les spaghetti, pizza,

glaces et chocolat qui font l’ordinaire des Amé-ricains et ont eu, naturellement, quelques pro-blèmes de digestion, du moins au début…

L’apprentissage d’un certain «protocole» so-cial, allait aussi poser quelques problèmes.Serrer la main pour dire bonjour, être com-mandé ou conseillé par une femme, tout étaittrès nouveau pour les jeunes Africains. Ils sesont cependant rapidement adaptés auxmœurs américaines.

LE TRUC BLANCElijah n’avait jamais vu de neige avant d’ar-

river à Richmond, et c’est avec beaucoup d’ap-préhension qu’il a touché pour la première fois

ce «truc blanc bizarre». Son frère aîné, lui,garde un souvenir ébloui de sa première

séance de cinéma, de ladécouverte de l’ordina-teur et de sa visite à laMaison Blanche à l’oc-casion de Noël. “J’auraisvoulu avoir des yeux àl’arrière de la tête pourtout voir” raconte-t-il enévoquant cette journéemémorable.

Comme il était l’undes plus âgés du groupe, Kuol a immédiate-ment été recruté en tant que menuisier dansune fabrique de meubles. Il travaille six jourspar semaine et économise pour payer ses fraisde scolarité, des cours d’anglais dans un pre-

mier temps. Car si les jeunes Soudanais reçoi-vent des aides pour le moment (bons d’ali-mentation et soins médicaux gratuits), ils sontcensés devenir autonomes dès que possible.

Bien que habitant l’un et l’autre à Richmond,les deux frères ne vivent pas ensemble. Elijaha en effet été placé dans un foyer d’adolescents.Il va à l’école secondaire de Meadowbank. Audébut, les élèves afro-américains se moquaientdes Soudanais, qu’ils trouvaient «noirs commedu charbon». Il y a eu des tensions, des dis-cussions franches et parfois vives. Puis leschoses sont rentrées dans l’ordre, surtout de-puis qu’Elijah et ses copains se sont mis au basket-ball.

“Ils sont disciplinés, bien élevés et s’entrai-dent beaucoup” fait observer Norma Roberts,l’un de leurs professeurs, “mais ils sont commetous les petits Américains — ils doivent d’abordapprendre à gérer leur temps et à faire leursdevoirs !”

Les habitants du quartier sont tout aussi im-pressionnés par la politesse des jeunes Souda-nais et leur soif de s’instruire et d’apprendrel’anglais. “Les gens réagissent formidablementbien” confie Mei Leng Lau, coordonnatrice bé-névole du diocèse catholique ; “ils veulent tousfaire quelque chose pour aider ces jeunes. Nousavons reçu des montagnes de dons, des vête-ments tout neufs, des chaussures, de l’argent,des offres de services, et j’en passe.”

L’arrivée de neuf jeunes Soudanais au Vir-ginia Group Home for Boys a eu une consé-quence assez inattendue : elle a calmé certainsjeunes pensionnaires particulièrement diffi-ciles. Explication du directeur, ChristopherShultz : “Ils donnent le bon exemple. Leur dis-cipline, leur courtoisie et leur calme impres-sionnent beaucoup nos têtes brûlées.” Grâceau centre, ils seront exemptés de frais de sco-larité s’ils décident d’étudier dans une uni-versité de Virginie après le secondaire.

Ces jeunes ex-réfugiés au destin exception-nel semblent donc enfin tirés d’affaire. Maisavec un bémol, s’inquiète Guenet Guebre-Christos, déléguée du HCR aux Etats-Unis.Car s’ils se laissent entraîner dans une rixegrave ou commettent la moindre infraction,ils tombent sous le coup des lois sur l’immi-gration, et dès lors ni leurs antécédents ni leurhistoire ne les protègeront contre l’expulsion,voire de longues peines de prison. Une réalitéque semblent ignorer les jeunes Soudanais etles membres de leur entourage.

Il est vrai qu’ils ne songent guère à s’attirerdes ennuis, trop heureux de savourer leurchance, leur logement chauffé, leurs ordina-teurs dernier cri et la pizza. Richmond est loin,très loin, des plaines parcheminées du Sud-Soudan. B

… après la neige, Elijah découvre l’Internet avec son professeur.

Aujourd’hui,ils peuvent envisagerl’avenir avec confiance.

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HCR a fait un petit pas pour tenter de remé-dier à ce déséquilibre, en créant à la fin del’année dernière le Fonds pour l’éducationdes réfugiés, qui financera des études secon-daires. “L’éducation devrait être une pro-messe, et non un rêve”, avait déclaré SadakoOgata, alors Haut Commissaire.

Mais même lorsque les jeunes accèdent àl’enseignement, des pressions, subtiles et dis-crètes, viennent compliquer la tâche.

En Ouganda, par exemple où un excel-lent programme de scolarisation avait été misen place dans le nord du pays. Si excellent, enfait, que des enfants du Soudan voisin tra-versaient la frontière et se faisaient passerpour des réfugiés rien que pour pouvoir as-sister aux cours.

“Kou Ka, âgé de quatre ans, et Sia Ya,six ans, menaient leur buffle au pâturage quand ils virent un «ballon»dans le fossé. Sia Ya le lança à sonfrère. La bombe explosa, tuant les deuxenfants et blessant un homme à vélo.”Un incident comme on en voit souvent auCambodge.

Quand des jeunes réfugiés au Ban-gladesh ont obtenu une boursed’études supérieures, cela a entraîné

un sentiment de ressentiment parmi lesjeunes de la capitale qui, eux, n’auraient ja-

mais cette chance. Dans certains pays isla-miques très traditionalistes, où les petitesfilles ne vont pas forcément tous les jours àl’école, on encourage les parents à les envoyeren classe en leur offrant, par exemple, des ra-tions d’huile supplémentaires.

Le contenu des programmes scolaires doitaussi être contrôlé pour éviter que les écolesne deviennent ce que Graça Machel appelle«des foyers de haine» qui perpétuent et pro-pagent les préjugés contre les voisins ou lesanciens ennemis (lire page 8).

La session spéciale de l’ONU qui seraconsacrée aux enfants “ne va pas tout résou-dre, prévient Carol Bellamy. Nous n’allonspas trouver la formule magique qui fera dé-poser les armes ou libérer les enfants kid-nappés, mais il est clair qu’on ne peut plus sesatisfaire de la situation actuelle.”

Graça Machel appelle à des changementsradicaux dans les dix ans à venir.

L’assistance aux enfants doit prendre unenouvelle forme et inclure, en plus des vivreset de l’eau, des équipements pédagogiques et sportifs. “Ça ne coûte pas grand-chosed’ajouter 1000 ballons de foot ou des ballesde tennis dans les kits d’urgence, alors quecela représenterait tant pour les enfants”, déclare-t-elle.

L’aide aux mineurs devrait être plus équi-tablement répartie à travers le monde, et bé-néf icier notamment aux pays les pluspauvres. Les nations qui bafouent ouverte-

ment les conventions in-ternationales devraientpayer un prix bien plusélevé que celui d’un em-barras politique, plaide-t-elle.

Sur le plan du droitinternational, il est ques-tion d’étoffer la Conven-tion de Genève de 1951relative aux réfugiés avecun protocole facultatifsur la protection des en-fants.

A l’avenir, les organi-sations se disent prêtes àencourager les jeunes àparticiper à l’élaborationde projets de santé, d’édu-cation et autres qui lesconcernent.

Christina Linner, auHCR, estime que si lesagences ont réussi à ré-duire les gaspillages dusaux rivalités qui règnentau sein du milieu huma-

nitaire, une meilleure coordination et unecollaboration accrue les rendraient plus effi-caces. “Il n’existe toujours pas de répartitionclaire des tâches pour aider les enfants. Beau-coup de travail reste à faire dans ce domaine”,ajoute-t-elle.

Moins de conférences, moins de discourset plus d’actions en faveur des enfants, telsemble être l’un des objectifs du nouveaumillénaire.

“Si l’on avait mis en œuvre ne serait-ceque la moitié des résolutions que nous avonsadoptées, nous n’aurions pas à rougir de la si-tuation, conclut Graça Machel. Il est tempsde mettre les discussions en veilleuse et depasser à l’action.”

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Enfin de retour chez soi : Kosovo, 1999.

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“Si nous sommesl’avenir et que noussommes en train demourir, il n’y a plusd’avenir.”

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Les«enfants réfugiés»

R É F U G I É E T U T S I E1995

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S E B A S T I Ã O

S A L G A D O

T É M O I G N A G E E N I M A G E S

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R É F U G I É PA L E S T I N I E N , C A M P D E E I N E L - H E LW ÉL I B A N 1998

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R É F U G I É E C A M B O D G I E N N E , C E N T R E D E D É T E N T I O N , I N D O N É S I E1995

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R É F U G I É E K U R D EI R A Q 1997

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R É F U G I É R WA N D A I SZ A Ï R E 1997

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R É F U G I É KO S O VA RA L B A N I E 1999

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R É F U G I É E TA D J I K EA F G H A N I S TA N 1996