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Voltaire, Jeannot et Colin, 1764 Support : Extrait de Jeannot et Colin, Voltaire, 1764

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Page 1: Voltaire, Jeannot et Colin, 17641s2descartes.free.fr/FO1Sq1Se5.pdf · Dans la nouvelle Jeannot et Colin, Voltaire, partisan des sciences et du progrès, présente Monsieur et Madame

Voltaire, Jeannot et Colin, 1764

Support : Extrait de Jeannot et Colin, Voltaire, 1764

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Introduction : François-Marie Arouet nait en 1694 et meurt en 1778. Il nait à Paris dans un milieu bourgeois. Il fait ses études au collège jésuite de Clermont où il est un brillantissime élève. Il fait ensuite des études de droit. En 1717, il est emprisonné à la Bastille et écrit contre le Régent. Il prend le pseudonyme de Voltaire, anagramme de AROUET LE JEUNE (AROVET LE IEUNE). Voltaire connait d’abord la célébrité au théâtre et grâce à l’épopée. Après un nouveau séjour à la Bastille, en raison de son insolence, il s’exile en Angleterre et écrit Les Lettres philosophiques (1734). Il revient en France où il s’installe en Lorraine. Il travaille assidument et devient à la fois un personnage redouté et admiré à la fois. Il est admiré dans l’Europe entière, notamment avec Frédéric II de Prusse, chez qui il se réfugie. Dans toutes les cours d’Europe, on parle le français. En 1753, il s’installe près de Genève, à Ferney (en France). Il écrit des contes philosophiques, pleins d’esprit et virulents : Jeannot et Colin (1764), Zadig (1747), Micromégas (1752), Candide (1759), L’ingénu (1767). Il collabore également à L’Encyclopédie, il se lance dans une campagne contre toutes les formes de fanatisme. Il devient un véritable héros de la tolérance. En 1778, il revient à Paris de manière triomphale et meurt quelques semaines plus tard. Dans la nouvelle Jeannot et Colin, Voltaire, partisan des sciences et du progrès, présente Monsieur et Madame de la Jeannotière et leur fils. Ce sont des nobles de fraiche date, arrivés depuis peu à Paris. Ils souhaitent donner une instruction à leur fils qui convienne à son rang. Il y a deux autres personnages : le gouverneur et un auteur sont consultés sur l’éducation qu’il importe de donner au jeune homme. Problématique : En quoi ce texte présente-t-il une parodie de débat sur l’éducation ? Axes de lecture : 1. Un regard ironique 2. Qu’apprendra le jeune marquis ?

I- Un regard ironique 1) Les participants au débat

Il y a cinq personnages qui participent au débat, dont un muet. Ils sont présentés de manière ridicule et caricaturale : « auteur qui était célèbre alors par des ouvrages agréables » (l. 5-6), « bel esprit » (l. 11) (antiphrase), « gracieux ignorants » et « aimable ignorant » : oxymores. Cela montre la stupidité du personnage. Le gouverneur doit avoir des connaissances mais celui-ci est « un homme de bel ai qui ne savait rien » (l. 3). Ce précepteur soutient une opinion contraire à celle qu’on attendrait de lui. Il va faire le procès de toutes les sciences, même les plus reconnues. Monsieur et Madame de la Jeannotière sont naïfs : ils ne comprennent pas mais sont d’accord. Ils sont manipulés. Voltaire accentue certains traits : ils sont caricaturés par leur facilité à se laisser convaincre : « Monsieur, ébloui de ces raisons, passa condamnation » (l.23), « Madame fut entièrement de l’avis du gouverneur » (l. 43). Les personnages ont des attitudes mécaniques, des sortes de pantins, particulièrement Monsieur de la Jeannotière : il suit sa femme. Le narrateur observe un certain recul par rapport aux personnages : les parents et leur fils « jeune marquis », « Monsieur », « Madame », « le maître de la maison », le père », « la mère », « Madame la marquise ») sont désignés par des termes respectueux mais sont pleins d’ironie. Le nom « Jeannotière » conserve le diminutif du prénom de Jean, ce qui montre qu’ils n’ont rien compris et restent dans le milieu populaire.

2) La position du narrateur Il rend ses personnages ridicules en faisant ressortit, dans les commentaires indirects, les paradoxes et l’absurdité. Dans la première réplique, il n’y a aucun connecteur logique, ce qui signifie que cette argumentation ne tient pas debout. Les arguments, qui n’en sont en fait pas, ne sont pas reliés entre eux. Cicéron, Horace et Virgile, auteurs incontournables, contrairement à ce que dit le gouverneur, ce n’est pas une perte de temps pour le narrateur. Les considérer comme une perte de temps, c’est montrer son inculture et sa stupidité.

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Charlemagne, personnage historique, est désigné que par son nom alors que le petit marquis es t valorisé par « Monsieur votre fils ». Charlemagne a institué « les 12 pairs de France », c’est la création de la noblesse française. Le narrateur ne commente pas la stupidité de Madame et Monsieur de la Jeannotière mais l’indique de manière ironique : « Monsieur et Madame n’entendaient pas trop ce que le gouverneur voulait dire, mais ils furent entièrement de son avis » (l. 74-75). La chute renforce l’ironie « monsieur le marquis apprendrait à danser ». Le lecteur a la charge de comprendre l’ironie du débat qui n’en est pas un. Interrogation partielle : « Qu’apprendra-t-il donc » (l. 25-26) de Monsieur de la Jeannotière à l’auteur. Il attend une réponse mais répond lui -même sous la forme d’une question. Ces questions font suite à trois questions de sa femme « n’avais-je pas raison » question interronégative et oratoire. Elle a raison alors qu’elle n’a pas ouvert la bouche. Nouvelles questions rhétoriques avec un parallélisme « joue-t-on… »//« plaide-t-on… » auxquelles la réponse est non. Ces trois questions montrent que Madame de la Jeannotière est convaincue de l’inutilité du latin. Elle pose ces questions pour convaincre son mari, qui donne de suite son accord. Cela montre la soumission du mari à sa femme. Nouvelle interrogation partielle : « que faudra-t-il donc apprendre à mon fils » (l. 45). La marquise revient sur le même thème (l. 103-104) : « mais enfin, que lui apprendra-t-on ». Ils se laissent finalement convaincre face au gouverneur et à l’auteur qui cherchent à convaincre par des questions rhétoriques en série (l. 27-30 ; l. 37-42 ; l. 56 ; l. 61-63 et l. 94-99) qui sont une marque de désaveu du narrateur vis-à-vis des personnages et du discours qui tiennent.

II- Qu’apprendra le jeune marquis ? 1) Les disciplines rejetées pour l’éducation du jeune marquis

Le programme d’éducation est basé sur l’examen du point de vue de leur utilité. Les disciplines ne sont pas toujours proposées par le même personnage. Le latin est proposé par le père ; il propose également la géographie et l’astronomie. Le gouverneur propose les arts et la géométrie. La mère propose l’histoire et le blason. Ces disciplines sont tantôt écartées par le gouverneur, tantôt par l’auteur célèbre. Le latin est rejeté car « on parle beaucoup mieux sa langue quand on ne partage pas son applicati on entre elle et les langues étrangères ». Il gène la pratique de la langue maternelle. Il rend pour responsable l’absence de l’apprentissage du latin pour l’esprit agréable. Lorsqu’on est en contact avec autrui, il ne sert à rien de connaître le latin. La marquise vient ici en aide au gouverneur. Si ça ne sert à rien, c’est donc une perte de temps de l’étudier. La géographie et l’astronomie sont repoussées par le gouverneur : « à quoi cela lui servira-t-il ? », « Quelle pitié ! » d’apprendre l’astronomie. « Les postillons » sauront la géographie. « L’almanach » l’aidera au lieu d’apprendre l’astronomie. Pour étayer son rejet, le gouverneur utilise des évaluatifs et des modalisateurs : « Quelle pitié ! », « Monsieur le marquis se tue à… » (hyperbole) qui montre la difficulté et l’inutilité de ces sciences. Pour pallier son ignorance de la géographie, il aura des « postillons » (cochers) et pour l’astronomie, il aura un objet, l’almanach. L’histoire suit le même chemin : elle est également écartée. L’auteur écarte cette matière : il prend le relais du gouverneur pour parfaire son œuvre. Tels que Monsieur et Madame de la Jeannotière, le gouverneur et l’auteur sont tous deux interchangeables. Cette réplique est construite comme la dernière réplique gouverneur : « Hélas ! » fait écho à « Quelle pitié » ainsi que deux questions rhétoriques « à quoi cela lui servira-t-il ? » avec « à quoi cela est-il bon ? ». Il faut éliminer l’histoire : on utilise donc un vocabulaire dévalorisant. Histoire ancienne : « ne sont que des fables convenues » ; l’histoire moderne est compliquée et confuse. Il y a un type d’histoire qui est épargné par l’auteur : « l’histoire du jour », c’est-à-dire les potins mondains. Lorsque l’un argumente, l’autre approuve et renchérit : « Rien n’est mieux dit ! » (l. 64). Le gouverneur écarte la géométrie par des termes péjoratifs : « ridicule », « mauvaise plaisanterie ». Superlatif de supériorité : « la plus absurde », « la plus capable d’étouffer ». Hyperbole : « cent mille lignes » (l. 70). Le gouverneur continue avec « dessécher le cerveau », « vaines études » : vocabulaire encore péjoratif.

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La généalogie est écartée : il demandera cela à « un bénédictin ». Le gouverneur les flatte : « antiquité de sa noblesse ». Il n’y a pas besoin d’apprendre : avec l’argent, il achètera les services du géomètre, du bénédictin, d’un peintre, d’un musicien, d’un architecte, d’un sculpteur. La véritable explication du rejet de toutes ces sciences est qu’avec sa fortune, il pourra tout acheter. Ces sciences sont inu tiles puisque l’argent tient lieu de tout dans toutes les situations, même le goût et les connaissances. L’argent remplace l’étude pour acquérir des connaissances. La marquise va de nouveau acquiescer les rejets en reprenant le vocabulaire péjoratif employ é par l’auteur et le gouverneur pour la géométrie et les arts : « étude de tous ces fatras », « éteindre son génie ». Elle est totalement séduite par l’abandon de ces matières. La dernière matière proposée par la marquise est le blason. Cette matière est valorisée par des superlatifs mélioratifs : « la plus agréable » (l. 106), « science très profonde » (l. 113), « c’était la chose la plus utile » (l. 115). Le blason est cependant écarté : « elle n’est plus à la mode », « cette étude serait infinie » (l. 116). Cette étude est également d’une vulgarité achevée : elle ne permet plus de distinguer « un barbier » d’un noble.

2) Une éducation réduite à l’art de danser Le but de l’éducation du marquis est qu’elle va lui permettre de s’intégrer à la cour, c’est -à-dire sa réussite mondaine. Dès le début du texte, les parents insistent sur les milieux qu’il fréquentera. L’ami est invité à dîner par sa présence à la cour, évoquée par « la cour » (l. 9), « le monde » (l. 20), « le beau monde » (l. 102-103) par les parents et par l’ami : « la société » (l. 94), « bonne compagnie » (l.96). Ces expressions désignent l’élite sociale où « l’honnête homme » (l. 97) se livre à des divertissements : théâtre, opéra… Il s’occupe de manière frivole : il se remplit l’estomac (« le souper » (l. 98)). Le jeune marquis ne fréquente pas encore la cour : il veut s’y faire admettre. Il faut donner au petit marquis les « moyens de plaire ». Il doit « briller dans l’occasion ». « S’il sait les moyens de plaire, il saura tout » (l. 47-48) : il faut se donner les moyens de se faire aimer. Monde de l’éphémère et de l’apparence. Ce qui compte, c’est « l’histoire du jour », seule chose « d’agréable et d’utile » (l. 57-58). Tout ce qui nécessite un effort de réflexion, tout ce qui n’est pas immédiat va être balayé. La conclusion est prévisible : elle est extrêmement courte, brève. Le narrateur ne nous fait pas part du débat complet : ellipse narrative. Toutes les sciences ont été examinées et toutes ont été rejetées. Le programme d’éducation est restreint à l’art de la danse : c’est un loisir, qui vise à se divertir. C’est un art démonstratif, qui se pratique en public. C’est un art également physique composé de pas, de figures ; c’est un art mécanique et répétitif, codifié. Il met uniquement en cause la mémoire, permet de séduire et de mettre son corps en valeur. « La grande fin de l’homme est de réussir dans la société ». Conclusion : Voltaire dénonce ici avec talent et ironie, une « éducation » qui vise ni à faire une tête bien pleine (Rabelais), ni une tête bien faite (Montaigne). Cette anti-éducation présente le seul mérite de permettre au petit marquis de mieux s’intégrer et d’évoluer dans une société où l ’argent de ses parents lui a déjà acheté une place.