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Extraits de romans grecs : quelques passages à rapprocher de Daphnis et Chloé. 1. Le prologue : Achille Tatius, Leucippe et Clitophon I, 1-2 2. La naissance de l’amour : 1. rencontre de Chéréas et Callirhoé (Chariton) 2. rencontre de Théagène et Chariclée (Héliodore) 3. coup de foudre de Clitophon pour Leucippe (Achille Tatius, I, 4-6) 4. Xénophon d’Éphèse : Anthia et Habrocomès 3. Le discours amoureux : Achille Tatius, Leucippe et Clitophon 1. II, 5-6 : l’amour vainqueur 2. II, 7 : la piqure d’abeille 3. II, 8-9 : magie du baiser 4. II, 37-38 : dialogue argumentatif : quel est le meilleur baiser ? 4. un exemple de digression savante : le mythe de la syrinx (Achille Tatius, VIII, 6 ) Les textes grecs sont empruntés au site Hodoi elektronikai , ainsi que les traductions sauf celles du livre II d’Achille Tatius. 1. Début des Aventures de Leucippe et Clitophon d’Achille Tatius Texte grec (livre 1, chapitres 1 et 2.) À Sidon, port de Phénicie. [1,1] … περιιὼν οὖν καὶ τὴν ἄλλην πόλιν καὶ περισκοπῶν τὰ ἀναθήματα, ὁρῶ γραφὴν ἀνακειμένην γῆς ἅμα καὶ θαλάσσης. Εὐρώπης ἡ γραφή · Φοινίκων ἡ θάλασσα · Σιδῶνος ἡ γῆ, ἐν τῇ γῇ λειμὼν καὶ χορὸς παρθένων. Ἐν τῇ θαλάσση ταῦρος ἐνήχετο, καὶ τοῖς νώτοις καλὴ παρθένος ἐπεκάθητο, ἐπὶ Κρήτην τῷ ταύρῳ πλέουσα. Ἐκόμα πολλοῖς ἄνθεσιν ὁ λειμών · δένδρων αὐτοῖς ἀνεμέμικτο φάλαγξ καὶ φυτῶν · συνεχῆ τὰ δένδρα, συνηρεφῆ τὰ πέταλα · συνῆπτον οἱ πτόρθοι τὰ φύλλα, καὶ ἐγίνετο τοῖς ἄνθεσιν ὄροφος ἡ τῶν φύλλων συμπλοκή. Ἔγραψεν ὁ τεχνίτης ὑπὸ τὰ πέταλα καὶ τὴν σκιάν καὶ ὁ ἥλιος ἠρέμα τοῦ λειμῶνος κάτω σποράδην διέρρει, ὅσον τὸ συνηρεφὲς τῆς τῶν φύλλων κόμης ἀνέῳξεν ὁ γραφεύς. Ὅλον ἐτείχιζε τὸν λειμῶνα περιβολή · εἴσω δὲ τοῦ τῶν ὀρόφων στεφανώματος ὁ λειμὼν ἐκάθητο. Αἱ δὲ πρασιαὶ τῶν ἀνθέων ὑπὸ τὰ πέταλα τῶν φυτῶν στοιχηδὸν ἐπεφύκεσαν, νάρκισσος καὶ ῥόδα καὶ μύρριναι. Ὕδωρ δὲ κατὰ μέσον ἔρρει τοῦ λειμῶνος τῆς γραφῆς, τὸ μὲν ἀναβλύζον κάτωθεν ἀπὸ τῆς γῆς, τὸ δὲ τοῖς ἄνθεσι καὶ τοῖς φυτοῖς περιχεόμενον. Ὀχετηγός τις ἐγέγραπτο δίκελλαν κατέχων καὶ περὶ μίαν ἀμάραν κεκυφὼς καὶ ἀνοίγων τὴν ὁδὸν τῷ ῥεύματι. Ἐν δὲ τῷ τοῦ λειμῶνος τέλει πρὸς ταῖς ἐπὶ θάλασσαν τῆς γῆς ἐκβολαῖς τὰς παρθένους ἔταξεν ὁ τεχνίτης · τὸ σχῆμα ταῖς παρθένοις καὶ χαρᾶς καὶ φόβου. Στέφανοι περὶ τοῖς μετώποις δεδεμένοι · κόμαι κατὰ τῶν ὤμων λελυμέναι · τὸ σκέλος πᾶν γεγυμνωμέναι τὸ μὲν ἄνω τοῦ χιτῶνος, τὸ δὲ κάτω τοῦ πεδίλου, τὸ γὰρ ζῶσμα μέχρι γόνατος ἀνεῖλκε Traduction … Je faisais le tour de la ville en observant les offrandes quand je vois un tableau représentant à la fois la terre et la mer. Le sujet était Europe ; la mer celle des Phéniciens ; la terre était Sidon, sur le rivage une prairie et un chœur de jeunes filles. Dans la mer nageait un taureau, et sur son dos était assise une belle jeune fille, qui naviguait ainsi vers la Crète. La prairie était parée de nombreuses fleurs ; s’y mêlait une rangée d’arbres et de bosquets. Les arbres étaient serrés, les feuillages se touchaient ; les rameaux mélangeaient leurs feuilles, et l’entrelacement des feuilles faisait un toit pour les fleurs. L’artiste avait aussi peint l’ombre sous les feuilles, et le soleil doucement se glissait ça et là vers le sol de la prairie, là où le peintre avait écarté la couverture de feuilles. Une enceinte murait toute la prairie ; et celle-ci s’étendait à l’intérieur d’une couronne de toits. Les parterres de fleurs étaient bien ordonnés sous le feuillage des bosquets : narcisses, roses et myrtes. L’eau coulait au milieu de la prairie du tableau, jaillissant de terre d’un côté, baignant les fleurs et les arbustes de l’autre. On avait peint un préposé à l’irrigation qui tenait une houe et, courbé sur un chenal, 1

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Extraits de romans grecs: quelques passages rapprocher de Daphnis et Chlo.

1. Le prologue: Achille Tatius, Leucippe et Clitophon I, 1-2

2. La naissance de lamour:

1. rencontre de Chras et Callirho (Chariton)

2. rencontre de Thagne et Charicle (Hliodore)

3. coup de foudre de Clitophon pour Leucippe (Achille Tatius, I, 4-6)

4. Xnophon dphse: Anthia et Habrocoms

3. Le discours amoureux: Achille Tatius, Leucippe et Clitophon

1. II, 5-6: lamour vainqueur

2. II, 7 : la piqure dabeille

3. II, 8-9: magie du baiser

4. II, 37-38: dialogue argumentatif: quel est le meilleur baiser?

4. un exemple de digression savante: le mythe de la syrinx (Achille Tatius, VIII, 6)

Les textes grecs sont emprunts au site Hodoi elektronikai, ainsi que les traductions sauf celles du livre II dAchille Tatius.

1. Dbut des Aventures de Leucippe et Clitophon dAchille Tatius

Texte grec (livre 1, chapitres 1 et 2.)

Sidon, port de Phnicie.

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Traduction

Je faisais le tour de la ville en observant les offrandes quand je vois un tableau reprsentant la fois la terre et la mer. Le sujet tait Europe; la mer celle des Phniciens; la terre tait Sidon, sur le rivage une prairie et un chur de jeunes filles. Dans la mer nageait un taureau, et sur son dos tait assise une belle jeune fille, qui naviguait ainsi vers la Crte. La prairie tait pare de nombreuses fleurs; sy mlait une range darbres et de bosquets. Les arbres taient serrs, les feuillages se touchaient; les rameaux mlangeaient leurs feuilles, et lentrelacement des feuilles faisait un toit pour les fleurs. Lartiste avait aussi peint lombre sous les feuilles, et le soleil doucement se glissait a et l vers le sol de la prairie, l o le peintre avait cart la couverture de feuilles. Une enceinte murait toute la prairie; et celle-ci stendait lintrieur dune couronne de toits. Les parterres de fleurs taient bien ordonns sous le feuillage des bosquets: narcisses, roses et myrtes. Leau coulait au milieu de la prairie du tableau, jaillissant de terre dun ct, baignant les fleurs et les arbustes de lautre. On avait peint un prpos lirrigation qui tenait une houe et, courb sur un chenal, ouvrait le passage au courant. Au bout de la prairie, l o la terre savanait dans la mer, lartiste avait plac les jeunes filles leur attitude tait la fois de la joie et de la peur. Des couronnes ceignaient leur front, leurs cheveux taient dnous jusquaux paules, leurs jambes toutes dnudes, de la tunique en haut jusquaux pieds en bas, car leur ceinture relevait leur tunique aux genoux. Leur visage tait ple, leurs traits creuss; ouvrant grand leurs yeux vers la mer elles entrouvraient la bouche, comme si elles allaient pousser un cri de terreur; leurs mains se tendaient vers le taureau. Elles avaient avanc au bord de la mer au point que la vague touchait lgrement leurs pieds; et elles paraissaient vouloir courir vers le taureau, mais craindre de savancer dans la mer.

La couleur de la mer tait double: du ct de la terre elle tait rougetre, et bleue du ct de la mer. Lcume tait peinte, ainsi que les rochers et les vagues; les rochers dominaient la mer, lcume blanchissait les rochers, la vague montait en crtes et se brisait sur les rochers en cumant. Le taureau tait peint au milieu de la mer chevauchant les vagues, le flot se dressant comme une montagne, l o la patte plie du taureau se courbait. La jeune fille tait assise au milieu de son dos, non califourchon mais sur le ct droite, les deux pieds rassembls, tenant la corne de la main gauche, comme un conducteur de char tient les rnes; et le taureau se tournait un peu de ce ct, conduit par la pression de la main. La tunique autour de la poitrine de la jeune fille allait jusqu laine; de l une robe cachait le bas du corps. La tunique tait blanche, la robe pourpre; le corps transparaissait sous les vtements. Elle avait le nombril profond, le ventre plat, la taille fine qui slargissait en slargissant vers les hanches; ses seins saillaient lgrement de sa poitrine; la ceinture entourant sa tunique retenait aussi les seins, et la tunique tait un miroir de son corps. Ses deux mains taient tendues, lune vers la corne, lautre vers la queue; et elles retenaient de chaque ct sur sa tte son voile qui se dployait dans son dos; et le creux du voile se gonflait de tout ct; ctait ainsi que le peintre reprsentait le vent. La jeune fille tait ainsi assise sur le taureau comme sur un bateau qui navigue, se servant de son voile comme dun mt. Autour du taureau dansaient des dauphins, jouaient des Amours; on aurait dit que leurs mouvements mme taient peints. ros conduisait le taureau; ros, un petit enfant, dployait ses ailes, portait le carquois et portait une torche; il se tournait vers Zeus et souriait, comme sil se moquait de lui parce qu cause de lui il stait transform en taureau.

Pour moi je faisais lloge de lensemble du tableau, mais comme jtais amoureux jobservais plus indiscrtement ros qui menait le taureau, et je dis: quel point un petit bonhomme rgne sur le ciel, la terre et la mer!

Traduction Franois Hubert

lments de commentaire compar:

Points communs avec le prologue de Daphnis et Chlo:

double intrt: un morceau de bravoure rhtorique et une anticipation du roman

deux descriptions sous forme de tableaux de peintre: varit, couleur, mouvement

rle de lamour

Diffrences:

le narrateur de Daphnis se prsente en crivain religieux; celui de Leucippe est un voyageur amateur dart

paysage champtre apais vs scne mythologique dramatique

place de la mer dans Leucippe, prparant les voyages mouvements des hros

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2. La naissance de lamour

Extraits de quatre romans grecs: la rencontre des deux hros

2.1 Chariton dAphrodise, la rencontre de Chras et Callirho, I,1.

Cest le tout dbut du roman Chras et Callirho, seule uvre connue de cet auteur qui date peut-tre du 1er s. de notre re.

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Moi, Chariton d'Aphrodise[footnoteRef:1], secrtaire du rhteur Athnagore, je vais conter une histoire d'amour qui est arrive Syracuse. Hermocrate, le gnral syracusain, celui qui fut le vainqueur des Athniens[footnoteRef:2], avait une fille, nomme Callirho, une merveille de jeune fille, qui faisait l'tonnement de la Sicile entire ; car sa beaut n'tait pas humaine, mais divine ; ce n'tait pas seulement la beaut d'une Nride ou d'une Nymphe de la montagne, mais celle d'Aphrodite encore vierge. Le bruit d'un spectacle si miraculeux s'tait rpandu partout et l'on voyait affluer Syracuse, pour demander sa main, des rois et des fils de tyrans qui venaient non seulement de Sicile mais aussi d'Italie et d'pire et des les de l'pire. Mais ros voulait l'unir un simple particulier. Il y avait en effet un certain Chras, un adolescent d'une grande beaut, qui surpassait tous les autres, et tel que les artistes et les crivains reprsentent Achille, Nire[footnoteRef:3], Hippolyte et Alcibiade ; son pre tait Ariston, qui, Syracuse, ne le cdait qu' Hermocrate. Entre eux, existait une inimiti politique telle qu'ils auraient prfr s'allier n'importe qui plutt que de s'allier entre eux. Mais ros est obstin et se plat remporter des succs inattendus; et il chercha une occasion comme celle-ci. Or, c'tait la fte publique d'Aphrodite, et presque toutes les femmes se rendaient au temple. Et, ce jour-l, pour la premire fois, sa mre y conduisit Callirho, car Hermocrate avait voulu qu'elle rendt hommage la desse. Et, ce moment, voici que Chras revenait du gymnase chez lui, brillant comme une toile; sur l'clat de son visage s'panouissait le hle de la palestre comme de l'or sur de l'argent. Donc, par hasard, dans un tournant resserr, les voici qui se trouvrent en face l'un de l'autre, et le dieu avait mnag cette rencontre de telle sorte que tous les deux se virent. Et, tout aussitt ils se communiqurent l'un l'autre le mal d'amour. Donc, Chras s'en retournait grand-peine chez lui, avec sa blessure et, comme un vaillant guerrier frapp mort dans le combat (car il unissait la noblesse d'me la beaut), il avait honte de tomber mais tait incapable de demeurer debout. De son ct, la jeune fille se prosterna aux pieds d'Aphrodite et les baisa, disant , Madame, donne-moi un mari comme celui que tu m'as montr! [1: Aphrodise est une cit dAsie Mineure; Aphrodite protge les hros du roman.] [2: Allusion la bataille date de 413 av. J.-C, qui mit fin aux ambitions des Athniens dans la guerre du Ploponnse.] [3: Nire est aprs Achille le plus beau des Grecs, selon Homre (Iliade II, 673).]

La nuit qui suivit fut pour tous deux atroce, car le feu tait allum en eux. Les souffrances les plus terribles furent endures par la jeune fille, parce qu'elle se taisait, par pudeur de rvler son secret. Chras, qui tait un jeune homme bien n et plein de noblesse, sentant dj son corps se consumer, eut le courage de dire ses parents qu'il tait amoureux et qu'il ne saurait vivre s'il n'pousait Callirho. En l'entendant, son pre se prit gmir et lui dit : Hlas! tu es perdu pour moi, mon enfant; il est bien certain qu'Hermocrate ne saurait te donner sa fille, alors qu'il a pour elle tant de prtendants riches et royaux. Aussi ne faut-il mme pas que tu essaies, pour que nous ne subissions pas un affront public. Mais le pre avait beau tenter de consoler son fils, le mal de celui-ci s'accroissait, si bien qu'il renona ses passe-temps habituels. Le gymnase dsirait Chras, et il tait comme dsert, car la jeunesse l'adorait. A force de s'enqurir, les jeunes gens apprirent la cause de son mal, et tous prouvrent de la piti pour ce bel adolescent qui tait en danger, cause de sa passion, de perdre sa belle me. Vint le jour de l'assemble ordinaire. Le peuple une fois runi, ce ne fut, ds l'abord, de la part de tous, qu'un seul cri : Bel Hermocrate, puissant seigneur, sauve Chras! Ce sera le plus beau de tes trophes. La cit rclame les fianailles, aujourd'hui mme, de deux jeunes gens dignes l'un de l'autre! Qui pourrait dcrire cette assemble, qu'ros lui-mme menait sa guise? Hermocrate, qui aimait sa patrie, ne put pas refuser, alors que la cit le priait. Il fit signe qu'il y consentait, et le peuple tout entier quitta le thtre et, tandis que les jeunes gens se rendaient chez Chras, le Snat et les magistrats faisaient cortge Hermocrate; et mme les femmes de Syracuse se trouvaient l, pour accompagner la jeune marie la demeure du fianc. On chantait l'Hymne travers toute la ville; pleines taient les rues de guirlandes et de flambeaux; les seuils des maisons ruisselaient de vin et de parfums. Les Syracusains passrent cette journe avec plus de joie que les anniversaires de leur victoire.

Mais la jeune fille, ne sachant rien de tout cela, demeurait tendue sur son lit, voile, pleurant et sans rien dire. Et sa nourrice, s'approchant de son lit, lui dit : Mon enfant, lve-toi, voici venu le jour pour lequel, entre tous, nous avons le plus pri : la cit vient accompagner le cortge de tes noces. Alors ses genoux furent sans force et dfaillit son coeur [footnoteRef:4], car elle ne savait pas qui on la mariait. Aussitt, elle fut sans voix, la nuit recouvrit ses yeux et peu s'en fallut qu'elle ne rendt l'me. Et il semblait aux assistants que ce ft la pudeur. Lorsque, en toute hte, les servantes l'eurent pare, on laissa la foule la porte et les parents de la jeune fille lui amenrent son fiance. Alors Chras courut l'embrasser et Callirho, reconnaissant celui qu'elle aimait, pareille la flamme d'une lampe dj sur le point de s'teindre et qui, lorsqu'on y verse de l'huile, retrouve son clat, se fit soudain plus grande et plus belle. Et lorsqu'elle parut en public, un sentiment de stupeur sacre s'empara de la foule entire, comme lorsque Artmis, dans une solitude, se dresse devant des chasseurs. Et beaucoup, parmi les assistants, se prosternrent. Tous admiraient Callirho et enviaient Chras. C'tait comme ce que chantent les potes des noces de Thtis sur le Plion[footnoteRef:5]. Mais, en cette circonstance aussi, il se trouva un dieu jaloux, comme, dit-on, l-bas, il y avait ris[footnoteRef:6]. [4: Formule homrique devenue proverbiale.] [5: Noces mythologiques de la desse Thtis et du mortel Ple, futurs parents dAchille.] [6: La desse de la discorde, qui lana au milieu du festin de noces la fameuse pomme dor lorigine de la guerre de Troie.]

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lments de commentaire :

un incipit o se mlent une ralit historique lointaine (Syracuse, la victoire sur Athnes), ltude de murs (le mariage arrang entre familles nobles; la fte populaire), la description psychologique du coup de foudre et du souci amoureux.

lidal aristocratique de la beaut

la religiosit antique: lhomme est le jouet des dieux

art de la mise en scne, du suspense et de lironie: le lecteur sattend des difficults pour le mariage cause de lantagonisme entre les pres, mais le mariage se rvlera ais et les problmes viendront juste aprs.

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2.2 Hliodore, Les thiopiques, premire rencontre des deux hros (III, 5)

Seule uvre connue de cet auteur, datant peut-tre du 3e s. de notre re.

La scne du coup de foudre est retarde au livre 3 du roman, sous forme de retour en arrire. Le sage Calasiris, qui a accompagn les deux hros en gypte, raconte ici comment ils se sont rencontrs lors dune crmonie religieuse Delphes. Thagne, descendant dAchille, y conduit une dputation de Thessaliens, et Charicle, prtresse dArtmis, y vit avec son pre adoptif Charicls, prtre dApollon.

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Alors, mon cher Cnmon, nous vmes avec vidence dans les faits que l'me est chose divine et qu'elle a ses parents, ds l-haut ! Ds qu'ils s'aperurent, les deux jeunes gens s'aimrent, comme si leur me, leur premire rencontre, avait reconnu son semblable et s'tait lance chacune vers ce qui mritait de lui appartenir. D'abord, brusquement, ils demeurrent immobiles, frapps de stupeur, puis, lentement, elle lui tendit le flambeau[footnoteRef:7] et, lentement, il le saisit, et leurs yeux se fixrent longuement de l'un sur l'autre, comme s'ils cherchaient dans leur mmoire s'ils se connaissaient dj ou s'ils s'taient dj vus ; puis, ils sourirent, imperceptiblement et la drobe, et seule le rvla une douceur dont fut soudain empreint leur regard. Et, tout de suite, ils eurent comme honte de ce qui venait de se passer et ils rougirent ; mais bientt, tandis que la passion, apparemment, pntrait longs flots dans leur coeur, ils plirent, bref, en quelques instants, leur visage tous deux prsenta mille aspects diffrents, et ces changements de couleur et d'expression trahissaient l'agitation de leur me. Tout cela, naturellement, passa inaperu la foule, chacun tant pris par une occupation ou une pense diffrentes, et inaperu galement Charicls qui prononait la prire et l'invocation rituelles ; mais moi, je ne faisais rien d'autre que d'observer les jeunes gens. [7: Thagne doit allumer le feu sacr sur lautel dApollon, avec un flambeau donn par la prtresse dArtmis.]

lments de commentaire :

le coup de foudre reprend les dtails traditionnels: immdiatet, connivence, pudeur, effets physiques

la scne est une crmonie sacre, o les 2 hros jouent un rle central: leur amour na rien dune passion profane et transitoire

rfrence platonicienne des deux mes qui se reconnaissent comme semblables et prdestines

rle des regards qui mettent en opposition trois points de vue: les hros se plongent en eux-mmes, la foule aveugle sagite et se distrait, et le sage saisit et souligne limportance de la rencontre.

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2.3 Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, I, 4-6

Le roman date peut-tre du 2e s. de notre re, son auteur est autrement inconnu.

La scne est Tyr en Phnicie. Le pre du narrateur Clitophon doit recevoir la femme et la fille de son frre Sostratos arrives de Byzance. Clitophon, destin selon lusage pouser sa demi-sur, va tomber amoureux de cette cousine quil navait jamais vue.

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Mon pre revint peu aprs du port, suivi dune foule de serviteurs et de servantes que Sostratos avait envoys avec sa femme et sa fille. Au milieu se tenait une grande femme richement vtue. Comme je la regardais, sa gauche mapparait une jeune fille dont le visage blouit mes yeux. Cest ainsi que javais vu Sln peinte sur un taureau: un regard brillant plein de joie, une chevelure blonde et de blondes boucles, les sourcils bien noirs, les joues blanches, dun blanc rougi au milieu comme la pourpre avec laquelle les femmes lydiennes teignent livoire, et sa bouche tait une rose quand elle commence ouvrir les lvres de ses ptales. Ds que je la vis, je fus perdu; car la beaut perce plus vivement quune flche, et elle pntre dans lme par les yeux. Jtais tenu par tous les sentiments la fois: admiration, stupeur, crainte, pudeur, impudence. Jadmirais sa haute taille, jtais frapp par sa beaut, je tremblais dans mon cur, je la regardais sans honte, et javais honte dtre surpris. Je contraignais mes yeux se dtourner de la jeune fille, mais ils ne voulaient pas, attirs et retenus par sa beaut; et finalement ils vainquirent.

Les femmes furent donc amenes chez nous; mon pre leur attribua une partie de la maison et fit prparer le repas. Le moment du diner venu, nous partagemes les lits deux par deux comme lavait dcid mon pre; lui et moi tions sur le lit du milieu, les deux mres gauche, et les deux jeunes filles occupaient celui de droite.[footnoteRef:8] Quand jappris cette disposition je faillis courir embrasser mon pre parce quil avait install la jeune fille sous mes yeux. Ce que je mangeais, par les dieux, je nen savais rien; je ressemblais ceux qui mangent en rve. Accoud sur le lit et pench, je regardais la jeune fille de tous mes yeux tout en interceptant son regard. Tel fut pour moi le repas. A la fin du diner un jeune serviteur de mon pre sapproche aprs avoir accord sa cithare, et, tendant dabord les cordes main nue il les pince; aprs avoir jou un petit morceau dun doigt lger, il fit vibrer les cordes avec le plectre et chanta un petit air en saccompagnant. Le chant dcrivait Apollon reprochant Daphn sa fuite, la poursuivant, et, au moment o il la saisit, la jeune fille devient une plante dont Apollon se fait une couronne. Ce chant membrasa davantage lme, car les histoires damour alimentent le dsir: mme si on cherche se raisonner, on est incit limitation par lexemple, surtout quand il vient dune puissance suprieure; car la honte de commettre une faute devient de limpudence, par rapport au respect d un suprieur. Et je me disais: Vois, Apollon lui-mme est amoureux, lui aussi dune vierge, et il na pas honte daimer, il poursuit la jeune fille; toi, tu hsites, tu as honte, tu te raisonnes au mauvais moment! es-tu plus fort que le dieu? [8: Les trois lits ( plusieurs places) sont angle droit, le quatrime ct tant rserv au service. On se couche sur le coude gauche et on mange avec la main droite en se servant sur la table centrale ou en tant servi par les domestiques.]

Le soir, les femmes allrent dormir les premires, et nous aussi peu aprs; les autres avaient mesur leur plaisir leur ventre, mais moi je mtais rgal par les yeux, rempli du visage de la jeune fille, et rassasi dun spectacle sans mlange je partis ivre damour. Quand jentrai dans la chambre o je dormais dhabitude, je fus incapable de trouver le sommeil. En effet par nature toutes les maladies et notamment les blessures du corps sont plus pnibles la nuit, elles sopposent davantage nous quand nous sommes inactifs, elles rveillent nos souffrances. Quand le corps repose, cest alors que la plaie a le temps de svir; mais les blessures de lme, quand le corps est immobile, sont bien plus douloureuses. De jour les yeux et les oreilles, remplis dagitation, allgent lacuit du mal, en divertissant lme de la souffrance; mais si le corps est contraint linaction lme livre elle-mme est agite par le mal. Tout ce qui tait assoupi jusque l se rveille alors: pour les personnes en peine le chagrin, pour les anxieux les soucis, pour les gens menacs les craintes, pour les amoureux le feu. peine si vers laurore le sommeil me prit en piti et mapaisa quelque peu, mais mme alors la jeune fille ne voulait pas quitter mon me. Tous mes songes taient Leucippe: avec elle je parlais, je jouais, je dinais, je la touchais, javais plus de bonheurs que le jour, car je lembrassais et le baiser tait rel; si bien que quand mon domestique mveilla, je lui reprochais de venir au mauvais moment et davoir dtruit un songe si doux. Une fois lev je marchais dessein de long en large dans la maison en prsence de la jeune fille, en tenant un livre sur lequel je me penchais pour lire; mais, quand jtais devant sa porte je levais lil[footnoteRef:9], et mtant par quelques alles et venues imprgn damour sa vue je repartais lme bien malade. [9: Clitophon se tient dans la cour intrieure, do il peut apercevoir lappartement o sjournent Leucippe et sa mre.]

Traduction Franois Hubert

lments de commentaire:

une analyse dtaille du coup de foudre et du mal damour (souffrance, ruses, autosuggestion)

un seul point de vue, celui dun narrateur passionn et disert.

lhellnisme: culture (rhtorique, mythologie) et organisation sociale (autorit du pre de famille, sparation des sexes); un aperu de la vie quotidienne dune famille aise dans lOrient grec.

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2.4 Xnophon dphse, Les phsiaques, histoire dAnthia et Habrocoms, I, 2-3

Roman assez court mais dbordant daventures, datant peut-tre du dbut du 2e s. de notre re. Auteur autrement inconnu.

La scne est phse; lauteur vient de prsenter le bel Habrocoms, pourvu de toutes les qualits, mais ddaignant lamour. Le dieu va se venger, en commenant par rendre le jeune homme amoureux. Cest le jour de la fte dArtmis, la divinit tutlaire de la cit, o garons et filles dfilent en procession.

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Toutes les jeunes filles s'taient pares comme pour plaire leurs amants. Anthia les conduisait ; elle tait d'phse; son pre s'appelait Mgamde, et sa mre vippe. La beaut d'Anthia tait des plus admirables, et surpassait de beaucoup celle de ses compagnes. ge de quatorze ans, elle faisait briller dans tout leur clat les fleurs de la jeunesse, et le gout de sa parure ajoutait ses charmes : sa blonde chevelure tait en partie tresse, et le reste flottait sur ses paules au gr des vents ; ses yeux taient ardents, brillants comme ceux d'une jeune enfant, et imposants comme d'une femme chaste. Une tunique de pourpre lui tombait jusqu'aux genoux et descendait sur les bras ; elle tait couverte d'une peau de faon, son carquois attach derrire le dos; elle portait des flches, des javelots, et des chiens la suivaient. Plus d'une fois les phsiens, l'apercevant dans le temple, n'avaient pu s'empcher de l'adorer comme Artmis. Ds qu'elle parut, ils s'crirent presque tous d'une voix que c'tait la desse elle-mme; d'autres assuraient que c'tait une nouvelle image de la desse ; ils lui offraient des vux tout haut, se prosternaient et flicitaient les parents de l'avoir mise au jour; enfin, parmi ceux qui la voyaient, elle tait appele, d'une acclamation gnrale, la belle Anthia. Et quand passa le groupe des jeunes filles personne ne parlait que dAnthia. Mais lorsqu'Habrocoms parut la tte des garons, si beau que fut le spectacle des jeunes filles, tous loublirent et se tournrent vers lui; il fixa quelque temps tous les regards, et mille voix s'levant tout coup : c'est le bel Habrocoms ; personne n'est si beau qu'Habrocoms ; c'est le portrait du dieu de la beaut ; on ajouta mme ces mots : Habrocoms, Anthia, quel mariage ce serait ! Et c'taient les premiers coups de la vengeance dros. Bientt ils apprirent l'un et l'autre ce que chacun pensait d'eux ; Anthia souhaita de voir Habrocoms ; Habrocoms, jusqu'alors insensible, dsira de voir Anthia.

la fin de la procession, le peuple s'approcha de l'autel pour assister au sacrifice et lordre se dfit : les hommes, les femmes, les filles, les garons ne firent plus qu'une assemble nombreuse, o le sexe et l'ge taient confondus. C'est l qu'Habrocoms et Anthia se voient lun lautre : Anthia est conquise par Habrocoms, Habrocoms est vaincu par l'amour. Il la regardait avec avidit, sans pouvoir ter de dessus elle ses yeux, que le dieu y tenait attachs malgr lui. Anthia n'tait pas plus libre ; ses yeux tonns recevaient flots la beaut d'Habrocoms ; elle ddaigna sa conduite virginale, parlait pour qu'il lentendt ; elle dnudait mme ce quelle pouvait de son corps, pour mieux tre regarde par Habrocoms, qui sadonnait cette vue depuis qu'il tait devenu le captif du dieu de l'amour.

Le sacrifice achev, vint le moment cruel de se sparer. Quel moment qui les contraignait de se quitter si tt! ils tournaient la tte ; ils s'arrtaient ; l'amour leur fournissait mille prtextes pour demeurer encore, et jouir plus longtemps du plaisir de se voir. Mais quelle fut leur situation lorsquils furent de retour chez eux : la rflexion ne fit qu'accroitre leurs maux ; ils connurent alors tout le progrs que l'amour avait dj fait dans leurs curs : chacun se rappelait limage de lautre, lamour brulait en eux, et le reste de la journe ils ne firent quajouter leurs dsirs; lheure de dormir ils taient en proie aux pires tourments, et lamour en eux deux devenait impossible rfrner.

Traduction Jourdain, 1797, largement modifie.

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3.1 le discours amoureux, 1er extrait: Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, II, 5-6: le soliloque amoureux

Dans la suite du livre I, Clitophon dcouvre la puissance de lamour auprs de son entourage. Au dbut du livre II, il sexhorte aborder Leucippe.

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je mentrainai moi-mme tre audacieux envers la jeune fille: Jusqu quand, lche te tairas-tu? pourquoi es-tu le peureux soldat dun dieu courageux? tu attends que la fille fasse les premiers pas? Puis je continuais: Pourquoi donc, malheureux, ne restes-tu pas sage? pourquoi naimes-tu pas celle que tu dois? tu as chez toi une autre jeune fille qui est belle; aime celle-l, regarde celle-l, cest elle quil test permis dpouser. Je croyais mtre persuad; den bas, comme du fond du cur, lAmour rpliqua: Oui, audacieux, contre moi tu fais campagne et te mets en ordre de bataille? je vole, je lance des flches, je brule! comment pourras-tu fuir? si tu vites mon arc, tu ne pourras viter mon feu. Et si tu teins cette flamme par ta sagesse, je te rattraperai avec mes ailes.

En discutant ainsi je me retrouvai sans men apercevoir devant la jeune fille et je plis soudain en la voyant, puis je rougis.

Traduction Franois Hubert

3.2 2e extrait: Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, II, 7: une ruse pour les premiers baisers...

Passage comparer lpisode de la cigale dans Daphnis (I, 25).

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Il tait arriv la veille vers midi que la jeune fille jouait de la cithare, et Clio[footnoteRef:10] tait assise prs delle, alors que je me promenais par l; et soudain une abeille venue de quelque part avait piqu Clio la main. Clio avait pouss un cri, Leucippe avait bondi et ayant pos sa cithare elle avait examin la plaie en rconfortant Clio, lui disant de ne pas se tourmenter: elle allait calmer la douleur en chantant deux incantations, quelle avait apprises dune gyptienne contre les piqures de gupes et dabeilles. En mme temps elle les avait chantonnes, et Clio avait dit peu aprs quelle se sentait mieux. Cest alors que par hasard une abeille ou une gupe bourdonna autour de moi et me toucha le visage; je saisis le prtexte et en portant la main mon visage je fis semblant davoir t piqu et de souffrir. La jeune fille sapprocha, me retira la main et me demanda o javais t piqu. Et moi: la lvre, dis-je; ne chantes-tu pas quelque chose, ma trs chre? Elle savana et approcha sa bouche comme pour chantonner, et elle murmura quelque chose en effleurant mes lvres. Moi je lembrassai sans bruit en dissimulant le bruit des baisers, et elle, ouvrant puis fermant les lvres en chantonnant, elle faisait de son chuchotement des baisers. Alors je lentourai de mes bras et lembrassai ouvertement; mais elle scarta en disant: Que fais-tu? est-ce que tu chantes toi aussi? Jembrasse la magicienne, rpondis-je, puisque tu as guri ma douleur. Et comme elle avait compris ce que javais dit et avait souri, jajoutai plus hardiment: Hlas, trs chre, je suis de nouveau plus dangereusement bless; la blessure a touch le cur et demande ton incantation. Certes, tu portes toi aussi une abeille sur la bouche: tu es pleine de miel et tes baisers font des blessures! Mais je ten prie, chante encore une fois, ne dis pas trop vite ton incantation et naggrave pas de nouveau ma blessure. Et tout en parlant je la serrai plus fort et lembrassai plus librement; elle le tolra, tout en essayant de men empcher. [10: Servante de Leucippe.]

Traduction Franois Hubert

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3.3 3e extrait: Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, II, 8-9: une autre ruse, et encore des baisers

pisode rapprocher de Daphnis III, 8.

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L-dessus nous vmes de loin la servante sapprocher et nous nous sparmes, moi contre mon gr et chagrin, et elle je ne sais dans quels sentiments. Jtais plus laise et rempli despoir; javais senti le baiser se poser sur moi comme un corps matriel et je gardai soigneusement comme un trsor de plaisir ce baiser qui est la premire douceur. Car il nait de la plus belle partie du corps: la bouche est lorgane de la parole; et la parole est lombre de lme. Lunion des bouches fait descendre le plaisir dans le corps et monter lme jusquau baiser. Je sais quauparavant je navais pas senti mon cur ainsi; et je compris alors pour la premire fois que rien ne rivalise de plaisir avec un baiser amoureux.

Au moment du diner nous bmes de nouveau ensemble comme dhabitude. Satyros[footnoteRef:11] nous versait le vin et il imagina une ruse damour. Il change nos coupes et prsente la mienne la jeune fille, et la sienne il me la tend aprs avoir rempli les deux coupes de vin bien mlang. Moi je guettai lendroit de la coupe o la jeune fille avait pos ses lvres en buvant; y adaptant les miennes je bus en formant ainsi un baiser distance, et en mme temps jembrassai la coupe. Quand elle vit cela elle comprit que de ses lvres jembrassai mme lempreinte. Satyros rassembla de nouveau nos coupes et les changea. Alors je vis la jeune fille imiter mes gestes et boire de mme, et je men rjouis encore plus. Et cela se produisit une troisime et une quatrime fois, et le reste de la soire nous bmes ainsi nos baisers la sant lun de lautre. [11: Serviteur de Clitophon.]

Traduction Franois Hubert

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3.4 4e extrait: Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, II, 37-38: quel baiser est le meilleur ?

Clitophon a enlev Leucippe et ils voguent vers Alexandrie. Sur le bateau Clitophon discute avec un voyageur gyptien, Mnlas, qui a t amoureux dun garon; ils en viennent comparer les deux formes damour: est-il prfrable dembrasser un garon ou une fille?

A rapprocher de Daphnis IV, 11-17.

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(Clitophon) je suis novice pour les femmes, nayant frquent que celles qui se vendent pour Aphrodite; un autre peut-tre en pourrait dire davantage, un initi; mais jen parlerai, mme si mon exprience est mdiocre. Le corps de la femme est souple dans les enlacements, et ses lvres sont molles sous les baisers. Cest pourquoi son corps dans les embrassements est totalement en harmonie avec sa chair, et celui qui est avec elle est entour par le plaisir. Elle imprime sur les lvres les baisers comme des sceaux, elle embrasse avec art et rend son baiser plus doux. Car elle ne veut pas seulement embrasser des lvres, mais elle sunit avec les dents, se nourrit de la bouche de celui qui lembrasse et mord ses baisers. Son sein au toucher donne aussi un plaisir particulier. Au point le plus haut dAphrodite elle est transporte par le plaisir, elle ouvre la bouche en embrassant et elle dlire. Les langues ce moment-l se pressent lune contre lautre et comme elles peuvent sont forces elles aussi dembrasser; et on accroit le plaisir en ouvrant la bouche aux baisers. Et la femme qui est parvenue au point culminant dAphrodite suffoque sous le plaisir qui la brule, et sa respiration, dans le souffle amoureux, ayant bondi jusquaux lvres, rencontre le baiser errant qui cherche senfoncer. Ce baiser renvoy par le souffle et ml lui laccompagne et frappe le cur; et celui-ci troubl par le baiser bondit. Et sil ntait pas li aux entrailles il se laisserait entrainer et tirer vers le haut par les baisers. Mais les baisers des garons sont grossiers, leurs enlacements sans art, Aphrodite est paresseuse et il ny a aucun plaisir.

Mnlas rpliqua: Tu ne me parais pas du tout novice, mais vtran en Aphrodite, tant tu nous a dvers dindiscrtions sur les femmes. coute en retour ce qui concerne les garons. Chez les femmes tout est fabriqu, les paroles et les attitudes; mme si elle parait belle, cest linventif artifice des onguents. Sa beaut consiste en parfums, en teintures de cheveux ou mme en baisers et si tu mets nu toutes ces ruses, elle ressemble au geai de la fable dpouill de ses plumes[footnoteRef:12]. Mais la beaut des garons nest pas arrose de lodeur des parfums ni de senteurs trompeuses et trangres, et tout le savonnage des femmes sent moins bon que la sueur des garons. Il est permis, mme avant lenlacement en Aphrodite de les rencontrer la palestre et de les prendre dans les bras ouvertement, sans quon y attache aucune honte. Leurs corps namollissent pas les treintes par la souplesse de leur chair, mais ils se rsistent lun lautre et luttent pour le plaisir. Leurs baisers nont pas la science fminine, ils nusent pas des sortilges des lvres de dbauches, mais ils embrassent comme ils savent, et il ny a pas dart mais du naturel dans leurs baisers. Voici quoi ressemble un baiser de garon: si du nectar se figeait et devenait des lvres, voil les baisers que tu aurais. En lembrassant tu naurais pas de satit, mais plus tu ten gorgerais, plus tu aurais soif dembrasser, et tu ne retirerais pas ta bouche avant dchapper aux baisers sous leffet du plaisir. [12: Allusion la fable sopique Le Geai et les Oiseaux.]

Traduction Franois Hubert

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4. Le mythe de la syrinx: Achille Tatius, VIII, 6 (texte et traduction du site Hodoi)

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Tu vois ce bois sacr, derrire le temple ? Il y a l une grotte interdite aux femmes, mais dont l'accs est permis aux vierges qui y entrent pures; une syrinx est suspendue juste derrire la porte de la grotte. Si cet instrument est d'usage national chez vous, Byzance, vous savez de quoi je parle ; mais si l'un d'entre vous n'est pas familier avec ce genre de musique, je vais vous le dcrire et vous raconter toute la lgende de Pan son sujet. La syrinx est en ralit plusieurs flutes, chacune de celles-ci tant constitue par un roseau, et tous les roseaux forment une seule flute. Ils sont juxtaposs sur un rang et attachs l'un l'autre ; le devant est identique la partie arrire. Et tous les roseaux ont des longueurs lgrement ingales, le plus petit vient d'abord, puis celui qui est un peu plus grand que lui, aprs celui-ci un autre un peu plus grand, dans la mme proportion, puis, un troisime, et ainsi de suite pour toute la srie des roseaux, chacun dpassant le prcdent d'une quantit gale, celui du milieu ayant une longueur moyenne entre le premier et le dernier. La raison de cette disposition est dans les lois de l'harmonie. La note la plus aige est en haut de l'instrument, et la note devient de plus en plus grave mesure que l'on descend, si bien que les deux notes extrmes sont aux deux extrmits. Et, entre les deux, les roseaux produisent des sons d'intervalles rguliers, chacun d'eux descendant le son d'une quantit gale jusqu'au son le plus grave, avec le dernier roseau. Et tous les sons que la flute d'Athna produit en elle, la flute de Pan les produit l'orifice de ses roseaux. Dans la premire, ce sont les doigts qui rglent les sons, l, c'est la bouche de l'artiste qui obtient le mme rsultat que les doigts. Dans la premire, le flutiste bouche tous les trous et n'en laisse qu'un d'ouvert, travers lequel passe le souffle ; dans la seconde, il laisse libres tous les roseaux et n'applique les lvres qu' celui-l seul qu'il ne veut pas laisser silencieux, et il saute de l'un l'autre, selon les exigences de l'air.

Mais Syrinx n'tait, l'origine, ni une flute ni un roseau, c'tait une vierge, trs belle, au point de mriter prendre place parmi les dieux. Pan, donc, la poursuivait d'une course d'amour, et, dans sa fuite, elle se rfugia dans une fort paisse ; et Pan, sur ses talons, tendit la main pour la saisir. Il pensait tenir sa proie et avoir ses cheveux dans la main, mais sa main ne tenait que des feuilles de roseaux. On prtend qu'elle s'tait enfonce dans la terre et qu' sa place la terre avait fait naitre des roseaux. De colre, Pan coupa les roseaux, parce qu'il pensait qu'ils lui drobaient sa bien-aime. Mais quand, aprs cela, il ne put la trouver, persuad que la jeune fille s'tait mtamorphose en roseaux, il regretta d'avoir coup ceux-ci, et s'imagina avoir lui-mme coup sa bien-aime. Il rassembla donc les morceaux de roseaux comme si c'taient les membres, en forma un corps et, prenant dans sa main les fragments de roseaux, il les embrassa, comme si c'taient les blessures de la jeune fille. Il poussait de longs soupirs d'amour, en y appliquant la bouche, et soufflait sur le haut des roseaux tout en les embrassant. Et son souffle, pntrant dans le canal des roseaux, rendait des sons, et la syrinx avait trouv une voix. On dit que Pan suspendit ici-mme cette syrinx, en ex-voto, qu'il l'enferma dans la grotte, o il vient frquemment et o il a coutume de jouer de la flute. Quelque temps aprs, il offrit ces lieux Artmis, convenant avec elle qu'aucune femme ne pourrait y entrer. Si, donc, il en est quelqu'une dont on met en doute la virginit, un dcret du peuple ordonne de la conduire la porte de la grotte et c'est la flte qui prononce la sentence.

La jeune fille entre, revtue de la robe rituelle, et l'on ferme derrire elle les portes de la caverne. Et, si elle est vierge, on entend une musique mlodieuse et divine, soit qu'il y ait dans cet endroit un souffle qui pntre dans la flute et en tire une musique, soit peut-tre que ce soit Pan lui-mme qui joue de la flute. Peu aprs, les portes s'ouvrent d'elles-mmes, et l'on voit apparaitre la jeune fille, la tte couronne de branches de pin.

Mais si elle a menti en se disant vierge, alors la flute reste silencieuse, il sort de la grotte un gmissement au lieu de musique, et aussitt la foule se retire et abandonne la femme dans la grotte. Trois jours plus tard, la vierge prtresse de ce lieu entre et trouve la flute par terre, mais la femme a disparu.

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