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404 LA NORME LINGUISTIQUE L'occultation du caractère maternel de la langue nationale La seconde occultation qui alimente la situation conflictuelle entre la langue de l'État et l'état de la langue réside à mon sens dans l'altération du caractère maternel propre au parler ordinaire. La cause est imputable, L'oralité et la textualité Fait notable, l'État et le citoyen revendiquent tous deux la langue française comme langue nationale, en France comme au Québec. Produit des aspirations tant individuelles que collectives, la langue nationale est donc ce puissant facteur d'identification nécessaire, selon Fishman Pour un francophone, la réalité du français national incorpore à la fois l'idée de la langue maternelle et celle de langue légitime. C'est un trait particulier de l'idéologie française (et québécoise) que de ne pas dissocier chez l'individu le locuteur natif du citoyen actifs. Cette identification na- tionaliste a pour corollaire une superposition déformatrice: le français maternel, d'où est issu le parler ordinaire de l'adulte, ne fait qu'un avec le français national du citoyen, Ce qui confère à la langue son caractère proprement maternel, c'est l'oralité. En revanche, ce qui confère à la langue nationale son caractère proprement légitime, c'est la textualité. Or, l'oralité n'est pas uniquement restreinte au parler ordinaire pas plus que la Ainsi, les personnes morales que sont quand même, vis-à-vis du public, les Vigneault les Leclerc, les Brassens ou les Brel sont plus écoutées que lues. Leur poésie, qui se démarque sensiblement du parler ordinaire, incarne davantage aux yeux du francophone la réalité de Il s'ensuit que l'introduction dans la langue nationale de formes et de pratiques linguistiques ressenties a priori comme étrangères au parler ordinaire n'est viable que dans la mesure où elles recourent à l'oralité de la langue pour se véhiculer. La langue poétique de nos chansonniers illustre pour nombre d'usagers la version la plus pure de la 9. Pour une analyse de l'idéologie québécoise de la langue, voir Corbeil (1975).

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404 LA NORME LINGUISTIQUE

L'occultation du caractère maternel de la langue nationale

La seconde occultation qui alimente la situation conflictuelle entre la langue de l'État et l'état de la langue réside à mon sens dans l'altération du caractère maternel propre au parler ordinaire. La cause est imputable, dirais-je, aux équivoques qui L'oralité et la textualité

Fait notable, l'État et le citoyen revendiquent tous deux la langue française comme langue nationale, en France comme au Québec. Produit des aspirations tant individuelles que collectives, la langue nationale est donc ce puissant facteur d'identification nécessaire, selon Fishman (1971: 32), à la mobilisation des populations qui ne sont pas encore sensibilisées au Pour un francophone, la réalité du français national incorpore à la fois l'idée de la langue maternelle et celle de langue légitime. C'est un trait particulier de l'idéologie française (et québécoise) que de ne pas dissocier chez l'individu le locuteur natif du citoyen actifs. Cette identification nationaliste a pour corollaire une superposition déformatrice: le français maternel, d'où est issu le parler ordinaire de l'adulte, ne fait qu'un avec le français national du citoyen, dont fait évidemment partie la langue de l'État Or, les formes et les pratiques linguistiques qui relèvent de Ce qui confère à la langue son caractère proprement maternel, c'est l'oralité. En revanche, ce qui confère à la langue nationale son caractère proprement légitime, c'est la textualité. Or, l'oralité n'est pas uniquement restreinte au parler ordinaire pas plus que la textualité ne l'est à l'usage légitime. Ainsi, les personnes morales que sont quand même, vis-à-vis du public, les Vigneault les Leclerc, les Brassens ou les Brel sont plus écoutées que lues. Leur poésie, qui se démarque sensiblement du parler ordinaire, incarne davantage aux yeux du francophone la réalité de la langue nationale que ne le fait un beau Il s'ensuit que l'introduction dans la langue nationale de formes et de pratiques linguistiques ressenties a priori comme étrangères au parler ordi-naire n'est viable que dans la mesure où elles recourent à l'oralité de la langue pour se véhiculer. La langue poétique de nos chansonniers illustre pour nombre d'usagers la version la plus pure de la langue nationale des Québécois parce qu'elle est oralisée par 9. Pour une analyse de l'idéologie québécoise de la langue, voir Corbeil (1975).

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L'inverse se rencontre aussi. Les formes et les pratiques identifiées comme étrangères à l'usage légitime, par ex. les sacres, les argotismes, les barbarismes, etc., ne peuvent participer à la définition de la langue nationale que dans la mesure où elles recourent à la textualité. Telle me semble être, par exemple, la portée du français d'un Claude Jasmin ou d'un Michel Tremblay pour la langue nationale des Québécois, d'un Ferdinand Céline ou d'un Raymond Queneau pour la langue nationale des Français. Le joual

La langue nationale se situe donc, à mon avis, à l'exacte intersection de la langue maternelle et de la langue légitime. Cela revient à dire, en fin de compte, à l'intersection de l'état de la langue et de la langue de l'État Elle associe sans les confondre, malgré une frange toute en équivoque, le parler ordinaire et la langue légitime et ce, grâce à une double récupération qui tient à la fois de l'oralité et de la textualité.

Aspects de la phénoménologie de la

langue françaisePassons maintenant à l'examen des manifestations

qui me paraissent trahir la situation de conflit qui se greffe au point d'intersection de ces deux réalités que sont la langue de l'État et l'état de la langue.

Du point de vue du linguiste, les plus intéressantes se situent naturellement sur le plan soit des formes soit du fonctionnement propres à la langue française. La perspective globaliste à laquelle je m'en tiens ici permet de repérer un certain nombre de phénomènes agissant sur des objets différents selon une dialectique apparentée à celle des organismes vivants. Il y a donc une sorte de phénoménologie de la langue résultant des puissances téléonomiques fondamentales orientées les unes vers la préservation, dans cet organisme, de

Cette dualité téléonomique de la langue s'exprime de trois manières différentes compte tenu de l'objet linguistique en cause. Il y a par conséquent:1. la VARIATION en regard de l'UNIFORMISATION linguistique sur le plan des formes phonétiques, lexicales, morphologiques et syntaxiques de la langue;

2. les TENDANCES grammaticales ou autres en regard des RÈGLES syntaxiques et phonologiques sur le plan des mécanismes de la langue;3. les ERREURS de langage en regard des ÉCARTS de grammaire sur le plan des processus d'intériorisation de la langue.

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La variation et l'uniformisation linguistiquesDe manière générale, un phénomène de variation

linguistique caractérise l'emploi de formes différentes susceptibles de jouer le même rôle dans l'énoncé en tant qu'unité discrète. Par exemple, sur le plan phonétique, l'emploi du R apical favorisé dans l'ouest du Québec et du R dorsal favorisé dans l'est jusqu'à une époque assez récente"'. Ou encore, sur le plan lexical, l'emploi de mots apparemment équivalents en canadien-français tels que « con », « cabochon », « niochon », « niaiseux », « idiot », « nono », « innocent » ou « sans dessein ». Sur le plan syntaxique, la variation se manifeste entre autres par l'emploi du lexème « faque » (ça fait que) (Des-sureault-Dober, 1974) ou celui des différentes La sociolinguistique, on le sait, a fait la preuve que la sélection des formes par le locuteur n'est pas aléatoire. Elle est, règle générale, fonction de la stratification sociale de la communauté linguistique à laquelle ce locuteur appartient

Quelle est l'incidence du phénomène de la variation linguistique dans notre débat? Elle me paraît évidente. C'est elle qui définit l'état de la langue dans une très large mesure. Dans la variation linguistique réside la motivation des faits de langue, qu'ils soient d'ordre diachronique ou d'ordre synchronique.La langue de l'État, par contre, résulte d'un phénomène inverse, celui de l'uniformisation linguistique, c'est-à-dire l'emploi de formes standardisées visant à l'unicité fonctionnelle. La norme se présente alors comme le résultat idéal de la Nul doute à cet égard que la langue de l'État incarne la formule la plus légitime et, par conséquent, la plus acceptée de la norme linguistique. Le système phonématique, par exemple, s'y restreint exactement aux trente-six sons du français dit universel. Les impératifs de la terminologie tendent à réduire au minimum les propriétés polysémiques, synonymiques et analogiques du vocabulaire. Les structures syntaxiques deviennent codifiées eu égard à des patrons structuraux qui en excluent toute une variété d'autres comme, par exemple, les structures avec détachement à gauche ou à droite du type: « les personnes à votre charge, elles, sont déductibles de vos impôts si... »; les structures avec répétition d'éléments du type: « c'est très, très, très intéressant, l'abattement sur la plus-value »; ou encore celles du type déictique tel que: « voilà une 10. FL Cedergren s'est penchée sur cette question; les résultats préliminaires de son travail

ont été rendus publia lors du congrès NWAVE 1980, Montréal: Université du Québec à Montréal, cf. aussi Sankoff (1981).

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Ce sont là, brièvement décrits, deux types de phénomènes qui manifestent, à mon sens, le conflit que doit intérioriser chaque jour le locuteurcitoyen. Mais que sait-on au juste des stratégies qu'il doit développer pour affronter la dialectique inhérente à cette espèce de téléonomie contraire qu'actualise chaque phénomène de variation et d'uniformisation linguistiques? À défaut de réponse, je ne ferai qu'évoquer ce problème en le Les récents travaux de W. Kemp (1979) sur l'emploi, chez les Canadiens français, d'un certain nombre de formes syntaxiques de relativisation sans antécédent et d'interrogation, directe ou indirecte, ont permis de dégager trois formes principales que ce chercheur a symbolisées, compte tenu d'une vingtaine de variantes phonétiques, par les éléments KES, KOS et SKE. À D'un point de vue strictement descriptif, ces formes sont parfaitement commutables à l'intérieur des trois structures correspondantes, ce qui donne en théorie" les neuf sous-structures ou variantes syntaxiques suivantes:(1) RELATIVES: « On a vu { KES, KOS, SKE } tu veux. »

a. on a vu qu'est-ce que tu veux.b. on a vu qu'osque tu veux. c. çjn a vu ce que tu veux.(2) INTERROGATIVES INDIRECTES: « On sait {KES,

KOS, SKE} tu veux. »a. on sait qu'est-ce que tu veux. b. on sait qu'osque tu veux.

(3) INTERROGATIVES DIRECTES: « { KES, KOS, *SKE} tu veux? » a. qu'est-ce que tu veux?b. qu'osque tu veux? c. *ce que tu veux?Voilà donc un exemple de libre occurrence de

formes linguistiques qui me semble caractériser un aspect important de l'état de la langue des Canadiens français dans la mesure où la variation de ces trois éléments est fondée sur l'oralité.

En réalité, il n'y a que huit variantes qui soient usitées puisque (3c) n'existe pas. Ce « trou » dans le paradigme s'explique par l'incompatibilité de la structure interrogative avec la forme en SKE parallèle à celle qui existe dans: « Qui tu vois? »/« *Que tu vois? ».Néanmoins, dans la mesure où il existe une autre variante spécifique, la forme en KWA, lexicalisée en KWASE, on obtient avec celle-ci une distribution compensatrice qui donne: i. on a vu quoi c'est que tu veux.

ii. on sait quoi c'est que tu veux. iü. quoi c'est que tu veux?

ü s'ensuit que la commutabilité des formes variables peut être rigoureusement maintenue dans les trois structures concernées.

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Or, le phénomène de variation linguistique ne prend véritablement son sens qu'à partir du moment où le caractère commutable des éléments est corrélé à la dimension sociale de l'usage. C'est l'autre aspect important de l'état de la langue. On observe alors que cette liberté que nous venons d'observer est toute En effet, la distribution de ces trois formes et de leurs variantes dans l'usage de la langue n'est pas aléatoire. En supposant que la distinction entre {KES} et {KOS} soit aussi syntaxiquement motivée qu'elle l'est entre {KES} et {SKE} - ce qui n'est vraisemblablement pas le cas - il appert que leur C'est ainsi que, de manière générale, les formes en {KOS} ne se rencontrent que dans les couches situées au bas de l'échelle socio-économique et professionnelle tandis que les formes en { KES } voient leur usage se disperser au sein de toutes les couches sociales de l'échelle alors que celui des formes en {SKE} se cantonne significativement aux couches situées en haut de cette même échelle (Kemp, 1979: 180).Tendances et règles grammaticales

La seconde manifestation de la situation conflictuelle qui met aux prises la langue de l'État et l'état de la langue concerne les mécanismes propres au fonctionnement de la langue. Ces derniers sont décrits en termes de règles grammaticales qui sont censées fixer l'usage. Mais il existe de nombreux cas où l'observation des faits d'oralité révèle l'existence de phénomènes dont aucune règle grammaticale ne rend compte. Leur caractère régulier et systématique est alors à l'origine d'une tendance grammaticale dont l'existence est purement et simplement ignorée des La tendance est une notion passablement informelle en théorie linguistique malgré qu'elle y soit fort usitéel2. Néanmoins elle reçoit en sociolinguistique et même en psycholinguistique une caractérisation plus rigoureuse qui rend sa manipulation d'autant plus intéressante qu'elle permet d'éviter le piège de la règle formalisée Un cas patent de tendance est illustré en canadien-français par l'usage du genre. Cette question a été particulièrement traitée dans Barbaud et alii (1981). J'ai pu mettre en évidence que le phénomène - maintes fois remarqué - de la féminisation des substantifs phonologiquement structurés par une voyelle initiale n'est pas un phénomène empiriquement immotivé ni même aléatoire dans sa distribution sociologique. 1 existe une « tendance », que l'on peut exprimer en 12. Voir entre autres Chantefort (1976) en ce qui concerne les tendances relevées en

canadienfrançais.

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bable, au sein d'une masse parlante canadienne-française, qui est génératrice d'énoncés tels que: « une autobus ben pleine », « une grosse hôpital », « une belle habit neuve », « une grande appartement », « une hôtel assez dispendieuse », etc.Nul doute à mes yeux que la tendance à la féminisation soit, dans ce cas précis, un phénomène qui caractérise l'état de la langue dans toute son oralité. On peut même montrer que cette tendance spécifique s'actualise selon une courbe qui est fonction du type de société dans laquelle s'organise la masse parlante canadienne-française. J'ai pu mettre en évidence, en effet, qu'il y a des corrélations positives entre la force de cette tendance et la stratification sociale liée aux conditions socio-économiques et professionnelles des locuteurs. La tendance à la féminisation est d'autant La tendance grammaticale ne serait qu'un cas particulier de variation linguistique n'eût été deux différences essentielles: elle concerne ici une catégorie de la langue, p. ex le genre, et non une forme; et elle met en cause un mécanisme plus général, celui de l'accord qui implique, quant à lui, les autres éléments Le phénomène de féminisation permet donc de mettre en évidence la tension que fait naître l'état de la langue en regard de la langue de l'État. On se rend compte qu'un tel phénomène obéit à une dynamique interne de l'oralité. Il est tributaire d'une sorte de propriété téléonomique de la langue française de nature évolutive. La tendance grammaticale exprime une force linguistique qui est orientée vers la recherche d'un De toute évidence, la tendance grammaticale est absente de la langue de l'État. Les règles lexicales et syntaxiques qui rendent compte de la langue de l'État eu égard au genre, qu'elles soient de nature descriptive ou prescriptive, ne sont pas autre chose que le produit de l'usage légitime lié à la textualité. Elles excluent la Tendances grammaticales et règles entrent alors en conflit ouvert parce que la grammaire de la langue de l'état résulte de propriétés téléonomiques contraires aux précédentes. Les règles grammaticales expriment une force linguistique qui, elle, est tout orientée vers la recherche de l'équilibre stable que tout système tend à Or, le locuteur-citoyen est souvent confronté à la situation de devoir faire usage de la langue de l'État ou de quelque chose qui lui ressemble fort à titre de producteur d'énoncés. D n'a pas d'autre choix que de solliciter sa compétence linguistique active.Il est alors acculé à la nécessité d'effectuer une sorte de désapprendssage de chacune des tendances grammaticales qu'il a plus ou moins inté-

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riorisées en tant que locuteur natif. Mais il doit simultanément lui substituer une règle grammaticale objet d'un apprentissage souvent long et pénible. Bref, la tendance grammaticale doit se désapprendre alors que la règle grammaticale, elle, doit, au contraire, Le moins que l'on puisse dire pour conclure, c'est que notre connaissance actuelle de cette double opération mentale accomplie par le sujet parlant demeure insuffisante.L'erreur de langage et l'écart de grammaire

La troisième et dernière manifestation qu'il est possible d'identifier en tenant compte de la situation conflictuelle de l'état de la langue et de la langue de l'État a trait aux processus grâce auxquels un sujet parlant, de locuteur natif qu'il est, se mue Dans le cadre de la distinction fondamentale qu'il est courant d'établir en psycholinguistique entre processus d'acquisition du langage et processus d'apprentissage d'une langue particulière ou d'un usage particulier de cette langue, je récuserai ici le terme de faute qui globalise indûment, dans la littérature non spécialisée, les faits qui sont rattachés à l'erreur ll n'y a évidemment pas de connotation péjorative au terne d'erreur de langage que j'utilise ici pour désigner plusieurs sortes de maldonnes qui affectent certains énoncés produits par un sujet parlant dont la compétence linguistique n'est pas encore parvenue à L'erreur se retrouve habituellement dans le langage enfantin mais elle se rencontre aussi dans le discours de certains aphasiques. Certaines maldonnes que font les adultes en situation d'apprentissage d'une langue seconde sont en réalité des variantes éloignées L'erreur langagière est, en principe, le résultat de l'application erronée de règles que le jeune locuteur natif a déjà intériorisées à partir des données accessibles et préalablement traitées par sa compétence linguistique. Elle s'explique généralement en termes d'induction ou d'inférence logique mais inefficace. Le fondement d'une telle démarche cognitive réside bien sûr dans le pouvoir prédictif des règles existant dans une langue particulière. Toute erreur est Le cas le plus classique de maldonne ou d'erreur langagière est illustré par le phénomène de la « surgénéralisation » morphologique qui affecte13. D existe une certaine confusion dans la littérature spécialisée de psycholinguistique,

de didactique de la langue maternelle ou de psycho-pédagogie. Le terme erreur y est employé souvent à la place de faute de grammaire alors que celui d'écart y est souvent donné comme équivalent d'erreur de langage. Cette confusion me semble strictement d'ordre terminologique et n'entraîne pas, je crois, de conséquences désastreuses du point de vue théorique pour peu que l'on fixe la définition des mots.

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immanquablement les énoncés oraux et écrits (écriture et lecture également) produits par un jeune locuteur jusqu'à la pré-adolescence. Il est à peu près admis maintenant que la surgénéralisation est un processus cognitif de mises en hypothèse, successives ou simultanées, s'appliquant à un élément de la langue L'expérience et, aussi, la connaissance objective finissent par éliminer toutes les hypothèses conduisant à la production de formes inefficaces, c'est-à-dire, en fin de compte, d'énoncés agrammaticaux, mal formés ou inacceptables. C'est l'aspect « longitudinal » de cette stratégie particulière qui explique dans bien des cas pourquoi certains locuteurs maintiennent jusqu'à un âge fort avancé et même quand ils sont adultes certaines erreurs de ce type: leur expérience linguistique ne leur a pas donné l'occasion de lever les hypothèses concernant la forme efficace d'un élément particulièrement irrégulier de la langue. On Certaines erreurs classiques dues à une surgénéralisation morphologique peuvent être illustrées par des séquences telles":a. ils sontaient tous morts.

b. elle a pas répond au téléphone. c. ils ont parlé à les enfants.d. c'est une femme qu'a venue tout à l'heure. e. faut pas qu'i jousent là.Sommes-nous si loin que cela de notre

problématique? Certainement pas car j'estime que l'erreur est du domaine de l'état de la langue. L'erreur de langage est tributaire du processus de l'acquisition d'une langue particulière par un sujet parlant. Elle relève exclusivement de l'oralité. L'erreur est donc nécessaire au développement et à la fixation définitive de la compétence linguistique. Exclure (erreur d'une définition de l'état de la langue, revient à faire preuve de discrimination à tout le moins intellectuelle. L'état Le lien conflictuel qui dès lors s'établit avec la langue de l'État devient maintenant plus apparent. Je considère en effet que l'écart de grammaire relève davantage du domaine défini par la langue de l'État Tandis que l'erreur est un fait de langue, (écart est, La langue de l'État et les autres usages qui lui sont apparentés sont allergiques à l'écart Ils ne le tolèrent pas. L'écart de grammaire est un pur produit de la textualité dans la mesure où il se définit comme l'application14. Pour une synthèse des recherches récentes dans le domaine des performances orales

des enfants, susceptible d'illustrer le phénomène de la surgénéralisation et nombre d'autres qui lui sont apparentés, voir Gagné et Pagé (1981).

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déficiente soit par omission, soit par falsification ou encore par « mésinterprétation » ou plus simplement par ignorance de la règle dont tout locuteur est censé avoir la connaissance.Dès l'instant où la langue devient pour un sujet parlant un objet de connaissance et non plus seulement un objet d'acquisition, celui-là change son statut de locuteur natif pour celui de locuteur-citoyen. La langue del'État prime la langue maternelle. Autant l'une s'avère le royaume de l'enfant, autant l'autre est le bien L'écart peut être qualifié de phonétique (aréoport/aéroport), de lexical (introduire/présenter quelqu'un), de syntaxique (calculer que + P/estimer que + P), de structural comme en canadien-français, l'emploi de tout'5 illustré ci-après:a. La maîtresse a tout laissé sortir

les enfants. b. La maîtresse a laissé sortir tous les enfants.L'identification de l'écart est rendue possible par le

dispositif d'élimination des énoncés non conformes associé à la langue d'État- la norme. C'est dans la langue de l'État que la norme trouve, encore de nos jours, sa raison d'être authentique, une raison d'être que la langue française tout particulièrement continue En conclusion de ce point, on retiendra que le locuteur français est soumis à une tension contradictoire découlant de la différence des processus cognitifs que sollicitent chacune de ces deux entités que sont l'état de lalangue et la langue de l'État Le dispositif de tolérance, lié à l'erreur de langage, implique des comportements antinomiques et parfois même irréconciliables avec ceux que commande le dispositif de rejet sous-jacent à l'écart de grammaire. Conclusi

onAu terme d'une analyse qui s'était donné pour objectif de dégager les éléments générateurs de la situation conflictuelle entre la langue de l' tat et l'état de la langue, on ne saurait éviter un certain nombre de questions qui nous feraient déborder largement le Parmi les plus cruciales, ü s'agit de savoir comment résoudre, ou du moins atténuer, les tensions qu'éprouve tout locuteur-citoyen à des degrés variables. Davantage, il convient d'évaluer la portée véritable du pouvoird'aliénation et du pouvoir de libération que recèle la langue de l'État eu égard à l'état de la langue issu des 15. Pour une analyse syntaxique du comportement de /tout, tous, toutes/, voir Daoust-Blais

et Lemieux-Niéger (1979).

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A ce dernier, il incombe de se sevrer des aliénations que comporte sa langue maternelle vis-à-vis de la réalité langagière du monde moderne. L'oralité ne peut prétendre gouverner de nos jours les multiples usages du langage régis par la textualité.

II est vrai que le recours aux formes vernaculaires du parler ordinaire répond au besoin profond du locuteur natif de s'identifier à la communauté. n est non moins vrai que le recours aux formes protocolaires de la langue légitime est susceptible de répondre au besoin vital du locuteur-citoyen de se mobiliser en raison du projet national.

En tant que dépositaire de l'état de la langue, le locuteur natif se doit de devenir actionnaire de la langue de l'État. Dans son effort personnel d'adaptation à la dimension protocolaire du langage et de compréhension des exigences de la textualité réside l'essentiel de son accomplissement en tant que sujet parlant

A titre de dépositaire principal de la langue légitime, il incombe à l'État de ne pas usurper le pouvoir que lui confère ce rôle dans une société comme la nôtre. Il se doit en particulier de ne pas outrepasser les limites afférentesà la textualité car la loi ne peut régir, même de loin, l'oralité de la langue maternelle.ll n'y a finalement qu'un seul choix possible pour l'État qui désire atténuer les tensions qui sont liées à la réalité langagière de notre époque et c'est de réduire les inégalités sociales en espérant, par là, réussir à diminuer les discriminations qu'occasionne l'usage légitime de langue.

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La normalisation linguistique, terminologique et technique au

QuébecPar Guy Rondeau

IntroductionPrécisons d'abord que le titre qui précède ne doit

pas laisser entendre que nous aborderons successivement trois aspects de la normalisation dont chacun est, en soi, un sujet d'étude. Outre, en effet, qu'un travail envisagé dans cette optique aurait une ampleur telle qu'il ne saurait trouver place dans les limites que l'on a fixées aux différents auteurs, il comporterait, de plus, le grave inconvénient de reprendre des questions déjà traitées ailleurs dans le présent ouvrage. En conséquence, la normalisation linguistique, celle qui touche la langue générale, ne sera abordée, sauf pour un bref survol historique, que dans la mesure où elle implique une intervention de l'État (car la norme linguistique générale est également façonnée par l'intervention simultanée et convergente de nombreux autres facteurs, comme les médias, la production littéraire, l'enseignement, les contacts linguistiques, les usages sociaux, etc., que nous laisserons de côté). De la même manière, nous ne traiterons des questions de normalisation technique, La normalisation en général

La normalisation est essentiellement un phénomène d'ordre socioéconomique. Né dans la foulée de l'industrialisation et des nombreux progrès techniques et scientifiques qui ont caractérisé le premier tiers du XX~ siècle, ce phénomène a été ralenti par la Deuxième Guerre mondiale, pour reprendre en s'amplifiant dès le début des années cinquante. La normalisation a essentiellement pour but de faciliter -- pour ainsi augmenter leur volume -les échanges commerciaux sur le plan international. Elle s'appuie, fondamentalement,

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le commerce (ainsi, par exemple, le produit pharmaceutique X, s'il se conforme à une norme internationale, pourra être vendu dans tous les pays qui ont adopté cette norme); b) la normalisation des produits et des procédés, en éliminant le fait main, permet de réduire les coûts de production en favorisant la fabrication de masse ou en série. Les multinationales ont, très tôt, compris que la normalisation entraîne de Outre les retombées économiques, qui ne sont, en général, recueillies que par un petit nombre de bénéficiaires, la normalisation entraîne des retombées socioculturelles qui, elles, atteignent des couches de population plus larges. En effet, en touchant des secteurs comme l'habitation, le vêtement, l'alimentation, l'électro-ménager, le transport, l'information, etc., la normalisation s'attaque à des modes de vie, qu'elle tend Mais la normalisation donne lieu à un autre type de retombées d'ordre socioculturel, auxquelles nous nous intéressons plus particulièrement, celui des terminologies. En effet, les produits et procédés qui ont fait l'objet d'une normalisation doivent être dénommés sans ambiguïté, ce qui entraîne un besoin de normalisation terminologique. Paradoxalement par ailleurs, le commerce international constitue un terrain favorable à la prolifération de la synonymie terminologique en poussant, par exemple, les différents fabricants d'un même objet à lui donner chacun une appellation distinctive, ce qui constitue un autre facteur INFRASTRUCTURES SUR LESQUELLES S'APPUIENT LES DIFFÉRENTS ASPECTS DE LA NORMALISATION AU QUÉBECNormalisation des produits et des procédés

L'organisme normalisateur principal, dans ce domaine, est le Bureau de normalisation du Québec (BNQ), qui se trouve être également un organisme « rédacteur de normes accrédité N auprès du Conseil canadien des normes''=. 11 s'ensuit que les normes

2.

Pour une étude plus détaillée de cette question, on pourra consulter notre Introduction à la terminologie (Rondeau 1981: 4-8).Ces organismes sont, à l'heure actuelle, au nombre de cinq et ils comprennent, outre le BNQ, l'Association canadienne du gaz, l'Office des normes générales du Canada, l'Asso-ciation canadienne de normalisation et les Underwriters' Laboratories of Canada. Notons que la langue de rédaction des quatre derniers est l'anglais, de sorte que les terminologies qui se trouvent dans les versions françaises des normes produites par ces organismes sont des terminologies de traduction.d faut noter, de plus, que ces organismes publient, outre des normes relatives aux produits et aux procédés, des normes terminologiques. Ces dernières ne possèdent pas, cependant, le caractère officiel que confèrent les avis de normalisation de l'Office de la langue française du Québec

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en conformité avec des normes adoptées par le pouvoir central. Or, ces dernières, qui se conforment la plupart du temps à des normes internationales, sont d'abord rédigées en langue anglaise, de sorte que les terminologies qu'elles contiennent dans leur version française sont en grande majorité des terminologies de traduction. Même les normes de l'Association française de normalisation (AFNOR) n'échappent pas toujours à cette caractéristique, car elles sont souvent le reflet et la transposition de normes internationales rédigées d'abord en langue anglaise'. La situation se complique, de plus, du fait qu'un bon nombre de normes internationales sont d'abord rédigées en anglais, mais dans des pays non anglophones, comme c'est souvent le cas pour l'Organisation internationale de normalisation (ISO). On peut, dès lors, concevoir les difficultés qui se posent à des organismes de normalisation dont la Il faut noter, toutefois, une importante différence entre les compétences en matière de normalisation terminologique dévolues à l'AFNOR et au BNQ. L'AFNOR jouit, en effet, d'un pouvoir implicite de normalisation terminologique, en ce sens que toutes les versions françaises des normes (nationales ou internationales) qu'elle adopte sont considérées généralement dans la francophonie, et notamment au Québec, comme normalisées dans leur forme linguistique; ce qui signifie que, par exemple, les terminologies françaises contenues dans des normes publiées par l'AFNOR pourront être versées dans la Banque de terminologie du Québec et s'accompagner d'une cote de pondération équivalant à la catégorie de « normalisé ». Il n'en va pas de même pour les normes publiées par le BNQ, dont les textes, y compris les terminologies qui s'y trouvent, sont soumis, lorsque ce dernier le juge nécessaire, à l'Office de la langue française (OLF). Lorsque, comme ce fut le cas Normalisation des termes et normalisation de la langue généraleC'est, à deux exceptions près-, à (Office de la langue française que le législateur a confié, par le biais de la Charte de la langue française, le3.

4.

À l'exception des normes rédigées et adoptées par des organismes internationaux qui, comme la Commission électrotechnique internationale (CEI), ont leur siège social en France et produisent des versions originales en langue française.Ces deux exceptions sont le domaine de la toponymie (voir Normalisation toponymique) et celui de la rédaction des lois. Au sujet de ce dernier, l'Office de la langue française peut être considéré comme un organisme consultatif, mais c'est le ministère de la Justice qui conserve toute l'autorité, non seulement quant au contenu des lois, mais également quant aux formes linguistiques dans lesquelles

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mandat de normaliser les terminologies (termes en usage dans les langues de spécialité) ainsi que certains mots ou expressions de la langue générale, et d'établir une norme québécoise relative à l'usage du français dans les communications officielles et institutionnelles.En ce qui concerne les terminologies, l'Office de la langue française a mis en place une structure comportant des commissions sectorielles de terminologie et une commission centrale.Quant à l'établissement d'une norme linguistique québécoise relative à l'usage officiel et institutionnel du français, il est présentement en cours et il se présentera sous forme d'un ensemble d'énoncés de politique dontle premier: Énoncé d'une politique relative à Pemprunt linguistique de formes étrangères, a été publié (Éditeur officiel du Québec) à l'automne 1980.Normalisation toponymique

La normalisation des noms de lieux et, par extension, celle des génériques d'odonymes (rue, place, avenue, chemin, lac, rivière, etc.) relèvent, de par la Charte de la langue française, de la Commission de

n y a concertation entre la Commission de terminologie et la Commission de toponymie, concertation qui se traduit par la présence du président de la première aux séances de travail de la seconde. Toutefois, en cas de litige, - ce qui ne se produit que fort rarement -, c'est le Conseil de l'OLF qui tranche la question. Ainsi, récemment, les avis des deux commissions ne concordaient pas quant à l'emploi de la majuscule à l'initiale des points cardinaux dans les génériques d'odonymes (p. ex. rue Sainte-Catherine

Aspects sociolinguistiques

de la normalisation linguistique en général et de la normalisation

La normalisation linguistique, qu'elle s'adresse à la langue générale (ou commune) ou aux langues de spécialité, touche aussi bien les personnes physiques que les personnes morales habitant le territoire où elle est appliquée. Elle régit l'usage linguistique d'un certain nombre de personnes morales comme, par exemple, l'Administration, l'Éducation (y compris les maisons d'édition de manuels scolaires), l'Entreprise dans ses rapports économiques avec l'État, les médias, etc. Les contraintes ainsi imposées, bien qu'elles laissent aux usagers pris individuellement l'entière liberté du choix de leurs modes d'expression dans leurs communications non institutionnelles, ne s'en

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changement des habitudes linguistiques des membres d'une même communauté lnguistique5.

A cette force s'oppose celle de l'inertie des sujets parlants, elle-même fondée à la fois sur une résistance naturelle au changement et sur un attachement à la tradition.La normalisation linguistique et, dans ce cas, surtout terminologique, comporte un autre aspect sociolinguistique important: c'est le rôle qu'elle peut jouer dans la protection de l'intégrité d'une langue en mettant un frein à un envahissement trop massif de formes linguistiques en provenance, d'une autre langue. Pour citer un exemple, c'est dans ce sens que vont les décrets linguistiques adoptés par la France au cours L'application à la situation québécoise des postulats généraux qui précèdent mène aux constatations suivantes:La normalisation linguistique par incitation a existé bien avant que la normalisation linguistique ne soit institutionnalisée par la Charte de la langue française en 1977. En effet, l'histoire du parler français sur le territoire actuel du Québec est jalonnée d'interventions de personnes ou de groupes qui ont tour à tour milité en faveur de la sauvegarde ou de l'épuration de la langue française. Cette normalisation par incitation a même touché, au début du siècle, la terminologie, avec le vocabulaire du chemin de fer de J.-E. Prince, publié dans le Bulletin de la Société du bon parier français au Canada. La normalisation par incitation est devenue institutionnelle avec la création, en 1961, de l'Office de la langue française, remplacé plus tard par la Régie de Sans vouloir tracer un tableau historique de la normalisation linguistique par incitation, nous considérerons brièvement les principales étapes de l'évolution de ce phénomène au Québec et nous noterons les influences qu'il a pu exercer, ainsi que les réactions qu'il a pu provoquer chez les groupes comme On peut distinguer trois grandes étapes dans l'évolution de ce phénomène: a) de la fin du Régime français jusqu'au milieu du XXe siècle; b) de la fin des années quarante jusqu'à la fin des années soixante; c) du début des années soixante-dix à nos jours.La première période est marquée au coin de la résistance et du repli sur soi d'une société qui comporte trois points d'ancrage interreliés et

5. D'autres forces vont dans la même direction et le même sens, mais il n'y a pas lieu d'en traiter ici, pas plus que de celles qui, comme les règles de l'orthographe et les exigences des éditeurs, vont dans une direction opposée.

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indissociables l'un de l'autre: la langue, la religion et la race; à ces trois valeurs s'ajoute celle du sol, pour former la patrie.La normalisation linguistique (par incitation) de l'époque reflète les traits de cette société: elle s'exprime dans des chroniques de langue et des recueils de mots caractérisés d'une part par une attitude défensive à l'égard des anglicismes lexicaux qui, par le biais de l'industrie et du commerce, avaient envahi, surtout pendant le premier siècle (1760-1860), la langue générales; caractérisés également par un souci de correction et de pureté de la langue. Par ailleurs, la normalisation linguistique doit se faire sans contacts avec la mère patrie, puisque les ponts sont coupés, d'abord pour des motifs politiques (traité de Paris), puis, au moment de la Révolution française, pour des motifs religieux. Ce n'est donc pas le français hexagonal qui sert d'étalon, mais celui qu'ont légué les ancêtres; c'est, comme noteront plus tard Adjutor Rivard et L-P. Geoffrion, « la langue de l'Île-de-France, telle qu'elle était déjà répandue dans les provinces du centre, du nord et de l'ouest, lors des grandes émigrations en Amérique; nos pères, venus de ces régions, nous l'ont Sur le plan sociolinguistique, on constate qu'il s'est établi, à l'égard des questions d'ordre langagier, un certain clivage entre, d'une part, les promoteurs de la « sauvegarde » de la langue française, minoritaires, élitistes et souvent isolés et, d'autre part, la masse populaire. Ce n'est, en effet, que dans des cercles restreints que se discutent les questions linguistiques. La majorité de la population s'intéresse peu à ces questions, pour les motifs suivants: a) dans les populations rurales, les plus importantes en nombre, il n'y a pas de problème linguistique: on parle la langue apprise à la maison et à l'école, avec les particularités de la région que l'on habite. Le peu de mobilité des populations et l'absence d'industries secondaires constituent un rempart contre l'anglicisme, qui ne peut s'infiltrer que par la voie de l'industrie primaire (p. ex l'exploitation forestière). Par ailleurs, les journaux sont rares et relativement peu lus, de sorte que les chroniques de langue n'atteignent pas les « habitants ». b) Dans les agglomérations urbaines, plus industriali-6. On peut voir dans ce fait les racines d'une attitude

d'hyperdéfensivité à l'égard des mots anglais qui caractérise bon nombre de Québécois francophones. C'est en vertu de cette attitude que, par exemple, le mot « stop » rencontre des opposants irréductibles. Assez curieusement, cependant, le rejet ne s'applique qu'aux mots qui éveillent une image anglaise; c'est ainsi que, par exemple, « transmission » au sens de « boite de

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anglaises, quitte à en franciser la prononciation; seuls les artisans ou les membres des corps de métiers continuent à travailler en français. Pour les notables et les commerçants, la simple survie est une question beaucoup plus importante que la survivance de la Dans les milieux ruraux aussi bien qu'urbains cependant, la petite école maintient le flambeau, constituant ainsi un élément de normalisation par incitation: on y enseigne le « bon parler français », sous forme de leçons de vocabulaire, de brefs exposés occasionnels, de joutes, jeux et concours, etc.On peut résumer cette période en disant que la normalisation linguistique par incitation y a servi principalement à maintenir vivante la langue française au Québec, que les préoccupations linguistiques y sont demeurées, sous des formes diverses, à l'état latent dans l'esprit des Québécois en général, à l'exception de groupes ou d'individus qui s'y sont intéressés de façon plutôt isolée, et qu'en conséquence ces questions, sans tomber dans l'oubli, ont été reléguées à l'arrière-plan. La « correction » (au sens actif) du langage porte essentiellement sur les éléments lexicaux et La seconde période est marquée par trois facteurs sociologiques importants. a) le début de l'ère industrielle, qui n'est pas sans liens avec la Deuxième Guerre mondiale et a pour conséquence directe d'importantes migrations vers les centres urbains; b) la fermentation et l'épanouissement de ce qu'on a appelé depuis la Révolution tranquille, qui a bouleversé toutes les échelles de valeur de la société québécoise et, enfin, c) la réforme de l'enseignement, dont fun des effets les plus lourds de conséquence fut de permettre Ces trois facteurs ont exercé des influences multiples, et parfois conflictuelles, sur les préoccupations linguistiques des membres de la société québécoise.Le premier facteur a eu pour effet, d'abord, un renforcement de l'envahissement des terminologies non françaises, puis, le début de la dislocation des cellules qu'avaient constituées jusqu'alors les paroisses et les villages. La migration vers les centres urbains a entraîné une modification importante des habitudes langagières et, par voie de conséquence, une expansion de l'usage d'une langue caractérisée dans son ensemble par la présence d'archaïsmes importés des 7. On peut probablement voir dans ce fait les origines d'une attitude de

déférence que vouent bon nombre de Québécois à la langue anglaise et à ce qu'elle représente sur les plans social et économique. Cette attitude s'est manifestée de plusieurs façons, qu'un exemple suffira à illustrer: les raisons sociales des PME, même dans des régions à très forte majorité francophone, ont pendant longtemps été

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qu'un militant de la normalisation par incitation de l'époque, le Frère Untel, a globalement stigmatisée sous l'étiquette de joual.

Le second facteur, en conjonction partielle avec le premier, a eu d'abord pour effet de jeter des ponts culturels entre le Québec et la France, puis, plus tard, la francophonie, en favorisant la circulation de documents variés (ouvrages, manuels, revues, etc.), ainsi que le déplacement des personnes. Ensuite, comme il a coïncidé avec une expansion rapide des médias électroniques, il a marqué le début de l'influence considérable qu'exerce sur les sujets parlants la langue utilisée par la radio et la télévision. Ces dernières sont devenues, accessoirement mais de façon très palpable, des agents de transformation des habitudes langagières. Enfin, la notion de liberté indivi-Sur le plan sociolinguistique, ces effets se sont traduits par les phénomènes suivants: a) la découverte d'une langue française hexagonale, sur laquelle certains ont voulu s'aligner de façon inconditionnelle, mais que d'autres ont rejetée comme étrangère, d'où l'existence en parallèle de deux normes linguistiques, - que l'on observe encore aujourd'hui -, pour le théâtre, la création littéraire, les téléromans, les chansonniers, les enseignants, les étudiants, etc.; b) la disparition relativement rapide de plusieurs particularités langagières régionales, notamment sur les plans du lexique et de la prononciation, ce que l'on peut Le troisième facteur a eu un triple effet: a) celui d'augmenter considérablement le niveau moyen de scolarisation des Québécois; b) celui d'étendre cette scolarisation à tous les éléments de la société; c) celui d'introduire, par le truchement d'un enseignement scientifique et technique plus poussé, des terminologies et On peut observer, sur le plan sociolinguistique, une double réaction produite par le troisième facteur: a) une sensibilisation accrue, de la part d'un plus grand nombre de Québécois, à l'égard des questions linguistiques, d'où une normalisation linguistique volontaire, individuelle et issue de la base, plutôt que conseillée d'en haut par une élite; b) une prise de con-science collective de la dimension internationale de la On peut résumer la seconde période en disant qu'elle a marqué la fin de l'ère défensive quant à la qualité de la langue, que les interventions en matière de normalisation linguistique par incitation y sont devenues plus nombreuses et ont fait appel à des moyens plus variés, que les problèmes de normalisation linguistique se sont étendus non plus seulement à la

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que, pour un certain nombre de Québécois, l'identité culturelle et ethnique doit se manifester dans une forme de langage qui reflète une appartenance à une entité géo-politique.La troisième période coïncide avec une accélération rapide du phénomène de normalisation linguistique par incitation, qui se manifeste sous plusieurs aspects: a) la loi créant la Régie de la langue française institue une véritable politique d'incitation; b) les médias électroniques multiplient les émissions portant sur des questions linguistiques; c) la publicité adopte un langage plus soigné et fait appel à des messages culturellement plus près des Québécois; d) les publications abondent grammaires, dictionnaires normatifs, etc.; e) la langue de l'Administration devient plus soignée, et même la qualité linguistique des textes de loi fait l'objet d'une étude à l'occasion des refontes. La mise en place de L'ensemble de ces facteurs ainsi que d'autres du même ordre contribuent puissamment à modifier les habitudes langagières des Québécois ainsi que leur attitude générale à l'égard de la correction du langage. Les politiciens adoptent un niveau de langue moins négligé, certains archaïsmes de prononciation (notamment [wej --> [wa]) s'estompent graduellement, le vocabulaire des sujets parlants s'enrichit. Les grandes universités francophones se dotent d'organismes dont la mission est d'assurer la qualité de la langue. Un nombre de plus en plus grand de Québécois perdent cette gêne que l'on éprouvait à « bien parler », de peur de se faire remarquer. Le succès de la campagne publicitaire qui La normalisation linguistique officielle

C'est en 1973, dans le cadre d'un colloque international de terminologie de l'OLF, que l'étude de cette question a été abordée, pour la première fois au Québec, de façon systématique; c'est de la même époque que datent les premières ébauches d'une infrastructure de normalisation terminologique mise en place cinq ans plus tard, dont l'essentiel est décrit dans un dépliant intitulé Commission de terminologie de !'Office de la langue française. Les premiers actes de normalisation ont été publiés dans la Gazette officielle du Québec" en 1979. Par normalisation linguistique officielle, nous

Sur le plan sociolinguistique, la normalisation linguistique officielle a pour objectif prioritaire, à l'heure actuelle, l'amélioration de la qualité du français, langue de travail; en ce sens, elle agit en complémentarité avec les efforts de francisation des entreprises. Son influence sur les habitudes8. Les premiers décrets de normalisation ont été publiés en France en janvier 1973.

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langagières des groupes et des individus est, par conséquent, d'une importance considérable, d'où la nécessité, pour l'OLF, de maintenir des relations étroites et constantes avec des spécialistes de différents domaines d'activités. La normalisation linguistique, en effet, ne peut se faire en vase clos, car elle risquerait La normalisation linguistique officielle doit également tenir compte de ce qui est ressenti comme un besoin par les usagers. C'est pourquoi les travaux de la Commission de terminologie de l'OLF sont orientés principalement en fonction des demandes soumises par des usagers, individuellement ou en groupes. C'est ce qui explique, d'ailleurs, la satisfaction générale et la rapidité avec laquelle passent dans l'usage la plupart des actes de normalisation de l'OLF. Pour ne citer que deux exemples, la normalisation des dénominations des véhicules de plaisance (motocaravane, tente-caravane, etc.) a été acceptée avec satisfaction par les La normalisation linguistique officielle a d'autres objectifs, qu'elle ne néglige pas pour autant, comme le montrent les deux exemples cités au paragraphe précédent Mentionnons, pour mémoire, l'amélioration de la qualité de la langue de l'Administration, y compris les organismes parapublics, de la langue des affaires, de la langue de l'enseignement et de la langue des médias. Par cet ensemble de préoccupations, la normalisation linguistique officielle atteint toutes les couches de la population.NORMALISATION, RECOMMANDATION ET

HARMONISATIONNormalisation

La normalisation linguistique au Québec présente certaines caractéristiques que nous allons aborder brièvement Premièrement, comme c'est le cas pour la France, mais également pour l'URSS ainsi que nombre d'autres pays, elle revêt un caractère officiel et relève, par conséquent, d'un organisme de l'État Par comparaison, on peut citer la normalisation linguistique, d'ordre essentiellement terminologique, à laquelle on arrive grâce à un consensus de la majorité des pays membres, dans des organismes internationaux comme le comité n° 1 de la Commission électrotechnique internationale, ou les sous-comités de terminologie des différents comités techniques de l'Organisation internationale de normalisation. Ensuite, elle ne touche qu'une langue, le français. De plus, ses interventions portent moins sur la langue générale que sur les 9. Rappelons que la composante lexicale comprend aussi bien des unités syntagmatiques

complexes que des unités simples.

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elle se fonde sur le principe de la biunivocité du terne et, de ce fait, elle ne cautionne pas, officiellement, la synonymie en terminologie. Ce qui signifie que même si, dans l'usage, se sont établis des synonymes (p. ex. à cause de registres de langue), un avis de normalisation terminologique n'en fera pas état.Recommandation

En parallèle avec des avis de normalisation, l'Office de la langue française du Québec émet des avis de recommandation. Cette formule a également cours en France et dans d'autres pays.La recommandation, qui revêt, elle aussi, un caractère officiel, se distingue essentiellement de la normalisation en ce qu'elle n'est pas coercitive. En effet, les termes recommandés n'ont pas, comme les termes normalisés,à être employés de façon « obligatoire dans les textes et documents émanant de (Administration, dans les contrats auxquels elle est partie, dans les ouvrages d'enseignement, de formation ou de recherche publiés Les actes de recommandation doivent, dès lors, accorder place à la synonymie, d'autant plus qu'ils peuvent porter aussi bien sur des éléments linguistiques non spécialisés que sur des terminologies. Cependant, dans les cas de synonymie terminologique, l'une des formes linguistique concurrentes est en général présentée comme préférable aux autres, ne Par ailleurs, il est possible que ce qui fait l'objet d'un avis de recommandation à une certaine époque soit, à une date ultérieure, normalisé.La normalisation et la recommandation constituent les deux formules officielles de la normalisation au Québec.Harmonisation

Il existe cependant une autre forme de normalisation dont les sanctions, pour n'être pas officielles, n'en exercent pas moins une influence considérable sur les habitudes langagières des Québécois, en ce qui a trait aux terminologies. Nous donnerons à cette forme de normalisation f appellation Ce qui la caractérise, outre le fait mentionné plus haut, c'est d'abord qu'elle adopte en général des méthodes de travail analogues à celles de la normalisation officielle et qui consistent à confier l'étude de dossiers terminologiques à des comités composés de spécialistes des domaines traités. Les terminologies ainsi harmonisées pourront donc,

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Autre caractéristique de l'harmonisation, c'est qu'elle se pratique dans les entreprises privées ou parapubliques 10, à l'intérieur d'une même entreprise, ou dans un groupe d'entreprises ayant des intérêts communs. Elle a essentiellement pour but « l'uniformisation de la terminologie en usage dans l'entreprise » (Vidal 1980: 1) et les résultats qu'elle produit sont immédiatement mis à la disposition des Il existe d'autres formules d'harmonisation, qui regroupent les pouvoirs publics, les entreprises ainsi que d'autres organismes ou associations. C'est le cas, par exemple, du Comité de terminologie nucléaire, qui comprend des membres de l'Office de la langue française, d'Hydro-Québec, du Bureau des traductions d'Ottawa, de la Commission de contrôle de l'énergie Signalons, enfin, pour compléter le tableau, que la normalisation terminologique et métaterminologique (celle qui concerne la normalisation des méthodes de travail en terminologie) s'exerce également par le biais de la participation d'organismes québécois aux travaux d'organismes internationaux. Ainsi, pour citer un exemple, la direction de la terminologie de l'OLF assume le secrétariat du sous-comité 2 du Comité technique 37 de l'ISO; le mandat de ce sous-comité s'étend à l'élaboration et à la présentation des vocabulaires spécialisés et il possède déjà à son actif la rédaction d'un projet de norme internationale (ISO/DIS 639) portant sur les « abréviations de langues et

Valeurs psycho-sociales

qui font opter le normalisateur québécois tantôt en faveur de la normalisation,

tantôt en faveur de la recommandationL'existence même de la Charte de la langue française confère au Québec un caractère particulier, en ce sens qu'il y a peu de situations comparables dans le monde, qui sont telles que l'État doit légiférer pour protéger son territoire non seulement contre l'érosion linguistique provenant du contact avec d'autres langues, mais également contre l'acculturation. La situation géo-politique du Québec, entité à majorité francophone insérée dans un continent dont toutes les institutions sont marquées au sceau d'une autre culture et fonctionnent dans une autre langue, de même que l'histoire expliquent, entre autres faits, les coups de barre qu'ont été les lois 22 et 101. La première 10. D existe des comités ou commissions dans des organismes publics comme, par exemple, le

ministère de l'Éducation: ils font partie de l'infrastructure de la normalisation linguistique officielle.

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et linguistique qui tendait vers la folklorisation, mais également des structures orientées vers l'expansion de la langue française. Cette langue, tout en reflétant la nord-américanité du Québec, doit s'aligner sur une norme qui assure la communication internationale au Voilà le cadre général dans lequel s'exerce la normalisation officielle: implantation, dans des secteurs d'où il était absent, d'un usage plus généralisé du français et modernisation d'une langue pour l'adapter aux réalités nouvelles. C'est ce qui explique les attitudes différentes, qui vont de la prudence à la fermeté, qu'a adoptées le normalisateur depuis la Une étude des avis publiés au cours des trente derniers mois fait voir qu'essentiellement, le normalisateur, dans son choix entre la normalisation, la recommandation et la non-intervention, doit tenir compte des facteurs suivants: le nombre d'usagers susceptible d'être touché, le nombre de termes ou mots appartenant à une même série, le degré de spécialisation des termes ou, à l'inverse, le degré de rapprochement de ces ternes avec les mots du langage courant (p. ex.: autoroute est un terme du domaine des voies de circulation, mais également un mot de la langue courante), le degré d'ancrage dans l'usage, d'où les possibilités de résistance, la moins grande capacité du français en usage au Québec à ingérer sans dommage des emprunts fnguistiques, d'où les mécanismes d'autodéfense qui s'éveillent devant un mot comme « stop », la tendance à accepter le calque de façon inconsciente, tendance que favorisent les Normalisation

Compte tenu des facteurs qui précèdent, l'Office de la langue française choisira de normaliser un terme (ou une série de ternes) ou un mot, dans le but de:

- modifier de façon massive des habitudes langagières fortement ancrées dans l'usage et s'étendant à une partie importante de la population, quand la terminologie en usage n'est pas française. Exemple: le domaine des boissons gazeuses, qui comprend une nomenclature relativement importante;- confirmer la qualité de ternies dont la forme linguistique éveille des doutes chez les usagers. Exemples: maintenance, averse de neige, square;11. Pendant plusieurs décennies, la culture française québécoise a été

une culture de traduction. Même si la situation a changé, toutefois, il circule encore quotidiennement un grand nombre de textes traduits, et non rédigés en français. Que l'on songe, par exemple, aux nombreux textes en provenance des grandes agences de presse qui sont reproduits tels quels dans les journaux de langue française.

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- ordonner un ensemble de termes dans un domaine technique, en vue de modifier certains usages de l'Administration et des organismes qui lui fournissent des services ou des biens. Exemples: dans le domaine des affaires sociales, agrément d'un régime, années décomptées, cotisation, services validables, etc; dans le domaine des engins de chantier, bouteur, scarificateur, - assurer un statut de plein droit à un terme considéré comme régionalisme en français hexagonal. Exemple: traversier;- uniformiser une terminologie en usage dans des opérations commerciales, en vue de l'aligner sur un usage international et, dans certains cas, d'assurer ainsi la protection du consommateur. Exemples: dans les produits de la pêche, flétan du Groenland (« turbot »), hareng (« sardine »), plie (« sole »), mye (« palourde »), - remplacer un régionalisme improductif, ambigu ou non adapté aux réalités modernes. Exemples: les véhicules de plaisance: autocaravane caravane (« roulotte »), caravane pliante, tente-caravane, semi--établir des règles concernant l'affichage. Exemples: dans le domaine de la toponymie, les génériques d'odonymes allée, place, avenue, boulevard, chute, etc.; les restaurants, les commerces d'alimentation;- dénommer au moyen d'appellations françaises des réalités que l'usage hexagonal a tendance à nommer au moyen de l'emprunt. Exemples: dans le domaine des engins de chantier, bouteur léger (« calfdozer »), décapeuse automotrice (« motorscraper »);- éliminer la synonymie inutile dans les langues

de spécialité.RecommandationDans d'autres cas, et parfois à l'intérieur d'un

même domaine (p. ex. celui des affaires sociales), le normalisateur aura recours à un avis de re-commandation, principalement dans le but de:- ne pas heurter de front des habitudes langagières qui, tout en n'étant pas internationales, sont françaises, se rattachent à un héritage culturel et concernent des mots d'emploi courant plutôt que des ternes spécialisés. Exemple: canot;-orienter l'usage, tout en le laissant flotter jusqu'à ce qu'il se fixe. Cette formule est utile dans le cas de réalités en voie de développement, soit d'ordre sociologique, comme, par exemple, la transformation des attitudes sociales à l'égard de la population féminine (féminisation des titres), des ethnies amérindiennes (graphie française des noms de peuples amérindiens), soit d'ordre technique, comme certains - guider l'usage sans plus, dans les cas où le normalisateur considère que le nombre d'usagers est si restreint que les mesures coercitives ne sont pas nécessaires. Exemple: dans le domaine des transports, lux, lumen, déclivité;

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-laisser coexister des synonymes jusqu' à ce qu'une tendance se dessine en faveur de l'un d'entre eux, lorsqu'aucun autre critère ne permet de les départager. Exemples: dans le domaine de l'aménagement des voies decirculation: halte routière/aire de repos, musoir/tête d'îlot; dans le domaine des affaires sociales, concentrateur - donner un certain poids à des lexiques thématiques. Exemple: le Vocabulaire de l'habillement.

Notons que les actes de normalisation ou de recommandation portent non seulement sur les termes, mais également sur la définition qui les accompagne. Notons également que les dossiers terminologiques sur lesquelss'appuient ces actes sont versés à la Banque de terminologie du Québec et sont ainsi disponibles pour consultation.

Aspects linguistiques dela normalisation terminologique au Québec

Traitement du calque et de l'emprunt 1LPour les motifs d'ordre sociologique et historique exposés dans les

paragraphes qui précèdent, on observe, dans la langue française en usage au Québec, deux attitudes contradictoires à l'endroit du calque et de l'em-prunt,3. C'est d'abord, comme nous l'avons signalé précédemment, la réaction d'auto-défense que provoque immédiatement toute forme linguis-tique à visage anglais ", réaction qui ne s'exerce pas, toutefois, dans le cas des formes linguistiques à visage familier (c'est le cas, par exemple, de « pointes » = vis platinées). Notons que cette réaction se limite également à l'aspect lexical de la langue. C'est, ensuite, une acceptation inconsciente du calque, syntaxique aussi bien que lexical ou sémantique.

12. Dans les lignes qui suivent, nous entendons par emprunt linguistique le passage d'une langue à une autre, d'une forme linguistique ou d'une structure morphologique ou syntaxique, ou encore l'addition à tel signifiant dans une langue d'un signifié associé, dans uneautre langue, à un signifiant de forme analogue; c'est le cas, par exemple, de réaliser (concrétiser) et de réaliser (se rendre compte 13. 0 s'agit ici du calque de formes linguistiques anglaises ou de (emprunt d'unités lexicales à la langue anglaise, en raison d'un contact prolongé avec cette langue, dans des conditions socio-économiques et politiques qui, pendant deux siècles, ont fait que la langued'une minorité a exercé sur la langue de la majorité une influence identique à celle qui s'observe habituellement dans le cas inverse. Il est vrai que la langue française a été, sur le territoire du Québec, en contact avec les langues amérindiennes et qu'il en est résulté un certain nombre d'emprunts lexicaux, notamment en toponymie et dans les dénominations relatives à la faune. Cependant, ces emprunts n'ont pas le caractère massif et culturel 14. C'est le cas, par exemple, de parking, building, etc. Plus récemment, le mot « discount » a fait l'objet, dans le journal Le

Deuoir, d'un échange de vues illustrant cette réaction.

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LA NORME LINGUISTIQUE

Le calque et l'emprunt linguistique constituent des moyens d'enrichissement des langues. Toutes les langues modernes, même les plus « pures » y ont eu recours, parfois de façon massive, dans le passé (p. ex., le nombre de mots empruntés par l'anglais au français est beaucoup plus élevé qu'on ne le croit en général) et ce phénomène se poursuit de nos jours, à un moindre Voilà donc trois facteurs dont deux, d'ordre interne, sont paradoxaux, et l'autre d'ordre externe, puisqu'il constitue un élément de la structure du langage, voilà trois facteurs dont doit tenir compte le normalisateur québécois dans le traitement du calque et de l'emprunt. Le troisième facteur présente de plus un corollaire: si le recours au calque et à l'emprunt dans des limites normales peut contribuer à l'enrichissement d'une langue, par contre, l'emploi immodéré et unique de cette formule a pour effet de modifier de façon

C'est ce qui explique que l'Office de la langue française a choisi de régulariser le recours à l'emprunt et au calque dans l'usage officiel du français au Québec. II a, pour ce faire, établi des lignes directrices balisées au moyen de trois types de critères portant sur l'acceptation, le rejet et la nonintervention. Ces critères sont exposés dans l'Énoncé d'une politique relative a l'emprunt de formes linguistiques étrangères (déjà cité, L'examen de ces critères montre que le normalisateur a pris en considération la situation particulière du Québec des points de vue sociolinguis-tique, culturel, politique et historiquesEn effet, les critères d'acceptation sont moins laxistes qu'ils ne pourraient l'être, par exemple, en France, dont la population constitue une masse permettant à la langue d'absorber une plus grande quantité d'emprunts. Ces critères plus étroits ne risquent pas, par ailleurs, d'être une gêne, car ils s'inscrivent dans une tradition bien ancrée de réserves à l'égard des mots non français. Et, au surplus, ils auront pour effet de stimuler l'imagination créatrice des usagers en les forçant à chercher des dénominations françaises pour représenter des réalités nouvelles dont la majorité sont de provenance nord-américaine. À cet égard, le Québec occupe une position privilégiée, aux Les critères de rejet, quant à eux; tendent à éliminer les emprunts inutiles, que l'on trouve aussi bien dans l'usage hexagonal que dans l'usage québécois.Quant aux critères de non-intervention, fis démontrent une préoccupation de conservation de certains héritages culturels et linguistiques légués par les contacts avec les langues amérindiennes ou par des

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LA NORMALISATION AU QUÉBEC 28

coises; de plus, ils tracent une limite dans le temps quant à l'acceptation dans une norme québécoise des emprunts intégrés au français hexagonal.

Traitement de la néologie lexicale et de la néonymie ls

Dans la langue commune ou générale comme dans les langues de spécialité, les principaux facteurs qui contribuent à la création de nouveaux mots ou de nouveaux termes peuvent se résumer comme suit: a) la nécessité de dénommer une réalité nouvelle conçue et d'abord nommée dans une autre langue; b) la traduction (souvent parce que le traducteur, pressé par le temps, est dans l'impossibilité de se livrer à des consultations approfondies, ou qu'il n'a pas accès à la documentation nécessaire); c) le désir de marquer une conception différente d'une notion pourtant déjà nommée dans la même langue; d) la publicité et la mise en marché"'.Le normalisateur québécois, dont la compétence couvre la langue dans son usage officiel et institutionnel sans toucher directement à la langue générale, a adopté des attitudes différentes à l'égard de la néologie lexicale et de la néonymie. En effet, ses interventions sous forme d'actes de normalisation se sont limitées, à de rares exceptions près, à la néonymie. Cette double attitude se reflète même dans le traitement de la néologie, comme le montre l'évolution de la série Néologie en marche: après avoir publié en parallèle pendant quelques années une série a (langue générale) et une série b (langues de spécialité), l'OLF a interrompu récemment la première, pour se concentrer sur la seconde.

L'action du normalisateur ne peut s'appliquer à la néonymie que dans le cadre de certaines conditions qui devront normalement être définies dans l'Énoncé d'une politique relative à la créativité lexicale que l'Office de la langue française vient d'annoncer. En l'absence de ce cadre, on peut toutefois constater, en observant les actes de normalisation ou de recom-mandation touchant les néonymes qui ont été publiés depuis deux ans et demi, la présence de deux conditions essentielles: un traitement préalable et un choix sur lequel se fondent (intervention ou la non-intervention.

Le traitement comporte un double aspect: le repérage et la collecte d'une part et la création d'autre part.

Le repérage et la collecte, qui représentent, en volume, l'aspect le plus important, sont réalisés selon une méthode mise au point au cours des ans et décrite dans Boulanger (1979: 36) et grâce à un réseau de15. Par néonymie, nous entendons la néologie terminologique, ou

néologie lexicale dans les langues de spécialité (Rondeau 1981: 121-122).16. Jean-Claude Corbeil cite le cas du dispositif destiné à recevoir les oeufs dans un réfrigérateur, et pour lequel on a dénombré un grand nombre d'appellations différentes, toutes néologiques (Corbeil 1974: 16).

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groupes de travail établis au Québec, en France et en Belgique. Elle est strictement descriptive et consiste, pour en donner une idée sommaire, à relever dans des publications récentes et spécialisées d'un secteur donné, tous les éléments qui, à première vue, sont perçus comme néonymiques. On procède ensuite à la vérification, dans des ouvrages lexicographiques généraux et spécialisés, de la présence ou de l'absence de ces unités linguistiques. Celles qui n'ont pas été codifiées dans un ouvrage lexicographique sont Quant à la création néonymique, elle ne se produit que sur demande, si le besoin s'en fait sentir à l'occasion de la recherche terminologique" thématique ou ponctuelle. S'il apparaît, par exemple, que telle notion de conception étrangère et nommée dans une autre langue ne possède pas de dénomination française, il faudra créer un néonyme. La création de nouveaux termes, cependant, n'est pas le fait des terminologues seuls: elle est élaborée en concertation avec des spécialistes du domaine issus de divers milieux: entreprises, administration publique, institutions d'enseignement La concertation s'étend également à la francophonie, et ce n'est que quand l'usage international est incompatible avec une norme linguistique québécoise (p. ex., lorsqu'il favorise un La seconde condition d'intervention du normalisateur québécois en néomymie a rapport au choix des unités linguistiques auxquelles elle devra s'appliquer ou non. Ce n'est pas, en effet, tous les néonymes colligés dans les opérations de repérage et de collecte qui feront l'objet d'un acte de normalisation ou de recommandation Le choix doit tenir compte de la mouvance de l'usage, d'un caractère de nécessité fondé sur les désirs des usagers, du degré d'encombrement synonymique provoqué par les néonymes, de l'urgence d'agir pour contrer l'implantation d'un terne incom-patible avec la norme, etc. Ce sont les néonymes de création régionale qui sont le plus susceptibles de faire l'objet d'un acte de normalisation ou de Conclusio

nNous conclurons en passant brièvement en revue les caractéristiques principales de la normalisation linguistique et terminologique au Québec.17. On trouvera une définition de l'expression . recherche terminologique » dans Auger,

Rousseau et colt, 1978, Méthodologie de la recherche terminologique, Québec, Éditeur officiel du Québec.

18. Ce concept sera clarifié dans un Énoncé de politique sur les régionalismes, en préparation à l'Office de la langue française. Voir également Auger (1981: 111-113).

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Nous avons observé qu'elle se présente sous quatre formes différentes et complémentaires: la normalisation linguistique par incitation, non offi-cielle, puis officielle, l'harmonisation, ainsi que la normalisation et la recommandation officielles. Le recours à cette variété de formules fait ressortir deux aspects de la normalisation linguistique au Québec: a) dans le temps, elle s'est amplifiée et s'est accélérée au fur et à mesure que le Québec affirmait sa spécificité collective; b) elle est attentive à la nécessité de traiter les questions d'ordre langagier avec souplesse et doigté.

De plus, la normalisation officielle s'exerce dans le respect des valeurs socioculturelles, politiques et historiques qui constituent l'image de marque du Québec, tout en veillant à ne pas l'isoler de la communauté francophone internationale. La nomme régissant de façon générale l'usage de la langue française au Québec est ainsi en voie d'atteindre une spécificité qui, tout en reflétant des origines françaises et une tradition nord-américaine vieille de trois cents ans, foumira au Québec un outil de communication inter-nationale reconnu par la francophonie.

Par ailleurs, la normalisation linguistique officielle s'établit en concer-tation continue avec tous les intervenants, de sorte que ses décisions se situent dans un juste milieu entre un purisme étroit et un laxisme qui, compte tenu du contexte socio-politico-économique, ne pourrait aller au-delà de certaines limites. C'est pour ces motifs que, précisément, la norme linguistique québécoise doit se démarquer par rapport à celle de la France.

Enfin, nous avons observé que, de par sa position géo-politique, comme poste avancé de la francophonie en Amérique du Nord, où naissent et se développent quotidiennement des concepts nouveaux, en particulier dans les domaines scientifiques et techniques, de par sa tradition culturelle française solidement implantée dans une population relativement homogène et dotée d'une infrastructure d'enseignement et de recherche enviable, de par sa tradition de résistance à l'envahissement des terminologies de langues étrangères et une créativité lexicale respectueuse des modèles de sa langue d'origine, le Québec occupe, au sein des peuples de langue française, une situation privilégiée qui lui permet à la fois de concevoir, là où le besoin s'en fait sentir, des terminologies françaises, et de servir de courroie de transmission pour les diffuser à travers la francophonie.

Bibliographie

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matique de la définition de la norme », dans: Actes du colloque: Les français régionaux, Québec, Éditeur officiel du Québec.

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31 LA NORME LINGUISTIQUE

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XVIl

Réflexions sur la normalisation linguistique au Québec

Par Édith Bédard et Jacques Maurais

IntroductionLes réseaux tant techniques que linguistiques

d'élaboration et de diffusion de la normalisation constituent un champ stratégique pour l'étude des aspects prescriptifs de la norme au Québec. Nous nous proposons, dans le cadre de cet article, de décrire la normalisation terminologique telle qu'elle se pratique au Québec de manière à pouvoir faire une réflexion sur son fonctionnement et sur ses finalités. Étant donné que le Québec fait partie d'une fédération, la question Après avoir défini les termes que nous utiliserons, nous poursuivrons notre réflexion en abordant les questions suivantes: quels sont les réseaux de normalisation qui existent au Québec et au Canada? Sur quelle base ces réseaux fonctionnent-ils? Quels rapports existe-t-il entre ces réseaux? En ce qui a trait à la situation proprement québécoise, où se situe la normalisation terminologique dans le processus de francisation des entreprises au Québec? Mais avant de brosser le tableau des relations entre une norme du français d'origine fédérale et une autre d'origine La langue standard est celle qui est considérée, dans un pays donné, comme le meilleur moyen de communication; cette variété est souvent désignée sous les appellations de « langue officielle » ou de « languenationale ». La langue standard est codifiée dans des dictionnaires et des grammaires qui serrent de cadres de référence quand surgit une question relative au bon usage. Quoiqu'elle puisse connaître des variations sociales ou locales, elle tend en général à minimiser les différences d'usage. Elle se caractérise enfin par des

La langue standard joue un plus grand nombre de rôles que la langue populaire, ses domaines d'emploi dépassant ceux de la langue populaire.

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C'est ainsi que l'utilisation de la langue standard est caractéristique des sciences, de la technologie, de la philosophie, de la législation, de l'Administration, etc.

Quant aux fonctions caractéristiques de la langue standard, Alleyne et Garvin (1980: 56) en comptent cinq: une fonction d'unification, où la langue a valeur de symbole d' unité; une fonction de séparation par laquelle la languemanifeste le particularisme d'une communauté donnée; une fonction de prestige à la fois pour la communauté et pour les individus qui acquièrent la maîtrise de la langue standard; une fonction de référence pour résoudre les questions relatives au bon usage; et, enfin,

On croit communément que l'existence d'une norme est un trait caractéristique de la seule variété standard d'une langue. Il n'en est rien, chaque variété linguistique a, de fait, sa propre norme même si elle n'est pas toujours décrite. Ce qui caractérise la norme de la langue standard et lui confère un tel prestige, c'est qu'elle est codifiée dans des ouvrages de référence comme les grammaires et les dictionnaires. La norme de la variété standard ne doit donc pas être confondue avec sa codification: cette dernière est toujours, par la

Dans les domaines techniques et scientifiques, le mot « norme » a acquis au XXe siècle un sens différent de celui qu'il a en linguistique. En effet, une norme technique est un document de référence résultant d'un choix collectif raisonné en vue de servir de base d'entente pour la solution de problèmes répétitifs; le plus souvent, la norme technique précise des caractéristiques pour des objets, des dimensions, des qualités, des méthodes d'essai, etc.; dans certains cas, elle peut même être un vocabulaire. On appelle normali-sation le processus qui conduit à l'élaboration d'une Dans bien des cas, la normalisation des objets et des notions ne peut pas aller sans la normalisation des termes qui les désignent La normalisation terminologique a été définie comme l'« action par laquelle un organismeofficiel choisit un terme de préférence à un autre ou à (exclusion de tout autre, après examen de dossiers terminologiques rigoureusement établis » (Boutin-Quesnel et a1. 1979: 34). La normalisation comporte en outre un aspect essentiel, sans lequel elle perd sa raison d'être: l'implantation des décisions d'ordre normatif. L'implantation peut être laissée à l'initiative personnelle, elle peut être librement consentie par certains secteurs ou encore imposée par un organisme

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de plusieurs usages ou pour imposer un nouveau terme à la place de termes déjà en usage mais qui, pour une raison ou pour une autre, sont jugés insatisfaisants (cf. Rey 1979: 61). Par définition, la normalisation comporte toujours un aspect prescriptif, auquel peut s'ajouter un aspect répressif (par exemple, l'organisme normalisateur peut édicter des nonnes de vocabulaire La normalisation est donc une décision institutionnelle qui peut provenir soit d'un gouvernement (c'est le cas, au Québec, avec l'Office de la langue française et le Bureau de normalisation du Québec), soit de l'entreprise ellemême (comme, en France, rAFNOR,Association française de normalisation). Au Québec, en plus, la normalisation terminologique a reçu une signification juridique par l'article 118 de la Charte de la langue française, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Mais il convient déjà de noter qu'en plus de son autorité légale, un organisme de normalisation linguistique La normalisation terminologique n'est qu'une partie d'un ensemble beaucoup plus vaste, la normalisation linguistique. Cette dernière consiste à privilégier certaines variantes dialectales ou sociales, aussi bien au niveau des unités significatives que des unités non D faut enfin préciser ce que for entend généralement par terminologie. Le comité consultatif canadien de l'International Organization for Standard-ization (I.S.O. CT 37) a défini la terminologie de la façon suivante: « Étude systématique de la dénomination des notions appartenant à des domaines spécialisés de l'activité humaine (... 1 » (Boutin-Quesnel et al. 1979: 33). Dans la pratique de la plupart des pays, la terminologie est une lexicographie des domaines techniques et scientifiques, mais ce qui la différencie de cette dernière, c'est qu'elle favorise l'univocité entre le terne (mot ou groupe de mots) et la notion. C'est cette caractéristique qui entraîne une certaine prescription et fait de la terminologie une

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35 LA NORME LINGUISTIQUE

PREMIÈRE PARTIELa description des

mécanismes1. Description des intervenants et de leurs responsabilités linguistiques

Nous présenterons les principaux intervenants dans le domaine lin-guistique d'abord au niveau du gouvernement fédéral, puis à celui du gouvernement québécois.

a) Législation et organismes du gouvernement fédéral

L'article 133 de la constitution canadienne (Acte de l'Amérique du Nord britannique) précise les cas où l'utilisation à la fois de l'anglais et du français au Parlement fédéral et devant les tribunaux est permise ou est obligatoire':« Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l'autorité du présent acte, ou_ émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux de Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues.Les lois du Parlement du Canada et de la Législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues. »

En 1969, à la suite des travaux de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton), le Parlement fédéral adoptait la Loi sur les langues officielles du Canada; l'article 2 prévoit que « l'anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du Parlement et du gouvernement du Canada ». On institutionnalisait ainsi le bilinguisme dans les services fédéraux. Aucun organisme central n'est chargé de l'application de la Loi sur les langues officielles: en effet, cette application est laissée à la discrétion de chaque ministère ou organisme (cf. Corbeil 1980: 47 ss. ).

Le Bureau des traductions du Secrétariat d'État, créé en 1934, occupe une place centrale dans les services linguistiques du gouvernement fédéral, desservant quelque 150 ministères et organismes de l'Administration centrale. ll « a une charge de travail d'environ 250 millions de mots par année, soit quelque 200 000 documents qui équivalent en moyenne à 2 000 ouvrages de 500 pages chacun-' ». En 1974, il recevait du Cabinet fédéral le mandat de « vérifier et de normaliser la terminologie anglaise et française dans la

1. La Constitution canadienne de 1 9 8 1 prévoit à son article 52 (2 (bl) que la Constitution du Canada comprend « les textes législatifs et les décrets figurant à l'annexe I », laquelle prévoit que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (dorénavant intitulé Loi constitutionnelle de 1 8 6 7 ) est toujours en vigueur sauf quelques modifications expresses.2. Extrait de la brochure Le bureau d e s traductions, Ministère des Approvisionnements et Services, 1 9 8 1 , p . 2.

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RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC 36

fonction publique fédérale et chez tous les corps publics qui dépendent du Parlement du Canada' ».

Quant au domaine de la langue générale, trois ministères fédéraux ont une importance toute spéciale. 1 s'agit d'abord du ministère de la Santé et du Bien-Être social, de qui relève l'application de la Loi des aliments et drogues'; les volumineux règlements qui accompagnent cette loi définissent, notamment, toute une gamme de produits et donnent leurs dénominations. Le ministère de l'Agriculture du Canada occupe aussi une place importante en terminologie; en collaboration avec l'Office de la langue française du Québec, il a procédé à la normalisation de la terminologie des viandes et a publié, entre autres, un Lexique laitier. La Loi sur l'étiquetage et l'emballage des produits de consommation (1971) confère, enfin, au ministère de la Consommation et des Corporations un II y a bien sûr d'autres ministères et organismes du gouvernement fédéral qui interviennent dans le domaine linguistique: citons, par exemple, le ministère des Transports qui a reçu la responsabilité d'introduire le français dans les communications aériennes ou l'Office des normes générales du Canada. Il existe aussi d'autres lois fédérales qui prescrivent l'utilisation du français: la Loi sur l'inspection du poisson S.R.C. C. F-12, la Loi sur les produits antiparasitaires S.R.C. C.P.-10, la Loi relative aux semences S.R.C. C.S.-7, la Loi sur

Il faut enfin signaler que les marques de commerce sont de la compétence du gouvernement fédéral qui les reçoit en dépôt, les enregistre, négocie et signe les accords internationaux dans ce domaine. Quant aux raisons sociales, les compagnies (sociétés commerciales), selon qu'elles exercent leurs activités au Québec ou dans plus d'une province, ont le choix de les déposer soit à Québec, soit à Ottawa; au Québec, b) Législation et organismes du gouvernement québécoisLa pierre d'angle de la politique linguistique québécoise est évidemment la Charte de la langue française, qui propose un unilinguisme nuancé, tenant compte des droits des minorités linguistiques et des peuples autochtones; un certain bilinguisme institutionnel existe dans les faits par suite du jugement 3. Extrait de la brochure La banque de terminologie, Ministère des Approvisionnements et

Services, 1981, p. 1.4. Drogues est mis ici pour médicaments, sous l'influence de l'anglais drugs. 5. P.G. du Québec c. Blaikie (1979) 2 R.C.S. 1016.6. Par exemple, la rédaction originale de la Charte n'autorisait pas l'utilisation de l'anglais

à l'Assemblée nationale.

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37 LA NORME LINGUISTIQUE

Plusieurs organismes québécois prennent, dans la pratique, des décisions de normalisation: l'Office de protection du consommateur, le Bureau des normes du Québec, le ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre (normes de sécurité au travail), etc. Mais nous nous contenterons de présenter le ministère de l'Agriculture

Le premier ministère québécois à se doter d'un règlement sur l'utilisation du français a été le ministère de l'Agriculture 7 (articles 2 et 38 du règlement 683 du 15 mars 1967); dans le but d'assurer la loyauté des ventes et la protection du consommateur, le règlement exigeait la présence du français sur les étiquettes des produits agricoles. Durant la décennie 1965-1975, le ministère de l'Agriculture a probablement été l'organisme québécois à vocation non linguistique qui a fait le plus pour la promotion du statut et de la qualité du français. ll a travaillé étroitement avec l'Office de la

Le maître d'oeuvre de la francisation du Québec est l'Office de la langue française. L'Office s'est vu notamment confier le mandat de franciser les entreprises établies au Québec. Il s'agit là d'une tâche colossale qui n'a pas eu de précédent dans le monde.

La Charte de la langue française impose aussi à l'Office le devoir de « normaliser les termes et expressions qu'il approuve » (art. 113, a), mais ce mandat n'est pas vraiment intégré au processus de francisation des entreprises puisque l'emploi des termes normalisés n'est obligatoire que « dans les textes et documents émanant de l'Administration, dans les contrats auxquels elle est partie, dans les ouvrages d'enseignement, de formation ou de recherche publiés en français au Québec et approuvés par le ministre de l'Éducation ainsi que dans l'affichage public » (art. 118). L'idée qui a inspiré cette décision, c'est que l'utilisation par l'État des termes normalisés influera sur l'usage linguistique des entreprises et des citoyens en général (cf. Corbeil 1981: 59 ss.). Cependant, la portée juridique de ce pouvoir de normalisation est limitée par la Charte aux « termes et expressions' » (113 a) et à certaines circonstances d'utilisation (118). Ces avis de

7. Aujourd'hui nommé ministère de l'Agriculture, des Pêcheries [sic] et de l'Alimentation.8. II peut être intéressant de noter que, alors que l'article 116 parte des « mots et expressions

techniques » dont les commissions de terminologie doivent faire l'inventaire, l'article 118 confie à l'Office le soin de normaliser des « termes et expressions ». Or, dans la mesure où les terminologues eux-mêmes ont établi une subtile distinction entre mot et terme, l'Office n'a sans doute pas le pouvoir de normaliser des m-ts si l'on suit la maxime juri-dique bien connue expressio unius, exclusio alterius: Mais, il va sans dire, on pourrait tout aussi bien faire valoir que la différence entre l'article 116 et l'article 118 résulte d'une déficience dans la rédaction de la loi

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RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC 38

exemple, de prendre position sur des questions de stylistiqu' ou de morphologie comme la féminisation des titres (Gazette officielle du 28 juillet 1979, p. 7394 et du 28 mars 1981, p. 5040) ou le pluriel de certains adjectifs (Gazette officielle du 25 octobre 1980, p.

L'Office de la langue française publie aussi des avis de recommandation dans la Gazette officielle; ces recommandations ne sont pas prévues dans la Charte et n'ont de valeur que par l'autorité morale dont jouit l'Office. C'est cette autorité morale reconnue à l'Office qui lui permet donc d'implanter les termes qu'il normalise ou recommande dans des secteurs non visés par l'article 118; on peut même supposer que plus l'Office remplit son mandat de diffusion, plus son 2. Dynamique des réseaux de normalisation

Nous passerons en revue le fonctionnement des réseaux de normalisation du gouvernement fédéral puis du gouvernement québécois et nous analyserons ensuite leurs interrelations. Nous traiterons surtout de la normalisation terminologique, celle-ci n'étant pas, à toutes fins utiles, intégrée à la normalisation technique.Même si le Secrétariat d'État a reçu la mission de « vérifier et de normaliser la terminologie anglaise et française dans la fonction publique fédérale et chez tous les corps publics qui dépendent du Parlement du Canada »,il faut reconnaître que, dans la pratique, le Secrétariat d'État a beaucoup de difficultés à imposer ses décisions terminologiques aux ministères fédéraux, qui occupent souvent une position de force pour implanter leurs lexiques. Cette situation provient notamment du fait que la loi donne à certains de ces ministères des pouvoirs sur la terminologie. Par exemple, la Codification administrative de la loi des aliments et drogues et des règlements des aliments et drogues, qui emploie l'expression « nom usuel », la définit de la façon suivante. « L'expression "nom usuel" appliquée à un aliment, désigne le nom dudit aliment en caractère gras dans les présents règlements ou, si le nom de l'aliment n'est pas ainsi imprimé, le nom, en anglais ou en français, sous lequel ledit aliment est connu généralement"' » (Codification.... B.01.001). Le ministère de la Santé et du Bien-Être social du Canada, de qui relève l'application de la Loi des aliments et 9. Par exemple ces extraits de la Gazette officielle du 28 mars 1981, p. 5041: « Le recours,

notamment dans les descriptions de tâches, aux verbes à l'infinitif, aux tournures de phrases nominales et aux énumérations. . . » et « La langue offre une grande variété de procédés stylistiques qu'il convient d'utiliser, etc. ».

10. C'est nous qui soulignons.

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39 LA NORME LINGUISTIQUE

Consommation et des Corporations à intervenir dans plusieurs domaines où il devient, potentiellement, le concurrent d'autres ministères (par exemple, le ministère de l'Agriculture ou le ministère de la Santé et du Bien-Être social). Signalons, enfin, que les normes de l'Office des normes générales du Canada sont partiellement en conflit avec des décisions du ministère

Au Québec, la normalisation terminologique relève de l'Office de la langue française qui, par sa Commission de terminologie, cherche à répondre aux besoins de normalisation en provenance des individus ou des organismes"; ce mandat s'effectue dans un contexte de rattrapage lexical qui n'est pas sans avoir de répercussions sur la conception même de la termino-logie. En effet, alors qu'ailleurs la terminologie est souvent conçue comme une discipline néologique centrée sur les domaines scientifiques et techniques, le rattrapage lexical nécessaire au Québec teinte ici cette

Le pouvoir de normalisation accordé à l'Office de la langue française s'inscrit dans la dynamique de la francisation du Québec. C'est ainsi que l'Office a accédé à la demande de la Commission de surveillance de la langue française de normaliser des équivalents français pour vacancy et no vacancy 12 et de se prononcer sur Mentionnons aussi le rôle complémentaire de l'Office de la langue française et du Bureau de normalisation du Québec. Ce dernier a dû avoir recours à l'Office dans ses travaux de normalisation des produits de la pêcheet pour normaliser ses règles d'écriture du SI (Système L'activité normalisatrice oblige à poser un certain nombre de questions plus générales, notamment sur la place de l'usage. Au Québec, par suite de la prépondérance de la terminologie anglaise dans certains secteurs,11. Un dépliant publié par l'Office ajoute ce qui suit à propos des

terminologies présentées à la Commission de terminologie: « Ces terminologies peuvent être préparées soit par les entreprises ou les comités interentreprises dans le cadre de leurs travaux de francisation, soit par les commissions de terminologie prévues par la Charte, soit encore par le Service des travaux terminologiques de l'Office de la langue française. » Ajoutons cependant que la loi 12. La Commission de surveillance voulait ainsi faire disparaître les affiches portant les mentions vacant et non vacant (les termes normalisés deviennent en effet obligatoires dans l'affichage public). L'Office a affirmé à cette occasion que, dans l'industrie hôtelière, il fallait utiliser « le terme complet pour indiquer qu'il n'y a pas de chambres libres. 1... 1 On ne doit rien indiquer lorsqu'il y a des chambres libres » (Gazette officielle du 8 mars 1980, p. 3984). Mais les usagers, tellement habitués à l'opposition entre deux termes pleins en anglais (« Vacancy » - « no vacancy ») n'ont pas compris qu'en français cette opposition se faisait entre

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RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC 40

peut-on se baser surl'usage local et jusqu'à quel point? Jusqu'où s'inspire-t-on du modèle européen? On commence à peine à apporter des éléments de réponse à ces questions. Les rapports avec le modèle européen, notamment, ne sont sans doute pas ceux d'imitation servile que certains sont tentés trop facilement de reprocher à f Office: il y a des cas où on a pu voir un démarquage entre la normalisation de l'Office et (usage d'outre-Atlantique. Pour ne prendre qu'un exemple, (Office a normalisé bande publique comme équivalent français de citizen's band (Gazette officielle du 19 janvier 1980, p. 575) alors que la France a choisi canal banalisé, ce qui lui permettait de conserver l'abréviation C.B. L'Office procède aussi à des adaptations terminologiques aux réalités nord-américaines (par exemple la terminologie de la viande'').

La normalisation terminologique n'est qu'une partie de l'activité normative de l'Office de la langue française, qui a publié toute une série de terminologies « non normalisées » (au sens juridique) et des ouvrages de référence comme Le français au bureau et le Vocabulaire du téléphone. Mais cette activité « normative » peut se heurter à des obstacles inattendus, parfois même au sein de f Administration" . D existe cependant des cas où la terminologie proposée par l'Office de la langue française finit par très bien s'implanter dans l'Administration. C'est ainsi que la loi électorale a été récrite en tenant compte du Vocabulaire des élections de l'Office de la langue française.3. Constatations

Si on essaie maintenant de faire la synthèse de ce qui vient d'être présenté, un certain nombre de grandes observations s'imposent.

On constate, en premier lieu, que le terme de normalisation désigne deux champs distincts d'exercice, l'une de nature essentiellement terminologique et l'autre de nature essentiellement technique, qui entretiennentnéanmoins des relations de complémentarité, tant par l'objet d'étude que par la méthode. Les deux démarches se caractérisent par un degré élevé de spécialisation, de formalisme et de standardisation des procédures et par la recherche de l'univocité et du consensus.Pour ce qui est de la normalisation terminologique et technique telle qu'elle se pratique au Canada et au Québec, on constate l'existence d'un nombre important de réseaux et d'organismes de normalisation. Si l'on peut13. Par exemple, dans la terminologie de la viande, les termes

jambonneau, faux-filet, contrefilet et surlonge qui ne désignent pas tout à fait les mêmes réalités au Québec qu'en Europe.14. C'est ainsi qu'en 1981, le ministère des Communications, au cours de séances d'information destinées à tous les fonctionnaires québécois, donnait dans un film comme modèles de formules à utiliser dans les conversations téléphoniques « gardez la ligne » et « bienvenue » (au lieu de « ne quittez pas » et « je vous en prie, de rien » ). Ces deux exemples sont justement des formes qui ont été condamnées par f Office de la langue française depuis de

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41 LA NORME LINGUISTIQUE

découper le réseau normalisateur en fonction du doublet terminologique et technique, on peut également le découper en fonction d'autres perspectives. Ainsi, chaque niveau de gouvernement, fédéral et québécois, a développé des mécanismes de normalisation et a confié à des organismes l'application des lois qui nécessitent l'exercice d'un pouvoir plus ou moins contraignant de normalisation. Des conflits de compétence peuvent théoriquement survenir entre l'application de lois fédérales et celle de lois La philosophie de base qui sous-tend la politique fédérale des langues n'est pas la même que celle qui sous-tend la politique québécoise. La première souscrit à la promotion du bilinguisme institutionnel et à la recherche de l'équipollence entre les capacités du français et de l'anglais à exprimer le réel via la normalisation. Cependant, si le français et l'anglais sont équipollents, ils ne sont pas pour autant équipotents, tant par l'importance numérique que par l'impact économique: le français est par conséquent tributaire d'une situation de traduction qui en fait essentiellement une langue d'arrivée, plutôt qu'une langue de départ, une langue de traduction calquée sur une culture autre qui peu à peu la façonne. On constate donc à Ottawa l'existence d'une situation de bilinguisme mais, par la force des choses, c'est-à-dire surtout par son poids démographique et son poids économique, le français n'y La politique québécoise est, quant à elle, différente puisque, s'appuyant sur une philosophie du rattrapage, elle cherche à faire du français la langue principale au Québec. C'est de cette intention que découle sans doute la tendance de la normalisation terminologique québécoise à prendre son mandat dans un sens très large, à rechercher la légitimation à travers la sanction légale et à faire de cette sanction l'aboutissement de la C'est dans la manière dont l'une et l'autre Administration mènent leur action normalisatrice que les différences apparaissent le plus. Au Québec, la sanction juridique constitue la démarche ultime de la normalisation terminologique, la diffusion ayant été perçue jusqu'ici comme une étape secondaire de l'intervention. Au fédéral, où les organismes chargés de la normalisation terminologique ne détiennent pas de véritable pouvoir exécutoire, l'accent est mis sur la recherche de la concertation et sur le désir d'atteindre, à travers un très vaste réseau de diffusion, le plus grand nombre possible d'usagers. Pour leur 15. Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des

Communes sur les langues officielles, fascicule 7, 3 mars 1981.

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RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC 42

pour leur part, se trouvent en présence de deux procédures hétérogènes, dont l'une souscrit davantage à la définition légale et l'autre à la pénétration de marché.Si, comme on vient de le voir, l'établissement d'une norme linguistique au sein d'une Administration (l'Administration fédérale et l'Administration québécoise) ne va pas sans créer des tiraillements internes, il ne sera passurprenant de constater des conflits ou des divergences entre l'activité normative du gouvernement fédéral et celle du gouvernement québécois. Ces divergences se manifestent aussi bien au niveau de ce que l'on pourrait appeler la norme générale du français qu'au niveau de la normalisation terminologique. Comme exemple du premier cas, on peut prendre le titre de civilité « honorable », accepté dans l'Administration fédérale mais dénoncé comme une forme fautive par l'Office de

Ces rapports n'aboutissent pas nécessairement à une opposition entre deux blocs monolithiques. Il y a des cas où l'un des deux blocs présente des traces d'effritement L'Office de la langue française et le ministère de l'Agriculture du Canada préconisaient l'appellation boeuf haché alors que le ministère de la Consommation et des Corporations du Canada cherchait à imposer, dans l'étiquetage, la dénomination boeuf haché régulier; après plusieurs discussions, un compromis a été trouvé autour de boeuf haché ordinaire. Le ministère de l'Agriculture du Canada, celui de la Consommation et des Corporations et l'Office de la langue française acceptent l'appellation crème-dessert qu'interdit le ministère de l'Agriculture du Québec. La ligne de partage qui s'établit sur certaines questions terminologiques n'est donc pas toujours conforme à la division entre les deux ordres de gouvernement Il faut d'ailleurs tout de suite ajouter qu'en principe le Secrétariat d'État, organisme chargé L'absence de coordination entre les deux ordres de gouvernement peut amener à des situations curieuses. Pour la seule terminologie de la découpe du boeuf, il y a en ce moment trois lexiques bilingues qui circulentau Canada: un du ministère de l'Agriculture du Canada, un autre du ministère de la Consommation et des Corporations et un dernier de l'Office de la langue française"'; il n'y a pas de différences fondamentales 16. Voir Le français au bureau, 1977, p. 45.

17. La Codification administrative de la loi des aliments et drogues en offre plusieurs exemples. 18. Ce dernier ouvrage est en réalité le premier en date puisque sa première édition a paru en 1972.

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LA NORME LINGUISTIQUE

ces trois publications mais plusieurs différences de détail qui peuvent, à la limite, être gênantes pour l'industrie. D'ailleurs, c'est l'industrie elle-même, qui se rend bien compte des problèmes qui peuvent surgir de l'existence de plusieurs lexiques pour un domaine donné, qui a fait des pressions pour que les deux gouvernements s'entendent et ne produisent qu'un seul lexique des produits laitiers; elle ne voulait pas avoir à prendre parti dans ce qu'un industriel a alors appelé une « guerre Le gouvernement fédéral occupe des champs de compétence qui ont d'importantes retombées linguistiques. C'est notamment le cas des marques de commerce, élément si important pour l'image française du Québec et sur lequel celui-ci n'a pas de prise. C'est aussi le cas des raisons sociales car les compagnies ont le choix, dans des circonstances que nous avons précédemment décrites, de les enregistrer à Québec ou à Ottawa; même si elles doivent de toute façon avoir une raison sociale française pour le Québec (art. 63 à 69 de la Charte de la langue française), le Québec ne peut intervenir pour imposer certains critères de qualité linguistique lorsque la raison sociale est enregistrée à Ottawa. La réglementation du commerce international relève aussi de la compétence du gouvernement fédéral: Une autre différence importante touche les itinéraires que le français et l'anglais empruntent comme langues de normalisation. La langue véhiculaire de la normalisation technique en Amérique du Nord est l'anglais; de plus, au Canada, c'est le sud de l'Ontario qui détient le leadership en matière économique et industrielle. La démarche terminologique, pour sa part, lorsqu'elle s'applique au traitement du français, emprunte le réseau de la francophonie, qui est d'abord européen. D s'ensuit deux circuits nettement différenciés, qui ne convergent pas, et deux traditions culturellement distinctes entre lesquelles la démarche normalisatrice québécoise oscille. Or, comme le faisait remarquer maître Ivan Bemier (1980) dans son rapport sur les réseaux de normalisation technique au Canada, la situation du français et du Québec laisse grandement à désirer:

« Au plan national, si l'on fait abstraction du B.N.Q. [Bureau de normalisation du Québec], il faut constater que la normalisation s'est effectuée de façon générale en ne tenant pas compte du Québec. Les inconvénients qui en résultent sont nombreux et leur impact relativement grave. C'est ainsi que les industriels québécois, par exemple, ont été coupés dans une large mesure de l'activité de normalisation. C'est ainsi également que cette absence marquée de

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des normes adoptées par les divers organismes pancanadiens de normalisation. Le rôle prépondérant laissé au secteur privé dans le système actuel, la place privilégiée qu'y trouve l'Ontario, ont pour effet de rendre illusoire la règle du consensus si fondamentale en matière de normalisation. Le secteur gouverne-mental et les consommateurs ne sont pas assez

Dans un sens, la normalisation terminologique et la normalisation technique n'évoluent pas dans deux univers séparés, mais cheminent parallèlement, sans mécanisme d'intégration fonctionnelle. Le palier fédéral et lepalier provincial créent finalement un dédoublement des structures, ou du moins des fonctions, parce qu'il existe deux vocations nationales de normalisation. La décentralisation de l'activité normalisatrice est grande En terminant, on peut se demander si la normalisation, comme mécanisme de traitement d'une langue et comme émetteur de norme, favorise également le français et l'anglais et si la façon dont elle fonctionne ne reflètetout simplement pas le statut et la puissance des langues en présence. Est-il possible de normaliser pour Ayant procédé, dans cette première partie de notre réflexion, à la description des organismes, des législations et de l'ensemble des mécanismes de normalisation, nous allons, dans une deuxième partie, poser l'hypothèse que la normalisation, si on désire qu'elle atteigne les buts qu'elle vise fondamentalement, doit rechercher le maximum d'intégration et d'économie. Nous allons d'autre part poser cette

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44$ LA NORME LINGUISTIQUE

DEUXIÈME PARTIE

La dynamique des mécanismes

1. Le critère de la langueOn a vu combien la normalisation terminologique et

la normalisation technique se décomposaient en de multiples faisceaux. Si l'on se concentre sur les réseaux québécois, on constate que la normalisation qui s'y pratique possède un trait commun, qui peut devenir fortement unificateur si on le désire: celui de la langue, en l'occurrence le français. D'autre part, la nor-malisation terminologique et la normalisation technique présentent, on l'a déjà dit, une similitude de procédures très grande. Appliquées à la situation québécoise, avec le français comme langue de support et avec les mêmes Prenons comme exemple l'organisation conceptuelle et administrative de la normalisation terminologique québécoise dont la responsabilité revient à l'Office de la langue française. L'Office tient son mandat de la Charte de la langue française, dont il se dégage une intention normalisatrice explicite définie dans un cadre plus général d'aménagement linguistique. Les domaines touchés par la normalisation sont prioritairement ceux de l'Administration et des entreprises, lorsque celles-ci font affaire avec l'Administration. Les réseaux touchés sont, prioritairement, ceux des ministères et organismes de l'Administration. L'environnement « interne » à la normalisation terminologique est celui de l'Office lui-même, avec les procédures et les règles qu'ü a édictées; il s'agit par définition d'un environnement contrôlable. L'environnement « externe » est constitué de tous les intervenants qui sont liés de près ou de loin au phénomène; cet environnement est dynamique, complexe, hétérogène et constitué, par définition, d'une La normalisation terminologique est appelée à côtoyer et à intégrer plusieurs des éléments de la normalisation technique dans l'exercice de son pouvoir. Et vice versa. La normalisation technique tire quant à elle son mandat de législations particulières. Les domaines qu'elle touche sont ceux de l'industrie et de la technique. Son environnement interne est à tout le moins aussi standardisé que celui de la normalisation terminologique. Son environnement externe inclut, entre autres, la normalisation terminologique, l'Office de la langue française et également la Charte de la langue française. Car l'intention générale de la Charte,

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RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC 46

comme faisant partie d'une seule et même « culture » dont la langue porteuse est le français.

Nous posons comme principe, par conséquent, qu'il existe des lignes de force communes à la normalisation terminologique et technique19. Que, deuxièmement, les deux démarches relèvent d'une même finalité et touchent les mêmes usagers. Que, troisièmement, l'une et l'autre activité modifient à la longue le « tissu linguistique » québécois et qu'elles doivent par conséquent converger.2. L'administration de la normalisation terminologiqueLe processus administratif de la normalisation terminologique devrait se dérouler théoriquement selon le schéma suivant:

Élaboration d'une norme terminologique

1. Constitution 2. Décision

d'un avis de ~ Ide normalisation

normaliser

5. Contrôle

de la pénétrati

3. Publication à laGazette

La normalisation est officialisée par la publication à la Gazette officielle. Même si elle a force exécutoire, jouit-elle de la diffusion nécessaire à son implantation? Si l'objectif de la normalisation est de rendre des décisionsexécutoires, le seul recours à la publication à la Gazette officielle suffit; si c'est également de modifier à la longue les usages et de les influencer, il faut développer des mécanismes plus efficaces de pénétration. Cette remarque a un corollaire obligé: si les avis de normalisation ont force de loi mais que, d'autre part, ils sont peu connus de ceux qui sont tenus de les mettre en application, on multiplie les risques, involontaires mais réels, d'infraction. Est-il opportun qu'il en soit ainsi? Dans une perspective d'amé-19. Voir notamment les réflexions de Richard 1974: 79-88 et Lapaime 1974: 89-95, surtout p.

94.

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47 LA NORME LINGUISTIQUE

Les avis de normalisation sont peu connus. On contrôle beaucoup leur procédure d'élaboration, mais on ne contrôle pas assez leur degré de pénétration. Il faudrait pouvoir disposer de données à ce sujet, de façon à orienter les démarches normalisatrices ultérieures. La gestion quotidienne des activités n'a pas besoin de ces renseignements pour fonctionner, elle s'appuie sur les règles et les procédures déjà en place. La gestion à moyen terme en a besoin, tout comme de données sur la conjoncture technique et économique. Il conviendrait donc de développer une procédure de diffusion et de rétroaction. Il ne semble pas que la démarche de la normalisation technique éprouve les mêmes difficultés de pénétration et de diffusion parce que la concertation en matière technique entraîne une

Un élément important qui milite en faveur d'une évaluation du degré de pénétration de la normalisation terminologique est le suivant: il n'est pas assuré que la seule lecture de l'avis à la Gazette officielle constitue pour les usagers une information suffisante et éclairante. L'exemple de l'expression « uacancy - no uacancy », déjà cité à la page 442, et dont l'équivalent français a été normalisé au Québec sous la forme « complet --- P », est éloquent: soit que les usagers n'y ont rien compris et ont spontanément introduit le terme « incomplet » à la place du terme zéro, soit qu'ils ont considéré que la forme préconisée est trop éloignée de leurs habitudes culturelles et des lois du marché. Ce qui montre bien que, dans les cas où les avis de normalisation portent en particulier sur des faits stylistiques ou sur la langue générale, il faut les assortir d'un « mode d'emploi », de crainte d'obtenir un usage Nous dégageons ainsi un deuxième principe: la normalisation, de nature terminologique, devrait accroître son caractère de « visibilité » et assurer une pénétration plus efficace de ses décisions, par une diffusion systématique.3. Normalisation et recommandation

Existe-t-il une relation fonctionnelle entre la normalisation et la recommandation en matière terminologique? La normalisation a comme fonction de définir un usage obligatoire. Quant à la recommandation, on peut a priori lui assigner une double fonction: servir, d'une part, à préconiser un usage et servir, d'autre part, d'étape transitoire vers la normalisation. Mais quel est le statut juridique de la recommandation? Précède-t-elle toujours la normalisation, en d'autres termes un avis de

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RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC 48

Au Québec, on a souvent donné à la recommandation une fonction incitative, pour encourager des usages qui étaient souvent du domaine de la langue générale et pour lesquels le recours à la normalisation se seraitrévélé, de toute façon, inefficace. Cependant, les publics-cibles visés par ces avis n'ont pas toujours fait la différence entre avis de recommandation et avis de normalisation et ont pu considérer le pouvoir de normalisation qui s'exerçait comme abusif. En fait, Ne vaudrait-il pas mieux considérer que la normalisation devrait toujours être précédée d'une étape de recommandation? Ainsi, l'étape préalable nécessaire à la légitimation via la normalisation terminologique serait toujoursla recommandation. Cette dernière pourrait, cependant, Cette démarche en deux étapes présenterait l'avantage d'assurer à la normalisation terminologique une plus grande fiabilité. Ainsi, pendant la période probatoire, des modifications pourraient être apportées, le caséchéant, au futur avis de normalisation. On éviterait ainsi de revenir sur des avis de normalisation déjà donnés, ce qui a déjà été le cas, car cela a pour effet d'enlever à la « Standardized ternis can only serve this fonction, and,

indeed, should only be adopted if the collective state of knowledge in the relevant discipline or subdiscipline is sufficiently stable not to require modification in the foreseeable future. »

U ressort de ces réflexions, comme troisième principe, que la normalisation terminologique gagnerait à être assortie d'une étape obligatoire de recommandation. D'une part, cette procédure renforcerait la fiabilité de la démarche et, d'autre part, elle accroîtrait son degré d'institutionnalisation.4. Normalisation et planification linguistique

La normalisation tant technique que terminologique fait partie d'un processus de changement linguistique planifié pour le Québec. La modification ou l'orientation des usages linguistiques des institutions, en particulier celles de (Administration et des entreprises, a un effet considérable sur révolution de la situation linguistique parce que ces institutions jouent le rôle d'« images La normalisation est partie intégrante du processus de l'aménagement linguistique québécois. Mais son domaine privilégié d'intervention, si on lit attentivement la Charte de la langue française, n'est pas celui des entreprises, de l'industrie, du commerce (sauf pour l'affichage public), c'est d'abord celui de (Administration et seulement par ricochet celui des entreprises, de

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49 LA NORME LINGUISTIQUE

Même si normalisation terminologique et planification linguistique sont deux activités qu'il importe de ne pas confondre (cf. Rey, 1976: 37), la normalisation terminologique ne gagnerait-elle pas à être liée plus étroitement au processus de francisation des entreprises? Cela permettrait à l'Office de la langue française d'orienter ses travaux de normalisation davantage en fonction de l'évolution de la francisation des entreprises, à laquelle elle contribue largement. Cela permettrait également d'ajuster de façon plus étroite les démarches de normalisation terminologique aux démarches de normalisation technique et de prévoir une plus grande concertation avec des organismes comme le Bureau de normalisation du Québec. Mais il 5. Macronormalisation pour le Québec

La normalisation technique et la normalisation terminologique relèventelles d'un même ordre d'intervention? Si on en convient, il faut essayer de les coordonner. Si on en disconvient, il faut néanmoins les articuler l'une à l'autre. 1 nous semble que les deux mécanismes relèvent d'une même finalité et qu'il faut La Charte de la langue française a constitué un moteur important de la démarche normalisatrice pour le Québec en renforçant des tendances qui étaient déjà présentes depuis la Loi sur la langue officielle (loi 22). D'autre part, des organismes comme le Bureau de normalisation du Québec et le ministère de l'Agriculture du Québec détiennent, en fonction de certaines législations, un leadership certain dans le domaine technique. 1 importe donc de préciser le statut que l'on veut allouer à la normalisation, dans son sens le plus général. La normalisation technique est axée sur la rationalisation de la production de biens; la normalisation terminologique, elle, repose davantage sur la rationalisation de l'utilisation de certains termes. D'une part, ce qui manque peut-être à la normalisation, actuellement, c'est le fait que les décisions qui se prennent, à travers différents mécanismes de légitimation, ne sont pas intégrées à une macrostructure. Les sources de normalisation sont très nombreuses et fonctionnent souvent indépendamment les unes des autres. Il faudrait rechercher la concertation et faire également mieux comprendre à tous les intervenants les implications de la normalisation. D'autre part, il faut que la fonction de Si l'on se reporte au tableau de la page 449, on conviendra que le processus d'élaboration de la norme terminologique peut intégrer facilement une dimension de concertation. Le processus de diffusion de la

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terminologique pourrait reposer sur une structure commune, qui relierait « organiquement » les différents mécanismes de normalisation (terminologique, technique, nommes de sécurité, etc.) sans nier à chaque démarche de normalisation sa vocation spécifique. Car s'il est justifié que chaque autorité en matière de normalisation conserve son autonomie d'élaboration, il est aussi justifié que l'intervention normalisatrice, lorsqu'elle intervient sur le réel et pénètre l'usage, s'incarne dans une seule fonction.

Le deuxième argument en faveur d'un raccord plus manifeste entre normalisation technique et normalisation terminologique tient aux retombées possibles de la signature par le Canada des accords du GATT de janvier 1980, pour ce qui touche les obstacles techniques au commerce. Par cet accord, le Canada s'engage à ce que chaque province respecte l'entente, qui a pour but d'harmoniser les normes nationales élaborées par chacun des pays membres de l'accord. Les provinces, si elles acceptent de se conformer à l'accord, acceptent du même coup de se doter d'un mécanisme d'information et de coordination les rendant aptes à répondre à toute demande d'information concernant tout règlement technique, toute norme, tout système de certification qu'elles ont adopté ou qu'elles se proposent d'adopter. Le Québec n'a pas, à ce moment, accepté les termes de l'accord. Mais, s'il le fait, il devra se conformer à l'obligation de désigner un organisme central d'information où tous les renseignements touchant la normalisation qui se fait au Québec devront à tout le moins être stockés. En vertu des accords du GATT, un pays membre devra avertir les cosignataires avant l'adoption de toute nouvelle norme. Ce qui rendra d'autant plus nécessaire la concertation, et ce d'abord au niveau national.

Autre élément d'importance: le gouvernement fédéral et le gouver-nement québécois se partagent la compétence en matière de normalisation, selon qu'il s'agit de commerce intraprovincial ou international (compétence fédérale) ou de commerce intraprovincial (compétence québécoise)" selon le type de commerce visé. Or, deux arrêts récents laissent entrevoir la possibilité pour le Québec d'avoir à intervenir de plus en plus dans le domaine de la normalisation et de la réglementation technique. Un jugement, l'arrêt Labatt [(1980) 1 RC.S. 944], a remis implicitement en question la constitutionnalité d'un bon nombre de normes déjà édictées en vertu de la loi fédérale des aliments et drogues et ce, en reconnaissant en fonction de la production et de la mise en marché intraprovinciale, que les normes de composition de la bière relevaient désormais des provinces. En second lieu, le jugement de la Cour suprême du Canada sur certains aspects de la Charte de la langue française (arrêt Blaikie) est venu remettre en question la validité de nombreux règlements québécois qui incorporent par référence des normes canadiennes, américaines ou autres, rédigées exclusivement en anglais. Un individu, ou une personne morale, accusé de n'avoir pas

20. Cette compétence a été récemment confirmée dans la cause Singer.

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respecté une norme québécoise, pourrait plaider l'inconstitutionnalité decette norme pour autant qu'elle incorpore des normes en

langue étrangère: « ... il appert qu'en vertu de l'article 133 de la Constitution, le Québec est tenu d'adopter, d'imprimer et de publier en français et en anglais non seulement seslois mais également ses règlements. Or, si l'on considère que l'adoption par référence de normes rédigées exclusivement en anglais a pour effet d'intégrer celles-ci au règlement d'une manière tellement essentielle que c'est par ce biais que se trouvent définies les obligations des parties, on doit Il importe donc pour le Québec de transposer en

français les nombreuses références à des normes étrangères qui émaillent ses règlements. Ce qui devrait inciter à une meilleure concertation de tous les organismes qui font de la normalisation au Québec.6. La Charte de la langue française et les autres lois québécoises

La Charte de la langue française, comme son titre l'indique, énonce un ensemble de principes fondamentaux portant sur le français au Québec. Mais il faut être prudent lorsqu'on affirme la suprématie de la Charte sur d'autres lois. D'autre part, en droit, le plus spécifique l'emporte sur le plus général et les lois plus récentes l'emportent sur les lois plus anciennes. On peut considérer que les lois, dans la mesure où elles ne sont pas des textes émanant de l'Administration, ne sont pas assujetties à l'obligation d'utiliser les termes normalisés par l'Office de la langue française. La Régie des rentes du Québec, dans son rapport annuel 1979-1980, explique les motifs pour lesquels elle n'utilise pas les termes normalisés par l'Office:

« Certains termes paraissant dans le présent rapport ne sont pas ceux qui ont été normalisés par l'Office de la langue française. Selon l'article 118 de la Charte de la langue française, l'emploi des termes et expressions normalisés devient obligatoire dans les textes et documents Mais la situation se régularisera dès que les lois en

question auront été modifiées. Toutefois, la situation se complique du fait que l'Office diffuse deux terminologies, parfois assez différentes, pour le domaine des rentes: d'une part, une liste de termes normalisés parus à la Gazette officielle, d'autre part une publication intitulée Terminologie 21. Parmi les nombreuses divergences que nous avons

relevées entre ces deux terminologies, citons (le premier terme de chaque paire apparaît à la Gazette officielle, le second dans le lexique Terminologie des rentes de retraite): conditions d'admission et conditions d'adhésion, cotisation d'équilibre (special payment) et cotisation spéciale (special contribution), acquisition conditionnelle et acquisition éventuelle, régime salaire de carrière et régime reconstitution de carrière, etc. Les divergences atteignent même les équivalents anglais (deferred vesting et delayed vesting) et les définitions

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RÉFLEXIONS SUR LA NORMALISATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC 52

Parmi les autres cas où une décision terminologique prise par l'Office vient en contradiction avec une loi ou un règlement, citons la définition normalisée que l'Office a donnée de crème-dessert-'= (Gazette officielle, 112e année, n° 43, 25 octobre 1980, p. 10368) et qui contredit l'article 28 de la Loi sur les produits laitiers et leurs succédanés ainsi que le Règlement sur les succédanés de produits laitiers du ministère de l'Agriculture du Québec; dans ce dernier cas, il faudrait savoir si la décision de l'Office a préséance. S'il est clair que la Charte a préséance en ce qui a trait aux droits linguistiques fondamentaux, il demeure douteux qu'on puisse se servir de cet argument pour justifier une décision spécifique de l'Office. Car, d'après les règles d'interprétation, le plus spécifique l'emporte sur le plus général (et les lois plus récentes l'emportent sur les lois plus anciennes). Par conséquent, l'article 28 et le règlement cité, qui visent une norme technique spécifique pour la protection de Dans le domaine juridique, pour vouloir tenir compte de l'esprit de la Charte, tout en maintenant une certitude juridique, il faudrait modifier les textes de loi dans leur ensemble du point de vue terminologique et non pas seulement continuer, en normalisant, de mettre en circulation des termes concurrents. Une telle tâche est loin d'être irréalisable avec les progrès de D'autre part, pour que la normalisation devienne efficace et ne contribue pas à multiplier des ternes ayant tous des valeurs juridiques mais provenant de législations diverses, il importe que des moyens de consultation et de concertation soient mis en place.

ConclusionLa normalisation terminologique à valeur juridique

n'est introduite au Québec que depuis l'adoption de la Charte de la langue française et n'est

22.

23.

D'ailleurs, la définition citée à la Gazette officielle est trop complexe: crème-dessert, n.f. Entremets à base de lait écrémé, de sucre, d'huile végétale hydrogénée, d'amidon modifié et de différents produits chimiques, aromatisé artificiellement et coloré, vendu dans le commerce sous deux formes:1. Prêt à servir dans des boites de conserve de format courant ou prêt

à manger, dans des mini-boites individuelles munies d'un dispositif d'ouverture qui permet la consommation à même la boîte;

2. Sous emballage cartonné, poudre à laquelle on ajoute du lait, sans cuisson. Anglais 1: pudding, cream pudding, sort custard, quick custard, pudding in a cupAnglais 2: pudding, cream pudding, soif custard, quick custard,

instant pudding, instant pudding mixUne mise à jour automatisée se fait déjà au ministère de la Justice du Québec.

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en vigueur que depuis avril 1978, date à laquelle l'Office de la langue française instituait sa Commission de terminologie. Même s'il ne s'est écoulé que quatre années depuis, cette expérience est assez riche pour qu'on puisse en tirer des éléments de réflexion qui, nous le croyons, pourraient être utiles à d'autres Les éléments de réflexion qui se dégagent de la situation peuvent être regroupés sous deux grandes rubriques: des considérations purement linguistiques et des considérations extra-linguistiques, en particulier d'ordre administratif et politique.II nous est apparu, au cours de notre réflexion, qu'il y aurait avantage à faire moins usage de la normalisation terminologique, au sens strict, du moins tant que des mécanismes administratifs de concertation n'auront pas été mis en place, pour éviter des situations gênantes de conflit terminologique. D'autre part, lorsque, comme nous alions le suggérer, normalisation terminologique et normalisation technique auront été agencées de façon fonctionnelle, la normalisation terminologique de la langue technique n'en sera que plus efficace et le caractère juridique n'en constituera pas un élément essentiel et, à la limite, pourra en être absent Ce qui est sûr, c'est qu'il nous apparaît extrêmement délicat de procéder à de nombreuses normalisations dans des domaines qui ont des répercussions sur la langue générale. Dans ce cas, il nous semble préférable de procéder de façon plus incitative et c'est ce qui nous amène à réaffirmer le statut privilégié de la recommandation. C'est pourquoi nous croyons plus approprié que toute normalisation soit précédée d'une étape transitoire obligatoire de D'autre part, il nous semble fondamental que la première étape du travail d'un organisme normalisateur et d'une académie de langue soit de justifier et d'expliquer les grands principes qui sous-tendent son action normalisatrice '14.

Fondamentalement, la normalisation terminologique demeure une démarche coercitive car elle a pour but d'orienter l'usage dans certains secteurs déterminés, dans la pensée que cela aura une influence sur la langue générale. Toutes les démarches de ce type doivent donc être présentées de façon positive pour ne 24. Pour prendre des exemples récents au Québec, toutes les discussions qui ont entouré

dans le public la diffusion d'une nouvelle terminologie pour les plats d'origine américaine (hamburger, smoked-ment, etc.) n'auraient-elles pas été plus fructueuses si elles avaient porté sur les principes qui doivent guider l'action de l'Office de la langue française dans son acceptation ou son rejet des mots étrangers plutôt que sur des propositions terminologiques particulières? Tant que les discussions ne porteront que sur des mots isolés, l'accord ne sera pas possible et les antagonismes ne feront que croître.

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en question, à partir d'un élément somme toute mineur, des principes fondamentaux d'une législation linguistique. C'est ce que nous appellerons une pédagogie de la normalisation, car il peut devenir contre-productif de lancer des termes dans le grand public sans fournir des explications nécessaires et sans expliquer que le pouvoir coercitif de la normalisation ne peut s'appliquer qu'à des secteurs bien déterminés de l'activité humaine. Considérée du point de vue de la langue générale, la normalisation a pour but, à moyen terme, d'augmenter la variation linguistique dans la population pour, à plus long terme, réussir à imposer un usage linguistique, et elle s'exerce d'abord dans des secteurs spécifiques où on fait disparaître la variation linguistique et, conséquemment, les formes condamnées, pour imposer les formes normalisées, étant sous-entendu que ces sous-secteurs auront un effet d'entraînement sur les usages linguistiques de la population. Dans cette perspective, il y aurait donc comme une contradiction interne à ce que les décisions normatives soient prises en vase clos. Voilà donc posé le problème de la place de l'usage dans la normalisation. Au Québec, étant donné l'existence de nombreuses terminologies techniques fortement anglicisées, et leur dissémination dans la langue générale, il est vraiment rare que la normalisation puisse être la sanction d'un usage répandu'27, car le plus souvent les termes normalisés sont destinés à remplacer une terminologie jugée, à un titre ou à un autre, indésirable. Pour ce faire, il faut de toute évidence accorder une grande

Si le champ de la normalisation, entendue au sens juridique, devrait être restreint, jl n'en demeure pas moins que les efforts d'uniformisation plus générale sont essentiels, dans les sociétés contemporaines, à la communication privée et publique, et les efforts de standardisation sont indispensables au développement des technologies. C'est ce qui fait que dans un cas comme celui du Québec il faut viser à ce que les entreprises participent de plus en plus à la normalisation technique et que, parallèlement, une fois devenues autosuffisantes sur le plan linguistique et 25. Comme ce fut le cas lors de la normalisation de K tabagie » (bureau de tabac).

26. Au Québec, les réflexions sur l'implantation sont en train de prendre forme. Citons à titre d'exemple le colloque organisé par le Conseil de la langue française sur la francisation des entreprises, celui organisé conjointement par l'Office de la langue française et la Sociétédes Traducteurs, en avril 1982 (dont les actes ne sont pas encore parus) et l'étude sur l'implantation terminologique commandée par l'Office de la langue française à la firme SORECOM.

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C'est ce qui permettra peut-être au Québec d'occuper sa place dans le réseau canadien de la normalisation technique qui, jusqu'à présent, a été contrôlé par les industriels du sud de l'Ontario.

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Cinquième partie

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XVIII

Norme et enseignement de la langue maternelle'

Gilles Gagné

Les enseignants de la langue maternelle qui oeuvrent en particulier au primaire et au secondaire se posent souvent de nombreuses questions sur le contenu et l'efficacité de leur enseignement du français. Quel(s) français doit-on enseigner? Peut-on accepter n'importe quel niveau de langue en classe? Comment corriger la langue des enfants? Est-ce possible? Peut-on faire quelque chose pour changer la langue du milieu? Ces questions, qui se posent également à l' ensemble du système scolaire québécois et de nombreux autres pays, relèvent du domaine de la didactique ou de la Comme beaucoup de problèmes de didactique de la langue maternelle, la question de la norme, ou plus spécifiquement de la langue à enseigner, exige une synthèse multidisciplinaire de données de domaines plus fondamentaux comme la linguistique, la psycholinguistique et la sociolinguistique ou plus généraux comme la pédagogie. Cependant, les données d'ordre théorique ou expérimental que ces disciplines fournissent ne constituent pas encore un cadre explicatif unique et universellement admis. Pour éclairer la question de la nomme et de la langue à enseigner, cet article se propose dans un premier temps de faire une cueillette, un choix de données disciplinaires parmi celles qui semblent les plus sûres Les différentes conceptions de la langue et de la norme donnent lieu à des orientations et à des objectifs pédagogiques de l'enseignement de la langue maternelle que l'on peut regrouper en deux tendances nettementdifférentes: une pédagogie centrée sur le code et une pédagogie centrée sur l'utilisation du code. Une discussion des limites de chaque tendance faite en particulier à la lumière des concepts dégagés dans la 1. L'auteur tient à remercier Claude Germain, Roger Lazure et Elca

Tarrab pour leur précieuse contribution à la révision de ce texte de mime que Nicole Gaboury pour sa dactylographie.

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devrait permettre d'aboutir à proposer une synthèse conceptuelle de ces tendances. Cette discussion aura lieu en tenant compte du cadre scolaire régulier et ne pourra s'appliquer au développement du langage au préscolaire, ni aux enfants nécessitant des interventions orthopédagogiques ou dont la langue première toujours Les concepts fondamentaux dégagés quant à la norme et la synthèse pédagogique proposée sont susceptibles de permettre de formuler dans un troisième temps des propositions d'objectifs généraux et de contenus linguistiques pour l'enseignement du français langue maternelle. Ces propositions tiennent compte de la société québécoise et de la réalité éducative d'une salle de classe, mais n'offrent pas de suggestions de méthodologie ni de démarche d'enseignement n s'agit d'un essai théorique, limité à la détermination des contenus linguistiques de l'enseignement et à l'identification de quelques critères 1. Quelques considérations préalables

L'école a comme objectif d'enseigner la langue maternelle. A première vue, pour quiconque n'a pas réfléchi aux questions de langue et de langage, cet objectif semble clair et simple. Toutefois, il n'en est rien. l'objet de l'enseignement n'est pas clairement défini. En effet, la langue est constituée d'un ensemble de variations (1.1) dont il y a lieu de connaître le fonctionnement pour expliquer l'intercompréhension (1.2) qui se réalise malgré ces variations. II faut également savoir à quoi sert la langue (1.3) afin de déterminer pourquoi l'enseigner. La compréhension du langage des enfants (1.4) est utile pour savoir comment ce dernier peut se développer et afin de comprendre le rôle important que la langue joue dans l'enseignement et les apprentissages scolaires (1.5). Une étude, même 1.1 La variation linguistique

La langue française ne constitue pas un tout homogène. Au contraire, elle présente de nombreuses variations de sorte qu'il y a rarement une seule façon d'exprimer la même chose. Pour exprimer une même réalité, il existe plusieurs variantes, c'est-à-dire des formes linguistiques différentes qui véhiculent le même sens. Ces variations tiennent d'abord aux différences entre le français écrit et le français parlé et ce dernier 1.1.1 Français écrit, français parlé

On distingue dans un premier temps le français parlé et le français écrit Il n'est pas clair s'il s'agit de deux codes distincts ou de deux réalisations différentes d'un même code, si les similitudes sont plus

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NORME ET ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE MATERNELLE 60

différences. Peu importe, les différences existent et de façon importante. On a pu les identifier quant aux constituants de surface: les graphèmes ou les phones et quant aux autres niveaux de l'analyse linguistique: la phonologie, la morphologie (grammaticale), la syntaxe, le lexique. On a également fait ressortir des différences entre les activités de production orale (parler) et écrite (écrire) de même qu'entre les activités de réception orale (écoute) et écrite (lecture). Les situations de communication diffèrent elles aussi par plusieurs aspects selon que le « canal » écrit ou oral est utilisé. L'existence de telles différences conduit à aborder 1.1.2 La norme en français écrit

Dans l'ensemble, le problème de la norme se pose avec peu d'acuité en français écrit En effet, les textes publiés sont presque tous écrits dans un français qui respecte les prescriptions d'orthographe lexicale et grammaticale telles qu'elles apparaissent dans les dictionnaires comme le Larousse ou le Robert et dans les grammaires comme celle de Grevisse. Malgré les velléités de réforme orthographique et l'intérêt social et pédagogique suscité par cette dernière, la nécessité d'une orthographe et d'une grammaire uniques du français écrit n'est à peu près pas contestée. La perspective normative s'impose d'autant plus facilement qu'il n'y a pas multiplicité des usages orthographiques et grammaticauxl. Malgré l'arbitraire de l' orthographe lexicale et de la grammaticalité 1.1.3 Les variations du français parlé

A l'oral, le français, comme toutes les langues, est moins homogène et se prête à de nombreuses variations d'usage. Les études réalisées jusqu'à maintenant révèlent que les variations sont beaucoup plus considérables aux niveaux lexical et phonologique qu'aux niveaux syntaxique et morphologique. En outre, elles permettent de distinguer quatre types de variations: des variations d'ordre social, des variations Les dernières, connues depuis longtemps, sont les plus accessibles à l'expérience commune. Les accents, par exemple, constituent des façons différentes de diré les mêmes mots et varient d'un pays, d'une région et quelquefois d'un village à l'autre. C'est souvent par l'accent que l'on peut identifier l'origine géographique de quelqu'un. Le lexique quotidien varie également en fonction des régions de la francophonie. Il est connu depuis longtemps que l'on prend son petit déjeuner, que l'on déjeune et que l'on dîne à Paris alors qu'à 2. Ce qui n'est pas le cas des usages stylistiques ou littéraires. Nous y reviendrons.

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et phonologiques. L'ensemble des variantes ayant cours dans une région donnée constitue ce qu'on peut appeler une variété dialectale. C'est le cas, par exemple, du français québécois, du français parisien, etc.Les variations d'ordre social comprennent des variantes reliées à des variables qui ont pu être isolées expérimentalement. Chambers et Trudgill (1980) mentionnent notamment la classe sociale, le sexe, l'appartenanceà un groupe ethnique, les réseaux sociaux, l'âge et différents facteurs individuels. Les relations entre les variantes et les variables mentionnées ci-dessus semblent plutôt se situer sur un continuum que se présenter de façon dichotomique ou discontinue. D ne s'agit pas d'une classe socioéconomique utilisant exclusivement une variante et d'une autre classe utilisant une deuxième variante, une de ces variantes étant généralement perçue comme plus correcte. En général, dans une situation de communication identique, tous les groupes auraient tendance à utiliser les deux variantes, mais dans des proportions différentes. En d'autres termes, les locuteurs L'utilisation par le même locuteur d'une variante plutôt que d'une autre dépend sans doute de plusieurs facteurs comme l'état psychosomatique du locuteur, le sujet dont il parle, sa relation avec l'interlocuteur, etc. Pour le moment, les études indiquent clairement que le choix dépend de la situation de communication où le locuteur se trouve et, bien sûr, de la perception qu'il en a Expérimentalement, Labov (1971) a trouvé que le contexte situationnel constituait un facteur de variation. Ainsi, la prononciation du /r/ postvocalique a varié chez des adultes new-yorkais selon qu'ils étaient dans un contexte informel ou dans un contexte formel ou qu'ils lisaient des listes de mots ou des paires La distinction entre variations sociales et variations stylistiques permet de mieux définir la notion de registre. Ce terme, plus neutre, est préféré à l'expression « niveau de langue » qui dénote « des présupposés subjectifs implicites » (Mounin, 1975: 133) et une hiérarchisation sociale des variantes linguistiques. Pour les fins de cet article, nous définissons le registre comme l'ensemble des variantes linguistiques qui se retrouveraient probablement le plus fréquemment dans tel type de communication. D II n'est pas facile de déterminer ces registres. En effet, une typologie des situations de communication semble pour le moment impossible à réaliser à cause en particulier de la complexité des interrelations entre les

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de la communication: locuteur, intention, encodage, canal, message, décodage, interprétation, interlocuteur, contexte, référents. On ne peut identifier les différents registres que de façon arbitraire, intuitive et théorique. En gros, les auteurs s'entendent pour distinguer à l'oral soit deux niveaux: formel et informel, soit trois niveaux: populaire et courant (informel), de même que soutenu (formel). A l'écrit, on pourrait dégager les niveaux familier, correct et littéraire. Un exemple serait utile pour illustrer les correspondances de registre entre le code oral et le code écrit. Ainsi, l'omission du ne de négation serait courante (informelle) à l'oral mais familière à l'écrit alors que la présence du ne serait un indice d'un niveau écrit correct et d'un niveau oral soutenu (formel). Le tableau présenté en annexe fournit des exemples de registres québécois. Quoique la notion en soit théorique Un dernier type de variations peut se produire effectivement pour un même locuteur à l'intérieur d'un même type de situations ou de la même situation de communication. Irréductible aux trois variations précédentes,il s'agit d'une variation qui se déduit de « l'hétérogénéité interne au système linguistique lui-même » (Lasks, 1977: 114). Ainsi, les phonèmes se réalisent de façon différente en fonction de leur environnement Les traits des pho-nèmes environnants influencent en effet la réalisation du phonème, comme dans le cas de /g/ qui est plus ou moins palatalisé lorsqu'il est suivi d'une voyelle antérieure comme /Ü, /y/ ou /e/ et plus ou moins vélarisé lorsqu'il est suivi d'une voyelle postérieure comme /u/ ou /D/. Ce type 1.2.4 Une ou des normes pour le français parlé?

Par rapport à la réalité de la variation linguistique, mise en évidence dans l'utilisation du code oral, est-il possible de concevoir l'existence d'une norme qui serait unique et prescriptive? Dans ce cas, une variété dialectale, une variété sociale et un registre seraient considérés comme appartenant à la norme et, de ce fait, qualifiés de standard. Les autres variantes seraient alors perçues de façon négative comme des écarts, des particularismes, des dialectologismes, des termes populaires, etc. Il est intéressant de constater que le français oral standard, en d'autres termes le bon usage, Dans une critique importante de ce qu'il appelle le discours prescriptif, Alain Rey (1972, pp. 17-19) déplore que ce dernier confonde le bon usage et la norme avec la langue elle-même et qu'il effectue une évaluation critiqueet hiérarchisante des autres usages et, à travers eux, des usagers. Également, les justifications les plus fréquentes du discours normatif lui apparaissent à juste titre peu

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esthétique ou qu'elles invoquent l'efficacité sociale, c'est-à-dire l'amélioration du rendement informationnel et, partant, de la communication.Contrairement au discours prescriptif et même normatif, la réalité des variations linguistiques orales semble révéler de fait l'existence de plusieurs nommes plus ou moins différentes, chacune fondée directement, anthropologiquement en quelque sorte, sur l'usage linguistique courant dans la communauté linguistique ambiante. Le fait qu'il n'existe pas de grammaire ou de dictionnaire normatif de la langue orale illustre la difficulté d'établir dans ce domaine une nonne prescriptive. Ce qui importe dans les situations de communication orale, c'est d'utiliser les variantes comprises par l'interlocuteur et socialement admises Les écarts par rapport à l'usage admis implicitement risquent, en fonction de leur amplitude ou de leur connotation sociale, de conduire soit à des incompréhensions, soit à des rejets sociaux plus ou moins explicites. II n'y a donc pas de norme prescriptive explicite, mais des usages variés que les interlocuteurs ont inconsciemment tendance à respecter dans leurs discours en fonction de l'acceptation sociale désirée et des objectifs d'intercompréhension poursuivis. Il y aurait donc des normes inconscientes de type descriptif, c'est-à-dire des normes construites par induction à partir d'un large S'il n'y a pas comme à l'écrit une norme grammaticale et phonologique prescriptive, il n'en demeure pas moins que les usages oraux sont perçus différemment par les usagers. Même si les locuteurs utilisent plusieurs de ces usages, ils ont tendance à privilégier et à valoriser l'usage formel ou soutenu de préférence aux autres. Ce modèle culturel varie géographiquement en fonction des communautés. Ainsi l'usage oral privilégié comme modèle est partiellement différent au Québec et en France, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. La réalité de ce modèle culturel a été Les premières, celles de D'Anglejan et Tucker (1973), de Méar-Crine et Leclerc (1976) et de Lambert et Lambert (en cours en 1975), arrivent presque toutes aux mêmes constatations. Des sujets québécois de toutes les classes sociales jugent de façon plus favorable les personnes quand elles utilisent un français « européen » que lorsqu'elles utilisent un français « québécois ». Ce jugement est sollicité dans une situation expérimentale présentant l'enregistrement des mêmes voix utilisant alternativement des variétés différentes selon la technique du matched guise

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la technique de l'enquête, concluent que le français soutenu, européen ou international, est considéré comme meilleur que le français familier, popu-laire ou québécois.

Le deuxième ensemble de recherches rapportées par Chambers et Trudgill (1980: 71 et 82) aboutit à la conclusion que les groupes sociaux, même s'ils utilisent dans des proportions différentes les variantes linguistiques, concordent tous pour utiliser davantage les mêmes variantes en fonction des changements de situations de communication. Ainsi dans les situations plus formelles, les sujets de tous les groupes tendent à augmenter leur utilisation des variantes de statut social élevé. Cette tendance semble même plus prononcée chez les sujets appartenant à des groupes sociaux économiquement inférieurs.

En somme, le français parlé présente plusieurs usages acceptés et, par conséquent, plusieurs normes. Un ensemble de variantes apparaît comme socioculturellement valorisé particulièrement dans les situations plus formelles de communication.

1.2 L'intercomprehension malgré la variationA travers et malgré les nombreuses variations d'usage, on constate

aisément que dans l'ensemble de la francophonie il existe une intercom-préhension fréquente entre des interlocuteurs issus de pays francophones différents ou de groupes sociaux différents. Sur quoi peut reposer cette intercompréhension, sinon sur le fait que tous partagent une même langue, le français? Malgré l'impossibilité reconnue de définir de façon satisfaisante cette notion de langue française, ou de toute langue en général, à cause principalement de ce que Chambers et Trudgill appellent « the geographical and social dialect continuum » (1980: 6-14), il importe d'essayer d'identifier les éléments qui expliqueraient l'intercompréhension. D s'agirait de l'existence d'un français commun, de la présence de représentations abstraites qui soient les mêmes malgré les variations de surface et de l'existence, chez les individus, d'un répertoire assez étendu de ces variantes.

D'abord, on peut postuler l'existence d'un français commun pouvant se réaliser quant à l'aspect de la réception des messages et quant à l'aspect de production des messages. Ainsi Lagane (1976: 19) propose de définir le français commun comme « l'ensemble des moyens d'expression connus pratiquement de la totalité des Français adultes », ce qui n'implique pas, selon lui, qu'ils soient utilisés par tous, « ni jugés bons par tous, ni qu'ils puissent apparaître dans n'importe quelle situation de communication ».

Au niveau de la production, on peut postuler l'existence d'un certain nombre de réalisations linguistiques qui soient communes à plusieurs usages différents. Ces réalisations constitueraient une sorte de français neutralisé, c'est-à-dire la « moyenne des emplois actuels, une fois rejetés les écarts les plus grands » (Dubois, 1965: 5). Ainsi, concernant la variété des systèmes

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phonologiques en français, Walter (1977: 23-57) dégage ce qu'elle appelle un « système moyen » à partir de la description du système phonologique de chacun de ses dix-sept informateurs. Le domaine lexical se présente différemment Mais l'utilisation du terme générique plutôt que du terme spécifique « permettrait peut-être, selon l'hypothèse de Germain (1981:149), d'expliquer la réussite de la communication entre deux personnes dont l'une ignore un mot que l'autre connaît », ce mot Dans une perspective différente, d'autres parlent de « l'ensemble des règles de profondeur qui constituent le noyau dur de la langue; ce qui fait par exemple que le français n'est pas l'anglais ou le wolof. . . ll s'agit donc d'un niveau de grande abstraction, où sont neutralisées les variantes géographiques et sociolinguistiques » (Corbeil, 1980a: 47). Ainsi Laks (1977: 122), dans une étude sur la non-conservation du phonème /r/ dans les groupes consonantiques finals chez six locuteurs français, a pu postuler l'existence de ce qu'il appelle une « règle pan-dialectale » quant à la stratification sociale qui fait que c'est la même règle qui s'applique, ne s'applique pas ou s'applique différemment De même Daoust-Biais et Niéger (1979), dans une étude sur les La très grande fréquence de l'intercompréhension malgré les variations d'usages appuie l'hypothèse double de l'existence à la fois d'usages communs suffisamment nombreux et d'une « base » linguistique intériorisée suffisamment semblable. Certains travaux contribuent cependant à minimiser ces faits en mettant l'accent sur les différences. Ainsi, les ouvrages visant l'identification des écarts (listes d'anglicismes, de dialectologismes, de néologismes, etc. ), faussent nécessairement et sans le vouloir la perspective d'ensemble. Chaque fois qu'il y a intercompréhension - et c'est ce qui arrive le plus souvent - entre des Le fait que chaque locuteur possède un répertoire de variantes interchangeables à sa disposition constitue un troisième élément contribuant à l'intercompréhension entre les locuteurs français. II est connu depuis longtemps qu'un locuteur possède un répertoire dit « passif » d'unités linguistiques beaucoup plus étendu que son répertoire dit « actif ». En d'autres termes, on comprend beaucoup plus de mots et de structures que l'on en utilise soi-même. Ainsi un locuteur québécois francophone comprend très bien la phrase: « je ne sors pas quand il pleut », alors qu'il En somme, il y a deux compétences distinctes, mais reliées: celle de l'entendu et celle du produit (Encrevé, 1977: 51). Une des clefs de l'inter-

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compréhension consiste justement dans la richesse du répertoire linguistique passif des usagers d'une même langue. On peut d'ailleurs penser que la coexistence intégrée de si nombreuses variations est facilitée par la proportion importante d'éléments communs partagés par les différents usagers, que ce soit des éléments de On peut également affirmer que plus le répertoire d'un individu est étendu et plus il sait l'utiliser, plus sa compétence est grande. C'est dans ce sens que Winkin (1979) a pu proposer « l'hypothèse d'une compétence minimale parmi les membres issusdes classes supérieures et d'une compétence maximale parmi les membres issus des classes populaires passés par tous tes stades de l'inculcation scolaire et socioprofessionnelle »1 La compétence d'un locuteur ne se mesure pas uniquement à sa maîtrise de la variété et du registre considérés comme standard, mais aussi par sa maîtrise des autres variétés et registres, de même 1.3 Les fonctions communautaires et individuelles du langage

La présence d'un répertoire d'éléments linguistiques variés alliée à l'habileté à les utiliser pour atteindre les différents objectifs poursuivis par l'homme sont partie constitutive de ce que l'on peut appeler la « faculté de langage ». l'instar de toutes les autres facultés humaines comme la mémoire ou l'intelligence, le langage est appelé à servir différentes fonctions, d'ordre individuel et, plus particulièrement dans le cas du langage, d'ordre communautaire. Une étude rapide de ces fonctions s'impose pour replacer la langue dans la perspective de ses finalités, ce qui devrait permettre La langue constitue un des facteurs-clefs de l'existence et de la définition des communautés, un élément essentiel d'identification nationale. Ainsi, le nom ethnique d'un groupe coïncide souvent avec le nom de sa langue.Au Québec, par exemple, le français joue un rôle-clef pour la collectivité francophone dans la définition de son identité par rapport à l'Amérique du Nord anglophone. Facteur d'identité nationale, la langue joue le rôle de support et de catalyseur à l'expression de la culture et des valeurs d'une collectivité. La sensibilité particulière des Québécois face aux anglicismes révèle l'importance qu'ils accordent à la langue. En somme, la langue a une existence communautaire et constitue un Ces tentatives tiennent compte de « la distinction entre communication individualisée et communication institutionnalisée » proposée par Corbeil (1980b: 78-81). La première est définie comme l'acte personnel par lequel

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rieur des usages existants, l'individu y jouit d'une certaine liberté par rapport aux variantes qu'il utilise. La communication institutionnalisée signifie l'acte souvent anonyme ou impersonnel par lequel une institution entre en relation avec des individus, des groupes ou d'autres institutions. L'individu qui fait ainsi usage de la langue à titre public jouit d'une liberté moins grande, car il engage la responsabilité de La langue d'une communauté lui permet par ailleurs d'entrer en communication avec les autres communautés qui utilisent la même langue. Plus cette langue est internationale, plus la communauté a directement accès aux informations technologiques, scientifiques et culturelles de l'humanité. Cette accessibilité revêt une importance certaine pour le Pour les individus, la langue sert à plusieurs fonctions. Aux fins de cet article, il n'est pas nécessaire de passer en revue les différentes taxonomies existantes (par exemple, Jakobson, 1963; Britton, 1972; Halliday, 1973; Tough, 1974; Wight, 1976; Valiquette, 1979; etc.), ni d'être exhaustif quant aux fonctions. La langue remplit de toute évidence une fonction de communication qui permet aux individus de communiquer entre eux. Cette fonction repose sur la possibilité de l'intercompréhension et suppose néces-sairement un code commun, un ensemble de variantes partagées. Également évidente, quoique sa nature soit moins bien définie, la fonction idéationnelle (ou, en d'autres termes, cognitive, heuristique, référentielle) du langage permet de nommer et de conceptualiser l'univers et aide à le comprendre. Sans entrer dans le D'autres fonctions secondaires, plus ou moins reliées à celle de la communication ou à la fonction idéationnelle, sont bien connues. La fonction expressive est centrée sur la satisfaction de s'exprimer ou de se dire. La fonction esthétique, reliée davantage à des manifestations d'ordre artistique, permet d'utiliser la langue à des fins esthétiques ou stylistiques. La fonction ludique utilise la langue comme un jeu. La fonction « relationnelle » (plus large que la fonction phatique de Jakobson) vise à maintenir et à développer les contacts entre individus. La fonction métalinguistique, largement Une dernière fonction est celle de l'intégration sociale de l'individu. Ce dernier, par les valeurs référentielles et culturelles que le langage véhicule et les communications qu'il permet, s'intègre à la famille, au groupe d'amis, au quartier et à la collectivité. C'est par ethnocentrisme, soutient Deprez (1981) que les Québécois, malgré qu'ils jugent souvent de façon plus

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compare à celle des Belges flamands par rapport au néerlandais. De même, c'est par souci d'intégration sociale au groupe environnant que des Noirs américains ou des adolescents québécois vont volontairement utiliser des variantes linguistiques condamnées ou ridiculisées par d'autres groupes sociaux, leurs parents Sans entrer dans la discussion sur le caractère plus ou moins central de la fonction de communication, il y a lieu de souligner d'abord que cette fonction n'est pas unique, ni exclusive et que l'on peut utiliser la langue sans la présence nécessaire d'un interlocuteur autre que soi-même. Par ailleurs, cette fonction joue un rôle ambigu dans la mesure où la communication devient un moyen de réaliser d'autres fonctions: idéationnelle, Une implication importante de ces considérations sur les fonctions est que les variations de fonctions peuvent provoquer des variations des éléments linguistiques utilisés soit à cause des intentions poursuivies par le locuteur soit à cause des types de discours impliqués ou des stratégies discursives utilisées. Par exemple, Valiquette (1979) réussit à suggérer des probabilités plus grandes d'occurrences d'éléments linguistiques en fonction des types de discours retenus. Ainsi, la fonction expressive, centrée sur l'émetteur et l'expression de sa subjectivité, fera souvent appel à des énoncés à la première personne, à des verbes exprimant jugements et opinions, à des interjections et exclamations (Valiquette, 1979: 89). La fonction informative, centrée sur les « faits » et Une deuxième conséquence de la prise en compte des fonctions du langage est de mettre en évidence le fait que la langue n'est pas une fin en soi, mais un moyen privilégié d'atteindre des fins plus essentielles à l'homme et à l'humanité. Une telle constatation permet de relativiser le rôle du code et, par là, l'importance du La perspective fonctionnelle propose que le code ne constitue qu'un aspect de l'acte langagier. Ce nouveau concept, parce qu'il prend en compte non seulement l'acte linguistique, mais aussi son adaptation à la situation de communication et les fonctions qu'il veut atteindre, constitue une notion plus large et plus significative dont la pédagogie de la langue maternelle aura à tenir compte. En effet un acte langagier, même s'il n'utilise pas le code normatif, sera de qualité s'il 1.4 Le langage des enfants

L'enfant qui entre à la maternelle ou à l'école à quatre, cinq ou six ans a déjà développé une compétence linguistique impressionnante. Cette com-pétence fait souvent l'envie des étrangers adultes en

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ou moins péniblement ce qui semble être si facile à l'enfant dont c'est la langue maternelle. Certains chercheurs, dont McNeill par exemple (1966: 99), affirment même que l'enfant a terminé l'apprentissage des structures linguistiques fondamentales dès l'âge de cinq ans et d'autres croient, à tort, que l'apprentissage Ainsi, l'enfant normal de n'importe quel milieu socio-économique maîtrise bien, à cinq ans ou même avant, l'accord de l'adjectif épithète ou attribut, comme l'attestent les phrases du type [jegRà] il est grand - [agRâd] elle est grande employées spontanément et couramment. L'usage de ces phrases révèle la maîtrise, d'une part, de la règle fondamentale de l'accord oral en genre de l'adjectif et, d'autre part, de la morphologie orale du genre de l'adjectif grand. Or, le système morphologique oral du genre n'est pas moins complexe Le développement du langage chez les enfants d'âge préscolaire ne repose en rien sur la compréhension ou la mémorisation de règles morpho-logiques ou morphosyntaxiques explicites. Les recherches sur cette question indiquent qu'un certain nombre de facteurs concourent à ce développement. - présence du langage dans le milieu ambiant,

- stimulation et renforcement des adultes,- activités langagières nombreuses de la part de l'enfant,-activités langagières motivées par des besoins et

des fonctions authentiques de l'enfantL'activité langagière de l'enfant est centrale dans

tout le processus et amène progressivement l'intégration inconsciente des règles de fonctionnement du système linguistique. Une des thèses importantes développées par les chercheurs, dont notamment Halliday (1975), soutient que le développement du langage chez l'enfant se fait par l'utilisation du code pour réaliser les fonctions langagières qui sont C'est à travers l'utilisation du langage que l'enfant intègre les mécanismes de fonctionnement du code linguistique. L'usage ambiant constitue le modèle linguistique qu'il s'approprie progressivement L'appropriation des variantes linguistiques privilégiées par le milieu social et géographique dans lequel vit l'enfant témoigne donc d'un bon degré de maturation Ainsi une phrase comme [rnctyjale] m'as-tu y aller ne révèle pas une erreur de l'enfant qui l'émet, comme certaines analyses d'orientation normative ont pu le laisser croire. Cette phrase n'indique pas non plus un retard dans le développement du langage de l'enfant, comme certains diagnostics d'inspiration orthopédagogique auraient tendance à l'affirmer. Au

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milieu et qu'il ne souffre pas davantage de retard que l'adulte québécois qui utilise couramment cette phrase dans des situations de communication non formelles.

De fait, il s'agit d'une variante linguistique dont l'utilisation est reliée à des facteurs géographiques, sociaux et situationnels. Comme l'indiquent Gagné et Barbaud (1981: 57-58), une partie des performances verbales des enfants québécois de six-sept ans témoigne du langage oral ambiant; d'une part, dans ses éléments plus dialectaux comme l'énoncé ci-haut mentionné et, d'autre part, dans ses éléments plus communs à l'ensemble de la franco-phonie, tels qu'attestés abondamment par l'enquête de Méresse-Polaert (1969) auprès d'enfants français du même âge, comme la non-présence du ne négatif, l'utilisation du [i] comme pronom masculin de la troisième personne du singulier ou l'emploi du pronom on au sens de nous.

Par contre, d'autres éléments des performances linguistiques des enfants semblent révéler une non-maîtrise des règles de grammaire et du langage adulte ambiant Il s'agit d'éléments comme [feze] faisez, [5t£] sontaient que l'on peut considérer comme typiques de ce qu'on appelle en général le « langage enfantin ». Les études sur le développement du langage des enfants témoignent de l'abondance et de l'universalité de ce type de performances linguistiques. Alors que l'enfant entend peu ou pas ce genre de production, il peut paraître surprenant de constater qu'il emploie de telles formes, fréquentes, semble-t-il, entre 6 et 11-12 ans.

On sait que ces productions sont dues à une généralisation des règles morphologiques verbales. Elles constituent des indices importants que l'apprentissage naturel d'une langue ne se fait pas uniquement par imitation.Elles témoignent aussi d'un apprentissage, en train de se faire, des géné-ralités morphologiques. Cette phase de généralisation est non seulement normale mais nécessaire. Ce n'est qu'une fois que les règles générales sont bien intégrées que l'enfant peut acquérir la maîtrise des phénomènes comme faites et étaient qui constituent de fait des exceptions aux règles, c'est-à-dire des « erreurs » grammaticales.

Cohen (1962: 24) note, à ce sujet, que « de génération en génération, certaines de ces raisonnables rectifications enfantines tendent à remporter la victoire sur les rectifications mécaniques des adultes à (égard des enfants et à s'installer dans le langage commun. C'est ainsi que le français a passé de l'ancien j'aim, nous amons au modeme j'aime, nous aimons ». n est par ailleurs intéressant de constater que ces structures enfantines, doublant et régularisant en quelque sorte la langue considérée comme standard, se retrouvent aussi dans d'autres variétés de français comme le français populaire et les français créoles. Elles se manifestent fréquemment aussi dans l'apprentissage du français par des étrangers (foreigner talk). La convergence de ces tendances montre « l'existence dans le système français de points sur lesquels tendent en permanence à se produire des évolutions » (Chaudenson, 1978: 88). En somme, les éléments probablement les plus

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persistants du langage enfantin constituent des points d'évolution potentielle du système linguistique conventionnel.Des études sur la langue parlée des enfants québécois (Pagé et Comeau, 1981; Pierre-Joly, 1981; Comeau et Pagé, 1981) n'indiquent aucune ou peu de différences significatives dans la production et la compréhension de structures syntaxiques chez des enfants de milieux socio-économiques différents, mais de niveau égal de fonctionnement intellectuel. De même, Baillargeon et Leduc (1981), Rondal, Adrao et Neves (1981) n'ont pas trouvé de différences significatives chez des enfants de cinq-six ans de milieux socio-économiques différents dans la compréhension du langage des enseignants. Les seules différentes inter-milieux rapportées l'ont été au niveau Ces études semblent confirmer que les variations linguistiques se situeraient généralement surtout aux niveaux lexical et phonétique plutôt qu'aux niveaux syntaxique et morphologique. Elles contribuent surtout, comme plusieurs autres recherches faites depuis une dizaine d'années aux ÉtatsUnis et ailleurs, à jeter le discrédit sur la thèse, populaire durant les années soixante dans l'éducation américaine, du déficit linguistique des enfants de milieux défavorisés. En effet, à ethnicité identique et à niveau égal de fonc-tionnement intellectuel, dans des tâches expérimentales semblables et en comparant les performances verbales des enfants entre elles sans De même, au terme d'une étude longitudinale menée auprès d'enfants britanniques de trois à sept ans, Tough (1977), après avoir relevé des différences quantitatives d'ordre linguistique chez des enfants de milieux socioéconomiques différents, n'en conclut pas au déficit linguistique des enfants de milieux défavorisés. Elle affirme plutôt que les enfants de ces milieux ont des habiletés linguistiques plus grandes que ce que leurs performances ont révélé, comme Selon elle, la plus grande différence entre les enfants de groupes socioéconomiquement avantagés et ceux de groupes moins avantagés a consisté dans les aptitudes plus grandes des premiers à utiliser la langue pour des fins particulières, comme se rappeler et donner des détails d'une expérience passée, anticiper des événements futurs et en prévoir l'aboutissement, imaginer des scènes, etc. En d'autres termes, cette étude indique que les différences sont plus importantes au niveau de l'utilisation de la langue plutôt qu'au niveau de la langue elle-même. Elle suggère enfin que

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Les performances d'ordre linguistique des enfants n'en représentent pas moins des variations interindividuelles, qui sont cependant surtout reliées à des variables comme l'âge et la maturation, le niveau de fonctionnement intellectuel et la scolarisation (Gagné, 1981b). Une question intéressante se pose, à savoir si les enfants, à l'instar des adultes, peuvent varier leurs performances linguistiques.

Dans les recherches expérimentales faites sur le langage des enfants, les performances, comme chez les adultes, semblent varier chez le même individu en fonction de la tâche demandée. De fait, les enfants, même très jeunes, se montrent capables de faire des choix linguistiques. Ainsi Shatz et Gelman (1973) ont montré comment la longueur des phrases employées par des enfants de quatre ans change selon qu'ils parlent avec des enfants de deux ans, des enfants du même âge qu'eux ou des adultes. De même, Garvey et Bendebba (1974) ont trouvé que le nombre d'énoncés d'enfants de trois à six ans varie en fonction du nombre d'énoncés de leur interlocuteur, ce qui démontre selon eux une certaine capacité à s'adapter aux caractéristiques de ce dernier.

Labov (1977: 60) a trouvé chez son enfant de 3 ans et 10 mois une très grande proportion (22 sur 26) d'inversions dans les questions avec why3 dans un jeu de questions mené par ses parents et une proportion in-verse (13 inversions sur 292 questions) en dehors de ce jeu. Beaudichon (1978) a conclu que l'efficacité de la communication des enfants de 5 à 13 ans s'accroit grâce à quatre facteurs, dont la représentation des caracté-ristiques de l'interlocuteur et l'anticipation de celles-ci.

Selon Asher (1979), il ressort des recherches sur les communications enfantines que les enfants, même d'âge préscolaire, se rendent compte des caractéristiques des interlocuteurs et essaient d'en tenir compte. De son côté, Gambell (1981) a trouvé que des enfants anglophones de 6e année primaire témoignent d'un répertoire de language roles, qualifiés de formel et d'informel, qu'ils utilisent en fonction des variations de situations de communication dans le contexte scolaire. II a identifié des variantes linguistiques, comme des contractions, des compactions, des truncations et la longueur des unités syntaxiques qui peuvent servir d'indices de registre.

Ces brèves constatations permettent de mettre en évidence l'importance du rôle des interactions verbales dans le développement du langage, de démontrer que le langage des enfants ne peut pas être considéré comme déviant et que ces derniers semblent capables de faire des choix de variantes linguistiques en fonction des interlocuteurs et du caractère plus ou moins formel des situations de communication.

3. Why are you wearing sunglasses? comparé à why you wearing hoir?

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1.5 Les interactions verbales: moyen d'enseignement et d'apprentissageEn salle de classe, le langage, en plus d'être un

objet et un objectif d'apprentissage, constitue un moyen privilégié d'apprentissage. De nombreuses recherches britanniques, dont en particulier celles de Wells (1981), Tough (1979) et Bames (1975), font ressortir le rôle central de la communication et plus particulièrement de la conversation dans le développement intellectuel et social des enfants de même que dans leurs Selon Tough (1979), le dialogue avec les autres enfants et surtout avec le professeur peut être l'expérience la plus importante pour le développement de la pensée et constitue par conséquent un outil précieux. d'enseignement et d'apprentissage. La thèse centrale de Wells (1981) est que la conversation fournit le contexte naturel du développement du langage et que l'enfant apprend en explorant le monde par les interactions verbales qu'il entretient avec les autres personnes. La qualité de son apprentissage dépend donc de la contribution de chaque participant à Le dialogue est également un puissant moyen de relation interpersonnelle entre l'enseignant et l'enfant La qualité de la relation affective et personnelle entre l'enseignant et l'enfant constitue un facteur important de la motivation et des attitudes de l'un et de l'autre. L'importance de ces deux éléments et de l'interinfluence réciproque des deux partenaires est Cette perspective, de même que les considérations préalables qui viennent d'être faites à propos de la variation linguistique, des fonctions du langage et du langage enfantin, peuvent-elles s'accommoder d'un enseignement normatif qui refuserait d'utiliser le langage spontané de l'enfant comme instrument de dialogue favorisant les interactions humaines et péda-gogiques? L'acceptation du langage de l'enfant signifie-t-elle, par contre, que l'école ne propose pas d'objectifs d'ordre linguistique? Cette problématique fait partie de toute évidence des relations entre la question de la 2. La norme et l'enseignement de la langue maternelle:

deux orientationsLes manuels, les méthodes et les démarches

d'enseignement de la langue maternelle sont variés et nombreux. Us peuvent différer par leurs objectifs, leurs moyens, leur programmation, leurs exercices, le rôle assigné au professeur, le type de participation de l'élève et par bien d'autres aspects. Par rapport à la question de la norme linguistique, il est possible de regrouper les

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majeures: une « pédagogie de la langue » ou une « pédagogie de la parole » (Gagné, 1980).

De conception plus prescriptive, la première orientation est centrée sur le code. La deuxième orientation, plus descriptive et plus fonctionnelle, est centrée sur l'utilisation du code. Un tel regroupement oblige à opérer une polarisation de tendances malgré qu'elles se situent en réalité sur un continuum. Il permet cependant, à l'aide des concepts préalables que nous avons définis, de mieux dégager les limites de 2.1 Pédagogie prescriptive centrée sur le code

En général, la pédagogie centrée sur le code linguistique repose sur une perspective de la qualité de la langue qui est normative et souvent puriste. Cette perspective, centrée sur l'écrit, conçoit la langue comme un code homogène, unique et intrinsèquement supérieur: celui qui est décrit dans les dictionnaires et les grammaires. L'objectif prioritaire sinon unique qu'elle vise consiste à faire acquérir ce code. C'est en général la pédagogie traditionnelle avec laquelle des ll y a d'abord lieu de s'interroger sur les objectifs de l'enseignement du français oral dans une pédagogie ainsi centrée sur le code écrit. Il est socialement normal que les parents, la société en général et le système scolaire fixent comme objectif à l'enseignement de l'oral -quand cet enseignement existe -d'apprendre à l'enfant à s'exprimer dans un bon français ou dans le français le meilleur qui soit. Étant donné le constat que nous avons fait de la diversité des usages et de l'absence d'une norme orale codifiée, on est en droit de se demander ce que recouvre ce concept de bon français oral. On Il s'agirait d'une sorte de cliché, d'image mentale collective assez floue qui, au Québec, se concrétise souvent en référence à la langue parlée sur les ondes par les annonceurs de Radio-Canada. Les approximations que l'on peut faire du concept renvoient effectivement à une notion de bon usage qui serait une sorte d'oralisation de récrit, une sorte de lecture à haute voix; ce qui ne respecte pas la spécificité Le bon usage oral n'est pas celui de « la plus saine partie de la cour » du temps de Vaugelas, ni même celui des classes dirigeantes mais plutôt celui que ces dernières apprécient le plus et « qui n'est pas forcément le leur » (Rey, 1972: 21). II s'agit d'un type d'usage idéalisé, qui n'existerait d'ailleurs que dans certaines situations plus formelles de communication et qui est valorisé selon Rey par « ceux qui s'arrogent le monopole du discours de la culture ». Selon lui, en

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à l'oral que la pédagogie centrée sur le code a souvent tendance à valoriser de façon absolue, sanctionnant et perpétuant en même temps le mythe du bon français unique.La promotion d'un tel usage érigé en norme s'accompagne généralement d'attitudes prescriptives et puristes qui se traduisent par la condamnation des autres usages. Ces attitudes résultent peut-être en partie de la nécessité inconsciemment ressentie par l'école du choix exclusif d'un seul usage. La tendance de la pédagogie traditionnelle à se fermer aux usages oraux s'explique aussi par les préjugés sociaux défavorables que le purisme entretient à l'égard de ces usages et de ceux qui les utilisent. L'ouverture de l'école à ces usages réels est perçue comme dangereuse, car cela risquerait sans doute de remettre en cause l'existence et l'intérêt d'un seul français oral, reproduction du français écrit Si, de ce point de vue, l'école s'écarte et se retranche de la réalité sociale dont elle fait partie, c'est sans doute, d'une part, par souci ll y a lieu de dénoncer, en plus de ses fondements inacceptables, quelques conséquences négatives de cette orientation. D'abord, l'imposition d'une norme artificielle à la parole orale favorise une pédagogie qui peut difficilement permettre aux écoliers de développer leur maîtrise des fonctions et des usages divers de la langue parlée. Théoriquement, cela ne les habilite au mieux qu'à lire un texte écrit à haute voix, une fois qu'ils ont appris à lire. 1 faut bien reconnaître que, à l'extérieur de l'école, cette activité ne se réalise que Cette norme artificielle présente une difficulté supplémentaire dans l'apprentissage de la lecture. En effet, à cause de l'écart entre la performance linguistique orale spontanée de l'enfant et le texte écrit, même de niveaucorrect, écart largement augmenté quant il s'agit de la plupart des textes de niveau littéraire, on voit mal comment le recours à l'écrit oralisé pourrait faciliter les débuts de l'apprentissage de la lecture. D'une part, en effet, lire ne consiste pas à oraliser ou à subvocaliser un texte écrit, mais à en trouver directement le sens (Smith, 1971). D'autre part, l'enfant fait deux appren-tissages à la fois: il apprend à utiliser activement un oral soutenu en même temps qu'il essaie de trouver un sens à l'ensemble de lettres et de mots écrits qu'il a Dans une pédagogie centrée sur le code, l'école considère habituellement que la langue parlée non seulement par l'enfant mais également par la société environnante qui lui a servi de modèle linguistique

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inacceptable et devrait être rejetée. Elle entreprend alors un effort de déracinement qui ne peut réussir, imparfaitement d'ailleurs, qu'auprès d'une minorité d'enfants. Une telle tentative risque de conduire soit à l'aliénation sociale de l'individu soit à un rejet plus ou moins grand et plus ou moins explicite de l'école de la

Une telle approche contribue également à la discrimination des enfants des classes sociales défavorisées, dont les performances linguistiques, sans être inférieures, sont en général plus éloignées des performances standard exclusivement privilégiées par l'école. Cette discrimination apparaissait déjà comme arbitraire et injuste dans la théorie du déficit linguistique de ces enfants, théorie en vigueur durant les années cinquante et soixante. Elle devient encore plus injustifiée dans la perspective des différences L'orientation normative conduit très souvent à une pédagogie centrée sur la langue et à une programmation atomistique et artificielle des éléments linguistiques à enseigner. L'effort pédagogique porte alors sur les formes linguistiques plutôt que sur le sens véhiculé ou les fonctions des messages. On dissocie ainsi l'outil de sa fonction, et l'activité langagière de son sens. Une telle dissociation ne favorise pas l'intégration La centration sur le code plutôt que sur son utilisation conduit de la sorte à ne pas utiliser deux facteurs importants de tout apprentissage langagier: l'activité langagière de l'enfant et sa compétence Petiot et Marchello-Nizia (1972: 111) soulignent que dans la plupart des ouvrages de grammaire « l'élève n'apparaît que comme le destinataire des impératifs qui annoncent les exercices » ... et qu' « il arrive cependant très rarement que l'élève soit cité en tant que locuteur: mais c'est toujours pour être condamné comme auteur de phrases incorrectes ». Une telle pratique repose sur une certaine passivité des élèves, implicitement considérés par ailleurs comme ayant des performances linguistiques homogènes. Pourtant les études sur le développement du langage démontrent que ce déve-loppement est le produit de communications voulues et désirées entre les enfants et les personnes de leur environnement « Use of language proceeds from intention to convention » conclut McShane (1981), alors L'école centrée sur le code a trop souvent tendance à ignorer ou à dévaloriser, parce que non conforme à la norme puriste, le langage de l'enfant qui arrive à l'école. Centrée exclusivement sur une langue mythique idéalisée, elle considère tout écart à l'écrit oralisé comme une faute ou une erreur. Cette conception qui s'exprime en termes de moralité ou de logique ne résiste

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des enfants d'âge scolaire. En effet, les écarts relevés dans les discours des enfants tiennent, comme nous l'avons vu, à deux types de causes possibles: l'appropriation de la langue pariée par les adultes du milieu ambiant ou l'apprentissage en cours des règles du système linguistique. Dans un cas comme dans l'autre, ce langage ne peut être déprécié ni d'un point de vue moral, Ce point de vue négatif fait oublier à la pédagogie centrée sur le code que l'enfant normal de quatre-cinq ans a développé une compétence linguistique impressionnante, comme le démontrent ses réalisations de l'accord oral en genre de l'adjectif attribut Pourtant, à la fin de six années de scolarisation, plusieurs enfants ne maîtrisent pas dans leurs textes écrits les règles d'accord simple et la morphologie écrite des adjectifs courants. N'est-ce pas étonnant? Dans un cas, l'apprentissage s'est fait par l'utilisation du langage en situation de communication. Dans l'autre, l'école veut qu'il se fasse à partir d'un apprentissage explicite de règles de Pour s'en rendre compte, on n'a qu'à rappeler le déroulement schématique du raisonnement proposé pour savoir comment écrire le mot « bleu » dans la phrase: « La nuit est bleue. »

1. 23. 45.6.

Questions

Quelle est la nature du mot bleu? Comment s'accorde l'adjectif qualificatif?Quel mot bleu qualifie-t-il? Quels sont le genre et le nombre de nuit?Comment se marque le féminin de bleu?Comment doit-on alors

Réponses

Adjectif qualificatif.

En genre et en nombre avec le mot qu'il qualifies.Le mot nuit. En ajoutant -e à la fin.

Bleue.

Une pédagogie de l'écrit serait sans doute plus efficace si, plutôt que de condamner les variantes légitimes des enfants ou leurs généralisations langagières normales et de partir alors de textes d'auteurs et de grammaires abstraites, elle s'appuyait d'une part sur les éléments communs au code oral et écrit déjà maîtrisés par les enfants et d'autre part sur les discours de ceux-ci. L'enfant du primaire comprend en effet très facilement que bleue prend un -e puisque à l'oral il dirait: « la nuit 4. Pour simplifier, on a omis ici les notions d'attribut et d'accord de l'attribut

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Enfin, la perspective centrée sur le code accentue et met en relief les fautes d'orthographe faites par les enfants ou, à ce titre, par les usagers en général. Elle développe une tendance plus ou moins marquée à ne repérer que les écarts par rapport à la norme et à ne pas s'intéresser aux parties des performances qui sont conformes à la nomme. II s'agit trop souvent d'une pédagogie de la faute et d'un enseignement uniquement prescriptif. Cette tendance contribue à diminuer l'importance du contenu et des fonctions (expression, communication, etc.) en mettant l'accent sur la correction orthographique. Pour que l'enfant ne Cet éclairage négatif favorise à intervalles plus ou moins réguliers, de génération en génération et dans plusieurs pays, l'éclatement de « crises » concernant la qualité de l'enseignement de la langue maternelle. À ce sujet, Hopper (1975) a retrouvé des textes de 1933, 1905, 1730 et 1689 qui critiquent l'insuffisance des connaissances orthographiques et linguistiques des enfants qui sortent des écoles ou des collèges! Aussi longtemps qu'il n'y aura pas simplification de l'orthographe, les fautes d'orthographe continueront à exister chez les enfants et . . chez les adultes. Et tant que l'on restera dans une perspective sociale et pédagogique centrée sur le code, les générations Ces considérations et d'autres expliquent la remise en question, depuis une dizaine d'années, de la pédagogie traditionnelle de la langue maternelle et le rejet de ses fondements linguistico-normatifs. A une pédagogie de la langue succède progressivement une pédagogie de la parole, centrée sur l'utilisation de la langue.2.2 Pédagogie centrée sur l'utilisation du code

Cette pédagogie s'inspire davantage des perspectives sociolinguistiques et fonctionnelles concernant la langue et le langage. Elle admet le caractère arbitraire de tout code linguistique et la coexistence des variétés d'usage. Elle considère que ces variétés sont acceptables en fonction des circonstances géographiques, culturelles et sociales différentes de même qu'en fonction des diverses situations de communication. Elle vise aussi l'appropriation du Elle reconnaît l'importance des fonctions de la langue et des objectifs poursuivis par le locuteur d'une part comme conditions nécessaires des apprentissages linguistiques et d'autre part comme facteur de variation linguistique. II s'agit d'une pédagogie visant à développer non pas les connaissances linguistiques,

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dont, en particulier et surtout, celle de la communication, en tenant compte des différents paramètres de cette dernière: intention, locuteur, contexte situationnel, code oral ou écrit, interlocuteur, thème ou sujet Elle exige de fait des situations de communication signifiantes pour l'enfant à partir des-quelles et grâce auxquelles ce dernier développera sa compétence langagière. Elle encourage davantage les

Une telle approche a le mérite de réintroduire dans les apprentissages les dimensions psycholinguistique, sociologique et situationnelle absentes en général de l'approche fondée sur une conception normative de la langue. Il faut cependant reconnaître qu'elle présente

Les fondements théoriques n'en sont pas très explicités, ni très développés. La pragmatique, les théories de l'énonciation, l'analyse de discours, les modèles psycholinguistiques d'apprentissage du langage n'ont pas atteint un degré d'universalité et de développement suffisants pour que les pédagogues y puisent des données directement utiles ou sûres pour l'aménagement pédagogique. A titre d'exemple, mentionnons simplement le nombre impressionnant de schémas de la communication et de taxonomies des

Ces difficultés peuvent conduire, surtout à l'oral, vers une pédagogie exclusivement centrée sur l'expression personnelle et l'intercompréhension dans les situations de communication immédiates. Une telle orientation peut être reliée à une volonté idéologique, sociale ou personnelle, que véhiculent certains discours théoriques et qu'auraient de rares enseignants, de promouvoir davantage la libération de la parole et l'émancipation des classes populaires que l'acquisition de la langue standard. Cette orientation peut se nourrir, au plan individuel, de l'opposition langue-parole et, au

De façon plus générale, l'enseignement de la langue maternelle, d'inspiration communicative, éprouve des difficultés à préciser le long du curriculum les objectifs d'ordre linguistique ou même langagier, ces derniers demeurant souvent très généraux et se répétant d'un niveau à l'autre. On parvient mal également à intégrer aux situations de communication des objectifs ou des

Ainsi le. nouveau programme de français du Québec (1979) met l'accent, en oral, sur les situations de communication et les types de discours et ne propose pas d'éléments d'apprentissage linguistique spécifiques. Les éléments d'apprentissage y sont plutôt formulés en termes d'habiletés à utiliser l'un ou l'autre des discours en fonction de l'intention de communication et des

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Le nouveau programme de français de la Suisse (Besson et al., 1979) propose à l'oral de nombreux objectifs d'ordre linguistique, mais ils sont poursuivis dans des ateliers de langue très élaborés qui se déroulent,« pour l'essentiel, indépendamment de l'activité-cadre » (p. 42) et sans tenir compte des activités langagières authentiques proposées comme centrales dans la démarche pédagogique, mais très peu développées dans le programme. En Belgique, le programme de l'Enseignement libre reste fondé sur les contenus traditionnels de l'enseignement du français alors que le programme de l'État propose plutôt de « grandes intentions » (Tordoir, 1981) qui semblent- toutefois recouvrir des objectifs d'ordre surtout linguistique.

La rénovation de l'enseignement du français en France n'a pas échappé à ces difficultés comme en fait foi la division de l'enseignement en deux temps, un temps de libération (activités d'expression) et un temps de contrainte (exercices d'apprentissage du code standard). Ainsi, écrivait Genouvrier (1972: 48), « les temps d'expression ressortissent à la censure concrète, celle-ci se réalisant ou non selon les cas et selon la pédagogie que l'on a adoptée » et « les temps d'apprentissage au contraire relèvent de la censure abstraite, plus exactement du choix opéré par le pédagogue sur les structures qu'il désire faire acquérir ».

Ces difficultés constituent des indices à l'effet qu'une pédagogie de la parole peut difficilement évacuer le problème de la norme, malgré l'affirmation de Petiot et Marchello-Nizia (1972: 113)« Loin du locuteur idéal de Chomsky et de la pratique normative du manuel, la linguistique du discours introduit, dans l'étude de la pratique langagière discursive, les conditions et les processus de production de discours. La prise en considération de ces deux directions de recherche permet de déplacer le problème de la norme scolaire et par là même de le dépasser. »Au contraire, soutient Rey (1972: 18), « c'est précisément la pédagogie [. . .J qui fournit à l'attitude normative sa justification la plus forte. Dans ce domaine [. . .] une définition univoque de l'usage à transmettre est nécessaire: il s'agit de juger pour choisir et de choisir pour enseigner [. . .] ».En effet, on voit mal comment récole et le système scolaire peuvent se dispenser de proposer des objectifs de développement et de performance aux enfants. Cette question est antérieure et transcende les discussions de méthodologie et d'approche. L'école ne peut se limiter à reproduire les situations naturelles de communication vécues par l'enfant et se contenter du développement naturel du langage sous peine d'être inutile, d'une part, et de ne pas jouer son rôle de facteur d'égalisation des chances sociales, d'autre part.

Une pédagogie centrée sur l' utilisation du code a le mérite de considérer le code comme un moyen plutôt que comme une fin. Cependant, elle doit déterminer de quel(s) code(s) il s'agit et quelles) variation(s) elle va privilégier. Ne pas choisir implique déjà un choix et apparaît comme inacceptable

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pour les parents et la société en général qui ont naturellement tendance à réclamer un retour à l'enseignement traditionnel, pourtant dépassé.À la lumière des considérations théoriques contenues dans la première partie de cet article et pour essayer de dépasser l'opposition apparente d'une pédagogie de la parole et d'une pédagogie de la langue, il y a lieu maintenant de réfléchir sur les objectifs de l'école quant à l'enseignement de la langue maternelle et de proposer quelques critères pour en déterminer les contenus linguistiques.3. Propositions d'objectifs et de contenus linguistiques

pour l'enseignement de la langue maternelle

3.1 Objectifs généraux de l'enseignement d'une langue maternelleL'enseignement de la langue maternelle constitue un

des enseignements véhiculés par l'école. n n'entre pas dans le cadre de cet article de bien distinguer ce qui relève de l'enseignement du français de ce qui relève de l'enseignement des autres matières, d'autant plus que le français partage avec d'autres matières des objectifs communs et que les interactions verbales orales de même que la lecture et l'écriture constituent des moyens importants d'apprentissage et d'enseignement des autres matières. Ainsi, en apprenant la distinction entre les notions de fleuve et de rivière, l'enfant fait à la fois du français et de la géographie. En comprenant la formulation d'un problème de mathématiques, il développe sa compréhension des mathématiques et son habileté à lire. Nous ne concevrons donc pas les objectifs généraux de l'enseignement du français d'une À cause des fonctions communautaires d'une langue, l'école doit concourir à transmettre, protéger et développer ce bien collectif que constitue une langue. L'enseignement de la langue maternelle vise l'alphabétisation de la population et la transmission des valeurs, de l'héritage culturel et des connaissances. Elle vise également à préparer les individus à assumer le fonctionnement efficace des communications institutionnalisées à l'intérieur de la communauté nationale et à l'extérieur. Pour ce faire, elle doit transmettre les variantes de la langue qui sont plus spécifiquement reliées à ces fonctions, c'est-à-dire les Au niveau individuel, l'école devrait avoir comme objectif général de développer l'habileté à assurer les fonctions individuelles du langage, autant les fonctions plus pratiques et utilitaires que sont la communication, l'expression, la relation avec autrui que les fonctions

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fonctions référentielle ou informative, heuristique, poétique et métalinguistique. Dans le cas des premières fonctions, un français oral populaire ou courant est suffisant pour beaucoup de gens. Dans le cas des autres fonctions, le français écrit correct s'avère utile, sinon Dans cette perspective, l'école doit viser à augmenter le répertoire linguistique des enfants pour leur donner la possibilité d'utiliser les variantes appropriées aux situations de communication les plus diverses et d'assurer le plus efficacement possible les fonctions auxquelles sert le langage. Ce développement n'exige pas la suppression des variantes existantes possédées par les enfants. La possibilité de la coexistence des usages est en effet clairement démontrée par les recherches qui ont révélé l'existence de variantes interchangeables chez les individus, même Le choix d'un registre, formel ou informel, courant ou soutenu, dépend en dernier lieu du locuteur, des objectifs qu'il poursuit et de la situation de communication ou des activités langagières qu'il suscite ou qui le sollicite(nt). L'école doit donc respecter cette prérogative et organiser sa pédagogie de telle sorte que l'enfant ait non seulement un Vouloir empêcher l'école, pour quelque raison idéolo_gique que ce soit, de viser à faire acquérir le code écrit et le registre plus formel du code oral apparaît donc comme nuisible pour l'individu dont le répertoire verbal serait alors limité et pour la communauté qui en serait appauvrie. Vouloir, sous prétexte de purisme ou de développement social, empêcher l'école, l'individu ou même l'enfant d'utiliser une variété linguistique dialectale de registre informel quand il le veut, pour assurer les fonctions langagières Un des objectifs importants de l'enseignement de la langue maternelle se situe précisément au niveau des attitudes à développer concernant la variation linguistique. Les attitudes pourraient être accueillantes et ouvertes par rapport aux usages variés de la francophonie. Une telle ouverture peut se créer concurremment avec le développement des jugements de l'enfant concernant la grammaticalité (surtout à l'écrit), l'acceptabilité (surtout à l'oral) et le caractère logique de différents énoncés, les siens comme ceux des autres. Les activités expérimentées et proposées par Hopper (1976) et que nous avons reprises récemment avec des professeurs du primaire indiquent que les enfants même très jeunes (6-9 ans) peuvent porter des jugements de grammaticalité, d'acceptabilité ou de logique sur des énoncés courts à leur portée. Les

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ques. Elles développent également une certaine conscience métalinguistique utile à l'utilisation appropriée de ces variations.En essayant de concilier les perspectives normative, descriptive et fonctionnelle sur la qualité de la langue de même que la pédagogie centrée sur le code et celle centrée sur l'utilisation de ce dernier, on peut affirmer qu'en général une performance linguistique est de qualité quand il s'agit de l'utilisation, en fonction des objectifs visés et selon les circonstances ou les situations, d'éléments linguistiques conformes au code, En d'autres termes, si l'on définit la langue comme étant l'ensemble des éléments linguistiques communs aux individus d'une collectivité pour permettre l'intercompréhension et la parole comme l'utilisation de ces éléments à des fins de communication ou à d'autres fins, il ressort clairement que la pédagogie de la langue maternelle ne peut ignorer ni l'aspect de la langue, ni l'aspect de la parole. L'opposition entre une pédagogie centrée sur le code et une pédagogie centrée sur l'utilisation de ce dernier apparaît dépassée au profit Cette synthèse oriente l'enseignement de la langue maternelle vers le développement, chez les enfants, d'habiletés à utiliser le code de façon réceptive et productive en fonction des objectifs visés par l'utilisateur et en tenant compte, s'il s'agit de la fonction communicative, du message à transmettre, de même que des circonstances et des interlocuteurs en cause. Cette synthèse pose comme un des objectifs de l'enseignement que les enfants auront à maîtriser, en fonction des situations et des buts visés, les usages linguistiques acceptés par la collectivité, y compris l'usage privilégié. Cela implique que l'on vise à la conformité orthographique et grammaticale avec le 32 Réflexions sur les contenus d'ordre linguistique

L'orientation générale ainsi dégagée retient les préoccupations d'ordre linguistique de la pédagogie centrée sur la langue mais en élimine les aspects puristes ou étroitement normatifs de même que la centration sur le code. De l'autre orientation pédagogique, elle retient, par contre, la centration d'ordre langagier sur l'utilisation du code et déplore la pauvreté relative des contenus d'ordre linguistique ou la difficulté de les intégrer. Sans toucher aux aspects d'une démarche pédagogique qui faciliteraient cette intégration', la dernière partie de cet article présente des éléments d'une réflexion qui permettrait de mieux 5. A cet effet, l'activité d'« objectivation » proposée par le programme

de français du Québec (1979) présente beaucoup d'intérêt.

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aux activités de compréhension puis aux activités de production et propose dans un dernier temps des critères de détermination d'éléments linguistiques oraux à développer, cet aspect semblant être celui qui présente le plus de difficultés.3.2.1 Activités de compréhension

On peut considérer que, en général, le milieu ambiant fournit à l'enfant un matériau linguistique oral diversifié comprenant plusieurs registres. Ainsi le cadre familial et les groupes d'amis présentent surtout un français informel, courant ou populaire. Les médias électroniques, radio, télévision, cinéma, apportent le registre plus formel, un français oral très souvent sou-tenu, et quelquefois d'autres variétés dialectales. L'école n'est plus le seul moyen d'accès possible au registre soutenu. Pour les enfants « normaux », les problèmes de discrimination auditive et de compréhension de ce registre pour des énoncés à leur portée ne se poseraient plus à leur arrivée à l'école. L'objectif ici ne peut pas être A l'oral, il s'agit d'aider les enfants, en fonction de leur âge, à intégrer de nouveaux mots, à structurer les champs sémantiques et lexicaux qu'ils possèdent déjà, à comprendre des structures, des phrases et des discoursplus longs, plus complexes ou plus abstraits. Il y a lieu, après vérification de leur compréhension de messages simples, de développer leur compréhension de messages plus élaborés, véhiculés par différents types de discours comme ceux proposés par le nouveau programme de Le développement de ces habiletés se fait certainement par l'élargissement des formes et des structures linguistiques comprises par l'enfant. Il se fait également à partir des éléments linguistiques qu'il possède déjà etdes discours qui sont fréquents dans son univers sonore que ce soit à la télévision, avec ses parents et en famille ou avec les autres enfants, dans le quartier ou dans la salle de classe. L'importance des habiletés d'écoute est largement révélée par le fait que, dans une journée régulière, l'adulte moyen consacre volontairement ou non beaucoup plus d'heures à écouter qu'à lire, écrire ou

Ces habiletés, reliées par ailleurs à d'autres facultés comme l'intelligence et la mémoire, sont vraisemblablement de nature suffisamment profonde pour que l'on soit justifié de concevoir qu'elles sont fondamentalement les mêmes, peu importe la langue utilisée ou les variétés d'une même langue utilisées. Si cela s'avère fondé, le développement de l'écoute peut se faire à partir

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munes à l'écoute et à la lecture, le développement des habiletés d'écoute de discours utilisant le registre le plus familier à l'enfant favoriserait, par transfert, les habiletés de compréhension et de lecture critique des textes écrits.L'ouverture de l'école aux registres courant et populaire parlés par les enfants, et souvent par le professeur lui-même d'ailleurs, est fondée sur les considérations d'ordre sociolinguistique et fonctionnel que nous avons vues. Elle s'appuie également sur des préoccupations d'efficacité pédagogique. En effet, les enfants apportent eux-mêmes des variations linguistiques de différents registres, des façons de dire différentes qui, discutées et mises en commun,

Cette mise en commun qui peut se faire, notamment pour le lexique, sous forme de brainstorming, peut facilement aboutir, au niveau du code, à une structuration sémantico-linguistique des acquis (voir, par exemple, Tarrab, 1981). Ces apports sont peu coûteux en termes d'équipement, de manuels et de déplacements parce qu'ils peuvent faire partie, si on les accepte ou si on les suscite, de la vie habituelle de la classe. Ils sont susceptibles d'être efficaces parce qu'ils impliquent directement les enfants euxmêmes sans Au fur et à mesure de la scolarisation et de l'alphabétisation, les discours et les éléments linguistiques apportés par les enfants vont s'enrichir. La comparaison par les enfants des variations de codes, de variétés et de registres peut contribuer à aider le développement de la compréhension de discours oraux soutenus. L'école peut augmenter ainsi la familiarité des enfants avec ce registre et aider à développer progressivement leurs capacités d'écoute de même que la qualité et le niveau de leur compréhension orale. Pour que l'enfant passe de l'écoute des dessins animés, pour la plupart en français oral soutenu, à la Quant à la compréhension du code écrit, inutile de s'y attarder beaucoup, puisque l'école reconnaît là un de ses objectifs premiers. Une des incidences que la question de la norme peut avoir sur l'apprentissage de la lecture se situe par rapport aux différences entre le registre oral courant ou populaire et le code écrit de Plus les premiers textes présentés aux enfants pour qu'ils apprennent à lire sont près de la langue qu'ils possèdent, plus l'apprentissage du déchiffrage d'un texte se fait facilement et rapidement Malgré les écarts inévitables entre les deux codes, il est possible, tout en respectant l'orthographe correcte, de faire en sorte que les textes proposés évitent le plus possible les

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du texte à déchiffrer soit connu des enfants consiste à présenter la version écrite d'un énoncé ou d'une suite d'énoncés produits par les enfants euxmêmes.

Le degré d'édition et de correction des énoncés fait alors par le professeur peut varier. Ainsi, certains ne respecteront que l'orthographe, et écriront: « il aime pas ça ». D'autres corrigeront en plus la morphosyntaxe et écriront. « il n'aime pas ça ». D'autres enfin voudront n'accepter que des énoncés de registre correct et modifieront des éléments lexicaux ou stylistiques pour présenter: « il n'aime pas cela ». Ces trois façons me Il serait sans doute intéressant, sur une base uniquement expérimentale, de voir dans quelle mesure la transcription temporaire la plus directe possible des réalisations morphophonologiques du français courant dans lesdébuts de l'apprentissage de la lecture ne favoriserait pas ce dernier, particulièrement chez les élèves qui éprouvent des difficultés. La tendance la plus répandue à l'heure actuelle procède à l'inverse en essayant de faire intégrer de façon active les réalisations orales de registre soutenu. Cela ne me semble guère utile puisque la lecture est une activité de compréhension et que les enfants comprennent ce registre oral. S'ils ne le comprennent pas, alors l'approche de la familiarisation Une fois les habiletés de base acquises, les styles de textes lus devraient être de plus en plus variés et difficiles. Sans minimiser l'importance des discours littéraires, les autres discours ont droit de cité à l'école, à cause de leur importance pour la réalisation des différentes fonctions du langage. Ainsi la bande dessinée, le discours juridique, l'article de journal, les recettes de cuisine, les instructions pour faire du bricolage, le message publicitaire, les affiches, etc., constituent des textes écrits de spécialisation et de Quant aux textes littéraires, plusieurs professeurs s'interrogent sur la place à accorder à la littérature « régionale d'expression française » par rapport à la littérature « française ». Certains, dans une perspective normative, déplorent la présence, dans les programmes de niveau secondaire ou collégial, d'oeuvres écrites en français dialectal et plus particulièrement en « joual ». Us regrettent la valorisation ainsi accordée à cette variété dialectale et stylistique et en craignent la Cependant, il faut reconnaître que l'écriture de ces textes est en général correcte, sauf quand l'écrivain juge nécessaire ou utile de transcrire le plus fidèlement possible la réalité orale du français parlé par les

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qu'il met en scène. La variété ainsi reproduite graphiquement comprend des éléments dialectaux, mais aussi des éléments d'un français oral courant commun à la francophonie.

Au fond, ce qui est rejeté alors implicitement et explicitement, c'est la variation orale. Un tel rejet témoigne de l'attitude prescriptive que nous avons déjà contestée. Que l'écriture littéraire utilise la variété et le style souhaités pour atteindre les fonctions stylistiques ou autres désirées constitue un phénomène non seulement acceptable, mais à respecter.La question « faut-il enseigner une écriture oralisante? » est cependant différente, car elle implique l'aspect de production de messages.3.2.2 Activités de production

C'est surtout par rapport à la production des messages plutôt que par rapport à leur compréhension que se situe la question du choix des variantes linguistiques à enseigner. Une raison en est sans doute que la production, sans que l'on sache précisément pourquoi, semble plus complexe et plus difficile puisque sa maîtrise suit toujours celle de la compréhension et que le répertoire linguistique actif est plus limité que le répertoire passif. Une deuxième explication serait que la production, au contraire de la compréhension, aboutit

Une dernière raison, pour le code écrit du moins, serait que le système orthographique et grammatical est d'une telle complexité, en lui-même et quant à ses relations avec le code oral, qu'il faut y consacrer un temps très - sinon trop - considérable. Comme il y a, en plus, beaucoup d'autres apprentissages scolaires à réaliser, il semble réaliste, en vue de la détermination des contenus linguistiques à enseigner aux niveaux primaire et secondaire, de proposer trois principes de Le principe d'économie demande que l'on ne vise à faire acquérir la maîtrise que d'une variété et d'un registre de cette variété; ou, à tout le moins, que l'on s'assure de la maîtrise d'une variété et d'un registre avant d'en proposer d'autres. Le principe d'utilité suppose qu'il faut choisir la variété et le registre les plus répandus et les plus acceptés pour réaliser les Le principe de productivité signifie que l'on concentre les efforts sur les éléments linguistiques qui se situent à des niveaux plus « fondamentaux » que d'autres et qui d'ailleurs sont généralement en nombre plus limité. II s'agit des éléments structuraux - phonologie, morphologie et syntaxe - que l'on considère comme des classes fermées par rapport aux éléments

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Par rapport au français écrit, ces principes s'appliquent très bien. Il est en effet facile de constater que le français écrit correct, de préférence aux registres familier/populaire ou littéraire, est le plus répandu et le plus accepté dans l'ensemble de la francophonie et dans chaque communauté nationale ou régionale. Cela, je pense, règle par la négative la question de l'enseignement d'une orthographe ou d'une morphosyntaxe familière ou « joualisante ». De même le style littéraire, avec par exemple ses passés simples et ses imparfaits et plus-que-parfaits du subjonctif, ne peut constituer un objet d'enseignement premier. Il est intéressant par ailleurs de constater que les deux Le choix du niveau écrit correct ne pose pas de problème quant aux composantes structurales de la langue ni, dans l'ensemble, quant à la composante lexicale. Cependant, certains termes, en quantité limitée, ne figurent pas aux dictionnaires standard. C'est le cas notamment des dialectalismes,.qu'ils soient communs à plusieurs régions et pays ou particuliers à certains. Pour des raisons d'économie et d'utilité, il me semble que l'école doit enseigner à écrire les dialectalismes du pays en respectant l'usage Il m'apparaît acceptable que l'école, dans plusieurs cas, ne tienne pas compte des condamnations de certains dialectalismes, ou expressions propres à une communauté, considérés par les puristes comme des anglicismes, des néologismes, des barbarismes ou autres -ismes. Très souvent, il s'agit de mots fréquents désignant des réalités quotidiennes à propos desquelles d'ailleurs les enfants peuvent vouloir plus facilement écrire qu'à propos de thèmes proposés ou imposés par l'enseignant Place donc, n'en déplaise pour certains mots aux derniers actes « normatifs » de l'Office de la Dès le primaire, il importe de faire écrire aux enfants différents types de message, dont en particulier les types qu'ils rencontrent le plus souvent En effet, ces messages peuvent renforcer et consolider les acquisitions linguistiques faites et stimuler l'acte d'écrire en illustrant pour les enfants futilité de cet acte, loin d'être évidente, pour de jeunes enfants. On peut mentionner dans cette catégorie les affiches, les panneaux-réclame, les bandes dessinées, les messages publicitaires, les chansons, les comptines, etc. II est utile et intéressant de réaliser différents types de Dès la fin du secondaire, mais surtout aux niveaux collégial et universitaire, (étude des discours spécialisés s'impose en fonction des choix et des orientations professionnelles de chacun. à faut

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appeler le style juridique, commercial, technique, administratif, scientifique, littéraire, etc., pour être en mesure de produire des textes qui sont requis par les études dans ces disciplines ou par l'exercice des métiers et professions qui y sont reliés.Par rapport à la production de messages oraux, les problèmes de choix sont plus complexes et plus difficiles à cause en particulier de l'absence de norme prescriptive unique. Il y a d'abord lieu de considérer la compétence linguistique de l'enfant qui arrive à l'école. II est évident que, en plus des considérations sociolinguistiques et fonctionnelles que nous avons mentionnées, les principes d'économie et d'utilité s'appliquent à rebours pour refuser toute tentative de De façon plus positive, on peut croire que l'utilisation de ces formes, alliée à la maturation et aux apports scolaires, contribue au développement linguistique, langagier, cognitif et social des enfants d'âge scolaire. Ainsi Stern (1981) suppose que les habiletés d'expression orale en suisse allemand sont transférables au niveau des discours écrits en allemand standard et fait l'hypothèse que la maîtrise du « oral narrative style [. . .] facilitates the acquisition of literacy » (p. 35). Enfin, ces formes sont nécessaires sinon indispensables à la réalisation des interactions verbales

En considérant le degré de développement linguistique des enfants à leur entrée à l'école, l'absence de norme prescriptive en oral et le poids de l'influence linguistique du milieu ambiant, certains sont portés à penser qu'il n'y a pas lieu de fixer des objectifs linguistiques à l'enseignement de l'oral, mais des Pourtant plusieurs recherches (revues notamment par Palerrno et Molfese, 1972) qui ont porté sur la langue parlée des enfants d'âge scolaire révèlent que le développement linguistique, malgré qu'il soit très avancé, n'est pas terminé à l'âge de cinq ans et que « d'importantes acquisitions syntaxiques apparaissent dans le langage de l'enfant bien après qu'il ait atteint » (p. 415) cet âge. Les recherches faites au Québec (Gagné, Pagé et co11.,1981a) indiquent que l'enfant développe et modifie ses performances orales au moins aux niveaux du vocabulaire, de la morphologie et de la syntaxe jusqu'à 12 ans et même plus tard. Ces recherches n'ont pas réussi à isoler la maturation reliée Ainsi, la recherche de Hébert (Hébert, Gagné et Barbaud, 1981) a relevé l'évolution de l'emploi des éléments de morphologie orale standard du genre chez des enfants québécois de la maternelle à la sixième année du primaire. L'appropriation active des marques

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NORME ET ENSEIGNEMENT DE IA LANGUE MATERNELLE 90

souvent des exceptions, comme par exemple du (les enfants utilisent souvent de le), [dez~b] des oeufs, prononcé [dezoe:f], se fait pour la majeure partie durant la scolarisation primaire. A la fin du primaire même, plusieurs marques n'étaient pas encore utilisées dans la situation de testing par plus de 70% des enfants. Il s'agit surtout d'alternances reliées à des éléments lexicaux plutôt que structuraux, comme: [Cen:)sl un os - [dezo] des os; [ilsàva] il s'en va -- [ilsâv5] ils s'en vont; [ilsats] il se tait --- [ilsats:z] ils se taisent; [nefs] il éteint - [ilzets:p] ils éteignent. Il y a donc place à l'école primaire pour des objectifs de développement linguistique de l'oral en vue de l'acquisition active des structures morphosyntaxiques adultes.

De façon plus générale, il est utile d'augmenter le répertoire actif des éléments linguistiques à la disposition des enfants en vue d'un élargissement des situations et des registres de communication où ils pourront être à l'aise et réussir leurs productions verbales en atteignant les objectifs qu'ils se sont fixés. L'accroissement du répertoire verbal augmente les possibilités d'adaptation de l'usager aux différentes situations de communication et aux fonctions variées d'utilisation de la langue parlée. Enfin, l'école fournit ainsi l'occasion à tous les enfants de s'approprier l'usage oral privilégié par la collectivité.

Il s'agit pour l'école, sans porter de jugement de valeur sur les différents usages et sans vouloir éliminer les usages spontanés et légitimes, de fournir des occasions d'utilisation des éléments entendus et compris, qui font partie de la compétence passive des enfants. L'objectif n'est pas de remplacer un usage par un autre, mais plutôt de familiariser l'enfant avec l'utilisation d'un usage soutenu.

L'exigence ne pourra pas être que cet usage soit employé partout et toujours, que ce soit à la maison, dans la rue ou en classe. L'école doit respecter l'autonomie et la liberté individuelle du choix des éléments linguistiques à utiliser en fonction des paramètres fonctionnels et situationnels de la communication. Ce respect est nécessaire pour favoriser chez l'enfant l'utilisation spontanée et alors nécessairement volontaire des éléments linguistiques conformes au code approprié en fonction des situations de communication et des objectifs poursuivis.

En résumé, au niveau du code écrit, les éléments linguistiques à proposer aux enfants présentent relativement peu de problèmes de choix. Au niveau de l'oral, la détermination des éléments linguistiques précis dont le maître pourrait favoriser l'acquisition en compétence active devient plus complexe et nécessite l'utilisation de critères explicites. Ceux qui sont développés ci-après constituent un premier effort de réflexion en ce sens.3.2.3 Quelques critères de détermination d'éléments linguistiques oraux à

développerLe principe général d'économie présenté plus haut s'applique dans

l'opération de détermination des éléments oraux à privilégier. Essentielle-

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ment, il signifie ici que l'on n'a pas plus d'un registre ou d'une variété à développer à la fois chez les enfants, et qu'il y a lieu de penser en termes de priorités. Cela implique qu'il est possible qu'il faille pour le maître varier ses objectifs en fonction de chaque enfant ou de chaque groupe d'enfants puisque les enfants ne sont pas tous au même niveau. Une telle adaptation, on le conçoit, n'est pas aisée et nécessite, d'une part, des outils d'observation qui ne sont pas encore à la Le premier critère serait celui de la non-marginalisation de certains enfants par rapport au groupe. Il y a toujours des enfants au début de la scolarisation qui n'ont pas intégré certaines prononciations et qui continuent pour certains éléments à utiliser des formes enfantines caractéristiques d'enfants plus jeunes. On dit qu'ils continuent à parler comme des « bébés » quand ils utilisent des formes comme [bf :)la] chocolat, [psstak] spectacle, [eézwazo] un oiseau, etc. La résolution des difficultés d'ordre individuel constitue un premier niveau d'objectifs à atteindre, d'une façon discrète et personnelle, pour le Un deuxième critère peut être cherché en fonction d'une distinction résultant de certaines études sociolinguistiques entre des variantes linguistiques qui sont des indicators et d'autres qui sont des markers (Chambers et Trudgill, 1980: 83-84)11.

Les éléments qu'on pourrait appeler des « indicateurs » sont des variantes qui, même si elles peuvent être en corrélation avec des différences de classes sociales, ne sont pas impliquées dans les variations systématiques de registre. Un exemple d'indicateur pourrait être en français québécois Les éléments qu'on pourrait appeler des « marqueurs » sont définis comme des variantes témoignant de différences d'utilisation marquées selon les registres (« styles »), les classes, l'âge et le sexe. Ainsi, en français québécois, la prononciation [pe:R] (père) pour père pourrait être considérée comme un Une telle distinction peut s'avérer productive pour déterminer les éléments linguistiques oraux que l'école pourrait se proposer d'enseigner. Ce serait, de préférence et en priorité, les variantes linguistiques qui sont en variation avec les marqueurs plutôt que les variantes correspondant aux indicateurs. Ainsi, il vaudrait mieux orienter les efforts vers le /a/ comme dans père plutôt que vers la non-affrication de /t/ et /d/ 6. Cette distinction explicite celle faite par Labov (notamment 1972: 112-113) entre fine

stratification et sharp stratification, distinction retrouvée dans les données d'autres recherches subséquentes menées aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

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A partir de ces exemples, on peut postuler que les marqueurs correspondraient à un registre oral populaire et les indicateurs à un registre oral courant On peut alors reformuler la priorité en proposant que l'école viseà faire acquérir les éléments de français oral courant ou

Ces notions d'indicateurs et de marqueurs demeurent encore illustrées par très peu de variantes linguistiques expérimentalement identifiées. Chambers et Trudgill (1981: 84-88) proposent toutefois un certain nombre d'explications théoriques pour rendre compte de l'existence d'un marqueur de registre. On peut alors supposer, pour le moment, que les variantes auxquelles ces explications semblent s'appliquer constitueraient de fait des marqueurs. Les quatre conditions pour qu'une variante joue le rôle de marqueur sont la condamnation explicite (overt stigmatisation), l'évolution linguistique (linguistic change), les oppositions phonologiques (phonological contrast) et les stéréotypes. Chambers et Au Québec, des enfants ou des adultes qui utilisent dans des situations formelles de communication des formes comme [mwe] môé, [hYp] h(j)upe, [lIt] lite, des sacres ou des jurons, [siziRE] si j'irais, bicycle a gaz (motocyclette), etc., font en général l'objet d'une appréciation sociale défavorable. De telles formes sont en fait le sujet de commentaires péjoratifs et d'une condamnation explicite de la part de l'ensemble des usagers. [mwe], [twe] constituent des archaïsmes de prononciation et relèvent aussi d'une deuxième explication: celle de l'évolution linguistique. La prononciation de « jupe » avec un [h] constitue peut-Ces éléments linguistiques pourraient donc constituer des exemples de « marqueurs » d'un registre populaire. Il y aurait alors lieu pour l'école de favoriser chez les enfants l'appropriation en compétence active des éléments non marqués qui leur correspondent:

Même s'il peut s'agir d'un nombre restreint de paires minimales et que la confusion sémantique soit peu probable à cause du contexte linguistique et situationnel de l'énoncé, Chambers et Trudgill (1981: 86) croient néanmoins que les changements phonologiques attirent plus l'attention des usagers ou des interlocuteurs que les changements d'ordre purement phonétique. Selon eux, de tels changements Les variations phonétiques bien connues comme l'affrication [p(a)t i] (petit), la palatalisation [g;E:R] (guerre), la fermeture des /i/, /y/, /u/ en [I] [Y] [U] en syllabe finale fermée, la diphtongaison [kaoe:R] (coeur), l'assourdissement ou l'élision de voyelles [yn(i)vsRsite]

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des variantes qui ne seraient pas des marqueurs. Marchai, dans une étude sur le phonétisme québécois et la norme (1981: 156-168) dresse une liste des variantes allophoniques qui, comme celles-là, ne contreviendraient pas à ce qu'il appelle la norme du français québécois. De plus, de telles variantes n'empêchent pas, selon lui, la reconnaissance de phonèmes et ne gênent donc pas la communication. La raison fondamentale en serait que ces variations n'ont

Tout autre est le cas des variations d'ordre phonologique qui touchent alors les traits distinctifs, pertinents par rapport à la communication. Même si la compréhension, comme l'indique Marchal (p. 164), par rapport aux changements vocaliques du type /s/ -> /a/ ([f âts] -> [f âta]) n'est pas toujours réduite, il semble pourtant, comme le soulignent Chambers et Trudgill, que toute neutralisation d'opposition phonologique ou tout changement phonologique de timbre risque de

Ainsi des variantes comme [meR] (mère), [kRe] (crois), [fRct] (froid), [l?wel] (poil), fzeta] jj'étais), etc., constitueraient de tels marqueurs. Il en résulterait que l'école, sans vouloir déraciner ces réalisations, aurait à fournirà l'enfant des situations de communication où il

Un autre critère de détermination des contenus linguistiques oraux à développer réside dans la présence plus ou moins importante dans la communauté de la variante que l'on veut enseigner. Ainsi, à partir d'une recherche faite sur l'évolution du vocabulaire d'enfants québécois de 9 à 12 ans et de 1971 à 1974 par rapport à cinquante objets de la vie quotidienne, Primeau (1981) a constaté que, avant les interventions spécifiques de l'école, le développement de ce vocabulaire avait tendance à se faire en fonction des termes privilégiés par la majorité des enfants de cet âge et de la même ville, peu importe que ces termes fussent dialectaux ou standard. Chambers et Trudgill (1981: 75-79) font également ressortir l'influence des

En somme, nous retrouvons ici, à un autre niveau, la fonction d'identification ethnique ou communautaire de la langue et la fonction corollaire d'intégration sociale de l'individu. Dans la mesure où l'identification au groupe et la cohésion de ce dernier sont fortes, il sera difficile de promouvoir des variantes linguistiques perçues comme « étrangères » ou « artificielles ». Les objectifs d'appropriation des éléments linguistiques de registre courant ou soutenu auront d'autant plus de chances de réussir que les formes proposées se

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Voilà une des raisons pour lesquelles des termes comme racinette pour root beer, landau pour carosse, mais éclaté au lieu de mais soufflé ou pop-cour, hambourgeois au lieu de hamburger n'ont presque aucune chance de se répandre. D'autres termes comme pneu, pomme de terre, voiture, parce qu'ils sont utilisés à la fois dans l'usage oral courant et dans les médias québécois, auront beaucoup plus de probabilités d'être employés. Ils font déjà partie du répertoire passif sinon de tous les enfants, du moins de la très grande majorité d'entre eux et ils font également partie du répertoire actif de plusieurs. Pour des raisons d'économie et Le dernier critère de détermination des éléments linguistiques oraux à développer chez les enfants est celui de l'usage perçu comme souhaitable par la collectivité concernée. En d'autres termes, le contenu linguistique du développement des habiletés de production des messages oraux est à déterminer.par rapport à chaque communauté nationale de la francophonie en fonction de la variété dialectale qu'elle

ConclusionCet article constitue un essai visant à suggérer des

éléments de réponse à la question « quelle langue enseigner? » Dans un premier temps, une présentation sommaire des résultats des réflexions et des recherches menées depuis une quinzaine d'années a permis d'identifier quelques concepts et données fondamentaux. Ces éléments n'ont pas pu être approfondis ou discutés et ils risquent d'avoir été abusivement simplifiés. Toutefois, ils constituent une toile de fond préalable nécessaire pour permettre de dépasser le dilemme évoqué par Rey (1972: 19): « . . . L'étude de la variation linguistique permet la distinction entre français écrit et français parlé et met en relief, surtout pour ce dernier, les notions de variantes d'ordre géographique, social et situationnel. Il en ressort que la norme tend vers l'unicité en français écrit et vers la multiplicité en français parlé et il semblerait que l'intercompréhension soit possible grâce, d'une part, à l'importance des éléments communs à des interlocuteurs d'origines différentes et, d'autre part, grâce au fait que chaque locuteur possède un répertoire de variantes linguistiques 7. Cette position rejoint la première résolution approuvée par l'Association québécoise des

professeurs de français lors d'un congrès tenue en 1977 et qui a été formulée ainsi: « Que la norme du français dans les écoles du Québec soit le français standard d'ici. Le français standard d'ici est la variété de français socialement valorisée que la majorité des Québécois francophones tendent à utiliser dans les situations de communication formelle.

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et individuelles du langage fait ressortir le fait que la langue ne constitue pas une fin mais un moyen et que le code n'est qu'une des composantes de l'acte langagier. C'est d'ailleurs par l'utilisation du langage pour réaliser différentes intentions que l'enfant qui entre à l'école a développé une maîtrise étonnante du français parlé par son entourage et dont il continue à intégrer de façon inconsciente les règles de fonctionnement A l'école, les interactions verbales peuvent aussi offrir un moyen important d'enseignement et d'apprentissage.Ces considérations aident à identifier et à critiquer deux orientations majeures de la pédagogie de la langue maternelle: une pédagogie centrée sur le code et une pédagogie centrée sur l'utilisation de ce dernier. Traditionnelle, normative, prescriptive et centrée sur l'écrit, la première orientation a tendance à mettre l'accent sur un français standard mythique au détriment du sens et des fonctions, à négliger le développement du français parlé, à condamner le langage spontané et courant des enfants surtout quand il est dialectal ou populaire, à sous-estimer et à sous-utiliser leur compétence linguistique et à décourager les interactions verbales authentiques en classe. La pédagogie centrée sur l'utilisation du code prend davantage en considération les perspectives sociolinguistiques, psycholinguistiques et fonctionnelles concernant le langage et son développement. L'enseignant qui s'inspire de cette nouvelle orientation ne réussit cependant pas toujours à éviter une certaine Pour dépasser l'opposition apparente de ces deux orientations, les considérations théoriques de la première partie de l'article permettent de proposer des objectifs généraux de l'enseignement d'une langue maternelle qui tiennent compte des fonctions autant communautaires qu'individuelles du langage. C'est dans la perspective fonctionnelle du développement d'habiletés langagières que peuvent être formulés les objectifs d'élargissement du répertoire linguistique oral et écrit des enfants et du développement d'une attitude d'ouverture vis-à-vis des variétés et registres de langue. Les habiletés d'écoute et de lecture peuvent se développer, d'une part, dans la variété et le registre connus de l'enfant (y compris la littérature « dialectale ») et, d'autre part, par une plus grande familiarisation avec les registres plus formels. Quant aux activités de production, les principes d'économie, d'utilité et de productivité peuvent guider le choix des contenus linguistiques de l'enseignement Au niveau du français écrit, le registre correct s'impose sans discussion si ce

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NORME ET ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE MATERNELLE 96

par cette dernière, constitueraient des éléments linguistiques spécifiques à faire acquérir en priorité.

La discussion de ces principes généraux et des critères de choix a été illustrée par des exemples qui concernent l'enseignement du français langue maternelle au Québec. De telles références à une société particulière permettent de faire des propositions plus concrètes et plus réalistes mais dont la portée est plus limitée. Pour vérifier le caractère généralisable de ces principes et critères, on pourrait analyser et comparer les contenus linguistiques de l'enseignement de la langue maternelle élaborés dans la même optique pour d'autres collectiOités francophones ou allophones. 1 serait intéressant de voir dans quelle mesure des réalités comme la situation d'ordre sociopolitique et démographique, l'éloignement ou la proximité par rapport à l'Hexagone, le bilinguisme ou l'unilinguisme de chaque collectivité, etc., constituent des éléments explicitement non traités ici mais

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502 LA NORME LINGUtS11QUE

ANNEXE Les registres du français québécois: quelques exemples'

Langue parlée

Phonologie

Populaire Courant Soutenu

[t,], [d,J [il, [dl

[i], [1'], M [il, [y], lu]

[el IF-] [El

Morphologie ... pas ... ne pas

on nous [sasiR][saswaR][saswaR]

tutoiement vouvoiement (t] + voyelle [t] + voyelle[ty] + voyelle

omission [il [9J

Syntaxe que. . . + prép. que. . . + prép. prép. + pron. re1 + . . . prép. + pron. reL

sujet + [il + verbe sujet + [il + verbe sujet + verbe sujet + verbe

compl. + pron. sui. compL + pron. suj. + pron. suj. + verbe +

+ pron. compL + pron. compL + verbelivre volume

Lexique [mek(a)], [lwk(a)] [kà], [kmk(e)] [bRsk]

[kDs] [kes], [sial [ska]

[Petel [petel, [kasel [bRize]1. Pour les définitions et les fondements, voir Gagné (1974: 33-40) et pour plus d'exemples en langue parlée, Gagné (1973: 2133).

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NORME ET ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE MATERNELLE 503

ANNEXE (suite)

Les registres du français québécois: quelques exemples'

Phonologie Familier= Langue écrite

CorrectLittéraire3 ouspécialisé

pèreje suischevalnuit

Morphologie passé composé passé

... pas ne ... pas ne ... on nous les s'assir s'asseoir s'asseyer3

tutoiement vouvoiementtuileuesur + art déf.dans + art dét (fétu. ou le chapeau de bene

Syntaxe que j'ai parlé avec

avec qui j'ai parléavec lequel j'ai parlé

L'hiver, il peut venir

L'hiver peut venir Vienne l'hiverDes livres, j'en

lisJe lis beaucoup

debeaucoup livres

Lexique bouquin livre, volume ouvragequand, lorsquece que

pété cassé, brisé rompuavoir de la avoir de la difficulté à

' avoir du mal à1. Pour les définitions et les fondements, voir Gagné (1974: 33-40) et

pour plus d'exemples en langue parlée, Gagné (1973: 21-33).2. Le registre familier n'est pas acceptable en général à l'écrit

3. Les variantes de registre littéraire pourraient en langue parlée constituer le registre recherché, registre exclu du tableau.

98 LA NORME LINGUISTIQUE

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102 LA NORME LINGUISTIQUE

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La norme dans l'enseignement de la langue seconde

Par Gilles Bibeau et Claude GermainIntroducti

onUn jour, un jeune auteur québécois de notre connaissance est convoqué chez son éditeur au sujet d'un manuscrit qu'il vient de déposer pour publi-cation.E (ÉDriEuR) - Vous avez là un manuscrit extrêmement

intéressant. Le marché du français langue seconde s'élargit, et nous avons maintenant quelque chose qui pourra répondre aux besoins.

A (AuTEue) -J'en suis très heureux. Est-ce que cela veut dire... E - Oui! ... Non! ... Enfin, oui et non.A - Qu'est-ce que vous voulez dire, oui et non?

E - Ce que je veux dire... Le conseil d' administration a fait les remarques les plus élogieuses sur votre façon très originale de présenter les faits de langue et sur le type de leçons que vous avez réussi à construire... A - Ça, c'est le oui?E - Hum! Mais...

A -Mais. . . il y ale non!

E - C'est pas véritablement un non! C'est plutôt une sorte d'hésitation . . . une question de détails...

A-Ah! Si c'est une question de détails, c'est pas un non.

E - C'est une question de détails, mais ... de détails

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105 LA NORME LINGUISTIQUE

A - La qualité de la langue! ... Rien que ça... Vous trouvez que c'est mal écrit?

E -Non, non! C'est très bien écrit. C'est même captivantA - Merci!E - Mais... Mais vous avez laissé passer plusieurs mots

et plusieurs expressions que... que le conseil ne peut pas laisser passer dans un manuel de langue seconde.A - Des mots comme quoi?

E - Des mots comme bas, comme mitaine, comme hamburger, sundae, souper... Des expressions comme j'entends pas, Y est deux heures moins quart, la lumière est rouge, ch'parle pas français...A - Mais c'est des mots que tout le monde emploie! Si le conseil peut pas les laisser passer, comme vous dites, c'est que le conseil est puriste. C'est ça! Vous êtes puristes! Vous voulez pas qu'on enseigne la langue que tout le monde parle! ... Vous voulez qu'on enseigne un français ... d'ailleurs.E - C'est pas la question. Y s'agit pas de purisme. Y

s'agit de public, de marché, de gouvernement Les institutions achèteront jamais un manuel qui contient des régionalismes, des expressions populaires ou familières...A - Pourquoi? Eux autres, y le savent pas, y parlent

anglais!E - Ch'sais bien! Mais ça fait rien. Nous autres on le sait. Pis ceux qui approuvent les manuels, eux autres y le savent . . Pis, de toute manière, y vont finir par le savoir. . .... Et l'auteur a dû éliminer tout ce qui était

régionalisme, français populaire, français familier. La maison d'édition a fait réviser par la suite le manuscrit par un spécialiste français qui a lui-même fait un certain nombre de « corrections » additionnelles.Avec le résultat que les dialogues ont parfois perdu leur naturel et leur allure vive ou détendue, que les textes suivis contiennent des mots et des expressions que les Québécois francophones n'utilisent pas ou ne comprennent pas. Mais l'auteur n'est pas totalement mécontent, car ... son manuel se vend bien. L'éditeur a Oui! L'éditeur a vu juste. Mais qu'est-ce qu'il a vu? Comment a-t-il pu exercer ce jugement et pourquoi a-t-il dû le faire? C'est ce que cet article tentera d'éclaircir.

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LA NORME DANS L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE SECONDE 106

1 Problématique générale de la norme dans l'enseignement-apprentissage

des langues étrangères (ou secondes)*

Bien que cela ne soit pas toujours apparent pour l'utilisateur et le public en général, la question de la norme en langue étrangère touche profondément toutes les personnes qui oeuvrent dans le domaine: auteurs de manuel, éditeurs, responsables des institutions éducatives, enseignants, élèves et étudiants, sans compter les spécialistes de la mise en Pourtant, 91 nous semble bien que la véritable source de la norme linguistique ne se trouve pas principalement chez ces intervenants de l'ensei-gnement-apprentissage, mais plutôt dans l'attitude générale du milieu social à propos de la langue.1. La norme chez les intervenants de l'enseignement-

apprentissage des langues étrangèresLes intervenants dans le domaine de l'enseignement-

apprentissage d'une langue étrangère ont souvent tous leurs idées personnelles sur la norme linguistique; ils font cependant partie d'une chaîne qui leur dicte de façon plus ou moins subtile l'opinion qu'ils doivent véhiculer à ce sujet. Cette chaîne va de l'auteur de manuels ou de documents pédagogiques au consommateur effectif, l'élève, en passant par un certain nombre d'intermédiaires comme l'éditeur, l'institution d'enseignement et l'enseignant Tous les chaînons sont reliés les uns aux autres et aucun d'eux 1.1 Les auteurs

Notre jeune auteur de l'introduction était encore naïf et croyait qu'on pouvait enseigner « la langue que tout le monde parle », mais il a dû se raviser et, comme les auteurs plus expérimentés, faire face, dans la révision de son manuel, à des choix directement liés à la question de la norme. Telle forme sonore, tel mot, telle construction utilisés couramment en langue maternelle doivent-ils être présentés dans un manuel de langue étrangère? Doit-on les introduire directement dans le texte, uniquement dans les dialo-Le problème des auteurs est à la fois d'ordre linguistique et pédagogique. En effet, ils insistent naturellement pour que les formes linguistiques courantes fassent partie du contenu d'enseignement afin que les étudiants*Nous employons presque partout les mots « langues) étrangères) » dans le sens de «

langue(s) étrangère(s) ou seconde(s) ».

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107 LA NORME LIIVGUISTIQUE

aient l'occasion d'apprendre à les reconnaître ou à les utiliser; toutefois, cela ne s'arrête pas là: leur perspective pédagogique associe souvent l'utilisation de formes régionales ou familières au naturel et à la vivacité des dialogues, au soutien de la motivation et à la véracité ou à l'authenticité des documents. Leurs préoccupations premières se situent au niveau de l'enseignant, des apprenants et de ce qui se déroule normalement dans la classe.Le fait que la pédagogie des langues vivantes mette actuellement beaucoup l'accent sur la communication les jette souvent dans un embarras encore plus grand, parce que « régional » et « familier », de même que « familier » et « oral » vont naturellement ensemble.

Pourtant...

12 Les éditeurs. . . Pourtant, quels que soient les choix qu'un

auteur de manuel ait pu faire et quelles que soient les raisons pour lesquelles il les a faits, le manuscrit passe un jour ou l'autre par une maison d'édition. Or, là encore, le problème de la norme surgit, mais cette fois Tout en reconnaissant souvent le bien-fondé des choix des auteurs, les éditeurs doivent constamment mesurer la recevabilité linguistique des documents qu'ils éditent auprès de deux instances particulièrement importantes pour eux: les instances gouvernementales d'approbation et les institutions clientes susceptibles La recevabilité linguistique d'un manuel ou d'un document pédagogique n'est jamais assurée. Les éditeurs connaissent les critères généraux, mais ne peuvent pas savoir à l'avance si telle ou telle forme linguistique sera acceptée, surtout si elle est classée comme familière ou régionale dans un dictionnaire ou une grammaire, ou si elle n'est pas au dictionnaire. D'où la tendance générale des éditeurs à se montrer « plus catholiques que le pape ». Pour eux, toute erreur Comme il s'agit, dans le domaine des langues étrangères, d'un public d'une autre langue et d'une autre culture, il en résulte parfois des prises de décision qui, à première vue, peuvent paraître aux auteurs comme peu fondées. Par exemple, si dans le contexte canadien le consommateur de cours de français, très majoritairement de langue maternelle anglaise, en est encore à croire que seul le Parisian French est valable, on comprend que les éditeurs puissent chercher à faire adopter par leurs auteurs cette même norme. Ou bien, s'ils ne le font pas explicitement auprès d'eux, la tentation sera forte, afin d'attirer une clientèle plus nombreuse, de « censurer » en quelque sorte le texte

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LA NORME DANS L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE SECONDE 108

(l' auteur) et le consommateur. En ce sens, les éditeurs pourraient être tentés de freiner la moindre velléité d' « émancipation » de leurs auteurs.

13 Les instances gouvernementales et les institutionsParmi les instances officielles susceptibles

d'orienter le comportement des auteurs et des éditeurs vis-à-vis de la nomme, il y a la plupart du temps des comités gouvernementaux d'approbation du matériel pédagogique.Ces comités sont composés de spécialistes oeuvrant dans le domaine et de représentants administratifs du gouvernement. Comme on le verra en détail plus loin, ils fondent leurs jugements non pas nécessairement sur leur propre opinion vis-à-vis de la norme, mais sur leur interprétation de l'opinion du milieu de l'éducation et même sur celle du milieu social plus large. Dans le cas d'une méthode d'enseignement du français langue Comme la plupart des manuels doivent être adoptés avant d'entrer dans les maisons d'enseignement, le rôle des comités d'approbation est primordial et on ne peut plus déterminant. On pourrait penser que les maisons d'enseignement seraient moins exigeantes si la décision relevait d'elles, ou que certaines d'entre elles endosseraient les préoccupations des auteurs et des enseignants en acceptant de donner la priorité aux objectifs pédagogiques. Mais alors ce sont les éditeurs qui n'oseraient pas risquer de voir leurs manuels réservés à quelques maisons. Il est facile de constater par exemple que les quelques documents qui ne sont pas rédigés en français dit « standard » ou « international » au Canada n'ont pas été produits par des éditeurs de manuels, mais par des organismes à 1.4 Les enseignants

Le cas des enseignants est certainement le plus délicat de tous par rapport au traitement des éléments linguistiques de leur enseignement On serait tenté de croire à première vue que leur situation est la plus facile, car ils n'ont qu'à utiliser ce qui leur est fourni par l'institution. Mais ce n'est pas si simple, car leur usage personnel de la langue enseignée n'est pas nécessairement conforme à la norme qui leur est imposée, et leurs idées personnelles sur le sujet ne sont pas non plus nécessairement celles des approbateurs et En fait, on peut distinguer au Québec, dans un contexte où les manuels approuvés sont rédigés en français « international », trois catégories de professeurs de français, langue seconde.

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109 LA NORME LINGUISTIQUE

La première catégorie est celle des professeurs francophones d'origine québécoise. Comme on le sait, les habitudes de ces enseignants, aussi bien dans la prononciation que dans le vocabulaire et la grammaire, ne coïncident pas avec celles qu'ils doivent enseigner. Supposons par exemple qu'en parlant spontanément devant leurs élèves, ils désignent toujours les repas en utilisant les mots déjeuner, dîner et souper; que va-t-il se passer si, dans le texte qu'ils ont sous les yeux, ou lorsqu'ils écoutent des bandes magnétiques, les élèves ne se voient exposés qu'aux mots petit déjeuner, déjeuner et dîner? Même phénomène dans le cas de la prononciation: si l'enseignant relâche les voyelles i, u et ou et palatalise ses t et ses ci, comment vont réagir les élèves en constatant l'absence de ces phénomènes de prononciation à l'audition des bandes magnétiques? Bien sûr, l'enseignant peut en profiter pour amorcer une discussion sur la norme ou pour initier ses élèves à l'usage québécois, mais s'il s'agit d'étudiants arabes ou chinois par exemple, pour qui le texte écrit ou le matériel d'enseignement a une valeur presque sacrée, La deuxième catégorie est celle des enseignants d'origine ou de formation européenne. 1 s'agit là non seulement d'enseignants natifs de France, de Belgique ou de Suisse, mais également de pays comme le Liban, l'Égypte, la Tunisie, l'Algérie, etc. Chez ce type de professeur de français, dans la majorité des cas (quelques exceptions sont à noter), il n'y a pas de problème de conformité, mais alors l'attitude normative de l'élève est renforcée: seul le français tel qu'il est parlé en France est une « vraie langue », et toute forme linguistique proprement québécoise est vue comme quelque chose à réprimer ou à corriger.

La troisième catégorie est celle des professeurs anglophones ou allophones qui enseignent le français. Ceux qui n'ont pas une formation à la hauteur en français oral doivent se rabattre sur l'écrit, sur un oral d'inspiration écrite ou sur des documents enregistrés qu'ils sont incapables d'imiter; ceux qui ont eu une formation adéquate l'ont habituellement reçue en Europe ou dans un milieu étranger à celui de la majorité des francophones du Québec: ils se placent et placent leurs élèves dans une situation analogue aux enseignants d'origine européenne en ce qui concerne la norme. Certains d'entre eux cependant se montrent ll existe à l'heure actuelle une tendance certaine des institutions d'enseignement à avoir recours à des enseignants francophones d'origine québécoise. Ces institutions semblent saisir l'à-propos d'une telle

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LA NORME DANS L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE SECONDE 110

et compter sur ces enseignants pour établir un pont entre le français des manuels et le français courant au Québec.

1.5 Les élèves et les étudiantsDu côté des élèves et des étudiants, la norme peut jouer implicitement

ou explicitement Rares sont les enseignants qui, dans le cadre des cours qu' ils dispensent à certains étudiants adultes apprenant le français au Québec, n'ont pas eu à préciser le type de français qu'ils enseignaient, le Parisian French ou le lousy French (associé au « joual » dont certains anglophones, alors plus méfiants, ont déjà vaguement entendu parler en termes péjoratifs). Il nous est déjà arrivé par exemple de nous faire demander, par un public, d'étudiants adultes débutants, si la prononciation ch'parl (je parle) ou ch'fal (cheval) était conforme à la prononciation française de France (par crainte évidente d'être en train d'apprendre une prononciation « joualisante »... ). L'un d'entre nous a même enseigné le « français » à un anglophone adulte qui parlait couramment le québécois populaire mais qui était considéré par ses patrons comme ne parlant pas français: il était dans une classe de débutants.

Dans le cas d'étudiants non rompus à un enseignement oral de la langue, la norme implicite est celle de la langue écrite: toute rononciation qui s'éloigne trop des formes de l'écrit paraît alors suspecte. ~ une attitude normative liée à la variété de langue en usage s'ajoute une préoccupation normative centrée sur la langue écrite, l'écrit étant senti comme le seul modèle correct de la langue à apprendre.

Chez des élèves d'âge scolaire, il est permis de croire que l'attitude vis-à-vis de la langue est le reflet plus ou moins fidèle de r attitude avouée ou inavouée, consciente ou inconsciente, des enseignants, des parents, voire des directeurs d'école, dans la mesure où ceux-ci sont en contact étroit avec ceux-là (en plus d'être le plus souvent parents eux-mêmes).

A la fois tributaires des manuels et des documents pédagogiques imposés par les organismes gouvernementaux et des opinions de leur environnement immédiat sur la norme, les élèves et les étudiants n'ont guère de choix. Si (apprentissage « formel » n'est pas accompagné de contacts « naturels » avec des « natifs » de la langue étrangère, il n'y a aucune chance pour que l'opinion des élèves ou des étudiants ne soit pas identique à celle de leur milieu. Il n'y a d'ailleurs pas de raison pour qu'il en soit autrement

2. La source de la norme linguistique: (attitudeA l'examen des faits que nous venons d'évoquer, il apparaît assez

clairement, d'une part, que ce sont les approbateurs de matériel pédagogique dans le cas des élèves du primaire et du secondaire et les institutions d'enseignement dans celui des étudiants adultes qui déterminent le type de langue qui fera l'objet de (enseignement-apprentissage des langues étran-

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111 LA NORME LINGUISTIQUE

gères, et, d'autre part, que ces approbateurs et ces institutions fixent leur norme à partir de ce qu'ils perçoivent de l'opinion du milieu social à ce sujet H est à remarquer que la norme retenue est pratiquement identique dans les deux cas, ce qui laisse à penser que les deux instances se réfèrent à l'opinion du même On peut se demander comment se construit cette opinion, d'où elle vient, quels sont les éléments du milieu social qui la représentent, quel rôle jouent les sciences du langage à ce sujet et quelles sont les modalités de changement de cette opinion.2.1 Éléments constitutifs de l'attitude

Pour l'usager moyen, une langue est peut-être autant une norme qu'un moyen de communication ou un instrument de connaissance. En effet, tout sujet parlant sait intuitivement ce qui convient ou ne convient pas à telle situation de communication ou à tel registre de langue. Pareille connaissance intuitive implique que soient discernés puis hiérarchisés les différents niveaux de la langue. Ainsi, tous savent qu'on ne parle pas de la même manière à ses familiers, à des voisins, à des étrangers, à des membres de la hiérarchie administrative, politique ou religieuse, qu'on n'écrit pas comme on parle et que même dans l'écriture il existe des registres différents selon les situations et selon les destinataires ou lecteurs. ll y a même des usagers qui La question qui nous intéresse ici est de savoir comment et pourquoi les membres d'une communauté linguistique en arrivent à juger qu'il soit nécessaire de privilégier, à titre de modèle, linguistique -du moins en ce qui concerne l'éducation - un niveau par rapport aux autres, le niveau du « soutenu », par exemple, ou même celui de l'écrit Même dans les pays communistes, où l'objectif politique officiel est de mettre le pouvoir entre les mains de la masse ouvrière, le modèle linguistique idéal ou le niveau privilégié est encore celui de l'élite intellectuelle ou des responsables administratifs et À bien y réfléchir, il s'agit là beaucoup plus d'une attitude profonde que d'une simple opinion, attitude construite sur un ensemble de valeurs générales relativement indépendantes des régimes politiques et des variations économiques.Comme le postulent la plupart des chercheurs psychologues qui font des recherches dans le domaine de l'attitude (cf. par exemple King et McGinnies, 1972), ces valeurs relèvent à la fois du domaine cognitif (ce que l'on sait et comment l'on juge), du domaine affectif (ce que l'on ressent) et du domaine actif (ce que l'on fait

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rapport à la langue et à son usage. En prenant ces trois domaines comme bases, nous allons essayer d'analyser les composantes de l'attitude linguistique à l'endroit de la langue étrangère, en passant d'abord par la langue maternelle pour rendre le phénomène plus facile à comprendre et pour l'illustrer de façon plus complète.a) Langue maternelle

En ce qui concerne la langue maternelle, les gens savent, ressentent et font beaucoup de choses. Ils « savent » plus ou moins intuitivement et en termes plus ou moins généraux (c'est pourquoi nous mettons « savoir » entre guillemets) ce que linguistes, psychologues, anthropologues et sociologues cherchent à établir explicitement et en détails. Ils « savent » que la langue est un système extrêmement complexe (ne serait-ce que par la difficulté que présente l'apprentissage d'une deuxième langue), qu'elle s'apprend et que cela se fait progressivement, qu'elle sert à exprimer le réel concret, l'abstrait et l'imaginaire, qu'elle est aussi collée sur la façon de vivre, de penser et d'agir, qu'il y a des différences importantes dans la connaissance et dans l'utilisation de la langue et que la connaissance la plus grande et la plus élaborée est le fait des personnes instruites ou les plus influencées par l'instruction (personnes bien éduquées... ), qu'il existe un lien entre les niveaux de langue et les niveaux socio-économiques et où ils se

Ces « savoirs » et ces jugements ne sont pas nécessairement exacts, corrects ou complets: ils reposent sur des informations, des résultats d'obser-vations personnelles, des raisonnements plus ou moins élaborés qui sont en constante interaction avec des sentiments plus ou moins intenses et qui parfois s'entremêlent de manière telle qu'il devient impossible de discerner l'objectif de la projection ou de l'impression immédiate laissée par un contact avec Les gens ressentent égaiement de nombreuses impressions à propos de la langue des locuteurs. Ils peuvent aimer et admirer la façon avec laquelle certaines personnes pensent, agissent, parlent ou écrivent et souhaiter leur ressembler ou en tout cas s'en rapprocher, ou encore ils peuvent en être jaloux, avoir honte de leur propre façon de parier devant elles, etc. Ils peuvent aussi avoir des sentiments tout à fait opposés et même éprouver des sentiments Ces sentiments sont alimentés, comme tous les sentiments, par des réflexes instinctifs (bioénergétiques?), par des expériences personnelles

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113 LA NORME LINGUISTIQUE

heureuses ou malheureuses ou par des connaissances exactes ou inexactes qu'ils tiennent de diverses sources (parents, amis, livres, journaux, etc.). Naturellement, les sentiments éprouvés s'appliquent le plus souvent aux actes réels des personnes concernées, ou à ceux qu'on leur attribue ainsi qu'à

Le jeu des sentiments est évidemment extrêmement complexe et les quelques lignes qui précèdent n'en sauraient constituer une description. Toutefois, elles suffisent sans doute à nous faire admettre que ces sentiments existent et qu'ils peuvent jouer un rôle déterminant dans la constitution et le On peut dire également que les gens utilisent la langue de façon extrêmement variée et qu'elle occupe une place très importante dans leur vie. On peut aussi ajouter qu'il existe un certain nombre de choses que les gens n'arrivent pas à exprimer au moyen du langage. Même si tous peuvent communiquer verbalement pour satisfaire leurs besoins habituels, ce qui est déjà le signe d'une vaste compétence, plusieurs ne peuvent pas faire un discours, raconter, écrire un livre, jouer une pièce, ou tout simplement rédiger une commande, apprendre une chanson ou lire un mode d'emploi. Sans doute aimerions-nous tous pouvoir L'ensemble de ces éléments cognitifs, affectifs et actifs est en partie intuitif et relativement inconscient Ce que les gens « savent » et évaluent, ce qu'ils ressentent et ce qu'ils font ou sont disposés à faire à propos de la langue et de leurs colocuteurs constitue en quelque sorte la toile de fond de leur attitude linguistique. Quant à l'orientation de cette attitude, qu'elle soit positive, négative ou neutre, elle repose généralement sur la nature et sur l'exactitude des connaissances ou de l'information dont ils disposent, sur la manière dont ils évaluent cette information, sur b) Langue étrangère

En ce qui concerne les langues étrangères, l'attitude pourrait se construire d'après le même type de schéma que pour la langue maternelle, mais avec des composantes différentes pour chacun des domaines retenus. Les gens« savent » un certain nombre de choses sur ceux qui parlent la langue étrangère ainsi que sur la langue elle-même. Ils éprouvent à cet égard des sentiments Par exemple, les anglophones du Canada et du Québec sont au courant de faits (ou refusent de l'être, ce qui est également une opération de type cognitif) concernant les francophones et leur langue, évaluent ces faits en termes d'extension, de qualité, d'efficacité

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éprouvent des sentiments plus ou moins développés et orientés à leur sujet et agissent ou ont, tout au moins, l'intention d'agir en conséquence (ne serait-ce que voir à ce que leurs enfants apprennent le français). Ce qu'ils « savent » et ce qu'ils ressentent peut également s'inspirer en partie des « impressions » et des sentiments des francophones eux-mêmes vis-à-vis de On peut certainement considérer que ce sont ces trois composantes qui forment, dans un processus qu'on connaît encore assez mal, l'essentiel de l'attitude des anglophones face à la norme linguistique qu'ils vont privilégier pour eux-mêmes (comme étudiants adultes le cas échéant), pour leurs enfants ou pour les enfants des autres. Aux composantes de l'attitude envers la langue étrangère peuvent également se mêler des éléments des composantes de l'attitude au sujet de leur propre langue maternelle, lorsque les premières ne sont pas assez élaborées ou précises, ou lorsque les membres de la communauté ne partagent pas les mêmes connaissances, sentiments ou volontés d'action. Impossible donc de confondre attitude linguistique et opinion. L'opinion est l'expression de quelque chose qui peut parfois correspondre à l'attitude, mais généralement l'opinion est influencée autant par les pressions sociales, politiques ou économiques à court terme de l'environnement immédiat que par les « connaissances », par l'information et par cette sorte de readiness (que nous avons appelée plus haut volonté Si l'on continuait à explorer le phénomène de l'enseignement-apprentissage du français langue seconde au Canada et au Québec, il ne faudrait pas s'attendre à aboutir à des conclusions précises et fermes sur l'attitude. Parce que l'on ne connaît pas bien le processus de synthèse des divers éléments servant à définir précisément les composantes de l'attitude chez les anglophones (ce que les anglophones « savent » effectivement, comment ils l'évaluent, ce qu'ils ressentent et ce qu'ils font ou sont disposés à faire par rapport aux francophones et à leur langue), nous ne pouvons pas expliquer de façon constructive pourquoi ils choisissent le « Parisian French » comme norme pour l'enseignement du français langue seconde au pays. Nous pouvons cependant faire la démarche inverse et postuler l'hypothèse selon laquelle s'ils choisissent cette norme, c'est peut-être qu'ils en « savent » davantage sur le « Parisian French » et sur les Français que sur le français québécois et sur les Québécois, ou encore que ce qu'ils « savent » sur les Québécois et sur leur façon de parler est jugé non

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Les anglophones (et les allophones) s'inspirent sans doute aussi de ce que les francophones du Québec eux-mêmes pensent et disent à propos de leur façon de parler. Ils choisissent la norme la plus « élevée » pour, ainsi que nous l'avons évoqué plus haut au sujet de la langue maternelle, ne pas s'enfermer dans un cadre linguistique étroit Paris is the limit.22 La dimension sociale de l'attitude

Ce que nous avons décrit brièvement jusqu'à présent évoque davantage les aspects individuels de la constitution de l'attitude. Mais l'aspect le plus puissant en rapport avec l'influence de l'attitude sur les décisions des approbateurs de matériel pédagogique et des institutions d'enseignement est sans nul doute la dimension sociale ou, mieux, collective de l'attitude.On ne peut pas affirmer que tous les individus d'une communauté linguistique ont la même attitude à propos de la norme. Si l'on prend le cas du français québécois par exemple, le débat tapageur sur la question du« joual » illustre bien qu'il existe des opinions différentes qui correspondent sans doute à des attitudes différentes. On pourrait certainement citer beaucoup d'autres cas de langues maternelles où la question de la norme a été fortement débattue. En ce qui concerne les langues étrangères, la question n'a pas donné lieu à notre connaissance à des débats de Ce qui est surprenant toutefois, c'est de constater que la grande majorité des membres de la communauté anglophone du Canada et du Québec paraît privilégier le « Parisian French » comme norme du français à ensei-gner dans les écoles et dans les institutions d'enseignement aux adultes. Il n'y a pas une institution que nous connaissions où cette norme ne soit la norme officielle, même si certaines institutions et certains Malheureusement, il n'existe pas d'études sur les fondements de cette situation. Toutefois, nous pourrions proposer une explication plausible du caractère collectif de l'attitude des anglophones en tenant compte de ce que nous avons dit jusqu'à présent sur le sujet. En effet, il est facile de postuler que cette attitude collective repose sur une information et sur des sentiments qui ont un caractère collectif. Ainsi, les anglophones « sauraient » et ressentiraient tous à peu près les mêmes choses à propos du français québécois et des Québécois eux-mêmes. Cette situation remonte sans doute assez loin dans l'histoire du Canada, et peut s'expliquer en partie par le fait que les événements majeurs reliés au contact des communautés

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nautés linguistiques ont vécu dans le même pays, elles ont cheminé parallèlement sans contacts culturels profonds, contacts qui auraient pu permettre des échanges d'information, de sentiments, d'expériences de vie, d'objectifs, et éventuellement modifier l'attitude des Mais ce sont là des hypothèses et des conjectures qui ne sauraient satisfaire les besoins que nous avons de recherches sur le sujet Elles ont néanmoins le mérite de soulever les questions et de les relier à l'étude de la nomme.23 Les interprètes de l'attitude

La question qui nous intéresse ici est celle de savoir comment les approbateurs de matériel pédagogique et les institutions d'enseignement s'y prennent pour connaître l'attitude des membres de la communauté linguistique et pour interpréter cette attitude au moment On pourrait penser que ces personnes font partie de l'élite intellectuelle et qu'elles choisissent comme norme la langue de l'élite parce que c'est la leur ou celle de leur classe sociale. Dans cette perspective, le milieu social général (toutes les classes sociales) entérinerait tacitement ou n'interviendrait pas car il faudrait alors entreprendre des luttes à n'en plus finir pour contrer ces choix Ce n'est pas notre avis. Même si cette façon de voir les choses n'est pas nécessairement tout à fait fausse pour un certain nombre de ces personnes à certains moments, il nous apparaît plus conforme à notre expérience de les considérer comme jouant un rôle Pour arriver à se faire une idée assez juste de

rattitude des gens, ces interprètes fonctionnent empiriquement, un peu comme le font les publicistes ou les politiciens. A partir d'un certain nombre de signes ou de manifestations qu'ils arrivent à décoder dans le milieu, ils exercent un jugement d'ordre qualitatif, qui est un acte de discernement et d'appréciation. Ils On peut classer les signes du milieu social en deux

catégories principales: les signes positifs, ou de sens plein, et les signes négatifs. Les signes positifs sont nombreux et variés. Ils vont de ce que les locuteurs disent en différentes circonstances (interventions publiques, conversations privées, lettres aux journaux, plaintes de diverses natures, avis de divers agents du milieu, politiciens, éducateurs, associations professionnelles ou autres, journalistes, syndicats, etc.) à ce que les locuteurs font (choix d'écoles ou d'institutions d'enseignement pour leurs enfants ou pour eux-mêmes, Les signes négatifs sont de deux ordres: absence de réactions ou d'interventions suite à des décisions et expériences négatives du passé. Dans le

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premier cas, il s'agit d'abstentions ou d'omissions significatives dans le sens de l'expression « qui ne dit mot consent ». Dans le second cas, grâce à des décisions contestées ou à des erreurs passées, il est parfois impossible de savoir ce que les locuteurs veulent, mais il est également impossible de savoir ce Tout comme les ingénieurs qui multiplient par dix les forces calculées pour soutenir un ouvrage afin d'éviter tout risque possible qu'il ne s'écroule, les approbateurs de matériel pédagogique (de même que la grande majorité des éditeurs) prennent, dans la plupart des cas, des décisions extrêmement conservatrices par rapport à ce qu'ils ont perçu de l'attitude du milieu afin de ne pas risquer de se tromper. Nous aurons l'occasion Ainsi, les approbateurs de matériel pédagogique et les institutions d'enseignement sont peut-être des interprètes conservateurs du milieu, mais ce sont des interprètes quand même. Lorsque l'attitude change, leurs décisions changent également. D'ailleurs, s'ils n'étaient pas des interprètes, beaucoup plus de décisions auraient été contestées, et nous pourrions espérer que la norme établie devienne plus souple et plus conforme aux objectifs linguistiques et 2.4 Le changement de l'attitude linguistique

Après ce que nous avons dit sur la source de la norme linguistique, sur son caractère social, sur ses interprètes et sur la fonction des intervenants, il semble clair que la norme déjà fixée dans les institutions d'enseignement ne puisse être modifiée sensiblement par des interventions d'ordre pédagogique. Si le chaînon central de la chaîne des intervenants est celui des approbateurs de matériel pédagogique et que ces approbateurs sont des interprètes de l'ensemble du milieu social, milieu qui va bien au-delà de l'école - à laquelle d'ailleurs il ne s'intéresse que lorsque celle-ci ne remplit plus la fonction qu'il attend d'elle -, le changement de l'attitude normative ne peut s'entrevoir Même si, depuis une bonne vingtaine d'années, plusieurs intervenants de l'enseignement-apprentissage ont réussi à modifier de façon importante les perspectives pédagogiques de leurs activités, ils n'ont pu aller jusqu'à modifier leur attitude sur la norme. La norme se trouve alors appliquée à un objet linguistique légèrement modifié ou élargi, mais elle n'a pas changé. Dans l'approche traditionnelle de l'enseignement des langues étrangères (grammaire-traduction), l'écrit a largement dominé: la grammaire enseignée était une grammaire de la langue écrite, et de la seule langue écrite des « bons auteurs », c'est-à-dire des écrivains ou

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sayistes) les plus appréciés par une certaine classe sociale. C'était la position du « dites, ne dites pas ».

Avec la position structurale qui a succédé à la précédente au début des années soixante (audio-orale américaine ou structuro-globale européenne), on aurait pu s'attendre à voir se développer chez les intervenants de langue étrangère une attitude descriptive plus scientifique parce que cette position était fortement marquée par la linguistique structurale (d'où elle a tiré son nom). Cette attitude descriptive aurait pu remplacer peu à peu l'attitude normative vis-à-vis de la La linguistique structurale, fondée sur le principe d'immanence - explication scientifique ne reposant que sur un mécanisme et des lois (règles) internes - s'est, du même coup, montrée généralement ignorante des phénomènes sociaux de la variation linguistique, du moins dans ses applications à l'enseignement De plus, même si la priorité de l'oral sur l'écrit a été proclamée comme l'une des perspectives importantes de la linguistique structurale, le type de langue orale proposé par les manuels de langues étrangères n'a guère été plus qu'une forme oralisée de l'écrit La perspective linguistique faisant de l'oral la priorité du système linguistique a été interprétée uniquement comme signifiant une simple antériorité chronologique: toute leçon débute par des formes « orales » et ce n'est qu'une fois ces formes maîtrisées que l'on enseigne l'écrit « correspondant ». En d'autres termes, en dépit de ses visées à caractère scientifique, l'approche structurale n'a pas été en mesure de contribuer à modifier l'attitude vis-à-vis de la norme: d'un côté, la langue proposée est une langue relativement uniforme, ce qui n'a pu que renforcer l'idée d'une norme unique à observer, tandis que de l'autre côté, la présence Qu'en est-il de nos jours? Malgré l'influence considérable de l'approche structurale sur la didactique des langues, influence encore manifeste dans de nombreux manuels toujours en usage dans plusieurs milieux scolaires, il est apparu il y a sept ou huit ans un nouveau courant maintenant connu sous le nom d'« approche communicative ». Dans cette approche, la langue présentée aux élèves doit tenir compte du fait que l'enseignement se fait par et pour la communication. On s'attend donc à y trouver des usages linguistiques variés et des documents Mais, phénomène curieux, au moment où le terrain semble le plus propice à une modification d'attitude grâce à l'incitation à recourir de plus

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en plus au document authentique, le principe de la priorité de l'oral sur l'écrit est déjà battu en brèche. Il est de plus en plus question d'accorder une importance égale à l'écrit et à l'oral en introduisant l'écrit dans la salle de classe dès les premières leçons. Cette fois, l'écrit n'a pratiquement plus de coloration littéraire, mais il gagne en importance à cause de la plus grande facilité de trouver des documents authentiques écrits que des documents authentiques oraux. On peut même se demander si, à longue échéance, tout le poids de l'écrit (même l'écrit utilitaire des affiches, des directives, des modes d'emploi, des petites annonces, etc.) ne viendra pas annihiler les effets positifs obtenus en faveur de l'oral grâce à la démarche structurale. Par

Il est évident qu'une pédagogie orientée vers la communication et l'utilisation de documents authentiques modifie le contenu de l'enseignement et il est vraisemblable qu'à la longue ce changement de contenu puisse entraîner une tolérance plus grande à l'égard des formes plus familières, ou en tout cas plus courantes de la langue. Mais de là à entraîner un changement dans le jugement que les enseignants et leurs élèves peuvent porter sur ces faits de langue et dans les sentiments qu'ils éprouvent à l'égard de ces

En effet, nous ne possédons que peu de renseignements sur les mécanismes d'adaptation du langage aux diverses situations de communication et sur les variations linguistiques qui accompagnent cette adaptation. De plus, nous ne disposons pas encore de grammaire de la langue orale avec ses variétés et la recherche actuelle ne va pas dans cette direction. Enfin, l'encadrement pédagogique de l'enseignement, c'est-à-dire les consignes, les méthodologies, le matériel pédagogique et la préparation immédiate des enseignants à ce type de pédagogie, est plus lâche qu'il n'a jamais été; en effet, on indique bien au maître ce qu'il doit faire, mais on ne lui dit pas tellement comment le faire. II est donc à craindre que les variations recueillies pour des fins pédagogiques (les documents authentiques) ne soient que tolérées, constamment soumises à la référence normative unique du français soutenu et jugées insuffisantes pour une formation « normale » dans le domaine

Tout bien considéré, un changement substantiel d'attitude ne peut pas être le produit d'un changement pédagogique, mais plutôt celui d'un changement beaucoup plus important chez la majorité des membres de la communauté linguistique où se dispense

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changement dans l'information véhiculée, dans les connaissances que les membres de cette communauté possèdent, dans les jugements qu'ils por-tent, en même temps qu'un changement dans les sentiments éprouvés à l'égard de la langue étrangère et de ceux qui la parlent. Puisque ce chan-gement doit se produire auprès d'un grand nombre de personnes qui ne sont pas directement engagées dans l'enseignement, il ne saurait se faire sans un long processus dont les racines se situent dans le domaine social, économique et politique, c'est-à-dire dans une modification des rapports de force et de contact entre les deux communautés intéressées. C'est, en tout cas, la seule perspective que nous pouvons envisager, si notre examen des faits est exact et si nos hypothèses sont fondées.

On a parfois pensé qu'il pourrait suffire, pour modifier l'attitude, de modifier l'information, ou, mieux, d'apporter une information intense ou de faire une publicité bien orchestrée. Cela ne paraît pas possible, du moins si on se fie aux résultats des recherches sur le sujet. La majorité des travaux qui ont porté là-dessus, d'après King et McGinnies en particulier, mais aussi d'après les meilleurs comptes rendus qu'on peut consulter, arrivent à la conclusion que des changements d'information ne suffisent généralement pas à changer autre chose que l'opinion, et cela, temporairement. Pour qu'une modification de l'attitude elle-même puisse se produire, il doit s'opérer des changements dans toutes les composantes de l'attitude, c'est-àdire dans les domaines cognitif, affectif et actif (« comportemental »).

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II Domaines d'application de la norme en langues

étrangères (ou secondes)Toutes les considérations qui précèdent sur la

nomme trouvent leur terrain d'application dans les objectifs généraux que les institutions, les professeurs et les élèves se donnent en fonction de l'enseignement-apprentissage, dans la définition du contenu linguistique et culturel de l'enseignement ainsi que dans les instruments pédagogiques.1. Les objectifs généraux de l'enseignement-apprentissageLe fait pour un enfant d'âge scolaire de se voir imposer ou de choisir les cours de langue étrangère dans son programme scolaire, le fait pour un adulte d'opter pour l'apprentissage de telle langue étrangère et de décider d'étudier cette langue dans telle institution, le fait d'associer l'apprentissage de telle langue à telle occupation ou à telle utilisation éventuelle ou présente, le fait de vivre dans tel En effet, selon la langue étudiée, le milieu éducatif, les occupations envisagées et les pressions socioculturelles, les apprenants se soumettent à des conditions déjà établies en ce qui concerne le niveau et le type de langue qui seront enseignés et la sensibilité plus ou moins grande du milieu d'enseignement à l'égard de la norme.1.1 La langue choisie

On dit généralement que les francophones attachent plus d'importance à la norme linguistique que les anglophones. Cela est visible dans les pro-grammes de langue des écoles et dans la place que les médias écrits accordent aux questions linguistiques.Presque immanquablement, on trouvera dans les journaux, revues, magazines ou périodiques francophones une chronique sur la langue. Cette chronique portera, la plupart du temps, sur des termes ou expressions à corriger dans notre usage linguistique. II n'y a pas d'équivalent anglophone de cette habitude. Les raisons qui justifient l'existence ou l'inexistence d'un tel intérêt sont obscures ou, en tout cas, peu étudiées. On aura d'ailleurs sans doute du mal Quoi qu'il en soit, il existe chez les francophones un degré de sensibilité plus élevé à cet égard que chez les anglophones, et on ne doit pas s'étonner que les écoles francophones de langue maternelle accordent une place très importante à la grammaire et à la correction linguistique alors que les écoles anglophones initient beaucoup plus tôt leurs élèves à l'étude du discours et

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plus élaborée et plus « complète » qu'une grammaire anglaise destinée aux mêmes niveaux scolaires.

Dans le cas des langues étrangères, on a mis beaucoup de temps à préparer en français un équivalent du Basic English dont la caractéristique principale est la réduction des éléments linguistiques à leur minimum pour des fins pragmatiques de communication. « Voix et images de France » est née beaucoup plus tard et est demeurée relativement plus élaborée et plus directive. Quand au « niveau-seuil », il ne serait sans doute jamais né si le « Threshold Leuel » n'avait pas d'abord ouvert la voie. Ce sont là deux 12 La situation sociopoiitique

L'enseignement du français langue seconde dans les écoles du Canada constitue un bel exemple d'application de la norme linguistique dans le choix des manuels et dans celui des enseignants.Jusqu'à tout récemment, les écoles anglaises du Canada, et plus particulièrement celles du Québec où l'environnement linguistique est à quatrevingts pour cent (80%) francophone, exigeaient que l'on enseigne à leursélèves le Parisian French. Pour ce faire, on recrutait des enseignants d'origine européenne ou nord-africaine parce qu'ils utilisaient « naturellement » ce type de français, et on sélectionnait des manuels et des méthodes made in France ou made in U.S.A. . L'usage Depuis quelques années, le français enseigné dans les écoles anglaises a pu prendre une légère coloration québécoise, d'abord par l'utilisation plus large de manuels made in Canada et, plus récemment, par l'intermédiaire d'un certain nombre d'enseignants Ce changement dans l'opinion des anglophones canadiens est attribuable au changement de la situation sociopolitique. Autant les anglophones se souciaient peu de l'existence et des caractéristiques de la culture françaisedu Québec avant 1960, autant ils ont pris conscience, depuis, de la nécessité, surtout au Québec, de manifester leur intérêt pour le milieu francophone ambiant (et majoritaire). L'accent québécois fait moins peur et certains éléments de vocabulaire sont tolérés, encore qu'il s'agisse d'une prononciation de niveau soutenu et de rares québécismes lexicaux. L'utilisation Les pressions politiques exercées par les francophones du Québec (élection d'un parti indépendantiste; loi sur le statut et sur l'usage du français) pour la reconnaissance et le développement de leur langue et de leur culture

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leurs enfants à comprendre de plus en plus leurs compatriotes francophones. Si ces pressions continuent, la tolérance et l'ouverture actuelles se transformeront progressivement en actes de communication effective et prolongée dans la langue des Québécois francophones.Ce n'est là, bien sÛr, qu'un exemple qui illustre ce qui peut arriver dans tous les pays du monde: le statut sociopolitique d'une communauté linguistique influence directement les objectifs poursuivis par ceux qui veulent apprendre la langue de cette communauté. On pourrait facilement développer cette idée en utilisant les exemples de l'espagnol ou du portugais sud-américains, de l'anglais américain ou australien, ou encore des familles de langues africaines, pour ne pas 1.3 Le milieu éducatif

Chaque institution éducative se fixe des objectifs linguistiques généraux pour satisfaire sa clientèle de langue étrangère. Pour sa part, le réseau des écoles publiques, des collèges et des universités, a tendance à se donner des objectifs assez ouverts et à adopter une attitude généralement stricte au plan des principes et des programmes, mais permissive au plan de la pratique. Même si les programmes officiels font état d'une nomme exigeante reliée à l'usage le plus « pur », on ne s'arrête pas trop sur les variations particulières des enseignants; par ailleurs, toute variation publique donnera lieu à une correction sévère. Ce sont les objectifs de formation générale qu'on vise surtout à travers l'enseignement des langues étrangères; Ainsi, l'enseignement de l'anglais dans les écoles francophones du Québec est fait en grande partie par des enseignants d'origine francophone, dont un bon nombre n'est pas véritablement bilingue. Les manuels sont presque tous d'origine américaine (plus ou moins adaptés au Québec): les structures linguistiques sont celles de l'américain dit du Middle West. A cause de l'incompétence linguistique relative des enseignants, l'utilisation de ces structures a peu de chance d'être conforme à l'usage des Américains et encore moins des Canadiens anglais. Pourtant, cette question ne crée pas de problème, et l'association des professeurs d'anglais De leur côté, les écoles de langues privées sont beaucoup plus attentives aux qualifications linguistiques de leurs enseignants et s'adaptent de façon assez rapide et efficace aux besoins de leurs clients en ce qui concerne le type d'usages qu'elles enseignentPour les gouvernements qui gèrent soit des écoles de langues pour leurs fonctionnaires, soit des offices linguistiques, soit d'autres organismes

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dévoués à la planification linguistique, à la terminologie, à la traduction, etc., la définition de la norme découle des objectifs propres à chaque orga-nisme. Lorsque les objectifs ne sont pas très particuliers (formation d'espions pour telle mission dans tel pays étranger par exemple), la tendance des gouvernements est de choisir un usage dit « international » ou « standard », c'est-à-dire qui est à peu près conforme à l'usage moyen privilégié du principal pays où la langue est utilisée comme langue maternelle.

1.4 Les occupationsEn dehors des étudiants de langue étrangère qui sont prisonniers du

système dont ils font partie (écoles publiques, écoles gouvernementales), il existe des personnes qui poursuivent des buts particuliers, parce qu'elles se préparent à occuper des fonctions particulières, et qui veulent s'exposer au type d'usage qui pourra le mieux satisfaire leurs besoins. Apprendre une langue étrangère pour étudier ou pour travailler en pays étranger, pour lire des oeuvres en langue étrangère ou pour voyager ne comporte pas les mêmes exigences linguistiques et culturelles. Et on peut dire que l'usage recherché est celui qui conviendra le mieux à l'occupation anticipée.

Malheureusement, ces personnes ne connaissent pas les variations linguistiques de la langue qu'elles veulent étudier et il est fréquent d'entendre de bons étudiants de langue étrangère se plaindre du fait qu'ils ne peuvent pas communiquer couramment avec des autochtones même lorsqu'ils ont atteint une connaissance avancée de la langue. Cela signifie certainement que les institutions ne sont pas assez sensibles aux variations d'usage et ne consentent pas à préparer leurs élèves à la communication courante avec tout ce que cela suppose de reconnaissance des usages populaires.D est bien évident qu'on ne peut exiger des institutions qu'elles prévoient dans leurs programmes tous les usages possibles; toutefois, le choix du niveau de langue enseigné est trop souvent théorique et marqué par une sorte de snobisme culturel, que les étudiants eux-mêmes ne découragent d'ailleurs pas. Il y a toujours cette crainte de voir le milieu social réprouver un relâchement éventuel, soit par les médias qui stigmatiseront un tel geste, soit par la clientèle qui désertera. C'est à qui ne serait pas le premier à avoir une telle audace.

2. Le contenuLe domaine d'application le plus évident et le plus marqué de la

norme linguistique est sans aucun doute celui du contenu de l'enseignement Dans chaque méthode, dans chaque document, chez chaque enseignant, des choix ont été faits et d'autres restent à faire. Ces choix sont la plupart du temps conscients et portent sur des mots de vocabulaire, sur la prononciation, sur la grammaire et sur les éléments culturels auxquels seront exposés les étudiants de langue étrangère.

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Même les auteurs du « Français fondamental », qui voulaient reproduire un usage moderne du français, n'ont pu se priver de retrancher des mots, des expressions et des structures grammaticales de l'enquête pourtant scientifique qu'ils avaient réalisée et d'ajouter à leur liste des éléments linguistiques qui leur paraissaient « indispensables » ou surtout « acceptables » mais qui n'avaient pas été recueillis. Cette opération consciente, et proprement anti-scientifique, témoigne de la force de l'attitude normative qui gouverne parfois les choix, lorsqu'il s'agit de définir des éléments de contenu. Les auteurs n'ont pu s'empêcher de sacrifier l'oeuvre descriptive à l'oeuvre pédagogique. Cette On peut considérer que tout élément linguistique destiné à l'enseignement a fait l'objet d'une étude systématique à deux points de vue essentiels: pédagogique et normatif.Le point de vue pédagogique est justifié par la nécessité de respecter certains principes qui gouvernent la démarche méthodologique: progression, fonctionnalisme, dépendance intralinguistique, « congénarité » (liens d'origine et ressemblance avec la langue maternelle), méthode de présentation et d'illustration, niveau de spécialisation, centres d'intérêt, Le point de vue normatif repose, pour sa part, sur les objectifs généraux que poursuivent les auteurs et les institutions d'enseignement, compte tenu de l'attitude générale du milieu, des étudiants et des enseignants. C'est ainsi qu'on fait un choix minutieux des éléments linguistiques pour éviter de contrecarrer l'attitude des clientèles normales tout en se rapprochant le plus possible (avec peu de variations dans le possible) des exigences de l'usage contemporain. C'est parfois un choix douloureux, puisqu'il y a souvent conflit ou contradiction entre les besoins de l'usage et l'attitude de la clientèle. Par exemple, il n'y a pas de difficulté à rayer de la liste un québécisme comme « bréquer » (freiner) ou une expression comme « mettre les bréques » (mettre les freins) parce que le mot freiner et l'expression mettre les freins sont également connus et utilisés, même si « bréquer » ou « mettre les bréques » est encore plus fréquent dans l'usage populaire: les francophones du Québec reconnaissent qu'il s'agit là d'unités lexicales empruntées à l'anglais (brake) et se Les auteurs de manuels et les institutions d'enseignement du français langue seconde font souvent face à ce type de problème délicat qui consiste à trancher entre l'attitude des « consommateurs » souhaitant apprendre le français dit « international » ou

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imposant une forme régionale (on peut facilement comprendre ici le lien qui existe entre la norme en langue seconde et la norme en langue maternelle).Pour les fins de la discussion, on pourrait résumer en un tableau simplificateur l'essentiel de la distribution des faits linguistiques en fonction des choix à faire pour l'enseignement

regisgéographie français français

régional international

familier/populaire + -soutenu + +spécialisé - +

Le registre familier/populaire contient naturellement plus d'éléments régionaux et oraux que d'éléments internationaux et écrits; le registre soutenu contient souvent plusieurs éléments régionaux et plusieurs éléments internationaux; le registre spécialisé contient presque exclusivement des éléments internationaux parce qu'il s'inspire de sciences ou de technologies bien

Comme le tableau nous permet de (illustrer, même s'il s'agit d'une perspective réduite, c'est le registre soutenu qui risque de créer le plus de problèmes car c'est celui où l'attitude normative peut se manifester à son aise. Malheureusement pour les auteurs de manuels et pour les enseignants, c'est le registre recherché par la plupart des étudiants de langue seconde et par les institutions ou organismes d'enseignement. Le choix des éléments linguistiques et culturels se situe à ce niveau:

La réponse à ces questions peut varier selon la région où elle est posée et selon le degré d'autonomie et de prestige de cette région par rapport à une autre. Le français soutenu recherché au Québec, ou mieux, le français « standard d'ici », comme fa étiqueté (Association québécoise des professeurs de français du Québec à son congrès de 1977, comporte en bonne part les éléments du français international, mais contient également un bon nombre d'éléments propres aux Québécois (mots, prononciation, structures gram-maticales et référents culturels). Cette partie

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D serait peut-être utile d'expliquer brièvement et d'illustrer les types de difficultés que présente cette opération pour chacune des classes du contenu linguistique. Nous allons prendre nos exemples au Québec, tout en comprenant que la même problématique s'applique à toutes les régions franco-phones du monde, y compris celles de la France. L'exemple est intéressant, car le français au Québec a connu une évolution rapide et importante durant les deux dernières décennies et les Québécois ont assisté à des discussions féroces sur la norme linguistique. Nous nous contenterons de faire état d'un certain nombre de 2.1 Le lexique

La portion régionale du lexique québécois se caractérise par de nombreux anglicismes et un nombre encore plus grand d'archaïsmes auxquels se sont mêlés certains amérindianismes et quelques canadianismes. Dans chaque cas, nous avons affaire à des sens ou à des formes soit empruntés à l'anglais ou influencés par cette langue très présente dans le milieu, soit conservés de la langue des premiers colons, à cause de l'isolement presque total du Québec francophone durant deux

Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, l'urbanisation et la modernisation rapides du Québec ont entraîné des modifications importantes à la langue des Québécois. Cette poussée économique, sociale et politiquea incité l'élite québécoise à éliminer de son français soutenu plusieurs anglicismes et archaïsmes. Supportée par les médias d'information et par le gouvernement grâce à son Office de la langue française et à son ministère de l'Éducation, cette correction linguistique

ordre du jour à

agenda auto (voiture) à char (machine)robinet " champlure lavabo " évier (éévier)

lampe, lumière(s) rendez-vous " appointemenposte " malle réveil-matin " cadranmaltraiter " maganer permis " licencedisque " record bibliothèque " librairiepièce " apparteme boissons liqueurs

etc.Mais on a résisté et on résiste encore fortement à

substituer d'autres mots du français international à des mots régionaux québécois. En ne retenant que des mots qui seraient utiles à l'enseignement du français langue seconde pour des fins de communication avec des Québécois, on trouvera certainement

LA NORME DANS L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE SECONDE 535

régionalisme équivalent régionalisme équivalent

québécois international québécois internationalaccrocher suspendre dîner déjeuneravant-midi matinée jaser bavarderbanc de neige congère magasiner faire des coursesbarrer verrouiller marier (qqn) épouserbas chaussette mitaine mouflebâton (de hockey) crosse s'obstiner contredirebeigne beignet passe billet réduitbillet (métro) ticket radio poste radiocafétéria self (service) souper dînercharrue chasse-neige roches pierresdébarbouillette serviette de rondelle (hockey) palet

toilettecadran pendule télévision poste de télévision

toast (fém. ) toast (masc. )tuque bonnet (d'hiver)etc.

Que faire de ces mots et de ces expressions? (Et encore, il ne s'agit que de quelques exemples du québécois soutenu: il y en a des centaines dans le québécois familier oui populaire.) Doit-on les introduire dans un manuel ou dans un programme? Doit-on les introduire tous? Doit-on leur donner une place spéciale, en appendice ou en supplément? Doit-on les enseigner tels quels? Doit-on les rendre accessibles pour une reconnaissance passive seulement? Combien d'autres questions se posent encore!

22 La prononciationIl en est de la prononciation comme du lexique: d'une part les

Québécois ont conservé, dans une large mesure, la phonétique et le phonologie de leurs ancêtres et, malgré un rapprochement considérable du français international dans le registre soutenu, il persiste encore de nombreuses traces du passé dans la prononciation des mots d'origine française; d'autre part, les Québécois prononcent à l'anglaise les noms propres et les emprunts de vocabulaire à la langue anglaise, alors que les Français, par exemple, prononcent ces mots en s'inspirant plutôt de leur forme écrite.II existe des descriptions plus ou moins élaborées de la phonétique et de la phonologie québécoises. Nous rappelons ici quelques-unes de ces caractéristiques, par opposition au français dit international:1. les consonnes t et d se réalisent en ts et en dz respectivement devant les

voyelles i et u dans toutes les positions syllabiques: ex. pour d: dit; du, durant, rendu, discours, radis, éditer, endurer;

2. plusieurs voyelles du système vocalique connaissent une opposition phonologique voyelle brève/voyelle longue: ex. è, â, e, o;

126 LA NORME LINGUISTIQUE

3. la plupart des voyelles longues sont diphtonguées: ex. paère (père), pâoute (pâte), fleeur (fleur), pôoule (pôle);4. les voyelles dites fermées, comme i, u et ou connaissent une opposition tendue/relâchée, la voyelle relâchée se réalisant systématiquement dans des syllables fermées (terminées par une consonne ou plus): ex mie/mille, miche, mime, etc.; mue/mûle, muscle, mufle, etc.; mou/ moule, mousse, mouche, 5. les voyelles nasales sont plus fermées que leurs correspondantes internationales; la voyelle un, pratiquement inexistante en français international, occupe encore une place bien définie en québécois;6. beaucoup de mots se terminant par deux consonnes se prononcent comme s'ils se terminaient par une seule consonne, la première des deux: ex. arbre/arbe (ou même aoube), piste/pisse, livre/Iive, etc.;7. la concaténation des mots dans les phrases est plus serrée et des unités phonétiques (voyelles et consonnes) sont tronquées ou assimilées fortement, dans des positions précises: ex dans la rue/dans ... rue, dans les champs/daims ... champs, à l'école/è ... cole, où est-ce qu'il est/ous qu'iést, etc.L'accent québécois, qui vient d'être décrit

brièvement dans ses caractéristiques les plus persistantes, doit-il être enseigné? Doit-il être utilisé en classe de langue seconde? Doit-il être exploité dans des documents authentiques? Faut-il retenir certaines caractéristiques et en éliminer d'autres? Dans Par ailleurs, malgré un changement important depuis une vingtaine d'années dans le domaine international de l'enseignement des langues secondes, changement caractérisé par la montée des méthodes orales et l'influence de la linguistique descriptive et théorique, plusieurs caractéristiques de la prononciation standard du français ne sont toujours pas enseignées. Elles sont de plus en plus tolérées parce que les enseignants les utilisent lorsqu'ils parlent aux élèves ou lorsqu'ils font des exercices oraux avec eux, mais on a encore beaucoup de mal à leur donner un statut formel dans les méthodes ou dans les programmes. L'influence de l'écrit continue de se faire 1. l'élision ou la troncation de la voyelle e dans des mots

comme je, le, de, ce, se, que, me, te, ne, en finale des autres mots de la langue se terminant à l'écrit par un e et souvent à l'intérieur de mots comme médecin;2. l'élision ou la troncation de la consonne 1 dans les pronoms personnels il, elle, ils, elles (prononcés i au masculin et è ou a au féminin);3. l'assimilation de sonorité des consonnes, consécutive à la troncation de voyelles, les sonores devenant sourdes devant une consonne sourde, et les sourdes, sonores devant une consonne sonore (ch'travail au lieu de je travaille, métsin, au lieu de médecin, par

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Cette résistance à la reconnaissance de certaines caractéristiques de la prononciation du français relève à n'en pas douter du domaine de l'attitude vis-à-vis de la norme. Bien plus, le monde francophone de l'édition n'a pas encore osé publier une grammaire pédagogique du français oral qui contiendrait ces caractéristiques bien inoffensives; on peut prétendre qu'il s'agit là d'une résistance d'inspiration normative.2.3 La grammaire (morphologie et syntaxe)

Les choix à faire en ce qui concerne la grammaire sont d'un type semblable à ceux qui concement la prononciation. Les premiers choix dépendent de l'attitude à propos de la grammaire orale du français international par opposition à la grammaire écrite, et les seconds de l'attitude relativement à la grammaire régionale par opposition à la grammaire internationale.11 est quand même étrange qu'on ne retrouve dans aucun manuel et dans aucun programme institutionnel que nous connaissions, aussi bien en France, en Belgique, en Suisse et en Afrique qu'au Québec, de nombreuses formes très courantes (on pourrait dire standard) de la morphologie du français parlé. Le progrès le plus marqué qu'on ait enregistré dans ce domaine depuis les vingt dernières années est celui d'avoir éliminé de l'enseignement certaines formes écrites non utilisées ou moins utilisées non seulement à 1. la forme négative sans ne (pas pour ne ... pas);2. la forme on comme sujet de la première personne du

pluriel (on pour nous);3. les mises en relief propres à l'oral, comme: moi, le

chat, je lui donne à manger; mon père, lui, il travaille à la banque; moi, lui, je l'aime pas ou, pour citer Richer (1964: 112): le voleur, le gendarme va l'attraper; le gendarme, il va l'attraper, le voleur; il va l'attraper le gendarme, le voleur; le gendarme, il 4. les phrases syncopées ne contenant ni sujet, ni verbe, ni complément; ni sujet, ni verbe; ni verbe, ni complément, ou ni sujet, ni complément;5. les abréviations de mots du type maths, psycho,

écolo, accus, etc.;6. les désignations particulières pour des référents généraux (une Renault pour une voiture);

7. les troncations de sujets grammaticaux (faut, faudrait, pour il faut, il faudrait;

8. les nombreuses variations syntagmatiques pour exprimer des contenus à peu près identiques (quel âge as-tu? quel âge tu as? quel âge t'as? t'as quel âge? quel âge que t'as? quel est ton âge? ton âge, c'est quoi? c'est quoi ton âge? etc.)?

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Nous pourrions poursuivre l'énumération.A plus forte raison en ce qui touche les

régionalismes grammaticaux, les manuels et les programmes ne reconnaissent aucune valeur ou aucun intérêt aux formes qui ne sont pas celles de l'écrit. Et cela, croyons-nous, dans aucun pays du monde francophone. Pourtant, ce sont des faits linguistiques qu'on reconnaît déjà soit entre nous, soit dans des descriptions scientifiques. On trouvera d'ailleurs un très grand nombre des références relatives à la description du français québécois dans la bibliographie analytique 2.4 Les éléments culturels

Depuis une bonne quinzaine d'années, au Québec et au Canada, on s'est montré de plus en plus conscient des différences culturelles qui existent entre la France et le Canada et on a cherché à tenir compte de ces différences dans le choix des méthodes. C'est surtout au Québec que cette conscience a été la plus grande et que l'on a accepté l'idée que certains traits culturels des Québécois francophones pourraient constituer un objectif d'apprentissage dans l'acquisition du français langue seconde. Mais cela seulement dans la mesure où ces traits coïncidaient avec ceux de l'Américain du Nord. Ainsi, par exemple, on accorde moins d'importance aux repas et plus aux loisirs, on tient compte des différences dans l'organisation et l'administration publique (on parlera de commissions scolaires, de gouverneur général ou de sénateur, de collèges dans le sens d'institutions préuniversitaires, de bureaux de poste, de canaux de télévision, etc., entités qui n'existent pas en France ou C'est sans doute dans ce domaine qu'on s'est rapproché le plus de la réalité sociale d'un milieu où le français est utilisé comme langue maternelle. Cependant, comme cette réalité s'exprime le plus souvent dans un lexique« épuré », dans une prononciation et une structure grammaticale beaucoup plus influencée par l'écrit que Des témoignages culturels comme les pièces de Michel Tremblay, écrites en québécois populaire, n'ont pas encore leur place dans les classes même avancées de langue seconde, bien qu'elles aient déjà franchi les murs de la classe de langue maternelle.Voilà donc un ensemble de faits qui illustrent les effets de la pensée normative dans la préparation ou dans le choix des manuels d'enseignement du français langue seconde et dans la préparation des programmes d'enseignement. Nous n'avons pas parlé de l'évaluation, mais nous pouvons affirmer qu'elle suit l'attitude

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Comme nous l'avons indiqué dans la première partie, cette attitude a ses fondements dans les facteurs sociaux qui contribuent à définir ce qui est bon ou mauvais pour une société. Nous n'avons pas à juger cette attitude et, même si nous la jugions, cela ne la changerait pas.

ConclusionAvant de commencer cet article, nous avions

réservé quelques lignes pour nous adresser à l'enseignant de langue étrangère et lui donner notre avis sur l'attitude éclairée qu'il pourrait avoir à propos de la norme linguistique. Nous pensions pouvoir arriver à la conclusion que l'enseignant, jouissant d'une grande liberté dans sa salle de classe, doit en profiter pour discuter de la question de la norme avec ses élèves et pour enseigner les différentes variétés d'usage linguistique en tenant compte des variations de situations de communication. Nous pensons que beaucoup d'enseignants, surtout ceux qui enseignent leur langue maternelle, connaissent déjà, ne serait-ce qu'intuitivement, ce qui convient ou ce qui ne convient pas à telle ou telle situation de communication et peuvent déjà utiliser leur instinct de locuteur « natif » dans leurs salles de classe pour enseigner ou illustrer les variations linguistiques. Toutefois, ces rapports entre variations linguistiques et variations de situations et de fonctions langagières sont encore mal définis par la science linguistique et il nous De plus, la notion de norme à laquelle nous sommes parvenus ne nous autorise plus à confondre usage linguistique particulier et norme dominée par l'attitude sociolinguistique de toute une communauté. Il est bien entendu que l'usage particulier d'un registre linguistique est toujours le résultat d'un accord implicite entre ceux qui communiquent et correspond, à son niveau, à une certaine attitude à propos de ce qui convient ou ne convient pas à une situation ou à une fonction langagière particulière. Et cela justifie les linguistes de parler de norme pour décrire ce phénomène. Néanmoins, comme le phénomène que nous avons décrit ici se situe à un niveau beaucoup plus général et beaucoup plus large, nous arrivons à la conclusion que l'enseignant ne représente dans la chaîne des personnes concernées et des intervenants qu'un maillon relativement secondaire par rapport à la question telle que nous l'avons développée. En d'autres termes, l'enseignant qui voudrait et pourrait tenir

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réfèrent à une langue soutenue et le matériel pédagogique qui se réfère à la même norme avec les objectifs pédagogiques qui parlent de communication active, « naturelle » et « courante ».Comme on ne peut savoir si l'attitude du milieu social pourra évoluer ni espérer la faire évoluer par des moyens pédagogiques parce qu'il s'agit d'un phénomène social trop étendu et que les moyens pédagogiques sont trop spécifiques et trop réduits, on ne peut guère souhaiter mieux que les enseignants qui le peuvent s'appliquent à tenir compte des différents usages de En conclusion, nous devons souligner fortement qu'il existe bien peu de recherches descriptives sur le phénomène de la norme en langue étrangère et peu de données sur les composantes de l'attitude de même que sur les possibilités de changement de cette attitude. Comme nous venons de le signaler, il n'existe pas non plus beaucoup de travaux sur les registres et sur les variations linguistiques, travaux qui pourraient constituer en quelque sorte une espèce de contrepoids Nous constatons que nous avons dû trop souvent nous contenter d'hypothèses ou de considérations générales, comme nous n'avons pas manqué de le souligner dans le corps de cet article. Nous constatons en même temps qu'il y a là un vaste champ pratiquement inexploré et dont les « richesses naturelles » seraient très utiles pour mieux comprendre le phénomène et pour mieux assurer la cohérence des objectifs tant linguistiques que pédagogiques.

Références bibliographiques

DAGENAIS, G. (1967), Nos écrivains et le français, Montréal, éd. du Jour.GAGNÉ, G. (1974), « Quelques aspects du problème de

la norme dans l'enseignement du français langue seconde au Québec », dans L'élaboration du matériel didactique: principes et applications. Actes du 4' colloque de l'Association canadienne de KING, B.T. et E. McGINNIES (réd.) (1972), Attitudes, Conflict and Social Change, New York et Londres, Academic Press.RICHER, E. (1964), Français parlé - Français écrit, Bruges et Paris, Desclée de Brouwer.

SABOURIN, C. et R LAMARCHE (1979), Le français québécois (bibliographie analytique), Québec, Office de la langue française (Gouvernement du Québec).

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Norme et dictionnaires (domaine du

Par Alain Rey

Avant toute réflexion sur deux sujets coordonnés, s'interroger sur le sens de cette coordination. L'insuffisance du et, mais aussi son ouverture. De la norme dans le dictionnaire, avec le dictionnaire, par le dictionnaire - ou peut-être du dictionnaire au sein de la Cette norme, ce singulier trompeur, évoquant -je l'ai noté ailleurs (Rey, 1972) - l'ambiguïté du mot « loi », impératif culturel ou évidence observée, il faut en redire quelques caractères. Puisque ce recueil est con-sacré au concept de « norme langagière », je me bornerai à évoquer ici les ambiguïtés à l'intérieur de cette thématique précise, la lexicographie. Nomme sociale, la norme de langage est toujours en cours d'élaboration. L'observation et les statistiques ne saisissent que le passé, leur objet est irrémédiablement partiel: les notions de « normal » et d'« anormal », liées à l'objectivité d'une relation de connaissance où l'objet est constitué, peuvent bien concerner la physique ou la biologie (Canguilhem, 1943, 1966); elles sont illusoires L'observateur est pris dans l'observable, auquel il participe, ne seraitce que comme destinaire de messages. Pour parler de la norme d'une langue que j'ignore (le chinois, par exemple), l'observation ne m'est d'aucun secours; c'est le discours second, le métalangage de locuteurs-observateurs, eux-mêmes pris dans leur objet, que je dois requérir. Si la langue m'est connue de l'extérieur, je manipulerai mieux les exemples, je pourrai interpréter, enrichir les jugements, mais il me manquera une spontanéité de compétence. Au contraire, s'il s'agit de ma langue maternelle, étudier la norme devient à la fois possible - puisque je maîtrise intuitivement son existence, ses subdivisions, Dans tout ceci, une autre difficulté. II n'y a pas, dans une situation concrète donnée, une nomme, de même qu'il n'y a pas une langue. Déjà la distinction élémentaire, obligatoire, entre norme objective - l' «

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sens de Hjelmslev - et norme prescriptive suggère une opposition quantitative: la première, la langue en tant qu'« usage » est, pour un même système abstrait dénommé historiquement, culturellement mais aussi lin-guistiquement (le français, l'anglais, le chinois), pluriel. Nous savons tous qu'il existe un français du Canada, un anglais d'Australie, un chinois de Canton - pour ne citer que des usages premiers, maternels - et d'autres français, d'autres anglais, d'autres chinois, pour édifier cet objet inobservable et unique qu'étudie dans la simulation théorique la linguistique « pure »: le français, etc. Au contraire, la norme prescriptive n'a de sens que si elle est unique: c'est une image réductrice, L'objet-langage ne peut se percevoir convenablement que sous trois éclairages (au moins): les discours et leurs conditions de production (straté-gies de la parole et de l'écriture), les usages, donc (géographiques, chronologiques, sociaux, peut-être culturels, idéologiques), et enfin, très abstraitement, le système de la langue. De même, l'objet que constitue la norme langagière est triple: pluralité sociale évidente des « normes objectives » ou usages, pluralité conflictuelle des « normes évaluatives » (jugements de La première « trichotomie » devait être rappelée ici, parce que le dictionnaire se situe avec précision en elle. Comme je pense l'avoir montré (Rey, 1977), le dictionnaire dit; « de langue », et avec lui le dictionnaire hybride (encyclopédie), ne décrit nullement le système abstrait, il en exemplifie des actualisations, ce qui est bien différent Non plus, il ne décrit « le » discours, tâche inachevable, mais utilise une sélection de discours à ses fins propres, qui sont - enfin - de décrire des usages, avec leurs dimensions sémantiques, pragmatiques, et culturelles. Cette description intensément sélective d'usages construit une « image » Deux remarques s'imposent avant d'aller plus loin. Noter, d'abord, que le dictionnaire n'est pas seul dans cette situation. Le Bon Usage de M Grevisse, admirablement titré, répond à l'évidence à ce programme: il sélectionne des discours, fait se rencontrer et s'opposer des usages, construit une norme souple qui laisse sans résolution autoritaire des observations contradictoires sur des points précis. Normatif, il ne l'est certes pas; constructeur d'une norme (la « bonne »), oui. Mais des idées fausses prévalent Le Bon Usage est souvent perçu comme une « grammaire' », ce qu'il n'est pas en profondeur, ne 1. 1 porte en sous-ti tre: . grammaire française ».

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alors que, puisant sa matière dans les discours, il déploie - à propos des unités lexicales, c'est vrai -toutes les dimensions de la sémiotique langagière: syntaxe, sémantique et pragmatique.

Deuxième remarque: les types de dictionnaires sont nombreux; il ne sera question ici que des dictionnaires « de langue » française généraux et notamment des ouvrages pédagogiques, sélectifs, et des descriptions extensivesà caractère culturel et souvent littéraire, qu'ils soient (les premiers) plutôt synchroniques ou (les seconds) éventuellement diachroniques. Pour me contredire immédiatement, j'évoquerai tout de même un type de dictionnaire spécial, qui incarne un étonnant paradoxe, et illustre à merveille la dialectique du choix, de la sélection, qui est au centre du problème. En effet, on le verra plus loin, c'est bien plutôt par la sélection, par l'exclusion, que par un discours d'interdiction, que procède la normativité du dictionnaire. Mais un type d'ouvrage choisit précisément d'exclure ce qu'un point de vue absolument normatif admet, de n'inclure que ce qu'il rejette. Cette folie logique, c'est le dictionnaire de

J'ai par exemple sous les yeux un « Dictionnaire des expressions vicieuses usitées dans un grand nombre de départements et notamment dans la ci-devant province de Lorraine », compilé par le directeur d'école nancéen J.-F. Michel en 1807. Son titre porte en tout petits caractères que ces manifestations du vice sont « accompagnées de leur correction, d'après la Ve édition du dictionnaire de l'Académie ». Témoin d'un usage régional français au début du XIXe siècle, ce recueil, aujourd'hui détourné de son objectif, ne corrige plus des fautes, il atteste des faits d'usage étrangers à la norme centrale, parisienne. Ce type d'ouvrages tend à disparaître; les pédagogues de l'usage préfèrent répertorier sous les entrées canoniques et normées du

Dans les deux cas, (attitude normative, généralement articulée sur l'institution pédagogique, fonctionne explicitement: le discours de ces dic-tionnaires est clair, il procède par négation (« n'est pas français », disait le directeur d'école lorrain, ou « on ne dit pas », pseudo-constatation; plus franchement: « ne dites pas » - injonction, ordre) ou par jugement péjorant, « locution très-vicieuse ». Mais le discours normatif,

Comment le dictionnaire général aborde-t-il la pluralité des usages de la « langue » qu'il prétend décrire? Quels sont ses critières de sélection? Quelle, son attitude face à la volonté unificatrice d'une norme,

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usage? Pour tenter de répondre à ces questions, il faut interroger la finalité sociale du dictionnaire et les conditions même de son existence.

La volonté normative du dictionnaire dépend de bien des facteurs, attitude et idéologie des auteurs, situation historique de la communauté, etc., mais c'est surtout une finalité sociale, correspondant à un public visé économiquement, à un marché, qui donne à chaque ouvrage des caractères distincts. Certains dictionnaires, bilingues et monolingues, sont destinés à l'apprentissage; ils ne peuvent fonctionner qu'avec l'approbation de l'institution pédagogique (ou andragogique), l'École, l'Éducation; leur norme est celle de cette institution. S'adressant fréquemment à des enfants, à des adolescents, ils sélectionnent fortement, évacuant les mots-scandales, mais aussi les emplois spéciaux, marqués, archaïques ... ; ils éliminent tout emploi déviant (considéré comme tel par l'École) pour appuyer le processus de « reproduction » (Bourdieu-Passeron). Encore plus volontaristes, les dictionnaires correctifs - dont il a été question. Ceux-ci explicitent la

En effet, le ton du dictionnaire, sa rhétorique prescriptive ou évaluatrice, doit être soigneusement distingué de la construction du modèle normatif. Tel lexicographe peut condamner avec vigueur certains écarts, mais tolérer plus de variations que tel autre, qui gardera un discours calme et bienveillant en éliminant tout ce qui gêne. Le purisme flamboyant et violent de l'Esthétique de la langue française n'empêche pas Gourmont (Gourmont, 1926) d'accepter maint usage rural, que d'autres condamneraient sèchement Mais il

Aux dictionnaires pédagogiques et correctifs, qui se doivent de manipuler le choix, l'éviction ou la condamnation, s'opposent les dictionnaires descriptifs, dont les plus amples, pour maintes raisons de contenu, peuvent être appelés dictionnaires « culturels ». Ceux-ci mettent en oeuvre un autre didactisme, non institutionnel, non pédagogique, et ne s'appuient plus sur un modèle d'usage aussi unifié, aussi sélectif, aussi aplati que les premiers. Certains recourent à l'intuition de « compétence » et dépendent alors de la maîtrise plus ou moins grande des rédacteurs quant aux usages de la langue décrite. La plupart s'appuient en outre sur l'observation de discours rassemblés pour l'occasion. Mais ces discours, aussi nombreux soient-ils, résultent d'un choix toujours quantitativement dérisoire au sein de la masse indéfinie des produits discursifs d'une langue. Les 70 millions d'occurrences littéraires, les 30

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les usages du français. Le discours littéraire (de France) écrase tous les autres, même s'il véhicule beaucoup d'éléments appartenant à divers usages, à titre de témoin (l'usage populaire parisien passe par Céline ou Queneau, quelques usages régionaux par George Sand ou Henri Pourrat, des textes québécois, belges ou suisses ... ). La remarque est valable a fortiori pour le Robert ou pour le Grand Larousse de la langue française, mais ces dictionnaires - le premier surtout - font appel sans scrupules et sans complexes à la maîtrise d'une équipe rédactionnelle variée, alors que les rédacteurs du Trésor de la langue française sont (au moins en principe) tenus à ne s'exprimer que par leur métalangage. La doctrine purement philologique conduit à éliminer le témoignage du lexicographe: celui-ci n'est plus qu'un lecteur et un commentateur; sa qualité de « locuteur natif », maître d'une partie des

L'accumulation du matériel discursif conduit enfin ces dictionnaires culturels à n'inclure dans la description qu'une faible partie de leurs richesses; sinon, la redondance les guette. Cependant, leur choix est empirique et dépend des disponibilités d'espace; il n'est pas normatif. En résulte un visible libéralisme en ce qui concerne les tabous rejetés par la convention, les constructions et emplois condamnés par l'institution, etc. Reste que l'excessive représentativité des « grands textes » - sélectionnés par des jugements de valeur esthétiques et culturels, qui ont l'avantage de traverser et parfois de contrecarrer la configuration des usages évaluatifs= - aboutit à une image langagière socialement marquée. La norme est ici orientée vers l'« élite cultivée », unie par ses pratiques intellectuelles, par son « capital » scolaire et Le problème se pose encore différemment avec les dictionnaires mixtes, où la « langue » (usages syntactiques, fonctionnement des unités) est rela-tivement sacrifiée à la sémantique terminologique et à la description encyclopédique (Larousse, Hachette aujourd'hui, pratiquent pour le français cette formule, très répandue pour l'anglais, notamment aux États-Unis. Webster. Random House). Ce type de dictionnaire tend à élargir le modèle lexical en y intégrant des éléments de désignation scientifiques et techniques: on sait que le Petit Larousse a été vivement 2. Ainsi le jugement global positif porté sur Balzac, sur Hugo, sur

Céline, sur Genet, jugement de nature esthétique, discursive, socio-sémantique, emporte la prise en considération de pans entiers d'usages étrangers au modèle unifié, et même aux évaluations qui leur ont donné l'existence culturelle-l'argot, le jargon de l'argent, la variété des discours sociaux, l'usage des

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enregistre maintenant (comme le fait le Petit Robent) les condamnations et recommandations officielles en matière de termes techniques jugés indésirables: l'intrusion de la norme prend ici figure officielle, ministérielle - et les dictionnaires ne peuvent refuser cette manifestation évaluative et prescriptive, alors même qu'ils se veulent descriptifs. Cependant, les ou-vrages à tendance encyclopédique sont plus réservés que certains dictionnaires de langue dans le domaine des usages familiers, argotiques, qui concernent l'ensemble des faits langagiers exclus ou ignorés par une convention, institutionnelle (l'École, l'Académie) plutôt que sociale. Le « langage peuple », comme on disait en France au XIXe siècle, est entré dans la norme bourgeoise, au moins en partie, et le lexique argotique, dévié de sa fonction initiale, alimente la littérature la plus valorisée. Ces usages, qui pénètrent partiellement Cependant, la politique d'inclusion des néologismes - ou plus objectivement, des entrées nouvelles, ce qui est tout différent -est assez semblable. Ceci permet de traiter ce problème pour l'ensemble de la lexicographie - en réservant toutefois les descriptions « philologiques », en principe bloquées par un corpus, en fait obligées de s'ouvrir ou condamnées à être décalées par rapport à l'état du lexique, du fait des délais de publication.

Quelle norme, dans quels dictionnaires?

Tout dictionnaire puise dans une pluralité d'usages et prétend fournir une image de la « langue »; en fait, il construit une proposition d'usage fondée sur une hiérarchie. 1 est donc d'abord soumis à une normalité statistique, objective. La chose est claire pour le dictionnaire philologique, qui s'alimente de discours effectifs; elle reste valable pour ceux qui utilisent la compétence de leurs auteurs. Ceux-ci, même s'ils veulent observer avec neutralité un maximum de variantes, sont absorbés par leur propre pratique langagière; tous sont plus ou moins sanctionnés par l'institution (ils ont fait des études, ont des diplômes ... ) et illustrent l'usage du « capital scolaire ». Si je prends le cas du lexicographe que je connais le mieux (Alain Rey), l'arrière-plan sociolinguistique est le suivant: une langue maternelle régionalisée - traces d'occitanismes et régionalismes explicites de grands-parents et de parents, bordelais d'une part, auvergnats de l'autre -, une enfance parisienne - neutralisation par le brassage

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viances3. Ajoutez à cela le contact passionnant mais perturbant avec le français d'Afrique du Nord (j'avais rejoint Paul Robert à Alger) et, tout à coup, la nécessité professionnelle de n'utiliser ces éléments qu'avec la plus grande prudence (Robert s'appuyait sur Littré, l'Académie et une littérature très respectable où pourtant Proust et quelques autres apportaient des ouvertures... ). Chaque rédacteur des ouvrages auxquels j'ai contribué apportait une constellation d'habitudes aussi complexe, reflet de la sociologie familiale et enfantine, des adaptations aux milieux (scôlaire d'abord). II m'est vite apparu que, loin de vouloir mettre entre parenthèses ces idiosyncrasies, il était indispensable de s'en servir. C'était déjà reconnaître qu'une image des usages ne pouvait être entièrement fantasmée, que les choix sur le corpus utilisé - résultat des attitudes évaluaüves - ne pouvaient être indépendants des pratiques langagières de ceux qui les proposaient C'était aussi admettre qu'un dictionnaire n'était pas le produit neutre d'une accumulation quantitative de discours observés (quelle que soit son importance), mais le résultat de quantités d'opérations - tris, choix, exclusions, classements, hiérarchisations, analyses. . . -en étroit rapport avec une expérience spontanée de l'usage de la langue. En un mot, que le « métalangage » du lexicographe, bien différent de celui du logicien ou du mathématicien, n'était après tout qu'un élément naturel de son langage.Tout ceci donne au concept de normalité statistique une qualité humaine, née de sa relation au concept de compétence, non pas la compétence profonde, abstraite et générale de la grammaire générative (supposée à l'oeuvre en tout état de cause), mais une compétence sociologique modulée par l'histoire individuelle à l'intérieur de l'histoire collective, par les attitudes personnelles à l'intérieur des modèles idéologiques et socioculturels. En effet, aucun dictionnaire, même strictement basé sur l'observation des discours, ne travaille sur un échantillon neutre: le dictionnaire grec ou latin privilégie Homère, Eschyle, Platon ou Aristote, Cicéron, Virgile ou Horace, par rapport à des auteurs mineurs ou oubliés; plus grave encore, il ne dispose pas de témoins qui seraient aussi représentatifs, mais qui sont perdus. Littré ou le Trésor de la langue française, aussi libéraux soient-ils (ils le sont tous deux, différemment), ignorent complètement des discours pourtant « littéraires » qui nous semblent pertinents; ils ignorent plus encore et volontairement (comme presque tout dictionnaire), la quasi-totalité des discours non littéraires et non didactiques.Ces dictionnaires et tous les autres ont probablement raison de privilégier le discours littéraires; mais, ce faisant, ils se plient, avec plus ou moins d'in3. Je n'oublierai jamais la dérision imbécile d'un « séminaire » de

l'Institut d'Études politiques à l'égard d'un camarade limousin -pourtant bourgeois - qui, ayant à prononcer un exposé d'économie, employait innocemment et avec insistance la forme [pezd] pour [peizdl.

4. L'analyse des avantages lexicographiques du discours gttéraire - ou didactique valorisé - est facile: « correction » syntactique, « élégance » ou du moins « qualité » stylistique; maîtrise du système et d'un ou plusieurs usages projetée dans la maîtrise des stratégies

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nocence et de servilité, au modèle institutionnel de la littéralité. Celui-ci évolue sans cesse: faut-il citer (ou utiliser) les « minores », les auteurs populaires, la « para-littérature » ? ou les oeuvres intimes, les correspondances - discours plus libres, parfois « fautifs », non destinés à la publication, mais avalisés par une grande signature? Faut-il provoquer la critique en reflétant le goût contemporain du lexicographe, ou, comme Littré, prendre cinquante ans de recul et s'abriter derrière un jugement social bien rassis? Toutes questions qui peuvent paraître étrangères au coeur du sujet Pourtant, cette norme insaisissable et obsédante, c'est là que ses éléments se perçoivent et s'extraient; là, Mais les jugements de valeur superposés sont inanalysables, de par leur complexité. 1 faut chercher derrière eux, et derrière les discours auxquels ils s'adressent, des réalités plus profondes. Ceci, sans oublier que des exclusions ou des gênes lexicographiques concernent proprement un type de discours - non un fait de langue ou d'usage: ainsi du divorce entre poésie et lexicographie, prononcé dans la seconde moitié du XIXe siècle et surtout après Apollinaire. Un dictionnaire comme le Robert tente de résister à cette situation; mais le discours poétique moderne est une lutte contre les mots, que le Mais, dans l'ensemble, la matière significative de la description lexicographique ne se choisit et ne se traite pas en fonction des discours observés et de leurs contenus. Qu'un dictionnaire transmette une option politique ou idéologique parmi plusieurs, qu'il privilégie une thématique ou l'autre, etc. est un fait analysable et dénonçable; mais cela n'entraîne pas forcément des Le problème central se situe donc en deçà du choix et de la hiérarchisation des discours, dans le reflet des conflits d'usage. Pourquoi ces conflits? Parce que les usages d'une même langue sont pluriels et que leurs divisions sont souvent des oppositions.Certaines oppositions sont infranchissables. D'abord celles des variations - regroupées en usages - dans le temps. Ce que je proposerai d'appeler « chronolecte » est théoriquement nié par la notion post-saussurienne de synchronie. Mais la synchronie, en matière d'usage, est une abstraction sans objet: elle concerne l'étude du système - que l'on évacue provisoirement de ses dimensions évolutives, par nécessité de méthode. Si l'on passe du système abstrait de la langue au sous-système déjà plus concret de l'usage (l'abstraction ne vise pas une syntaxe, mais une pragmatique, des locuteurs, des situations historiques, régionales, sociales, etc.) la

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sociolecte découpe dans la population des locuteurs d'une langue un sousensemble qui ne tient pas compte des facteurs biologiques. Parmi eux, l'âge. L'évolution des usages informe celle de la langue et n'en épargne aucun aspect: phonétique, syntaxe, lexique. Le découpage par générations° affecte l'ensemble de la communication, notamment au niveau de la sémantique connotative. Si, en 1981, un locuteur du français central me dit qu' « avec son auto, il a gratté une grosse moto », je saurai presque à coup sûr qu'il s'agit d'un plus de soixante ans peu sensible au lexique des plus jeunes; s'il me dit qu'« avec sa caisse, il s'est fait (ou: farci) un gros cube », ce sera probablement un moins de trente ans ou une personne soucieuse de ne pas passer pour un « vieux machin ». En revanche, « voiture », « doubler », « moto », dans un tel contexte, sont neutres. Or nos dictionnaires analysent peu la répartition « auto »-« voiture » (heureux encore si le premier matériel lexical n'est pas entré sous « automobile », dont l'usage effectif est a-normal); ils ne marquent guère « gratter », s'ils l'acceptent, comme périmé (au moins dans l'usage Dans la variation temporelle des usages, l'exclusion n'est jamais une solution facile, car doit intervenir la notion de compétence passive, d'usage réceptif. Ceci est vrai pour toute langue (tradition orale), mais surtout dans une langue à forte référence textuelle accumulée (ce qu'on nomme un peu naïvement « langue de culture », ce qui excluerait du phénomène culturel les langues sans tradition écrite). Toujours est-il que, pour le français, le fonctionnement passif de certains discours: Molière, Racine, Beaumarchais au théâtre, à la télévision; La Fontaine, La Bruyère à l'école; Balzac, Stendhal, Flaubert en livres de poche, informent les usages ultérieurs et les alimentent ambigument (à coups de contresens, de quiproquos). C'est pourquoi la formule pseudo-synchronique du Trésor de la langue française (une « tranche de discours » entre deux repères chronologiques: 1790-1960, repères trop écartés pour définir un usage temporel effectif - maximum trente ans -, trop rapprochés pour rendre compte du modèle d'usage incluant la réception) ne répond pas à une réalité fonctionnelle. Elle peut, bien entendu, répondre à une réalité philologique, à une somme de discours, mais l'usage en fonction n'est pas identique à la somme des discours qu'il produit Elle répond moins encore à la réalité fonctionnelle de l'utilisateur du dictionnaire. Les autres dictionnaires (moins extensifs) de nature 5. Voir Rey-Debove, 1971, p. 95 sqq.

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compris (Stendhal, Molière et même Villon ou Charles d'Orléans). Le Grand Larousse de la langue française explicite cette optique en ne qualifiant pas de « vieux », mais de « langue classique » les éléments lexicaux utiles à la compréhension des textes français du XVIle siècle, textes intégrés - qu'on l'approuve ou non - dans la pratique pédagogique et dans la communication spectaculaire. Si les dictionnaires pour apprenants éliminent partiellement les archaïsmes - acceptant donc de déborder largement un chronolecte -, ils en conservent toujours certains, notamment pour respecter la norme de l'école. Mais la trace d'une analyse - bien imparfaite - de ce problème se révèle par le marquage: « vieux », « vieilli », « archaïsme », « langue classique », etc. On verra plus loin ce qu'on peut Toute langue, vivant dans le temps, a jusqu'à sa disparition comme système spontané, plusieurs chronolectes. Sauf dans le cas de langues géographiquement très condensées, elle a aussi des « dialectes », au sens précis, étymologique, de ce terme (on pourrait, pour éviter les ambiguïtés, parler de « topolectes »). L'exemple du français (comme celui de l'anglais, de l'espagnol, du portugais, et aussi, à l'intérieur d'une zone géographique continue, de l'italien, de l'allemand, de l'arabe, du chinois. . .) est particulièrement pertinent Très grossièrement, les usages topographiques du français se divisent, on le sait, en usages matemels (que les francophones soient unilingues, diglosses: français-wallon ou en général français-patois d'où, par exemple, ou encore bilingues: français-basque, français-alsacien, françaisbreton, français-corse, français-parlers occitans, français-Pour le moment, les dictionnaires français ignorent à peu près complètement les seconds: le fait est explicable et théoriquement défendable. Pratiquement, cela constitue une faiblesse: certaines réalités se parlent en français collectivement, sinon « maternellement ». 1 en va ainsi, à l'évidence, pour les réalités culturelles et surtout institutionnelles désignées en français. Le cas des emprunts à l'autre langue (la langue matemelle) est différent: willaya, n.f., devra figurer dans un dictionnaire français', mais au même titre qu'un terme institutionnel non traduit, dans quelque langue que ce soit: le problème, ici, concerne l'emprunt, et non l'usage du français hors de France. II en va de même pour les emprunts culturels comme 6. Le cas des bilingues individuels, et des bilingues français-allemand, français-néerlandais

ou français-anglais (hors de France), est à considérer aussi.7. U figure dans le Petit Larousse 1982.

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dans la terminologie de la musique" mais qui ont un statut différent, pour peu que ion tienne compte du français d'Afrique.Le problème essentiel, en ce qui concerne la norme du dictionnaire, est: faut-il ou non, dans un dictionnaire français, prendre en considération l'usage de cette langue comme seconde privilégiée, parmi des millions de locuteurs natifs d'autres langues? On voit bien que cette question serait différente s'il s'agissait des variantes éventuelles du français langue seconde en milieu non francophone: les déviations d'apprentissage dues au contact des langues (travailleurs immigrés en France, par exemple) ou à la situation pédagogique (apprenants du français aux États-Unis, au Japon, etc.) ne peuvent être, sans perturbation excessive du modèle, intégrées à une description générale du français. Ces déviations, en milieu institutionnellement ou historiquement bilingue, peuvent être envisagées en rapport avec un usage du français (contact des langues); ici se posé le problème de la norme dans un français régional. De fait, l'expression « dans le français des L'Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, publié par rAU.P.E.L.F., constitue un important élément de réponse, sur le plan lexical, pour l'Afrique noire - la situation « francophone » du Maghreb, des Caraïbes (où le bilinguisme créole-français crée d'autres phénomènes de contact) n'est pas aussi bien connues. Certaines de ses entrées devront être intégrées à une description plus compréhensive du français, mais la sélection posera des problèmes théoriques et pratiques délicats. Pour le moment, répétons-le, la situation historique du français langue seconde - pour éviter le terme controversé de ll en va autrement - et le phénomène est récent - de l'usage « dialectal » (topolectal) du français, de ce que l'on nomme les « français régionaux ». Encore est-il souhaitable de distinguer le cas de l'Amérique du Nord (Québec, Canada non québécois, Louisiane) et notamment le plus important, le Québec, de ce que j'appellerai le continuum européen: France, Belgique (notamment la Wallonie) et Suisse romande (avec 8. Balafon(g) (qui donne le dérivé balafoniste - balafongiste chez

Senghor) et derbouka ont un statut lexicographique différent Ce n'est pas un hasard s'ils figurent dans le Petit Robert 1978, les deux autres étant sur la « liste d'attente ».9. Les études créolistes, tout comme les études dialectales en France, ne résolvent pas la question descriptive des topolectes français, des « français régionaux ». Or, des unités lexicales comme béké ou métro (= « métropolitain, Français de France aux Antilles » ) méritent de figurer à l'inventaire général de la langue, si l'on veut accepter la réalité mondiale du français-et éviter

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des usages du français est faiblement définie par les frontières politiques, fortement déterminée par les frontières linguistiques. Ici interviennent les facteurs bien connus des dialectologues: le rapport français régional-wallon en Belgique (remarquablement exposé par M. Piron, 1978), celui qui embrasse français régionaux et dialectes franco-provençaux en Suisse, mais aussi en France (Savoie, Jura, Lyonnais. .. ) et en Italie (Aoste, où le français est menacé, ce qui n'est pas le cas dans le reste de la zone), ou encore français régionaux et dialectes d'oc. La question du français régional en contact avec le dialecte corse (que l'on peut considérer aussi comme une langue: l'option est politique) ou avec le catalan est encore différente. Celle des français régionaux en relation avec des langues ou Devant ces variations - parfois considérables dans la phonétique, importantes dans le lexique, notables dans la syntaxe -, le dictionnaire général français reste ultra-prudent au niveau syntaxique, là où la norme pédagogique et sociale est la plus contraignante, faible ou insignifiante quant à la phonétique. Ainsi, la non-caducité du e dit « muet », dans un tiers de la France, n'est jamais prise en compte, même dans les dictionnaires de prononciation dits descriptifs, là encore parce qu'il existe une contrainte normative pesante. Mais le lexicographe semble se réveiller quant au lexique. Soyons clairs: les éditeurs de dictionnaires du « En outre, l'acceptation de « régionalismes » belges, helvétiques et québécois pose le problème plus général de la variation lexicale, d'abord dans la zone du français langue maternelle, puis (pour les « régionalismes » maghrébins, africains, etc.) dans celle du français langue seconde officielle et privilégiée. En matière de description des usages, la bonne intention ne suffit pas. D'abord, le niveau des connaissances et des corpus est très variable: si le Québec (Trésor de la langue française au Québec, travaux de G. Dulong) ou la Suisse (Centre de dialectologie de Neuchâtel) disposent de descriptions régionalistes de grande valeur, la Belgique et surtout la France ont préféré s'en tenir à la dialectologie (étude des systèmes linguistiques étrangers au français). L'intérêt pour les français régionaux belge (Piron, Doppagne, etc.) ou français (récole de Lyon, Tuaillon, etc.) ne dispose pas d'un matériel comparable. Or la lexicographie générale, devant faire face à tous les problèmes du français, est Quelle est la situation de ces « français régionaux » dans les dictionnaires généraux du français? En 1970, déplorable; aujourd'hui, un peu meilleure.

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Ce jugement de valeur répond à un présupposé: la norme unique n'est pas souhaitable. Cette nomme - notamment lexicale, en réservant les questions phonétique et syntaxique - est définie à partir d'un ensemble d'usages (a) français de France et notamment français d'Île-de-France, (b) bourgeois, (c) cultivés (on abordera plus loin les points [b] et [c]). Elle doit être élargie; des sous-normes correspondant aux usages En effet, le dictionnaire, qu'il soit libéral ou puriste, n'échappe pas à la norme. Inclure des québécismes, des belgicismes, des helvétismes (et des « maghrébinismes », des « africanismes »... ) dans un dictionnaire nesignifie, ne signifiera jamais inclure tous les québécismes observables, ni même le maximum de québécismes, de belgicismes, etc. Le choix, ici, doit être effectué par la communauté concernée: mais cette communauté peut être divisée"'. La construction d'une norme québécoise, belge, helvétique, etc., regarde à l'évidence les Québécois, les Belges, les Suisses; 10. L'auteur de ces lignes s'en est aperçu lorsqu'il s'est fait fustiger

par un critique québécois pour avoir admis dans le Petit Robert (par exemple) le terme Blé d'Inde au sens de « maïs » et quelques autres écarts normatifs.11. Le problème, considéré par rapport à la norme du français «

standard », dans sa prétention historique à constituer la norme générale du français, correspond à une situation de fait, notamment en lexicographie, situation qu'il ne s'agit pas de détruire, mais decritiquer, de relativiser, de complémenter en retournant les points de vue. Si on les retourne en effet, et que l'on se place hors du privilège contestable qui fait de l'usage français d'Tle-de-France bourgeois et cultivé (et urbain: Paris) le « français standard », en adoptant la vision nécessaire de l'un quelconque Disons néanmoins que ce retournement des perspectives est

inéluctable, si l'on veut que « les » français vivent et prospèrent, à côté des langues en contact et/ou des langues concurrentes. Ainsi, les nonnes occitane, belge, franco-provençale et suisse susciteraient une série de dictionnaires fonctionnels différents du dictionnaire français actuel sur bien des points. La nonne canadienne (et particulièrement québécoise) serait probablement la source d'une description encore plus divergente. Ces dictionnaires exigeraient des choix, des exclusions, des « privilèges » locaux, temporels, sociaux, tout comme le dictionnaire français existant. En effet, chaque « topolecte » est le siège de variations nombreuses: rusage social Enfin, des dictionnaires fonctionnels du français utilisé aux Caraïbes, au Maghreb, en Afrique noire, poseraient encore d'autres problèmes. Ainsi, la norme -et probablement des normes-du français en Afrique noire s'incarneraient dans un type d'ouvrage décrivant en majeure partie les usages d'une langue non maternelle-l'usage « régional-matemel » d'Européens francophones en Afrique n'en serait néanmoins pas exclu - ce qui induirait une partie de la problématique du français langue étrangère. A devrait en résulter des ouvrages, dictionnaires, grammaires, manuels .... tendant à incarner une norme pédagogique d'apprentissage, et la régulation des effets de contact et d'interférence dus aux doubles, triples ... compétences linguistiques; donc, fonctionnellement et socialement (et politiquement), à des descriptions plus rigoureusement normatives (ce qui ne veut pas dire puristes) que celles qui concement les «

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des usages français (qu'ils soient français, belge, etc.) doit tenir le plus grand compte de ce fait. Cela ne l'empêche pas d'avoir des critères applicables à l'ensemble du problème.Tout d'abord, jl sélectionnera les termes institutionnels, et le critère politique (l'État belge, la Confédération et les cantons helvétiques, le Québec) sera ici pertinent. En effet, la réalité sociale s'exprime en français, avec des institutions non françaises: si le critère du dictionnaire n'est pas politique mais, comme il le prétend, linguistique, il se doit de donner la même importance à « intergouvernemental » qu'à « étranger » dans le microcontexte « ministère des Affaires. . . » ou à « cantonal » au sens helvétique qu'à « cantonal » au L'initiative, d'abord malheureuse, parmi les dictionnaires français, revient au Dictionnaire du français vinant (Bordas), dont la liste adjointe de cana-dianismes, belgicismes et helvétismes provoqua tant de critiques justifiées. L'idée d'une liste adventice était tout d'abord bien discutable: elle revenait à admettre la pluralité des normes. Dans ces conditions, il eût fallu une liste similaire de mots argotiques, de néologismes, de régionalismes français de France, etc. La méthode est pratiquée par les recueils spéciaux qui isolent empiriquement un sous-ensemble du lexique; elle est inacceptable dans un dictionnaire général, qui se doit d'avoir une nomenclature unique (ou qui devrait alors avoir autant de nomenclatures qu'il y a d'usages Puis vint l'insertion de termes régionaux issus de textes dépouillés à cet effet, dans le Supplément du Robert (notamment des textes antillais et africains) et la décision prise pour la refonte du Petit Robert en 1977 de sélectionner, en accord avec les intéressés, des québécismes et des belgicismes''=. Enfin, le Trésor de la langue française s'est ouvert aux usages lexicaux

Une typologie des lexiques français hors de France s'en dégage: termes institutionnels (politiques, administratifs, parfois commerciaux), seuls les plus courants étant retenus (la totalité du vocabulaire juridique québécois dépasse l'objectif de la description générale); termes culturels spécifiques (réalités culturelles ou naturelles inconnues ou mal connues dans le reste de la francophonie); usages langagiers correspondant aux mêmes réalités. Ces derniers furent longtemps et sont parfois encore considérés comme des 12. La complémentation des listes et l'ajout d'helvétismes

sélectionnés par le Centre de dialectologie de Neuchâtel sont actuellement en cours Pour les principes suivis, se reporter à la Préface du Petit Rober (éd. 1978 et suivantes).

13. En principe, le Trésor de la langue française puise aux meilleures sources, en ce qui concerne ces régionalismes Mais le texte

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pris en considération. C'est alors que les anglicismes québécois, les flamandismes belges, les germanismes de Suisse romande sont mis en cause; leur acceptation ou leur rejet, le fameux « bon (ou mauvais) aloi » suppose une décision; dans ce domaine encore, certaines institutions (en France, au Québec) choisissent et décident; d'autres institutions laissent faire; mais partout, la classe intellectuelle réagit, soit par l'acceptation massive et la valorisation des différences, au nom de l'identité culturelle, soit par la sélection sévère et le rejet, au nom de l'intercommunication francophone ou de la pureté d'une langue (en fait, d'une référence à l'usage cultivé d'Îlede-France) ou, plus neutrement, au nom d'un « français standard » compa-rable à l' « arabe des journaux » qui est censé unifier la variété des usages modernes de cette langue. La situation est assez comparable dans les États décolonisés où le français a été choisi comme système de communication second. Dans les deux cas, la nécessité d'une norme non pas détachée mais distincte de l'usage des dictionnaires français sera un impératif culturel et institutionnel - didactique. Cette situation est très différente en ce qui concerne les usages régionaux du français, en France même. Alors, aucune institution ne propose au lexicographe une règle; les connaissances sont insuffisantes, sporadiques, occasionnelles. J'ai noté ailleurs que les régionalismes berrichons de George Sand, tourangeaux de Balzac, normands de Flaubert et Maupassant, auvergnats de Henri Pourrat, solognots de Maurice Genevoix, provençaux de Giono, etc., Il va de soi que non seulement les grandes descriptions culturelles (et les moins grandes), mais aussi les bons dictionnaires bilingues se doivent de montrer à leurs usagers une image « des » français moins « francofrançaise », et surtout moins parisienne! La circulation interne des vocabulaires en France même donne parfois à des régionalismes un statut central. on connaît l'exemple de rescapé, picardisme pour « réchappé » diffusé par la catastrophe minière de Courrières. Plus récemment, un témoin moins dramatique de cette diffusion, occitan celui-ci, est le magret de canard (connu sous la forme d'oil maigret, dans des restaurants de Belgique francophone. serait-ce l'influence de Simenon?). Mais ces emprunts internes ne sont plus des régionalismes. Ceux-ci, par définition, ne doivent être spontanés que dans les idiolectes d'une partie localisable des locuteurs du français. L'importance de leur diffusion,

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ceux-ci ne disposent pas de ces critères et leurs facteurs de décision sont largement arbitraires. Ainsi, tel régionalisme qualifié de lyonnais dans une étude m'est connu comme auvergnat; dans l'incertitude quant à sa diffusion, on hésitera à l'inclure pour éviter de déstructurer une nomenclature par ailleurs à peu près cohérente (« macrostructure »). Le problème des aires d'emploi est très mal étudié: or, il serait indispensable de les connaître pour disposer d'un premier critère sélectif, celui dont on dispose déjà pour les cantons suisses, et aujourd'hui, grâce aux enquêteurs de 11 ne faut donc pas s'étonner de la faiblesse du traitement des français régionaux dans les dictionnaires généraux du français. Leurs traitements lexicographiques spécifiques ne sont pas plus élaborés: on rencontre plus d'études monographiques sérieuses (comme celle qui porte sur le français « pied noir » d'Afrique du Nord, par A. Lanly) que de dictionnaires Après les dialectes stricto sensu ou « topolectes » - ici les français régionaux - il faut envisager la pluralité des usages sociaux, des « sociolectes ». Ceux-ci forment un continuum difficile à classer. C'était déjà vrai des chronolectes et des français régionaux Ainsi, le français de Suisse romande (sauf en matière de termes institutionnels) se laisse mal distinguer des autres zones franco-provençales: Jura français, Franche-Comté; même problème de frontière entre les régionalismes picards de France et de Belgique. Les difficultés de délimitation sont encore plus grandes entre régions françaises, surtout depuis le grand mouvement de brassage et d'unification lexicaux des médias de masse. Ces phénomènes de continuité dans la variation sont généraux en sciences humaines; ils n'empêchent pas de proposer des notions analytiques. Cependant, en matière de « sociolectes », on peut s'interroger sur la validité même de la notion, quant au français. Usage bourgeois et usage prolétarien? Usage urbain et usage rural? Usage éduqué -selon les critères de l'institution scolaire -et usage « inculte »? La sociolinguistique anglo-saxonne (surtout Bernstein) a proposé des ré-ponses, discutables et en tout cas difficiles à généraliser. Quant au concept plus récent de « technolecte » (usage socioprofessionnel spécifique), il ne concerne ni la totalité de l'usage (puisqu'il n'affecte ni la phonétique, ni la syntaxe), ni la totalité des 14. Ce ri est pas le Dictionnaire au demeurant bien sympathique de

Léandre Bergeron, consacré au français québécois, qui me fera changer d'avis. Dans ce domaine, on attendra le prometteur Trésor de la langue française au Québec, dictionnaire de différences, et on se reportera aux relevés effectués par plusieurs universités

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outre, le fait d'appartenir à une communauté et à un usage régional est relativement contraignant (plus si l'on est québécois, moins, semble-t-il, si l'on est toulousain ou strasbourgeois -les différences étant purement sociohistoriques et concrètes); l'appartenance au « sociolecte » est plus légère: un passage par la formation permanente, des contacts sociaux

Et en effet, la trace des usages sociaux spécifiés, dans les dictionnaires, est légère et controversée. Des marques d'usage comme « populaire », « rural » sont difficiles à décerner. La première recouvre souvent des emplois marqués seulement au niveau des stratégies de discours (« registres », « niveaux de langue »), alors qu'elle ne devrait concerner que des emplois repérés comme symptômes d'appartenance sociale, et sanctionnés par un jugement de valeur fortement négatif de la part de l'usage bourgeois cultivé (exemple, en français central de France: « je reviens de suite » pour « tout de suite »; « comment va votre épouse », ou « votre dame? » -plus marqué - pour « comment va votre femme? » - neutre -). Ces usages sont en effet marqués socialement et non pas linguistiquement: il n'y a aucune transgression de la norme pédagogique, aucune faute à

Plutôt que dans la sociologie objective des classes ou des milieux, en tout cas des groupes sociaux, c'est dans la sociologie institutionnelle de la pédagogie que fon découvrira des oppositions et des variations organi-sables. C'est sans doute avec le « capital scolaire », plus qu'avec le « capital économique », que s'articule la hiérarchie des usages langagiers dans une zone géographique donnée et à un moment donné. C'est là que d'importantes normes évaluatives se construisent, s'affermissent et rétroagissent; c'est là enfin qu'une norme prescriptive trouve sa véritable justification - qui n'est ni esthétique, ni mythique, ni paranoïaque, comme l'est parfois la norme puriste. Cette norme assure la transmission d'une compétence sociale

Mais on sent bien que ortho- se marie mieux et plus efficacement avec la phonétique (où des tolérances régionales jouent tout de même en France malgré la pression de la « prononciation parisienne cultivée », plus encore en Suisse ou au Québec, semble-t-il) et surtout avec la syntaxe. Ici, comme pour le système graphique, la variation est mal tolérée: tout écart est une « faute » pour l'institution, pour récole. Plutôt que de s'en étonner ou de s'en indigner, il faut en ressentir les raisons. L'unification du code graphique, pour le « français », va de pair avec le triomphe de cet usage

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au XVIIle siècle (malgré l'existence du système de communication en luimême unificateur qu'est l'imprimerie) cesse de l'être au cours du XIXe siècle. Les batailles orthographiques portent sur la nature et les inconvénients (notamment pédagogiques) de l'orthographe historique, empirique du français; elles ne portent pas sur l'unicité théorique du système. Cependant, des variations mineures subsistent, avec de très nombreuses incohérences, trop rarement réduites (trappe et chausse-trape, ce dernier mot accepté enfin par l'Académie sous la forme chausse-trappe): les dictionnaires les reflètent sans trop d'esprit critique. N. Catach (1971) a pu à juste raison dénoncer ces incohérences dans les dictionnaires français, y compris celui de l'Académie, dont la fonction explicite est pourtant normative. Dans ce domaine de la graphie, les dictionnaires d'usage, à une époque donnée, se devraient, tout en décrivant les variantes observables, de privilégier une norme unique - évaluative et préférentielle, sinon prescriptive. Dans le domaine spécifique de l'orthographe lexicale (les problèmes syntaxiques sont d'une autre nature), ont lieu à On voit bien qu'ici le souci d'objectivité descriptive est un leurre. Les « fautes d'orthographe », vues objectivement, sont de simples variantes; on peut souvent les. classer et produire une taxinomie qui prouve qu'il ne s'agit pas toujours de faits individuels de « performance ». Si aucun dictionnaire n'a tenté de répertorier en les classant les variations graphiques du français, c'est précisément parce que la fonction du dictionnaire est de fournir à ses usagers une référence sur la norme r3. La question posée au dictionnaire 99 fois sur 100 est: quelle est la bonne graphie (orthographe) de tel mot, quelle en est la bonne prononciation? et non pas: quelles sont toutes les formes écrites, orales, sous lesquelles « francographes » et francophones produisent ce mot? Cette dernière question, au contraire, peut être posée à un dictionnaire 15. A preuve le fait que, avec une fonction toute différente, celle

d'exalter un français régional et de prouver sa richesse, L Bergeron transforme en norme graphique (fictive) des variations phonétiques, comme s'il s'agissait d'une langue non écrite à noter. Les entrées: comifaut, colouer (clouer), neyau, neyé (noyau, noyé), racmoder (raccommoder) ne sont que des variantes phonétiques (parfois connues en France: comifaut) du français centrai. Certaines de ces variantes sont systématiques: des allongements et changements de timbre vocalique (e - a), des nasalisations (ranlonger, ranmasser, ranmollir ... ), des simplifications (-able -. ab':mmerabe). Seules des variantes assez fréquentes pour être lexicalisées peuvent valablement figurer dans une nomenclature (exemple bien connu, la marde). A ce compte, le dictionnaire du français parisien s'enrichit de cintième (cinquième), caneçon

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La situation est voisine en syntaxe, avec cependant des options. « Solécismes » et « barbarismes » peuvent être éliminés (on ne les mentionne pas -pallier ne se construit qu'avec un complément direct dans le MicroRobert) ou présentés et condamnés, plus ou moins vigoureusement (« ne dites pas... ») ou enfin présentés et évalués. Ainsi, pallier à est « critiqué » (Petit Robert), c'est une « construction rejetée par quelques grammairiens » (Dictionnaire du français contemporain, éd. de 1966), ou « condamnée par l'Académie » (Bordas). On le voit, l'image normalisante et souvent normative fournie par le dictionnaire dépend des procédés utilisés, et ces procédés de la fonction - pédagogique, d'usage, de description « scientifique » -de l'ouvrage.

Les procédésEn fonction des données complexes qu'ils ont à

décrire et de leurs finalités explicites, en fonction aussi des systèmes évaluatifs, normalisateurs et prescriptifs concernant la langue dans la société où ils voient le jour,les dictionnaires, et notamment les dictionnaires de langue généraux, produisent un « texte » variable, plus ou moins cohérent, plus ou moins homogène et normalisé, plus ou moins sélectif, plus ou moins prescriptif, du purisme au libéralisme. Pour ce faire, ils disposent, en l'état actuel des méthodes, de deux procédés essentiels, qui concernent, pour l'un d'entre eux, leur structure générale (« macrostructure »

Le premier est la sélection. Tout dictionnaire est sélectif, on l'a vu, par rapport aux unités lexicales, aux valeurs sémantiques et au fonctionnement de ces unités (notamment dans le syntagme) tels qu'on peut les observer dans les discours. Ceci revient à dire que des unités théoriquement reconnaissables comme telles (ce qui élimine les occurrences anormales, créations idiolectales, mauvaises « répliques »: coquilles typographiques, etc.) qui pourraient figurer dans une nomenclature, en sont absentes. La construction des nomenclatures est fonction (a) d'un objet visé: synchronie, diachronie ou panchronie, vocabulaire commun non marqué ou vocabulaires spéciaux, et, tout d'abord, lexique fonctionnel général vs sous-ensemble déterminé d'un tel lexique (dictionnaires spéciaux); (b) d'un niveau de communication lexicographique:

Les absences structurales ne relèvent pas, dans les nomenclatures, d'options normatives, ni même normalisantes. L'absence d'un mot de mathématiques transcendantes ou de plomberie, celle d'un mot employé

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une seule ville ou une seule zone limitée, relève de la construction empirique du modèle: en effet, l'insertion de telles unités, entraînant celle de toutes les unités au même niveau structurel, entraînerait un changement de dimension pour l'ensemble de la description, et ce seul fait, indépendamment de toute considération théorique, suffit à expliquer leur absence. C'est au contraire la présence d'un mot de ce type qui pose problème. Elle s'explique en général par une diffusion exceptionnelle - due à des facteurs de communication sociale-, ou par une importance notionnelle, terminologique, qui entraîne en général aussi la diffusion. Les exemples sont innombrables: cœlacanthe est entré dans les dictionnaires généraux sans entraîner les noms d'autres poissons fossiles également importants pour le paléontologiste, parce qu'on a pêché un coelacanthe, survivant inattendu de cette espèce, et (surtout) qu'on en a

Ici, plusieurs faits d'usage sont à évoquer. D'abord, l'absence d'unités des français régionaux concernant une fraction importante de la « francophonie » (voir plus haut). Ensuite, l'absence d'unités appartenant à des« sociolectes » dévalorisés (altérations lexicales; vulgarismes sociaux) et surtout d'unités dont la sémantique concerne des domaines (des thématiques) faisant l'objet de tabous, notamment sexuels et scatologiques, ou concernant l'expression de la haine ou du mépris (racisme, etc.). Ici, la norme est une « convention » sociale et résulte d'un faisceau de jugements dépréciatifs, destinés à projeter une image fantasmatique et convenue des rapports humains en langage. Le dictionnaire reflète alors l'attitude générale de la partie dominante de la société. la couche sociale possédant le pouvoir, l'institution pédagogique, administrative, culturelle (l'Académie française, avec une infime influence), produisent une morale et une esthétique qui jugent, tentent de contrôler les discours (mais une zone, commodément appelée « non

règles de ce jeu social: leurs ouvrages sont parfois clandestins et nous permettent aujourd'hui de mesurer les rejets de la lexicographie « conventionnelle » (exemple: Delvau, Delesalle, par rapport à Littré). Le déblocage relatif de la situation d'interdit dans la lexicographie contemporaine a d'ailleurs été récemment étudié (D. d'Oria et R. Pacuci, s.d.; C. Girardin, 1979; M. Lehmann, 1981). Mais les interférences entre normes et usages continuent à supprimer des secteurs. de vocabulaires français: les obscénités québécoises,

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nuent à ne faire l'objet (si elles le font) que de descriptions spécifiques". Dans les dictionnaires généraux du français, elles superposent deux sévérités sélectives: le « régionalisme » et l' incongruité!Le problème des « technolectes », notamment des argots professionnels, ne mobilise pas les fantasmes et les névroses collectifs, mais c'est leur abondance et leur spécificité qui les sélectionnent. Il en va de même pour les terminologies spécialisées: on pense d'abord aux termes scientifiques et techniques, mais chaque domaine de connaissances théorisables ou de pratiques réglées (le droit, la cuisine. . . ) est, en réalité, concerné (Rey, 1979). Ici, la sélection, si elle n'est pas arbitraire et reproductrice (on a répété, un peu trop, que chaque dictionnaire copie ses prédécesseurs, et c'est de moins en moins vrai), opère sur des critères doubles: (a) linguistiques et sémiotiques: le lexicographe accumule des références en discours, en prenant soin de choisir des discours pertinents pour son type de description' 7 ; puis il tient compte de la fréquence dans son corpus (sans exagérer l'importance de cette donnée objective) et surtout de sa répartition (il faut plusieurs sources différentes); enfin il se fait une idée (intuitive, bien sûr) du volume de communication induit, (b) terminologiques et notionnels (conceptuels): si un terme, même ne II va de soi que le critère (b) est plus important encore dans un dictionnaire encyclopédique (ou un vocabulaire terminologique) que dans un dictionnaire de langue. Enfin, la décision d'inclure ou non les « discours sources » dans le texte du dictionnaire dépend de sa nature et de son importance matérielle.Ces éléments de méthode concement notamment - mais non exclusivement - le problème de la néologie, qui requiert un traitement spécifique (Rey, 1976).

Dans tous les cas, on voit que les considérations purement normatives n'interviennent, dans cette sélection, qu'après l'information et son évaluation. Qu'un mot spécial (technique, sportif, par exemple) soit ou non « mal formé » (selon des critères à examiner). « 16. Pour les québécismes, la charmante étude de Ghislain Lapointe,

Les Mamelles de ma grand-mère, (G. Lapointe, 1974), et le dictionnaire de Bergeron (avec des divergences - poulie = « vagin » pour le premier, « prostituée » pour le second). L'écart entre usages régionaux (celui de Paris et celui du Québec, par exemple) 17. Pour le Grand et le Petit Robert, des sources systématiques sont les Que sais-je?, l'Encyclopédie de la Pléiade, les traités et ouvrages des savants francophones de grande renommée scientifique (de Broglie, Monod, Leroi-Gourhan, Piaget Lwoff, Lévi-Stauss, Foucault ... ), des périodiques comme La Recherche et, à un niveau de communication sociale plus ample, assurant la diffusion des termes, Sciences et Avenir, mais aussi Le Monde,

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nique », graphiquement instable, emprunté à une langue étrangère, doit être considéré par le lexicographe et peut en effet aboutir à une exclusion. Mais celle-ci doit être effectuée en connaissance de cause et en application d'une politique cohérente. Que le mot bit, en français de France, présente, outre le caractère controversé de l'anglicisme, l'inconvénient (?) de prêter à rire n'a pas empêché les dictionnaires récents de l'inclure. On en retiendra que, devant un fonctionnement avéré en discours et une importance notionnelle indiscutable, les jugements de valeur pèsent peu. Ce recul de l'exclusion normative n'est pas forcément un symptôme de recul global de la norme,

On comprend que la problématique de la sélection lexicographique dépasse de loin celle de la statistique lexicale, qui ne concerne que les discours - et des discours eux-mêmes sélectionnés. Le choix des textes dépouillés est déjà une manifestation de sélectivité normative. Peu de dictionnaires tiennent compte de discours pourtant pertinents (dans certains vocabulaires), tels ceux de l'administration, de la publicité, de la bande dessinée, des dialogues de films (pourtant de même nature sémiotique que les textes dramatiques, amplement utilisés), pour ne pas évoquer l'univers du discours oral ou celui du discours écrit individuel (lettres personnelles, d'ailleurs récupérées si le signataire est illustre; graffiti, obscènes ou non, des lieux publics les plus privés... ). Dans le corpus littéraire, les goûts et les couleurs commandent à Littré

En fait la somme des discours (la sigma-parole, K. Heger, 1969) est indéfinie (mais non infinie); les statistiques, sauf pour les mots de très haute fréquence, n'apprennent rien au lexicographe; la pertinence des échantillons est impossible à évaluer sérieusement, sauf à définir un objectif philologique, tel que « dictionnaire du français employé par X, Y, Z, dans les textes x, ,

Le recours à un riche matériel de discours, et surtout à un matériel pertinent (a) pour l'objectif lexicographique en générai (b) pour un type de dictionnaire spécifié; l'évaluation objective de ce matériel jointe à une appréciation intuitive mais contrôlée; la décision elle aussi collective - surtout pas de nomenclature établie a priori - sont des éléments indispensables. L'intervention d'une norme évaluative (elle aussi plurielle) et celle d'une norme prescriptive, à condition qu'elle soit explicite et identifiée, permettent par des exclusions délibérées - que tel rédacteur, tel coauteur peut fort bien désapprouver, que l'équipe

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et la tendance à promouvoir dans toute entreprise lexicographique sérieuse. Bien entendu, le discours lexicographique, lui aussi, connaît les ratés de la « performance » ; les ouvrages périodiquement revus ne peuvent progressivement y remédier qu'en respectant les Ceux-ci peuvent peut-être se résumer à un précepte: « expliciter les pressions de la norme avant de les subir, ou d'y résister, afin de construire une nomme nouvelle ». As concernent à la fois là nomenclature et le contenu des articles. Ainsi, la phraséologie, la néologie sémantique, la terminologie syntagmatique figurent généralement sous une entrée déjà présente; mais la sélection ou l'exclusion jouent exactement là comme pour la macrostructure de En revanche, les discours évaluatif ou prescriptif (si le dictionnaire choisit ce registre) ne concernent que la microstructure, sauf à omer certaines entrées d'un signe leur attribuant un statut, positif ou négatif. Chez Littré, un tel signe déclare: « Ce mot n'est pas dans le dictionnaire de l'Académie », assertion objective qui Mais en général, le lexicographe commente, juge, loue ou condamne une forme ou un emploi par le discours, codé ou suivi, qu'il tient après une entrée. A côté du jugement explicite, une formule typologique s'est répandue, aussi nécessaire dans son principe que critiquée dans son application: c'est celle des « marques » qualifiant tout ce qui n'est pas, dans le matériel présenté, considéré comme neutre ou, selon le terme anglo-saxon, « standard ». La notion d'usage neutre ou standard n'est évidemment pas scientifique; elle est parfaitement empirique (tout comme « non marqué »). Plus exactement, elle signifie: « au sujet duquel le Celles-ci sont de diverses natures, et les abréviations utilisées par les dictionnaires reflètent mal des typologies dont les axes sont différents et les principes plus ou moins clairs. Les marques lexicographiques sont censées informer le lecteur quant aux variables que fon peut affecter aux usages: (a) « chronolectes »: certains éléments sont dits « vieux », « vieillis », ou « archaïques », parfois qualifiés comme appartenant à un état de langue disparu mais passivement connu: « langue classique »; la notion de « néologisme », en revanche, tend à disparaître, surtout des descriptions où une date d'apparition attestée ou présumée la remplace avantageusement; (b) dialectes (topolectes), par les marques « régional », mal distingué de « dialectal »; (c) quant aux sociolectes, elles renseignent mal, ambigument, par « populaire », « rural », « argotique » (dans la mesure où (argot est défini par un groupe social fermé), mais la théorie et son application sont ici

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vis et ordinateur « technique », liberté « philosophique » ou « politique », etc. Cette classification, valable en encyclopédie et en terminologie, est extérieure à la lexicographie de langue. Là, « botanique » doit signifier « propre au discours des botanistes; peu ou non connu des locuteurs non spécialistes » et la notation bot. impliquant « appartient au vocabulaire scientifique ou Ces remarques confirment que les usages ou normes objectives (sociohistoriques) d'une même langue sont classés selon des notions inégalement opératoires: le continuum du temps se laisse tronçonner convenablement, surtout pour les vocabulaires actifs; celui de l'espace aussi; leurs interférences ne détruisent pas les concepts utilisés. Il n'en va plus de même avec l'usage articulé sur un groupe social distinct; l'inefficacité de la marque « populaire » relève-t-elle de la faiblesse méthodologique de la lexicographie ou de celle de la sociolinguistique, sinon de la sociologie? En outre, la confusion entre « sociolecte » et « niveau de langue » (ou « registre » ) règne dans les dictionnaires. Alors que le premier concept est pragmatique, mais basé sur l'appartenance des locuteurs-auditeurs, des communicants, à une taxinomie sociale stable, le second est fondé sur l'attitude momentanée de communication, sur l'acte de parole, sur la production et la stratégie discursives. Le premier est ontologique et taxinomique, le second phénoménal; le premier virtuel, le second actuel; le premier est un « symptôme » (Bühler), le second un « signal » (id. ). Tout devrait les opposer; la marque « populaire » signifiant « unité employée par des locuteurs appartenant au peuple », devrait D faut donc, semble-t-il, distinguer les marques d'appartenance sociale (leur utilité n'est pas évidente) des marques de situation communicative, comme « familier », qui seront à opposer à « soutenu » et non pas à« littéraire » qui, sur le même axe, spécifie que la communication est écrite et aboutit à un texte D'autres marques, entièrement différentes, concernent la sémantique connotative des unités lexicales et ses implications sur le jugement méta-linguistique: c'est le cas de « vulgaire », « obscène », « trivial », fort mal analysés; sans doute difficilement L'apparition, puis la prolifération de telles marques dans les dictionnaires illustrent l'abandon d'une illusion: celle de l'unicité. La pluralité des usages,18. Voir: D. Caude 1979.

19. La critique minutieuse des marques d'usage dans le Micro-Robert, par D. et P. Corbin (1980) est justifiée; celle des bases théoriques du marquage reste à faire.

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des discursivités, des compétences lexicales organisées, des jugements de valeur s'y reflète dans une complexité reflétant le réel, mais dans une confusion évitable *-l.

Mais cette confusion ne sera évitée qu'en construisant un modèle (provisoire et critiquable). Pour l'instant, le modèle est acceptable par endroits (dimension du temps, de l'espace, du niveau de discours: didactique, littéraire, quotidien-banal, etc. ), confus et Reste la question de l'attribution de marques à chaque unité. Elle n'est (ne peut être) qu'intuitive. Indispensables à l'apprenant, ces marques supposent, par leur application systématique, un risque de critiques, justifiées ou non (car les critiques ne disposent pas d'un meilleur modèle que celui qui a présidé à la production de l'objet critiqué). 1 est vrai qu'aucun dictionnaire n'est D'autres critiques concernent le normativisme du lexicographe, coupable de qualifier un mot de « trivial », de « vulgaire », ce qui semble à certains presque aussi normatif qu'une exclusion pure et simple. C'est mai interpréterle dictionnaire, où « vulgaire » ne signifie pas « condamné par le lexicographe », mais « noté comme condamné (par certains, par l'institution, par la convention) ». Le dictionnaire de langue se doit Or, la lecture des remarques d'usage explicites - en matière de syntaxe, etc. - confirme qu'à la condamnation directe s'est substituée une information concernant le jugement institutionnel (celui de l'Académie, etc. ). Ces remarques illustrent l'attitude générale de la description lexicographique actuelle: refléter les jugements et les prescriptions normatives, ne pas se substituer à eux.

Le texte du dictionnaire et l'unité de la langue

Si la norme, comme je le pense, est une visée unitaire qui sous-tend les jugements dominants de la société en matière de langage, et qui tend à masquer la variété des usages, à contrôler la pluralité déviante des 20. Un seul exemple. Le mot cor a été longtemps banni de tous les

dictionnaires français généraux Réapparu, i[ est qualifié de « vulgaire » (sens concret) et de « familier et vulgaire » (sens figuré) par le Petit Robert, de « populaire » par le Petit Larousse, de « vul-gaire » (sens concret) mais aussi d'« injurieux et grossier » (sens figuré) par le Dictionnaire Hachette, de « vulgaire » et de « trivial » (sens concret) par le Trésor de la langue française.C'est ici que l'ordinateur doit pouvoir résoudre la difficulté: rendre homogènes des centaines de milliers d'informations ponctuelles et éviter qui un mot noté ici « familier » ne soit autrement qualifié dans un dictionnaire de la même série ou famille, ou à deux em-placements (renvois) du même dictionnaire.

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elle est présente dans toute activité métalinguistique. La plus pure, théoriquement, - et la plus purement théorique - est la science du langage. Or, les linguistes contribuent à la normalisation des faits langagiers en construisant pour chaque langue (quand ce n'est pas pour toutes les langues) un modèle censé rendre compte de son fonctionnement. Cette activité est probablement prématurée, mais légitime; mais elle isole dans le phénomène langage une entité méthodologique (peut-être même métaphysique) struc-Le dictionnaire, je le crois, vise d'une manière empirique, utilitaire, hétérogène, un autre objet, qui est une pluralité d'usages (parfois une multiplicité de discours) véhiculant non seulement des éléments de l'objet théorique, mais des traces de toute l'activité de langage. Son discours n'est absolument pas scientifique, et ceci n'est ni une faiblesse ni une Or le discours didactique a ses lois propres, liées à la normalisation et à la conventionnalité sociale. Se demander si un dictionnaire peut ne pas être informé par la norme, évaluative (le « bon » usage) et projective (un bon usage fantastiquement identifié à la langue: « c'est, ce n'est pas (du) français »), c'est s'interroger sur le caractère paradoxal ou poétique d'un manuel Comme le manuel, le dictionnaire - et pas seulement le dictionnaire pédagogique - est voué au didactisme, c'est-à-dire à la « reproduction » socioculturelle d'un savoir, à la diffusion d'attitudes et de jugements acquis,à l'effacement du sujet d'énonciation (c'est la « doxa » Son pouvoir vient de cette nature didactique. Pour beaucoup de locuteurs aussi naïfs que natifs, un mot n'est « français » que s'il figure au dictionnaire.

Alors même que ses auteurs peuvent n'avoir souci que de description objective, le dictionnaire a des destinataires, pour lesquels cette description - didactiquement transmise -est la norme, la vérité. Ceci donne une signification différente - toujours dans le sens normatif - au texte lexicographique.Cependant, en matière de sélection, deux tendances contradictoires s'affrontent: à l'exclusion normative, due au besoin de didactisme linguistique, répond l'inflation du matériel, provenant des besoins de la communication et de la maîtrise sémantique. C'est ce dernier facteur qui explique ce que l'on a cru être du « laxisme » dans le Petit Larousse ou le Petit Robert. En fait, deux didactisms s'affrontent: l'anglicisme scientifique ou technique, le mot tabou passé en littérature heurtent la volonté normative langagière;

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nouvelle norme, modifie les critères de jugement; il ne s'attaque pas au principe même de la norme. 1 ne peut le faire sans cesser d'être lexicographique.

Il n'y a pas plus d'anti-dictionnaire que d'« anti-manuel de français ». L'ouvrage de C. Duneton et J.-P. Pagliano portant ce titre est tout aussi didactique et normatif que les « vrais » manuels: il critique l'institution pédagogique et sa norme historique, momentanée, non les fondements sociaux conduisant à proposer une norme. En lexicographie, seule la dérision et la simulation (par exemple, le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, certains essais surréalistes) En récupérant les éléments exclus par une conception restrictive de la norme, par la convention sociale la plus sévère, on ne fait que mettre en cause les bases sociohistoriques de ces forces, et la forme particulière prise par leurs effets. On peut lever des interdits, autoriser des variantes; on ne peut refuser une existence aux notions de faute, de déviation critiquée; on La notion de norme est sans doute liée - notamment en matière de langage - à la structure sociale, à la hiérarchie, à l'institution, au pouvoir et à sa répartition. Dans le didactisme, le dictionnaire de langue, après avoircontribué à l'édification d'une norme en partie fictive, mais destinée à promouvoir un usage bien réel parmi d'autres (cela se passe du XVIIe au milieu du XIXe siècle, en France), peut se permettre aujourd'hui d'accepter la pluralité des usages; la norme projective s'en trouvera modifiée, enrichie, élargie, à l'usage d'une

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Activité normative, anglicismes et mots indigènes dans le Diccionario del espanol de México* Par Luis Fernando Lara

Le problème théorique de la normeMalgré les nombreuses recherches entreprises au

cours des dernières années concernant la norme de certaines langues, tant des points de vue théorique et général qu'empirique et particulier (GRECO, 1976; Lara, 1976; Schmitt, 1979), on a l'impression, d'une part, que cette question est encore marginale relativement aux paradigmes qui caractérisent la linguistique contemporaine et, d'autre part, que l'inertie intellectuelle de beaucoup de linguistes a pour effet Du point de vue de la discussion de la norme dans la théorie linguistique, la pensée positiviste, scientiste et formaliste introduite dans la linguistique du XXe siècle nous a empêché de conceptualiser un sujet qui, de par sa nature propre, transcende les frontières de ce qui est « strictement linguistique » et se dirige vers le domaine plus ouvert de l'élucidation et de l'interprétation du fait social, un sujet auquel les dogmes de la description et Cet objet d'étude a, jusqu'à maintenant, été défini à t'aide d'un double jeu de concepts, introduits par Ferdinand de Saussure et répétés de diverses façons tant dans des oeuvres visant de toute évidence à établir un programmedestiné à la linguistique, comme celles de Bloomfield, Martinet, Hockett ou Chomsky, que dans la diffusion des connaissances acquises qui, selon Thomas Kuhn, caractérise l'état normal d'un paradigme scientifique. 1 s'agit des concepts saussuriens de langue/parole et synchronie/diachronie dont la valeur est générale pour la linguistique descriptive du XXe siècle et même - en * Traduit par Johanne DuchainetJuan. Révisé par Victor C. Jaar (Gouvernement du

Québec, ministère des Communications, Service des traductions) et Jacques Maurais.

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La première paire de concepts se caractérise par la détermination de la langue, système de rapports et de valeurs linguistiques, comme but de l'étude scientifique et, par conséquent, du rôle secondaire de la parole en tant que simple source de renseignements, en tant que lieu théorique de l'existence réelle du langage mais aussi, en raison de sa nature variable, de sa circonstance naturelle temporelle et historique, en tant qu'entité impossible à identifier et à systématiser. Ainsi, la linguistique tente de découvrir le caractère systématique des langues humaines et cet objectif s'insère dans la recherche des traits caractéristiques de Donc, l'intérêt pour la connaissance du caractère systématique de la langue ne devrait pas signifier l'élimination de sa nature sociale et historique au moyen de l'abstraction. Saussure nous a donné l'impression de poursuivre ce but en mettant l'accent sur le fait social dans sa définition de la langue. Pourtant, le fait social et historique a été éliminé dans la théorie linguistique moderne, sans doute en raison des limitations propres à la conception de système adoptée depuis. Les systèmes de rapports structurels et les systèmes génératifs ont un trait en commun: l'étude de l'usage dépasse leurs limites, c'est-à-dire qu'ils ne permettent pas d'établir un rapport théorique entre la pratique quotidienne de la langue, la parole, et les modifications et caractéristiques du système de la langue. Tous les systèmes essayés dans le but de représenter la langue sont fermés et autonomes. Voilà Par conséquent, la dichotomie synchronie/diachronie vient compléter la définition de l'objet d'étude en lui ajoutant une restriction portant sur la méthode: puisque la conception du système utilisé requiert des données homogènes qui ne peuvent fausser les rapports en introduisant des variantes temporelles, la langue doit être étudiée dans une synchronie tandis que tout fait temporel ou historique doit être considéré comme diachronie. La théorie linguistique ne pourra abandonner les doubles concepts saussuriens que Ce qui pour Saussure représentait une nécessité même du type de description qu'il désirait postuler est devenu plus récemment l'idée maîtresse de la linguistique dont on définit l'objet d'étude comme étant un objet orienté par un but scientifique et auquel on confère une nature, un caractère ontologique définitif: les systèmes étudiés par la linguistique descriptive, d'abord considérés comme des constructions théoriques, se transforment peu à peu en réalités biologiques, mentales ou psychologiques. La langue ne s'élabore plus à partir de quelques données réelles dont

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est demeurée au stade de pur support sonore, de véhicule perceptible d'une langue qui se manifeste, se réalise, s'actualise en elle.Ainsi, la linguistique est dotée d'un objet d'étude de plus en plus important et qui requiert une somme croissante de travail pour se relativiser dans une perspective historique ou une pratique sociale. Se consacrant entièrement à la recherche constante de formalisations qui améliorent la description du système (la « description » postulée par Chomsky), elle parcourt rapidement le chemin qui la rapproche de la logique, qui continue d'être un exemple de science, un idéal de connaissance explicite, cohérent et vérifiable. En revanche, toute question qui traite du rapport effectif entre le système et l'usage de la langue, qui met l'accent sur la parole et tient compte des aspects sociaux et historiques qui entourent son développement et la modifient, est attribuable soit à une « théorie de la parole », à une « théorie de la performance » d'un ordre différent de celui de la linguistique du système et dont les caractéristiques ne se définissent pas, soit à des disciplines marginales, intéressantes pour leur apport de données et la présentation d'une « histoire naturelle

La polysémie du mot normeDans les langues pour lesquelles on a l'habitude de

poser le problème de la norme, celle-ci revêt deux significations: selon la première, il s'agit de la règle qui dirige l'activité, le modèle de quelque chose, le « devoir être » qui marque la différence entre ce qui existe et ce qui règle l'existence. Selon la deuxième signification, elle représente ce qui est courant, l'habitude, ce qui existe et se décrit comme tel sans établir un rapport avec sa règle. Cette polysémie, aussi ancienne que son origine latine, est à l'origine des discussions de la philosophie, du droit et, naturellement, de la linguistique. La première correspond à l'idée traditionnelle de la grammaire, à « l'art de parler et d'écrire correctement une langue », au problème dont traite le présent travail; la deuxième correspond à l'observation et à la description d'une « normalité »,

II ne pouvait en être autrement si l'on considère l'accent que la linguistique actuelle met sur la science. Comme science, la linguistique moderne est née à l'exemple des sciences de la nature conçues comme la description de faits observés. Au départ, la linguistique visait à décrire soigneusement le comportement régulier des langues. En tant que mouvement idéologique, la

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scolaire qui règle les usages et impose une conception particulière, d'origine classique, touchant l'intérêt porté aux langues du monde, indépendamment de leur degré de rapprochement ou d'éloignement du latin ou du grec. La norme représente, pour la linguistique descriptive et scientifique, une notion d'évaluation ascientifique; voilà pourquoi la première acception du mot norme non seulement disparait mais se voit aussi combattue. Tous les fondateurs de la linguistique moderne consacrent des pages entières de leurs oeuvres à l'élimination de Mais on ne peut pas non plus cesser d'observer qu'il y a des usages constants, répétés et généraux de la parole qui identifient les signes d'une langue particulière avec une substance et une précision matérielle plus grandes que ce que requiert son identification systématique. Les façons dont une communauté particulière prononce une langue, par exemple celle du Québec par rapport à celle de la France, celle du Mexique en contraste avec celle de l'Espagne, le vocabulaire particulier à une région ou les préférences syntaxiques de deux communautés géographiques distinctes qui parlent la même langue, ne sont pas pertinents pour l'étude systématique du français ou de l'espagnol mais ces traits donnent une certaine couleur, une nuance spéciale aux parlers de régions et de communautés particulières. Dans un mouvement conceptuel intéressant, la linguistique européenne moderne a adopté le second sens du mot norme pour créer un concept descriptif qui rende compte de cette normalité des parlers correspondant à une langue et pour établir un intermédiaire entre la langue et la parole saussuriennes (Coseriu, 1952). Dans ce sens, la norme représente l'usage plus général et Du point de vue descriptif, la linguistique semble avoir gagné le niveau requis de fonctionnement et d'abstraction, particulièrement important pour des langues telles que l'anglais, le français ou l'espagnol qui doivent être considérées comme des systèmes uniques dotés d'une pluralité non pas de paroles - celles-ci n'étant que des accidents individuels et temporels du système-mais plutôt de normalités de paroles caractérisant l'anglais d'Angleterre, d'Amérique du Nord ou d'Australie, le français de France, du Québec ou d'un pays d'Afrique, l'espagnol d'Espagne ou d'Amérique latine. U s'agit d'un système dans lequel se trouvent diverses normes, d'un objet d'étude de la La norme de la théorie linguistique s'établit à partir de l'enregistrement objectif d'un fait observé et en ne valorisant pas ce qui est commun ou

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traditionnel dans une société particulière; elle constitue nécessairement un phénomène statistique.

Mais le sens du vocable demeure; il reste à savoir si le choix du terme norme n'obéissait qu'à son acception claire de la normalité ou si s'est diffusée de façon inconsciente sa première acception qui continue de prévaloir au sein des sociétés dans lesquelles vivent les Dans un esprit d'objectivité caractéristique de la science, on recueille des données linguistiques soit de façon empirique, soit de façon intuitive, et on en fait des normes. Mais ces normes passent de leur fonctionnement descriptif à leur valeur prescriptive; ce qui est normal devient norme dans une espèce de démocratisation à outrance du droit de parole, dans une certification objective de ce qu'emploie réellement une communauté. La description acquiert la valeur scientifique de la vérité et cette nomme devient vraie; elle s'impose. Règle et coutume se compriment dans le terme; la norme apparaît comme simple légitimité d'un usage; l'usage se présente comme une véritable nonne. La distance, la tension entre « devoir être » et « être » disparaît sans donner de fruit. Au Mexique, on en est arrivé à proposer que, puisque la « nomme » mexicaine de l'espagnol ne tient pas compte de l'usage européen de la deuxième personne du pluriel dans la conjugaison verbale et dans les pronoms personnels (ce n'est que dans les sermons ou dans certains édits officiels qu'on dit vosotros cantdis « vous chantez », la forme habituelle étant ustedes cantan), on élimine les paradigmes correspondants dans l'enseignement scolaire. Mais, fait contradictoire, nul ne défend la nécessité de s'en remettre à la norme dans le cas de l'usage généralisé du morphèmes qui indique la deuxième personne du singulier du prétérit dans les conjugaisons comme cantastes « tu as chanté », comistes « tu as mangé » ou venistes « tu es venu' » qui n'en reste pas moins « in-correct » par rapport à l'usage cantaste, dijiste, viniste. Le morphèmes est plus courant dans la langue parlée; il est ajouté par une bonne partie de la population qui possède moins d'instruction que certains groupes intellectuels et qui, pour cette raison, est considérée comme étant « sans culture » (pour des cas semblables dans le français européen, cf. GRECO, 1976). Pour des fins de cohérence recherchée par les linguistes, cette 1. Officiellement, l'équivalent du prétérit de l'espagnol en français est le passé simple, toutefois,

vu l'usage restreint de cette forme en français et la signification du prétérit au Mexique, j'ai préféré le traduire par le passé composé.

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à privilégier une de ces normalités, celle des « gens cultivés », comme une norme délimitée de façon objective. On se trouve ainsi devant un phénomène typiquement idéologique parmi d'autres qui sous-tendent la linguistique. Ne pouvant évaluer l'usage, le linguiste défend l'objectivité de sa science et tente malgré tout de faire une évaluation qui, loin d'être orientée par ses données, est plutôt fondée sur le rôle qu'il joue au sein de la société dans laquelle il évolue. La rupture forcée entre la théorie et la pratique du linguiste Voilà pourquoi la polysémie du vocable est à l'origine des deux principaux conflits relatifs à l'étude linguistique de la norme. Les compromis, tant d'ordre épistémologique qu'idéologique, empêchent non seulement la recherche d'une solution qui, comme j'espère le montrer plus loin, est pratiquement impossible, mais jusqu'à l'élucidation du problème que posent le rôle de la théorie et la profession du linguiste Norme et

langueLes faits exposés plus haut font ressortir la nécessité d'établir une distinction nette entre les deux significations du mot norme, de préférence en faisant appel à des termes différents. Comme on a surtout l'habitude d'entendre par norme une « règle », un « devoir être de quelque chose », je ne conserverai que cette signification. En revanche, pour désigner ce qui est « normal » ou « habituel », j'emploierai sans distinction deux termes descriptifs, soit la parole, à l'instar de Saussure, et l'usage selon la conception de L. Dans mon ouvrage El concepto de norma en lingüistica, la norme était définie comme « un modèle, une règle ou un ensemble de règles, dans une certaine mesure obligatoire, puisque c'est la communauté linguistique qui l'impose aux sujets parlants d'une langue et détermine les modalités d'actualisation de son système linguistique en choisissant, parmi les possi-bilités illimitées de réalisation dans l'usage, celles qu'elle juge acceptables » (Lara, 1976: 110). Mais peu de temps après la publication de cet ouvrage, les membres du colloque sur la norme qui s'étaient réunis à Rouen (GRECO, 1976) ont proposé une série de Ma définition de norme était encore inspirée du structuralisme linguistique pour deux raisons: premièrement, je n'avais pas encore remis en question la valeur de la dichotomie saussurienne entre langue-système et parole; par conséquent, je continuais de définir la norme comme un modèle sans tenir compte de ce rapport et sans approfondir son caractère linguistique

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descriptive et formaliste selon laquelle la norme constitue en quelque sorte un système qui agit sur les modalités d'actualisation d'une langue. En peu de mots, cette définition correspond à une notion de la norme selon laquelle elle représente un produit, un modèle terminé, en parallèle avec le concept de système 2.

Cependant, pour mieux comprendre ce qu'est une norme, il faut l'envisager de deux manières différentes: d'une part, comme une activité normative qui établit un rapport entre la pratique linguistique et les membres de la société, et, d'autre part, comme un produit fini pouvant être décrit à l'aide d'une technique propre à la La norme ne représente certainement pas un phénomène semblable à ceux dont traite la linguistique descriptive moderne. Jusqu'à maintenant, la linguistique s'est penchée sur l'organisation du langage qui s'exprime par les sons, éléments matériels qui peuvent être décrits. Au contraire, la norme n'est pas une manifestation physique directe mais plutôt un concept ou un ensemble de concepts qui reposent sur le caractère matériel du son ou qui en acquièrent leur intelligibilité. D'une certaine façon, la norme est un concept abstrait comme la langue ou le système; ils diffèrent en ce sens que ces derniers s'insèrent dans une théorie linguistique tandis que la norme demeure un concept dont la pertinence pour la linguistique est mise en doute. De plus, dans la mesure où les éléments du système sont des constructions appropriées aux faits physiques qu'ils décrivent, pouvant faire l'objet d'expé-riences, la norme ne décrit pas ces données mais plutôt, lorsqu'elle est établie, les prescrit après les avoir Donc, le concept de norme doit évidemment être distinct des concepts descriptifs de la linguistique et c'est pourquoi la norme semble représenter en quelque sorte une opinion concernant la langue ou une activité orientée par la pratique du discours dans une société Considérée comme une opinion, la norme constitue la cristallisation ou la réunion d'un ensemble complexe de concepts idéologiques et sociaux dans un ordre précis, orientée vers une activité particulière. Toutefois, tandis que les opinions se forment habituellement à partir de la compréhension globale d'un fait historique, politique ou social donné, la norme devient peu à peu un modèle prospectif pour l'activité verbale. Fondée sur l'expérience passée, elle finit par se proposer comme modèle pour les expériences linguistiques subséquentes. 2. La distinction établie par W.v. Humboldt entre produit et activité,

ergon et energeia, adoptée par Coseriu et utilisée par Kari Bühler dans sa Théorie du langage, explique et précise le caractère épistémologique de la notion de système (cf. Lara 1976: 54-66).

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Ce qu'il faut retenir de ce type d'opinion sur la langue, c'est son articulation fonctionnelle avec la pratique linguistique d'une société.Voilà pourquoi il faut étudier la façon dont s'articulent la norme et la langue. Le caractère accidentel de la norme en ce qui a trait au paradigme dichotomique de Saussure ressort lorsqu'on constate le rôle qu'elle joue tant dans les caractéristiques de la parole que dans l'idée qu'une société se fait de sa Dans la société mexicaine et dans nombre d'autres sociétés occidentales modernes, la langue est maintenant conçue comme une entité établie, héritée de nos ancêtres et toujours, sous une forme ou sous une autre, faite, achevée. Ce n'est pas pour rien qu'on se reporte à « l'espagnol du XII" siècle » ou à « l'espagnol du Me siècle », car on se fonde ainsi sur un principe d'identité fixe selon lequel on conçoit les changements, notoires et reconnus, comme des mouvements à l'intérieur de la même langue. Abstraction faite de la croyance fondée sur les théories évolutionnistes et les conceptions historiques précédentes, selon lesquelles les langues sont des organismes au même titre que les êtres biologiques - croyance qui règne d'ailleurs La pensée grammaticale actuelle qui, comme le signale Baggioni (1976: 68), « répond à un besoin de rationalisation et de justification du processus d'unification linguistique », contribue à cette conception moderne de la langue et en est même le fruit. La grammaire, avant d'être un modèle de la capacité verbale de l'individu, représente le développement historique des cultures linguistiques occidentales. Lorsque la grammaire traditionnelle et les grammaires modernes s'affirment comme le reflet ou la découverte de la capacité de parler d'un individu, elles Mais l'histoire montre que notre idée actuelle des langues et de leurs grammaires est le fruit de processus sociaux et idéologiques complexes: la formation des États européens modernes, la conception de l'Homme issue de la Révolution française, les doctrines du libéralisme économique, la diffusion de l'idéal que représente la démocratie et, plus récemment, la techno-logie en étroite relation avec l'évolution de la cybernétique. Diverses études consacrées à l'idée de la langue à différentes époques et dans des langues comme l'espagnol, le français ou l'italien, amènent à la conclusion que ce que fon croit aujourd'hui au sujet de ces langues est un résultat historique et non la Voilà pourquoi le locuteur adulte, celui qui ne s'intéresse pas de près à l'histoire de la langue, réservée aux spécialistes, considère la langue comme

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un produit fini qui constitue tout au plus un objet de perfectionnement individuel et non une activité à laquelle il participe de façon créatrice. D objective sa langue par un substantif: le français, l'espagnol. Celle-ci lui est étrangère dans la mesure où son idéal est fondé sur un âge d'or révolu, inaccessible. Il suffit de citer à titre d'exempte le cas du Mexicain contemporain pour qui la langue idéale est celle de Cervantes ou, dans un esprit nationaliste, celle de Soeur Juana Inés de la Cruz et de Juan Ruiz de Alarc6n. Car il n'existe aucune évaluation populaire et acceptée, ni de l'espagnol actuel, ni même des écrivains modernes qui sont Plusieurs savants ont signalé une époque importante de changement dans la conception que la communauté hispanophone se faisait de la langue. ll s'agit de la fondation de rAcademia Espanola (1713), qui apparaît au moment où l'absolutisme bourbonien commence à exercer son pouvoir sur toute la péninsule, en réduisant l'autorité ecclésiastique et en introduisant des institutions scientifiques dont les bases reposent sur l'idéal français de la connaissance. Même si l'Academia Espanola a donné le signal du modernisme dans l'Espagne du XVIIle siècle, les actions visant à normaliser la langue, à s'opposer à la norme de la cour dans un esprit scientifique et dans le but de rendre la langue plus efficace en la purgeant des excès verbaux baroques (Henschel 1969: 1-13), ont fini par donner l'impression d'une langue fixe, établie et isolée du parler populaire, contraire à celle qui, jusque-là, faisait preuve de vitalité. Comme l'écrit Amado Alonso (1943: 93): « Jadis, la langue évoluait constamment et nous

Avant-gardiste à (époque des Bourbons, l'Academia Espanola est devenue peu à peu le symbole du conservatisme; les écrivains du Siècle d'or, caractérisés par leur liberté linguistique, servent aujourd'hui de mo-dèles figés qu'il faut suivre, mais nul ne peut rivaliser avec eux en ce qui a trait à la créativité linguistique. L'Académie impose ses nommes: elle codifie l'orthographe, rédige le Diccionario de Autoridades pour montrer, à l'aide d'exemples, le « bon usage » de l'âge classique et s'attaque à la grammaire. Mais puisqu'elle est une institution, elle passe de l'action à la

La norme académique s'érige en langue; une fois fixée, elle devient règle prescrite. Peu à peu, on en vient à concevoir la langue comme un système figé, statique, contraire à l'idée de la créativité. La norme et la langue ne restent pas distinctes; au contraire, la norme définit les limites de la langue. La systématicité de la grammaire est considérée comme la systématicité de la

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Or, le parler, l'activité verbale d'une communauté, diffère de la langue, c'est-à-dire de la conception qu'on en a. Pour le commun des mortels qui, au cours de la majeure partie de l'histoire, a été analphabète, l'exercice verbal est fondé sur les modèles traditionnels et correspond aux intérêts et aux besoins de la vie quotidienne. Cette langue qui ne manque pas d'étonner le linguiste qui étudie le parler du paysan, en perçoit la vitalité et, malgré le passage des ans, la permanence des traditions, des tournures et des sens, n'est ni représentée, ni conçue dans la pensée linguistique. Elle est considérée comme « rurale », « rustique », « populaire », « familière », « vulgaire », « non instruite », « archaïque », « limitée », etc. et, les théories contemporaines l'estimant marginale, elle est reléguée aux domaines de la dialectologie et de la Norme et unité linguistique

Le parler, à son état naturel, a l'habitude d'être considéré comme un chaos dans lequel les éléments linguistiques vont et viennent, les émotions soudaines s'exprimant de façon aussi aléatoire que les émissions des locuteurs, les erreurs de tout genre se commettent, traduisant des influences extérieures au monde verbal. Le linguiste descriptif ou le grammairien doit de plus en plus faire appel à l'abstraction et à la technique pour réduire ce chaos. Sa recherche est toujours axée sur ce qui est commun, sur ce qui est constant dans ce chaos dans le but d'en sortir et d'établir un certain ordre. C'est pourquoi le phonème, le morphème et la distribution ou fonction syntaxique constituent des entités invariables autour desquelles s'élabore la langue. En revanche, c'est cette langue même qui s'exprime dans le chaos et s'individualise chez les locuteurs. Par conséquent, le phonème, le morphème et la distribution ou fonction syntaxique sont des réalités mentales qui appartiennent à tous les hommes et se Il y a tout lieu de croire que c'est ainsi que cela se passe. Toutefois, l'idée actuelle de la façon dont cela se produit ne nous permet pas de faire face au chaos avec de meilleurs outils. La réduction continue d'être extrême et les théories biologiques comme celles de René Thom (1972) ou de Henri Atlan (1979) n'ont C'est là l'idée de l'unité d'une langue comme condition préalable à la communication entre ses locuteurs. Dans les sociétés qui évoluent sans acquérir ni parfaire une instruction formelle qui freine la tendance au chaos,il est normal que les langues se fragmentent et finissent

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ignore quelles pourront être les dimensions spatiales et temporelles dans lesquelles une langue, non contrôlée, restera homogène ou intelligible. Dans le monde indigène mexicain, il y a des langues comme celles du groupe zapotèque qui, théoriquement, devraient être homogènes et mutuellement intelligibles. Pourtant, en réalité, elles peuvent être distinctes les unes des autres pour des locuteurs habitant parfois à seulement 30 kilomètres les uns des autres. L'unité d'une langue est On a toujours justifié l'existence de la norme en disant qu'elle constitue un outil d'unification nécessaire aux sociétés sans écriture où les risques de fragmentation sont les plus importants. Mais on postule aussi l'existence de mécanismes d'unification plus ou moins naturels qui nient la nécessité d'une conscience de l'unité exprimée à l'aide d'une norme, de telle sorte que, pour Baggioni, il est abusif d'assimiler l'idée de la nomme « à la relative tendance unificatrice qui existe pour chaque variété linguistique d' une langue donnée référée à un groupe social ou à un ensemble de conditions de production du discours » (1976: 56-57). C'est là un des points d'interrogation auxquels il faudrait répondre dans le cadre d'une théorie linguistique qui traiterait entre autres de la norme. Il y a diverses possibilités: la norme existe dans toute pratique linguistique ou seulement sous certaines conditions de conscience qui permettent de rétablir explicitement; il y a des « nommes objectives » (Rey, 1972; Lara, 1976: 85 et suivantes) réelles et On pourrait penser qu'une société n'est pas tenue d'objectiver sa langue de la même façon que l'a fait la civilisation européenne et que, par conséquent, l' unité linguistique qui rend intelligibles deux usages au sein d'une même société découle davantage de la pratique que de la réflexion. Habituellement, dans la pratique, on ne met pas l'accent sur les signes linguistiques proprement dits; ceux-ci s'insèrent dans le discours dont le sens dépend des intérêts et du travail de la société. Que le rôle de la langue ne soit pas restreint à un certain type d'actions sociales mais s'applique plutôt à toutes les actions nous permet de croire que la pratique verbale est soumise à (ensemble des obligations sociales qui se manifestent avec elle ainsi qu'aux restrictions et libertés que la société donne aux actes qui f utilisent. Une vision anthropologique de la langue devrait montrer les relations sociales qui se D est donc plus intéressant d'amorcer une étude sur ce qui est sousjacent à la norme ou fait qu'elle existe dans une communauté linguistique

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donnée que de déterminer si elle constitue un trait linguistique universel. Pour ce faire, il faudra donc analyser la fonction du discours linguistique dans l'ensemble des pratiques sociales.

Pratique sociale et pratique verbale

Dans le cadre de l'éducation démocratique et de la défense des droits de l'homme, la possibilité de parler, c'est-à-dire de tenir un discours sur n'importe quel sujet, vaut pour tous les êtres humains sans exception. Nous possédons tous la capacité de parler inhérente à notre espèce; nous pouvons tous parler et nous devrions tous avoir le droit de parler. Pourtant, cela n'est pas toujours le cas. La plupart des êtres humains peuvent parler dans l'intimité de leur foyer mais seule une minorité d'entre eux a tenu des propos qui se sont inscrits dans l'histoire. Dans toute société, les diffé-rences de sexe, d'âge et de métier fixent les limites à l'intérieur desquelles on peut parler et les sujets dont on peut traiter. Dans l'histoire de l'espagnol, par exemple, ce sont les seigneurs, les membres instruits du clergé et les quelques serviteurs que la société destinait à des tâches administratives, qui ont parlé. On ne sait rien des millions d'hispanophones qui n'ont jamais rencontré quelqu'un qui aurait pu laisser un témoignage de leurs propos ni des gens qui demeurent encore aujourd'hui en dehors de l'histoire car ils n'ont Les normes qui ont dicté l'espagnol sont attribuables à divers facteurs: légaux, pour unifier les lois des régions isolées par la conquête arabe de l'Espagne (Ferdinand III, XIle et Mlle siècles); intellectuels, pour atteindre la connaissance de l'histoire et de la science (Alphonse X, dit le Sage, XIIle siècle); ou politiques, pour unir l'empire (Isabelle et Ferdinand, Charles Quint, etc.). Dans tous les cas, il s'agit de normes élaborées et imposées par des groupes sociaux déterminés qui les ont acceptées et diffusées. Mais si les normes des courtisans qui ont dominé la société jusqu'au XVIIIe siècle étaient acceptées par les autres membres du royaume, elles ont été remplacées ensuite par celles des écrivains qui étaient considérés comme des « spécialistes » de la langue. En parlant de l'hégémonie imposée par la Castille au reste de la péninsule, Alonso dit qu'à cette époque « l'espagnol Lorsque l'élite courtisane, à qui 9 appartenait d'établir la norme, fut remplacée par une nouvelle élite, celle des écrivains classiques, deux groupes sociaux virent leurs relations internes modifiées mais les

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tous les attributs jusque-là réservés à la noblesse. Les « bons écrivains » contribuèrent les uns après les autres à sensibiliser les gens à la norme que leurs homologues des XVIIle, XIXe et du début du XXe siècle consacrèrent peu à peu.Mais en même temps la bourgeoisie commence à exprimer un désir tout à fait légitime, celui d'obtenir des droits à l'égalité, à la liberté et à l'instruction. C'est alors que se complique la structure de la répartition du travail et qu'apparaissent des lois rendant l'instruction publique obligatoire. La loi sociale donne le droit de parole: les ouvriers syndiqués, les gouvernants élus par le peuple, les bureaucraties des États, les scientifiques et les artistes, tout le monde prend la parole; les liens entre leurs pratiques deviennent source de lutte constante, déterminée par les changements de la superstructure idéologique. Les luttes entre classes et groupes sociaux constituent l'un des principaux facteurs qui justifient l'établissement de normes. Le parler populaire qui ne se reconnaît pas dans un groupe ni ne Il semble donc y avoir une contradiction en ce qui a trait à la norme car même si les « bons écrivains » en sont considérés comme les instigateurs, ils perdent en réalité de leur influence au profit d'autres groupes sociaux qui exercent un pouvoir grandissant et sont davantage en mesure de réunir les éléments requis pour s'imposer. Néanmoins, c'est l'État lui-même qui continue de proposer les écrivains comme modèles incontestés. En revanche, la norme et le parler populaire sont encore déphasés car on n'a pu résoudre les conflits portant sur la norme ni en généralisant l'instruction, ni en considérant la tradition linguistique de la société d'un Unité de la langue, norme

et langue nationaleBien qu'on puisse légitimement postuler l'existence

de phénomènes d'unification du parler d'une société sans qu'intervienne une conscience de la norme, comme nous l'avons déjà signalé, il est tout aussi évident que la nécessité d'unifier la langue a été de pair avec les besoins de la société relativement à la formation de (État L'histoire de (espagnol en fournit un excellent exemple: les efforts d'Alphonse le Sage au XIIle siècle pour traduire d'importants textes scientifiques arabes en espagnol et pour doter la langue naissante d'outils lexicaux et syntaxiques dans le but d'écrire l'histoire (Niederehe, 1975) diffèrent des efforts de l'Academia Espanola visant à fixer et à purger une langue établie et raffinée au Siècle d'or et n'ont, en outre, pas la même

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baroque que l'État à l'époque de la Reconquête et de la Colonie. En d'autres mots, ces normes reflètent toutes un ensemble complexe de besoins de la part de la société et de l'État dans le sens le plus strict de ce qu'on entend par politique.Mais entre l'unité et le caractère national d'une langue, il y a au moins une importante différence de niveau; comme tente de le montrer Niederehe (1975), l'idée de nationalité telle que nous la connaissons maintenant n'existait pas à l'époque d'Alphonse le Sage; la recherche de l'unité des systèmes juridiques des peuples reconquis et l'écriture en espagnol de leur histoire et de leurs traités scientifiques découlaient non pas d'un sens national mais plutôt d'un besoin de communication efficace comme il est devenu également efficace de faire de la poésie en galicien, en portugais ou en provençal. On pourrait penser la même chose de Dante en ce qui a trait à la formation de l'italien. On peut unifier une langue sans y rattacher tin sens nationaliste comme celui que nous connaissons à notre époque. Les normes qui répondent à une fin, quelle qu'elle soit, peuvent donc être également distinctes. Ainsi, par exemple, Alphonse le Sage n'avait probablement aucune conception puriste ni raffinée de l'espagnol, entre autres raisons parce qu'il serait devenu impossible de faire vivre une langue dans les conditions culturelles et au niveau de civilisation dans

Le débat sur les langues indigènes d'Amérique à l'époque de la colonie espagnole en fournit un autre exemple: même si, dès le début de la conquête de l'Amérique, des efforts constants ont été déployés dans le but d'hispaniser les Indiens du Mexique ou du Pérou, efforts basés sur l'articulation idéologique des fins recherchées par l'Empire et sur la magnanimité des Romains concernant l'extension du droit de cité aux barbares vaincus (fait apparent à la lecture des lettres de Hemân Cortés), tout aussi importants ont été les efforts des missionnaires qui utilisaient pour évangéliser, non pas la langue de l'Empire mais n'importe laquelle des langues aborigènes parlées par un nombre suffisant d'Indiens (Zavala, 1977). C'est ce qui explique l'intérêt pour le nahuatl, le maya, l'otomf et un grand nombre de langues que les missionnaires ont En revanche, après que le Siècle des lumières eut encouragé et imposé l'obligation d'enseigner l'espagnol à l'ensemble des peuples d'Amérique latine au XVIlle siècle, la valeur nationale de la langue finit par être considérée comme une conquête de la raison; cela ne fait encore aucun doute aujourd'hui.

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Au Mexique et dans les autres pays latino-américains, le sentiment national se manifeste d'abord chez les « criollos » cultivés, enfants d'Espagnols nés en Amérique, qui ont retourné contre leurs aînés l' idée de Nation. Cette idée même qui, avant la Nation ou l'Empire espagnol, justifiait l'unité linguistique, justifiait au XIXe siècle l'indépendance à l'égard de l'Empire et la formation de nationalités distinctes. On voit clairement le passage d'une idée à une autre sous les mêmes justifications idéologiques entre le besoin de conserver l'unité linguistique, comme l'a dit l'un des plus grands penseurs de l'Amérique, Andrés Bello, et la lutte féroce des indépendantistes comme Domingo Faustino Sanniento en Argentine et Ignacio Manuel Altamirano au Mexique qui demandent des langues nationales et distinctes. Ce n'est pas un fait du hasard que ces deux positions se soient corrigées l'une l'autre au XIXe siècle. l'unité linguistique hispanique n'a pu être conservée qu'en raison des conditions culturelles et de la civilisation des républiques latinoaméricaines et non pas en réaction à la menace d'une nouvelle fragmentation romane. On assiste alors à l'éveil des consciences nationales qui ne s'attaquent pas pour autant à la langue commune, toute autre solution ayant été impossible vu u est donc essentiel d' établir une distinction nette entre la conservation ou l'obtention de l'unité linguistique et les mécanismes normatifs pouvant être employés pour arriver à cette fin, la retarder ou l'accélérer (Baggioni 1976: 71). Découlant d'une idéologie basée sur la superstructure sociale, la norme est susceptible de correspondre plus ou moins à la réalité linguistique. De plus, c'est le type d'interprétation qu'on donne de cette réalité du point de vue idéologique qui peut déterminer la façon dont elle s'y adapte. Activité normative et

normeJusqu'ici, je me suis consacré à l'analyse du

problème de la norme sous ses divers aspects, en particulier les suivants. son rapport avec la pratique ou l'usage d'une langue, le rôle peu reconnu qu'elle joue dans la formation de l'idée que nous nous faisons de la langue et son lien avec certains phénomènes plus complexes de la société. Je suis donc maintenant à même de tirer diverses conclusions qui me permettront Le faux problème de l'emploi du mot norme dans le sens d'habitude étant éliminé, il faut signaler que le concept de norme est toujours un concept de valeur qui s'applique à la pratique linguistique et à l'évaluation de

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Mais, au contraire de ce que postule la linguistique moderne, il faut tenir compte du rôle que la norme exerce tant dans la réalité linguistique des sujets parlants que dans la formation de nos propres notions théoriques et de notre activité scientifique.

Les normes sont le fruit de la réflexion à laquelle s'adonne la société à propos de son discours linguistique. Par conséquent, leur origine est liée aux fonctions du discours à l'intérieur de la pratique sociale. En outre, c'est l'orientation des pratiques sociales face aux objectifs que poursuit une société qui fait que la norme s'insère dans une politique, particulièrement celle de l'État.

C'est pourquoi la nonne n'est jamais le seul fait de l'observation de l'usage linguistique ni la simple marque normative de cet usage. Entre l'expérience de l'usage et l'établissement de la norme, il existe une interprétation dont les paramètres se définissent dans la superstructure idéologique d'une société. Lorsqu'une nomme s'impose, c'est qu'elle répond à une évaluation de ce genre; lorsqu'elle cesse de s'appliquer, c'est qu'elle entre en conflit avec les nouvelles expériences sociales et les nouvelles façons de les concevoir. C'est pourquoi l'K objectivité » de la norme est d'ordre social et non naturel, comme le voudrait la linguistique descriptive.Nous pouvons donc déduire que l'activité normative est l'activité de la société relative à sa langue tandis que la norme en est le fruit qui est soit formulé explicitement dans les grammaires, dictionnaires et autres types de discours social sur la langue, soit non formulé mais implicitement accepté par les membres d'une société. Comme la formulation d'une norme découle toujours de l'activité normative et non de la norme elle-même, et comme cette activité normative constitue une pratique constante qui s'ex-prime dans le discours, l'activité normative ne produit pas nécessairement une seule et même nomme; en réalité, elle peut donner lieu à plusieurs normes différentes. Ainsi, la norme, au sens strict du terme, est une interprétation.Le processus d'interprétation requis pour reconnaître une norme et son rôle dans la pratique sociale de la langue devient dès lors une question de méthode. Aussi, ce processus s'avère nécessaire lorsque la linguistique devient pratique et exerce une influence sur la société.

La formation des normes au MexiqueLa caractéristique la plus connue de l'espagnol d'Amérique est sans

aucun doute l'abondance de vocables provenant des langues aborigènes qui se sont introduits non seulement dans la langue générale mais aussi dans celle des diverses régions d'Amérique latine. Ce fait est le fruit d'une suite de contacts et de brassages entre Espagnols et Indiens, particulière à la colonie espagnole par rapport aux autres colonies européennes du con-tinent. Cette différence est attribuable à diverses raisons qu'il n'y a pas lieu

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d'énumérer ici, sauf peut-être une, celle du genre de sociétés que les conquistadors ont rencontrées en Amérique centrale, et qui a empêché le massacre de tribus indiennes nomades comme ce fut le cas au nord et au sud du continent. Sur le territoire actuel du Mexique les Espagnols trouvèrent des cultures sédentaires, des établissements urbains et militaires, des écoles et connaissances systématiques, des langues écrites et des rapports sociaux complexes. A ce sujet, il suffit de lire l'illustre Historia de las cosas de la Nueva Espana du Frère Bernardino de Sahagiln et de consulter Le contact des Espagnols avec les peuples d'Amérique a également donné lieu à diverses études qui signalent l'effort des conquistadors pour concevoir la réalité du nouveau monde d'après leur expérience du vieux monde (G. Menéndez Pidal, 1944). Par exemple, dès 1518 Juan de Grijalva déclarait dans une chronique s'être approché des côtes du Yucatân et y avoir aperçu les pyramides et les temples mayas; en outre, il affirmait la présence possible de « Maures », peut-être même de « Juifs », d'infidèles poursuivant leur lutte entreprise depuis des siècles en Europe. Les chroniques militaires de la Conquête et celles des missionnaires qualifient toujours les Indiens d' « indigènes » lorsqu'il s'agit de les observer et de les décrire mais d'« infidèles » lorsqu'on lutte contre eux. Dans son ouvrage intitulé Verdadera historia de la conquista de la Nueva Espana,. Bemal Diaz del Castillo ne cesse de comparer, de décrire et d'évaluer la réalité américaine en fonction de la réalité européenne, voire même de l'image que se fait l'Europe d'un monde inconnu. Ainsi, les guajalotes (dindons mexicains) deviennent des gallinas de Indias ou gallipavos; les pyramides sont des adoratorios ou mezquitas (mosquées); les animaux et les plantes appar-tenant à des espèces très différentes se trouvent désignés par quelques termes espagnols qui n'établissent aucune distinction et ont pour effet d'en-gendrer la confusion. Une nature tout à fait différente se voit traduite dans une métaphore de la nature espagnole. C'est ce qui donne lieu à l'une des caractéristiques les plus importantes du monde linguistique mexicain: même si les colonisateurs espagnols empruntent aux langues aborigènes certains mots qu'ils introduisent dans l'espagnol, ils décrivent par contre le monde américain dans une langue dont les objectivations du monde naturel ont pris naissance dans une histoire distincte et européenne. En imposant leur langue aux peuples indiens, les conquistadors ont

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pour désigner des animaux et des plantes qui n'existent pas nécessairement en Espagne, chaque région du pays, surtout les régions peuplées d'indigènes, possède un vocabulaire aborigène précis pour décrire la nature dont la langue espagnole n'a jamais tenu compte. Nous sommes constamment étonnés de découvrir qu'il existe dans chaque région des centaines de mots indigènes servant précisément à décrire la nature. Ces mots, qui ont pour origine les anciennes traditions aborigènes, n'ont jamais été introduits dans la langue espagnole; pourtant, le vocabulaire espagnol pour décrire ce L'époque de la colonie a été le théâtre de la disparition du monde indigène. On agressait et on exploitait de plus en plus les Indiens dont les cultures, considérées comme sauvages, primitives, infidèles, n'étaient pasreconnues. Mais lorsque les « criollos » du XVIIIe siècle se rendirent compte qu'ils devaient se distinguer des Espagnols de la péninsule et s'affirmer comme un peuple à part et digne, ils puisèrent dans les anciennes traditions indiennes les sources de cette nouvelle identité que leur conférait la Nouvelle Espagne. Ce processus fut lent et parfois marqué d'actions étonnantes comme celles du Frère Servando Teresa de Mier et de certains de ses contemporains qui, pour légitimer leur religion, soutenaient qu'il y avait une identité entre le roi mythologique des Toltèques, Quetzalcôatl, et l'apôtre saint Thomas. Pourtant, un siècle auparavant, ce furent les « criollos » qui montrèrent la voie et donnèrent aux Mexicains ce qui C'est ainsi que les Mexicains ont repris conscience des traditions indigènes; ils ont entrepris des études, publié des ouvrages traitant de ce passé et réalisé les premières découvertes archéologiques.Pendant ce temps, les peuples indigènes tentaient de survivre sous la domination d'une nouvelle Nation et se consacraient aux travaux plus ardus et serviles, livrés à eux-mêmes au sein de quelques cultures qui ne leur étaient pas encore familières et ne présentaient aucun lien avec leur passé. Comment les Indiens, misérables et dépréciés, pouvaient-ils être les héritiers d'un passé glorieux? Pour la nation mexicaine, cela posait un véri-table problème car comment était-il possible de relier un passé revendiqué par les « criollos » et les métis comme le leur à un présent où les indigènes refusaient de se soumettre aux impératifs de progrès et de civilisation du nouvel État? Francisco Pimentel, l'un des premiers à avoir étudié les indigènes du Mexique, disait en 1864 qu'« une nation est une réunion d'hommes qui professent les mêmes croyances, soutiennent une même

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(métissage, langue, gouvernement, système économique). Selon Andrés Molina Enriquez, l'un des critiques qui ont encouragé la Révolution de 1910, la nation est « une unité d'origine, de religion, de type, de coutumes, de langue, de stade de développement ainsi que de désirs, de buts et d'aspirations » (cf. Villoro, 1950: 169). A cette époque, l'Indien devait s'intégrer et la meilleure façon de l'y amener était de le faire participer à un métissage qui, au contraire des races pures, représentait l'union parfaite de deux races L'économie a également motivé l'intégration à la société mexicaine: les méthodes de travail des paysans indiens et leur propriété commune de la terre étaient perçues par le libéralisme du XIXe siècle comme des modes de survie dangereux, contraires au progrès et susceptibles de nuire au développement d'un Mexique fort. C est pourquoi, au lendemain de l'Indépendance, on entreprit une lutte contre la propriété et la culture paysanne des indigènes. Depuis les lois de la Réforme et la Constitution de 1857, qui ont eu une grande importance pour le Mexique contemporain, jusqu'à la Révolution de 1910, les cultures indigènes ont constamment fait l'objet de luttes juridiques, concernant la terre. Alberto Marfa Carreno, un autre penseur du début du XXe siècle, prétendait que « la réalité sociale qui manque au Mexique n'existera pas tant que nous ne modifierons pas radicalement la façon d'être de nos Indiens [. . .] [Il n'existe qu'un seul moyen]: l'occidentalisation systématique. Et cela signifie d'abord Ce que l'on peut conclure de la passionnante histoire de la culture indigène mexicaine, que j'ai tenté de résumer ici, c'est que l'intérêt qu'elle a suscité durant 200 ans était particulièrement lié au besoin qu'avaient les Mexicains de se reconnaître chez les peuples qui avaient été à l'origine de leur métissage et avec qui, à la différence des Espagnols, ils avaient pu établir des liens historiques non grevés par un sentiment d'exploitation, La culture indigène a été fondamentale pour la naissance du Mexique; toutefois, elle n'a pas constitué une présence réelle. Luis Villoro prétend que l'intérêt pour la culture indigène n'a été « qu'une simple étape dansl'histoire, étape au cours de laquelle le Mexicain a pris conscience de sa propre culture » (1950. 12). Manuel Gamio, fondateur de l'anthropologie mexicaine, disait à ce sujet: « La culture indigène que nous considérions alors comme totalement distincte de la nôtre, représente En appréciant la culture indigène à sa juste valeur, les Mexicains se sont dotés d'une importante valeur idéologique pour leur nationalisme et

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d'un élément primordial pour leur prise de conscience de la norme. Cette appréciation se manifeste non seulement dans leur admiration pour les découvertes archéologiques ou dans l'étude des oeuvres d'art que nous ont léguées les cultures classiques précolombiennes mais aussi, et surtout, dans la présence réelle de langues dont l'espagnol a emprunté nombre de mots. C'est ainsi que le vocable de souche indigène a acquis du prestige sur le plan normatif et caractérise aujourd'hui l'espagnol mexicain. Ce prestige s'est manifesté depuis le retour à l'emploi du x dans México - lorsque l'Academia Espanola a établi l'orthographe au XVIIII' siècle, la lettre x qui correspondait à l'ancien phonème If/ a été remplacée par le j, soit le nouveau phonème /x/; México est ainsi devenu Méjico et cette orthographe a prévalu jusqu'au début du XXI` siècle - et dans Xalapa, Oaxaca, etc., Mais le nationalisme repose aussi sur un facteur négatif. II s'agit de l'opposition constante des Mexicains face à l'influence des États-Unis qui se sont ingérés dans les affaires du Mexique pendant presque deux siècles. La conscience anti-nord-américaine s'est éveillée chez les nationalistes mexicains lorsque ceux-ci commencèrent à se rendre compte que leurs voisins du nord envahissaient leur pays, se livraient au pillage, effectuaient des expéditions punitives sous n'importe

L'influence des États-Unis n'a rien d'étonnant si l'on considère que nous sommes voisins et que notre frontière nord a été pour plus d'un le refuge idéal en temps de guerre. Les Républicains opposés à l'interventionde la France au milieu du XIXI-' siècle se sont réfugiés et armés aux ÉtatsUnis. En 1910, les révolutionnaires ont fait de même pour lutter contre la dictature, etc. L'influence nord-américaine était donc inévitable. Elle s'est exercée, à la naissance de la nation, surtout sur les plans politique, juridique et économique et s'est traduite de diverses façons: le modèle fédéraliste qui a coûté des années de lutte contre les tendances centralistes manifestées par les conservateurs et l'Église; le système présidentiel, élément fondamental de la politique mexicaine; les droits constitutionnels accordés en 1857 et en 1917; le libéralisme économique et le capitalisme; peut-être aussi la tolérance religieuse puisée paradoxalement dans l'extrémisme anticlérical des loges maçonniques du XIXI' siècle, formées selon les modèles nordaméricains; et de nos jours, le progrès, l'industrialisation, l'administration et la technologie.

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la culture et à l'humanitarisme, défendent la nation contre un mimétisme dangereux face aux États-Unis.

Le sentiment anti-nord-américain se manifeste dans la norme linguistique par la phobie qu'ont les Mexicains des vocables d'origine anglaise; l'arme utilisée contre l'anglicisme est le purisme espagnol.C'est la norme qui détermine la notion qu'on se fait d'une langue nationale. D'ailleurs, ce n'est que grâce à son articulation idéologique avec les débuts du Mexique en tant que nation indépendante, que l'espagnol, langue internationale et non aborigène, a été harmonieusement adopté par une identité métisse qui puise dans son passé indigène sans pouvoir renier son présent hispanique. Les expressions « culture indigène » et « antianglicisme » font partie de la dialectique « hispano-américaine » du Mexique: contre l'espagnol, le mot indigène; contre le nord-américain, le mot national qui consacre l'indépendance face à l'Espagne. L'espagnol du Mexique, en tant que langue nationale, constitue, sur le plan idéologique, l'union de l'indépendance avec la langue métisse. Les langues aborigènes, encore parlées par quelque 5 millions d'habitants, s'insèrent dans le mouvement nationaliste uniquement dans la mesure où, après s'être rendu compte de les avoir minées dans le passé, on se propose maintenant de les faire revivre. Le processus de métissage, obligatoire aux débuts de la nation, aboutira fatalement, de par sa nature, à la destruction des Indiens, à moins que le concept même de Nation ne soit modifié.« Purisme est le terme international employé pour désigner une attitude traditionaliste et conservatrice. En règle générale, on emploie les expressions purisme (purismo) et langue châtiée (casticismo) indifféremment en espagnol; toutefois, le terme châtié ne saurait se restreindre à ce qu'on peut qualifier de puriste car, de par sa signification, il a des exigences propres. En outre, le purisme s'identifie pleinement au critère des académiciens alors qu'il existe une certaine langue châtiée que ces derniers pourraient qualifier d'inacceptable. Les puristes, dont l'idéal consiste à imiter la langue pariée à l'époque de sa perfection, aspirent au bon emploi des formes idiomatiques consacrées; les partisans de la langue châtiée ajoutent à ce répertoire certains néologismes, les nouveautés idiomatiques qui, dès leur création, semblent incontestablement espa-gnoles. (. . .] Les puristes s'attaquent surtout aux déformations qu'a subies la langue après avoir atteint son Par conséquent, le purisme semble offrir le meilleur moyen de conserver la pureté de la langue et de protéger cette dernière contre tous les usages qui s'éloignent des critères établis à (époque du classicisme. Comme fa déjà signalé Hermann Paul (1886: 404-422), il existe un

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proportionnel entre le niveau de pureté déterminant une norme et l'éloignement de la communauté qui détermine cette même norme. C'est pourquoi aux yeux des puristes mexicains, qui se voient forcés d'appliquer la nomme régissant la langue classique espagnole parlée à une époque et dans un lieu lointains, l'usage mexicain frôle de plus en plus la corruption. Cela est dû, d'une part, au fait que les Mexicains n'ont pas pu participer à l'élaboration de la langue pure-de là l'importance manifeste de la « mexicanité » exprimée par Juan Ruizz de Alarcôn, unique représentant mexicain à l'époque de la fixation de la langue pure - et, d'autre part, au fait que cette langue, en raison de l'éloignement spatial et temporel, voit son unité fragmentée et son vocabulaire envahi d'anglicismes. Cette invasion est imputable à l'Indépendance, au rapprochement avec les États-Unis et au nationalisme entêté qui a pour effet d'éloigner la langue de s'es

Mais il n'en demeure pas moins vrai que le mot indigène a, lui aussi, un passé classique et que les langues indigènes sont tout aussi dignes que l'espagnol, surtout le nahuatl. En effet, nous possédons suffisamment de documents écrits dans cette langue pour en constater la capacité d'expression et la qualité artistique. On peut donc facilement retenir le mot indigène même dans une conception puriste de l'espagnol du Mexique; on pourrait dire que le mot indigène est aussi pur que le mot espagnol. La pureté

En revanche, l'anglicisme constitue la cible par excellence des puristes; il symbolise la corruption linguistique qui représente le principal danger face à la conservation de la langue et de la nationalité, le plus important facteur de désintégration de l'unité de la Ces deux pôles normatifs, liés à l'idéologie du nationalisme mexicain et toujours de rigueur, s'articulent à leur tour avec d'autres facteurs qui en déterminent l'application dans l'usage linguistique. Comme ces facteurs ne s'inscrivent pas dans le sujet principal du présent travail, je me contenterai de les énoncer sans que cela signifie pour autant qu'ils sont de moindre importance; au contraire, toute analyse de l'usage mexicain de la langue espagnole doit inclure une étude visant à en préciser les limites et les possi-bilités. ll s'agit, d'abord, de ce qu'on appelle l'espagnol général, unité effective de la langue - surtout de la langue écrite - du Mexique et des autres pays hispanophones qui, au cours de l'histoire, a été élaborée et diffusée grâce à la circulation internationale des livres, concepts et méthodes d'enseignement ainsi qu'à la valeur

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nationaliste et façonne l'opinion publique à un point tel qu'elle sert de modèle à l'appareil bureaucratique, aux groupes de pression politique et aux citoyens dans leurs rapports avec le gouvernement. Par exemple, à la lecture des journaux mexicains depuis le début du XXe siècle jusqu'à nos jours, on constate dans quelle mesure la nation est née sous l'influence d'une pratique verbale qui a rallié les diverses tendances politiques et servi d'exemple à la grandeur du pays. Enfin, un autre facteur, lié aux deux premiers, a permis de déterminer l'activité normative mexicaine. Il s'agit de la langue employée par les moyens de communication dont l'influence s'est accrue avec l'avènement de la radio et de la télévision; maintenant cela signifie qu'il n'est plus nécessaire d'alphabétiser les citoyens pour les intégrer à la nation. II est certain que ces trois facteurs, dont la D'autre part, il est évident que c'est l'activité normative qui régit l'usage de la langue dans la société, car elle se traduit dans la communication écrite et parlée dans les moyens de diffusion et d'enseignement utilisés par toute société organisée. Le domaine des usages régionaux et ruraux, dans lequel l'activité normative s'exerce indirectement et très souvent contrairement à la tradition linguistique des diverses communautés, est nécessairement régi par d'autres normes subordonnées dont la valeur d'application dépend de l'ancienneté de la communauté, de la conscience que cette dernière a eue d'elle-même durant 400 ans d'histoire ou du type de rapports qu'elle a entretenus avec la nation. Le linguiste soupçonne (aucune recherche n'ayant été réalisée en la matière) une activité normative notamment à Vera Cruz, dans l'ancienne province de Nueva Galicia (Jalisco, Colima, une partie du Michoacân et peut-être même une partie d'Aguascalientes et San Luis Potosij, dans le Yucatân et dans le Nuevo Leôn. Cette activité est également liée aux coutumes agricoles des diverses régions du pays; dans ce cas, elle se manifeste autrement L'usage,

Le mot indigène dans l'usageLes faits que je viens d'énoncer expliquent

pourquoi il n'existe aucune description adéquate concernant la façon dont les vocables indigènes et les anglicismes se sont introduits dans l'usage mexicain. Habituellement, le choixd'un corpus quantitatif qui permette d'évaluer l'incidence de ces mots sur l'espagnol mexicain dépend davantage d'un choix préalable d'ordre normatif que

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un certain type de parler que l'on considère comme représentatif de la langue nationale. En ce qui a trait au mot indigène, outre le grand nombre de dictionnaires -notamment ceux des aztéquismes de Cabrera et de Robelo (1974 et 1904 respectivement), des mexicanismes de Francisco Santamarfa (1959) et des américanismes du même auteur (1942), de Monnigo (1966) et de Malaret (1925) -dont le but est de réunir le plus grand nombre possible de vocables de cette source dans l'espagnol, il existe deux études descriptives: celle de J.M. Lope Blanch (1969) et celle Pour son étude, Lope Blanch s'est servi des 225 bandes magnétiques sur lesquelles il a enregistré des entrevues avec 490 citoyens de Mexico, classés selon leur niveau d'instruction, et des réponses de 100 personnesà qui il a présenté un corpus regroupant des vocables provenant des enregistrements et du dictionnaire de Robelo. Voici le résultat de cette étude: abstraction des doutes que suscite le calcul numérique, Lope Blanch a relevé 160 vocables indigènes couramment employés par les répondants « instruits » et 250 autres L'étude de Lope Blanch montre que l'influence du vocable indigène sur l'espagnol du Mexique est extrêmement faible; il est donc clair que sa valeur normative ne correspond pas à son usage.L'étude réalisée pour le Diccionario del espanol de México est fondée sur un corpus regroupant deux millions d'occurrences3 relevées dans des textes et des conversations de tout genre (Laya et Ham, 1980) ainsi que dans la langue nationale « cultivée ». En d'autres mots, le corpus précise moins les usages régionaux ou particuliers que les usages courants et cultivés. Cette étude vient confirmer les conclusions de Lope Blanch même si les résultats ne sont que provisoires et même si la quantification est moins claire et simple que chez lui. Parmi les mots qui constituent l'espagnol mexicain fondamental du point de vue statistique (Laya et Ham, 1980; Ham, 1980), seuls mexicano et chile apparaissent dans notre corpus. Parmi les 5 000 mots les plus souvent employés et les mieux répartis dans toutes sortes d'usages, on a retenu les suivants: mole (mets typique de la cuisine mexicaine), chocolats (chocolat), jitomate (tomate), coyote (loup américain), tamal (aliment à base de maïs), chamaco (enfant), atole (boisson à base de maïs), nixtamal (maïs transformé en 3. Le corpus du Diccionario del espa»o! de México contient quelque

deux millions d'occurrences réparties en près de 68 000 lemmes. Je remercie Diana Maciel qui a comparé les listes de Lope Blanch avec notre corpus et calculé les pourcentages respectifs.

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ACTIvrM NORMATNE, ANGLICISMES ET MOTS INDIGÈNES 595

qu'il a dressées après son enquête et les mots qui, signale-t-il, même s'ils n'ont pas ressorti de son enquête, sont employés dans la ville de Mexico, avec les résultats relatifs à ces vocables dans notre corpus. En voici la conclusion: on a obtenu 236 occurrences qui correspondent à 83 lemmes. Selon Lope Blanch (1969: 29), l'incidence des mots indigènes dans l'espagnol « cultivé » du Mexique est de 0,07%; selon nos calculs, elle serait de 0,083%. Une fois notre enquête terminée, notre corpus contiendra certainement un plus grand ll ressort donc que l'usage du mot indigène dans la langue nationale ne correspond pas à sa valeur normative. Toutefois, il faut également noter qu'on relèverait un plus grand nombre de mots indigènes si on réalisait des études régionales axées sur les sujets concrets de la vie quotidienne tels que la médecine traditionnelle, les plantes, les insectes, les aliments, certaines coutumes religieuses, quelques institutions sociales qui survivent depuis l'époque précoloniale, la On a l'habitude de prétendre que ce genre d'étude aurait pour effet de fausser les résultats car elle augmenterait artificiellement le nombre de vocables indigènes. D'autre part, les études axées sur la langue nationale, l'espagnol général ou la langue des citadins instruits entraînent une diminution dans le nombre de mots relevés, diminution qui, du point de vue régional ou particulier, pourrait elle aussi être considérée comme artificielle. Autrement dit, il est légitime d'axer une étude sur certains parlers choisis pour des raisons normatives, théoriques ou pratiques, pourvu qu'on en fixe les limites. Au contraire, il n'existe aucune unité linguistique en soi dans ce qu'on peut appeler la « langue espagnole », dont le nombre de vocables ne peut être déterminé. La langue est le fruit de la pratique verbale; elle est aussi variable et aléatoire que le sens

On peut également tirer la conclusion qu'il existe un écart important entre l'usage d'une langue et l'image que projette la langue nationale standard - qui équivaut déjà à un choix - ainsi que la norme qui y est sous-jacente.

Les anglicismes dans l'usage

Si les résultats de l'étude des mots indigènes sont étonnants, ceux de l'étude des anglicismes le sont encore plus. Dans notre corpus, seuls les mots club, fiitbol, turismo et automôvil figurent comme des emprunts de l'anglais parmi les 1451 mots qui constituent l'espagnol

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(Ham, 1980); parmi les 5 000 mots les plus souvent rencontrés et les mieux répartis, le corpus n'inclut que capo (voiture), lider (leader), filmer (filmer) et côctel (cocktail), soit huit vocables empruntés à l'anglais par l'espagnol mexicain courant. Pourtant, les anglicismes s'introduisent réellement dans le domaine des affaires, des communications, de la technique et dans des secteurs importants de la science. On pourrait fort bien lire un texte qui serait rédigé de la façon suivante: « un paper comprensivo que eventualmente permita realizar la importancia de un issue » qu'il faudrait presque traduire en espagnol par « un trabajo abarcador que, al final o en su momento, permita darse cuenta de la importancia de un asunto ». Dans certains secteurs de Mexico et de sa banlieue, par exemple celle qui s'appelle Ciudad Satélite, on trouve des posters qui annoncent des desarrollos urbanos, un certain parque memorial, un stand commercial ou un show en indiquant en haut de l'affiche favor llamar (please call) un numéro de téléphone donné. Dans ce même secteur, il existe un certain quartier ou desarrollo urbano qu'on a appelé Condado (comté) de Sayavedra, copie conforme mais erronée des divisions politiques territoriales des États-Unis, la colonia ou le municipio mexicain n'ayant pas du tout le même attrait que Los Angeles ou San Diego. Et ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d'autres des anglicismes qui s'introduisent aujourd'hui au Mexique. Et dans les domaines scientifiques et techniques, ils jouent un rôle encore plus important, le Mexique dépendant des milieux culturels internationaux. Les spécialistes en informatique parlent de software (logiciel), d'input et output, de ponchar des cartes (punching), de facilidades (facilities) d'instruments, de sortear (sort), de fabriquer des hashes (hash), d'incorporer des chips, etc., tandis que les économistes discutent de l'estanflaciôn (stagflation) et des cârtels pétroliers, etc. Comment pourrait-il en être autrement puisque le Mexique n'a pas réussi à trouver de meilleure arme pour lutter contre les anglicismes que le purisme, qui finit par isoler la langue et l'éloigner des sujets parlants? Les partisans de la langue pure ou châtiée, en essayant d'affronter le monde moderne avec un bagage Les anglicismes occupent donc dans l'espagnol mexicain une place beaucoup plus importante que ne le laissent entendre les résultats de notre étude, sans compter qu'ils s'introduisent dans des secteurs influents de la société. L'unique solution au problème de l'écart entre l'usage et la norme, que j'espère avoir bien montré, réside dans l'interprétation de l'activité normative et dans l'adoption d'une pratique linguistique

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AcTivr É NORMATIVE, ANGLICISMES ET MOTS INDIGÈNES 597

Le Diccionario del espafiol de MéxicoDans l'élaboration du dictionnaire, nous nous

sommes basés sur les deux aspects étudiés plus haut: la découverte des valeurs normatives de la langue nationale et l'enregistrement de l'usage réel du vocabulaire. Nous tenions à présenter ces deux aspects Une analyse statistique de l'espagnol mexicain contemporain (de 1921 à 1973) nous a permis d'élaborer un dictionnaire statistique et d'inscrire tous les contextes et cadres d'emploi nécessaires pour décrire le vocabulaire et composer le dictionnaire. Grâce à cette analyse, nous avons obtenu une vue objective et quantifiée de la réalité lexicale de l'espagnol mexicain du point de vue de la langue nationale standard. Comme cette dernière comporte, sur le plan normatif, une restriction imputable aux besoins de la nation en matière d'enseignement, certains domaines du La description du vocabulaire espagnol du Mexique compte presque 100 ans d histoire et figure dans les divers « dictionnaires de régionalismes » qu'on trouve dans les bibliothèques et sur le marché. On y signale toujoursl'ensemble du vocabulaire folklorique ou pittoresque de l'espagnol mexicain, on en donne le signifiant amérindien ou le signifié particulier (nouveau ou archaïque) par rapport au contenu du Diccionario de la Real Academia Espafiola (DRAE). Cela va des américanismes, vocables d'origine amérindienne, voire même andalouse, qui caractérisent l'espagnol latino-américain, jusqu'aux vocables propres à certaines régions comme les États actuels de Sonora (sonorensismos) ou de Tabasco (tabasquenismos), en passant par l'important travail de Santamarfa, le Diccionario de mexcansmos. Parmi les vocables qu'on appelle communément mexicanismes, notons chile « piment » au lieu de aji que le DRAE décrit comme étant général; cacahuate au lieu de mani ou cacahuete inscrits dans le DRAE Tous ces mots peuvent facilement être identifiés comme étant des mots indigènes. Bien qu'un grand nombre de variantes relatives à la signification des divers vocables soient inexistantes en Espagne ou partagées avec une région de l'Espagne, elles ne méritent pas l'attention des lexicographes qui étudient les mexicanismes. À ce chapitre, voici quelques exemples: irse (s'en aller) et non marcharse; platicar (converser) et non converser; cuneta (fossé) et non badén; costal (sac) et non saco, couramment employé dans la péninsule ibérique; banqueta (trottoir) et non acera; maceta (pot à fleurs) et non tiesto; camiôn

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comme c'est le cas pour plomero au lieu de fontanero (plombier), checar au lieu de comprobar (confirmer), qu'on utilise aussi, et ponchar au lieu de pinchar (faire une crevaison), etc.Ces exemples montrent que les « dictionnaires de régionalismes » (ou mexicanismes) actuels, même s'ils constituent des registres importants du vocabulaire de l'espagnol mexicain, n'inscrivent pas l'usage réel. En outre, de par leur définition même, ils ne peuvent pas tenir compte des vocables propres à une « langue nationale » car la dichotomie mexicanisme (régiona-lisme)/vocable général est une invention méthodologique des linguistes et non une réalité des sujets parlants. Finalement, si cette abstraction est justifiée dans le cadre d'une étude spécialisée, elle Ainsi, les notions de mexicanisme, d'indigénisme et, en général, de xénisme ne jouent aucun rôle dans l'élaboration de notre dictionnaire; elles ne peuvent s'inscrire que dans des travaux comme celui-ci, orientés vers la linguistique et non vers la langue ordinaire. Autre fait important, le dictionnaire offre, sans tenir compte des divers degrés d'importance, un grand nombre de variantes relatives aux signifiés du lexique hispanique commun, sans toutefois les faire ressortir à l'aide de signes; il présente aussi les variantes orthographiques des vocables d'origine indigène ou étrangère, des variantes relatives aux divers parlers ou aux niveaux sociolinguistiques, etc. Il ne fait pas intervenir non plus des critères de classification suscep-tibles de fragmenter la perception de la langue nationale. Ainsi, le dictionnaire tente uniquement de décrire le mieux possible la réalité du vocabulaire mexicain et, dans certains domaines, d'aider le lecteur à choisir la variante qui lui convienne sans pour autant lui cacher l'information susceptible de le faire opter pour une autre: Voici ces domaines: l'orthographe des mots indigènes et des anglicismes, la concurrence entre les vocables espagnols et étrangers qui ont la même signification et la concurrence entre les vocables de la terminologie scientifique et ceux de l'espagnol plus général. L'orthographe des mots indigènes pose certains problèmes en raison de leur origine. Les rares mots empruntés à l'otomi, au zapotèque, au yaqui, etc., ne posent pour ainsi dire aucun problème d'orthographe car ces langues ont été étudiées au cours des dernières années et la plupart d'entre elles ont été représentées phonologiquement. Les mots d'origine maya ont déjà fait l'objet d'une étude systématique qu'Alfredo Barrera

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fallait mettre au point un système orthographique fondé sur la phonologie du nahuatl classique ainsi que sur l'influence qu'a exercée l'orthographe espagnole sur sa représentation. L'ouvrage réalisé par Ricardo Maldonado, membre de l'équipe de rédaction du Diccionario del espariol de México, oriente le choix de l'orthographe des mots nahuatl (l'ouvrage, bien que terminé, n'a pas encore été publié). Bien que nous ayons opté dans notre dictionnaire pour une orthographe plutôt que pour une autre, nous n'ignorons pas qu'il existe des variantes susceptibles de s'imposer. Nous En ce qui a trait à l'orthographe des anglicismes, il existe également beaucoup de variantes imputables à la façon dont les vocables se sont introduits dans l'espagnol. Bien que le plus grand nombre d'entre eux soient des emprunts adaptés de diverses façons à la phonologie et à l'orthographe espagnoles (par exemple: basket-ball, basquetbol, basquet-bals, basketbol; rin et rhin < angl. rim (jante); lunch, lonch et lonche, etc.), certains calques comme estanflaciôn, insumo (input), neblihumo (= smog, peu courant) leur font concurrence. Les rédacteurs du dictionnaire se sont fondés sur l'orthographe la plus courante dans l'espagnol standard et sur la connaissance de l'orthographe anglaise; toutefois, on a tenu compte des variantes et on propose l'orthographe préférable. En revanche, le dictionnaire n'inclut pas les faux amis lorsqu'ils n'ont pas encore eu pour effet de modifier les microstructures sémantiques Enfin, nous avons essayé de normaliser la terminologie scientifique en traitant d'abord des vocables les plus employés et les mieux évalués par les divers spécialistes. Toutefois, nous proposons également les variantes ou les doublets.La publication du dictionnaire présente un certain danger car les locuteurs qui s'attendent à une oeuvre prescriptive risquent d'être déconcertés et les académiciens, irrités. Il nous est tout de même permis d'espérer que la plupart des lecteurs l'accepteront pour ce qu'il est, c'est-à-dire une recherche normative, et y verront une source d'éclaircissements concernant les rapports entre la norme et l'usage dans l'espagnol du Mexique. Bibliographie

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XXIl

La norme lexicale et l'anglicisme au Québec

Par Jean Darbelnet

Avant d'examiner l'application de la norme aux anglicismes, il ne paraît pas inutile de définir d'abord leur nature.La définition la plus simple que l'on puisse donner du terme anglicisme, c'est qu'il désigne tout emprunt à l'anglais. II est ainsi parallèle à germanisme, italianisme, hispanisme, slavisme, etc. Les mots « tout emprunt » utilisés ci-dessus doivent s'entendre de n'importe quel emprunt, quel que soit l'élément de la langue de départ (en l'occurrence l'anglais) qui se trouve transporté dans la langue d'arrivée (en l'occurrence le français). Ainsi, un anglicisme peut être un mot anglais, un sens d'un mot anglais annexé à un mot français apparenté, un groupe de mots traduits littéralement, ou encore un fait de syntaxe. Il convient également de considérer que le français emprunte en outre à l'anglais des métaphores et, en pays bilingue, des détails d'ordre typographique. Sans en faire une catégorie à part, on doit aussi noter que la prononciation d'un mot étranger dans la langue d'arrivée est presque toujours modifiée. Nous ne nous arrêterons donc pas aux anglicismes phonétiques et nous nous contenterons de rappeler que les différences de prononciation ont pour effet, dans beaucoup de cas, d'empêcher une assimilation complète. Cela apparaît clairement à propos des noms propres qui sont aussi des emprunts. L'auteur de ces

Cet écart de prononciation varie avec les époques et les pays. Au fur et à mesure que la connaissance de la langue de départ est plus répandue dans le pays parlant la langue d'arrivée, il tend à se réduire. II est caractéristique que la prononciation française de Harvard soit plus proche de l'anglais à Montréal qu'à Paris. Pareillement, les Belges francophones et les Français ne prononcent pas les noms flamands ou

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Cette notion d'assimilation dont nous venons de parler est d'une importance capitale pour l'étude des emprunts. II y a presque toujours assimilation, et son degré apparaît comme l'une des caractéristiques de l'emprunt. Elle peut être de trois sortes: phonétique, orthographique et grammaticale. L'assimilation phonétique n'est, on vient de le voir, qu'excep-tionnellement complète. La langue emprunteuse tend à rejeter les sons étrangers à son système phonique, et il s'établit généralement un compromis entre ces deux modes de prononciation. B est presque impossible de prononcer parfaitement un mot ou un nom anglais au milieu d'une phrase française, et d'ailleurs cela risquerait de paraître prétentieux. L'assimilation orthographique, qui était la règle autrefois (voir boulingrin pour bowling green) est rarement pratiquée aujourd'hui. Coquetel pour cocktail est une exception et d'ailleurs semble limité au Québec. Contrairement à l'espagnol, le français d'aujourd'hui tend à laisser telle quelle la graphie des mots qu'il emprunte. Quant à l'assimilation grammaticale, elle suit la règle qui veut que tout mot emprunté soit régi par la grammaire de sa nouvelle langue. Nous traitons macaroni comme un singulier, nous ne mettons pas de majuscules aux noms

Pour des raisons d'ordre historique et psychologique, les Québécois se sont efforcés depuis la Conquête d'écarter, de proscrire les mots anglais, de leur opposer des équivalents authentiquement français qu'un linguiste a appelé « anti-anglicismes' ». En fait, il y a des mots anglais dans le parler québécois, généralement gratifiés d'une terminaison française, tels que « watcher », « clairer »_, « checker », slacker », « clip(p)eur ». Dans certains cas l'assimilation est complète au point de rendre le mot anglais mécon-naissable: mitaine, bécosse, robineux. Ces emprunts se rencontrent surtout à un certain niveau social, celui des travailleurs manuels. Mais, par ailleurs, on remarque, chez ceux qui soignent leur parlure, le recours aux anti-anglicismes: débardeur pour docker, joute pour match, roulotte pour caravane, stationnement pourparking, salle de quilles pour bowling. Certains mots anglais, laissés tels quels, sont cependant acceptés: aréna, leader, subpoena, qui est un emploi anglais d'un mot latin. Et on pense ici à la récente controverse concernant le terme STOP sur les panneaux de signa-lisation routière. II est de fait que pour nombre de Québécois, l'anglais est, selon l'expression de Raymond 1. Terme proposé par A. Lorian, professeur à l'Université hébraïque (Israël).

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alors qu'en France il y a un pluralisme de l'emprunt Disons plutôt il y avait, car aujourd'hui le français n'emprunte plus guère qu'à l'anglais. Il est significatif que l'allemand, après quatre ans d'occupation, n'a pas laissé de traces dans l'usage du français d'après-guerre. En fait, l'écart entre le français général et le franco-canadien est bien moindre du point de vue de l'emprunt_ qu'avant 1940, et les Français n'ont peut-être pas suffisamment conscience des progrès de

Cela dit, si l'on cherche à établir des principes de normalisation dans le domaine de l'emprunt, il importe de considérer ce phénomène à l'état brut, en dehors des incidences d'ordre historique et psychologique. Point n'est besoin de réfléchir longtemps pour se rendre compte que l'emprunt est inévitable - et l'a toujours été - dès (instant que deux langues, et par conséquent deux cultures, sont en contact Et c'est

Les langues qui nous sont les plus familières, langues mortes et langues vivantes du continent européen, ont toujours pratiqué (emprunt Le latin doit beaucoup au grec; le français a emprunté à (espagnol, à (italien, au provençal, à l'allemand, et même au néerlandais. L'anglais n'est venu que plus tard et s'est alors taillé la part du lion. C'est évidemment le contact qui fournit l'occasion, et le contact peut être établi soit entre des hommes par le biais des voyages, soit entre des oeuvres par le biais de la lecture, qu'il s'agisse de l'original ou d'une traduction. La motivation varie. En gros, elle peut être de deux sortes; soit la nécessité de combler une lacune, soit l'attrait que présente un objet fabriqué, une idée, une technique, en somme un élément d'une civilisation étrangère, dont on pourrait à la rigueur se passer. Ici interviennent la mode, le goût de la couleur locale et aussi, il faut bien le dire, le snobisme. L'un des meilleurs répertoires d'anglicismes

La distinction qu'ont établie Brunot et Bruneau dans leur Précis de grammaire historique de la langue française et qu'a reprise Louis Deroy dans l'Emprunt linguistique, se révèle très utile pour comprendre la genèse et le mécanisme de l'emprunt Si on emprunte un objet ou un procédé à un pays étranger, il est évidemment plus simple d'emprunter le nom avec la chose que de chercher à le traduire, d'autant plus que la langue d'arrivée ne dispose pas nécessairement du terme adéquat Cela vaut pour l'emprunt nécessaire (ou jugé tel) qui désigne un élément importable de la civilisation étrangère, mais il arrive aussi que des mots étrangers désignent des choses qui intéressent mais

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koulak, knout et même ukase. II n'y a guère que samovar, mazout, datcha et troïka (au figuré) dont l'emprunt s'est accompagné des choses que ces mots désignent. Mazout apparaît maintenant comme complètement détaché de la civilisation russe.A ces exemples d'ordre folklorique il est intéressant d'opposer un emprunt intellectuel, mis au service de la pensée et qui, par conséquent, pourrait se ranger parmi les emprunts utiles, sinon nécessaires. D s'agit du mot thalweg que les géologues ont emprunté à l'allemand. Ce terme n'évoque en rien les choses allemandes et répond seulement au désir logiquement universel de désigner dans une vallée, où qu'elle soit, sa ligne de plus grande pente. Était-il nécessaire de l'adopter? Le français aurait pu garder l'équivalent locutionnel et analytique que nous venons de donner. A défaut d'emprunt, sa morphologie ne lui permettait guère de créer, dans ce cas, un composé simple et efficace. D'autres langues ont sans doute trouvé dans leur propre fonds les éléments d'une désignation synthétique. II La notion d'emprunt est associée dans notre esprit aux langues étrangères. Mais le procédé est plus général. Au sein d'une communauté linguistique, il arrive que s'ajoutent au fonds commun des apports qui ne viennent pas du dehors mais de l'ancien fonds et du fonds dialectal. Maintenance est un vieux mot français tombé en désuétude que la langue a récupéré récemment pour désigner l'entretien et la remise en état du matériel naval ou militaire, Pareillement, au cours des années 60, la Faculté d'arpentage et de géodésie de l'Université Laval est devenue la Faculté de foresterie. On a crié à l'anglicisme. En fait, c'est forestry qui vient de foresterie et non l'inverse, tout comme le mot anglais maintenance vient du français. Ces deux termes sont, dans notre langue, des Le fonds dialectal nous a fourni, au XXe siècle, rescapé, qui est passé du dialecte du Hainaut en français général à l'occasion d'une catastrophe minière en 1906, et resquilleur, qui nous est venu du parler marseillais en 1930. En des temps plus lointains, l'Est de la France nous a fourni poussière qui a supplanté poudre. 1 n'y a aucune différence fonctionnelle entre ces emprunts et ceux que le français a faits aux langues étrangères. Tout ce qu'on peut dire, c'est que poussière est le premier mot qui vient à l'esprit quand on est en présence de la chose qu'il désigne, tandis que rescapé et resquilleur gardent une valeur pittoresque, peuvent Les emprunts constituent pour la langue d'arrivée une ressource importante. Employant une image courante dans le jargon financier, nous

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dirons qu'ils créent des liquidités langagières. Là où ils sont nécessaires, ils comblent des lacunes. La notion de lacune ne fait pas partie de la conscience linguistique du sujet parlant Bien entendu, il en va autrement s'il est écrivain ou traducteur. n s'aperçoit alors qu'il y a des choses qu'il n'arrive pas à rendre. Mais ce n'est que par la comparaison que les limites de sa langue lui apparaissent: comparaison entre ce qu'il a dans l'esprit et les mots qui s'offrent à lui pour le dire, s'il est écrivain, ou, d'une façon encore plus directe, écart entre les vocabulaires des deux langues en présence, s'il est traducteur. La vérité est que toutes les langues ont des lacunes. Sur d'autres points elles disposent d'abondantes ressources, mais leurs lacunes et leurs richesses ne sont pas réparties de la même façon, de sorte que sur tel point l'une des deux langues paraît plus riche que l'autre. Avec arbiter, arbitrator, referee et umpire, l'anglais dispose de quatre synonymes (qui d'ailleurs ne sont pas interchangeables) auxquels nous ne pouvons opposer que le seul mot arbitre. De même, nous n'avons que baptiser pour rendre baptize et christen qui ne s'emploient pas dans les mêmes situations. Qu'à cela ne tienne, nous distinguons entre plan (de ville) et carte (map), entre bûche et rondin (log), entre os et arète (bone), entre atterrir et débarquer (land), toutes distinctions que l'anglophone peut faire mentalement, mais non lexicalement Ces exemples révèlent clairement l'existence des lacunes et montrent aussi comment les langues s'en accommodent L'emprunt de nécessité apparaît dès lors comme une ressource linguistique pour

Tout au début de cet exposé, nous avons fait une brève allusion aux diverses catégories d'anglicismes et, par conséquent, d'emprunts. Toutefois, dans tout ce qui précède, il a été essentiellement question de l'emprunt de mot ou emprunt lexical. C'est celui qui est le plus visible, le plus facile à identifier, et c'est sans doute pourquoi il est, historiquement, celui dont on a le plus parlé. On peut dire que jusqu'à tout récemment la notion d'anglicisme ne dépassait guère les limites de l'emprunt lexical. Le Dictionnaire des anglicismes de Bonnaffé ne donne pour ainsi dire pas d'anglicismes sémantiques, peut-être parce que jusqu'en 1920 ils avaient été peu remarqués. Y figurent en tout cas réaliser et contrôler que le futur académicien Paul Bourget a employés au sens anglais dans Outre-Mer en 1895. Nos autres grands Aussi est-il naturel que tout essai de normalisation des anglicismes s'attaque d'abord aux anglicismes de mots, ne serait-ce que parce qu'ils

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sont les premiers en date à avoir été répertoriés et aussi qu'étant tes moins insidieux ils sont les plus faciles à analyser. Avant de les rejeter sommairement comme des corps étrangers au système (mais l'utile complément des emprunts n'a-t-il pas sa place dans le système de toute langue?), il serait sage de voir si leur apport est positif et dans quelle mesure. Nous avons déjà noté leur utilité pour combler des lacunes. Il est vrai que ce rôle ne s'applique vraiment qu'à une catégorie d'emprunts, celle des emprunts nécessaires. Mais, d'une façon générale, il y a une fonctionnalité de l'emprunt qu'il importe de dégager dans la perspective de notre propos. Et d'abord il faut considérer que l'emprunt est toujours monosémique. Il se peut que le mot emprunté soit polysémique dans la langue de départ-c'est le cas de la plupart des mots - il n'en reste pas moins qu'il est emprunté avec un seul de ses sens. Nous dirons que l'action d'emprunter est éminemment sélective dans le champ sémantique du mot emprunté. Ce mot ne passe dans la langue d'arrivée qu'avec un seul de ses sens, celui dont elle a besoin. Et si à un stade donné du développement d'une langue on constate qu'un mot emprunté a plusieurs sens, c'est la preuve certaine qu'il a été emprunté plusieurs fois et chaque fois avec un sens différent Sans doute le cas est-il rare, mais il méritait d'être signalé pour éclairer le mécanisme de l'emprunt. Pudding a été emprunté deux fois, avec une orthographe différente (poudingue et pudding) correspondant aux deux domaines d'emploi géologique et culinaire. Tobbogan est un exemple plus riche et plus probant Ce mot, qui vient de l'amérindien par l'intermédiaire du franco-canadien (tabagane), a d'abord été introduit dans le français général avec le seul sens qu'il a en anglais, celui de traîneau de sport Une fois installé en français, iI a provigné sémantiquement. Successivement, et dans un ordre difficile à déterminer, il a acquis, en plus, le sens d'un double dispositif avec marches d'un côté et plan incliné

Une autre caractéristique de l'emprunt qu'il convient de mentionner en prévision de normalisations éventuelles est son degré d'intégration dans la langue d'accueil. Nous avons dit que la prononciation du mot emprunté n'est très souvent ni celle de la langue qui donne ni celle de la langue qui reçoit, mais qu'il s'établit un compromis entre les deux. Cela est très net pour les noms propres. D existe à Paris une rue portant le nom de l'ingénieur anglais qui a mis au point la traction à vapeur sur voie ferrée. D serait prétentieux,

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n'est sûrement pas « sté-fan-son ». Le compromis tient compte du fait que l'anglais n'a pas de nasales, et l'on dit généralement « sté-fenne-sonne ». Shopping se prononce à peu de chose près en français comme en anglais, mais ce n'est pas le cas de standing, dont la première syllabe est nasalisée. Dans speaker, c'est la deuxième syllabe qui, rimant avec « bancaire », est nettement française. Cependant il peut arriver que l'écart phonétique soit imperceptible pour une oreille non exercée. Prenons comme exemples, pour leur valeur de contraste, deux mots récemment venus de l'anglais, self et design. Un Français n'a aucune difficulté à prononcer self même si un phonéticien peut reconnaître que ce n'est pas un Anglais qui parle. Cela tient à ce que la structure de ce mot est simple; toutes les lettres se prononcent et leurs sons s'articulent de la On voit que la prononciation est un obstacle majeur à l'assimilation, mais il est surmontable. Qui, à moins d'être philologue, se rend compte que désinvolture est un mot italien? Quand JA. Rousseau l'a employé, apparemment pour la première fois, en 1761, il affichait son origine (disinvoltura). Mais lorsqu'au XIXe siècle il s'est mué en désinvolture, son origine étrangère est devenue invisible. Si dans une situation inconcevable aujourd'hui (mais qui a existé au XVIe siècle) une campagne s'instaurait contre les italianismes, il est peu probable qu'on songerait à proscrire désinvolture, pas plus que villégiature ou politesse, autres italianismes indécelables. Parfois, le Dans le cas du français et de l'anglais, il n'y a même pas une lettre d'écart Le suffixe s'écrit avec un t dans les deux cas, et les noms ainsi formés font partie de ce vaste vocabulaire que les deux langues ont en commun, ce qui facilite les échanges entre elles - mais aussi, il faut bien le dire, des confusions sémantiques.Il en résulte des emprunts invisibles sous leur forme écrite. Le sujet parlant a (impression d'avoir affaire à un mot de sa propre langue. L'anglophone n'a aucune raison de deviner que information vient du français, et il en va de même du francophone, même instruit, à propos des mots de la famille de importation, qui sont venus de (anglais au cours du XVIIIe siècle. À peu près à la même époque, population, qui avait déjà Le cas de sentimental est encore plus significatif. Le traducteur du roman de Steme, A Sentimental Journey, a gardé le mot anglais dans sa traduction (en 1769) parce que, a-t-il expliqué dans sa préface, il ne savait2. Demarcacidn et embarcaciôn (N.d.Lr.).

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comment le rendre. II pensait d'ailleurs que ce mot, jugé intraduisible, méritait de passer dans notre langue. L'adoption a été d'autant plus facile que sentimental peut se syllaber, donc s'articuler, exactement comme un mot français. Orthographiquement et phonétiquement, il était déjà directement assimilable. Et cela montre l'importance de la parenté dans le Lorsque des langues sont parentes, la morphologie de leur vocabulaire reflète cette parenté. C'est le cas des langues européennes, à l'intérieur des trois grands groupes qu'elles constituent: groupe latin, groupe germanique, groupe slave. Or, il se trouve que l'anglais, langue germanique par sa structure grammaticale, est aussi une langue romane par son vocabulaire, qui contient plus de mots romans que de mots indigènes. D'autre part, l'emprunt peut être diffus et non limité à deux langues. L'anglais et le français ont emprunté à l'espagnol flotilla et junta, à l'italien chiaroscuro et lava. La seule différence est que l'anglais a gardé ces quatre emprunts tels quels, tandis que le français les a assimilés. Il y a aussi les mots voyageurs qui vont et la perspective élargie où nous cherchons à situer le phénomène de l'emprunt, il ne faut pas laisser de côté l'internationalisation du vocabulaire que l'on trouve à au moins deux niveaux. D'abord, pour le commun des mortels, au niveau touristique: hôtel, restaurant, taxi, toilettes se retrouvent, avec parfois de légers changements orthographiques, jusque dans les pays scandinaves. Information est en concurrence dans notre usage avec le terme renseignements. Les renseignements sont d'ordre pratique et souvent d'une utilité immédiate: heures de train ou d'avion, noms et adresses d'hôtels, utilisation des cartes de crédit, etc. Par contre, les informations peuvent être uniquement d'ordre culturel: situation de la ville, son climat, son importance régionale, ses ressources économiques. Or, il est visible qu'à l'heure actuelle, information(s) semble prendre le pas sur renseignements. Et cela se comprend. Dans une gare française d'importance internationale, sur la pancarte au-dessus du guichet ad hoc, on trouvera souvent INFORMATION plutôt que RENSEIGNEMENTS, simplement parce que le premier sera compris par une plus grande diversité de nationalités que le second. À un niveau supérieur, le vocabulaire scientifique s'est largement internationa-pre-Dans

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a éliminé bank-note, broker, fashionable, high-life, skating, waterproof. La profession de broker existe toujours, mais les choses que désignaient les cinq autres emprunts ne font plus partie de la phase actuelle de notre civilisation. L'imperméable d'aujourd'hui a la même utilité que le waterproof; il est néanmoins d'un style très différent

De toute façon, ces mots n'étaient pas vraiment assimilés. Cela ne veut pas dire que l'assimilation soit une garantie absolue de pérennité; toutefois, elle contribue à enraciner le mot emprunté. Boulingrin et redingote ne sont plus des mots très fréquents, encore que le second bénéficie des caprices de la mode féminine. Ils ne continuent pas moins à figurer au Petit Larousse. Notons en passant que la survie des emprunts dans ce dictionnaire est, dans une certaine mesure, un test, car il doit chaque année faire de la place pour les néologismes.

Il convient de s'arrêter à cette notion d'enracinement qui, par définition, se fait graduellement et non d'un seul coup. Dans certains cas, l'enracinement comporte deux étapes distinctes, celle de l'apparition et celle de l'adoption, parfois séparées par une longue période. Cela s'est produit, on l'a vu, pour population. Le cas de football, exceptionnel il est vrai, est plus frappant Apparu en 1698, il ne s'est vraiment installé dans l'usage qu'en 1900, c'està-dire quand le sport qu'il désigne est entré dans les moeurs. 11 a même alors donné naissance au dérivé footballeur.

Bien qu'il n'y ait rien d'absolu dans ce domaine, on peut dire que tout changement morphologique opéré par la langue d'arrivée est facteur de consolidation, sinon d'enracinement Dans le cas des anglicismes, il y a une forme d'adaptation qui leur est particulière et qui ne semble pas s'appliquer aux emprunts venus des autres langues. C'est l'amputation du second élément quand le mot anglais est un composé. Cette tendance est relativement récente. Vers 1880 skating rink s'est abrégé en skating. Au début du siècle cargo boat et cargo ship sont devenus des cargos, sans préjudice de la confusion de sens avec le mot anglais cargo, qui signifie cargaison et non navire marchand. Depuis, les exemples se multiplient En voici quelquesuns. Le deuxième élément, que le français supprime, est donné entre parenthèses: basket (ball), cocktail *(partiy), flash (light), palace (hotel), parking (lot), rock (and roll), snack (bar), script (girl). Ce dernier terme a fait un pas de plus dans la voie de l'assimilation, il s'écrit maintenant scripte.

Plus important que ces phénomènes, somme toute marginaux, est le provignement, c'est-à-dire la formation de dérivés à partir du mot étranger. On note avec intérêt qu'ayant emprunté rail à l'anglais, nous lui avons peu après donné deux dérivés, dérailler et déraillement, qui ont traversé la Manche, et aussi l'Atlantique, dans l'autre sens pour devenir to be derailed et derailment. En 1921, un écrivain tchèque, Karel Tchapek, a écrit une pièce intitulée Les Robots. Le mot robot est passé en français vers 1935 et s'y est maintenu sans difficulté, étant donné son actualité. Depuis la fin des années 60 son emprise sur le français s'est élargie par la formation de

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deux dérivés robotiser et robotisation, auxquels est venu s'ajouter récemment l'adjectif robotique.

Les dérivés français de mots anglais peuvent avoir grâce au suffixe isme (que l'anglais pratique moins) une valeur conceptuelle que les mots anglais n'ont pas. C'est le cas de scoutisme, en face de scouting, de snobisme en face de snobbery, mais tourisme est passé en anglais sous la forme tourism.

En marge des emprunts lexicaux, on peut considérer qu'il existe une catégorie d'emprunts morphologiques, la langue donnant dans ce cas à un mot indigène une forme empruntée à un idiome étranger, qui dans le cas du français est généralement l'anglais. Ce genre de phénomène est individuel plutôt que collectif et échappe de ce fait au type de normalisation considéré ici. Ainsi le francophone qui est souvent en contact avec l'anglais écrit se laisse aller à écrire coercion, qui est anglais, au lieu de coercition, ou encore « dégénération » pour dégénérescence, « arbitration » pour arbitrage, « figuratif » pour figuré. Mais voici que depuis quelque temps les dictionnaires français donnent « déodorant » à côté de désodorisant. C'est sans doute pour une raison analogue (la proximité de l'anglais) que détergent a supplanté détersif, que le Les emprunts lexicaux sont essentiellement des formes venues d'une autre langue et ne véhiculant qu'un sens à la fois. Ils présentent un intérêt sémantique puisqu'ils ajoutent chaque fois une unité au stock de signifiés de la langue, stock difficile à dénombrer mais dont l'existence ne fait pas de doute. C'est le cas de importation, de sentimental et de population. A cet égard on peut se demander ce qu'on disait, avant le milieu du XVIIIe siècle, pour parler de ce qui n'a commencé qu'alors à s'appeler population. Tout emprunt apportant quelque chose de nouveau est en fait un néologisme. fi arrive aussi, et c'est ce que nous voudrions maintenant souligner, que l'emprunt permette une utile différenciation sémantique par rapport au terme avec lequel il semble, à première vue, devoir faire double emploi. Ainsi STOP, qui, soit dit en passant, est devenu un mot international, n'est pas l'arrêt de l'autobus qui permet aux voyageurs de monter ou de descendre, mais un arrêt obligatoire pour raison de sécurité. Un ticket n'est pas un billet, ce que Romain

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Un lunch n'est pas n'importe quel déjeuner, mais le repas servi au milieu de la journée à l'occasion d'un mariage. Le label n'est pas n'importe quelle étiquette, mais celle qui atteste la qualité d'un produit. Les géologues français ont trouvé commode d'emprunter le mot anglais subsidence et lui ont donné le sens particulier d'affaissement lent Et on sait qu'une Parfois il y a même entre les deux langues échange de bons procédés. Meeting a en français un sens plus spécialisé qu'en anglais; il ne s'applique qu'au domaine politique et suppose un important rassemblement Inversement, reunion en anglais (et par conséquent sans accent) n'est pas n'importe quel meeting, mais une occasion de retrouvailles pour les anciens élèves d'une université ou les membres dispersés d'une nombreuse famille qui se retrouvent après une longue absence. Qui ne voit qu'il y aurait lacune si, respectivement, nous Au cours des pages qui précèdent, nous avons essayé de montrer l'emprunt lexical sous ses différents aspects. II nous est en effet apparu qu'une normalisation des emprunts ne pouvait se faire qu'en tenant compte de leur nature et de leur fonction.Tout d'abord il fallait souligner l'universalité du phénomène dans le temps et dans l'espace. En second lieu, dire qu'il est susceptible d'une assimilation partielle ou totale qui, à la limite, le rend pratiquement indécelable. L'identification de l'emprunt dans le cas du profane dépend de sa conscience linguistique. On peut se demander, si l'adaptation phonétique et ortho-graphique aidant, combien de Québécois sentent « U était également important de montrer que l'emprunt se justifie souvent par son utilité. D'abord, et du point de vue sémantique, il constitue une nouvelle unité de vocabulaire. U permet parfois de marquer une nuance non négligeable par rapport au mot indigène avec lequel il semble à première vue devoir faire double emploi. En somme, il peut être enrichissant Dans le domaine technique, et dans la mesure où il s'ajoute au vocabulaire international, ü permet aux Il a aussi une valeur fonctionnelle. Presque toujours il reste monosémique. Certes, la plupart des rôts d'une langue sont polysémiques. 1 n'empêche que l'usager, consciemment ou non, aspire à la monosémie parce qu'il la trouve commode. un mot par sens, un sens par mot Cet idéal est rarement réalisé; il l'est cependant En outre, tant qu'il reste visible, identifiable en tant qu'emprunt, il se détache sur le fond de l'énoncé, il offre l'avantage d'être un signifiant marquant U lui arrive aussi de donner un détail qui exigerait un mot de plus dans la langue d'arrivée. En 1918 on parlait de

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en 1940 de la RAF. Dans ce dernier cas on n'avait pas besoin de dire qu'elle était anglaise. u est facile de soutenir que droit coutumier est plus français que « la common law » et constitue un équivalent acceptable même si les deux réalités ainsi rapprochées ne sont pas identiques. Ne le sont pas non plus les pouvoirs du chef de l'État, portant cependant le,même titre de président, en France et aux États-Unis. Et sans doute les marines sont des troupes de marine, de l'infanterie de marine. Il n'en reste pas moins que le juriste ou le journaliste préfèrent respectivement la common law et les marines, expressions qui révèlent immédiatement leur origine, leur spécificité et préviennent toute ambiguité.

On remarquera que, de propos délibéré, le sujet des emprunts lexicaux a été traité dans un contexte général, disons même international, en dehors de la situation linguistique du Québec au cours des deux derniers siècles. Nous reviendrons sur cette situation lorsque le moment sera venu de dégager des principes de normalisation.

Nous en venons maintenant aux anglicismes sémantiques. Nous sommes dès lors dans un domaine où la question de l'emprunt se présente sous un tout autre jour que pour l'emprunt lexical. La nature humaine est ainsi faite qu'elle se laisse influencer beaucoup plus par ce qui est visible que par ce qui est caché. En matière de langue, les signifiants - c'est-à-dire les mots et locutions nécessairement porteurs de sens - sont plus faciles à analyser que les signifiés ainsi véhiculés. Il est plus facile de cataloguer les mots que leurs sens, et d'ailleurs l'on constate que l'aire sémantique d'un mot n'est pas analysée de la même façon dans différents dictionnaires. Et ce qui est vrai du sens l'est aussi de leurs constructions. Des mots étant authentiquement français, est-on en mesure de dire d'emblée que ce qui est anglais n'est pas dans les mots pris séparément, mais dans la façon dont ils sont ordonnés et qui est un calque de l'anglais?

Une bonne et simple définition de l'anglicisme sémantique a été donnée dès 1879 par Jules-Paul Tardivel. A cette époque, les pays francophones autres que le Québec, ou ne s'intéressaient pas à l'anglicisation du français, ou ne la voyaient que sous son aspect lexical. II est vrai qu'au Québec l'anglicisme sémantique sévissait déjà et c'est le mérite de Tardivel d'avoir saisi si tôt son actualité. Dans une causerie prononcée au Cercle catholique de Québec en décembre 1879 il avait dit: « Voici comment je définis le véritable anglicisme; une signification anglaise donnée à un mot français. » On ne saurait parler de façon plus limpide. En outre les exemples, empruntés à la langue des députés à l'Assemblée législative, sont très pertinents et certains restent actuels. On ne peut s'empêcher de se demander comment Tardivel, arrivé des États-Unis au collège de Saint-Hyacinthe à l'âge de dixsept ans (en 1868) sans savoir un mot de français, avait pu en l'espace de onze

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ans parvenir à manier le français, sa seconde langue, avec exactitude et élégance, et en même temps posséder les distinctions de sens qui existent entre les mots français et les mots anglais de même origine, ces faux amis du traducteur.

L'expression faux ami a fait fortune en France parmi les spécialistes d'anglais. On voit pourquoi. Les faux amis constituent en effet un écueil majeur pour l'intercompréhension des deux langues. Cela tient à ce vaste vocabulaire roman qui dérive du latin, soit directement, soit par l'intermé-diaire du français, et que les deux langues ont en commun. Les mots qui le composent ont la même origine, souvent la même orthographe, ou presque, mais ayant évolué dans deux cultures différentes, ils n'ont pas nécessairement le même sens, ou ils ne l'ont qu'en partie.

Cela nous permet de faire un premier classement parmi les faux amis: ceux dont les aires sémantiques sont complètement distinctes et ceux dont elles chevauchent Le second cas est le plus fréquent et la tâche du sémanticien comparatiste s'en trouve alourdie d'autant.

Comme exemples du premier cas, nous donnerons versatile et éven-tuel/eventual. Versatile s'écrit de la même façon dans les deux langues, mais les deux signifiés n'ont aucun point commun. En français ce mot désigne l'inconstance du caractère, alors qu'en anglais il est toujours pris en bonne part et se dit d'une personne douée pour plusieurs choses. En principe, il ne devrait y avoir aucune confusion, mais il arrive que des sujets parlants, à cheval sur les deux langues, donnent au mot anglais le sens du mot français ou vice versa.

Le cas d'éventuel, de son paronyme anglais et des adverbes qui en dérivent, est plus délicat parce que, de part et d'autre, il est question de périodes de temps dont l'une est postérieure à l'autre. Eventual et eventually se rapportent à ce qui est postérieur, aussi bien dans le passé que dans l'avenir. Éventuel et éventuellement regardent uniquement vers l'avenir et, de plus, sont contingents aussi bien que temporels. Son départ éventuel signifie: son départ aura lieu dans l'avenir, s'il se produit, ce qui n'est pas sûr. Avec eventual/eventually le verbe peut être au passé et au futur: Eventually he moved (will move) to Paris signifie que par la suite, il s'est fixé ou se fixera à Paris. Cette distinction se révèle difficile à saisir pour l'usager moyen, surtout en pays bilingue où les interférences sont particulièrement fréquentes. Il en résulte que souvent l' usager se récuse, préfère ne pas employer un mot dont il n'est pas sûr. Un cas semblable se présente avec l'expression Vitesse vérifiée par radar. Vérifiée n'est pas fautif, mais le mot qu'on attend est contrôlée. Seulement l'auteur de cet avis aux automobilistes n'est pas sûr du sens exact de contrôler. Redoutant de commettre un anglicisme, il l'évite. Quand le signifié prête à confusion, on délaisse le signifiant En français la distinction entre rien de moins que et rien moins que n'est plus sentie par l'usager moyen. Le Dictionnaire des difficultés de la langue française conseille d'éviter ces deux locutions purement et simplement.

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Ici nous touchons à un point important de notre propos, point qui a déjà été évoqué dans les pages qui précèdent, à savoir l'incidence des emprunts sur l'intégrité du français; l'emprunt le prive-t-il d'une de ses ressources? 1 se trouve que l'adjectif éventuel (ainsi que son adverbe éventuellement) est remarquable par son efficacité. Il dit beaucoup en peu d'espace. Une phrase aussi simple que Votre candidature éventuelle devra me parvenir avant le I er mars signifie que si vous décidez de vous présenter vous devrez m'en faire part avant le 1er mars. Éventuel suffit à marquer la contingence de la situation, rôle Un autre aspect du problème des faux amis est d'ordre diachronique. La langue évoluant constamment, il arrive que les rapports entre l'anglais et le français varient d'une décennie à l'autre. Un exemple clair et simple de ce phénomène est celui de viscéral. ll y a une quinzaine ou urie vingtaine d'années, le sémanticien comparatiste eût noté comme différence essentielle que cet adjectif n'avait en français que le sens propre (« qui a rapport aux viscères », disait le Petit Larousse), alors que maintenant et certainement depuis les événements de mai 68, il a aussi, comme son paronyme anglais, un sens figuré: une peur viscérale. 1 est difficile de dire si cet ajout sémantique s'est fait seul Des exemples de ce genre montrent que la situation de l'emprunt sémantique est plus fluide que celle de l'emprunt lexical, qui a l'avantage d'être nettement tranché, justement parce que, au début tout au moins, il fait tache,il reste à la surface de la langue, au lieu de disparaître dans son tissu. n est localisable et datable. Il a son propre développement, morphologiquement et sémantiquement, complètement séparé de son origine étrangère. Il est relativement aisé de remonter à son insertion dans sa langue d'adoption et même au-delà. Il l'est beaucoup moins de dessiner le profil d'un emprunt de sens. Disons que la substance d'un signifiant est plus concrète que celle d'un signifié, et cela vaut pour la Tandis que se poursuit cette réflexion sur l'emprunt linguistique en fonction de la normalisation, il importe de ne pas perdre de vue qu'il existe sur ce point deux attitudes possibles et opposées. L'une accepte les changements, quels qu'ils soient, dans un parti pris de complète objectivité. L'autre, qui suppose une conception entièrement différente de la langue, considère que puisque, indéniablement, celle-ci est un fait humain, l'homme peut agir sur son parier. La question est de savoir s'il le peut délibérément Le

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qui la parlent. Inconsciemment, chaque génération ne parle pas exactement comme celle qui l'a précédée. Mais il n'est pas exclu que les hommes ne puissent pas faire consciemment ce qu'ils font depuis si longtemps inconsciemment. On n'a pas d'exemple cependant d'une nouvelle orientation voulue et réalisée par la collectivité à une époque donnée. Tout au plus peut-on parler de poussées affectives qui impriment à la langue une autre direction. Ainsi le statut des mots crus n'est pas le même aujourd'hui qu'en 1880 (v. Cellard et Rey, 1980). On pense aussi à l'administration qui, grâce à ses moyens de diffusion, peut assurer, dans un domaine donné, la prédominance d'un mot sur un autre. Mais justement on pourra objecter non sans raison qu'il s'agit de faits isolés: les mots sont des unités discrètes. Contentons-nous, pour rester dans les limites de notre domaine, qui justement est celui des mots, de rappeler qu'il y a souvent un homme derrière un néologisme, mais souvent aussi il reste anonyme. Cependant nous En 1916 furent expérimentés, sur le front ouest, les premiers tanks. Le mot était anglais comme la chose qu'il désignait et il aurait pu rester le terme officiel du vocabulaire militaire français sans la volonté d'un homme, le général Estienne, grand maître de l'artillerie d'assaut. Le général Estienne décréta que le tank serait appelé, d'un mot qu'il avait lui-même créé, char d'assaut ou char de combat. Au mess auquel il lui arrivait de prendre ses repas, il entreprit une lutte farouche pour assurer le triomphe de sa création, allant jusqu'à infliger des amendes à ceux qui se laissaient aller à employer des mots anglais et surtout C'est un fait qu'entre les deux guerres, les règlements de l'armée française n'ont connu que le mot char pour désigner le tank, et le concept antichar (fossé anti-char) en dérive. C'est un bon exemple d'un mot qui a triomphé par la volonté tenace d'un homme, lequel, il est vrai, était bien placé pour obtenir ce En rapportant ce fait, dont l'aspect anecdotique ne diminue pas l'importance, nous avons voulu souligner deux choses: l'importance du facteur individuel lorsque les circonstances sont favorables, et aussi une certaine conception du langage qui défend deux valeurs: les droits de la pensée et le respect de la langue. On remarquera que ces deux choses ne sont pas toujours en symbiose. Il y a des cas où les exigences de la pensée peuvent porter atteinte à l'intégrité de la Nous n'en sommes pas encore là. Un premier reproche que l'on peut faire à l'emprunt sémantique, auquel nous revenons après une légère di-

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gression concernant un emprunt lexical, c'est qu'il engendre souvent une certaine confusion et nuit alors à la précision du langage.Ainsi le Grand Larousse de la langue française accepte réaliser au sens de se rendre compte, nonobstant l'opposition des puristes (le mot puriste figure dans l'article). C'est un fait que depuis le début du siècle et l'époque où Proust faisait dire à Odette de Crécy « Je n'ai pas réalisé », cette annexion de sens s'est largement répandue dans l'usage contemporain. A n'en reste pas moins qu'on rencontre des contextes dans lesquels on ne sait plus s'il faut prendre réaliser au sens anglais ou au sens français, et la clarté du discours en pâtit. On cite un communiqué officiel français pendant laguerre de 1914, annonçant une offensive allemande et ajoutant que l'État-Major avait « réalisé » les intentions de l'ennemi et pris les mesures qui s'imposaient Sans doute était-ce là un cas exceptionnel, mais on peut critiquer de la même façon l'emploi actuel de contrôler. Ce verbe, on le sait, pgut s'employer tantôt avec son sens français traditionnel, tantôt avec le sens anglais. Cependant incontrôlable n'a - pour le moment - que le sens français de non vérifiable. L'ambiguïté actuelle, qui résulte de ce que le sens français et le sens anglais cohabitent à l'intérieur du même mot, apparaît dans des énoncés tels que « le contrôle des retombées atomiques » qui a figuré dans le titre d'un article du Monde. Fallait-il comprendre: observation et mesure du phénomène ou mesures prises pour y remédier (sens anglais que l'on retrouve dans flood control)? La première hypothèse était sans doute la plus vraisemblable; n'empêche que le lecteur On peut donc considérer que parmi les anglicismes sémantiques il y en a toute une catégorie qui se caractérise par la gravité de la distorsion que subit le sens des mots ainsi affectés, et par la confusion de pensée qui en résulte, et qui va au-delà de l'impropriété. Contrôle pourrait servir d'exemple type si son aire sémantique ne coïncidait pas avec celle de control sur quelques points (cf. plus haut). Nous donnerons à titre d'exemples caractérisés quatre consistant (pâte consistante), au sens de conséquent avec soi-même; diète (jeûne médical) au sens de régime alimentaire;

disposer de (avoir à sa disposition) au sens de se débarrasser de ...

;général et qui est celui d'admettre au sens d'avouer. Nous risquons désormais

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de confondre la notion de tolérance avec celle d'aveu, et cela malgré le fait que nous avons déjà trois verbes au service de l'idée d'aveu: avouer, confesser, reconnaître. C'est donc le type de l'anglicisme non seulement inutile mais nuisible.Voici maintenant des anglicismes d'un faible effet sur la clarté du discours (ils laissent passer le message) mais qui portent atteinte à l'intégrité de la langue parce qu'ils en modifient l'économie, et ces modifications lui sont imposées du dehors plutôt qu'elles ne sont le résultat de son impulsion interne. Et pour en juger, il faut se rappeler qu'il y a une grande part d'arbitraire dans la façon dont une langue évolue. La propriété des termes, qui est en cause ici, est déterminée par des choix arbitraires que l'usage nous impose sans que nécessairement la logique y trouve son compte. 1 n'y a C'est un fait que l'anglais dit lecture des épreuves alors que nous disons correction, qui est sans doute plus logique puisqu'on peut lire sans corriger. La faute qui consiste à dire lecture pour correction sous l'influence de l'anglais est bien légère, elle n'en est pas moins une atteinte à nos habitudes, et l'usage est fait d' habitudes. C'est une bonne règle de respecter ce que le français a dit spontanément et de respecter la valeur des mots, même lorsqu'ils sont proches par le sens. Depuis quelque temps, concerné fait concurrence à inté-ressé au sens administratif: adressez-vous au service intéressé. Mais ces deux mots ne sont pas interchangeables et il faut garder concerné pour les cas où il ne s'agit pas d'une simple démarche mais d'une

II y a au Canada une anglicisation subtile qui fait que l'anglais à distance détermine la fréquence de mots français et ainsi change leur valeur. Sous l'influence de to eliminate, éliminer devient plus fréquent que supprimer, or ces deux verbes ne sont pas interchangeables, car le premier suppose un processus d'élimination que le second n'implique pas. Dans les sciences sociales, acquises aux méthodes américaines et par conséquent à leur vocabulaire, répartition fait de plus en plus place à distribution. Nous risquons de perdre répartition et en même temps la distinction que ce mot permet par rapport à distribution. Traditionnellement, la On remarque que quand un mot français s'aligne sur un mot anglais pour des raisons de parenté, il adopte sa syntagmatique, ce qui peut avoir pour conséquence d'écarter de l'usage les mots qui jusque-là figuraient dans ce secteur. Si nous disons référer chaque fois que l'anglais dit to refer, nous finirons par oublier faire allusion à, se rapporter à, renvoyer à. Il en va de même

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publier (un communiqué), délivrer (une pièce d'identité). Parce que oriental en anglais ne s'applique qu'à l'Extrême-Orient, son paronyme français oriental a à peu près perdu la faculté de désigner la partie est d'une région dans un pays occidental. On peut se demander si les Québécois sont peu familiarisés avec assesseur à cause de la proximité du mot anglais assessor qui relève d'un autre domaine d'emploi. Et sans doute contentious a-t-il retardé l'émergence de contentieux pour désigner ce qui s'appelait naguère le « Le moment est venu de considérer les calques. Ce sont dés emprunts de structure, syntagmatique le plus souvent et quelquefois syntaxique. lis sont généralement nés de traductions mal faites. Il risque d'y avoir calque chaque fois que le traducteur, professionnel ou simple amateur, a traduit mot à mot, sans tenir compte des affinités qui groupent les mots dans le discours. Le calque peut être très léger et ne pas gêner la compréhension. Le francophone avisé rétablira facilement l'alliance de mots correcte: trottoir roulant au lieu de « trottoir mobile », agence de presse au lieu « d'agence de nouvelles ». Il est déjà plus grave de dire « je suis sous l'impression de. . . » alors qu'avoir l'impression suffit Ce l'est plus de traduire littéralement « to pave the way » par « paver la voie » sans soupçonner que l'expression idiomatique est préparer le terrain. Les calques syntaxiques sont plus rares. C'en En un sens on peut estimer que « rue Principale » représente une plus sérieuse emprise de l'anglais sur le français que le STOP des panneaux de signalisation. L'auteur de ces lignes n'a trouvé cette appellation de rue dans aucun pays de l'Europe francophone, ni en France, ni en Belgique, ni en Suisse, où l'expression consacrée est Grand'Rue ou Grande Rue. Il semble bien qu'au Canada francophone « rue Principale » vienne

Il convient également de s'arrêter un instant à la catégorie des images, qui est à part Chaque langue a ses images et les images s'empruntent Nous disons encore « Je m'en lave les mains ». De plus, à l'intérieur d'une même communauté linguistique, par exemple la francophonie, on peut s'attendre que les images varient avec les pays de cette communauté et ne soient pas comprises partout Ce qui au Québec est mettre la pédale douce se dit en France y mettre une sourdine. Ces deux images ont le même sens (il faut y aller doucement), ont la même origine, la musique, mais l'une évoque les instruments à cordes et l'autre les instruments à vent De toute façon elles sont compréhensibles dans les deux pays. Par contre parler à

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Il reste une catégorie d'anglicismes assez délicate à définir et qui est celle des anglicismes de pensée. fi arrive en effet que l'anglicisation soit dans la pensée plutôt que dans les mots. Nous en donnerons deux Les Québécois ont longtemps appelé « set de chambre » le mobilier d'une chambre à coucher. Pris de scrupule, ils ont, certains d'entre eux, remplacé « set » pas « ensemble ». L'expression paraît dès lors entièrement française. Ce n'est qu'une apparence, les mots sont français mais non la pensée. La langue française laissée à elle-même particularise beaucoup moins que l'anglais. Ayant un vocabulaire plus restreint, elle a une polysémie plus développée. Il y a en anglais quatre mots pour traduire billard, suivant qu'il s'agit du jeu, de la partie qu'on joue, du meuble ou Le second exemple tourne autour de la dichotomie générique/spécifique. Le français n'a pas gardé officier au sens civil, à part quelques exceptions. La réunion du président, du vice-président, du secrétaire et du trésorier s'appelle le bureau dans le cas des associations. Mais certains organismes n'ont pas de bureau tout en ayant ces quatre titres. En pareil cas le français les nomme séparément et les sujets parlants ne semblent pas gênés du fait que leur langue ne leur offre pas un générique du type « office-holders », que les francophones du Canada rendent par « officiers ». Ce faisant, ceux-ci suivent un schème de pensée qui est

ConclusionDans quelle mesure peut-on exercer une activité

normative dans le secteur des anglicismes? L'une des raisons qui expliquent l'exposé détaillé que l'on vient de lire est que le problème varie avec chaque catégoried'anglicismes envisagée. Les obstacles à la normalisation augmentent quand on passe des signifiants aux signifiés. La catégorie qui fait le moins difficulté est celle des anglicismes morphologiques. On peut d'un trait de plume écarter « estimé », « contracteur » et même « déodorant ». Ensuite viennent les anglicismes lexicaux. Le champ est vaste mais il a été répertorié à plusieurs reprises et tout dernièrement dans le Dictionnaire des anglicismes de Mmes Rey-Debove et Gilberte Gagnon. En outre il est relativement facile de se tracer une ligne de conduite. Les anglicismes lexicaux les plus anciens sont maintenant assimilés et on ne saurait les remettre en question. Quant aux plus récents, on peut se demander s'ils sont utiles, s'ils comblent une lacune. Il est évident que nous n'avons pas besoin des « charters » et des « travellers

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Pour ce qui est des anglicismes sémantiques et des calques, la difficulté n'est pas tant de les corriger que de les déceler. Pour la plupart des Québécois, ils sont invisibles, et il faut bien posséder la sémantique des mots anglais d'origine romane pour les dépister. Rien, à première vue, n'indique que le fait de placer le magistrat au-dessous du juge dans la hiérarchie judiciaire reflète une confusion sémantique entre magistrat et son paronyme anglais, de moindre prestige, ou encore que « grève de sympathie » est un calque, comme l'est aussi Quant aux anglicismes de pensée, ils représentent la forme la plus subtile de la contamination du français par l'anglais. C'est dire qu'il faut avoir une connaissance approfondie des deux langues pour les reconnaître. Comme nous l'avons déjà signalé à propos de « set de chambre » c'est au niveau de la pensée, plutôt qu'à celui des mots, que s'est pris le pli de choisir et de combiner certains mots selon des schèmes anglais qui ne tiennent compte ni du provignement sémantique, ni de l'importance de l'implicite dans l'usage du français. Ces deux caractéristiques expliquent que billard ait quatre sens, chacun servi par un mot anglais distinct, et que, dans un usage non influencé par l'anglais, ce « coffret de Il semble que la normalisation ne puisse guère incomber qu'à deux institutions: l'administration (c'est-à-dire l'État) et l'école (qui représente indirectement l'État). Un organisme comme l'Office de la langue française peut facilement établir une liste de termes à Mais c'est plutôt au cours de sa scolarisation que la génération montante pourrait apprendre, plus systématiquement que ce n'est le cas, à reconnaître les anglicismes de sens et de calque, qui sont les plus insidieux et menacent le plus l'intégrité de la langue. Notons en passant que les analyses de sens nécessaires à ce décrassage sémantique sont en même temps excellentes pour la formation de l'esprit Cependant nous voyons que M. Fishman est sceptique quant au rôle de l'école comme agent de normalisation, et son scepticisme s'appuie sur des exemples précis (l'Indonésie, Israël, l'Irlande). A cela l'auteur de ces lignes est tenté d'objecter que dans son cas l'école a déterminé des normes de son français langue' maternelle dont il ne C'est comme on le voit une question qui se discute, et il n'est peut-être pas inutile d'invoquer ici l'opinion de M. Michel Plourde, président du Conseil de la langue française à Québec, qui, à Sassenage en septembre 1981, a déploré l'absence de conscience linguistique chez les jeunes et regretté que le monde de l'enseignement ait été beaucoup moins touché que celui

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A cela on peut ajouter que les tendances qui prévalent actuellement dans l'enseignement ne favorisent guère l'application d'une norme. La possession d'une langue est affaire de rigueur beaucoup plus que de créativité. Une activité normalisatrice ne peut s'inscrire que dans une étude méthodique des ressources de la langue et de leur aménagement en fonction des besoins de la pensée, besoins qui restent le critère essentiel de cette activité. Et à un niveau plus général, il ne faut pas perdre de vue que toute normalisation reflète nécessairement, qu'on le veuille ou non, une certaine conception de la langue, donc un acte Bibliographi

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XXIII

La norme lexicale et le classement des canadianismes

Par Jean-Yves Dugas

Même si, de prime abord, la question des canadianismes -terme discutable sur lequel nous reviendrons plus loin - peut apparaître un sujet de réflexion rebattu à propos duquel il est difficile d'apporter des éléments nouveaux, à l'analyse, pour peu que l'on prospecte le domaine, on se rend compte qu'il n'en est rien. En effet, le mot lui-même n'a pas un siècle et la philosophie qu'il sous-tend est encore plus récente. De plus, les discussions, qui ont été soulevées depuis le début du siècle à propos de la spécificité linguistique du Québec, ont eu cours entre des groupes relativement restreints et peu nombreux, de sorte que le débat a été circonscrit à quelques « écoles », d'où la récurrence des arguments et des positions.Même si le sujet des canadianismes a fait l'objet des préoccupations sporadiques d'un nombre respectable de Québécois depuis 1888, une véritable remise en question ne date que de quinze ou vingt ans tout au plus.

Qui plus est, le canadianisme a souvent été envisagé en soi, de façon interne, sans que l'on se préoccupe suffisamment du milieu sociolinguistique dans lequel il baigne. Cette vision introvertie n'a pas suffisamment fait ressortir ni tenu compte du phénomène de la norme qui joue un rôle important dans le faciès linguistique de toute société qui possède un minimum d'organisation institutionnelle.Ainsi, le présent texte vise à jeter un éclairage, à tout le moins renou-velé, sur les rapports obligatoires que doivent entretenir un idéal linguistique social et le véhicule d'une spécificité culturelle, soit le bon usage et l'usage.A l'heure où la société québécoise vit une intense remise en question de son authenticité, une telle réflexion trouve, selon nous, si tant est qu'il faille en justifier la nécessité, toute sa raison d'être.Langue québécoise et implications politiques

La place qu'occupe le Québec dans la francophonie internationale s'est singulièrement modifiée au cours des vingt dernières années tant du strict point de vue de la langue que de celui, plus vaste mais non moins

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important, de la politique, ces deux domaines constituant un ensemble quasi indissociable. Les liens que le Québec entretient avec la France plus particulièrement ont permis, et cela parfois au détriment des relations francocanadiennes - qu'on se rappelle, entre autres, le mot fameux, malheureux pour d'aucuns, du général de Gaulle à Montréal en 1967 - la reconnaissance, à l'échelle mondiale, du particularisme Depuis 1965, les divers gouvernements qui se sont succédé au Québec ont été souvent confrontés, à différents degrés, à la question linguistique, véhicule privilégié de l'identité d'un peuple. Ce n'est pas le fruit du hasard si le législateur, en 1977, reconnaissait au français le statut de langue officielle du Québec, lors de la sanction de la Charte de la langue française. Se posait alors, en filigrane, la question de la norme: qu'entendre Langue québécoise et langue française

Si les contacts qui existent entre Paris et Québec revêtent une dimension politique certaine, ils ne cessent de poser le sempiternel problème de la norme québécoise en matière de langue. Le Québec devrait-il ajuster son diapason linguistique à la tonalité du « français international », du « français de l'Hexagone »' ou, au contraire, s'en démarquer entièrement pour véhiculer les particularités d'une québécité souvent exacerbée? S'il fut une époque, peu lointaine, où s'exprimer correctement signifiait recourir à la langue dite du Parisien cultivé, de laquelle forcément devait être exclu tout fait de langage spécifique au Québec, cette période est désormais fort heureusement révolue. En effet, tout en tenant compte du phénomène des Parallèlement à la montée du sentiment nationaliste chez nous s'est installée la reconnaissance d'une langue de qualité dont la coloration régionaliste - sans aucune connotation péjorative - se révèle m'arquée au coin d'un désir d'authenticité encore inégalé. Si cette attitude ne peut en aucun cas signifier un rejet systématique d'une langue française dite internationale au profit d'un cantonnement pur et simple dans un régionalisme linguistique chauvin et étriqué, il n'en demeure pas moins qu'on peut y déceler la volonté d'un peuple, fier de son autonomie, de prendre ses dis1. Les syntagmes fronçais international et français de !'Hexagone sont

accompagnés de guillemets pour marquer, non pas que nous attribuons un sens particulier à ces expressions, mais qui elles recouvrent une notion à laquelle on a prêté diverses significations, de sorte qu'elles sont devenues suspectes et tributaires de l'interprétation dont on veut bien les affubler. Nous ne les signalons qu'en vertu de leur fréquence d'emploi très élevée. A ce sujet, Boulanger (1980: 43, 44 et 47) a dénombré quelque 73 termes différents pour désigner le français.

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tances d'un cousin d'outre-Atlantique, plein de sollicitude, mais un tantinet colonisateur, linguistiquement s'entend.Afin de saisir adéquatement cette question, par ailleurs ancienne, dans toute son acuité présente, il convient d'examiner les notions fondamentales de norme et de canadianisme avant d'approfondir les implications de l'une par rapport à l'autre et le rôle qu'elles jouent pour le sujet parlant et écrivant d'ici.Norme et canadianisme: mise au point terminologique

II importe, d'entrée de jeu, de bien préciser en quoi consiste le discours de la norme. Loin de nous l'idée de recenser tout ce qui a été publié sur le sujet, car le cadre restreint de cet article ne suffirait pas à en épuiser la substance. Tout au plus désirons-nous établir notre propre perception de la norme en regard de la Le terme norme, pour être bien saisi, doit être mis en parallèle avec les termes règle et toi. Règle et norme partagent une origine semblable, dérivant de modèles géométriques concrets. Ainsi, regula désigne une « droitematérialisée qui permet de créer d'autres droites conformes » (Rey, 1972: 5) et norma, du grec gnômon, une équerre qui remplit une fonction similaire au niveau de l'angle droit. Quant à lex, il suppose un contexte religieux; la loi constitue un élément auquel on ne peut se soustraire, une coercition dictée par une volonté souvent sans merci. Alors, que la loi, résolument tournée du côté du passé, peut déboucher sur l'arbitraire ou l'injustice, la norme, elle, se situe du côté de la finalité, « le même mot (norme), utilisé sans précaution correspond à la fois à l'idée de moyenne, de fréquence, de tendance généralement et habituellement réalisée, et à celle de conformité à une règle, de jugements de valeur, de finalité assignée » (Rey, 1972: 5).On confond de cette façon normal et normatif. Même si les deux notions ne sont pas aussi étrangères qu'onde croirait de prime abord, l'aspect normatif, qui retient ici notre attention, implique un acte de volonté étranger au normal, fruit de l'usage de la moyenne.Un autre aspect significatif qu'il convient d'envisager réside dans la distinction entre norme linguistique et norme sociale, fondée elle-même sur la binarité du signe linguistique composé d'un signifiant et d'un signifié. L'unitélexicale est en effet soumise à des règles de structuration identiques aux constructions phrastiques tant sur les plans phonique, morphologique que 2. Pour de plus amples détails, le lecteur voudra bien consulter Guilbert (1972: particulière -

ment 38-44).

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ment lexical mémorisé par la communauté, joue nécessairement un rôle social en témoignant de la structure de cette communauté, elle-même assujettie à une norme commune. D'où il ressort que la définition même de lexique implique l'existence d'une tradition linguistique, envisagée en synchronie ou en diachronie, qui fixe en majeure partie l'utilisation des lexèmes et qui se trouve transposée dans un ouvrage lexicographique, reflet de la langue en tant qu'institution. Enfin, la norme sociale qui préside à la description du lexique témoigne de divers palliers d'utilisation (populaire, trivial, familier, etc.), autrement dit de niveaux de langue, tout en signifiant, tantôt le

Si un terme requiert que sa teneur soit rigoureusement précisée, c'est celui de canadianisme qu'on a utilisé souvent à plus ou moins bon escient, sans tenir compte ni de sa valeur historique ni de son

Dans son acception générale, un canadianisme consiste en un fait de langue - qu'il s'agisse d'une tournure ou d'un mot - caractéristique du français parlé au Canada. Or, le Canada occupe une superficie considérable, de telle sorte que le français qui y est parlé est loin, tant s'en faut, d'être homogène.

En effet, si le Québec peut se targuer de compter le plus grand nombre de francophones au Canada, et de constituer, par le fait même, la plaque tournante de la francophonie en Amérique, ïl ne faut pas négliger la masse importante, bien que quantitativement plus restreinte, de ceux que l'on a étiquetés francophones hors-Québec, et qui ont noms Acadiens, Franco-Ontariens, Fransaskois, Franco-Colombiens, Franco-Albertains. Ces derniers présentent, bien qu'à un degré

C'est pourquoi le terme canadianisme, appliqué systématiquement et séculairement à des faits de langue qui émanent de lieux, de groupes sociaux et même de peuples (Amérindiens, Inuit) si divers, ne convient pas parfaitement. Afin de ne pas alourdir indûment notre démonstration, nous nous limiterons à

La grande majorité des ouvrages lexicographiques qui consignent les faits de langue particuliers au français du Canada puisent la presque totalité de leur corpus lexical dans la langue québécoise, c'est-à-dire, celleparlée et écrite dans les différentes régions de la province. À ce moment, il vaudrait mieux renoncer au relent historique véhiculé par le terme canadianisme pour lui préférer celui, beaucoup plus juste et répondant aux aspirations culturelles des Québécois

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déquat un lexème plus précis et plus acceptable sur le plan scientifique. Il faudrait, également, bien circonscrire la notion de québécisme, car, au cours des siècles, le français du Québec - à l'origine, le français de France - s'est enrichi d'un certain nombre de vocables particuliers aux autochtones avec lesquels nos ancêtres ont entretenu des rapports. Même si plusieurs de ces termes ont été intégrés dans la langue québécoise, il convient de les distinguer en raison du fait que plusieurs d'entre eux, non adaptés graphique-

C'est le cas des amérindianismes, mots ou touruies particuliers aux Indiens d'Amérique et, dans le cas qui nous occupe, aux peuples amérindiens qui habitaient le Québec avant l'arrivée des Blancs. À titre d'exemples, destermes comme sagamité, mitasse, achigan, matacher, Les acadianismes devraient, en outre, être soigneusement distingués, étant donné qu'ils ressortissent à une culture fort particulière qui a évolué très différemment de celle du Québec. Rappelons que lapopulation acadienne, concentrée au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, a également été disséminée sur une bonne partie du territoire québécois, notamment en Gaspésie, aux îles-de-la-Madeleine, dans Bellechasse, dans la région de Montréal (L'Assomption notamment) et sur la rive sud du SaintLaurent (Nicolet, Bécancour, Yamachiche, etc. ), donnant naissance, sur un plan toponymique, à Ainsi, comme le signale avec justesse Geneviève Massignon, « tout en ayant un fonds commun (français populaire et faits de langage couvrant une grande surface dans l'Ouest de la France), le "canadien" et l"`acadien"présentent des différences très nettes » (Massignon, 1962: 100). En voici quelques exemples. La notion que le français universel exprime par le terne blizzard est rendue en québécois par poudrerie alors que l'acadien recourt à une panoplie de termes comme foudrillement, foutreau, poudrage, poudrin, poudrement et poudrerie. Il en va ainsi de l'acadianisme berlicoco par rapport au québécisme cocotte pour désigner le cône des conifères, de richepeaume par rapport à huard au cou rouge (plongeon du Nord), de bonhomme couèche au lieu de siffleux (marmotte), de remeuil en face de pair pour dénommer le pis de la vache, etc. Ces quelques Des observations similaires pourraient être faites, bien qu'à un degré moindre, à propos de l'inuktitut dont nous suggérons, pour les besoins du présent travail, d'étiqueter les réalisations d'ordre lexical « inuitismes

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Si des termes comme kayak, igloo et anorak3 font partie intégrante du patrimoine linguistique du français dit universel, des lexèmes comme coméüque, sorte de traîneau, umiaq, bateau collectif, etpitouc, petites barres reliant les deux patins parallèles d'un traîneau, bien que faisant partie de la langue générale, connaissent au Québec une fréquence d'utilisation qui incite à les considérer comme des phénomènes Comme on peut le constater, le terme canadianisme, s'il ne mérite pas d'être écarté systématiquement sans autre forme de procès du vocabulaire de la linguistique québécoise, doit, par contre, être manié avec prudence et réservé exclusivement pour désigner des phénomènes lexicaux L'équivoque qui entoure l'utilisation et le contenu sémantique du terme canadianisme est un phénomène que nous qualifierons d'archaïque. En effet, à partir de 1763, date de la conquête du Canada par les Anglais, ona pris l'habitude de désigner par le terme de Canadiens les habitants d'origine et de langue française. Il en fut ainsi pendant nombre d'années et ce n'est qu'après la Confédération que le territoire s'étendant de l'Atlantique au Pacifique a vraiment été reconnu comme la patrie de Canadiens, d'origines diverses, Français, Anglais ou autres. Mais, lorsqu'est né au XIXe siècle le terme canadianisme, il s'est chargé, mutatis mutandis, de la même connotation que le terme canadien à l'origine sans distinction des spécificités qu'il recouvrait Cela dit, pour la commodité de la lecture, nous signalons que dans la suite de l'article, nous utiliserons le terme québécisme en lieu et place de canadianisme, eu égard aux faits précédemment exposés; lorsque nous Le choix des québécismes: une brève rétrospective

Aborder le problème de la normalisation, c'est, du même coup, poser la question du choix. En effet, toute nomme présuppose une option, une hiérarchisation, un rejet ou une sanction. C'est pourquoi jl nous semble éclairant d'effectuer une brève rétrospective des principaux jalons du traitement lexicographique des québécismes. A travers les choix effectués et la nature des ouvrages, on pourra mieux saisir la lente émergence d'une norme dont la caractéristique

3. D convient de noter que la graphie des formes translittérées de rinuktitut syllabique varie souvent sensiblement de celle fixée par le français. Dans le cas présent, à kayak correspond qajaq, à igloo, iglou (variante également fournie par les ouvrages lexicographiques français), à anorak, annuraaq, à coméüque, gometiq et à pitouc, pitu. Quant à umiaq, la forme demeure la même. Nous remercions madame Martyne Samson, anthropologue, responsable du dossier amérindien à la Commission de toponymie du Québec, de nous avoir fourni des informations précieuses à ce sujet.

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Nous n'avons nullement l'intention de faire l'historique complet de la lexicographie québécoise; nous désirons plutôt présenter au lecteur quelques oeuvres essentielles qui ont contribué, chacune à leur façon, à la consignation et, dans une certaine mesure, à l'évolution d'un corpus lexical authentiquement québécois. Pour plus de détails et pour un exposé très Nous estimons que l'histoire de la lexicographie québécoise et celle des québécismes s'articule autour de trois périodes fort inégales mais toutes aussi importantes pour la compréhension du phénomène normatif en lexicologie au Québec. La plaque tournante de ces trois moments est constituée par le Glossaire du parler français au Canada, ouvrage de première im-portance qui marque une étape décisive dans l'histoire des Québécois, alors que les deux siècles qui précèdent sa parution peuvent être considérés comme une période de balbutiements au niveau de l'analyse et de la con-signation des mots de' notre langue. En dépit de ses faiblesses et de ses erreurs, le Glossaire n'en constitue pas moins la « bible » à laquelle viendront s'alimenter quelques générations de lexicographes et de chercheurs. Après sa parution, la langue québécoise, ou du moins Les pionniers

Le père Pierre-Philippe Potier a effectué, entre 1743 et 1758, une série de relevés dialectologiques consacrés aux éléments les plus remarquables de la langue parlée dans la Nouvelle-France de cette époque. Ses Façons de parler' ont été publiées dans le Bulletin du parler

Ce qui constitue l'intérêt principal de cette oeuvre, outre le fait qu'elle soit la première d'importance consacrée au langage d'ici, c'est sans doute que les matériaux consignés par le jésuite belge nous renseignent sur uneOn peut y relever, entre autres, nombre d'éléments dialectaux et archaïques, moins intéressants pour notre propos que ces savoureux néologismes d'époque qui émaillent la prose de bien des littérateurs québécois comme bordée (de neige), poudrerie, bordages, balise, etc. Les amérindianismes représentent également une partie importante des Façons de parier, d'une part, en vertu du fait qu'ils constituent un apport important et original à la langue québécoise et, d'autre part, parce que certains d'entre eux ont pénétré dans le français général; tels sont, en guise d'illustration, des termes 4. Le titre exact de cet ouvrage est Façons de parler proverbiales, triviales, figurées, etc., des

Canadiens au XWIt* siècle, le titre original ayant été modifié par le Comité du Bulletin du parler français au Canada.

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Quant à la préoccupation normative, on peut affirmer qu'elle en est absentes. En effet, le père Potier se contente, à la manière d'un enquêteur objectif, de consigner les phénomènes linguistiques qu'il relève (lexicaux, phonétiques, syntaxiques ou autres) sans les assortir de remarques ayant trait aux niveaux de langue ou qui traduiraient son sentiment personnel sur tel ou tel terme. Ainsi, les Façons de parler nous livrent en vrac et sans manière une riche moisson de termes de chez nous, sans flétrir les uns ou magnifier les autres, de façon objective et « scientifique » - si on se replace dans le contexte du milieu du XVIIle siècle et si on excepte les fréquentes erreurs explicatives, inévitables dans un tel Le deuxième ouvrage lexicographique d'importance dans l'histoire du Québec, celui de Jacques Viger, a aussi été publié par la Société du parler français. Mais là s'arrête la similitude avec celui du père Potier.Bien que Viger, dans sa Néologie canadienne" interrompue en 1814, se soit sporadiquement inspiré des notes de son prédécesseur, comme le signale Juneau (1977: 26), le matériel qu'il présente est sensiblement différent, en particulier quant à la présence d'anglicismes comme appointement au sens de « pension, gages », décent, « beau, honorable », etc. De -plus, ses commentaires sont nombreux et pertinents, tant en ce qui a trait à la localisation géographique de Pour ce qui est de la norme, disons que Viger adopte une attitude timide, voire prudente. Loin de condamner une tournure ou un mot, il signale cependant sa singularité par une expression du type « ici nos habitants font usage... ». Il s'agit plutôt d'une description différentielle de notre parler que d'une condamnation sans appel du type dites, ne dites pas. On demeure loin encore des recueils de l'abbé Blanchard>'.

Avec les glossaires d'Oscar Dunn, de Sylva Clapin et 5. Il faut bien se garder d'une interprétation trop hâtive du titre de

l'ouvrage. En effet, même si on y relève le qualificatif trivial, il n'en faut pas conclure que Potier recourait à une norme au cours de l'élaboration de son ouvrage. D'abord, il convient de souligner qu'il n'est pas l'auteur du titre (voir la note précédente) et que le terme trivial doit être compris dans son acception de commun, relatif à l'ensemble des gens, sans aucune nuance péjorative. Ce qui, par ailleurs, cadre parfaitement avec le type d'informateurs 6. Pour te contenu exact du titre-fleuve de cet ouvrage, on se

reportera à la bibliographie.7. Juneau (1977: 25) signale, entre autres, l'exemple de berline à propos duquel Viger dégage les traits spécifiques à chacun des moyens de transport hivernaux que constituent la berline, le bordel et la carriole.8. Ecclésiastique québécois, grand pourfendeur de la faute, de l'erreur et de l'inexactitude en tous genres, l'abbé Étienne Blanchard fut surtout un adversaire acharné de l'anglicisme qu'il dénonça dans divers recueils publiés au début du XXe siècle et qui, aujourd'hui, ont sombré dans l'oubli.

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nous les réunissons, c'est qu'ils présentent des affinités certaines quant au niveau du contenu, de l'esprit qui a présidé à leur exécution et de leur attitude face à la norme.Le Glossaire de Dunn comporte 1 750 mots qui donnent lieu à des remarques d'ordre lexical, grammatical, syntaxique, syntagmatique ou autre. Il fait une place importante au phénomène de l'anglicisme qu'il condamne énergiquement, tout en reconnaissant que l'« on met au compte de l'anglais bien des mots, bien des locutions qui nous sont venus directement de Bretagne et de Normandie, ou qui appartiennent au vieux langage » (Dunn, 1976: XIV-XV). De plus, il donne dans le piège du normativisme à outrance en dénonçant véhémentement les anglicismes « affreux », les galimatias « barbares » Plus considérable que l'ouvrage précédent (4 000 entrées), le Dictionnaire de Clapin recense la plupart des amérindianismes, des anglicismes et des québécismes connus à l'époque en les illustrant abondamment d'exemples, le plus souvent littéraires. Son grand mérite réside surtout, après les envolées enflammées d'un Oscar Dunn dénonçant nos « regrettables » façons de parler, dans son attitude équilibrée et intelligente à l'égard des québécismes et de la norme qui devrait les régir. Nous nous excusons à l'avance de la longueur de la citation qui va suivre, mais nous estimons qu'elle constitue « Somme toute, le mieux, je crois, est de nous en tenir, en ces matières, dans un juste milieu9, et de convenir que si, d' une part, nous sommes loin - à l'encontre de ce qu'affirment les panégyristes à outrance - de parler la langue de Bossuet et de Fénélon, il ne faut pas non plus, d'autre part, nous couvrir la tête de cendres, et en arriver à la conclusion que le français du Canada n'est plus que de Le glossaire de N.-E. Dionne, un ouvrage imposant de 15 000 lexèmes et syntagmes de toutes sortes, vient compléter cette triade classique de la lexicographie québécoise. Bien qu'il comporte un grand nombre de renseignements erronés ou vagues, ce glossaire mérite une place importante par son ampleur même. La visée normative se révèle quasi absente, l'auteur se contentant d'enregistrer les données et de les commenter du seul Ainsi, cette période ancienne de la lexicographie québécoise présente des caractéristiques très nettes qui se répètent, mutatis mutandis, d'un ouvrage à l'autre. On y retrouve des listes de termes, étiquetés presque systématiquement canadianismes, des commentaires plus ou moins élaborés sur des éléments lexicaux, phonétiques, syntaxiques ou autres qui ne vont9. C'est nous qui soulignons.

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pas sans erreurs ni omissions, phénomène normal, compte tenu des connaissances de l'époque et de la compétence des chercheurs. Une certaine faiblesse de la préoccupation normative caractérise les auteurs cités; tout à fait absente chez Potier et chez Dionne, elle se fait balbutiante dans l'ouvrage de Viger et mesurée dans celui de Clapin. Seules échappent à la règle en ce domaine les remarques enflammées de Dunn dont nous avons signalé plus avant la teneur. Nous croyons, cependant, qu'elles peuvent trouver une explication dans le tempérament de ce journaliste'° à la sensibilité à fleur de peau et aux réactions Le Glossaire du parler français au Canada

Le Glossaire du parler français au Canada est un « dictionnaire patois », publié à Québec, en 1930, sous les auspices de la Société du parler français au Canada. Il s'agit d'une oeuvre considérable qui reproduit, dans ses grandes lignes, les résultats des matériaux issus d'une vaste enquête épistolaire menée par plus de 200 personnes à travers tout le Québec, qui ont recueilli au-delà de 2 millions d'observations très variées. Comme le signalent les auteurs dans le sous-titre-programme de l'oeuvre, ont été consignés « les mots et locutions en usage dans la province de Québec et qui ne sont pas admis dans le français d'école; la définition de leurs différents sens, avec des exemples; des notes sur leur provenance; la prononciation figurée des mots étudiés ». Ainsi, sauf erreur, il s'agit du premier ouvrage qui s'en remet systématiquement à l'usage parlé à l'encontre de toute attitude normative; les faits lexicaux ont été relevés et commentés en dehors de toute préoccupation normative: « Nous n'entendons pas porter un jugement sur chacun des mots inscrits au Glossaire » (Société du L'une de ses qualités les plus importantes consiste, sans l'ombre d'un doute, dans la présentation objective des phénomènes lexicaux, sans jugement personnel ou indication de marque d'emploi. Les données sont brutes, à peine dégagées de leur gangue. Nonobstant l'étiquette d'amateurs dont on a pu affubler les membres de la Société, il faut signaler à leur10. Quoique Jacques Viger art exercé la même profession, il demeura

surtout un archiviste dans le fond de l'âme, un collectionneur invétéré, qui a accumulé plusieurs milliers de documents sur l'histoire de son coin de pays. C'est davantage de cet aspect que procède son ouvrage Néologie canadienne.11. Cette remarque peut s'appliquer à tous les ouvrages parus à ce jour, étant donné l'extraordinaire richesse de la langue québécoise. Pour s'en convaincre, il suffit de considérer les centaines de milliers de fiches dont dispose présentement l'équipe du Trésor de la langue française au Québec de l'université Laval.

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décharge qu'ils ont su préfigurer, d'une certaine façon, les recherches systématiques menées présentement par le Trésor de la langue française au Québec pour présenter une image du québécois dans son devenir historique. Si l'apparat critique du Glossaire est réduit à sa plus stricte expression, l'esprit de neutralité qui a présidé à son élaboration va précisément dans le même sens. On peut de plus affirmer, sans trop craindre de se méprendre, que les formes non recueillies dans le Glossaire n'ont pas été écartées au nom d'une orthodoxie ou d'une authenticité québécoise à sauvegarder, mais plutôt parce qu'elles faisaient Les contemporains: ici et ailleurs

Ultérieurement au Glossaire, un certain nombre d'ouvrages''-', dans son sillage, ont tenté soit de faire un sort aux québécismes, soit de les intégrer à des dictionnaires français. Nous désirons, dans les lignes qui suivent, préciser l'attitude adoptée tant au Québec qu'en France à l'égard des mots d'ici du point de vue du jugement normatif. Pour ce faire, nous analyserons succinctement trois ouvrages d'ici et trois autres d'outre-Atlantique. Pour le Québec, nous avons opté pour les Canadianismes de bon aloi de l'Office de la langue française, pour le Dictionnaire général de la langue française au Canada (1974) de L.-A. Bélisler3 et pour le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Les Canadianismes de bon aloi de l'Office de la langue française marquent une date dans la lexicographie québécoise, non tant en vertu de la qualité de la plaquette, mais en raison de l'importance que lui accorderont les lexicographes français surtout Le succès dé cette publication tient davantage au prestige que revêtait alors l'Office de la langue Nous rappelons, pour mémoire, notre intention de ne pas examiner tous les ouvrages qui ont porté sur la langue québécoise, faute d'espace et parce que nous préférons nous en tenir à quelques oeuvres représentatives qui illustrent plus particulièrement notre propos sur la norme. Conséquemment, on y recherchera en vain les ouvrages québécois de l'abbé Maguire, de Legendre, de Rivard, de Geoffrion, de Clas, de Dagenais, de Rochon, etc., qui n'auraient rien apporté de-neuf à notre propos. Du côté de la France, le Trésor de la langue française (en cours de parution), le Petit Larousse, le Dictionnaire du français contemporain, le Quillet, etc., ont été écartés parce qu'ils reprenaient sensiblement les mêmes données québécoises et que l'examen d'autres ouvrages lexicographiques importants ayant permis de mettre en lumière les points essentiels, leur analyse devenait, ipso facto, superflue sinon vaine.Nous avons fait porter notre analyse sur cette édition du Bélisle et non sur son récent Dictionnaire nord-américain de la langue française parce que nous avions déjà entrepris une étude critique de cette Mieux connue sous la désignation familière de Le Léandre.

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organisme gouvernemental et officiel. Nous avons exprimé ailleurs', notre sentiment sur cet opuscule. Signalons, cependant, la malencontreuse expression de bon aloi'6 qui, hélas, a fait fortune et s'est imposée pour refléter ce qui est, au plan du lexique, authentiquement québécois. En effet, il y a lieu de s'interroger sérieusement sur la pertinence de cette notion, en raison surtout de son relent normatif obligé et, par conséquent, de la troncation du patrimoine lexical des Franco-Québécois. Comment décider objectivement que tel terme peut être considéré de bon aloi et tel autre écarté parce qu'on le trouve vulgaire, trivial, archaïque, etc.? Où établir avec justesse la frontière à partir de laquelle un lexème est jugé de bon ou de mauvais aloi? Quels critères sûrs permettront de sérier adéquatement les termes? On constate d'emblée que l'arbitraire et le purisme règnent en maître, comme en témoigne cette affirmation tirée de la brochure qui retient notre attention: « [... ] canadianismes de bon aloi, c'est-à-dire de mots bien formés utilisés par les francophones du Québec et répondant à leurs besoins » (Office de la langue française, 1969: 3). En quoi les termes L'analyse de l'ouvrage révèle la présence de 62 termes'r répartis en huit catégories principales: mesures, faune, flore, poissons, nourriture, politique, hiver, vêtements. Prenons seulement quelques exemples pour démontrer que dans cette liste des termes estimés indispensables aux Québécois et pour lesquels « le français commun n'a pas d'équivalents » (Office de la langue française, 1969: 5), il s'en trouve justement quelques-uns qui ne répondent plus à cette attente. Alors que les termes gallon, ligne, livre, mille, once, pied, pouce, verge, etc., apparaissent comme nécessaires, on peut d'ores et déjà prévoir leur caducité prochaine en raison de l'introduction graduelle du système métrique au Canada. Autre exemple, le terme 15. Dugas (1979:396-397).16. Ce syntagme est issu d'une publication du ministère des Affaires

culturelles duquel relevait alors administrativement l'Office de la langue française: « Les canadianismes de bon aloi [... 1 se rapportent à des réalités canadiennes pour lesquelles le français commun n'a pas d'équivalents » (Office de la langue française, 1965: 5). D convient de noter, au passage, que cette définition visait d'abord et avant tout la langue de l'enseignement et celle de l'administration.

17. En voici la liste complète: abatis, achigan, acre, arpent, atoca, avionnerie, banc de neige, batture, biculturalisme, bleuet; bleuetière, boisseau, bordages, bouscueil, brûlot; brunante, cabane à sucre, cacaoui, canot; canton, carriole, catalogne, cèdre, ceinture fléchée, chopine, comté, coureur de (des) bois, débarbouillette, demiard, doré, épluchette, érablière, fin de semaine, frasil, gallon, goglu, huard (huart), ligne, livre, maskinongé,

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geusement céder la place à salle de séjour. Le terme oléoduc, signalé comme canadianisme, appartient au français général.Point n'est besoin de pousser plus avant la recherche pour se rendre compte que la notion de canadianisme de bon aloi ne résiste pas à une application stricte, qu'elle est entachée d'une connotation péjorative - paropposition -et qu'elle ne se justifie en aucun cas. En outre, l'analyse permet de conclure que toute norme appliquée au vocabulaire québécois est vouée à l'échec en ce qu'elle rejette d'innombrables lexèmes et tournures valables d'un usage constant et répandu et qu'elle peut difficilement s'ajuster à la constante évolution de la langue. Enfin, en matière de langage, Oeuvre d'importance, le Dictionnaire général de la langue française au Canada de L. -A. Bélisle marque un moment important, voire primordial dans l'histoire de la langue au Québec. En effet, cet autodidacte a été le premier, après le Glossaire, à présenter un ouvrage dans lequel sont systématiquement consignés les L'édition sur laquelle portent nos remarques date de 1974 et reprend celle parue en 1957, augmentée de 2 200 mots et acceptions nouvelles. ll s'agit d'un « recueil de mots usuels » français (tirés du Littré-Beaujean)et québécois, puisés chez divers auteurs et surtout dans La caractéristique essentielle de cette oeuvre, outre son ampleur, réside sans doute dans le classement appliqué aux québécismes (canadianismes pour l'auteur), qui témoigne d'une volonté normative on ne peut plus patente.Reprenant, entre autres, en l'appliquant systématiquement, et pas toujours avec bonheur comme nous le verrons, la notion de canadianismes de bon aloi mise de l'avant par l'Office de la langue française, l'auteur classe sa moisson de québécismes sous deux rubriques principales: les canadianismes de bon aloi, affectés d'un signe dictinctif (c encerclé) et qui représentent des réalités nord-américaines dignes d'être reconnues sur le plan international (faune, flore, toponymie, poids et mesures, droit, etc.) et de figurer dans les ouvrages lexicographiques européens, et les canadianismes populaires et folkloriques (symbolisés symptomatiquement par une fleur de lys), termes 18. Cet ouvrage a connu un véritable succès et atteint un très large

public. Rappelons qu'à l'origine, le Bélisie était offert par fascicules aux clients des supermarchés du Québec. Qui plus est, en 1969, une version abrégée et destinée aux élèves a reçu l'assentiment duministère de l'Éducation et figurait sur la liste des manuels utilisés par les commissions scolaires, ultime consécration.

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vocabulaire québécois, tels les anglicismes, les barbarismes, les solécismes, etc., dont la marque distinctive consiste en un X évocateur.On peut d'ores et déjà s'interroger très sérieusement sur la pertinence de ces distinctions qui appliquent à des vocables des étiquettes plus ou moins valables. C'est, selon nous, se condamner à un arbitraire certain auquel l'auteur lui-même n'a maintes fois pu échapper19. Ainsi, il louvoie en ce qui a trait au classement des lexèmes sans cesse de l'une à l'autre des catégories retenues: assurance-chômage est signalé à la fois comme canadianisme de bon aloi (liste des mots nouveaux ajoutés dans l'édition de 1974) et comme canadianisme folklorique (Bélisle, 1974. 72); biculturalisme et biculturel, attribués au français commun, au début de l'ouvrage, deviennent des canadianismes de bon aloi dans la nomenclature; trapper passe successivement d'une catégorie à Qui plus est, suite à une étude que nous avons effectuée sur la lettre T, nous avons établi que sur 340 lexèmes, 64 termes sont considérés comme des canadianismes de bon aloi, 93 comme des termes condamnables (anglicismes, barbarismes, etc.) et 183 comme des canadianismes folkloriques. Force est de constater que cette dernière catégorie semble servir de fourre-tout commode où l'auteur verse ce qu'il ne peut ranger dans les deux autres. Malgré son parti-pris normatif, Bélisle signale tipeu et toé comme canadia-Comment désigner télécouleur et téléspectateur comme des québécismes alors qu'ils appartiennent au français universel? En quoi frapper relève-t-il du parler populaire et non du québécois authentique? On pourrait poursuivre longtemps cet exercice.Somme toute, il devient aisé de démontrer les failles d'une telle grille appliquée à la langue québécoise, soit qu'on n'arrive pas à cerner parfaite-ment le sens des catégories élaborées, soit qu'on n'applique pas assez sévèrement les critères arrêtés lors du classement des unités lexicologiques. Ou bien on demeure cohérent au sein de son normativisme, ou Aux antipodes de l'entreprise de Bélisle, se situe la récente tentative de Léandre Bergeron d'enfin doter le Québec du dictionnaire par excellence du québécois. Pour ce faire, il a constitué un corpus de quelque 20 000 mots et expressions du Québec à l'exclusion des termes ou des sens de termes qui se retrouvent dans l'un ou l'autre des dictionnaires français.19. Se reporter, entre autres, aux critiques formulées par Gaston Dulong (1974: 179) qui

parle d'un ouvrage sans valeur, mal fait et rédigé par un amateur, le classement des québécismes compte pour beaucoup dans ce jugement sévère! Voir également Juneau (1977: 36-38).

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Pour Bergeron, la grande recension de notre parler doit s'effectuer dans la simplicité la plus totale: « Nous avons transcrit ce qui se dit au pays du Québec='° avec des définitions simples et compréhensibles pour à peu près tout le monde » (Bergeron, 1980a: 8). Une entière liberté, affranchie de ce qu'il appelle un « terrorisme linguistique », a présidé au traitement des matériaux recueillis: « Nous avons refusé toute norme, nous avons accepté seulement le critère de l'usage que les Québécois ont fait et font de leur vocabulaire [... ] » (Bergeron 1980a: 8). L'a-norme devient la norme. Sans « Amère déception, cher lecteur, vous ne trouverez pas de petits symboles qui vous disent si le mot est un canadianisme de bon aloi, un mot de la langue familière, un anglicisme ou autre impropriété à proscrire, pas plus que vous ne trouverez après les mots les expressions à proscrire, vulgaire, familier ou des dites, ne dites pas » (Bergeron 1980a: 8).

Aucune indication non plus sur les marques d'usage telles « vieux », « vieilli », « nouveau », etc. Absolu affranchissement que l'auteur a cristallisé en une adresse mi-figue, mi-raisin à ses lecteurs où l'humour côtoie la provocation-'.Réactivant, d'une certaine façon, la bataille du joual (ensemble des écarts du québécois par rapport au français commun), l'auteur abitibien déclare tout de go: « Pour moi, c'est le peuple québécois qui doit faire sa norme [... ]. J'ai balayé la norme, morale ou linguistique » (Bergeron, 1980b: 21).Ce naturisme (ou cet angélisme?) linguistique ne va pas sans poser quelques problèmes. Absence totale de méthode, de sens critique, d'élémentaires précautions scientifiques; tout y est fourni en vrac, pêle-mêle, au gré de la fantaisie du Macouâteurien==. On peut noter, également, certaines exagérations graphico-phonétiques (hien pour chien, greuyau pour gruau, etc.). Bergeron ne s'explique pas sur les principes qui Tantôt un tenne anglais (burn) est présenté avec sa graphie anglaise avec renvoi à une graphie québécoise, tantôt, sans motif, ne figure que la graphie anglaise (flush et flusher; on ne retrouve pas floche ou flocher).Se contentant de noter les faits de langage, sans porter de jugement sur leur valeur, Bergeron s'inscrit dans la lignée de nos linguistes dits objectifs. Cependant, son ouvrage pourra, curieusement, avoir une portée normative20. Souligné par l'auteur.

21. La bande publicitaire qui accompagne l'ouvrage prévient qu'il est interdit aux moins de dix-huit ans, aux professeurs de français, aux linguistes et aux annonceurs de Radio-Canada. Pas étonnant qu'un tollé se soit élevé au sein même de l'establishment linguistique lors de la parution de l'oeuvre!22. Déformation sciente, de la part de Bergeron ou de la population locale, du toponyme Nic

Watters.

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non prévue et non désirée par l'auteur dans la mesure où quantité de lexèmes et de tournures qui y seront découverts permettront à divers lecteurs de constater leur sens et leur authenticité québécois, donc régionalistes. Rien n'est parfait comme le signalait le La plupart des dictionnaires élaborés en France consignent généralement, outre ceux qui y ont cours, les régionalismes des principales communautés francophones, en particulier ceux de la Belgique, de la Suisse et du Canada=3. Ainsi, retrouve-t-on dans les dictionnaires généraux des francismes, des belgicismes, des helvétismes ou des canadianismes, le vocable Ii nous a paru intéressant d'examiner le sort réservé aux québécismes, du point de vue de leur traitement normatif, à travers trois ouvrages lexicographiques représentatifs tant par l'accueil varié dont nos mots et expressions ont été l'objet que par la diversité des maisons d'édition dont ils émanent, lesquelles font preuve de conceptions ou de philosophies En ce qui a trait au choix des québécismes intégrés dans les dictionnaires français, le Lexis'={ apparaît comme un classique. En effet, comme la majorité des autres lexicographes, les auteurs se sont bornés à un accueil limitatif et prudent du français marginal, fondé sur l'autorité de la Régie de la langue française d'alors, ce qui signifie en clair qu'on s'est contenté de reproduire la désormais célèbre liste de « canadianismes de bon aloi », sans plus (Lexis, 1975: VIII). Par ailleurs, cette déclaration n'est pas entièrement exacte, étant donné qu'on peut relever, entre autres, le terme joual qui ne figure pas dans la liste de l'Office. Nous avons signalé, plus avant, ce qu'il Nous ne saurions faire grief aux auteurs du Lexis de ne pas intervenir dans l'existence d'une norme québécoise. Leur attitude se bornant à la noningérence et à la non-indifférence sur le plan linguistique, ils se contentent de se retirer derrière la tranquille sécurité des « normateurs » québécois, bien que l'élémentaire esprit critique commande de soumettre ses sources à un examen attentif de même que de s'assurer de la représentativité et de la qualité de la source retenue. 23. Il faut entendre, dans la plupart des cas, régionalismes du Québec,

étant donné que les acadianismes ou les inuitismes figurent très exceptionnellement dans ces publications.24. Notre examen a porté sur l'édition de 1975. Nous n'avons pu

consulter l'édition de 1979 qu'en bibliothèque seulement; elle reproduit la même liste de canadianismes que la première édition.

25. Selon les renseignements dont nous disposons, (Office de la langue française élabore présentement une politique linguistique sur la langue québécoise. Au moment de la rédaction de cet article, aucun document officiel à cet égard n'avait encore émané de cet organisme.

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émanant d'une autorité reconnue et représentant le consensus de l'ensemble des spécialistes, des diffuseurs de régionalismes comme la maison d'édition Larousse se verront dans l'obligation d'intégrer des listes limitatives et désuètes de canadianismes26, lesquelles projettent une image pâlotte, étriquée ou carrément Le Dictionnaire du français vivant, du point de vue de l'intégration des canadianismes, se situe à mi-chemin entre le Lexis et le Petit Robert. u se distingue du premier par sa générosité dans (accueil de formes plus nombreuses et du second par la non-sélectivité des tournures retenues et des niveaux de langue Consignant près de 300 mots ou tournures, ce dictionnaire apparaît, avec le Petit Robert, comme l'un des ouvrages lexicographiques français qui fait actuellement une large place aux québécismes27. Cependant, ces termes n'ont pas été intégrés à la nomenclature de l'ouvrage, mais reportés dans une section sur les régionalismes. Cette initiative a suscité de fortes protestations de la part de Québécois vexés de voir refouler en appendice leur particularismes linguistiques, d'autant que ces particularités appar-tiennent à l'une des plus importantes communautés francophones. Ce phénomène est lourd d'enseignement Le corpus retenu comporte les inévitables canadianismes de bon aloi, une bonne proportion de termes dont on n'a pas précisé l'origine, des expressions stéréotypées, des syntagmes, des anglicismes, etc. Étant donné la grande diversité des phénomènes linguistiques, il eût été particulièrement indiqué de signaler les divers niveaux de langue dont procède chacun des ternes. A l'inverse, on se retrouve en présence d'un magma langagier difficile à cerner. Par exemple, se côtoient des termes aussi différents que batture, brassière, facilités, mappe, sioche, et rue 26. Le Vocabulaire général de la francophonie, élaboré sous les

auspices du Conseil international de la langue française, présentement en préparation, comprendra une liste d'environ 200 termes constituant un échantillon représentatif du vocabulaire du Québécois francophone à l'heure actuelle; cette liste a été élaborée sous la direction de Robert Dubuc. Les critères de sélection ne témoignent pas de préoccupations normatives, sauf exception. Les niveaux de langue retenus (populaire, familier, technique, littéraire) sont ceux qui ont cours généralement en lexicographie. Une fois publiée, cette liste 27. Le Trésor de la langue française, en cours de publication,

comporte également de nombreux québécismes (environ 125 sous la lettre a). S'il poursuit sa politique à ce niveau, il deviendra sans conteste le dictionnaire français où la présence des mots et expressions du Québec sera la plus considérable.28. On attribue à ce syntagme le sens d'impasse, alors qu'il s'agit, au Québec, d'une voie de communication dont on interdit temporairement l'accès, à l'exception des riverains, afin d'effectuer des travaux de réfection ou d'une autre nature.

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en basse-messe2° ou encore a date, à la job, à pleine tête, etc. Ces divers éléments ne se situent pas au même palier linguistique - nous ne songeons pas à une attitude normative ici - et abandonner l'utilisateur à sa propre interprétation l'incite à considérer toutes ces données de façon équivalente, ce qui constitue une vision erronée du phénomène linguistique québécois. Comme on le constate, c'est moins l'application d'une norme qui est mise en cause ici que l'établissement et l'indication de marques d'usage qui, en dépit de leur caractère normatif fondamental, contribuent à replacer avec précision tel phénomène particulier dans l'économie générale de la langue.

Dernier ouvrage serrant à illustrer le concept de norme en regard des québécismes, mais non le moindre, le Petit Robert se révèle celui qui permet le mieux d'en saisir toute la problématique. Intégrer systématiquement les québécismes au Petit Robert, était une entreprise pleine d'embûches dont Alain Rey, secrétaire général de la rédaction, mesurait pleinement les principaux écueils: « La description du français hors de France dépasse de loin les objectifs et les possibilités d'un ouvrage réalisé à Paris [... ]. Le choix des canadianismes [. . .] posait de redoutables problèmes » (Petit Robert, 1977: XIX). L'objectif visé consistait à décrire les termes désignant les réalités propres au Québec (institutions, coutumes, particularités géographiques), et de faire saisir par le lecteur étranger la valeur de lexèmes susceptibles d'être mal saisis (types habitant pour cultivateur, ouananiche pour saumon d'eau douce, etc.).

Du point de vue normatif, les auteurs ont adopté une position mitoyenne entre l'attitude tout d'une pièce des tenants de l'orthodoxie linguistique qui désirent implanter au Québec le français de Paris, sans aucune concession, et « l'agressivité nationaliste des partisans dujoual » (Petit Robert, 1977: XIX) qui brandissent leur langue comme un étendard flottant bien haut dans la bataille politico-linguistique qu'ils mènent Cette attitude a consisté à s'en remettre aux directives de l'Office de la langue française, « seul3° organisme officiel habilité à y [au Québec] définir une norme du français » (Petit Robert, 1977: XIX), auquel une liste de termes a été soumis pour approbation.Ici encore les auteurs se sont fondés sur la définition éminemment discutable des canadianismes de bon aloi (voir supra) avec comme consé-quence de donner au stock lexical québécois recensé l'allure d'un glossaire pour francophones non familiers avec la civilisation québécoise. D'où la présence de termes plus ou moins spécifiques à la réalité québécoise comme beurre d'arachide et vidéo, vieillis comme fournaise et vivoir ou en voie de disparition comme poêle.

29. Le sens « virer en queue de poisson » nous paraît étrange. Cf. l'expression: Cela va finir (virer) par (en) une basse-messe, c'est-à-dire, se terminer par un mariage.

30. En dépit du fait qu'il représente officiellement la position du Québec en matière de langue. il convient d'observer que l'Office ne peut établir seul une nomme sans consulter les principaux intéressés: organismes et ministères à vocation culturelle, linguistes, universités, chercheurs, corps intermédiaires, etc.

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NORME LEXICALE ET CANADIANISMES

Ici se pose donc, de façon très aiguë, le problème de la norme. Aurait-il fallu retenir exclusivement les termes spécifiques ou faire une large place à ceux qui ont trait à des faits usuels récurrents, que ces derniers soient en harmonie ou non avec le système de la langue? Opter pour la première solution condamne l'auteur de dictionnaire à priver l'utilisateur de l'ouvrage de quantité de termes, par ailleurs importants; s'en tenir à la seconde, c'est risquer de devoir traiter une liste « inflationniste ». D'où la nécessité d'effectuer un choix dicté par des impératifs d'économie et d'espace, mais soumis à des critères strictement élaborés et observés. Ce qui ne fut pas le cas ici :", car on a écarté des termes aussi fondamentaux que balise, baliser, barachois, caribou (boisson), d'autres qui relèvent de nos coutumes ou de notre folldore (chasse-galerie, guignolée), de

En guise de conclusion à l'examen du Petit Robert et, plus largement, à celui de l'ensemble des dictionnaires français qui comportent des canadianismes, nous signalerons une réflexion d'Alain Rey qui nous paraît bienposer le problème et à laquelle nous souscrivons au traitement des « canadianismes » qu'on y retrouvait,

Rey signalait que « la polémique [. . .] mériterait une étude approfondie: elle illustre le caractère illusoire d'une norme unique, lorsqu'on a affaire à une langue d'usage international ou seulement très répandue. L'objectif du P.R1 dans ce domaine est d'aider à la compréhension d'usages non centraux [. . .]. Quelles que soient les réactions épidermiques, et en tenant compte de toutes les opinions, il s'agit de construire, à l'usage de tous les utilisateurs francophones, un modèle prudemment élargi du français, tenant compte du fait élémentaire et essentiel qu on le Éléments d'une norme lexicale du français québécoisAprès avoir observé, par l'examen de quelques

ouvrages, comment s'est élaborée et a été appliquée une norme lexicale quant au choix et au classement des québécismes tant chez les lexicographes québécois3z que français, il convient maintenant de poser quelques jalons qui orientent le débat sur la question. Loin de nous l'intention de présenter les diverses réflexions .qui suivent comme des solutions définitives au délicat problème de la nomme lexicale en matière de 31. Avec ou sans le consentement de l'Office!32. Le terme lexicographe doit être pris, ici, dans un sens très large, étant donné qu'il s'appli-

que à la fois à des amateurs de langue (Dunn, Bergeron) et à des chercheurs davantage rompus aux techniques de la fabrication des dictionnaires (Bélisle, Office de la langue française).

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232 LA NORME LINGUISTIQUE

rebattu par le passé, les arguments pour et contre nombreux et solides et les tenants des diverses options farouchement irréconciliables.Nous désirons uniquement proposer une démarche qui se veut rationnelle, et surtout exempte de passion (cf. les réactions épidermiques de certains Québécois, soulignées par Alain Rey, à l'occasion de l'intégration des québécismes au Petit Robert). Non pas que la question nous laisse indifférent - bien au contraire - mais nous estimons qu'une saine attitude objective et un tant soi peu scientifique s'accommode mal d'une impulsivité de mauvais aloi, pour parodier certains « Normalisation, normatif [il aurait également pu ajouter norme]. Les mots clés de (horreur, pour un linguiste » (Corbeil, 1980: 131). Mais se voiler pudiquement le visage devant la réalité ne résout pas le problème, car la langue ne peut et ne doit pas constituer exclusivement un objet d'analyse descriptive pour le linguiste. Même s'il est souhaitable qu'on se contente de décrire les phénomènes lexicaux d'une langue - le québécois, entre autres -sans intervenir, il y a lieu de prendre conscience de la dimension sociopolitique de la langue et de l'influence de cette dernière dans l'interaction des divers groupes constitutifs de toute société. Par essence, toute langue implique une nomme, c'est-à-dire un étalon à partir duquel le sujet parlant peut évaluer son propre discours, s'y conformer ou prendre ses distances, sans toutefois pouvoir en nier raisonnablement l'existence. Le fait que la norme régisse la phonétique, la syntaxe et le lexique n'est plus à démontrer, dans la mesure où l'on reconnaît que le respect de certaines règles dans l'organisation des sons et des mots doit obligatoirement faire partie de toute communication réussie. Si la phonétique et la syntaxe jouent un rôle primordial, le lexique obéit aussi aux impératifs d'une norme, bien que celle-ci se révèle par nature plus souple, la seule condition posée consistant à attribuer un ou des sens précis et constants à chacun des termes. Mais la triple dimension de la langue (lexique, syntaxe, phonétique) ne suffit pas à elle seule à l'expliquer toute et à constituer l'élément essentiel de la norme. Il faut compter avec l'idéal socioculturel ou esthétique. En conséquence, l'application de la norme soulève - qu'il s'agisse d'une langue internationale ou régionale - l'épineux problème des niveaux de langue, cette notion étant liée à la stratification sociale en classes ou en groupes de différents types. La difficulté fondamentale tient surtout à une distinction très nette des divers

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NORME LEXICALE ET CANADIANISMES 233

des différents registres tels que langue soutenue, langue courante, langue familière, langue vulgaire, etc.

Ces données, applicables d'abord à la langue générale -le français universel dans le cas qui nous occupe -, doivent également être prises en considération dans l'examen de la norme qui doit régir les québécismes.À ce sujet, nous désirons préciser que nous nous plaçons dans une optique universalisante, celle de l'intégration des québécismes dans le français général. En outre, comme il ne s'agit pas de relancer la polémique sur les couches sociales et les institutions Voyons maintenant les principaux critères33 qui devraient présider au choix des québécismes et contribuer à réduire de façon significative, sinon à éliminer entièrement, le subjectivisme outrancier qui a souvent présidé au traitement des vocables québécois.La pierre angulaire de ce faisceau de motifs est, sans conteste, l'usage. En effet, même si un terme est considéré comme un archaïsme en France, s'il continue d'être répandu et utilisé couramment au Québec, nous croyons qu'il mérite d'être conservé. Ainsi, le vocable claque, qui désignait autrefois en France des chaussures de toile à l'aide desquelles on se protégeait de la boue et qui désigne au Canada des couvre-chaussures de caoutchouc. Au lieu d'être écarté, ce Un principe difficilement attaquable veut que dans chaque pays de langue française, les particularités qui en façonnent l'identité et, par conséquent, les mots qui les expriment soient reconnus comme authentiques et valables sans restriction. Sont regroupés sous ce critère, les phénomènes climatiques (poudrerie, banc de neige), la flore (épinette, proche), la faune (cacaoui, maskinongé, siffleux), les vêtements (mitaine, nuage, Dans le cas où un québécisme a vu son sens changer en français général, il devrait être maintenu dans la mesure où son emploi est demeuré répandu ici. A titre d'exemple, le verbe peinturer, au sens de « couvrir de peinture » (signalé par Littré), par rapport à peindre « reproduire par l'art de la peinture ».Rien ne s'oppose formellement à ce que des termes du français général et du québécois, synonymes absolus ou relatifs, soient maintenus, en raison du fait que toute langue comporte et tolère ce phénomène. Il serait absurde que carré-éponge et gant de toilette éliminent notre débarbouillette, que serpillière 33. Les quelques altères que nous signalons ne constituent pas

nécessairement les seuls qui puissent être invoqués - nous ne visons pas à rexhaustivité - mais nous paraissent les plus fondamentaux.

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234 LA NORME LINGUISTIQUE

Lorsque des termes anglais ont été transposés en québécois pour exprimer les realia ainsi dénommées en français, ces traductions devraient, compte tenu de leur facture et de leur usage, être reconnues à juste titre comme authentiquement franco-québécoises, en prenant en considération la situation linguistique particulière du Québec. II en va ainsi de termes comme magasinage au lieu de shopping, annonceur à la place du français (!) speaker, chèque de voyage au lieu de traveller, fin de semaine préférablement à week-end, etc.

À ces principes généraux vient se greffer, qu'on le veuille ou non, la dimension des niveaux de langue. Afin de ne pas donner dans des distin-guos subtils qui ne contribueraient qu'à occulter davantage un domaine si sujet à controverse et à interprétation, nous distinguerons globalement trois groupes: d'abord les québécismes authentiques et indispensables, puis les vocables expressifs d'utilisation locale et, enfin, les formes à écarter.

La première catégorie satisfait à l'ensemble des critères précédemment exposés; les québécismes de ce groupe comblent une lacune dans la mesure où ils désignent de façon particulière un phénomène spécifique au Québec ou qu'ils supplantent la forme française équivalente, anglicisante ou non. A titre d'exemples, mentionnons érablière, achigan, nuage, raquette, traîne sauvage, etc.

Le deuxième groupe comprend les québécismes qui devraient être retenus tant au niveau de l'écrit que de l'oral3; pour le motif qu'ils traduisent bien ce qu'on veut faire entendre comme cambuse, coucher sur la corde à linge, drave et draveur, renoter, trempette, etc.

Enfin, ceux que leur vulgarité ou la redondance qu'ils provoquent avec des termes français incitent à rejeter. Nous sommes conscients qu'un certain subjectivisme entache cette catégorie (où commence et où se termine la vulgarité?), mais nous croyons aussi qu'il faut effectuer un certain élagage sous peine de se retrouver en présence d'un idiome fortement « sabirisé ». n importe que le québécois demeure dans la ligne générale de la francophonie. A titre indicatif, des termes ou des expressions comme c'est le fun, y'a rien là, astiner, écrapoutir, chris4 jobbeur, etc., pourraient être mis de côté sans que notre québécité soit mise en péril. Par ailleurs, ils devraient figurer dans tout document de nature strictement descriptive de la langue québécoise.

C o n c l us i o n

La longue démarche qui nous a mené aux quelques propositions avancées ci-dessus nous a permis de constater l'omniprésence du phéno-mène normatif, même dans les écrits de ceux qui prétendent en avoir éliminé34. Encore qu ils cadrent davantage, en raison de la connotation familière qu'ils comportent,

avec la langue orale.

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NORME LEXICALE ET CANADIANISMES 235

les effets funestes. Que ce soit chez les chercheurs québécois ou les lexicographes français, le corpus même des québécismes consignés témoigne sans équivoque d'une certaine norme, des tournures ou des mots ayant été écartés1, alors que d'autres étaient intégrés. Cependant, cette nomme est mal connue et a été jusqu'à présent peu approfondie comme le constatent Jean-Claude Corbeil: « La discussion au sujet du concept de norme est à peine amorcée » (Corbeil, 1980: 126) et Louis Guilbert pour qui « [. . .] une norme québécoise [reste] à définir » (Guilbert, 1976: 54). Jusqu'à maintenant, les chercheurs se sont répartis en deux clans très nets: d'une part ceux qui préconisent d'étudier la langue du simple point de vue descriptif et, d'autre part, les farouches tenants d'une norme québécoise.

En dépit du fait que certains jalons aient été posés ici, le problème demeure aigu dans la mesure où les principales instances concernées (linguistiques, politiques, culturelles, sociologiques) n'ont pas su trouver le consensus nécessaire à l'élaboration - à condition que l'application d'une nonne soit acceptée - d'une norme stable et unique en matière de langue québécoise. On peut sans doute trouver une explication partielle dans le fait que chaque groupe est demeuré sur ses positions respectives, n'ayant pas eu la possibilité d'échanger suffisamment avec les spécialistes de disciplines connexes au langage. La présente publication et la tenue ultérieure d'un colloque sur la norme*, que Guilbert appelait de ses voeux dès 1976, contribueront sûrement à enfin analyser en profondeur le problème de la nomme au Québec et, plus spécifiquement, de la norme lexicale en matière de québécisme. Jamais la conjoncture n'y sera-t-elle plus favorable.

B i b l i o g r a ph i e

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35.

36.

A cet égard, il est significatif de constater qu'Alain Rey a dû renoncer à intégrer au Petit Robert l'expression « e est ffun », qu'il trouvait « à la fois amusante et très courante ici » (Le Soleil, 18 octobre 1977, p. 11), à la recommandation de ses conseillers Dans le cadre des travaux de la Commission d'enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec (Commission Gendron), un colloque sur la norme a été organisé les 13 décembre 1969 et 21 février 1970. Q regroupait peu de personnes, en majorité des linguistes. De plus, la tenue de deux séances d'une journée à deux mois d'intervalle n'a pas permis des

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236 LA NORME LINGUISTIQUE

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NORME LEXICALE ET CANADIANISMES 237

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238 LA NORME LINGUISTIQUE

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XXIV

Les chroniques de langage Par Jacques

Cel lardLes rapports entre la norme linguistique et ce que l'on nomme génériquement les « Chroniques de langage » paraissent évidents.En premier lieu, ces chroniques seraient ou auraient été des instruments actifs de production et de perpétuation de la norme; plus rarement de son évolution; exceptionnellement, de sa subversion. En second lieu, le moyenprivilégié de sa diffusion. Et en troisième, par l'intérêt qu'elles suscitent en amont (questions posées au chroniqueur) et en aval (réactions des lecteurs aux Tout cela est globalement exact et justifie qu'un chroniqueur qui demande à n'être tenu ni pour éminent ni pour émérite, se penche sans complaisance sur le passé des chroniques et à l'occasion sur le sien propre.

1 - Typolog ieL'esquisse d'une typologie du genre a sa place ici.

Que sont les chroniques? Quels traits caractéristiques (quels sèmes, s'il faut le concéder à la linguistique) contribuent à former leur signification? J'en vois trois.1. Les titres

Chroniques, ou plus précisément « feuilletons », celles de langage ont en fait un titre (celui que le chroniqueur donne à son texte) et un sur-titre qui seul nous intéresse ici, encore que l'étude des premiers Pour la période qui va des années 1925 à nos jours, et à laquelle se limitera d' ailleurs le reste de cette étude, ces sur-titres se répartissent en quatre classes:A) L'anecdote. Ce sont les « Caprices », les « Sourires », les « Histoires » du langage, les « Façons de parier »: petites études d'étymologie facile et approximative, de lecture plaisante, qui n'ont de préoccupations nigrammaticale ni normative; ce pourquoi je ne fais ici que les mentionner, en notant du reste que l'anecdote est

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B) La défense du français, ou « de la langue ». Ce sont, outre ceux-là, les sur-titres affectifs: « Langue française, mon beau souci », « Notre beau langage »; ou ceux qui impliquent une observation inquiète: « Clinique du langage ».C) La prescription/proscription, c'est-à-dire les « Dites... Ne dites pas! », parfois (particulièrement en Belgique) très impératifs: « Corrigeonsnous! Parlons bien! Parlons mieux! », plus souvent adoucis en France par l'artifice des « Questions » ou des « Problèmes » introduisant une réponse ou une solution généralement D) L'observation. 1 s'agit de sur-titres volontairement neutres: « Chronique de langue » ou « de langage », bien sûr, et aussi « Regards sur (la langue française) », « Langage » tout court Me paraissent relever de cette observation neutre, les sur-titres mettant en valeur la Vie: « du langage », « de notre langage ».2. Les signatures

Et non les signataires: il n'est pas question de personnaliser ces recensions, et cette impertinence, au plein sens du mot, n'aurait d'ailleurs pas grand intérêt. Mais le fait est que les chroniques de langage ont souvent été signées d'un nom de plume; pratique assez rare dans le journalisme pour éveiller ici notre intérêt, d'autant que ces pseudonymes ont, eux, une typologie sommaire: Aristarque, Aristide, Criticus, Lancelot (le Qui sont les chroniqueurs de langue, qu'ils écrivent à visage découvert ou sous un masque facile à lever? A parts à peu près égales:A) Des hommes de lettres (Abel Hermant-Lancelot, par ailleurs académicien, André Thérive, furent des romanciers estimables); ou ce que l'on appelait naguère sans méchanceté des « publicistes » ou des B) Des linguistes; mais l'appellation un peu surannée de « philologues » convient mieux en l'espèce (Albert Dauzat, Robert Le Bidois, Marcel Cohen ont représenté remarquablement ces professionnels de la

Le chroniqueur de langue, on le voit, n'est jamais un journaliste professionnel, employé et rémunéré à plein temps, mais un « pigiste », quel que soit par ailleurs le prestige de sa signature. II n'en est pas moins soumis aux contraintes du métier de journaliste: remettre rigoureusement en temps fixé une « copie » assez exactement calibrée et lisible, se relire sur « placards » (avant la mise en page), ou au moins jeter un coup d'oeil sur la « morasse » (après mise en page); accepter ou de préférence pratiquer lui-même les coupes que le secrétariat de rédaction juge fatales; éviter surtout qu'elles se fassent « au marbre » et au petit bonheur la

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LES CHRONIQUES DE LANGAGE 241

Ces exigences dépassent de beaucoup la stricte ponctualité dans le travail. Elles pèsent nécessairement sur le contenu et le style des chroniques. Défenseur ou contempteur de la norme, zélote ou iconoclaste, et même observateur sceptique, le chroniqueur ne peut guère porter sur celle-ci un regard trop différent de celui que la clientèle connue du journal fait présumer des lecteurs de sa chronique. Bon ou mal gré qu'il en ait, celle-ci louvoie de quinzaine en quinzaine, ou pour de courts billets de semaine en semaine, entre le journal, « support » de son texte, l'audience de ce 3. Le support et l'audience

Très rares sont aujourd'hui les quotidiens (et plus encore les hebdomadaires) qui ont maintenu une chronique de langue. Le genre est à éclipses. Les années 1930-1935 en ont marqué une apogée, les années 1960-1965 une autre; les présentes en sont un périgée, au moins en France, car la presse belge se C'est que la chronique n'est pour le journal qu'un objet mineur et commercial. Elle doit justifier la place qu'elle y occupe (et les places sont chères dans la presse française!) par un quota satisfaisant d'audience, donc de ventes. Si vive que soit la passion d'un directeur de publication pour la langue et la norme, elle ne l'amènera pas à maintenir une chronique dont la lecture approcherait de l'étiage; disons pour être clair du taux de 4% environ en-dessous duquel la En revanche, beaucoup de libertés de principes à l'égard de la norme sont permises au chroniqueur qui, par quelque concours heureux de circonstances, est lu régulièrement par le quart ou plus des acheteurs du journal. Et un « billet » normatif de quelques lignes, alibi ou bague au doigt du journal, n'est guère menacé par une baisse d'audience, d'ailleurs peu mesurable.Ces considérations expliquent pour une bonne part, au moins dans la presse française pauvre de place et d'argent, la quasi-disparition des grandes chroniques de langue des périodes fastes. Certes, les grands chroniqueurs avaient aussi disparu. Mais ils eussent trouvé des successeurs si les conditions s'y étaient On y ajoutera comme important le fossé qui sépare présentement la linguistique arborescente de la philologie simplette de nos pères. Quel linguiste, chevronné ou débutant (ceux-ci surtout), accepterait aujourd'hui de se commettre dans un journal avec les détails, minuties et vétilles de la norme? Et cependant, c'est bien de cela qu'il s'agit dans une chronique qui, quel qu'en soit le titre, n'est pas de langue mais de langage, et de ce qui dans le langage intéresse les

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242 LA NORME LINGUISTIQUE

Reste qu'une chronique du langage écrite et documentée comme doit l'être un bon article, et non comme un pensum de pédant, trouvera longtemps encore un public assez nombreux et assez fidèle pour allécher un directeur de journal. J'ai de bonnes raisons statistiques de croire que l'intérêt suscité par les « questions de langage » est aujourd'hui au moins égal à celui qu'elles suscitaient voici un demi-siècle; et sans doute beaucoup plus grand en qualité. Ces raisons, on l'aura deviné, sont dans la quantité et la variété du Je n'en dirais rien, par discrétion, si une sur deux de ces lettres ne traduisait ou trahissait, précisément, une réaction à la norme. Même s'ils feignent de ne pas en avoir cure et à l'occasion d'en rire, c'est par rapport à elle ou au sentiment que l'on a d'elle que se situent et le chroniqueur et ses lecteurs, de la même façon que la critique littéraire se situe par rapport à la norme de Comment, dans cette optique, analyser brièvement le contenu en quelque sorte « standard » des chroniques de langage?

II - La grammaireJ'ai choisi de le faire en prenant pour corpus la

centaine de chroniques données chaque semaine des années 1933 et 1934, au journal Le Temps, par un « Lancelot » qui était apertement l'académicien Abel Ce choix demande à être expliqué en quelques lignes. 1 l'est d'abord par des raisons matérielles. Peu de chroniques ont été recueillies en volumes accessibles. Les plus significatives sont celles de Lancelot dans Le Temps, et celles de Marcel Cohen dans L'Humanité, en y ajoutant si l'on veut un premier Par la sûreté et l'ampleur de l'information, l'intelligence de la langue, le souci pédagogique, les « Regards sur la langue française » de Marcel Cohen (de 1950 à 1970 environ, mais à intervalles assez irréguliers) sont des modèles du genre, de loin supérieures à celles de Lancelot Mais précisément, le « genre » du véritable linguiste et de l'humaniste moderne que fut Marcel Cohen ne nous serait pas d'un grand secours ici. Les détails et l'idéologie de la « norme » y sont, soit délibérément Au contraire, les chroniques de Lancelot dans Le Temps nous apparaissent aujourd'hui comme une caricature du genre normatif. Mais les traits1. Chroniques de Lancelok du « TEMPS », par Abel Hennant de l'Académie fran

(Sur-titre) Défense de la langue française, 580 p., Larousse éditeur, Paris, 1935.

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de la caricature se retrouvent, plus ou moins estompés ou appuyés, dans toutes les chroniques de langage du grand demi-siècle 1922-1982.Les raisons méthodologiques s'ajoutaient donc aux motifs matériels pour nous faire adopter ce corpus. Nous en avons dépouillé systématiquement les cent chroniques, en faisant appel occasionnellement à des éléments des« Remarques pour la défense de la langue française » L'étude de ces textes en couvrira successivement les notations de phonétique, de morphosyntaxe et de syntaxe, enfin de lexique.

1. Phonétique. Peu d'indications. La prononciation ne devient un objet normatif que plus tard, avec la généralisation de l'écoute des radios et de la télévision. Cependant, dès 1933, une lectrice (des chroniques)« invite (Lancelot) à surveiller la T.S.F. dont elle dénonce les incongruités » de prononciation. Le chroniqueur lui-même proteste vigoureusement contre Les liaisons: dénonciations et protestations répétées du chroniqueur contre « l'abus des liaisons inutiles (qui) est le fait de primaires qui veulent montrer qu'ils savent l'orthographe » (p. 60).En l'espèce, deux normes s'opposent nettement: celle de l'école primaire et celle de la bonne compagnie. Pour la première, comme l'a bien vu le chroniqueur, les liaisons sont une orthographe de la prononciation. Pour la seconde, les deux systèmes sont indépendants. Sont de mauvais usage les liaisons « d'instituteur », c'est-à-dire celles qui sont provoquées plus ou moins consciemment par la dictée scolaire. Le système actuel (on ne peut guère parler de « nonne » des liaisons) est un compromis au coup par coup entre

2. Le genre. Celui des noms de bateaux donne lieu à une très vive querelle: le ou la Bretagne? le ou la Jeanne-d'Arc? Le chroniqueur, appuyé dit-il sur la tradition des gens de mer, tient ferme pour « le bon sens » contre la généralisation du masculin, en fait du genre non marqué: la Bretagne, la France, la Normandie, ont pris la mer hier. Mais il reconnaît à cette occasion « les difficultés que l'on éprouve à Traduisons: les difficultés qu'éprouve le chroniqueur normatif ou normalisant à résister à la pression de r usage et à faire prévaloir « le bon sens », vertu bourgeoise par excellence, sur « le sens de la La querelle du genre des noms de bateaux s'est rallumée dans les chroniques avec les noms propres d'avions: la ou le Caravelle, mais toujours le Concorde. Les pouvoirs publics ont opté à deux reprises (1934 et 1955) pour la variabilité; l'usage, en particulier celui de la presse, pour (invariabilité. La question reste une

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Quand l'incertitude tient à la nouveauté du mot, Lancelot s'en rapporte à l'étymologie pour fixer le genre. Ainsi celui d'aéronef, « qui doit de toute nécessité appartenir au même genre que nef, c'est-à-dire au féminin » (R., p. 52). L'auteur reviendra pas moins de trois fois en trois ans sur le même sujet; car l'usage non seulement résiste au féminin étymologique, mais s'impose à ... l'Académie, dont Lancelot est pourtant un sociétaire éminent.A la remarque que lui en fait un lecteur, il répond: « Je regrette que l'Académie ait officiellement consacré un usage qui me semble vicieux, mais je ne change point pour cela d'opinion » (p. 161). Nous reviendrons sur cette idée que se fait le chroniqueur d'une norme qui serait, dans le besoin, extérieure et supérieure à celle même de l'Académie.

Le nombre des substantifs n'appelle de remarque intéressante que s'agissant des pluriels en -ums ou -a de mots empruntés au latin. La norme préconisée par Lancelot est « d'appliquer rigoureusement à ces mots latins en um la règle des mots français: des albums, des pensums, etc. [... ] On dit communément, et je crois qu'on a tort de dire: un erratum, des errata ».,Mais « les personnes qui savent ou qui feignent de savoir le latin [... 1 articulent complaisamment: des sanatoria. Elles en ont plein la bouche. C'est ridicule » (p. 66-67).

Ici de nouveau, la norme de la bonne compagnie (qui évidemment sait trop bien son latin pour étaler ce savoir) s'oppose à une norme scolaire (du « secondaire » cette fois). Seule exception admise: un maximum, des maxima (et minimum/minima), parce que « les savants en ont pris I' habitude ». Mais « la température maximum, minimum ».

La question, on le sait, figure toujours en bonne place dans l'arsenal des chroniqueurs de langage; et d'ailleurs, dans les hésitations de l'usage et des dictionnaires, qui n'ont pas encore décidé, cinquante ans après la remarque de Lancelot, entre un erratum/des erratums, un erratum/des errata, un errata/des erratas, etc.; c'est-à-dire en fait entre aucune des combinaisons théoriquement possibles!

3. La syntaxe, ou plutôt la morphosyntaxe. Elle se ramène à un ressassement des « difficultés » traditionnelles, qui sont précisément les cas où un usage suranné ou précieux, en tout cas littéraire, n'est pas explicable par la syntaxe simple de l'oral Ainsi:

- « La locution vicieuse ce n'est pas rien [... ] signifie en effet ce n'est pas quelque chose, ou mieux, n'a point de signification claire et distincte » (sic! R, p. 32). Ici encore, recours à Pétymologie connue (mais mal perçue) des latinistes: rien, c'était (et par conséquent, dans une langue fossilisée, c'est encore) le latin rem, « quelque chose ».

--Le chroniqueur revient à maintes reprises sur « l'ignoble il n'y a pas que lui ... », sans qu'il soit possible ou du moins facile de démêler aujourd'hui ce que la construction pouvait bien avoir de si exaspérant pour un puriste.

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-Avant qu'il vienne, ou avant qu'il ne vienne? Encore une bonne ressource de chroniqueur! Celui-ci ne se prononce guère, et pressent la nuance, qui est peut-être aussi la solution: « ll faudrait dire avant que je demande la communication [N.B., téléphonique, aux demoiselles du télé-phones célébrées par Marcel Proust. Nous sommes en 1928], et avant que je ne l'obtienne, vu que le second est plus douteux que le premier » (R, p. 80).

Mais il n'en fait visiblement pas une affaire.

-Autre mouture: la différence de construction et de sens entre rien moins que et rien de moins que. Cinq « revenons-y » en deux ans! La norme à imposer aux lecteurs (qui en redemandent, du reste) est double: il ne faut

L'instinct de langue dirait plutôt: le sens exact de ces expressions étant absolument obscurci par les grammairiens, il ne faut plus les employer.- Le problème posé par: Hélène est sortie avec sa soeur et son mari (le mari de laquelle?) est abordé comme 91 se doit par l'aveu que l'anglais (his1her) offre une « commodité » qui manque au français.

4. Les accords du verbe. La défense de l'accord marotique (« Les poires que j'ai mangées ... ») est absolue et inconditionnelle. L'arrêté de 1901 qui tolérait l'invariabilité (et qui avait été pris par le ministre de l'Instruction Publique sans l'accord de l'Académie!), n'est rappelé qu'avec des con-sidérations ignominieuses.Les accords d'étant donné (ou donnée, ou donnés, etc. ), et de ci-joint ou ci-jointe, braves « chevaux de retour » des chroniques de langage comme le dit Lancelot lui-même! sont traités comme si la question ne se posait même pas: « C'est une faute incontestable, évidente, de laisser donné invariable. Épargnez-moi, je vous prie, l'objection qu'elle est courante: ce n'est pas ce qui l'empêche d'être une faute. Il y a aussi beaucoup de gens, une majorité (la majorité a toujours tort), qui disent: Je pars à la campagne » (p. 333).Quant à « la prétendue règle de l'invariabilité » [effectivement donnée par les grammaires dès le XIXe siècle], « elle est insensée [... ] C'est une de ces inventions de grammairiens dont il n'y a pas à tenir compte » (p. 341).

III - Le lexique

1. Les acceptions. La norme des chroniques, c'est le maintien du sens d'origine. Si Lancelot accorde qu'on pourra dire: saupoudrer ses fraises de sucre, il refuse qu'achalandé puisse glisser vers le sens « bien approvisionné » aux dépens du sens d'origine, « qui a beaucoup de clients », ou plutôt, car le mot est encore mal famé, « de pratiques » (p. 279).

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2. Les néologismes. J'ai donné à cet aspect des chroniques de Lancelot un développement que l'on trouvera disproportionné. fl m'a semblé en effet que les jugements portés sur les mots nouveaux étaient caractéristiques non seulement du sentiment que ce chroniqueur se faisait de la norme lexicale, mais d'un mode de pensée commun à tout le genre.

Certes, le refus de toute nouveauté lexicale est particulièrement aveugle et hargneux chez notre auteur. Mais les attitudes les plus ouvertes à cet égard (celle de Marcel Cohen par exemple) ne vont jamais jusqu'à la constatation, face à un néologisme, d'un gain pour la langue. Au mieux, le mot nouveau est un mal nécessaire. La norme, comme en grammaire, c'est la fixité des espèces.

La liste, qui suit, des néologismes examinés par l'auteur, est à peu près exhaustive pour les années 1933 et 1934 et n'est donc pas, comme il semble-rait, un choix de néologismes alors critiqués avec la virulence que l'on verra, et aujourd'hui banalisés.

AÉRODYNAMIQUE « est un admirable attrape-nigaud [... ] Une voiture bien carénée dit bien ce qu'aérodynamique ne disait ni bien ni mal, outre le comique de l'expression » (p. 243).« Quant au verbe S'AFFAIRER, c'est purement et simplement un barbarisme. Seul l'adjectif affairé existe; les ignorants l'ont pris pour un participe passé, et ont forgé là-dessus un infinitif qui n'est pas français » (p. 295).

« Artillerie ANTIAÉRIENNE est déplacé partout ailleurs que dans Don Quichotte, au chapitre des moulins à vent » (p. 153).ATTIRANCE est « une horrible préciosité » (p. 172).« Ce n'est pas, au surplus, un savant qui a fabriqué AUTOBUS, c'est le public,dont les barbarismes sont sans appel » (p.

« On me fait connaître un équivalent de CENT POUR CENT, qui, si le snobisme s'en mêle, remplacera peut-être cette façon de parier détestable. » [Suit un commentaire sur l'indianisme anglais sixteen annas to the rupee, francisé en à seize annas, pour « à cent pour cent »]. Nest-ce pas plus « élégant [poursuit le chroniqueur] que cent pour cent, et même que hundred percent? » (p. 20).« Des super-sottises (pour employer le jargon du jour), comme désinsectisation et DÉRATISATION » (p. 29).« Je ne transigerai jamais sur le mot EMPRISE [qui] signifie depuis le XIIle siècle une entreprise chevaleresque et ne signifie pas autre chose » (p. 367).« Êtes-vous allé voir les fleurs au Cours-la-Reine? Quelle merveilleuse expo-sition! Mais pourquoi diable cela s'appelait-il une manifestation FLORALE? » (p. 411).« Je regrette de ne pas lui avoir appris par la même occasion qu'IMPRESSIONNER, à la rigueur tolérable quand on parle d'une plaque photographique, est un barbare néologisme si l'on parle d'une personne à qui ou sur qui on fait impression » (p. 247).« Pourquoi pas, tant que vous y êtes, le difforme verbe NTENSIFIER? Intensif est un terme soit de scolastique, soit d'agriculture; dans la conversation où il s'est abusivement glissé, c'est un terme à la fois impropre et puant de pédan-terie » (p. 104).

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« La légende était: Mme N.... au temps de son activité JOURNALISTIQUE ... Vous voulez dire: Au temps où elle faisait du journalisme, où elle était jour-naliste. Que ne le dites-vous, et pourquoi user de ce galimatias, qui a l'air boche? » (p. 394).« J'ai maintes fois engagé les honnêtes gens à ne pas accueillir dans leur vocabulaire cet ours mal léché. Mais, entendons-nous: je ne leur défends pas d'employer MATÉRIAU sur leurs chantiers ou à l'usine, cela ne me regarde en aucune façon, je les prie seulement de le laisser au vestiaire avec leur bleu » (p. 334).

« Un amateur de choses nouvelles [. . .] célèbre la louange de l'informe adjectif MONDIAL Cela devait arriver un jour ou l'autre, je m'attends à tout » (R, p. 203).« Les auteurs de grammaire sont toujours accusés de n'y avoir mis que leur signature, le travail réel étant exécuté par ces aides que, dans le jargon moderne, on appelle des NÈGRES » (p. 7).« Vous chercheriez en vain PARUTION dans l'édition de 1878 du Dictionnaire de l'Académie, et vous ne le trouverez pas davantage dans celle qui est en cours de publication [1932-1935) ... Ce laideron de mot a été proposé à la Compagnie, qui l'a repoussé avec une juste horreur » (p. 114).Dans le dictionnaire de Littré, le mot PHOTOGÉNIQUE, « marqué, il est vrai, de la croix d'infamie qui atteste que l'Académie le boude [. ..] a deux sens. Le premier du moins n'est pas en contradiction avec l'étymologie: Qui produit des images par la lumière. Rayons photogéniques. Mais le second sens! Qui vient bien par la photographie. C'est à ne pas croire! Dans Littré! En 1878! » (p. 24-25).« Enfin, sans raffoler de PUBLICITAIRE, je le souffre, à condition bien entendu qu'il signifie qui concerne la publicité, un point c'est tout, comme disent les gens distingués. Il va de soi que je n'admets pa s les ventes publicitaires, les prix publicitaires et autres incohérences » (p. 250).« Pardon, c'est RÉACTIONNAIRE, le doublet inutile! De ces deux néologismes, le dernier n'est pas encore centenaire, et l'autre est bien d'un demi-siècle plus vieux. Aussi Jaurès, qui savait son français, a-t-il toujours refusé d'employer réactionnaire et toujours employé réacteur » (p. 68. Ce que fait toujours aussi le chroniqueur Lancelot).

« On me demande mon opinion sur SENSATIONNEL Ah! celui-là fait partie d'une bande d'adjectifs qui sont mes ennemis personnels, je ne peux pas les entendre en prose, ni d'ailleurs en poésie » (p. 95).« Je n'ai pas une fois tourné en dérision la grotesque épithète SÉLECTIONNÉ sans que vingt agents de publicité en détresse me demandent quel autre mot ils peuvent mettre à la place de celui-là, par exemple s'ils veulent parler d'une clientèle select (!). J'ose à peine leur proposer clientèle de choix; je crains de passer pour un fossile » (p. 288).

« Ah! monsieur, pardonnez-moi la peine et l'étonnement que je vais vous causer. il s'est suicidé est incorrect, il s'est suicidé est un affreux barbarisme, le verbe SE SUICIDER n'est pas français » (p. 282).« On se demandait l'année dernière comment dénommer les gens qui prennent des vacances, et quelqu'un avait proposé les VACANCIERS, qui est laid et ridicule. Il paraît que cette année-ci les gens qui font une cure sont dénommés CURISTES, qui n'est pas moins ridicule, mais qui est ravissant » (p. 166).

Je laisse au lecteur de ce florilège (objectif, répétons-le) le soin d'en relever et d'en apprécier les jugements de valeur, ou plus exactement les

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jugements esthétiques: barbare, horrible, détestable, informe, puant, grotesque, affreux, ridicule, etc.

3. Les anglicismes sont traités avec beaucoup plus d'indulgence, ou au moins de sérénité. Certes, le Bougnaes bar, les Facultatifs bar (ainsi nommés parce qu'ils sont au voisinage d'arrêts facultatifs des tramways!), l'Orléan's marché et le Théâtre du Poilus park font hausser les épaules à notre chroniqueur; mais sans plus. Il leur reproche en fait d'être de l'anglais de En revanche, il use lui-même sans contrainte et avec un plaisir à peine dissimulé, de « bons » anglicismes à la mode: les happy few, le bank holiday, « ce que les Américains appellent le standard of life », les business men, et même le short! et le sex-appeal! lui sont familiers (au moins en tant qu'autonymes); broadcaster, qui eut en effet son heure de mode, etspeaker, « qui n'est ni français ni anglais », sont relevés sans 4. L'orthographe n'est évoquée dans ces chroniques qu'à propos des projets de réforme. Hors de ceux-ci, le problème est censé ne pas se poser pour les lecteurs, qui la « savent » sur le bout du doigt. En fait, à plusieurs reprises, le chroniqueur relève avec malice les fautes de correspondants, et déplore que l'on en trouve Aucune mention de telles fautes dans les journaux, à commencer par Le Temps. 1 est certain qu'à l'époque la correction orthographique des journaux ne prêtait à aucune critique. Que les temps ont changé!Pour ce qui est des projets de réforme, la pauvreté des arguments pour le maintien en l'état répond, il faut bien le dire, à la pauvreté des arguments pour la réforme. « L'incohérence » des deux n d'honneur et du n unique d'honorable (p. 219), figure toujours dans l'arsenal des réformateurs; mais plus « les règles d'accord du participe, l'éternel ennemi » (des réformateurs d'alors). De même les h grecs de photographie, théorie ou rhétorique. Pour ceux-là, le chroniqueur « ne fera aucune difficulté d'écrire Des projets radicaux, il note seulement que « d'autres modifications [. . .j réduiraient l'orthographe française au phonétisme pur et simple; car on ne fait pas au phonétisme sa part » (p. 222). Remarque toujours actuelle,à propos de laquelle 9 évoque, un peu confusément, la position embarrassée des réformateurs radicaux, dont le

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IV - Discours normatif ou discours sur la norme?

Situons d'abord l'importance quantitative de ce discours (normatif ou sur la norme) que constitue l'ensemble des chroniques de langage.Pour le demi-siècle qui va de 1931 à 1981, et pour la France, une estimation grossière, prenant en compte le nombre de supports et la périodicité des chroniques, conduit à quelque dix mille chroniques. Les apports belge et québécois feraient peut-être approcher de Ce Corpus quantitativement imposant a été exploré scientifiquement pour la période 1950-1970 par la Bibliographie des chroniques de langage, établie sous la direction de Bemard Quemada par le Centre d'Études du Français moderne et contemporain.S'ajoutant à cette bibliographie, les notes que l'on vient de lire relativement à la période 1925-1934 permettent de dégager le trait le plus marquant du genre « Chroniques de langage »: le retour des thèmes ou des « objets »de chroniques, la répétitivité de celles-ci, c'est-à-dire finalement la fossilisation du genre.

1. Ces objets récurrents appartiennent,A) A la norme phonétique: liaisons, et

secondairement, influence du code graphique sur le code phonique (cin/cinque, Ste Menou/Ste Menehoulde, etc. ).B) A la norme graphique: graphies discordantes des dictionnaires, absence d'une norme officialisée pour un grand nombre de mots. Ce thème n'apparaît que tardivement: jusqu'en 1960, seuls sont tenus pour existantsle Dictionnaire de l'Académie (1932-1935) et le Même dans la période 1970-1982, le chroniqueur de langage du Monde paraît être le seul à s'intéresser systématiquement à ces discordances.La réforme de l'orthographe ne revient dans les chroniques qu'à l'occasion de projets; en particulier, pour la période 1960-1975, celui de R Thimonnier. Le chroniqueur est toujours sceptique: il sait qu'après une période d'agitation, le projet aura le même sort que ses Seul Marcel Cohen (L'Humanité) plaide avec chaleur pour l'étude sérieuse de simplifications réalisables et utiles.C) A la nomme grammaticale, et en fait à des difficultés de constructions ou d'emploi, elles-mêmes récurrentes. Ce sont en particulier.

-Après que (mode régi), Avant que (ne ... )

-Comparer N... àN... ou N... avec N.... N... et N... -Étant donné, ci-joint (participes lexicalisés)

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-On pour nous

-Partir à/partir pour, De Londres/depuis Londres, En Avignon/À Avignon

-Se rappeler quelque chose/de quelque chose D) A la norme lexicale, dans trois domaines:1) Les acceptions étymologiques: achalandé, baser, dans le but de. . . , émérite, errements, -rama (comme suffixe passe-partout), réaliser (« comprendre »), etc., font toujours recette pour toute la période considérée, que le chroniqueur proteste contre les glissements de sens, qu'il s'y résigne, ou qu'il s'en félicite.

2. Les néologismes sont de loin le sujet le plus fréquent des chroni-ques depuis vingt ans, au témoignage de la « Bibliographie » ci-dessus mentionnée, et pour la période 1970-1980 à celui du signataire de ces lignes. Pour la période antérieure, on a vu leur importance dans les chroniques de Lancelot

Cette fréquence s'explique par des raisons convergentes. L'apparition d'un mot nouveau est pratiquement le seul point par lequel le chroniqueur se rattache à l'actualité. Il y a, si l'on veut, répétition dans le thème (la néologie), mais nouveauté pour chaque espèce (le néologisme). Aucune chronique de langage ne pourrait se soutenir aujourd'hui si elle renonçait à traiter les néologismes.

En outre, et sans doute quelle que soit l'attitude du chroniqueur à leur égard, la néologie intéresse davantage de lecteurs que les « difficultés »; en particulier de lecteurs « modernistes ».

Enfin, elle est pour le chroniqueur une sorte de « chasse réservée » jusqu'à l'apparition d'un dictionnaire de mots nouveaux, toujours nécessairement en retard de quelques années sur la chronique correspondante.3. Les anglicismes n'apparaissent en nombre comme sujets de chroniques qu'à partir de 1960. Ce n'est pas qu'ils soient sensiblement plus nombreux à se manifester que durant la période précédente; mais ils sont incontestablement perçus comme un danger omniprésent.

En fait, l'attention portée aux anglicismes est, elle aussi, très répétitive: parking et week-end ont fait chacun, durant des années, l'objet de dizaines de chroniques.

2. On me permettra d'ajouter à ces indications générales une note personnelle qui les confirme. Prenant au journal Le Monde, en janvier 1972, la succession du regretté Robert Le Bidois, j'ignorais à peu près tout (je puis l'avouer aujourd'hui) des règles et des trucs du métier, et je n'avais guère lu que distraitement quelques chroniques des années 1965-1970, au hasard d'achats de journaux

Ce n'est qu'à l'occasion du présent texte que j'ai découvert à quel point j'ai pu sans le savoir, durant des années, remettre mes pas dans ceux de mes

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prédécesseurs. A cinquante ans de distance, les chroniques de langage du Monde ressassaient les mêmes querelles que celles du Temps disparu: émotionner etsolutionner, on pour nous, avant que et après que, en Avignon ou à Avignon, étant donné(e) et ci join«e), la réforme de l'orthographe, le destin misérable du français On dira que le ton n'est pas le même, ni la préoccupation de comprendre et de faire comprendre plutôt que de tancer. Il reste que ces nouveautés d'éclairage dont on veut bien me faire honneur portent souvent sur les mêmes objets qu'il y a un demi-siècle. Il en est de même, on le sait, pour les dictionnaires de « difficultés » qui se recopient inlassablement, et ne Il existe donc bien un « champ » de la chronique du langage: c'est celui des tensions entre la norme et l'usage montant. Comment s'exerce dans ce champ l'autorité en quelque sorte arbitrale du chroniqueur?

3. Arbitrale ou arbitraire? Plus souvent celui-ci, et à peu près toujours pour les chroniques d'Abel Hermant-Lancelot.S'ils ne faisaient que reproduire et diffuser la norme, les chroniqueurs (comme les difficultologues, pour hasarder cette plaisanterie) n'auraient guère à apporter à cette tâche davantage de réflexion que ne le fait l'instituteur qui corrige les dictées: faute avérée, faute sanctionnée. Le fait est que ce qui reste en France et dans les pays francophones de « billets » correctifs se Mais le contrevenant n'est pas ici sans ressource. Lecteur et non élève, adulte et, qui plus est, abonné! 91 en appelle à l'autorité de sa bibliothèque contre celle du chroniqueur, à une norme contre une autre.Pour tout ce qui est de la grammaire, le débat est simplifié depuis que Le Bon Usage de Maurice Grevisse s'est imposé, dans les années 1965, comme la référence obligée. 1 permet au chroniqueur de lever ses propres doutes ou de les alimenter de citations, expose et propose, mais impose rarement Il n'est pas douteux que son immense diffusion en France a été pour quelque chose dans le dépérissement des chroniques de langage; et M. Grevisse chroniqueur (il le fut longtemps dans La Libre Belgique) s'est effacé derrière l'homme du livre. L'arbitraire du chroniqueur Lancelot s'exerce de tous côtés: c'est, dit-il lui-même (p. 354), « en vertu d'un pouvoir discrétionnaire » qu'il condamne sans hésiter réaliser qui, dans ce sens, « n'est pas français (. . .] et de plus est snob ».2. Maurice Grevisse, Problèmes de langage, Chroniques 1964-70, Éditions Duculot, Gem-

bloux-Paris, 5 volumes.

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R un degré moins péremptoire, tout chroniqueur est amené un jour ou l'autre à tenir le même langage. La confiance que fait son public aux informations du journal dans lequel il signe ces chroniques, s'étend nécessairement aux chroniques elles-mêmes. Leur périodicité et leur durée le confortent dans cette confiance. 1 suppose à bon droit qu'une même signature ne se maintient pas des années durant sous le même Le chroniqueur un peu chevronné en arrive ainsi à se faire, voiens nolens, directeur de consciences linguistiques. De 1945 à ce jour, trois chroniqueurs seulement en 36 ans! ont, selon la formule consacrée, sévi dans les colonnes du Monde; chacun d'eux (Albert Dauzat, Robert Le Bidois, Jacques Cellard) ayant donc signé à peu près trois cents chroniques. Ce n'est pas Ces chroniques ont longtemps été de la « Défense du français ». Mais l'abandon de ce sur-titre obsolète en 1971 n'a pas signifié, pour les lecteurs, l'abandon de cette mission, ou au moins de ce souci. On s'attend seulement que cette défense n'ait plus la teinture d'élitisme, de chauvinisme et de racisme qui l'ont jadis, naguère encore et hélas, aujourd'hui parfois, rendue La « doctrine » des chroniques du Temps dans les années 30 en faisait un étalage provocant. Nul n'y a de l'esprit hors lui et ses amis: les hommes de science, les linguistes d'alors, n'ont pas leur mot à dire dans une affaire qui n'intéresse que les gens de goût Pas davantage le peuple: la majorité a toujours tort Pas davantage les enseignants de français, cuistres et petits esprits. Littré et l'Académie même ne sont des cautions Mais, sous l'habit caricatural dont le personnage était certainement conscient, et auquel il se complaisait, se cache une vérité. Ce n'est pas un discours de la norme que le lecteur attend du chroniqueur, mais un discours sur la norme. Et il entend que ce discours soit typé, vif, bousculant, irritant ou indigné à l'occasion; bref, sous le style il veut deviner un homme. Qui lui donnerait tort?4. Norme de langage et sentiment de langue. Mais le style, s'il peut de temps à autre réveiller par ses pointes le lecteur assoupi, ne suffit pas à la durée d'une chronique. La fable le dit bien:« La bigarrure plaît: partant

chacun le vit Mais ce fut bientôt fait; bientôt chacun sortit »Chacun sortirait de même à la lecture répétée de

chroniques figées dans une impassibilité pseudo-scientifique. Quant au défenseur brouillon du « bon » français, s'il court peu de risques de voir fondre le bataillon des fidèles, 9 a moins de chances encore de le

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Que désire donc ce lecteur que tout journaliste aimerait pouvoir nommer à la grecque « le nombreux »? Que le discours sur la nonne que tient le chroniqueur soit à la fois éclairé par une solide connaissance des mécanismes de la langue, et par ce qu'il faut bien appeler le « sentiment » de cette langue. Autrement dit, il veut y trouver le rationnel (la connaissance documentée) et l'irrationnel (l'intuition de ce qui est ou n'est pas dans la langue); et encore, le diachronique (c'est la connaissance, nécessairement historique, des tenants d'un mot ou d'une construction), et le synchronique: la perception de l'état présent le plus probable de ce mot ou de cette construction.Cette double exigence est nouvelle et encore confuse. On peut la con-sidérer comme un double désaveu: celui d'une grammaire (ou plus large-ment d' une linguistique) du français devenue illisible au commun des mortels, et même à tout ce qui n'appartient pas à la chapelle des élus. Et celui d'une norme livresque qui, non contente d'ignorer l'usage le plus banal, se plaît à en prendre le contre-pied.

C'est en cela que les chroniques de Lancelot sont le contre-exemple de ce que pourrait être une chronique de langage d'aujourd'hui et de demain: aucun savoir, et pas l'ombre d'un pressentiment de la marche dela langue. Mais après lui, Albert Dauzat, Robert Le Bidois et surtout Marcel Cohen en ont eu à des degrés divers le savoir (encore très bridé chez le premier par la préoccupation de la « défense » du français, chez le second par une formation exclusivement classique) et parfois le sentiment.

Je ne m'étendrai pas sur la période contemporaine, sinon pour sug-gérer qu'un chroniqueur de langue doit pouvoir être lu aujourd'hui et par les linguistes et par un assez grand public. La partie n'est pas égale: les premiers, qui sont deux cents, se croiraient déshonorés si on les surprenait à lire avec intérêt ce qu'un journaliste écrit de leur discipline. Les seconds, qui sont deux cent mille, n'acceptent qu'à doses légères de s'engager, à la suite du chroniqueur, sur les sentiers broussailleux de la linguistique contemporaine.

5. Et la norme, dans tout cela? On sait qu'elle n'est plus pour les spécialistes, dans le meilleur des cas, qu'un objet d'études désintéressées. Le public, lui, au moins celui des chroniques, la voit constamment et grossièrement ignorée dans les journaux, à la radio, à la télévision, dans les livres, les chansons et les textes officiels. Et je ne parle pas ici de la nomme arbitraire des puristes, ni même des cas où l'on voit se dégager de ce qui était faute une norme nouvelle; mais du simple souci de parler et d'écrire comme tout le monde, et non en additionnant l'hypo et l'hypercorrection, l'ignorance et la précisosité.

De quel côté doit pencher la chronique? Protester, c'est vieux jeu; se taire, c'est renoncer, et par là même décourager ceux qui, si rares qu'ils soient, essaient dans leurs journaux ou devant leur micro de ne pas tout laisser passer. La question se pose sans cesse: le courrier d'un chroniqueur est fait pour une bonne part (pas loin d'une lettre sur deux) de relevés de fautes

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véritablement ahurissants et qui donneraient l'impression, si on ne les rapportait à la masse de textes ou de paroles produits chaque jour en français, que l'illettrisme a fait depuis vingt ans chez nous des Il me semble que, même sans illusions, le chroniqueur de langue a une fonction professionnelle et sociale à remplir. II n'est pas libre, comme l'est le chercheur (?), de prendre à l'égard de la norme l'attitude détachée du physicien face à la chute des pommes. La norme de langage, c'est aussi le plus grand dénominateur commun à toutes celles et tous ceux qui utilisent une même langue. Lu, interrogé, souvent suivi, et finalement payé par eux et par elles, c'est envers eux On ne confondra pas tout à fait ce sentiment de la langue (ou plutôt du langage) avec le « sentiment linguistique » qui permet au sujet parlant de porter des jugements de grammaticalité. Le premier nommé permet en outre de porter intuitivement des jugements de normalité, quelle que soit la norme de référence (qui peut être, par exemple, celle du français non conventionnel spontané, ou celle du français scientifique); des jugements anticipés d'acceptabilité II est aussi impossible de prouver l'existence de ce « sentiment de la langue » et son efficacité que de les nier. 11 est en fait, dans le cas du chroniqueur, la résultante d'un très grand nombre d'observations partielles et de l'attention particulière, obsessive, qu'il porte aux réalisations de tous genres des locuteurs, de

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XXV

Normes locales et francophoniePar Albert Valdman

1. IntroductionLes dernières décennies ont vu l'éclatement de la

notion d'un français standard à base hexagonale uniforme. Bien qu'elle continue de régner dans le domaine de l'enseignement du français langue étrangère, la référence au« parler soutenu de la bourgeoisie cultivée de la région parisienne » devient de plus en plus contestée, non seulement au sein des communautés francophones extra-hexagonales mais aussi à l'intérieur de l'Hexagone lui-même. La mise en question d'une norme unique basée sur une variété en usage par une strate sociale particulière et sur une aire géographique donnée se manifeste dans plusieurs champs d'activité langagière: dans l'enseignement du français langue seconde et langue maternelle, dans l'aménagement et la planification linguistique, dans l'élaboration de ces outils normatifs que sont les dictionnaires et les grammaires. Il est intéressant de noter que cette Plusieurs faits convergents expliquent l'éclatement de la notion de norme unique. Nous n'en retiendrons ici que trois: le développement de la sociolinguistique; l'influence grandissante de certaines communautés francophones par rapport au noyau hexagonal; enfin, au sein de l'État français lui-même, l'éveil des groupes ethniques minoritaires (Alsaciens, Antillais, Bretons, Catalans, Corses et autres Occitans) ainsi que des changements dans les méthodes et les objectifs La linguistique structurale, de Saussure à Chomsky en passant par le fonctionnalisme praguois et le descriptivisme bloomfieldien, a toujours privilégié l'analyse de la langue à partir de l'observation du comportement1. Cf., p. ex, Le Cornec (1981). 1 est clair que nous n'attachons

aucune connotation péjorative à ce type d'activité langagière.

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linguistique plus ou moins idéalisé de locuteurs individuels. Dans le domaine du français, la plupart des travaux à orientation structuraliste ont porté sur des témoins représentant les mêmes couches sociales qui avaient fait l'objet des études linguistiques antérieures, en l'occurrence la bourgeoisie parisienne cultivée. Sous l'impulsion de la sociolinguistique nord-américaine, les descriptions du français ont pris une orientation plus empirique. D'une part, elles ont mieux réussi que les descriptions structuralistes à capter la variabilité du comportement linguistique des témoins interrogés; d'autre part, elles ont élargi le choix de variétés de langue étudiées pour inclure les parlers extra-hexagonaux (Québec, en particulier) et les couches socioculturelles défavorisées'. Au delà des seuls facteurs systémiques internes (la langue), la sociolinguistique vise à faire entrer dans le cadre d'une description systématique les facteurs liés à la situation d'énonciation, c'est-à-dire prédire qui parle de quoi, à qui, quand, pour quoi faire, pour ne mentionner que On peut caractériser le développement de la francophonie par la superposition d'une parlure' particulière - celle de la bourgeoisie parisienne cultivée - sur les autres variétés issues comme elle du fonds gallo-roman (il). Dans un premier temps, cette parlure s'étendit dans les zones périphériques de tradition française d'Europe (Belgique, Suisse romande, val d'Aoste), puis dans les territoires d'outre-mer où avaient été transplantés des parlers régionaux-' lors de la première expansion coloniale française (Acadie, Canada, Louisiane, Antilles, Mascareignes). Dans un deuxième temps, cette parlure s'implanta dans des régions non romanophones où le français avait pris pied comme langue administrative (Maghreb, Afrique noire, Madagascar, Indochine, etc.). La suprématie du français standard hexagonal se maintint jusqu'à la deuxième moitié de notre siècle. Au Québec par exemple, l'idéologie du « rattrapage » industriel et culturel qui 2.

3.

4.

Toutefois, il faudrait faire état des recherches entreprises par A. Martinet (1945) et ses disciples (Reichstein, 1960; Deyhime, 1967-68). Malgré certaines faiblesses méthodolo-giques que nous avons signalées ailleurs (Valdman, 1974), ces chercheurs fonctionnalistes ont révélé de nombreuses déviances par rapport à la norme orthoépique de la part de toutes catégories de Français, y compris la bourgeoisie parisienne cultivée.Nous employons la terminologie de Damourette et Pchon (1927: 50) selon laquelle le terme panure dénote le parler d'une classe sociale particulière (sociolecte) et le terme usance celui d'une région (dialecte).Outre l'influence de parlers oil régionaux (angevin, normand, poitevin, etc.) les variétés de français d'outre-mer actuelles reflètent une sorte de kolnê populaire qui se serait formée lors de la fondation des colonies (Hull, 1974, 1979; Valdman, 1979).

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elles en usage dans les couches sociales inférieures (Corbeil, 1976). Mais à partir de 1970 se développa l'idéologie du « dépassement » qui se marqua sur le plan linguistique par la revalorisation des variétés québécoises du français. L'un des aspects de cette revalorisation fut l'emploi par certains auteurs des variétés les plus stigmatisées recouvertes par la désignation de joual (Bélanger, 1972).

L'avènement de l'idéologie du dépassement correspond à la participation active de spécialistes québécois au lancement d'organismes se situant dans la mouvance de la francophonie: l'AUPELF (l'Association des universités partiellement ou entièrement de langue française), 1961; l'AIPELF (l'Association internationale des parlementaires de langue française), 1967; l'ACCT (l'Agence de coopération culturelle et technique), 1970. Fait notoire, ces trois organismes, dont l'un des objets, explicite ou implicite, est le maintien et la diffusion du français, naquirent hors de France, à Montréal, Luxembourg et Niamey, respectivement La direction du premier-né de ces organismes - et celui qui a connu le plus grand rayonnement - incomba à un Québécois, Jean-Marc Léger. Avec la création de l'Office de la langue française le Québec assuma un rôle important, sinon prépondérant, dans l'aménagement linguistique du français, en particulier dans le domaine de la planification terminologique. Arrivé au pouvoir, le Parti Québécois instaura une politique culturelle plus active dont l'une des manifestations sur le plan de la politique extérieure fut, par exemple, de prendre le relais des efforts français pour la diffusion de la langue commune aux États-Unis. Le ministère des Affaires intergouvernementales octroie des bourses aux étudiants américains désireux de parfaire leur pratique du français dans la Belle Province plutôt que dans l' Hexagone. Il encourage la création de programmes d'études québécoises et il participe, avec la France et la Belgique, au programme CODOFIL pour l'enseignement et la revitalisation du français en Louisiane. Inévitablement, cette participation active à la diffusion du français va de pair avec l'exportation de variétés québécoises et la concurrence entre celles-ci et le français standard.

Jusqu'à présent, les revendications linguistiques des groupes ethniques minoritaires n'ont pas déteint sur leur attitude envers la langue nationale. Les efforts des militants portent principalement sur la généralisation de l'enseignement des langues minoritaires et sur un accroissement de leur emploi par les médiass. Toutefois, certains militants régionalistes tels que

5.

6.

Le programme du CODOFIL (Conseil pour le développement du français en Louisiane) fait appel à des enseignants fournis par ces trois entités politiques francophones. Les coopérants québécois, par leur meilleure connaissance du milieu nord-américain et, sans doute, par les similitudes entre leurs parlers et les variétés vernaculaires de leurs hôtes, semblent connaître un plus grand L'enseignement de la plupart des langues minoritaires (à l'exception du néerlandais et du créole) est admis selon les dispositions de la loi Defxonne promulguée en 1956. Cette loi autorise l'introduction des langues minoritaires à raison d'une heure par semaine au niveau primaire et admet l'option langue régionale au baccalauréat

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Robert Lafont (1973) affirment que la reconquête de la dignité linguistique des groupes minoritaires de l'Hexagone passe par la valorisation de l'accent local. Ce fervent occitaniste s'élève contre les stéréotypes péjoratifs que suscitent les traits marquants du français des Méridionaux et l'exploitation qui en est faite par Nombreux sont les hommes de lettres, enseignants, commentateurs de la scène sociale et politique française et autres honnêtes gens qui déplorent la baisse de la qualité du français en usage dans les écoles, collèges, lycées et universités du pays. Ce sentiment semble refléter des différences réelles entre le français parlé et écrit de la génération écolière et estudiantine actuelle et celles qui font précédée. D'où proviennent ces différences? II nous semble qu'elles procèdent de deux sources. Premièrement, la démocratisation des enseignements secondaire et supérieur a fait parvenir à ces niveaux des jeunes qui n'ont pas acquis, dans le milieu familial, une variété de langue se rapprochant de la norme traditionnelle. Les rédactions de ces jeunes Français issus des classes paysannes et ouvrières et de la petite bourgeoisie ne peuvent que refléter les traits déviants profondément enracinés ainsi que les hypercorrections provenant d'une insécurité linguistique profonde. Deuxièmement, dans l'enseignement du français langue maternelle à l'école et au collège, une place grandissante est faite à des procédures pédagogiques qui privilégient r expression naturelle. Elles encouragent les enfants et les adolescents à s'exprimer plus librement et à écrire comme ils parient --- ou comme ils K causent ». Ainsi, les

Il ressort des précédentes considérations que le temps est révolu où la référence au parler soutenu de la bourgeoisie cultivée de la région parisienne faisait l'unanimité tant en France qu'au delà de ses frontières. Mais avant d'explorer la possibilité de l'élaboration de normes locales du français, il convient de revenir en amère et d'éclaircir la notion de FS (français standard) ou de bon usage elle-même. Ainsi, dans la première partie de notre article, nous confronterons cette notion aux données empiriques. Plus particulièrement, nous opposerons la notion de FS à la notion antinomique de français populaire (FP) et nous tenterons de démontrer Dans la deuxième partie de l'article, nous passerons en revue les diverses définitions du terme français régional. Nous soulignerons qu'il est d'usage d'imposer une discontinuité là où l'observation du comportement langagier en situation ne révèle qu'une chaîne de variation continue. Comme c'est te cas pour le FS et le

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sur une différenciation sociale, bien que le membre dévalorisé de l'opposition connote une origine rurale ainsi qu'un statut social inférieur. Dans le corps principal de notre étude, nous examinerons les traits linguistiques et sociolinguistiques des variétés régionales dans trois types de communautés dites « francophones »: les régions de tradition française où l'idiome sert de vernaculaire et a le statut de langue officielle dominante; les régions où le français fonctionne principalement comme langue officielle; les régions où le français, langue vernaculaire, se trouve en situation de diglossie face à une langue dominante.2. Français standard

et français populaire

2.1 L'idéalisation du français standardNous avons vu que la notion de FS ne repose sur

aucun corpus de données empiriques. 1 est paradoxal que nous disposions de monographies décrivant le français parlé dans plusieurs zones excentriques de l'aire francophone d'Europe -- par exemple, A. Brun (1931) pour Marseille, J. Séguy (1950) pour Toulouse - mais aucune sur le parler de la bourgeoisie cultivée parisienne. Bien sûr, il existe une masse d'ouvrages traitant de ce parler car la plupart des descriptions du français s'y rapportent. Mais, à l'exception des travaux précédemment cités de Martinet, Reichstein et Deyhime, nous n'avons pas eu connaissance d'études globales portant sur le parler de tel ou tel membre de la strate socioculturelle dont le comportement langagier est censé servir de cible aux francophones du monde entier et aux alloglottes désireux d'acquérir le maniement de la variété la plus prestigieuse de français. Malgré les prétentions à l'objectivité de leurs auteurs, les descriptions du soi-disant FS dont nous disposons ne reposent sur aucun corpus nettement délimité. Sans nier Force nous est donc d'admettre que, malgré les trois siècles qui nous séparent des Remarques sur la langue française, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire de Vaugelas (1647), ce que l'on dénomme FS demeure une abstraction, un idéal. En effet, le parier que Vaugelas donnait7. Signalons toutefois quelques contributions à l'étude de ce parier limitées à quelques traits

phonologiques particuliers: Mettas, 1970; Malécot, 1972. U faudrait aussi faire état du Dictionnaire de la prononciation du français dans son usage réel de A. Martinet et H. Walter. Les auteurs livrent le résultat d'une enquête phonologique auprès de 17 témoins appartenant à la bourgeoisie cultivée nés à Paris ou y ayant passé leurs années formatrices. Les témoins devaient indiquer leur prononciation d'une liste de mots à prononciation variable tels que lait, zone, but, etc.

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en exemple constituait « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d'écrire de la plus saine partie des auteurs du temps ». La définition du FS d'aujourd'hui, qu'offre le linguiste belge J. Hanse, président du Conseil international de la langue française (CILF), diffère peu de celle de son illustre « l. . .] le français parlé par l'homme instruit et cultivé, le français écrit par les bons auteurs modernes .... par ceux qui ont prouvé leur connaissance de la langue et de ses finesses, mais aussi leur amour de la clarté et leur conscience de la valeur sociale du langage, et enfin le français défini par tes meilleurs grammairiens. »

II n'est nullement dans notre intention de porter un jugement dépréciatif sur ces deux définitions, au contraire. Nous tenons simplement à souligner le caractère fictif du terme de Français Standard. Il ne recouvrait aucune réalité empirique et ne pourrait être décrit par des enquêtes empiriques, aussi bien menées et rigoureusement planifiées fussent-elles. Tout au plus ces enquêtes pourraient-elles démontrer que le parler de telle ou telle strate sociale ou de tel ou tel locuteur se rapproche davantage de cette fiction que le parler de toute autre strate sociale ou tout autre locuteur individuel. Le FS est donc une norme idéale, une norme 2.2 Le français populaire: l'évolution d'une notion

Il est d'usage d'opposer à la notion de FS celle de FP. Cette distinction s'accorde d'ailleurs avec la polarisation qu'imposent généralement les socio-linguistes à tout continuum linguistique. Ainsi, Peiïalosa (1981) déclare qu'une lecture de la plupart des études sociolinguistiques autorise à démarquer nettement le comportement des classes moyennes de celui des classes laborieuses:

« Perhaps one central idea that emerges out of all the sociolinguistic studies relating social class to language usage is that there is a noticeable and Le terme de FP recouvrirait-il donc le parler des

masses urbaines de l'Hexagone et refléterait-il des faits linguistiques observables aujourd'hui auprès de témoins issus de cette classe sociale? Nous verrons qu'il n'en est rien et que ce terme, comme celui de FS, est chargé de connotations idéologiques.Nous devons la première étude sérieuse du parler en usage dans le prolétariat parisien à Ch. Nisard (1872). Cet auteur oppose le FP aux patois. Pour lui, ces derniers possèdent une dignité et une homogénéité qu'il nie aux parlers des masses urbaines. En fait, le FP n'est que le vestige dénaturé d'un parler authentique « C'est unpatois mort et il n'a pas la sottise de revendiquer une chaire où on l'enseigne, il mérite au moins ce degré d'attention que les anatomistes scrupuleux ne font pas difficulté d'accorder aux produits anormaux de la "création". »

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Survivance maladive d'un parler campagnard le FP ne possède pas de fonds lexical propre. Tandis qu'une langue de culture comme le français standard « emprunte » à d'autres idiomes, le parler de la plèbe fruste et hargneuse se les approprie chez autrui « Tantôt, il garde tels qu'ils sont les mots qu'il dérobe (aux langues étrangères), tantôt il les dénature comme il fait aussi des mots français, mais ceux-ci plus brutalement à la manière des voleurs qui dénaturent les objets qu'ils se sont appropriés. La cause en est l'organe vocal du peuple de Paris, tour à tour empàté et élastique,

Un outil linguistique ne peut se forger de cette manière et Nisard conclut que le parler du bon peuple de Paris n'est qu'un ensemble hétérogène auquel même la désignation de patois ferait trop honneur:« Ce langage, que j'appelle patois, pour être bref, ne mérite guère ce nom, pris surtout dans le sens de dialecte; il n'en a ni l'unité, ni l'originalité, ni les règles; c'est une marquetterie où les diverses pièces qui le composent sont si pressées qu'on ne distingue pas

Pourquoi ces jugements si sévères du chercheur envers l'objet de son étude? Il ne faut pas oublier que seulement deux ans séparent la publication des Études sur le parler populaire de Paris et de sa banlieue de la révolte communarde. En 1872 le prolétariat effraie encore et quel meilleur moyen de rabaisser les masses urbaines que de dénigrer leur moyen de communication et d'expression? Mais un siècle plus tard le parler du peuple sera réhabilité par la linguistique. En 1929 le linguiste genèvois H. Frei, après l'examen d'un corpus composé de la correspondance entre des prisonniers de guerre français internés dans les camps allemands et leur famille, conclut que ce qui avait paru hétérogène et dysfonctionnel dans le parler populaire n'était que

Cette vision du FP comme source de la régénération de la langue nationale est reprise par P. Guiraud (1965). Ce dernier y voit la manifestation des tendances profondes de la langue contrecarrées par les interventions malencontreuses des grammariens et « Entre le français populaire et le français cultivé, il y a la distance de la Nature à l'Art, mais on évitera pour l'instant 'attacher à cette opposition un jugement de valeur [... ] La différence tient au fait que le français cultivé se définit par des règles tirées d'une réflexion sur !'idiome et de l'expérience d'une tradition, alors que le français du peuple n'est soumis qu'aux lois naturelles

Toutefois, Guiraud note qu'outre les traits résultant de l'opération des lois profondes de la langue, le FP contient des hypercorrections provenant de (imitation défectueuse de constructions du FS. C'est ainsi qu'il faut interpréter les formes interrogatives pléonastiques comme Où que c'est que tu vas?, Où c'est-loi que tu vas?, Où que tu vas? représentant l'interaction entre Où tu

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67$ LA NORME LINGUISTIQUE

Dans une contribution plus récente (Guiraud, 1969), l'éminent lexicologue rectifie l'image un peu simpliste de « bon sauvage » linguistique qui émane de son ouvrage Le Français populaire. Historiquement, ce que l'on dénomme FP tire en effet son origine du parler des masses ouvrières et paysannes de l'aire oil et résulte de l'opération des lois qui déterminent tout système linguistique8. Mais les brassages sociaux du vingtième siècle ont brouillé la ligne de démarcation entre le FS et le FP. Ce dernier constitue aujourd'hui la version relâchée de la langue et il s'étend à l'ensemble de la communauté linguistique hexagonale. Il se montre plus variable que l'usage normé puisqu'il est plus perméable aux influences locales et accepte plus volontiers les déviations. D donne une plus grande importance à la fonc-tion expressive du langage que son congénère plus châtié et privilégie la forme locutive aux dépens de la forme prédicative. L'attitude de P. Guiraud envers les deux rejetons de l'ancien parler oil peut paraître ambivalente. D'une part, il déclare que le FS (pour lui, le français cultivé) « a sur le français naturel toutes les supériorités d'une culture: finesse, harmonie, précision, richesse de l'expression, etc. » D'autre part, il souligne la légitimité du français « naturel » en tant qu'idiome de plein droit, ce qui implique qu'il dispose « de toutes les formes nécessaires et des plus adéquates par leur précision, leur force, leur expressivité, etc. »Cette attitude finement nuancée envers le parler des couches sociales inférieures sera abandonnée par certains linguistes et spécialistes de l'enseignement du français langue seconde et étrangère. Ainsi, C. Stourdzé (1969) confond sociolecte et type de discours. Elle retient de l'image qu'en donne Guiraud l'aspect naturel du FP et son origine dans une strate socioculturelle particulière (« en gros [. . .] les Français qui n'ont pas fait d'études secondaires ») mais elle lui nie toute systématicité et homogénéité:

« [... ] une langue populaire [... ] dans [laquelle] formes et constructions grammaticales ne semblent obéir à aucune norme: il suffit que l'interlocuteur paraisse avoir compris le message. »De toute évidence cette définition néglige de tenir compte du fait

que tout parler en situation est soumis aux contingences de l'énonciation. Le FS capté en situation se fond-il en un continuum unique avec le FP? C'est la conclusion à laquelle semble aboutir T. Bonin (1978) dans un ouvrage sur les implications pédagogiques de la distinction entre français soutenu et français familier ou relâché (colloquial French). Elle perçoit le FS de style familier comme la forme du FP passée par le crible de la tradition puriste inculquée par l'École. Mais ce vernis superficiel ne résiste guère aux contingences de l'énonciation:

« As a result of the relative degree of familiarity, shared knowledge and freedom to express one's emotions in a spontaneous, unedited foret which are implied by the use of the colloquial style, there is a deterioration of the syntax and a correspondingly heavy reliance on suprasegmental features » (1978: 96).

8. Pour !-f. Bouche (1929), le français populaire constitue un véritable sociolecte:. Le langage populaire est l'idiome parlé couramment et naturellement dans le peuple, Idiome que l'homme du peuple tient de ses père et mère et q%i 1 entend chaque jour sur les lèvres de ses semblables. »

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NORMES LOCALES ET FRANCOPHONIE 263

La notion de FS familier telle que la présente T. Bonin manque de clarté. Elle ne réussit pas à trancher sans ambiguïté sur deux questions centrales: (1) le FP est-il un sociolecte s'opposant au FS? (2) le FP se démarque-t-il du FS familier, c'est-à-dire de certains niveaux de langue, de certains styles ou de certains types de discours du français standard? En d'autres termes, lorsqu'il est soumis aux contingences de l'énonciation, le FS familier se confond-il avec le FP soumis lui aussi aux mêmes contingences?

2.3 Le continuum français populaire/français cultivéUne récente enquête empirique de P. Behnsted (1973) permet de

répondre en partie à la première question. Parce qu'il s'aligne sur l'opinion reçue selon laquelle le parler des masses exhibe une différenciation stylistique limitée, ce chercheur ne pourra pas non plus jeter de lumière sur la deuxième questions.

Selon la plupart des auteurs, le FP se distinguerait sur le plan linguistique par les traits suivants:

-Tendance à l'invariabilité: Elle est gras comme un cochon. Elle s'est mépris.

-Temps surcomposés. J'ai eu acheté du fromage (indéfini). J'ai acheté du fromage (défini).

- Reprise du pronom: Moi, je ... ; lui, il ... ; nous, on . . .

- Substitution de y pour lui: J'y dirai.

- Décumul du pronom relatif: Dimanche que vient je lui écris ma carte.

Mon mari que je suis sans nouvelles de lui.

L'homme qu'il est venu avec.

- Absence du négatif ne: 11 va pas au travail

9. Selon J. Lindenfeld (1969), les locuteurs représentant les couches sociales inférieures disposeraient d'une gamme stylistique plus réduite que les membres des classes moyennes. L'enquête sur laquelle elle s'appuie contient plusieurs faiblesses méthodologiques (notamment le choix des variables linguistiques, limitées à deux traits syntaxiques définis selon la perspective transformationnelle, et une procure d'élicitation fort discutable selon laquelle les sujets devaient s imaginer produire des énoncés sous deux types de cir-constances différentes) et un nombre de témoins trop réduit pour que l'on accepte ses conclusions. Dans l'enquête qu'elle a entreprise sur la variabilité syntaxique des Français (1974), L -B. Robach estime que la réticence de la part des membres des couches sociales

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264 LA NORME LINGUISTIQUE

- Interrogation: particule interrogative -ti: Viens-ti, elle vient-ti? croisements entre est-ce que et l'inversion: Quand que tu viens?

Quand c'est-ti que tu viens? Quand c'est que - Dislocations syntaxiques: Moi, c'est le patron, il

nous transporte sur le chantierLes immigrés, bon ber, qu'est-ce qui font ces immigrés?

-E muet intercalé: un infecte cigare, un filme parlant. -Simplification des groupes de consonnes composés d'une occlusive ou /f v/ plus liquide: l'aue jour, rot' frère.

P. Behnsted enregistra un groupe de Français divisé en deux catégories socioculturelles selon une variété de critères sociologiques: revenu, niveau d'instruction, etc. Le chercheur allemand partit de la supposition, fausse à notre avis, que les témoins représentant les classes sociales inférieures produisent des énoncés non différenciés du point de vue du style ou du niveau de langue. Ainsi désigna-t-il les échantillons de langue produits par eux « français populaire ». Pour les témoins issus des classes moyennes, il distingua entre le style familier et le style soutenu. Son enquête porta sur la fréquence relative des tours interrogatifs dans les questions partielles, c'està-dire les phrases contenant un pronom ou un adverbe interrogatif. Dans ce domaine syntaxique, le français montre un foisonnement de tours qui se regroupent sous quatre catégories: (1) l'antéposition de l'élément interrogatif avec le maintien de l'ordre sujet-verbe (Où Jean va?, Où il va?); (2) la substitution d'une proforme pour l'élément interrogatif mais son maintien en position finale (Jean va où?, Il va Les résultats de l'enquête, présentés au tableau 1, mettent en cause la ligne de partage traditionnelle entre le FP et le FS. Nous notons que le FP et le FS familier (telles que ces notions sont définies par Behnsted) s'opposentau FS soutenu par une plus haute fréquence relative de l'ANTÉPOSITION et de EST-CE QUE et un faible taux d'emploi de l'INVERSION. Le FP ne se démarque du FS que par la présence des tours pléonastiques (Où qu' tu vas?, Où c'est que tu vas?, etc.) et un faible emploi de PRONOMINALISATION. En traçant de grands traits, on

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NORMES LOCALES ET FRANCOPHONIE 265

Tableau 1Fréquence relative de la distribution des constructions

interrogatives dans un corpus de français parlé

type de construction fr. pop. fr. standardfamilier soutenu

ANTÉPOSITION Où tu vas? Où Jean va? 36% 46 10

PRONOMINALISATION Tu vas où?Jean va où? 12 33 25

EST-CE QUEEst-ce que Où est-ce que tu vas? 8 12 3

Où est-ce que Jean va?Que Où qu' tu vas? 26 - -C'est que Où c'est qu' tu vas? 3 4 -Que c'est que Où que c'est que tu vas?

6 - -INVERSION

Simple Où vas-tu? - 3 47Où sont passés mes

cigares? 9 2 12Copie du PROF. Où Jean va-t-il? - - 3

(N-587) (N-446) (N-436)

P. Behnsted ne s'est pas borné à l'observation du comportement langagier des Français; il a aussi tenté de sonder leur subconscient linguistique. U a posé, à cet effet, plusieurs questions portant sur l'estimation subjective et intuitive des sujets quant à la fréquence d'emploi dans le discours des divers tours interrogatifs (cf. le tableau 2).

Tableau 2Fréquence relative des constructions interrogatives: usage réel dans un corpus de français parlé opposé

à l'estimation de leur usagepar les locuteurs

type de construction usage réel estimationANTÉPOSITION ,47 ,30

PRONOMINALISATION ,35 ,20EST-CE QUE ,15 ,19UWERSION ,03 ,30

265 LA NORME LINGUISTIQUE

En supposant que les locuteurs interrogés appartenaient aux classes moyennes'°, nous pouvons déduire de ces données une dévalorisation des tours perçus comme constituant le FP (ANTEPOSITION et PRONOMINALISATION) et une survalorisation très Nous sommes donc autorisés à conclure que le FP et le FS sont des abstractions idéalisées représentant les pôles d'un continuum linguistique où toute ligne de partage ne pourrait se tracer à partir de critères stricte-ment descriptifs. Nous nous rangeons donc à l'avis de P. Guiraud qui voit dans le terme FP la convergence de trois catégories de faits: (1) une distinction socioculturelle, le FP étant l'héritier des parlers des masses paysannes et ouvrières et reflétant la langue vernaculaire; (2) une distinction de moyens d'expression, le FI? reflétant les modalités du langage parlé en situation d'énonciation; (3) une distinction stylistique, le FP recouvrant les situations où le locuteur énonce plus spontanément et se réfère moins à un corps de prescriptions langagières. Ces deux pôles du français tirent leur substance de sources différentes. Le FP s'alimente auprès des parlers régionaux et des jargons en usage dans les couches paysannes et

Schéma 1Relations entre le FP

et le FS:INFLUENCES

------------ _-___-____________________ :FACTEURS DÉTER-::MINANT L'EMPLOI

L-__ _ -__ __-_ 1 moyen

L---_----_-.r • classe sociale

Argot patois et français classiquelangues langues 4

étrangèresrégionales français littéraire e -

français populaire ~---*- français

spontané soutenu oral écrit

populaire

10. d n'apparaît pas clairement dans l'étude de Behnsted si le groupe de témoins portant un jugement subjectif sur la fréquence d'emploi correspondait, du point de vue de son appartenance aux diverses strates sociales, à celui auprès duquel la totalité du corpus oral avait été recueillie.

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Si nous nous sommes attardé sur les notions de FS et FP, c'est pour détruire l'illusion, profondément enracinée, que ces deux termes corres-pondent à des réalités objectives. Ceux qui estiment que, vu les changements politiques et sociaux qui continuent de bouleverser l'ordre établi dans les aires francophones, le concept de norme hexagonale unique a fait son temps doivent prendre connaissance de sa nature fictive. Soulignons en passant que la nature fictive du FS ne le déconsidère nullement Bien au contraire, c'est précisément le fait qu'il repose sur un corps de prescriptions et qu'il constitue une abstraction qui peut fonder sa légitimité en tant que norme supra-régionale. Certes, le FS reflète le comportement verbal de la bourgeoisie cultivée parisienne sous certaines conditions d'énonciation, mais il est fort probable qu'il donne une image aussi fidèle du comportement de bien d'autres francophones n'ayant jamais vécu dans la capitale de l'Hexagone. En ce qui concerne la notion de FP, nous tenterons de démontrer que les stéréotypes négatifs et les confusions entre les sociolectes des couches sociales défavorisées et le style familier des sociolectes plus prestigieux pèsent lourdement sur les attitudes qu'ont les francophones non parisiens et extra-hexagonaux envers les traits particuliers de leur région. Cette double démystification s'imposait avant d'aborder le point central de notre contribution, la notion de norme régionale.

3. Le français régional

3.1 Problèmes de définition et de démarcationLa reconnaissance de la spécificité régionale au sein de la

francophonie est en voie de faire r unanimité tant parmi ceux qui veillent au maintien de la bonne tenue du français que parmi ceux qui se boment à le décrire sous toutes ses manifestations. L'ancien préfet de (Orne, J. Le Comec (1981), qui se place volontiers dans le camp des défenseurs de l'idiome national, fit une large place aux vocables du terroir dans son effort de maintenir le bon usage tout en le revigorant Le linguiste belge W. Bal (1977) estime que la langue française « semble moins menacée aujourd'hui par les particularismes régionaux et la créativité populaire, foisonnement de la vie, que par les prétentions des cuistres et des snobs. . . ». Pour le Congolais J.-P. Makouta-Mboukou, le droit à (écart par rapport à la norme internationale fait partie intégrante de l'identité culturelle (1973: 16b):« p ne faut pas que les Négro-Africains subissent simplement une langue qui leur est totalement étrangère, il faut qu'ils ne soient plus de simples et mauvais consommateurs de la langue française mais qu'ils la recréent pour la rendre accessible à leur mode de vie et à leur manière de penser.

Mais comme le note bien Le Comec (1981: 227), une grande langue de communication internationale, en se disséminant sur de vastes aires et en s'accommodant aux modes de conceptualisation et à la culture de nou-velles communautés, risque de se morceller et de se disperser. S'il s'ouvre aux régionalismes, le français ne se condamne-t-il pas à perdre son unité

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267 LA NORME LINGUISTIQUE

et à éclater en une variété de normes, voire de systèmes distincts? Cette question est bien à la base de toute discussion sur la reconnaissance de sousnormes régionales. Nous y reviendrons lorsque nous émettrons nos conclusions.

Définir la notion de français régional se révèle fort malaisé. D'une part, les traits linguistiques que recouvre ce terme doivent se démarquer de ceux qui caractérisent des variétés de langues localisées dans Pespace et le long de la gamme des strates socioculturelles. D'autre part, il faut identifier l'entité à laquelle s'opposera le français régional: le français hexagonal, le français « central », le français de la bourgeoisie cultivée de Paris, le français « neutralisé »?

Ch. Bruneau (cité par G. Straka, 1981: 35) met l'accent sur la large diffusion d'un mot régional par rapport à un vocable faisant partie du patri-moine dialectal:« Le mot régional est un mot qui est connu de tout le monde, des gens de la ville comme des gens de la campagne, dans un espace [. . .] comprenant plusieurs départements [. . .l »

L'éminent historien de la langue note aussi que les utilisateurs ne per-çoivent nullement le caractère déviant d'un vocable régional. Pour eux, il fait partie du français général et, par ailleurs, n'a aucun lien avec les parlers locaux. Pour ainsi dire, il n'est repérable que de l'extérieur. Pour nous, cette définition est trop restrictive car elle excluerait les termes septante et nonante qui, bien qu'absents des répertoires productif et réceptif des francophones résidant hors de l'aire géographique comprenant la Belgique, la Suisse romande et les régions orientales de l'Hexagone, sont devenus des stéréotypes perçus comme tels par leurs utilisateurs".

Selon un point de vue qui nous semble majoritaire, les français régionaux se définissent par rapport à un noyau central, en l'occurrence le français dit standard, correspondant soit à une variété de langue particulière - le parler de la bourgeoisie cultivée parisienne -, soit à une koinê - un français neutralisé dont l'élément central résiderait précisément dans le fait que ses traits constitutifs ne sont pas localisables, géographiquement ou socialement Une variété régionale particulière de français consiste en un noyau central et une série d'écarts, franges périphériques et secondaires. Précisons que ceux qui souscrivent à ce point de vue limitent en général leurs observations aux traits lexicaux. Comme le fait remarquer L Warrant (1973), qui réprouve cette approche, elle s'accompagne généralement de l'élévation d'une variété particulière du français au rang de français neutralisé et de norme de référence.

11. La définition de Ch. Bruneau ne tient pas non plus compte des différences culturelles à l'intérieur de la communauté régionale. Les locuteurs ayant séjourné hors de la région seraient plus sensibles aux traits régionaux que leurs voisins sédentaires. Pour être« opérationnalisable », la définition devrait stipuler les

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Cet auteur opte pour une approche plus analytique de la définition des variétés régionales. Selon lui, elles se distinguent du parler central (ou des parlers centraux) par quatre traits: l' oralité, le provincialisme, le régionalisme et le marginalisme. Une variété régionale reflète davantage le langage parlé que le français central, dont la fixité relative est maintenue par l'écrit. Elle est provinciale par le fait qu'elle produit peu de néologismes''-'. Une variété régionale contient aussi des traits spécifiques à une région. Ainsi L. Warrant précise-t-il qu'il n'existe pas de français « C. Straka aborde le problème de la définition du français régional en traçant ses sources. Les traits régionaux proviennent principalement du substrat dialectal et des langues et dialectes avoisinants. Néanmoins, le français commun fournit un grand nombre d'apports sous la forme d'archaïsmes, tels que l'acception « couloir d'entrée d'une maison » pour une allée attestée à Lyon et que l'on retrouve dans les textes de moyen français et les oeuvres littéraires modernes (Straka, 1981: 42). Les traits lexicaux régionaux tirent aussi leur origine des glissements sémantiques, tels que l'emploi de rosette dans le sens 3.2 Facteurs déterminant la nature du français régional

Le sens attribué au terme de français régional reflète les premiers emplois qui en ont été faits. Quoiqu'il ait été employé pour décrire des variétés hexagonales périphériques, par exemple celles de Marseille (A Brun, 1931) ou de Toulouse (J. Séguy, 1950), ce terme a surtout été introduit pour décrire le français de Belgique (Piron, 1979). Pour la plupart des auteurs qui s'en servent, le terme de français régional se rapporte aux français en usage dans les zones périphériques de l'aire gallo-romane - Belgique, Suisse romande et val d'Aoste. Ce n'est que récemment qu'il a fait son apparition dans les discussions portant sur des variétés du français standard (en opposition au français populaire ou aux dialectes) de l'Hexagone. Mais l'on ne pourrait poser le problème de la diversification des normes du français sans faire entrer en ligne de compte les variétés d'outre-mer, tant celles de l'Afrique noire Selon un modèle qui a encore cours, les communautés francophones s'ordonnent comme le système solaire. Gravitant autour d'un noyau constitué par le français hexagonal (bon usage) se retrouvent 12. L Warrant (1973) indique toutefois qu'une partie importante de la

terminologie de l'industrie charbonnière du domaine francophone est issue des variétés régionales belges: houille, houillère, grisou, etc.

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269 LA NORME LINGUIST1QUE

des ethnies francophones d'Europe, puis ceux des anciennes colonies d'Amérique et enfin les variétés franco-africaines et les parlers créoles à base lexicale française. Aux confins de ce système concentrique apparaît la francophonie culturelle disséminée à travers le monde. Willy Bal (1977) propose un modèle plus approprié où s'opposent les régions de tradition française, dans lesquelles les parlers en usage aujourd'hui remontent aux formes locales du latin, et celles qui représentent des zones d'extension de la langue, soit par son importation par des groupes francophones soit par sa superposition à des idiomes locaux à la suite de conquêtes militaires ou par le rayonnement culturel Mais ce modèle ne tient pas compte suffisamment d'une des constantes de la Ainsi au lieu de la distinction: région de tradition française/région d'expansion, nous proposons l'opposition: français, langue vernaculaire/ français, langue véhiculaire ou officielle. Dans les régions qui appartiennent au premier groupe, la majorité de la population autochtone pratique couramment le français tandis que dans celles du second groupe les locuteurs effectifs ne constituent qu'une faible minorité. Plusieurs conséquences, potentiellement déterminantes pour (émergence de normes locales autonomes, découlent de cette opposition: (1) le type de variations que montre le français; (2) le type de 3.3 Le français régional dans les régions de langue

vernaculaire françaiseLes régions où le français s'apprend au foyer

forment deux sousgroupes: 1) la Belgique, la Suisse romande et le Québec, où le vernaculaire jouit du statut de langue officielle; 2) le val d'Aoste, certaines provinces canadiennes telles que le Nouveau-Brunswick ou l'Ontario, la Louisiane, la Nouvelle-Angleterre et les isolats américains'-. Par son écologie linguistique ce dernier sous-groupe s'apparente aux régions où le français sert seulement de véhiculaire ou de langue officielle. En effet, dans ces régions, les variétés vernaculaires de français se trouvent laminées et sapées de (intérieur par une variabilité qui ne reflète pas, comme c'est le cas pour les territoires de langue 13. Même là où il est officialisé par les statuts, comme c'est le cas en

Louisiane ou au NouveauBrunswick, le français n'a pas l'ancrage solide d'institutions normatives, telles que l'administration ou l'école, ni de sources de renouvellement, telles que l'industrie ou les médias. Par ailleurs, les décrets l'officialisant ne sont pas toujours 14. Nous préférons l'emploi de ces deux termes plus précis à celui de niveaux de langue, qui englobe les variations déterminées par le contexte de situation et les panures.

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tains contextes de situation. Cette variabilité peut être caractérisée d'asystématique puisqu'elle provient soit de la connaissance imparfaite ou de l'usage défectueux des variétés vernaculaires de la part de certains locuteurs, soit des emprunts et des interférences provenant de la langue officielle dominante. Les variétés régionales de français belge et suisse - et nous serions tenté d'ajouter québécois - se révèlent bien moins marquées par le contact interlinguistique qu'on ne le pense. Pour la Belgique et la Suisse, il ne faut pas confondre multilinguisme officiel et multilinguisme de fait Dans une très forte proportion, les francophones de ces deux pays n'emploient que leur langue maternelle. Si, comme fa admirablement démontré J. Darbelnet (1979), (influence de l'anglais s'exerce de façon Dans les régions de langue vernaculaire française, trois types de traits régionaux sont bien accueillis par les personnes cultivées. (1) les statalismes, (2) les termes se référant aux réalités locales, (3) les traits dont l'aire dépasseles frontières d'États. Le terme de statalisme, introduit par le linguiste belge J. Pohlrs, dénote les vocables se référant aux institutions propres à un État francophone particulier. Ces vocables ne se retrouvent jamais, avec le même sens, hors des frontières de l'État Ainsi en Suisse romande, pour s'aligner sur le modèle alémanique, on emploie case postale au lieu de boîte postale. Le terme bourgeois(e) y dénomme une personne ayant droit de cité dans une commune et un dicastère, un département dans une administration La deuxième catégorie de traits régionaux dits de bon aloi comprend des éléments lexicaux exclusivement Ceux-ci dénotent des réalités locales, par ex. les helvétismes roesti, type de pommes de terre rissolées, caquelon, poêlon en terre qui sert à faire la fondue, armailli, pâtre dans les alpages fribourgeois (Schiile, 1981). Bien souvent certains traits perçus comme des régionalismes (belgicismes ou helvétismes) se retrouvent dans les aires latérales de (Hexagone. Ainsi en est-il, dans le domaine de la phonologie, de (opposition entre o fermé ([o]) et o ouvert ([a]) dans des paires minimales telles que peau/pot que Knecht (1979) relève non seulement en Suisse romande mais aussi dans le parier de certains locuteurs de Franche-Comté et de certaines parties de la Bourgogne (Galand, 1968). Sur le plan de la syntaxe, Knecht signale remploi de vouloir pour former le futur périphrastique (tu veux 15. Signalons qu'on lui doit rune des rares descriptions de français régional abordant la

morphosyntaxe (Pohl, 1962).

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même nom, servi pour le petit déjeuner, ou septante et nonante ont été relevés avec les même acceptions, le premier dans la région de RennesNantes, le second dans le Midi et le dernier dans une vaste aire comprenant la Suisse romande et les régions orientales La plupart des auteurs qui ont traité du français régional semblent s'accorder pour proscrire les traits de langue provenant du fonds dialectal, qu'il s'agisse d'usance ou de parlure. Pour M. Piron, ceux-ci caractérisent le français dialectal belge, fortement teinté par les dialectes (Ion-ain, picard, wallon) dans la zone traditionnellement gallo-romane et par le flamand dans l'agglomération bruxelloiseis. Au contraire des traits marginaux les traits dialectaux comprennent des variantes phonologiques et morphosyntaxiques. Par exemple, le français dialectal de la Belgique fait une place importante aux distinctions de longueur dans le système vocalique, il contient des réalisations relâchées des voyelles à aperture minimale ([plp] pour pipe, [Yzln] Une deuxième catégorie de traits de langue exclus des français marginaux est constituée par les termes locaux doublant un vocable du français central. Ainsi, les canadianismes patate et pois vent seraient rejetés puisqu'ils doublent pomme de terre et petit pois, respectivement. La délimitation de ces « doublets » est malaisée car souvent ils peuvent dénoter des distinc-tions sémantiques très fines qui pourraient échapper à l'observateur non averti. On peut se demander si les helvétismes déguiller et s'encoubler, auxquels P. Knecht donne respectivement le sens de « dégringoler » et « s'empêtrer », respectivement, n'illustrent pas un tel cas. M. Piron fait observer que les locuteurs régionaux sont sensibles aux différentes connotations des termes locaux:

« a arrive aussi, dit-il, que le langage du Belge moyen s'approprie des termes (et aussi des expressions) A s'agit là d'emprunts, sinon d'alternance de code,

qui servent à émailler le discours, analogues à l'emploi de vocables argotiques -ou considérés comme tels - par les Hexagonaux de la même couche sociale. En fait, ces« emprunts » ont une double fonction. Outre leur valeur emblématique, c'est-à-dire la connotation qu'ils apportent par leurs liens avec une certaine strate sociale ou zone rurale symbolisant l'identité culturelle régionale, ces termes apportent une certaine précision sémantique. Sans doute le snul bruxellois n'est pas * On dit aussi couramment avoir facile, avoir difficile pour ne pas avoir ou avoir de la difficulté. 16. Les belgicismes de bon aloi, englobés par les trois catégories énumérées ci-dessus, constituent le français marginal.

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En fait, il en est de la distinction entre le français marginal et le français dialectal comme de celle entre le français de bon usage et le FP. Ces deux termes représentent des abstractions se situant aux extrémités opposées d'un continuum de variation. C'est la position que semble adopter A. Clas (1981) lorsqu'il trace des stades intermédiaires entre un canado-français identique au français central, à part quelques canado-français «

centralisant » canado-français soigné canado-français courant canado-français familier canado-français populaireAu fur et à mesure que l'on descend dans l'échelle le

parler montre une plus grande ouverture aux traits localisés, du point de vue géographique ainsi que du point de vue social bien sûr. L'on serait fort embarrassé d'essayer de trouver des traits catégoriques qui feraient basculer un échantillon de discours d'une de ces catégories à une autre. Outre le fait qu'A Clas ne distingue pas entre les parlers québécois, acadiens ou ontariens, par exemple, on pourrait lui faire les mêmes reproches qu'aux auteurs qui négligent de distinguer entre parlure (FP), et registres et styles liés aux situations d'énonciation. On retiendra de cette distinction que dans les régions de langue vernaculaire française, il est fort probable que sera exclu de la norme « C'est naturellement à la panure populaire qu'il faut se référer si l'on veut saisir, dans leur tension la plus forte, les écarts qui singularisent le français de Belgique » (Piron, 1979: 205).

Par ailleurs, pour J. Le Comec (1981), les formes les plus vernaculaires constitueraient un antidote aux poisons que sont les emprunts « indiscemés » aux langues étrangères.Pour distinguer entre les traits de langue de bon aloi et ceux que l'on devrait reléguer à la variété dialectale de la langue, la plupart des auteurs invoquent des critères d'usage (par ex., les couches sociales qui utilisent habituellement le terme en question) ou la fréquence (encore qu'il n'existe aucune étude statistique dans le domaine du français régional). Il y a une autre catégorie qui fait partie de la tradition normative française, les critères d'ordre logique. Dans un ouvrage qui illustre le purisme éclairé, A Sauvageot (1978) fait appel à ce type de critères pour justifier la prononciation de la consonne finale de cric et gril, prononcés [kri] et [gri] par certains cuistres. De faire sonner la consonne finale permet la différenciation des

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lisme des formes septante, huitante, nonante; ce choix s'appuie aussi sur la présence de la forme franchement dialectale de huitante attestée dans le parler wallon conservateur de Malmédy. Un autre critère invoqué par Wamant est la préférence d'une forme courte ou d'un vocable simple à une locution. Par exemple, il défend le choix de drève au lieu de sa paraphrase allée carrossable bordée d'arbres, carte-vue au lieu de carte postale illustrée.

3.4 Le français régional dans les régions de langue officielle françaiseLa variabilité qu'offre le français dans les régions où il sert de

langue officielle, principale ou secondaire', est à la mesure du plurilinguisme que l'on rencontre dans certaines de ces régions. Notre exposé portera sur l'Afrique noire, qui connaît les situations les plus variées et les plus complexes'". Aux quatre catégories de français que s'accordent à reconnaître la plupart des spécialistes de cette zone (cf. en particulier Duponchel, 1979, Renaud, 1979) - français standard ou « bon » français, français local ou régional, français dialectal (français de la rue, français du marché) et sabir (français pidginisé)-s'ajoutent les variétés marquées par l'influence des langues locales particulières ou basées sur des modèles pédagogiques eux-mêmes reflétant une approximation plus ou moins fidèle à la norme cible (enseignement primaire, alphabétisation des adultes, enseignement secondaire et supérieur, radio). La description des variétés de français et leur identification se compliquent par le métissage linguistique qui rend difficile l'attribution d'énoncés au français ou à une langue locale particulière ainsi que par la confusion des registres à l'intérieur de la gamme française.

Malgré le foisonnement de ses variétés, deux traits importants marquent le français d'Afrique noire. D'une part, il n'a pas donné naissance aux formes pidginisées relativement stables que connaissent l'anglais et le portugais, par exemple le pidgin-english du Cameroun. D'autre part, comme le souligne G. Manessy (1979: 344-345), « [... ] il n'existe pas de français sénégalais ni de français du Cameroun comme il existe un français canadien ou même un français belge. » La situation du français et la variabilité qu'il exhibe dépendent de la nature précise du plurilinguisme que l'on retrouve dans une zone ou un État particulier: le nombre de langues vernaculaires distinctes et l'importance et la diffusion des langues véhiculaires locales. La diversification linguistique et l'absence de grandes véhiculaires locales favorisent le développement de formes pidginisées de français qui assurent alors la communication interethnique. Le niveau de scolarisation et le17. Le français est la langue officielle principale, sinon exclusive,

d'Haïti et de tous les États d'Afrique francophone. Il sert de langue officielle secondaire dans les pays du Maghreb, dont la première langue officielle est l'arabe, et à Madagascar, où le premier rang est détenu par le malgache (cf. Girard et Morieux, 1979; Bemananiara, 1979). A fîle Maurice, le français et ranglais 18. En Han le français, langue officielle, ne s'oppose qu'à une langue vernaculaire unique, le créole haïtien (Pompilus, 1979).

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statut des langues locales - par ex., leur emploi à l'école primaire et dans les programmes d'alphabétisation des adultes ainsi que par les mass médias - représentent des facteurs qui entrent aussi en ligne de compte.Nous avons vu (3.3 supra) que la plupart des traits qui donnent leur cachet aux variétés régionales dans les régions de langue vernaculaire française étaient issus des dialectes. Il est tentant de poser une équivalence entre ces dialectes et les vernaculaires et véhiculaires locales de l'Afrique noire. Comme nous le démontrerons ci-dessous, cette équivalence tient certes pour le français focal, mais elle ne peut à elle seule expliquer les divergences entre le FS et les catégories inférieures de G. Manessy (1981) fait état de la facilité d'intercompréhension qui unit les variétés inférieures de français africain. Cette unité reposerait sur trois séries de faits: (1) les similitudes sémantico-morphosyntaxiques entre les divers idiomes africains; (2) les survivances d'une ancienne variété pidginisée de français; (3) la restructuration inhérente à l'acquisition Selon les chercheurs qui se sont penchés sur la nature du français d'Afrique, par ex Manessy (1979), Duponchel (1979) ou Renaud (1979), il existe à un niveau relativement profond une structure conceptuelle communeà de nombreuses ethnies d'Afrique noire s'exprimant par une organisation des couleurs, une mesure de l'espace, une appréhension du temps, etc., particulières. Cette base commune expliquerait que de nombreux calques, tels que il a gagné la plaie au pied, elle a gagné l'enceinte « elle s'est fait engrosser », soient compris « n'importe où en Afrique francophone ». Ce sont précisément ces calques qui creusent un fossé de non-intercompréhension entre la masse des francophones africains et ceux des régions de tradition française. De cette base sémantico-morphosyntaxique émaneraient aussi les divergences grammaticales, telles la Le français dialectal et le sabir contiennent des traces d' une variété de contact en usage au début de la période coloniale dans l'armée et les services subalternes de l'Administration. M. Delafosse souligne la large diffusion de cette langue de traite, dénommée petit-nègre, petit français ou français tirailleur (1904: « [... 1 parlé par nos tirailleurs et nos employés et domestiques indigènes, et à peu près de la même façon et en Afrique occidentale [... 1 »

Certaines particularités morphosyntaxiques et lexicales de ce fonds pidgin évoquent des traits que partagent les créoles de l'Océan Indien et des Amériques. Relevons sur le plan grammatical l'emploi de -là postposé pour exprimer le déictique et le verbe

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pan-africains figurent ceux qui font partie du vocabulaire « des îles » noté par Chaudenson (1974): canari « pot », marigot « cours d'eau », tomade « orage ».

Enfin, on ne saurait négliger l'apport de processus de restructuration qui se manifestent lors de l'apprentissage d'une langue seconde en situation naturelle. C'est ainsi que s'expliqueraient la post-position de -là avec valeur de déictique plutôt que de marque de genre ou de nombre et l'emploi d'un radical verbal unique et de morphèmes (dérivés des verbes auxiliaires et modaux du français) pour exprimer les diverses modalités spatio-temporelles. Ces traits reflètent des tendances immanentes de la langue que l'on retrouve dans le FP et les dialectes où. Ces processus engendrent de nombreux néologismes qui ne surprendraient guère si on les retrouvait dans les parlers des régions de tradition vernaculaire française: flécher « décocher une flèche », enceinter « engrosser », la boyerie « lieu où logent les boys », la doucherie « endroit Cette gamme linguistique composée de quatre touches n'est à la disposition des locuteurs que dans les régions où la juxtaposition de groupes ethniques et un grand nombre d'idiomes distincts posent des problèmes d'intercompréhension que ne peuvent résoudre, pour diverses raisons, les véhiculaires locales. La région d'Abidjan formé une telle zone, et c'est la région d'Afrique où se démarque clairement une variété de français fortement pidginisée. On ne pourrait toutefois pas affirmer qu'elle se soit constituée en un pidgin caractérisé comme le pidgin-english du Cameroun ou un créole. Ce sabir, connu sous le nom de français populaire d'Abidjan (FPA), se construit à partir des langues locales, en particulier les deux grandes véhiculaires de la région, le dioula véhiculaire et le baoulé (Duponchel, 1979). Le FPA recouvre un comportement langagier extrêmement variable et n'apparaît sous une forme relativement stable que dans des textes stéréotypés, par exemple, une rubrique caricaturale d'Ivoire-Dimanche intitulée « la Chronique de Moussa » et une adaptation de textes bibliques, les disques de l'Abbé Kodjo L. Duponchel (1979: 410) estime que cet énoncé prendrait plutôt la forme:

« Dié i defendé, si tu bouffer tu vas mort'9. »19. Les graphies bouffé et bouffer, ainsi que les autres

conventions graphiques employées pour représenter le FPA, sont arbitraires. En !occurrence, elles ne reflètent aucune différence phonique. Les formes verbales proviennent de diverses formes françaises: !

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En FPA, f intercompréhension entre locuteurs de diverses langues locales tient à l'emploi d'un nombre restreint de patrons grammaticaux, par exemple remploi de va plus le radical (correspondant soit à l'infinitif, soitau participe passé, soit à une forme fléchie du FS) pour L'une des conséquences de la présence du sabir en Côte-d'Ivoire est la création d'un continuum linguistique entre le français local et les langues locales. Duponchel démontre ce continuum à l'aide des énoncés suivants:1. Il serait nécessaire de déplacer ce véhicule FS

soutenu

2. Il faut pousser l'auto. FS usuel4. Faut pousser camion (là). Fr. local 5. Na ka pousser camion (là). Sabir 6. A ka mobili pousser.

-----------------------------------7. A ka mobili nyoni Dioula véhiculaire 8. Ke/gi/le/ ké/ a a

ça/ veut/ que/pousser/auto Alladin (langue vernaculaire de lagunes de la Côte-Le FS et le français local correspondent aux points

(1), (2) et (3) de la gamme linguistique, le français dialectal et le sabir s'étendent entre les points (4) et (6), et les parlers locaux chevauchent les points (6) et (7).Comme c'est le cas pour les régions à langue vernaculaire française, les variétés régionales du français d'Afrique (le français local) ne se démarquent du FS central que par des divergences phonologiques et lexicales, la structure grammaticale n'étant pas touchée. Pour le français local de la Côte-d'Ivoire, Duponchel (1979: 409) relève remploi du r roulé ([r]) au lieu de [R] et divers phénomènes prosodiques. Au plan lexical, cette catégorie de français est émaillée de termes provenant des langues locales dont un grand nombre sont particuliers à une région: kéké « bois », République Centrafricaine; mousso « femme », Mali; alcati 20. Certains vocables régionaux témoignent d'une très large diffusion.

Toutefois, il peut exister des différences dans les référents de ces vocables. Par exemple, le terme joujou se réfère à divers types de mets selon les régions particulières: une pâte de mais ou demanioc servie sous la forme de boulettes au Cameroun, au Sénégal et au Zaïre; un plat local composé de banane ou d'igname écrasée en pâte au Bénin, en Côte-d'Ivoire ou au Togo; un mets composé de viande ou de poisson cuit dans une sauce au gombo et à l'huile de palme servi avec une boulette de farine de blé au

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La grande divergence entre le FS et les variétés « populaires » ou inférieures (français dialectal et sabir) du français d'Afrique et l'impression de mixité qu'offrent ces dernières s'expliquent en fin de compte par la faible implantation de la langue officielle. Cet état de chose évoque celui qui, selon le témoignage des textes de l'époque examinés par A Brun (1931) et J. Séguy (1950), devait exister lors de la diffusion du français dans les régions occitanophones à partir du seizième siècle. En effet, la mixité caractérisait même les écrits des notaires et secrétaires municipaux qui « [... ] rédigent leurs papiers en mêlant, au petit bonheur, et au courant de la plume, les termes des deux idiomes: un auxiliaire français est suivi d'un participe provençal, une phrase

Dans sa description de la situation linguistique de la Côte-d'Ivoire, G. Partmann (1981) note que le FS n'est parlé que par 0,5 pour cent de la population de la nation; 5,3 pour cent des Ivoiriens ont recours au français local et 29,2 pour cent au FPA Cette proportion de francophones étant parti-la plus élevée en Afrique francophone, tout porte à croire que dans l'ensemble des régions, la desserte des fonctions communicative, expressive ou intégrative par le biais du français se fait Avant de clore cette discussion sur la nature et le rôle du français régional dans les régions de langue officielle française, il nous faut répondre à la question suivante: quelles fonctions les diverses variétés de français assurent-elles vraiment? Comme il existe de nombreuses langues véhiculaires (p. ex, dioula, haoussa, sango) et que bon nombre de langues ethniques (p. ex, le bambara, le baoulé ou le wolof) servent de lingua franca, il est peu probable que les catégories inférieures de français assument la communication interethnique21. « [.. .1 L'emploi de la variété simplifiée est interprété non comme un simple moyen d'intercompréhension, mais comme l'expression d'une solidarité qui transcende les différenciations ethniques et dont le cadre peut être la ville, la région [... ] ou bien l'État [... 1 »Quant aux catégories supérieures (FS et français régional), elles sont liées aux valeurs associées à la vie urbaine et à la promotion sociale. G. Partmann, (1981) indique qu'au cours d'une enquête sur les attitudes des Ivoiriens envers les divers codes en usage dans leur communauté, 78 pour cent des personnes interrogées 21. En Côte-d'Ivoire, notamment dans la région d'Abidjan,

le dioula est connu par presque la moitié des habitants (contre 35 pour cent pour toutes les catégories de fiançais). Mais son lien avec l'Islam (le dioula est la langue des commerçants dioula provenant du nord de la Côte-d'Ivoire) nuit au prestige de cette grande véhiculaire et explique

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le français ivoirien. Ces mêmes locuteurs émettaient des jugements dépré-ciatifs envers le FPA Force nous est de nous ranger à l'avis de Bentolila et Gani (1981) qui perçoivent le rôle du français en Haïti comme le symbole d'appartenance à une élite et comme une langue d'apparat:« Il apparaît que le français, au sein de la population qui l'utilise à des degrés divers, a beaucoup plus une fonction symbolique signifiant les positions relatives des interlocuteurs ou la solennité d'une situation qu'une fonction effective de communication. Ceci est confirmé par le fait que le pronom personnel tu n'est pratiquement jamais utilisé en Haïti, et que, fait plus significatif, le français parlé en Haïti ne possède pas de registres de langue==. »

II apparaît donc qu'en ce qui concerne la nature et la fonction d'une variété régionale de français, la différence principale entre les régions de langue vernaculaire française et celles où l'idiome sert de langue officielle réside dans le nombre de locuteurs capables de s'en servir comme outil de communication et comme moyen d'expression et d'intégration sociale. Dans les deux cas, il ne semble pas se creuser d'écart entre le FS central et les variétés locales sur tous les plans structuraux, les particularités locales s'exprimant par le biais du lexique; enfin, il semble émerger, pour certaines couches sociales du moins, un sentiment de loyauté envers ce qui pourrait refléter l'appartenance à un sous-ensemble particulier de la francophonie. Mais l'essor en Afrique noire des variétés de français inférieures, dont la substance et la forme trouvent leurs racines dans les vernaculaires et véhi-culaires locales, est porteur d'une dislocation potentielle. En Côte-d'Ivoire, le FPA est en voie d'assumer la fonction de communication interethnique et, à moins que sa diffusion ne soit contrecarrée par les modèles plus « corrects » diffusés par l'école et les mass médias ou par la promotion d'une des véhiculaires locales, fl pourrait se « créoliser », c'est-à-dire se constituer en norme autonome. Selon nous, cette dernière éventualité est peu probable étant donné les attitudes des locuteurs et la situation économico-politique régnante.

3.5 Le français langue vernaculaire infériorisée

Nous avons indiqué (supra 3.2) que les régions où le français langue vernaculaire se trouve en position d'infériorité par rapport à la langue officielle effective de r État (les provinces canadiennes sauf le Québec, leval d'Aoste, les zones francophones des États-Unis) s'apparentaient aux territoires de langue officielle (mais non vernaculaire) française. En effet, (idiome y montre des phénomènes de mixité ainsi que d'autres traits structuraux qui rappellent ceux des variétés inférieures de français d'Afrique noire. Toutefois, du point de vue sociolinguistique, la situation du français dans ces deux types de régions « francophones » diffère considérablement Pour illustrer notre discussion, nous nous référons à la situation du français dans les zones francophones des États-Unis, en particulier celle de la Louisiane dite acadienne.22. Cette assertion, bien qu'elle soit émise par la plupart des spécialistes,

est fort discutable et elle ne repose, en tout cas, sur aucune enquête sociolinguistique.

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Le français, au même titre que l'anglais, l'allemand et l'espagnol, constitue l'une des langues coloniales des Etats-Unis (Haugen, 1956). En effet, cet idiome s'est maintenu sur le sol américain sans interruption depuis l'arrivée des premiers colons aux XVIe et XVIle siècles. Toutefois, cette appellation porte à confusion puisqu'elle oppose le français louisianais, qui a occupé le terrain avant l'introduction de l'anglais, au franco-canadien, introduit en Nouvelle-Angleterre par des immigrants lors de la Révolution industrielle vers la fin du XIXe siècle. En fait, dans le cas des Cadjins=" de la Louisiane, leur isolement géographique et l'industrialisation tardive de leur région ne fit que remettre à un demi-siècle plus tard leur absorption dans la société américaine de l'ère moderne. Toutes les 1° un manque d'instruction et (ignorance de la forme standard de la langue;

2° l'absence de sentiment de loyauté linguistique poussé par leur infériorisation économique et sociale;

3° l'absence de contenu idéologique et de valeur symbolique se rattachant à la langue vernaculaire.

L'une des conséquences de ce statut de langue d'immigrant est la dépréciation des variétés familières de l'idiome de la part de la communauté d'accueil ou dominante ainsi que des membres du groupe ethnique lui-même. Jusqu'à une période assez récente, il n'était pas rare d'entendre des Cadjins déclarer. « Je parle acadien, mais c'est pas du bon français. » Pour les classes moyennes et les nouvelles générations, l'idiome de la communauté symbolisait les attaches à la vie rurale et à un niveau social inférieur dont ils avaient « Pendant longtemps, l'identité cadjine a été un stigmate dont on ne pouvait se relever qu'en devenant bilingue et en adhérant au mode de vie américain en déménageant en ville si possible » (Larouche, 1979: Une autre conséquence de l'infériorisation du français aux États-Unis est la réduction des domaines d'emploi. Ses locuteurs adoptent une attitude ambivalente face à la vernaculaire caractéristique des groupes « patoisants » en France. L'idiome du groupe ethnique se trouve déprécié et confiné au secteur privé, mais, complémentairement, il devient un moyen de communication et d'expression plus intime et plus chaleureux (Gardy et Lafont, 1981: 87). Nous venons que cette dernière constatation permet une meilleure compréhension des bases du conflit au sujet de la norme 23. Nous optons pour la graphie cadjin (fétu, cadjine), plutôt que les variantes cajun, cadien,

acadien, car elle dénote plus fidèlement la prononciation.

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Enfin, sur le plan structural, le bilinguisme croissant des francophones d'Amérique et la situation de diglossie dans laquelle ils évoluent s'accompagnent d'une forte pression de l'anglais. Isolés de la forme standard de la langue, les Cadjins et autres Franco-Américains n'ont d'autre recours que l'emprunt massif et le calque pour exprimer des notions propres à la vie américaine ou pour créer des termes techniques. Par exemple, le parler de Frenchville, un isolat francophone de la Pennsylvanie'{, est truffé d'emprunts directs: une factory « usine », des dry-goods « tissus », la next de la plus jeune « celle qui vient après la cadette ». On y trouve aussi des glissements sémantiques provoqués par le bilinguisme (Darbelnet, 1979), le vocable français assumant le sens d'un mot anglais correspondant: j'étais chauffeur devant que je viens ingénieur « j'étais

Mais ce qui frappe le plus dans les parlers français des États-Unis est la fréquence d'emploi des calques. Les plus simples consistent en l'emploi de lexèmes français pour exprimer des concepts de l'anglais: ça goûte le whisky « ça a un goût de whisky », sur le modèle de it tastes like; elle est maîtresse de poste « elle est postière » basé sur postmaster ou postmistress. D'autres calques, dont l'effet est plus déstabilisateur pour l'idiome vernaculaire, reflètent des interférences syntaxiques. Ils portent en particulier sur le choix des prépositions: je vais à l'église pour quarante ans « il y a quarante ans que je vais à l'église », sur le modèle de I've been going to church for forty years, je travaille D'autres tendances structurales des parlers français d'Amérique évoquent certains traits des variétés inférieures du français d'Afrique noire ainsi que des parlers créoles à base lexicale française:1° l'élimination de la flexion verbale en faveur de l'emploi de tours périphrastiques;

2° l'estompement de la distinction de genre et de la marque obligatoire de nombre dans le système nominal;

24. La communauté de Frenchville, située dans le centre de l'État de la Pennsylvanie, fut fondée vers 1830 par un groupe de bûcherons et de fermiers provenant directement de France; la majorité de ces colons étaient originaires de t'est du pays, notamment desdépartements de la Haute-Marne, de la Haute-Saône, des Vosges et du Haut-Rhin (Caujolle, 1972). Elle se différencie des autres communautés francophones des Amériques par le fait que les colons n'avaient aucun lien avec les régions du nord-ouest de la France qui ont alimenté la migration française vers le Canada, la Louisiane et les Antilles aux XVII- et XVIlle siècles. Nous avons pu obtenir une documentation fiable pour deux autres isolats francophones des États-Unis: la région de Old Mines, Missouri (Thogmartin, 1979; Thomas, 1980) et le quartier du Carénage, à

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3° la réduction du système pronominal par l'élimination des distinctions de cas (complément d'objet direct vs complément d'objet indirect, p. ex), de la distinction entre formes toniques et formes atones et de certaines distinctions de personnes (tu vs vous);

4° l'emploi de la parataxe au lieu d'un système de pronoms relatifs différenciés pour indiquer les diverses C'est la présence de ces traits qui a poussé de nombreux auteurs à appliquer les termes de pidginisation ou de créolisation aux parlers verna-culaires français d'Amérique, y compris le joual. A notre sens, il s'agit là d'un emploi abusif de termes qui se réfèrent à des caractéristiques linguistiques et sociolinguistiques précises. Nous préférons interpréter ces tendances simplificatrices apparentes comme les manifestations de l'étiolement linguistique (Dorian, 1981)'=5. Par ailleurs, elles pourraient également avoir leur source dans le contact entre divers dialectes oil qui aurait abouti à la formation d'une koinê populaire commune largement diffusée dans les anciennes colonies françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles (Dulong, 1970; Hull, 1974; Valdman, 1980). Dans le dernier de ces ouvrages, nous avons fait un rapprochement entre « En somme dans bien des cas, la flexion ayant disparu du langage parlé, le pronom seul indique, à l'ouïe, la personne. 1 est donc possible qu'un jour, dans le français parlé, si on le laisse évoluer librement et s'écarter du français traditionnel écrit, la flexion terminale soit plus ou moins complètement remplacée par un préfixe ou une préfixation qui ne serait que le Les parlers vernaculaires du français d'Amérique, ou du moins ceux de la Louisiane, constituent-ils des variétés régionales? Selon les critères invoqués par les spécialistes (cf. 3.1 supra), ces parlers, pour mériter cette désignation, ne devraient s'écarter du FS que par un nombre réduit de marques phonologiques et lexicales. D'après les descriptions, toutefois assez partielles que nous en avons, le cadjin montre de nombreux écarts syntaxiques par rapport au FS. Par exemple, le système des formes verbales est considé-rablement appauvri (cf. ci-dessous). On serait donc tenté de le classer parmi les patois d'où puisqu'il répond assez bien à la définition qu'en donne Ch. Par ailleurs au plan sociolinguistique il en assume aussi les fonctions, notamment celle de code pour les situations privées; par exemple, Larouche (1979) note que le cadjin s'emploie toujours entre amis mais que les locuteurs25. Nous préférons le terme étiolement à celui, plus morbide, de language death retenu par

Dorian.

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passent à l'anglais pour parler au microphone lors d'une manifestation publique indépendamment du nombre de participants anglophones.Mais les observateurs de souche cadjine s'accordent pour minimiser les différences entre leurs parlers et le FS. Ainsi Calais (cité par Phillips, 1979) et J. D. Faulk (1977) soulignent-ils l'intercompréhension entre le FS et les parlers cadjins, et entre les diverses variétés cadjines elles-mêmes. Faulk précise que les différences ne portent que sur la prononciation et le vocabulaire tandis que Calais note les marques phonologiques [wo] pour [wa], moi, toi, etc., et [ï] pour [é], main, pain, vin, etc., dans le parler de la paroisse Vermillon et [h] pour ['z], jamais, déjà, manger, etc., dans celui de la paroisse de Lafourche. Pour ce dernier auteur, le cadjin Examinons un aspect central de la grammaire du cadjin, l'indicatif présent des verbes, pour juger du bien-fondé du sentiment linguistique des linguistes cadjins. Les documents que nous avons pu examiner sur les parlersdes paroisses d'Évangéline (Phillips, 1936), de Lafourche (Oukada, 1977), de Lafayette (Conwell et Juillard, 1963) et de Vermillon (Faulk, 1977; Abshire-Fontenot et Barry, 1979) font état d'un système de formes remarquablement homogène d'une zone à une autre. A l'exception de quelques paradigmes irréguliers, les verbes se manifestent sous une forme unique

1 sg. -s sot -z etô2 sg. ti/ty sot ti/ty etô3 sg' a } sot a } eti31 pl. ü sot ô etô2 pl. vuzot sot vuzot etô3 pl. sa/i sot sa/il/ilz etô

Dans les paroisses de Lafourche et de Vermillon on retrouve une variante de la 3 pl. consistant en la désinence -ors [6] affixé au radical présent, et pour les verbes à double radical, au radical pluriel; notons au passage que seul le pronom i(1)(z) s'emploie avec cette La place des parlers cadjins parmi les usances et parlures de la francophonie et leur unité ou diversité relative sont des questions cruciales dans la perspective de la revitalisation du français en Louisiane. Depuis une décennie, certains groupes locaux entreprennent, avec le soutien de la France, de la Belgique et du Québec, et sous les auspices des instances fédérales (Title VII Bilingual Education Act) et locales (Programme de CODOFIL -Council for the Development of French in

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et pour le faire revivre (Phillips, 1979; Gold, 1979, 1982). Les efforts de ces groupes se heurtent à un désaccord sur le problème de la norme à retenir pour les programmes pédagogiques.Le CODOFIL a opté pour le FS. Cette décision s'explique par des facteurs pratiques ainsi qu'idéologiques (Gold, 1982). Lorsque fut lancé le programme CODOFIL, qui ne visait rien de moins que l'enseignement dufrançais dans toutes les écoles primaires de l'État, y compris dans les zones totalement anglophones, la Louisiane disposait d'un nombre insuffisant d'enseignants compétents ayant une pratique courante du FS. Force fut au CODOFIL d'avoir recours aux « brigades internationales », des coopérants français et des maîtres belges et québécois dont le nombre en 1976-77 s'élevait à 130, 90 et 30 respectivement (Smith-Thibodeaux,1977). Selon l'ethnologue canadien G. L. Gold (1982), le mouvement CODOFIL s'appuie sur les classes moyennes urbaines qui ont été les premières à abandonner l'idiome ethnique pour l'anglais. Bien que ses membres possèdent une certaine compétence en français, ils ne s'en servent plus au foyer, leurs enfants ayant été socialisés par l'intermédiaire de la langue dominante. Pour eux, donc, le mouvement actuel représente bel et bien une revitalisation du français. De par leurs intérêts économiques, les classes moyennes

Pour les Cadjins des classes laborieuses, fermiers et, en particulier, pêcheurs de crevettes, marins, techniciens desservant l'industrie pétrolière, le français dialectal s'est maintenu comme langue de travail. Gold (1982) déclare que pour ces strates sociales, le cadjin est un parler mâle; les femmes en démontrent une compétence moindre et un usage moins fréquent. Au sein de ces groupes, le français est un instrument de communication encore vivace; à Mamou, situé au centre d'une région productrice de coton, Gold relève une forte proportion de bilingues (52 pour cent) et un nombre appréciable d'unilingues (24 pour cent). Les fermiers et les cols bleus constituent donc le seul secteur véritablement francophone de la région puisque le parler local a conservé une gamme étendue de fonctions: communicative, expressive et intégrative. Par 26. Le choix de norme pédagogique se trouve compliqué par l'existence d'une variété

créolisée de français, dénommée français nègre (nèg), nèg, Black French, gombo, courri-ufni, etc. Il s'agit d'une variété de langue distincte du cadjin, quoique les deux parlers coexistent et entretiennent une relation de continuum. Le créole louisianais est employé principalement par des Noirs concentrés dans la paroisse de St-Martin. Toutefois, nous avons interviewé des Blancs, pratiquant aussi une variété cadjine, pour lesquels le créole constituait le vernaculaire le plus intime.

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pas toujours la langue utilisée exclusivement au foyer, ils s'attendent à ce que l'école relaie le milieu familial dans son enseignement ou son perfectionnement. Pour eux, l'anglais standard, plutôt que le FS, est l'idiome qui permet l'ouverture sur le monde extérieur.Comme les départements de français de la Louisiane se sont passablement désintéressés du fait linguistique local lorsque M. J. Domengeaux2' lança le mouvement CODOFIL, il ne trouva ni études de base ni infrastructurepédagogique sur lesquelles asseoir une action massive de revitalisation linguistique. D'autre part, étant donné les préjugés envers les variétés locales de français, tant chez les représentants du groupe anglophone dominant que chez les « Créoles » francophones2", on conçoit qu'au préalable le choix d'une norme pédagogique non standard se serait heurté à une vive résistance de la part des notabilités. Il n'en reste pas moins vrai que le renouveau linguistique par le biais de renseignement du FS ne ferait que transformer les Cadjins en « simples consommateurs de la langue française », pour citer J.-P. C'est précisément cette difficile symbiose qu'entreprend actuellement une équipe à la Southwestern Louisiona University de Lafayette (USL). L'équipe USL a préparé un manuel de français cadjin (Abshire-Fontenot et Barry, 1979), destiné à des étudiants ayant suivi le cours élémentaire de FS à rUSL, dans lequel remploi de la graphie traditionnelle s'allie à l'introduction de formes et de structures du français dialectal=-9. Par exemple, on y trouve le système verbal illustré ci-dessous, mais représenté convention-nellement; nous opposons les graphies utilisées dans ce manuel aux formes correspondantes de Faulk, qui fit ils allont eez ah lon

tu as été t'aw â faLes écarts syntaxiques par rapport au FS sont maintenus:« Ça plantait juste ça qu'on avait besoin pour vivre. Vous-autres se demande quoi il y a de différent.

Les Cadiens sont quand-même du monde qui aime la 27. Le fondateur du CODOFIL est un avocat d'affaires de Lafayette,

ancien représentant au Congrès fédéral.28. Le terne de Créole a une large gamme référentielle en Louisiane.

Traditionnellement, il s'emploie pour décrire les descendants de l'ancienne élite franco-espagnole de la Nouvelle-Orléans. Les Créoles pratiquaient une variété standard du français que certainsde leurs rejetons ont préservée. Dans les régions cadjines, le

terme désigne des personnes de sang mêlé: blanc-noir, blanc-indien ou diverses combinaisons de ces trois souches. 29. Un autre membre de

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En ce qui concerne le vocabulaire, outre les vocables désignant les réalités locales (par ex., gombo), l'ouvrage conserve les formes dialectales doublant des vocables du FS: le char « la voiture », le faiseur de cannes« un récoltant de canne à sucre », le clos « le pré, le champ », la vacherie « l'élevage de boeufs », haler « tirer ». Parmi les rares vocables dont la graphie représente fidèlement la prononciation l'on retrouve asteur « maintenant »; pour les autres, le lecteur doit appliquer des règles de correspondances, par exemple supprimer les groupes de consonnes composés d'oc-clusives plus liquides: le sucre [syk], vous-autres [CI, il La bonne conduite de cette entreprise requiert, outre des études descriptives et comparatives approfondies, une enquête sociolinguistique portant sur les attitudes des divers secteurs de la communauté cadjine envers l'emploi, à des buts pédagogiques, d'une koïnê supradialectale pouvant assumer le rôle de variété régionale de français. D'une part, cette koïnê devrait être libre de tout stigmate, c'est-à-dire qu'elle devrait être perçue comme ne comportant que de faibles écarts par rapport au FS, comme c'est le cas pour les variétés régionales des régions de langue vernaculaire française où l'idiome occupe une position dominante. D'autre part, elle devrait demeurer le symbole de l'identité culturelle de la communauté et conserver sa valeur de langue d'intimité. Les éléments d'information sociolinguistique recueillis par Gold (1982) ainsi qu'un regard sur les autres situations diglottes, telles que celles des langues régionales en France, n'autorisent guère d'envisager ce projet de standardisation avec beaucoup d'optimisme. Néanmoins, il représente une solution de compromis 4.

ConclusionAu terme de notre tour d'horizon, nous pouvons conclure que le fractionnement du français en une multitude de variétés mutuellement intelligibles que craignent certains puristes et observateurs de la scène linguistique francophone est bien improbable. Les variétés régionales qui semblent se dégager en Belgique, en Suisse romande et au Québec ne s'éloignent pas plus du FS -norme idéalisée s'appuyant sur le parler de la haute bourgeoisie parisienne - que le parler soutenu des élites des régions excentriques de l'Hexagone. u est important de souligner, toutefois, que ces français régionaux constituent eux aussi des

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logiques et lexicaux trop localisés ou dévalorisés par leurs liens avec le monde rural et avec les masses urbaines. Comment expliquer cette faible divergence des normes régionales en voie de formation par rapport au FS? Nous y voyons l'aboutissement de plusieurs siècles de dominance culturelle du FS. Dans un premier temps, le francien se répandant hors de son aire dialec-tale a détruit les bases culturelles de ses concurrents oil. Cette phase a pris la forme de l'adoption d'une norme extérieure, associée au pouvoir politique et au prestige culturel, par les élites des régions avoisinant l'aire originale du francien. Dans un deuxième temps, et ceci plusieurs siècles plus tard, sa diffusion par l'école et par un réseau de communication plus dense a sapé les assises des parlers maux et de ceux des masses urbaines. Cette expansion en deux temps a conduit au nivellement des parlers qui dénotaient l'appartenance à une localité précise ou à un groupe social particulier et a abouti à la formation d'un éventail de variation continue entre deux pôles antinomiques, le FS et le FP. Non seulement ces deux pôles symbolisent-ils l'appartenance à des sous-groupes distincts de la Une discontinuité pourrait s'établir entre le FS et une variété locale dans les régions plurilingues où le français sert principalement de langue administrative et scolaire. En Afrique noire, par exemple, sa faible implantation ne permet pas au FS d'assumer la fonction de communication interethnique que ne peuvent assurer, dans certaines régions, les véhiculaires locales. Comme il se transmet de bouche à bouche plutôt que par les canaux formels, le français se répand alors sous une forme pidginisée où les vocables français sont coulés dans le moule d' une syntaxe et d'une sémantique reflétant les langues vernaculaires de ses usagers. Cette forme approximative du français pourrait se créoliser, c'est-à-dire se fixer sous une forme stabilisée et

1° l'absence de grandes langues véhiculaires;2° la formation d'attitudes positives de la part

des utilisateurs;3° la faible diffusion de sa forme normée, FS ou français régional.Le type de norme qui se dégagera en Afrique noire,

FS, français régional ou français dialectal pidginisé ou créolisé se scindant en un code distinct, dépend, en fin de compte, de la politique d'aménagement choisie par lesdivers États africains et de l'écologie linguistique des diverses zones. La pidginisation du français peut être prévenue par des actions éducatives efficaces touchant

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de l'école au profit du FS. Au contraire, il est fort probable qu'un ensei-gnement de type bilingue, selon lequel le français serait introduit progressi-vement, se révélerait plus efficace. Par ailleurs, plutôt que le FS, la norme retenue pourrait être un français régional teinté aux plans phonologique et lexical de particularismes locaux mais s'alignant, au plan morphosyntaxique, sur le FS.

Enfin, quelle sorte de norme devraient choisir ceux qui essaient de faire revivre le français dans les régions où il sert de vernaculaire, du moins pour certains secteurs de la population, mais où il se voit exclu des fonctions administratives et véhiculaires? Avant de répondre à cette question, les plani-ficateurs linguistiques engagés dans cette entreprise doivent résoudre le problème de « fonctionnalité ». Quelles fonctions le français pourrait-il véritablement assumer? Selon nous, les conflits de choix de nomme qui op-posent les divers secteurs de la communauté cadjine tiennent à l'absence de réponses claires à cette question. S'il s'agit de mettre à la disposition des petits Cadjins et Cadjines une deuxième langue véhiculaire relayant l'anglais, le choix d'une forme relativement standard de leur idiome s'impose. Si, au contraire, le but fondamental est de renouer avec les traditions culturelles de leurs aïeux et de leur faire manier un moyen de communication encore en usage dans leur communauté, une variété dialectale est fortement indiquée. Ces deux objectifs ne sont pas nécessairement incompatibles et peuvent être reconciliés par une stratégie pédagogique bi-dialectale calquée sur l'enseignement bilingue. L'enfant utiliserait d'abord une variété localisée et serait conduit par étapes successives au maniement d'un français régional, puis du FS dans le cadre d'activités demandant l'emploi de la forme écrite de l'idiome.En guise de conclusion, nous estimons que la régionalisation du français par la création de normes marquant la spécificité culturelle des utilisateurs de la langue commune n'aboutira pas à la construction d'une tour de Babel. Pour que la francophonie se scinde en communautés incapables de communiquer entre elles par la langue commune, il faudrait une succession d'événements cataclysmiques. C'est d'ailleurs la possibilité qu'avait entrevue A. Brun (1931: 23), l'un des pionniers dans la description du français régional« Et puis, ce français régional, c'est peut-être le gemme d'une langue à venir. Imaginons que, dans les siècles prochains, les idiomes locaux, après une période de vie ralentie, deviennent des langues mortes: il y a un nouveau patois prêt à recueillir leur succession, c'est le français régional. Imaginons d'autre part, qu'à la suite d'événements historiques, impossibles à prévoir, le système moderne des nations unifiées et centralisées soit remplacé par une forme très différente des groupements humains. Le jour où notre régime, foncièrement unitaire, se disloquerait, l'unité de la langue française serait, par répercussion, compromise: quand les forces centrituges tendent à prévaloir au point de vue politique, la segmentation linguistique s'ensuit. Chaque variété de français régional se trouverait alors en position favorable pour se différencier de plus en plus des autres formes de français local qui coexistent sur notre territoire, et l'on entrevoit, sur les ruines du français commun, le pullulement de dialectes nouveaux issus de lui. »

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XXVI

Normes régionales de l'anglais*Par Braj B.

KachruIntroducti

onL'étude des normes régionales de l'anglais à travers le monde n'est pas sans rappeler la situation décrite dans l' amusante fable orientale de l' éléphant et des quatre aveugles'. Chacun des aveugles tente de décrire l'animal à partir de ce qu'il perçoit en touchant une partie du corps du grand pachyderme. Ainsi, ayant touché une des pattes de l'animal, le premier aveugle conclut que l'éléphant ressemble à un tronc d'arbre rugueux. Pour le deuxième, qui a palpé la trompe, le mammifère fait plutôt penser à une grosse corde. Le troisième, au contact du ventre bombé de l'animal, s'exclame: « Un éléphant, c'est comme un cylindre lisse. » Et ainsi de suite. Si chacun des aveugles a une juste perception d'une partie de l'animal, il est clair qu'aucune d'elles ne résume l'entité appelée « éléphant ». C'est l'ensemble de ces parties ainsi que les différents types au sein de l'espèce qui constituent l' « elephant-ness ». Cette analogie peut s'appliquer aux langues; en effet, lorsque nous étiquetons une variété (ex. américain, britannique, canadien, indien, « Les propriétés de dogness se retrouvent tout autant

chez le terrier que chez l'aisacien (et, devons-nous présumer, à titre égal); pourtant aucune des races canines, considérée isolément, ne possède l'ensemble des caractéristiques propres à toutes les races. De façon. analogue, il nous faut discerner un fonds commun que nous appelons anglais, qui ne se réalise La diffusion mondiale de l'anglais, de même que ses

diverses fonctions dans le contexte sociolinguistique de chacun des pays anglophones rendent toute généralisation virtuellement impossible. L'origine de chaque variété régionale doit être étudiée sous l'angle des circonstances historiques et culturelles propres à Traduit par Pierre Larochefe et Francine Paradis,

Gouvernement du Québec, Ministère des Communications, Service des traductions. Révisé par Jean 1. A ce sujet, on trouvera une bibliographie choisie dans

Kachru, 1976, 1982a et dans Smith4 1981.

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294 LA NORME LINGUISTIQUE

généralisations formulées à partir d'une variété régionale sont tout aussi trompeuses que la description que font de l'éléphant les aveugles de la fable. Chaque description contribue pourtant à notre compréhension de l'« anglicité » des diverses formes d'anglais à travers le monde et de leurs contextes sociolinguistiques Avant d'aller plus loin, précisons le sens des mots « modèle », « standard » et « norme » appliqués à l'anglais.Modèle, standard et norme

Ces trois termes sont habituellement considérés comme synonymes dans les ouvrages portant sur la didactique des langues et dans les textes normatifs sur la prononciation et l'usage. En matière d'évaluation de la langue, ces mots sont associés à la compétence langagière et ils supposent une acceptation par certains La norme, dans le cas de locuteurs dont l'anglais n'est pas la langue maternelle, suppose implicitement la conformité avec un modèle fondé sur la langue d'une partie des locuteurs parlant leur langue maternelle. L'usage de cette partie des locuteurs est érigé en norme privilégiée pour des raisons qui sont, avant tout, En anglais, la norme prescrite n'est pas l'usage de la majorité. L'apparition d'une norme privilégiée a des raisons pédagogiques et sociales; elle n'est pas le fait d'une intervention coercitive ou structurée, comme c'est le cas pour certaines langues d'Europe et Les normes de l'anglais

En anglais, les normes en vigueur n'ont jamais reçu de sanction officielle; leur statut tient à des raisons d'ordre social. Elles sont indirectement - et parfois directement - proposées dans les dictionnaires anglais, les manuels d'enseignement, à la télévision et à la radio, et dans le milieu de travail, lorsqu'une variété spécifique de langage est préférée par l'employeur, qu'il s'agisse de l'État, d'un employeur du secteur privé ou d'une maison d'enseignement. Ce sont ces avantages sociaux, réels ou virtuels, d'une norme donnée qui orientent le choix des parents quant au type d'enseignement qu'ils souhaitent pour leurs enfants. Prenons le cas de l'anglais des Noirs américains. Si du point de vue linguistique (ou logique) cette langue ne peut être considérée comme une variété déficiente (voir, par exemple, Burling, 1973, et Labov, 1970), elle limite, en raison de certaines attitudes sociales, l'accès aux sphères d'activités privilégiées dans lesquelles tout parent éclairé voudrait voir ses enfants travailler et réussir. 11 en va de même des diverses variétés

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NORMES RÉGIONALES DE L'ANGLAIS 295

L'absence d'un organisme structuré qui codifierait l'anglais n'a pas refroidi l'enthousiasme des partisans de la norme. C'est un fait avéré (voir Heath, 1977; Kachru, 1981b; Kahane et Kahane 1977; Laird, 1970) que les « gardiens de la langue » n'ont pas réussi à effectuer de codification, comme l'ont fait les académies française, espagnole, italienne et, plus récemment, hébraïque. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé. Au XVIIIe siècle, des deux côtés de l'Atlantique, on a tenté, à soixante ans d'intervalle, de fonder une académie qui aurait eu pour rôle de standardiser l'anglais. En 1712, Jonathan Swift adressait au « Très Honorable Robert, comte d'Oxford et de Mortimer, Grand Trésorier de Grande-Bretagne », une lettre devenue célèbre, dans laquelle il esquissait « Une proposition pour corriger, améliorer et fixer la langue anglaise ». Cette proposition était à la fois une plainte et un plaidoyer.

« Milord, je désire au nom de toutes les personnes cultivées et éduquées de la nation me plaindre à Votre Seigneurie et Premier ministre de ce que notre langue est extrêmement imparfaite, de ce que ses améliorations quotidiennes n'ont aucune commune Mais qu'est-ce qui lui tenait le plus à coeur? Swift

souhaitait que grâce à la codification, une méthode soit conçue permettant de vérifier et de fixer la langue à jamais, une fois faites les modifications qui auraient été jugéesnécessaires. Les responsables de cette mission « disposeront de l'exemple des Français qu'ils imiteront là où ils auront eu raison et corrigeront là où ils auront eu tort ». Sa proposition avait pour objectif (institution de chiens de garde linguistiques:

« Outre la grammaire, où nous nous permettons de très nombreux écarts, ils noteront un grand nombre d'impropriétés grossières qui, bien que permises par (usage et employées couramment, doivent être rejetées. De même, ils rencontreront de nombreux mots qui doivent absolument disparaître de notre La seconde proposition du genre fut soumise en 1780

par John Adarns au Continental Congress d'un autre grand pays anglophone, les États-Unis. Plus précise que celle qu'avait présentée Swift, cette proposition prévoyait lacr3ation d'une « institution publique » ayant pour tâche « de raffiner, de corriger, d'améliorer et de fixer la langue anglaise » (1856: VII: 249-250). Comme je l'ai déjà mentionné ailleurs (Kachru, 1981b: 38-39), cette pro-position était presque une réplique de celle de Swift. Si le projet de ce dernier n'a pas eu de suite, à cause du décès de la reine Anne, celui d'Adams a carrément été rejeté parce que, comme le fait remarquer Heath (1977: 10), « les pères fondateurs croyaient que la liberté de (individu de faire des choix et des changements linguistiques était,

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296 LA NORME LINGUISTIQUE

l'État de retirer cette liberté à l'individu ». On adoptait donc « comme politique de ne pas en avoir ».

Avec le recul, on constate que cette impuissance à créer une académie anglaise eut des avantages. En effet, l'absence d'un organisme officiel de codification linguistique éliminait au départ toute possibilité de résister à la norme officielle. Car il n'est pas facile de contrer les moyens de codification subtils et psychologiquement efficaces qui incitaient à établir une d est donc justifié de prétendre que chaque variété naturelle identifiable d'anglais peut produire sa norme. L'identification peut se fonder sur les caractéristiques formelles dont témoignent la prononciation, le lexique ou la grammaire d'une variété donnée. Du point de vue linguistique, l'« américanité » de l'américain est reconnaissable; du point de vue géographique (politique), on peut parler d'anglais canadien ou d'anglais australien. Évidemment, nous n'ignorons pas que ces grandes catégories se divisent en sous-variétés. Les variétés naturelles de l'anglais sont les suivantes: Mais, en réalité, la question est plus complexe. En effet, même les variétés naturelles de l'anglais sont chargées d'une longue tradition de polémique quant à la désirabilité d'un modèle exogène ou endogène. Cette controverse, qui a entraîné un débat fascinant, aux Etats-Unis par exemple (voir Kahane et Kâhane, 1977; Mencken, 1919), est d'un intérêt particulier pour celui qui étudie la fidélité et les attitudes langagières. Deux modèles (normes) principaux ont émergé de ces Ces modèles se sont répandus pour deux raisons. Du point de vue des attitudes d'une part, le prestige des locuteurs de ces variétés a provoqué leur imitation par d'autres personnes. Du point de vue pédagogique, ils constituaient deux modèles de prononciation solidement étayés. On trouve déjà chez Jones (PS) et Kenyon (ASA) entre autres2, des manuels et des La prononciation anglaise standard a été appelée tour à tour « anglais de la BBC », (pour British Broadcasting Corporation), « anglais soutenu » et « anglais scolaire »3. Ce dernier terme fait référence à ces vieilles institutions typiquement britanniques qui, comme le souligne Abercrombie (1951: 12), « sont elles-mêmes uniques ». La PS s'acquiert en grande partie inconsciemment et c'est pourquoi, toujours selon * En anglais. Receiued Pronunciation (RP) (N.d.l.r.). 2. Voir aussi, entre autres, Krapp, 1919.3. L'expression « public school » doit être replacée dans son contexte britannique, où elle

indique en fait récole « privée ».

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lieu de l'enseigner délibérément »'. Toutefois, c'est toujours elle qui a constitué la principale norme pédagogique dans la diffusion de l'anglais britannique à l'étranger, en particulier pour la préparation de cours sur rubans magnétiques et disques, ainsi que pour les Mais le statut de cet accent, et le terme employé pour le désigner, prêtent à controverse. De même, le « jugement social » à l'origine de sa popularité et de son prestige est remis en question, car, après tout, cet accent n'a jamais reçu de sanction officielle. Cependant, la PS constituait, pour le gouvernement et les services diplomatiques, l'accent recommandable et il était abondamment utilisé par l'omniprésente BBC. Mais, devant la transformation du contexte britannique, Abercrombie (1951) oppose trois arguments valables à la PS. D'abord la reconnaissance de cette variété standard constitue « un anachronisme dans la société démocratique actuelle » (p. 14). Deuxièmement, elle instaure une « barrière des accents » rappelant la barrière raciale, et cela, pour bien des gens qui sont du bon côté de la barrière, semble parfaitement Outre-Atlantique, l'emploi du terme « américain standard » porte à confusion puisqu'il s'applique à différentes parties des États-Unis et à la plus grande partie du Canada. L'américain standard est parlé par 90 millionsde gens habitant le centre et l'ouest des États-Unis et du Canada. Les raisons qui poussèrent Kenyon à faire la description de l'américain standard étaient pratiquement à l'opposé de celles de Jones, son prédécesseur britannique. Comme je l'ai indiqué ailleurs (Kachru, 1982x: 34), Kenyon est « conscient du tort fait par les manuels de prononciation normatifs et élitistes » et il s'inquiète de ce que « nous considérions des règles de prononciation comme faisant autorité sans même vérifier leur validité ni l'habilité de leurs auteurs à les promulguer » (1924: 3). 1 s'en prend donc à la doctrine de la correction, à la validité des « jugements » normatifs et des « avis » sur la prononciation. Il croit à juste titre que la cause sous-jacente de ces jugements Kenyon exprime clairement la disparité évidente entre la norme et le comportement linguistiques et il affirme avec raison que, « fort probablement, aucun être intelligent ne s'attend vraiment à ce que des gens cultivés du Sud, de l'Est et de l'Ouest prononcent de la même manière. Pourtant, il n'est pas rare que l'on critique ouvertement, ou par un silence méprisant, la 4. Voir aussi Gimson, 1962 et Ward, 1929.

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dation de gens cultivés d'autres régions que la sienne >» (1924: 5). Dans son optique, qui simplifie à l'excès sans doute, le remède à cette situation réside dans l'étude de la phonétique, par laquelle la personne « a tôt fait d'apprendre, non seulement à ne pas critiquer les prononciations qui diffèrent de la sienne, mais aussi à les pressentir et à leur porter un intérêt respectueux et intelligent ».Quelle est donc, alors, la norme généralement acceptée en anglais? Il y a plusieurs façons de répondre à cette question complexe et chargée d'émotivité. Ward (1929: 1) adopte une position extrême lorsqu'elle dit de la langue standard que « personne ne peut la définir adéquatement, parce qu'il n'existe rien de tel », ce qui, on s'en doute, ne recevrait pas nécessairement l'aval de Daniel Jones. Strevens (1981: 8) propose une réponse très différente: à son avis, dans le cas de l'anglais, « standard » ne signifie pas « imposé », ou encore « langue de la majorité ». Selon lui, l'un des aspects intéressants de l'anglais standard est « que dans toutes les communautés où l'anglais se parle, ceux qui ne parlent habituellement que l'anglais standard sont en minorité; dans toute la population anglophone, les locuteurs qui s'en tiennent au seul anglais standard sont en nombre infime » (1981: 8). ll semble donc que « En dépit de tout cela, les dictionnaires et les manuels continuent d'indiquer des préférences orthoépiques, grammaticales et lexicales. D'ailleurs, parler de l'usage de la « minorité », ce n'est pas seulement évoquer une quantité numérique, mais aussi une attitude préférentielle. £n effet, ce n'est pas parce qu'un usage est courant qu'il est psychologiquement ou socialement accepté.Le matériel didactique et le programme de formation des maîtres n'enseignent en rien la « tolérance linguistique » à l'égard des variétés régionales importées ou des usagers de variétés que l'on juge différentes des variétés standard. C'est, comme nous l'avons déjà dit, le cas de l'anglais des Noirs (ou des autres ethnies) aux États-Unis. En Grande-Bretagne, ce comportement est depuis toujours la règle face aux usagers des variétés régionales.Norme s'appliquant aux diverses formes d'anglais importéL'apparition de variétés importées de l'anglais est étroitement liée à l'histoire du colonialisme. Four raisons d'attitudes l'anglais du colonisateur, une fois introduit dans le réseau linguistique d'un pays, devenait la norme privilégiée. Mais en fait la « nomme » proposée par les représentants du suzerain n'était pas toujours la variété standard de l'anglais. Dans nombre

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des professeurs d'anglais n'était pas leur langue maternelle car ils se recrutaient chez les Belges, les Français ou les Irlandais.D'une façon générale donc, les formes d'anglais importé s'inspirent de deux modèles. Dans une grande partie de l'Asie, de l'Afrique et des Antilles, la majorité des locuteurs pour qui l'anglais est une langue acquise ont adopté le modèle britannique. D'autre part, c'est, entre autres raisons, le colonialisme (Philippines, voir Llamzon, 1969 et Samonte, 1981; Puerto Rico, voir Zentella, 1981), le commerce (Japon, voir Stanlaw, 1982) et la proximité géographique (Mexique, Cuba et Cependant, ces modèles étaient auréolés d'un mythe. En fait, il est douteux qû un modèle homogène ait jamais été introduit dans les colonies. Au contact des administrateurs coloniaux, des enseignants et des militaires, les indigènes étaient mis en présence d'un nombre déroutant de variétés d' anglais. Ainsi, les « locuteurs natifs » de l' anglais n' ont jamais formé qu'une fraction du personnel enseignant dans la majorité des colonies; on sait qu'en Asie du Sud, leur nombre était infime et que leur rôle dans Types d'anglais importé

Présenter les variétés importées d'anglais en fonction d'une dichotomie entre anglais naturel et anglais importé serait trompeur et irréaliste. Dans une étude antérieure (Kachru, 1982e: 37),1 'auteur a proposé de considérer ces variétés sous quatre aspects, à savoir. l'acquisition, le contexte socioculturel, la motivation et la fonction. Cet éventail peut se langue première

1. Acquisition langue seconde 2. Contexte socio- transplantée

culturel .- non transplantée3. Motivation langue d'intégration --- langue 4. Fonction langue nationale (lien) -- langue internationaleCertains auteurs (voir Catford, 1959; Halliday et

coll., 1964) ont déjà proposé une autre distinction valable entre l'anglais langue première, l'anglais langue seconde et l'anglais langue étrangère. La langue seconde et la langue étrangère ont été tour à tour qualifiées de variétés institutionnalisées et de variétés fonctionnelles (voir en particulier Kachru et Quirk, 5. Les locuteurs natifs n'étaient que très rarement des locuteurs de la PS; ainsi, un bon nombre

d'entre eux venaient d'Écosse, du Pays de Galles, d'Irlande.

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1981 et 1982e). Cette distinction est importante puisqu'elle nous amène à la question des standards exogènes et endogènes des anglais importés.

C'est en fonction des frontières politiques (ex. anglais indien, ceylanais, kenyan) ou des grandes divisions géographiques (ex. anglais africain, anglais de l'Asie du Sud et anglais de l'Asie du Sud-Est) qu'une variété importée acquiert son identités. Les désignations du premier type (indien et ceylanais) qui dépendent des frontières politiques ne nous renseignent pas beaucoup. En effet, cet étiquetage laisse croire à une multiplicité des formes d'anglais, morcellement qui n'existe pas en réalité. Grosso modo, les démarcations entre variétés sont déterminées par les caractéristiques linguistiques et culturelles communes à une région donnée. En ce sens, les termes « anglais africain », « africanisation » (voir Bokamba, 1982) ou « sud-asiatisation » (voir Kachru, 1969 [1978] et 1982b) s'avèrent plus appropriés. Mais, là encore, ces termes ne sont utiles que parce qu'ils renseignent sur les traits communs à divers niveaux au sein des variétés régionales. S'ils reflètent la réalité, ils le font au même titre que les termes « anglais américain » et « anglais britannique », et pas davantage. Ils marquent l'hétérogénéité linguistique d'une région et ils rassurent, jusqu'à un certain point, ceux qu'effraie ce qu'il est convenu d'appeler le morcellement de la communauté linguistique anglophone.

Ainsi, nous constatons qu'il existe, pour une région géographique donnée, une variété « standard » ou « soutenue » comprenant plusieurs sous-variétés. Il y a donc un continuum dans l'anglais, en pays bilingues (Kachru, 1965). Les sous-variétés se reconnaissent à la région, à l'ethnie, au niveau d'instruction, à la fonction, etc. II existe d'ores et déjà des études identifiant les sous-variétés régionales, celles du Nigeria par exemple (Bamgbose, 1982), du Kenya (Zuengler, 1982), de l'Inde (Schuchardt, 1891 [1980]; Kachru, 1969 [1978] et 1982c), de Singapour, de la Malaisie (Platt et Weber, 1980; Wong, 1981; Tay et Gupta, 1981) et des Philippines (Llamzon, 1969 et 1981).

L'usager d'un anglais importé peut changer de variété selon ses interlocuteurs. Un Indien instruit parlant l'anglais pourra chercher, en s'adressant à un Anglais ou à un Américain, à se rapprocher le plus possible d'un modèle d'anglais naturel, alors qu'il passera, pour communiquer avec un collègue de ses compatriotes, à la variété régionale d'anglais soutenu; il pourra même indianiser son anglais pour s'adresser à un marchand, un chauffeur d'autobus ou un employé de bureau. Ce sont là des degrés d'approximation de la norme qui dépendent du contexte, de l'interlocuteur et de la fonction de l'acte de parole.

L'existence d'un continuum dans les variétés importées est connue depuis près de cent ans (voir Schuchardt, 1891 [1980]) et a fait l'objet de

6. Pour d'autres précisions voir Kachru, 1982c et « Introduction: The Other Side of English », dans 1982e.

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diverses études (pour l'anglais de l'Asie du Sud, voir Kachru, 1965 et suivants; pour une bibliographie générale, voir Kachru, 1982c et 1982e). Strevens résume bien la question en prenant pour exemple l'anglais « Le médecin indien (pakistanais) qui communique facilement en anglais avec des collègues lors d'un colloque international, utilise une sorte d"`anglais in-dien" ... dans lequel l'anglais standard est parlé avec un accent régional. Le commis indien, dans ses rapports quotidiens, épistolaires ou verbaux, avec ses compatriotes, emploiera un "anglais indien" qui n'est pas l'anglais standard et il le fera avec un accent régional ou local. Le camionneur qui, à l'occasion, utilise l'anglais comme langue des échanges, a recours à un "anglais indien" qui n'est rien d'autre qu'un pidgin. C'est le deuxième de ces trois exemples qui illustre 1 "`anglais indien" typique et qui s'attire de fréquentes critiques de la part du corps enseignant Mâts ces critiques sont-elles justifiées? En fait, l'efficacité d'une variété se vérifie en dernière analyse par sa capacité à assurer la communication entre ses usagers. Il est évident que ce Il n'est pas facile d'établir le nombre de locuteurs des diverses formes d'anglais importé à travers le monde (qu'il s'agisse de variétés régionales ou de pidgins). En fait on ne dispose d'aucune source sûre à ce sujet puisque l'anglais s'apprend partout dans le monde et de multiples façons. Certains l'apprennent dans des « ateliers d'anglais », dans les bazars, de gens qui savent à peine le parler, tandis que d'autres, plus fortunés, suivent les leçons de professeurs hautement qualifiés qui leur offrent des conditions d'apprentissage idéales. Quelles que soient les statistiques réelles, le nombre de gens bilingues s'accroit rapidement et l'anglais s'est élevé au rang de langue universelle (voir Kachru, 1981b) grâce, surtout, à son utilisation comme langue importée. La diffusion de l'anglais se poursuit et se trouve maintenant entre les mains de locuteurs dont il n'est pas la langue maternelle; ce sont eux qui planifient et

Étude de l'anglais langue secondePays Étudiants (en millions)Inde 17,6

Philippines 9,8

URS.S. 9,7

Japon 7,9

Nigeria 3,9

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Indonésie 1,9

Mexique 1,Corée du Sud 1,Pakistan 1,Kenya 1,Ghâna 1,Brésil 1,Égypte 1,5Québec 1,5Thailande 1,3Taiwan 1,Sri Lanka 1,2Pays-Bas 1,1Iran 1,0Tanzanie 1,0

Source: Gage et Ohannessian (1974).

Évolution des normes régionalesU est impossible de reconstituer avec précision

l'évolution historique des modèles régionaux d'anglais. C'est plutôt l'évolution des attitudes à l'égard de ces variétés qu'il faut analyser. U s'agit en quelque sorte de faire le constat d'un comportement linguistique qui a toujours existé, mais dont le statut n'était pas reconnu. Les Indiens, les Africains, les Malais et les Philippins n'ont d'ailleurs jamais cessé d'être partagés entre mythe et réalité depuis que l'anglais s'est introduit dans leur système d'enseignement et leur répertoire linguistique. En effet, la plupart des universitaires se faisaient les défenseurs d'un standard exogène sans se rendre compte qu'eux-mêmes affichaient, et du même coup apprenaient à leurs Cependant, le conflit d'attitudes à l'égard des variétés régionales a toujours persisté. C'est pourquoi l'étude du développement d'un modèle ne peut se limiter aux différents stades qui ont permis à une norme d'acquérir un statut en quelque sorte ontologique. Ces changements d'attitude ont été étudiés par Kachru (1982a); aussi nous contenterons-nous de résumer très brièvement la question en l'assortissant d'une mise en garde. Ces stades ne sont pas nettement définis et ne s'excluent pas les uns les autres; ils dépendent surtout de l'ampleur de la diffusion de la langue importée et de l'institutionnalisation de la variété en question. Il

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cependant, on se défend de parler soi-même, ce qui révèle un net écart entre norme et comportement. Au troisième stade, cette attitude s'atténue et une opposition se dessine entre les tenants de la variété régionale et ceux du standard exogène (voir Kachru, 1982x: 39-40). Le phénomène ressort d'ailleurs clairement des données qui suivent, tirées d'un sondage effectué auprès d'usagers de l'anglais indien.

Tableau 1Attitude des diplômés indiens à l' égard de divers

modèles d'anglais et classement par ordre de préférence'

Modèle I PréférenceII III

Américain 5,17 13,19 21,08Britannique 67,60 9,65 1,08Anglais indien 22,72 17,82 10,74Indifférents 5,03« Bon » anglais 1,08

Tableau 2Préférence des professeurs en matière de langue d'enseignement

Modèle I PréférenceII III

Américain 3,07 14,35 25,64Britannique 66,66 13,33 1,53Anglais indien 26,66 25,64 11,79Ne savent pas 5,12

Tableau 3Appréciation par les diplômés de l'anglais qu'ils parlent

Type d'anglaisAméricain 2,58Britannique 29,11Anglais indien 55,64Mélange des trois 2,99Ne savent pas 8,97« Bon » anglais ,27

Source: Kachru (1976: 230-232).

7. Sur l'échantillon et la méthode utilisée pour cette étude pilote, voir Kachru, 1975x, 1976.

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Enfin, une fois atteint le dernier stade, le matériel pour l'enseignement de l'anglais est adapté au contexte local; l'anglais n'est plus enseigné seulement dans le but d'intégrer l'autre culture, mais plutôt de mettre les étudiants en présence de la leur. 1 s'agit d'utiliser une langue de l'« extérieur » à un usage « intérieur ». La « fenêtre sur le monde », ou « la langue des livres », devient une fenêtre sur sa culture, son histoire et ses traditions propres. De plus, la variété crée ses propres registres et devient, ne serait-ce que pour une minorité, un instrument de création (voir Kachru, 1981x, 1982c et 1982d). L'anglais devient en ce sens partie Les différents niveaux de la norme

En général, le mot « norme » ne s'applique pas exclusivement aux niveaux phonétique et phonologique. La variété peut en effet se distinguer par des caractéristiques propres au lexique, à la grammaire ou au discours. Toutefois, c'est d'abord et avant tout la prononciation (appelée généralement « accent ») qui fait l'objet de critiques et d'intolérance; c'est surtout à cet aspect de l'usage que sont consacrés les manuels. Souvent les traits qui caractérisent le lexique, la syntaxe, la grammaire et le discours d'une variété sont Ce n'est qu'au cours des années 1960 qu'est étudiée dans les ouvrages de linguistique la question de la différence entre « faute » et « déviation » au sujet des anglais importés. (Pour une bibliographie et une discussion, voir surtout Kachru, 1982x.) La déviation à différents niveaux est directement fonction du degré d'« indigénisation » (voir Kachru, 1981a et Kachru et Quirk, 1981). L'attitude face à l'indigénisation est fonction pour sa part du degré d'institutionnalisation de la variété, qui dépend, à son tour, de sa diffusion et de sa pénétration dans un contexte donné. La diffusion d'une variété consiste dans son usage dans différents contextes culturels, éducatifs et commerciaux. Plus Les attitudes qu'engendrent les caractéristiques propres à une variété (lexicales et grammaticales, par exemple; voir Smith, 1981; Kachru, 1982¢; Bailey et Goriach, 1982) dépendent, dans une large mesure, de ce que cette variété est utilisée comme langue première ou comme langue seconde. Qualifier un mot, ou une forme, d'américanisme, d'australianisme ou de canadianisme, c'est une façon d'indiquer qu'il y a déviation par rapport à l'anglais de la mère-patrie. L'histoire des conflits d'attitudes, même à l'égard des variétés naturelles transplantées, est extrêmement 8. Pour discussion sur le sujet et références, voir entre autres Finegan, 1980; Heath 1977;

Kahane et Kahane, 1977; Kachru, 1982¢; Mencken, 1919.

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des variétés importées et institutionnalisées est toutefois plus complexe. Dans ces variétés, la déviation est depuis toujours qualifiée de « faute » ou d'« erreur ». Par tradition, c'est le locuteur parlant sa langue maternelle qui fixe les limites linguistiques ou II est manifeste que, dans le cas de l'anglais, la notion de « locuteur natif » a une valeur douteuse"'. L'anglais étant utilisé par des gens de culture et de langue différentes dans une multitude de contextes internationaux et nationaux, il convient d'examiner les « déviations » dans le cadre de ces contextes fonctionnels, ce qui soulève une autre question essentielle à la compréhension des rapports existant Dans les variétés régionales importées, il n'est pas possible de considérer systématiquement les déviations comme des aberrations linguistiques résultant d'une déficience d'apprentissage. Cette généralisation hâtive aurait le tort de faire oublier les causes sous-jacentes profondes qui sont à l'origine des innovations, et reviendrait à passer outre au contexte dans lequel fonc-tionne la langue. L'acculturation d'une variété se produit sur une certaine période de temps et dans un cadre qui, incontestablement, est « non anglais »Il. (On trouvera un certain nombre d'études de cas dans Kachru, éd., 1982e.) La langue anglaise n'est plus un véhicule de la culture occidentale; elle ne sert plus que marginalement à répandre les modes de vie américain et britannique. En 1956, le linguiste britannique J.R Firth faisait remarquer à juste titre (Firth 1956, in Palmer 1968: 97):

« . . . L'étude de l'anglais couvre un domaine si vaste qu'elle doit être circonscrite pour être réalisable. Premièrement, l'anglais est une langue internationale dans les pays du Commonwealth, dans les colonies et aux États-Unis. L'anglais est international en ce sens qu'il véhicule le mode de vie américain, et peut être appelé "américain"; mais 6 véhicule aussi le mode de vie de l'Inde et il a été déclaré récemment langue indienne dans le cadre de la constitution fédérale. Dans un autre sens, son internationalisme s'étend non seulement à l'Europe, mais aussi à l'Asie où il s'approprie de plus en plus le rôle de langue de la

9. Conune j'ai maintes fois traité de ce point, l'assortissant d'exemples (Kachtu, 1965 et suivantes), je ne m'y attarderai pas ici.

10. Notons, par exempte, le commentaire de C.A Ferguson (dans « Depuis longtemps, la linguistique-les linguistes américains en particulier-font une place privilégiée au "locuteur natif' et le considèrent comme la seule source vraiment fiable d'information lingusüque, qu'il s'ags' se des textes dépouillés par les descriptlvistes ou des intuitions du théoricien qui les traite. Pourtant, une grande partie des communications verbales dans le monde s'effectue par l'intermédiaire de langues qui ne sont pas, la "langue matemeile" du locuteur, mais bien sa seconde, troisième ou ennième langue... A vrai dire, tout ce mythe du bcuteur nattt et de ta tangue maternelle

I1. Voir Kachru, 1965 et suivantes pour une analyse de ce phénomène du contexte sudasiatique; pour l'anglais africain, voir Bokamba, 1982 et

Chishimba, 1981.

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Ainsi donc, l'anglais est un instrument qui, dans ses diverses manifes-tations - en Orient comme en Occident - subit des adaptations culturelles. En Asie du Sud, l'anglais traduit le mode de vie, les systèmes administratif et pédagogique de l'Inde, du Sri Lanka, du Pakistan. Les caractéristiques formelles indigénisées acquièrent un contexte pragmatique et un cadre de référence nouveaux, tous deux fort éloignés de ceux qu'elles possèdent dans les cultures américaine et britannique. Dans diverses études (voir Kachru, 1965 et suivantes; en particulier, 1982b) j'ai donné un certain nombre d'exemples où les déviations tiennent à la « signification sociale » du texte, signification propre à la culture dans laquelle l'anglais fait office de langue importée. Je me permets d'en citer ici les extraits pertinents (1982b: 329-330):

« L'acculturation semble procéder de deux opérations. L'une entraîne la déculturation de l'anglais, tandis que la seconde produit l'acculturation dans un nouveau contexte et donne à l'anglais une identité propre dans son nouveau rôle. Les Indiens, parlant de leur anglais, expriment ce double processus par le composé sanskrit dvija (deux fois né). (A l'origine, ce terme s'appliquait aux brahmanes, pour qui l'initiation devait constituer une seconde naissance.) Firth (1956 in palmer 1968: 96) a donc raison d'affirmer que "l'Anglais doit se désangliciser", tout comme, pourrions-nous ajouter, l'Américain doit "désa-méricaniser" son attitude face à de telles variétés pour pouvoir mieux com-prendre cette acculturation des formes d'anglais (voir Kachru, 1982c).Cette insertion de l'anglais dans de nouvelles nonnes culturelles et linguistiques de communication nous fonce à réviser nos paramètres linguistiques et con-textuels pour comprendre les nouveaux types de langues et de discours. Ceux qui sont étrangers à ces cultures doivent effectuer une mutation de variétés pour pouvoir saisir la façon de parler et d'écrire ces variétés. C'est un état de fait qu'il n'est pas possible d'appliquer les nommes d'une variété à une autre. Lorsque je dis "norme", je ne fais pas allusion aux seules déviations formelles (voir Kachru, 1982a), mais bien à l'univers sous-jacent au discours qui fait de l'interaction linguistique un plaisir et lui confère une "signification". a s'agit de tout le processus qui consiste, comme le dit Halliday, à apprendre "comment signifier" (1974). Nous sommes là en présence d'un concept profondément culturel. Idéalement, pour comprendre l pensée d'un bilingue et son utilisation du langage, fi faudrait être soi-même bilingue et biculturel, pouvoir réagir de la mème façon aux événements, aux normes culturelles et interpréter (usage de la L_ dans le cadre de ce contexte; il faudrait percevoir comment le contexte culturel se manifeste dans la forme linguistique, dans le nouveau registre sty-listique et dans les présupposés qu'a le locuteur sur les énoncés faits dans la L_. C'est vraiment tout un programme!De façon générale, cette redéfinition de l'identité culturelle des variétés im-portées a été négligée. Les études dont ce domaine a fait l'objet se résument, essentiellement, à trois types: le premier, et naturellement le plus important, puisque ces études portent sur les questions pédagogiques, interprète toute déviation comme un manquement à la norme et, partant, comme une "faute". Le souci de la norme y est tel que toute innovation étrangère au code du locuteur parlant sa langue maternelle est considérée comme une aberration linguistique et que bout locuteur qui commettrait trop souvent ce genre de fautes, ferait preuve d'insuffisance ou d'aliénation linguistique. Le deuxième type d'études s'attache aux caractéristiques formelles sans chercher à les rattacher à leur fonction ni à identifier les causes contextuelles des innovations. Ce fossé entre emploi et usage a masqué bien des facteurs sociolinguistiques importants. Le troisième groupe d'études s intéresse aux "littératures de contact", expres-

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sion sans doute calquée sur celle des "langues de contact". Ces littératures sont le produit de communautés linguistiques multiculturelles et multilingues et débordent la littérature anglaise pour englober les "littératures en langue anglaise". La plupart de ces études s'attachent plus aux thèmes qu'au style. » (Pour plus de précisions, voir Sridhar, 1982.)

Norme et intelligibilitéL'un des principaux avantages d'une norme est d'assurer l' intelligi-

bilité (voir Nelson, 1982; Smith, 1979) 'z entre locuteurs de différentes variétés régionales d'anglais. A ce titre, la norme serait vitale à la communication. Selon moi, s'appuyer avec le moindrement de rigueur sur le concept d'intelligibilité pose au moins trois problèmes. Premièrement, bien que ce terme soit omniprésent dans les traités pédagogiques et les études sur l'apprentissage des langues secondes, il désigne malheureusement l'aspect le moins étudié et le plus nébuleux des situations interculturelles et interlinguistiques. Deuxièmement, toute la recherche faite sur les variétés d'anglais langue seconde porte principalement sur la phonétique, en particulier sur les phonèmes. Nelson (1982) s'est penché sur les limites des recherches de cet ordre. Pour leur part, les interférences qui nuisent à l'intelligibilité à d'autres niveaux, en particulier dans les unités significatives, ont à peine. été étudiées (voir Kachru,1982b). Troisièmement, lorsqu'il s'agit de l'anglais, 9 faut préciser clairement qui est en cause dans l'interaction linguistique. Quel rôle joue le verdict du locuteur parlant la langue maternelle lorsqu'il s'agit de juger de l'intelligibilité d'énoncés émanant de locuteurs non anglophones de naissance, d'énoncés qui remplissent une fonction « intranationale », en Asie ou en Afrique, par exemple? Les actes de parole conformes à une variété donnée sont essentiels à la communication, comme l'ont montré Chishimba (1981) et Kachru dans divers travaux (1982e). Certes, pour les échanges internationaux, 9 serait justifié d'affirmer que le modèle pourrait être le locuteur idéal parlant sa propre langue. Mais, lorsqu'il s'agit de variétés institutionnalisées, ce locuteur n'est pas partie à la situation de parole réelle. Les emplois régionaux sont fonction du contexte de chacun des pays où l'anglais se parle, et la ressemblance phonétique n'est qu'un aspect de l'acte de langage. L' étendue des champs lexicaux et les caractéristiques stylistiques et rhétoriques de la variété sont foncièrement différentes de celles que connaît le locuteur natif.

Combien d'usagers des variétés institutionnalisées recourent à l'anglais dans leurs échanges avec des anglophones de naissance? J'ai montré dans le cadre d'une étude pilote (Kachru, 1976: 233) que, de tous les usagers de l'anglais indien, seule une fraction a des contacts avec des locuteurs dont l' anglais est la langue maternelle. Ainsi, chez les membres du corps professoral des universités et collèges étudiés, 65,64% n'avaient que des rapports occasionnels avec des anglophones de naissance, tandis que 11,79% n'en avaient jamais. Seulement 5,12% des usagers affirmaient avoir des contacts quoti

12. On trouvera une liste exhaustive de références sur cette question dans Nelson, 1982.

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diens avec cette catégorie de locuteurs. Je tiens toutefois à souligner que cette enquête ne portait que sur un groupe très restreint d'usagers indiens de l'anglais, c'est-à-dire des professeurs d'anglais enseignant au niveau supérieur (voir Kachru, 1975a et 1976). Une enquête portant sur des professeurs qui n'enseignent pas l'anglais donnerait des résultats différents, surtout au niveau supérieur. Alors, quelle est donc la nature du problème? D n'est certes pas question de traiter la question du point de vue d'une norme unique. Comme dans le cas des variétés naturelles, l'intelligibilité des variétés institutionnalisées (importées) d'anglais est sujette à un continuum. L'intelligibilité au sein d'un groupe élargi dépend de divers paramètres sociolinguistiques relatifs à l'aire géographique, à l'âge, à l'instruction et à la situation sociale. Ward (1929: 5) esquisse la situation en GrandeBretagne:

« ll semble évident que, dans un pays de la taille des Iles britanniques, tous les locuteurs utilisant l'anglais devraient être en mesure de se comprendre. A l'heure actuelle, il n'en est rien: celui qui parle le cockney n'est pas compris de celui qui parle le dialecte Cette remarque, faite il y a plus de cinquante ans, a

conservé toute sa valeur. On pourrait même ajouter qu'aux États-Unis, le pluralisme ethnique, culturel et linguistique rend la situation encore plus complexe (voir Ferguson et Heath, 1981). Si maintenant nous étudions le cas de l'anglais langue seconde en Afrique, en Asie ou dans le Pacifique, le tableau devient extrêmement confus.Mais, sur le plan pratique, le problème a tout de même un bon côté. En effet, ce qui apparaît comme une situation linguistique complexe en Grande-Bretagne, en Amérique, en Afrique ou en Asie du Sud, se simplifiepour autant que l'on modifie sa perspective. À l'aide de son diagramme conique (reproduit dans Ward, 1929: 5) Daniel Jones a montré qu'à mesure que nous nous rapprochons du sommet, les divergences qui subsistent sont tellement infimes que seule une oreille très exercée peut les discerner (Ward, 1929: 6). Ward avance l'argument de la « convenance ou adéquation » (p. 7), Je vois ici un parallélisme très net entre les variétés

naturelles d'anglais et ses variétés importées et institutionnalisées. L'intelligibilité est relative, selon que l'on considère la sous-région, la nation, les divisions politiques de la région (ex. Asie du Sud, Asie du Sud-Est) ou, enfin, le monde dans ses échanges internationaux. D est vrai que l'anglais standard, que ce soit celui de l'Inde, de Singapour, du Nigeria ou du Kenya, n'est pas identique à la PS ou à l'ASA; il est différent et il est normal qu'il le soit. Est-ce que ces

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NORMES RÉGIONALES DE L'ANGLAIS 307

Dans certaines situations, les marques distinctives sont des indices souhaitables de l'identité. En effet, ces marques formelles assurent une identité régionale et nationale et favorisent la prise de contact immédiate entre les habitants d'une même région ou d'un même pays. La volonté de préserver ces marques distinctives se reflète dans les propos du délégué de Singapour aux Nations Unies, T.T. Koh: « .. . Lorsque l'on est à l'étranger, que ce soit à bord d'un avion, d'un autobus ou d'un train, on distingue immédiatement à son accent un Malais d'un citoyen de Singapour. Pour ma part, j'ose espérer que lorsque des compatriotes m'entendent parler à l'étranger, ils devinent immédiatement que je suis de Singapour » (cité dans Tongue, 1974: iv). Il y a près d'un demi-siècle, le linguiste britannique J.R. Firth (1930: 196) formulait la même idée dans un contexte Attitudes à l'égard des normes régionales

Arrêtons-nous un instant à étudier l'attitude de deux groupes différents à l'égard des normes régionales de l'anglais. Le premier groupe est constitué de locuteurs dont l'anglais est la langue maternelle et dont le jugement en cette matière a toujours été considéré comme primordial. L'attitude de ce groupe se manifeste de trois façons: d'abord dans le matériel didactique qu'il produit à l'intention des locuteurs étrangers. Jusqu'à récemment, ce matériel visait à faire connaître au lecteur la culture occidentale (britannique ou amé-ricaine), situation qui tend à se modifier lentement. Deuxièmement, l'attitude de ce locuteur transparaît dans les ouvrages destinés expressément à la formation des professeurs d'anglais langue seconde: les auteurs de ces ouvrages ne font aucun effort pour montrer l'institutionnalisation de l'anglais dans d'autres cultures ou pour dépeindre les contextes non occidentaux où l'anglais s'est indigénisé. Troisièmement, ce groupe mentionne à peine la littérature à laquelle les anglais importés ont donné- naissance et l'usage qui pourrait être fait de ce corpus littéraire. Les études sur l'anglais Le fait que les usagers des anglais importés n'aient pas fait montre d'une fidélité commune à l'égard des nommes régionales ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu réflexion sur le sujet. Le vieux désaccord sur le comportement linguistique réel et la nomme s'est modifié et on est de plus en plus conscient de l'aspect pragmatique du langage. L 3 débat est tantôt directement, tantôt indirectement relié à la question. Loin d'être nouveau, son origine remonte au moment où fut reconnue l'institutionnalisation de l'anglais et que

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Ainsi, en Inde, le pédagogue et spécialiste de l'anglais Amar Nath Jha, disait, en 1940, de façon presque ironique:« Puis-je ... me permettre de plaider en faveur de l'usage, du maintien et de la promotion de l'anglais indien? ... Avons-nous quelque raison d'avoir honte de l'anglais indien? Qui donc, dans les Provinces-Unies (Uttar Pradesh) ne com-prendra pas le jeune homme qui, ayant mérité un freeship au collège, dit qu'il va se joindre à la teachery profession, et qui, après quelques années, est engagé dans la headmastery? De même, pourquoi devrions-nous adopter mares nest et nous objecter à horse's egg, si fréquent dans les colonnes dAmrita Bazar Patrika? Pourquoi devrions-nous dire all this, alors que this ail est dans l'ordre naturel que suggère l'usage de notre langue? Pourquoi insister pour que yet suive though alors qu'en hindoustani, nous utilisons l'équivalent de but? Faut-il condamner la phrase qui suit parce qu'elle n'est pas conforme à l'anglais, alors qu'elle traduit littéralement sa version dans notre propre langue? 1 shall not pay a pice what to say of a rupee. Y a-t-il quelque motif rationnel de rejeter family members et d'accepter members of the family? Un peu de courage, un peu de détermination et un sain respect de nos langues propres et nous aurons avant longtemps un anglais indien viril et vigoureux » (cité dans Kachru, 1965).

Dustoor (reproduit dans Dustoor, 1968: 126; voir aussi Kachru, 1982c) affirme de façon encore plus catégorique que « notre anglais aura toujours une saveur plus ou moins indigène. Il faut s'attendre à ce que dans notre imagerie, notre choix des mots, dans les nuances de sens que nous leur conférons, nous soyons différents des Anglais autant que des Américains ».

ll n'existe pas d'études empiriques approfondies sur ce que pensent les maîtres, les étudiants et les pédagogues d'un standard exogène. Cependant, dans les régions où l'anglais est institutionnalisé (ex. Afrique, Asie, Pacifique), les pédagogues ne manquent pas de discuter de cette question entre eux, ou de l'aborder par ricochet lorsqu'ils traitent d'autres sujets relatifs aux variétés régionales. Bamgbose (1971: 41) indique clairement qu'au Nigeria « le but n'est pas de produire des usagers de la prononciation standard (en supposant que ce soit possible)... Nombre de Nigérians trouveront affectés, voire pédants, leurs compatriotes qui parlent comme des anglophones de naissance ». Au Ghâna, on attendra d'un Ghanéen instruit qu'il emploie, comme le dit Sey (1973: 1), la variété soutenue régionale qui n'est pas, toujours selon Sey, « le genre d'anglais qui s'efforce avec ostentation de ressembler à la PS.. . ». L'imitation de la PS « est mal vue, perçue comme mauvais goût et pédanterie ».

L'imitation de standards exogènes tels que la PS et l'ASA provoque la même réaction en Asie du Sud. Au sujet du Sri Lanka, Passé (1947: 33) note ce qui suit:

à « U est à souligner également que les Ceylanais qui parlent l' "anglais standard" sont en général impopulaires. U y a plusieurs raisons à cela: ou bien ceux qui le parlent appartiennent à la classe privilégiée et ont une bourse bien garnie ui leur permet de fréquenter les écoles et universités anglaises; ils déplaisent onc trop pour qu'on les imite; ou bien, assez péniblement, ils ont acquis pour des raisons d'ordre social ce genre de parler, et ils sont considérés comme de vulgaires imitateurs de leur modèle. Us sont isolés par leur anglais, que la majorité de leurs compatriotes ne

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Depuis une cinquantaine d'années, on favorise plutôt la norme régionale au Sri Lanka (voir Kandiah, 1981). Aux Philippines, « le type d'anglais parlé par les Philippins cultivés, et acceptable dans les milieux cultivés, est 1"`anglais standard philippin" » (Llamzon, Les observations qui précèdent montrent que l'adhésion inconditionnelle à un standard exogène est contraire aux attitudes en vigueur. Dans la plupart des cas, les débats sur le sujet portent spécifiquement sur la norme de la langue parlée. L'innovation lexicale pour sa part a toujours été reconnue comme légitime et comme étant un signe d'indigénisation. (J'ai traité de cette question en détail dans Kachru, 1973, 1975 et 1980.) Cependant, l'indigénisation ne se révèle pas que dans la phonologie et le lexique. Comme je rai mentionné ailleurs (voir Kachru, 1982: 7), elle se manifeste aussi dans les collocations, dans la simplification ou la surgénéralisation syntaxiques, et dans l'emploi de procédés stylistiques ou rhétoriques indigènes. Bref, l'indigénisation confectionne à la langue importée un nouvel environnement Qui est en droit de remettre en question la justesse (ou l'accepta-tion) de formations telles que swadeshi cloth, military hotel (hôtel où l'on sert de la viande) ou lathi charge Conclusio

nSi le débat sur la norme en matière d'anglais

régionaux n'est pas terminé, il tend à se détourner de la codification et à devenir plus réaliste (voir Strevens, 1981). De plus, tant dans les esprits que dans la pratique pédagogique, les variétés importées soutenues tendent à se voir reconnaître et défendre de plus en plus (voir Kachru, 1982e et Smith, 1981). Une distinction s'établit entre l'usage national et l'usage international de l'anglais, et les innovations indigènes sont maintenant perçues comme des ressources stylistiques essentielles aux différentes littératures de Il importe de se rendre compte que plusieurs tendances marquent la diffusion actuelle de l'anglais. En effet, comme nous l'avons indiqué plus tôt, l'anglais risque de compter bientôt plus de locuteurs le parlant comme langue acquise que comme langue maternelle. Ces locuteurs majoritaires sont de tous niveaux; certains sont bilingues, d'autres parlent un très mauvais anglais. Cependant, chaque sous-variété joue son rôle fonctionnel. Deuxièmement, la diffusion de l'anglais est, dans une proportion croissante, l'oeuvre de ces usagers étrangers qui ont instauré des normes différentes de la PS et de rASA Dans certains cas, les

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ou britannique n'est jamais enseignée aux élèves qui apprennent l'anglais. Dans d'autres cas, la reconnaissance de la norme régionale sert d'antidote contre la saveur « coloniale » et « occidentale » que l'on associe à l'anglais; c'est là une façon d'exprimer ce que l'on pourrait appeler « l'émancipation linguistique ». Mais il y a encore d'autres causes plus importantes. En effet, il semble que ce soit là la façon dont fonctionnent les langues; rappelons le cas du latin, qui nous a donné les langues romanes, et du sanskrit qui, malgré une codification stricte, a engendré de nombreuses variétés régionales en Asie du Sud. En outre, il est indubitable que l'apparition de nouvelles littératures de langue La complexité des fonctions de l'anglais dans les différentes langues et cultures rend forcément incomplet tout propos sur sa nature internationale. Ainsi, la morale de la fable orientale de l'éléphant et des quatre aveugles devrait nous servir d'avertissement et nous inciter à effectuer, avec tout le sérieux qui s'impose, des études empiriques sur les différentes cultures de façon à saisir l'ensemble de la situation.

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XXVII

La codification de l'anglais canadien

par Grace Jolly

« Though in many respects [... ] Canadian English follows British rather than United States practice, and has a modest area of independent lexical use [... ] in many other respects it has approximated to AmE [Arnerican English], and in the absence of strong institutionalizing forces it seems likely to continue in this direction. ».

- Quirk, Greenbaum, Leech and Svartvik« The Canadian writer must uninvent the word. He must destroy the hornonymous American and English languages that keep him from hearing his own tongue. But to uninvent the word, he knows, is to uninvent the word. He writes then, the Canadian poet [... ] knowing that to fait is to fait, to succeed is to fail. » - Kroetsch

II m'a semblé utile de commencer le présent article sur la standardisa-tion de la langue anglaise au Canada par ces deux citations. La première est le commentaire objectif et détaché des linguistes britanniques qui nous ont donné A Grummar of Contemporary English (Quirk et al., 1972: 18). La seconde est le constat poignant et paradoxal d'un écrivain canadien en quête d'un langage authentique qui puisse exprimer son milieu et son époque (Kroetsch, 1974: 1).

L'anglais canadien: une langue anglaiseL'anglais canadien, avant tout, est une variété d'une langue suprana-

tionale extrêmement répandue et influente. En effet, quel que soit l'aspect considéré -le nombre et la puissance de ses usagers, sa diffusion géogra-phique ou encore sa fréquence d'utilisation dans les ouvrages scientifiques ou littéraires -, Quirk et ses collègues estiment que la langue anglaise est avant toutes choses la plus internationale des langues, que c'est aussi la langue des échanges qui a, par rapport à toutes les autres langues vivantes, le moins de spécificité culturelle ou politique (1972: 6). A côté de cette langue supranationale, ou internationale, coexistent diverses nonnes na-tionales bien distinctes, dont les variétés britannique et américaine sont les

Traduction. Lily Gaudreault

Révision: Francine Paradis et Jean Darbelnet

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316 LA NORME LINGUISTIQUE

mieux définies et les plus solidement établies. Il existe par ailleurs d'autres normes nationales, moins distinctes et moins institutionnalisées, comme celles de l'Écosse, de l'Irlande, du Canada, de l'Afrique du Sud, de l'Aus-tralie et de la Nouvelle-Zélande, parmi lesquelles l'anglais écossais, avec son pendant littéraire, le lallans, est le mieux établi et sans doute le plus viable de tous.Les auteurs de A Grammar of Contemporary English considèrent que la position de l'anglais canadien face à l'américain est comparable à celle de l'anglais irlandais (hibemo-anglais) et de l'anglais écossais face à l'anglais britannique. La proximité et la force de la communauté majoritaire, la mobilité de la population et les liens culturels et économiques étroits sont autant de facteurs qui contribuent à inhiber la formation de caractéristiques linguistiques distinctes dans les petites communautés et à les entraîner dans le courant dominant (Quirk et al., 1972: 18). Toutefois, la littérature, l'attitude de la communauté et de solides Il est vrai que les langues anglaises parlées de part et d'autre de la frontière canado-américaine ne diffèrent que sous très peu d'aspects, si bien que certains linguistes les ont simplement assimilées sous la rubrique « langue américaine standard » (General American). 1 est vrai aussi que les forces normalisatrices qui pourraient différencier les variétés canadiennes de l'américain sont extrêmement faibles. Cependant, les caractéristiques linguistiques seules ne suffisent pas à déterminer à quelles langues standard appartiennent des variétés parfois issues d'une même langue supranationale. La langue standard se définit Conscients du fait que la différenciation d'une langue est souvent le résultat à long terme d'un isolement social ou géographique, Quirk et ses collègues conduent au phénomène inverse, à savoir que le contact intense entre les communautés américaine et canadienne de langue anglaise doit nécessairement provoquer la concordance de leurs langues. Mais Labov, par ses études exhaustives de l'américain, fait « [... ] la diversification des dialectes persiste en dépit de l'omniprésence des médias et du contact étroit des groupes sociaux en présence. Le fait que le phénomène de diversité linguistique n'est pas automatiquement associé à l'isolement porte à croire qu'il est peut-être également relié au processus normal de communication directe » (1972: 324).L'observation de l'anglais canadien, qui dans son évolution continue « d'osciller » entre les deux principales tendances linguistiques anglophones, peut nous apporter de nouvelles clés pour la compréhension de la convergence et de la différenciation linguistiques.

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LA CODIFICATION DE L'ANGLAIS CANADIEN 317

L'anglais canadien: une langue canadienneLa pluralité des opinions qui ont cours quant au

statut de l'anglais canadien par rapport aux diverses langues anglaises du monde, et la difficulté de le situer de l'un ou l'autre côté, américain ou britannique, révèlent bien la nature difficile et complexe de « la codification de l'anglais canadien ». L'anglais canadien fut tour à tour considéré comme un anglais britannique corrompu, une branche de l'américain, une langue transitoire devant tôt ou tard s'assimiler à celle de son puissant voisin, une langue nationale existant de plein Il y a cinq ans, lorsqu'on proposa la création d'un cours d'anglais canadien de deuxième et troisième cycle à l'Université York, un professeur anglophone originaire d'un pays du Commonwealth répondit: « L'anglais canadien, cela n'existe pas. Les Canadiens, je les A cela, on ne peut que rétorquer: « Non, pas parfaitement. » Malheureusement, les universitaires qui nient l'existence de l'anglais canadien, prétendant comprendre parfaitement les Canadiens anglais, sont plus nombreux que l' on ne voudrait. Dans la préface de (1973: vi), Avis souligne:

« . . . Certaines personnes, particulièrement celles qui arrivent du Royaume-Uni, nient que (anglais parlé au Canada puisse prétendre à une certaine autonomie. D'autres encore, qui elles-mêmes parlent l'anglais canadien, sont néanmoins convaincues que l'anglais britannique représente la seule norme Bien peu de choses ont changé depuis qu'Avis

écrivit ces lignes. En 1981, la plupart des auditeurs qui ont téléphoné à la Société Radio-Canada pour se plaindre de présumées fautes d'usage, s'exprimaient dans une variété d'anglais britannique, et nombre d'entre eux affirmaient « que jamais pareille erreur ne Voilà pour les gens de l'extérieur. Il s'en trouve pourtant un parmi les nôtres qui persiste à dire que « l'existence de l'anglais canadien est illusoire, et que toute tentative d'imposer une norme fictive serait faite au mépris des parlers régionaux, comme celui qui est en usage à Terre-Neuve » (Story, 1972: 322).Svejcer, pour sa part, qui dénie également un statut particulier à l'anglais canadien, affirme que les particularités linguistiques de l'anglais canadien ne ressortissent pas aux types de variation de forme et de fonction caractéristiques des langues standard, mais constituent au contraire des variantes hybrides. Parlant des zones hybrides, il fait remarquer que

« ... i! faudrait évidemment y inclure le Canada, pays où l'anglais canadien ne comporte que très peu de traits distinctifs qui lui sont propres et qui, en plus,

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Dans son ouvrage intitulé Canadian English: Origins and Structures, J.K. Chambers a judicieusement mis en parallèle un article de Marton Bloomfield (1975 [1948]: 3-11) et un de M.H. Scargill (1975: 12-15) qui repré-sentent les deux pôles du débat actuel sur les origines de l'anglais canadien. Bloomfield, tout comme Alexander, le mentor d'Avis (1962 [1940]: 173), traite l'anglais canadien comme une branche de l'américain standard, tout au plus, et ne suggère d'approfondir son étude qu'en vue de mieux comprendre l'histoire de l'anglais américain. Dans l'article que nous avons cité, et dans d'autres plus récents, notamment dans Short History of Canadian English (1977), Scargill attribue aux colons britanniques des XVIlle et XIXL, siècles un rôle capital dans la formation de l'anglais canadien, et bien qu'il ne nie pas l'influence américaine, il situe son impact à une époque ultérieure. En 1959, Schlauch écrivait que les variétés régionales de l'anglais En 1954, Walter Avis, doyen des linguistes lexicographes canadiens, a décrit l'anglais canadien comme étant le prolongement de la langue parlée dans le Nord des États-Unis, mais comportant suffisamment de caractères différents propres pour constituer une aire linguistique secondaire au sein d'une aire englobante (1975: 68). Il en donne la description suivante:

« [... ] un dialecte qui s'apparente à l'anglais Selon lui, cette « mixité » aurait ses racines dans l'histoire de la colonisation au Canada.

Donc, pour arriver à définir l'anglais canadien, à la fois si proche et si différent de l'américain, il serait utile de rappeler rapidement quelques jalons de la colonisation au Canada anglophone.Selon nous, la particularisation de l'anglais canadien ne résulte pas uniquement de l'histoire de la colonisation du Canada anglophone, mais aussi du fait que la communauté anglaise a été en contact avec la vaste communauté canadienne-française. Nous étudierons successivement certains aspects de l'anglais américain, de l'anglais britannique et du français cana-dien qui ont contribué à façonner l'anglais canadien.Les origines de l'anglais canadien: influences de l'américainLa chronologie des événements qui ont marqué la langue au Canada, publiée récemment par Blair Neatby (1972: 24), commençait, de façon arbitraire, en 1867, l'auteur ne trouvant avant la Confédération aucun point de départ clairement défini. Or, pour l'étude de la langue anglaise au Canada, il y a bel et bien un point de départ la Déclaration d'indépendance des États-Unis, en

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En érigeant les Loyalistes de l'Empire britannique en ancêtres mythiques des Canadiens anglophones, les enseignants et les écrivains risquent fort d'avoir exagéré leur fidélité à la Couronne et négligé les autres raisons qui les ont incités à émigrer. Certains d'entre eux, bien sûr, ont agi par loyauté; ce fut le cas notamment des « Tories », ceux qui avaient prêté serment au roi en raison de leurs fonctions officielles au sein de la colonie et de l'Église anglicane, des grands propriétaires fonciers qui tenaient au maintien d'un système de castes leur assurant une part disproportionnée des richesses, et enfin de l'aristocratie commerçante. Ceux qui en avaient les moyens sont rentrés dans leur pays d'origine, en Angleterre; d'autres sont passés en Amérique du Nord britannique et en furent largement récompensés, mais il s'agissait d'une minorité facile à circonscrire. La plupart des Loyalistes étaient des réfugiés politiques, devenus traîtres et hors-laloi du fait de la guerre et de leur refus de prêter le serment d'allégeance au nouveau régime, comme l'exigeaient la plupart des États après la guerre d'Indépendance. 1 se trouvait également parmi eux des quakers et des mennonites allemands qui durent

Bien qu'il soit vrai que ce sont les plus nantis qui s'enfuirent, c'est-à-dire les professionnels et les propriétaires fonciers, nombreux sont aussi les travailleurs peu instruits qui vinrent s'installer au pays, particulièrement dans le Haut-Canada. Leur loyauté envers la Couronne britannique n'était peut-être pas aussi fervente que les livres scolaires essaient de nous le faire croire. L'Angleterre avait perdu l'Amérique, mais eux aussi. L'impuissance de l'Empire à mobiliser ce tiers de la population qui lui était resté fidèle, à comprendre la cause du mécontentement des révolutionnaires et à y remédier, découlait en grande partie de son mépris pour les colons, fidèles ou rebelles. Les tentatives ultérieures en vue de récompenser les Loyalistes et de leur donner une nouvelle patrie, si elles émanaient d'une bonne intention et furent assez coûteuses, furent souvent maladroites. Les terres convenaient mal à la colonisation, l'Angleterre ne tint pas ses promesses et les dédommagements ne furent pas équitables, ce qui entraîna une souffrance et une amertume immenses chez les colons. Ceux qui étaient nés de ce côté-ci de l'Atlantique, que ce fût d'un côté ou Même si les chiffres ne disent pas tout, on ne peut les ignorer totalement Rappelons qu'avant la guerre de l'Indépendance américaine, les anglo-

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phones ne représentaient qu'une faible proportion de la population de ce qui est aujourd'hui le Canada On estime à 12 ou 13 000 le nombre de personnes originaires de la Nouvelle-Angleterre parmi les 18 000 colons établis en Nouvelle-Écosse (qui comprenait alors le Nouveau-Brunswick et l'he-du-Prince-Édouard) et les liens économiques et culturels qui les unissaient aux « treize États » étaient toujours très forts. 1 ne restait qu'un très petit nombre d'Acadiens de langue française qui avaient échappé à la déportation de 1755. Il y avait également un petit groupe d'expression gaélique, composé de colons qui avaient survécu à la bataille de Culloden et à la répression brutale dont furent victimes les Highianders par la suite. On dénombrait également environ 1 500 habitants d'origine allemande et suisse et quelques Britanniques appartenant au clergé ou à l'armée. Les vieux établissements de Terre-Neuve, pour la plupart colonisés par des Irlandais ou des Anglais de l'ouest de l'Angleterre, avaient une population d'environ 8 000 habitants, qui ne se rallieront que beaucoup plus tard au reste du Canada. Dans le Bas-Canada, il y avait tout au plus 3 000 anglo-phones, et dans le Haut-Canada, quelques centaines seulement (Orkin, 1970: 50-53).

C'est alors que commença la grande migration américaine. On estime à 35 000 le nombre d'Américains qui, en 1784, étaient dans les Maritimes. En 1812, il y avait environ 30 000 anglophones au Bas-Canada dans la seule région des Cantons de l'Est, et 80 000 des 100 000 habitants du HautCanada étaient d'origine américaine. Ces données ne sont certes pas des plus complètes; en effet, elles ne permettent pas de déterminer le nombre de personnes qui ont émigré, plus précisément qui sont retournées aux ÉtatsUnis après la guerre, ou encore qui ont quitté les Maritimes pour aller s'établir sur les terres plus riches du Haut et du Bas-Canada. Ce qui est par contre indéniable, c'est que la langue anglaise, au Canada et en Angleterre, avait déjà à ce moment-là évolué de manière très différente, et que les distinctions étaient fermement ancrées avant même le début de l'immigration américaine au Canada Il faut ajouter que les Américains, pendant toute une génération, ont été en nombre bien supérieur au Canada, jusqu'à ce qu'une immigration britannique massive vienne renverser leur supériorité numérique. Entre-temps, ils avaient implanté leur système scolaire partout où ils s'étaient établis et utilisaient leurs propres livres de lecture et d'orthographe. S'ils réussirent à se fixer sur ces terres inhospitalières, c'était en partie parce qu'ils étaient nés sur le continent, et qu'ils s'adaptaient relativement mieux que les immigrants européens.

Le pionnier, s'il réussit, est imité dans sa façon de parler ou d'agir par ses successeurs. Au sujet de l'influence envahissante des Américains, Leacock (1941: 116) s'exprime ainsi:« II est important de rappeler que les colons loyalistes eux-mêmes n'étaient pas des Britanniques au sens strict, mais bien des Américains. Nombre d'entre eux étaient issus de familles établies en Amérique depuis plusieurs générations. ils différaient en cela de la majorité des colons; ces derniers étaient des Britan-

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niques qui avaient quitté leurs iles et participé à la grande migration qui suivit les guerres napoléoniennes. Mais l'allégeance est une chose, la culture en est une autre. Ces Américains, Loyalistes et autres, ont contribué à imprimer à la province de l'Ontario cette étrange ressemblance avec les modes d'expression et coutumes des "États", qui subsiste encore chez les gens simples. Le Thanksg~'oing Dinner, mi-religieux, mi-gastronomique, est une coutume américaine du Massachusetts qui tient son origine d'un festin à la dinde partagé avec des Amérindiens en 1630. On doit également aux Américains le York, le shilling de New York, valant 121/2 cents, que bon nombre d'entre nous se souviennent encore d'avoir utilisé comme unité de compte. Les sections scolaires, les manuels et concours d'orthographe, ainsi que le township puisent tous à la tradition américaine. Les Loyalistes utilisaient des mots tels que dooty, reckon,

Dans son judicieux ouvrage intitulé Our Own Voices, McConnell parle de « deux déracinements », l'un qui vit les Anglais gagner les Etats-Unis, l'autre qui les amena au Canada (1979: 8-9). Le premier eut lieu au XVIle siècle, avant la standardisation de la langue. Les déplacements étant alors lents et difficiles, les premiers Américains n'eurent plus que très peu de contacts avec leur mère-patrie. Les pionniers de la Nouvelle-Angleterre venaient principalement de Londres et de j'East Anglia, mais aussi du Southem Yorkshire. C'étaient des artisans, petits commerçants, professeurs et prédicateurs ou encore des dissidents politiques ou religieux, qui étaient plus instruits que les gens de leur classe en Angleterre. Au début de la colonisation, la population des États de New York et de la Pennsylvanie était composée de Hollandais, ainsi que d'une forte proportion d'Allemands, d'Écossais et d'Irlandais. C'est d'ailleurs du Nord de l'Europe que provenaient la majorité des colons américains qui s'établirent dans le Haut Canada. Des documents anciens indiquent que l'anglais canadien était déjà une langue homogène solidement établie en Amérique avant que survienne le deuxième « déracinement ». On retrouve des attestations supplémentaires dc l'origine américaine de l'anglais canadien dans les écrits de l'époque. Au début du XIXe siècle, les colons et voyageurs britanniques se montrent en effet vexés et indignés de constater que les anglophones du Canada s'expriment si différemment Catherine Parr Train est plus irritée encore par les immigrants du Royaume-Uni qui imitent l'accent yankee, et critique leur « mauvaise imitation qui est toujours pire que l'accent original »; elle se console toutefois en voyant que « cette habitude désagréable et cette altération de la langue » sont plus marquées dans « la classe inférieure des Irlandais et des Écossais que chez les Anglais »

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A l'époque où l"e Traill écrivait ces mots, on prenait déjà des mesures pour enrayer l'influence américaine sur les moeurs et la langue, en « enseignant à la britannique » dans les écoles. Avis relate qu'en 1931, dans certains districts de la Nouvelle-Écosse, les professeurs et manuels scolaires américains étaient interdits dans les écoles (1978: 40) et il cite un visiteur britannique qui, « [... ) un grand nombre d'enfants instruits par quelque aventurier américain qui utilise des manuels d'orthographe, des grammaires et des dictionnaires américains et enseigne à ces petits un dialecte anti-La première attestation que l'on ait de l'expression « anglais canadien » remonte à dix ans avant la Confédération, et sa définition semble indiquer que cette langue était perçue plutôt comme américaine que britannique. Lors d'une conférence prononcée au Canadian institute de Toronto, le Révérend A.C. Giekie décrivait l'anglais canadien comme

« [... 1, un dialecte corrompu qui se développe dans notre population, s'infiltre progressivement dans nos journaux et menace même de produire un S'il faut féliciter Giekie « d'avoir découvert tout seul

l'existence de l'anglais canadien, même s'il s'y opposait », comme le note ironiquement Orkin (1970: 11), il faut également lui reconnaitre le mérite d'avoir publique-ment proposé la théorie de la contamination, qui fait porter à nos voisins du Sud tous les péchés de l'anglais Cette bizarre schizophrénie linguistique, négation de l'Amérique et apologie du modèle britannique, est d'une rare ténacité! L'évolution de notre propre langue suffit à la tourner en dérision. Comme le souligne North (1972: 8), réconforté, « le dialecte corrompu » que Giekie souhaitait nous voir mépriser en vue de garder à notre langue sa pureté britannique, se porte fort bien. S'il pouvait constater les résultats, il serait, comme on dit dans certaines régions de Terre-Neuve, stunned as an owl (bouche bée) que nous soyons restés deaf as a Les origines de l'anglais canadien: influences britanniquesDans son excellent résumé analytique des études descriptives de l'anglais canadien, G.A Tilly (1980: 28-53) souligne « l'absence au Canada d'études dialectologiques poussées, analysant la langue sous l'aspect social », comme celles de Labov sur l'anglais américain et celles que Trudgill a réalisées en Angleterre et qui démontrent combien la dimension sociale arrive à rendre compte de modifications par C'est en essayant d'identifier l'influence qu'a eue le britannique sur l'anglais canadien que l'on découvre à quel point sont inadéquates les études dialectologiques régionales effectuées à ce jour. Tant que les études lin-

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guistiques ne tiendront pas compte du statut, virtuel et réel, de la langue et des relations sociales qu'entretiennent ses usagers, il sera impossible d'expliquer comment le locuteur instruit procède à ses choix phonologiques, orthographiques, lexicaux, voire grammaticaux, optant pour ce qui est perçu comme la norme américaine ou la nomme britannique. En l'absence de telles études, tout effort pour cerner et U existe au Canada un certain nombre d'enclaves linguistiques où la langue témoigne d'une nette influence britannique, à Terre-Neuve, au CapBreton, dans la vallée de rOutaouais, la vallée de l'Okanagan et dans l'île de Vancouver. U est toutefois difficile de distinguer ce qui est purement britannique de ce qui est écossais ou irlandais dans l'anglais standard, sauf pour quelques lexèmes intéressants qui ressortissent au Yorkshire English, tels que riding, signifiant « circonscription électorale », qui vient de thriding (tiers), Les explications astucieuses ne manquent pas pour expliquer la « disparition » de toute trace du parler des classes moyenne et inférieure. Orkin (1970: 57) abonde dans le sens de Priestly selon lequel les Anglais « se sont camouflés », parce que leur association à l'ancien régime colonial, tout comme leur façon de parler, les rendait impopulaires. U a peut-être une part de vérité dans cette affirmation. U est évident que les cossais, les Irlandais, les Français ou les Américains n'avaient aucune raison particulière, en tant que groupe ethnique, d'aimer les Anglais. U reste néanmoins qu'un sentiment aussi tenace que la haine collective aurait dû entraîner l' isolement des diverses communautés et la survivance des particularités linguistiques, non le contraire. En fait, « [... 1 ces nouveaux arrivants entraient en contact avec des Canadiens déjà établis et, il fallait s'y attendre, leurs enfants adoptaient les habitudes linguistiques des communautés dans lesquelles ils s'instaMaient » (Avis 1978: 43).Dans les régions rurales de l'Ontario, il existe encore des communautés isolées purement anglaises. Tant que ces communautés n'auront pas été étudiées, et qu'il n'aura pas été démontré qu'aucune caractéristique britannique ne subsiste ou, le cas échéant, que ces caractéristiques n'ont rien en commun avec celles de l'anglais standard, on ne pourra affirmer que toute trace de l'anglais d'Angleterre a disparu. Par ailleurs, il ne faut pas accorder trop d'importance à l'affirmation de Scargill (1977: 10, 11) selon laquelle « la grande période d'immigration britannique qui s'est poursuivie de 1825 à 1860, allait engloutir les autres variétés d'anglais au

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serait mal comprendre son statut social et oublier qu'il est peu probable que sa langue puisse être autre chose qu'un sujet de parodie.

Il ne faut pas pour autant conclure que l'anglais britannique n'a eu aucune influence directe sur l'anglais canadien. Au contraire, cette influence fut omniprésente et constante, depuis l'époque coloniale jusqu'à nos jours. Comme le souligne Avis

« Dans une large mesure, ce qui n'est pas américain dans la langue anglaise canadienne vient directement de la mère-patrie; ce sont des traits linguistiques qui font concurrence aux variantes américaines déjà implantées au Canada et qui L'influence des professeurs écossais est attestée dès

les premiers temps de la colonie. Nombre d'universités ont été calquées sur le modèle écossais et engageaient également des professeurs écossais, car ils avaient la réputation de travailler plus et de réclamer moins que leurs confrères anglais (Reid, 1976: 250-251).

En Ontario, Egerton Ryerson fut à l'origine d'un mouvement destiné à instaurer un « réseau d'écoles publiques efficace, centralisé », prévoyant l'usage d'un matériel didactique uniforme et inspiré d'une saine idéologie. De 1846 à 1866, l'usage des Irish Readers fut autorisé dans les écoles. Loin d'être « neutres », ces manuels, sans être confessionnels, enseignaient la morale et les valeurs chrétiennes et constituaient aussi une bonne source de renseignements pratiques. Ils avaient si peu de rapport avec l'Irlande qu'on s'en servait dans toutes les colonies britanniques de l'Amérique du Nord et dans certaines écoles d'Angleterre et d'Écosse (Repu, 1974: 121-122). Ils avaient pour pendant un livre de lecture approuvé, The Spelling-Book Superseded, de Sullivan, qui, pour la plupart des mots, recommandait l'orthographe britannique, y compris la terminaison en -oui dans les mots comme color, mais indiquait en bas de page certaines justifications de la terminaison -or et citait des Aux Irish Readers succéda une série de livres d'orthographe et de lecture publiés en Ontario, mais également autorisés dans les autres provinces. Les livres de lecture utilisés à partir de 1884 étaient réputés pour leur ferveur patriotique à l'égard de l'Empire britannique. Ireland a analysé ces livres scolaires ainsi que les manuels d'orthographe et les dictionnaires autorisés dans les écoles, et il s'est attaché plus particulièrement à l'orthographe de certains mots témoins, tels que center et centre, cheque et check, colour et color, plough et plow. ll a noté que, mises à part quelques exceptions, comme les mots en -oui, c'est

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Si les écoles publiques favorisent la langue écrite britannique, les écoles privées, souvent, en font de même de la langue parlée. Huitin (1967: 255) cite un professeur d'anglais désespéré, qui déplore la difficulté d'enseigner l'anglais correct à ses élèves canadiens, c'est-à-dire l'anglais standard britannique:

« A ne sert à rien d'enseigner aux élèves la prononciation de mots tels que palm, calm, bath, etc., dans lesquels se trouve un A à l'italienne. S'ils prononcent correctement, leurs parents leur disent Elle n'aurait pas dû désespérer. En effet, il existe

encore aujourd'hui à Toronto, chez les femmes d'un certain âge de la classe supérieure, un dialecte anglais facilement identifiable où se note une espèce de « A à l'italienne » dans des mots comme tomato (Chambers, 1979: 174175). De plus, les « informateurs du groupe socio-économique supérieur ainsi que les femmes (dans une étude portant sur 17 informateurs torontois) ont tendance à s'exprimer dans une langue beaucoup plus

II est établi depuis longtemps que les femmes sont plus sensibles que les hommes aux marques de prestige. Souvent, au Canada, les riches et les personnes qui jouissent d'un certain prestige aspirent à se conformer aux normes linguistiques britanniques (Tilly, au sujet de Newman, 1980: 49). Grant fait en outre remarquer ce « [... ] la tradition britannique, cela signifie, par exemple, qu'un homme comme E.P. Taylor, qui a donné sa vie pour intégrer le pays à l'empire capitaliste (américain), n'arrive pas encore, en 1970, à prononcer Kentucky Derby à l'américaine. »Pour sa part, Avis note que, là où l'usage n'est pas fixé, « les formes britanniques sont priées surtout dans les classes sociales supérieures » (1978: 81).L'immigration continuelle en provenance du Royaume-Uni, (omniprésence de professeurs qui s'expriment ou tentent de s'exprimer en anglais britannique standard du Sud dans nos universités et écoles privées, la tendance des églises officielles à adopter le bon accent en chaire, soit le britannique standard du Sud chez les anglicans et f accent d'Édimbourg chez les presbytériens, la connaissance des formes linguistiques britanniques chez les Canadiens instruits, et enfin le choix, voire l'obligation, de s'en tenir aux formes britanniques dans le discours

Les formes britanniques ne sont toutefois pas réservées à la langue soutenue; elles servent aussi à parodier les prétentieux La marge est ténue entre le raffiné et (affecté. L'affectation et l'insécurité linguistique n'ont pas disparu de nos parages. M. Bertrand, le personnage de A.M. Klein, qui « doit tout à

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jamais oublier le merveilleux Paris » (1967: 41) a un pendant anglophone dans le « native of Kingston, Ont » d'Irving Layton[who] for three yeurs attended Oxford

Now his accent

makes even Englishmen wince, and feel unspeakably colonial (1967: 75).

Influences du français canadienCe sont des Européens francophones qui

découvrirent ce pays qu'ils nommèrent Canada. Ces missionnaires, explorateurs et commerçants baptisèrent notre territoire d'est en ouest, de la Baie d'Espoir (aujourd'hui dénommée, ironie du sort, Bay Despair) au Lac La Biche et à Tête Jaune. Us ont également donné un nom à tous ses accidents topographiques, chutes, sauts, rapides, buttes, coulées et prairies, ainsi qu'à la flore et la faune. Us ont aussi créé le vocabulaire de la Comme les Français connaissaient mieux le pays, qu'ils l'exploraient et le colonisaient depuis des générations avant l'arrivée des Anglais et qu'ils étaient beaucoup plus nombreux, l'emprunt linguistique se fit d'abord dufrançais vers l'anglais. À l'époque, le français jouissait d'un grand prestige en tant que langue internationale des échanges et l'anglais faisait des emprunts au Bien que nombre de ces mots et expressions empruntés aient disparu de l'usage, d'autres ont été totalement assimilés au point que leur origine est maintenant oubliée; ils ont servi à construire des dérivés et ont changé de catégorie en anglais. Ainsi, mushing, qui signifie « promenade en traîneau à chiens » et musher, « celui qui conduit le traîneau », sont des dérivés de mush, qui provient du mot français « marche »; le mot portage fait maintenant office tantôt de verbe, tantôt d'adjectif dans de nombreux composés, et apparaît aussi comme substantif, forme dans laquelle il a été emprunté; le mot concession, emprunté au français lors de l'arpentage des terres commencé en Au XXe siècle, les Anglais acquérant une plus grande importance numérique et économique, il se produisit un revirement de la situation, c'est-à-dire que le français se mit à emprunter un nombre considérable d'expressions à l'anglais, malgré les modifications de la structure grammaticale qui s'ensuivaient. Le Rapport de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le

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statut égal et que, de ce fait, la mobilité sociale des francophones était entravée et l'existence du Canada en tant qu'entité politique menacée. Les tentatives des autorités de mettre en oeuvre certaines des recommandations du Rapport se sont signalées par leur coût élevé, leur maladresse, leur manque d'à-propos sociolinguistique (Bibeau, 1976; Martin, 1978), leur indifférence envers les deux communautés. Il s'est néanmoins formé, question de stratégie, une élite bilingue au pays (Gumperz, 1971: 130). Qui plus est, des francophones occupent maintenant des postes prestigieux dans l'administration politique. La langue anglaise au Canada s'est remise à faire des emprunts au français, surtout dans les domaines de la politique et de l'enseignement Ainsi, des mots comme francophone et anglophone sont maintenant si bien assimilés qu'ils ont donné naissance à des composés comme sinophone et même ukrainophone, et francicism semble devoir supplanter gallicism, qui est pourtant attesté en anglais depuis 1656. Quant aux règles orthographiques qui devraient s'appliquer à ces mots, la question n'est pas tranchée. Les publications anglaises des États-Unis et de GrandeBretagne citent souvent entre guillemets les mots comme sovereignty association, separatist, independentist et même l'expression Quiet revolution, alors que les médias canadiens les glissent dans leurs textes sans la moindre indication de leur origine française. Le New York Times anglicise le sigle FLQ en QLF (Quebec Liberation Front), alors que les journaux canadiens s'en tiennent au sigle français. Par ailleurs, on constate de plus en plus, sans pouvoir étayer le fait, une modification de l'usage, pourtant fixé depuis longtemps, de mots comme collectivity, polity, mentality et même country, modification entraïnée par le contact étroit des deux cultures.

Sur le plan syntaxique, la modification la plus évidente est celle des noms propres. Les organismes gouvernementaux et les maisons d'affaires ont commencé à utiliser Canada postposé, comme modificatif du substantif, au lieu de Canadian ou de Canada antéposé. C'est pourquoi d'anciennes appellations comme Canadian Broadcasting Corporation et Canada Council en côtoient de nouvelles comme Air Canada, Parks Canada, Environment Canada, etc. Cette tendance est maintenant bien ancrée et ne pourra que s'étendre à d'autres noms propres et d'autres secteurs. Avis remarque qu'en 1978, elle était déjà manifeste dans

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dans le style narratif, est remarquable. Cet usage est fort probablement renforcé par les locuteurs bilingues (français-anglais) qui utilisent des expressions telles que « eh, eh bien » et « hein », marques d'insistance courantes en français canadien (Avis, 1972: 102-103).Les conventions régissant l'inclusion d'expressions françaises dans la langue anglaise sont assez complexes et, comme l'usage de l'anglais britannique, semées d'embûches. Ainsi, on peut tenter de se rapprocher le plus possible de la prononciation française du mot « Québécois », mais on juge affecté de faire de même pour le mot Québec, qui se prononce [kwabek] par les anglophones instruits, nés au Canada, et bien au fait de l'usage. A défaut d'études sociolinguistiques pourtant indispensables, on peut néanmoins avancer que les emprunts au français prédominent chez les locuteurs instruits qui s'expriment dans un niveau de langue soutenu, ce qui n'est pas un phénomène nouveau. En L'influence du français canadien sur l'anglais canadien est un exemple contemporain spécifique qui démontre que lorsque deux langues sont en usage dans un même système social, toutes deux diffèrent de leur languemère respective et de ses variantes. « Peut-être, songe Kroetsch, est-ce le mélange d'anglais et de français qui distingue finalement notre parler canadien ». Peut-être. . .Standardisation de l'anglais canadien

Le Canada est une terre immense, incroyable, d'une étendue infinie.Son gigantisme a été à jamais gravé dans l'imagination

par la classique description de Frye:« [... ] un pays divisé par deux langues et d'immenses étendues sauvages, de sorte que sa frontière, plutôt qu'une limite, décrit une circonférence. C'est un pays de rivières et d'îles gigantesques, que la plupart de ses habitants n'ont jamais contemplées; un pays qui s'est bâti à partir des gares des deux plus grandes lignes Les anglophones de Terre-Neuve sont séparés des Maritimes par des eaux tumultueuses, des coûts de transport maritime exorbitants et quelque 400 ans d'évolution en vase clos; les habitants des Maritimes, eux, sont isolés de l'Ontario par le Québec francophone et des frais de transport extrêmement onéreux. Deux jours de route difficile et une histoire douloureuse séparent les Prairies de l'Ontario. La Colombie-Britannique se trouve coupée du reste du Canada par des montagnes, et de sa capitale insulaire par une autre étendue d'eau. Les régions nordiques, elles, sont séparées du pays par le froid, l'espace et l'oubli implacable des habitants du Sud. Par contre, la

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précaires entre l'Est et l'Ouest soient d'une importance capitale, il survient toujours une grève ou un impair bureaucratique ou politique pour les brouiller ou les rompre tout à fait; elles ne sont maintenues qu'au prix d'efforts démesurés. Malgré tout, les Canadiens anglais se reconnaissent parce qu'es parlent une même langue. On s'attendrait à une grande diversité linguistique régionale, mais on constate une homogénéité étonnante. Notre histoire, nos ancêtres qui, deux fois déracinés, ont prouvé leur attachement à leur langue, ainsi que notre « philosophie de l'endurance et de la survie » (Morton: 1971: 69) ont fait contrepoids à la géographie ingrate de notre pays. Le Canada ne peut exister en tant que nation, affirme Armour (1981: 137), mais en fin de compte, il finit par démontrer la possibilité du contraire. De même, s'il paraît impensable qu'il y ait une langue anglaise canadienne, il semble bien pourtant qu'il en existe une.On peut dire qu'en principe la norme est la variété de langue qui, de toutes, assure la plus grande intelligibilité au sein d'une communauté linguistique. Ne présupposons pas qu'elle est bonne, belle ou prestigieuse, mais seulement qu'elle sert comme moyen de communication dans une infinité de situations, et ce pour le plus grand nombre possible d'usagers (Gregory, 1972: 13).

La langue standard peut s'identifier à certaines propriétés intrinsèques. Elle tend à uniformiser divers dialectes apparentés, et à les différencier des dialectes environnants; elle sert de critère pour la correction de la langue et l'évaluation des textes littéraires. Les membres d'une communauté linguistique donnée sont conscients des normes de la langue standard (Garvin, 1964: 522), même s'ils ne manifestent pas nécessairement de fierté ou de fidélité à leur égard

Bien que la langue standard serve à unifier, elle n'est pas uniforme. Pour que la communication soit efficace, souligne Gumperz (1971: 133), il suffit que la diversité soit contrôlée; elle n'a pas à être éliminée. Les différences bénignes ne nuisent pas à la communication; elles servent, au contraire, à véhiculer une information sociale. Pour remplir ses différentes fonctions, la langue standard doit également comporter des variantes. On ne peut limiter les variantes de la langue standard que si l'on restreint les fonctions qu'elle doit remplir.

La norme de la langue standard ne se retrouve complètement dans aucun recueil de règles, ni dans aucun corpus figé, qu'il s'agisse de dictionnaires, de grammaires ou d'ouvrages littéraires, si précieux soient-ils. C'est plutôt d'un consensus dans la communauté linguistique qu'émane la norme, de l'équilibre continuel que le groupe maintient entre forces innovatrices et forces conservatrices (Gleason, 1965: 474-475). Chaque individu évalue sa langue en fonction de ce qu'il perçoit être le « bon » langage, approuvé par la communauté linguistique à laquelle il appartient ou veut appartenir. C'est dire que la langue standard ne se définit pas en fonction de la forme, mais bien en fonction de ses usagers. La forme, néanmoins, peut se définir.

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L'anglais canadien standard est la variété d'anglais que l'on parle de Kingston aux montagnes Rocheuses, et qui est de plus en plus répandue chez les gens instruits de toutes les villes canadiennes. C'est la langue de la société Radio-Canada. Son homogénéité est le produit de l'histoire de la colonisation de cette vaste région, les provinces du centre ayant été colonisées par des Ontariens, et Toronto ayant par la suite étendu son influence par la publication de livres scolaires et de périodiques, ainsi que par la radio et la télévision. L'histoire de la colonisation en Colombie-Britannique est différente, et reflète davantage l'influence de l'Angleterre. Toutefois, l'étude de Gregg révèle que la région dialectale de l'anglais canadien doit également inclure Vancouver. Quant à la Saskatchewan, sa forte proportion de colons d'origine autre que britannique, américaine ou canadienne lui a conféré un caractère culturel et social unique, sans pour cela entraîner, semble-t-il, de modification dans la configuration linguistique existante. Au cours des quelque trente dernières années, on a donné à ce parler standard l'appellation de General Canadian (Avis, 1975 [1972]: 118) et plus récemment, le qualificatif moins heureux de Heartland Canadian (Chambers, 1975.84).

Caractéristiques phonologiquesLa caractéristique phonologique la plus révélatrice de l'anglais

canadien standard réside dans la prononciation des diphtongues [al, al] et [aw, aw]. La diphtongue la plus accentuée y précède les consonnes sourdes, et la moins accentuée, les consonnes voisées, par exemple, [haves] house et [hawzaz] houles, [brelt] bright et [brald] bride. En britannique standard du Sud et en américain standard, ce contraste n'existe pas, si ce n'est dans certaines régions de la Caroline du Sud et de la Virginie. C'est Martin Joos (1975 [1942]: 79) qui a remarqué cette caractéristique il y a près de quarante ans. II avait prédit que la distinction persisterait « jusqu'à ce que les Canadiens apprennent simplement l'usage américain standard comme l'on apprend généralement les dialectes étrangers » (Joos, 1975 [1942]: 81). Bien d'autres auteurs ont par la suite analysé cette caractéristique, notamment Avis (1978 [1956]: 69), Chambers (1975 [1973]: 83-100 et 1979: 177-202), et Gregg (1973, 136-145). Les Canadiens semblent toutefois peu enclins à apprendre l'américain standard. Au contraire, la particularité que Chambers avait dénommée diphtongaison ascendante canadienne (Canadian ruising) se répand du fait « de la mobilité de la population, de l'urbanisation et de la présence pancanadienne de la société Radio-Canada » (Chambers, 1979180).

Labov a fait remarquer qu'une marque linguistique peut devenir mar-quée socialement, c'est-à-dire stéréotypée, devenir un objet de discussion et être portée à l'attention de tous les adultes d'une communauté linguis-tique; elle peut être stigmatisée ou prestigieuse (1972: 314-315), mais quoi qu'il arrive, elle a de fortes chances d'être durable. La diphtongaison ascendante est, des deux caractéristiques stéréotypées de l'anglais canadien

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standard (l'autre étant le eh?), celle qui est appelée à subsister. Les Américains nous font constamment remarquer que nous prononçons « oot » et « aboot », ce à quoi les agents des douanes canado-américaines se fient pour vérifier l'identité des voyageurs. Lamont Tilden, ancien conseiller linguistique en radiodiffusion (1976: 2), signale aux radiodiffuseurs que les auditeurs se « plaignent constamment » de l'usage de « aout » et « abaout », « cette prononciation américaine », et il recommande l'emploi de out et about, « tel que l'exige l'usage au Canada ». Joos relève en outre deux autres caractéristiques phonologiques propres à l'anglais canadien. A s'agit de la perte de la distinction entre [kDt, kat] caught et cot ainsi que du voisement, à l'intervocalique, de l'occlusive sourde alvéolaire, dans les mots comme latter, qui devient « ladder ». Les études de Léon et Martin (1979: 16, 81) révèlent que la fusion des deux voyelles postérieures subsiste, mais que la qualité de l'occlusive alvéolaire à l'intervocalique se modifie. Qui plus est, ils remarquent que les paires de diphtongues [al, al] et [aw, aw] que l'on croyait fonctionner de manière identique, évoluent Caractéristiques orthographiques

La majorité des mots anglais s'écrivent de la même manière dans tous les anglais nationaux L'orthographe constitue l'aspect le moins intéressant et le plus stable de l'anglais. 1 existe néanmoins un petit groupe de mots quis'écrivent différemment aux États-unis et en Grande-Bretagne, et dont l'orthographe est variable au Canada. Cette variation obéit cependant à une règle, comme l'a démontré Ireland en 1979. Dans une vaste enquête historique et empirique qui comportait des échantillons de l'usage linguistique de plus de 3 000 élèves du niveau secondaire, Ireland a analysé un certain nombre de mots jugés indicatifs de l'orthographe canadienne. Il a demandé aux élèves de choisir entre les terminaisons -our et -or des mots colour et colon et de leurs dérivés, -ce et -se dans des En étudiant les orthographes stéréotypées our/or, Ireland a constaté des préférences marquées selon les régions. L'Ontario et la ColombieBritannique font bloc, de même que le Québec, les Prairies et les Maritimes. C'est en Ontario que la terminaison britannique -our est le plus répandue et en Alberta que la terminaison -or américaine se retrouve le plus fréquemment (Ireland, 1979: 174). En règle générale, cependant, ces constatations ne contredisent pas l'affirmation d'Avis et de ses collaborateurs selon laquelle l'anglais canadien

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des formes britanniques est certainement davantage le fait d'une politique délibérée que de l'histoire de la colonisation de la province. Le Québec, pour sa part, reflète bien les schèmes de développement de la colonisation (Ireland, 1979: 318). Les conclusions d'Ireland concordent avec celles de Hamilton (1975 [1958] 46-54) à savoir que l'anglais québécois est très apparenté à celui du Nord des États-Unis; son statut minoritaire et l'histoire de l'enseignement au Québec ont eu pour conséquence de mettre la langue anglaise à l'abri des interventions auxquelles elle était soumise en Ontario. II est intéressant de souligner que c'est au À l'instar de Wannamaker, qui a passé en revue 110 maisons d'édition de journaux et de livres, Ireland n'a trouvé aucune preuve justifiant l'affirmation d'Orkins selon laquelle la langue de la presse canadienne serait américanisée (1979: 127-128). Au contraire, on constate que, dans la mesure du possible, les médias s'en tiennent à un « juste milieu » nettement canadien.Caractéristiques grammaticales et lexicales

Étant donné que les formes grammaticales sont moins perméables au changement que les formes phonologiques et lexicales, 9 n'est pas étonnant de constater que les usages canadien et américain soient très rapprochés. McConnell a dressé une liste de trois pages et demie (1979: 35-38) qui relève quelques usages britanniques et américains, ainsi que certains exemples d'usage variable en canadien tels que: have you gotido you have et will we go/shall we go, mais il souligne qu'aucune étude ne confirme les présumées aires de différences telles que la postposition des adverbes en américain du Nord dans les expressions comme head up, measure up to, miss out on et sound out. Dans nul autre domaine le besoin n'est aussi pressant d'une analyse de l'usage standard qui respecte une méthodologie rigoureuse et tienne compte des variables socio-économiques et ethniques, des

L'anglais canadien dans son lexique est très différent des autres anglais. L'ouvrage intitulé A Dictionary of Canadianisms on Historical Principles constitue une mine de renseignements à cet égard. Si nombre des mots qu'il contient sont exclusivement régionaux, d'autres sont connus dans tout le pays, comme, malheureusement, l'expression to be on the pogey, signifiant « vivre de l'assistance sociale » ou, plus heureusement, le mot Screech, l'alcool terre-neuvien, et le high country de l'Ouest du pays. Une grande partie du

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retrouver dans les oeuvres littéraires que dans nos dictionnaires, étant donné que la recherche linguistique au Canada n'évolue pas au même rythme que la langue.

Enfin, dernière caractéristique, mais non la moins intéressante, l'existence d'un style hybride qui veut que l'on intègre à la langue soutenue des usages britanniques et un mélange de français et d'anglais aux textes ayant une diffusion nationale. Au Canada, une seule langue ne suffit pas pour ouvrir la session parlementaire et procéder à l'investiture d'un gouverneur général ou d'un premier ministre.Développement de l'anglais canadien

Depuis la publication du premier volume du Rapport de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, le bilinguisme est devenu un sujet de préoccupation, pour ne pas dire une obsession, dans la majorité des débats sur la langue, au niveau national. Simultanément, du côté anglophone du moins, on affiche une superbe indifférence à l'égard de la question prioritaire du Rapport, celle de l'existence et de la vigueur de la langue anglaise et de la langue française au Canada, chacune étant considérée individuellement.

« En conséquence, le problème de la langue première est premier. il est vital, il est plus essentiel pour l'être que celui de la langue seconde. C'est pourquoi 'Tétai: présent du bilinguisme au Canada", c'est d'abord l'état L'anglais canadien a-t-il les moyens de vivre? Cette

question, que soulève le Rapport, évoque immédiatement la traduction que Garvin faisait d'une phrase de Havrànek et Weingart « Par culture de la langue, nous entendons le développement conscient de la langue standard » (By cultivadon of good language, we mean the conscious fostering of standard language). Le mot foster, par l'action de soigner et de choyer qu'il sous-entend, est intéressant II est également un rappel de la recommandation du conseiller linguistique de Radio-Canada, qui souhaitait que l'on soigne la langue En 1973, Garvin offrait au lecteur anglophone les General Principles for the Cultivation of Good Language*, rédigés à partir de l'ouvrage intitulé Spisovnd cësstina a jazykové kultura, publié en 1932. 1 mentionnait que ces principes étaient « remarquablement modernes et facilement applicables à de nombreux cas de planification linguistique dans le monde d'aujourd'hui » (Garvin, 1973: 102). Bien qu'il soit difficile de traiter un sujet aussi précis que la * Que l'on trouvera en traduction française aux pages 795-807 du présent ouvrage. (N.d.Lr.)

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développement conscient de la langue standard peut être assuré par (1) les travaux linguistiques théoriques (2) l'enseignement de la langue à l'école et (3) la pratique littéraire ». Au Canada, il faut ajouter à la formation scolaire les médias, plus particulièrement la société Radio-Canada.Instruments de développement de la langue: recherche en linguistique descriptive et théorique

« La documentation sur l'anglais canadien est fort bien exploitable », écrit Chambers (1979: 168) qui jouit de la position avantageuse du linguiste qui l'a exploitée en vue de rédiger une anthologie, et a choisi les meilleurs textes pour encourager la recherche. Chambers est conciliant. En effet, peu de gens trouveraient à contredire Gregory quand il affirme à « Au Canada, il est urgent d'effectuer une analyse de l'anglais canadien, et d'y affecter le personnel et les fonds nécessaires. A ce propos, on observe deux situations paradoxales. Premièrement, on subventionne généreusement les projets sur le bilinguisme, alors qu'aucune des deux langues officielles n'a été définie dans le contexte canadien; deuxièmement, ce petit ouvrage [Canadian English: Origins and Structures] qui possède sa valeur intrinsèque, sert avant tout à indiquer tout le D'après les auteurs des General Principles for the Cultivation of Good Language, la « codification » consiste simplement à décrire, à relever ce qui existe (1973: 109). Le Canada anglophone a été choyé par les lexicographesdialectologues des générations précédentes. Walter Avis, par exemple, a été comparé favorablement à Menken et à Webster (McDavid, 1981: 118-125). Mais les réductions de personnel et de budget sont draconiennes en ce moment et peu de linguistes se consacrent à l'étude de l'anglais canadien standard. II faut encore étudier toutes les langues autochtones; le français canadien intéresse davantage et est mieux fouillé; par ailleurs, les régions de survivances linguistiques comme Terre-Neuve et la vallée de l'Outaouais sont fascinantes et méritent qu'on s'y intéresse. Nul ne peut nier l'importance de poursuivre la recherche dialectologique, historique et culturelle. Mais cela laisse peu de place à la codification de la langue standard. Nous croyons que la disparition des variantes régionales et rurales et l'émergence de dialectes de classe sont une conséquence directe de l'urbanisation rapide et de la grande mobilité de la population, phénomènes qui existent ici comme dans tous les pays (Labov, 1972: 300), mais nous disposons de très peu de données corroborant notre hypothèse. La seule étude d'envergure qui existe sur le milieu urbain

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aux points de vue de l'échantillonnage, de la méthodologie et de l'interprétation, son défaut le plus frappant étant le fait qu'elle prend comme point de référence la province et non la région dialectale. Rodman fait toutefois exception puisqu'il utilise certaines données permettant de mettre en évidence des différences d'usage entre file de Vancouver, la région métropolitaine de Vancouver et la Colombie-Britannique continentale (Rodman, 1975: 49-82).La bibliographie annotée qui s'intitule Writings on Canadian English, 1792-1975 (Avis et Kinlock) cite 723 titres d'écrits sur l'anglais canadien, mais nombreux sont ceux qui ne désignent que des notes sommaires, des articles de la presse populaire et, naturellement, des analyses locales et régionales. Quant aux caractéristiques de la langue standard, la Une grande partie de ce qui a été écrit sur l'anglais canadien est difficile d'accès. Maintenant que l'édition de l'anthologie de Chambers est épuisée, les étudiants ne peuvent se référer qu'à un seul volume, celui de McConnell: Our Own Voice. Heureusement, il s'agit d'un bon livre qui peut être adapté aux besoins des niveaux secondaire et collégial. On peut évidemment se procurer les dictionnaires canadiens sans difficulté. A Dictionary of Canadianisms on Historical Principles (DCHP) est un modèle en son genre; il comporte 10 000 entrées, dont chacune est datée et accompagnée de références. A Concise Dictionary of Canadianisms est une version abrégée du DCHP. D'autre part, The Senior Canadian Dictionary et sa version mise à jour, le Gage Canadian Dictionary, s'ils sont faits sur le modèle du American Thomdike and Barnhart Dictionary, précisent cependant la prononciation, l'orthographe, les sens et l'usage canadiens, et relèvent en outre certains canadianismes. Comme le DCHP, ces ouvrages puisent Les problèmes inhérents à la production, à la publication et à la distribution d'un ouvrage « indigène », scolaire ou autre, sont trop complexes pour être abordés ici. Soulignons seulement que le fossé qui sépare le linguiste du lecteur ou de l'étudiant pose un problème. Selon l'École de Prague (cf. Garvin, 1973: 109) « La compréhension théorique de la norme et sa codification doivent permettre] la diffusion de la norme et sa compréhension par d'autres personnes », si cette Instruments de développement de la langue: les écoles et universités

L'enseignement de la langue au Canada est régi par dix ministères de l'Éducation. Toutes les tentatives visant à établir une politique ou des

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directives uniformes en cette matière se heurtent inévitablement à des barrières de compétence. Le Canadian Council of Teachers of English (CCTE), seule organisation professionnelle nationale vouée à l'enseignement de la langue et de la littérature canadiennes-anglaises, ne bénéficie de l'appui réel que d'une seule province anglaise, l'Alberta. II est édifiant et plutôt paradoxal que la première étude sur la codification de l'anglais canadien ait été commandée par le Conseil de la langue française du Gouvernement du Québec.

En 1975, le CCTE entreprenait une étude sur l'enseignement de la langue anglaise au Canada, en réponse à un document du Conseil canadien de recherches sur les humanités sur la qualité de la langue maternelle. Le CCTE soumettait par la suite une requête en vue d'obtenir la tenue « d'une commission royale d'enquête sur l'état de l'enseignement au Canada. . . » Cette requête fut dûment présentée par le président du CCTE, M. Wilson, au premier ministre, M. Pierre Elliot Trudeau, au secrétaire d'État, M John Roberts, et à tous les ministres provinciaux de l'Éducation. Le premier mi-nistre et le secrétaire d'État ont exprimé leur intérêt pour la requête et pour les droits des provinces; ~o ur leur part, tous les ministres de l'Éducation, sauf ceux de l'Ontario, de l'lle-du-Prince-Édouard et de la Saskatchewan, ont répondu aimablement à la requête et signifié leur inquiétude face au contenu de l'AANB. Le CCTE s'est alors uni à l'Association of Canadian University Teachers of English (ACUTE) en vue d'établir une Commission sur l'enseignement de l'anglais, mais n'a pu obtenir de subventions à cette fin.

La préoccupation du public en matière de langue se résume souvent à des appels au secours de l'orthographe. « Lorsque les universités critiquent la faiblesse des étudiants, les médias s'empressent de faire écho, mais ils analysent rarement les fondements de ces critiques » (Wilson, 1977). Les universités ont beau décliner toute responsabilité, ce sont elles qui négligent de former des enseignants conscients des nonnes de la langue anglaise. Les membres de la Commission Symons se sont dit consternés de constater le nombre infime d'études linguistiques et la difficulté de se documenter sur l'anglais canadien dans la plupart des universités du pays (Symons, 1975: 46). La grammaire anglaise, l'histoire de la langue, les variétés britannique, américaine et canadienne, les dialectes sociaux et régionaux, ainsi que les principes fondamentaux de la linguistique de-vraient occuper, dans la formation des professeurs, une place beaucoup plus importante qu'ils ne le font actuellement (Gleason, 1976: 3, 4).

Instruments de développement de la langue: la société Radio-Canada

L'instrument qui réussit le mieux à façonner l'anglais canadien standard est sans doute la société Radio-Canada. La clé de son succès réside dans le fait

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Lque la langue n'est pas sa préoccupation première. En effet, elle s'est plutôt fixé pour but

« [... 1 de communiquer les événements d'intérêt national et de diffuser la pensée et les idées qui ont cours au pays [. . .1, d'être un instrument qui serve à éveiller la conscience du peuple et à renforcer l'unité nationale » (RB. Bennett, cité par Ouimet, 1980: 62).Cinquante ans de financement insuffisant et de

négligence, ainsi qu'une révolution électronique, nous séparent de l'époque où M. Bennett tenait ces propos optimistes. En dépit de l'avenir funeste qui lui était prédit, Radio-Canada continue de cimenter notre immense pays, grâce à ses bulletins de nouvelles, ses émissions d'affaires publiques, grâce aux déclarations politiques, aux matches de hockey qu'elle transmet et à cette séance annuelle d'exorcisme qu'est la Coupe Grey, Fishman a fait remarquer que « en l'absence d'un pouvoir suffisant » capable de mener à bien les objectifs de planification du statut « des langues de grande diffusion », c'est-à-dire les langues standard, « les objectifs réalistes, fonctionnels et progressifs » ont plus de chances d'être réalisés sur une base pragmatique qu'idéologique (1977: 61). C'est précisément la nature modeste et pragmatique des objectifs de Radio-Canada en matière de langue qui lui a permis de contribuer

George Rich, conseiller linguistique de Radio-Canada, travaille dans un bureau tapissé de livres du centre-ville de Toronto. La description qu'il fait de son travail ressemble à notre définition de la langue standard et de ses fonctions, en regard des variétés régionales. En effet, selon lui, la langue de Radio-Canada doit être celle que le plus grand nombre possible de Canadiens comprennent. En raison des dimensions considérables de notre pays, on ne peut exiger une prononciation aussi uniforme qu'à la BBC. Le contrôle de la qualité de la langue se fait au moyen du guide stylistique de Radio-Canada, des bulletins mensuels intitulés You Don't Say et de communiqués télex réguliers. Lorsqu'un événement d'actualité se produit, on vérifie la prononciation des noms propres et l'information est transmise aux quelque trois cents diffuseurs du Canada anglophone. Dans les bulletins You Don't Say, le conseiller linguistique indique la prononciation correcte des mots, corrige la grammaire ou les emplois lexicaux fautifs, répond aux demandes de renseignements, suggère des ouvrages de référence utiles et sert généralement d'intermédiaire entre le public et les diffuseurs, leur faisant part des critiques et des compliments pertinents faits à leur endroit. Étant

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qu'ils emploient soit aussi claire et correcte que possible. Le conseiller actuel est partisan de la « manière douce ». C'est le guide par excellence, qui propose des réponses et des exemples précis en vue de sensibiliser son interlocuteur et de l'amener à une compréhension de la langue qui le rendra de plus en plus autonome. Le dernier volume de You Don't Say, par exemple, qui porte sur la période allant de décembre 1979 à juillet 1981, aborde 37 points de phonologie, 8 points de grammaire et 56 points lexicaux. Les indications phonologiques touchent de nombreux noms propres. Ainsi, on rappelle qu'il faut prononcer Newfoundland comme le font les Terreneuviens, en mettant l'accent sur la syllabe -land, et qu'il faut placer l'accent tonique sur la dernière syllabe sonore dans les mots offense et défense. Le conseiller fait en outre état des nombreuses plaintes qu'il a reçues concernant la mauvaise prononciation du mot nuclear, et suggère un moyen mnémotechnique pour rappeler sa

Les observations grammaticales peuvent aussi bien prendre la forme d'une leçon entière, d'une règle empirique, d'une série d'exemples illustrant l'usage des pronoms au nominatif ou à l'accusatif -- ceci en réponse au« doute général » -ou encore d'une explication de la vieille règle de unique qui ne doit jamais s'accompagner d'un modificatif. Les bulletins traitent aussi du choix des prépositions, et précisent par exemple que different from

En matière de choix lexicaux, les bulletins s'attaquent surtout aux paires de mots qui portent à confusion tels que disinterested et uninterested, averse et adverse, apprise et appraise, aux redondances comme true facts et totally eliminated; on conseille en outre aux diffuseurs d'éviter les kids et les feds. On cite même une publicité de bière américaine pour rappeler qu'il faut distinguer les substantifs non quantifiables et dire fewer dollars, mais less money. Le linguiste donne une explication détaillée de la différence entre nauseous et nauseated en se

II ressort clairement de ces exemples, mais surtout des commentaires du public, que la langue de Radio-Canada sert de référence. Les employés ne cessent de répéter: « La population s'attend à ce que nous utilisions un anglais correct. » La Société exerce en outre une fonction de particularisation, établissant les différences entre l'usage canadien et l'usage américain. Un ex-conseiller rappelle aux diffuseurs que s'ils doivent absolument utiliser l'expression f rst lady, il leur faut se rappeler qu'elle désigne la femme du chef d'État, en l'occurrence Mme Léger, et non Margaret Trudeau; il

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Qu'ils soient d'accord ou non avec la « surveillance continuelle » de Radio-Canada, les diffuseurs indépendants peuvent difficilement ne pas en tenir compte. Certains veulent l'imiter, d'autres, comme la station torontoiseCFRB, soutiennent qu'elles sont aussi attentives et responsables que la société d'État à l'égard de la question linguistique; une autre préfère chercher conseil auprès du bureau de la BBC à New York quant à la prononciation internationale de certains mots, une autre affirme qu'il est futile de s'élever contre les Américains, qui fixent les normes de prononciation dans le monde La centralisation de la programmation à Toronto constitue un facteur favorable à la diffusion de la langue standard, mais elle contrecarre la volonté de maintenir les distinctions régionales essentielles. En août 1979, les auditeurs de l'Ouest furent tout à fait déconcertés d'entendre un annonceur dire que « le Chef » reposerait sur un « bluff » (promontoire) surplombant la Saskatchewan. Dans l'Ouest, bluff a toujours signifié « bosquet » et il leur était difficile d'imaginer le cercueil de Diefenbaker reposant au faîte d'une poignée de peupliers. La radio et la télévision sont sans doute des .outils pédagogiques plus puissants que l'école, sinon pourquoi déploreraiton que les Canadiens écoutent une telle proportion d'émissions américaines, et Mentionnons que les émissions radiophoniques de Radio-Canada ont un auditoire américain, restreint mais fidèle, dans toutes les régions frontalières.

Instruments de développement de la langue: journaux et périodiquesLes Canadiens anglais n'ont aucun journal qui ait

l'envergure littéraire et intellectuelle du Devoir. Le récent rapport de la Commission royale sur les quotidiens n'avait d'ailleurs rien d'optimiste. Les journaux. semblent toutde même exercer une action stabilisatrice sur l'anglais canadien. Ireland, qui a dépouillé un certain nombre de journaux de toutes les régions du Canada, de Halifax à Victoria, n'a observé que très peu de variations ortho-graphiques depuis 1887, compte tenu de la distance et du temps. Au moins cent journaux reçoivent des articles de la Presse canadienne (PC), qui publie un guide stylistique depuis 1940 (Ireland, 1979: 124). Quant au Globe and Mail Style B o o k , i l ne diffère pas tellement du CP Style B o o k . Tous les journaux semblent privilégier l'orthographe britannique. En faisant le dépouillement

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des publications. Ainsi, Methuen utilise l'orthographe britannique dans ses ouvrages pédagogiques, et l'américain dans les livres d'intérêt général.

C'est cette année, soit soixante-dix-huit ans après la fondation du Globe and Mail, que s'est matérialisé le voeu de George Brown qui rêvait d'un journal anglais de portée nationale. L'édition est transmise par lesatellite Anik, à raison d'une page par 1,25 seconde, grâce à une antenne située à Toronto (Franklin, 1981: 62). L'accroissement de la diffusion aura peut-être une incidence sur la qualité du journal, soit; mais ce qui est certain, c'est que l'influence de Toronto sur la langue anglaise au Canada ne pourra que se renforcer.

Instruments de développement de la langue: les oeuvres littérairesAu tout début de sa carrière d'écrivain, c'est-à-dire avant que ses

Deux solitudes passent dans la langue, Hugh MacLennan avait soumis un manuscrit au représentant d'une maison d'édition new-yorkaise. Le manuscrit lui fut retourné, accompagné d'une note de l'éditeur. « Nous ne connaissons pas l'identité de votre auteur. II n'écrit ni comme un Américain, ni comme un Britannique. Il y a quelque chose d'étrange dans ce manuscrit » (1980: 37). Au moins une partie de cette étrangeté tenait au fait qu'à l'époque, tant au Canada que dans les autres pays, on connaissait à peine l'existence, et encore moins la nature, de l'anglais canadien. La situation est maintenant différente. Ainsi, cette semaine justement, le bulletin d'information de l'université m'apprenait qu'Eli Mandel, poète, érudit, critique littéraire et professeur canadien, donnerait au printemps des conférences à la British Association for Canadian Studies en Angleterre ainsi qu'à la National Conférence for Canadian Studies en Italie. Au cours de la dernière décennie, la littérature canadienne-anglaise a connu un épanouissement semblable à celui de la littérature québécoise française dans les années 1960; ces littératures sont d'une telle puissance et d'une telle beauté que les intellectuels du monde entier ont été forcés de s'intéresser aux études canadiennes. Toutes deux sont nées d'une profonde préoccupation pour la langue. En 1946, Northrop Frye exposait le problème du poète qui doit adapter une langue ancienne à un nouveau milieu, et ce n'est pas par hasard qu'il l'a fait en français. Dix ans plus tard, il reprit ce thème du poète en quête d'une langue et d'une forme, percevant l'émergence du poème narratif comme un retour nécessaire aux sources. Ce n'est qu'en 1966 que les étudiants en littérature canadienne ont pu prendre connaissance de ces deux articles. Quatre ans plus tard, les écrivains canadiens disposaient pour la première fois de la traduction d'un important recueil de poésie québécoise (Glassco, 1970). Dans l'ouvrage anglais- de Kroetsch et Lee, paru en 1974, on sent l'influence de Giguère (« . . . et nous n'avons plus de mots, pour nommer ces soleils sanglants » [1965: 56]), de Hertel et de ses « cadences » (1970: 97), de Lapointe, dont les vers associent le pays à la désignation des choses les plus élémentaires comme le sang, le pain, le .jour et la nuit (1970: 214) et, bien sûr, d'Anne Hébert, qui définit la

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tâche du poète comme l'expression, par le verbe, de sa terre natale, le Québec (1976: 108).

« The words I knew said Britain, and they said America, but they did not say my home », écrit Dennis Lee. « [... ] It was a question of starting from your own necessities. And you began striving ta hear what happenedin words - in loue, inhabit, fail, earth, house - as you let Au Canada, la traduction d'oeuvres littéraires du français à l'anglais est une tradition ancienne et toujours bien vivante, née en partie de l'amour et du labeur discret d'écrivains canadiens-anglais vivant au Québec, comme Jones et Scott (Jones, 1977: 78-80). La traduction a eu un impact imprévisible sur la littérature anglaise, en particulier sur le plan lexical et sémantique; cette influence fut beaucoup plus notable que les emprunts faits au vocabulaire de l'époque coloniale qui sont maintenant « des archaïsmes, des régionalismes ou des impropriétés », comme le fait judicieusement remarquer Chambers (1979: 6). C'est un exemple de Sprachbund semblable à celui qui a touché Plus tard, et plus à l'ouest, la langue s'est déployée encore, grâce entre autres à Wiebe, Mandel, Suknanski, Sorestaad, qui ont tenté de donner la parole à l'immigrant, ou de faire entendre le « cri muet » de l'Amérindien.Ainsi, l'écrivain crée et recrée les mondes présents et passés et il élargit et dépasse les limites du langage. En 1975, Mandel écrivait, au sujet de Pat Lane. « ll arrive parfois qu'un jeune écrivain nous parle en mots nouveaux et ces mots jettent une telle lumière sur le monde, qu'on croirait qu'il n'a jamais été ainsi auparavant, et qu'il ne le sera jamais plus » (1975: 11). L'évolution de la littérature est souvent une charnière dans le développement d'une langue standard, et elle lui est toujours simultanée. En 1981, on ne peut plus douter qu'il y a une littérature canadienne-anglaise et qu'en partie grâce à elle, il existe une langue Bibliographi

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Les Français devant la normePar Nicole Gueunier, Émile

Genouvrier et Abdelhamid Khomsi

La recherche dont nous allons rendre compte a été conduite au cours des années 1973-1975 et a fait l'objet de diverses publications dont la plus complète est Les Français devant la norme, contribution à une étude de la norme du français parlé, Champion 1978 (FN). Nous en reprendrons ici les principaux résultats en les discutant à la lumière des comptes rendus qui en ont été donnés et des travaux récents sur la question de la norme.

Objectif et méthodologie de l'enquêteLa présente recherche a pour principal objectif

d'apporter des éléments de réponse à la question suivante: qu'est-ce que la norme, non pour des linguistes, mais pour les gens ordinaires, en l'occurrence des francophones majoritairement « hexagonaux »? Comment ceux-ci vivent-ils et verbali-sent-ils leur rapport à la langue, compte tenu des principales variables situationnelles et interpersonnelles (sociologiques, régionales, etc.) susceptibles de déterminer cette relation? Étant donné l'importance de la langue dans les relations sociales et le caractère le plus souvent inconscient de son usage, nous pensons Puisqu'il s'agit de « gens ordinaires », pourquoi enquêter précisément sur la norme et non sur la langue en général? On peut en effet objecter que le terme de norme renvoie à un métalangage spécialisé et non à une représentation populaire'. Dans la mesure où c'est celle-ci qui nous intéresse, nous différons à la seconde partie de cette étude l'exposé théorique sur notre conception de la norme qui nous servira simplement de référence pour décrire et analyser celle de nos informateurs. 1. Témoin l'importante bibliographie des travaux qui s y rattachent

déjà ou qui sont en cours sur le sujet: outre le présent volume, un numéro du Français Moderne (janvier 1982), un autre du Français dans le monde (mai 1982),1 'ouvrage de 1. Fodor et C. Hagège, La réforme des langues, Histoire et avenir, prévu aussi pour 1982.

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sionnels, s'ils ignorent pour la plupart jusqu'au mot de norme, personne, en France encore moins qu'ailleurs, ne se situe en dehors des « rapports de production linguistique » définis par P. Bourdieu (1977) en termes de « marché linguistique », de « capital linguistique », de « langage autorisé »: « La langue, écrit-il, n'est pas seulement un instrument de communication ou même En outre, chaque locuteur en est bien conscient, sachant plus ou moins intuitivement que l'usage des diverses variables linguistiques n'est pas indifférent à la formation et à la perception par autrui de sa personnalité et de son rôle social. Même si cette « intuition » est très largement institutionnelle et scolaire, même si tout le monde n'a pas la possibilité d'identifier clairement ces variables et de les situer à leur niveau d'analyse linguistique. Des expressions comme « parler comme les paysans », « comme les pro-fesseurs », « comme les patrons » en témoignent, mais elles restent le plus souvent allusives et vagues. Nous Cette recherche essentiellement sociolinguistique se situe en outre à la rencontre de deux autres domaines où sont engagés les participants soit la pédagogie du français langue maternelle pour E. Genouvrier, et la phonétique acoustique pour A Khomsi.Pédagogie de la langue maternelle: c'est en effet dans le contexte de travaux réalisés en milieu scolaire que nous avons eu l'idée d'entreprendre cette enquête. A l'occasion de séminaires d'enseignants ou de contacts avec les classes élémentaires, nous avons constaté d'importants écarts entre ce que l'individu prononce effectivement et ce qu'il croit prononcer. Ainsi cette institutrice tourangelle qui, désireuse d'enseigner à ses élèves la différence graphique entre est et et, tente de s'appuyer sur la prononciation: « Tu vois bien que je dis [E] et non [e]: c'est donc « est » qu'il faut écrire et non A force de voir se répéter de tels épisodes - qui révèlent à quel point on a rendu sourds des enseignants pourtant ouverts à la rénovation de leur didactique - nous avons d'abord rassemblé des documents permettant de convaincre nos collègues enseignants du premier degré que, à Tours en tout cas, les adultes et les enfants n'avaient pas tous, dans leur système phonologique, la paire /e/ - /E/ et qu'il était donc vain d'espérer fonder là-dessus les distinctions graphiques et morphologiques fondamentales: -ais/-ai etc (cf. Guillet Phonétique: partant de l'exemple des finales en [e] ou [E], nous avons voulu contrôler les résultats de l'analyse perceptive par le recours à une analyse instrumentale, permettant de vérifier et d'affiner en fonction des situations de parole et des contextes

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blissement de l'opposition /e/ - /e/ dans la population de Tourangeaux adultes qui constitue la première de celles que nous avons considérées.La norme orale

C'est en fonction de cette double préoccupation que nous avons assigné sa première limitation à notre recherche sur la norme: il s'agit seulement ici de la norme orale, de la norme du français parlé. Deux autres motifs nous ont confirmés dans notre intention de nous limiter à cet aspect de la norme: d'abord, en France, c'est surtout à la norme écrite qu'on se réfère le plus généralement de façon explicite, notamment dans la tradition de notre enseignement Non que la prononciation soit jugée sans importance, loin de là, « Il suffit-et chaque enseignant en a fait l'expérience et s'en est désoléd'observer le comportement d'une classe (... 1 surtout dans la cour de récréation. La réaction générale à tous les défauts de langue est imp àoyable. Tous les bégaiements, les zézaiements (. . .] sont raillés sans pitié. On les imite, on les « refait », presque toujours avec une bene adresse articulatoire. Tout enfant étranger au groupe voit son accent repéré immédiatement, saisi dans ses caractères les plus saillants, souvent avec beaucoup de finesse et singé lui Mais comme le montre ce texte, la prononciation fait l'objet d'une « répression » plus sévère de la part du groupe de pairs que de la part de l'enseignant, qui se concentre surtout sur la graphie. C'est en outre une répression manifeste mais, au contraire de ce qui se passe dans l'institution scolaire, non explicite: le groupe « singe » le parleur marginal mais sans lui détailler les points critiques et sans lui enseigner positivement comment faire. De ce fait, l'oral reste un domaine relativement implicite dans l'ensemble des Le dernier motif qui nous a poussés à nous concentrer sur la norme orale est l'existence dans notre région d'une tradition selon laquelle le français de Touraine est le meilleur, le plus conforme à la norme. Cette tradition dont nous avons également cherché à déterminer l'origine historique (cf. FN: 166-173), est concurrencée par le modèle du « parisien cultivé » mais n'en demeure pas moins exploitée dans l'enseignement du français aux étrangers et nous voulons savoir si elle est connue des Tourangeaux d'abord, des autres francophones ensuite, et s'ils la reprennent à leur La population

La première population avec laquelle nous avons travaillé est constituée de 75 Tourangeaux adultes (moyenne d'âge: 27 ans), appartenant à différentes catégories sociales, mais excluant les étudiants en

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enseignants, dans la mesure où la situation de ceux-ci vis-à-vis de la norme linguistique est particulière, du fait qu'ils sont professionnellement concernés par le thème de l'enquête.C'est sur cette première population de Tourangeaux que l'enquête a été la plus complète, comportant une partie sociolinguistique (confrontation de performances et d'attitudes linguistiques) et une partie d'analyse du contenu de ces attitudes.Les résultats de cette première recherche ayant permis d'établir que la population tourangelle constitue un milieu de « sécurité linguistique » (cf. Labov 1966), nous avons voulu les confronter à ceux obtenus dans trois autres milieux urbains caractérisés au contraire par leur insécurité linguistique soit Lille, Limoges et Saint-Denis de la Réunion. Dans les trois cas, les facteurs constitutifs de cette insécurité linguistique sont, d'une part en France métropolitaine, les situations de diglossie2 franco-dialectale observables dans la région Nord-Picardie (cf. Carton, 1981) ainsi que dans la zone du Nord-occitan, et d'autre part à la Réunion, une situation de diglossie franco-créole. Ces trois enquêtes étant conçues plutôt comme des sondages contrastifs que comme des recherches autonomes, nous avons Par ailleurs, nous nous sommes plus attachés ici à l'analyse qualitative du contenu des interviews qu'à une étude quantitative et proprement sociolinguistique des résultats.Méthodologie-Le questionnaire sociolinguistique

Dans un premier temps, nous nous sommes inspirés des méthodes d'enquête de Labov, en choisissant une variable phonologique assez instable, la paire /e/ - /e/ et en étudiant les points suivants:1 °) Quelles sont les performances réelles de la population considérée quant à la production et à la perception de cette variable?Ces performances ont été évaluées par rapport à la définition classique de « la » norme du français standard en la matière, telles qu'on les trouve dans les manuels de prononciation, les dictionnaires et les grammaires.Le questionnaire élaboré fait donc intervenir des paramètres grammaticaux (désinences verbales d'imparfait, de passé simple, de participe passé, d'infinitif), graphiques (prononciation des finales en -aie, -ée, -et etc.), phonologiques (prononciation des /e/ en syllabes ouvertes/couvertes, accentuées/non 2. Pour des précisions sur notre utilisation en un sens assez large de ce concept, cf. FN: 120-

126 et 175-189.

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rence entre ce qu'on peut appeler « la norme réelle », ou « objective » (cf. Rey 1972 et infra), déductible de l'usage majoritaire effectif des Tourangeaux, et « la nonne fictive » des manuels classiques.2°) Quelles sont les attitudes des Tourangeaux par rapport à la norme fictive et à leur norme réelle? Ont-ils conscience de l'éventuelle différence entre les deux? Rappelons que cette conscience, qui se trouve à l'origine de ce que Labov appelle l'insécurité linguistique, peut se manifester soit sous la forme de l'hypercorrection (on prononce mal pour faire « mieux que la norme »), soit sous la forme de l'erreur d'évaluation (on prononce « bien », mais on croit prononcer « mal », ou « mal » en Pour déterminer ces attitudes, le questionnaire élaboré réunit donc des tests de performance, des tests d'évaluation et d'auto-évaluation. Les tests de performance consistent à reconnaïtre ou à prononcer des mots, des phrases ou des textes comportant la paire /e/ -- /E/, tandis que les tests d'évaluation consistent à choisir entre deux prononciations celle qui est conforme à la Ex: On fait entendre à l' enquêté un enregistrement comportant plusieurs phrases du type: « Je ramasse vos tickets. » Cette dernière occurrence est prononcée une fois [tikE], une autre fois [titre] et on lui demande de donner la prononciation correcte.Les tests d'auto-évaluation mettent l'enquêté en présence de deux prononciations et lui demandent de déterminer laquelle est la sienne.Ex: On fait entendre à l'enquêté le même enregistrement que précédemment et on lui demande s'il prononce comme la première ou comme la deuxième personne. C'est la comparaison entre les tests de performance, d'évaluation et d'auto-évaluation qui permet de dégager le sentiment de sécurité ou d'insécurité linguistique du locuteur. On peut en effet considérer qu'il y a insécurité linguistique dans les cas de discordance entre performance, évaluation et auto-évaluation, par exemple quand un locuteur prononce « bien » ([tikE]), évalue bien la norme ([tikE]), mais s'auto-évalue mal (« moi, je prononce [titre] »), ou encore quand il prononce « mal » ([titre]), évalue bien la norme En nous inspirant toujours de la méthodologie de Labov, nous avons fait l'hypothèse que ces attitudes de sécurité ou d'insécurité linguistique co-variaient d'une part avec les situations de communication et d'autre part avec l'appartenance sociale de l'autre.

-Les situations de communication.La méthodologie d'enquête a été conçue de façon à

faire intervenir une différence entre situations de communications très formelles (lectures

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352 LA NORME LINGUISTIQUE

ou audition de paires mimales et de mots), moyennement formelles (lecture ou audition de phrases, lecture d'un petit article de journal), et le moins formelles possible (entretien ou conversation « libre », c'est-à-dire semidirectif). L'entretien portait sur un sujet fixe, soit les attitudes par rapport à la norme, et l'enquêteur, tout en posant toujours les mêmes C'est évidemment cette dernière situation qui doit, selon notre hypothèse, déterminer le plus de performances « vernaculaires » et non « standard », c'est-à-dire normatives.La constitution de cet éventail de situations permet-elle véritablement d'échapper à ce que Labov a appelé « le paradoxe de l'observateur », c'est-à-dire le fait que la présence de celui-ci crée par elle-même une formalité nuisible à la production du discours vernaculaire, non surveillé et qui constitue précisément l'objet de la recherche? La seconde méthodologie de Labov (cf. Labov 1972), comportant non plus des interviews mais une intégration beaucoup plus profonde de l'enquêteur dans les groupes ou les communautés à observer, permet à coup sûr d'obtenir un vernaculaire plus authentique. Par là même, elle rend compte de façon plus fiable de ce qu'on peut appeler la langue du groupe, alors que la méthode des interviews, même semi-directifs, est plus propice à l'observation d'idiolectes. En ce qui nous concerne, nous n'avions pas les moyens de conduire un tel type d'enquête. Par ailleurs, dans une situation « naturelle », il aurait été très difficile d'obtenir une conversation sur la norme, sujet très éloigné des préoccupations quotidiennes des -La détermination de l'appartenance sociale

Renvoyant au FN pour le détail de la discussion méthodologique, nous indiquerons simplement comment nous avons procédé. Nous sommes partis d'une hypothèse tripartite dans la mesure où nous voulions vérifier sur notre terrain les résultats obtenus par Labov sur la situation particulière de la petite bourgeoisie dans son rapport à la norme orale; nous avons fondé notre division en trois classes sur deux critères: le critère socioprofessionnel, obtenu au moyen d'une simplification des catégories de l'Institut national de la Le critère socioprofessionnel nous a donné les trois catégories suivantes: Cl: ouvriers et personnels de service

C2: employés d'administration et de commercecadres supérieurs.

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LES FRANÇAIS DEVANT LA NORME 353

Les sujets qui pouvaient donner lieu à des hésitations, notamment certains techniciens ou cadres moyens, ont été classés, en dernière instance, en fonction de leur niveau d'études générales ou

Le critère socio-éducatif a donné lieu au classement suivant:

Cl: niveau d'études inférieur ou égal au C.E.P. ou au C.A.P. (Certificat d'études primaires, Certificat d'aptitude professionnelle)

C2: niveau compris entre le B.E.P.C., le B.E.P. (Brevets Dans la très grande majorité des cas, les critères socioprofessionnel et socio-éducatif ont été convergents. Finalement, dans la population tourangelle, la Cl comporte 85% d'ouvriers et 15% de personnel de service et de manoeuvres. La C2 est surtout constituée d'employés de bureau, avec une majorité de femmes. Dans la C3, on compte 30% de médecins ou étudiants en médecine, 25% d'avocats, 40% de cadres administratifs Nous ne détaillons pas ici la constitution des populations de Lille, de Limoges et de Saint-Denis-de-la-Réunion (cf. FN: 121-129)3 puisque seule la deuxième partie de l'enquête y a été exploitée, même si pour des raisons d'homogénéité méthodologique, nous avons également administré à ces trois populations le questionnaire phonologique sur la paire /e/ - %/.Résultats de l'enquête

sociolinguistiqueLa norme objective des Tourangeaux

Le test de perception effectué sur la variable /e/ - /e/ montre que toute notre population perçoit la différence entre [ej et [e] (cf. FN 62-63). Mais l'analyse de la performance met en évidence l'écart entre la norme objective des Tourangeaux et celle du français standard. C'est au niveau de la réalisation du phonème /e/ que cet écart se manifeste le plus nettement Ainsi, dans les conditions les plus favorables aux performances normatives (situations formelles et contexte phonologique comportant une syllabe accentuée), la moyenne des réalisations normatives pour l'ensemble de notre population atteint 53%. Dans les conditions les moins favorables à la norme (conversation libre et 3. Un problème particulier s'est posé à Saint-Denis-de-la-Réunion. Les

enquêtés réunionnais représentent une catégorie déjà instruite de la population puisque tous, à une exception près, savent lire, alors que le taux d'analphabétisme atteignait à la Réunion 35% au re-censement de 1967. Notre enquête ne concerne là que la partie francophone de la population, à l'exclusion des créolophones unilingues. Pour la spécificité de la situation réunionnaise, cf. FN:

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354 LA NORME LINGUISTIQUE

Examinons maintenant les résultats en fonction des trois critères que nous avons considérés comme déterminants: les facteurs linguistique, situationnel et sociologique.

-1°) Le contexte linguistiqueTrois paramètres linguistiques sont déterminants en faveur de réali-

sations normatives- le paramètre phonétique: outre la fermeture de la syllabe, il faut

signaler l'influence de l'accent. Le résultat le plus significatif concerne les réalisations de /e/ en syllabe accentuée dans le test de lecture de phrases: 36,6% de réalisations normatives, contre 23,6% en syllabe non accentuée.- le paramètre morphosyntaxique: le conditionnel est presque toujours réalisé en [e], alors que l'imparfait l'est massivement en [e). Ainsi dans les trois situations formelles de lecture de texte, lecture de phrases et lecture de mots, le pourcentage moyen de réalisations normatives de l'imparfait ne dépasse pas 32,3%.

-le paramètre graphique et lexical: aux tests de lecture, les graphies -ais (dans des mots comme mais, épais), -ët (forêt) favorisent les réalisations normatives en [e]'. En revanche la graphie -et (piquet, filet) favorise une prononciation non normative en [e].

- 2°) La formalité de la situationConformément à nos hypothèses, elle est propice aux réalisations

normatives. Le tableau ci-dessous donne les résultats obtenus pour la prononciation de /e/ dans trois situations de formalité croissante: lecture d'un texte complet, lecture de phrases, lecture de mots.

situations de parole pourcentage de réalisations normatives

lecture de texte 13,8%lecture de phrases 31,4%lecture de mots isolés 53,5%

réalisations de /e/ (en syllabe accentuée et non accentuée) en fonctiondes situations de parole

- 3°) Le facteur sociologiqueEn situation informelle, les trois catégories sociales considérées ont

un comportement sensiblement identique puisqu'on relève entre 85% et 99% de réalisations non normatives de /e/. En revanche, en situation formelle, /e/ joue davantage le rôle d'un indicateur social, mais à ce niveau c'est surtout entre les catégories extrêmes (1 et 3) qu'on relève des différences, le comportement de la catégorie moyenne étant fluctuant et généralement

LES FRANÇAIS DEVANT LA NORME 354

proche de celui de la catégorie 1. Le tableau ci-dessous donne un extrait de résultats obtenus dans trois situations formelles, présentées par ordre de formalité croissante.

situations de parole 1 catégories sociales2 3

lecture de texte 17% 17,5% 28%lecture de phrases 0% 4,5% 11%lecture de mots 16% 28 % 47%

pourcentage de réalisations normativesformelles. de /e/ dans trois situations

Une étude instrumentale effectuée par A. Khomsi sur les productions de trois sujets représentatifs de chacune des catégories sociales considérées. confirme exactement ces résultats. On y constate en effet (cf. FN: pp. 54-62) que l'aire de dispersion de /e/ recouvre toujours largement celle de /E/, que les différences de comportement entre les 3 catégories sont négligeables en spontané mais plus nettes en situation formelle et que le comportement de la catégorie 2 est ambigu.

L'ensemble de l'étude nous permet donc d'établir que la norme objective des Tourangeaux ne comporte pratiquement plus l'opposition phonologique /e/ -- /E/, mais qu'on en voit apparaître des restes dans les situations où les sujets se surveillent le plus.

Au premier abord, ces résultats ne coïncident que partiellement avec ceux obtenus par H. Walter dans fenquëte phonologique réalisée pour le Dictionnaire de la prononciation française dans son usage réel (1973). Dans la phonologie du français, H. Walter (1977: 117) constate en effet que l'opposition /e/ -., /E/ se maintient, en finale ouverte, à (unanimité chez ses 17 informateurs. Cependant, elle note qu'« on ne peut jamais prouver l'existence dune distinction en syllabe non finale ». En outre, les données de son enquête diffèrent des nôtres sur deux points qui expliquent bien la divergence des résultats: la population ne compte que des sujets correspondant à notre catégorie 3 et la situation d'enquête ne comporte pas de langage spontané.

Les Tourangeaux entre la norme objective et la norme prescriptive-1°) Jugement de normativité

Au test de reconnaissance de la nomme officielle, notre population présente un comportement incertain: seulement 3% des informateurs n'ont aucune idée de la norme et seulement 9% en ont une idée absolument sûre. Les 84% restants la reconnaissent moyennement, donnant une proportion

354 LA NORME LINGUISTIQUE

de réponses justes comprise entre 26 et 75%. La catégorie 2 est celle qui présente les jugements de normativité les moins sûrs.

-2°) L'auto-évaluation3% seulement de nos informateurs s'auto-évaluent

mal, alors que 18% s'auto-évaluent bien et les 75% restants s'auto-évaluent moyennement; les erreurs vont toujours dans le sens d'une surestimation par les informateurs de leurs propres performances. Là encore c'est la catégorie 2 qui s'autoévalue le moins bien.

-3°) La sécurité linguistiqueLe pourcentage de divergences entre les tests de

jugement de normativité et d'auto-évaluation est globalement de 14%. Signalons qu'il est de 24% à Limoges et de 31% à Saint-Denis-de-la-Réunion. On peut donc inférer que la population tourangelle présente un état de sécurité linguistique correspondant à la tradition -4°) Sécurité linguistique et appartenance sociale

L'exploitation des mêmes résultats par catégorie sociale ne fait pas apparaître de différence sensible entre les trois catégories. Tout au plus peut-on retenir que la plus grande incertitude de la catégorie 2 aux tests de jugement de normativité et d'auto-évaluation, considérés séparément, est un indice d'insécurité De cette première étude sociolinguistique ponctuelle, nous pouvons donc conclure que la norme objective des habitants de Tours présente un écart très sensible avec la norme prescriptive, mais qu'ils n'en ont pas conscience en raison du sentiment global de Reste maintenant à examiner, par la procédure différente de l'analyse d'entretien, le contenu précis de leur conscience de la norme et de leur sentiment de sécurité linguistique, étude que nous mènerons par comparaison avec les trois populations citées ci-dessus et vivant en milieu d'insécurité linguistique.

Résultats de l'analyse de contenuLa deuxième partie de l'enquête porte donc sur

l'analyse du contenu des « conversations libres », sur la norme, dans les quatre populations de Tours, de Lille, de Limoges et de Saint-Denis-de-la-Réunion. 1 ne s'agit pas pour nous de plaquer sur les représentations de nos enquêtés les éléments constitutifs de notre définition de la norme, mais de rendre compte aussi exactement que possible de la leur, en la laissant se construire au fil des entretiens. Comme il est cependant nécessaire de travailler à partir d'un point de repère linguistique, nous

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LES FRANÇAIS DEVANT LA [NORME 355

Définition de la normeA la suite de la présentation de A. Rey (1972) reprise

par F. Helgorsky (1982), nous distinguons trois aspects de la nomme:1) La norme objective

Ce concept construit à partir de propositions de Hjelmslev, Guillaume et Coseriu, correspond du point de vue théorique, à l'introduction d'un troisième terme entre les deux instances langue et parole de la dichotomie saussurienne. Moins abstrait que la langue et moins concret que la parole, il comporte une dimension statistique et collective observable à différents niveaux de généralité selon le type de communauté à laquelle on - une norme commune à tous les locuteurs francophones, caractérisée, par exemple, par le nombre moyen d'occurrences de chaque phonème;- des normes particulières à des groupes sociaux: normes régionales, nommes sociales.

Cette dimension de la norme s'appréhende à partir de l'analyse des performances et de la compétence.2) La norme « prescriptive »

Elle relève de ce que C. Hagège (1982, à par.) appelle « l'intervention humaine sur les langues ». De nature sociale, elle exerce sur les sujets une forte pression de nature institutionnelle ou implicite qui ne s'exprime pas seulement, comme on le croit souvent à partir de l'expérience française, par le purisme. Liée à la détention du pouvoir politique, elle pousse généralement à la réduction des différences minoritaires mais peut également porter des valeurs culturelles communautaires. F. Helgorsky fait remarquer que ses deux domaines d'élection sont la pédagogie scolaire de la langue et les modèles de bon usage destinés au grand public: grammaires, dictionnaires et chroniques de langage. Ajoutons à la suite de Labov (1972) et de Bourdieu (1977) qu'il existe une dimension minoritaire ou marginale de la nomme prescriptive dans le cas de communautés dominées mais fortement structurées. La 4. P. Bourdieu (1979: 552) définit ainsi cette notion: « Dimension

fondamentale du sens de l'orientation sociale, l'hexis corporelle est une manière pratique d'éprouver et d'exprimer le sens que l'on a, comme on dit, de sa propre valeur sociale: le rapport que l'on entretient avec le monde social et la place que l'on s'y attribue ne se déclare jamais aussi bien qu'à travers l'espace et le temps que l'on se sent en droit de prendre aux autres, et, plus précisément, la place que l'on occupe avec son corps dans l'espace physique, par un maintien et des gestes assurés ou réservés, amples ou étriqués (on dit très bien de quelqu'un qui fait t'important qu'il fait du volume) et avec sa parole dans le temps, par la part du temps d'interaction que l'on s'approprie et par la manière, assurée ou

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356 LA NORME LINGUIS-nQUE

ligne à partir de l'opposition bouche/gueule l'existence d'une nonne « populaire »:« D'un côté, les dispositions bourgeoises ou, dans leur forme caricaturale, petites-bourgeoises, hauteur et dédain (« faire la petite bouche », « bouche fine », « pincée », « lèvres pincées », « serrées »), distinction et prétention (« bouche en coeur », « en cul de poule »); de l'autre, les dispositions viriles telles que les conçoit la représentation populaire, disposition à la violence verbale (« fort en gueule », « coup de gueule », « grande gueule », « engueuler », « s'engueuler ») ou à la violence physique (« casser la gueule », « mon poing sur la gueule »), le sens de la fête comme ripaille (« s'en mettre plein la gueule », « se rincer la gueule ») et 3) La norme « subjective »

Elle est constituée par les jugements de valeur individuels sur la langue.Ces deux dernières instances de la nonne relèvent

naturellement de l'analyse des attitudes. Ainsi, pour déterminer celles de nos quatre populations vis-à-vis de la norme orale, il nous faut analyser la construction de leur norme subjective dans sa relation à la norme prescriptive effectivement dominante en France. L'information ainsi obtenue complètera celle que nous avons recueillie dans la première partie de l'enquête sur Pour obtenir cette information, nous avons amené nos populations à s'exprimer le plus largement et le plus précisément possible sur chacun des quatre points suivants: leur conscience de la norme orale, la définitionqu'ils en donnent; l'attachement qu'ils lui portent et enfin le degré de leur sécurité ou de leur insécurité linguistique. L'exploitation des données est double: quantitative dans un premier temps, elle est complétée par une analyse qualitative. L'analyse quantitative n'a été menée systématiquement qu'à Tours, la dimension réduite des autres populations n'ayant pas toujours permis d'obtenir des résultats significatifs.Analyse quantitative1) Conscience de la norme orale

Une première indication sur ce point est donnée par les réponses à la question: « Vous étiez-vous déjà posé des questions sur la prononciation du français? », faisant suite au questionnaire phonologique et complétée par une autre question sur l'intérêt d'une

Du point de vue de la stratification sociale, nous avons émis l'hypothèse que le degré de conscience d'une norme orale est lié à la catégorie: plus celle-ci est élevée dans l'échelle sociale plus la conscience de la norme est forte. On cherchera également si l'on retrouve sur ce point le comportement spécifique des

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Le tableau suivant montre un haut degré de conscience de la norme orale dans notre population, puisque 72% des Tourangeaux reconnaissent avoir eu l'occasion de réfléchir sur la prononciation du français. Nos informateurs ne se contentent d'ailleurs pas d'un oui ou d'un non, mais donnent des précisions. Les exemples qu'ils prennent se situent dans les domaines scolaire et professionnel: un avocat évoque la barre, un représentant le démarchage, des employés leurs

réponses

catégorieoui NON TOTAL

1 48% 52% 100%2 78% 22% 100%3 90% 10% 100%

toutes catégories

72% 28% 100%Réponses à la question: « Vous étiez-vous déjà posé des

questions sur la prononciation du français? ».L'hypothèse de la corrélation entre conscience de la

nomme et élévation du niveau social se trouve confirmée. L'écart entre la C1 et la C2 étant beaucoup plus important (30%) que l'écart entre la C2 et la C3 (18%), la C2 se trouve placée dans une position qui confirme les vues de Labov sur son désir d'assimilation 2) Les facteurs de la nonne

Comment les Tourangeaux définissent-ils la nomme orale? Les résultats permettent déjà de se prononcer sur deux facteurs de définition, qu'une analyse qualitative précisera par la suite:1°) L'importance du critère régional et même local

Le critère est massivement valorisé par toutes les catégories sociales. 88% des Tourangeaux, répondant à la question « Avez-vous un accent? » (essentiellement posée pour l'évaluation de l'insécurité linguistique), déclarent ne pas en avoir, contre 6,5% seulement qui pensent en avoir un. De plus, ils sont 57% à déclarer qu'en général c'est à Tours qu'on a le moins d'accent. Ensuite, lorsqu'après leur avoir demandé s'ils pensent parler bien ou mal on les invite à préciser leurs réponses, on obtient généralement trois critères de définition, le critère régional (« je parle bien parce que je suis de Tours »), le critère social (« je parle mal parce que je ne suis qu' un ouvrier »), le critère culturel ou

776 LA NORME LiNGuisTiQUE

pour le facteur social. Enfin, à la question « À votre avis, qui parle bien? », 80% d'entre eux répondent « Les habitants de Tours ».

En catégorie 3, on trouve cependant une tendance à relativiser l'importance de ce critère.

2°) Les critères socioculturelsL'ensemble des enquêtés a tendance à minimiser les

critères sociologiques de définition de la norme. Cette tendance est surtout sensible en catégorie 1 et nous semble interprétable comme un comportement d'oc-cultation: les catégories les plus défavorisées socialement auraient tendance à rejeter plus ou moins inconsciemment ce critère, ressenti à juste titre comme un facteur d'infériorité dans la hiérarchie sociale (cf. On reviendra dans l'analyse qualitative sur la prédominance de modèles graphiques d'une norme orale et sur la mention des modèles linguistiques que constituent les enseignants et les professionnels de l'ORTF. Les attitudes vis-à-vis de ces deux derniers modèles sont d'excellents marqueurs d'appartenance sociale. La proportion d'attitudes critiques à leur égard croît en effet en raison de l'élévation du niveau social. Ainsi, 42% de ceux qui citent l'enseignant comme un modèle linguistique expriment des réserves à son égard et, en catégorie 3, le pourcentage de mécontents atteint 67%. De même, 59% de ceux qui citent le modèle de l'ORTF en sont mécontents et ces deniers sont 87% en 3°) Attachement à la norme

L'information sur ce point a surtout été recueillie à l'aide des questions suivantes: « Pour vous, est-ce important de bien parler? » et « Pourquoi est-ce important de bien parler? ».

Le tableau ci-dessous donne la répartition des réponses obtenues à la première question.

réponse

catégorieoui

non ouindifférent

sansréponse TOTAL

1 43,5% 34,5% 22 % 100%2 78 % 12,5% 9,5% 100%3 65 % 10 % 25 % 100%

toutes catégories

64 % 19 % 17 % 100%

LES FRANÇAIS DEVANT LA NORME 357

Réponses à la question « Est-ce important de bien parler? »

On voit que l'attachement à la norme est majoritaire et surtout sensible dans la catégorie moyenne, ce qui confirme le comportement spécifique de celle-ci.

4°) Évaluation de la sécurité et de l'insécurité linguistiques12évaluation de la sécurité ou de l'insécurité linguistiques est difficile car on n'obtient pas le même résultat suivant que l'on prend en considération les réponses à une question du type: « Avez-vous un accent? »,ou à une autre comme « parlez-vous bien? ». Cela nous a conduit à distinguer deux types de sécurité linguistique:1°) Une sécurité/insécurité linguistique de type régionalLe résultat le plus significatif est à cet égard la réponse déjà citée à la question « Avez-vous un accent? ». En déclarant à 88,5% n'avoir pas d'accent, les Tourangeaux montrent un sentiment de grande sécurité linguistique. Si, en outre, nous comparons Tours et les trois autres milieux urbains où nous avons enquêté, en confrontant cette fois les réponses positives à la même question, nous constatons que la sécurité linguistique tourangelle s'oppose très fortement à l'insécurité

Tours: 6,5%Lille: 57 %Limoges: 77 %Saint- 89 %

Pourcentage de réponses positives à la question « Avez-vous un accent? »

2°) Une sécurité/insécurité linguistique de type généralA des questions qui ne mettent pas directement ou uniquement en jeu le critère régional de définition de la nomme, les Tourangeaux répondent de manière beaucoup moins unanime. C'est la raison pour laquelle il faut faire appel à un autre concept que celui de sécurité linguistique

Considérons d'abord le cas des réponses à la question « Parlez-vous bien? ». On constate (cf. l'histogramme ci-dessous, FN: 87) que pour r ensemble de la population, les réponses positives équilibrent les réponses négatives (44% dans les deux cas).

357 LA NORME LINGUISTIQUE

100

% de réponses positives (sécurité linguistique)

°% de réponses négatives (insécurité linguistique)

50

CAT 1 CAT 2 CAT 3 TOUTES CAT.

Évaluation de la sécurité et de l'insécurité linguistiques: histogrammes de réponses positives et négatives par catégorie à la question: « Parlez-vous bien? » (FN: 87).

On ne peut donc parler d'une « sécurité linguistique générale » aussi massive que la sécurité linguistique régionale. Cependant, les résultats de Tours restent encore supérieurs à ceux de Lille (19°% de oui) et à ceux de Saint-Denis-de-la-Réunion (28%).Nous pouvons également affiner l'analyse de la sécurité et de l'insécurité linguistique par la comparaison des réponses à « pariez-vous bien? » et à « est-ce important de bien parler? ». Manifeste en effet son insécurité linguistique tout enquêté ou toute catégorie d'enquêtés qui répond non à « Parlez-vous bien? » et oui à « Est-ce important de bien parler? ». Or, d'une façon

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LES FRANÇAIS DEVANT LA NORME 358

juge important de « bien parler ». La différence observée constitue donc l'indice d'une certaine insécurité linguistique.Qu'en est-il de la répartition par catégorie sociale de cette insécurité linguistique relative? Faible dans les catégories extrêmes, elle est beaucoup plus manifeste dans la catégorie 2. Dans la catégorie 1, le faible taux d'insécurité linguistique nous semble s'expliquer surtout par un certain degré d'indifférence à la norme.Comme nous l'avons dit précédemment, la comparaison entre Tours et les autres villes fait apparaître que cet indice d'insécurité linguistique est beaucoup moins élevé à Tours:

pourcentage de

pourcentage de

écart entreoui à la oui à la les deux

« Parlez-vous « Est-il pourcentagebien? » de bien

Tours 44% 64% 20%Lille 19% 80% 61%Limoges ? 48% ?Saint-Denis 28% 82% 54%Évaluation comparative de l'insécurité linguistique (FN: 133). N.B.: nos données sont insuffisantes pour Limoges.

Analyse qualitativeL'analyse qualitative du contenu de nos entretiens a

permis de dégager deux nouveaux traits caractéristiques de la conception de la norme orale chez les personnes interrogées et de préciser leur sentiment de sécurité ou d'insécurité linguistique régionale. Les deux premiers traits sont communs aux quatre populations, en revanche ces dernières diffèrent quant au troisième.1°) Projection de la norme écrite sur la norme orale

Dans 35% environ des entretiens apparaît l'idée que la prononciation, « le parler », sont moins importants que l'écrit. Ah! si nous avions travaillé sur les fautes d'orthographe ou de grammaire, sur les mots « qui ne sont pas dans les dictionnaires ». . ..Oublieuse de son apprentissage de la langue maternelle, la majorité des « Si on sait très bien l'orthographe, je pense que le parier, c'est pareil, si on sait très bien écrire un mot, ben, on doit quand même le prononcer bien. » (cat 1)

« Lorsque l'on parle, on a les mots écrits là-dedans. » (cat 3)Cette projection a des conséquences curieuses du

point de vue de la conscience métalinguistique. Ainsi, beaucoup de locuteurs posent, en se

358 LA NORME LINGUISTIQUE

référant à l'écrit, des oppositions phonologiques réelles, mais qu'ils ne produisent pas; d'autres inventent même, sur la foi de la graphie, des oppositions fictives: un cadre regrette que la décadence du français ait laissé s'effacer la différence de prononciation entre accès et taxi: « [. . .] les 2 c et le x (... ) ne devraient pas Un autre déplore qu'on ne fasse pas entendre la gémination dans rappel (il faudrait dire [Happ--I], un troisième exige que l'on fasse attendre le [a] final de fée!Pour rendre compte d'un tel phénomène, il faudrait certainement avoir recours à une sociologie des modèles et du prestige culturels qui opposerait le modèle traditionnel de l'écrit à ses rivaux audiovisuels et informatiques contemporains. Nul doute en tout cas que l'enseignement - d'ailleurs très fréquemment mentionné - et le rôle qu'y joue l'apprentissage de l'orthographe et de l'étiquetage grammatical n'aient exercé une forte influence. Il faut signaler aussi celle du dictionnaire, que nos enquêtés invoquent curieusement comme modèle de prononciation alors que lorsqu'on les D serait intéressant de chercher maintenant I'influence de l'âge sur cette fixation à la nomme graphique. Nos sujets, nés entre 1939 et 1954, ont peut-être des conceptions de la langue et de la nomme très différentes de celles de leurs successeurs des années 60.2°) Le motif esthétique et ses implications sociologiques

Les argumentations favorables au respect de la nonne orale s'appuient souvent sur des motifs esthétiques. Pourquoi est-il important de bien parier? Parce qu'on est « choqué » de tout ce qui peut « déformer », « abîmer »,« dénaturer » le français, qu'il s'agisse d'agressions venant de l'extérieur (le « guttural » anglo-saxon) ou de L'emploi de ce motif esthétique apparaît comme un marqueur très régulier de l'appartenance sociale puisqu'il intervient chez 21,7% des enquêtés de catégorie 1, 40,6% de ceux de catégorie 2 et 60% de ceux de catégorie 3. Mais l'analyse qualitative apporte des correctifs à la régularité de cette corrélation.

Une thématique quantitative diversifiéeLe recours à une thématique qu'on peut qualifier de

quantitative pour apprécier la beauté de la langue est constant mais ne revêt pas la même forme dans toutes les catégories sociales. Ouvriers et employés insistent que la langue est un « trésor » et citent surtout à l'appui de leur argumentation le dictionnaire et la quantité de

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tout quoi, c'est le français! » (cat. 1). « Le Petit Larousse, y a rien d'extra-ordinaire dedans et on le sait déjà pas! » (cat. 2).

Dans la catégorie 3, on a plutôt tendance à insister sur la langue en tant que « capital », « richesse », « patrimoine », « héritage » et sur la notion de défense de cet héritage contre l'anglomanie ou ... « les mots portugais » (cf. FN: 105).

Faut-il lier ces attitudes linguistiques au conservatisme sociopolitique des Tourangeaux à l'époque où l'on a effectué notre enquête? Nos données ne nous permettent pas de l'avancer de manière irréfutable (cf. Chaurand,1979). A partir de Labov (1972), nous reconnaissons que notre protocole d'enquête est resté lacunaire et qu'il nous aurait fallu insister davantage, dans les entretiens préliminaires ou ultérieurs, sur l'ensemble de la situation socioculturelle des personnes rencontrées: opinions politiques, appartenance syndicale, religieuse, etc.

Motivation esthétique et motivation socialeAlors que l'analyse quantitative semblait impliquer une indifférence à la norme assez massive en catégorie 1, nous découvrons ici qu'il lui arrive aussi de percevoir la norme du beau parier comme un idéal socialement désirable:

« Avec les gens qui sont plus élevés, on essaie de parler rnieux pour paraïtre ... pour être à sa hauteur, quoi. » (cat. En catégorie 3, la motivation sociale est énergiquement niée et cette

occultation s'accompagne d'une surestimation du motif esthétique. Celui-ci est en outre rattaché à une thématique morale: parlent bien ceux qui ont« le sens de l'effort », « le goût du travail », qui « s'en donnent la peine », etc. Pour cette catégorie, valeurs linguistiques et valeurs morales se rejoi-gnent.

La catégorie moyenne présente ici encore un comportement original: partageant avec la classe supérieure une attitude agressive/défensive contre tout ce qui peut menacer la pureté de la langue, et avec la classe inférieure une certaine insécurité devant ses propres performances, elle se distingue nettement par le caractère vivace et dynamique de son conformisme lin-guistique. Ce dernier est assumé sans hésitation ni remords, nos enquêtés de catégorie 2 ne se demandant pas s"ils ont tort ou raison de refuser l'évolution, les accents régionaux et les empnuits, ils sont sûrs d'euxmêmes en la matière et cela se manifeste bien dans leurs attitudes à l'égard de l'institution scolaire. En effet, ils manifestent envers elle une grande confiance, en tant qu'instrument d'ascension sociale; lorsqu'ils estiment qu'elle ne remplit pas sa mission, leur déception est à la mesure de leur attente, ce qui explique la fréquence et la virulence chez eux d'attitudes critiques à l'égard des enseignants et des innovations pédagogiques qui leur semblent menacer les valeurs attachées à leur idéologie de la langue.

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3°) Le sentiment de sécuritéjd'insécurité linguistiqueLe sentiment de sécurité linguistique à Tours

Massif du point de vue régional, il est diversifié par catégorie sociale si on l'examine d'un point de vue plus général. La même ouvrière qui déclare « n'avoir pas d'accent » et « parler normalement » puisqu'elle a été« élevée à Tours, du côté des Halles », ajoute dans une autre partie de l'entretien qu'elle « ne parle pas bien parce qu' (elle) n'a pas bien marché à l'école. » Mais d'une façon générale, c'est l'affirmation de la supériorité qui l'emporte: attitudes apitoyées ou méprisantes vis-à-vis des accents régionaux et défense du « pur tourangeau » sont les attitudes les plus répandues.

Même le « parler parisien », dont on attendait qu'il bénéficie d'un certain prestige, est déprécié. L'ouvrière citée plus haut parle de la « vulgarité » du parisien et s'apitoie sur le cas de M. Giscard d'F-staing, président de la République à l'époque de notre enquête; quels efforts n'a-t-il pas dû faire pour arriver à perdre son accent (sic)! Peut-on donner une explication à un sentiment de sécurité linguistique aussi vivanf et traditionnel à la fois? On en trouve déjà des traces chez Rabelais, comme le rappelle J. Chaurand (1972): à Pantagruel qui lui demande s'il sait bien parier français, Panurge répond:« Si faictz très bien, Seigneur [ ... ] Dieu mercy. C'est ma langue naturelle et maternelle, car je suis né et ay été nourry jeune au jardin de France: c'est Touraine. »

Les arguments historiques traditionnels (cf. FN: 167-173) ne résistent guère à l'analyse, mais il faut signaler la contribution des voyageurs et étudiants étrangers à la formation et à la diffusion de cette renommée linguistique. Finalement, c'est à un ensemble diffus de motifs historiques, sociaux et linguistiques qu'il faut, semble-t-il, atrribuer ce sentiment collectif de sécurité, qui n'est pas complètement arbitraire du point de vue linguistique puisqu'en gros la norme tourangelle urbaine n'est guère différente de celle du parisien. Mais il faut certainement tenir compte aussi de l'hypothèse d'un transfert de réputation du plan « touristique » -- monumental et architectural - au plan linguistique: Tours, jardin de la France et du beau langage.

Trois milieux urbains d'insécurité linguistiqueNous avons déjà attribué l'insécurité linguistique vécue à Lille, à

Limoges et à Saint-Denis-de-la-Réunion à des situations de diglossie, au sens large et en dépit de différences fondamentales entre les trois cas (cf. FN: 121-129 et l'annexe de M Carayol et R Chaudenson, « Diglossie et continuum linguistique à la Réunion », FN: 175-189).

5. V. ce titre de magazine, cité dans FN: « Tours apprend au monde à bien parier français ».

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En dépit des disparités entre la situation métropolitaine et celle d'un département d'outre-mer créolophone, on peut d'abord opposer Lille et Saint-Denis à Limoges. À Lille, les entretiens que nous avons recueillis expriment une infériorité qui conduit souvent les gens à renoncer à s'exprimer. « Je parle tout doucement (. . .) ou alors je me tais! Je ne discute pas, si vous voulez, j'abrège! »

Nos témoins détaillent leur malaise, se plaignent de manquer de vocabulaire, d'être incertains de la morphologie et de la syntaxe. Une formule significative de l'un d'eux résume ce sentiment:

« Je sens des barrières de langage, en moi. »

Les Lillois se sentent à la fois victimes: « C'est une tare », « On ne pourra jamais s'en débarrasser », et coupables de leur accent: « Nous les gars du Nord, quand on veut parler à un chef ou n'importe lequel, eh bien comme on dit en termes vulgaires, on fout des coups de pied à la France » (cf. FN: pp. 148 et suiv. et la transcription complète de cet entretien dans BREF, n° 14, 1978).

Cette culpabilité par rapport au français standard est en outre liée à l'emploi de diverses variétés régiolectales, allant du patois picard au français régional (cf. sur le continuum entre ces variétés Carton, 1980). L'ensemble de ces variétés est appréhendé globalement par nos témoins qui le désignent sous le nom de « patois ». L'usage de celui-ci est considéré comme socialement dévalorisant:

« C'est dégradant de parler patois! »

Enfin, parler patois, plus encore qu'avoir l'accent, c'est pour les Lillois « donner des coups de pied à la France », ce qui provoque un sentiment de culpabilité nationale lié à la mémoire collective des occupations étrangères gvi ont marqué l'histoire lilloise:

« On est tous des bâtardés avec des Belges ou bien tout ce qu'on veut. »

A Saint-Denis-de-la-Réunion, le malaise linguistique lié à une créolo-phonie beaucoup plus vivante que le patois lillois, est encore plus profond. Dans les trois catégories de témoins, on rencontre le sentiment d'infériorité sociale souvent manifesté par la crainte du handicap scolaire que représente la créolophonie dans le système d'enseignement tel qu'il est pratiqué à la Réunion. Cette infériorité sociale profondément intériorisée se manifeste nettement dans les attitudes vis-à-vis des variétés en présence: comme dans beaucoup de situations de diglossie, mais avec une agressivité particulière, les trois catégories d'informateurs s'accordent à dénier au créole le statut de langue, avec des arguments pseudo-linguistiques le créole n'est pas une langue parce qu'il n'a pas de graphie, parce qu'il est « mélangé », parce qu'il est « pauvre », « non abstrait », « illogique » etc. Lieux communs pratiquement universels dans les situations linguistiques engendrées par des dominations de type colonial.

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Nous reviendrons plus loin sur l'ambiguïté de ces attitudes, mais il faut d'abord souligner que leur relative virulence à Lille et plus encore à Saint-Denis-de-la-Réunion s'oppose à la détente observable à Limoges. Là, nos informateurs dévaluent aussi leur propre accent - qu'ils trouvent plus « lourd », moins « chantant » que celui du Midi -, mais il leur arrive aussi de l'accepter de façon sereine. Quant à la relation à la forme locale de l'occitan, elle n'est nullement passionnelle, du fait qu'en Limousin, la diglossie n'a pratiquement plus de manifestation urbaine. C'est donc là où la langue régionale est le moins parlée qu'elle suscite le rejet le moins violent. On se contente de dire que le patois « se perd », « n'est plus parlé que par les vieux » ou « à la campagne ».

L'insécurité linguistique des trois milieux urbains considérés, qui s'oppose à la sécurité linguistique des habitants de Tours, ne se réduit pas à des attitudes unilatéralement négatives et auto-dévalorisantes. Ce sont certes celles-ci qui s'expriment le plus nettement et le plus massivement au début des entretiens, quand l'enquêté tente de renvoyer à l'enquêteur non pas sa vision personnelle de la réalité, mais l'image qu'il croit être celle de l'enquêteur. Mais au fur et _ à mesure que progressent les entretiens, que s'instaure une relation plus détendue entre les deux partenaires, les réponses deviennent plus nuancées et il se manifeste dans les trois vines des attitudes positives vis-à-vis de l'accent et des langues régionales, qui relativisent la dévalorisation précédemment constatée.

Pour l'interprétation de ces attitudes positives, c'est cette fois, les villes métropolitaines de Lille et de Limoges qu'il faut opposer à Saint-Denis-de-la-Réunion. A Lille, les appréciations positives du patois sont toujours liées à sa fonction de cohésion culturelle, notamment dans les manifestations festives communautaires: Pètes populaires ou familiales, avec chansons, histoires drôles et conversations en patois. Mais à la différence de Limoges, ce sentiment de cohésion culturelle ne s'accompagne pas, sauf chez quelques témoins instruits, de la conscience d'une histoire dotée d'une tradition écrite.

A Limoges en revanche, les représentations courantes du patois sont associées non seulement à une fonction de cohésion culturelle actuelle, mais. aussi à un passé historique qu'atteste une tradition écrite. On cite, même vaguement, les troubadours, on connaît l'existence de revues et de stages folkloriques, ethnographiques ou linguistiques occitans.

C'est à la Réunion, là où la situation linguistique est la plus tendue, que l'on trouve les attitudes les plus nettement positives. Précisons que nous ne considérons pas comme telles celles qui insistent sur certains aspects pseudo-« esthétiques » du créole, dans une perspective exotisante: patois pittoresque, imagé, chantant Opinions visiblement empruntées à l'idéologie linguistique coloniale relayée par celle du tourisme. Les attitudes effectivement positives s'appuient sur une triple argumentation fonctionnelle, linguistique et politique. Le principal argument fonctionnel utilisé est celui de la valeur

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du créole comme marqueur d'une situation de familiarité communautaire et familiale, rendu particulièrement nécessaire par la constante agression de la variété dominante. Cette fonction s'est ainsi exprimée de façon particulièrement nette dans le refus d'intellectuels créolophones relatif à la proposition de traduire en français des poèmes et des articles rédigés en créole. Refus au premier abord particulièrement incompréhensible pour un enquêteur non créole: pourquoi rejeter l'attestation d'égalité linguistique que représenterait une traduction, la consécration du passage de la diglossie au bilinguisme? C'est que la diglossie n'est pas vécue, comme nous l'imaginons parfois de l'extérieur, de manière uniquement négative. Quant aux argumentations linguistiques et politiques, elles rejoignent parfois les argumentations fonctionnelles. La plus fréquente est la revendication du statut de langue à part entière, d'une instrumentalisation graphique, lexicale et grammaticale du créole, mais elle s'accompagne très souvent d'une ambiguïté, d'un clivage des attitudes à l'intérieur même des représentations d'une même personne: tantôt on affirme être créole à part entière, tantôt on déclare qu'une éventuelle disparition du créole importerait peu, tantôt on se passionne, tantôt on se détache - signes d' une situation encore vécue de manière particulièrement frustrante par C'est chez les militants syndicaux et politiques que les attitudes positives vis-à-vis du créole s'expriment le plus fermement avec la revendication d'un statut de langue nationale, éventuellement lié à l'indépendance politique.Attitudes numériquement minoritaires mais très nettes, Qu'est-ce que la norme orale pour les gens ordinaires, nous demandionsnous au début de cette enquête? Les limites de celle-ci ne permettent pas une vaste extrapolation des résultats obtenus: nous n'avons travaillé qu'en milieu urbain, les populations considérées étant réduites, une enquête sociolinguistique uniquement phonologiques gagnerait à être complétée On notera tout de même en conclusion, et avec l'espoir de voir vérifier ces résultats sur d'autres terrains, que les Français, peuple qu'on dit grammairien, sont beaucoup plus préoccupés de norme prescriptive et subjectiveque de la nomme objective des linguistes et de ses diverses possibilités de réalisation. Leur intérêt et leur conscience métalinguistique restent faibles et 6. J. STÉFANINI (1980) regrette que nous n'ayons pas enquëté aussi sur la paire /Ê/ - /cé/, D.

Godard (1981) suggère de son côté la paire /e/ - /a/.

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ces aspects de la norme aux dépens de l'observation des fonctionnements réels et de la prise en compte de la diversité linguistique. La tradition culturelle dans laquelle se situe cet enseignement a tant surestimé l'écrit que leur perception de l'oral et de la norme orale en est profondément affectée et même altérée. Ses représentations ne sont jamais liées à celles d'une compétence du corps et les modèles qui en sont donnés sont livresques, professoraux ou télévisuels, c'est-à-dire Sensibles au plus haut point aux déterminations sociales de la norme orale, nos témoins, surtout ceux de la classe moyenne, ont tendance à les occulter et à les « habiller » en termes esthétiques ou moraux. Mais ce qui domine dans leur relation à la norme est la profonde divergence entre ceux qui vivent en sécurité linguistique et ceux dont l'insécurité linguistique est le lot. Il nous est apparu qu'il fallait nuancer ce concept hérité de Labov selon le dosage de critères régionaux et sociologiques qui peuvent converger ou se contredire, puisqu'une personne ou un groupe peut se trouver à la Enfin, nous avons expérimenté avec nos informateurs combien le développement de l'insécurité linguistique peut être favorisé par la rencontre entre une idéologie de monolinguisme centralisateur et des situations de diglossie vivantes ou même résiduelles.Sur un plan pratique, nous avons apprécié en tant que chercheurs la complémentarité entre les résultats de renquête proprement sociolinguistique et ceux d'une analyse de contenu qui a permis de nuancer et d'affiner plusieurs des résultats. En tant que formateurs d'enseignants, nous voyons se dégager de ce travail l'idée que l'amour de la langue, l'un des concepts que l'on devrait enseigner, n'est pas l'amour d'une norme prescriptive autoritaire, mais plutôt l'amour de la langue telle qu'elle est, ici et ailleurs, tant dans les petits

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XXIX

Réflexions sur la norme*par Roch Valin

[... ] Un article de moi sur la norme, écrit au titre de guillaumien, n'eût pas manqué de décevoir. Le point de vue de la psychomécanique sur le problème de la norme, en matière de langage, est vite exposé. En substance,il est le suivant. Toute langue étant postulée être un système de langage, le fonctionnement de ce système se prête à un certain nombre d'exploitations. Dans le cadre, en effet, des limites que constituent pour lui d'un côté le prescrit (c'est-à-dire ce qu'on ne saurait, parlant ou écrivant, éviter) et de l'autre le proscrit (ce que, parlant ou écrivant, on ne peut pas éviter), toute liberté est accordée au locuteur. A la faveur de cette liberté, qui est grande, il s'institue des usages propres à un certain nombre de sujets parlants dans le cadre d'une langue donnée. Or, par le fait de circonstances qui n'ont de soi rien de linguistique, 9 arrive que l'un ou l'autre de ces usages plus ou moins appréciablement différents les uns des autres devienne, pour un milieu donné plus ou moins étendu, la norme. De sorte que ce qu'on appelle couramment la « nonne », ce n'est pas autre chose qu'une manière particulière de se servir d'un système linguistique donné, autrement dit l' usage propre à un groupe social dans le cadre d'une communauté linguistique plus ou moins étendue. il y a « norme » parce que tous les individus appartenant au groupe en question s'accordent tacitement entre eux pour reconnaître cette manière particulière de parler une langue comme étant la leur. S'il arrive, au surplus, que ce parier particulier soit celui d'une collectivité De cet état de fait il résulte que ce que l'on appelle la norme a donc une double origine. Elle peut provenir-c'est le cas de l'usage premier que le sujet pariant assimile -d'un souci inconscient de ne pas se singula

' Extrait d'une lettre adressée au Conseil de la langue française.

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riser, de parler comme tout le monde autour de soL Mais une norme peut aussi devoir son extension au souci, conscient cette fois, de s'assimiler l'usage d'un autre groupe perçu, à tort ou à raison, comme plus prestigieux. Dans le premier cas, la nomme est une réalité démographique objective impliquant un aspect statistique: c'est le grand nombre qui l'emporte et contraint l'individu à entrer dans le rang sous peine d'être perçu comme n'appartenant pas au groupe. Dans le second cas, la norme est au départ non pas une contrainte, mais un choix délibéré: le sujet parlant cherche volontairement à s'identifier à un groupe dont il entend partager le prestige. Ce par quoi la sujétion à la norme apparaît alors être un phénomène d'origine subjective.

Si j'évoque en ce moment cet aspect des choses, c'est qu'une certaine linguistique, qui se prétend objective parce qu'elle se fonde sur la seule considération statistique, ne reconnaît comme nomme que l'usage du plus grand nombre. Cette manière de voir cache en réalité un subtil paralogisme, qui consiste à « oublier » - est-ce vraiment un oubli? - de relativiser la notion de grand nombre et à en faire un absolu, perdant de vue qu'objectivement, pourtant, la réalité linguistique d'une langue vivante, c'est partout et toujours, pour toutes les grandes langues de civilisation, une diversité plus ou moins grande de parlers dont chacun représente un usage particulier propre à une collectivité plus ou moins large et se distinguant plus ou moins appréciablement des autres, ce qui suppose, pour chacun de ces parlers, une norme propre. Dans le cas particulier du français du Québec, cela signifie que le francophone québécois a une manière à lui, s'il n'a pas cédé à l'attraction ou à l'influence d'une norme extérieure, de parler le français, laquelle le singularise dans l'ensemble de la francophonie, ce dont l'effet est de rendre son usage propre de la langue française plus ou moins immédiatement accessible et intelligible aux francophones d'Outre-Atlantique. il est donc indiscutable, à ce titre, qu'il existe une norme québécoise, en vertu de laquelle un Québécois, même non cultivé, saura très vite reconnaître comme hétérophone un francophone dont le parier représente la norme d'un autre secteur de la francophonie.

Cela reconnu et accepté, le problème se pose à la collectivité francophone québécoise de savoir quel rapport elle désire entretenir avec le reste de la francophonie, c'est-à-dire comment elle entend définir son rapport à l'universel. Vise-t-elle à se singulariser de plus en plus, avec comme conséquence un isolement progressif, ou au contraire, sans renoncer sous tous les rapports à sa particularité (ce qui n'est aucunement souhaitable), a-t-elle l'ambition de permettre à un nombre suffisamment large de Québécois d'avoir un accès de plain-pied aux richesses culturelles de l'ensemble de la francophonie? Là est le vrai problème, pas ailleurs. Entre ces deux perspectives force est de choisir, et, le choix fait, d'en accepter les conséquences, avantages et inconvénients liés. De ce choix préjudiciel dépend la norme à adopter, et à généraliser jusqu'au point nécessaire ou utile selon les divers groupes sociaux impliqués. Le souci d'universalité ne saurait être le même selon les diverses composantes de notre société québécoise.

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Depuis longtemps un certain nombre d'individus ont fait leur choix, et ces choix individuels sont allés à l'une ou à l'autre option, avec, bien entendu, dans la réalité du vécu individuel, toute une gamme de compromis offrant le spectacle d'un panachage allant parfois jusqu'à la bigarrure. Ce dont le résultat est, aucun choix autre qu'individuel n'ayant à ce jour été opéré, une situation linguistique de la plus complète hétérogénéité et ambiguïté, où domine tout de même une nette polarisation dans le sens de la première option, en raison du fait qu'elle épouse les tendances évolutives spontanées de tout parler échappant à une Le malheur veut cependant que, depuis fort longtemps, nos civilisations occidentales échappent, sous le rapport de la langue, au jeu des seules forces naturelles qui régissent l'évolution spontanée du langage. Heur ou malheur, nous sommes tous devenus des alphabétisés ayant reçu un minimum d'éducation grammaticale et, conséquemment, soumis à l'emprise - une emprise beaucoup plus grande qu'on n'est tenté de le croire - de la langue écrite dont un caractère inévitable est de se présenter toujours plus ou moins appréciablement archaïsante par rapport à l'usage de la langue parlée, lequel est toujours en avance sur l'usage écrit. Ainsi le seul fait, pour une communauté linguistique, d'avoir accès à l'écriture et à la lecture imposet-il, dès le départ, la pesée d'une norme extérieure interférant avec celle de la langue parlée, ce Mais ce n'est pas là la seule contrainte normative que subisse la langue parlée. Conjugué à l'alphabétisation, il y a lieu de prendre aussi en compte le phénomène, important à l'époque contemporaine, de la scolarisation:il est notoire que le degré d'instruction et de culture d'un sujet parlant modifie plus ou moins, et souvent considérablement, la manière dont il parle. Surtout sensible au niveau du vocabulaire, cette influence de l'école se marque aussi sur la prononciation, et même sur la syntaxe. Sur le continent américain toutefois -aussi bien pour ce qui est de l'anglais, que de l'espagnol, du portugais ou du français-cet effet Les considérations qui précèdent - et qui n'avaient pour but que de mieux poser le problème de la norme -ne suffisent pas à elles seules, tant s'en faut, à suggérer une solution. D'autres données doivent également être prises en ligne de compte. Le fait par exemple - important - de la situation tout à fait particulière du français sur ce continent. Alors en effet qu'il existe sur ce continent plus d'anglophones, d'hispanophones et de

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langues ont été importées, la communauté francophone d'Amérique est, elle, très largement minoritaire. Ce qui a pour effet d'empêcher que la nonne interne propre à chaque parler - et dont il a été question plus haut - ne puisse jamais, comme dans le cas de l'anglais, de l'espagnol ou du portugais, s'imposer démographiquement par sa seule pesée aux usagers des parlers européens correspondants. Ne pas tenir compte de ce fait primordial équivaudrait avec le temps, dans l'hypothèse d'une singularisation croissante cherchée ou acceptée de notre français québécois, à nous isoler de plus en plus, et cela avec des risques énormes, au long des siècles, pour la survie même de notre parler national. J'ai déjà évoqué ce problème ailleurs, dans une Tout cela pour en venir à la conclusion qu'il n'existe de chances sûres de survie à long terme du français sur ce continent que dans la mesure où, par le biais d'une norme judicieusement choisie et imposée comme langue de l'enseignement, on parviendra à réaliser les conditions rendant possible l'accès d'un nombre suffisant d'individus à la pratique d'un français d'au-dience universelle. Le choix d'une norme qui, à terme, ne conduirait pas à ce but aurait pour effet inéluctable de nous enfermer dans un particularisme de plus en plus étroit avec, comme conséquence, une sécession lin-guistique croissante dont, en raison de la géographie linguistique de ce continent, il n'est aucunement assuré que naîtrait, selon le voeu de certains, une langue nouvelle. Si, quel que soit le contexte politique, nous vouions éviter le risque, au bout de quelques siècles, d'une assimilation pure et simple, le choix s'impose de Pas question, par conséquent, de tenter de définir la norme à imposer à partir de notre parler vernaculaire et, dans ce but, d'imaginer je ne sais quelles enquêtes qui auraient pour fin de déterminer « scientifiquement » la norme interne à laquelle obéit, en son état présent, ce parler, dans l'idée de confronter ensuite la norme ainsi « objectivement » établie avec celle qui régit ce que j'ai tout à l'heure appelé un français d'audience universelle. On n'aboutirait à rien par cette voie. 1 serait vain de chercher à élaguer ou à émonder notre parler, pour ensuite prétendre enter ou marcotter je ne sais quoi sur luL Le problème doit être pris par l'autre bout: c'est notre parier à nous auquel il faut donner un cadre d'évolution élargi en en concevant désormais l'avenir et le devenir dans son rapport avec les autres parlers francophones, lesquels obéissent incontestablement à une norme commune assurant une

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possibilité de réaliser cet indispensable instrument de communication sans un effort conscient d'assimilation de cette norme commune, laquelle sera toujours par nécessité, à l'origine, celle d'un parler que l'histoire a placé en situation de dominance soit numérique, soit culturelle, soit les deux à la fois. Tel est le prix à payer pour avoir accès, avec tous les avantages liés, à une Ce fait accepté, 9 ne reste plus aux individus qu'à décider, chacun pour son compte et au meilleur de ses intérêts, du degré de leur appartenance à cette communauté linguistique. Mais c'est un devoir pour l'État, par le biais de l'école, de mettre chaque individu en situation d'acquérir, sans trop de mal, cette langue d'audience universelle. De tous les grands ensembles francophones le Canada français est le seul où, jusqu'à un passé extrêmement récent, l'État n'ait jamais eu ce souci: le seul, en conséquence, où l'on ne se soit jamais inquiété de la qualité du langage pratiqué par les ensei-gnants. C'est une situation qui peut s'expliquer historiquement, mais qui ne se justifie désormais d'aucune manière. C'est à l'école, et à l'école seulement, que pourra s'amorcer, en temps utile, le redressement linguistique indispensable permettant aux francophones de ce continent de se sentir enfin les égaux, qu'ils parlent ou qu'ils écrivent, des francophones d'Outre-Atlantique sous le rapport de la facilité d'expression et d'élocution. Le jour où l'on y sera parvenu, on verra le Québécois perdre le stupide complexe d'infériorité qu'il La réalisation d'un tel objectif est-elle possible? Je le crois fermement. Elle est seulement plus difficile qu'ailleurs pour le moment, en raison du retard considérable que nous accusons, du point de vue qui nous intéresseici, par rapport aux collectivités francophones européennes. Mais ce n'est pas une raison pour y renoncer. Une ou deux générations d'enseignants, peut-être, il faudra pour parvenir au but Mais l'enjeu en vaut l'effort. Le climat, d'autre part, aussi bien local qu'international, est de plus en plus propice. De plus en plus nombreux sont, chez nous, ceux à qui les facilités et les occasions de voyage qui s'offrent aujourd'hui ont permis de réaliser la nécessité et l'urgence d'un redressement linguistique. Les dernières résistances -souvent, d ailleurs, intéressées -sont sur le point de s'effondrer. Il est incontestable qu'un nombre croissant Toutes choses qui incitent à croire que le moment est venu de se mettre à l'oeuvre. Le problème est bien réel. Les données risqueraient seulement d'en être faussées si on en voulait faire, au premier chef, un problème lin-

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guistique. Le choix d'une norme destinée à canaliser l'évolution d'un parler n'a rien de linguistique en soi: c'est un problème social et un problème politique, le problème de savoir ce qu'une collectivité, à travers la réflexion de ses élites, entrevoit et souhaite pour elle-même comme devenir. Si ce devenir, pour nous francophones du Québec, est un devenir de singularisa-tion croissante, nous n'avons qu'à écouter la voix d'une certaine forme de nationalisme linguistique - en nette régression, d'ailleurs, depuis quelques années déjà - et à laisser les choses courir: c'est la solution facile, mais aussi, à long terme, la plus hasardeuse. Si, au contraire, ce devenir, nous le rêvons dans le sens d'une intégration à une aventure spirituelle plus large, et Il va sans dire que le problème qui se pose dans la détermination d'une norme pour la langue d'enseignement - problème immensément complexe - n'a été qu'effleuré dans cette lettre. A bâtons rompus, de surcroît. Je vous en aurai cependant suffisamment dit pour que vous compreniez qu'il n'y a pas, à proprement parler, de point de vue pragmatique de la psychomécanique du langage sur ce problème, pas plus du reste qu'il n'en existe de transformationaliste ou de fonctionaliste, la vérité étant que le problème n'est pas linguistique. Ce qu'est une langue est une chose: l'usage qu'on en peut et veut faire en est une autre. Le problème qui se pose en ce moment au peuple québécois est celui de savoir quel est le meilleur usage qu'il puisse faire de la langue ici apportée par les Tel est mon point de vue. C'est celui d'un psychomécanicien, mais ce n'est pas celui de la psychomécanique du langage. Car si la psychoméca-nique du langage offre bien un cadre théorique qui permet de concevoir sans peine ce que c'est qu'une norme linguistique, ainsi que sa fonction, c'est parce que cette approche du langage intègre la totalité de son devenir historique, aussi bien de son devenir nécessaire que de son devenir contingent, le problème de la nonne relevant au premier chef de ce dernier. La seule prise que l'homme ait sur son langage-ce qui est fort heureux, et pourtant déjà pour lui hasardeux - est du côté de son devenir contingent: c'est pour cela que le problème qui se pose en ce moment au peuple et à

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BibliographieVALIN, Roch (1955), « Le français canadien », Vie et

langage, Paris, Larousse, 36.(1970), Que! français devons-nous enseigner?,

Québec, Office de la langue française, « Cahiers de l'Office de la langue française », 7.

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Appendices

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Appendice 1

Thèses générales du Cercle linguistique de Prague: Principes

pour la culture de la langue*Par « culture de la langue » nous entendons le

développement conscient de la langue standard; ce développement peut être assuré par 1° les travaux linguistiques théoriques, 2° l'enseignement de la langue à l'école et 3° la pratique littéraire.Les thèses qui suivent ont pour but d'établir des principes généraux aux seules fins des travaux linguistiques théoriques qui ont un impact sur la langue standard; cet impact est soit favorable, soit défavorable, à moins que la contribution du linguiste ne demeure que virtuelle. Les travaux linguistiques théoriques ne sont utiles à la langue standard que s'ils aident cette langue à remplir ses fonctions le plus efficacement possible, ce à quoi ils peuvent arriver en contribuant 1° à la stabilité de la langue standard et 2° à sa capacité de différenciation fonctionnelle et à son enrichissement stylistique; dans les deux cas, la meilleure 1. Si l'on veut réussir le développement de la langue standard contemporaine, il est nécessaire d'avoir une compréhension théorique de sa norme réelle.

Pour déterminer ce qu'est la période contemporaine de la langue standard, il faut prendre pour critère le moment où chacun de ses aspects est devenu relativement stabilisé dans sa forme actuelle. Les structures fondamentales de la langue standard tchèque se sont stabilisées à l'époque de la renaissance nationale (en particulier, grâce aux travaux de Josef Dobrovsky); d'autres structures ne se sont stabilisées qu'à la fin du XIXe siècle (en particulier grâce aux grammaires de Jan Gebauer). On peut considérer que le vocabulaire, pour • Version française d'une traduction tchèque-anglais faite par Paul L Garvin (dans Joan Rubin et Roger Shuy, Language Planning. Current Issues and Research, Georgetown University Press, 1973, pp. 102-111). Paru originalement dans $ohuslav Havrânek et Milôs Weingart, Spisounâ 'cestina a jazykoud kultum, Prague, Melantrich, 1932, pp. 245-258.Traductrices: Andrée Thouin et Francine Paradis (Ministère des Communications). Réviseur. Paul L Garvin.

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aspects de la terminologie technique tchèque ne sont encore qu'en voie de stabilisation.

La compréhension des normes de la langue standard contemporaine ne peut se fonder ni sur une norme antérieure ni sur une forme quelconque de la langue populaire, actuelle ou passée -quoi qu'on en dise dans certains [travaux puristes]; elle ne peut non plus se fonder uniquement sur la langue qui serait utilisée dans un but fonctionnel particulier, par tel ou tel courant littéraire, ou encore dans un seul secteur de la

Cette compréhension doit s'appuyer par-dessus tout sur la pratique littéraire moyenne des cinquante dernières années, dont il ne faut pas exclure cependant la littérature et les écrits techniques du XIXe siècle qui ont préparé la voie à la stabilisation de la langue standard actuelle; en étudiant la littérature ancienne (par exemple, la langue de Palacky, Havlicek, Némcovâ, Tyl), il faut en effet distinguer, d'une part les éléments qui sont passés dans la langue standard, d'autre part les éléments qui en ont été éliminés, ceux qui témoignent d'un flottement entre langue littéraire et langue populaire, ou encore ceux qui n'ont perduré qu'à titre d'écho d'un état de langue révolu. En ce qui concerne la langue poétique, c'est-à-dire la langue des belles-lettres anciennes et contemporaines, seuls ses éléments automatisés* peuvent servir de fondement à la norme (et seulement si ces automatisations ne sont pas en fait des actualisations figées puisées aux anciens canons littéraires); ces éléments doivent être distingués des actualisations* propres à la langue poétique, qui constituent des distorsions intentionnelles de la nomme, et aussi, en règle générale, de toute utilisation structurale des langues fonctionnelles et locales, des langues de classe et des dialectes; il faut également On trouve une autre source d'information sur les normes de la langue standard actuelle dans l'intuition linguistique que les intellectuels en ont aujourd'hui ainsi que dans leur propre langue orale, toute coloration locale ou argotique idiolectale étant bien entendu exclue.• « We thus call autornatization what, in the case of phrases, is sometimes called the lexi-calization of phrases. [... 1 By joregrounding [tchèque aktualisace1, on the other hand, we mean the use of the devises of the Laguage in such a way that this use itself attracts attention and is perceived as uncommon, as deprived of automatization, as deautomatized, such as a live poetic metaphor (as opposed to a lexicalized one, which is automatized) » (Bohuslav Havrànek, « The Functional Differentiation of the Standard Language » dans. Paul L. Garvin, A Prague School Reader on Esthetics, Literrny Structure, and Style, Georgetown University, 1964, p. 10). (N.d.Lr. )

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APPENDICE 1 376

Remarques:1° Nous traitons ici de la langue littéraire moyenne, en dehors de toute évaluation esthétique ou factuelle, et non de la langue de l'écrivain moyen.2° L'intuitition linguistique mentionnée plus haut et la pratique contemporaine de la langue littéraire et orale peuvent être appelées « langue vivante standard » ou « usage standard »; cependant, on doit se méfier de l'utilisation imprécise que l'on fait souvent de ces termes: on les emploie fréquemment sans établir de distinction entre langue et usage populaires, langue et usage familiers ou langue et usage standard; de plus, « langue 3° 1 ne faut pas oublier que la langue standard n'existe pas ailleurs que dans les textes des domaines littéraire et public, qu'ils soient oraux ou écrits, contrairement à ce que [les travaux récents des puristes] veulent nous faire 11 faut établir une distinction nette entre, d'une part, les sources d'information utiles à la compréhension théorique technique de la norme contemporaine réelle de la langue standard et, d'autre part, les sources que n'importe quel usager de la langue standard a à sa disposition pour découvrir les mécanismes de la langue et ses diverses possibilités; les sources d'un énoncé particulier peuvent ressortir à un état de langue révolu ou à une langue Jusqu'à maintenant, il ne s'est fait que peu de recherches dans notre pays au chapitre de la compréhension théorique de la langue standard contemporaine. Seules ont eu droit à une compréhension théorique et à une codification normative les structures grammaticales du tchèque standard actuel, en particulier sa morphologie, et encore seulement dans les grandes lignes et avec certaines tendances archaïsantes bien marquées. Notre connaissance théorique du vocabulaire Pour arriver à comprendre la langue standard, nous devrions procéder à un travail systématique coordonné et planifié, en premier lieu à la mise au point de manuels pratiques et de monographies portant sur des aspects linguistiques clés. Bien entendu, ces travaux devront être strictement synchroniques et structuraux (c'est-à-dire qu'il faudra porter une attention constante aux rapports entre les éléments et aux relations de chacun avec le système global de la langue d' une période donnée - dans notre cas, la période contemporaine); cette façon de procéder ne peut faire place à une simple méthode statistique qui se bornerait à accumuler mécaniquement le matériel; de plus, présupposant que pour comprendre la norme il faut déterminer au préalable l'usage de tous les auteurs et la fréquence de tous les phénomènes du

2. Il est vrai que les seules prescriptions de la théorie linguistique ne suffisent pas à stabiliser la langue standard; mais la stabilisation ne se produit pas sans interventions théoriques normatives. Les interventions déterminantes de la théorie linguistique se font dans le domaine de l'orthographe, puis dans le domaine de la

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ture phonologique, morphologique et syntaxique - et, pour une moindre part, dans celui de la structure et du contenu lexicaux.En ce qui concerne les interventions théoriques normatives, nous posons les principes généraux suivants:

1° Ces interventions doivent favoriser la stabilisation de la langue standard et ne pas contrecarrer la langue lorsque d'elle-même elle y est parvenue.2° Le but des interventions ne doit pas être d'« historiciser » ou de retarder artificiellement le développement de la langue standard, mais de permettre une stabilisation fondée sur le but (point de vue fonctionnel), le goût du temps (point de vue esthétique) et l'état réel de la langue standard 3° Les interventions ne doivent pas approfondir artificiellement les différences dans la structure grammaticale propre au discours familier et à la langue des livres, à moins, justement, que ces différences ne soient exploitées de façon fonctionnelle.4° D serait futile que ces interventions théoriques cherchent à éliminer de la langue standard tous les flottements ou doublets grammaticaux et lexicaux (synonymie grammaticale et lexicale), et cela pour deux raisons: d'abord parce que la stabilisation de la langue standard ne doit pas entraîner un nivellement complet, c'est-à-dire l'élimination de la diversité fonctionnelle et stylistique nécessaire à la langue standard; ensuite parce que, si cela se produisait, la langue standard risquerait de se priver des moyens dont elle dispose 2.1 La codification de l'orthographe, c'est-à-dire la stabilisation de la manière d'écrire, suppose, d'une part, un système orthographique, d'autre part, son application détaillée (â chaque mot en particulier).Idéalement, le système orthographique devrait refléter le système phonologique de la langue plutôt que sa réalisation phonétique, sans pour autant négliger l'utilisation morphologique différentielle de la phonologie ou encore la fonction visuelle d'un style d'écriture et son effet sur la lecture. Il est entendu qu'une fois établi, le système orthographique ne doit pas être modifié sans raison valable; c'est pourquoi il faut étudier soigneusement le système établi et tout L'application du système au mot doit être établie avec soin et, autant que possible, être simple, claire et cohérente. Ici encore, les facteurs déterminants doivent être la structure phonologique du mot et le besoin de différenciation morphologique, non pas la structure phonétique. L'introduction d'orthographes inhabituelles pour des raisons purement historiques est à éviter [... ].

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APPENDICE I 378

L'orthographe des mots étrangers, surtout des mots d'usage courant, doit se conformer au système orthographique qui l'emprunte [. . .]. En revanche, il n'est ni souhaitable, ni utile d'adapter les termes internationaux au système d'emprunt et de leur donner ainsi une graphie étrange qui les priverait de leur valeur internationale (si, par exemple, le terme joule devait être écrit [en tchèque, N.d.1.r. ] comme il se prononce); ainsi l'orthographe d'origine est acceptable pour les termes techniques, au sens étroit, en particuli-,r s'ils sont employés dans des textes de cette nature ou comme Il y aurait lieu de procéder à une étude des fautes d'orthographe les plus fréquentes pour faire le partage entre celles qui sont imputables à une codification ancienne et celles qui tiennent aux imperfections ou aux complexités inutiles de la codification actuelle; ce faisant, il ne faudrait oublier ni les besoins de l'école ni

Remarques:1° Il est important de faire une distinction entre les considérations d'ordre théorique -concernant le système orthographique ou les détails de son ap-plication - et les interventions normatives elles-2° Tout changement prévu au système lui-même ou à son

application devrait être annoncé à l'avance de façon à permettre la discussion et la critique, qui ne sauraient être que bénéfiques.

2.2 La stabilisation de la prononciation standard relève de l'orthophonie. La prononciation standard doit s'appuyer sur celle qui a cours dans les milieux intellectuels où l'on parle la langue standard et non sur la prononciation d'une communauté dialectale, si importante soit-elle, comme celle de Prague, par exemple; elle ne peut non plus prendre appui sur une prononciation populaire sous prétexte qu'elle est la plus La prononciation standard requiert une différenciation fonctionnelle très développée, c'est-à-dire une connaissance des différents buts de l'énoncé; et c'est cette différenciation fonctionnelle qui doit permettre une détermination des types de prononciation qui soit débarrassée du genre d'évaluations que l'on retrouve habituellement en orthoépie (prononciation « soignée », « non soignée », etc.). Outre la normalisation de la prononciation correcte de la langue standard, il faut Une attention particulière doit être accordée à la lecture et à la diction propres à la radio et aux arts du spectacle du point de vue de leur fonction esthétique tant selon les différents courants poétiques et dramatiques queselon différentes conditions techniques; il nous faut une

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les conditions techniques, comme par exemple la radio, et nous devons étudier le type de prononciation qui convient à chacune.2.3 La théorie linguistique favorise la stabilisation de la structure grammaticale (aspects phonologique, morphologique et syntaxique) de la langue standard, à la fois par la compréhension de la norme telle qu'elle existe réellement et par sa codification.

Nous avons déjà traité plus haut de la compréhension théorique de la nonne.

La codification de la norme grammaticale, si elle est bien comprise, doit tenir compte du fait que même la langue standard évolue inévitablement; les efforts en vue de codifier la langue ne doivent pas viser à bloquer cette évolution en maintenant de façon artificielle et inutile, ou même en introduisant des formes archaïques, morphologiques en particulier, comme si elles étaient les seules dignes de constituer la norme - ainsi qu'on l'a fait parfois dans les [revues puristes] et dans les Règles de l'orthographe tchèque [. . .]; cela ne servirait qu'à multiplier inutilement les différences morphologiques entre la langue littéraire et la langue parlée, comme nous l'avons déjà fait remarquer. L'évolution inévitable de la langue est à l'origine des doublets qui se sont frayé un chemin dans la langue standard et qui ne devraient pas en être retranchés, ainsi que nous l'avons déjà exprimé plus haut fi s'agit habituellement de doublets fonctionnels (par exemple, la différence fonctionnelle entre une construction génitive ou une construction accusative avec un verbe négatif); mais il existe aussi des doublets qui, sans comporter de différence fonctionnelle constante, ne font

Dans l'ensemble, la structure phonologique du tchèque standard contemporain est assez stabilisée et bien maîtrisée, à quelques exceptions près qui, comme nous l'avons déjà mentionné, sont dues à la pénétration de la structure phonémique du tchèque familier dans la langue standard, particulièrement dans le cas des doublets présentant des nuances de sens et des mots de certains champs sémantiques pour lesquels il n'existe Pour ce qui est de l'état actuel de la morphologie, tous ses aspects ne sont ni complètement connus ni codifiés de façon satisfaisante. Seules la description synchronique cohérente et l'analyse de la situation réelle en révéleraient la structure actuelle, structure masquée jusqu'à présent, nous l'avons dit, par les analyses diachroniques et archaïsantes qui en ont été faites. La norme codifiée doit par conséquent réduire le nombre de formes désuètes quasi disparues de la langue

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En ce qui concerne la syntaxe, il faut se rappeler - outre les principes généraux énoncés jusqu'ici, surtout celui qui affirme que la codification ne doit pas cultiver inutilement l'archaïsme - qu'il ne faut pas, sous prétexte de stabiliser, éliminer la différenciation fonctionnelle que permettent les doublets syntaxiques, ni empêcher la création des mécanismes syntaxiques spéciaux par lesquels la langue littéraire diffère du discours familier; on ne doit pas oublier non plus que les différences syntaxiques - tout autant que les différences lexicales - entre la langue des livres et le discours familier sont parmi les mécanismes les plus courants destinés à 2.4 C'est la stabilisation du vocabulaire dans ses aspects formel et sémantique qui est le moins touchée par la théorie linguistique, mis à part le fait qu'elle peut contribuer à la création de terminologies techniques, sujet dont nous traiterons plus loin. Dans le domaine lexical, les travaux linguistiques théoriques n'exercent qu'un effet indirect par l'étude du vocabulaire de la langue standard et par une description technique de son état actuel. U faut se rappeler, dans ce processus de « codification » qui consiste essentiellement à relever ce qui existe, qu'il est impossible de déterminer la signification des mots sans tenir çompte de leur différenciation fonctionnelle et qu'il faut être conscient des automatisations qui découlent des différentes fonctions; l'innovation se situe, par définition, au-delà de la norme (à moins, bien entendu, qu'elle n'ait été Puisque, à part la syntaxe, c'est surtout le lexique qui fournit les moyens de différencier les diverses fonctions de la langue standard, le vocabulaire standard na doit jamais être réduit à ce qui est propre à une seule de ses fonctions, non plus qu'il ne doit être limité à ce que la norme a englobé jusqu'ici. Répétons-le, les néologismes doivent être évalués non seulement en fonction de leur conformité formelle et sémantique avec le fonds lexical, mais aussi en fonction de leur valeur 2.5 La compréhension théorique de la norme et sa codification contribuent aussi à la stabilisation de la langue standard en permettant la diffusion de la norme et sa compréhension par d'autres personnes.Une dernière contribution de la théorie linguistique à la stabilisation de la langue standard consiste à assumer un rôle de critique: en effet, on peut comparer la langue de certains travaux à la norme établie de façon théorique et, parmi les différences notées, signaler les différences dialectales (qu'elles soient géographiques ou sociales), les archaïsmes, les barbarismes (c'est-à-dire l'influence des langues

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sion de la théorie. II ne suffit pas de condamner ces différences en parlant de laisser-aller, etc. (comme le font [les revues puristes]), à moins que ce ne soit à l'école, dans un but pédagogique, ou que l'on ait affaire à un cas d'incompétence linguistique évidente; ces différences peuvent être dues à des déficiences de la norme, établie de façon théorique - et le linguiste doit alors dégager les leçons qui s'imposent-ou encore peuvent indiquer le début d'une nouvelle évolution qu'on ne peut empêcher; il se peut enfin que l'on soit en présence d'une distorsion délibérée qui doit être respectée, aussi soucieux que l'on soit de stabilisation. Pour ce qui est de la langue poétique, son essence même 3. Les travaux théoriques du linguiste peuvent aussi contribuer à la différenciation fonctionnelle et à l'enrichissement stylistique de la langue standard; pour permettre la différenciation fonctionnelle et stylistique, la langue standard a besoin de moyens d'expression riches et fonctionnellement différenciés, particulièrement dans le lexique et la syntaxe, et d'une A ce chapitre, le linguiste peut a) collaborer à la création de terminologies techniques, b) contribuer à promouvoir l'utilisation fonctionnelle des mécanismes de la langue ainsi que l'étude et le développement cohérents de son potentiel stylistique, c) assurer la critique de certains textes, d'un point de vue fonctionnel.

3.1 La théorie linguistique peut beaucoup apporter à la création de terminologies techniques, processus qui, en fait, n'est jamais achevé. Le linguiste doit veiller, non seulement à ce que le nouveau terme ou la nouvelle extension de sens soit conforme à la structure lexicale de la langue tchèque, mais aussi s'interroger sur son efficacité et sa capacité de rendement fonctionnel. Il doit se rappeler que les langues scientifique et juridique craignent la parenté de leurs termes avec les expressions En revanche, dans les domaines pratiques et technologiques, cette parenté avec les mots de tous les jours et leurs significations, de même que la coloration affective, sont souvent des atouts, puisqu'elles contribuent à accélérer l'introduction et la propagation des termes [... ]. En élaborant la terminologie administrative et commerciale, il faut tenir compte de son besoin de formules figées. On doit accorder la Finalement, il serait futile d'occulter les origines internationales de la terminologie technique: l'harmonisation avec l'usage international est possible si l'on adopte les termes internationaux étrangers tout en maintenant aussi la coïncidence sémantique entre les termes vernaculaires et les termes étrangers.

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A P P E N D I C E 1 3 8 2

3.2 La théorie linguistique peut aussi contribuer à accroître le rendement fonctionnel des mécanismes de la langue et signaler de nouvelles possibilités stylistiques:1° La linguistique est en mesure de déterminer de façon systématique et détaillée les moyens linguistiques spéciaux et leur exploitation dans différents dialectes fonctionnels, qu'il s'agisse d'individus, d'écoles, de cou-rants de pensée, etc.Remarques:1° La langue de la philosophie, par exemple, tirerait grand avantage d'une analyse de la terminologie philosophique des hégéliens, herbartiens, positivistes et autres philosophes tchèques.2° Q faudrait analyser les exigences particulières à la langue journalistique, certains phénomènes en particulier, comme le cliché.

2° La linguistique identifie les possibilités de différenciation et d'exploitation fonctionnelles des mécanismes de la langue, en particulier celles du lexique et de la syntaxe, ainsi que les tendances qui influent sur elles; elle fait en outre des recommandations pertinentes, sans imposer, 3° La linguistique est capable d'une élaboration stylistique systématique des différents dialectes fonctionnels.3.3 Enfin, la théorie linguistique peut assurer une critique de textes fonctionnelle. Cette critique ne doit pas être fondée sur des critères généraux tels que la clarté, la précision, etc.; elle doit plutôt évaluer les ressources de la langue et leur utilisation uniquement en fonction de la manière dont elles servent les buts de l'énoncé, tout en tenant compte de la liberté de choix de l'auteur. Ainsi, la précision ne doit être un critère que si tel est le but de l'énoncé (après tout, l'imprécision peut aussi avoir une justification fonctionnelle); les formules figées de la langue commerciale doivent être évaluées en fonction de leur but particulier, etc. Cette critique, tout en identifiant le but des différents énoncés et les différentes fonctions de la langue standard, doit se garder d'introduire une échelle de valeurs qui accorderait priorité à l'une ou l'autre fonction. Les

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Appendice II

Sur la nécessité de stabilité d'une langue

standardVilém Mathesius*

Au cours des débats qui sont de mise actuellement tendant à distinguer « le bon tchèque » de ce qui ne l'est pas, on fait l'erreur de traiter le problème isolément. Or, il est clair que la problématique de la correction linguistique fait partie d'une problématique plus large - et partant super-ordonnée - qui est celle du niveau de développement linguistique. On ne peut objectivement évaluer les efforts visant à la correction linguistique qu'en les intégrant à la somme des travaux nécessaires pour atteindre à la fois un niveau supérieur de développement et un enrichissement culturel du langage. Qu'entend-on par « haut niveau de développement linguistique »? Toute langue est un La langue standard cultivée est un instrument très précis qui accomplit fort bien chacune de ses multiples fonctions. Elle exprime avec précision, complètement et clairement, les observations et les pensées les plus subtiles et se fait l'interprète fidèle des sentiments et de toute mélodie que le locuteur ou l'écrivain veut rendre. La langue standard est en accord avec les intentions de qui sait s'en servir, elle ne s'y oppose pas par de fausses associations ou des nuances plus ou moins stridentes. Comme on le voit, c'est à l'usage que se manifeste le haut niveau de développement linguistique. Par En ce qui concerne la correction linguistique, on trouve en Tchécoslovaquie, inspirant les tendances correctives et les disputes qui ont surgi à ce sujet, l'idée que la correction linguistique se confond avec la pureté historique de la langue. Selon les puristes, les seuls éléments valables, sans possibilité de doute, dans le tchèque standard actuel sont ceux que l'on retrouvait déjà dans la langue avant même le début du XVlle * Vilérn Mathesius, « O pozadavku stability ve spisovném jazyce [Sur la nécessité de stabilité d'une langue standard] », in Bohuslav Havrânek et Milbs Weingart (sous la direction de), Spisound cëstina a jazykoud kultura (Le tchèque standard et la culture de la langue], Prague, Melantrich, 1932, pp. 1431. Traduit par Paul L Garvin.

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-mutatis mutandis - uniquement sous la forme et avec la fonction courantes à cette époque. On pourrait donc dire que, pour ces éléments, le critère le plus important et le plus décisif est la conformité de l'usage actuel à l'usage courant avant le début du XVIie siècle. Bien souvent les puristes optent en faveur de l'usage ancien, même dans le cas où l'usage actuel n'en diffère que par des changements normaux dans l'histoire de n'importe quelle langue. . . Pour la même raison, les tenants du tchèque standard pur n'acceptent qu'un nombre restreint d'expressions récemment formées par imitation de mots et de locutions employés couramment en Europe occidentale. Ils les déclarent incorrects

Quel est le rapport entre cette conception de la correction linguistique et la notion de haut niveau de développement linguistique dont nous avons parlé ci-dessus? Le concept super-ordonné englobant celui de la correction linguistique peut servir de base pour évaluer avec sûreté le concept subordonné. Pour que la réponse à cette question soit juste, il faut, à l'opposé des puristes, sortir du cercle étroit des querelles domestiques; nous devons, au contraire, faire le tour des grandes langues de civilisation. On découvre alors avec surprise que la pureté historique n'a rien à voir avec le niveau de développement linguistique. Le manque de pureté ne constitue pas un empêchement à un développement linguistique supérieur, en revanche, la pureté ne le garantit pas à elle seule. L'allemand, par exemple, respecte la pureté historique dans une mesure incomparablement plus grande que ne le fait l'anglais. Les structures morphologique et syntaxique du passé y sont mieux conservées et le vocabulaire, beaucoup plus traditionnel. Du point de vue de la pureté historique, l'anglais est une véritable macédoine. Et pourtant, en tant que langue, cet assemblage disparate atteint un niveau de développement linguistique égal sinon supérieur à celui de l'allemand, en dépit de la pureté historique des racines germaniques de ce dernier. Quiconque a étudié les langues romanes sait que le latin qui leur a donné naissance est déformé et impur par rapport au latin classique. Et pourtant, cette impureté historique n'a pas empêché le français (qui, à l'époque, contenait déjà beaucoup de déformations et d'éléments étrangers) de devenir, dès le Me siècle, la langue standard la plus développée d'Europe occidentale. On ne peut donc pas dire qu'il y ait une relation de cause à effet entre la pureté historique et un

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APPENDICE Il 385

Voilà qui nous donne une idée précise du rapport entre le niveau de développement d'une langue et sa pureté historique. Pourtant, si nous refusons l'hégémonie de la pureté historique comme critère d'identification du bon langage, cela ne veut pas dire que l'unique solution soit la licence et l'arbitraire complets en matière de langue. Toute culture est un système ordonné et dans toute langue de civilisation règne un principe d'ordre. Le but est de découvrir cet ordre et la façon de l'atteindre. En y réfléchissant, on découvre que l'essence de l'ordre dans cette relation comporte trois éléments. On ne peut guère la restreindre à un élément isolé et complet en soi, puisqu'il s'agit toujours d'un tout solidaire dont les termes corrélatifs sont dans un rapport déterminé par un principe d'organisation donné. L'idée d'ordre suggère une notion de stabilité, mais une stabilité dépourvue de rigidité ou d'immobilité. On peut résumer la question en disant que le principe d'ordre est constitué par la stabilité flexible d'un tout solidaire organisé en système. Dans le cas de la culture du bon langage, ce principe général donne naissance à l'exigence, très importante, de stabilité flexible. L'idée n'est pas nouvelle. Nous l'avons déjà formulée au début de cette étude lorsque nous avons comparé une langue hautement développée à un instrument dont nous sommes en droit d'attendre beaucoup. Les valeurs expressives d'une langue de civilisation doivent être stabilisées. II est inacceptable qu'un mot, une locution, une forme ou une construction utilisés dans un même contexte et ayant une même fonction soient jugés tantôt acceptables et tantôt impropres. Lorsque les critères d'évaluation sont soumis à pareilles variations, on ne peut guère parler d'un haut niveau de développement linguistique. Une langue soumise à de telles fluctuations de jugement devient un instrument peu défendable, car - pour reprendre une L'importance réelle et l'envergure de ces principes ne se révéleront dans leur intégrité que dans leur application à des problèmes concrets. Sous ce rapport, non seulement la langue tchèque nous est-elle la plus proche, mais encore constitue-t-elle un matériau exceptionnellement instructif C'est une langue standard au passé relativement récent qui, contrairement à d'autres, ne s'est pas développée à partir d'un dialecte de classe local mais par l'introduction d'une langue élaborée partiellement sur l'exemple d'une langue standard du passé, presque disparue. On peut donc affirmer, dans un sens, que cette langue est artificielle

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linguistique pour la nouvelle langue standard tchèque s'avérait donc nécessaire, alors qu'elle va de soi chez les nations jouissant de maturité culturelle grâce à la longue tradition de standardisation de leur langue ou au lien étroit qui existe entre la langue standard et un certain dialecte de classe déjà existant. Cette tâche était d'autant plus difficile qu'il fallait provoquer cette nouvelle conscience linguistique alors que les classes sociales de notre nation étaient secouées par des transitions et des bouleversements continus. Dans une large mesure, et cela mérite d'être fortement souligné, la conscientisation a été réalisée avec succès. Le tchèque standard de la classe instruite actuelle est une langue véritablement vivante; sa souplesse, sa finesse et sa subtilité ont atteint chez les bons écrivains un niveau que l'on n'aurait pas cru possible il y a peu. Toutefois des critiques subsistent toujours quant à sa décadence, critiques fondées principalement, à notre avis, sur le fait que les fonctions du tchèque standard se sont étendues d'une façon presque terrifiante par suite du développement des dernières décennies. La stabilité est loin d'être parfaite, ce qui a entraîné des-consé-quences assez visibles. Alors qu'il y a actuellement dix fois plus de traducteurs (500) qu'auparavant et cinquante fois plus de journalistes (5000), et qu'il faut exprimer de plus en plus d'idées et de réalités Si nous désirons vraiment obtenir la stabilité de la langue standard, nous devons nous baser sur le seul fondement organique d'un tel effort, l'usage actuel du tchèque standard. Nous pourrons le déterminer, en l'absence d'une tradition châtiée de conversation tchèque, par la pratique linguistique des bons auteurs tchèques telle qu'elle se manifeste dans la moyenne de la littérature tchèque des cinquante dernières années, dans la littérature au sens le plus large du mot, tant La thèse présentée ci-dessus et recommandant que nous prenions pour principe de base de la stabilisation du tchèque standard moderne la langue moyenne de la littérature tchèque des cinquante dernières années, n'implique toutefois pas que nous devions attendre que la stabilisation se fasse d'ellemême au rythme du progrès culturel. 1 serait sans doute possible de nous fier entièrement à l'influence positive des oeuvres des bons écrivains ainsi qu'à la critique de non-spécialistes doués d'un sens subtil des nuances, du rythme et de la musicalité de la langue. L' état actuel de la théorie n ne s'agit pas, au nom d'une meilleure compréhension historique, de donner à la langue standard actuelle des prescriptions souveraines contre

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APPENDICE Il 387

lesquelles il n'y ait pas de recours, même si elles s'opposent carrément au véritable usage; il importe plutôt de codifier l'usage soigné d'aujourd'hui et de limiter les variations qui ne sont pas fonctionnellement justifiables, l' objectif final étant le plus haut niveau possible de développement fonctionnel de la langue. Voilà ce qui déterminera la portée de la stabilisation de la langue, ainsi que l'orientation qu'elle devra prendre. Les efforts réalisés dans le but de parachever la spécificité nationale de notre langue devront l'appuyer L'apport pratique au développement linguistique est l'arbitre suprême de l'admissible ou de l'inadmissible dans la langue. Ni la pureté linguistique, ni la régularité absolue ne sont des conditions suffisantes pour y parvenir. La stabilité flexible des ressources de la langue constitue l'élément essentiel de

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Appendice 111

Emploi et culture de la langue standard*

Par Bohuslav Havrânek

Par « culture de la langue standard » nous entendons surtout l'attention théorique consciente qui lui est donnée, c'est-à-dire les efforts et les travaux de la linguistique, science du langage, dirigés vers le perfectionnement et l'épanouissement de la langue standard. Cette dernière peut, en effet, bénéficier du travail linguistique dans la formation de sa norme, dans sa stabilisation et dans l'acquisition de moyens suffisamment riches et variés pour satisfaire tous ses besoins et résoudre tous les problèmes qui lui sont posés. Ce travail doit surtout contribuer à fixer les Évidemment, ce travail ne doit pas empêcher le

développement des composantes de la langue standard, et on évitera à tout prix de lui porter préjudice. 1 est indispensable que tout travail théorique concernant la langue standard comporte un examen et une description aussi réalistes que possible de son état actuel. Par la codification de sa nomme et la description exacte de ses ressources, le travail linguistique aide le

Le but de cette culture consciente de la langue standard est d'obtenir un langage cultivé et le perfectionnement du bon langage par ses usagers.

La langue standard nécessite-t-elle pareille attention consciente? Nous savons que la langue populaire, qui n'est pourtant pas sans norme, peut s'en passer. Même la langue populaire d'une certaine région ou d'une classe sociale (dialecte local ou dialecte de classe) a sa propre norme, c'est-à-dire son propre ensemble de ressources grammaticales et lexicales (structurales et extra-structurales) employées régulièrement: [... ] que nous * « Okoly spisovného jazyka a jeho kultura », extrait de Bohuslav Havrânek & Milos Weingart, éd., Spisovnli césstina a jazykouti kultura (Le tchèque standard et la culture de la langue), Prague, Melantrich, 1932, pp. 32-84. Traduit par Paul L Garvin.

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déviations sont perçues comme anormales, comme des fautes, même si l'observation de cette norme n'est renforcée que par des moyens indirects, comme la dérision ou des expressions de mécontentement, ainsi qu'il en est généralement pour les règles de la conduite II suffit de dire de cette norme, de cet ensemble régulier d'éléments de la langue populaire, qu'elle englobe tout ce que la collectivité parlant cette langue (ou ce dialecte) trouve acceptable [... ] ou tout simplement, que c'est l'usage qui décide. Cela évidemment ne tient pas compte de l'évaluation des déviations par rapport à la norme, mais la langue populaire n'a pas besoin d'une telle évaluation pour le maintien de sa norme. En fait, c'est l'usage qui fixe la norme de la langue populaire, de l'ensemble de ses ressources linguistiques. Il en est de même pour la langue standard dans le sens où la nomme de cette langue inclut tout ce qui se trouve dans le bon usage standard [... ]. Il serait faux d'imaginer cette norme en dehors de la langue standard réelle d'une certaine époque. Cette dernière pourtant n'est pas suffisante pour la définition, dans sa totalité, de la norme de la langue standard d'une époque donnée; on ne peut pas dire que c'est l'usage seul qui décide de cette norme. L'origine et le développement de la norme d'une langue standard, ainsi que son caractère et sa composition, diffèrent de ceux d'une langue populaire. La norme d'une langue standard se forme, naît et se développe sous l'influence constante d'interventions théoriques provenant d'une théorie linguistique ou extra-linguistique. C'est un ensemble plus complexe de ressources linguistiques que celle d'une langue populaire, parce que les fonctions d'une langue standard sont mieux développées et plus rigoureu-sement différenciées. Enfin, la norme d'une langue standard est plus consciente et plus contraignante que celle d'une langue populaire, et la nécessité de la stabilité, plus prononcée. D en résulte que le théoricien de la langue, le linguiste, s'intéresse certes au développement de la langue populaire; mais cette 1. La formation de la norme de la langue standard

Les normes des langues standard sont formées par l'équilibre de différentes tendances, bien souvent contradictoires, car l'intervention théorique consciente provient, comme il est dit plus haut, non seulement de la théorie linguistique mais aussi de théories et de La langue standard, en tant que porteuse et médiatrice de la culture et de la civilisation, bénéficie d'une étendue maximale du domaine de

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son usage (étendue géographique et démographique): la structure même d'une langue standard s'adapte à cette tendance. Ce sont surtout les éléments les plus aptes à une telle expansion qui l'emporteront [ ... ] . Dans ce rôle, la langue standard a tendance à se différencier de la langue populaire, du langage courant, d'une part pour des raisons linguistiques internes (p. ex., le besoin d'expressions univoques [... ]), et d'autre part par une tendance à l'exclusivisme, dans le cas où la langue standard est un symbole de classe (p. ex. l'emploi de l'allemand par notre aristocratie, l'emploi du hongrois A l'opposé de ces tendances se situe l'exigence de compréhensibilité (accessibilité générale) qui limite l'expansion géographique et démographique d'une langue standard et freine sa différenciation par rapport aux langues populaires d'ensembles géographiques et démographiques particuliers.Nous voyons donc que la faiblesse numérique et l'exclusivité de classe des usagers d'une langue standard est en proportion directe de l'étendue de son territoire et de sa différenciation des langues populaires, surtout dans le cas où la langue standard n'est pas encore devenue un attribut de la conscience nationale. On peut rapprocher ce cas de ceux du latin médiéval ou du slavon, et plus tard du français, et dans D'autre part, la pénétration d'une connaissance

(au moins passive) dans des couches de plus en plus larges et le caractère national de la langue standard tendent à limiter son étendue géographique et à la rendre à peu près semblable aux langues populaires.La lutte entre ces deux tendances touche non

seulement la langue standard dans sa totalité, mais aussi ses composantes individuelles, par exemple les terminologies techniques - que ce soit l'ancienne terminologie grammaticale latine, ou les termes musicaux italiens, ou la plus récente terminologie sportive anglaise (dans ce contexte la différence est instructive entre le football [soccer] où la terminologie est bien bohémisée et le tennis et encore plus le golf avec une terminologie bien anglaise, correspondant au degré d'expansion des sports en question), pour ne pas Il y a ici une opposition: d'un côté on trouve la forme et le contenu internationaux et exclusifs et, pendant une certaine époque, même traditionnels, et de l'autre, les efforts de nationalisation, associés au purisme, ainsi que le rapprochement approximatif du En plus des questions posées à la langue standard et les tâches nouvelles qu' elle doit accomplir, la spécialisation et la différenciation fonctionnelle

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augmentent son expansion et son développement. Aussi se produit-il un remaniement de l'usage standard traditionnel.Ce dernier s'exprime par la création de nouvelles ressources linguistiques ou par une nouvelle application des ressources existantes. 1 s'agit surtout de l'intellectualisation du lexique et de la structure grammaticale, de nouvelles expressions automatisées ou désautomatisées, de nouveaux termes techniques, etc. Par contraste, l'exigence de compréhensibilité

(accessibilité générale) incite à la conservation de l'usage traditionnel, c'est-à-dire le recours aux ressources linguistiques généralement connues et compréhensibles.Ici aussi, on peut voir que dans le cas d'énoncés

destinés à un nombre limité d'auditeurs ou de lecteurs spécialisés, ou bien prononcés ou écrits sans égard pour les auditeurs ou lecteurs, il est - ou il était - plus facile de changer l'usage traditionnel que dans le cas d'énoncés destinés au grand public. Ces derniers encouragent l'emploi de ressources généralement con-nues et compréhensibles, pour autant qu'il s'agisse de compréhensibilité. La différence qui surgit est la même On trouve ici de nouveau deux tendances: d'un côté le remaniement de l'usage existant, qui est lié à l'exclusivité professionnelle, et de l'autre, l'effort pour conserver l'usage et la tradition existants qui est lié à la popularisation de la langue standard.C'est à la base de ces différentes tendances mutuellement contradictoires que la norme de la langue standard se forme et se modifie - tout en étant sujette à des interventions théoriques qui, à différentes époques, font valoir avec une force variable ces diverses tendances; voilà pourquoi la norme n'est jamais Ainsi, par exemple, le classicisme français au XVIIe siècle appuyait consciemment l'exclusivité de classe du français standard par la codification de l'usage de la Cour (Vaugelas et Ménage). Le soin d'élaborer les ressources spéciales du français standard était confié à l'Académie française [. . . ] . Finalement, l'influence de la Grammaire générale et raisonnée a intellectualisé la II peut s'agir aussi d'interventions provenant de théories et de tendances extra-linguistiques: ainsi, le désir de répandre les connaissances de la langue standard, c'est-à-dire de répandre l'instrument d'une certaine propagande, formait ou remaniait les langues standard à l'époque de la Réforme (au moment où, p. ex., le tchèque a subi de grands changements, où le slovaque standard de même que les deux langues standard des Sorabes et Wendes de Lusace se sont

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des langues standard ukrainienne, biélorusse, bulgare, etc.) ou encore au moment du changement des classes dominantes (ainsi, la révolution russe a eu un effet important sur la langue standard risse et les autres langues standard slaves de la Russie [ ... 1).

Dans d'autres cas, la défense de l'existence nationale, dont l'un des attributs est une langue standard commune, a fait surgir chez nous au XIXL siècle le purisme: désir de pureté de la langue standard. Parallèlement, chez les Croates le purisme avait une influence importante sur la langue standard, par contraste avec la permissivité linguistique de Belgrade où la peur de la dénationalisation n'existait pas [ ... ].

Cet aperçu des tendances principales du développement des langues standard, lié aux cas particuliers que nous avons cités, justifie notre thèse selon laquelle la norme d'une langue standard n'est pas formée simplement de l'usage. Elle se forme, c'est-à-dire qu'elle naît et se développe à la base de différentes tendances et est sujette à différentes interventions, par lesquelles elle diffère de la norme d'une langue populaire. La théorie linguistique, entre autres facteurs, est donc intervenue et peut intervenir encore dans le développement d'une langue standard.

Nous avons déjà signalé que la norme d'une langue standard diffère de celle d'une langue populaire par une plus grande différenciation fonc-tionnelle et stylistique, par un plus haut degré de prise de conscience dela norme, ainsi que par son caractère coercitif plus prononcé. Tout cela est lié à une exigence de stabilité plus grande.

L'exigence de stabilité est une marque immanente de la norme en général. N'importe quelle norme (par exemple, une norme de compor-tement) agit toujours comme si elle était permanente, immortelle. Dans lecas de la langue standard, l'insistance sur l'exigence de stabilité, liée à un plus haut degré de prise de conscience et à un caractère obligatoire plus prononcé, surgit de considérations fonctionnelles: elle provient du fait que le rôle de la langue standard est de réunir le plus grand nombre possible de locuteurs et de rendre possibles des énoncés aussi complets et précis que possible (surtout pour l'écrit), parce que c'est par ces moyens qu'on atteint la plus grande compréhensibilité et la meilleure définition de l'énoncé.C'est donc en conséquence de sa fonction que la langue standard profite de la plus grande stabilité possible, pourvu que cela ne contrarie pas ses autres rôles. Il faut pourtant souligner immédiatement qu'il ne s'agit ici ni de rigidité linguistique, ni de nivellement.

La question de la stabilité de la langue standard étant traitée dans l'article de Mathesius, je ne la commenterai pas en détail. Je me contenterai de mentionner que la stabilisation d'une langue standard peut être sujette à une intervention des linguistes [. . .]. Les directives pour les interventions théoriques normatives qui devraient promouvoir sa stabilité sont

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présentées dans les Thèses générales du Cercle linguistique de Prague (voir appendice 1).

Le travail de Mathesius sur la stabilité rejette aussi le type de tendances théoriques qui dérangent la stabilité de la langue standard ou pour des raisons de pureté historique, ou pour des raisons de régularité unilinéaire, ou encore simplement pour des raisons d'ignorance du véritable état de la langue. Il y a pourtant un autre danger: celui de l'appauvrissement de la langue standard par un nivellement créé dans le désir de la stabiliser, c'est-à-dire d'atteindre une uniformité totale (un plan unique) par l'élimination de toute oscillation et de tout dédoublement, de toute synonymie grammaticale et lexicale. Cela priverait la langue standard de certains des moyens de variabilité 2. La différenciation fonctionnelle de la langue standard

Même dans la langue populaire, le choix des ressources linguistiques dans les énoncés particuliers est gouverné par le but de l'énoncé: il est dirigé par sa fonction. Nous voyons des différences considérables de ressources linguistiques selon les différentes occasions, p. ex. un message pratique de tous les jours ou le récit occasionnel (et solennel) d'un événement donné, une conversation ou le récit continu de souvenirs, une conversation entre gens de la même génération ou avec des enfants ou avec des personnes plus âgées (voire les différences morphologiques de personne et de nombre dans la façon de s'adresser aux interlocuteurs, pour ne pas parler des différences lexicales liées aux différents métiers). Dans la langue standard, les ressources linguistiques sont aussi déterminées par le but auquel sert un énoncé particulier. La différence réside dans le fait que les fonctions de la langue standard sont mieux développées et différenciées de façon plus précise. Dans Je ne veux pas donner, ici, une énumération schématique des différentes fonctions de la langue standard, mais il est bien évident que les domaines dans lesquels elle sert â s'exprimer sont plus variés que ceux de la langue populaire. Parfois, ce sont des domaines dont il est impossible de parler en langue populaire. C'est ainsi que, par exemple, les ressources de cette dernière ne sont pas suffisantes pour la présentation sérieuse d'un problème épistémologique ou d'une question de mathématiques avancées. En revanche, dans les domaines où on emploie la langue populaire, on peut aussi utiliser la langue standard. Les emplois de la langue populaire peuvent être résumés sous le terme de

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lexicaux; enfin, la langue populaire peut parfois acquérir la fonction esthétique. Le domaine de l'expression professionnelle pratique est presque entièrement réservé à la langue standard, et celui de l'expression scientifique lui est réservé dans sa totalité. Enfin, c'est la langue standard qui normalement constitue la base régulière des manifestations du Dans la fonction communicative, domaine propre à la langue populaire, même le membre d'un groupe social qui normalement parle et écrit en langue standard peut se servir d'une langue populaire, c'est-à-dire, un interdialecte (un dialecte commun à une région plus grande dans laquelle existent des dialectes locaux) ou un dialecte local ou de classe, dans la mesure où le locuteur domine une telle variété linguistique. Dans cette fonction on emploie aussi la langue standard dans sa forme dite « conversationnelle », c'est-à-dire dans la forme employée justement en conversation (la variété fonctionnelle « conversationnelle »). Cette forme « conversationnelle » ne doit pas être confondue [ ... ] avec un interdialecte, bien qu'elle ait quelques traits en commun avec lui et puisse même avoir une coloration locale. . . La différence entre ces deux variétés est clairement montrée, entre autres, par les formules « conversationnelles » et sociales qui peuvent être perçues comme des marques de classe. La différence entre ces formules et celles des dialectes populaires, qu'ils soient locaux ou de classe, est considérable. n n'y a qu'à comparer, par exemple, les formules de salutation, d'adresse, etc. [ ... ]. On pourrait donc être tenté de ne considérer cette forme « conversationnelle » que comme un dialecte de classe; mais si on adopte Parallèlement, les modalités et les situations des énoncés sont plus variées dans le cas de la langue standard que dans celui de la langue populaire: la langue populaire est normalement limitée à des énoncés oraux à caractère plutôt privé; la langue standard, qui n'est pas exclue de ces énoncés, s'emploie normalement pour les différentes formes des La différenciation fonctionnelle et stylistique de la langue est achevée de la façon la plus marquante par son aspect lexical et syntaxique, mais en pareil cas, on emploie aussi, bien que dans une moindre mesure, les systèmes phonologique et morphologique, et surtout les variations qu'offre leur structure sans oublier les styles fonctionnels de la prononciation. [ ... ] Du côté morphologique et phonologique, on emploie bien souvent, à des fins de différenciation, des ressources empruntées par la langue standard à d'autres normes,

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Dans le cas de ces moyens, surtout syntaxiques et lexicaux, de diffé-renciation fonctionnelle et stylistique, il ne s'agit pas seulement d'un voca-bulaire différent ou d'un répertoire de formes grammaticales différentes, mais aussi de différentes façons d'exploiter des ressources linguistiques ou de les adapter aux divers besoins de la langue standard.

Les types principaux de cette utilisation spéciale des ressources linguistiques dans la langue standard et dans ses différentes fonctions appartiennent d'une part à l'intellectualisation des ressources linguistiques et, d'autre part, aux fonctions différentes d'automatisation et de désautomatisation de ces ressources.

a) Intellectualisation

L'intellectualisation de la langue standard, qui pourrait aussi être appelée sa rationalisation, est l'adaptation de la langue dans le but de produire des énoncés définis et précis, du degré d'abstraction nécessaire, et capables d'exprimer la « connectivité » et la complexité de la pensée, donc, de renforcer le côté intellectuel de la parole. Cette intellectualisation culmine dans le langage scientifique (théorique) qui est dirigé par la néces-sité d'utiliser l'expression la plus précise et le désir de trouver les moyens linguistiques pour exprimer la précision de la pensée objective (scientifique) selon laquelle les mots deviennent des termes techniques et les phrases, presque des propositions logiques. [ ... ]

Dans la langue standard, l'intellectualisation touche surtout la structure lexicale et partiellement aussi la structure grammaticale. [... ]

Du côté lexical, l'intellectualisation se manifeste non seulement par l'augmentation du vocabulaire à travers de nouveaux termes techniques, dont le contenu sémantique abstrait est étranger à l'homme de la rue et pour lesquels la langue populaire manque d'expressions, tels que poznatek (connaissance [dans le sens scientifique] ), pojem (concept), [... ] predstava (idée [au sens de l'allemand Vorstellung] ), jsoucno (être, au sens de « na-ture intime »), podmét (sujet), prisudek (prédicat), etc. Elle se manifeste aussi par des changements dans la structure du vocabulaire, car même si nous parlons des choses de la vie réelle dans le langage de la science, du droit, de l'administration ou des affaires, nous le faisons d'une manière différente de celle de la conversation ordinaire.

(a) Nous avons besoin d'expressions univoques. Ainsi, par exemple, la biologie introduit, en plus du motzvire (animal au sens ordinaire), le terme iiuocich (animal au sens taxinomique, par opposition à plante). L'ingénieur électricien a besoin, en plus du mot lampa (lampe), d'un mot comme svitidlo (dispositif d'éclairage), etc.

(b) Nous avons besoin de différenciations spécialisées, p. ex, pncina - dùvod - podnét (cause - raison - motivation); dans le langage juri-

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dique prestupek - prebn - zlocin (contravention - délit - crime), valstnik - drzitel - majitel (dominus - possessor - detentor), etc.(c) Nous avons besoin de collectifs: plodina (produit agricole), rostlina (plante), vozidlo (véhicule), vyrobek (produit industriel).L'intellectualisation correspond aussi au besoin d'exprimer les complexités de la pensée et des relations mentales, surtout du jugement et de l'évaluation. Cela se fait par la création de mots ou par leur adaptation pour exprimer certaines relations, comme celles de l'existence, de la possibilité, de la nécessité, de la causalité, du parallélisme, etc., tels que les substantifs 6ce1 (but), zdmér (intention), vysledek (résultat), dûsledek (conséquence), nâsledek (suite), ainsi que beaucoup de verbes, d'adjectifs, d'adverbes et de prépositions, p. ex. dociliti (atteindre) à côté de dosàhnouti (achever), odpovfdati (correspondre), sestâvati (consister), bezû~elnlr (sans but), bezvpslednsr (sans résultat), bezpodstatny (non essentiel), nâsledkem (en conséquence de), za ûcelem (afin de), etc. Par conséquent, dans la langue standard on peut observer l'expansion, la création et la spécialisation de toute une série de façons de former les mots. Ainsi, pour exprimer des abstractions surgies d'actions concrètes transférées à la catégorie de substance ou de qualité, il y a des substantifs déverbatifs [ ... ], des expressions On peut voir comment l'intellectualisation atteint la structure grammaticale de la langue. Elle se manifeste surtout dans la structure de la phrase par la préférence qu'a la langue standard pour les propositions bipartites normalisées consistant en un sujet et un prédicat montrant une claire distinction formelle. C'est ainsi que la linguistique, dans la mesure où sa syntaxe est basée sur la langue standard, a globalement considéré ce type de phrase comme le type normal. Le désir d'achever un parallélisme entre la structure grammaticale et la structure logique a contribué, par exemple, à l'expansion du passif dans la langue standard. Finalement, nous voyons dans la langue standard, au lieu de la libre concaténation de phrases de la langue populaire, une configuration compacte de propositions et de phrases avec une hiérarchie bien élaborée (principales et subordonnées) exprimant différentes relations de causalité, finalité, parallélisme, etc.; cette tendance se manifeste aussi dans la spécialisation des conjonctions: II faut ajouter ici encore deux remarques importantes pour l'emploi pratique de la langue.

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1. La précision de l'expression dans les énoncés en langue standard est graduelle: j'ai déjà fait remarquer qu'elle culmine dans la langue scientifique où les mots doivent exprimer des concepts exacts. Si nous appelons cette univocité requise dans la langue scientifique « exactitude » et si donc nous distinguons l' « exactitude » de la notion plus ample de la « précision », nous pouvons exprimer cette échelle par le schéma suivant: compréhensibilité -précision - exactitude, allant de la notion plus large à la plus étroite. La compréhensibilité pure et simple est en jeu dans le langage du contact quotidien (conversationnel), où la précision est donnée non seulement par la convention mais aussi par la situation et la connaissance des circonstances et des interlocuteurs. Son objectivité est donc considérablement limitée, même quand il s'agit d'un contenu très concret; voir par exemple le grand nombre de pronoms employés dans une conversation ou le fait bien connu de notre expérience quotidienne qu'une conversation entendue par hasard nous paraît mystérieuse, même si les moyens linguistiques employés sont des plus courants. Dans la langue du travail (administratif, commercial, journalistique, etc.), il s'agit normalement de la précision de l'expression. Cette dernière est donnée par une convention ou une simple décision commune; l'objectivité de l'énoncé, c'est-à-dire son indépendance par rapport à la situation et à des personnes particulières, est beaucoup plus grande que dans le cas du langage « conversationnel ». Il n'est que de comparer une lettre personnelle à une lettre de commande commerciale. Enfin, dans la langue de la science il s'agit plutôt d'exactitude; cette dernière

D faut noter qu'une expression univoque, exacte, ou même celle qui n'est que conventionnellement précise, n'est pas nécessairement compréhensible pour tout le monde. Ce peut être un terme ou même une idée qui est étrangère à beaucoup de gens. Ainsi, on ne peut pas se servir de la compréhensibilité générale pour mesurer l'exactitude d'expression d'un traité mathématique sur les nombres imaginaires ou la différence juridique entre 2. Il ne faut pas oublier, ni dans l'emploi pratique de la langue, ni dans la critique de l'usage linguistique, que ce ne sont pas seulement les substantifs qui contribuent à l'intellectualisation nécessaire de la langue standard (graduée selon ses fonctions), mais aussi les autres classes de mots qui servent à exprimer différentes relations. [... ] A l'index des prohibitions linguistiques [ ... ] nous trouvons un plus grand nombre

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de vue, le tchèque standard devrait se développer en acceptant de nouveaux substantifs (surtout des termes pour les choses concrètes) et en rejetant les verbes et les autres mots exprimant les relations. En fait, nous pouvons voir que le tchèque standard châtié des puristes n'aurait presque pas de moyens pour exprimer les différents degrés d'incertitude, un parallélisme sans relation de congruence, l'éventualité, etc.

b) Automatisation et désautomatisationUne autre façon d'utiliser les ressources

linguistiques pour les différentes fonctions de la langue standard est ce que j'ai appelé l'automatisation et la désautomatisation de ses ressources.Que veulent dire l'automatisation et la désautomatisation des ressources linguistiques? Je commence avec un exemple de deux langues différentes et où la différence sera plus marquée. Prenons, par exemple, la salutation russe bien connue de « zdraustuouite ». Si nous la traduisons littéralement par « soyez en bonne santé », quiconque en connaît le sens sera d'accord pour dire que ce n'est pas une bonne traduction, puisqu'il correspond à cette salutation russe toute une série de salutations tchèques. La forme courante d'une salutation russe a

L'automatisation indique donc un emploi des ressources linguistiques (isolées ou combinées), habituel pour une certaine tâche expressive. C'est un emploi qui n'attire pas l'attention, une expression qui, du point de vue de la forme linguistique, est produite et acceptée comme conventionnelle et qui prétend être « compréhensible » comme faisant partie du système linguistique, sans qu'il soit besoin de recourir aux [... ] Nous ne pouvons parler d'automatisation que dans des cas où l'intention du locuteur ne peut pas manquer son effet, sauf s'il s'agit d'un changement du milieu auquel l'énoncé était destiné, ou d'un changement d'époque.La désautomatisation, par contraste, indique un emploi des ressources linguistiques d'une façon qui retient l'attention et est perçue comme peu habituelle, privée d'automatisation [... ], comme par exemple une métaphore poétique vivante (par contraste à une métaphore déjà lexicalisée qui est devenue Dans la conversation nous avons de bons exemples d'automatisation et de désautomatisation: tous les moyens « conversationnels » conventionnels sont, bien sûr, des automatisations; par contraste, pour ranimer la conversation et pour surprendre (épater) on se sert de désautomatisations, c'est-à-dire de ressources

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ou dont la signification est peu habituelle, et dans des combinaisons peu courantes (pour ne pas parler du contenu). Selon la mode, ce peuvent être des ressources du langage poétique ou de l'argot, ou bien d'autres couches linguistiques, y compris la langue de Dans un traité scientifique, l'auteur se sert, d'un côté, de mots et de combinaisons de mots qui ont, pour le spécialiste, une signification exacte, basée sur une définition scientifique, une codification ou une convention (une signification qui ne pose donc pas de problèmes et qui par conséquent est tout automatisée); d'un autre côté, l'auteur scientifique se sert aussi d'expressions nouvelles qui, bien qu'elles soient inusitées, reçoivent une signification bien délimitée ou pour l'auteur lui-même ou pour le groupe qu'il représente. De cette façon, même les expressions nouvelles deviennent automatisées au moins dans les limites d'une certaine oeuvre ou parmi les membres d'une certaine école. Si de telles expressions ou façons de parler sont transposées dans un énoncé destiné à des non-spécialistes, elles perdent l'automatisation acquise de la façon susdite (qu'on pourrait appeler « de spécialisation ») [... ]. Elles deviennent alors ou bien incompréhensibles (dans le cas des moyens d'expression totalement étrangers aux non-spécialistes) ou bien elles sont automatisées différemment ou même Beaucoup de jeux de mots sont basés sur une telle transposition d'automatisations d'un domaine à un autre où ces expressions sont peu usitées et deviennent donc désautomatisées [... ].[... ] C'est dans le langage poétique que nous rencontrons la désautomatisation maximale et produite pour ses propres buts. Même dans le langage des essais nous trouvons une certaine désautomatisation. Ce langage s'apparente au langage spécialisé [... ]. II choisit et combine les ressources à la fois du langage spécialisé et du langage « conversationnel » de façon à les désautomatiser. Le langage des essais est donc dirigé vers l'expression désautomatisée du message en question (de son contenu) - expression désautomatisée d'une façon ordonnée un peu comme ce qui se passe dans le langage poétique - tandis que la langue u est évident par cette confrontation concise et assez simplifiée des différentes variétés fonctionnelles de la langue que chacune d'elles a ses ressources particulières et sa façon propre de les utiliser. En conclusion, nous affirmons donc qu'il est impossible et incorrect d'élever l'une ou l'autre de ces variétés au rang de critère d'évaluation auquel les autres devront se

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[ ... ] Un énoncé donné ne peut être évalué qu'à la base du degré auquel il est adéquat à son but, du degré auquel il remplit sa tâche [... ]. [ ... ] Ajoutons encore une [ ... ] remarque: on ne peut pas évaluer des termes isolés séparés de leur emploi fonctionnel et des combinaisons automatisées dont ils peuvent faire part - ou prendre la signification automatisée dans un contexte et une fonction donnés pour l'unique signification [...].

En conclusion à cette partie portant sur la différenciation fonctionnelle de la langue standard, j'ajoute un schéma de cette différenciation. Ce n'est pas une classification de toutes les fonctions de la langue, mais seulement une énumération systématique des différences déjà considérées et qui sont les plus importantes du point de vue d'une langue standard [... ]:

Fonctions de lalangue standard Variétés fonctionnelles

1. communicative « conversationnelle »2. spécialisée pratique de signalisation langue du travail3. spécialisée théorique langue de la science4. esthétique langue poétique

ad

ad

ad

ad

(1)

-plan sémantique unifié

- relation libre des unités lexicales à la matière exprimée - énoncés incomplets

- compréhensibilité donnée par la situation et par des automatisations « (2)

- plan sémantique unifié

-la relation des unités lexicales à la matière exprimée est précise par convention (motstermes)

- énoncés relativement complets(3)

-plan sémantique unifié

-la relation des unités lexicales à la matière exprimée est exacte (mots-(4)

-plan sémantique complexe (multiple)

-la relation des unités lexicales à la matière exprimée, l'intégralité et la clarté de (énoncé sont déterminées par la structure de foeuvre poétique et données par ses Styles fonctionnels de la langue standard

A. Selon le but particulier de (énoncé: 1. communication pratique, message 2. appel (demande), persuasion3. renseignement général (populaire)

4. renseignement spécialisé (exposition, preuve) 5. formulation codifiante

400 La NORME LINGULSTIQUE

B. Selon le caractère de l'énoncé intime - publicoral - écritoral: 1. intime: (monologue)-

dialogue 2. public: discours- débat

écrit 1. intime

2. public: (a) avis, affiche

(b) texte journalistiqueRemarques concernant le schéma1. J'ai inclus le langage poétique avec sa fonction

esthétique comme quatrième type de variété fonctionnelle pour la seule raison qu'il s'agit d'une simple énumération. il y a une différence essentielle entre, d'un côté, les trois premiers types de variétés fonctionnelles qui servent toujours à signaler quelque chose (qui ont une fonction de signalisation) et, de l'autre côté, le langage poétique qui n'est pas dirigé vers la signalisation. - Pour la même raison, j'ai simplement inclus parmi les styles fonctionnels les types d'appel et de persuasion bien qu'il y ait, ici aussi, une différence essentielle entre ce type et tous les autres. - Fina-2. La différence entre une variété fonctionnelle et un style fonctionnel réside dans le fait qu'un style fonctionnel est déterminé par le but particulier de chaque énoncé donné; il s'agit de la fonction de l'énoncé (ou de la « parole »). La variété fonctionnelle est déterminée, pour sa part, par le propos général d'un ensemble normalisé de ressources linguistiques, c'est-à-dire que c'est une fonction de la « Dans un énoncé donné, nous nous trouvons donc en face d'une variété fonctionnelle donnée dans un style fonctionnel donné.3. L'intégralité de l'énoncé est jugée à partir de l'intégralité ou de la présence de lacunes dans l'aspect linguistique d'un énoncé, par rapport à ce qu'on veut exprimer par cet énoncé (donc, en fonction de la relation entre le plan grammatico-sémantique et le plan thématique). -Dans le langage conversationnel, on trouve des lacunes quant au développement graduel du thème. Ces lacunes sont compensées par des informations tirées de la situation extra-linguistique et fournies par des moyens extra-linguistiques. Dans la langue scientifique et la langue du travail, la cohésion linguistique de l'énoncé (du plan grammatico-sémantique) est assurée par des moyens linguistiques seule-ment; la langue scientifique, surtout dans le cas de formulation codifiante, cherche à maximiser le parallélisme dans une langue donnée entre expression linguistique et développement graduel du thème; dans la langue du travail, ce parallélisme est plutôt sujet à des perturbations conscientes - ainsi, la progression de l'expression linguistique par rapport à la progression du thème est interrompue par la répétition « en d'autres mots » d'un passage, ou par la présence de lacunes qu'on y a laissées Selon une conception plus naïve, il n'existerait pas de plan thématique mais un lien direct entre l'énoncé et la réalité (les faits) qui doit être exprimée. C'est une simplification inadmissible: on ne doit pas assimiler le plan thématique à la réalité extra-linguistique; il peut y avoir différentes relations possibles entre les deux.

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J'ai déjà indiqué au début du présent article que les théoriciens du langage, les linguistes, peuvent contribuer au développement et à la stabi-lisation de la norme. Quelle est la tâche du linguiste par rapport au développement de la différenciation fonctionnelle de la langue standard et de l'étude de la différence entre la langue standard et la langue populaire? L' intervention du linguiste peut-elle avoir un effet bénéfique? Peut-elle être au service des composantes par lesquelles la langue standard se différencie de la langue populaire, et de celles qui servent à différencier ses diverses fonctions et à remplir ses besoins fonctionnels et stylistiques? Certainement.Le travail linguistique peut surtout servir directement les composantes par lesquelles la langue standard se distingue de la langue populaire. Cela peut se réaliser avant tout par des contributions à la création de termino-logies spécialisées. De plus, il a la possibilité de contribuer à l'exploitation fonctionnelle et stylistique des ressources linguistiques par le travail analy-tique du linguiste qui attire l'attention sur les possibilités qui se présentent à cet égard. Finalement, la contribution du linguiste peut consister en une critique de textes et d'énoncés particuliers du point de vue fonctionnel. - Le fondement essentiel de n'importe quelle intervention du théoricien est la connaissance la meilleure possible de la langue standard en question, et, dans notre cas du tchèque standard, du point de vue de toutes ses fonctions.

Dans la création des terminologies des différents domaines, on a sou-vent recours aux linguistes. Il faut admettre que dès le XIXe siècle, et plus récemment depuis la création de la République tchécoslovaque, les linguistes ont accompli un travail très respectable.

Il vaut la peine de rappeler que la seule tâche du théoricien dans ce travail n'est pas de veiller à ce que le nouveau terme ou le nouvel usage d'un terme corresponde à la structure lexicale du tchèque. 1 doit aussi assurer l'efficacité non seulement des expressions individuelles mais aussi de la manière choisie pour la création de nouveaux termes et le dévelop-pement de leur rendement fonctionnel.

C'est pour cette raison que souvent un rapport étroit avec les mots du langage « conversationnel » est au désavantage de la terminologie techni-que parce qu'il augmente la polysémie contre laquelle le langage technique lutte par l'introduction de mots-termes. De plus, un tel rapport produit une coloration émotionnelle indésirable pour ces termes [... ].

En ce qui concerne la création de termes techniques, il est donc difficile (et, de plus, inefficace) de la baser sur des mots du langage « conversationnel » et sur leurs dérivés les plus proches; il est préférable de les fonder sur des mots et des types de formation plus éloignés du langage « con-

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versationnel » ou encore sur des ressources qui lui sont complètement étrangères, exception faite, naturellement, des noms d'objets concrets de l'industrie ou de l'artisanat Ce faisant, il faut encore envisager deux con-sidérations supplémentaires: 1. la possibilité de former des dérivés à la base du nouveau terme, 2. l'adaptation d'un mot à une certaine signification n'implique pas nécessairement une relation sémantique entre cette nouvelle signification et la chose ou l'idée (le concept) désignées par le mot en question [ ... ].

2La linguistique peut aussi contribuer au rendement fonctionnel des

ressources linguistiques et à l'élargissement des possibilités stylistiques de la langue standard.

Elle peut le faire par la détermination systématique et détaillée des ressources linguistiques spéciales et de leurs méthodes d'utilisation propres à des variétés et à des styles desservant différentes fonctions, ou attribuables à différents individus, différentes écoles, différentes tendances, etc. Un tel travail donnerait naissance à des dictionnaires et manuels de stylistique spéciaux pour des variétés linguistiques desservant différentes fonctions. En plus de leur intérêt théorique, de tels travaux auraient aussi une importance pratique. De plus, la linguistique pourrait utiliser ces analyses de façon simple et profitable pour souligner les possibilités de différenciation fonctionnelle et d'exploitation des ressources de la langue, et surtout pour en étudier les tendances évolutives...

II est nécessaire de tenir compte des besoins spéciaux des différentes variétés fonctionnelles et de suivre les tendances dans l'usage qui essaie de satisfaire ces besoins. Ainsi, la terminologie scientifique profite de ses contacts internationaux - elle manifeste une tendance vers l'internationalisation dans les disciplines surtout technologiques dans de nombreux pays [... ].

Ces contacts ne sont pas limités aux termes internationaux communs à tout le monde comme atome, moteur (le caractère international de certains mots gréco-latins n'est qu'apparent), mais ils résident aussi dans la coordination sémantique de certains termes techniques comme par exemple le terme zub (dent) qui, dans le cas d'une roue dentée, est employé sous sa forme domestique dans toute une série de langues: en allemand Zahn, en français dent [. . .], en polonais zab, en russe zub, etc.Cette coordination n'est pas perturbée par l'existence d'une traduction domestique d'un terme international dans certaines langues. Ainsi, par exemple, en électricité, le tchèque emploie l'équivalent domestique kladnp -zapomsr pour les internationalismes positivni - négativni, parallèles à l'usage allemand, français ou anglais [ ... ].

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On pourrait aussi inclure ici les remarques sur l'utilité, déjà mentionnée, des clichés et des formules dans le langage commercial et administratif; ceci donne lieu à la nécessité de l'étude de leur terminologie du point de vue de leurs buts et besoins et non pas du point de vue des conventions du langage « conversationnel ».

Enfin, 91 serait instructif et en même temps profitable d'examiner les ressources fonctionnelles du style journalistique. D'une part, nous devons tenir compte de ses besoins et conditions spéciales, telles que le besoin de schémas tout prêts (y inclus des schémas syntaxiques), la nécessité d'être facilement saisi d'un seul coup d'oeil, le lien des ressources linguistiques avec les moyens typographiques, etc. D'autre part, nous pouvons observer la façon dont ces besoins et conditions sont satisfaits dans une langue donnée. Le problème pressant du style journalistique, dans lequel il y a croisement des différentes fonctions ainsi que des différentes formes de l'énoncé, a été traité par les linguistes de différents pays [... ]. Chez nous, ce style n'a mérité que des remarques grognonnes sur le mauvais exemple qu'il offre [... ].

Le résultat pratique d'une telle étude des ressources linguistiques vues du côté de leur exploitation fonctionnelle est l'option du théoricien de souligner les tendances évolutives dirigées vers la différenciation variée de ces ressources et vers les différentes manières de les employer, ainsi que de faire ses recommandations; le linguiste doit éviter d'insister sur leur emploi général et de forcer leur usage dans des énoncés à fonction différente [ ... ] .

3Nous voici donc arrivés à la dernière façon dont le linguiste peut

contribuer au développement et à l'enrichissement fonctionnels de la langue standard. la critique de textes particuliers du point de vue fonctionnel. Nous ne pensons pas ici à leur analyse critique par une comparaison avec une norme établie de façon théorique; l'envergure et les possibilités d'une telle critique sont le sujet de l'article 11 des Thèses générales du Cercle linguistique de Prague (cf. appendice 1). Nous pensons plutôt à une analyse critique des ressources linguistiques et de leur utilisation du point de vue du degré auquel elles remplissent leur tâche. On ne peut les évaluer que de ce point de vue, et, ce faisant, il faut aussi tenir compte de l'intention de l'auteur et de son droit de faire son propre choix d'expressions.Il faut surtout éviter, par une telle critique, d'introduire parmi les différents buts d'énoncés individuels et les différentes fonctions de la langue standard, une hiérarchie évaluative qui préférerait d'une façon générale une fonction donnée, et avec celle-ci une variété ou un style fonctionnels [ ... ] La critique fonctionnelle ne peut pas employer des critères préalablement établis de beauté, de clarté ou d'exactitude, etc. Même l'inexactitude peut être intentionnelle; il y a des occasions où un style frappant est davan-

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tage adapté à une situation, et d'autres occasions où un style atténué est préférable [ ... ]. De plus, le critique doit respecter l'intention propre de l'auteur et son droit à un choix personnel d'expressions: il ne doit pas, en revanche, se laisser séduire par ses propres critères de choix ni attribuer ses propres intentions à l'auteur. Je ne nie pas, ici, le droit du savant à son individualité stylistique, mais il doit tenir compte de la différence entre son rôle d'auteur et son rôle de critique. Ce n'est qu'à titre d'auteur qu'il a le droit de faire prévaloir les u ne doit pas oublier, non plus, que son évaluation de textes particuliers est sous sa responsabilité personnelle, et qu'il peut lui-même être corrigé. Plus il évitera une attitude dogmatique et un geste de législateur, plus il sera efficace. Cela s'applique encore

Finalement, il ne faut pas oublier que le but d'un énoncé peut ne pas être sympathique, et peut donc être critiqué sans qu'il s'agisse pour autant d'une critique d'ordre linguistique (. . .].Une connaissance aussi profonde que possible de la langue standard contemporaine de la part du théoricien du langage est une nécessité absolue pour le bien-fondé de la différenciation fonctionnelle de la langue standard. Qu'une telle connaissance n'ait pas encore été acquise ou qu'elle n'existe même pas encore ne donne pas au critique linguistique le droit de décider de la correction de certaines expressions ou de les rejeter. Il faut en même temps aussi distinguer clairement entre une connaissance pratique de la part de l'usager de la langue standard et la connaissance théorique. II y a, de plus, des différences dans l'acquisition de ces deux types de connaissances. Le non-spécialiste acquiert d'abord ses connaissances à l'école, puis ensuite surtout au moyen de la lecture et dans l'exercice pratique de sa vie et de son écriture. Il appuie ses nouvelles connaissances sur son intuition linguistique. Pourtant, cette dernière ne constitue pas une base suffisante à des connaissances scientifiques. D'autre part, il est exagéré d'exiger que pour acquérir des connaissances scientifiques il faille déterminer l'usage de tous les écrivains, la fréquence d'emploi des éléments et des relations particulières du langage chez eux, etc. - Le

Dans le cas de sa propre langue, le chercheur s'appuie sur son intuition linguistique, mais après l'avoir objectivée par un contrôle conscient et une compréhension théorique du langage [... ].La connaissance théorique de la norme de la nouvelle langue standard contribue aussi à sa stabilisation: d'une part par le fait qu'une telle connais-

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sance implique la codification de la norme, et d'autre part par le fait que le théoricien par ses connaissances de la norme aide les autres à la connaître aussi. L'étude de la norme de la langue standard contribue donc autant à sa stabilisation qu'à sa différenciation Dans cet article j'ai essayé d'établir la différence entre la norme de la langue populaire et la norme de la langue standard et de montrer avec quels égards et par quels moyens le linguiste peut intervenir dans le développement de la langue standard. La norme de la langue standard diffère de celle de la langue populaire tant par sa formation (son origine et son développement) que par sa composition. Elle offre une différenciation plus riche, non seulement grâce M 'ensemble de ses ressources linguistiques, mais aussi par l'emploi plus varié de celles-ci. La science de la langue, la linguistique, intervient tant dans la formation que dans la stabilisation de cette norme. Elle peut et doit aussi augmenter la différenciation fonctionnelle et la richesse stylistique de la langue standard. Pour ce faire, elle doit non seulement connaître en détail la norme existante de la langue standard, mais savoir Pareille intervention active en faveur du développement de la langue standard, le soin conscient de la qualité de la langue, est ce que nous appelons la culture de la langue standard. Nous ne devons pas oublier, ici, un autre facteur important dans la culture de la langue standard: ceux qui s'en servent Nous ne pouvons pas ignorer le fait que leur bonne connaissance de la langue standard et l'emploi conscient des ressources fonctionnelles de la langue est, elle aussi, une manifestation de la culture de la langue. Le théo-ricien ne peut guère aider à la culture de la langue et à la poursuite de son but - une langue cultivée; la

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Notices biographiques

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NOTICES BIOGRAPHIQUES 407

STANLEY ALÉONG a reçu une formation en anthropologie, en sociologie et en informatique à l'Université de Montréal, à l'Université de Paris IV et à l'Université Concordia. Ses travaux de recherche portent sur l'origine et la diffusion des innovations lexicales, sur l'aménagement linguistique, sur le développement des langues nationales et sur les attitudes linguistiques. Il est présentement PHILIPPE BARBAUD, ancien professeur à l'École normale Ville-Marie, de Montréal, enseigne à l'Université du Québec à Montréal depuis la fondation de cet établissement dont il dirigea le département de linguistique de 1978 à 1980. Il occupa l'année suivante le poste de directeur d'études associé à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Il a signé plusieurs articles portant sur la syntaxe du français ainsi que, ÉDITH BÉDARD, née en 1948, est diplômée de l'Université Laval et de l'École nationale d'administration publique. Elle a été professeur de linguistique au cégep de Trois-Rivières de 1972 à 1976 et travaille depuis 1978 au Conseil de la langue française. Elle a publié, en collaboration avec Daniel Monnier, La conscience linguistique des

GILLES BISEAU, enseignant au secondaire de 1956 à 1963, puis professeur au Département de linguistique de l'Université de Montréal de 1964 à 1973, est actuellement professeur titulaire à la Faculté des sciences de l'éducation de la même université. Docteur de 3e cycle en linguistique de l'Université d'Aix-Marseille, il s'intéresse à la phono-logie, au français québécois, à la didactique des langues, au bilinguisme et à l'éducation bilingue. Après Nos enfants parleront-ils français? (éd. Actualité, 1966), il a publié en collaboration divers documents pédagogiques sur le latin et sur l'anglais et le français langues secondes. Auteur d'un Programme-cadre d'enseignement du français aux immigrants (ministère de l'Immigration du Québec, 1973) et d'une Introduction à la phonologie générative du français (Didier, 1975) et président de l'Association canadienne de linguistique appliquée (ACLA), de 1972 à 1975, il a été chargé par le gouvernement fédéral d'une importante étude sur la formation linguistique dans la fonction publique canadienne, étude dont le rapport (en douze volumes) a été publié en 1976 (Conseil du trésor et Commission de la fonction publique du Canada). Ses

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408 LA NORME LINGUISTIQUE

de la section « langue et société » de la revue Québec français et de

publier l'Éducation bilingue en Amérique du Nord lettres, après avoir été assistant puis maître-assistant à la Sorbonne, est actuellement professeur à l'Université Lyon Il, où 9 enseigne la philologie et la linguistique grecques. It a soutenu en 1977 sa thèse de doctorat d'État sur Le vocabulaire de la colonisation en grec ancien (à paraître). II a édité le livre XII de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile (les Belles-Lettres, coll. Budé) et a publié un commentaire des JACQUES CELLARD, ancien enseignant, a étudié à la

Sorbonne. Il est, depuis 1971, chroniqueur de langue au journal « Le Monde », où il assure aussi une chronique bimensuelle, « La vie du langage », en même temps que des critiques et des reportages.Il a publié aux éditions Duculot (Belgique): Le

subjonctif; Radicaux grecs du vocabulaire français; Radicaux latins du vocabulaire français; Cinq cents mots nouveaux (avec M. Sommant); et aux éditions Masson, en collaboration avec Alain Rey: Dictionnaire du français non conventionnel.FRANÇOIS CHARPEN, agrégé de grammaire, docteur

ès lettres, après avoir été assistant à la Sorbonne puis professeur à l'Université de Limoges, est devenu en 1981 maître de conférences à l'Université de Paris VI. Spécialiste de grammaire de la phrase dans l'antiquité latine, il a soutenu en 1975 sa thèse de doctorat d'État sur L'idée de phrase grammaticale et son expression en latin, publiée en 1977. ll a aussi édité les fragments de JEAN-CLAUDE CORBEIL est diplômé des universités de Montréal et de Strasbourg. Successivement professeur de français au secondaire, professeur de didactique du français à l'école normale Ville-Marie et professeur de linguistique à l'Université de Montréal, il a participé à la fondation de l'Association canadienne de linguistique appliquée et de l'Association québécoise des professeurs de français. De 1971 à 1977, il est directeur linguistique de l' Office de la langue française et se trouve mêlé aux travaux relatifs à la francisation du Québec, à la préparation de la Loi sur la langue officielle et à la rédaction de la Charte de la langue française. ll a rédigé, en qualité d'expert auprès de l'Agence de coopération culturelle et technique, un rapport sur les problèmes linguistiques qu'affronte

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NOTICES BIOGRAPHIQUES 409

JEAN DARBELNET, né à Paris en 1904, a fait ses études supérieures à la Sorbonne. Il a été reçu agrégé de l'Université de France au concours de 1929. Entré dans l'enseignement en 1924, ïl a été successivement, jusqu'en 1930, lecteur de français aux universités du Pays de Galles, d'Édimbourg et de Manchester, et de 1932 à 1937 professeur d'anglais aux lycées de Brest et du Havre et au lycée Condorcet à Paris. Venu sur ce continent en 1937, il a enseigné la langue et la littérature française à Harvard, à McGill (où il a dirigé le Département d'études françaises de 1940 à 1946) et à Bowdoin College (U.S.A.) de 1946 à 1962. De 1962 à 1975, il a occupé la chaire de linguistique différentielle (domaine français-anglais) à l'Université Laval, dont il est professeur émérite depuis 1975. D a organisé l'enseignement de la traduction dans les programmes de l'Extension à McGill (1943), à Laval (1963) et dans celui du Baccalauréat spécialisé en traduction à Laval en 1969. Il a été professeur invité aux universités de la Colombie britannique, de l'Alberta, de Montréal, de Toronto, de Trois-Rivières et d'Ottawa.Il est l'auteur de la Stylistique comparée du français et de ('anglais

(avec J.-P. Vinay, Paris, Didier, 1958), de Regards sur le français actuel (Montréal, Beauchemin, 1963), de Words in Context (avec G. Vitale, Paris, Bordas, 1972), de Pensée et structure (New York, Scribner's, 1969), du Français en contact avec l'anglais en Amérique du Nord (Québec, PUL, 1976), d'articles dans Notre Temps (Montréal), Culture (Québec), Meta (Montréal), Babel (Budapest), Équivalences (Bruxelles), et Traduire (Paris).

En 1967, le gouvernement français l'a nommé chevalier de l'ordre du Mérite. D est aussi membre du Conseil international de la langue française et de la Société royale du Canada.

JEAN-YVES DUGAS, né en 1943, est diplômé de l'Université Laval. Il a été professeur de français et de latin au secondaire et a travaillé, de 1970 à 1976, au Dictionnaire étymologique de l'ancien français. Après trois ans à l'Office de la langue française, il est, depuis 1979, responsable du service de la recherche de la Commission de toponymie du Québec. Parallèlement, 1 a été, pendant trois ans, chargé du cours de terminologie à l'Université du Québec à Trois-Rivières.

JOSHUA A. FISHMAN, diplômé des universités de Pensylvanie, de Cali-fornie et de Columbia, est donnu internationalement pour ses nom-breuses recherches et publications, en particulier sur l'enseignement bilingue. Il est, depuis 1966, Distinguished University Research Professor of Social Sciences à l'Université Yeshiva de New York.Il est l'auteur, entre autres, de Readings in the Sociology of Lan-

guage (1968) (Ed.), Language Problems of Developing Nations (1968) (avec Charles A. Ferguson), Sociolinguistics, ABrief Introduction (1970), Advances in the Sociology of Language 1 et II (1971-1972), Advances in Language Planning (1973), The Sociology of Bilingual Education

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410 LA NORME LINGUISTIQUE

(1973), Bilingual Education: An International Sociological Perspective (1976), The Spread of English: The International Sociology of English as an Additional Language (1977) (avec RL. Cooper et A.W. Conrad), Advances in the Study of SocieW Multilingualism (1978).GILLES GAGNÉ, né à Montréal en 1940 et titulaire d' un doctorat de 3e

cycle en linguistique (Strasbourg), fut professeur de linguistique appliquée (langues secondes) au Département de linguistique de l'Université de Montréal de 1966 à 1972. D est actuellement professeur titulaire à la Faculté des sciences de (éducation de la même université où il travaille au perfectionnement des maîtres de français et poursuit des recherches en pédagogie de la langue maternelle. Responsable fondateur du programme de perfectionnement des maîtres de français du primaire (P. P.M.F.) de 1975 à 1979, D a également été responsable du comité du programme au Ve congrès international de l'Association internationale de linguistique appliquée, tenu en août 1978.Auteur de nombreux articles, communications et conférences dans les

domaines de la sociolinguistique, de la psycholinguistique et de la pédagogie des langues, Gilles Gagné a également publié, seul ou en collaboration, plusieurs ouvrages dont Les 100 tours de Centour, 1971, 105 émissions de télévision éducative, Montréal, Radio-Québec et M.E.Q.; Vingt-cinq ans de linguistique au Canada: hommage à Jean-Paul Vinay, 1979, Montréal, Centre éducatif et culturel; Pédagogie de la langue ou pédagogie de la parole, 1979, Université de Montréal, P.P.M.F. primaire; Études sur la langue parlée des enfants québécois (1969-1980), 1981, Montréal, Presses de l'Université de Montréal.

PAUL L. GARVIN, d'origine tchécoslovaque, vit aux États-Unis depuis 1941. D est licencié ès lettres de (École Libre des Hautes Études à New York (1945) et docteur en linguistique de (Université d'Indiana (1947). Linguiste d'orientation empiriste et fonctionnaliste, il s'intéresse dès le début de sa carrière aux problèmes de planification linguistique (il a fait des travaux d'alphabétisation sur l'île micronésienne de Ponapé, dans les Carolines de l'Est, en 1947). Pendant quinze ans, il a fait des recherches sur la traduction automatique. D a enseigné dans plusieurs universités et travaillé comme chercheur en traitement automatique des langues dans un laboratoire privé de recherche informatique. Il est actuellement professeur de linguistique et professeur adjoint d'anthropologie et de littérature comparée à l'Université de l'État de New York à Buffalo. D est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont A Prague School Reader on Esthetics, Literary Structure, and Style.

ÉMILE GENOUVRIER, né en 1939, est maître-assistant de linguistique à l'Université de Tours et mène des recherches en pédagogie du français langue maternelle. D a participé à la commission de rénovation de l'enseignement du français et a publié (en collaboration): Linguisti-

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NOTICES BIOGRAPHIQUES 411

que et enseignement du français (Larousse, 1971), Français et exercices structuraux (Larousse, 1971-1975), Nouveau dictionnaire des synonymes (Larousse, 1977), Pour une pédagogie de la langue maternelle (éd. BREF, Université de Tours, 1979). Il a été directeur de la revue BREF de 1975 à 1981 et est collaborateur à Langue française et au Français aujourd'hui.

CLAUDE GERMAIN, docteur de 3e cycle en linguistique (Aix-en-Provence), est professeur agrégé à la Faculté des sciences de l'éducation de l' Université de Montréal où il travaille dans le cadre du P.P.M.F. primaire (Programme de Perfectionnement des Maîtres en Français). Il a été pendant neuf ans (1970-1979) professeur au département de linguistique de l'Université d'Ottawa en même temps que chef de secteur de l'enseignement des langues puis chef de secteur de la recherche à l'Institut de langues vivantes de cette université. Il a été pendant six ans secrétaire de l'ACLA (Association canadienne de linguistique appliquée).ll est coauteur de la deuxième version de la méthode Le Français

International (Centre Éducatif et Culturel, 1973-1976), et coauteur d'une série de fascicules d'Introduction à la linguistique générale (Presses de l'Université de Montréal, 1981); il est également l'auteur de La notion de situation en linguistique (Éditions de l'Université d'Ottawa, 1973) et de La sémantique fonctionnelle (Presses Universitaires de France, 1981). De plus, il a publié dans des revues nationales et internationales plusieurs articles et comptes rendus portant notamment sur la sémantique et sur la didactique des langues.

Avec « L'approche fonctionnelle en didactique des langues », il a mérité le prix du « meilleur article pour l'année 1980 », publié dans la Revue canadienne des langues vivantes.

JOACHIM GESSINGER, né en 1945, a fait, de 1967 à 1972, des études de germanistique, linguistique romane, philosophie et journalisme à l'Université libre et à l'Université technique de Berlin. Reçu à l'examen d'État en 1972, il occupe de 1973 à 1980 le poste d'assistant en linguistique à l'Université de Hanovre. En 1979, il obtient son doctorat et, depuis 1980, est assistant en linguistique à l'Université libre de Berlin. Principaux domaines de recherche: histoire de la langue et histoire sociale, politique linguistique, histoire de la science.

HELMUT GLÜCK, né à Stuttgart en 1949, a fait des études de slavistique, germanistique et linguistique générale à Tübingen et à Bochum, puis travaillé dans l'enseignement pour adultes (cours d'allemand destinés aux immigrés). Depuis 1975, il est assistant en linguistique générale (sociolinguistique) à l'Université d'Osnabrück En 1979-1980, il était professeur invité à l'Université d'Oldenbourg. Principaux domaines de recherche: politique et planification linguistiques, problèmes sociaux et linguistiques des travailleurs immigrés et de leurs enfants.

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412 LA NORME LINGUISTIQUE

NICOLE GUEUNIER, née en 1936, est professeur de linguistique française à l'Université de Tours et a poursuivi de nombreuses recherches en sociolinguistique et en pédagogie du français. Elle a publié (en collaboration): Lecture des textes et enseignement du français (Hachette, 1974) et Les Français devant la norme (Champion, 1978). Elle collabore aux revues BREF (1971-1981), Le français aujourd'hui, Le français moderne, Le français dans le monde, Langue française, Études créoles.

BOHUSLAV HAVRANEK a été professeur à Bmo puis à l'Université Charles de Prague; de 1952 à 1965, il a été directeur de l'Institut de la langue tchèque de l'Académie des Sciences de Tchécoslovaquie. Membre de l'Académie des Sciences, il a aussi été président du Cercle linguistique de Prague et rédacteur en chef de ta revue Slovo a slovesnost

GRACE JOLLY (Ph.D., Hartford Seminary Foundation), est professeur agrégée d'anglais et d'études pluridisciplinaires et également coordon-natrice du programme d'études canadiennes au Glendon College de l'Université York de Toronto. Elle a été pendant de nombreuses années rédactrice de la revue English Quaterly publiée à l' intention du Canadian Council of Teachers of English. Elle a publié Nefa Krisüan Bemin, Tan! Reader, The English Quarterly: Special ESL Issue. Elle travaille dans le champ de la sociolinguistique et s'intéresse particulièrement à l'anglais canadien.

BRAJ B. KACHRU est professeur de linguistique au Département de lin-guistique de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign. D a été directeur de ce département de 1969 à 1979 et est depuis coordonna-teur de la section de linguistique appliquée. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles sur les variétés régionales de l'anglais et sur sa langue maternelle, le cachemirien: Current Trends in Stylistics (1971); Issues in Linguistics: Papers in Honor of Henry and Renée Kahane (1973); Dimensions of Bitingualism: Theory and Case Studies (1976); Aspects of Sociolinguistics in South Asia (1978); The Other Tongue. English Across Cultures (1981); An Introduction ta Spoken Kashmiri (1973); Kashmiri Literature (1981); The Indianization of English: The English Language in India.

ABDELHAMID KHOMSL né en 1944, est assistant en linguistique à l'Université de Tours (départements de français et d'orthophonie); il effectue des recherches en psycholinguistique et sur le langage de l'enfant Collaborateur à BREF, à la Revue de neuropsychiatrie infantile et au Bulletin d'audiophonologie, 9 a aussi publié: Pour un bilan du langage de l'enfant et CLASSYLAS, Classement syntaxique du langage spontané de l'enfant (Travaux du laboratoire de phonétique de Tours, 19781979).

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NOTICES BIOGRAPHIQUES 413

LUIS FERNANDO LARA a obtenu son doctorat du Colegio de México pour sa thèse El concepto de norrna en lingüfstica (1976). U a étudié à Heidelberg avec Klaus Heger et Kurt Baldinger. Professeur au Centro de estudios lingüisticos y literarios du Colegio de México depuis 1970, il est directeur du Diccionario del espanol de México. U a publié In-uestigaciones lingüisticas en lexicografia (1980) et des articles en linguistique générale, en sémantique CLAIRE LEFEBVRE, diplômée de l'Université de Montréal et de l'Université de Californie à Berkeley (Ph.D. en sociolinguistique), est professeur au Département de linguistique de l'Université du Québec à Montréal depuis 1975. Elle fait des recherches sur les langues créoles, sur le quechua et sur le français parlé à Montréal. Elle vient de publier La syntaxe comparée du français standard et populaire: approches formelle et fonctionnelle (Office de la langue française, 1982) et a été rédactrice d'un ouvrage (en collaboration) sur la syntaxe de l'haïtien VILÉM MATHESIUS (1882-1945), fondateur et jusqu'à sa mort président du Cercle linguistique de Prague, a été professeur à l'Université Charles.

JACQUES MAURAIS, né en 1950, est diplômé de l'Université Laval et de l'Université de Cambridge. De 1973 à 1980, il a été terminologue à l'Office de la langue française. Depuis 1980, il travaille au Conseil de la langue française. U a aussi été chargé du cours de grammaire comparée des langues indo-européennes et du cours d'introduction à la

YVES-CHARLES MORIN, né en France en 1944, obtient une licence ès sciences en mathématiques de l'Université de Paris en 1967 et un diplôme d'ingénieur de l'École Centrale des Arts et Manufactures de Paris. Nommé Harkness Fellow de la Fondation du Commonwealth, il étudie à l'Université du Michigan à Ann Arbor, et y obtient un Ph.D. en 1971. U entre à l'Université de Montréal en 1972; il enseigne depuis au département de linguistique et philologie la syntaxe et la phonologie du français. Ses recherches portent principalement sur le français contemporain, les variétés régionales ARTHUR PADLEY est originaire de Lincoln en Angleterre. Après avoir fait des études en grammaire comparée et en linguistique historique à l'Université de Leeds, il passa plusieurs années dans l'enseignement secondaire en Angleterre, suivies de trois ans à la Sorbonne, où il prépara un doctorat d' université et suivit en même temps renseignement

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414 LA NORME LINGUISTIQUE

d'une année à l'Université de Munich. De 1963 à 1966 il était à Oxford, où il obtint le grade de Doctor of Philosophy en 1970.Arthur Padley a occupé plusieurs postes universitaires au Canada, notamment à partir de 1966 au département de linguistique de l'Université Laval, qu'il quitta en 1977 avec le rang de professeur titulaire. Depuis lors, il est Statutory Lecturer en langue et linguistique française à University College Dublin. Il s'intéresse surtout à l'histoire de la linguistique, et il est l'auteur de Grammatical Theory in Western Europe 1500-1700: the Latin Tradition (Cambridge University Press, 1976). Il prépare un deuxième volume sur les grammaires des principales langues H vulgaires » JEAN-MARCEL PAQUETTE, né à Montréal en 1941, est

docteur en philologie, lectures romanes, de l'Université de Poitiers (1968). Professeur agrégé à l'Université Laval en linguistique et littérature depuis 1968,il a aussi été professeur invité à l'Université de Caen, de 1971 à 1973. Écrivain, il est surtout connu pour son livre Le Joual de Troie qui lui obtint le prix France-Québec en 1974. D est membre directeur de MARIE-CHRISTINE PARET, diplômée en littérature et en linguistique des universités de Lyon (France) et de Montréal (Université du Québec à Montréal, Université de Montréal), a enseigné le français pendant plus de quinze ans dans des lycées et des écoles secondaires. Chargée actuellement d'enseigner la didactique du français langue maternelle à l'Université de Montréal, elle s'intéresse à ce qui touche à la pédagogie de la langue maternelle (les divers courants de la recherche européenne et américaine, les méthodes et expériences nouvelles, l'enseignement FRANÇOIS PERALDI est actuellement professeur agrégé au Département de linguistique et philologie de l'Université de Montréal. Il est également psychanalyste et, après plus de douze années de travail clinique en milieu psychiatrique hospitalier (il a été directeur d'une recherche en sociopsychiatrie et psychothérapie institutionnelle au Douglas Hospital à Verdun, Québec), il consacre Sémioticien (doctorat en sémiologie avec Roland

Barthes) et psychanalyste, François Peraldi centre actuellement ses recherches sur la fonction de la parole et le champ du langage dans leur rapport d'une part au monde pulsionnel et de Vautre aux structures socio-économiques du champ social, mais en tant que le langage donne à l'inconscient sa structure.

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NOTICES BIOGRAPHIQUES 415

ALAIN REY est Secrétaire général de la rédaction des dictionnaires « Ro-bert » (S.N.L. -Le Robert), directeur de collections (1978). Membre élu du Conseil International de la langue française (depuis 1973). Co-directeur de la collection: « Initiation à la linguistique », librairie Klincksieck. Chargé d'enseignement à l'Université de Paris III (depuis 1973). Institut de Linguistique et de phonétique, Paris. Conseiller scientifique de l'Association française de terminologie (1975-80). Directeur de travaux pour le « Trésor de la langue française » (C.N.R.S.), 1975-77. Membre de ITS.O. TC 37. Codirecteur de la collection « Approaches to Semiotics » (Walter de Gruyter-Mouton, La Haye), 1979. Coreprésentant de la France de l'Association Internationale de Sémiotique (I.A.S.S.: International Association for Semiotic Studies).Il est l'auteur de nombreux ouvrages: 1970, Littré, l'humaniste et les

mots, Paris, Gallimard. 1970, La Lexicologie: Lectures, Paris, Klincksieck 1973, Théories du signe et du sens, tl, Paris, Mincksieck. 1976, Théories du signe et du sens, tII, Paris, Klincksieck. 1977, Le Lexique: Images et modèles, Paris, Armand Colin. 1978, Les spectres de la bande (essai sur la B.D.), Paris, Ed. de Minuit 1978, Antoine Furetière, imagier de la culture classique, in Dictionnaire de Furetière réédité par A Rey, S.N.L -Le Robert. 1979, Noms et notions: la terminologie, PUF, Coll. « Que sais-je? », Le théâtre, Bordas, 1980.

Il a collaboré à la réalisation de nombreux dictionnaires: Rédacteur en chef: Le Petit Robert, S.N.L, Paris, 1967 - Ze éd. 1978: corédacteur en chef, avec J. Rey-Debove. Rédacteur en chef: Le MicroRobert, S.N.L, Paris, 1970. Corédacteur (avec J. Rey-Debove) de: Supplément au Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, S.N.L, Paris, 1970. Rédacteur en chef: Le Petit Robert 2, S.N.L., Paris. Corédacteur en chef (avec J. Rey-Debove): Dictionnaire Universel des Noms Propres (4 vol.), S.N.L, Paris, 1974. Dictionnaire des expressions et locutions françaises, par A Rey et S. Chantreau, Paris, S.N.L -Le Robert, 1979. Dictionnaire du français non conventionnel, par J. Cellard et A Rey, Paris, Hachette, 1980.

GUY RONDEAU est titulaire de la chaire de terminologie à l'Université Laval et directeur du Groupe interdisciplinaire de recherche scientifique et appliquée en terminologie (GIRSTERM). Il a été président de l'Association internationale de linguistique appliquée (AILA) et est président du Comité consultatif canadien de l'ISO/CT 37 (terminologie: principes et coordination), membre de la Commission de terminologie de l'Office de la langue française et secrétaire général de Termia. Il a été directeur-fondateur du Département de linguistique à l'Université d'Ottawa en 1968, après avoir enseigné au Département de linguistique de I' Université de Montréal depuis 1959.

Parmi ses publications, on peut citer, outre de nombreux articles et exposés présentés lors de congrès ou colloques, Éléments de stylistique du français écrit, Montréal, P.U.M., 1964; « Introduction », dans

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416 LA NORME LNGUISTIQUE

Contributions canadiennes à la linguistique appliquée, Montréal, C.E.C. 1973; Bibliographie internationale de la terminologie (en collaboration avec H. Felber), Québec, GIRSTERM, 1979; Introduction à la ter-minologie, Montréal, C.E.C., 1981; Textes choisis de terminologie (en qualité de rédacteur et en collaboration avec H. Felber), Québec, GIRSTERM, JOHN D. SMITH est diplômé de l'Université de

Cambridge. De 1972 à 1975, ii a occupé un poste de recherche au Christ's College de Cambridge; depuis 1975, il est maïtre-assistant de sanskrit à l'École des études orientales et africaines de l'Université de En plus de ses recherches sur le sanskrit, il a

travaillé sur la langue rajasthani médiévale et moderne et a effectué de fréquents séjours en Inde. II est l'auteur d'un ouvrage et de nombreux articles d'indologie.ALBERT VALDMAN, né à Paris en 1931, est professeur

de français et de linguistique à l'Université d'Indiana-Bloomington. Diplômé de l'Université de Pennsylvanie (B.A en langues romanes) et de l'Université Comell (M.A., Ph.D. en linguistique française), il a enseigné au Foreign Service Institute (Département d'État des USA), à l'Université Penn State ainsi que, à titre de professeur invité, à l'Université Harvard, l'Université des Indes Occidentales (Jamaïque) et l'Université de Nice. Il a reçu les bourses Guggenheim (1968), Fulbright Ses études portent sur la linguistique française, les

langues créoles et l'acquisition des langues secondes. Ses récentes publications comprennent Introduction to French Phonology and Morphology (Newbury House, 1975), Le Créole: structure, statut et origine (Klincksieck, 1976) et trois ouvrages collectifs: Pidgin and Creole Linguistics (Indiana University Press, 1977), Le Français hors de France (Champion, 1979) et Theoretical Orientations in Creole Studies (en ROCH VALIN est professeur titulaire au département

de Langues et linguistique de l'Université Laval, à Québec. Disciple du linguiste français Gustave Guillaume et légataire de tous les inédits de ce dernier, il a consacré sa carrière à la recherche en psychomécanique du langage. Outre ses fonctions à l'Université Laval, il a assuré, de 1961 à 1970, en mai et en juin, un enseignement à l'Institut Catholique de Paris. Il a en outre été professeur associé au Centre de Philologie et de Littérature romanes de l'Université de Strasbourg de janvier à juin 1967 et professeur invité au Centre universitaire de Chambéry en 1971 et en 1973. II a fait des conférences dans de nombreuses

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NOTICES BIOGRAPHIQUES 417

psychornécanique du langage, pour Roch Valin, édités par André Joly et Walter Hirtle. Roch Valin poursuit actuellement ses recherches à Québec où il assume la fonction de directeur du Fonds Gustave Guillaume.LOTHAR WOLF, professeur titulaire de linguistique

romane à l'Université d'Augsburg, est né à Walldüm (Pays de Bade) en 1938. Licence 1962, doctorat 1966 et « Habilitation » en 1971 à Heidelberg. A partir de 1966, enseignement à l'Université de Heidelberg, 1973 également à l'Université de Trèves et 1975 à l'Université de Munich. Depuis 1973, professeur titulaire à l'Université d'Augsburg. Publications: Sprachgeographische Untersuchungen zu den Bezeichnungen für Haustiere im Massif Central. Versuch einerInterpretation von Sprachkarten (Tübingen, 1968); Texte und Dokumente zur franzôsischen Sprachgeschichte. 16. Jh. (Tübingen, 1969); Id. 17. Jh. (Tübingen, 1972); Aspekte der Dialektologie. Eine Einführung in Methoden auf franzôsischer Grundlage (Tübingen, 1975); Terrninologische

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TABLE DES MATIÈRESINTRODUCTION ............................................

PREMIÈRE PARTIE: La tradition de la nomme ....................

19 I La norme chez les grammairiens de l'Inde ancienne (JohnD. Smith) ............................................

21

II L'héritage gréco-latin (Michel Casevitz et François Charpin) . .DEUXIÈME PARTIE: La norme en linguistique contemporaine ...... 139 V

Le rôle des linguistes de l'École de Prague dans le développement de la norme linguistique tchèque (Paul L Garvin) .....

141 VI Le concept de norme dans la théorie d'Eugenio Coseriu (Luis

Femando Lara) .......................................

153 VII Norme et grammaire générative (Yves-Charles Morin et MarieChristine Paret) ....................................... 179 VIII Historique et état du débat sur la norme linguistique en Alle

magne (Joachim Gessinger et Helmut Glück) ..............TROISIÈME PARTIE: Norme sociale et nomme linguistique ......... 253 IX Normes linguistiques, normes sociales, une perspective anthro-pologique (Stanley Aléong) .............................

255 X Éléments d'une théorie de la régulation linguistique (Jean-Claude Corbeil)....................................... 281 XI Les notions de style (Claire Lefebvre) ......... . .......... 305 XII La norme et le surmoi (François Peraldi) ..................

335QUATRIÈME PARTIE: Norme linguistique d'origine légale ......... 365 XIII Procès de normalisation et niveaux/registres de langue (JeanMarcel Paquette) ...................................... 367 XIV Aménagement et norme linguistiques en milieux linguistiques récemment conscientisés (Joshua A. Fishman) .............

383

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850 LA NORME LINGUISTIQUE

XV La langue de l'État -l'état de la langue (Philippe Barbaud) . 395 XVI La normalisation linguistique, terminologique et technique au Québec (Guy Rondeau)................................ 415 XVII Réflexions sur la normalisation linguistique au Québec (Édith Bédard et Jacques Maurais) .............................

435CINQUIÈME PARTIE: Problèmes. pratiques ......................

XVIII Norme et enseignement de la langue maternelle (Gilles Gagné) 463XIX La norme dans l'enseignement de la langue seconde (Gilles Bibeau

et Claude Germain) ............................. 511XX Norme et dictionnaires (domaine du français) (Alain Rey) ... 541

XXI Activité normative, anglicismes et mots indigènes dans le Diccionario del espanol de México (Luis Fernando Lara) .... 571

XXII La norme lexicale et l'anglicisme au Québec (Jean Darbelnet) 603XXIII La norme lexicale et le classement des canadianismes (Jean

Yves Dugas).......................................... 625XXIV Les chroniques de langage (Jacques Cellard) .............. 651XXV Normes locales et francophonie (Albert Valdman) ..........XXVI Normes régionales de l'anglais (Brai B. Kachru) ............XXVII La codification de l'anglais canadien (Grace Jolly) ..........XXVIII Les Français devant la norme (Nicole Gueunier, Émile Genou

vrier et Abdelhamid Khomsi) ............................XXIX Réflexions sur la norme (Roch Valin) .....................

789APPENDICES ................................................ 797 I Thèses générales du Cercle linguistique de Prague: Principes

pour la culture de la langue .............................

799 II Sur la nécessité de stabilité d'une langue standard (Vilém Mathesius)............................................ 809 III Emploi et culture de la langue standard (Bohuslav Havrânek)

NOTICES BIOGRAPHIQUES .................................. 835

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