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Chapitre 6 Vieillissement normal et inhibition cognitive 6.1. Introduction Le vieillissement normal chez ladulte a des effets notables sur la performance dans beaucoup de domaines de la cognition humaine. Ces effets sont ressentis par les personnes gØes qui se plaignent frØquemment de difficultØs de concentration ou de problLmes de mØmoire. Ils sont Øgalement objectivables laide par exemple de tches dattention, de mØmoire, de raisonnement ou de rØsolution de problLmes. Les diffØrences liØes lge se rØvLlent ainsi moins sensibles dans le domaine de la mØmoire long terme que dans celui de la mØmoire Øpisodique, se manifestent moins dans lutilisation du langage que dans le domaine spatial ou dans la mise en uvre de stratØgies cognitives complexes, sont moins importantes et plus tardives chez les sujets gØs de haut niveau dØtudes en comparaison ceux dun plus bas niveau dØtudes, etc. Cette sensibilitØ diffØrentielle de la cognition humaine aux effets de lge qui trouve sans doute son rationnel dans le lien entre vieillissement cØrØbral et vieillissement cognitif peut Œtre diversement interprØtØe selon le niveau dobservation et dexplication fonctionnelle privilØgiØ. Plusieurs interprØtations font lhypothLse de changements au niveau de mØcanismes de base qui sous-tendraient la cognition humaine dans son ensemble : rØduction des ressources de traitement et besoin accru en soutien environnemental pour Craik et Byrd (1982), dØclin du contrle inhibiteur pour Hasher et Zacks (1988), ralentissement de la vitesse de traitement de linformation pour Salthouse (1985, 1996). Certaines autres hypothLses sont plus diffØrenciØes et plus locales. Elles peuvent porter sur lefficacitØ dØcroissante de mØcanismes, processus ou Chapitre rØdigØ par Jacques JUHEL.

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  • Chapitre 6

    Vieillissement normal et inhibition cognitive

    6.1. Introduction

    Le vieillissement normal chez ladulte a des effets notables sur la performancedans beaucoup de domaines de la cognition humaine. Ces effets sont ressentis parles personnes âgées qui se plaignent fréquemment de difficultés de concentration oude problèmes de mémoire. Ils sont également objectivables à laide par exemple detâches dattention, de mémoire, de raisonnement ou de résolution de problèmes. Lesdifférences liées à lâge se révèlent ainsi moins sensibles dans le domaine de lamémoire à long terme que dans celui de la mémoire épisodique, se manifestentmoins dans lutilisation du langage que dans le domaine spatial ou dans la mise enuvre de stratégies cognitives complexes, sont moins importantes et plus tardiveschez les sujets âgés de haut niveau détudes en comparaison à ceux dun plus basniveau détudes, etc. Cette sensibilité différentielle de la cognition humaine auxeffets de lâge qui trouve sans doute son rationnel dans le lien entre vieillissementcérébral et vieillissement cognitif peut être diversement interprétée selon le niveaudobservation et dexplication fonctionnelle privilégié.

    Plusieurs interprétations font lhypothèse de changements au niveau demécanismes de base qui sous-tendraient la cognition humaine dans son ensemble :réduction des ressources de traitement et besoin accru en soutien environnementalpour Craik et Byrd (1982), déclin du contrôle inhibiteur pour Hasher et Zacks(1988), ralentissement de la vitesse de traitement de linformation pour Salthouse(1985, 1996). Certaines autres hypothèses sont plus différenciées et plus locales.Elles peuvent porter sur lefficacité décroissante de mécanismes, processus ou Chapitre rédigé par Jacques JUHEL.

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    systèmes spécifiques comme linterférence, la focalisation de lattention, lesstratégies dacquisition et de récupération de linformation, la mémoire de travail oula mémoire épisodique (Brouillet et Syssau, 2000 ; Van der Linden et Hupet, 1994).Cest à lhypothèse selon laquelle le vieillissement normal saccompagne dunealtération des mécanismes inhibiteurs que nous nous intéresserons dans ce travail.

    Cette idée nest pas nouvelle. Birren dans un ouvrage publié dès 1959 présenteles résultats de plusieurs recherches physiologiques et psychologiques qui selon luitémoignent de lexistence dun déficit inhibiteur associé à lâge. Quelques annéesplus tard, Rabbitt (1965) montre à laide dune tâche inspirée dun paradigme detemps de réaction développé par Donders un siècle plus tôt lexistence duneréduction liée à lâge de la capacité à identifier certains symboles quand dautres,non pertinents au cours de la tâche, doivent être ignorés. Ce thème de recherche aété ensuite quelque peu délaissé jusquà la publication par Hasher et Zacks (1988)dun texte dans lequel ils proposent dexpliquer les difficultés cognitives rencontréespar la personne âgée par lhypothèse dune baisse defficacité de linhibition,processus opérant dès lencodage ainsi quau moment de la récupération delinformation. Cette proposition a eu un retentissement très important enpsychologie cognitive du vieillissement et a donné lieu à de nombreuses recherchesempiriques dont plusieurs synthèses sont récemment parues (par exemple, LeBouedec, Martins, Iralde, Gauthier et Delaporte, 2002, pour une revue récente enfrançais). Nous ne pourrons ici en dégager que quelques enseignements le sujet estvaste et les observations nombreuses discutés essentiellement en référence àlhypothèse dun déclin associé à lâge de la capacité à inhiber les stimulus et lesréponses non pertinents. Nous rappellerons dabord brièvement le rôle delinhibition dans la régulation attentionnelle, ses liens avec la mémoire de travail etles caractéristiques principales des procédures utilisées dans létude des effets duvieillissement normal sur les processus inhibiteurs.

    6.1.1. Linhibition dans lattention et la mémoire de travail

    Lattention est actuellement conçue en psychologie cognitive comme unensemble différencié de processus attentionnels au statut théorique complexe(Camus, 1996). Les psychologues spécialistes de lattention considèrent aujourdhuique lors de la sélection de linformation, lattention facilite le traitement delinformation cible grâce à lintervention successive de plusieurs processus distincts.Lorientation de lattention est dabord déclenchée automatiquement par un stimulusextérieur. Cette première forme dorientation exogène est rapide et de brève durée.Une seconde forme volontaire et intentionnelle dorientation lui succède. Celle-cidite endogène correspond à linvestissement dune attention délibérément contrôlée,durablement maintenue et permettant la résistance à la distraction. Tout au long decette étape, les manifestations de lattention sélective sexercent, en les amplifiant,

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    sur les représentations motrices, perceptives ou conceptuelles appropriées à la tâcheen cours. Lorsque les représentations pertinentes ne peuvent être isolées desreprésentations rivales pré-activées par le contexte externe ou interne, ces dernièresdoivent être désélectionnées. Ce mécanisme de désélection semble correspondre àune forme ou à une autre datténuation de lactivation, de suppression desreprésentations pré-activées et potentiellement interférentes, deffacement du champde la conscience des actions non appropriées, en bref dinhibition de touteinformation inutile au traitement ou à laction futur et susceptible de détournerlattention de la tâche. Toutes deux engagées dans le contrôle attentionnel delactivité, une forme non consciente, automatique dorientation attentionnelle seraitainsi à différencier dune forme contrôlée correspondant à la mise en uvre, à unniveau central de traitement, de processus damplification des représentationspertinentes et dinhibition des représentations parasites.

    Cette composante contrôlée de lattention qui, selon Camus, népuise pas tous lesaspects du traitement conscient « se manifeste par des effets plus durables, lorsquilfaut maintenir de manière suivie et cohérente un schéma cognitif etcomportemental ». La fonction attention implique donc [] « à la fois unerésistance à la distraction en même temps quune flexibilité de son fonctionnement »(ibid., p. 106), ce qui la rend indissociable de la fonction mémoire de travail deBaddeley (1986). Responsable de la sélection et de lexécution des traitements, leconcept dadministrateur central de la mémoire de travail met en effetspécifiquement laccent sur des caractéristiques de contrôle attentionnel. On trouveainsi parmi les fonctions qui lui sont attribuées la protection contre linterférence, lacapacité à inhiber des automatismes ou le partage de lattention entre activitésconcurrentes. Linhibition, comme lont proposé Hasher et Zacks (1988), joueraitainsi un rôle essentiel dans le fonctionnement de la mémoire de travail en empêchantlaccès de linformation parasite exogène ou endogène et en éliminantlinformation devenue non pertinente lors de la mise à jour des représentations desbuts du traitement en cours.

    Réfléchissant une combinaison dinfluences automatiques et de processuscontrôlés consciemment, lhypothèse de linhibition comme ensemble demécanismes impliqués dans linterférence cognitive, dans la résolution de lacompétition entre représentations simultanément activées, dans le contrôle descontenus de la conscience et, plus largement, dans le contrôle de la pensée et delaction a été appliquée à différents niveaux de larchitecture cognitive, à différentscontextes expérimentaux et à différentes populations détude (pour revueArbuthnott, 1995 ; Dagenbach et Carr, 1994 ; Dempster et Brainerd, 1995 ;Dempster et Corkill, 1999). Cest donc fort logiquement quun nombre croissant dechercheurs sest intéressé aux effets du vieillissement sur lefficacité desmécanismes inhibiteurs impliqués dans la régulation attentionnelle et le contrôlecognitif.

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    6.1.2. Paradigmes employés et difficultés rencontrées dans létude de linhibitionchez la personne âgée

    Sil semble possible daffirmer aujourdhui que les personnes âgées, encomparaison aux plus jeunes, sont plus vulnérables à la distraction et à linterférenceou sont proportionnellement plus gênées lorsque le coût attentionnel des tâchesaugmente, lévaluation empirique de lhypothèse dun effet du vieillissement surlefficacité des mécanismes inhibiteurs se heurte dabord à la diversité des tâchesemployées pour en observer les manifestations, le plus souvent une vitesse et/ou uneprécision réduites de la performance.

    McDowd, Oseas-Kreger et Filion (1995) qui recommandent de sappuyer sur uneanalyse soigneuse des tâches afin de pouvoir énoncer de véritables hypothèses sur lerôle des processus inhibiteurs dans la performance et leur éventuelle sensibilité àlâge, proposent de distinguer les tâches en fonction du domaine concerné(perception, apprentissage, activation sémantique). Les tâches dinhibition peuventaussi être catégorisées les mécanismes mis en jeu peuvent être différenciés selonque les représentations cognitives à inhiber sont perceptives, conceptuelles oumotrices (Camus, 1996). Arbuthnott (1995) suggère pour sa part une différenciationfonctionnelle basée sur le caractère non conscient ou au contraire intentionnel delinhibition, lintention renvoyant à des états mentaux pilotés par des buts en relationà une tâche particulière. Kok dans une recension récente (Kok, 1999), adopte uneclassification assez superposable à la précédente en séparant les paradigmes ditspassifs, qui impliquent des processus inhibiteurs involontaires, de ceux dits actifs,dun plus haut niveau de prescription de laction et qui nécessitent une suppressionactive et intentionnelle de linformation ou de laction non pertinente pour la tâcheen cours.

    A la catégorie des paradigmes passifs appartiendraient des tâches indexant desprocessus sensoriels précoces ou des formes élémentaires dapprentissage : parexemple des tâches dorientation (mécanisme damplification des stimuli nouveauxou non familiers), dhabituation ou dinhibition latente (les sujets pré-exposés à unstimulus sans conséquence « apprennent » à lignorer ce qui conduit ultérieurementà des réactions plus lentes pour ces stimulus en comparaison à ceux qui nont pas étépré-exposés). Les paradigmes expérimentaux de la seconde catégorie mesureraientune forme plus centrale dinhibition, celle-ci étant comprise comme un mécanismeactif de suppression des représentations distractrices, centré sur lobjet, dépendantdu contexte, des stratégies utilisées et des buts fixés (Boujon, 2002). Cest parexemple le cas de tâches comme celles dantisaccade (mécanisme de suppressiondun réflexe oculaire, dorientation du regard dans la direction opposée à celle dunavertisseur périphérique), dinhibition de retour (mécanisme de réduction de latendance à réorienter le regard dans une direction antérieurement explorée), darrêtau signal ou de go/nogo (stopper une réaction ou en changer en réponse à un signal

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    sonore ou visuel), de switching attentionnel (passer alternativement dune consigne àune autre au cours dune même tâche), dattention sélective (focaliser lattention surune information-cible, inhiber linformation compétitive présente dans le contextede la tâche mais exclue par la consigne), doubli dirigé (récupérer à court ou longterme de linformation « à retenir », inhiber celle « à oublier ») ou de production dechiffres ou de lettres au hasard (inhiber des représentations sur-apprises).

    En labsence dune cohérence totalement satisfaisante dans la définition du termedinhibition et de connaissances clairement établies sur la nature des opérationscognitives sollicitées par ces tâches aussi bien que sur la relation entre les processusdinhibition chargés de réduire ou prévenir linterférence et les observationseffectuées, une telle diversité de paradigmes amène bien sûr à sinterroger sur lunitéfonctionnelle des processus inhibiteurs ainsi mesurés chez la personne âgée.

    Signalons dabord que certains effets cognitifs mis en évidence avec desparadigmes dinhibition semblent pouvoir être expliqués autrement quà laide delhypothèse de linhibition. Des mécanismes non inhibiteurs comme locclusion(blocage dune représentation daccessibilité moins élevée), la diffusion deressources (lactivation comme ressource finie distribuée entre les différents liens) etlaffaiblissement des associations (diminution dune association en raison dudéveloppement concurrent dune autre) permettent dexpliquer également ces effets(Band et van Boxtel, 1999 ; mais voir Anderson et Spellman, 1995 ; Bjorklund etHarnishfeger, 1995). Des manifestations dinhibition au Stroop couleur (dénommerla couleur avec laquelle un mot représentant une autre couleur est écrit) ontdailleurs pu être simulées à laide de modèles en systèmes de production faisantlhypothèse dun affaiblissement des associations entre représentations contenues enmémoire de travail (Kimberg et Farah, 1993) ou de modèles connexionnistespostulant lexistence dun déficit dactivation des représentations du contexte de latâche (Cohen, Braver et OReilly, 1996). On peut par ailleurs douter, comme nous leverrons plus loin, que les manifestations dinhibition inférées à partir de tâchesapparemment très différentes (par exemple, suspension de laction en réponse à unsignal ou lecture avec distracteurs) puissent représenter un phénomène unitaire. Sitel était le cas en effet, les corrélations entre tâches dinhibition devraient êtrerelativement élevées, ce qui ne semble pas avoir été observé jusquici chez lapersonne âgée avec des tâches dinhibition différentes (par exemple, amorçagenégatif, suspension de laction en réponse à un signal ; Kramer, Humphreys, Larish,Logan et Strayer, 1994) ni même avec des tâches dinhibition fonctionnellementanalogues (par exemple, variantes de type Stroop ; Shilling, Chetwynd et Rabbitt,2002). Il est vraisemblable que selon les procédures employées, des processus deniveau différent puissent être sollicités et que des aspects différents de linhibitionsoient mesurés (Juhel, Salice et Auffray, 2000). Si la tâche nécessite par exemplelanalyse de traits perceptifs comme la couleur ou lidentification de stimuliverbaux, linhibition pourra se situer à un niveau précoce ou plus tardif de sélection

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    de linformation. Mais si les contraintes de la tâche impliquent lélaborationsélective, à partir dinformations différentes, dune représentation indispensable auguidage de la pensée et laction, linhibition opèrera à un niveau plus central et plusintégré du fonctionnement cognitif. Caractérisés par une très grande flexibilité liée àleurs possibilités daccès à une grande variété de représentations internes, lesprocessus inhibiteurs attentionnels pourraient donc être différentiellement sollicités et leur efficacité différemment éprouvée selon les demandes de la tâche.

    Linterprétation des résultats obtenus dans létude de linhibition chez lapersonne âgée se heurte également au problème de léchantillonnage des sujets et àlimportante variabilité individuelle de la performance (Faure et Blanc-Garin, 1995 ;Juhel, 2003). Il est clairement établi aujourdhui que lamplitude des différencesliées à lâge dans la performance cognitive dépend fortement du niveau détudes, delétat de santé ou des conditions de vie des participants. Le recours assezsystématique à des comparaisons transversales, en présentant linconvénient deconfondre linfluence de lâge avec celle dautres variables individuelles et sociales alors même que laffectation des participants, souvent en nombre réduit, nest pastoujours aussi aléatoire quelle devrait lêtre peut donc conduire à une estimationbiaisée de la performance des participants les plus âgés en comparaison à celle desplus jeunes et à des résultats incohérents ou contradictoires. On peut dailleursregretter le faible nombre de travaux ayant étudié les effets longitudinaux duvieillissement sur lefficacité de linhibition. Ajoutons que dans ce domaine derecherche comme dans dautres, certaines formes de variabilité intra-individuelle dela performance dont il paraît raisonnable de penser quelles témoignent de manièreinformative de la dynamique des échanges entre lindividu et la situation (parexemple, linteraction entre certaines caractéristiques individuelles comme le degréde vigilance et la composition ou lordonnancement temporel des séries ditems)mériteraient dêtre plus prises en compte (Juhel, sous presse).

    6.2. Linfluence du vieillissement normal sur lefficacité des processus inhibiteurs

    Ainsi que nous lavons mentionné plus haut, la multiplication relativementrécente des recherches consacrées aux effets du vieillissement sur linhibition doitbeaucoup à lhypothèse faite par Hasher et Zacks (1988) dun effet indirect de lâgesur la cognition par lintermédiaire des mécanismes inhibiteurs.

    Cette hypothèse du déficit inhibiteur de la personne âgée a été explorée aumoyen de paradigmes que nous avons classiquement regroupés dans la présentesection en fonction de deux critères : le caractère involontaire ou intentionnel de cesprocessus dune part, ce sur quoi paraît opérer linhibition dautre part.

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    Nous tenterons donc successivement de faire le point sur les travaux ayantcherché à évaluer limpact du vieillissement sur linhibition mesurée en situationdattention involontaire, sur la suppression de réflexes visuels, sur linhibitionintentionnelle de laction et sur linhibition de linformation contextuellementprésente mais non pertinente, principalement dans les domaines de lattentionsélective et de la mémoire de travail.

    6.2.1. Différences liées à lâge dans linhibition en situation dattention involontaire

    Nous naborderons pas ici la question des différences liées à lâge danslintensité de lorientation de lattention déclenchée par un avertisseur ou unstimulus inattendu. En effet et bien que le rôle de la réponse dorientation soit trèsimportant dans la détermination des priorités de traitement, le mécanismeprincipalement impliqué semble être plutôt celui dune facilitation du traitement delinformation par rehaussement de la sensibilité perceptive du stimulus. Signalonsnéanmoins que plusieurs études psychophysiologiques présentent des résultats quivont dans le sens dune réduction avec lâge de lintensité de cette réponse réflexe(mesures de conductivité, recueil de potentiels évoqués auditifs et visuels) etinterprètent ceux-ci en termes de déficit inhibiteur (Allen, Weber et Madden, 1994 ;Kok, 1999 ; McDowd et al., 1995).

    Plusieurs études dans ce domaine relèvent aussi une habituation plus lente de laréponse dorientation chez le sujet âgé par rapport au plus jeune (Friedman,Kazmerski, et Cycowicz, 1998 ; McDowd et al., 1995] cest-à-dire une difficultéspécifique des plus âgés à apprendre à détourner lattention portée àlenvironnement dès lors que celui-ci présente des caractéristiques stables. McDowdet Fillion (1992) réalisent une étude sur ce phénomène chez 16 juniors (18,8 ans enmoyenne) et 12 seniors (73,7 ans en moyenne) avec des stimuli auditifs. Lanalysede la réponse dorientation autonome (skin conduction) prise comme indicateur delorientation attentionnelle met en évidence une habituation beaucoup moins rapidedes participants âgés (pas encore réalisée au 20e essai) en comparaison aux plusjeunes (effective au 8e essai). On pourrait être tenté de rapprocher ce type de résultatdu phénomène dinhibition latente ou ralentissement de lapprentissage des réponsesà des stimuli que le sujet vient dapprendre à ignorer car identifiés comme nonpertinents par rapport à une tâche précédemment réalisée. La prédiction associée àlhypothèse dun déficit inhibiteur lié à lâge serait alors celle dun apprentissageplus rapide des stimuli pré-exposés chez les participants âgés en comparaison auxsujets plus jeunes. Aucun résultat cependant ne semble avoir été publié concernantles effets du vieillissement humain sur lampleur de linhibition latente lors dunetâche dapprentissage simple (mais voir plus loin à propos de lamorçage négatif).

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    6.2.2. Différences liées à lâge dans la suppression de réflexes visuels

    6.2.2.1. Inhibition de retour de lattention visuelle

    Le phénomène dinhibition de retour recouvre le fait que lil se déplace moinsrapidement vers une cible avertie, cest-à-dire qui apparaît à un endroit vers lequellattention a été récemment orientée, quà des endroits non encore inspectés. Lafonction adaptative de ce mécanisme dinhibition oculomotrice impliqué dans larecherche visuelle pourrait être de faciliter la détection dune cible non avertie enluttant contre la tendance à réorienter le regard là où il sest déjà posé. Le principedu protocole expérimental employé pour mesurer leffet dinhibition de retour (IR)consiste à orienter latéralement lattention à laide dun avertisseur puis à présenterune cible à lendroit averti (essai valide) ou à un endroit non averti (essai nonvalide). Les manipulations expérimentales peuvent porter sur le caractère central oupériphérique de la cible, lintervalle de temps entre la présentation de lavertisseur etla cible (Stimulus Onset Asynchrony ou SOA) ou la répartition entre essais valides etessais non valides. Les observations effectuées concernent la précision des réponseset le temps de détection ou didentification de la cible (TR). Plusieurs mesuresrenvoyant à différentes composantes dengagement, de déplacement et dedésengagement de lattention peuvent en être dérivées (Camus et Gély-Nargeot,2000). Lorsque certaines conditions expérimentales sont respectées, leffet dIR peutêtre mesuré par la différence TRvalide TRnon valide.

    Linhibition de retour de lattention visuelle, au moins pour ce qui est de ladétection de cible, ne semble pas être sensible aux effets du vieillissement normal(Faust et Balota, 1997 ; Hartley et Kieley, 1995). Ces derniers auteurs par exempleutilisent des essais à avertissement unique (point de fixation central, avertisseurlatéral, cible) pour mesurer leffet attentionnel (TRnon valide TRvalide) et des essaisà double avertissement (point de fixation central, avertisseur latéral, avertisseurcentral, cible) pour mesurer leffet dinhibition de retour chez 20 participants jeunes(de 18 à 23 ans) et 20 plus âgés (de 62 à 88 ans). Les résultats recueillis au cours deplusieurs expériences de détection et didentification de cible montrent quelamplitude de leffet dinhibition de retour est identique (de lordre de 40 ms) voirerelativement plus importante chez les seniors, en moyenne plus lents à répondre queles juniors (par exemple 670 ms versus 538 ms dans lexpérience 2).

    La généralité de ce résultat paraît néanmoins devoir être nuancée. Leffetdinhibition de retour de lidentité de la cible, au contraire de celui de la localisationspatiale, na dabord pas toujours été observé chez la personne âgée (Connelly etHasher, 1993). Dautres résultats plus récents plaident également en faveur delexistence de déficits spécifiques associés à lâge de linhibition de retour. McCraeet Abrams (2001) ont ainsi mis en évidence chez la personne âgée une inhibition deretour préservée lorsque les cibles sont statiques (IR de lendroit cible) mais

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    déficitaire lorsquelles apparaissent dans des formes déplacées après avertissement(IR de lobjet cible), ce constat restant toujours valable malgré lallongement jusquàplusieurs secondes du SOA. Langley, Fuentes, Hochhalter, Brandt et Overmier(2001) montrent à laide dune tâche à double indiçage (détection et catégorisation)la présence dun effet dinhibition de retour chez les participants jeunes et âgés dansles deux tâches lorsque le SOA est court (950 ms) mais nobservent pas chez lessujets âgés pour la tâche de détection la réduction de cet effet constatée chez les plusjeunes lorsque le SOA est rallongé (3 500 ms).

    Lhypothèse dune baisse liée à lâge de linhibition de retour na donc pas decaractère général ; les effets observés semblent être fonction des caractéristiques duprotocole employé (par exemple, lintervalle de temps avertisseur-cible) et de ce surquoi linhibition paraît sexercer. Dans certaines situations, les seniors semblent êtreautant capables que les juniors dinhiber lorientation exogène de lattention visuellealors que cela ne semble pas être le cas dans dautres.

    6.2.2.2. Inhibition de saccade oculaire

    Les différences liées à lâge dans linhibition de réponses réflexes visuelles ontété également étudiées au moyen de protocoles dantisaccade oculaire. On considèregénéralement que deux processus sont essentiellement impliqués dans ces tâches quiimposent dorienter lil dans la direction opposée à celle où apparaît un avertisseurpériphérique : linhibition liée au contrôle endogène de la prosaccade réflexe dunepart, linitiation de la saccade oculaire dans la direction opposée dautre part. Lerésultat classiquement observé est celui dun ralentissement du mouvementantisaccadique de lil, le TR dantisaccade augmentant plus rapidement avec lâgeque celui de prosaccade (par exemple, Olincy, Youngd et Freedman, 1997, sur unéchantillon de 42 adultes âgés de 19 à 79 ans). Linterprétation de faits de ce genreest controversée.

    Plusieurs auteurs estiment que ce ralentissement est sans relation avec un déficitdinhibition de la réponse réflexe. Cest par exemple le point de vue de Pratt,Abrams et Chasteen (1997) qui sappuient sur léquivalence entre juniors et seniorsde la réduction relative des latences provoquée par la disparition du point de fixationimmédiatement avant lapparition de la cible (le gap effect). Cette opinion estpartagée par Kramer, Hahn, Irwin et Theeuwes (1999) qui montrent avec une tâchede capture attentionnelle (orienter le regard vers une cible afin didentifier une lettresituée juste en-dessous) que les sujets âgés ne sont pas moins efficaces que les sujetsplus jeunes dans linhibition des mouvements de lil vers des distracteurs visuelsprésentés une fois sur deux. Dautres auteurs voient au contraire danslaugmentation liée à lâge du TR dantisaccade, dans celle du nombre derreurs deprosaccade (Olincy et al., 1997) et surtout dans celle du nombre derreursdantisaccade (Butler, Zacks et Henderson, 1999) une série darguments en faveurdun déficit lié à lâge de linhibition volontaire dune réponse dorientation

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    exogène. Des résultats en accord avec cette interprétation ont été récemment publiéspar Nieuwenhuis, Ridderinkhof, de Jong, Kok et Van der Molen (2000).Lhypothèse dune moindre efficience inhibitrice des participants les plus âgés cest-à-dire celle dune sensibilité plus marquée de ces sujets aux qualités exogènes desstimulus permet de prédire une augmentation des difficultés à supprimer lessaccades vers lavertisseur quand la cible est absente (intervalle de temps long entrelavertisseur et la cible). Les auteurs sattendent par contre à observer une détectionplus rapide de la cible lorsque lintervalle de temps entre lavertisseur et la cible estcourt. Cest effectivement ce quils constatent dans une première expérience sur 18juniors (de 18 à 25 ans) et 18 seniors (de 59 à 80 ans) en faisant varier lintervalle detemps avertisseur-cible de 100 à 1 500 ms, leffet étant surtout notable au-delà de500 ms. Dans une seconde expérience, plusieurs distracteurs sont associés à la cibleafin dobliger le sujet à traiter linformation liée à lavertisseur pour pouvoireffectuer un mouvement oculaire approprié à la détection de la cible. Cettemanipulation expérimentale provoque chez les personnes âgées une accélération desmouvements oculaires volontaires et des déplacements attentionnels, ce quitémoigne de leurs difficultés dans la première expérience à maintenir un niveauélevé dactivation de lintention. Les seniors manifestent à nouveau en comparaisonaux juniors une plus grande sensibilité à lavertisseur, signe dun déficit lié à lâgede la suppression active du mouvement réflexe de lil. Nieuwenhuis et sescollègues sappuient sur la distinction entre deux formes dinhibition pour rendrecompte de ces faits. Une première forme dinhibition réflexe, médiatisée par desréseaux attentionnels postérieurs mettant en jeu le colliculus supérieur, seraitrésistante au vieillissement normal. Lâge aurait par contre un impact sur lefficacitédune seconde forme dinhibition qui solliciterait le cortex oculomoteur et le cortexpréfrontal et serait impliquée dans linitiation de mouvements oculaires volontaireset la suppression active des mouvements oculomoteurs et des changementsattentionnels déclenchés automatiquement par un événement exogène.

    6.2.3. Différences liées à lâge dans la suspension de laction

    Deux protocoles ont été principalement employés dans létude des différencesliées à lâge de linhibition dune réponse motrice. Le premier, connu sous le nom deparadigme go/nogo, est une tâche dinhibition intentionnelle dans laquelle il faut parexemple discriminer (verbalement ou par appui sur une touche) la lettre X ou Ylorsque celle-ci est de couleur verte (go) mais suspendre sa réponse lorsque la lettreest de couleur rouge (nogo). Une version plus élaborée du paradigme go/nogo,mieux à même de chronométrer les manifestations dinhibition, est le paradigmestop-signal (Logan, 1994). Cette tâche est composée de deux sous-tâchesconcurrentes : la tâche go dans laquelle les sujets doivent répondre à un stimulusvisuel (par exemple, discriminer le plus rapidement possible la lettre X ou Yprésentée à lécran) ; la tâche nogo dans laquelle il faut suspendre soudainement

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    laction planifiée ou en cours en réponse à un signal auditif survenant aprèslapparition de la lettre dans 25 % des essais de la tâche go. Lanalyse de laperformance repose sur lhypothèse formalisée par Logan et Cowan (1984) dunecompétition entre deux processus dactivation et dinhibition intervenantindépendamment et en parallèle dans le contrôle de lexécution de la réponse (lehorse-race model). Linhibition est mesurée à partir du temps compris entrelapparition de la lettre et lappui sur la touche de réponse (TRgo) et de la latence dela réponse au signal nogo (TRnogo) quil est possible destimer en augmentant ouréduisant lintervalle de temps compris entre lapparition de la lettre et laudition dusignal (par exemple 250 ms), jusquà ce que le sujet réussisse à suspendre son actiondans 50 % des essais nogo.

    Linterprétation des manifestations dinhibition objectivées avec les paradigmesde suspension de laction reste débattue. De Jong, Coles et Logan (1995) sappuientprincipalement sur des données électrophysiologiques recueillies dans des situationsgo/nogo pour suggérer une dissociation entre deux formes dinhibitionfonctionnellement distinctes : dune part un mécanisme central dinhibition sélectiveopérant sous la dépendance du cortex moteur, dautre part un mécanisme pluspériphérique dinhibition non sélective. Cette position théorique nest pas cellequadoptent Band et Van Boxtel (1999) pour qui linhibition de réponse seraittoujours descendante et impliquerait le cortex préfrontal par lintermédiaire ducortex moteur. Falkenstein, Hoormann et Hohnsbein (2002) penchent plutôt enfaveur de lexistence de processus spécifiques dinhibition de la réponse (modalitéauditive ou visuelle) et de processus plus généraux, ce dont témoigneraient après lesstimuli nogo les ondes négative N2 et positive P3 observées sur les régions fronto-centrales du scalp avec la technique des potentiels évoqués.

    Plusieurs résultats dexpériences réalisées chez des personnes âgées permettentde penser que celles-ci ont plus de difficultés que les sujets plus jeunes à inhiber laréponse au signal nogo. Létude de Kramer et de ses collaborateurs (1994) porte parexemple sur 32 jeunes adultes (de 18 à 28 ans) et 30 participants âgés (de 60 à 74ans). Le paradigme dEriksen dans lequel il faut discriminer une lettre flanquée dedeux autres lettres sert de tâche go. Le sujet dispose de deux clés de réponse : lapremière pour lune ou lautre des lettres X et Y, la seconde pour lune ou lautredes lettres S et C. Des distracteurs compatibles (YXY, XYX, CSC ou SCS),incompatibles (par exemple, SXS ou SYS) ou neutres (par exemple, HXH) sontplacés de part et dautre de la lettre à discriminer. La tâche go est administrée unepremière fois avec les seuls essais compatibles afin dobtenir la distribution des TRde chaque sujet et de pouvoir ensuite ajuster individuellement lintervalle de tempscompris entre la présentation de la lettre et laudition du signal darrêt (retard nogo).Le temps de réponse au signal darrêt (TRnogo) est estimé pour divers taux deréussite (20 %, 40 %, 60 % et 80 %) et pour chaque type de distracteur. Outre leconstat habituel du ralentissement des réponses des participants âgés par rapport à

  • 136 Inhibition neurale et cognitive

    celles des plus jeunes (environ 550 ms versus 400 ms), deux résultats peuvent êtrenotés. Lanalyse des TRgo révèle tout dabord une absence dinteraction entre lâgeet la condition expérimentale tant pour la facilitation du traitement (neutre compatible) que pour le coût de celui-ci (incompatible neutre). Ce résultat suggèreque le vieillissement normal ne saccompagne pas toujours dune sensibilité accrue àlinterférence. Les auteurs lexpliquent par le niveau intellectuel élevé des sujetsâgés de létude, sujets par ailleurs bien entraînés à la tâche. Lanalyse des TRnogotoutes conditions expérimentales confondues met néanmoins en évidence desdifficultés spécifiques à suspendre laction chez les participants âgés (305 ms versus214 ms). Ce résultat qui selon les auteurs ne peut être attribué ni au ralentissementde la vitesse dexécution des seniors par rapport aux juniors (.26 versus .04 aprèscontrôle du TRgo) (Salthouse, 1985, 1991), ni à des réponses trop rapides despremiers au signal go, va dans le sens de lhypothèse dun déficit lié à lâge dans lecontrôle de la suspension de laction. Cet effet a été retrouvé depuis dans plusieursétudes employant la chronométrie mentale (Bedard, Nichols, Barbosa, Schachar,Logan et Tannock, 2002 ; Williams, Ponesse, Schachar, Logan et Tannock, 1999)aussi bien que les potentiels évoqués pour les essais nogo. Falkenstein et al., (2002)présentent des résultats qui montrent ainsi que linhibition générale (onde P3)semble retardée chez les sujets plus âgés (12 jeunes-vieux de 54 à 65 ans) encomparaison aux plus jeunes (12 jeunes de 19 à 25 ans). Il semble en outre queleffet du vieillissement sur linhibition plus spécifique à la modalité delinformation (onde N2) soit plus marqué avec linformation visuelle plutôt quaveclinformation auditive.

    Au total, les différences liées à lâge dans la suspension de laction sont trèsvraisemblablement en relation avec une baisse defficacité de mécanismes centrauxdinhibition. Celles-ci pouvant varier selon les conditions expérimentales, lematériel employé et les caractéristiques de léchantillon étudié, il paraît à lheureactuelle préférable de les interpréter en référence à un système de processusimpliqués dans le contrôle inhibiteur sélectif (Bedard et al., 2002) plutôt quà unprocessus généralisé globalement affecté par le vieillissement normal.

    6.2.4. Différences liées à lâge dans linhibition dans lattention sélective

    Les protocoles dattention sélective ou de filtrage ont été très largement utilisésdans létude de lefficacité chez la personne âgée des mécanismes dinhibition. Nousleur porterons donc un intérêt particulier. Leur principe général repose sur laprésentation successive ou simultanée dinformations concurrentes dont certainessont susceptibles de perturber le traitement de la cible. Deux phénomènesempiriquement distincts, linterférence et lamorçage négatif, sont généralementutilisés comme indicateurs de linhibition.

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 137

    Le phénomène dinterférence est le ralentissement de la réponse à une cible enprésence dun distracteur (TRcible+distracteur TRcible). Lexemple prototypique estcelui du Stroop couleur (Stroop, 1935) dans lequel il faut dénommer la couleur dustimulus qui peut être neutre (par exemple, XXXX écrit en bleu), congruente avec lemot (par exemple, ROUGE écrit en rouge) ou conflictuelle (par exemple, JAUNEécrit en rouge). Linterférence ou interruption du traitement de la couleur provoquéepar ce que le mot donne automatiquement à lire est mesurée par TRconflitTRneutre(effet dinterférence) et par TRconflitTRcongruent (effet Stroop). Signalons que leffetdinterférence qui se traduit par une augmentation significative du temps dedénomination possède une bonne fidélité (aux environs de 0,75 ; Salthouse, 1996 ;Verhaegen et de Meersmann, 1998a).

    Lamorçage négatif, terme popularisé par Tipper (1985), correspond àlobservation dune réponse plus lente à un stimulus lorsque celui-ci a étéantérieurement présenté comme distracteur. Ce phénomène a été par exempleremarqué avec la tâche de Stroop lorsque la cible dun essai test donné est la couleurdésignée par le mot distracteur de lessai amorce précédent (par exemple ROUGEécrit en bleu suivi de JAUNE écrit en rouge). Lamorçage négatif ou effet desuppression du distracteur est mesuré par le ralentissement de la réponse encondition liée (ignored repetition) cest-à-dire lorsque le distracteur de lessai ndevient la cible de lessai n + 1, par rapport à la condition contrôle où les essais sonttotalement indépendants. La faible amplitude de leffet damorçage négatif chez lejeune adulte (le plus souvent compris entre 10 et 20 ms ; Verhaegen et deMeersmann, 1998b) amène néanmoins à se demander si cet indicateur, pourtantsouvent considéré comme une mesure de référence du degré defficacité dufonctionnement attentionnel inhibiteur, peut être utilisé sans risque dans les étudessur le vieillissement cognitif, notamment dans celles qui portent sur des aspectsdifférentiels. Si lon en croît Bestgen et Dupont (2000) qui jugent insuffisante safidélité à lissue dune étude réalisée chez le jeune adulte, la réponse à cette questiondoit être réservée.

    Il est bien sûr tentant de voir dans linhibition un mécanisme commun à ces deuxphénomènes. Linterprétation de linterférence est en effet étroitement liée à lidéede résolution de conflit entre représentations compétitives ce qui pourrait impliquer,entre autres processus de contrôle cognitif, la suppression active de la réponseactivée par linformation non pertinente. La lecture du mot et lanalyse de la couleursuivant deux voies de traitement différentes, cette résolution par inhibition delinformation parasite seffectuerait plus vraisemblablement à un niveau efférentquafférent. Linhibition peut aussi rendre compte de lamorçage négatif, moinsdirectement dirigé par lactivation du distracteur que linterférence. Lhypothèse desuppression active du distracteur postule en effet que plus le mécanisme dinhibitionappliqué au distracteur de lessai n est efficace, plus leffet résiduel risque de se fairesentir lors de la sélection et du traitement de la cible à lessai n + 1 (Tipper, 1985).

  • 138 Inhibition neurale et cognitive

    Le tableau manque en fait de clarté (Coulon, 2002). Linterférence peut en effetautant se concevoir comme un indicateur de lefficacité de laction conjointe desmécanismes damplification et dinhibition impliqués dans la sélection delinformation pertinente que comme un indicateur de lefficacité du seul mécanismedinhibition. Dautres interprétations peuvent aussi être opposées à la conception delamorçage négatif comme indicateur direct de lefficacité des processus inhibiteurs.Neill, Valdes et Terry (1995) mettent notamment en avant lhypothèse durecouvrement épisodique selon laquelle lallongement de la latence à lessai testsexpliquerait par le conflit provoqué par lactivation dune représentationépisodique, désormais non pertinente, avertissant de ne pas tenir compte dudistracteur de lessai amorce. Milliken, Joordens, Merikle et Seiffert (1998) estimentpour leur part que lamorçage négatif renvoie à un processus stratégique dediscrimination temporelle inhérent à la récupération en mémoire plutôt quà unprocessus de non-sélection dune représentation parasite. Des interprétations delamorçage négatif tentant dintégrer lhypothèse de linhibition et lexplicationmnésique semblent être actuellement privilégiées (Kane, May, Hasher, Rahhal etStoltzfus, 1997).

    Les éléments qui viennent dêtre évoqués, malgré une certaine confusiondensemble, plaident en faveur dun « emboîtement » relatif de lamorçage négatifdans linterférence (Arbuthnott, 1995 ; McDowd, 1997), les mécanismes en jeu danslamorçage négatif contribuant, sans sy substituer, à ceux par lesquels linterférenceest résolue. En tout état de cause, lhypothèse de différences liées à lâge dans lesprocessus inhibiteurs conduit à prédire lobservation dun effet dinterférence plusmarqué et dun effet damorçage négatif moindre chez la personne âgée encomparaison au sujet plus jeune. Globalement, les résultats des premières recherchesse sont avérés compatibles avec cette double prédiction. Ils ont cependant dû êtreprogressivement nuancés en raison dun nombre croissant de résultatscontradictoires.

    6.2.4.1. Des premiers résultats en faveur dun déficit dinhibition associé à lâge

    Laugmentation disproportionnée de leffet dinterférence mesuré avec la tâchede Stroop chez ladulte de plus de 60-65 ans en comparaison au sujet plus jeune estun phénomène connu depuis longtemps (Comalli, Wapner et Werner, 1962) etsouvent répliqué. Il est néanmoins difficile den préciser lampleur moyenne quipeut varier considérablement selon le paradigme expérimental employé et lescaractéristiques des échantillons étudiés [par exemple, 177 ms versus 88 ms danslétude de Spieler, Balota et Faust (1996) ; 74 ms versus 53 ms sur 4 tâches dérivéesde celle de Stroop dans la recherche de Little et Hartley (2000)]. On peut aussisignaler la corrélation de 0,22 entre lamplitude de leffet dinterférence et lâgerapportée par Salthouse et Meinz (1995) sur un échantillon de 242 sujets âgés de 20à 89 ans.

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 139

    Des développements méthodologiques récents permettant danalyser plusfinement la performance au Stroop apportent un certain éclairage sur le rôle delinhibition dans laugmentation de leffet dinterférence chez la personne âgée.Spieler et al., (1996) appliquent certaines de ces techniques à lanalyse de laperformance au Stroop mot et couleur chez 27 sujets jeunes âgés de 17 à 26 ans, 25sujets âgés de 58 à 79 ans (jeunes-vieux) et 25 sujets âgés de 80 à 93 ans (vieux-vieux). Lanalyse qualitative des latences repose sur lapplication du modèle ex-Gaussien aux distributions individuelles des TR (figure 6.1) et lestimation desparamètres µ et σ de la partie modale de la distribution (composante gaussienne) etdu paramètre τ qui réfléchit les valeurs extrêmes de la distribution (composanteexponentielle). Deux résultats intéressants sont observés : un effet dinterférence(µconflitµneutre) significativement plus important chez les sujets vieux-vieuxcomparés aux sujets jeunes et jeunes-vieux dune part, une augmentationdisproportionnée des TR extrêmes en situation dinterférence (τconflitτneutre) chezles participants âgés en comparaison aux sujets jeunes dautre part. Aux différencesprès de vitesse entre jeunes et plus âgés, laccroissement du nombre de TR extrêmesexpliquerait donc laugmentation disproportionnée de leffet dinterférence observéechez les seniors.

    Estim

    atio

    n (m

    s)

    700

    800

    900

    1000

    1100

    1200µ (moyenne)

    500

    60050

    100

    150

    200

    250

    300

    σ (intra, portion modale)

    0

    τ (biais)

    50

    100

    150

    200

    250

    300

    0

    Estim

    atio

    n (m

    s)

    700

    800

    900

    1000

    1100

    1200

    500

    600

    Estim

    atio

    n (m

    s)

    50

    100

    150

    200

    250

    300

    0

    -VJ- V-VJ

    700

    800

    900

    1000

    1100

    1200

    500

    60050

    100

    150

    200

    250

    300

    0

    ns

  • 140 Inhibition neurale et cognitive

    Spieler, en appliquant quelques années plus tard un modèle random walk à cesmêmes données, a constaté que la performance des jeunes et des âgés était affectéede manière équivalente par linterférence, ce qui la conduit à privilégier lhypothèsedun ralentissement global plutôt que celle dun déficit dinhibition (Spieler, 2001).

    Linteraction significative entre lâge et leffet de linformation distractrice a étéobservée avec dautres paradigmes dinterférence que celui de Stroop. MacDowd etOseas-Kreger (1991) présentent par exemple deux lettres partiellement superposéesà des sujets qui doivent lire lune dentre elles (la rouge) et ignorer lautre (la verte).Ils constatent que les réponses des sujets âgés (N = 20, m = 73,7 ans) sontproportionnellement plus ralenties par la présence de la lettre verte quelles ne lesont chez les sujets jeunes. Connelly, Hasher et Zacks (1991) mettent également enévidence chez 24 seniors (68,9 ans en moyenne) et 24 juniors (18,10 ans enmoyenne) une influence positive de lâge sur le temps supplémentaire que nécessitela lecture (TL) dun texte parsemé de mots-distracteurs par rapport à celle dun textecontrôle. Ils notent également que leffet dinterférence (TLdistracteurs-TLcontrôle) estcomparativement plus important chez les sujets âgés lorsque les distracteurs sontsémantiquement reliés au texte que lorsquils ne le sont pas.

    Il semble cependant que ce ralentissement différentiel lié à lâge en conditiondinterférence ne puisse être attribué au seul mécanisme dinhibition et que desaspects plus généraux dadaptation et de contrôle cognitif soient aussi à évoquer. Enattestent plusieurs séries de données qui tendent à montrer que la sensibilité audistracteur est plus importante chez les sujets âgés de faible aptitude verbale (maispas chez les jeunes) ou lexistence dun effet dapprentissage pour les textesexpérimentaux, les premiers textes présentés ayant plus dimpact sur la performancedes sujets âgés que les suivants (Connelly et al., 1991). Un tableau assez comparablea dailleurs été observé avec le test de Stroop. Dautres études semblent aussisuggérer quil est expérimentalement possible datténuer de façon relativementimportante lampleur du ralentissement lié à lâge en condition de lecture avecdistracteurs, notamment lorsque ces derniers sont présentés à des emplacementsfixes (condition dindiçage spatial ; Carlson, Hasher, Connelly et Zacks, 1995).

    Les premiers travaux réalisés chez la personne âgée avec des paradigmesdamorçage négatif ont conclu également en faveur de lhypothèse dun déficit lié àlâge des processus attentionnels inhibiteurs (pour revue Fox, 1995 ; May, Kane etHasher, 1995 ; Neill et al., 1995). Tipper (1991) utilise par exemple une tâche dedénomination de dessins (fixation + amorce + fixation + test) dans laquelle sontdéfinies trois conditions expérimentales : contrôle (arbre-marteau puis chien-main),neutre (arbre-marteau puis chien-« dessin sans signification »), liée (chien-arbrepuis chien-main) quil administre à 20 participants âgés de 57 à 77 ans et 20 jeunesadultes (de 17 à 25 ans). La comparaison de la performance des sujets des deuxgroupes montre que les participants les plus âgés, plus sensibles que les jeunes à

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 141

    linterférence (TRcontrôleTRneutre : 42 ms versus 8 ms), ne mettent pas plus detemps pour répondre à une cible qui devait être ignorée à lessai précédent quà unecible qui ne devait pas lêtre, au contraire des jeunes qui mettent dans cette étude enmoyenne 15 ms de plus en condition liée. Une telle absence deffet damorçagenégatif chez les seniors est en accord avec lhypothèse dun déficit lié à lâge delinhibition.

    6.2.4.2. Une hypothèse progressivement remise en question

    Lhypothèse dun déficit inhibiteur associé à lâge aux tâches dattentionsélective sest trouvée progressivement démentie par les résultats détudeseffectuées ces dernières années. La preuve a en effet été apportée quon pouvaitobserver des effets damorçage négatif chez la personne âgée dans certainessituations expérimentales et que ces effets pouvaient se manifester en présence ou enlabsence deffets dinterférence. On comprend alors que la structure des relationsentre interférence et amorçage négatif chez la personne âgée se soit vite révéléeincompatible avec lhypothèse dun déficit général dinhibition aux tâches defiltrage.

    Les tâches dinterférence et damorçage négatif dabord utilisées pour testerlhypothèse dun déficit inhibiteur lié à lâge étaient des tâches didentification(répondre à lidentité dun stimulus sélectionné sur la base de ses attributsphysiques). Il est très vite apparu quil était possible dobserver un effet damorçagenégatif chez la personne âgée avec des tâches nécessitant de sélectionner une cible etdindiquer sa localisation. Connelly et Hasher (1993) comparent ainsi leffetdamorçage négatif avec une tâche de localisation (la cible et le distracteur peuventapparaître dans lun ou lautre quadrant du plan dun écran dordinateur) chez 19sujets jeunes (de 18 à 22 ans) et 19 sujets âgés (de 61 à 74 ans). Trois types deffetssont mesurés : leffet dinterférence (apparition simultanée de la cible et dudistracteur versus apparition de la cible seule), leffet de suppression (apparition dela cible à lemplacement du distracteur de lessai précédent versus contrôle) et enfinleffet dinhibition de retour (réapparition de la cible au même endroit queprécédemment versus contrôle). La similitude des observations effectuées chez lessujets jeunes et les plus âgés, contrairement à celles faites avec des tâchesdidentification, est en désaccord avec lhypothèse dun déficit inhibiteur associé àlâge : même amplitude de leffet dinterférence (expérience 1 : 15,1 ms versus 13,6ms), même amplitude de leffet de suppression (28,2 ms versus 28,5 ms), absencedeffet dinhibition de retour dans les deux groupes (voir 6.2.2.1). Ce ralentissementéquivalent chez les juniors et les seniors aux essais où la localisation de la cible estla même que celle du distracteur à lessai précédent a été retrouvé depuis dansplusieurs autres études. Il a conduit Connelly et Hasher à proposer lexistence desystèmes inhibiteurs multiples (inhibition de la localisation de linformation,inhibition de lidentité de linformation) différentiellement sensibles aux effets du

  • 142 Inhibition neurale et cognitive

    vieillissement normal. Dautres hypothèses mettant par exemple laccent sur le rôledes paramètres temporels dans lintervention des mécanismes dinhibition ontégalement été mises en avant (McDowd et al., 1995).

    Des effets damorçage négatif ont pu aussi être observés avec des tâchesdidentification employant un matériel autre que des lettres et des mots. Sullivan etFaust (1993) utilisent une tâche didentification de dessins pour comparer laperformance dun groupe de 15 jeunes (de 18 à 35 ans) à celle de 33 participantsâgés (de 55 à 80 ans). Comme précédemment, les auteurs constatent une équivalencedeffet chez les juniors et les seniors (64 versus 72 ms pour leffet dinterférence ;15 ms versus 24 ms pour leffet damorçage négatif lorsque le distracteur estidentique à la cible). Des résultats comparables ont été trouvés en augmentant ladifficulté de la sélection de la cible. Cest ce que rapportent Kieley et Hartley (1997)qui manipulent le regroupement des items dans une procédure de type Stroop etobservent chez 16 jeunes adultes (de 19 à 28 ans) et 16 participants âgés (de 67 à 85ans) des différences liées à lâge dans leffet Stroop (expérience 1, condition mixte jeunes : 121 ms versus vieux : 182 ms). Ils constatent cependant une différence nonsignificative dans leffet dinterférence (221 ms versus 260 ms) et une équivalencetotale de leffet damorçage négatif dans les deux groupes (90 ms). Le même constatest fait par Gamboz, Russo et Fox (2000) qui font varier dans une série de troisexpériences les caractéristiques perceptives des items dune tâche didentification delettres afin dinduire un traitement aussi exhaustif que possible des distracteurs chezdes participants jeunes (m ≈ 25 ans) et âgés (m ≈ 68 ans). Les auteurs, qui vérifientque les groupes comparés présentent à peu près le même niveau defficienceintellectuelle au National Adult Reading Test le fait est notable car le contrôlenest pas si souvent effectué , observent une nouvelle fois une équivalence deleffet damorçage négatif dans les deux groupes ainsi quun accroissementcomparable de cet effet avec laugmentation de la difficulté de la sélection de lacible. En bref, ces résultats comme dautres (Kramer et al., 1994 ; Kramer etStrayer, 2001 ; Little et Hartley, 2000) tendent à montrer que la capacité à supprimerlinformation non pertinente sur la base de lidentité du stimulus ne décline pas aveclâge comme les premières recherches effectuées tendaient à le laisser supposer.

    De tels constats empiriques ont suscité diverses interprétations. Une premièrehypothèse envisageable est que linhibition pourrait ne pas être sollicitée danscertaines des conditions employées pour en démontrer linefficacité chez la personneâgée. Le déficit inhibiteur chez la personne âgée pourrait donc résider moins dans lacapacité à mettre en uvre linhibition que dans la réalisation de cette capacité(Kieley et Hartley, 1997). Nous avons indiqué plus haut que certains auteursestiment que la suppression de lidentité peut ne pas être due à linhibition dudistracteur mais provenir plutôt du recouvrement épisodique de linformation liée àlessai précédent (Fox, 1995 ; May et al., 1995), lun ou lautre des processusdinhibition et de recouvrement épisodique pouvant être différentiellement activé

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 143

    selon le type de tâche et la nature du matériel. Cest en prolongeant cette hypothèsepar celle dun maintien avec lâge de lefficacité du recouvrement épisodique queKane et al. (1997) expliquent par exemple certains des résultats précédents.

    Lexistence dune relation chez la personne âgée entre les phénomènesdinterférence et damorçage négatif découle de lhypothèse générale dun déficit liéà lâge de linhibition dans lattention sélective. Le sens attendu de cette relationnest cependant pas le même selon la perspective adoptée qui peut être centrée surles tâches ou les individus. A niveau constant defficacité inhibitrice (individuelle ouintragroupe), une modification des caractéristiques de la tâche qui augmenteraitleffet dinterférence et donc limplication de linhibition doit aussi amplifierleffet damorçage négatif mesuré sur les mêmes items, ce que signale Fox (1995).Dun autre point de vue, si linhibition réduit linterférence créée par linformationdistractrice, une baisse dinhibition chez les participants âgés doit accroîtrelampleur de leffet dinterférence et diminuer celle de leffet damorçage négatif.Lhypothèse du recouvrement épisodique prédit également lexistence dune relationentre les deux phénomènes. Du point de vue de la tâche, une interférence plusgrande, preuve dun marqueur plus actif, doit conduire à lobservation dun effetdamorçage négatif plus marqué à lessai suivant. Dun point de vue différentielcette fois, une interférence plus forte signifie que les caractéristiques du stimulusactuel lemportent sur le marqueur de lessai précédent ce qui se traduit par un effetdamorçage négatif moindre. Si linhibition nopère que pour isoler la cible à lessaitest du distracteur présenté à lessai amorce, un effet damorçage négatif doit aussipouvoir être observé en labsence dun effet dinterférence (Neill, 1977 ; Stolzfus,Hasher, Zacks, Ulivi, et Goldstein, 1993). Les résultats concernant la relation chez lapersonne âgée entre interférence et amorçage négatif sont donc à examiner avecbeaucoup de prudence dautant que les corrélations négatives (Fox, 1995 ; Kane,Hasher, Stoltzfus, Zacks et Connelly, 1994 ; May et al., 1995 ; McDowd, 1995),positives (Little et Hartley, 2000) ou peu cohérentes (Sullivan et Faust, 1993) sontsouvent calculées sur des effectifs réduits.

    Un éclairage intéressant à cette question est apporté par Earles, Connor, Frieske,Park, Smith, et Zwahr (1997) qui prennent dheureuses précautions dans le doubleéchantillonnage des tâches (effets dinterférence et damorçage négatif mesurés avecdes tâches différentes) et des sujets (301 hommes âgés de 20 à 90 ans). Les auteursexplorent la relation entre lâge, la vitesse perceptive, la mémoire de travail et leseffets dinterférence et damorçage négatif. Leffet damorçage négatif est mesuréavec une tâche didentification de mots semblable à celle de McDowd (voir lasection précédente). Celui dinterférence est mesuré avec le test de Stroop (versionpapier-crayon), avec une tâche de lecture avec distracteurs et dans la conditioninterférence de la tâche damorçage négatif. Diverses épreuves de rappel libre demots, de mémoire de travail (empan de lecture et empan arithmétique) et de vitesseperceptive (code de la WAIS, collationnement de lettres et de figures) sont

  • 144 Inhibition neurale et cognitive

    également administrées aux sujets. La fidélité des indicateurs retenus varie entre0,82 et 0,97. Les diverses analyses effectuées montrent la présence dun effetdamorçage négatif chez tous les sujets. Cet effet est plus faible chez les plus âgésdentre eux (18 ms pour les plus jeunes versus 11 ms pour les plus âgés ; r = 0,14avec lâge). Elles établissent aussi que les effets dinterférence mesurés par le Stroopcouleur et la tâche de lecture avec distracteurs sont plus importants chez lesparticipants les plus âgés (resp. r = 0,20 et r = 0,32 avec lâge). Cette relation entreâge et effet dinterférence nest pas observée lorsque celui-ci est mesuré avec latâche damorçage négatif. Ces analyses mettent enfin en évidence une absence derelation entre leffet dinterférence (Stroop, lecture avec distracteurs) et leffetdamorçage négatif lorsque ceux-ci sont mesurés par des tâches différentes et unecorrélation négative de 0,14 lorsquils sont mesurés avec la même tâchedidentification.

    Âge vitesseInterférence

    Stroop

    Interférencemots

    Inhibitionmots

    Interférencelecture

    Mémoire de travail

    -0.14

    -0.20

    -0.29

    -0.73

    -0.71-0.1

    9

    -0.16

    0.33

    -0.1

    4

    Âge vitesseInterférence

    Stroop

    Interférencemots

    Inhibitionmots

    Interférencelecture

    Mémoire de travail

    -0.14

    -0.20

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    -0.73

    -0.71-0.1

    9

    -0.16

    0.33

    -0.1

    4

    6.2. Analyse de parcours effectuée à partir des données de Earles et collaborateurs χ2(11) =13,92, p = 0,24, RMR = 0,03, AGFI = 0,96, N = 266

    (daprès Earles et al., 1997, matrice de corrélations p. 53)

    Pour rendre compte de façon plus parlante de lensemble des relations observéesdans cette étude, nous avons effectué une analyse de pistes causales à partir descorrélations entre variables (figure 6.2). Le modèle structural retenu accorde auxindicateurs dinterférence et damorçage négatif un statut de médiateur entre lâge etla vitesse perceptive dune part, la mémoire de travail dautre part (Hasher et Zacks,1988). Il fournit une représentation satisfaisante de lorganisation des relations entreles variables considérées. On notera le rôle très important des différences liées à lavitesse perceptive dans les différences liées à lâge dans linterférence mesurée parle Stroop et la tâche de lecture avec distracteurs. Ce type de résultat classique est

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 145

    considéré par certains auteurs comme un argument central en faveur de lhypothèsedun déficit associé à lâge dans la vitesse de traitement de linformation (Salthouse,1996). Il est éclairé par des résultats plus récents dune étude de Shilling et al.,(2002). Ces auteurs concluent en effet, à partir de données recueillies chez des sujetsde plus de 60 ans auxquels ils administrent plusieurs variantes du Stroop, que lesdifférences liées à lâge, indépendamment de celles liées à la vitesse, contribuentpeu aux différences de performance aux tâches dinterférence et que la cohérenceindividuelle de la performance est étroitement dépendante du degré de similitude destâches employées. Ils notent aussi que la validité de construit de linhibition mesuréeavec ces diverses tâches saméliore quand les individus sont différenciés en fonctionde leur niveau global defficience intellectuelle comparaison intergroupes plutôtquen fonction de lâge. On remarquera enfin le statut très marginal des différencesdans leffet damorçage négatif, certes sensible au vieillissement, mais sans lienaucun avec les différences dans leffet dinterférence. Ce résultat est un argumentsupplémentaire en faveur de la distinction faite par certains auteurs entre résistance àlinterférence liée au distracteur ou inhibition de la réponse prépotente etrésistance à linterférence proactive ou inhibition opérant pour isoler le stimulusactuel du stimulus antérieur (Stolzfus et al., 1993).

    En résumé, le vieillissement normal saccompagne dune baisse de performancedans le filtrage sélectif de linformation. La responsabilité de ce déficit dontlampleur peut varier de manière importante selon la nature des tâches employées, lematériel utilisé et certaines caractéristiques individuelles, ne doit cependant pas êtretrop vite attribuée à un mécanisme général dinhibition. Le déclin associé à lâge dela performance aux tâches dinterférence semble en effet plus être dû à une moindreefficacité dans lexercice intentionnel du contrôle cognitif lequel met sans doute enjeu des mécanismes inhibiteurs spécifiques dont le rôle reste à éclaircir quà unemoindre efficacité de linhibition. Les études réalisées chez la personne âgée avecdes paradigmes damorçage négatif aboutissent pour leur part à des résultats dontlintégration densemble est à faire si lon veut espérer en dépasser lescontradictions. La validité des scores dinhibition mesurés avec de telles tâchessemble enfin insuffisamment affirmée, tant au plan théorique que psychométrique,pour quil soit possible de dire que les processus de suppression active des stimulinon pertinents opèrent normalement chez la personne âgée ou quils voient aucontraire leur efficacité baisser avec lâge.

    6.2.5. Différences liées à lâge dans linhibition de linformation non pertinenteen mémoire de travail

    Lhypothèse dune baisse defficacité associée à lâge des mécanismes desélection des informations pertinentes et dinhibition des informations distractricesdont la conséquence serait laccès en mémoire de travail de représentations non

  • 146 Inhibition neurale et cognitive

    pertinentes au regard des buts fixés peut expliquer la difficulté spécifique despersonnes âgées à se protéger contre linterférence dans des tâches dattentionsélective. Le concept dinhibition peut être également utile dans le cadre dunsystème de contrôle optimalisant le fonctionnement de la mémoire de travail etplusieurs fonctions peuvent lui être allouées (Hasher et Zacks, 1988 ; Hasher, Zackset May, 1999). Linhibition peut être par exemple mise en uvre pour empêcherlaccès en mémoire de travail dinformations dorigine endogène, activéesautomatiquement mais non pertinentes au regard de la tâche en cours (par exemple,une association verbale, une réponse routinière, etc.). Elle peut aussi être impliquéedans la désactivation de représentations parasites dorigine exogène, activées enmémoire de travail mais non pertinentes (par exemple, une information distractricedans un texte) ou létant devenues (par exemple, une association entre mots qui vientdêtre apprise). Les difficultés cognitives de la personne pourraient donc provenirdune détérioration des fonctions dinhibition de la mémoire de travail, hypothèsedont nous allons maintenant examiner le support empirique.

    6.2.5.1. Différences liées à lâge dans la résistance à linterférence provoquée pardes représentations endogènes prégnantes activées en mémoire de travail

    Le paradigme de production aléatoire de lettres ou de chiffres estparticulièrement bien adapté pour juger des effets du vieillissement sur la capacité àempêcher ou interrompre le déclenchement de représentations préexistantesprégnantes (par exemple, la succession des nombres entiers ou celle des lettres delalphabet). Salicé et Juhel (2001) demandent à 107 participants âgés de 61 à 98 anset 79 sujets jeunes (de 19 à 47 ans) de produire des chiffres le plus au hasardpossible en suivant un rythme fixe pendant 2 min (de 1 chiffre par sec. à 1 chiffretoutes les 2 secondes). Les comparaisons entre sujets jeunes et âgés mettent enévidence une plus grande difficulté des seconds à réduire la redondance desalternatives ainsi quun nombre excessif de réponses stéréotypées et cela, quel quesoit le rythme imposé. Elles montrent aussi que les personnes âgées sont dautantplus pénalisées que le rythme de production imposé est rapide (figure 6.3). Cesrésultats, comme dautres (Baddeley, 1996 ; Van der Linden, Beerten et Pesenti,1998), paraissent témoigner des difficultés spécifiques que rencontreraient lespersonnes âgées dans linhibition de schémas préexistants simposantautomatiquement à lesprit. Ils peuvent aussi avoir pour origine des difficultésrenvoyant à des processus plus généraux dévaluation et de contrôle (gestion de latâche, planification, génération, maintien et chaînage des buts et contraintes liés à latâche, monitoring, etc.).

    Des tâches de production de mots ont été également employées pour testerlhypothèse dun déclin de linhibition avec lâge. Salicé et Juhel (sous presse)utilisent des épreuves de fluence verbale supposées impliquer des processus deplanification et de suppression de réponse habituelle (utilisation des mots en

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 147

    fonction de leur signification). Le cadre général de ces tâches dévocationadministrées à 94 participants âgés de 45 à 97 ans est à chaque fois identique :donner en un temps limité à 1 minute le plus grand nombre possible de nomsdéléments dune catégorie donnée (fluence catégorielle), de mots commençant parune lettre donnée (fluence lexicale) ou de mots ne contenant pas une lettre donnée(fluence de lettre à exclure). Les analyses effectuées dégagent une influencenégative de lâge sur lensemble des scores dévocation (coefficient de parcours de0,59 de lâge vers la variable latente résumant les covariations entre les troisépreuves), résultat qui conforte certaines observations antérieures (Auriacombe,Fabrigoule, Lafont, Amieva, Jacqmin-Gadda et Dartigues, 2001 ; Phillips, 1999)mais qui est explicable aussi bien en termes de réduction des ressources de lexécutifcentral, de déficit dans lexercice de contrôle, de ralentissement de la production demots par linterférence des réponses antérieures que dune moindre capacité àinhiber des associations non pertinentes à fréquence élevée, dominantes ou typiques.

    Âgés

    Jeunes

    1 1,5 2

    Red

    onda

    nce

    (°/o

    o)

    21

    3456

    Rythme de production (sec.)1 1,5 2

    Red

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    Rythme de production (sec.)

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    Rythme de production (sec.)1 1,5 2

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    3456

    Rythme de production (sec.)

    Âgés

    Jeunes

    Figure 6.3. Caractère non aléatoire des séquences produites (indice de redondancedes alternatives, daprès Salicé et Juhel, 2001)

    Lanalyse des informations présentes dans le discours de la personne âgée estune autre manière de mettre à lépreuve lhypothèse du déficit inhibiteur. Celle-ciprédit en effet la présence chez la personne âgée dun plus grand nombre desouvenirs et de propos sans lien avec le sujet abordé (off-topic speech). Arbuckle etGold (1993) évaluent à partir dinterviews autobiographiques le nombre et ladispersion des propos inopportuns dans le discours de 209 participants âgés de 61 à90 ans. Ils mesurent aussi à des fins critérielles la performance à trois épreuvesneuropsychologiques généralement considérées comme mesurant linhibition et laflexibilité mentale (tests de classification de cartes du Wisconsin, Trail Making Test,fluences lexicales). Les données recueillies indiquent quen comparaison à celui desplus jeunes, le discours des plus âgés est moins focalisé et traversé dun plus grandnombre dinformations inopportunes. Elles montrent aussi que la performance auxtests frontaux est affectée par lâge : plus grand nombre derreurs de persévérationau Wisconsin, différence de temps plus importante entre les deux conditions

  • 148 Inhibition neurale et cognitive

    (alternance chiffres/lettres-barrage chiffres) du Trail Making, moins de motsproduits à la tâche de fluence. Les résultats danalyses de régression hiérarchiqueeffectuées par les auteurs et danalyses structurales que nous avons conduites sur cesmêmes données (figure 6.4) montrent que la variable latente inhibition (mesurée parla variance commune aux tests frontaux) capture toute linformation liée à lâgecomme prédicteur du « bruit » dans le discours (nombre et diffusion des propos sanslien avec le thème de discussion). Les difficultés liées à lâge dans la suppressiondes associations concurrentes et dans le désencombrement de la mémoire de travailsemblent donc pouvoir rendre compte, au moins sur cet échantillon, de lintrusionplus grande dinformations personnelles non pertinentes et de lamoindrissement dela cohérence du discours de la personne âgée. Arbuckle, Nohara-LeClair et Pushkar(2000) ont en outre récemment montré que cette conclusion valait pour des discoursà buts communicatifs.

    Âge Efficacité de linhibitionIdées

    hors de propos

    - 0.67 - 0.38

    Âge Efficacité de linhibitionIdées

    hors de propos

    - 0.66 - 0.32

    0.07 (ns)

    ÂgeIdées

    hors de propos

    0.28

    Âge Efficacité de linhibitionIdées

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    0.07 (ns)

    ÂgeIdées

    hors de propos

    0.28

    Figure 6.4. Test de leffet médiateur du déficit inhibiteur dans la relation entre lâge et la présencedidées inopportunes dans le discours. Modèle final : χ2(8) = 3,43, p = 0,90, RMR = 0,02,

    AGFI = 0,98, N = 194 (daprès Arbuckle et Gold, 1993, matrice de corrélations p. 229)

    Lensemble de ces résultats indique donc que la capacité de résistance àlinterférence provoquée par des représentations endogènes prégnantes activées enmémoire de travail diminue chez la personne âgée. Lhypothèse dune baisse liée àlâge de lefficacité de linhibition en sort évidemment confortée sans quil soit pourautant possible dexclure celle, qui peut laccompagner, dun déclin des ressourcesexécutives centrales nécessaires à lélaboration de plan, au monitoring ou àladaptation à des changements de contraintes contextuelles.

    6.2.5.2. Différences liées à lâge dans la suppression en mémoire de travail dereprésentations exogènes non pertinentes ou létant devenues

    Le bon fonctionnement de la mémoire de travail nécessite que soient rapidementdésactivées les représentations incoercibles qui y ont accédé ou celles dontlactivation persiste alors quelles ne sont plus contextuellement utiles.Laccroissement disproportionné des difficultés de la personne âgée dans des

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 149

    situations de suppression dune information sémantique non pertinente activée parun stimulus ou dans des tâches dans lesquelles la récupération en mémoire doit êtreinhibée pourrait ainsi sexpliquer par une baisse defficacité des processus dedésactivation de ces représentations concurrentes.

    Certaines observations effectuées chez la personne âgée avec des tâches dediscrimination lexicale montrent quil lui est plus difficile quau sujet jeune deréduire le niveau dactivation des concurrents phonétiquement proches tout enbénéficiant proportionnellement beaucoup plus que le jeune dindices contextuelsdont la présence augmente le niveau dactivation du mot (Sommers, 1996 ;Sommers et Danielson, 1999). Dautres données empiriques ont été recueillies avecdes paradigmes dambiguïté lexicale dans lesquels il faut lire une phrase contenantun mot polysémique (par exemple, « Louvrier utilise la chèvre pour scier unrondin ») puis évaluer la compatibilité dune cible sémantiquement reliée (chevalet,fromage versus crayon) avec le sens de la phrase. Gernsbacher et Faust (1991)remarquent en effet que lorsquune cible liée est présentée juste après la phrase, leralentissement du traitement est de même ampleur quel que soit le niveau decompréhension des sujets. Ce constat nest plus vrai lorsque la cible est présentéequelques centaines de msec plus tard, la performance des sujets dun niveau élevé decompréhension étant cette fois moins affectée par la présence de linformationsémantique inappropriée que celle des sujets dun plus faible niveau decompréhension. Linterprétation de Gernsbacher et Faust repose sur lhypothèse delefficacité différentielle dun mécanisme de suppression ou damortissement delactivation des significations inappropriées des mots ambigus. Quelques résultatsobtenus chez la personne âgée sont en accord avec les prédictions associées à unebaisse defficacité de ce mécanisme (Gernsbacher, 1997 ; Malstrom et LaVoie,2002). Des paradigmes de complètement de phrase ont été également employés pourexplorer la capacité dinhiber une information sémantique non pertinente. Hartmanet Hasher (1991) utilisent une tâche garden-path dans laquelle les participantsdoivent compléter dans un premier temps des phrases sémantiquement closes (parexemple, il a posté la lettre sans) puis mémoriser linférence présentée à la suitede chacune dentre elles. Cette inférence est dans la moitié des cas le mot le plusprobable produit majoritairement par les participants (par exemple, timbre) ou unmot moins attendu dit non confirmé (par exemple, adresse ou chèque).Lidentification des mots les mieux mémorisés est enfin réalisée avec un test demémoire implicite dans lequel il faut à nouveau compléter des phrases plus oumoins en lien avec les mots probables ou non confirmés à mémoriser (parexemple, je vais au bureau de tabac acheter). Les participants auxquels onadministre également une batterie dépreuves cognitives (Stroop, rappel immédiat demots, fluence lexicale et vocabulaire) sont au nombre de 44 jeunes (de 17 à 28 ans)et de 24 âgés (de 60 à 76 ans). Les observations recueillies montrent que les âgésmémorisent autant de mots attendus que de mots non confirmés, à la différence desplus jeunes qui mémorisent un nombre significativement plus élevé de mots attendus

  • 150 Inhibition neurale et cognitive

    que de mots non confirmés. Ce résultat est une nouvelle fois compatible aveclhypothèse dune moindre capacité des plus âgés à supprimer linformation nonpertinente ici les mots non confirmés qui encombre la mémoire de travail. Desobservations comparables ont été effectuées avec le test de Hayling (Burgess etShallice, 1996), une tâche dans laquelle il faut compléter des phrases avec des motsles terminant naturellement (condition initiation : dimanche matin, le curé a servila) puis avec des mots sans rapport avec le sens de la phrase (conditioninhibition). Andres et Van der Linden (2000) constatent ainsi chez 48 sujets âgés de60 à 70 ans une performance plus lente et un pourcentage derreurs dinhibition plusélevé que chez 47 sujets jeunes (de 20 à 30 ans). Ils notent que ces différences entrejeunes et âgés persistent malgré le contrôle de la vitesse de traitement delinformation.

    Ces expériences, parmi dautres, suggèrent donc quen comparaison aux sujetsplus jeunes, les personnes âgées tendent à récupérer plus dinformation sémantiqueque nécessaire ou souhaitable en raison dune moindre capacité à supprimerlinformation non pertinente activée dans le contexte de traitement des phrases (voirle constat dune plus grande taille de leffet déventail fonctionnel chez la personneâgée, Gerard, Zacks, Hasher et Radvansky, 1991). Lhypothèse suivant laquelle lesparticipants âgés accorderaient dans ce contexte plus de considération àlinformation sémantique que les plus jeunes ne peut néanmoins être exclue,dautant que leffet damorçage sémantique est stable voire plus important chezles premiers et que labsence deffet de lâge sur les processus de compréhension estun fait relativement bien établi (Burke, 1997). Il faut aussi signaler que leffet duvieillissement normal sur les mesures de suppression de linformation sémantiquecontextuellement non pertinente peut ne pas être observé avec dautres indicateursde linhibition. Hartman et Hasher qui ne constatent pas de relation claire entreleffet damorçage (mots attendus versus mots non confirmés) et leffetdinterférence au Stroop ou Andres et Van der Linden qui nobservent pas derelation entre le test de Hayling et la Tour de Londres supposée mesurer lefficacitédes mécanismes inhibiteurs impliqués dans lanalyse et lélaboration dun plan dansla recherche sont ainsi conduits à sinterroger sur le caractère général du déficitdinhibition que permettent dobjectiver ces tâches.

    Des données empiriques concernant la capacité dinhiber une information nonpertinente ont également été recueillies chez la personne âgée à laide de situationsdans lesquelles linformation qui vient dêtre apprise doit être oubliée. Plusieursétudes ont par exemple examiné la sensibilité à linterférence proactive à laide duparadigme AB-AC. Cette tâche consiste à faire apprendre une première liste depaires de mots associés (par exemple, arbre-toit) puis une seconde dans laquelle lepremier mot de chaque paire est conservé mais pas le second (par exemple, arbre-banc). Leffet dinterférence proactive lefficacité de linhibition peut êtremesuré directement par le nombre derreurs dintrusion observées lors du rappel des

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 151

    mots associés de la seconde liste ou plus indirectement, par le ralentissement desréponses en situation de reconnaissance. Lutilisation de cette procédure chez lespersonnes âgées a permis de mettre en évidence leur sensibilité excessive àlinterférence proactive (Hedden et Park, 2001). Des résultats semblables ont étéobservés avec des protocoles doubli dirigé dans lesquels on présente des motsindividuellement indicés (mot à retenir versus mot à oublier) dont la mémorisationest ensuite évaluée en rappel et en reconnaissance (Zacks et Hasher, 1994 ; Zacks,Radvansky et Hasher, 1996). Ils lont été aussi avec des paradigmes deréactualisation de la mémoire de travail qui nécessitent de supprimer activement lesitems autres que ceux à mémoriser. Van der Linden, Bredart et Beerten (1994)présentent par exemple des listes de 6 à 10 consonnes à 18 sujets jeunes (de 19 à30 ans) et 18 sujets âgés (de 59 à 72 ans) qui nen connaissent pas la longueur àlavance et doivent en rappeler les 6 dernières. Ils notent dans cette condition decharge mnésique proche de lempan des difficultés disproportionnées chez lesparticipant âgés.

    Globalement, ces observations sont donc en accord avec lhypothèse duneperturbation liée à lâge des mécanismes dinhibition de linformation non pertinenteactivée par les stimuli expérimentaux. Quelques recherches récentes font néanmoinsétat de résultats discordants. Maylor et Henson (2000) ont ainsi montré avec unetâche de rappel sériel que leffet de la présence répétée de mots non adjacents sur lerappel était de même amplitude chez des sujets âgés et des plus jeunes, résultat endésaccord avec la prédiction dune inhibition de répétition (leffet Ranschburg)moins efficace chez les âgés. Lanalyse fine conduite par Hartman, Dumas et Nielsen(2001) sur des données obtenues avec une tâche de mise à jour de la mémoire detravail pourtant globalement très sensible aux effets du vieillissement, a égalementéchoué à démontrer lexistence de différences liées à lâge dans lefficacité delinhibition (effet dinterférence proactive). Il faut en outre signaler que les résultatsobtenus dans certaines tâches peuvent trouver des explications alternatives dans lesdifficultés plus importantes quauraient les sujets âgés à tenir compte des indicesdoubli au moment de lencodage, dans lutilisation croissante avec lâge desprocessus de mémoire implicite liée à une baisse defficience des processus demémoire explicite ou dans les différences stratégiques entre jeunes et âgés.

    6.3. Vieillissement normal et déficits dinhibition : cadres théoriques

    Malgré la sursaturation fonctionnelle du concept dinhibition, la diversité desniveaux dobservation choisis et les discordances de la littérature, lensemble desdonnées empiriques présentées dans la section précédente permet davancer que levieillissement normal saccompagne dune augmentation des difficultés à inhiberdes réponses simples et automatiques (apprendre à détourner lattention portée àlenvironnement une fois que ses caractéristiques sont devenues stables, supprimer

  • 152 Inhibition neurale et cognitive

    activement des changements attentionnels déclenchés automatiquement par unévénement exogène) aussi bien quà inhiber la réponse motrice à un stimulus auquelil ne faut pas répondre, filtrer sélectivement linformation, résister à linterférenceou désactiver linformation non pertinente pour la réalisation des buts actuels. Cettebaisse defficacité avec lâge des mécanismes inhibiteurs, notamment les pluscontrôlés dentre eux, possède suffisamment dexistence pour susciter desinterprétations alternatives. Le déficit inhibiteur peut être considéré comme unmédiateur dans la relation entre le vieillissement, facteur causal, et les difficultésspécifiques de la personne âgée dans différents domaines de la cognition (Hasher etZacks, 1988 ; Hasher, Zacks et May, 1999 ; Lustig, Hasher et Tonev, 2001). Lesdifficultés rencontrées par la personne âgée dans les situations expérimentalesutilisées pour mesurer linhibition peuvent aussi traduire une baisse plus généraledefficience du système cognitif dont lintégration diminuerait progressivement aucours du vieillissement normal. Associées à dautres manifestations de cette baissedefficience, elles peuvent être considérées comme en étant la conséquence (parexemple ; la vitesse de traitement pour Salthouse et Meinz, 1995 ; Salthouse, 1996)ou comme le témoignage supplémentaire de perturbations dans le fonctionnement etles dynamiques dagents cognitifs dont linhibition ne serait quun constituant (parexemple, le contrôle intentionnel, de Jong, 2001 ; Mayr, 2001 ; Mayr, Spieler,Kliegl, 2001).

    6.3.1. Le rôle médiateur de linhibition dans la relation entre vieillissementnormal et cognition

    Nous avons indiqué à plusieurs reprises que Hasher et Zacks considèrent que lesfonctions dinhibition jouent un rôle central dans « le degré avec lequel lactivationdun but [une intention] détermine les contenus temporaires de la mémoire detravail » (Hasher et al., 1999). Dans cette perspective, la performance cognitive de lapersonne âgée est affectée par laccroissement de ses difficultés à sélectionner lesreprésentations appropriées et à inhiber les représentations perceptives, mnésiques etles réponses non pertinentes à la tâche en cours. Lexplication suggérée soppose àcelle dune baisse liée à lâge de la capacité de la mémoire de travail ou de laquantité de ressources disponibles. Elle lui préfère lidée fondamentale dundépassement de cette capacité par un trop-plein dinformations que la personne âgéeparviendrait moins bien que le sujet jeune à endiguer en raison dune moindreefficacité de linhibition.

    Dans les présentations les plus récentes de leur modèle, Hasher et Zacksassignent trois fonctions, délibérées mais non obligatoirement stratégiques, aucontrôle inhibiteur (Hasher et al., 1999). La première fonction de contrôle delinhibition serait dinterdire laccès en mémoire de travail aux représentations nonpertinentes dont lactivation est déclenchée automatiquement par le contexte

  • Vieillissement normal et inhibition cognitive 153

    externe ou interne de la tâche. La moindre résistance de la personne âgée àlinterférence dans des tâches dattention sélective ou le plus grand nombredinformations hors de propos observées dans son discours illustreraient la baissedefficacité de cette fonction avec lâge. Linhibition interviendrait également dansle contrôle des représentations activées en mémoire de travail en désactivant cellesqui ne sont pas ou plus pertinentes. La plus grande vulnérabilité des sujets âgés auxeffets dinterférence proactive dune information non pertinente, les plus grandesdifficultés quils semblent manifester aux tâches garden-path ou à celles doublidirigé attesteraient de la détérioration de cette fonction avec lâge. A ces deuxfonctions de linhibition dont le rôle est très important dans lencodage et lerecouvrement de linformation, sajouterait une dernière fonction impliquée dans lecontrôle du non-déclenchement de comportements dominants mais inappropriés. Lesdifficultés plus marquées chez la personne âgée à ne pas répondre par exemple ausignal darrêt dans les tâches go/nogo proviendraient ain