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VICTOR HUGO EUROPÉEN ï Si l'on voulait traiter « Du bon usage de la célébration des Cen- tenaires » ou « De la meilleure façon d'utiliser les grands hommes », sans doute conviendrait-il de rechercher auxquelles de nos préoc- cupations répond le mieux leur pensée, de quelle plus ou moins vive lumière leur message éclaire notre route, par quels actes ou par quelles œuvres ils demeurent actifs et présents. Nous serions ainsi amenés à évoquer tout ensemble ce grand homme du xix e siècle Hugo — et cette grande idée du x x e — l'Europe. Dans quelle mesure la jeune Europe, cette entité si frêle encore, — en qui résident tant d'espérances que nous voudrions bien ne pas avoir un jour à qualifier d'illusions, — dans quelle mesure la jeune Europe est-elle redevable à l'Ancêtre, à l'Aïeul puissant qui a, durant tant d'années, animé la France et le monde ? Elle est, parmi les conceptions, les constructions qui autour de nous s'éla- borent, celle où l'on retrouve le plus de lui. Car notre poète, si Français, semble marqué, dès l'origine, pour l'incarner, la repré- senter. Son nom, son prénom prestigieux en portent le témoi- gnage : l'un, venu tout droit du latin, est comme l'écho fier et sonore des triomphes de l'ancienne Rome ; l'autre, issu des langues d'outre-Rhin, évoque notre passé médiéval, et même nos origines franques, et plus profondément encore cet élément ger- manique que Victor Hugo, quoiqu'il arrivât, n'a jamais rejeté ni renié. Et le nom germain, le prénom romain synthétisent en une sorte de résumé symbolique le caractère européen de Victor Hugo. Car l'Europe est sans cesse présente à l'âme, à l'œuvre du poète. Il l'a parcourue et décrite. Il l'a sentie et pensée. Il l'a vécue, il l'a voulue. De là, deux états, deux étapes, dans la conception qu'il s'en est formée. D'abord, il la voit, il l'exprime en sa pluralité et sa variété. Il éprouve successivement les diverses nations de

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VICTOR HUGO EUROPÉEN

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Si l'on voulait traiter « Du bon usage de la célébration des Cen­tenaires » ou « De la meilleure façon d'utiliser les grands hommes », sans doute conviendrait-il de rechercher auxquelles de nos préoc­cupations répond le mieux leur pensée, de quelle plus ou moins vive lumière leur message éclaire notre route, par quels actes ou par quelles œuvres ils demeurent actifs et présents. Nous serions ainsi amenés à évoquer tout ensemble ce grand homme du x i x e siècle — Hugo — et cette grande idée du x x e — l'Europe. Dans quelle mesure la jeune Europe, cette entité si frêle encore, — en qui résident tant d'espérances que nous voudrions bien ne pas avoir un jour à qualifier d'illusions, — dans quelle mesure la jeune Europe est-elle redevable à l'Ancêtre, à l'Aïeul puissant qui a, durant tant d'années, animé la France et le monde ? Elle est, parmi les conceptions, les constructions qui autour de nous s'éla­borent, celle où l'on retrouve le plus de lui. Car notre poète, si Français, semble marqué, dès l'origine, pour l'incarner, la repré­senter. Son nom, son prénom prestigieux en portent le témoi­gnage : l'un, venu tout droit du latin, est comme l'écho fier et sonore des triomphes de l'ancienne Rome ; l'autre, issu des langues d'outre-Rhin, évoque notre passé médiéval, et même nos origines franques, et plus profondément encore cet élément ger­manique que Victor Hugo, quoiqu'il arrivât, n'a jamais rejeté ni renié. Et le nom germain, le prénom romain synthétisent en une sorte de résumé symbolique le caractère européen de Victor Hugo.

Car l'Europe est sans cesse présente à l'âme, à l'œuvre du poète. I l l'a parcourue et décrite. I l l'a sentie et pensée. I l l'a vécue, i l l 'a voulue. De là, deux états, deux étapes, dans la conception qu'il s'en est formée. D'abord, i l la voit, i l l'exprime en sa pluralité et sa variété. Il éprouve successivement les diverses nations de

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l'Europe, i l révèle en quelque sorte les couleurs du spectre euro­péen. Mais, dépassant cette analyse, i l n'omet point la synthèse. Et i l s'élève peu à peu, par delà la Grèce, l'Italie, l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, à l'idée de l'Europe elle-même, à la notion d'une Europe inter ou supra-nationale, d'une Europe au sein de laquelle les différences, les divergences viendraient se fondre en une harmonie supérieure. Nous envisagerons sous ce double aspect Hugo poète européen.

II

D'abord — et c'est un fait qu'il faut souligner avec d'autant plus de vigueur qu'il est parfois inaperçu — Hugo est le fds et le disciple de la Grèce et de Rome. Par la nature et par l'histoire. Car, s'il doit beaucoup à la culture antique, i l n'est pas moins redevable à la lumière du midi. Il s'affirme résolument, ardemment méditerranéen. De passage au golfe Juan, i l oppose à l'Océan « plein de mystère comme i l est couvert de brumes » cette Médi­terranée, « mer illustre et rayonnante, éclairée à la fois, et dans tous ses recoins, par l'histoire et par le soleil. »

Ce soleil, c'est le soleil méridional, c'est aussi le soleil gréco-latin, c'est l'immortelle lumière antique. Hugo, comme beaucoup d'adolescents de l'époque révolutionnaire et impériale, a fait des études désordonnées. Mais i l a vu, et i l a lu. Il a vu, dès l'enfance, la Corse, l'Italie, Rome. Il a lu les historiens et les poètes anciens, il est imbu des fiers souvenirs romains, des merveilleux récits de la Fable. Et de tout cela résulte ce que nous appellerons, sinon le classicisme, du moins l'humanisme de Hugo.

Humanisme esthétique d'abord. Hugo doit à la culture clas­sique, autant qu'à la nature du midi, la netteté de la pensée, l'inten­sité et la précision visuelles, la fermeté et la lucidité de l'expres­sion. « Sans méconnaître la grande poésie du Nord, représentée en France même par d'admirables poètes, écrit-il en 1840 dans la préface des Rayons et des Ombres, l'auteur a toujours eu un goût vif pour la forme méridionale et précise. » Et, au-delà de la clarté, i l atteint à la beauté. C'est, pour une part, aux lettres anciennes, et spécialement aux vers latins, qu'il doit la puissance de sa vision et la rigueur de sa forme. Citons, parmi tant de vers inspirés par l'hellénisme, un extrait de la pièce intitulée Sur la plinthe d'un bas-

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relief antique, qui marque comme une étape de la poésie fran­çaise entre Chénier et Leconte de Lisie :

Toujours avec notre âme un doux bruit s'accoupla. La nature nous dit : Chante ! Et c'est pour cela

/ Qu'un statuaire ancien sculpta sur cette pierre Un pâtre sur sa flûte abaissant sa paupière.

Admirable qualité plastique de ce morceau, comme de tant d'autres ! Il évoque la sculpture antique, i l annonce aussi les poètes parnassiens.

Mais Hugo ne doit pas au monde méditerranéen que la révé­lation de la beauté. Il lui doit aussi pour une part son initiation, disons mieux ses initiations religieuses. Dans cette même pré­face des Rayons et des Ombres, que nous citions tout à l'heure, on lit : « (Le Poète) aime le soleil. La Bible est son livre. Virgile et Dante sont ses divins maîtres. » Rapprochement peut-être con­testable, du point de vue de la stricte orthodoxie, mais .bien signi­ficatif de la religion, de la religiosité hugoliennes. Oui, Hugo a goûté la Bible, sans d'ailleurs écarter l'Evangile. Mais i l doit beau­coup aussi aux croyances de l'antiquité païenne, envisagées sous leurs formes supérieures. Il doit beaucoup à Eschyle, — à Eschyle, ce fils d'Eleusis, dont toute l'œuvre est animée par un sentiment du mystère qu'il doit peut-être à ses origines.

Puis Hugo passionnément a aimé, vénéré Virgile. En lui, à tort ou à raison, i l voit un inspiré, un initié, et, pour tout dire, déjà un « Mage ». Virgile a eu selon Hugo l'intuition, le pressenti­ment du Christianisme prochain.

Dans Virgile parfois, dieu tout près d'être un ange, Le vers porte à sa cîme une lumière étrange. C'est que, rêvant déjà ce qu'à présent on sait, Il chantait presque à l'heure où Jésus vagissait. C'est qu'à son insu même il est l'une des âmes Que l'Orient lointain baignait de vagues flammes, C'est qu'il est un des cœurs que déjà, sous les cieux, Dorait le jour naissant du Christ mystérieux. Dieu voulait qu'avant tout, rayon du Fils de l'Homme, L'aube de Bethléem blanchît le front de Rome.

D'autre part, Virgile a franchi les frontières du monde visible et pénétré dans l'au-delà. Il a, guidé par la Sibylle, affronté, exploré les Enfers. Il a, par là même, ouvert la voie, montré le chemin à Dante, qui atteint un degré de plus dans l'ordre de la connais­sance et de la foi.

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Ainsi, Dante, Virgile, Eschyle : Hugo qui, plus encore peut-être qu'un poète, est, comme i l le dit lui-même, un esprit, un génie ouvert à toutes les suggestions de l'éternel et de l'infini, à toutes les valeurs psychiques, Hugo accueille ces autres esprits. Chacun d'eux représente pour lui une étape de la poésie universelle. Chacun marque aussi un progrès dans la révélation du divin.

Progrès inséparable, selon Hugo, de celui de la conscience humaine. Nous retrouvons ici la Grèce, ses philosophes, ses poètes, — et singulièrement Eschyle et le Prométhée enchaîné. Prométhée, libérateur et éducateur de l'homme, cloué sur son rocher du Cau­case par l'animosité des dieux : voilà l'image de Hugo lui-même, fils de la Révolution et champion de la République, lié au roc de Guernesey par le ressentiment d'un^tyran. Le poète voue au héros un culte fidèle et fervent. Il salue en lui comme un précurseur et un promoteur de ces idées-forces du x i x e siècle : l'indépendance et la liberté.

L'idée de l'indépendance nationale est d'abord une idée hellène. Toute éducation humaniste est dominée, depuis des siècles, par le récit des guerres médiques, c'est-à-dire de la plus glorieuse dos luttes que les fils d'une même patrie aient jamais soutenu pour la liberté. Les Thermopyles, Marathon, Salamine sont incorporés depuis des siècles à l'âme française et à l'esprit européen. Or, pré­cisément, à l'heure même où Hugo entre dans la vie et aborde la poésie, la Grèce se réveille et se redresse. Elle se révolte contre ses oppresseurs musulmans, comme elle s'était soulevée, bien des siècles auparavant, contre l'envahisseur asiatique. Pour un jeune Français, pour un jeune poète, quel émouvant, quel exaltant spectacle ! Cette guerre de la liberté contre le despotisme, de l'Occi­dent contre l'Orient, dont hier i l déchiffrait le récit dans Eschyle ou dans Hérodote, i l croit la voir sous ses yeux recommencer et revivre. Ce Canaris, ce Botzaris, et cet Enfant aux yeux bleus, « qui veut de la poudre et des balles », ne sont-ils pas comme les réincarnations de Sophocle, poète-soldat de seize ans, de Thémis-tole, de Léonidas ? Miraculeuse résurrection !...

Et voici que l'Italie à son tour, l'Italie du x i x e siècle, ligotée et bâillonnée, aspire à la liberté. Hugo a bien senti que l'Italie de son temps n'était plus seulement, comme l'ont cru trop souvent les Romantiques, la patrie de la peinture, de la musique et de la volupté. Il a compris que son nouveau destin était austère et sévère, qu'elle était appelée à une mission historique et héroïque :

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le combat pour la liberté. Or, ce combat, un homme, un Italien le personnifie à ses yeux : Garibaldi. Hugo devient donc, par la pensée et par la poésie, le compagnon de sa lutte épique, comme i l était, un demi-siècle auparavant, l'ami, l'allié des Grecs révoltés. Entre le libérateur de l'Italie, injustement relégué à Caprera, et lui-même, rejeté en son île, i l discerne une communauté d'idéal, une solidarité dans l'action, une identité de destin. Et cette pensée lui suggère, entre tant de pages ardentes, les vers sublimes des Bannis, où s'expriment, en une fiction inspirée des guerres médiques, les» espérances conjuguées de l'Italie et de la France :

Xercès souille la Grèce auguste. Il faut qu'il parte! Et moi banni d'Athènes et lui banni de Sparte, Nous disions, lui : que Sparte, invincible à jamais, Soit comme un lever d'astre au-dessus des sommets! Et moi : qu'Athènes vive, et soit du ciel chérie I Et nous étions ainsi pensifs pour la patrie.

La Patrie, — et la République. Tel n'est pas le moindre des messages que le monde gréco-latin a légués à Victor Hugo. D'Athènes, et surtout de Rome, i l tient une certaine conception de la cité, de la vie civique, qui n'est peut-être plus absolument, exactement la nôtre, mais qui, de 1792 à 1918, et, si l'on veut, de Danton à Clemenceau, a enflammé le cœur et la pensée d'un très grand nombre de Français.

La formation politique de Hugo est étroitement liée, chez lui comme chez tant de ses contemporains, à l'éducation classique. Education surtout romaine.

Dans une grande fête, un jour, au Panthéon, Il a neuf ans, il voit passer Napoléon.

Ainsi, l'Antiquité, dès l'enfance, au contact du présent pres­tigieux, lui apparaît intensément vivante. La France est l'héri­tière de Rome. Napoléon est César.

Mais l'apothéose, l'apogée napoléoniennes ont, comme toutes les choses humaines, un envers ou un revers. A l'ombre du Panthéon, que se passe-t-il aux Feuillantines ? Coin perdu, site isolé où Mme Hugo s'est retirée avec ses trois garçons, tandis que son mari fait la guerre en Espagne. Or, la paix du vieux couvent, le calme du vaste jardin dissimulent usf grave secret. Un homme se cache aux Feuillantines, et Mme Hugo a bien recommandé aux enfants de n'en rien dire à personne. Cet homme, le général Lahorie, est

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un camarade du général Hugo. Il est le parrain du jeune Victor. Il est sans doute, pour Mme Hugo, quelque chose de plus encore. Or, ce soldat est un conspirateur, recherché par la police impé­riale. Un jour, i l disparaîtra. Et l'on apprendra peu après qu'il était le complice de Malet et qu'il a été, avec lui, fusillé'dans la plaine de Grenelle. En attendant, i l ne perd point son temps. Il fait lire Tacite à son fdleul : Tacite, le génial historien de l'oppo­sition républicaine sous les Empereurs. Il explique au jeune Victor, à la lumière de Napoléon, Tibère, Caligula, Néron, — la tyrannie des Césars... Ainsi, le proscrit de 1812 dépose en l'âme de celui qui sera le banni de 1852 la semence des Châtiments.

Les années passent. Hugo, latiniste fervent, continue à goûter « son doux Virgile », qu'il célèbre à maintes reprises dans ses pre­miers recueils poétiques. Mais voici la Révolution de 1848, le coup d'Etat de 1851. Cet événement marque pour lui le tournant de la vie et de la carrière. Sans abandonner le lyrisme désintéressé, i l accorde maintenant davantage à l'idéologie politique. C'est, après la poésie pure, la littérature engagée. Virgile n'est plus son poète. Aux yeux de l'auteur des Châtiments, le chantre de YEnéide a trop encensé Auguste. Les plus grands Latins désormais sont pour lui les écrivains hostiles aux Empereurs, Tacite, Lucain, Juvénal, — surtout Juvénal.

Juvénal est l'âpre censeur de la société impériale. Pour lui, l'indignation est synonyme d'inspiration. Ses Satires sont donc le prototype des Châtiments, en attendant VAnnée Terrible. Hugo lui doit pour une part le raidissement, le durcissement qui marquent ses années d'exil. Son vers, qui acquiert alors la fermeté du marbre et la sonorité du bronze, traduit cet idéal tout romain d'une répu­blique stoïcienne qu'il propose, et qu'il impose, à tous et à toutes, autour de lui. C'est à travers l'âpre poète qu'il voit le Paris du coup d'Etat, puis, vingt ans après, le Paris du Siège :

Ce qui fit la beauté des Romaines antiques, C'étaient leurs humbles toits, leurs vertus domestiques, Leurs doigts que l'âpre laine avait fait noirs et durs, Leurs courts sommeils, leur calme, Annibal près des murs, Et leurs maris debout sur la Porte Colline.

Ces temps sont revenus. La géante féiline, La Prusse, tient Paris, et, tigresse, elle mord Ce grand cœur palpitant du monde à moitié mort. Eh bien ! dans ce Paris, sous l^treinte inhumaine, L'homme n'est que Français, et la femme est Romaine. Elles acceptent tout, les femmes de Paris, Leur âtre éteint, leurs pieds par le verglas meurtris,

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Au seuil noir des bouchers les attentes nocturnes,' La neige et l'ouragan vidant leurs froides urnes, La famine, l'horreur, le combat, sans rien voir Que la grande patrie et que le grand devoir. Et Juvénal au fond de l'ombre est content d'elles.

L'approbation de Juvénal aurait-elle réconforté les infortunées Parisiennes ? Son intervention, en ces heures douloureuses, peut certes paraître hors de saison... Mais ici Juvénal, de qui ces vers d'ailleurs sont traduits en partie, Juvénal n'est autre que la per­sonnification de l'Antiquité républicaine, romaine, stoïque, héroïque. Le Romantique de 1830, parvenu à la vieillesse, retrouve l'huma­nisme gréco-latin, au fond de son cœur et de sa mémoire, comme une flamme qui ne s'éteint pas !

III

L a Grèce, Rome ont donc profondément marqué Hugo, son caractère, son intelligence. L'Espagne s'est imposée surtout à son imagination et à sa sensibilité. « Il naît dans Besançon, vieille ville espagnole. » Mais surtout, i l se rend dans la Péninsule, au printemps de 1811, avec sa mère et ses deux frères, pour rejoindre le général Hugo. C'est le temps de la conquête française, de l'éphé­mère royauté de Joseph, qui tente de recommencer, après un siècle, l'aventure somme toute victorieuse du petit-fils de Louis X I V . Les Bonaparte s'efforcent ici, comme en maint autre domaine, de reproduire les Bourbons. Le général Hugo appartient à la cour du roi Joseph. Il en reçoit ce titre de comte, qui confère au fils du menuisier, au soldat de la Révolution, une sorte de grandesse espagnole, et dont Hugo, jusque vers le milieu de son âge, se mon­trera si entiché. Victor passe quelques mois à Madrid, au Collège des Jeunes Nobles, et, lorsqu'il rentre en France, i l rapporte une ample moisson de notations et de souvenirs, un trésor où, durant toute sa vie, i l pourra puiser sans l'épuiser.

Dans la première partie de son œuvre, l'Espagne occupe une large place. Elle est à l'honneur dans ses Orientales, qui sont sou­vent en réalité des Castillanes, des Andalouses ou des Hispano-

mauresques. Elle est présente dans les recueils poétiques de sa jeune maturité. Mais elle n'y apparaît encore que comme un mer­veilleux répertoire de sonorités et d'images. Le pittoresque s'étale, la couleur locale ruisselle. La musique et la peinture concourent à

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l'évocation. « Si jamais, proclame le poète, si jamais je dois vous revoir, Espagne si chère à mon enfance,

Je ne veux traverser vos plaines, vos cités, Franchir vos ponts d'une arche entre deux monts jetés, Voir vos palais romains ou maures, Votre Guadalquivir qui serpente et s'enfuit, Que dans ces chars dorés qu'emplissent de leur bruit

Les grelots de mules sonores.

Dans Grenade, c'est un juvénile déploiement de sensations et d'impressions. Dans Fantômes, c'est la fantastique apparition de quelques émouvantes figures, d '« Une surtout, un ange, une jeune Espagnole ». Quelque artifice en tout cela. Cette Espagne n'est encore pour Hugo qu'une sorte de bazar romantique ou de magasin de décors.

Le génie du poète s'affirme. L'Espagne lui demeure présente. Mais la conception qu'il s'en forme se simplifie et se stylise. Sans en rejeter, sans en renier les séductions extérieures, i l vise mainte­nant l'essentiel. En l'Espagne, i l voit de plus en plus une terre de violents contrastes et d'âpres contradictions, la patrie de l'anti­thèse. Antithèse du soleil et de l'ombre, des âpres solitudes cas­tillanes et des vergers d'Andalousie, de la chevalerie chrétienne et de la civilisation musulmane. Antithèse du tragique et du co­mique, du grotesque et de l'héroïsme, de la passion la plus charnelle et du mysticisme le plus exalté : Don Quichotte et Sancho Pança, Don Juan et Saint Jean de la Croix. Ces contrastes, Hugo les perçoit, et les transporte dans son œuvre. On les retrouve en la figure d'Hernani, à la fois grand d'Espagne et bandit, et surtout en celle de Ruy Blas, « ver de terre amoureux d'une étoile », valet épris de la Reine, et par elle maître du royaume. Les Rayons et les Ombres paraissent en 1840. Titre qui semble dicté par l'Espagne et qui nous révèle en même temps, avec éclat et avec force, l'essen­tiel du génie de Hugo.

1840. Pendant dix ans, les préoccupations sociales, les acti­vités politiquesTdominent la vie du poète. Mais le coup d'Etat, l'exil le ramènent violemment aux lettres. Il retrouve alors ses sources d'inspiration et, parmi elles, l'Espagne, cette gitane ensorceleuse, cette Esmeralda qui le fascine. Dans la Légende des Siècles, fresque historique et géographique, tableau des âges et des nations, elle occupe la première place ; elle a le pas sur le France même. Pour­quoi cet étonnant, ce singulier privilège ? En voici l'explication.

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Entre les poèmes espagnols de la Légende des Siècles, i l en est un, la Rose de l'Infante, où la puissance d'évocation de Hugo atteint le suprême éclat. Il semble qu'ici le poète, peintre de l'In­fante à la Rose, ait délibérément posé la plume et saisi le pinceau de Velasquez.

Elle se tient au bord de l'eau ; sa fleur l'occupe. Sa basquine est en point de Gênes ; sur sa jupe Une arabesque, errant dans les plis du satin, Suit les mille détours d'un fil d'or florentin. La rose épanouie et toute grande ouverte, Sortant du frais bouton comme d'une urne verte,'

' Charge la petitesse exquise de sa main. Quand l'enfant, allongeant ses lèvres de carmin, Fronce, en la respirant, sa riante narine, La magnifique fleur, royale et purpurine, Cache plus qu'à demi ce visage charmant, Si bien que l'œil hésite, et qu'on ne sait comment Distinguer de la • fleur ce bel enfant qui joue, Et si l'on voit la rose ou si l'on voit la joue.

Or, tandis que la blonde Infante s'épanouit au milieu des fleurs, son père, le redoutable Philippe II, erre à travers l'Escurial, méditant de sombres projets.

Philippe deux était une chose terrible. Iblis dans le Coran et Caïn dans la Bible Sont à peine aussi noirs qu'en son Escurial Ce royal spectre, fils du spectre impérial...

Ce qu'il médite, on le sait, ou on le devine : ce sont ses expédi­tions punitives contre les dissidents de la foi et les adversaires du royaume, c'est en particulier son offensive contre l'Angleterre, c'est la croisade navale de l'Invincible Armada... Le sombre Roi. La Princesse rose. Diptyque éclatant, saisissant. Antithèse de formes et de couleurs. Mais aussi, plus profondément, antagonisme de deux principes. Car, de même que, dans les Ménines, l'œuvre la plus forte peut-être parmi celles que la Cour d'Espagne a inspirées à Velasquez, le peintre apparaît au coin de la toile, ici le poète se devine : et c'est lui qui, bien plus encore que l'enfantine Princesse, s'oppose, de toute la vigueur de ses idées, de ses convictions, de ses enthousiasmes, à ce sinistre Philippe II.

Nous voici donc en présence de l'antithèse fondamentale, de celle qui explique pourquoi l'Espagne, la vieille Espagne si attachée à la monarchie et à l'Eglise, tient une telle place dans la Légende et dans les dernières œuvres de Hugo. Elle est, pour ce Français

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du x i x e siècle, épris d'une certaine idée de la démocratie et du progrès, l'antagoniste par excellence. Elle est un peu, cette Espagne traditionaliste, l'antithèse de la France moderne. Deux fois, des monarques français, Louis X I V et Napoléon, se sont crus appelés à régénérer, à ranimer le vieux royaume. Les Bourbons ont réussi à y fonder une dynastie, à y faire pénétrer quelques-unes des clartés de notre x v i u e siècle. Joseph Bonaparte n'a pu s'y maintenir. L'Espagne est le seul pays d'Europe qui soit demeuré obstiné­ment fermé aux Français de Napoléon. Alors, l'antithèse France-Espagne engendre le plus douloureux, le plus cruel des conflits. Les Français amènent avec eux trop de choses inassimilables à cette terre et à cette nation. Les hommes du général Hugo, qu'ils le sachent, qu'ils le veuillent ou non, représentent Descartes et Voltaire, et, plus sûrement encore, la netteté de l'esprit français, l'égalité, la liberté voulues par la Révolution, la cordialité aussi, la générosité naturelles à nos soldats et à notre race. « J'apporte, dit le Français, l'idée de l'émancipation humaine, la lumière, la délivrance. Salut et fraternité ! »... Pas de réponse. Une balle perfide, oblique, part de derrière un buisson. Ou bien l'ennemi blessé tire traîtreusement un coup de pistolet contre le Français pitoyable et humain qu ; allait lui verser à boire. Que faire alors ? Tuer ? Toujours tuer ?...

Donne-lui tout de même à boire, dit mon père.

IV

A quoi songe Philippe II derrière le vitrail enflammé de l'Escu-rial ? A l'Angleterre d'Elizabeth, de la première Elizabeth. Puis­sance protestante et marchande, elle s'oppose en tous les domaines à la papiste, à la chevaleresque Espagne. Mais elle apparaît éga­lement à un Hugo, et à tant d'autres Français de son temps, du

/ Camp de Boulogne à Fachoda, comme l'adversaire permanent, comme la traditionnelle antagoniste. L'imagination, la sensibilité des Romantiques la chargent de tous les péchés : dureté, perfidie, avarice. Ils voient en elle le Shylock, ou ITago, des nations euro­péennes. Et les enfants du siècle, accablés par le souvenir de 1815, ne peuvent échapper à l'obsession d'une histoire qui va du martyre de Jeanne d'Arc au martyre de Napoléon.

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C'est dans ce climat que se déroulent les relations de Hugo et de l'Angleterre. Et elles vont obéir à une lente évolution où, peu à peu, se substituera, aux éléments passionnels, un réalisme bien entendu.

Au point de départ, Waterloo. A u point de départ aussi, l'Ir­lande. Hugo, qui partage les sympathies de ses contemporains pour les nations opprimées, se penche avec émotion sur les malheurs de l'Ile douloureuse. Et les dissentiments politiques se doublent, s'aggravent, chez ce Latin — cœur ardent, esprit lumineux — d'une incompatibilité foncière, morale et même physique. Il éprouve, il traduit à maintes reprises cette espèce d'antipathie spontanée de la France du x i x e siècle, vive, enjouée, spirituelle, déjà méridio­nale en un mot, à l'égard de la Grande-Bretagne des années vic­toriennes, alourdie et assombrie par le cant et par le spleen, accablée sous le poids de l'ennui,

Ce docteur né dans Londre un dimanche, un décembre,

ainsi que le définit Hugo. L'Allemagne n'existe pas encore. Quant aux Allemagnes, la

France au milieu du x i x e siècle croit n'en avoir rien à redouter. L'Angleterre demeure la vieille ennemie, l'irréconciliable adver­saire, l'éternelle et mortelle Albion...

Mais elle n'est pas cela seulement. Elle est, à côté de la France, au premier rang des nations qui ont le mieux servi la civilisation humaine. Son histoire est un prodigieux rassemblement de savants, de philosophes et de poètes. Et d'abord, elle a enfanté Shakespeare, Shakespeare qui représente peut-être, dans le domaine littéraire, l'admiration majeure de Hugo. De lui, plus que de tout autre, procède sa conception du drame, forme théâtrale où, sans souci des lieux ni des temps, se mêlent le rire et les larmes pour faire resplendir intensément la poésie et la vérité. Il tente donc de refaire Shakes­peare, il veut être le Shakespeare français. Shakespeare, dès 1827, lui inspire ce Cromwell, dont la fameuse Préface est aussi l'intro­duction, la charte, l'étendard du Romantisme. Et, bien des années plus tard, lorsque l'Angleterre et le monde fêtent en 1864 le tri­centenaire de la naissance de Shakespeare, c'est l'occasion pour Hugo d'une éclatante manifestation. Cette année-là, en effet, paraît le quinzième et dernier volume de la traduction française qu'avait entreprise François Victor-Hugo. Le poète donne, en manière d'Introduction à l'ouvrage de son fils, le livre intitulé :;

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William Shakespeare. Le grand Wil l , pour lui, n'est pas seulement un auteur, un génie dramatique. Il est l'un des héros spirituels, l'un des demi-dieux de l'humanité. Il a sa place dans cette série des Egaux, qui s'ouvre avec Homère et Eschyle et se clôt avec Beethoven. Se clôt tout provisoirement. Car Hugo sait fort bien à qui revient la place ultime, qui est peut-être aussi le premier rang...

L'Angleterre, mère de Shakespeare, est d'autre part la patrie de la liberté. Ce grand fait, Hugo le découvre aux environs de la cinquantaine. Et cette expérience peu à peu l'amènera à reviser, à modifier sa conception de la Grande-Bretagne, à la transformer totalement. Chassé de France par le coup d'Etat, le poète se rend à Bruxelles, puis à Londres. Ses amis s'étonnent. Et i l écrit à l'un d'eux :

Tu me dis : Vous voilà dans la froide Angleterre ! Et moi je dis : Salut au vieux rivage austère ! A Londre où, quand Milton parle, Cromwell répond !

En France règne la dictature. Hugo choisit la liberté. Et les dissentiments expirent devant ce fait essentiel : l'Angleterre est la patrie du droit d'asile et de Yhabeas corpus. De Londres, il gagne les îles anglo-normandes, parce que, sous les plis de l'Union Jack, elles demeurent des terres françaises. Et le voici à Jersey,

Jersey que la libre Angleterre Couvre de son vieux pavillon.

Mais l'Angleterre, mais Hugo ne s'accoutument pas, ne s'adaptent pas du jour au lendemain l'un à l'autre. Leurs relations traversent tout d'abord une ère de transition et de crise. Hugo, cet être hors-série, est un réfugié assez incommode. Il lui arrive de n'avoir cure des lois de l'hospitalité. La publication des Châti­ments, les activités politiques des Français de son entourage émeuvent les autorités. Quand, en 1854, à la veille de la guerre de Crimée, se conclut l'alliance franco-anglaise, Sir Robert Peel, à la Chambre des Communes, évoque le cas Hugo : « Cet individu a une sorte de querelle personnelle avec le distingué personnage que le peuple français s'est choisi pour souverain, et i l a dit au peuple de Jersey que notre alliance avec l'Empereur des Français était une dégradation morale pour l'Angleterre. En quoi tout cela regarde-t-il M . Victor Hugo ?» A quoi le poète réplique : « Il y a,

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en effet entre moi et M . Bonaparte une querelle personnelle, la vieille querelle du juge sur son siège et de l'accusé sur son banc. »

Enfin, lorsque, quelques mois plus tard, Napoléon III rend visite à la reine Victoria, plusieurs des proscrits de Jersey publient une lettre où ils apostrophent violemment la souveraine. Trois d'entre eux sont expulsés. Et Hugo, ayant protesté, doit à son tour quitter l'île. Il vient échouer à Guernesey.

Jersey représente la phase aiguë, la phase critique de l'exil ; Guernesey, les longues années de labeur et de création. Entre l'Angleterre et Hugo, ces deux personnalités si différentes, s'établit une sorte d'accord tacite et de modus vivendi. Il est accueilli, accepté, avec tout ce que cela comporte : car, s'il a renoncé à la trop directe et trop violente polémique, i l exerce en Europe et dans le monde une haute magistrature morale. Il joue le rôle — tout à la fois spectaculaire et sincère — de défenseur des persécutés, de champion des nationalités et d'apôtre de la paix. Il est Voltaire à Ferney, Voltaire à l'époque de ses plaidoyers pour Calas et pour Sirven, mais un Voltaire romantique, un Vol­taire poète et prophète. C'est un sujet de fierté pour la nation britannique d'avoir accueilli un homme dont l'œuvre et la pensée sont l'honneur de tous les hommes. Et Hugo voue, sans bassesse, une intime et profonde gratitude à cette Angleterre, dont le rôle est de « montrer aux nations le progrès, le travail, l'initiative, la vérité, le droit, la raison, la justice, la majesté de la liberté ! »

Voici donc enfin le poète français, le peuple britannique rap­prochés et réconciliés. Sur l'Allemagne, après 1870, se concentrent les ressentiments, les derniers Châtiments de Hugo. Entre l'Angle­terre et lui, comme entre l'Angleterre et la France, s'établissent de solides relations, fondées sur une mutuelle estime : l'entente loyale, cordiale bientôt.

En cette fin du x i x e siècle, i l est deux puissances dans le monde : un poète, gloire de la France, et qui règne par l'esprit ; une femme, dont la vieillesse est entourée du respect universel, et qui incarne la grandeur anglaise. Tous deux, l'auguste vieillard et la vénérable souveraine sont avec le temps devenus symboles : l'un, de la supré­matie temporelle, l'autre, du primat de la pensée. Hugo donc est en droit de répéter la fière parole d'un poète lui aussi égal aux Rois. Victor peut dire à Victoria :

.Tous deux également nous portons des couronnes!

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V

Les relations de Hugo et de l'Angleterre sont fondées sur l'estime et sur l'intérêt, comme un mariage de raison. Les rapports du poète et de l'Allemagne ne sont pas de même nature. Ils revêtent un caractère personnel et passionnel. Ils font songer à une liaison orageuse et tourmentée. Ils passent, au cours du siècle, de la sym­pathie la plus enthousiaste à un âpre ressentiment.

Hugo porte en lui, nous le savons, un élément germanique. E t i l en eut la claire conscience, lui qui se glorifiait d'être le fils de ce soldat issu de nos marches de l'Est, Léopold-Sigisbert Hugo,

Lui qu'enivrait naguère Son nom saxon, mêlé parmi les cris de guerre.

Il le porte," ce nom germain, i l le revendique avec fierté. Il l'attribue dans la Légende des Siècles à un redoutable personnage, dont la seule approche est une épreuve. C'est affirmer la vaillance d'un chevalier que de proclamer hautement :

Qu'il mit en liberté des villes ; qu'il vint seul De Hugo-Tête d'Aigle affronter la caverne.

Nul doute que si notre Hugo avait songé à se composer une galerie d'ancêtres, voulu jouer pour son propre compte la fameuse Scène des Portraits, la série ne se fût ouverte — à défaut d'une évocation d'Hugues Capet — par l'image de ce problématique Hugo-Tête d'Aigle. Quel incomparable totem que ce farouche — et assez improbable — aïeul !

C'est donc sous le double signe d'un patronyme germain et d'une origine germanique incertaine, mais non impossible, que vont se dérouler, pendant plus de soixante ans, les relations de l'Allemagne et du poète. Hugo se montre d'abord, comme la plupart des Français de son temps, plein de mansuétude pour l'Allemagne. Elle rassure par sa faiblesse, par son morcellement, par ses divisions, par une certaine apparence de bonhomie sentimentale, dè gemiith-lickkeit en un mot. Elle séduit par la richesse de sa production intellectuelle, de la philosophie à la musique et à la poésie. Hugo, comme tous les Romantiques, a reçu le message de Mme de Staël. Et le livre De l'Allemagne l'a initié au lyrisme d'outre-Rhin, au lied des poètes allemands (Mme de Staël traduit : la romance ;

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Hugo dira : la ballade), sans que d'ailleurs ce grand latin, ce grand méditerranéen ait peut-être pleinement perçu l'accent intime et secret et comme la musique, presque ineffable, de cette pure poésie.

Plus encore que le lyrisme allemand, Hugo semble avoir ignoré le prodigieux épanouissement de la philosophie allemande de son temps (c'est sur le tard, pour des raisons qui ne participent pas toutes de la spéculation désintéressée, qu'il apporte à Kant son hommage). D'autre part, i l demeure fermé, et se montre même hostile, à Goethe, pourtant le plus européen, le plus humain, des Allemands : i l repousse son conservatisme, sa froide impassibilité, et surtout le fameux propos suivant lequel la volonté de l'ordre, en certains cas, pourrait, devrait avoir le pas sur le souci de la justice.

-Assez étranger à la pensée allemande, Hugo est assurément plus ouvert à l'art allemand. Ce grand visuel dit sa vénération pour le génie d'Albert Durer, dont i l connaît, dont i l prise surtout l'étrange et sublime Melancholia :

O mon maître Albert Dure, ô vieux peintre pensif.

Ce grand auditif proclame son admiration pour Gluck, pour Mozart et surtout pour Beethoven (rien ici qui puisse surprendre : ne pourrait-on définir Hugo un Beethoven poète et français ?) Malgré tout, i l faut le reconnaître, Hugo, durant de longues années, n'a guère cherché à découvrir, à comprendre l'Allemagne profonde. Il n'en accueille, i l n'en recueille que les éléments qui peuvent apporter quelque renfort au Romantisme français ou quelque aliment à lui-même. L'Allemagne de Hugo, c'est, pour la plus large part, l'Allemagne réfractée à travers ce prisme, le propre génie de Hugo.

Cette période de sympathie confiante — ou, si l'on veut, d'illu­sion complaisante — n'a pas duré moins d'un demi-siècle. Et elle trouve son illustration, ses heures les plus éclatantes en cette période de six années qui s'ouvre avec le mariage du duc d'Orléans et qui se clot par l'échec des Burgraves. C'est la phase germanique d'Hugo, c'est en quelque sorte la lune de miel de l'Allemagne et du poète.

Le fils aîné de Louis-Philippe épouse en 1837 la princesse Hélène de Mecklembourg. Elle avait été élevée dans le culte de Schiller, de Goethe, des grands écrivains allemands. Elle avait lu les Romantiques français, elle admirait entre tous Hugo. Com-

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ment le poète eût-il été insensible aux marques de bienveillance qu'il reçut en maintes occasions du couple princier ? Sans doute songeait-il dès cette époque à jouer un rôle politique, comme Chateaubriand, comme Lamartine, et espérait-il, pour réaliser son dessein, en l'appui de la princesse. On trouve en Ruy Bios, joué en 1838 (l'année qui suit le mariage), comme un reflet de ses pensées : on y voit un plébéien s'élever au sommet de l'Etat et gouverner les Espagnes par la faveur de la Reine — une Allemande, Marie de Neubourg. D'autre part, Hugo, dès lors, avec une sincérité entière qui n'exclut pas le sens de l'opportunité, cultive une poli­tique de rapprochement, d'amitié franco-allemande. Et tout d'abord, prêchant d'exemple, i l franchit la frontière de l'est. Il ne connaissait guère, hors de France, que l'Espagne et l'Italie. Il gagne donc les bords du Rhin, et trois fois i l y retourne. De ces randonnées sont issus deux volumes de prose, le livre du Rhin — et un drame en vers, les Burgraves.

Le livre, avec mille beautés, est surtout une profession de foi, un programme de paix et d'alliance. Conception louable en son principe, mais d'application chimérique : aucun des points du « plan Hugo » qui ne soit de réalisation infiniment aléatoire. Quant au drame, i l porte en soi tout le Romantisme, le meilleur et parfois le pire. Hugo y verse généreusement toute sa pensée et-tout son cœur. Mais, hélas ! en une seule année, va s'effondrer la grande idée, le grand rêve franco-germanique. Le 13 juillet 1842, le duc d'Orléans meurt accidentellement : Hélène de Mecklembourg ne régnera pas. Et voici, en 1843, la chute symbolique des Burgraves, suivie de cet autre naufrage, la fin tragique de Léopoldine. Ainsi le destin, d'un geste brutal, ferme la porte aux ambitions et aux illusions.

Hugo cependant, longtemps encore, caresse ses imaginations. Pendant la Seconde République, pendant tout le Second Empire, l'Allemagne demeure à ses yeux une nation paisible et sage, vouée au labeur de l'esprit. Il aime évoquer son passé : le Moyen âge germanique tient une large place dans la Légende des Siècles, où des poèmes comme Eviradnus, comme Welf, castellan d'Osbor,

sont une sorte de réédition et de réduction des Burgraves. Il l'admire dans le présent. Ce présent, c'est la nouvelle Prusse, celle du roi Guillaume et de Bismarck, et i l proclame son estime pour cet État moderne, si savant, si éclairé, antithèse de la vieille et rétrograde Autriche. *Et le fleuve franco-allemand — le légendaire « Vater

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Rein » — lui apparaît non comme un fossé, comme un abîme infranchissable, mais comme le lien, le trait d'union de ses riverains réconciliés.

Rêve flatteur. Brutal réveil. Le 14 juillet 1870, Hugo plante dans le jardin de Hauteville-House le chêne des Etats-Unis d'Europe. Le 18, la guerre franco-allemande est déclarée. Voici Sedan, puis le 4 septembre, puis, dans le défaite, ce triomphe, le retour de Hugo à Paris. Le 9, i l adresse — suprême illusion — un appel au peuple allemand. La réponse, ce sont les obus qui pleuvent sur la ville assiégée, c'est la bombe sur les Feuillantines :

Son tonnerre idiot foudroie un Paradis !...

Cette foudre crève aussi la chimère, l'illusion demi-séculaires. Hugo souffre dans sa sensibilité d'homme et dans son cœur de Français. Il s'attendrit aux épreuves de sa patrie et de ses com­patriotes. Il partage à l'égard âe l'Allemagne la sainte colère de tous. Peut-on dire cependant qu'il éprouve ce qui s'appelle de la haine ? Son attitude — parfaitement orthodoxe du point de vue d'un strict patriotisme — comporte cependant des réactions d'une certaine complexité. Il ressent une sorte de rancune — la rancune d'un être supérieur, mais non dépourvu de vanité, porté à estimer ses jugements infaillibles, et qui ne pardonne à la nation voisine ni le fait qu'elle l'a trompé, ni — et moins encore peut-être — le fait qu'il s'est lui-même trompé. Il y a, à partir de 1870, dans les relations de Hugo et de l'Allemagne, sinon le dépit de l'amour, du moins celui de l'amitié.

Et, plus profondément encore, celui de la fraternité. I l évoque le passé des deux nations, la parenté des deux races, les origines selon lui communes aux Allemands et à bon nombre de Français. Or, parmi ces Français de souche germanique, et donc aristocra­tique, d'après les théories féodales, nous savons qu'il se range lui-même. La conscience de son nom saxon, le souvenir d'un Hugo-Tête d'Aigle lui inspirent des vers comme ceux-ci :

Vision sombre ! Un peuple en assassine un autre I Et la même origine, ô Saxons, est la nôtre ! Et nous sommes sortis du même flanc profond ! La Germanie avec la Gaule se confond Dans cette antique Europe où s'ébauche l'histoire. Croître ensemble, ce fut longtemps notre victoire, Les deux peuples s'aidaient, couple heureux, triomphant, Tendre, et Caïn petit aimait Abel enfant.

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Caïn, Abel. L'Allemagne, la France. Nous sommes donc en présence ici d'un de ces conflits familiaux, d'une de ces rivalités fraternelles dont l'œuvre de Hugo est pleine et qui sont l'expression — peut-être involontaire — de son subconscient le plus profond. Car le poète, affectueux et respectueux interprète de la paternité, du lien quasi-religieux qui unit le fris et le père, a toujours envisagé avec défiance les collatéraux — frères, oncles, cousins. Une très grande partie de son œuvre est inspirée, dominée par le mythe des Frères Ennemis. Le Caïn de la Conscience rejoint ici les deux protagonistes des Burgraves, Job et Frédéric Barberousse, et les deux héros de Ruy Bios, Don Salluste et Don César. Et tout s'éclaire si l'on songe à l'atroce rivalité amoureuse qui avait opposé, au seuil de la jeunesse, Hugo et son frère Eugène, tragique aventure où sombre Eugène, et dont Victor — par définition et par destina­tion en quelque sorte — sort triomphant, victorieux, mais dont l'ombre maléfique a plané jusqu'à la fin sur son œuvre et sur sa vie.

L a France, l'Allemagne. Abel, Caïn. Jules Romains a évoqué déjà le couple France-Allemagne. Il découvre, dans les rapports des deux nations, un élément passionnel et sexuel. Et sa péné­tration, sa clairvoyance nous paraissent avoir éclairé certains aspects obscurs ou cachés du problème franco-allemand. Le point de vue de Hugo est autre. C'est sous un angle différent qu'il envisage les poussées d'attrait ou de haine qui, depuis de très longs siècles, lancent l'une contre l'autre les deux nations. Le couple franco-allemand, selon Hugo, est un couple de frères, dont les réactions alternées vont d'une hostilité farouche à une tendre amitié. « Il y a entre les deux peuples, écrit-il dans le livre du Rhin, connexion intime, consanguinéité incontestable. Ils sortent des mêmes sources ; ils ont lutté ensemble contre les Romains ; ils sont frères dans le passé, frères dans le présent, frères dans l'avenir. » Or, au cours de VAnnée Terrible, et tout en faisant sa juste part à l'idée de la Revanche, Hugo garde la foi dans le rapprochement, disons mieux en l'étreinte fraternelle du peuple allemand et du peuple français. Il en ajourne seulement la réalisation au lendemain des légitimes, des nécessaires réparations.

Aimer les Allemands, cela viendra, le jour Où, par droit de victoire, on aura droit d'amour !

Après deux guerres, et deux victoires, le jour est-il venu de

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cette conciliation, de cette réconciliation, qu'avait entrevues le poète, et que nous prêchent les politiques ? Le jour est-il venu de l'amour ?...

VI

Donc, le 14 juillet 1870, Victor Hugo plante dans son jardin de Guernesey le chêne des Etats-Unis d'Europe. Et, le 18, c'est la guerre...

Le génie, quand i l se trompe, commet des erreurs à sa taille. L'on peut railler ses bévues. L'on peut admirer aussi la faculté d'illusion, le don d'enfanter des chimères et de recréer le monde qui sont le propre d'une puissante, d'une géante imagination. Mieux vaut essayer de comprendre. On note alors que la manifes­tation d'Hauteville-House — en son énorme inopportunité, en son absurdité superbe — enveloppe un sens profond. Elle s'explique par le passé d'Hugo, elle traduit sa pensée intime, elle porte en elle la semence (inaperçue à l'époque), le germe d'un immense avenir.

La poésie de Hugo s'apparente étroitement à l'idée eurppéenne. Lui-même, nous le savons déjà, est, par tout son être, européen. Mais, jusqu'au milieu du siècle, la conception d'une Europe unie lui apparaît indissolublement liée à l'existence d'un puissant empire, de l'Empire Romain d'abord, puis du Saint-Empire Romain Germanique : Charlemagne, Charles-Quint, Napoléon ! Par les victoires du César moderne, le Saint-Empire est reconstitué, l'Empire Romain ressuscité :

L'Europe ne fait plus qu'une France géante !

Napoléon est abattu. Mais les idées de la Révolution, que . l'Empire a portées dans toute l'Europe, poursuivent leur lente progression. Peu à peu se dessinent des conceptions nouvelles, très différentes du traditionnel mythe impérial. Les nations, longtemps assoupies, l'une après l'autre s'éveillent. La Grèce, depuis des siècles esclave, sort la première de son sommeil. L'Italie, l'Allemagne, la Pologne, l'Irlande, soumises à des maîtres étrangers, reprennent conscience de leur unité, de leur personnalité. Or Hugo, fils de la Révolution et de l'Empire, hautement représentatif de la France du x i x e siècle, a donné sa pleine adhésion aux idées

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nationales et libérales. Et puis, romantique et poète, dominé par l'imagination, i l s'est épris de ces ardentes, de ces vibrantes étrangères, en qui Barrés verra plus tard les « amantes », les maî­tresses passionnées de sa vie cérébrale et sensible : la Grèce, l'Italie, l'Espagne, la Rhénanie. Jeune, assoiffé d'héroïsme, et tout au moins d'épopée, Hugo s'enflamme pour la délivrance de ces sédui­santes captives. C'est la géographie pittoresque et sentimentale de l'Europe qui, pour une part, l'achemine à la politique des natio­nalités.

Hélas ! La révolution de 1830, la révolution de 1848 aboutissent à l'écrasement des nations européennes. Si la secousse fut violente, brutale est la répression. Hugo, à la suite du coup d'Etat, est emprisonné, puis chassé de France. Et l'exil va métamorphoser ce bourgeois de Paris, ce Français un peu trop confortablement installé dans une vie sédentaire et casanière. I l en fait un Européen. A Jersey, à Guernesey, terres franco-anglaises, donc internationales à certains égards, Hugo devient lui aussi un personnage inter­national. Comme la France de 1851, la Révolution européenne a ses vaincus et ses proscrits. Il accueille, dans son propre refuge, les exilés étrangers. Il garde contact avec les représentants des nations, des démocraties vaincues : Kossuth, Mazzini, Garibaldi. Il apparaît comme une sorte de président de la République euro­péenne en exil.

Pour que naisse cette République, sans doute faudra-t-il lutter encore. Mais ce sera le combat suprême, annonciateur de la paix. Hugo, adversaire acharné de la peine de mort, n'est pas un ennemi moins convaincu, moins résolu de la guerre. C'est sous sa prési­dence, sinon en sa présence, que se tiennent chaque année, sous l'Empire, à Lausanne et à Bruxelles, les Congrès de la Paix. Et, chaque année, i l leur envoie d'éloquentes adresses, des messages messianiques. Le culte de la paix, la haine de la guerre lui dictent quelques-uns de ses plus grands vers. Il rend visite au champ de bataille de Waterloo. Et, de degré en degré, i l s'élève au Lion de bronze. Or, dans la gueule du fauve énorme, un rossignol est venu faire son nid. Hugo s'extasie devant le symbole, et i l y découvre comme la promesse d'un avenir plus clément aux humains,

La joie en ce qui fut le désespoir naguère Et la paix dans la gueule horrible de la guerre.

L a Paix ! C'est elle encore qui lui inspire les courtes strophesv

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d'une verve, d'une veine toutes populaires, de cette Chanson des rues et des bois : '

Depuis six mille ans la guerre Plaît aux peuples querelleurs, Et Dieu perd son temps à faire Les étoiles et les fleurs...

C'est un Russe ? Egorge, assomme. Un Croate ? Feu roulant. C'est juste. Pourquoi cet homme Avait-il un habit blanc?

Celui-là, je le supprime, Et m'en vais le cœur serein, Puisqu'il a commis le crime De naître à droite du Rhin.

En ces vers, s'exprime la pensée de Hugo, à la veille de la guerre franco-allemande. Ils expliquent la plantation du chêne. Ils expliquent aussi les paroles que le poète adresse aux femmes de Guernesey après la déclaration de guerre, le 22 juillet 1870 : « Si vous le voulez, et vous le voudrez, en peu de temps on peut avoir une quantité considérable de charpie. Nous en ferons deux parts égales, et nous enverrons l'une à la France, et l'autre à la Prusse. » La guerre se déchaîne, entraînant l'invasion, le siège, le bombardement de Paris. Hugo, de tout, son cœur ; français, ressent les douleurs de la patrie. Mais son œil d'aigle voit plus loin. Par delà la défaite, par delà l'inévitable, l'inéluctable revanche, i l prédit la réconciliation franco-allemande,.l'union des Européens. Paris, si cruellement frappé en 1870-71, aura son éclatante répara­tion. La ville, sacrée par l'épreuve, est appelée à devenir tôt on tard la capitale de l'Europe :

Ville, ton sort est beau. Ta passion te met, Ville, au milieu du genre humain, sur un sommet... ...Ville, tu fonderas l'Europe ! Ah 1 d'ici là Que de tourments ! Paris, ce que ta gloire attire, La dette qu'on te vient payer, c'est le martyre... ...Non, Paris, rien de toi n'est mort, ville sacrée... Il îait nuit. L'horizon semble être une clôture. On craint pour toi, cité de l'Europe future.

Or, sur cette Europe, sur cette humanité de demain, le poète, dès le milieu du siècle, s'était expliqué clairement :

« L'avenir a plusieurs noms. Pour les faibles i l se nomme l'impossible, Pour les timides, i l se nomme l'inconnu... »

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« L'inconnu ! Quoi, les Etats-Unis d'Europe, libres et maîtres chacun chez eux, unis et reliés par une association centrale, et communiquant à travers les mers avec les Etats-Unis d'Amérique, ce serait l'inconnu ! »

Et i l avait annoncé, plus précisément encore : « Dans la vieille cité du 10 août et du 22 septembre, déclarée désormais la Ville d'Europe, Urbs, une colossale assemblée, l'assemblée des Etats-Unis d'Europe, arbitre de la civilisation... traiterait et réglerait toutes les questions de l'humanité et ferait de Paris au centre du monde un volcan de lumière. »

Poète, prophète ! Comment ne pas reconnaître que le génie de Hugo, supérieur aux démentis que pouvait lui infliger l'actualité, s'élevant au-dessus des réalités immédiates, pénètre ici l'avenir ? Les nouvelles institutions européennes, l'Assemblée des Nations Unies, qui se tenait hier à Paris même, confirment des intuitions en qui l'on n'a parfois — et bien imprudemment — voulu voir que des chimères. Elles sont en réalité des utopies, c'est à-dire, au meilleur sens du terme, des anticipations. En ce x x e siècle qui, parmi tant d'erreurs et de fautes, peut du moins inscrire à son bilan les premiers essais positifs de coopération internationale et d'organisation européenne, Hugo nous apparaît comme un génial précurseur, comme le Christophe Colomb de ce continent qui, au siècle dernier, restait à découvrir : l'Europe.

R A Y M O N D ISAY.