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VERS UNE PREHlST0lR.E DE I LA MORT . 10 NOV. 1983 Eete i -- - --_ - ---- -_ ___ I II y a des millions d'années que les hommes meurent et des dizaines de milliers d'années qu'on les enterre. II y a plus d'un siècle qu'on découvre leurs sépultures et pourtant I'étude de la mort préhistorique est à peine commencée. Nombreux sont les hommes que la cer- titude de leur disparition future remplit d'angoisse. Par contre, de tels senti- ments n'ont pas cours à propos d'an- cêtres entrés dans leur dernier sommeil depuis quelques centaines de siècles et ,nul contemporain n'a jamais porté le deuil des..paléolithiques. Cependant, la plupart. dqs auteurs qui ont étudié jus- qu'ici la mort préhistorìque n'ont $u s'empêcher de laisser transparaître leurs propres inquiétudes métaphysi- ques : en partant à la recherche des origines de l'homme, ils enthmaient une aventure personnelle, engageant aussi bien leur affectivité que leur intelligence. Aussi la préhistoire a-t-elle constam- ment évolué, depuis son enfance, dans un climat passionnel et l'on pour- rait citer de mémorables querelles qui ont tourné à l'opposition de personnes. Nombre d'auteurs voyaient dans la moindre critique de leur travail une offense à leur intégrité, et réagissaient en conséquence. C'est ainsi qu'une véritable bataille rangée opposa, à la fin du siècle dernier, partisans et adver- saires des sépultures paléolithiques et de leur signification métaphysique; les combattants semblaient choisir' "kuy camp à priori, ,non point en fonction d'une opinion fondée sur les faits alors connus, mais en harmonie avec leurs options philosophiques et religieuses profondes. Cela permet de souligner dès l'abord les dangers de toute recherche sur la mort préhistorique. Plus forte- ment que d'autres sujets, elle subit l'in- fluence du coefficient personnel de l'enquêteur. Ce facteur d'incertitude vient s'ajouter aux risques habituels de l'interprétation archéoloniaue, l'on travafile toujours sur des' documents Une des plus belles sépultures tronqués, déformés, et rendus parfois paléolithiques connues : celle de Soungir, méconnaissables par ['épreuve du h 200 km h l'Est de Moscou. temps. Le premier imDératif d'une Le premier squelette découvert étude de ce genre est donc la méfiance montrait des rangées de, boutons d'os envers soi-même, avec, en légitime perforés et des restes saupoudrés coro!laire, la méfiance envers les d'ocre rouge. Les positions des boutons ~~$~~~~;urprise attend le lec- teur des ouvrages de synthèse qui ont ont permís des déductions sur les vêtements du mort : une sorte abordé la auestion deDuis DIUS d'un de veste et une sorte de pantalon, demi-siècle ': dès I'ins'tant I'exis- peut-&re comparables à la tenue tence des sépultures paléolithiques a, elle est soumise aux mêmes besoins et partant dune controverse scientifique, i Icon .y, pouwoit de la même manière, i 85 actuelle de certains Eskimos. \ l. étê officiellement reconnue, il se manifeste, au-delà des nuances de forme et de détail bien naturelles, un accord quasi-unanime sur le fond du problème, propre à rassurer tant sur la valeur des méthodes d'étude que sur la vérité des conclusions proposées. Ces conclusions peuvent se résumer ainsi : les chasseurs quaternaires 'ont voué 'un culte à la tête osseus'e et 1 la mandibule de leurs ancêtres, ainsi qu'au crâne de certains animaux. Ilsr ont en outre enterré leurs défunts. Les moustériens placaient le cadavre dans une position semi-repliée sembla- ble à celle du sommeil, avec offrandes de nourriture, d'outillage, et quelque- fois trophées de chasse. Au paléolithi- que supérieur, la position varie, corps allongé, semi-replié ou ligoté en flexion forcée, et l'inhumation s'ac- compagne de mobilier funéraire, de saupoudrage d'ocre rouge, de parure mortuaire. La tombe est parfois proté- gée par quelques pierres ou par une omoplate de mammouth. II existe aussi des exemples de sépulture à deux degrés, après décharnement du squelette. Parfois, enfin, un foyer a été allumé près de la tombe ... Suit une explication religieuse de ces diverses pratiques : l'inhumation implique l'idée d'une survie et' I'exis- tence outre-tombe est imaginée comme semblable à la vie terrestre; ~

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Page 1: Vers une préhistoire de la morthorizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/...la mort, les préhistoriens ont indénia- blement hypothéqué la validité de leur travail. La

VERS UNE PREHlST0lR.E DE I LA MORT

. 10 NOV. 1983

Eete i -- - --_ - ---- -_ ___ I

II y a des millions d'années que les hommes meurent et des dizaines de milliers d'années qu'on les enterre. II y a plus d'un siècle qu'on découvre leurs sépultures et pourtant I'étude de la mort préhistorique est à peine commencée. Nombreux sont les hommes que la cer- titude de leur disparition future remplit d'angoisse. Par contre, de tels senti- ments n'ont pas cours à propos d'an- cêtres entrés dans leur dernier sommeil depuis quelques centaines de siècles et ,nul contemporain n'a jamais porté le deuil des..paléolithiques. Cependant, la plupart. dqs auteurs qui ont étudié jus- qu'ici la mort préhistorìque n'ont $u s'empêcher de laisser transparaître leurs propres inquiétudes métaphysi- ques : en partant à la recherche des origines de l'homme, ils enthmaient une aventure personnelle, engageant aussi bien leur affectivité que leur intelligence.

Aussi la préhistoire a-t-elle constam- ment évolué, depuis son enfance, dans un climat passionnel et l'on pour- rait citer de mémorables querelles qui

ont tourné à l'opposition de personnes. Nombre d'auteurs voyaient dans la moindre critique de leur travail une offense à leur intégrité, et réagissaient en conséquence. C'est ainsi qu'une véritable bataille rangée opposa, à la fin du siècle dernier, partisans et adver- saires des sépultures paléolithiques et de leur signification métaphysique; les combattants semblaient choisir' "kuy camp à priori, ,non point en fonction d'une opinion fondée sur les faits alors connus, mais en harmonie avec leurs options philosophiques et religieuses profondes.

Cela permet de souligner dès l'abord les dangers de toute recherche sur la mort préhistorique. Plus forte- ment que d'autres sujets, elle subit l'in- fluence du coefficient personnel de l'enquêteur. Ce facteur d'incertitude vient s'ajouter aux risques habituels de l'interprétation archéoloniaue, où l'on travafile toujours sur des' documents

Une des plus belles sépultures tronqués, déformés, et rendus parfois paléolithiques connues : celle de Soungir, méconnaissables par ['épreuve du h 200 km h l'Est de Moscou. temps. Le premier imDératif d'une Le premier squelette découvert étude de ce genre est donc la méfiance montrait des rangées de, boutons d'os envers soi-même, avec, en légitime perforés et des restes saupoudrés coro!laire, la méfiance envers les d'ocre rouge. Les positions des boutons ~ ~ $ ~ ~ ~ ~ ; u r p r i s e attend le lec-

teur des ouvrages de synthèse qui ont ont permís des déductions sur les vêtements du mort : une sorte abordé la auestion deDuis DIUS d'un de veste et une sorte de pantalon, demi-siècle ': dès I'ins'tant bù I'exis- peut-&re comparables à la tenue tence des sépultures paléolithiques a, elle est soumise aux mêmes besoins et

partant dune controverse scientifique, i Icon .y, pouwoit de la même manière, i 85

actuelle de certains Eskimos. \

l .

étê officiellement reconnue, il se manifeste, au-delà des nuances de forme et de détail bien naturelles, un accord quasi-unanime sur le fond du problème, propre à rassurer tant sur la valeur des méthodes d'étude que sur la vérité des conclusions proposées.

Ces conclusions peuvent se résumer ainsi : les chasseurs quaternaires 'ont voué 'un culte à la tête osseus'e et 1

la mandibule de leurs ancêtres, ainsi qu'au crâne de certains animaux. Ilsr ont en outre enterré leurs défunts. Les moustériens placaient le cadavre dans une position semi-repliée sembla- ble à celle du sommeil, avec offrandes de nourriture, d'outillage, et quelque- fois trophées de chasse. Au paléolithi- que supérieur, la position varie, corps allongé, semi-replié ou ligoté en flexion forcée, et l'inhumation s'ac- compagne de mobilier funéraire, de saupoudrage d'ocre rouge, de parure mortuaire. La tombe est parfois proté- gée par quelques pierres ou par une omoplate de mammouth. II existe aussi des exemples de sépulture à deux degrés, après décharnement du squelette. Parfois, enfin, un foyer a été allumé près de la tombe ...

Suit une explication religieuse de ces diverses pratiques : l'inhumation implique l'idée d'une survie e t ' I'exis- tence outre-tombe est imaginée comme semblable à la vie terrestre;

~

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La grotte de Qafzeh, en Palestine, a fourni récemment

une sépulture datée du Moustérien : c'étaient

les restes dun enfant sur lequel on avait posé

un bois de cervide' lors de l'inhumation.

' On enterrait donc de)à les morts il y a 50 000 ans

. . , ' .... ,

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avec des offrandes de nourriture et d'armes ou bien en allumant du feu pour (( réchauffer le cadavre D. La mort, qui est concue comme une sorte de sommeil, n'est pas considérée comme naturelle, mais résulte d'une opération magique qui engage la responsabilité collective des survivants. L'ocre est un fortifiant et les paléolithiques ont oscillé, durant des millénaires, entre la vénération et la tendresse pour le mort e t la crainte de son retour : la tombe est donc, en même temps qu'un abri, une prison pour le cadavre.

On retrouve ce schéma explicatif semblable à lui-même dans l a plupart des travaux généraux, qu'ils aient été publiés en 1921, 1926, 1958 ou 1970 e t qu'ils s'adressent aux spécia- listes ou soient destinés à un plus vaste public. A s'en tenir à lui, on ne susciterait guère d'oppositions. II semble donc que l'on soit là sur un terrain solide.

Mais à bien y regarder, n'est-ce pas surprenant de rencontrer une telle una- nimité chez les spécialistes, et depuis si longtemps? Ni les techniques de fouilles, ni I'étude de la typologie, ni la géologie du quaternaire ne demeu- rent, en 1970, ce qu'elles étaient en 1920. Seule la version officielle des pratiques funéraires de l'homme fossile est restée intacte, au milieu de la progression générale des connais- sances et de la méthodologie préhis- toriques. Les assauts qu'elle a subis en 1960 à travers quelques remarques de E. Patte ou, quatre ans plus tard, beaucoup plus systématiquement, de la part d'A. Leroi-Gourhan, ne semblent pas l'avoir profondément ébranlée puis- que, sans en tenir compte, les travaux parus ou revus par la suite l'ont à nou- veau intégralement adoptée.

Le portrait officiel

En dehors de la description des faits, la théorie classique se réduit à un certain nombre d'interprétations ethnologico-religieuses qui, pour n'être pas impossibles, n'en restent pas 'moins conjecturales : un squelette de quinze mille ans reste en effet fort dis- cret sur les conceptions métaphysiques de son propriétaire. Sur quoi se fonde-t-on, par exemple, pour affirmer que la vie après la mort est semblable à la vie terrestre, que le trépas n'est pas naturel mais résulte d'une opéra- tion magique, que (( le mort craint le froid)) ou que l'ocre est un fortifiant? Pas sur les faits, bien sûr, mais sur le comparatisme éthnographique, théo- rie qui postule l'identité des primitifs actuels et des chasseurs préhistoriques et en profite pour tailler à ces derniers une religion (( sur mesure )) à l'aide de pièces d'Australien, de morceaux 'd'Iroquois, de fragments d'Esquimau, voire de lambeaux de Chinois et de bribes d'Egyptien antique. II y a beau temps que les ethnologues ont renoncé à une telle méthode, sous cette forme-

là, du moins. Si légitime qu'elle ait été voici cinquante ans, on peut s'étonner qu'en préhistoire elle soit encore parfois en honneur. En cherchant à atteindre de cette manière les inacces- sibles fondements philosophiques de l'attitude des hommes fossiles devant la mort, les préhistoriens ont indénia- blement hypothéqué la validité de leur travail.

La première conséquence d'un tel choix méthodologique est, en effet, de paralyser l'imagination scientifique : une fois trouvée l'interprétation reli- gieuse de quelque coutume (( sauvage )) contemporaine suffisamment compa- tible avec un document de fouille, fût-il unique en son genre, pourquoi aller chercher plus loin? Aussi, sans s'inquiéter des dizaines d'autres expli- cations qui eussent été possibles, on répète inlassablement le même refrain.

A partir de là, tout est possible. La plupart des travaux de synthèse mani- festent les mêmes défauts : tri involon- taire parmi les documents, ceux d'entre eux qui n'évoquent pas de prime abord un rite actuel étan! négligés; absence de critique des études générales anté- rieures comme des rapports de fouille; négligence enfin, pour la description même des faits, puisque le seul intérêt de ceux-ci est de donner naissance, plus ou moins vaguement, à une interprétation transcendante. Aussi relève-t-on, dans ces descrip- tions, des erreurs parfois importantes; le contenu d'une fosse funéraire est attribué à une autre tombe, le nombre des inhumations découvertes dans tel ou tel site se multiplie ...

II était donc urgent de procéder à une révision. On a pu, pour ce faire, prendre pour base l'essai critique éla- boré par le professeur Leroi-Gourhan. Cet auteur en effet, en insistant sur le fait que bon nombre de sépultures avaient été découvertes à l'époque héroïque de la préhistoire et fouillées selon des techniques incompatibles avec la précision que l'on est en droit d'exiger de nos jours, a pu faire jus- tice, dans les quelques pages qu'il a consacrées à la question, de certaines des idées généralement admises sur la mort préhistorique, tout en indiquant l'esprit et les principes qui devaient guider une nouvelle recherche. II a montré qu'un document archéologi- que ne se jugeait pas dans l'absolu, mais en fonction de son environnement et de sa résistance à la corrosion : du fait que l'on retrouve, dans les sites paléolithiques, les mâchoires inférieures humaines plus fréquem- ment que toute autre partie du sque- lette, certains auteurs avaient cru pou- voir conclure que les hommes fossiles vouaient un culte à la mandibule de leurs défunts. Or, en établissant des séries comparatives sur les squelettes d'animaux trouvés dans les mêmes sites et sur les restes osseux récupérés dans les terriers des re-nards actuels, on retrouve le même schéma de conservation. (( II faut donc, écrit-il, ou

bien considérer que les Néandertha- liens ont suivi le même processus de désintégration que les carnivores, ou prêter aux renards, actuels une dévotion spéciale à la mandibule de leurs ancêtres n. Bon nombre des affirmations classiquement admises sur les rites funéraires paléolithiques sont remises en cause de la même manière, ce qui amène l'auteur à conclure : (( La somme des faits positifs est très faible, mais elle n'est pas nulle ... l'enfouissement des Néander- thaliens est pratiquement certain, mais mal démontré par les fouilles. Au paléolithique supérieur, la sépulture est certaine, l'usage de l'ocre l'est aussi, mais avec moins de précision et le mort conservait sa parure person- nelle ... La position du mort diffère d'une sépulture à l'autre ... des corps étaient partiellement ou totalement engagés sous des blocs ... si l'existence d'un mobilier du mort est vraisem- blable, il faudra pourtant que les observations exhaustives modernes apportent une réponse )). En rappro- chant cette vision du portrait officiel résumé plus haut, on ne peut manquer d'être frappé de l'abîme qui les sépare.

Maintien des incertitudes

Cependant, plus la conviction qu'entraîne cette argumentation est profonde, plus l'on est pénétré de la nécessité de pousser l'enquête. Un nouveau travail est donc en cours. II se propose, à priori, en déplacant le centre d'intérêt, d'étudier les sépul- tures paléolithiques sans en faire un objet d'histoire religieuse. Certes le fait de prodiguer des soins à leu<rs défunts impliquait, de la part des auteurs des inhumations pléistocènes, des pré- occupations non matérielles, sur la nature desquelles les auteurs classi- ques ont usé le meilleur de leur effort. Mais nul squelette préhistorique n'accepte de faire, directement, la moindre confidence à ce sujet, alors qu'il livre, pour peu qu'on s'y intéresse, nombre de renseignements sur I'ethno- logie matérielle des fossoyeurs.

On s'est, d'autre part, fixé pour règle de tenir compte égal de tous les faits et d'utiliser au maximum les ressources d'une information quantita- tive aussi complète que possible : en effet, en négligeant certaines données pour en privilégier d'autres, les auteurs classiques ont mis en valeur I'extraor- dinaire aux dépens de l'habituel. Ils ont déformé ainsi notablement le por- trait de la mort paléolithique au profit de ses aspects les plus spectaculaires.

II n'eût pas été sérieux de procéder à une nouvelle synthèse sans se livrer à une vérification systématique des faits à travers les rapports de fouille. Ceux-ci en effet ont rarement été res- pectés intégralement par les auteurs de travaux d'ensemble et une confronta- tion permet de corriger nombre d'er- reurs. Une bonne illustration en est

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fournie par le cas de la Chapelle aux Saints, en Corrèze, où fut découverte en Août 1908 la sépulture d'un Néan- derthalien. La fouille qui mit au jour ce célèbre squelette mérita, à l'époque, l'éloge des spécialistes. Elle demeure, de nos jours, dans la bonne moyenne qualitative des exhumations de tombes paléolithi- ques. II s'agit donc d'un exemple parfaitement significatif, d'autant qu'il ,a été abondamment utilisé dans I'élaboration des théories sur I'inhu- mation préhistorique. A son sujet, les ouvrages généraux écrivent, entre autres renseignements : (( Le corps avait été déposé avec respect, dans l'attitude d'un homme qui s'étend sur sa couche pour y trouver un sommeil réparateur D, (( on l'a pieusement dépo- sé, peut-être sur un lit de feuilles et de branchages, revêtu de fourrure. D... (( Les grosses pièces de venaison pla- cées sur la poitrine étaient autant de provisions de bouche que le mort pou- vait utiliser à son réveil x.. (( pour que la solitude ne lui fût pas trop pesante, derrière sa tête on avait préparé un petit foyer rituel, on y avait allumé du feu et fait cuire quelques morceaux de gibier pour son repas L..

Une critique exhaustive Or, dans la plus élaborée des

publications de cette sépulture qui soit signée de l'un des inventeurs, il n'est question ni de (( respect n, ni de (( piété )) dans le dépôt du cadavre, ni de l'hypothèse d'un lit de feuilles ou de branchages, ni d'un vêtement de four- rure. II y est, certes, fait allusion à des pièces de venaison, mais il n'est pas dit qu'elles soient (( grosses D. D'ail- leurs, le seul reste de faune retrouvé au-dessus de la poitrine du défunt est un fragment distal de canon de bovidé, avec 'phalanges en connexion, et,cette (( offrande de nourriture )) cor- respond en réalité à la seule partie du bœuf inutilisée en boucherie, car elle ne comporte, en dehors de l'os, que de la peau et des tendons! Enfin, à propos du foyer proche de la tombe, l'auteur s'est contenté d'écrire : ((Oserons nous insinuer que le foyer fut allumé derrière sa tête dans un but rituel? ))

Bien sûr, chacune de ces déforma- tions reste mineure, mais elle agit toujours en ajoutant à la réalité des ornements supplémentaires. Si invo- lontaires que soient ces embellis- sements, ils contribuent à parer la .mort moustérienne de couleurs fac- tices, quand il eût fallu, au contraire, aborder les documents avec la plus grande prudence. En effet, la vision du fouilleur lui-même est sujette à caution, et quand il publie plusieurs versions de sa découverte, - ce qui est fréquent, - on s'apercoit le plus sou- vent qu'en s'éloignant de la date d'in- vention du site, ci-.aque , aqlcie- s'eloir 88

gne aussi de la stricte description des faits.

Ainsi, en confrontant les divers textes parus depuis 1908 sous la I

plume des auteurs de I'exhumatiorr de La Chapelle-aux-Saints, et en se tenant au niveau de l'observation la plus objective, on opère une véritable redécouverte de la sépulture :

Certes l'inhumation volontaire reste incontestable, mais si le squelette a les jambes repliées et la tête redres- sée contre le bord de la fosse, c'est, avant tout, parce que celle-ci est trop petite pour qu'il y tienne étendu, et non pour imiter ((l'attitude du sommeil N. D'ailleurs, quelqu'un qui dormirait dans la position donnée au corps de la Chapelle serait assuré de se réveiller avec de belles courbatures! Pour le foyer ((rituel )) voici ce qu'en dit la publication de 1908 : (( Enfin, tout contre la paroi, au-dessous de ces blocs, la terre avait subi l'action du feu, mais il n'est pas absolument prouvé que ce foyer soit ancien...)) Quant au bout de patte de bovidé, déchet incon- sommable abandonné par les mousté- riens et qui a constitué, paradoxa- lement, l'un des principaux arguments de la préhistoire classique en faveur d'offrandes funéraires d'ordre alimen- taire, ce n'est pas dans la fosse et posé sur la poitrine du défunt qu'il a été retrouvé: si l'on en croit les renseigne- ments publiés à partir du carne? de fouille, il a été découvert sans contact avec le squelette et (( à l'aplomb )) de la sépulture, en novembre 1906, vingt mois avant que celle-ci soit elle-même trouvée !

Quoique spectaculaire, l'exemple de La Chapelle-aux-Saints n'est pas isolé. II est courant de voir ainsi, palier par palier, les publications se livrer à une ((escalade)) : chacune prend> pour certitudes ,les hypothèses de la ' précédente et aboutit à une descrip- tion qui n'entretient plus que des rap- ports lointains ~ avec le réel. II ne faudrait pas, pour autant, mettre en doute l'honnêteté ni la compétence scientifiques des auteurs qui ont opéré ainsi; mais on doit faire le procès des principes et des méthodes dont ils se sont inspirés. II est aisé de comprendre, désormais, pourquoi une large part de toute nouvelle étude doit se consacrer à la critique exhaustive des documents.

Sur des informations ainsi vérifiées, reste à établir une nouvelle synthèse. C'est' là qu'interviennent règle à calculs et statistique élémentaire; seules ces techniques sont capables, à travers corrélations et probabilités, de faire le point sur ce que révèlent les inhumations préhistoriques sans retenir le plus voyant aux dépens du plus quotidien.

Plutôt que de s'étendre sur les pratiques funéraires des hommes fossiles, pratiques au sujet desquelles le travail n'est d'ailleurs pas terminé, on présentera ici le résultat des recherches sur quelques aspects moins

Les autres découvertes de Soimngir: deux jeunes

garçons inhumés tête contre tête

et en position inversée. Ici encore les objets sont très nombreux

et remarquables : boutons perforés,

aiguilles, sagaies.. .

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familiers du problème car I'étude des inhumations peut déboucher sur d'autres voies de connaissance que celles explorées d'ordinaire.

En effet, autant les préhistoriens classiques se sont intéressés aux objets retrouvés dans le remplissage des tombes, alors qu'il est toujours difficile et souvent impossible de savoir si leur présence y est fortuite ou inten- tionnelle, autant ils ont négligé, en général, d'exploiter les renseignements que donnent les squelettes découverts dans ces mêmes tombes; or ces sque- lettes, quant à eux, ne sont jamais là par hasard !

L'outillage lithique de l'homme fossile peut rester intact dans le sol durant des centaines de millénaires. Dans les mêmes conditions, bois et matières organiques disparaissent complétement. Les éléments osseux présentent un état intermédiaire, et leur conservation varie considérable- ment d'une époque à l'autre, d'un site à l'autre, voire, dans un même gise- ment, d'un mètre à l'autre. Le nombre des sépultures paléolithiques dont toute trace a disparu est, sans nul doute, fort supérieur au nombre de celles qui sont parvenues jusqu'à nous. Parmi ces dernières, toutes les situations sont possibles, depuis le squelette intégralement conservé jusqu"à celui dont il ne reste que quelques dents. Après toutes ces constatations fort banales, il peut paraître illusoire et sans intérêt de chercher à établir le schéma quantitatif de la conservation des restes osseux paléolithiques. Pourtant, le professeur Leroi-Gourhan a démontré, dans (( Les Religions de la Préhistoire)), la fécon- dité de cette voie de recherche et la valeur paléthnologique des résultats obtenus. II a pu ainsi confirmer statis- tiquement, sans autre examen que celui de leur état osseux, la réalité des inhumations néanderthaliennes e t la haute probabilité de l'anthropophagie à la même époque, sinon comme cou- tume fréquente, du moins dans le cas précis de Krapina, tout en réfutant l'hypothèse d'un culte généralisé pour I es mandi bu I es humain es.

Pour éprouver la solidité de ces conclusions et les vérifier, l'enquête a été reprise sur ce point, à partir d u n plus large éventail documentaire, en raffinant les données et en poussant l'analyse. Elle a permis, non seule- ment de confirmer les résultats précé- dents, ce qui était son but, mais d'en fournir de nouveaux, inespérés.

La conservation relative des divers os du squelette pour un groupe d'inhu- més du paléolithique 7 moyen ou supérieur - permet de tracer un dia- gramme. Or ce diagramme se distingue, sans confusion possible, de celui que

' donnent des groupes non inhumés : les dévorés d'une part, d'autre part les individus abandonnés sans traces visi- bles de traitement funéraire. Chez ces derniers, l'excès des restes crâniens est tel que le hasard ne suffit pas à I'expli-

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Les premières trouvailles à Soungir datent de 1964.

Ici le directeur des fouilles, le préhistorien russe

Otto Bader, examine le premier squelette

en compagnie du P' Gzierassimov.

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quer, ce qui amène sur le terrain des faits statistiquement contrôlés I'exis- tence, au paléolithique, d'un traite- ment préférentiel de la tête osseuse des décédés. Auparavant, on avait seulement affirmé, sans autres preuves que la référence à quelques exemples exceptionnels comme celui du mont Circé, un culte paléolitjhique pour les crânes humains. On ne prétend rien de tel ici, car le terme (( culte des crânes )) paraît trop précis. On se contente d'observer que près de 85 % des restes humains épars dans les gisements paléolithiques sont des fragments crâniens, proportion qui ne s'explique pas par une destruction naturelle, encore moins par l'anthropophagie. Et comme le crâne humain s'est mieux conservé hors des sépultures que dans celles-ci, il faut bien conclure, jusqu'à plus ample informé, à une cause artificielle de non destruction. Mais on ne peut évidemment, en pré- ciser les fondements métaphysiques, ni même assurer qu'ils existent ...

Dans le groupe des inhumés, des sous-groupes homogènes peuvent être comparés : paléanthropiens - néan- thropiens - adultes - enfants. Or on remarque une extraordinaire stabilité du schéma de conservation des os les uns par rapport aux autres. La stabilité est si forte qu'il serait possible de dresser une esquisse (( typologique )) de I'état moyen du squelette paléo- lithique en sépulture individuelle, et l'on a pu tenter d'expliquer les nuances de détail qui apparaissaient entre les divers sous-groupes, tant elles se révélaient significatives. Ainsi

les Néanderthaliens, compte tenu d'un moins bon état moyen dû à leur plus grand âge, conservent mieux la partie supérieure du squelette, et moins bien les jambes et le bassin que les inhumés du paléolithique supérieur. Chaque écart de détail montre une cohérence étonnante. Tout semble s'éclairer parfaitement si l'on interprète ces écarts en fonction de la position des corps dans leur tombe : les parties les plus éloignées du fond de la fosse se conservent le mieux.

Enfin, I'etude du groupe de Pred- most fournirait à elle seule, s'il en était besoin, la justification d'une enquête sur les restes osseux. En 1894 fut découverte en Moravie, dans un horizon (( aurignacien D, une sépulture ovale contenant les squelettes d'une vingtaine d'individus, recouverte d'une épaisse couverture de dalles calcaires. C'est, pour l'instant, la seule inhuma- tion paléolithique qui mérite vérita- blement le nom de collective. Malheu- reusement on n'en possède ni plan, ni photographie. Pour l'inventeur, ce serait le tombeau d'une famille qui avait péri dans quelque catastrophe; il y a donc vu, non sans arguments sérieux, le témoignage d'une inhuma- tion col1 ective accidentell e, effectuée en une seule fois. Tout le monde, par la suite, semble s'être rallié à son avis. La lecture de la publication pouvait cependant faire naître quel- ques doutes à ce propos, si bien que l'on a cru utile de leur appliquer le test de conservation des os. Or les résultats paraissent formels. Tout

'en assurant qu'il s'agit bien d'inhumés, la courbe présente des anomalies qui ne peuvent être expliquées par des causes naturelles, et assez impor- tantes pour témoigner d'une histoire différente. Incontestablement, les corps de Predmost ont subi, post mortem, des remaniements du fait de leurs contemporains. Cela permet de penser, contrairement à l'opinion admise, qu'il s'agit d'une sépulture à inhumations successives.

L'examen d'un squelette adulte rai- sonnablement complet permet de dire s'il a appartenu à un homme ou à une femme. Dans une étude des sépultures paléolithiques, c'est Ià un point impor- tant. Grâce à lui, on peut, à propos de chaque pratique funéraire, se demander si hommes et femmes étaient traités ou non de la même facon par leurs contemporains.

Cependant, les anthropologues avouent volontiers que la détermina- tion du sexe d'un squelette est chose délicate, passible d'erreurs: il reste souvent une marge d'incertitude. Mal- gré tout, au niveau d'un groupe assez nombreux, ces erreurs aléatoires s'annulent à peu près. Aussi doit-il être possible d'assurer la solidité des conclusions d'ensemble, faute de pou- voir faire confiance à chaque exemple en particulier.

C'est pourquoi on a entrepris d'étudier la répartition sexuelle des

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sujets paléolithiques ayant fait l'objet d'un diagnostic. Pour l'ensemble de cette période, 122 adultes de sexe connu ont été rassemblés. 77 d'entre eux, soit 63 %, sont des hommes. La prédominance masculine est de même ordre chez les Néanderthaliens (64 %) qu'au paléolithique supérieur (62,5 %).

Pourquoi un tel déséquilibre? Parmi les nombreuses causes possibles, il faut citer les suivantes : - les squelettes d'hommes se

conservant mieux que ceux des femmes, les premiers resteraient plus nombreux. - la population adulte paléolithique

aurait effectivement compté un net excédent masculin. - on aurait affaire à une différence

de proportion de caractère aléatoire, due aux limites numériques de I'échan- tillon recueilli; de nouvelles décou- vertes devraient rapprocher l'ensemble de I'équilibre.

Après examen, ces trois hypothèses ont pu être écartées. Restent en présence deux explications possibles. - I'écart numérique observé entre

hommes et femmes peut en effet pro- venir d'une erreur systématique dans les diagnostics : un squelette féminin serait plus facilement déterminé comme masculin que l'inverse, soit parce que les critères d'appréciation du sexe, établis sur des squelettes récents et contemporains, ne s'appliquent pas exactement aux squelettes paléolithi- ques, soit que l'on ait commis l'erreur au moment même de I'établissement de ces critères, en écartant comme atypiques davantage de squelettes féminins que de masculins dans la définition des normes. - ou bien, fait ethnologique plein

d'intérêt, on a enterré au paléolithique davantage d'hommes que de femmes. L'écart observé entre les effectifs de chaque sexe serait alors attribuable aux seuls squelettes inhumés, tandis que la population non inhumée serait équilibrée.

Plus d'hommes que de femmes Or, chose curieuse, les conclusions

ne sont pas les mêmes pour le paléo- lithique moyen et pour le paléolithi- que supérieur. Au terme d'un exa- men serré, sur des bases statistiques solides, deux propositions peuvent être énoncées. Première proposition : dans leur ensemble, les Néandertha- liens ont inhumé des hommes plus souvent que des femmes. II n'est pas possible de savoir, pour l'instant, s'ils ont été victimes, en outre, d'erreurs de détermin ation systématiques. Toutefois, dans I'état actuel de la do- cumentation, le dimorphisme sexuel du squelette semble plus constant chez eux que chez I'HOI?ZO sapiens; il offre, de ce fait, davantage de sécurité lors du diagnostic. Deuxième proposition : l'excédent des effectifs masculins au paléolithique supérieur s'explique, au

% DE DECES PAR CLASSES DAGE

1) Faisceau dans lequel s'inscri- vent toutes les mortalitds enfan- tines PtudiPes sauf:

2) enfants inhumis du palPoli- thique

3) enfants non inhumds du palPo- lithique.

I O00

900

BOO

700

600

500

400

300

200

1 an 5 ans 10 ans 15 ans

L 'rige des osserneitts à la mort du sujet peut être déterminé avec une relative précision. Ainsi peut-ori dresser des tables de mortalité pour les fossiles humains du Paléolithique moyen et supérieur, et les comparer aux résultats obtenus pour les sociétés actuelles. Ainsi a-t-on fait, ci-dessus, pour la mortalité des etgants : on s'aperçoit alors que les figures obtenues s'écartent de la norme respectée par toutes les sociétés connues. II doit donc exister une source d'erreur quelque part ...

TABLE DE SURVIE

I 1 an 5 ans 10 ans 15 ans

- 1 O00

. 900

. 800

. 700

. 600

HWOLTA 1960 GUlZlGA GUINEE 1955

- 500

- 400 \ \ L

- 300

~ 200 1 an 5 ans 10 ans 15 ans

91

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moins partiellement, par des erreurs contrairement à l'opinion d'H. V. d'attribution systématiques dont les Vallois, que la mortalité enfantine était femmes sont les victimes. On ne peut faible, dans les conditions de vie de donc pas se prononcer fermement l'époque : un pourcentage de cet sur l'inhumation préférentielle des ordre est comparable à celui de la hommes à la même époque, au moins France en 1900, ou de la Tunisie en en s'appuyant sur les seuls critères 1958, mais infiniment inférieur à anthropologiques examinés ici, et il celui des populations où les récents reste impossible, à ce stade du travail, progrès de la médecine ne jouent d'en accepter l'hypothèse. aucun rôle, comme celle de la Basse-

Le degré d'effacement des sutures Autriche en 1829 ou des montagnards qui joignent les os du crâne entre eux du Nord-Cameroun vers 1960. Ces a permis d'évaluer I'âge approximatif régions connaissent en effet une d'un certain nombre de sujets du mortalité antérieure à quinze ans de paléolithique à leur mort. Le plus sou- 51 % et de 55 %! Quant aux chiffres vent, ce sont les inhumés qui ont de mortalité des adultes, ils sont, bénéficié d'une estimation, en raison comparés aux faits démographiques du meilleur état de leur squelette. II connus, positivemènt aberrants, parti- serait donc anormal, lors d'une étude culièrement ceux des femmes. On des sépultures, de n'en pas profiter peut même calculer que, si la situa- pour essayer d'enquêter sur la durée tion 'avait réellement été celle que de la vie au paléolithique. C'est l'une suggerent les chiffres, les populations des questions susceptible d'apporter paleolithiques se seraient rapidement les déments les plus positifs à la éteintes sans descendance! II y a connaissance démographique de la donc, indéniablement, des erreurs préhistoire, dont on ne sait par quelque part. ailleurs pratiquement rien. Au milieu L'origine de ces erreurs est du silence général, le professeur complexe. De nombreux facteurs, forts Vallois a eu le mérite, dès 1936, de différents les uns des autres, inter- comprendre l'intérêt d'une telle étude fèrent dans leur élaboration. L'enquête et de l'entreprendre. Depuis, chaque sur ce point nécessite la mise en place fois qu'un préhistorien fait allusion au d'un dispositif de recherche fort lourd problème, c'est en référence au et complexe: Au bout du compte, travail d'H. V. Vallois et en adoptant un certain nombre d'incertitudes ses conclusions. II faut donc en demeurent, mais les résultats sont résumer l'essentiel. assez positifs pour qu'on en dise quel-

ayant fait l'objet d'un diagnostic d'âge Dour l'ensemble du Daléolithiaue. il

Sur un échantillon de 122 sujets, ques mots.

kemarque que 27 % sont morts'avant I'âge de quatorze ans, 10,7 % entre 1 4 et 20 ans, 5 1,6 % entre 20 et 40 ans, et les 10,7 % restants après quarante ans, un seul d'entre eux ayant atteint cinquante ans: il signale de notables différences entre la durée de la vie des hommes et celle des femmes qui meurent, en moyenne, plus jeunes. De ces observations, il conclut que la vie était très brève au paléolithique, et la mortalité enfantine fort élevée, la cause en étant la précarité des condi'- tions d'existence des populations de chasseurs quaternaires.

Tout ceci semble fort pertinent et quand on reprend l'enquête sur un échantillon plus large, avec une popu- lation globale de quatre cents indi- vidus, on retrouve, à quelques nuances près, des pourcentages de mortalité comparables à ceux du professeur Vallois. Possède-t-on, du même coup, une confirmation des conclusions de cet auteur? Ce n'est pas évident. La connaissance des faits démographi- ques et leur compréhension ont beau- coup progressé depuis 1936. II est désormais impossible de juger dans l'absolu une courbe de mortalité comme celle du paléolithique. Avant d'utiliser tels quels les chiffres bruts à des fins d'interprétation, on doit tester leur validité.

Or si 27,7 % des paléolithiques sont morts avant d'atteindre leurs quinze ans, il faut en conclure aujourd'hui, 92

Des erreurs de diagnostic

En ce qui concerne les enfants, le chiffre de 27,7 % ne correspond pas à la réalité. En effet, les chances de conservation du squelette, pour un sujet de moins de cinq ans, sont, en dehors des sépultures, quasiment nulles. Par de multiples recoupements, et à l'aide de nombreuses comparai- sons, on a pu établir qu'au paléoli- thique le pourcentage des sujets qui décédaient avant 1'âge de quinze ans était, en réalité, compris entre 50 % et 65 %. Le chiffre le plus probable est de 55 %. On s'est apercu, en corollaire, qu'il ne semble pas y avoir eu, à proprement parler, d'inhumation pré- férentielle des enfants néandertha- liens : le nombre de leurs sépultures est normal, sans plus, contrairement à ce que l'on a parfois affirmé. A l'inverse, les hommes du paléoli- thique supérieur semblent avoir de leur côté fréquemment négligé d'enterrer les morts de moins de cinq ans.

Les aberrations dans la courbe de mortalité des adultes s'expliquent, quant à elles, par des erreurs systématiques de diagnostic sur I'âge des squelettes fossiles. C'est très net en particulier pour les femmes : si l'on s'en tient aux chiffres bruts, un paléolithique survivant à quinze ans pouvait espérer vivre encore en moyenne dix-huit ans. Si c'était un

homme, il pouvait même espérer atteindre I'âge de trente-sept ans, mais une femme ne devait guère escompter dépasser vingt-neuf ans I Huit ans d'écart moyen sur une si courte vie, c'est considérable. Cette différence est en fait artificielle, et il semble bien que les sutures crâniennes d'un sujet féminin se referment moins vite que celles d'un homme, tout au moins au paléolithi- que. A âge égal, un crâne féminin paraît plus jeune qu'un crâne mascu- lin. II est certain qu'en ajoutant cinq ans à I'âge moyen apparent de chaque femme adulte paléolithique, on serait plus proche de la réalité. Même alors il resterait trop de jeunes femmes par rapport aux hommes, et il semble probable que la soudure des os du crâne féminin est non seulement plus lente, mais aussi moins régulière que celle des hommes. En somme, il y a de cela quinze à vingt mille ans, quelques vieilles coquettes refusaient déjà d'avouer leur âge, au moins par l'intermédiaire de leur crâne! En corrigeant la mortalité féminine sur la base de ces constatations, on la rendrait tout à fait comparable à celle des hommes, et certainement plus vraisemblable.

Tout ne serait pas parfait pour autant. Les hommes, eux aussi, semblent bien avoir été victimes d'erreurs de diagnostic. Mais sur ce point, si l'enquête permet la correction de quelques détails aber- rants de la courbe, - certaines classes d'âge étant trop nombreuses aux dépens de leurs voisines - elle n'autorise guère à aller plus loin. II faudrait probablement, pour avoir une vision convenable de la mortalité paléolithique, ajouter aux correctifs suggérés ici ceux que propose CI. Masset, dans un article encore inédit et fort convaincant, au terme d'une approche du problème différente et plus directe. Quoiqu'il en soit, on ne saurait se fier aux apparences pre- mières. La mortalité paléolithique est certainement plus proche de celle des montagnards camerounais con- temporains, par exemple, que de celle qui pouvait se déduire de ses chiffres bruts.

C'est évidemment une gageure que de parler des sépultures paléolithiques sans consacrer le plus clair du dis- cours à évoquer les coutumes funé- raires proprement dites, et sans aborder autrement que par allusions le mobilier funéraire, l'ocre, la position du cadavre, la parure, la protection des tombes et toutes les autres manifes- tations du comportement de l'homme paléolithique en face de ses morts. Mais il serait imprudent, puisqu'on s'est fait une règle de tout vérifier, d'aborder ces questions avant den avoir terminé I'étude. On sait combien les apparences peuvent être trom- peuses. D'autre part, il a semblé plus utile, pour faire comprendre l'esprit même dans iequei se dérouiait cerre

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